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LES CENT CHEMINS (cantamantalo) DU PAGANISME
ou
SCIENCE ET PHILOSOPHIE
ÉLÉMENTS DE MYTHOLOGIE DRUIDIQUE
Tome II
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…).
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit.
Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre.
Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées.
Des condamnations. Pour les coupables.
Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…
CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRÉ ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin.
S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges !
Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine !
Il n’y a aucun moyen terme…
Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité, car, où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand).
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goy, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I.L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des Nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais, comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
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III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques, pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire ((cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
2)
LITTÉRATURE.
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L’EXIL DES FILS D’USNECH OU UISLIU (Longes mac nUislenn).
Un druide est reçu par un vieux couple auquel il prédit, contre toute vraisemblance, la naissance d’une fille ; et cette fille « fera mourir d’amour beaucoup d’hommes ». Le vieil homme, comme Abraham en semblables circonstances, commence par se montrer incrédule. Il chasse le druide. Mais le druide parti, la femme effectivement se trouve enceinte. Alors le vieil homme s’afflige et pleure « de ne pas en avoir demandé davantage ». Seulement dans son cas, la prédiction n’est pas une prédiction de bonheur. C’est une prédiction de mauvais augure qui n’apportera que la ruine et le désastre. Pour détourner le destin, il fait donc élever la fille loin des hommes, en confiant son éducation à une vieille femme. Pour être plus précis, elle est élevée dans un tertre sous la terre, autrement dit « dans un Sid ». Si nous hésitions à en faire une fée, que ceci nous serve de signe. Elle a dû être renvoyée, une fois née, sous la terre.
On ne parle à Deirdre, naturellement ni des garçons ni de l’amour. Mais une nuit, un jeune chasseur s’endort sur le tertre : il rêve de fées, il appelle. Elle, de dessous la terre, entend l’homme, pressent l’amour ; et fait rentrer le chasseur dans sa maison…
Le reste de la légende est plus connu. Le roi Conchobar veut se réserver Deirdre, mais la belle tombe amoureuse de Noïsé. Alors Noïsé ainsi que ses deux frères, enlèvent Deirdre puis s’enfuient avec elle au-delà de la mer où ils vivront heureux dans la nature sauvage pendant quelques années. Mais Conchobar arrive à faire revenir les trois frères, en promettant de leur pardonner. La malheureuse Deirdre en vain essaiera de s’y opposer. Elle pleure, elle prophétise. Les trois frères sont aveuglés par la nostalgie (de leur patrie). Ce n’est pas d’ailleurs la seule fois dans ces légendes que la nostalgie détourne les héros de leur route ou précipite leur destin. Et ce qui devait arriver arrive : Conchobar fait assassiner les trois frères dès leur retour. Une dramatique bataille à multiples épisodes a lieu, où nos héros s’entre-tuent, et les palais s’embrasent. Ce sera un vrai désastre pour le royaume des Ulates, qui plongera dans la guerre civile, l’élite de son armée partira en exil à la cour du roi voisin, ravi de profiter de cette aubaine. La malheureuse Deirdre survit au désastre, mais se laisse dépérir à petit feu avant de suicider pour fuir l’épouvantable et ricanant cynisme du roi Conchobar.
Quand Cunocavaros/Conchobar cherchait à l’amadouer, alors elle lui répétait ce qui suit :
Ah Cunocavaros/Conchobar, que me veux-tu encore ?
Tu ne m’as valu que chagrin et larmes
Quant à moi tant que je resterai en vie
Ton amour n’aura aucune importance pour moi.
L’homme pour moi le plus beau sur terre
L’homme qui m’était si cher,
Tu me l’as enlevé, quel crime horrible
Je ne le verrai plus qu’après ma mort.
Disparue à jamais, quelle douleur pour moi
Est la silhouette sous laquelle paraissait le fils d’Uisnig
Un tertre noir de jais sur un magnifique corps blanc
Qui était bien connu de toutes les femmes.
Deux joues de pourpre plus belle qu’une prairie
Des lèvres rouges, des sourcils de la couleur du scarabée.
Des dents brillantes comme des perles
De la noble couleur de la neige.
Son brillant équipement était reconnaissable
Entre tous les guerriers d’Alba
Son manteau d’apparat pourpre lui allait bien
Avec sa bordure d’or rouge.
Sa tunique de soie, précieux trésor
Avait cent lam??? (une belle quantité)
Pour la faire il est clair
Qu’il avait fallu cinquante onces de bronze blanc (laiton?)
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Un glaive à poignée d’or à la main
Deux javelots verts à fer de lance
Un bouclier avec une bordure en or jaune
Et un umbo d’argent.
Le beau Fergus a causé notre ruine
En nous faisant franchir la mer
Il a vendu son honneur pour de la bière
Ses hauts faits ne sont plus qu’un lointain souvenir.
Et même si sur la plaine se trouvaient rassemblés
Tous les Ulates et Cunocavaros/Conchobar
Je les abandonnerai tous sans combattre
Pour la compagnie de Noïsé fils d’Uisnig.
Ne me brise pas le cœur aujourd’hui
J’irai bientôt rejoindre ma tombe
Is tressiu cuma inda muir,
Madda eola a Chonchobuir
Le chagrin est plus fort que la mer
Le sais-tu O Conchobar.
De tous ceux que tu vois maintenant, qui hais-tu le plus demanda Cunocavaros/Conchobar ?
Toi-même, répondit-elle, et avec toi Eogan le fils de Durthacht.
Alors répliqua Cunocavaros/Conchobar, tu resteras un an avec Eogan, et il la remit entre les mains d’Eogan. Le lendemain ils se rendirent à l’oenach (assemblée, rassemblement) de Murthemné Buisi derrière Eogan, dans son char. Dorarngertsi nach facfed a da céili for talmain i n-oenfecht. Elle s’était promis qu’elle n’aurait jamais deux hommes en même temps sur cette terre. Eh bien Deirdre dit Cunocavaros/Conchobar, tu as le regard d’une brebis entre deux béliers, entre Eogan et moi !
Il y avait un grand bloc de rocher devant elle. Alors elle se jeta la tête en avant contre cette pierre et s’y fracassa le crâne de sorte qu’elle en mourut. Elle avait juré qu’elle n’aurait jamais deux compagnons différents sur cette terre.
Il s’agit donc de l’histoire classique d’une guerre provoquée par une rivalité d’hommes autour d’une femme. Avec, il faut bien le dire, un peu plus de classe, de romantisme, ou d’élégance, que les histoires de fesses d’Hélène de Troie et de la vengeance de son mari trompé, mais il y a plus. Deirdre incontestablement est un agent du destin. Elle accomplit un ordre prévu. Les fées dans la légende irlandaise jouent toujours le rôle d’agents du Destin ou Tokade (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton. Le labarum est son messager). Elles déterminent des catastrophes. Les autres le font par leur malignité. Celle-ci le fait par sa grâce. Mais au fond le résultat est le même. Les hommes se précipitent à cause d’elle les uns sur les autres. Il est rare de trouver un drame humain capable d’éveiller de telles résonances religieuses. Cette légende compte parmi les plus grandes, de celles qui méritent de porter un message aux hommes de tous les temps.
Mais elle intéresse encore pour une autre raison les chercheurs et les érudits. C’est que l’on y saisit en acte deux métamorphoses : la transmutation d’une déesse-ou-démone ou fée, en héroïne de roman ; la transmutation du mythe en histoire de guerre et d’amour. Il s’agit donc d’évhémérisme à rebours. Il est presque trop facile de débusquer la déesse-ou-démone ou la fée si l’on préfère, sous le masque humain de Deirdre. Il est plus difficile et plus aventureux par contre, de percevoir, par-delà la fureur de nos héros et les palais en feu d’Emain Macha, le fracas d’un écroulement cosmique. Cela reste une hypothèse. Si elle est vraie, il se serait produit dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, une descente de plan, avec condensation à l’étage inférieur, et déformation proportionnée.
Ce qui ressort tout particulièrement de nos textes c’est donc la toute-puissance du Destin mise en œuvre par des malédictions appelées geis/gessa en gaélique, ou tynghed en gallois si l’on en croit John Rhys dans le deuxième volume de son livre sur le folklore celtique gallois et manx. À propos du mot gallois « tynghed ».
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MABINOGI DE KULHWCH ET OLWEN.
« Je citerai ici un passage du début de l’un des plus celtes des contes gallois, celui de Kulhwch et Olwen. Le père de Kulhwch, après avoir été veuf quelque temps, se remaria, mais n’informa pas sa seconde épouse du fait qu’il avait un fils. Elle le découvrit néanmoins et le fit savoir à son mari ; aussi fit-il venir son fils Kulhwch, et ce qui suit est le compte-rendu de l’entretien qu’aura son fils avec sa belle-mère.
Sa belle-mère lui dit alors : « Il serait bien pour toi d’avoir une femme, et justement j’ai une fille qui est recherchée en mariage par tous les hommes de renom de ce monde ! »
« Je ne suis pas en âge de me marier », répondit le jeune homme. Alors elle lui répondit : « alors je te déclare que ton destin sera de ne pas trouver de femme qui te convienne tant que tu n’auras pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ! »
Le jeune homme se mit à rougir et l’amour de cette jeune fille se diffusa de lui-même dans tout son corps, bien qu’il ne l’ait jamais vue. Et son père lui demanda donc : « Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon fils, et de quoi souffres-tu ? »
« Ma belle-mère m’a dit que je n’aurai jamais d’autre femme tant que je n’aurai pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ».
« Cela ne te sera pas difficile », répondit son père. « Arthur est ton cousin. Va donc chez Arthur lui couper les cheveux, et demande-lui ça comme récompense ! »
… Le mot dans le texte gallois pour Destin est tynghet (anciennement tuncet), et le terme irlandais correspondant est attesté sous la forme Tocad. Ces deux mots ont tendance, comme celui de « sort » à être utilisé surtout en mauvaise part. Antérieurement, ils ont dû être aussi utilisés dans un sens plus propice, comme dans le cas du nom de femme Tunccetace, sur une des premières pierres gravées du Pembrokeshire. Si son nom avait été rendu en latin on l’aurait probablement appelée Fortunata, c’est-à-dire bonne fortune… Dans la partie méridionale de mon comté natal de Cardigan, la phrase en question était encore d’usage courant ces trente dernières années encore, et les pratiques qu’elle dénote sont toujours suffisamment connues pour alimenter des histoires locales…
La formule tyngu tynghed, toujours parfaitement compréhensible au Pays de Galles, rappelle un autre exemple de l’importance de ce genre de malédiction, à savoir le latin fatum… Je précise ici que les Romains avaient une pluralité de fata ; mais… que l’on ignore si les Gallois de l’Antiquité avaient eux aussi plus d’une tynghed. Dans le cas de l’ancienne littérature nordique en tout cas, il apparaît que le Destin y porte un nom peut-être apparenté avec le gallois tynghed. Je fais allusion ici au personnage féminin appelé Thokk, qui apparaît dans l’émouvant mythe relatif à la mort de Balder…
Dans cette ogresse (Thokk), sourde aux appels des sentiments d’affection, nous avons peut-être la contrepartie de nos celtiques tocad et tynghed, et le nom de cette dernière en tant que partie intégrante d’une des formules de l’histoire galloise, tout en nous fournissant la clé du mythe, nous montre comme les premiers Aryens ne connaissaient rien de plus contraignant que la force magique d’un serment. Cette conception de la destinée porte certes avec elle la marque de son humble origine, et l’on souscrit volontiers au mot de Cicéron (De Divinatione II, 7) quand il écrit : « Anile sane et plenum superstitionis fati nomen ipsum ». Mais d’un autre côté elle a aussi la sinistre dignité de conférer un nom au sombre et inexorable pouvoir auquel l’univers dans son ensemble est censé obéir, un pouvoir devant lequel le grand et resplendissant Zeus de la race aryenne n’est qu’une vulgaire marionnette ».
Ar ro fedatar is vadh bodesin nobíad a athcin
ou
Ar rofetatár is úad fessin no bíad a athgein.
Malédiction n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot de notre langue qui convient le mieux pour traduire cette situation, car ce n’est ni une vengeance ni une punition et les effets n’en sont pas toujours immédiats. La caractéristique principale de ces geis/gessa est en effet qu’elles sont le plus souvent conditionnelles, et qu’elles sont en outre d’ailleurs le plus souvent négatives. Il est demandé à quelqu’un de faire ou plus fréquemment de ne pas faire, telle ou telle chose.
Le drame se noue quand le héros, pris entre deux gessa contradictoires, se trouve dans la nécessité de violer un de ces interdits pour respecter l’autre. Nous y reviendrons.
IL EXISTE DES SIGNES DU DESTIN, MAIS……
Précisons bien tout de suite une chose, croire qu’il peut y avoir des signes du destin qui vous concernent ne veut pas dire qu’il faut s’en remettre à des voyants professionnels pour les décrypter,
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même si nos ancêtres sont tombés dans ce travers, il s’agit seulement d’une incitation à plus d’introspection. Car, répétons-le, le fait que les grandes lignes de notre destinée soient écrites d’avance ne veut pas dire que ses péripéties ou ses détails le soient. L’être humain est maître des détails de sa vie. Il a en ce domaine le libre arbitre le plus total.
Mais enfin le fait que nos ancêtres s’en remettaient À TORT à des professionnels pour interpréter leurs rêves ou des événements extérieurs comme la direction d’un vol d’oiseaux… prouve au moins qu’ils croyaient en l’existence de signes du destin, donc du Destin lui-même.
Labaron est le terme celte regroupant l’ensemble de ces signes du destin chez les peuples celtes. Mais il est souvent symbolisé par la roue de la Fortune, le tarabara breton, la rouelle des archéologues d’où sa ressemblance bien pratique avec le chrisme constantinien.
Mais la croyance en des signes du destin implique qu’il y ait un destin c’est-à-dire qu’au moins LES GRANDES LIGNES de notre avenir sont tracées d’avance (LES GRANDES LIGNES ET PAS LES DÉTAILS).
Le Labaron est symbolisé par une roue avons-nous dit, mais chez nos ancêtres tout était signe du Destin en réalité (ou message de tel ou tel dieu particulier, mais pour les druides les dieux sont aussi des agents du destin).
Saint Colomban d’Iona l’avait d’ailleurs bien compris puisqu’il s’était vigoureusement élevé contre cette conception du destin dans un de ses loricas : « Je n’adore ni le chant des oiseaux… ni le destin, ni un fils, ni une femme. Mon druide est…, etc. »
L’évocation du chant des oiseaux est sans doute une allusion aux pratiques divinatoires de certains druides de la décadence irlandaise. Ils auraient pratiqué un mode d’ornithomancie qui consistait à prédire, non par le vol des oiseaux, mais par leur chant. Le roitelet servait spécialement à ces consultations augurales.
Soyons monganiens jusqu’au bout et n’hésitons pas une seconde à le dire ; ces chrétiens n’ont évidemment rien compris à la façon dont les druides antiques concevaient le Destin ou Tokad (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton).
Il s’agissait d’une divination inexorable à long terme, mais souple et gardant quand même l’essentiel de l’autonomie humaine, pour ce qui est des détails à court ou moyen terme.
Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Livre V, XXXI évoque « des hommes qui connaissent les dieux et parlent leur langue » (homophônôn en grec) ; mais, précise Lucain (la Pharsale, I 452) « À eux seuls il est donné de connaître OU d’ignorer les dieux et les puissances célestes ».
Il y a dans ce « ou » de Lucain toute la différence qu’il peut y avoir entre les réponses du type : « vous vaincrez parce que telle est la volonté des dieu-ou-démons » (prédiction) ; et les réponses du type : « vous vaincrez parce que vous êtes les plus forts » (prévision de type rationnel où le divin n’a plus grand-chose à voir).
Distinction capitale confirmée par les propos du druide éduen Diviciacos lui-même, « qui disait prévoir l’avenir d’une part par les augures, d’autre part au moyen de la conjecture » (Cicéron, De Divinatione I, 41,90).
Bref, le cadre dans lequel se déploie notre (très relative) liberté d’être humain est préexistant.
Comme tout se tient dans la nature, il y a interdépendance mutuelle de tous les phénomènes. L’Homme étant un être chthonien (un Gdonios) il est déterminé au départ, et son libre arbitre absolu n’existe jamais, hormis dans la tête de certains manichéens acharnés comme les chrétiens ou les musulmans.
La liberté n’est qu’un pur produit de relations diverses, conditionnées de tous côtés ou de toutes parts, dans l’ensemble de la Vie et du Cosmos (le Bitos). La liberté humaine est prise dans un flux constant d’interactions de divers facteurs (émotionnels, physiques, mentaux, etc.)
Elle naît, passe, et peut même disparaître.
Il existe partout des signes du Destin, mais il faut juste savoir comment les reconnaître et les interpréter (nous parlons ici d’introspection et de rien d’autre). Le destin peut sembler immuable aux musulmans, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Chaque individu a la possibilité d’intervenir et d’en changer certains événements s’il le souhaite. On peut en effet être surpris par certains événements, mais on peut aussi provoquer certains événements. Pour faire la part des choses et mieux anticiper son avenir, il faut être capable de reconnaître les différents signes du destin et les interpréter correctement.
Quels peuvent être ces signes du destin ?
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Ces signes du destin peuvent en effet être de précieux indicateurs pour nous. Ils peuvent nous permettre de déterminer quelle voie suivre ou encore, nous en apprendre plus sur ce que nous réserve le destin justement.
Il faut tout d’abord comprendre que des signes peuvent se trouver partout et à chaque instant. Ce ne sont pas forcément des grandes choses, mais elles peuvent avoir une grande importance par la suite. Reconnaître ces signes c’est aussi prendre conscience et faire confiance à son instinct. Certains signes peuvent être répétitifs c’est pour cela qu’il faut se montrer attentif.
Il est commun de ne pas y faire attention. Pourtant, leur fréquence peut être un indice à ne pas négliger. Il faut se montrer vigilant à ce qu’on pourrait qualifier de coïncidence. Parfois, ce n’en sont pas et il faut plutôt en tirer des enseignements et y voir des indices sur ce que vous réserve le destin.
Une rencontre inattendue, un objet ou un numéro perdu, un message reçu à un moment précis tous ces petits éléments sont autant de signes. Leur signification peut être différente d’une personne à l’autre.
Une certaine introspection est donc nécessaire. Il vous faut réfléchir et définir ce que vous voulez dans votre vie ou quelle voie vous souhaitez emprunter. Ces signes peuvent vous permettre de définir quelles sont les chances qui se présentent à vous et lesquelles saisir. Ces signes sont là pour nous montrer le chemin. Il ne peut pas exister d’inventaire exhaustif de ces signes, car ils sont propres à chacun, mais nos ancêtres en avaient dressé une liste assez conséquente.
— les coups de tonnerre dans le ciel bleu.
— le murmure des cours d’eau.
— le vol des oiseaux.
— la course d’un lièvre
— etc.…
Pour plus d’informations voir l’étude très détaillée que Georges Dottin a en son temps (1904) consacrée au sujet dans le cadre de son livre sur la religion des Celtes (2 pages).
Introspection avons-nous dit, mais aussi son contraire. Car avant de pouvoir interpréter les signes, il faut se montrer plus attentif et savoir observer. En effet, de nombreux événements souvent considérés comme des coïncidences sont en réalité des signes du destin.
Le sens de l’observation est donc primordial pour déceler les signes du destin. Leur interprétation dépend également de cette capacité d’observation et aussi d’un autre élément très important : notre intuition. Face à un événement, il est commun d’avoir une petite voix dans la tête qui nous suggère certaines choses et il faut apprendre à savoir l’écouter. Le plus souvent, notre instinct est notre meilleur allié pour interpréter les signes du destin.
Notre environnement est également un élément à prendre en compte et peut influencer notre interprétation des signes. Tout est lié, la moindre des choses qui se produit dans notre vie a un sens et notre destinée peut s’en trouver changée.
Pour interpréter correctement les signes de notre destin, il faut également définir quels sont nos besoins. En effet, certaines coïncidences sont en réalité des besoins de notre subconscient.
Ce que savaient très bien les héritiers des druides du temple de Grand dans les Vosges quand ils interprétèrent le rêve fait par Constantin en ce lieu une nuit de l’année 310.
De fait, si vous connaissez précisément quels sont vos besoins, vous aurez plus de facilité pour comprendre leur signification et en faire une interprétation.
Mais l’interprétation des signes dépend également de notre vécu, de notre vision de la vie, des choix que nous avons décidé de faire ou pas, si nous croyons au destin ou pas, etc. Toutes ses considérations sont subjectives et donc propre à chacun. Un même signe peut avoir une interprétation et une signification différente en fonction de la personne, de son vécu et de ses besoins.
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LE DESTIN OU TOCAD, GEIS LABARON JUSTICE IMMANENTE, ETC.
PAR MÉTONYMIE…
La métonymie est une figure de style dans laquelle une chose ou un concept est désigné par le nom d’un élément étroitement associé à cette chose ou à ce concept. Exemple Washington et le gouvernement américain.
En plus de son utilisation dans le langage de tous les jours, la métonymie est une figure de style apparaissant dans certaines poésies et dans beaucoup pièces de rhétorique.
Les spécialistes grecs et latins de la rhétorique ont beaucoup parlé de métonymie.
Kenneth Burke considère la métonymie comme l’un des quatre « tropes majeurs » avec la métaphore, la synecdoque et l’ironie.
En ce qui nous concerne et par métonymie nous nous référerons au Destin (général) ou à la destinée (des individus) l’un n’étant que la déclinaison de l’autre, en étudiant deux notions ou familles de mots apparaissant souvent dans la littérature celtique, la geis pluriel gessa (une prohibition ou une injonction plus rarement, mortelle, et le labarum ou labaron, terme celtique latinisé regroupant les présages ou autres signes du destin. Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était la grande affaire des anciens druides.
Pour ce qui est des gessa le terme est à comprendre en un sens assez actif, puisqu’il détermine littéralement le plus souvent la destinée des individus. Les gessa sont en quelque sorte des agents du Destin et des auxiliaires de la justice immanente.
Avertissement au lecteur. Préliminaires linguistiques.
Chez les Celtes le terme Tokad désigne la « disposition » normale de toutes choses (de la racine tonk – « jeter un sort, prédestiner »), ou l’Ordre, la Norme. Le Tokad ou Destin est l’émanation divine qui fait passer l’inarticulé au stade articulé (rta en Inde).
Ce qui saute immédiatement aux yeux dans les contes et légendes irlandais c’est l’omniprésence déterminante de ce que l’on appelle au singulier geis, au pluriel gaesa ou aurgarta ; équilibré positivement par des buadha ou ada.
Qu’est-ce qu’une geis ? Nous avons vu à plusieurs reprises que la geis fonctionne aussi bien dans le sens de l’obligation que de l’interdiction. Elle est presque invariablement individuelle, mais elle peut être aussi collective comme dans le cas des Ulates *. Malheureusement, nous n’avons aucun moyen de déterminer ou d’expliquer comment et pourquoi telle ou telle geis est imposée à tel ou tel individu. Et nous ne savons pas davantage comment fonctionne le mécanisme de son application. Nous assistons simplement aux catastrophes et aux accidents que provoquent ses violations.
La traduction du mot par « tabou » n’est qu’une approximation, faute de mieux. Le tabou n’est pas une notion indo-européenne et son aspect uniquement négatif est en contradiction avec le sens souvent positif qu’a ce mot dans les contes et légendes irlandais. Vu l’importance de la notion mise en jeu, la christianisation a évidemment réussi à faire disparaître toute idée s’y rapportant, que ce soit en Grande-Bretagne ou sur le Continent.
Nous ne disposons donc plus d’un traité qui, quels que soient ses défauts éventuels, pourrait servir de base à cet exposé. En dehors du texte publié en 1951, dans les Actes de l’Académie royale d’Irlande, par Myles Dillon ; et qui commence de la sorte ou à peu près : les interdits du roi de Tara, que le soleil se lève pendant qu’il est encore couché, sur la plaine de Tara [c’est-à-dire qu’il doit être debout dès avant l’aube], descendre de son char dans Mag Breg le mercredi, etc., etc. (Suit une longue énumération en prose et en vers, pays par pays, et royaume par royaume…)
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À l’exception de ce document donc, il n’existe en effet rien qui puisse être considéré comme un catalogue de gaesa. Nous en connaissons quelques-unes qui concernent des rois, mais c’est au hasard des récits, suivant la bonne volonté des narrateurs. Et tout le reste ou presque est réservé à des guerriers – qui s’en passeraient bien, mais s’en accommodent – dont la célébrité ne le cède qu’à la hardiesse ou à l’extraordinaire force physique. Le plus souvent, si ce n’est presque toujours, la geis n’est saisissable, ou n’est vraiment expliquée, qu’au moment de sa violation, quand elle devient brutalement efficace et qu’elle cause la mort du héros. Et si toutes les gaesa ne sont pas immanquablement mortelles, la plupart le sont, sans aucune rémission. Il existe donc, plus encore qu’un réseau, un système de gæsa – et autant de systèmes que d’individus – qui rendent tout roi ou guerrier de haut rang prisonnier de son destin…
La geis est évidemment adaptée à la fonction de celui qui la subit, et revêt, de ce fait, de très nombreux aspects. La geis garde cependant partout un aspect de fatalité, on y a vu surtout une sorte de résultat du hasard. Mais il ne faut pas croire au hasard : le hasard n’est jamais que la somme des raisons que nous ne connaissons pas. Le hasard est une contingence qui n’existe pas. Précisons bien en outre que si une femme peut être, en l’occurrence, la cause fortuite de la violation d’une geis, elle n’y est généralement pour rien, parce qu’aucune femme n’a le pouvoir d’en imposer une. Quand par exemple la jeune Deirdre contraint Noïsé à l’enlever, c’est par défi ou provocation, à la fois juridique et amoureuse, cela ne ressemble en rien à une geis.
L’acte qui fait apparaître le Destin ou Tocade, fait apparaître en même temps son petit frère, sa sœur, sa compagne, ou son parent, la destinée humaine.
Cette déclinaison du Tokad au niveau inférieur ou humain est le principe de toute justice immanente, de toute vertu, de toute beauté.
Ainsi que nous l’avons déjà dit (on ne saurait faire plus chirk), Dieu ou le Démiurge est en quelque sorte mort, mais le Destin est comme son Testament, une lumière noire (oxymore) qui nous parvient des années après son implosion/explosion…
Chaque être ou objet, au sens large, possède un destin propre, celui de chaque homme étant appelé destinée.
Toutes les multiples destinées sont régies par le Tocade, la grande Loi universelle. Le Destin est donc aussi un ensemble de résignations ou d’acceptations. La notion de bien ou mal n’y a pas de place au niveau individuel, il s’agit d’une logique et d’une déontologie de groupe fonctionnel.
Les destinées individuelles peuvent être très différentes selon le métier exercé. Tuer un autre homme est par exemple interdit, mais il va de soi que tuer d’autres êtres humains ou être soi-même tué fait partie de la vocation des militaires.
Dans la sphère humaine, agir selon son destin, c’est agir selon la déontologie de son état. On parlera dans ce cas de destinée propre à chaque classe, et finalement à chaque individu.
Dans la sphère cultuelle, agir selon le Tokad, c’est d’abord accomplir les rites correctement selon les règles. Mieux, dans l’ancien druidisme prévaut l’idée que l’acte sacrificiel reflète la norme de l’univers tout entier. Il y a syntonie entre le tokad cultuel et le tokad cosmique. Le sacrifice maintient le Tokad.
Le lien entre le Tokad et le sacrifice est parfaitement illustré par l’idée que si le soleil se lève tous les matins, c’est certes, conformément au Tokad ; mais c’est aussi parce que tous les matins au lever du soleil il y a dans chaque foyer ou dans chaque maison allumage du feu avec éventuellement une libation ou une petite ateberta (offrande).
C’est du moins l’idée qui ressort a contrario de ce curieux passage du Senchus Mor nous parlant d’un certain Connla Cainbrethach.
« Après elle vint Connla Cainbrethach, chef des sages du Connaught. Il dépassait les hommes d’Irlande en sagesse, car il était rempli de la grâce de l’Esprit-Saint. Il argumentait contre les druides qui disaient que c’était eux qui avaient fait le ciel, la terre, et la mer… et le soleil et la lune, etc. C’était lui qui leur disait… ne vous vantez pas de vos pouvoirs, puisque vous n’êtes pas capables de changer l’ordre d’un seul jour et d’une seule nuit, dont le déroulement est le même dans les éléments selon ce que Dieu a établi » (Anciennes lois d’Irlande, tome I, page 22).
La réfutation chrétienne est évidemment aussi ridicule que sa croyance en un miracle le jour de la bataille de Gabaon (le soleil arrêtant sa course pour laisser à Josué le temps de parachever sa victoire). cf. Josué (10,1-15).
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Si le soleil, la lune ou n’importe quelle autre planète s’arrêtait un instant, cela provoquerait un tel cataclysme que le système solaire volerait en éclats. D’autre part, si le soleil s’était arrêté aussi longtemps que le prétend cette théorie, les autres peuples, éclairés par le même soleil, auraient dû le constater. Or aucun n’a conservé le souvenir d’un tel phénomène.
Ce que voulaient simplement dire les druides dont se moque Connla Cainbrethach, c’est que c’est grâce aux sacrifices quotidiens ou aux prières quotidiennes des humains que le monde se maintient. Ce qui est, certes, faux d’un point de vue objectif et matériel, mais qui ne fait que traduire le fait que les druides de cette époque accordaient autant d’importance à leur culte que les chrétiens pour ce qui est de la messe. Pour eux c’était le culte qui entretient le monde en ordre de marche, et sans culte, sans croyance, le monde ne peut que replonger dans le chaos. Même idée en Inde d’ailleurs.
Le destin ou Tokade (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton) se retrouve parfois personnifié ou symbolisé dans les légendes druidiques, par un vieux roi vivant retiré hors du monde dans une île mystérieuse correspondant sans aucun doute à la technique dite des imrama ou navigations. Bêtement assimilé à Saturne ou Cronos par les Gréco-romains. En tant que messager du Destin bien sûr, c’est lui qui connaît l’avenir, et c’est lui que l’on va consulter pour le connaître.
« La nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même [le Destin ????] dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or – le sommeil étant le seul moyen que Zeus [Taran/Toran/Tuireann ???] a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos [le Destin ?], ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
Au niveau populaire, le Destin est aussi fréquemment représenté par une triade comme celle qui a été découverte à Vertault (département français de la Côte-d’Or) ou celle qui est constituée par Banuta, Ériu, et Votala, en Irlande. Ces triades féminines appartiennent à un type répandu dans la statuaire britto ou gallo-romaine. Un groupe similaire de trois femmes avec des fruits dans leur giron porte d’ailleurs une inscription les désignant comme des fées de type matres, des déesse-ou-démones-mères, garantes de l’abondance et de la prospérité familiale. Ces statues étaient sans doute placées dans ou devant l’autel familial de la maison.
Le groupe sculpté en calcaire de Vertault figure trois femmes assises sur un siège à dossier. Ces vierges mopates portent sur leurs genoux, l’une le nourrisson, la deuxième le linge, la dernière l’éponge et la cuvette. Ces attributs, ainsi que leur poitrine à demi dénudée, suggèrent qu’elles sont intimement associées aux soins du nouveau-né. La triade de Vertault a une signification symbolique. Le linge peut évoquer un parchemin déroulé, la cuvette une patère à libation. Ces bonnes fées qui se penchent sur le berceau de l’enfant correspondent aux Moires, aux Parques, ou aux Nornes, des autres traditions du monde antique.
Dans la triade des Bolards (Musée de Dijon), une déesse-ou-démone, ou une fée si l’on veut, tient d’ailleurs une balance. Ce sont aussi en réalité des hypostases du Destin (vyuha dans l’hindouisme) représentant l’une le passé, l’autre le présent, la troisième le futur. Note du Français Régis Boyer à propos des Nornes germaniques : Comme le dit un proverbe viking, « on ne survit pas un soir à la sentence des Nornes ». Snorri Sturluson, visiblement à l’école des Grecs (voir les trois Parques) veut qu’elles soient trois, auxquelles il donne des noms, dont deux au moins (Skuld, avenir ; et Verdandi, présent), sont fabriqués pour les besoins de la cause, la 3e, Urdr paraissant seule d’origine antique. En fait, il semble que les nornes soient aussi nombreuses que les êtres humains (Régis Boyer). Les nornes germaniques correspondent donc aux fées de type matres celtiques qui elles aussi sont
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symboliquement trois, et plus précisément aux matres nessamae. On ne survit pas un soir à la sentence des matres nessamae, devaient par conséquent dire les très-sachants de la druidiaction (druidecht), de ce temps-là.
Le tout sous l’égide d’une loi mécanique fatale qui agrège et combine ses éléments de façon à produire tout ce qui existe dans l’univers.
La triade irlandaise Banuta, Ériu et Votala, joue un peu le même rôle dans la tradition irlandaise.
Banuta (graphie moderne Banbha) est une reine des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone Danu (bia), son nom signifie « truie », « laie », ou « cornue ». Elle est la fille d’Ernmas, et avec ses sœurs Votala/Fodla ainsi qu’Ériu, elle forme une triade, véritable personnification de l’Irlande. Dans l’incroyable méli-mélo légendaire ou mythique, au très mauvais sens du terme, que les bardes irlandais ont consacré à ce sujet, lorsque les Milésiens ou Gaëls débarquent, chacune des trois sœurs leur demande de donner son nom à l’île ; c’est celui d’Ériu qui sera choisi, néanmoins celui de Banbha sera également utilisé comme allégorie du pays.
Mais, au-dessus de ces déesses-ou-démones qui agissent et qui se meuvent, la Raison ne peut que concevoir un autre stade de l’être. Le destin ou l’intelligence supérieurs (hypertheos), qui n’agit pas, qui est immobile, qui contient en lui et contemple les idées de ces types éternels que les hypostases comme l’âme ou la matière réalisent dans le monde. Le temps n’est par exemple que l’image, l’émanation, ou la conséquence de ce destin.
LITTÉRATURE GERMANIQUE.
Permettons-nous ici une petite incursion dans un univers culturel très proche, puisque les Cimbres et les Teutons du Danemark étaient en voie de celtisation : celui des Vikings selon l’historien français Régis Boyer.
Il nous faut partir de la conception que ces hommes avaient du destin, de leur destin. Nous l’avons ramené au sacré, lui-même relevant du culte des morts et des dieu-ou-démons. Ramenons-le à l’humain et revenons sur l’un des nombreux termes qui signifient destin, et que l’on a déjà cité, gaefa [note de l’auteur : rien à voir avec les gaesa irlandaises]. Autrement dit, ce que les puissances ont donné à un homme pour qu’il fasse de sa vie quelque chose de recevable à ses propres yeux, et donc aux yeux de la collectivité, d’abord familiale, sans laquelle il ne se conçoit pas. La gaefa, c’est le destin en quelque sorte individualisé ou pris en charge : la destinée. Celui qui a su faire fructifier ce don est un gaefumathr : un homme de gaefa… La notion peut être étendue au clan. Nous savons qu’une famille donnée bénéficie d’un destin, d’une part de chance propre, l’haminggja… Et les rêves, qui jouent un rôle si important dans les sagas et les poèmes, sont toujours d’une manière ou d’une autre, l’expression de ce destin. Le but de ces divers truchements est de favoriser la lucidité d’un homme à l’égard de ses possibilités. Son second effort sera de s’accepter. Le troisième temps, le plus difficile, sera de manifester, par des actes, ce dont il est capable, c’est-à-dire la façon dont le destin sacré a choisi de s’intéresser à lui. Nous dirions : d’affirmer sa personnalité.
Note retrouvée sur un papier collé par Pierre de La Crau, et publiée à cet endroit par ses héritiers.
P.S. La notion de signes du destin et donc de Destin existe aussi dans les sagas vikings pour deux raisons.
La première est que les pré-Germains ont été indo-européanisés par les Celtes.
La seconde est que les Vikings ont été influencés par les Irlandais.
Et à ceux qui objecteraient qu’il n’existe aucune preuve de ces échanges culturels et donc d’une similarité des points de vue dans certains domaines (points de vue que nous pouvons donc extrapoler pour reconstituer notre dinosaure druidique disparu) nous en donnerons un autre exemple (entre autres) extrait des livres du Français Régis Boyer, ou plus exactement de Jean Renaud.
« Un détail de la saga de Njals atteste aussi une influence celtique : le chien offert à Gunnar de Hlidarendi est un chien irlandais, dont les qualités font penser aux chiens des légendes celtes. Parmi les manifestations surnaturelles autour de Froda, que décrit l’Eyrbyggja saga, il en est aussi qui pourraient bien être sorties des légendes celtiques. D’ailleurs, celle par qui elles surviennent, est originaire des Hébrides. Mais Thorgunna, femme raisonnable et pieuse, n’est sans doute pas identifiable à la fière maîtresse hébridaise de Leifr, dans l’Eiriks saga rauda, dont il est dit qu’elle connaissait les pratiques magiques. Dans l’Orkneyinga saga, Sigurdr, le premier jarl orcadien, coupe la tête de son ennemi et l’accroche à la selle de son cheval. C’est une pratique connue des Celtes.
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Mais qui plus est, la dent qui dépasse cause à Sigurdr une plaie qui s’infecte et dont il meurt : cette notion de revanche [ou de justice immanente] existe dans certaines légendes irlandaises. Etc., etc. » (Jean Renaud. Les Vikings et les Celtes).
Pour confirmation voir A. Walsh « rapports entre le monde nordique et l’Irlande pendant la période viking » (publié en 1922)
Ce qu’aucun homme ni aucune religion ne peuvent donc nier c’est l’existence d’un principe ou d’un immanent absolu originel strictement indifférencié, quel que soit son nom. Pro-père ou Avant-père, Hyperthéos, au-delà des dieu-ou-démons, Bythos… et c’est sur ce principe commun que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont construit leur philosophie, qui est une sorte de chirk tous azimuts. Ce qui est odieux (taghout) aux yeux des nouvelles religions comme l’islam, évidemment.
T = Zéro. Au commencement fut ensuite le Un, l’unique (principe du taouid), l’invisible silence, l’innommé, l’ineffable, que nos frères du nord appellent Ginnungagap et que la langue vulgaire appelle Dieu ou le Démiurge. Cet Être supérieur à l’être n’est ni le Un, ni le Multiple ; il est le Un dans et au-delà du Multiple.
T = Zéro. Le point eabadh de l’espace-temps. Principe et cause, infini, enveloppé de lui-même, il n’agissait pas, mais, dans le silence inviolé de son abîme, il sortit de lui-même pour se mettre en œuvre. Cette opération du point ogham de l’espace-temps hors de lui-même est la première des puissances pouvant exister entre l’Être supérieur (Bitos) et le monde.
Cette première émanation ou hypostase (vyuha dans l’hindouisme) du Un est la Loi des mondes connue sous le nom de Tokad chez les Celtes.
En bref et pour résumer.
À l’origine de tout donc, il y a un Être encore Absolu, immanent, transcendant, immuable, replié sur lui-même, coexistant avec sa pensée (le Tokad). Un être parfait, invisible, inconcevable, éternel. Mais cet Être supérieur peut sortir de lui-même pour œuvrer ou se mettre en œuvre. Cette première émanation est dégagée de l’isolement primordial, et elle est capable d’engendrer. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) l’appelaient Tokad. Le Tokad ou Destin est le plus ancien des dieu-ou-démons, celui qui embrasse tout ce qui est né.
Le Tokad, ou idée des choses, est le principe immanent à la réalité à laquelle il donne forme et signification aux yeux des hommes. Si la réalité divine est accessible aux hommes, c’est que ce Tokad ou Destin est présent dans les choses : il leur donne le principe d’être et leur sens. Le Tokad est un peu le Dieu ou Démiurge des Judéo-Islamo-Chrétiens, il nous donne une idée de Dieu ou du Démiurge des Judéo-Islamo-Chrétiens, le Tokad est Pensée ou Idée de Dieu ou du Démiurge des Judéo-Islamo-Chrétiens, il descend, à la manière d’un fleuve, de l’Être. En tant que premier-né (monogène) de l’Être des êtres supérieur, le Tokad est donc le seul à comprendre la grandeur de son rêve, de son dessein.
Ce Tokad ou Destin, est le seul vrai Fils du Père au sens strict du terme. Il était le premier dans l’Abîme sans fond de l’Être Un Éternel. « Il était comme Dieu ou le Démiurge » et c’est pourquoi il n’a pas d’âge, « il est comme Dieu ou le Démiurge », c’est pourquoi il existe par lui-même ; « toutes les choses ou êtres subséquents sont générés par lui, et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans lui », car il est immuable.
AUTREMENT DIT.
La manifestation de l’être s’accomplit, ainsi que nous avons pu le voir au moyen de toute une succession de théophanies.
1) Le Destin ou Tocade créé ou plus exactement suscité, apparu, dont est procréé toute créature, le créateur créature, le caché manifesté, le Premier Dernier…
2) L’épiphanie de l’essence de l’être, dont il n’est possible de parler que par allusion. Cette épiphanie constituant l’ensemble des théophanies dans lesquelles et par lesquelles le Tokad ou la Tocade ou « ison son bissiet » se révèle à lui-même ; sous la forme de certains éons ou dieu-ou-démons, primordiaux (le dieu-par, le réservoir psychique ou animique universel, Neto/Neth, etc.)
C’est-à-dire dans la forme des êtres quant à leur existence dans le monde céleste supérieur.
3) La théophanie sous forme d’entités individuelles donnant existence concrète et manifestée aux épithètes ou noms divins. Depuis toujours existent dans l’essence même du Destin ou Tocade, ces
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épithètes ou ces noms qui constituent son essence, parce que les attributs qu’ils désignent, sans être identiques à son essence, y renvoient cependant. Ce sont les dieu-ou-démons comme Lug, Ogmios, Abellio, et ainsi de suite.
Il importe de ne pas attribuer au Principe originel ces noms et ces phénomènes, mais de les reporter aux différents degrés célestes ou terrestres de sa Manifestation (le dieu Pariollon, le Vindobitos ou Albiobitus, les dieu-ou-démons, les hommes, les sous-dieux, etc.)
Ces formes (les dieu-ou-démons) supports des noms divins, ont toujours existé au sein du Bitos ou être supérieur. Ce sont ces individualités latentes qui aspirent à être révélées. D’où le mouvement qui amène à l’être les attributs divins encore inconnus et les existences par lesquelles et pour lesquelles ces attributs divins sont manifestés en acte. Un dieu-ou-démon c’est le grand tout du Destin, personnifié ou particularisé sous l’un de ses noms ou attributs. C’est d’ailleurs là le seul secret des attributs ou épithètes du Tokad/Tocade : le Dieu ou le Démiurge qui se crée lui-même dans la conscience des hommes, dans les croyances. Et c’est pourquoi la connaissance de Dieu ou du Démiurge est sans limites, puisque l’éternelle récurrence de la procréation du monde ou de l’univers, les métamorphoses des théophanies, les métamorphoses de l’être, sont la loi même de l’Être.
*Ulates ou Volontii, nom de la tribu du demi-dieu Cuchulain en Irlande du Nord…
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LE TOKAD OU LA TOCADE OU PAR MÉTONYMIE
LA JUSTICE IMMANENTE L’ORDRE NATUREL ETC.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau.
La deuxième de toutes ces hypostases (vyuha dans l’hindouisme) suscitées par le processus de l’émanation a sans doute été le Tokad ou la Tocade, quand l’Être des êtres Supérieur ou Bitos a débordé du cadre du Un.
Que signifie concrètement cette loi des mondes ?
Projeté dans un espace informe, sans réalité, le Tokad en fait un univers réel et rationnel. Le Tocad ou Destin est donc l’intermédiaire par lequel Dieu ou le Diable, suivant les points de vue auxquels on se place, gouverne le monde ; il est « le capitaine et le pilote de l’univers ». De telles réflexions chez les gnostiques d’Occident (chez les druides antiques) aboutirent à la croyance en une loi universelle.
Sous le nom de Tokad, le druidisme de type amarcolitanos (voir et savoir) a donc très tôt cherché à connaître les causes secondes et les principes seconds, qui président à la construction des mondes.
Ainsi que le disait un célèbre astronome : il y a quelque chose de mystérieux à voir des corps si différents de grandeur (les planètes) suivre mathématiquement les mêmes lois, obéir tous aux mêmes forces.
La notion de Tokad s’apparente à celle de l’ordre « véritable » ou « justice immanente » qu’elle a remplacée. À la base de la notion de Tokad ou Destin, il y a probablement l’idée du retour régulier des phénomènes cosmiques, leur caractère immuable et toujours conforme à eux-mêmes.
Si les fleuves coulent normalement, c’est qu’ils coulent selon le Tokad. Dans la sphère cosmique, si les choses se déroulent comme il faut, elles se déroulent conformément au Tokad. Si l’aurore luit normalement tous les matins, on dit que c’est à cause du Tokad.
Dans le concept de Tokad, il y a la notion d’harmonie également : il s’agit pour l’homme de vivre conformément au Destin ou à sa Destinée, c’est-à-dire en harmonie avec les rythmes cosmiques.
EN RÉSUMÉ.
1) Le labarum (l’intelligence, la pensée, la voix, le verbe). cf. gallois llafar (loquace) vieil irlandais labraid (il parle), etc. Symbolisé plus tard en Irlande par la croix dite de saint Patrice et en Écosse par la croix dite de saint André.
Le Labaron (latinisé en labarum) est la voix du Destin agissant dans la procréation perpétuelle du monde, mais il est aussi le moyen par lequel l’esprit humain appréhende la divinité.
Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était d’ailleurs déjà la grande affaire des anciens druides.
En contemplant le Labaron = Voix, Verbe ou Parole absolue du Destin, on peut donc parvenir à connaître Dieu ou le Destin. Le Labaron visite les sages ou les inspirés (awenydd au Pays de Galles, vieux celtique auentieticos).
2) Les gessa. Exemple de geis, celle donnée par son père au roi Loégairé.
« Niall mon père ne m’a pas permis de croire *, et m’a demandé d’être enterré sur les hauteurs de Tara. Comme les guerriers, parce que les païens ont coutume d’être armés dans leurs tombes, les armes et le visage tournés vers l’ennemi. Jusqu’au jour d’erdathe qui est le jour du jugement du Seigneur selon les druides » (Mémoires de Saint Patrice par Tirechan).
* N’importe quoi, car il va de soi que Loegairé croyait bien en quelque chose, mais pas au dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob ! Pour le reste tout ceci est très archaïque et nous renvoie au vieux monde aryen, notamment les gessas qui sont le plus souvent trifonctionnelles.
Venons-en donc maintenant à cette communauté linguistique née à il y a 6000 ans quelque part au nord du Caucase ou dans le sud de la Russie (hypothèse kourgane) tant elle a marqué les esprits.
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REPÈRES CHRONOLOGIQUES.
Mais la folie nazie allemande du début du 20e siècle fait que tout cela reste très controversé.
CIVILISATION DE JAMNA.
4e millénaire avant notre ère. Nord du Caucase, sud de la Russie, est de l’Ukraine. Mélange sur fond néanderthalien (yeux et cheveux clairs) de trois autres fonds ethniques : des chasseurs-cueilleurs mésolithiques de l’est de l’Europe, des chasseurs-cueilleurs mésolithiques de l’ouest de l’Europe, des chasseurs-cueilleurs caucasiens.
Patriarcat pur et dur, société très hiérarchisée. Énormes inégalités sociales : prisonniers de guerre, peuples vaincus, femmes, esclaves, etc.
CIVILISATION DE LA CÉRAMIQUE CORDÉE.
3e millénaire avant notre ère. De la Russie à l’est de la France en Europe centrale ou septentrionale.
Au nord de cette aire géographique (au Danemark en Scandinavie aux pays baltes…) la civilisation d’Erteboelle (5e millénaire avant notre ère) et la civilisation des vases à entonnoirs (4e millénaire avant notre ère) semblent avoir été non-indo-européennes.
INDO-EUROPÉENS ET INDO-EUROPÉANITÉ (Encyclopédie Almak).
Au cours du XVIIIe siècle, des savants ont remarqué diverses similitudes entre le grec, le latin et le sanscrit (l’une des langues de l’Inde). Ces similitudes ont été par la suite étendues à d’autres langues depuis plus de deux siècles. C’est ainsi que naquit le concept d’indo-européen. Une unité linguistique rassemblant les langues italiques (dont le latin d’où sont issus l’italien, l’espagnol, le portugais, le roumain, le français, le catalan, l’occitan ou le provençal, le corse), les langues grecques d’où est issu le grec moderne, les langues germaniques (l’allemand, l’anglais, le globish, le néerlandais, le frison, le norvégien, le danois, le suédois), les langues celtiques (le breton, le gaélique d’Irlande et d’Écosse, le gallois), les langues indo-iraniennes (dont le sanscrit, le bengali, l’hindi, le cinghalais, le romani ou tzigane, le farsi, l’ossète, le kurde), les langues baltes (lituanien, letton), les langues slaves (serbo-croate, slovène, bulgare, russe, ukrainien, tchèque, slovaque, polonais, sorabe), anatoliennes (toutes disparues), albanaise, arménienne, macédonienne, thrace, tokharienne, etc. Le tokharien était une langue parlée dans l’actuelle Chine, plus précisément dans le Xinjiang.
Sur le modèle des langues latines (toutes les langues latines actuelles descendent d’une seule et unique langue antique : le latin), les savants de l’époque ont imaginé qu’il avait dû exister à une époque une langue indo-européenne archaïque et unique. Leurs efforts tendirent donc à la reconstruction hypothétique de cette langue disparue. Pour cela, en se fondant sur les similitudes et les divergences, ils construisirent des règles de dérivations phonétiques. Et ils réussirent par conséquent, non sans quelques déboires, à reconstruire cette langue dont il ne reste rien. Il s’agit bien sûr d’une reconstruction a posteriori, vraisemblable et rien d’autre.
Une question se posa rapidement néanmoins : cette langue fut-elle vraiment parlée un jour par des individus en chair et en os ? Ce qui serait logique si l’on reprend l’exemple du latin, qui a pour origine un petit peuple obscur de la péninsule italique, mais voué à la suprématie ? Et subséquemment exista-t-il une civilisation/culture commune et laquelle ; voire une unité politique ?
Dès le début du XXe siècle, certains scientifiques, en particulier Otto Schrader, voulurent voir le lieu d’origine des Indo-européens dans les steppes du nord de la Mer Noire, du Caucase et de la Mer Caspienne. Ils associèrent la langue indo-européenne et ses descendantes à des peuples nomades des steppes ; qui auraient par la suite envahi, à partir du IIIe millénaire avant notre ère l’Europe, une partie de l’Asie Centrale, de l’Inde, et une partie du Moyen-Orient (Marija Gimbutas 1956).
Cette théorie est celle qui est la plus en vogue aujourd’hui chez ceux qui veulent trouver à tout prix un peuple, une culture et un lieu d’origine pour cette langue, on l’appelle l’hypothèse kourgane (= tertre funéraire en russe). Elle est défendue par de nombreux scientifiques, et les thèses du Français Georges Dumézil servirent à l’étayer. Les travaux de Bosch-Gimpera, vers la fin du XXe siècle, changèrent néanmoins les données du problème. Il décala le lieu d’origine plus à l’ouest, en Europe centrale et en Europe de l’Est. Et surtout, il ne voulut plus y voir un peuple unique, mais plutôt un phénomène complexe lié à la formation des différentes civilisations néolithiques de cette aire géographique, entre le VIe et le III millénaire avant notre ère.
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Enfin, en 1987, Colin Renfrew proposa de voir dans la vague d’immigration qui « néolithisa » l’Europe dès le VII millénaire, à partir du Moyen-Orient, une indo-européanisation de ce territoire. Il situa donc le lieu d’origine des Indo-européens quelque part au Moyen-Orient.
Ces trois dernières théories ont toutes des qualités, mais aussi des points faibles. Toutes achoppent sur des difficultés qu’une autre tendance met en exergue, afin d’en montrer les limites.
Vu les crimes contre l’Humanité commis par la politique nationale socialiste allemande entre 1933 et 1945 (Shoah par balles entre 4 et 6 millions de victimes juives, etc.),
L’École la plus critique remet en question la volonté même de trouver un peuple, une culture et un lieu, originels, pour les Indo-Européens. Elle remet en cause les hypothèses, la méthodologie, les modèles, et les conclusions. Ce courant de pensée limite d’ailleurs volontairement l’indo-européanité à des convergences linguistiques et idéologiques, tout en limitant leur portée historique.
En poussant à l’extrême son raisonnement, on pourrait même arriver à nier l’existence de cette indo-européanité, qui jusqu’à maintenant ne repose sur aucun fait matériel concret (archéologique ou scriptural), et à n’en faire qu’un mythe. Une pure construction de l’esprit n’ayant aucun rapport avec une réalité passée.
Mes correspondants parisiens me signalent que le même hypercriticisme ou les mêmes méthodes hypercritiques actuellement dominantes en ce qui concerne les Gaulois et la France ou l’islam, ont des motivations idéologiques sensiblement différentes d’après l’essayiste Éric Zemmour (pauvre France !)
La France n’est-elle pas (pauvre France) le pays qui a produit Jean-Baptiste Pérès (1752-1840), un illustre professeur de mathématique ou magistrat, je ne sais plus, qui a scientifiquement démontré en 1827 que Napoléon n’avait jamais existé et que ce n’était qu’un mythe solaire.
Qui a raison, qui a tort ? Rien jusqu’à maintenant ne vient confirmer ou infirmer définitivement une seule de ces diverses thèses. Et dans le vacarme du combat scientifique qui se déroule depuis maintenant plus de deux siècles, notre petite voix n’est pas en mesure d’apporter une réponse ; mais ne soyons pas bêtement hypercritiques ou dans le déni haineux ni comme J-B. Pérès, et soyons enfin positifs. Ci-dessous donc ce que l’on peut raisonnablement dire à ce sujet.
La cristallisation théorique de la civilisation indo-européenne varie selon les auteurs et les options historiques choisies. Entre le début du néolithique moyen-oriental (ce qui donne environ – 9000 avant notre ère) et le milieu ou la fin du néolithique est européen ; ou des plaines nord pontiques et des steppes au nord de la mer Caspienne (c’est-à-dire vers – 4000). Donc, en tout état de cause, durant le Néolithique, à une époque où l’élevage, l’agriculture, et la céramique étaient inventés, pour ne parler que de cela, et où, dans certaines régions du globe, des civilisations préurbaines commençaient à éclore…
L’étude qui suit prendra comme point de départ l’hypothèse de l’existence réelle de l’indo-européanité ; ce niveau d’indo-européanité pouvant très bien s’arrêter à l’existence de convergences linguistiques, voire d’une langue archaïque unique, et d’une idéologie commune.
Qu’est-ce que la tripartition fonctionnelle des Indo-européens trouvée par Benveniste, Wikander et Dumézil principalement ?
Ce serait la grille de lecture conceptuelle de la réalité, qu’elle soit cosmique ou sociale, des peuples indo-européens historiques (qu’ils soient indiens, perses, scythes, germains, grecs, slaves, illyriens, hittites, daces, thraces, phrygiens, italiques, baltes, arméniens, romains, celtes, etc.) ; héritée à l’époque préhistorique, de cette unité de civilisation présumée d’avant la dispersion.
Ce serait une représentation idéalisée de l’ordre cosmique et social. Ce serait la façon que tous les porteurs de la civilisation indo-européenne avaient de voir la réalité, d’inventer des histoires, et de concevoir leur histoire ou leur mythologie (ce qui d’ailleurs n’était pas nécessairement différent pour eux).
En un mot, ce serait une idéologie au sens premier ou non galvaudé du terme.
L’idéologie fonctionnelle serait aux Indo-européens ce que la philosophie du yin et du yang est aux Chinois.
Prise isolément chacune de ces fonctions existait bien évidemment dans tout groupe humain où il a toujours fallu travailler pour vivre, chasser ou se battre contre des rivaux ou des ennemis, et enfin essayer d’amadouer les puissances surnaturelles ; mais les Indo-Européens seraient les seuls ou du moins les premiers à avoir théorisé et articulé ces trois fonctions entre elles ; à en avoir une idée assez claire ; alors que les deux premières ou les deux dernières étaient par exemple souvent confondues dans le statut de certains individus au sein d’autres peuples.
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En quoi consistait donc la tripartition indo-européenne et quelles étaient les fameuses trois fonctions en question ?
À la première fonction étaient associés l’ordre cosmique, la vertu, les serments, les contrats, la souveraineté, la protection spirituelle de la communauté, l’éthique ; et en ce qui concerne l’espace, le ciel supérieur et bien d’autres choses encore. Sur le plan humain, elle était représentée par les prêtres : brahmanes indiens, flamines romains, druides celtes *.
Les prêtres étaient des gardiens de la loi, des savants, et ceux qui organisaient les rituels sacrés. Ils étaient les incarnations de l’aspect régulateur de la première fonction. Chez certains peuples indo-européens, il existait une dichotomie sexuelle dans la classe sacerdotale. Les prêtres et les prêtresses n’avaient pas les mêmes fonctions. Les prêtresses étaient plutôt liées aux prophéties et à la magie.
À la deuxième fonction étaient associés la force, les arts martiaux, le courage, le vent et le tonnerre, c’est-à-dire le ciel intermédiaire d’un point de vue spatial. Sur terre, elle était représentée par les guerriers ou les seigneurs : les kshatriya indiens par exemple.
À la troisième fonction : l’agriculture, l’élevage, la richesse et la production de biens matériels, la santé, la fécondité, l’amour, la beauté, et ainsi de suite. Sur le plan humain, elle était représentée par le peuple, ceux qui travaillent et qui produisent. Les paysans et bergers, les artisans et commerçants… Et du point de vue spatial, leur domaine était la terre en surface ou dans ses profondeurs, ainsi que l’océan.
La première fonction indo-européenne est donc celle de la souveraineté sacerdotale : ordre cosmique et ordre social, justice, régulation, morale, sagesse et connaissance, magie, sont ses principaux attributs. C’était une fonction ambivalente ayant deux aspects très contrastés.
Le premier aspect de cette fonction est celui qui représente l’ordre cosmique ou social, bienveillant et paisible. C’est par exemple un juriste qui juge et valide les contrats.
Le second aspect représente l’ordre cosmique ou social implacable et presque guerrier. C’est un dieu-ou-démon inquiétant, lointain et sauvage, qui fait obéir aux serments, par exemple en punissant ceux qui ne les respectent pas.
Cette fonction est en général représentée par une paire divine nettement reconnaissable chez les Indo-européens les plus conservateurs. Varuna et Mitra chez les Indiens védiques, Odin et Tyr chez les Germains, Jup (p) iter et Dius Fidius chez les Romains.
Odin est un guerrier – il préside aux combats sur les champs de bataille – c’est donc un représentant divin de la deuxième fonction. Jupiter est le dieu-ou-démon de Romulus, dans le récit de la fondation de Rome. Or Romulus, premier roi de Rome, demi-dieu-ou-démon, fils de Mars – dieu-ou-démon de la guerre – élevé avec son frère par une louve, et qui est avant tout l’incarnation de la première fonction, en particulier du premier terme de sa définition ; a un règne agité, voire violent (plusieurs meurtres à son actif, dont celui de son frère, des trahisons, le rapt des Sabines, etc.). Au contraire, Numa, son successeur, est paisible et juste. Il fonde les lois romaines et les sacerdoces. Son dieu est Dius Fidius, assimilé à Jupiter.
En fait, le premier élément met en place l’ordre, mais c’est par un acte de violence et de coercition sur le chaos, alors que le second administre l’ordre ainsi établi par une action concertée, paisible, et juridique.
La première fonction semble donc recouvrir les deux autres – la fonction guerrière et violente ou la fonction productive et paisible – comme si elle les englobait. Les druides pouvaient d’ailleurs, nous disons bien pouvaient, sans y être obligés, faire la guerre et porter les armes. D’où, peut-être, la supériorité de cette fonction aux yeux des Indo-européens.
Chez tous les peuples indo-européens historiques, du moins parmi les plus conservateurs, les dieu-ou-démons fonctionnels étaient tous des entités masculines, flanquées de parèdres plus ou moins symboliques.
Les déesse-ou-démones, ou les fées si l’on préfère, importantes, sont soit trivalentes (incarnant des aspects des trois fonctions comme Athéna chez les Grecs, qui est à la fois une déesse-ou-démone, ou fée, de la sagesse, de la guerre et de la communauté) ; soit l’incarnation d’un aspect de la troisième fonction (fécondité, abondance, etc. exemple Rosemartha chez les Celtes…).
Lors de maints rituels d’un bout à l’autre de la sphère d’occupation historique des peuples indo-européens – de l’Inde à l’Irlande – les principaux dieu-ou-démons des trois fonctions indo-européennes, on peut même dire leurs représentants, étaient invoqués ou remerciés par des offrandes ou des gestes en leur honneur, accomplis dans un ordre bien précis. D’abord la première fonction, ensuite la deuxième, enfin la troisième.
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Plus que de correspondances onomastiques, ce sont de correspondances fonctionnelles dont il s’agit dans ce cas. Bien sûr, il existe aussi des correspondances onomastiques, mais elles sont secondaires et pas toujours pertinentes pour la compréhension des textes ou leur analyse : ainsi le Varuna indien correspond-il à l’Ouranos grec du point de vue de l’étymologie. Et le Dyaus (pitar) indien correspond pareillement au Zeus grec ou au Jupiter latin.
Mais même si, dans une très lointaine préhistoire, ces dieu-ou-démons dans ce cas ont eu la même origine, et donc la même fonction (ce qui n’est nullement assuré) ; l’évolution séparée des cultures leur a conféré un destin différent chez les uns et chez les autres. Ainsi Varuna est-il resté une divinité de premier ordre représentant la première fonction durant l’époque védique (après quoi il perdit de sa superbe au profit d’autres dieu-ou-démons) ; alors qu’Ouranos, lui, n’a conservé qu’un rôle secondaire par rapport à Zeus.
Inversement Dyaus (pitar) – le ciel des Indiens védiques – s’est effacé, si tant est qu’il ait jamais eu un jour un rôle important ; alors que chez les Grecs, Zeus devenait le chef de file de toutes les divinités ainsi que le représentant par excellence de la première fonction. Taran/Toran/Tuireann chez les Celtes, détrôné par Lug en Irlande.
Étranges sont les destins des dieu-ou-démons lorsque ce sont les hommes qui les écrivent !
L’évolution de la recherche de Dumézil, en général et sur ce point particulier de l’imaginaire indo-européen, a été notable. Il faut insister sur un point, une des erreurs initiales de ce savant (il l’a reconnu lui-même) est d’avoir confondu « imaginaire » et « réalité sociale », d’avoir cru que ce qu’il repérait dans l’imaginaire s’incarnait concrètement dans la société. La grande question soulevée (mais non résolue) par Dumézil est la compréhension et la description des rapports qui devaient s’instaurer entre ces représentations imaginaires (dont, jusqu’à preuve contraire, il faut postuler une cohérence seulement interne) ; et les niveaux de réalité (sociaux, productifs, ou de pouvoir). Selon une échelle de possibilité qui va du simple reflet idéal d’une forme matérielle déjà solidement constituée en elle-même (le Dumézil première manière) ; à l’intégration complexe entre structures de raisonnement et données sociales dans un système à plusieurs centres (c’est le modèle de Marx dans les Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie écrits en 1857) ; jusqu’à l’hypothèse d’une déconnexion et d’une totale absence de correspondance entre les différents plans ; signes de blessures, de ruptures et de contradictions, encore plus profondes et cachées.
Ainsi que l’a bien vu Régis Boyer, l’analyse dumézilienne bute aussi en réalité sur la mythologie nordique. Son trifonctionnalisme ne vaut tout simplement pas pour le Nord. Nos sources, ou bien sont décevantes, ou bien sont d’interprétation malaisée.
Ainsi que vous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, mais repetere = ars docendi ; le problème est que tous ces documents ou presque ont été couchés par écrit, voire rédigés par des clercs ou des lettrés chrétiens, les seuls à savoir écrire à l’époque. L’exemple des deux grands mythographes scandinaves, l’Islandais Snorri Sturluson auteur de l’Edda dite en prose, ou le Danois Saxo Grammaticus avec sa Gesta Danorum, tous deux actifs vers 1200, est éclairant. Ils font de l’interpretatio christiana, græca ou latina, de bons vieux mythes qu’ils ne comprennent plus. Ces documents écrits, Eddas et poésie scaldique, sagas et textes apparentés, sont donc trop récents : ils datent en moyenne, au mieux, du XIe siècle, et sont surtout imprégnés d’influences chrétiennes. L’Edda en prose de Snorri Sturluson date par exemple du XIIIe siècle. Le Prologue de l’Edda en prose débute par une explication du paganisme d’un point de vue chrétien. Il évoque plusieurs épisodes de la Genèse : la création par Dieu du ciel et de la terre, l’apparition d’Adam et Ève, le déluge et l’arche de Noé. Le Ragnarök ressemble donc à l’Apocalypse chrétienne, les valkyries aux anges, Odin à Mercure, Baldr à Baal, le chien-loup Fenrir à Cerbère, et ainsi de suite. Il faudrait connaître à fond la mentalité de ces peuples pour y voir clair, mais nous manquons cruellement de documents clairement intelligibles. Même si nous disposons de très peu de témoignages non scandinaves sûrs, les contacts entre le Nord de l’Europe et les mondes celtique, latin ou slave, n’ont pas pu ne pas avoir de profondes influences, bref, nous en sommes réduits à conjecturer…
Le fait que les Indo-européens ont possédé une grille d’analyse tripartite sur le plan social n’implique pas obligatoirement que leur société d’alors ait été tripartite. Les Ossètes du Nord-Caucase – voisins des Tchétchènes, Circassiens, et Abkhazes – possèdent comme leurs ancêtres les Scythes une vision tripartite de la réalité sociale et cosmique, que l’on retrouve dans les contes parlant des familles Nartes de leur folklore ; mais ne possèdent nullement une société composée de trois castes ou classes sociales.
Il faut donc bien se rendre compte que cette idéologie trifonctionnelle a par conséquent été une représentation idéalisée de la réalité ou une projection dans la sphère du divin voire du mythologique.
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En revanche il est bien vrai que certains peuples ou certaines cultures des Indo-européens possédaient une tripartition sociale. C’est encore le cas par exemple de la société indienne, qui de toutes les cultures indo-européennes encore existantes, a été la plus conservatrice, avec ses castes appelées varnas : brahmanes, kshatriya, vaishya et çoudra ; auxquelles il faut ajouter les « intouchables », c’est-à-dire les esclaves, dhimmis ou atectoi en pays celte. On retrouve cette tripartition dans la société occidentale féodale divisée en clergé, noblesse, et tiers état.
Mais toute idéologie n’est pas nécessairement pertinente, et ne permet pas forcément d’expliquer les moteurs de la société ou de l’Histoire.
Les facteurs qui déterminent la conscience d’un individu, et a fortiori d’un peuple entier, sont multiples et complexes, bien que certains ; comme les rapports de production au premier chef, et l’idéologie de la classe dominante qui en résulte, ou la lutte entre les classes dominées et les classes dominantes ; soient les plus importants.
Au demeurant, cette conception tripartite du monde était doublée d’une conception bipartite, qui avait ses racines dans la bipolarité sociale réelle. Qui n’est nullement l’apanage des prétendus Indo-européens, mais un fait social universel et que l’on retrouve ici ou là sur la planète.
À partir de la fin néolithique ou du début du chalcolithique, se développe une société de classes un peu partout dans le monde, fondée sur la propriété privée des moyens de production (ce qui n’existait pas auparavant), à l’époque avant tout agricoles ; où s’opposent ceux qui travaillent et ceux qui dirigent et s’enrichissent.
Cette oppression fut idéalisée, voire sublimée par l’idéologie dominante. L’idéologie de la classe dominante – seigneurs et prêtres – fut imposée à tous, même aux membres des classes opprimées.
La tripartition fonctionnelle peut être décrite comme la grille d’analyse idéalisée des classes dominantes pour expliquer le monde et la société, mais aussi pour la justifier telle qu’elle était, donc telle qu’elle devait se maintenir. En termes marxistes, on dirait que l’idéologie tripartite indo-européenne servit à la classe dominante à gommer les antagonismes de classes qui se révélaient, afin de conforter leur oppression, en maintenant les opprimés dans l’ignorance de leurs propres intérêts. Que cela se soit fait sciemment ou non est très secondaire !
Premier type de bipartition néanmoins.
Il est courant dans les mythes que les dieu-ou-démons des deux premières fonctions – prêtres et seigneurs guerriers – s’allient et combattent les dieu-ou-démons de la troisième fonction.
C’est ce que l’on voit dans la guerre des Ases – dieu-ou-démons des deux premières fonctions – contre les Vanes – dieu-ou-démons de la troisième fonction – chez les Germains scandinaves.
Cette bipartition et la guerre des deux premières fonctions contre la troisième, montre que les Indo-Européens n’ont peut-être pas été myopes au point de ne pas voir que les seigneurs et les prêtres s’opposaient souvent aux peuples, et les exploitaient.
C’est peut-être aussi ce que l’on retrouve chez les Celtes irlandais avec la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus opposant les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), aux vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomores en Irlande, précédents occupants du pays. Les enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), représentent la première et la deuxième fonction, mais ne connaissant pas l’agriculture puisque l’agriculture était l’apanage des Andernas ou Fomores – êtres « démoniaques » représentant la troisième fonction. Chez les Irlandais, la fin de la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli se termine par l’extermination d’une partie des Andernas ou Fomores et la réduction en esclavage des autres (voir notamment le cas de leur prince appelé Bregsos/Bres) ; tenus de révéler à leurs nouveaux maîtres les secrets de l’agriculture. Les dieu-ou-démons des deux premières fonctions s’emparent ainsi du même coup, des prérogatives de la troisième : le travail et le fruit du travail. Peut-on être plus explicite ? !
Mais, ainsi que l’a bien vu le grand celtologue français C. J. Guyonvarc’h, le Paradis celtique n’a ni druides ni guerriers. On s’est demandé pourquoi tous ses aspects sont de troisième fonction. La raison en est claire : le side étant, par principe et en fait, l’expression d’une perfection, toutes les distinctions de classes et de fonctions sont abolies.
On voit donc bien où voulaient en venir les « idéologues » indo-européens. L’ordre cosmique ou social, c’est-à-dire l’harmonie, l’équilibre obligatoire au bon fonctionnement de toute chose, a besoin de la coopération des représentants des trois fonctions. Prêtres, guerriers ou seigneurs, et producteurs, sur terre comme chez les dieu-ou-démons.
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Chez les Scandinaves et les Romains, la guerre se termine d’ailleurs par un traité de paix des uns avec les autres, et un synœcisme qui conduit à la fondation d’une nouvelle société.
Autre type de bipartition chez les Indo-européens. Il a existé un autre bipartisme, qui d’une certaine manière, découle du précédent. La fonction sacerdotale, la première fonction, aurait été nettement séparée des deux autres qui, socialement, chez certains peuples indo-européens, étaient représentées par les mêmes personnes : les hommes libres, à la fois hommes de la seconde et de la troisième fonction. Le paysan était aussi guerrier.
C’est par exemple ce que considère Venceslas Kruta pour ce qui est des Celtes du IVe ou IIIe siècle avant notre ère, quelque part au nord des Alpes. C’est ce milieu de paysans armés, pour lesquels le port de l’épée d’ailleurs était probablement et avant tout l’expression de leur statut d’hommes libres, et qui constituaient une véritable milice rurale ; que se recruta le potentiel humain de la grande expansion.
Il existait cependant chez tous les peuples indo-européens une aristocratie guerrière, séparée du commun des hommes libres. Et cette aristocratie guerrière incarnait vraisemblablement la seconde fonction d’une façon plus idéale.
Dans l’idéologie indo-européenne, il existait un personnage qui personnifiait les trois fonctions à la fois, puisque personnifiant l’unité de la communauté, ou son point central : le roi. La plupart des peuples indo-européens ont utilisé un dérivé du vocable proto-indo-européen *reg – pour désigner le roi. Ce mot est aussi le radical qui a donné en latin rectus : « droit », en allemand : « recht ». Donc le roi (latin rex, celtique rix) est l’homme droit, celui qui dit le droit, qui établit la rectitude. Il n’est pas celui qui commande, mais celui qui « régularise », qui organise la société, tout comme les dieu-ou-démons de la première fonction organisent l’univers. Il est aussi celui qui rend la justice. Le roi est par conséquent un représentant de la première fonction. C’est en quelque sorte un prêtre, mais incomplet.
C’est néanmoins aussi une incarnation de la fonction guerrière, ainsi que l’indique le fait qu’il était élu parmi les guerriers, au sein de l’aristocratie guerrière. Il est donc comme le dieu-ou-démon roi des Indiens, Indra, qui est un dieu-ou-démon de la guerre. Certains peuples indo-européens ont d’ailleurs choisi de désigner le roi par un dérivé du proto-indo-européen *welh – qui signifie « être fort ». Un terme qui, par définition, caractérise le guerrier.
Le roi promeut aussi la fécondité ainsi que la richesse de la communauté. Il doit faire pleuvoir, permettre de bonnes récoltes, et la fécondité humaine ou animale. Un roi sous lequel cela n’arrive pas est un mauvais roi, rejeté par les dieu-ou-démons. Une personne à la santé déficiente, un infirme, un malade, un fou, ne peut pas devenir roi. Le roi est un nourricier. Il organise des festins. Il doit pouvoir satisfaire à la demande alimentaire de ses sujets. Un symbole récurrent chez les peuples indo-européens est d’ailleurs le chaudron inépuisable, d’où sort suffisamment de nourriture pour nourrir le peuple, et qui permet même, chez les Celtes, de ressusciter les guerriers tombés au combat. Le roi doit être riche (aujourd’hui encore en français, roi et richesse sont deux mots ayant la même origine étymologique). Le roi est par conséquent aussi un représentant de la troisième fonction. Les rites d’intronisation le montrent d’ailleurs bien. Le roi du Leinster recevait une chemise blanche – le blanc étant la couleur de la première fonction (les druides étaient vêtus de blanc) – une lance symbolisant la seconde fonction, et une chaussure pleine d’argent, symbole de richesse, donc de la troisième fonction.
Les Indiens disent du raja qu’il assure leur bonne conduite (1re fonction), les protège (2e fonction), et les nourrit (3e fonction). Il reçoit dans la plupart des peuples indo-européens un sceptre, sorte de bâton de pouvoir, symbolisant la première fonction. Il s’assoit sur un trône en pierre (la pierre de Fal ou de Scone), le reliant aux forces chtoniennes de la troisième fonction. Son mariage est sacré (hiérogamie), car symbolisant son union avec la Terre-Mère, déesse-ou-démone, ou fée, de la fécondité, par l’intermédiaire de sa représentante terrestre, la reine.
Autre caractéristique du roi indo-européen : il a l’interdiction de travailler. Non pas parce qu’il est mal en soi de travailler, mais parce que ses tâches royales ne le permettraient pas. Travailler aurait signifié une altération de l’équilibre au profit de la troisième fonction, certainement la plus accaparante de toutes. Donc le roi n’aurait plus été le centre de la communauté. L’équilibre aurait été rompu, et c’est toute la communauté qui en aurait pâti.
Mais il existe un point qui semble contredire ce fait. Les rois de la plupart des peuples indo-européens, bien qu’ils soient originairement des guerriers, n’avaient plus le droit de combattre personnellement. Même si leur présence sur le champ de bataille était quand même nécessaire à la victoire.
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L’hérésie germanique.
En principe première fonction (le sacerdotal, le sacré, le juridique) et deuxième fonction (guerre et gros bras) sont bien distinctes (séparation de l’Église et de l’État avant la lettre). Mais chez les Germains, les deux dieu-ou-démons souverains (c’est-à-dire les représentants de la première fonction) sont aussi des guerriers : Odin et Tyr. Le caractère guerrier de la première fonction chez les Germains est aussi attesté par les rites de justice faisant appel au combat/duel entre les deux parties adverses d’un différend : le jugement des armes ou duel judiciaire. La justice est pourtant une attribution de la première fonction. Ici l’on voit clairement une intrusion de la seconde fonction dans le domaine de la première. Et rappelons-nous qu’Indra est le roi des dieu-ou-démons indiens. Il n’en garde pas moins sa fonction de dieu-ou-démon de la guerre. Il y a donc des exemples, soit d’interpénétration des deux premières fonctions, soit de conservation du caractère guerrier des rois dans les mythologies de certains peuples indo-européens. Et pas les moindres, en ce sens qu’ils sont certainement parmi les plus culturellement conservateurs de tous, avec les Germains, les Italiques, et les Indiens.
Et maintenant que pouvait donc être le Mal dans cette vision indo-européenne des choses ?
Les mythes insistent sur le fait que la coopération des trois fonctions est nécessaire à la conservation de l’équilibre cosmique, l’harmonie universelle, l’ordre. Donc le mal/Mal est tout ce qui remet en cause cet équilibre. C’est le Chaos et tout ce qui s’y rapporte, comme le mensonge, la déloyauté, la discorde, la haine, les pulsions en tout genre… Le mal, c’est aussi refuser l’Ordre (cosmique, et social). Faire tout le contraire, maintenir l’harmonie et respecter l’Ordre, c’est donc faire le bien.
Un homme, comme toute chose existante, doit respecter ce pour quoi il est sur Terre. On retrouve cela dans beaucoup de courants philosophiques. Un guerrier doit exceller dans son art. Il deviendra un héros s’il incarne les principes mêmes du guerrier : courage et force. Un représentant de la troisième fonction doit être un membre exemplaire de sa classe, mais ne pas chercher à être un guerrier ou un prêtre.
L’ambition de l’Indo-européen est donc d’accepter son destin. La question de la Fatalité, de la Destinée, est un thème récurrent chez les Indo-européens. Comment pourrait-il en être autrement, puisque les dieu-ou-démons écrivent par avance l’histoire du monde et de l’Ordre ?
Mais la Fatalité n’empêche pas la liberté dans un cadre imposé. Rappelons-nous Cuchulainn en Irlande : il a le choix entre deux destins, une vie courte, mais glorieuse en tant que guerrier, une vie longue, paisible, mais anonyme. Sachant que Cuchulainn est l’idéal guerrier, pouvait-il refuser son statut, refuser d’incarner ce pour quoi il existait ? N’aurait-il pas mal agi s’il avait refusé d’être ce qu’il était ? C’est là chose impensable dans un récit épique !
En définitive, que penser de cette étude ? Est-elle légitime ?
Au-delà des réserves énoncées dans le préambule, ainsi qu’au-delà de notre amateurisme en la matière, qui a pu nous amener à commettre des erreurs ; certains scientifiques – linguistes et archéologues – ont émis des critiques justifiées sur l’indo-européanisme. En remettant même en cause la méthodologie suivie depuis les années 1930 voire avant. En remettant même en cause les conclusions et les hypothèses, ainsi que l’idée même d’une possible indo-européanité, ainsi qu’il a été vu précédemment (cf. l’archéologue français Jean-Paul Demoule). S’il n’y a jamais eu de civilisation indo-européenne, notre travail n’est alors qu’une vue de l’esprit reposant sur du vide.
Et pour finir sur une provocation dénuée de toute agressivité de notre part (paix aux hommes de bonne volonté !), nous dirons que même si notre travail n’est qu’un mirage, nous l’avons effectué avec plaisir. Car nous n’avons eu nullement le besoin de parler de génétique et d’évolution des espèces, nous attachant à essayer d’expliquer la réalité (l’idéologie d’un scénariste) plutôt que la fiction ; un pur imaginaire où les principes de réalité ne sont pas nécessaires.
Voilà donc en quelques mots, ce que Georges Dumézil, ainsi que d’autres philologues et comparatistes, a tenté de décrire dans leurs divers travaux. C’est loin de représenter tout ce qui pourrait être dit sur le sujet. La simplification nécessaire pour ne pas vous enfouir sous un monceau de détails ou de connaissances est la cause du caractère approximatif et rapide de cet exposé. Nous espérons néanmoins que cela sera suffisant pour ceux à qui ce sujet, il y a encore dix minutes, était totalement étranger.
Il est donc possible de comparer le BCLV de Joss Wheldon ; tant au niveau des personnages pris isolément ou en groupe, que de la structure de la série ; avec l’idéologie fonctionnelle des Indo-européens et la façon dont ils la mirent en scène au travers de la mythologie ou de leurs épopées.
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Notre héroïne représente ici l’idéal humain des Indo-européens, que le roi dans leur conception devait incarner ; l’union des forces qui composent le monde tant matériel que spirituel (les trois fonctions positives : justice/vertu/sagesse-force-prospérité) s’avère ici effective, au sein d’un groupe incarnant la société ou la coopération.
C’est de cela peut-être que la série Buffy Contre Les Vampires tire son succès, répondant inconsciemment aux schémas que nos lointains ancêtres nous ont légués. Joss Wheldon, l’auteur, en est-il conscient ? Il est certainement le seul à pouvoir répondre à cette question. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’il le soit. Il peut avoir, comme tout le monde, intégré des éléments de cette idéologie, et les retranscrire dans BCLV, sans pour autant être conscient des implications indo-européennes.
Certains axes de comparaisons n’ont été qu’ébauchés par manque d’information. D’autres ont été ignorés : la relation de BCLV avec l’idée du destin et de l’amour. Thèmes chers aux Indo-européens. De plus, comme je l’ai déjà dit, l’idéologie n’est pas quelque chose de fixe, puisqu’elle est déterminée par l’existence : les conditions matérielles dans lesquelles vivent les hommes, les rapports de production, les rapports sociaux, etc. (Marx, Grundgrisse). L’existence matérielle des hommes a évolué depuis les temps anciens… l’idéologie aussi. Deux apports fondamentaux ont été réalisés au XIXe siècle : l’étude psychanalytique de l’individu par Freud, et son équivalent dans l’ordre de la société, le marxisme. La façon d’envisager la psychologie des personnages d’une histoire n’est plus envisagée de la même manière qu’il y a 4000 ans. Un personnage de fiction indo-européen « classique » aurait une psychologie qui suivrait totalement la symbolique de la fonction qu’il incarne. Un carcan indépassable limitait les récits. Ces récits étaient au service d’une morale. L’implication y était directe. Aujourd’hui le carcan existe toujours, mais la chaîne qui le compose s’est vue agrandir de plusieurs autres maillons. Il y a donc autant d’éléments divergents que convergents entre BCLV et l’idéologie fonctionnelle indo-européenne.
Il est évident dans BCLV que Buffy joue le rôle d’une déesse-ou-démone guerrière. Elle pourrait donc être la représentante de la deuxième fonction. Son rôle est d’éliminer de la surface de la Terre les forces démoniaques qui menacent les humains. Elle a pour fonction la protection de l’Humanité, tout comme les guerriers avaient théoriquement pour tâche de protéger leur communauté.
Ces trois fonctions correspondent bien sûr à trois besoins fondamentaux, que l’on pourrait dire universels, et qui constituent partout, pour tous les peuples, l’essentiel.
Il n’existe pas de structures communes aux différentes mythologies des différents peuples indo-européens historiques. Il est possible néanmoins, par recoupement entre les différentes mythologies et les différentes épopées, de reconstituer une mythologie archaïque, telle qu’elle aurait pu exister avant la dispersion présumée.
— Naissance d’un monde imparfait.
— Lente progression du mal (de plus en plus de désordre fonctionnel).
— Renversement de l’ordre social (l’esclave domine le maître).
— Renaissance d’un monde meilleur (Disparition du Maître et de l’Esclave par dépassement de leur opposition et disparition des fonctions des deux éléments antagonistes).
Comme il existe de nombreuses variantes de ce schéma dans la tradition celtique, c’est le moins que l’on puisse dire ; l’hypothèse et la conclusion de tout cela, c’est que chaque peuple indo-européen s’est servi de tel ou tel aspect d’un héritage commun pour le modifier selon les réalités de son époque.
Yann.
Post-scriptum : texte de l’auteur ci-dessus et publié dans l’encyclopédie Almak, supprimé par Pierre de La Crau, mais rétabli par ses héritiers.
Tout comme dans le judéo-christianisme, la religion indo-européenne véhicule les concepts de péché puis de Rédemption. Il n’est donc pas étonnant que ces thèmes se retrouvent dans le christianisme né au sein d’une culture qui connaissait déjà ces concepts – le judaïsme — ; et qui en plus était influencée depuis plusieurs siècles par les Grecs, les Romains, et les Perses de la réforme zoroastrienne. C’est ainsi que l’on peut retrouver dans la Sainte Trinité chrétienne, l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne classique. Le Dieu ou le Démiurge chrétien est le rassemblement des trois fonctions en une même entité. Cette transformation de la monolâtrie hénothéiste juive en [ce que les musulmans considèrent comme du] polythéisme, est bien sûr due aux conditions mêmes d’apparition du christianisme : la greffe de la Torah sur des mentalités indo-européennes.
* Étant donné qu’il n’y a jamais eu de race celte pure, les Celtes ayant très tôt été un mélange ou un métissage d’Indo-européens conquérants et de peuples à chamans (néolithiques) vaincus, dire « D’ESPRIT CELTE » serait peut-être plus judicieux.
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INTERPRETATIO BOUDDHISTA OU
RECHERCHE DE L’ÉQUIVALENT DES DÉITÉS COURROUCÉES OU EN COLÈRE
DANS L’ÉQUIVALENT DU LIVRE DES MORTS DRUIDIQUE
Primus in orbe deos fecit timor sous la plume de Pétrone ou Stace.
Nous avons vu à maintes reprises que le rôle de ces divinités repoussantes au sens strict du terme était de remettre les âmes esprits dans le droit chemin au tout début du voyage de l’âme après la mort, afin qu’elle ne s’égare pas et puisse se réincarner dans la terre pure du monde des dieux située loin à l’ouest du monde là où le soleil se couche.
N.B.. Le propre du druidisme par contre c’est d’avoir reconnu qu’il pouvait aussi exister des divinités virotutis, anextiomarus, iovantucarus, etc.bref secourables ou apaisantes diraient nos amis tibétains.
C’est la peur qui a fait les dieux de ce monde disions nous. Ce concept religieux pose d’emblée problème quant à sa prime formulation écrite.
Deux écrivains latins, Pétrone (mort en 66) et Stace (mort en 96) peuvent l’un et l’autre être considérés comme les auteurs de ces propos. Comme on ignore la chronologie précise de la diffusion de leurs œuvres, il ne convient pas d’attribuer la paternité de « Primus in orbe… » à l’un plutôt qu’à l’autre. La formule serait apparue sous la plume de Pétrone dans l’un de ses pastiches d’hymnes en vers hexamétriques inclus dans le Satyricon. Durant cette même seconde moitié du premier siècle de notre ère, Stace fait dire à un protagoniste de son imposante épopée, la Thébaïde, au vers 661 « Primus in orbe deos fecit timor ! Et tibi tuto nunc eat iste furor… ». Cette œuvre qui reprend le célèbre conflit entre Étéocle et Polynice (les deux fils d’Œdipe qui auraient dû alternativement régner sur Thèbes si le premier n’avait pas refusé de céder la place au second) nous amène, au livre III, à un dialogue entre un guerrier et un devin. Ce dernier, peu enclin à donner libre cours à la violence, invite au contraire, non sans véhémence, à éviter tout combat ; le guerrier va donc injurier le devin et s’exclamer : « Primus in orbe… ».
Il y aurait anachronisme à vouloir interpréter ces propos du guerrier en question comme ceux d’un libre-penseur, il s’agit plutôt de comprendre sa réaction comme celle d’un combattant aiguillonné par la furor ou possession démoniaque.
La formule a-t-elle un passé, ou préexiste-t-elle chez d’autres auteurs en des termes assez proches de ceux qui sont employés par Pétrone et Stace ? Telle est la question. Mais quant à la postérité de ce « Primus in orbe… », c’est-à-dire toutes les occurrences où la formule servira de faire-valoir aux uns, de repoussoir aux autres, effectivement elle est imposante. Dès la fin du XIe siècle, les théologiens la sollicitent au sein de diverses polémiques ; Abélard (1079-1142), dans un chapitre de sa Théologie chrétienne, aborde, entre autres questions, celle de la source du mot même de Dieu ; et à ce propos, il fournit la réponse suivante : « Dieu est un mot grec étrange (sic) qui se traduit en latin par crainte » ; « c’est pourquoi un poète latin a dit : Primus in orbe deos fecit timor ».
Le libre-penseur François de La Mothe Le Vayer (1588-1672), dans ses dialogues sceptiques faits à l’imitation des anciens, et plus précisément dans le dialogue sur la divinité, cite l’expression latine « Primus in orbe Deos fecit timor, ardua cœlo Fulmina dum caderent », nomme Pétrone, et fait la distinction entre la source anxiogène de l’idée de Dieu selon l’auteur du Satyricon et l’origine onirique de cette même idée selon Lucrèce.
Enfin, parmi les matérialistes les plus convaincus, le baron d’Holbach (1723-1789), mû par une liberté d’opinion totale s’affichant à travers une franche hostilité au christianisme, se servira de ce « Primus in orbe… » comme maxime d’un l’athéisme militant libre de toute transcendance.
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Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau.
Il y a du vrai dans toutes ces interprétations, mais il importe de souligner que, contrairement à ces vers de Stace, la spiritualité des Indo-européens ne résulte d’aucune crainte, que ce soit la crainte d’une divinité ou la crainte de la mort.
C’est du moins ce que l’on peut déduire de la spiritualité des ancêtres des brahmanes, les rishis, arrivés en Iran puis en Inde vers 1500 avant notre ère, avec les Aryens, telle qu’on la trouve exprimée dans les Védas : l’homo vedicus y tutoie les dieux (devas), et s’adresse à eux en termes familiers.
Quant aux brahmanes d’extrême occident à l’autre bout du monde aryen, ils avaient aussi ne l’oublions pas des divinités virotutis, anextiomarus, iovantucarus, contrebis, dunatis, toutatis, etc.bref secourables ou apaisantes ainsi que nous l’avons signalé plus à propos de nos amis tibétains.
Pour en revenir à Stace, ce qui semble acquis c’est que les vers de ce poète romain du Bas-Empire signalant que la peur fut jadis la matrice des dieux (Publius Papinius Statius, la Thébaïde III, 661 : primus in orbe fecit deos timor 1) ne révèlent en aucune façon la sensibilité religieuse indo-européenne. La « peur du Seigneur » (cf. Proverbes de Salomon, 9, 10 ; Psaume, 111, 10 ou 112, 1) n’a jamais constitué le commencement de la sagesse ou de la foi. Une telle peur, génératrice de spiritualité malsaine, ne pouvait survenir chez les Indo-européens. Car ceux-ci ne se percevaient pas comme les « créatures » d’une divinité quelconque et ne concevaient pas le monde comme une « création », ou comme l’œuvre d’un dieu-ou-démon créateur (démiurge), surgie lors d’un hypothétique commencement des temps.
Pour l’Indo-européen, le monde est davantage un « ordre intemporel », dans lequel tant les dieu-ou-démons que les hommes ont leur place, leur temps et leur fonction. L’idée de création est orientale, principalement babylonienne, tout comme l’idée d’un « jugement » inaugurant un Règne de Dieu, au cours duquel tout sera transformé de fond en comble. Les Indo-européens croyaient ; devinant ainsi par anticipation les connaissances et les présupposés de la physique ou de l’astronomie modernes ; à une succession sans début ni fin, de naissances et de déclins de mondes, à des crépuscules de dieu-ou-démons suivis de rénovations de mondes et de panth-éons ; l’Edda et la Völuspa des Vikings décrivent ce sentiment de manière particulièrement poignante, beaucoup plus que les monnaies celtiques sur ce thème. Les Aryens croyaient en des cataclysmes successifs (ainsi que les dénommaient les Hellènes), suivis de nouveaux dieu-ou-démons et de nouveaux mondes. De l’idée de succession de naissances et de déclins de mondes, est née en Iran, la représentation d’une fin du monde à venir ; d’une fin du monde qui serait précédée de la venue d’un « Sauveur » (Saoshyant) et accompagnée d’un « jugement ». Cette vision religieuse née en Iran s’est implantée dans le monde judaïque alors en déclin. Dans les sphères de civilisation où l’Homme ne perçoit pas le monde comme une création (c’est le cas chez les Aryens) et ne conçoit pas Dieu comme un créateur ; le sentiment d’être une créature, liée ou déterminée par la volonté d’un créateur, ne pouvait donc en aucune façon marquer la spiritualité ou imprégner de façon substantielle la piété.
De ce fait, ne pouvait se manifester chez les Indo-européens aucune religiosité qui aurait perçu l’homme comme un esclave soumis à un Dieu ou Démiurge absolu (ainsi que l’implique par exemple la signification même du nom d’Abdallah dans l’islam, terme signifiant lui-même soumission à Dieu d’ailleurs). La soumission servile de l’homme à Dieu ou au Démiurge est une caractéristique très répandue. Les noms de Baal, Adon, Moloch, Rabbat, et autres, désignent des avatars d’un Dieu ou Démiurge absolu devant lequel se prosternent, face contre terre, des hommes esclaves : ses créatures. Pour l’Indo-européen au contraire, honorer les dieux, prier une divinité, c’est encourager ou cultiver toutes les plus nobles impulsions de l’Homme : le Romain utilisera pour cela le verbe colere, le Grec le verbe therapeuein. Dans les langues sémitiques par contre, le terme « prier » dérive de la racine abad qui signifie « être esclave ». Anne (1 Samuel, 1, 11) demande à Yahvé, au départ dieu-ou-démon de la tribu des Hébreux, de lui offrir un fils, à elle, son esclave ; David se définit lui-même (2 Samuel, 8, 18) comme un serviteur de son Dieu ou Démiurge, tout comme Salomon (1 Rois, 3, 6). C’est la crainte, la terreur, qui constitue l’essence de Yahvé (cf. Exode 23, 27 ; Isaïe, 8, 13). Les Indo-européens n’ont jamais perçu leurs dieu-ou-démons de cette manière. Les Hymnes à Zeus du stoïcien Cléanthe d’Assos (–331 – 233), dont Paul de Tarse s’est inspiré afin de s’adapter à la mentalité hellénique, contredisent radicalement la religiosité exprimée notamment dans le Psaume 90.
Dans le christianisme également, l’attitude du croyant devant Dieu est très souvent désignée par l’adjectif humilis, montrant par là que l’humilité, le sentiment de servilité, constitue le noyau ultime de cette religion. Une telle attitude n’est en rien indo-européenne ; elle dérive d’une religiosité de type oriental. Parce qu’il n’est pas « serviteur » ou « esclave » d’un Dieu jaloux et absolu, l’Indo-européen
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ne prie généralement pas à genoux, voire courbé en direction de la terre ; mais debout, et le regard tourné vers le haut, les bras tendus vers le ciel.
Note de la rédaction. Certes il ne convient pas d’être trop humble, mais entre l’humilité et l’orgueil, il y a peut-être pour l’homme une nuance ou un moyen terme que l’on pourrait qualifier de fierté. Être orgueilleux est incontestablement un défaut. Être fier, fier de ses efforts, fier des résultats positifs de ce qu’on a vraiment fait personnellement, n’est pas un défaut.
Comme un homme total, à l’honneur intact, l’Indo-européen honnête (honestus : homme droit en latin) se tient dressé devant son Dieu ou ses dieux. Toutes les religiosités qui voudraient ôter quelque chose à l’Homme, afin de le diminuer par rapport à une divinité devenue toute-puissante et opprimante, sont non indo-européennes. Toute religiosité qui considère l’une ou l’autre partie du monde ou de l’Homme, comme dépourvue de valeur, comme inférieure ou « souillante », toute religiosité qui cherche à « racheter » l’Homme et à le préparer pour des valeurs « supra-terrestres » ou « supra-humaines » ; n’est pas authentiquement indo-européenne. Chaque fois que « ce monde » se voit désacralisé au profit d’un « Autre Monde », supposé abriter le « Bien éternel », nous quittons le domaine de la spiritualité indo-européenne. La spiritualité indo-européenne est en conséquence une spiritualité de « l’ici-bas », de l’immanence. Toutes les formes dans lesquelles elle s’exprime l’attestent.
C’est pourquoi il nous est très difficile de comprendre correctement la grandeur de la spiritualité indo-européenne, car nous sommes habitués à mesurer les spiritualités par rapport aux valeurs et formes d’expression de religiosités par essence non indo-européennes. La plupart des critères, par lesquels nous jugeons les spiritualités, dérivent d’univers mentaux étrangers à l’indo-européanité, généralement orientaux donc ; ce sont surtout les christianismes primitif et médiéval qui président à nos approches des autres spiritualités. Notre évaluation de la spiritualité indo-européenne en pâtit par conséquent ipso facto. C’est en fait comme si nous tentions d’expliquer la structure linguistique des parlers indo-européens au moyen des éléments qui se sont avérés pertinents pour expliquer les structures linguistiques des langues sémitiques. Ainsi sommes-nous habitués à ne voir de véritable spiritualité que dans la religiosité de l’au-delà et à considérer toute spiritualité de l’en deçà (de l’immanence) comme quelque chose de lacunaire ou de sous-développé ; ou de n’y voir qu’une étape en direction de quelque chose de plus accompli.
Les représentations d’essence judéo-chrétienne, imposées à nos peuples, nous empêchent de reconnaître la grandeur et la noblesse de la spiritualité indo-européenne. Ce handicap est si prégnant que, même dans les travaux scientifiques qui ont pour objet de comparer les religions, les conceptions religieuses indo-européennes sont habituellement considérées comme inférieures, ou moins importantes ; parce que l’auteur, généralement, utilise des critères de comparaison calqués sur les valeurs orientales. La grandeur et la plénitude du monde spirituel indo-européen, l’hindouisme par exemple, demeurent donc largement méconnues. Quiconque cherche à mesurer une quelconque spiritualité par rapport au degré d’abaissement que s’inflige l’Homme devant la divinité ; quiconque veut évaluer une quelconque spiritualité à la manière dont elle juge combien « ce monde » peut apparaître problématique, dépourvu de valeur ou « souillé » face à « l’autre monde » ; quiconque tente de jauger une quelconque spiritualité par la façon dont elle pose l’Homme essentiellement comme « cassure » entre un corps périssable et une âme indestructible, entre la chair (sarx) et l’âme (pneuma) ; trouvera effectivement que la spiritualité des Indo-européens est pauvre, voire élémentaire. Ce qui n’est pourtant pas le cas de l’Hindouisme.
Les dieu-ou-démons d’une part, et les hommes d’autre part, ne sont pas, chez les Indo-européens, des êtres incomparables, éloignés les uns des autres. Et certainement pas chez les Grecs. Les dieu-ou-démons y apparaissent comme des hommes immortels, à « grandes âme/esprits » (cf. Aristote, Métaphysique, III, 2, 997 b). Et les hommes [s’ils sont des descendants bien nés de tribus nobles et illustres] possèdent en eux quelque chose de divin. Ils peuvent prétendre représenter, avec leur famille et leur tribu également, une part du divin. Dans la nature même de l’Homme – sa divinité le veut – résident des potentialités qui lui permettent quelquefois d’apparaître comme diogenes, c’est-à-dire issu des dieu-ou-démons. C’est pourquoi les peuples indo-européens ont tous tenté, littéralement, d’incarner les valeurs aristocratiques et populaires dans leurs familles ; ce que les Grecs nommaient la kalokagathia.
La spiritualité indo-européenne n’est nullement servitude ; elle n’implique nullement les pleurs de l’esclave foulé aux pieds devant un maître inaccessible et impitoyable, mais l’accomplissement, dans la confiance, d’une réelle communauté englobant et les dieu-ou-démons et les hommes. Platon parle dans son Banquet (188 c) d’une « communauté (philia) réciproque entre les hommes et les dieux ». Le Germain, lui, savait qu’une amitié le liait à son dieu-ou-démon, son fulltrui (celui en lequel il avait pleine confiance). Chez les Grecs de l’Odyssée (24, 514), on retrouve la même confiante certitude
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dans l’expression theoi philoi (dieux-amis). Dans la Baghavad-Gita des Indiens (IV, 3), le dieu-ou-démon Krishna qualifie Arjouna d’ami. La plus haute divinité sera donc honorée, comme Zeus, en tant que « père des dieux et des hommes », en tant que père à l’image du maître de logis dans les grandes fermes. Tel Zeus Herkeios. Rien de semblable, donc, à un Dieu unique, jaloux et absolu. Le nom même du Dieu exprime d’ailleurs cet état : chez les Indiens, il est Dyaus-pitar [« Père des Cieux »], et chez les Romains, il est Jupiter.
Notes de Pierre de La Crau.
Ce texte constitue le chapitre II du livre de Hans F. K. Günther, Frömmigkeit nordischer Artung, 1934. Il ne nous appartient pas de commenter cet ouvrage, très prisé de la Nouvelle Droite française, mais parlant bien peu de nos chers druides.
Et en ce qui nous concerne personnellement nous préférons le discours de Jean Jaurès sur l’idée de Dieu (12 février 1895 applaudissement).
Quelques remarques néanmoins, même si mes quatre ans d’allemand sont désormais bien loin.
Durkheim (1858-1917) dans ses « formes élémentaires de la vie religieuse », a intégré à son analyse des « origines de ces croyances » l’énoncé du vers latin en question, primus in orbe deos fecit timor (sans en nommer l’auteur), mais en a contesté la valeur. La fameuse formule n’est nullement justifiée par les faits. Le primitif n’a pas vu dans ses dieu-ou-démons des étrangers, des ennemis, des êtres foncièrement malfaisants dont il était obligé de se concilier les faveurs, tout au contraire ce sont plutôt des amis, des parents, des protecteurs naturels. Durkheim, en sociologue éclairé par les récents acquis de l’ethnographie, entend approcher le phénomène religieux en en étudiant les formes au sein des sociétés primitives (d’Australie, plus particulièrement) ; il détache donc ce que l’on nomme le « sacré » de tous les présupposés à l’œuvre dans notre configuration religieuse occidentale. Pour ces sociétés, le monde relève d’un ordre intemporel dans lequel chacun, dieu-ou-démon ou homme, a sa place, son rôle ; dans un tel contexte, l’homme n’est ni la créature d’un Être tout puissant (comme le proclament les monolâtries sorties du courant mosaïque) ni (comme chez Platon) le mélange d’âme et de matière qui se tourne vers les dieu-ou-démons pour leur prêter la perfection (l’immortalité) dont il est privé. Ces deux postures en déterminant, ou le sentiment d’être assujetti à la volonté d’un créateur ou le sentiment d’une infériorité ontologique irréductible, sont les matrices d’une crainte radicale, génératrice d’une religiosité spécifique qui n’a nul équivalent dans les groupes étudiés par Durkheim ni chez les ancêtres spirituels des Indo-Européens.
La puissance à laquelle s’adresse le culte, l’homme primitif ne se la représente pas planant au-dessus de lui et l’écrasant de sa supériorité. La divinité « immanente à lui-même », c’est-à-dire à l’individu et le groupe dont il est membre, partage la même consubstantialité ; de la sorte, les dieu-ou-démons que l’on honore sont moins des étrangers que des amis. Pour conclure, on retiendra que les mots de Pétrone ou de Stace ont bien contribué, tout au long de l’histoire de la pensée occidentale, à nourrir un constant débat sur la nature du phénomène religieux et, en particulier, sur l’expérience même du « sacré » ; celle-ci, selon les remarquables analyses du théologien allemand Rudolf Otto (1869-1937), comporte deux aspects : tantôt le sacré se donne à nous comme tremendum (il provoque l’effroi), tantôt il exerce sur nous une puissante fascination (il est dit alors fascinans).
Günther attire notre attention sur une seule face du sacré, le tremendum, et c’est là sa limite.
L’expérience du sacré peut faire l’objet de contresens ; si un lieu naturel, du fait de son étrangeté (une grotte sombre et glaciale, un amas de rochers aux formes insolites), si le souffle d’un ouragan, éveille quelque chose en nous que l’on peut bien nommer le sentiment du sacré, tous ces facteurs, comme le suggère Rudolf Otto, ne sont pas pour autant la cause d’un tel sentiment. Une analyse phénoménologique qui s’efforcerait de dépasser les explications rationalistes de toute religion, pourrait sans doute faire apparaître qu’il y a en nous, en tant qu’élément structurant notre être même, un « sentiment indicible de l’irrationnel » préalable à tous les tourments que la confrontation au monde peut produire……
« Primus in orbe Deos fecit timor, ardua cœlo Fulmina dum caderent ». Le problème est que chez les Celtes (dont traite très peu Günther) et suite à un long travail de réflexion des très-sachants depuis l’âge du bronze, ce schéma un peu simpliste a volé en éclats. Le druidisme philosophique a brisé les cadres des antiques légendes et a spéculé pour son propre compte sur l’âme, l’univers, et les dieu-ou-démons ; il s’est ingénié à spiritualiser ainsi qu’à rationaliser, toujours davantage, le mythe.
Au fur et à mesure des conquêtes et des acculturations en direction de l’Europe centrale (Cucuténi-Trypillia en Moldavie, Karanovo en Bulgarie, Vintcha en Serbie, Lengyel en Hongrie), de nombreuses
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divinités locales ont été admises dans le panth-éon national panceltique, donnant le jour à un système complexe de croyances et de rituels, caractérisés par un très grand nombre de divinités.
Lorsque l’on étudie les dieu-ou-démons du panth-éon druidique, il ne faut pas oublier de prendre en considération qu’une même déité pouvait être évoquée, ou représentée, sous différentes formes, chacune d’elles exprimant certains principes fondamentaux et sacrés.
— Un des attributs spécifiques du dieu-ou-démon : exemple la roue de Taran/Toran/Tuirean, la lance de Lug, un animal.
— Une silhouette humaine portant ces attributs spécifiques ou en compagnie de cet animal.
— Une tête humaine (le plus important pour les druides) avec le corps de l’animal spécialement dédié à cette divinité (sanglier cheval).
— L’animal lui-même représentant les qualités du dieu-ou-démon.
La forme humaine des dieu-ou-démons, les rend accessibles, plus proches des hommes et plus ouverts à leurs préoccupations quotidiennes. L’apparence animale est la métaphore de leur fonction.
Autres remarques.
Il est parfaitement exact qu’islam signifie soumission (à Dieu. Ou au Diable suivant les points de vue), mais la servilité dans les rapports avec le divin n’est pas une caractéristique exclusive de l’esprit sémite. Les Sumériens n’étaient pas des Sémites, et dans la religion maya aussi, l’homme n’est là que pour servir les dieu-ou-démons. En outre, s’il est bien exact que la pensée perse a profondément influencé le judaïsme tardif, notamment après Cyrus et le retour de Babylone ; il reste néanmoins fort possible qu’une telle eschatologie (le Saoshyant, etc.) ait pu être englobée dans une histoire cyclique beaucoup plus large, un peu analogue à celle des hindous. Et n’ait donc pas constitué en soi la fin absolue d’une histoire linéaire.
L’origine du druidisme est néanmoins, bien évidemment, à chercher du côté de la religion indo-européenne des envahisseurs Italo-Celtiques ou Protogermaniques ayant peu à peu essaimé en Europe, à partir du IIIe millénaire avant notre ère.
Et notamment dans la vallée du Danube d’après Marija Gimbutas, en y supplantant les agriculteurs de la civilisation agricole venue d’Anatolie (civilisation d’Unetice).
En linguistique historique, l’italo-celtique désigne un regroupement des branches italique et celtique de la famille des langues indo-européennes sur la base des caractéristiques partagées par ces deux seules branches et aucune autre. Elles sont généralement considérées comme étant des innovations, probablement développées après l’éclatement du proto-indo-européen. Il est aussi possible que certaines de ces innovations n’en soient pas ; il est alors probable que « ces deux branches » aient simplement conservé en commun des traits archaïques.
Mais cette religion druidique primordiale a très rapidement évolué au contact des populations d’agriculteurs vaincues et soumises. Une constante de cette druidiaction a d’ailleurs favorisé ces mutations : la tendance à l’universalisme, qui se manifeste par un extraordinaire pouvoir d’absorption des notions les plus diverses.
À la haute époque, on peut déjà constater que les divinités majeures apparaissent comme des synthèses de dieu-ou-démons différents ; certains traits communs avaient eu pour résultat d’assimiler les uns aux autres plusieurs personnages.
La confluence des diverses traditions s’explique aisément par l’aptitude qu’a chaque divinité celte, à revêtir des formes multiples, auxquelles répond la variété des dénominations.
Les dieu-ou-démons hérités du panth-éon trifonctionnel indo-européen ont, à leur arrivée en Occident, rencontré les divinités locales. Plutôt que de repousser celles-ci et d’en interdire le culte, les druidisants les ont adoptées en les faisant absorber par leurs propres dieu-ou-démons. Donnant ainsi naissance à des personnages porteurs de caractéristiques nouvelles, qui parfois les écartaient radicalement de celles qui sont attribuées aux dieux ou démons indo-européens traditionnels dont ils portaient le nom.
Le processus a été entériné par les druides, et il était courant que telle ou telle forme divine particulière soit identifiée à l’un des grands dieu-ou-démons du panth-éon indo-européen ; ou considérée comme l’aspect préférentiel sous lequel un certain nombre de fidèles lui rendaient hommage.
Ainsi s’organisèrent les cultes dits locaux ou régionaux. Ces groupes se caractérisaient par le culte rendu, sinon exclusivement, du moins avec une préférence très marquée, à telle ou telle divinité, tenue pour être une manifestation de l’un des grands dieu-ou-démons du panth-éon celtique primitif (d’origine indo-européenne).
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La vision druidique du monde restera néanmoins toujours fortement hiérarchisée. Pyramide s’élargissant vers la base, l’univers s’organise autour d’un axe vertical symbolisé par l’arbre. De Dieu ou le Démiurge à la dernière goutte d’eau, un même courant de vie traverse, organise, et anime, l’univers, par cascades successives. Dieu ou le Démiurge apparaît non comme créateur, mais comme procréateur, comme géniteur primordial, ancêtre ultime, celui de qui la vie est issue, pour se répandre dans la multiplicité des êtres. Dieu ou le Démiurge est d’ailleurs souvent représenté comme un couple à l’image du couple humain, procréateur. Car si la vie est la réalité majeure, la fécondité apparaît comme la valeur centrale dans de telles civilisations. La vie est bonne : est bon ce qui la favorise, est mauvais ce qui l’inhibe. L’individu, le clan, le groupe doivent chercher à la développer ou à la promouvoir au maximum. C’est en ce sens que l’on a pu parler d’une éthique « druidique ». Ses pratiques religieuses ont pour but de relier l’individu et la société à la vie universelle. Il y a une correspondance étroite entre fécondité humaine et fécondité cosmique. La terre elle-même est femme : fécondée par la pluie du ciel, elle devient la mère de tous les êtres qui croissent à sa surface. Telle est du moins l’idée générale qui ressort de cette Bible de pierre que sont les gravures du Mont Bégo dans les Alpes (maritimes). 40 000 gravures de l’âge du bronze étudiées par Clarence Bicknell, Carlo Conti, Henry de Lumley, et essentiellement réparties dans la vallée des Merveilles et la vallée de Fontanalbe.
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SUR LE RÔLE PRÉDESTINÉ DE LA COMMUNAUTÉ DE PEUPLES (D’ESPRIT) CELTES (LES CELTES ÉTAIENT PRÉDESTINÉS
AU PANTHÉISME OU À L’ATHÉISME).
« La fonction du sacerdoce est de consacrer le monde pour qu’il devienne hostie vivante, pour que le monde devienne liturgie : que la liturgie ne soit pas une chose en parallèle à la réalité du monde, mais que le monde même devienne une hostie vivante, qu’il devienne liturgie. C’est aussi la grande vision qu’a eue Teilhard de Chardin…» (Benoît XVI le 24 juillet 2009. Benoît XVI et non John Toland). La comparaison avec une weltanschauung panthéiste s’impose en effet à condition de bien considérer que Dieu c’est l’ensemble de ce qu’il y a de visible, ET INVISIBLE, dans le monde, ou l’univers, et pas simplement la matière.
Une chose étonne toujours l’érudit qui se penche sur les derniers siècles de l’indépendance celtique, c’est l’incroyable racisme dont les Celtes ont été victimes. César a d’ailleurs instrumentalisé ce racisme anti-celte pour justifier ses conquêtes.
La question est « pourquoi une telle réputation était-elle attachée à ce point à nos malheureux ancêtres spirituels ?
Pourquoi les Grecs et les Romains voyaient-ils systématiquement jadis en la personne de nos ancêtres spirituels des hommes voués à la destruction aux massacres voire à la guerre contre les religions, une guerre ne respectant rien de sacré ?
Les Celtes sont des Titans.
Et un jour viendra où il te faudra mener un terrible combat commun à nos côtés,
Quand les Titans d’une autre époque lèveront contre les Hellènes l’épée barbare et l’Arès celte
Et de l’extrême occident se précipiteront comme des flocons de neige,
Aussi nombreux que les étoiles qui abondent dans le ciel […]
Alors on verra aussi au pied du temple grouiller l’ennemi en rangs serrés
Près de mes trépieds sacrés leurs épées, leurs baudriers maudits et leurs odieux boucliers,
Qui n’empêcheront pas tous ces fous de Galates de finir dans un bain de sang.
De ces boucliers une partie sera ma récompense,
Les autres, après avoir vu leurs porteurs périr au milieu des flammes
Sur les bords du Nil serviront de paiement à un prince infatigable.
Ô, Ptolémée, telles sont les prophéties que j’ai pour toi !
(Hymne à Délos, Callimaque).
Les Celtes sont le peuple de Cronos.
« Les côtes du continent, disent-ils encore, sont habitées par des Grecs, qui s’étendent le long d’un golfe non moins grand que les Palus Méotides, et dont l’embouchure répond précisément à celle de la mer Caspienne. Ils se regardent comme habitants de la terre ferme, et nous comme des insulaires, parce que la terre où nous habitons est entourée par la mer. Les compagnons d’Héraclès, qui furent laissés dans cette contrée, s’étant mêlés avec l’ancien peuple de Cronos, tirèrent de son obscurité la nation grecque, qui était presque éteinte ou étouffée sous les lois, les mœurs, et la langue, des Barbares. Et ils lui rendirent son ancienne splendeur. Aussi, depuis cette époque, Héraclès est-il, de tous les dieux, celui qu’ils honorent davantage, et après lui Cronos » (Plutarque, De la face que l’on voit sur la Lune, 29).
Les Celtes descendent d’Apollon 1).
On dit aussi que ce nom [Galates] leur vient d’un certain Galatès, fils d’Apollon (Eustathe. XIIe siècle. Commentaire à Denys le Périégète, verset 74).
Les Celtes descendent d’Ogmios – Hercule – 1) Les Celtes civilisés par Hercule et divers éléments de généalogie.
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« On dit qu’Héraclès, quand il amenait d’Érythie les génisses de Géryon, errant à travers le pays des Celtes, arriva chez Bretannos. Ce prince avait une fille nommée Celtinè. Devenue amoureuse d’Héraclès, elle cacha ses génisses et ne voulut pas lui rendre tant qu’il ne se serait pas uni avec elle. Le héros, empressé de sauver ses génisses, mais bien plus encore frappé par la beauté de la jeune fille, s’unit avec elle, et, le moment venu, il leur naquit un fils, Celtos, de qui les Celtes tirent leur nom » (Parthénios de Nicée. Histoires d’amour, XXX).
Bref, de l’union d’Hercule et de Celtiné, fille de Britannos, sont issus Celtus et Galatos.
La question est : QUEL EST LE DIEU-OU-DÉMON DRUIDIQUE QUI SE CACHE DERRIÈRE CET HERCULE CELTE ???
« Des aborigènes furent, à ce qu’ont affirmé certains auteurs, les premiers que l’on vit en ces contrées : ils s’appelaient Celtes, du nom d’un roi qui savait se faire aimer, ou Galates, du nom de sa mère. Selon d’autres, les Doriens, qui avaient suivi l’ancien Hercule, habitèrent les lieux qui confinent l’Océan. Les Drasides (druides) rapportent qu’une partie de ce peuple était réellement indigène, mais que des îles les plus lointaines et des contrées transrhénanes, affluèrent des étrangers, que des guerres fréquentes ainsi que l’envahissement d’une mer houleuse, avaient chassés de leurs demeures. Quelques-uns disent qu’après la chute de Troie, des vaincus, fuyant les Grecs répandus partout, occupèrent ces pays alors déserts. De leur côté, les habitants de ces contrées affirment – ce que nous voyons aussi gravé sur leurs monuments – qu’Hercule, fils d’Amphitryon, s’empressa d’aller détruire Géryon et Taurisque, de cruels tyrans. Et que, les ayant vaincus tous les deux, il s’unit avec des femmes de race noble, et en eut plusieurs enfants qui appelèrent de leurs noms les contrées où ils régnaient » (Timagène d’Alexandrie, in Ammien Marcellin, Histoires, XV, 9-12).
« Les Hellènes la désignent tout entière par le nom commun de celtique, qui lui vient, selon quelques-uns, d’un certain géant, Celtos, autrefois souverain du pays. D’autres nous content une fable d’après laquelle Héraclès aurait eu d’Astéropè, deux fils, Ibèros et Celtos, qui auraient donné, aux contrées où ils régnaient l’un et l’autre, des dénominations tirées de leurs noms » (Denys d’Halicarnasse. Antiquités romaines, Discours XIV, 1).
« Celtus et Iberus sont fils d’Héraclès et d’une femme barbare, et c’est d’eux que viennent ces peuples, les Celtes et les Ibères » (Eustathe. XIIe siècle. Commentaire à Denys le Périégète, vers 288).
« Après ce discours sur les îles situées dans les régions du couchant, nous croyons qu’il n’est pas hors de propos de disserter brièvement sur les peuples de l’Europe qui en sont voisins ; et qui ont été laissés de côté dans les livres précédents. Anciennement, dit-on, régnait sur la Celtique, un homme illustre qui avait une fille douée d’une taille extraordinaire et surpassant par sa bonne mine toutes les autres femmes. Cette force corporelle et cette bonne mine que l’on admirait en elle, lui avaient donné de l’orgueil, et elle refusait tous les prétendants à sa main, n’en estimant pas un digne d’elle. Or, Héraclès, lors de son expédition contre Géryon, passa par la Celtique où il fonda la ville d’Alésia. La fille du roi le vit, et, après avoir admiré sa valeur et sa taille surhumaine, reçut de tout cœur, et avec l’agrément de ses parents, les caresses de notre héros. De cette union naquit un fils qui fut nommé Galatos, et qui surpassait de beaucoup ceux de sa nation par la vaillance de son âme ainsi que par la force de son corps. Arrivé à l’âge d’homme puis ayant hérité du royaume de ses pères, il conquit une grande partie du pays limitrophe, et accomplit de hauts faits d’armes. Devenu fameux par son courage, il appela de son nom, Galates, les peuples rangés sous sa loi, et ce nom s’étendit à toute la Galatie » (Diodore de Sicile. Bibliothèque historique, V. 24).
« Héraclès donna le royaume des Ibères aux meilleurs des hommes du pays. Quant à lui, ayant rassemblé ses troupes, il s’avança jusqu’à la Celtique, la parcourut tout entière, abolissant les coutumes contraires à toutes les lois, par exemple celle de tuer les étrangers. Ensuite, comme une multitude d’hommes de toutes les nations venaient volontairement guerroyer avec lui, il bâtit une grande ville, celle qui, en raison de sa course errante en cette guerre, est nommée Alésia (Alê en
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grec). Il mêla même à ses citoyens beaucoup de gens du pays, mais comme ces derniers l’emportaient en nombre, il arriva que tous ses habitants tombèrent dans la barbarie. Les Celtes, jusqu’à aujourd’hui, ont en honneur cette ville qui est, pour eux, le foyer ainsi que la métropole de toute la Celtique. Du temps d’Héraclès jusqu’à nos jours, elle demeura libre, et ne fut jamais mise à sac. Mais Gaius César, celui qui, à cause de la grandeur de ses actions, a été appelé dieu, la prit de vive force, et, comme le reste des Celtes, elle fut contrainte de se soumettre aux Romains. Héraclès, allant de la Celtique en Italie, et traversant la région des Alpes, remplaça les âpres chemins et les mauvais passages de cette contrée par une route assez bonne pour que des armées, avec leurs bêtes de somme et leurs bagages, puissent y passer. Les Barbares, habitant ces montagnes, avaient coutume de harceler les armées qui les traversaient, de leur tuer du monde, et de les piller dans les endroits difficiles. Le héros, les ayant tous domptés puis ayant fait mourir les auteurs de ces violations des lois, rendit ainsi parfaitement sûres les routes de ce pays. Ensuite, ayant franchi les Alpes et traversé les plaines de la contrée appelée aujourd’hui Galatie, alors il continua son voyage par la Ligurie » (Diodore de Sicile. Bibliothèque historique, IV, 19).
Note de la rédaction. Quand on sait qu’Héraklès correspond, chez les Grecs, au dieu-ou-démon celte Ogmios, dieu-ou-démon de l’éloquence, mais aussi dieu des chemins ; quand on réfléchit à l’étymologie donnée par Diodore du nom d’Alésia, en rapport avec le cheminement ; on comprend que l’on se trouve là en présence d’un mythe de fondation. D’où l’importance exceptionnelle d’Alésia (de toutes les Alésia) en tant que lieu sacré de la tradition celtique.
Les Celtes ont été civilisés par Hercule.
« Dans leur langue les Celtes appellent Héraklès, Ogmios, et le représentent sous une forme singulière. On pourrait le prendre pour un Charon ou un Japet des demeures souterraines du Tartare, pour tout enfin plutôt qu’Hercule… À cette vue, je restai longtemps debout, regardant, étonné, embarrassé, irrité. Un Celte qui se tenait près de moi et n’était pas ignorant de notre littérature, comme cela était visible, vu la justesse des termes grecs dont il usait ; très versé, je pense, dans les sciences nationales, me dit alors : je vais te donner le mot de l’énigme, car je vois que cette figure te jette dans un grand trouble. Nous autres Celtes, nous représentons la parole [N. D L. R. Labaron en celte] non comme vous, Hellènes, par Hermès, mais par Hercule, car Hercule est beaucoup plus fort. Si on lui a donné l’apparence d’un vieillard, n’en soyez pas surpris, car seule l’éloquence arrive dans sa vieillesse à sa maturité, si toutefois les poètes disent vrai… « L’esprit des jeunes gens est flottant », mais la vieillesse « s’exprime plus sagement que la jeunesse ». C’est pour cela que le miel coule de la langue de Nestor, et que les orateurs troyens font entendre une voix fleurie de lis, car il y a chez vous des fleurs du nom de lis, si j’ai bonne mémoire.
Ne vous étonnez donc pas de voir l’éloquence, représentée sous forme humaine par un Hercule âgé, conduire de sa langue les hommes, comme s’ils étaient enchaînés par les oreilles ; ce n’est pas pour insulter le dieu qu’elle est percée. Je me rappelle d’ailleurs, dit-il, que j’ai appris chez vous des vers comiques stipulant : « les bavards ont tous le bout de la langue percée ».
Enfin, c’est par la parole, à notre avis, qu’Hercule a réalisé tous ses exploits, et par la persuasion qu’il est venu à bout de presque tous les obstacles. Les discours sont pour lui, pensons-nous, des traits acérés qui volent droit au but et blessent les esprits ; vous-mêmes dites que les paroles sont ailées… » (Lucien de Samosate. Discours, Hercule 1-7).
« La coutume est chez eux que personne ne sacrifie sans l’assistance d’un philosophe ; car ils croient devoir user de l’intermédiaire de ces hommes qui connaissent la nature des dieux, et parlent pour ainsi dire leur langue * afin de leur offrir des sacrifices d’Actions de grâces et implorer leurs bienfaits » (Diodore de Sicile. Livre V, 31).
* Le terme grec exact est homophonon.
Disons donc pour être neutres et objectifs en la matière qu’un certain nombre de textes antiques associent étroitement certains dieu-ou-démons ou demi-dieu-ou-démons (comme Ogmios, père du langage) et les Celtes. Ils insistent sur leur rôle dans la genèse des Celtes voire dans leur civilisation. En voici quelques autres exemples.
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À en croire le Lebor Gabala Erenn ou l’Auraicept na n-Éces et d’autres légendes du folklore irlandais à ce sujet, donc ; un dénommé Fenius Farsa (Phoeniusa, Phenius, Fénius, Farsaid, Farsaidh) se serait rendu, avec Goídel mac Ethéoir, Íar mac Nema et 72 disciples, dans le pays (biblique) de Shinar ; afin d’étudier les langues résultant de la destruction par Dieu de la tour de Babel. Comme les diverses langues avaient déjà été dispersées ici et là dans le monde, Fenius envoya ses disciples à leur recherche pendant que lui restait sur place afin de centraliser le résultat. Au bout de 10 ans d’efforts, il fut en mesure de composer une nouvelle langue, à partir du meilleur des 72 étudiées par ses élèves, et il l’appela goïdélique (Gaël) en l’honneur de Goídel, le fils d’Ethéoir. Il mit au point également une variété de ce goïdélique appelée Bérla Féné, ainsi qu’une autre appelée Íarmberla, du nom de son deuxième disciple, Íar mac Nema. Certains rapprochent ce nom de Iarnbélre, du celtique en – p qu’auraient parlé les Hiberniens ou Erainn d’Irlande.
Variante de l’Auraicept.
« Ici commencent les rudiments des poètes c’est-à-dire le commencement de toute leçon.
Quand Fenius envoya ses soixante-douze disciples apprendre les langues du monde, Cai Cainbreathach fut celui qui alla en Égypte… après que les disciples furent revenus de leur apprentissage, après qu’ils eurent relaté leurs voyages (c’est-à-dire leurs pérégrinations et leurs travaux)… ils demandèrent à ce sage une langue ; qui ne serait à personne d’autre et qui leur appartiendrait à eux seuls… C’est donc pour cette raison que fut choisie cette langue parmi beaucoup d’autres […] parmi les principales lettres, ainsi qu’il est relaté dans le grand livre des bois. La langue des poètes par laquelle chacun d’eux converse avec l’autre, et la langue vernaculaire qui est celle de chacune des nombreuses nations…
— Question : laquelle des soixante-douze langues primordiales fut-elle révélée en premier par Fenius Farsaid ?
— Réponse : ce n’est pas difficile : la langue celtique.
— Question : quelle est la raison pour laquelle on peut dire que le celtique est une langue élue ?
— Réponse : ce n’est pas difficile : parce qu’il a été fait avec le meilleur de toutes les autres langues.
— Question : le celtique existait-il même avant d’être choisi ?
— Réponse : oui, il existait en vérité, puisque les 72 premières langues du monde ne se trouvent pas autrement. Tout son obscur existant dans les autres langues trouve sa place en celte à cause de sa clarté qui surpasse de loin celle de toutes les autres langues.
— Question : quel est le disciple de l’École de Fenius qui fut chargé de le rapporter ?
— Réponse : ce n’est pas difficile : Gaedel, fils d’Ether, fils de Toe, fils de Baracham de la Scythie grecque.
— Question : et qu’en a-t-il ramené au juste ?
— Réponse : tout, à part les obscurités que les bardes y ont rajoutées après son élaboration par Fenius » (Auraicept na n-Éces, livre de Ballymote).
Il a donc existé une langue celtique sacrée, une langue philosophique ou religieuse, commune à tous les très-sachants du temps de la Grande Celtie libre et indépendante, celle d’Ambicatus. L’ensemble des mots et des tournures que les druides employaient pour s’adresser aux dieu-ou-démons et même, éventuellement, la langue dans laquelle les dieu-ou-démons s’exprimaient pour parler aux hommes. Un tel concept n’est pas dénué d’importance. La langue de l’actuel État d’Israël, l’hébreu moderne, a bien été il y a quelques générations élaborée à partir de l’hébreu ancien, CE QUI A MIS TOUT LE MONDE D’ACCORD.
1) Très bien, objecteront certains, mais que peut-il bien y avoir comme différence fondamentale entre la légende biblique et la légende celtique à ce sujet ? L’Être humain dans les deux cas est créé par Dieu ou procréé par les dieux ?
Certes, mais il ne faut pas oublier qu’en ce qui concerne les Celtes en tout cas, et selon eux, il y avait bien continuité ontologique entre le Divin et l’Homme ; puisque l’Homme était censé aussi descendre des dieu-ou-démons ou demi – dieu-ou-démons correspondant ou équivalant aux divinités grecques appelées Apollon (Belenos ?) voire Héraklès (Camulos Smertrios ?). Cf. ci-dessus. Quel que soit le nom des entités druidiques ainsi appelées par les Grecs, il y a donc eu aussi dans ce cas intervention du divin, non par création, mais par engendrement. Il n’y a donc pas eu, au moins en ce qui concerne les Celtes, rupture de la continuité ontologique entre le divin et sa procréation. Et cette continuité, il nous incombe aujourd’hui de la franchir de manière ascendante afin de recouvrer l’unité initiale perdue.
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N.D.L.R. Cela c’est ce que dit l’ancien druidisme. Il va de soi que l’on peut et même que l’on doit, aujourd’hui, étendre cette continuité ontologique entre le divin et l’humain, aux autres peuples. Ne faisons pas comme nos amis indiens ou juifs avec leur notion de mlechchha ou de goy. C’est l’Humanité tout entière qui est l’instrument de l’Esprit pour son déploiement vers le haut. L’âme naît pour avoir des expériences, pour croître, pour évoluer jusqu’à ce qu’elle puisse amener le Divin dans la matière (panthéisme). La vie terrestre, pour autant qu’un mouvement initial lui imprime cette direction, peut évoluer en une appropriation progressive de l’Être divin et l’âme retourner à son état initial originel (sans avoir besoin de passer par la mort pour cela).
Mais face à tant de forces de destruction, en ce début du troisième millénaire, quel espoir entretenir ?
Tout d’abord, la convergence (un mot bien plus positif que celui de mondialisation, qui, comme la langue d’Ésope, est à la fois la pire et la meilleure des choses).
Il y a une unification croissante des activités intellectuelles et spirituelles de la planète, de même que les activités humaines se sont unifiées dans le cadre des sociétés ainsi que des civilisations, ou celle des cellules dans les organismes. Non pas pour quelque raison mystique, mais beaucoup plus simplement parce que les gains d’efficacité y conduisent ; aussi sûrement que, par exemple, des questions de potentiel amènent une réaction chimique à se produire ; ou des atomes de deutérium à fusionner si la température s’y prête.
Carl Gustav Jung, avec son idée de sentiment océanique, et Richard Buckminster Fuller, se montreront en phase avec cette idée, déjà d’ailleurs en son temps exprimée sous forme embryonnaire par Baruch Spinoza.
Que se passera-t-il à mesure que cette rapidité, cette fréquence, et ce débit, augmenteront aussi dans les échanges entre personnes, élevant ce que Paul Valéry nomme la température intellectuelle de l’Esprit ?
Il faut s’attendre à un changement qualitatif similaire au changement de phase des physiciens, constaté quand, par exemple, une différence minime de température fait passer l’eau de l’état liquide à l’état de vapeur ?
À partir d’un certain débit d’échange, les frontières du moi cessent de devenir très nettes, et cette augmentation technique du couplage entre les individus s’accompagne d’une solidarité de fait croissante.
Pierre Teilhard de Chardin va même – mais nous quittons ici, dans l’état actuel des connaissances, le domaine de la cybernétique – jusqu’à supposer que cette solidarité possédera des caractéristiques qui sont exactement celles de l’amour. Cette hypothèse, manifestement inspirée par ses convictions chrétiennes, n’est cependant pas indispensable à la compréhension de sa notion de noosphère.
Du grec noos = psyché (âme, esprit, pensée, conscience) et sphère (corps limité par une surface ronde). Symbole : le dodécaèdre.
Le Terme a été utilisé pour la première fois par Édouard Le Roy puis Vladimir Vernadsky * et enfin évidemment par Pierre Teilhard de Chardin
Edgar Morin définit la noosphère comme la sphère de l’imaginaire, des mythes, des dieu-ou-démons, des idées. La noosphère est le monde des idées, le monde de la pensée, la dimension de la réalité (donc de notre vie individuelle et sociale) dans laquelle nous sommes créatifs.
Dans Wikipedia, nous trouvons la définition suivante de la noosphère. Ce mot, que Pierre Teilhard de Chardin emprunte à Vernadsky, part de l’observation qu’une pellicule de faible épaisseur (quelques kilomètres) entourant la Terre ; que l’on qualifierait aujourd’hui de biofilm ; contient à la fois toutes les connaissances de l’Humanité et toute sa capacité de traitement de l’information.
La Noosphère pourrait être représentée comme un grand nuage cernant la planète, tout comme l’atmosphère. Ce nuage immatériel constituerait un grand ensemble, l’Esprit humain global, en quelque sorte.
La noosphère se juxtapose à la lithosphère (la masse inerte), à la biosphère (la masse vivante) et à la sociosphère (ensemble des relations humaines et/ou écologiques) ; et constitue l’ensemble des activités intellectuelles de la Terre. Son Égrégore en quelque sorte. Il s’agit d’une sorte de « mémoire collective de l’Humanité » qui regroupe toutes les activités cérébrales et mécaniques de mémorisation et de traitement de l’information.
Le cerveau des hommes fait partie de la noosphère, mais aussi toutes les infrastructures créées par lui, qui participent au traitement comme au stockage de l’information : villes, bibliothèques, infrastructure politique, culture, lois, réseaux de communication.
* Vladimir Vernadsky date l’apparition de la noosphère de l’extrême fin du XIXe siècle et, pour l’essentiel, du XXe siècle, parce que c’est alors seulement que la science s’est effectivement transformée en force géologique et même cosmique.
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LES PREUVES OU SIGNES DE L’EXISTENCE DE DIEUX MALGRÉ LEUR OCCULTATION.
Rappel.
L’Homme peut accéder à la connaissance de la réalité qui sous-tend le monde, et en constitue l’origine ou l’aboutissement.
À partir du mouvement et du devenir, des contingences, de l’ordre et de la beauté du monde, on peut connaître son Destin.
Il y a dans l’univers des choses visibles… et des choses invisibles. Du moins peut-on le supposer. Ce qu’il y a d’invisible se laisse voir à l’intelligence au travers de ses puissances et de ses œuvres. Ce que l’on peut connaître de la divinité a toujours été manifeste pour les païens.
Le Monde et l’Homme attestent qu’ils n’ont en eux-mêmes ni leur principe ni leur fin ; mais qu’ils participent à l’Être En Soi Désormais Immortel.
C’est pourquoi d’ailleurs les vrais druides estiment possible de parler des dieu-ou-démons à tous les hommes et avec tous les hommes, qu’ils soient monolâtres, agnostiques, ou athées…
Du règne des dieu-ou-démons dont ils croyaient au retour (parousie disent les chrétiens, ré-enchantement du monde dirait Max Weber) après une longue occultation, les druides primordiaux, puis les druides antiques qui leur succédèrent quelque part au nord des Alpes en Europe centrale, ont multiplié les mythes didactiques tendant à illustrer la puissance, tout en en montrant les limites (là où commence le domaine de la pure mécanique donc le domaine de la science). Lucain, la Pharsale livre I : « À vous seuls [druides] il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes ».
Chez les Celtes le dieu-ou-démon supérieur sacro-saint (et donc jamais désigné par un titre unique) n’est ni Jupiter ni Zeus (ni Taran/Toran/Tuirean ou Lug en Irlande) c’est le Destin. Il n’est que de parcourir les textes « sacrés » ou même ceux qui expriment à travers le détail de la vie courante, la weltanschauung des hommes et des femmes de cette époque (les gessa), pour s’en rendre compte.
Il apparaît donc normal que les temps forts de l’existence individuelle et collective soient marqués par des gestes ou des rites de caractère fatidique.
Le dieu-ou-démon supérieur est, chez les Celtes, répétons-le, essentiellement conçu comme étant le Destin. Aucun autre dieu ne lui est supérieur, pas même les dieu-ou-démons au sommet du panth-éon celtique, dans la mesure où personne n’est supérieur à sa destinée.
Une telle conception du Destin ou Tokad, sacro-saint pour les anciens gnostiques d’Occident, est d’abord collective, inscrite dans le cadre de la famille ou du clan. Ces lois du Destin s’appliquent indifféremment aux dieu-ou-démons (les dieu-ou-démons eux aussi dépendent du destin) ou aux hommes, quitte à descendre ensuite encore plus loin, au niveau individuel (la destinée). Les Vikings eux-mêmes considéraient que la valeur fondamentale supérieure, au-delà de tout élément personnel ou anthropomorphisé, c’était le « Destin » aux innombrables visages.
Ce Tokad ou « Destin » se manifestait en chaque individu par le don d’une dose variable de sa souveraineté divine. La perception de ce dépôt divin avait des conséquences très importantes dans la spiritualité païenne d’alors.
Par lui, en lui, et grâce à lui, chacun pouvait comprendre que le Destin s’était intéressé à sa personne dès sa naissance et qu’il appartenait donc à chacun d’accepter ou d’assumer (voire de chercher à connaître) ce don du Ciel. Quelles que soient les colorations personnelles qu’il avait prises pour lui.
Les Scandinaves appelaient hamingja (de megin = pouvoir, possibilité, etc.) l’ensemble des boudismes ou charismes accordés à une famille (ses dons héréditaires en quelque sorte) ; et gaefa l’ensemble des boudismes ou charismes accordés à un individu en particulier (son capital chance en quelque sorte).
L’honneur de chacun consistait à bien assumer ce don divin de souveraineté, accordé par le Destin, à également assumer ses boudismes.
Ce Destin n’est évidemment ni bon ni mauvais, mais neutre, quoique solidaire des gdonioi (des hommes) en particulier, ainsi que du monde en général.
Constat d’évidence : les puissances ne sont pas toutes « bonnes », il en est de mauvaises entre guillemets, car les connotations que comportent pour nous ces termes ne s’appliquent pas vraiment à l’éthique celte.
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Signes prodiges et miracles. Définitions préliminaires.
— Signes : série de coïncidences trop frappantes pour être dues au hasard. Le signe est plus subjectif, mais il est aussi très personnel. Il peut donc toucher la personne davantage qu’un miracle scientifiquement vérifiable, mais plus lointain. La personne se sent soudain entourée d’un autre monde invisible. Par contre, le signe ne prouve rien pour celui qui ne l’a pas reçu personnellement.
Il existe en effet des lois fondamentales de la nature qu’il est impossible de contredire. En sciences physiques, on a par exemple deux principes premiers.
a) Le principe de stabilité de l’énergie : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (Anaxagore de Clazomènes, maxime reprise plus tard par Lavoisier). Il est impossible de créer à partir de rien ou, à l’opposé, d’anéantir quoi que ce soit. C’est pourquoi, si une matière apparaît, comme cela, en un éclair, à partir de rien, c’est qu’un miracle a eu lieu. Il ne peut être attribué qu’à une puissance supérieure qui dépasse la nature.
b) L’entropie : « Tout corps isolé s’use, se dégrade ». On ne voit jamais un charbon de bois, une fois consumé, se rallumer. Le Soleil perd peu à peu son énergie et mourra. Un homme ne peut rester quarante ans sans manger ni boire. D’autres lois ne peuvent être dépassées sans une puissance infinie :
— « Il n’existe aucun mouvement instantané ».
-- « L’avenir ne peut être entièrement prévisible ». Il est lié au hasard, à la liberté des individus.
-- Dans le domaine de la biologie, les lois de la nature sont bien plus nombreuses et remarquables. Un cadavre décomposé ne ressuscite pas, un organe ne repousse pas, une moelle épinière sectionnée ne se recolle pas, etc.
-- Le prodige ne s’oppose pas aux lois de la nature. Il ne fait que les appliquer de manière curieuse, et invite à la recherche. Exemples de prodiges : lévitation, télépathie, rêve prémonitoire peu précis, guérison surprenante, mais qui peut être explicable par la force d’une psychologie (maladies psychosomatiques), stigmates.
— Le miracle, à la différence du prodige, implique un fait absolument contre nature. Il s’oppose aux lois fondamentales de la nature. Il nécessite la plupart du temps une puissance infinie.
Position des chrétiens en général ou de l’Église catholique en particulier à ce sujet. L’Église ne reconnaît jamais un prodige à proprement parler, car, selon elle, il n’a pas nécessairement Dieu pour cause (mais peut avoir une cause psychologique, matérielle ou angélique). Le miracle est un événement qui ne peut être attribué qu’à Dieu seul. Exemples : résurrection de Lazare (Jean 11) Guérison de Jeanne Frétel à Lourdes (son intestin enlevé préalablement réapparaît en un éclair) ; saint Charbel Maklouf et l’huile miraculeuse ; Marthe Robin, une probable future sainte catholique. Sainte Odile décrit au VIIIe siècle la Seconde Guerre mondiale comme si elle y assistait. Prophétie de Fatima. Les prophéties de Nostradamus sont, par contre, peu crédibles, car elles jouent avec l’imprécision. Mille interprétations sont possibles].
En libérant les hommes des maux terrestres que sont, l’injustice, la maladie ou la mort… les gnostiques primordiaux ou antiques d’Occident ont apporté la preuve de l’existence des dieu-ou-démons et du dieu-ou-démon des dieu-ou-démons, au-dessus d’eux. « De dhruadh, mu dhe tar gac nde », s’exclame en effet l’Irlandais Mog Ruith lors du siège de Druim Damhghaire. Les exorcismes pratiqués par les très-sachants ont libéré les bacuceos de l’emprise « des duses ou des anguipèdes » [en fait des réincarnations dans l’autre monde… ratées, ou des maladies mentales genre dédoublement de la personnalité tout simplement]. Les miracles des dieu-ou-démons ou des druides, leurs prophéties (leurs satires) sont des signes du monde divin, adaptés à l’intelligence du plus grand nombre (les multi, par opposition aux nonnulli de César), des raisons de croire en un monde idéal (bellissamos/bellissama). Ces merveilles des dieu-ou-démons, offertes aux yeux des hommes, ont d’ailleurs porté leurs fruits à cette époque (La Tène) de la Pologne à Gibraltar (Tartessos) de l’Irlande à la Roumanie voire la Bulgarie, sans oublier les dikastes d’Anatolie. Mais nulle contrainte en matière de religion, aurait pu être un de leurs slogans, certainement plus sincère et plus crédible dans leur bouche que dans les arguties ou les prêches intéressés de l’islam (taqiya).
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Les dieu-ou-démons et leurs druides ont accompagné leur enseignement de nombreux signes ou prodiges prouvant que leurs pouvoirs étaient à portée de main pour qui savait les voir. Mais pour ceux qui restaient en dehors de cette foi, tout demeurait bien sûr énigmatique.
Questions et objections se pressent sur nos lèvres. Ce qu’il faut bien voir cependant, c’est que les « miracles » accomplis par les druides primordiaux, ou les anciens druides ; sont d’abord et avant tout destinés à prouver aux hommes de leur temps les pouvoirs de l’esprit sur la matière (effet placebo et maladies psychosomatiques). Ils sont inséparables de leur époque.
Les anciens druides savaient d’ailleurs très bien qu’ils n’étaient pas les seuls à faire des choses extraordinaires. Il a toujours existé de faux « prodiges » comme il a toujours existé de faux druides (il suffit de regarder un peu autour de soi aujourd’hui).
Les vrais miracles des anciens gnostiques d’Occident ne sont compréhensibles, comme preuves de l’existence des dieu-ou-démons ou du dieu-ou-démon des dieu-ou-démons, que si l’on perçoit le lien et la cohérence entre les actes étonnants qu’ils constituent.
Premier des indices traditionnels de l’existence du monde des dieu-ou-démons : la communion avec les morts (la communion des saints ou Toussaint des chrétiens). Spiritualisme ainsi appelé parce qu’il se manifestait surtout de façon éclatante chaque 1er novembre. La communion avec les morts, rebaptisée Communion des saints ou Toussaint par les chrétiens, est l’échange presque spirite réalisé avec les « bienheureux » du Mag Meld ou Vindomagos (du Paradis).
Car les druidisants n’ont pas leurs modèles seulement dans la vie des dieu-ou-démons, ils les trouvent aussi dans la vie de certains héros du Vindomagos. Dans la communion avec leurs esprits, désincarnés (tant que ceux-ci ne se sont pas définitivement fondus dans les cieux supérieurs à cette Terre Pure) on peut toujours trouver en effet, aide et appui. De tout temps la communauté humaine celto-druidique a donc entouré de piété le souvenir des défunts, en offrant des prières pour eux, ou en évoquant leur mémoire à l’aide de rituels appropriés, voire en faisant momentanément apparaître leur âme/esprit sur terre (spiritisme). Les Celtes de l’Antiquité passaient même certaines nuits près des tombeaux de leurs héros, pour avoir des informations de leur bouche. De Nicandre de Colophon (cité par Tertullian) à Senchan Torpeist (grosso modo 560-647) et la redécouverte de la saga de la Tain, les témoignages abondent.
« Je suis kardéciste ». Les druidisants dans leurs conférences entendent très souvent de telles remarques. « Vous savez… Allan Kardec ? »
Il s’ensuit alors souvent une discussion cordiale, mais animée.
Les dictionnaires nous apprennent qu’Allan Kardec est le pseudonyme de l’écrivain Denisard Léon Hippolyte Rivail, qui vécut de 1804 à 1869. Il fut envoyé en Suisse à l’âge de dix ans et devint l’élève du réformateur de la pédagogie nommé Pestalozzi. En 1824, on le retrouve à Paris, où il se consacre à l’enseignement. Avec le temps il devint membre de l’Académie royale des sciences naturelles. Dans une existence antérieure, à l’époque des anciens druides, il aurait vécu sous le nom d’Allan Kardec, d’où son pseudonyme.
En 1854 Hippolyte Rivail fut initié à une discipline née en ce milieu du XIXe siècle (en 1847, exactement, dans une ferme de Hydesville, cf. les sœurs Margaret et Kate Fox) : les tentatives de communication avec les âmes/esprits des morts. L’année suivante Hippolyte Rivail observa les phénomènes de tables tournantes et d’écriture automatique (médiumnique). Il en acquit la conviction qu’il existe un domaine spirituel peuplé des âme/esprits des défunts, et qu’il est possible de communiquer avec elles, vu la persistance de leur individualité après la mort.
Profondément impressionné donc par les découvertes de cette Américaine, Rivail entreprit de rassembler une vaste collection d’écrits que lui fournirent des amis spiritualistes, en vue desquels il préparait toujours une série de questions. Les réponses qu’il reçut par l’intermédiaire des médiums furent selon lui : « précises, profondes, et logiques ». En 1857, il publia, sous le pseudonyme d’Allan Kardec donc, toute cette documentation, dans son premier livre, intitulé « le Livre des esprits ».
Dès le début Rivail enseigna « que les esprits, n’étant que des âmes d’humain, ne possèdent ni la connaissance ni la sagesse supérieure, que leur intelligence ne dépend que de leur progrès ; donc que leur opinion n’est rien de plus qu’une opinion individuelle ».
Mais pourquoi, donc, évoquer le spiritisme diront certains ? À cette objection Rivail a lui-même répondu : « pour prouver matériellement l’existence du monde spirituel ».
Le Livre des esprits doit aider les hommes et notamment les membres de certaines autres religions à raffermir leur croyance en l’immortalité de l’âme.
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La Bible affirme en effet que l’âme humaine n’est pas immortelle. Ecclésiaste 3, 20 : tout va en un même lieu, tout a été fait de la poussière et tout retourne à la poussière. C’était d’ailleurs la doctrine des sadducéens, qui ne croyaient pas en l’immortalité de l’âme. « Les vivants se rendent compte qu’ils mourront, mais quant aux morts, ils ne se rendent compte de rien du tout » (Ecclésiaste, 9, 5).
La Bible renferme d’ailleurs cette sévère mise en garde « l’âme qui pèche mourra » (Ezéchiel 18,4).
C’est pourquoi, dans la loi qu’il donne à Israël, Yahweh interdit formellement à ses serviteurs tout contact du genre de ceux que le druide fondateur du spiritisme, Rivail, entretint avec des médiums (Lévitique 19,31). Le fait que ces derniers lui aient souvent tenu des propos très intéressants ne changea rien à la détermination de ceux qui lui opposèrent la célèbre citation de saint Paul : « Satan lui-même se transforme sans cesse en ange de lumière » (II Corinthiens 11,14).
Voici ce que les anciens druides pensaient à propos des sacrifices antiques destinés à évoquer les morts (du moins d’après Henri Lizeray). « Les formes fluidiques, séparées du corps pendant la catalepsie, vont d’elles-mêmes aux fumets des viandes et des mets choisis pour les happer puis s’en nourrir. Les vapeurs du sang frais encore chaud fournissent un point d’appui pour la formation du spectre » (Henri Lizeray. La D S. D. D).
« À propos des visions nocturnes, on expose souvent que les morts n’ont pas été vus en vain. Car, ainsi que l’affirme Nicandre, les Nasamons de Libye consultent des oracles particuliers en restant près des tombes de leurs parents… et les Celtes pour la même raison passent la nuit près des tombeaux des héros ».
Pour avoir dans son intégralité le grand récit de l’enlèvement des vaches de Cooley, que les bardes ne connaissaient plus qu’à l’état de fragments, Senchan Torpeist emploiera même les grands moyens pour cela, ainsi que nous l’avons déjà exposé d’ailleurs, mais repetere = ars docendi.
« Muirgen récita une incantation à la pierre tombale comme si c’était à Fergus lui-même qu’il s’adressait. Un grand brouillard se répandit alors autour de lui, si bien qu’il ne vit plus ses gens pendant trois jours et trois nuits. Fergus vint à lui magnifiquement habillé, puis lui récita toute la razzia des bœufs de Cooley, exactement comme elle avait été composée à l’origine, du début jusqu’à la fin ».
L’évocation de Fergus par Muirgen est une réussite extrême à laquelle tous les filid (les vellèdes) ne devaient pas pouvoir prétendre, mais le principe énoncé par Nicandre de Colophon est rigoureusement identique.
Cette communion spirite de la Toussaint déborde donc la Toussaint et s’étend à tous les morts. Même à ceux qui ont accédé au Mag Meld en suivant, sans le savoir, le niveau reda de l’éthique druidique, mais sans être druidisant, sans avoir fait l’objet d’une cérémonie du nom ; le Destin ayant la souveraineté de pouvoir accorder à qui bon lui semble la possibilité de contempler le rocher d’or du Graal, où repose le dieu-ou-démon, maître de cet autre monde.
« Rien n’est plus enchanteur que la nature de cette île, où l’air est d’une charmante douceur. Quelques-uns pensaient à la quitter, mais le Dieu les en dissuada en se présentant à eux comme à des familiers ou à des amis. Ce n’est pas en effet uniquement en songe, ou par des visions symboliques, que beaucoup de ces insulaires voient des démons et conversent avec eux, c’est face à face. En ce qui concerne Saturne lui-même (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le Destin ????) il demeure dans une grotte profonde, où il dort sur un rocher brillant comme de l’or ; car c’est par le sommeil que Jupiter [Taran/Toran/Tuireann ?] a imaginé de le lier. Des oiseaux dont la demeure est en haut de ce rocher viennent en voltigeant apporter au Dieu l’ambroisie. Une odeur délicieuse s’exhale de ce rocher comme d’une source, parfume l’île entière. Les Démons dont nous avons parlé entourent Saturne (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieux et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur les événements les plus importants, font des révélations précieuses dont ils assurent qu’elles sont les songes du dieu » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
La fête de la Samon, jadis le 1er Samoni, aujourd’hui le 1er novembre, rassemble dans une même communion spirituelle tous ceux, connus et inconnus, qui font partie de la communauté humaine. Mais
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n’oublions pas quand même que cette communion spirite unit d’abord entre eux les membres de la touta. Dans la mesure où leur « incorporation » au corps du géant endormi les aide à se rapprocher de l’état d’awenyddion eux aussi (grâce à la cérémonie du nom, aux rituels, etc.). N’oublions pas aussi que cette communion spiritualiste est d’abord la communion en esprit opérée entre les membres de la Touta vivants sur terre.
« Ces apparitions des morts sont obtenues aujourd’hui dans les états les plus profonds de l’hypnose » (Henri Lizeray. La Doctrine secrète des druides).
Deuxième des signes (prouvant l’existence des dieu-ou-démons) : les guérisons miraculeuses. Comme le dit très bien la triade rapportée par Cailte/Caletios en réponse à une question de saint Patrice, dans le colloque des Anciens – Acallam na senorach – : « force des muscles, vérité du cœur et justesse de la langue », tel est l’idéal du druidisme.
Force des muscles, force des muscles…
Le souvenir le plus mythifié des guérisons miraculeuses de type druidique concerne évidemment celles qui furent accomplies par notre Hesus lui-même (dans la Tain Bo Cualnge irlandaise par exemple) sur la personne de la grande reine Morrigani. Tourmenté par la soif Setanta lui demanda en effet du lait.
« Elle lui donna le lait d’un pis de sa vache.
Puissé-je vite guérir cela, dit le Hesus Setanta en désignant l’œil de la Grande Reine.
Et l’œil de la reine fut guéri.
Il lui demanda le lait d’un autre pis. Elle le lui donna.
Puisse celle qui me l’a donné être vite guérie, dit le chien de Culann. Cuchulainn lui demanda enfin à boire une troisième fois et elle lui donna le lait du 3e pis.
Bénédiction des dieux et des sous-dieux ? sur toi, ô femme, dit notre Hesus ».
Et c’est ainsi que la grande reine se retrouva sur pied (elle avait eu un œil crevé, ainsi qu’une jambe et un bras, de cassés).
Guérison et salut des corps font donc partie intégrante de cet ancien druidisme, et montrent bien que l’espérance druidique concerne aussi la chair, pas seulement les âme/esprits. À en croire la tradition irlandaise, les anciens gnostiques d’Occident ont d’ailleurs opéré de vrais miracles en ce domaine. En s’aidant des plantes médicinales, il est vrai, que le Hesus Setanta nous a enseigné à récolter puis préparer (une poignée de cresson, une poignée de varech et une poignée d’ellébore par exemple. Voir dans la Tain Bo Cualnge, la rencontre avec Fergus). Et de même, convenablement utilisé, le gui peut également soulager un certain nombre de maladies. Pline l’appelait omnia sanantem en latin, ce qui signifie « guérit-tout » (olloiaccos).
Ce souci des corps manifesté par Hesus et les anciens très-sachants de son temps, s’étend jusqu’à la mort elle-même. Les résurrections dues aux fontaines de santé du genre Glanum (Glanon ou Saint-Rémy-de-Provence, en Provence justement) sont des retours à la vie terrestre de blessés tombés dans le coma le plus profond. Les techniques druidiques utilisées pour mettre fin à ces comas, ne contredisent pas, mais préfigurent ce qui nous attend à savoir le fait que le salut des hommes consistera en une totale et définitive résurrection de leur corps qui deviendront dans l’autre monde DES CORPS IDÉAUX (tout auréolés de xvarnah disent nos amis zoroastriens, bellissamos ou bellissama diraient les anciens druides).
L’équivalent mythique de Glanum existe aussi ailleurs. On l’a identifié depuis, dans les légendes à lire à ce sujet. C’est par exemple la fontaine de jouvence ou de santé des première et seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulis.
« Ils cueillirent des herbes médicinales, les broyèrent et les répandirent à la surface de l’eau de la fontaine, jusqu’à ce que la précieuse eau guérisseuse épaississe et devienne toute verte. Leurs blessés furent plongés dans la fontaine, et ils en ressortirent complètement guéris ».
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« Diancecht et ses deux fils Octorevillos et Medocios ainsi que sa fille Armeditrina récitaient des prières (dicetul) sur la fontaine appelée « Guérison » (Slaine). Leurs hommes blessés mortellement étaient jetés dans son eau après avoir été tués. Ils en ressortaient vivants. Leurs blessés à mort redevenaient sains et saufs grâce au pouvoir des prières (dicetail) des quatre médecins qui se tenaient au-dessus de la fontaine ».
On retrouve exactement la même chose, mais avec un chaudron cette fois-ci, au Pays de Galles. Selon le récit du Mabinogi de Branwen, en effet, les personnes tombées dans le coma, jetées dans un chaudron de résurrection, en ressortaient bien réveillées le lendemain. Les néo-druides d’aujourd’hui ne sont plus capables de telles guérisons évidemment, et peut-être que cela vaut mieux d’ailleurs ; mais par leur attention portée aux corps, Hesus et les druides de son temps ne se manifestaient donc pas seulement comme des hommes uniquement préoccupés du salut des âmes. Ils se préoccupaient aussi du corps des malades.
Sous le nom de liaig les anciens gnostiques d’Occident étaient d’ailleurs peut-être vraiment capables de miracles techniques étonnants, au moyen de greffes et de prothèses extraordinaires. Du moins d’après les légendes irlandaises : voir le cas du roi Noadatus/Nuada, dont le bras ou la main avait été coupé.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le signaler par ailleurs, on a retrouvé en Allemagne, dans une tombe fouillée à Obermenzing, en Bavière, le corps d’un homme qui fut vraisemblablement un druide chirurgien, vivant vers l’an 200 avant notre ère. Il a été enterré avec une épée, une lance et un bouclier. Mais c’était avant tout un médecin et non un guerrier ; puisque l’on a trouvé dans sa tombe une scie à trépaner (permettant de retirer du crâne de petites sections d’os afin d’alléger la pression exercée par la boîte crânienne sur le cerveau), une sonde, et un écarteur. (Cf José Maria de Navarro et son étude sur la tombe d’un docteur de la Tène trouvée en Bavière, publiée en 1955 par la Société préhistorique).
Pour être roi, il fallait être normal, et sans infirmité. Toute infirmité ou mutilation pouvait donc disqualifier un homme chez les Celtes. Le roi Noadatus (Nuada en irlandais) abandonna son trône après avoir perdu son bras, et le dieu-ou-démon appelé Medros (Mider en irlandais) fut lui aussi à deux doigts de connaître le même sort, parce qu’il avait eu un œil crevé, accidentellement.
Troisième des preuves de l’existence du préternaturel ou du surnaturel : les exorcismes.
Il est erroné de faire du mal et de la souffrance quelque chose de simplement dû au hasard. Le monde et les hommes sont sous l’emprise des forces négatives qui les enchaînent, brouillent leurs relations, les déchirent intérieurement et ce jusque dans leurs corps.
Les religions monolâtres de masse le reconnaissent d’ailleurs elles-mêmes en un sens. Même en ce qui concerne le crime contre l’Humanité perpétré par le socialisme national du Parti des Travailleurs (allemands : N. S. D. A. P) contre les juifs, durant la Seconde Guerre mondiale.
« Les nations peuvent être un instrument dans la main de Dieu pour châtier […] Israël » (Nouvelle encyclopédie catholique).
Délivrances miraculeuses ou exorcisme des possédés genre bacuceos, etc.
Ce que nous appelons aujourd’hui guérison d’épileptiques, de neurasthéniques ou d’aliénés, a toujours relevé du domaine psychosomatique, ou de l’effet placebo. Et les guérisons réussies par les anciens druides en ce domaine ne sont donc que des preuves supplémentaires de la puissance de l’esprit sur la matière. On peut par conséquent y croire sans problème, car ce ne sont pas là des phénomènes que la science considère comme contraires aux lois de la nature. Les très-sachants de ce temps-là ne tenaient d’ailleurs pas vraiment ces guérisons pour des miracles surnaturels, mais pour de simples actes de foi. En matière de maladie psychosomatique, seules foi et volonté en effet, sauvent. La médecine moderne redécouvre d’ailleurs aussi maintenant le caractère psychosomatique de nombreuses maladies et admet la possibilité de guérisons étonnantes sous influence psychologique exceptionnelle, par suite de l’effet placebo.
Quatrième signe : le pouvoir des druides sur les éléments.
Certains récits de miracles, plus nombreux que les récits de guérison proprement dite, montrent les anciens très-sachants agissant sur la nature environnante. Les très-sachants de ce temps-là en effet avaient le pouvoir d’agir sur l’eau. Devant eux les lacs et les rivières baissent quand ils les satirisent,
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et ils enflent ou montent quand ils les louent. L’eau est bénéfique ou justicière selon la volonté du druide. Les anciens gnostiques d’Occident étaient aussi maîtres du feu, maîtres du vent (exemple le Cers, le vent du nord, la Galerne, le vent d’ouest, etc.). Certains avaient même le pouvoir d’agir sur les vagues de la mer, ajoutent les légendes.
Ils avaient aussi pouvoir sur la terre, les collines et les montagnes, qui pouvaient se battre pour eux (voir le cas du très-sachant appelé Matugenos, ainsi que le cas du druide irlandais Mog Ruith, lors du siège de Druim Damhghaire : il fait s’affaisser une colline).
État intermédiaire entre l’eau et l’air, le brouillard entrait aussi dans le champ d’action des anciens druides. Le récit du Tochmarc Ferbe (la cour faite à Ferb) nous parle même d’un brouillard druidique tricolore, noir, rouge et vert, en même temps que guerrier. À la bataille de Garech (entre Conchobar et Medb), les très-sachant d’Ulster s’adressent aux cieux, et des nuées d’orage se mettent en marche pour attaquer leurs ennemis.
Cinquième signe : les pouvoirs hypnotiques.
« L’hypnologie était pratiquée partout en Occident à l’époque et c’est chez les Cimmériens qu’Ovide plaçait le palais du sommeil […] l’ancien druidisme comportait aussi des pratiques […] d’hypnotisme ; comme en fait foi le récit de Plutarque à propos d’Ogygie » (Henri Lizeray. D S. D. D).
En liaison avec tout cela, qu’il explique sans doute aussi partiellement, il y avait le fameux souffle druidique. Il s’agissait d’un moyen et d’une cause d’illusion voire de métamorphose, temporaire ou définitive. Exemple : « il tourna 3 fois son visage vers l’armée puis, grâce à sa puissance magique, envoya sur elle un souffle druidique. Tous les guerriers reçurent aussitôt son apparence et sa forme : tous eurent comme lui l’allure imposante et la tête grise, en sorte que, lorsqu’ils traversèrent le fleuve à la poursuite du druide, ils se mirent à s’entre massacrer. Ils se scalpaient, en se frappant mutuellement au front et au visage, car chaque combattant prenait tout homme qu’il voyait pour le druide ».
D’après Henri Lizeray « les effets hypnotiques se produisent aussi par les allées et venues des personnes, par les battements d’ailes et les tournoiements de certains oiseaux » (D.S.D.D.).
Une variante de l’hypnose est celle qu’Henri Lizeray nomme la cabbale autosuggestive. Autohypnose dont voici la définition selon lui : « Dans la cabale autosuggestive, on s’arrange, au moyen de gestes et de mots détournés, pour qu’une personne se fasse des idées dont elle devient victime. L’individu se suggestionnant lui-même, les autres ne font que lui en fournir l’occasion » (Ogmios ou Orphée).
Les ennemies de notre hésus utiliseront ce pouvoir hypnotique contre lui. À l’aide de divers arbres ou végétaux agités au vent (feuilles de chêne fanées, sanicles, vesses-de-loup, chardons…), elles susciteront des armées entières aux yeux de notre héros, pour lui faire croire que son pays est attaqué. (Cf la Mort de Cuchulainn).
Le souffle druidique a des conséquences parfois encore plus directes pour ceux qui en sont victimes. Par exemple, les trois druides du roi Cormac, lorsque Mog Ruith, après la victoire des siens, s’approche d’eux suffisamment pour faire usage de ses capacités. « Mon dieu m’a promis que je les transformerai en pierres quand je les aurai à ma portée, si seulement je parviens à souffler sur eux ». Et il leur envoya un souffle druidique, qui les transforma en pierres.
Traduisons en langage moderne : ayant réussi à s’approcher d’eux, assez près pour pouvoir les hypnotiser, le druide les plongea dans un état cataleptique exceptionnel ?????
Sixième signe révélateur de la présence ou annonciateur du retour des dieu-ou-démons : la multiplication de la nourriture et des boissons, des sangliers, des pommes (la pomme est le fruit magique symbole même de l’autre monde), et ainsi de suite.
Car les dieu-ou-démons viennent aussi s’asseoir à la table des simples mortels que nous sommes (sacrifices de commensalité). Le partage des repas, même avec les plus humbles des mortels, symbolise la réalité de l’existence du divin. Outre les sangliers inépuisables du festin de Gobannos (Goïbniu en Irlande) et le chaudron d’abondance, il y a aussi les pommes avons-nous dit. Parmi les objets merveilleux dont la quête fut imposée par le dieu-ou-démon appelé Lug, aux trois fils de Taran/Toran/Tuireann, figurent par exemple les pommes d’Avallon. Quiconque en consommait n’avait plus ni faim, ni soif, ni douleur, ni maladie, et elles ne diminuaient jamais. Dans le même ordre d’idées, notons que l’olla du Suqellos Dagodevos Gargant (Dagda en Irlandais) était aussi un chaudron d’abondance, que personne ne quittait sans être rassasié. L’utilisation du chaudron inépuisable, ou
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des pommes magiques, par les dieu-ou-démons, était destinée à faire comprendre aux hommes de ce temps-là que leur message était avant tout la vie et l’espoir de se voir un jour doté d’un corps de rêve ou idéal (bellissamos/bellissama en vieux celtique, auréolé de xvarnah disent nos amis zoroastriens) dans cet autre monde que l’on dit meilleur.
Septième preuve (de l’existence des dieu-ou-démons) : la divination, la prédiction, et la prophétie.
Assez curieusement il y a là tout comme avec leur conception du paradis, un autre point de convergence avec les musulmans. Non à cause d’une quelconque tradition primordiale, mais tout simplement à cause de notre commune nature humaine, qui tend à toujours apporter les mêmes réponses aux mêmes questions, aux mêmes défis.
Car l’islam attribue aussi à ses djinns la possibilité de dérober des bribes d’information auprès des habitants du ciel.
« Les démons dont nous avons parlé entourent Cronos (le Destin ? ? ? ?) et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieu-ou-démons et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur les événements les plus importants, font de précieuses révélations dont ils assurent qu’elles sont les songes du Dieu-ou-démon » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
Le don de prophétie est aussi un des signes de l’existence du Destin. La force de la prédiction est telle d’ailleurs que, après l’avoir faite, le Très-Sachant est impuissant à changer le cours du destin qu’elle marque. C’est évidemment ce que savait le jeune Setanta qui, avant de s’appeler Cuchulainn, et alors qu’il n’avait encore que cinq ans, avait entendu le très-sachant Catubatuos/Cathbad annoncer, en réponse à un de ses élèves, le signe du jour (l’horoscope. N.D.L.R.), à savoir que quiconque prendrait les armes ce jour-là aurait une vie glorieuse, mais courte. Cuchulainn était en effet allé aussitôt demander des armes et un char au roi Conchobar, et Catubatuos/Cathbad en avait été d’abord fort mécontent, mais dut se résigner à l’inévitable.
Tout cela fit l’objet de transmissions seulement orales pendant maintes générations. Quand le message ainsi répercuté fut enfin mis par écrit, alors il se trouva pris dans une mythologie complexe qui ne manqua pas de le déformer au prix d’invraisemblables exagérations. Voir à ce sujet par exemple l’extraordinaire récit en gaélique du XVe siècle intitulé « le siège de Druim Damghaire » (Livre de Lismore).
L’une des caractéristiques de cette mythologie fut de multiplier ou d’amplifier les « miracles » imputés aux druides, dans un but de « merveilleux poétique ». Ah ces bardes ! Tout ne saurait donc en être pris au pied de la lettre. Néanmoins, les chercheurs sérieux ont filtré ces récits, et ont acquis la conviction que les druides de jadis avaient parfois effectivement obtenu des résultats étonnants dans le domaine parapsychologique. Ce qui peut en être dégagé de crédible constitue donc une part non négligeable de notre information sur le druidisme antique. Sans lui l’ancien druidisme ne serait plus ce qu’il est, sans eux on ne connaîtrait plus le rôle qu’ont joué les dieu-ou-démons dans ce monde, avant leur occultation, et l’on douterait même de l’existence du dieu-ou-démon des dieu-ou-démons, le Destin. Devant tant de miracles, les hommes d’aujourd’hui s’étonnent, et sont saisis par le doute, comme devant la manifestation de quelque chose qui les dépasse. Avec toute la prudence nécessaire, on peut néanmoins admettre un fond de réalité vraisemblable, mais aussi maints symboles à décrypter, dans toutes ces légendes.
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LES PREUVES OU SIGNES DE L’IMMORTALITÉ
DE L’ÂME/ESPRIT.
Il y a beaucoup de réponses à la question de savoir ce que le mot mort peut signifier.
1. La mort est un mot dépourvu de sens, personne ne sait ce que c’est vraiment et l’on ne saura jamais (doctrine du rationalisme critique).
2. La mort est l’intuition vitale d’une fin de la vie, que tout être vivant peut pressentir.
3. La mort est un fait biologique, celui que nous voyons dans le cadavre.
4. La mort est un processus spirituel dont il existe trace dans une expérience intime.
5. La mort est un moment qui fait partie de la manifestation de la Vie, au même titre que la naissance, et d’une Vie qui est par nature immortelle.
6. La mort est l’aboutissement de l’existence en tant qu’elle disparaît dans la non-existence (doctrine du matérialisme athée, d’Épicure).
7. La mort est une étape dans la destinée spirituelle de l’âme.
Etc. Etc.
Il est donc évident que les Expériences de Mort Imminente posent à l’heure actuelle plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.
Deux attitudes peuvent être qualifiées d’extrêmes.
— L’Expérience de Mort Imminente constitue la preuve de l’existence de l’Au-delà, de la survie de l’âme ou de la conscience, après la mort, voire même de l’existence de Dieu ou du Démiurge.
— Il s’agit d’une hallucination due à une « surdose » de neurotransmetteurs du cerveau, une sorte de mécanisme protecteur du cerveau, une explosion fantasmatique.
Approches conjuguées (ces approches sont interdépendantes et la liste n’est pas complète).
— Psychologiques : certains éléments qui constituent l’Expérience de Mort Imminente peuvent se retrouver dans des états modifiés de conscience. Exemple : l’expérience de sortie hors du corps (une composante de l’Expérience de Mort Imminente), les états de transe, l’extase, etc. On retrouve dans l’Expérience de Mort Imminente de fortes similitudes avec les transes chamaniques, en particulier celles qui sont causées par des prises de substances hallucinogènes (ayahuascas, etc.).
— Psychanalytiques : l’inconscient suscite l’expérience, on se croit mort, donc, on pense rencontrer des défunts, ou voir la lumière, quand on est chrétien. On ressent un amour infini, quand on est bouddhiste, une paix infinie, etc., etc. Le problème est que la nature et le rôle de l’inconscient collectif (Jung) restent largement méconnus dans les états modifiés de conscience « ordinaires » : rêve, hypnose, états méditatifs… On sait qu’il est capable de perception subliminale, il est même « cognitif » c’est-à-dire qu’il traite l’information à un niveau pré-conscient. Il est donc « intelligent et autonome ». Est-il assimilable pour autant à « l’esprit » ?
— Spirituelles : on relève bien sûr des analogies avec les notions de paradis (ou d’enfer), de terre pure où renaître afin d’achever la purification de son âme par extinction de l’esprit, voire au contraire de terre de saha pour les bouddhistes.
L’Expérience de Mort Imminente pose donc un problème à la science. Son étude ne peut qu’être pluridisciplinaire, mêlant sciences humaines et sciences dites dures, une gageure dans l’univers ultra-spécialisé de la science d’aujourd’hui.
La thèse de la simple « hallucination » maintenant…
Une perception, sans objet réel à percevoir, n’épuise en rien le problème, puisque l’on ne connaît pas les mécanismes en jeu, et cette hypothèse est à la fois en contradiction avec la perception avérée d’objets réels, et avec l’essentiel du déclaratif ; c’est-à-dire une conscience incomparablement plus « claire », une entière intégrité du sentiment de soi, et un sens profond donné à ce vécu ; qui ne laisse place à aucun doute quant à sa plus-que-réalité.
Comment la composante « hors du corps » pourrait-elle être une hallucination, sachant qu’il est quasiment impossible d’imaginer un point de vue extérieur à son corps, ou de se voir soi-même ?
Comment le cerveau peut-il produire un état de conscience plus « performant » (lucidité, compréhension) alors qu’il est quasiment hors service ?
Se pose alors la question du rôle du cerveau, de sa relation à la conscience.
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La sensation de sortie du corps peut être provoquée volontairement : la stimulation d’une zone du lobe temporal droit produit cet effet selon son intensité. Un anesthésique puissant, la kétamine, produit le même. Certains y voient un argument de poids en faveur de la thèse de l’hallucination. Mais le fait qu’un état particulier du cerveau soit corrélé à ces sensations n’implique pas qu’il en soit la cause initiale, et que l’on puisse dire qu’elles sont « produites » par le cerveau. Il est impossible pour l’instant de démontrer que cet état du cerveau n’est pas au contraire le résultat d’un état de conscience, qui trouve son origine « en dehors » de lui. C’est en effet par déduction que l’on considère que le cerveau, en quelque sorte, génère la conscience, et qu’elle ne peut exister que par lui : le bon sens nous dit que, lorsque le cerveau est manifestement hors service, la conscience est inopérante. Or l’Expérience de Mort Imminente vient justement battre en brèche ce raisonnement, puisque le cerveau est considéré comme hors service, alors que les sujets vivent leur aventure.
Enfin, la thèse de l’hallucination ne dit rien du sens de l’expérience : à quoi bon un dispositif pour adoucir une transition vers le néant ? Pourquoi la sensation de sortie hors du corps ?
La remise en question des modèles est difficile. L’impression dominante est que notre vision du monde est quasi-complète, et que seules des questions marginales restent à trancher. C’est pourtant le contraire qui est vrai : l’étendue de notre ignorance est bien plus vaste que la somme de nos connaissances. Avec l’Expérience de Mort Imminente, le mystère surgit au milieu de la plus haute technicité : les unités hospitalières de soins intensifs. C’est un choc pour le corps médical qui s’accompagne encore trop souvent du rejet des témoignages, ou d’une forme de bienveillance condescendante. Le mystique, le sacré, le divin, relèvent de la sphère individuelle, des « croyances ». Cette dimension de l’Expérience de Mort Imminente peut-elle être étudiée par la science ? À chaque discipline de trouver son champ d’études et de savoir échanger avec d’autres approches. C’est le cas au sein des jeunes « neurosciences », la neurobiologie en effet, y côtoie la psychanalyse, les différentes approches et sous-spécialités apportent leur pierre…
(Dossiers du Groupe d’Études Expérimentales des Phénomènes Parapsychologiques).
Quelques définitions pour finir.
— Périsprit. Breton anaon. Définition d’Allan Kardec : ce mot désigne à la fois l’énergie corporelle d’un être vivant et l’enveloppe d’un esprit après le décès.
— Décorporation : sensation d’avoir un corps (de lumière = avestique xvarnah, vieux celtique bellissamos/bellissama) ou plutôt d’être un point de conscience qui flotte. Souvent au plafond d’abord, puis capable de se déplacer, voire de traverser les murs.
— Rêve lucide : la réalité, en cas de sortie du corps, est perçue, mais « déformée », d’où une parenté avec le rêve lucide, dans lequel le rêveur contrôle plus ou moins la création de son environnement onirique. Hors du corps, le contrôle est également très difficile, une pensée suscite une perception, et l’on change brutalement d’environnement comme dans le rêve.
— Projection : le sujet s’avère capable de s’identifier à l’objet qu’il perçoit, au point de devenir cet objet. De même, des éléments subjectifs se glissent, sont « projetés » dans la perception d’objets réels. Par exemple, une personne sort de son corps, se retrouve flottant dans sa chambre, mais l’armoire ne se trouve pas du bon côté, il y a une porte en plus, dehors il neige alors que c’est l’été…
— Hallucination : pour toutes ces raisons, la querelle est vive quant à l’objectivité ou à la subjectivité de l’expérience. Pour la médecine, l’expérience se résume à une « hallucination », c’est-à-dire qu’il n’est pas tenu compte de son contenu et du sens profond qu’elle a pour le sujet.
— Inconscient : depuis quelques années, les travaux et réflexions « alternatifs » tentent néanmoins d’aller un peu plus loin. Le contexte inducteur de l’EMI, qui la caractérise, est la proximité de la mort du corps physique. Il est certain que l’Inconscient est en jeu. Mais quel est-il ?
— Mystique : certains psychiatres proposent plusieurs « niveaux » à cet inconscient : un premier niveau « jungien », un inconscient collectif chargé de symboles, le second « freudien » à savoir le refoulé avec sa cohorte de complexes ou de lapsus ; puis des niveaux « mystiques », jusqu’à l’Immanent Absolu.
— Perception extra-sensorielle : plusieurs témoignages rapportent des cas d’acquisition d’information par des voies non conventionnelles. Outre la sortie du corps, elle-même, qui permet de voir et entendre des éléments qui se passent dans la même pièce, « ce qui observe » peut se déplacer dans des pièces voisines, ou très loin, y compris faire un voyage « intersidérale ». Il lui est possible de lire les pensées ou ressentir les émotions, et avoir des visions du passé ou du futur.
— Lumière : elle est décrite comme plus puissante que mille soleils, mais non aveuglante. Des sons peuvent également accompagner l’EMI, décrits comme cristallins, d’une grande beauté (« musique du sidh »).
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— Êtres de lumière : les « entités » perçues sont personnifiées ou non. Ce sont souvent des « êtres de lumière », visibles ou non, c’est-à-dire qu’ils sont plus une « présence » qu’une forme, c’est la lumière elle-même qui s’exprime. Ainsi que l’on fait remarquer plusieurs auteurs à propos des apparitions, un sujet voit ce que sa culture lui enseigne comme pouvant être vu, en un lieu et à un moment donné. Jésus sur sa croix, la Vouivre près de tel étang, la Vierge dans une église à la fête de l’Assomption, la Dame Blanche au bord d’une route, un ange dans les cieux, etc. Le mythe fournit dans la vie sociale une grille de lecture, de décodage des événements, de la même façon qu’en science, un paradigme scientifique, ou l’ensemble des théories implicitement admises culturellement oriente l’observation des faits. La communication est toujours de type télépathique. Mais la tradition druidique connaît aussi des êtres de ténèbres beaucoup plus effrayants que l’apaisante Épona ou que le lumineux Belenos Barinthus Manannan.
— Retour : la décision est prise ou suggérée, voire « imposée » par le ou les guides. Le sujet pense par exemple à ses enfants, sa famille. Il a le sentiment d’une tâche à réaliser, mais pas nécessairement de devoir témoigner de ce vécu immanent transcendant.
— Personnalité : l’expérience s’accompagne d’un changement de la vision du monde, dans le sens d’un abandon des valeurs matérialistes, l’argent, la réussite, et ainsi de suite. Beaucoup d’entre eux peinent en réalité à retrouver un équilibre « ici-bas ». Leur vécu se trouve tellement décalé des « valeurs » qui font notre quotidien qu’on peut le comprendre aisément. La relation au divin (« religion ») est modifiée dans le sens d’une tendance à rejeter les dogmes.
— Souvenirs : le souvenir de l’expérience reste vivace, mais la compréhension de son sens, qui semblait pourtant évidente, s’estompe. La conscience semble « étriquée » à son retour dans le corps.
— EMI négative : elle constitue un cauchemar, un traumatisme. Elle est le pendant négatif de l’EMI positive en matière de contenu « immanent transcendant » : entités maléfiques, terreur, noir absolu, etc. Elle est cependant plus rare que l’EMI positive.
— Mort : la sensation de paix ainsi que de bien-être est contradictoire avec l’impression, voire la certitude, d’être mort. L’absence de sensation d’écoulement du temps et l’impression d’être immatériel, partout dans l’espace, brisent les repères de perception habituels. Pourtant, le sentiment est que ce type d’environnement est familier.
Le vocable « mort » a un contenu très complexe. Il implique des représentations culturelles, l’expression psychologique de la peur de l’inconnu, des attentes religieuses, une zone limite d’expérience qui inquiète et fascine, une représentation de la fin de l’existence.
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LE BARDO THODOL OU LIVRE DES MORTS IRLANDAIS (ECHTRA IMRAM ET VISIONS…)
Mais il est préférable, comme dans le cas du livre des morts égyptien, d’en parler au pluriel.
Il s’agit de trois genres littéraires distincts, la fis ou vision, l’echtra et l’imram. Seule la fis ou vision est clairement le produit d’une expérience de mort imminente, mais il a été récupéré par le christianisme. L’echtra s’attarde peu sur les rencontres faites durant le voyage, par contre c’est plus le cas des navigations ou imrama. On y rencontre Belenos/Barinthus/Manannan et des dauphins, la licorne Niamh/Epona, etc. qui sont toutes des divinités psychopompes ou apaisantes diraient nos amis bouddhistes tibétains. Les imrama ou navigations christianisées semblent par contre insister beaucoup plus sur les rencontres désagréables, voire effrayantes (le diable et ses démons ou les divinités de la guerre celtiques qui se cachent sous ce nom ?) La réflexion druidique a subdivisé cet au-delà en plusieurs domaines.
Le héros navigateur irlandais effectue un voyage vers des lieux qui sont situés à proximité du monde des morts, mais qui ne sont pas du royaume des Morts.
Autant dire alors que cet au-delà druidique appartient aux hommes comme une extension de leur activité ou une suite normale de la réalité.
Examinons donc tout cela ensemble maintenant.
Un des thèmes essentiels de la théologie druidique, logique vu sa croyance en la survie de l’âme/esprit après la mort, est celui du voyage dans l’au-delà. Dans la théologie druidique, les expériences critiques sont en effet toujours celles qui impliquent l’au-delà.
Environ 30 % des personnes qui ont frôlé la mort, soit par accident, soit par maladie, en rapportent un récit d’Expérience de Mort Imminente. Mais l’expérience peut survenir aussi simplement par peur de la mort, par exemple avant un accident qui semble inéluctable. Le sujet peut penser qu’il est mort, mais comme il revient pour le raconter, la médecine considère qu’il n’a pas été réellement mort, même s’il a traversé un état de mort clinique et/ou cérébrale. En conséquence, on ne saurait parler véritablement de mort, et l’on utilise pour ça, ainsi que nous l’avons vu, la notion de « mort imminente ».
L’accès à un monde idéal (xvarnah en avestique bellissamos/bellissama en celte) paraît bien être l’originalité de tous ces textes. Les œuvres non celtiques traitant du même sujet ne sont pas marquées par cette confiance en la possibilité d’accéder à un lieu idyllique.
Le sujet entreprend un tel voyage généralement suite à l’invitation ou à la demande d’une créature de l’autre monde. Les merveilles, les richesses, les femmes et les serviteurs de cet autre monde, y sont sans doute un reflet de nos désirs frustrés par les divers manques de notre vie d’ici-bas (c’est du renoncement bouddhiste, mais à l’envers).
Les textes qui suivent sont extraits d’une longue étude de Guy Vincent, des Éditions Carâcara. www. utqueant. org. consacrée au principe d’errance, ou à l’abandon à la Providence, voire à Dieu, car cela nous semble bien être l’ultime écho de l’importance que les druides antiques accordaient au Hasard ou au Destin.
Accessible par accident ou surprenant le héros, un tel lieu est, dans la culture druidique, rendu accessible à des humains encore en vie et posé comme réel. Une nette impression d’optimisme s’en dégage.
« L’echtra » est caractérisé par une invite des dieu-ou-démons auprès d’un héros appelé à visiter l’autre monde.
Dans les récits de type echtra, le voyage réel, spatial, est secondaire, dans les récits de type imram, typiques du druidisme insulaire, il prend au contraire plus d’importance.
Le voyage vraiment géographique et dans l’espace est un élément secondaire de l’echtra, pas une condition sine qua non comme dans un imram.
Dans un « imram », le héros s’aventure de son propre chef en mer, et dérive vers l’au-delà contre son gré.
Mais d’autres critères peuvent aussi intervenir (but, motivation), et rendre incertaine la classification d’un texte pouvant très bien relever à la fois de « l’echtra » ou de « l’imram » (exemple : la Navigation de Bran).
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Voici les deux grands principes que l’on peut à des degrés divers retrouver à l’œuvre dans les imrama du druidisme insulaire
— L’errance : une errance dont la durée s’avère primordiale et constitutive du récit de type imram.
Cette notion d’errance n’est pas sans rappeler, de par son caractère ambivalent, le concept indien de « non-action ». Cet acte de renoncement et de détachement qui veut que l’on se libère des avantages produits par les actes, mais dont toute assimilation à l’inaction serait fausse. Le héros de l’errance se laisse conduire puisque les conséquences d’un acte échappent toujours à l’homme, comme s’il renonçait à la vaine recherche d’une maîtrise des effets. Mais cela ne l’empêche nullement d’accomplir son entreprise, de poursuivre son chemin en fonction de règles de conduite des plus exigeantes (Guy Vincent. Éditions Carâcara. www. utqueant. org). Une éthique de type kission pourrions-nous dire en vieux celtique.
— Le surnaturel.
Le récit de type imram est le lien ou « continuum » nécessaire à des fragments isolés, qu’il rassemble selon un idéalisme et une confiance dans l’issue du voyage, souvent notés par les spécialistes de la littérature irlandaise. Les périples irlandais en mer vers l’ultime, montrent une tendresse et une sérénité typiques, un sens du bonheur accessible, une espérance profonde, qui échappent aux autres récits de ce type.
Les différentes étapes ou îles de ces imrama sont aussi à voir comme autant de stades d’un processus psychique un peu semblable au Livre des Morts tibétains. On peut visiter certaines de ces îles, on peut y débarquer, mais il y en a d’autres qu’il vaut mieux soigneusement éviter, pour le salut de notre âme. Ces récits seraient donc destinés à enseigner aux plus clairvoyants ce qu’ils rencontreront une fois morts, et comment guider leur âme/esprit selon les périls et les merveilles. Puisque les différentes îles ou terres sont vouées à des principes abstraits, telle l’île de la Joie ou de la Tristesse, ou à certaines catégories de personnes bien particulières.
Dit autrement, il s’agit d’un autre monde paradisiaque différencié suivant les catégories d’individus, et cela sans doute est l’ultime écho d’une très ancienne conception druidique commune de l’au-delà, datant d’avant la séparation entre druidisme insulaire et druidisme continental.
Le Judaïsme antique ne faisait pas autant de distinction, pour la bonne et simple raison qu’il n’abordait guère le sujet.
Ces immrama sont peut-être les fragments déformés d’un antique « Livre des morts » druidiques insulaire, non écrit, puisque les druides insulaires antiques se méfiaient aussi, comme de la peste, du respect de la lettre d’un texte, et non de son esprit. L’ultime écho d’une sorte de guide insulaire de la bonne mort, destiné à détourner l’âme/esprit des écueils sur lesquels, par malchance, elle pourrait sombrer.
Cinq imrama nous ont été légués par le Moyen-âge.
Le Voyage de Maël-Duin, la Navigation de saint Brendan, le Voyage des Hui Corra, le Voyage de Snegdus et de Riagla, la Navigation de Bran fils de Fébal.
La Navigation de Bran est un texte, encore très païen, qui traite d’une aventure maritime alors que, dans les autres voyages vers l’au-delà ou « echtrai », le héros atteint directement le palais de verre (où l’attend la femme fée) dont l’emplacement correspond à une île ou à l’intérieur d’une colline. Il n’empêche que la navigation en soi, occupe une place réduite dans l’œuvre (environ un tiers), ce qui explique que l’on ait pu hésiter entre « imrama » ou « echtrai » lorsqu’il fut question de classer le récit de Bran.
Tout commence, avant même qu’il y ait embarquement. Par un éloignement et un désintérêt du monde immédiat, qui saisissent Bran après qu’il a écouté le chant d’une femme venue de l’Autre Monde, pour lui en vanter les beautés ainsi que l’attrait. Bran a compris que ce chant s’adressait à lui, et qu’il était l’élu de cette femme entrée dans le palais de son roi, sans que personne ne l’ait vue arriver. Son chant célèbre une île lointaine appelée « Terre des femmes », au milieu d’un Océan devenu prairie où courent les chars. Une île soutenue par des piliers de bronze blanc, où il fait bon vivre à l’abri de toute maladie.
La description qui en est faite, multiplie les épithètes de couleur (une brume entoure l’île d’un voile enchanteur) et souligne le bonheur qui règne en ce lieu. Mais outre l’appel lancé à Bran afin qu’il rejoigne cette terre, quelques vers, ajoutés par les moines copistes rapportant cette légende,
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annoncent la venue du Christ. Qui apportera aux hommes les mêmes joies que celles qui sont réservées aux habitants de la Terre des femmes.
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N.D.L.R. Un tel phénomène est fréquent dans nos documents. Les premiers chrétiens ayant couché par écrit ces antiques récits ont soit supprimé, soit ajouté, beaucoup de choses, quitte à les rendre parfois complètement incohérents.
Les propos attribués au dieu-ou-démon Belenos Manannan, connu également sous le nom de Barinthus, et annonçant la venue du Christ, en sont la parfaite illustration.
Le chercheur se doit donc de retrouver l’état initial de ces textes avant leur mutilation par les copistes chrétiens.
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Bran parti avec trois neuvaines d’hommes, croise, sans avoir abordé d’île, Belenos Manannan, sur un char. Ancien Dieu-ou-démon de l’Autre Monde devenu héros, qui en sens inverse de Bran, va en Irlande afin d’avoir d’une femme un fils dont les exploits seront grands. La navigation est interrompue par les strophes chantées au cours de cette rencontre, apparemment fortuite, et dont le seul intérêt réside dans la différence d’appréciation du monde qui entoure Bran et Belenos Manannan.
Pour ce dernier, l’Océan est une prairie fleurie où tout est lumineux et immortel, et la barque de Bran navigue sur le sommet des arbres. Belenos Manannan, enfin, annonce à son tour la venue du Christ pour renouveler le monde perverti par la chute, laquelle paraît avoir épargné les îles de l’au-delà.
Ces vers sont de facture chrétienne et s’imbriquent curieusement dans le texte puisqu’ils figurent entre la description des îles merveilleuses et la nécessité pour Belenos Manannan d’aller en Irlande en vue d’avoir un fils. Dont on ne sait s’il préfigure le Christ ou s’il annonce la fin des croyances en la réincarnation. Cet enfant ne doit-il pas prendre l’aspect d’un cerf, d’un chien, d’un saumon ? À moins de retrancher ce passage d’inspiration chrétienne, le respect de l’œuvre impose de reconnaître ce manque de logique caractéristique de certaines navigations, cette capacité de concilier le contradictoire ou d’associer les éléments sans chercher à les détruire. La juxtaposition brise l’ordre et laisse en évidence une incomplétude qu’il faut préserver (puisqu’un auteur a conçu cette étrange union de strophes non disparates, mais orientées vers plusieurs manifestations du divin).
Après avoir continué sa route, il arrive près de l’île de la Joie où tous les habitants sont pris d’un rire continu, oublieux de tout souci. Un des compagnons de Bran, descendu sur l’île, ne peut plus revenir, mais demeure à rire sur place. Dans les autres imrama, certaines personnes se perdaient dans l’au-delà ; ici, la frayeur est absente et aucune tristesse ne naît de la perte de ce compagnon, comme si la Navigation de Bran visait une égalité d’humeur qui ignore tout épisode dramatique romanesque. Enfin, Bran arrive sur l’île des Femmes où une reine l’attire au moyen d’une pelote de fil qui se colle à la paume de notre héros. On ne note donc aucune errance réelle dans cette aventure, mais la dernière anecdote change complètement la donne : un des compagnons de Bran, pris de nostalgie pour sa terre natale, convainc l’expédition de revenir en Irlande ; la femme-fée les prévient de ne pas toucher terre ; Nechtan qui désirait tant revenir, passe outre à cette recommandation, et sitôt au sol, tombe en cendres, emporté par les flots. L’errance a donc bien eu lieu, mais à un niveau temporel et non spatial. Le temps a passé sans que Bran le sache et après qu’il eut raconté son aventure aux hommes, « il leur dit adieu et l’on ne sait où il est allé à partir de ce moment-là ». L’impression que nous en retirons est bien que l’errance commence alors spatialement, après avoir été subie temporellement. C’est le premier texte qui nous offre une telle disjonction et une telle fin.
Ailleurs, dans d’autres navigations, le temps perd de sa substance régulière et mathématique, indifférent aux espaces traversés dont il ne mesure plus les distances qui les séparent. Devenu expression d’événements spirituels qui le rythment en durées longues ou brèves, à la manière du vers antique, il servait cependant à délimiter la succession de lieux atteints, de passages difficiles, d’attentes en des lieux indéterminés. La Navigation de Bran, par cette dissociation, déjoue les codes habituels de description, et fait mieux ressortir l’originalité d’œuvres qui possèdent des tendances similaires. Elle nous conduit à ce résultat que le Temps est envisagé comme ayant cette même structure irrégulière que l’espace où ont lieu ces aventures : mêmes absences, mêmes points de passage, mêmes superpositions, même richesse d’aspects ou de substance.
La Navigation de Maël-Duin, récit étoffé tant par ses anecdotes que par l’expression donnée aux sentiments, n’en est pas moins délicate à cerner en fonction de nos deux principes ; parce que l’élément romanesque prime et nuit à l’élaboration du mythe. Le héros, Maël-Duin, est élevé par une reine qu’il croit être sa mère jusqu’au jour où, pour le blesser, il lui est dit que sa vraie mère est une
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religieuse ; qui fut violée par un guerrier, son père, lequel mourut à son tour sous les coups des pirates. Rien ne peut mieux rapprocher la situation de Maël-Duin de celle si classique d’un Œdipe (né aussi d’une liaison interdite), ou de Télémaque (parti à la recherche d’un père disparu et voyant sa mère courtisée honteusement) ; situation qui oblige ces deux héros à partir, à trouver une justification à leur existence, ou à récupérer richesse et pouvoir (éléments fondamentaux de tout roman).
Maël-Duin entreprend donc de partir venger la mort de son père afin de bien assumer sa filiation. Commence alors son voyage où les phénomènes naturels sont agrandis et modifiés parmi toutes ces îles étranges que notre héros visite. Un critique a même pu prétendre avec assez de justesse que les délices paradisiaques situés en un seul endroit sont dans le Voyage de Maël-Duin répartis entre plusieurs îles et en autant d’aspects merveilleux (fruits, couleurs, fontaines, pierres précieuses, femmes splendides). Pour d’autres, ces étapes sont à considérer comme un processus psychique (semblable à ceux du Livre des Morts tibétain) où il est enseigné à l’initié, ce qu’il rencontrera une fois mort, et comment guider son âme/esprit selon les périls et les merveilles. Puisque, ainsi que nous l’avons vu, les différentes îles sont divisées en principes abstraits, telle l’île de la Joie ou de la Tristesse, en formes géométriques, en éléments ou en catégorie de personnes.
Lors de l’embarquement, les trois frères de lait de Maël-Duin se joignent à lui, déclenchant ainsi une terrible fatalité sur tout le groupe ; condamné à une fausse errance puisqu’elle est le prétexte à conter les prodiges vus sur l’Océan ; et sur eux-mêmes. Ils ne pourront revenir en Irlande, mais demeureront sur les îles qui correspondent à leur destinée (l’un sera attaqué par un chat et réduit en cendres ; le deuxième restera sur l’île des pleureurs ; le dernier sur l’île des rieurs). Leur perte provoque une inquiétude ou une interrogation, vu que rien ne nous permet de savoir ce qui leur vaut un tel destin.
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N.D.L.R. S’il ne s’agit pas d’une sorte de Bardo Thödol irlandais, il peut s’agir alors d’une réminiscence de l’antique principe druidique commun voulant que l’autre monde paradisiaque attendant les âme/esprits après la mort soit différencié ; ou nullement uniforme. L’évocation incohérente d’une île des pleureurs ou de tout autre tragique destin de ce genre serait par contre due à l’influence du judéo-christianisme, car ; bien que différenciés suivant les fonctions sociales (prêtres, guerriers, producteurs, etc.) l’autre monde druidique est toujours heureux et positif ; à la différence de celui des islamo-chrétiens ; puisque l’enfer n’y existe pas !
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Si deux de nos principes (errance, incomplétude logico-imaginative) sont médiocrement représentés, le troisième l’est nettement mieux. En raison de cette obligation pour notre héros de voir à portée de main les meurtriers de son père se vanter dans leur ivresse de leur crime ; et d’être dans l’incapacité de les atteindre puisque les vents le poussent au large, loin de l’île où se tiennent ces coupables impunis. Plus rien ne rappellera le monde quotidien des hommes au cours du voyage. Si ce n’est l’épisode où Maël-Duin et ses compagnons sont retenus par des femmes et ne peuvent s’en aller qu’en rompant le fil magique qui s’attache à la main d’un des leurs, pour les tirer au port. Là, en effet, l’envie de rentrer chez eux est manifestement exprimée, montrant donc ainsi que la Navigation de Maël-Duin ne voit dans ces merveilles de l’au-delà qu’un reflet de la réalité, dont la saveur est supérieure.
La Navigation de saint Brendan.
Navigation écrite cette fois-ci en latin, et dont la diffusion sera non plus seulement irlandaise, mais européenne. La date de rédaction varie entre le VIIe et le Xe siècle sans que l’on sache qui en fut l’auteur. Il y a de fortes chances qu’il ait été Irlandais, en raison de son latin teinté de tournures propres à cette île, ni en quel lieu d’Europe le texte fut écrit. Outre de très nombreuses traductions et adaptations en langues vernaculaires à partir de ce texte, on n’est pas sûr qu’il soit premier. Il se peut en effet qu’une Vie du saint l’ait précédé de quelques décennies, et l’ait fait appartenir au genre si répandu au Moyen-âge que l’on appelle l’hagiographie. Mais l’inverse est aussi vraisemblable, à savoir que le succès de la Navigation a engendré à son tour l’envie de rendre le texte plus conforme aux exigences littéraires de l’époque en l’intégrant dans le cadre habituel des vies de saints.
Ces différentes questions, auxquelles il faudrait ajouter l’étude des sources et des influences, ont longtemps passionné les critiques.
Saint Brendan, fils de Finloch, petit-fils d’Altus, de la lignée d’Éogène, était natif de la région marécageuse du Munster. C’était un homme d’une grande abstinence et célèbre pour ses vertus, père spirituel de trois mille moines environ. Comme il était en son lieu de combat (spirituel), habituel, un lieu
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appelé depuis « lande des vertus de Brendan » (« saltus virtutum » ou Cluain Ferta-Clonfert), il arriva qu’un soir vînt à lui un des pères, du nom de Barinthus, de la lignée du roi Niall. Et comme il était interrogé sur de nombreuses choses par le saint père, il se mit à pleurer, à se prosterner aussi, et à demeurer plongé dans les prières. Saint Brendan le releva de terre et l’embrassa en lui demandant : « Père, pourquoi tant de tristesse pour ton arrivée ? N’est-ce pas pour nous consoler que tu viens ? Manifeste au contraire ta joie de revoir tes frères ! Indique-nous la parole de Dieu et réconforte nos âmes en nous racontant les très nombreux miracles que tu as vus sur l’Océan ! » Saint Barinthus commença donc à leur parler en ces termes d’une île mystérieuse.
« Mon filleul Merno, intendant des pauvres du Christ, me quitta un jour pour vivre en ermite. Et il découvrit pour cela une île située près d’une montagne de pierre – méritant le nom d’île des délices –. Bien des années après, on m’annonça qu’il avait de nombreux moines avec lui, et que Dieu manifestait par lui de nombreux miracles. Je décidai donc de lui rendre visite. Et comme je n’en étais plus très loin, au bout de trois jours de voyage, il se hâta de venir à ma rencontre avec ses frères, car le Seigneur lui avait annoncé mon arrivée. Alors que nous approchions de son île à bord de notre embarcation, les frères restés à terre accoururent à notre rencontre en sortant de leurs cellules comme un essaim d’abeilles. Leurs habitations étaient en effet dispersées un peu partout. Et pourtant régnait toujours chez eux l’unité la plus complète, dans l’espoir, la foi et la charité, grâce à l’existence d’un réfectoire unique. Ils se nourrissaient de pommes, de noix, de racines, et de toutes sortes de légumes. Après la dernière prière de la journée, chacun regagne sa cellule et y demeure, jusqu’au chant du coq ou au son de la cloche. Après y avoir passé la nuit et visité l’île, mon filleul me conduisit sur le rivage, face à l’occident, où se trouvait une embarcation. Et il me dit : Père, montez à bord et mettons cap à l’ouest, vers l’île appelée Terre Promise aux Saints, que Dieu va bientôt donner à nos successeurs.
Mais juste après avoir commencé notre navigation, nous fûmes recouverts d’une brume si épaisse que c’est à peine si nous pouvions encore apercevoir la poupe ou la proue de l’embarcation. Au bout d’environ une heure à peu près, s’étendit autour de nous une immense lumière, et une terre spacieuse, herbeuse, porteuse de pommes en abondance, apparut. Comme le navire avait touché terre, nous accostâmes et commençâmes à parcourir cette île durant quinze jours, du moins d’après ce que nous pensions, sans pouvoir en découvrir l’extrémité. Nous ne vîmes point d’herbe si ce n’est des fleurs, et point d’arbres sans fruit. Toutes les pierres de cette île étaient des pierres précieuses. Le quinzième jour, nous aperçûmes un fleuve serpentant vers le Couchant. Nous restâmes là un instant sans savoir que faire, puis nous prîmes la résolution de traverser. Mais nous attendions un avis de Dieu pour cela. Après que nous en eûmes ainsi délibéré apparut soudain devant nous un homme d’une merveilleuse splendeur. Il nous appela aussitôt par nos propres noms et nous salua en disant : Quelle merveille, mes valeureux frères ! Le Seigneur vous a révélé la terre qu’il va donner à ses saints. Ce fleuve coule en son milieu. Mais il ne vous est pas permis d’aller au-delà. Retournez donc d’où vous êtes venus…
Dès qu’il eut fin de parler, je l’interrogeai aussitôt sur son origine et sur son nom et il répondit : Pourquoi me demandes-tu d’où je suis et quel nom je porte, mais rien concernant cette île ?
Telle que tu la vois maintenant, telle elle fut depuis l’origine du monde. As-tu besoin de nourriture, de boisson, ou de vêtements ? Non ! Or tu es ici depuis un an ! Et jamais tu n’as eu besoin de sommeil. La nuit ne t’a jamais recouvert de ses ténèbres, car le jour y est perpétuel. Notre Seigneur Jésus Christ est la lumière de cette terre.
Nous fîmes route ensemble jusqu’au rivage où était notre embarcation, mais l’homme disparut dès que nous fûmes montés à bord. Et toujours enveloppés de la même brume si épaisse, nous mîmes le cap sur l’île des Délices. Dès que les frères nous virent, ils se réjouirent grandement de notre retour, et déplorèrent notre absence qui avait duré une année, en disant : « Pourquoi donc, pères, avez-vous laissé si longtemps vos brebis sans pasteur ? Nous étions habitués seulement à ce que notre abbé se retire de cette île pour une semaine ou deux, voire un peu plus ou un peu moins. Mais jamais pour une année entière ! »
J’entrepris alors de les réconforter en leur disant : « Mes frères, ne pensez à rien qui ne soit du bien. Votre île est aux portes du Paradis. Non loin se trouve l’île appelée Terre promise aux saints, la nuit n’y descend jamais, le jour y est infini ! C’est là-bas que votre abbé se rend si souvent. Un ange du Seigneur veille sur elle. Ne sentez-vous point à l’odeur qui imprègne nos vêtements que nous revenons du Paradis ? »
Alors les frères de répondre : « Père, nous savons bien que votre retraite au Paradis se trouve au large de cette île, mais son lieu exact nous est inconnu. Néanmoins, il est vrai que nous avons souvent eu l’occasion de constater qu’une odeur suave s’exhalait des vêtements de notre abbé à son retour au bout de quarante jours ».
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Je suis encore resté avec mon filleul deux semaines entières sans manger ni boire : nous avions eu tant pour la satiété de nos corps que nous paraissions comme ivres d’un vin nouveau.
Mais au bout de quarante jours, après avoir reçu la bénédiction des frères et de l’abbé, je suis revenu avec mes compagnons ».
Rien ne pouvait donc autant émouvoir saint Brendan, qui, avec quatorze compagnons et trois moines venus s’embarquer au dernier moment, fera voile vers cette terre promise aux saints. Le voyage durera sept ans.
Avant d’y accéder, les îles rencontrées seront souvent les mêmes d’une année sur l’autre, tant le récit n’hésite guère à répéter ou à redire ces épisodes essentiels. Au lieu d’un incessant déroulement d’anecdotes variées, s’imposera donc une monotonie volontaire, qui va contre tout fantasme imaginatif. De même, en ce qui concerne la logique. La Navigation de saint Brendan, par le biais d’une alternance entre phénomènes possibles et réels, et phénomènes rêvés, multiplie les inconséquences ; ce qui, pendant longtemps, eut pour résultat un mépris de cette œuvre injustifié.
Les trois compagnons supplémentaires sont laissés sur les îles sans que l’on puisse dire exactement si une fatalité heureuse ou bien méritée pèse sur eux ; le nombre de quatorze moines se réduit à douze à certains moments (de partage de nourriture) ; la succession des aventures n’est pas construite à la manière d’une progression ou selon un sens étudié soigneusement, et ainsi de suite. Maints exemples abondent de ce retrait volontaire par rapport aux possibilités de l’imagination ou de la raison. Même les merveilles vues en mer, ces « Magnalia Dei » comme il est dit ; c’est-à-dire un énorme poisson sur lequel le navire accoste comme s’il s’agissait d’une île (une baleine ?), ou cet arbre couvert d’anges-oiseaux doués de la parole ; ou cette colonne de cristal semblable à un axe du monde et entourée d’un filet qui descend dans l’Océan ; ne subissent aucune emphase descriptive, aucune envolée poétique, qui mettrait en valeur formes, couleurs, ou matières précieuses.
Saint Brendan découvre aussi très vite que sa navigation ne saurait avoir une direction humaine précise, et qu’elle n’est qu’une dérive infinie, accompagnée de lassitude, de répétitions, d’interdits qui retardent sans cesse l’échéance. Avec constance et confiance, il supporte d’être le jouet d’événements qui, à première vue, sont inutiles, mais, en fait, le renforcent dans sa conviction de la grandeur divine, et endure faim et soif. Moins persuadé d’avancer ou de connaître des étapes initiatiques, qu’attentif à l’heure où la Grâce Divine décidera de lui révéler enfin la Terre promise aux saints. Jamais le principe d’errance ne sera aussi nettement exprimé, puisque l’abandon du gouvernail à Dieu n’est pas le prétexte à une navigation reposante, bien menée, à l’abri des incertitudes et des dangers.
Saint Brendan accepte de dériver de manière positive, afin de connaître des états émotifs plus forts, ne serait-ce que l’humilité qui place le regard en contrebas. Le coracle, dans lequel il navigue, est une embarcation en peau, peu élevée par rapport au niveau des flots. L’idée d’une errance qui aurait des effets constructifs et serait nécessaire, sans que l’on y voie une fuite, un relâchement ou une commodité, apparaît très importante, bien que difficile à cerner si nous la situons entre l’insouciance et la fatalité. Le héros peut être la victime impuissante d’un destin qui s’acharne sur lui (en quoi, dans ce cas, son errance serait-elle valorisée ?). Mais il peut également souhaiter s’en remettre à sa bonne étoile, par paresse (en quoi une telle errance serait-elle alors positive et digne d’être louée ?).
C’est pourquoi, l’errance de saint Brendan qui ne se fonde ni sur l’un ou l’autre cas, mérite attention.
Le saint doit obéir, mais il doit également agir, s’inquiéter, prier. Curieuse position où l’errance subie est quand même à diriger comme si une logique des contraires simultanés ou conciliés s’avérait possible, et définie. À un degré moindre, les autres héros des précédentes navigations en donnaient l’illustration.
Composant avec les accidents qui surviennent, notre navigateur maintient le cap de la pensée vers l’ultime, par-delà ce qui heurte, traverse ou détourne sa route. Les îles que saint Brendan visite sont désertes, ou habitées par des moines qui ont échappé au vieillissement, et demeurent dans l’attente, tout en étant conscients de cet état exceptionnel. Le mécanisme du temps est, dans cette œuvre d’une grande complexité. Puisque saint Brendan pourra rencontrer des êtres d’une grande antiquité (Judas, l’ermite, Paul, les anges déchus de la création) des moines d’une génération juste antérieure à la sienne (la communauté d’Ailbe) ; voir disparaître trois de ses compagnons ; et obtenir d’un jeune homme habitant la Terre promise aux saints une prophétie quant au devenir de la chrétienté irlandaise (elle sera victime d’invasions dévastatrices *).
D’autres prophéties émaillent d’ailleurs le récit, tout au long de ces sept années, afin de conforter le courage de chacun, mais il serait vain de dégager des durées précises à l’intérieur de ce septennat d’errance.
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* Vu la date du récit, le IXe siècle, on peut évidemment penser à l’islamisation de l’Europe voire du monde, mais il s’agit plus probablement d’une allusion aux Vikings.
Quelques extraits de notre texte maintenant (dans cet imram l’île de la Terre promise aux saints par Dieu est un paradis tiré de la mythologie druidique évidemment : Avallon = pommeraie, et l’île des forgerons représente l’enfer).
Comme tout forgeron Gobannos/Gobann/Goibiniu est certes une déité assez inquiétante et même redoutable (voir son rôle dans la bataille de la plaine des pierres levées ou des tumuli), mais ce n’est pas directement une déité de la guerre et il n’est donc pas certain que la description que Saint Brendan nous livre de sa forge et de ses auxiliaires, est bien tirée, même de façon déformée, très déformée, de la mythologie celtique. C’est tout au plus une hypothèse.
CHAPITRE XXXI. L’ÎLE DES FORGERONS.
Ainsi se laissèrent-ils porter durant huit jours ; puis ils virent une île non loin d’eux, entièrement rouge, rocheuse et pleine de scories, sans arbre ni herbe, couverte d’ateliers de forgerons. Saint Brendan dit à ses frères : « Frères ; cette île m’inspire la plus grande peur ; c’est pourquoi je ne veux pas y aller ou même en approcher. Mais le vent nous y pousse en droite ligne ». Et alors qu’ils passaient devant, à distance d’un jet de pierre, ils entendirent le sifflement des soufflets de forge, semblable aux fracas que produisent tonnerres et maillets de fer. À ces bruits, saint Brendan s’arma du trophée du Seigneur, et se signa tout en disant : « Seigneur Jésus Christ, délivre-nous de cette île ». La prière achevée, un des habitants sortit, comme pour accomplir quelque travail. C’était un géant hirsute et tout noir. Lorsqu’il vit les disciples du Christ passer au large, il revint précipitamment dans son atelier en criant : « Malheur à nous ! Malheur à nous ! Malheur à nous ! Saint Brendan, à nouveau, se prépara au pire en faisant le signe de croix, et dit à ses frères : « Fils, mettez toutes voiles dehors et mettez-vous aussi à ramer ; fuyons cette île le plus vite possible ». Mais le barbare était déjà revenu, il courut dans leur direction vers le rivage, une tenaille dans les mains enserrant une masse en feu tirée d’une roche dont la taille et la chaleur étaient prodigieuses. Il jeta cette masse en feu sur les disciples du Christ. Mais, hélas, en vain pour lui, car ils étaient placés sous la protection du signe de croix. Elle passa bien au-dessus d’eux et retomba plus loin à environ un stade de distance. Quand elle fut en mer, les flots commencèrent à bouillonner, comme si une montagne de feu s’était éboulée là, et une fumée s’éleva comme d’un four en feu. Alors qu’ils s’étaient éloignés d’environ un mille du lieu où la première masse de feu était tombée, tous les habitants de l’île arrivèrent sur le rivage, en portant chacun la leur. Ils les jetaient sur les disciples du Christ à tour de rôle et revenaient ensuite en prendre d’autres à leurs ateliers, qu’ils faisaient sans cesse rougeoyer. L’île tout entière semblait être une gigantesque forge ; et la mer semblait bouillir comme un chaudron plein, plein de viande et bouillonnant après avoir été mis sur le feu. Ils purent entendre le jour durant l’immense hurlement qui montait de cette île, et même quand elle eut disparu à l’horizon, les hurlements de ses habitants continuèrent d’arriver à leurs oreilles, accompagnés d’une immense puanteur.
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N.D.L.R. Certains exégètes du druidisme pensent qu’il s’agissait peut-être de l’île de Jan Mayen en éruption…
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Saint Brendan réconforta ses moines en leur disant : « Soldats du Christ, prenez appui sur la
vraie croyance, et dans ses armes spirituelles, nous sommes aux confins de l’enfer ; c’est pourquoi il nous faut être sur le qui-vive et agir avec courage ».
Le lendemain leur apparut un peu plus au nord, une montagne qui s’élevait au-dessus de l’océan, non loin d’eux, entourée de légers nuages et entièrement couverte de fumée au sommet. Aussitôt après le vent les poussa rapidement vers le rivage de cette nouvelle île, jusqu’à ce que le navire s’arrête à quelques encablures. Car les falaises étaient d’une si grande hauteur que l’on pouvait à peine en voir le sommet. Elles avaient la couleur du charbon et s’élevaient à pic comme un mur. Un des trois frères qui restait parmi ceux qui avaient suivi saint Brendan, descendit du navire et se rendit au pied de la falaise puis se mit à hurler : « Malheur à moi, mon père, je suis perdu et je ne peux plus faire marche arrière ! ». Les frères firent aussitôt demi-tour avec leur navire et s’éloignèrent de cette île le plus vite possible en criant : « Seigneur, aie pitié de nous, Seigneur, aie pitié de nous ».
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Saint Brendan regarda une dernière fois comment leur malheureux compagnon était emmené vers les tourments par cette multitude de démons et comment il brûlait au milieu d’eux atrocement et il s’exclama : « Malheur à toi, mon fils, puisque tu as mérité une telle fin ! »
Et un vent favorable les entraîna vers le sud. Mais alors qu’ils regardaient l’île disparaître peu à peu à l’horizon derrière eux ; ils observèrent qu’il n’y avait plus de voile de fumée autour de sa montagne, mais qu’elle projetait par intermittence des tourbillons de flammes jusqu’au ciel. De sorte qu’elle semblait être comme un immense bûcher dressé en pleine mer.
CHAPITRE XXXVI. LA TERRE PROMISE AUX SAINTS.
Saint Brendan encourageait ses frères en leur disant « ne craignez rien, car vous n’aurez aucun mal, et il va nous être d’une aide précieuse pour achever notre voyage ».
La baleine (Jasconius ?) arriva tout droit jusqu’au rivage de l’île des oiseaux. Là, ils demeurèrent jusqu’à la semaine suivant la Pentecôte. Une fois le temps des solennités passé, l’intendant qui les accompagnait dit à saint Brendan : « Montez à bord et remplissez-les outres d’eau. Car cette fois je serai votre guide et un de vos compagnons. Sans moi, vous ne pourrez pas trouver la Terre Promise aux Saints ».
Et les oiseaux de l’île saluèrent leur départ en chantant d’une seule voix : « Que le Dieu de miséricorde vous accorde de faire bonne route ! ».
Saint Brendan et ses compagnons mirent donc le cap sur l’île de l’intendant, avec lui à bord, et là ils prirent des vivres pour quarante jours. Ils naviguèrent en direction de l’est (sic) en suivant le navire de l’intendant. Au bout de quarante jours, le soir venant, une nuit si noire s’abattit sur eux qu’ils avaient du mal à s’entrevoir les uns les autres.
L’intendant dit alors à saint Brendan : « Savez-vous ce que signifient ces ténèbres ? »
« Non, qu’est-ce que cela veut dire, répondit le saint ? »
« Cette obscurité-là est celle qui entoure l’île que vous recherchez depuis sept ans, nous en sommes donc tout proches ».
Et au bout d’une heure à peine effectivement, une immense clarté les entoura de nouveau. Le navire s’arrêta sur le rivage.
CHAPITRE XXXVII. LE JEUNE HOMME DU FLEUVE.
Une fois descendus à terre, ils découvrirent une prairie merveilleuse, couverte d’arbres croulant littéralement sous les pommes comme à l’automne. Et alors qu’ils parcouraient cette terre, aucune nuit ne tomba sur eux, il n’y avait toujours qu’une douce lumière semblable à la lumière du soleil à midi.
Ils parcoururent ainsi cette terre pendant 40 jours sans en découvrir l’extrémité. Ensuite ils arrivèrent à un grand fleuve dont les méandres sinuaient au milieu de l’île. Alors saint Brendan se tourna vers ses frères et leur dit : « Nous ignorons toujours à quel point cette terre est grande, et il nous est impossible de traverser ce fleuve ».
Mais comme tous au fond d’eux-mêmes brûlaient du désir de le savoir, un jeune homme vint aussitôt à leur rencontre, et les embrassa joyeusement en les appelant chacun par leur nom. Il leur souhaita la bienvenue en leur disant : « Bénis soient ceux qui habitent en ta demeure, Seigneur. Ils chanteront tes louanges durant les siècles des siècles ». Ensuite il dit à saint Brendan : « Ici est la terre que tu recherches depuis longtemps. Tu n’as pas pu la trouver tout de suite parce que Dieu a voulu te révéler avant les merveilles dont il a parsemé cet immense océan. Mais maintenant, retourne vers la terre qui t’a vu naître, mais emporte avec toi des fruits de cette île, ainsi que des pierres précieuses, autant que ton embarcation peut en porter, car ta fin est proche. Dans quelques années cette terre sera de nouveau révélée à vos successeurs, quand surviendra la persécution des chrétiens ».
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N.D.L.R. Personne depuis n’a entendu parler de persécutions antichrétiennes en Europe. Ailleurs dans le monde, au Proche-Orient oui, mais en Europe non ! Seuls les derniers païens de la Baltique (de la Lituanie et de la Pologne) ont été victimes de conversions forcées (opérées par les chevaliers teutoniques). À moins évidemment qu’il ne s’agisse d’une allusion aux guerres de religion qui ont ensanglanté l’Europe au nom du dieu d’amour à partir du XVIe siècle ? Ou à la difficile cohabitation avec l’autre « grande » religion de paix d’amour et de tolérance qu’est l’islam ?
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« Le fleuve que vous voyez divise cette île en deux. De même qu’elle se montre à vous dans toute la maturité de ses fruits, de même, éternellement, aucune ombre mortelle ne s’y est jamais appesantie,
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car le Christ est sa lumière ». Ils prirent alors des fruits de cette terre et toutes sortes de pierres précieuses, puis ils quittèrent l’intendant et le jeune homme, après avoir reçu leur bénédiction. Saint Brendan et ses frères remontèrent à bord de leur embarcation et se mirent à naviguer droit dans l’obscurité. En sortant du brouillard, ils aperçurent l’île des Délices. Et là, pendant trois jours, ils obtinrent de ses moines la plus complète hospitalité ; puis, après avoir reçu de leurs hôtes la bénédiction attendue, saint Brendan revint tout droit chez lui.
CHAPITRE XXXVIII. LE RETOUR DE SAINT BRENDAN : SA MORT.
Ses frères eurent grand plaisir à l’accueillir, et glorifièrent Dieu qui, par amour pour eux, n’avait pas voulu les priver définitivement de la vue d’un saint patron, dont ils avaient été séparés si longtemps du fait de son absence.
Alors le bienheureux saint Brendan, en les remerciant de leur affection, raconta tout ce qui s’était passé : il rappela notamment les nombreux signes prodiges ou miracles, que le Seigneur avait jugé bon de lui montrer tout au long de son voyage.
Il termina ses jours en paix le jour des nones de juillet, sous le règne de notre seigneur Jésus-Christ, dont le royaume et l’empire dureront pour les siècles des siècles. Amen !
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Du voyage de Mael Duin, à la Navigation de saint Brendan, la transposition apparaissait à Zimmer très nette, de même que la christianisation dans d’autres imrama (le voyage de Snedgus et de Mac Riagla). La Navigation de saint Brendan, dans ce cas postérieure à celle de Maelduin (VIIe-VIIIe siècle), serait à situer au XIe siècle, et proviendrait d’une confusion entre deux Brendan.
— Brendan de Birr, dont Mael Duin (chapitre XXX) rencontre au cours de son voyage la communauté monastique sur une île, et dont l’hagiographie irlandaise nous dit qu’il était aveugle. (Vita Sanctae Moduennae : « unus de poetis scotorum praeclarissimus nomine Brenden, vir ab infantia oculis orbus sed in arte poetica inter omnes praecipuus. » Il s’agit bien évidemment du thème homérique du poète aveugle).
— Brendan de Clonfert plus jeune, et qui devint par erreur le héros de cette Navigation.
La théorie de Zimmer, audacieuse en soi, fut vivement contestée d’abord par les partisans d’une identité culturelle celtique plus originale. Thrall, en 1917, remarqua que la plupart des spécialistes en littérature irlandaise avaient accueilli avec malaise les hypothèses de Zimmer. Les reprenant dans le détail, il montra la différence de contexte et d’intention entre l’Énéide et les imrama : d’un côté, un voyage fait involontairement dans le but de s’établir ; de l’autre un voyage voulu pour se venger ; des rencontres d’êtres naturels dans l’Énéide ; des monstruosités ou des merveilles chez Mael Duin. Bien loin que Mael Duin soit une imitation, il faut au contraire lui reconnaître un fond celtique païen. C’était et ce sera d’ailleurs l’avis de Schröder, Kenney, D’Arbois de Jubainville, Plummer, et Selmer, qui admirent comme base à la Navigation, toute une littérature païenne aux règles et thèmes originaux.
Restait à savoir si la Navigation tenait plus de l’imram ou de l’echtra : l’imram préfère intéresser le lecteur par des incidents de voyage, l’echtra met au premier plan but et motif du voyage ; le premier des deux est volontaire ; le second est la réponse à une invitation, etc.
Orlandi a modifié la répartition entre echtrai et imrama, en adoptant les critères précédents.
Zimmer ne tenait compte que du lieu atteint, c’est-à-dire l’Élysée en mer, ou le palais creusé dans une colline, et classait le voyage de Bran dans la catégorie des imrama, ce que contesta Orlandi. Mais ces critères appliqués à la Navigation, la font appartenir aux deux genres. La Navigation commence, par exemple, par le récit de Barintus (de même que Bran reçoit la visite d’une femme apparemment surgie d’une branche d’argent). Barinthus est un messager de l’Autre Monde ; un dieu-ou-démon de la mer qui, dans la Vie de Saint David (VIIIe-IXe siècle) voyage sur un cheval de mer et rencontre saint Brendan sur le dos d’une baleine en pleine mer. Il est semblable à Manannan, autre dieu-ou-démon marin des Irlandais, mais il sera transformé en saint et rationalisé en pilote de navire (dans la Vie de Merlin) par Geoffroy de Monmouth (il est à la barre du navire d’Artus en route vers les îles Fortunées). Son nom selon Zimmer, signifie « écume blanche », et comme le remarque Brown : « le messager de l’Autre Monde suggère au héros un voyage dans de nombreux contes celtiques », dans ce cas la Navigation s’apparente à l’echtra.
La Terre promise aux saints – but du voyage de Brendan – tirerait son origine de l’Élysée celtique la « tir-tairngiri » ou terre de promesse, « tir na nOg » terre des Jeunes ; domaine de la Vie après la mort, où règne le dieu-ou-démon Manannan aux nombreuses. La nourriture y est abondante grâce à des aliments miraculeux conservés dans un chaudron. Dans la Navigation, saint Brendan devant la colonne de cristal ; (la Visio Tnugdali ou la Visio d’Adamnan – VIIe siècle – présentent avec cet épisode de la Navigation d’étranges similitudes, lorsqu’elles nous décrivent la Cité Céleste entourée
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de murailles d’or et d’argent) ; trouve un calice massif qui les libère de tout besoin de nourriture ou de boisson. Sur la Terre promise aux saints, il perd la notion du temps ; de même que Bran rentrant au pays ne peut quitter son navire, de peur de tomber en cendres, tant les siècles ont passé, sans qu’il s’en rende compte, depuis son départ. En ce cas aussi, la Navigation appartient au genre littéraire de l’echtra. Le nom d’Île des délices, par ailleurs, traduit le gaélique Inis subai – Île de la joie, ou Inis cain – Île féerique.
Les îles abordées – qui forment la trame du récit – sont souvent des « insulae pomorum » – îles aux pommes, tant dans les imrama que dans la Navigation. Selon Ferdinand Lot, il s’agirait d’une fausse étymologie populaire du mot « Avallon » venant du mot gallois « afalon » signifiant « pomme » ; or Avallon est le domaine du dieu-ou-démon Avalloc, dieu-ou-démon de la mort, habitant l’île de verre (Iniswitrin) autre nom du monde des morts et de l’au-delà (cf. Cormac, Condla) et qui deviendra le château des Pucelles chez Chrétien de Troyes.
Mme Bullock-Davies propose toutefois l’étymologie suivante : « ynis » = prairie près d’une rivière ou une île, « ava ou aub » = rivière, ce qui ferait d’Avallon l’île ou la prairie de la « rivière ». À ces racines galloises, discutées, il faut ajouter la possibilité d’une origine irlandaise de l’insula pomorum, car selon Chotzen, la pomme est un symbole de l’autre monde, de la santé retrouvée, de l’immortalité, dans les textes irlandais. Or Manannan a épousé Morgan la fille d’Avalloch, et habite avec elle Avallon. Barintus est un avatar de Manannan, rappelons-le, et dans ce cas, il conduirait donc saint Brendan vers le royaume des Morts. Les îles visitées par saint Brendan sont donc à rapprocher de l’au-delà celtique, propre aux imrama.
— Sur ces « îles aux pommes », l’eau des sources est vénérée parce qu’associée à la science et à la vérité, comme le montrent les légendes irlandaises. En outre le mot irlandais « fir » signifiant « serment, vérité » (reconnaissable dans le « saltus virtutum » ou Cluain Ferta – Clonfert de la Navigation) est à rapprocher de la racine indo-européenne * Wer « lier » ; qu’illustre le dieu-ou-démon indien Varouna habitant les eaux du ciel et de la terre.
D’autres concordances s’observent entre la Navigation et les imrama : le Château vide où l’on est servi mystérieusement, les âme/esprits devenues des oiseaux, les trois compagnons supplémentaires, etc. Chez les Celtes l’Enfer est glacé : c’est un cloaque marécageux où le froid coexiste avec le feu. Or la Navigation décrit côte à côte la mer transparente et l’île des forgerons (l’une étant glacée, l’autre étant une fournaise) ; tout comme le font le Voyage de Mael Duin (chapitres XI et XII) ainsi que la Vision de Tondale (Visio Tnugdali : un étang glacé succède à la forge du démon nommé Vulcain).
Il en ressort l’impossibilité de classer la Navigation dans un genre plutôt que dans l’autre. Mais cela nous a permis de mettre en évidence tout un courant de critique littéraire, qui voit dans la Navigation « la christianisation d’une littérature profane », selon l’expression de Zimmer. Ou mieux, la christianisation de thèmes celtiques, l’utilisation à des fins religieuses d’une riche imagination, l’imitation et l’occultation d’un vieux fond indo-européen.
À ces critiques de la théorie de Zimmer, portées à défendre l’originalité celtique contre l’Antiquité gréco-latine, s’ajoutèrent d’autres analyses qui proposèrent au contraire de voir dans la Navigation de saint Brendan, le prototype des imrama et des echtrai. Le voyage de Mael Duin serait donc postérieur dans le temps à la Navigation de saint Brendan. Le procédé littéraire consistant à morceler la description du Paradis en plusieurs îles, de façon à soutenir l’intérêt du lecteur (d’où une répétition d’épisodes déjà relevée par Nutt et Brown) ; se retrouve en effet dans le récit du voyage de Maelduin 1).
Stokes, dès 1889, Carney en 1955, et Grosjean aussi, en 1975, ont même avancé l’idée que les imrama venaient en fait d’une plus ou moins grande diffusion ou laïcisation du texte chrétien (ici la Navigation de saint Brendan). Et il est exact que l’implantation du christianisme dans cette île, historiquement parlant, ne s’est pas faite aux dépens (et avec violence) du paganisme irlandais, mais qu’il vaut mieux y voir un syncrétisme habile. Plummer l’avait d’ailleurs déjà pressenti dans son étude, son seul tort a été d’accorder une trop grande part au paganisme aryen et pré-aryen. Ces dernières critiques nous paraissent donc l’emporter, en raison de l’ancienneté (prouvée stylistiquement par J. Orlandi), de la Navigation, qui remonte au VIIe siècle-VIIIe siècle ; dates de rédaction également probables des imrama et des echtrai.
Le Voyage des Hui Corra nous raconte comment des parents dépourvus d’enfants s’en remirent un jour au Diable pour avoir des fils. Le pacte conclu, naissent trois garçons (l’un en soirée, l’autre à minuit, le dernier au matin) qui, une fois devenus adultes, s’en prennent à toutes les manifestations de vie chrétienne possibles ; tuant prêtres et détruisant églises ou couvents, afin de satisfaire leur infernal Seigneur. Jusqu’au jour où ils affrontent leur propre grand-père maternel, qui est aussi un prêtre. L’aîné, au cours d’un rêve nocturne, a la vision de l’Enfer et du Ciel, ce qui provoque leur conversion
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au christianisme, et leur volonté de s’amender en restaurant tout ce qu’ils ont détruit. Puis, après avoir exécuté leur temps de réparation, en contemplant le soleil sur le point de se coucher, il leur vient l’idée de connaître les régions où il se couche. Ils construisent donc un coracle apte à les faire voyager au-delà des mers.
Après quarante jours de dérive vers l’ouest, confiant leur chance à la seule volonté de Dieu (principe de l’errance), ils découvrent l’île de la Tristesse, l’île de la Joie. Où chaque fois un des membres du groupe débarque, et par mimétisme se réjouit ou s’afflige, mais ne peut revenir, sans que l’on en sache les raisons (principe d’incomplétude logique) ; des îles aux formes étranges (l’une est montée sur un piédestal ou semblable à une colonne ; l’autre est entourée d’une palissade d’airain). Mais surtout se montrent à eux, en plusieurs scènes éparses, les peines qui attendent les damnés ainsi que les joies des bienheureux, selon une alternance assez régulière, qui permet d’opposer avec insistance deux types de tableaux. Les Hui Corra, en vain, espèrent une résurrection qui leur est refusée d’île en île, jusqu’à recevoir l’ordre de rentrer afin de contribuer à la propagation de la religion chrétienne, par le récit de leurs aventures.
En fait, cette navigation irlandaise, comme la suivante, s’apparente mieux à l’autre type de voyage en mer que nous retrouvons dans ces récits d’aventures imaginaires ; c’est-à-dire le voyage héroïque volontaire où il y a moins une errance réelle que des difficultés engendrées par une quête (retards et renvois se multiplient dans l’aventure des Hui Corra, sans engagement profond de leur part). Ici, l’absence d’états émotifs donne plutôt une image assez sereine et achevée de la Création (en dépit des horreurs entrevues, puisque les héros ne font que les côtoyer), que l’on retrouve surtout dans la navigation liée à une décision humaine. Le monde est complet, organisé, prévisible (tout est à sa place).
Le voyage de Snedgus et de Mac Riagla commence ainsi. Un roi tyrannique ayant été assassiné, les coupables de ce forfait sont condamnés par saint Columcille (ou Colomban) à être livrés à l’Océan. Ils doivent s’embarquer puis être entraînés par les courants loin des côtes. Snedgus et Mac Riagla, envoyés de Columcille, assistent au départ de ces pèlerins forcés, mais ne peuvent se résoudre à rentrer directement à Iona où Columcille les attend.
L’exemple des condamnés les incite au contraire à partir en mer eux aussi de la même façon. Leur navigation commence donc et occupera environ les deux tiers de l’œuvre. Le texte signale l’abandon du coracle aux courants marins et aux volontés de Dieu (l’errance y est donc suggérée) si bien que peut alors se dérouler toute une série de merveilles ; (oiseaux doués de paroles et qui prophétisent ; hommes ayant des têtes de chien, de cochon) ; dont la plus curieuse est l’arrivée sur une île où ils retrouvent les félons du début, absous et vivant auprès d’Élie ou d’Enoch, ces deux sages de l’Ancien Testament montés aux cieux sans avoir connu la mort.
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N.D.L.R. Il s’agit sans doute là du lointain écho d’une antique conception druidique commune voulant que certains individus d’exception puissent directement accéder à l’autre monde de leur vivant même.
Pour mémoire, rappelons ici le texte de base en ce domaine.
« Rien n’est plus enchanteur que la nature de cette île, où l’air est d’une charmante douceur. Quelques-uns pensaient à la quitter, mais le Dieu les en dissuada en se présentant à eux comme à des familiers ou à des amis. Ce n’est pas en effet uniquement en songe, ou par des visions symboliques, que beaucoup de ces insulaires voient des démons et conversent avec eux, c’est face à face. En ce qui concerne Cronos lui-même (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), il demeure dans une grotte profonde, où il dort sur un rocher brillant comme de l’or ; car c’est par le sommeil que Jupiter [Taran/Toran/Tuireann ?] a imaginé de le lier. Des oiseaux dont la demeure est en haut de ce rocher viennent en voltigeant apporter au Dieu l’ambroisie. Une odeur délicieuse s’exhale de ce rocher comme d’une source, parfume l’île entière. Les Démons dont nous avons parlé entourent Saturne (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieux et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur les événements les plus importants, font des révélations précieuses dont ils assurent qu’elles sont les songes du dieu » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
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Le voyage de Snedgus et de Mac Riagla se termine par la rencontre d’un bon roi, dont la demeure ressemble à une immense église, et qui leur prophétise la venue prochaine en Irlande d’envahisseurs,
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puisque les Irlandais ont oublié la Parole de Dieu. Il ne leur reste donc plus qu’à rentrer pour annoncer à leurs compatriotes ce triste avenir.
L’éloignement des sociétés humaines n’est pas assez grand dans cette navigation pour entrer dans la catégorie d’apolitisme souhaitée. Même si les visions de l’au-delà qu’obtiennent Snedgus et Mac Riagla n’ont pas le côté moralisateur des peines infernales et des délices célestes présents dans le Voyage des Hui Corra. Les scènes se succèdent de manière à rappeler l’Irlande (rencontre d’un héros gaélique abandonné sur une île, don d’un éventail pour Columcille, etc.). Et le fait de s’en remettre à Dieu réduit l’errance à un excellent pilotage sans risque majeur. Même soin du récit à combler le manque logico-imaginatif produit par la décision d’envoyer en mer de pauvres hères condamnés parce qu’ayant eu le malheur de se révolter contre un mauvais roi. Le fait de les retrouver sur une île, heureux et repentis, donne un sens à l’œuvre, et l’empêche de rester incertaine et surprenante, ou d’avoir ces discontinuités qu’il nous importe de reconnaître.
Bien que l’œuvre soit de caractère religieux, elle n’a pas ce souffle et cette inspiration dont nous retrouvons trace dans les navigations répondant à nos trois principes.
La Navigation de Snedgus et de Mac Riagla, comme celle des Hui Corra donc, appartient à l’un des versants de ces périples imaginaires. Il n’est pas à rejeter puisque, comme nous l’avons constaté, il accompagne, avec quelque maladresse, il est vrai, l’autre versant, de façon sans doute à le faire valoir ou à l’équilibrer.
Il serait bon de voir dans la prodigieuse activité intellectuelle des druides antiques, non seulement le résultat d’une civilisation, mais surtout des traits de génie particuliers, dont la portée s’avère universelle.
On ne saurait trop reconnaître à ces navigations irlandaises cette réflexion fertile sur un des problèmes les plus angoissants de l’existence humaine ; mais aussi cette capacité conceptuelle à dépasser le conflit d’un temps objectif opposé à un temps subjectif ; du froid pouvoir de l’horloge vis-à-vis des frêles instants de bonheur.
Cette vision particulière du temps pourrait constituer l’apport le plus essentiel de la littérature irlandaise de cette époque, tant il arrive que nombre de ses héros se trouvent engagés dans un lieu ou une circonstance qui les réclament. Moins pour mettre en évidence leurs qualités propres de héros que pour les plonger dans un mystère précis qui les accapare et les change profondément, et dont on pourrait ainsi résumer les questions.
« De qui ou de quoi suis-je le sauveur et le responsable ?
Pourquoi suis-je le seul à répondre à une attente dont j’ignore les causes ?
En quoi suis-je la pièce manquante à ce mécanisme inconnu livré à ma perception ? » (D’après une étude de Guy Vincent).
N.B. En ce qui nous concerne un tel questionnement nous semble bien être l’ultime écho de l’importance que les druides antiques accordaient au Hasard ou au Destin.
1) À moins bien sûr qu’il ne s’agisse pas d’un procédé uniquement littéraire, mais de la sublimation littéraire des étapes successives d’une authentique expérience de mort imminente. Ce qui ferait alors de ces textes des réminiscences d’une sorte de livre des morts celte, un Bardo Thödol druidique donc.
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ÉLÉMENTS D’ESCHATOLOGIE INDIVIDUELLE.
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DE L’ÂME INDIVIDUELLE (ANAMONE ET ANAON.)
L’ancien druidisme emploie les mots anamone et anaon (noms neutres pour désigner l’élément qui survit à la mort du corps) et le nouveau druidisme le mot âme, puisqu’il a été consacré par l’usage moderne. Il s’agit donc de L’ÂME HUMAINE INDIVIDUELLE (personnifiée par la belle et malheureuse Etanna/Etain, déchirée entre l’autre monde et celui-ci, en Irlande : Altrom Tige Da Medar).
Anamone et anaon étaient néanmoins deux termes ne renvoyant pas tout à fait à la même réalité. L’anaon c’était plus précisément l’attelage de l’âme (anamone) et de l’esprit (menman). Ce que le néo-druide Allan Kardec appelle périsprit c’est-à-dire « enveloppe, forme visible, fantôme ». Notre époque confond tout !
Toutes les anamones procèdent de l’awenyddia ou âme universelle, et sont aussi nombreuses et diverses que le sont les corps dans lesquels elles s’incarnent.
Une âme individuelle tenue pour émanée du Grand Tout Divin, et destinée à y être réabsorbée après une ou plusieurs « vies », essentiellement dans l’autre monde, très exceptionnellement de nouveau sur cette terre.
L’âme individuelle (anamone) est, dans son essence, identique à l’âme du monde. L’âme humaine individuelle n’est qu’une larme de feu de l’âme universelle, une parcelle détachée du grand réservoir d’âme que d’aucuns appellent le plérôme psychique (l’awenyddio). Mais l’anamone n’en est que le reflet limité, parce que prenant pour support le corps et l’esprit, qui sont limités. L’anamone, quant à sa base, est reliée à un corps et à un certain appareillage psychique.
Il faut donc accorder à l’âme, selon les très-sachants, une certaine réalité, indépendante du corps et de l’esprit (de la conscience et de l’intelligence). Mais quelle réalité dans ce cas ?
Et d’ailleurs qu’entend-on au juste par « âme individuelle » ? Le souffle respiratoire, le principe vital qui peut se réincarner dans un autre support après la mort physique ? Anatla (pluriel anatlai) est le nom (féminin) donné par les Celtes au souffle vital appelé prana en sanscrit. Jusqu’au Moyen-âge souvent représenté par un oiseau (une alouette ou une colombe sortant de la bouche des mourants). Ou bien alors une parcelle d’un souffle divin créateur ? Peut-on définir la vérité ontologique de l’embryon et savoir, avec certitude, quand apparaît une personne humaine ? Telles sont les questions fondamentales, « incontournables », qui sont au cœur du débat présent et de notre vision même de l’être humain. À ces interrogations, les réponses fournies par les religions s’affirment souvent différentes des conceptions médicales ; qu’il s’agisse des plus anciennes, celles de la médecine indienne ou des traités sur l’embryon de la Collection hippocratique ; ou des recherches les plus récentes comme celles de Jung. Car que nous dit Jung de l’âme ?
Les conceptions ethnologiques et historiques de l’âme montrent clairement qu’elle est d’abord un contenu appartenant au sujet, mais aussi au monde des esprits, l’inconscient. C’est pourquoi l’âme a toujours quelque chose de terrestre et de surnaturel à la fois (Types Psychologiques). L’âme est une voyageuse entre deux mondes : le sujet, mais aussi le monde des esprits, le terrestre et le surnaturel, le Moi et le Soi… L’âme, pour Jung, repose dans le féminin de l’être. Que l’homme intègre son anima, et son âme progressivement se révèle. Que la femme – grâce à l’intégration de son animus – reconnaisse le féminin intérieur dont elle est dépositaire dans ses entrailles, et son âme prend corps… En quelque sorte, l’âme est la face féminine de Dieu… Car l’âme est féminine comme chacun sait ou du moins devrait le savoir, surtout depuis les célèbres mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar (Anima vagula blandula).
Le moins que l’on puisse dire est que différentes thèses s’affrontent à ce sujet.
On peut tout d’abord évidemment penser que l’âme n’existe pas ! Pour les matérialistes athées, il n’existe que le très complexe phénomène de la conscience et du mental. Cette thèse ne doit pas être écartée comme d’un revers de main, mais puisque ce ne fut pas la thèse de la majorité des Écoles druidiques antiques, apparemment, nous détaillerons donc plutôt le principe inverse : l’âme existe.
Deux alternatives se présentent alors aussitôt.
Première alternative : l’âme n’est qu’une pure non-matière, neutre et impersonnelle ou bien elle n’est que conscience subjective et individuelle (autrement dit un « Je » ou un « Moi »). Bref un esprit.
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Deuxième alternative : l’âme est mortelle ou elle est immortelle, au sens strict du terme (elle a une origine, mais elle n’aura pas de fin).
Dès la conception d’un être humain, le cosmos dans son ensemble produit ou réagit à l’énergie vitale qui anime le nouvel être, car tout est « lié », monde physique et monde spirituel. L’âme est l’entité spirituelle (le nœud d’ondes…) qui sous-tend cette nouvelle matière vivante. C’est une manifestation spirituelle rendue autonome dans le monde sensible par son incarnation, elle est porteuse d’une larme de feu issue du Divin. Elle parcourt la matière, grâce au corps physique, qui la ramène « in fine » au Divin, après avoir fait l’expérience concrète et totale du monde sensible.
En Irlande, ainsi que nous avons pu le voir, l’anaon ou attelage de l’âme et de l’esprit humains était symbolisé, voire personnifié, par l’entité appelée dans les légendes, Etanna ou Etain. Mais sur le continent ce mythe de l’âme humaine tiraillée entre le monde des dieu-ou-démons et celui des hommes, était surtout associé à l’ambre jaune.
Dès l’Antiquité, certains phénomènes électriques avaient en effet intrigué les anciens druides. En frottant un morceau d’ambre, on était alors capable d’attirer des plumes d’oiseaux et comme l’ambre semble préserver en son sein des végétaux ainsi que des animaux, il avait été associé par les druides à la jeunesse éternelle. L’interprétation de ce phénomène par les druides est évidemment aujourd’hui complètement dépassée.
La position des vrais druides a toujours été nuancée ou réfléchie, comme le prouve leur mythe à propos des origines de l’âme.
L’Âme (anamone ou anaon en breton) était pour eux simplement l’étincelle divine ou la part de divinité (larmes du soleil) qui réside en chacun des êtres peuplant cette terre, et le maintient en vie. Tout être vivant était doté d’une âme/esprit, qu’il fasse partie du règne minéral (une montagne, une rivière, une plaine, un lieu, cultivé ou pas, un océan) végétal (une forêt, un arbre ; une fleur), animal, ou humain. Pour ce qui est du règne végétal ou animal, il devait sans doute s’agir d’une déduction tirée du fait que l’ambre contient souvent, à l’état fossile, des débris végétaux, voire des insectes entiers.
Cette importante notion religieuse druidique a laissé des traces chez les écrivains grecs.
Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Livre V, XXIII. « Mais en ce qui concerne l’étain, nous nous contenterons de ce qui a déjà été dit, et nous traiterons maintenant de l’électrum, ainsi qu’on l’appelle [de l’ambre]. En face de la Scythie et s’étendant au-dessus de la Galatie, se trouve une île au large en pleine mer, appelée Basilée (Abalus chez Pythéas). Sur cette île les vagues rejettent de grandes quantités de ce qui est connu comme étant de l’électrum [de l’ambre, glaeson en Celte], que l’on ne voit nulle part ailleurs dans le monde, et à propos duquel les auteurs anciens ont composé des histoires complètement fantaisistes, qui sont difficiles à croire, et qui ont été réfutées par des faits incontestables. Car de nombreux poètes ou historiens nous racontent que Phaëton, le fils d’Hélios, encore enfant, persuada un jour son père de lui confier la conduite de son quadrige pendant vingt-quatre heures ; et que, après qu’Hélios eut accédé à la requête de Phaëton, comme ce dernier se montra incapable de bien tenir les rênes, en conduisant le char, les chevaux, sentant qu’ils avaient affaire à un conducteur inexpérimenté, dévièrent de leur course habituelle ; qu’ils errèrent d’abord çà et là dans le ciel, ensuite y mirent le feu, en laissant derrière eux ce qui est maintenant appelé la Voie lactée ; enfin qu’il déversa tant de rayons brûlants, sur maintes régions de la terre habitée, qu’il n’en brûla pas qu’une petite partie. Zeus par conséquent, indigné par ce qui s’était passé, foudroya Phaëton et remit le soleil dans le droit chemin. Phaëton tomba sur terre à l’embouchure du fleuve qui est connu aujourd’hui sous le nom de Padus [le Pô], mais qui jadis était appelé l’Éridan, ses sœurs qui rivalisèrent de pleurs sur sa mort à cause de cet excès de chagrin subirent une métamorphose en devenant des peupliers. Ces peupliers, chaque année à la même saison, versent de nouveau des larmes qui, quand elles se solidifient, forment ce que l’on appelle de l’ambre, une matière qui dépasse en brillance tous les autres produits de même nature, et qui est communément utilisée lors du deuil des jeunes gens. Mais puisque les inventeurs de ces fictions se sont les uns et les autres, trompés, qu’ils ont tous été réfutés par ce qui s’en est ensuivi ultérieurement, nous ne devons ajouter foi qu’aux histoires vraies, à savoir que l’ambre est ramassé sur l’île que nous avons mentionnée plus haut, puis transporté par les indigènes sur le continent qui leur fait face, qu’il est acheminé ensuite à travers ce dernier jusqu’aux régions que nous connaissons, ainsi que nous l’avons établi.
La remarque de Diodore de Sicile : « qui est communément utilisé lors du deuil des jeunes gens » est intéressante et peut nous mettre sur la piste. Elle nous montre en effet un ambre jaune symbole
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solaire, incontestablement lié au départ de l’âme/esprit vers d’autres mondes après la mort, et associant l’âme/esprit des défunts au soleil.
Quant aux Héliades ou filles du soleil, il doit sans aucun doute s’agir de vestales gardiennes de feux sacrés, liés à un culte solaire quelconque (un peu comme dans le cas de sainte Brigitte). Ou alors d’une incompréhension de la part des Grecs de la notion celtique de fées des arbres (les Matronae dervonae par exemple).
Autrement dit l’âme, puisqu’elle est d’origine et de nature divine, va tendre à recouvrer la divinité qui est latente en elle durant son séjour terrestre. Les larmes symbolisent cette nostalgie et le lien subtil qui l’unit encore à l’autre monde.
L’ambre a donc toujours représenté le fil psychique reliant l’énergie individuelle à l’énergie cosmique, l’âme individuelle à l’âme universelle. Il symbolise l’attraction solaire, spirituelle et divine.
Ce symbole druidique était destiné à faire comprendre au peuple la véritable nature des âmes venant s’incarner sur terre. À partir d’un état antérieur que les druides rapprochaient du phénomène de l’électricité atmosphérique ou statique ; puisque le mot grec signifiant donc ambre (elektron) nous renvoie en définitive à cette caractéristique (frottés l’un contre l’autre, les morceaux d’ambre jaune produisent en effet de l’électricité).
N.B. D’autres auteurs antiques ont également évoqué ces légendes concernant le glaeson (l’ambre jaune).
Apollonios de Rhodes : Argonautiques, IV, 611.
« Et le vaisseau, toujours emporté par le vent, se trouva bientôt au milieu du fleuve Éridan. Près de l’endroit où Phaéton, frappé par la foudre, fut précipité du char du Soleil au fond d’un marais ; d’où s’exhale encore une fumée très épaisse et au-dessus duquel les oiseaux ne peuvent voler impunément. Tout autour les filles du Soleil 1), changées en peupliers, pleurent la mort de leur frère. Et les larmes qu’elles répandent sont des gouttes d’ambre qui, séchées sur le sable par les rayons du soleil, sont ensuite poussées dans le cours du fleuve par les flots que les vents jettent vers le rivage. Nos héros, plongés dans la tristesse, ne songeaient même pas à prendre de nourriture ; l’odeur infecte qui s’exhalait de l’Éridan les suffoquait pendant le jour, et la nuit venue, ils entendaient les cris aigus et les plaintes des filles du Soleil, dont les larmes, semblables à des gouttes d’huile, paraissaient au-dessus des flots.
De ce fleuve, le vaisseau fut conduit dans un autre, dont les eaux se mêlent en murmurant à celles de l’Éridan. Il porte le nom de Rhône et prend sa source aux extrémités de la terre, près des portes du couchant et du séjour de la nuit. Une de ses branches se jette dans l’Océan ; l’autre dans la mer ionienne, en se confondant avec l’Éridan ; la troisième enfin se rend par sept embouchures au fond d’un golfe de la mer de Sardaigne 2).
Les Argonautes, ayant pris la première branche, se retrouvèrent au milieu des lacs, dont le pays des Celtes est couvert, et risquaient, sans le savoir, d’être rejetés dans l’Océan, d’où ils ne seraient jamais revenus ; mais Junon descendit tout à coup du ciel, et du haut des monts Hercyniens 3) fit retentir l’air d’un cri qui les remplit d’épouvante. Elle les repoussa en arrière, leur fit prendre le chemin par lequel ils devaient revenir dans leur patrie, et les enveloppa d’un nuage, à la faveur duquel ils traversèrent, sans être aperçus, le pays des Celtes et des Liguriens. Étant parvenus enfin à la mer après être sortis du fleuve par l’embouchure du milieu, ils abordèrent les îles Stoechades, redevables en partie de leur salut aux Dioscures, à qui Jupiter avait confié le soin de veiller pareillement sur tous les vaisseaux. On élève des autels et l’on offre des sacrifices en leur honneur depuis lors ».
Scolies sur un manuscrit d’Appolonios de Rhodes, Argonautiques, IV 611.
Les Celtes racontent que les larmes dont l’ambre est formé sont celles que répandit Apollon ; lorsqu’irrité de la mort de son fils Esculape, que la nymphe Coronis mit au monde dans la ville de Larissa 4), sur les bords de l’Amyrus, et forcé par les menaces de son père de quitter l’Olympe ; il se retira dans le pays des Hyperboréens 5).
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Scymnos de Chios (ou un autre auteur grec).
L’Éridan transporte de l’ambre, des gouttes transparentes que sécrètent des peupliers. Ce sont, dit-on, des larmes pétrifiées. D’aucuns, en effet, ajoutent que c’est là que fut jadis foudroyé Phaéton, et que c’est pour cette raison que les habitants de la contrée portent des vêtements noirs, des robes de deuil.
Denys le Périégète. Description de la terre habitée. Versets 288-301 (à propos de l’Éridan). Sur ses rives jadis, dans la nuit solitaire, les Héliades pleurèrent Phaéton. Les enfants des Celtes, assis sous les peupliers, y recueillent leurs larmes d’ambre.
Commentaire d’Eustathe sur les vers 288-301. « Cette phrase de Denys le Périégète signifie qu’ils recueillent l’ambre… qui, en raison de son éclat doré, passe pour être des larmes des Héliades, car l’or est le métal consacré au soleil ».
Le caractère mythologique et non historique de tous ces récits est patent. Le prouve ce qu’en a dit Lucien de Samosate lui-même (De l’ambre et des cygnes).
L’ambre, si vous en croyez la fable, provient des larmes versées par les peupliers des bords de l’Éridan ; qui sont les sœurs de Phaéton, changées en arbres, à force de pleurer le malheureux jeune homme ; et distillant des pleurs qui forment l’ambre. Il n’y a donc pas longtemps, obligé d’aller là-bas pour un tout autre objet, je me mis à remonter l’Éridan. Mais je n’aperçus ni peupliers ni ambre, quoiqu’attentif à bien regarder autour de moi. Les habitants du pays ne connaissaient même pas le nom de Phaéton. Je m’informe, je demande quand nous allons arriver aux peupliers qui distillent de l’ambre. Les bateliers se mettent à rire…
« Quel est donc le menteur, me disent-ils, quel est l’imposteur, qui vous a raconté cela ? Nous n’avons jamais vu ici de cocher tomber du siège de son char, et nous n’avons pas les peupliers que vous dites. Croyez-vous, si cela était, que nous nous fatiguerions à ramer pour deux oboles et à remonter les bateaux contre le courant du fleuve, tandis qu’il ne tiendrait qu’à nous de nous enrichir en recueillant les larmes de ces peupliers ? »
Ce discours me piqua au vif et je gardai le silence. Honteux d’avoir été, comme un enfant, la dupe de ma crédulité, en ajoutant foi aux fictions des poètes, qui ne se plaisent qu’à inventer des faits impossibles ou extravagants. Je n’étais pas moins fâché de perdre ainsi une de mes plus chères espérances. Il semblait que l’on m’eût arraché l’ambre des mains, moi qui déjà rêvais à combien de choses j’allais l’employer.
Je croyais du moins trouver plus de vérité dans ce qu’on nous dit des cygnes de ce pays, qui se rassemblent en grand nombre pour chanter sur les rives du fleuve. J’interrogeai donc de nouveau mes bateliers, alors que nous continuions à remonter le fleuve : « et à quel moment, leur demandai-je, les cygnes placés sur l’une et l’autre rive de ce fleuve vous font-ils entendre leur admirable chant ? On dit, en effet que ces favoris d’Apollon étaient jadis des hommes habiles dans l’art de chanter, mais qu’ils ont été transformés en oiseaux, et qu’ils chantent toujours pour montrer qu’ils n’ont pas oublié la musique ». Et mes bateliers de répondre, en éclatant de rire.
« Ne cesserez-vous donc jamais, noble seigneur, de faire honte à notre pays et à notre fleuve avec tous ces mensonges ? Nous qui le suivons sans cesse, et qui, depuis notre enfance, travaillons sur l’Éridan, nous voyons bien quelquefois, il est vrai, des cygnes s’abattre dans ses marais. Mais ils font entendre des croassements si discordants et si confus, que les corbeaux et les geais sont des sirènes comparés à eux. Quant à ces oiseaux qui chantent si agréablement, dont vous parlez, nous ne les avons jamais entendus, pas même en songe, et nous nous demandons bien d’où vous sont venus tous ces contes sur notre pays ».
Encore une fois, répétons-le : il s’agit de mythes druidiques colportés puis déformés par les voyageurs grecs. Les uns sur les oiseaux de l’autre monde (les cygnes) qui, effectivement, dans la tradition celtique, sont toujours présentés comme ayant un chant captivant et mélodieux, les autres sur la nature ou l’origine de l’âme (l’ambre).
Comme l’a très bien vu Strabon lui-même (Géographie. Livre V, I, 9) il faut laisser de côté tous ces récits qui ne sont que des mythes ; comme l’histoire de Phaéton et des Héliades changées en peupliers sur les bords de l’Éridan (ce fleuve qui n’existe nulle part sur la terre et que l’on dit voisin du
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Pô), des îles électrides, situées en avant du Pô, et des méléagrides (pintades) que l’on y trouve… RIEN DE TOUT CELA N’EXISTE EN CES PAYS.
Il n’existe rien de tel (des peupliers donnant de l’ambre, etc.) dans la plaine du Pô, et Phaéton ne s’est jamais écrasé avec son char à cet endroit. Il ne peut s’agir par conséquent que d’un mythe celte élaboré dans les régions productrices de glaeson (d’ambre), les îles électrides justement, et notamment l’île du nord de l’Europe appelée Basiléa (ou Abalus) ; afin de valoriser ce produit auprès des étrangers ; puis arrivé jusque dans la plaine du Pô. Parvenu ensuite à la connaissance des Grecs avec ledit ambre appelé elektron, sous une forme spécialement élaborée pour eux ou pour les autres étrangers acheteurs potentiels, par les druides.
Mais la remarque de Diodore de Sicile : « qui est communément utilisé lors du deuil des jeunes gens » est néanmoins très claire à cet égard. Ainsi que nous l’avons dit, elle nous montre un ambre jaune (symbole solaire) associé au départ de l’âme/esprit vers d’autres mondes après la mort, et reliant l’âme/esprit des défunts au soleil. L’ambre est le lien subtil qui existe entre l’âme individuelle et l’âme universelle, matérialisant ainsi en quelque sorte, l’attraction solaire, spirituelle et divine. Pour les Phéniciens et les Étrusques (rites funéraires avec de l’ambre), c’était aussi un symbole de force éternelle et de vie.
Cet « Éridan » des poètes est sans doute l’Elbe ou l’Oder, car le mythe en question est presque textuellement (aux noms propres près) identique au mythe germanique de la plaine de Glaesir ; ces bancs d’ambre où la récupération de ce produit s’élevait à plusieurs dizaines de tonnes par an.
Et l’Apollon en question, c’est bien sûr l’Abellio celtique régnant sur l’île d’Abalus, Phaethon étant le nom grec de son fils. L’image est claire. Les larmes d’Abellio se transforment en perles d’ambre, autrement dit les peines et les souffrances d’origine divine se transforment en bijoux pour les hommes.
1. cf. les inscriptions comme Fatis ou Matribus dervonibus [ou caxsanibus] et la notion druidique de fées des arbres.
2. Le golfe du Lion. Apollonios considère ici le Rhin, le Rhône et le Pô, comme trois branches d’un même fleuve.
3. La Forêt-Noire ?
4. Ville de Thessalie, dans la Magnésie.
5. Jupiter ayant foudroyé ledit Esculape, qui avait trouvé le secret de rendre la vie aux morts, Apollon irrité tua les cyclopes qui avaient fabriqué la foudre. Jupiter, pour le punir, l’exila de l’Olympe pendant quelque temps.
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DE LA COMMUNION DES VIVANTS ET DES MORTS.
Ainsi que nous avons eu l’occasion en étudiant attentivement le culte des ancêtres en Afrique noire, de le voir, l’homme resté au contact des forces de la nature n’a jamais pensé qu’il existait entre les vivants et les morts un fossé infranchissable, il a toujours pensé au contraire que les morts pouvaient parfois revenir dans le monde des vivants, et inversement que les vivants pouvaient parfois se rendre dans le monde des morts. Et bien il en allait de même pour le druidisme antique.
Le thème de la mort n’a d’ailleurs jamais été très développé dans le druidisme ; car celui-ci ne faisait pas de différence réelle entre vie et mort, laquelle ne signifiait qu’un changement d’état, non la solution radicale de continuité ou rupture qu’envisage le judéo-islamo-christianisme. Disons que les deux états ne se distinguaient guère, le vivant pouvant à tout moment solliciter le mort à des fins d’information, par exemple, ou de propitiation ; le mort revenant – au sens littéral de ce terme – à volonté, rendre visite au vivant, à toutes sortes de fins, de l’information pure à l’admonition. Il est remarquable, d’ailleurs, que le peuple des anaon soit aussi présent dans les légendes bretonnes. Que l’étrangeté de cette représentation ait appelé, comme par définition, un bouleversement des catégories grammaticales masculin/féminin, peut être tenu pour normal, en un sens, car la vie pour les druides n’a cure de ces distinctions. Elle englobe tout, elle transcende les visions, quelles que soient leurs origines, elle est grammaticalement neutre, c’est-à-dire métaphysiquement globale.
Dit autrement, les hommes ou gdonioi de tous les temps forment une seule et même entité, celle du Gdonios cosmique, qui vit aussi bien dans le temps (nous aujourd’hui) que hors du temps (ceux qui sont déjà dans cet autre monde que l’on dit meilleur).
Ce qui est certain, c’est que dans aucune croyance, on ne trouve un sentiment aussi intense de l’invisible et de la solidarité qui relie le monde des vivants à celui des morts. Tous ceux qui quittaient la terre étaient chargés de messages destinés à des défunts. Diodore de Sicile nous a conservé ce trait précieux : « Aux funérailles de leurs morts, certains sur le bûcher funèbre jettent des lettres, qu’ils ont spécialement écrites à l’attention de leurs défunts, comme si un mort pouvait encore lire de tels documents ». La communication entre les deux mondes était chose courante. Pomponius Mela, Valère Maxime, et tous les auteurs latins disent que « La tradition veut que les Celtes se prêtent de l’argent, mais que l’on peut le rembourser dans l’autre monde » (Léon Denis. Le génie celtique et l’invisible ou Celtisme et spiritisme).
Comme la plupart des fêtes chrétiennes, la fête de la Toussaint ne tire pas son origine de la Bible. L’Église à l’origine avait institué une fête en l’honneur des martyrs , étendue plus tard à tous les saints. Au IVe siècle, on la célébrait le 13 mai. Elle fut déplacée au 1er novembre pour récupérer une ancienne fête druidique centrée sur les morts. Cette fête était célébrée dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre. Les âmes/esprits des morts pouvaient alors revenir dans leur demeure, et les vivants devaient les accueillir.
La notion de communion des vivants et des morts désigne dans le druidisme l’union de l’ensemble des fidèles vivants et morts, unis dans une sorte de solidarité à travers l’espace et le temps.
Sur terre, les croyants restent en relation avec ces défunts. Parler de communion des morts et des vivants sur terre, signifie la « solidarité intime de ces deux entités, invisible, mais forte ». Ce que chaque membre fait de bien et supporte de pénible, non seulement contribue à son salut, mais peut aussi contribuer au salut de ceux et celles auxquels il est lié. Les croyants sur terre espèrent et demandent même parfois le secours fraternel de ceux qui sont entrés « dans la gloire [avestique xvarnah vieux celtique bellissamos/bellissama] des dieu-ou-démons ». Ils prient par ailleurs pour que ces derniers soient définitivement allégés de toute pesanteur de la matière dans l’autre monde, fût-il meilleur. Le rituel de la Samon et du jour des Morts solennise cette communion des êtres humains entre eux.
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DE LA FORMATION DU BRAN QUI ALOURDIT LES ÂMES.
Abordons maintenant et en quelques mots, le cas de ceux qui, en quelque sorte, ratent leur erdathe individuel (leur retour personnel au Grand Tout via les différents degrés de l’autre monde parallèle paradisiaque appelé Mag Meld). Car si tout le monde ou presque se réincarne après la mort, à Mag Meld, il existe une infime minorité d’individus * pour qui ce processus échoue.
Il n’y a pas à proprement parler, dans le druidisme, de rétribution des actes, car il n’y a pas de justice distributive extérieure punissant les péchés ou récompensant la vertu. Il ne saurait donc y avoir de jugement, car c’est une impossibilité métaphysique. La Nature ou Dieu ne pouvant moralement juger leurs enfants.
Par contre, les actes volontaires répondent à une intention qui laisse une trace dans les phénomènes psychiques, lesquels à leur tour entrent dans la composition du fond d’un être. Les traces de ce genre forment les constructions psychiques. Celles-ci gardent de leur origine, c’est-à-dire des actes, une puissance d’activité qui ne s’épuisera que par un lent processus de purification.
Le mot bran désigne le résidu résultant de l’action de nettoyage supérieur par définition qu’est la mort. Mais il désigne aussi évidemment, et pour commencer, bien avant ce stade, comme nous avons pu le voir, les conséquences psychiques d’un acte ou d’une absence d’acte, regrettable.
Le bran c’est le tartre ou la graisse de l’âme, le lest de sa nef, relégué en fond de cale.
Le terme BACUCEOS, BACUCEA (réincarné, réincarnée) a été cité sous une forme latinisée, à l’accusatif pluriel, par Jean Cassien (Conférences, 7, 32, 2) au début du Ve siècle.
Quos etiam Bacuceos vulgus appellat, ut semetipsos ultra proceritatem corporis erigentes, nunc quidem se in quosdam fastus gestusque sustollerent, nunc velut acclines ad quemdam se tranquillitatis et affabilitatis statum communes blandosque submitterent, seseque velut illustres et circumspectabiles omnibus aestimantes, nunc quidem adorare se potestates sublimiores corporis inflexione monstrarent nunc vero ab aliis se crederent adorari, et omnes motus quibus vera officia aut superbe aut humiliter peraguntur, explerent.
« Ceux que le vulgaire appelle bacuceos, se haussaient au-delà de la taille normale de leur corps, et se grandissaient avec morgue ou en gesticulant. Ils affectent des manières affables et courtoises comme s’ils étaient d’illustres personnages, ou bien ils font de très révérencieuses salutations, comme s’ils étaient devant des princes, paraissant continuellement rendre ou recevoir des honneurs ».
Les âmes/consciences individuelles (les anaon), trop chargées de bran, ne vont pas au Paradis, elles coulent et vont dans le non-monde de l’andumnon ou anderodubnon. Ou plus exactement dans une des antichambres ou un des sas du paradis, mis en en scène par diverses légendes populaires.
Il s’agit d’un état de l’être et non d’un lieu. Ou plus exactement d’un état d’être servant de passage provisoire, et nullement éternel, pour les âmes s’étant un peu trop chargées de bran carmique, au cours de leur vie terrestre d’avant. La personnalité (l’esprit) de l’anamone individuelle, ne représentant pas un « soi » à existence éternelle, puisqu’elle est destinée à s’éteindre peu à peu dans l’au-delà, il ne saurait y avoir de paradis ou d’enfer, éternel, pour elle.
De toute façon, le druidisme ne croit pas en l’éternité des âmes individuelles. L’âme humaine n’est qu’une larme de feu divin, issue de l’âme universelle, awentia ou awenyddia. Ce qui a une personnalité, bien que doté d’une longévité plus courte, c’est l’esprit et non l’âme.
La malchance qui semble peser sur certains, comme un châtiment, est longtemps demeurée une énigme. Les druides primordiaux avaient donc fait le lien entre l’ategeneto due au bran accumulé lors d’une vie précédente, et tous ces manques de chance. Cette malchance était alors vue comme la conséquence du bran accumulé dans des vies antérieures. Mais le mot bran désigne en fait simplement les conséquences psychiques d’un acte ou d’une absence d’acte, regrettable. Les âme/esprits individuels ou anaon, trop chargés de bran, ne vont pas se réincarner dans l’autre monde paradisiaque appelé Mag Meld, Vindo Magos ou autrement ; mais vont dans le non-monde de l’andumnon ou anderodubnon (Donno Tegia ou Tech Duinn, Annwn ou Annwfn, etc.) Et comme rien
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n’est éternel, cet enfer lui-même n’est qu’un mauvais moment à passer… même chose d’ailleurs chez les hindous avec leur royaume de Yama.
Ces âme/esprits se réincarnent après, sur terre, en bacuceos ou seibaros. Mais rarissimes * sont les malheureux assez malades mentaux ou suffisamment « erreur de la nature » pour être repoussés en ce bas monde, tourmentés dans cette antichambre du paradis, avant d’être soumis à l’oubli de leur vie précédente et rejetés dans de nouveaux corps. L’amnésie de la condition originale de l’âme/esprit est une image spécifiquement druidique en ce domaine. En revenant vers la Matière, l’âme du bacuceos oublie son identité précédente. C’est la mort spirituelle.
Ces âmes échapperont néanmoins elles aussi un jour ou l’autre à leur triste sort, soit en réussissant leur erdathe individuelle lors d’un prochain décès, soit en bénéficiant d’une eschatologie plus générale lors de la fin des temps. « Les âmes sont impérissables, mais un jour pourtant régneront seuls le feu et l’eau » (Strabon IV, 4).
Mais revenons à nos moutons, les bacuceos.
Les propos de Cassien sont assez vagues, ou plutôt ils sont très précis, mais contradictoires. Car si nous les comprenons bien, le bacuceos, cela peut être un peu tout et n’importe quoi (gentil ou plein de morgue, prostré ou exalté, adorateur ou adoré, etc.).
Soyons donc clairs ! Le bacuceus féminin bacucea est le produit d’une rarissime (deux ou trois par siècle, mais évidemment il peut y avoir un effet d’accumulation) réincarnation pénalisante, due à l’excès de bran (mauvais carma disent les Européens influencés par l’hindouisme). Seibaros en Irlande est le nom donné à l’enveloppe faiblement matérielle maintenant ensemble l’âme et l’esprit, un ensemble par ailleurs appelé anaon en breton. Le seibaros est appelé « périsprit » par le néo-druide Allan Kardec. La règle générale est la non-réincarnation sur cette terre, mais la réincarnation dans un autre monde que l’on dit meilleur : Vindomagos, Tir na n’Og, Mag Meld, etc.
Avant dissolution définitive, au bout d’un certain temps, et éventuellement après réincarnation dans plusieurs autres mondes parallèles à chaque fois meilleurs (thèse de certains des commentateurs du fameux Orbe Alio de Lucain) DANS L’ÂME UNIVERSELLE, PUIS DANS LE GRAND TOUT (Hindouisme moksha).
Nos amis bouddhistes pensent que cette réincarnation des âme/esprits peut se faire dans l’un des six états suivants : déité (deva), déité inférieure (asura, humain, animal, esprit avide, esprit torturé (en enfer donc). Le druidisme, lui, n’envisage que le cas des réincarnations humaines (au demeurant rarissimes et même exceptionnelles) *.
Le druidisme est le moyen par excellence de se libérer de la nécessité de se réincarner en bacuceos, mais dans le cas du bacuceos, ce n’est pas l’âme pure qui transmigre de corps en corps, mais disons plutôt un continuum de conscience. Un processus progressif d’apprentissage et d’accomplissement individuel, autrement dit le couple âme + esprit (anamone + menman).
Nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais vu l’importance de la chose, il n’est pas déplacé de le répéter.
Les bacucei sont comme les prisonniers ou les possédés d’une entité supra humaine restant à définir, conséquence inéluctable du temps et de la vie qui distribue, partage, ou répartit (les âme/esprits ?)
Les désordres et les troubles du comportement décrits par Cassien, sont le signe des difficultés d’adaptation de l’âme/esprit à son nouveau corps, même quinze ans après (corps trop petit ou trop grand, etc.)
Certains pseudo-druides, comme il en existe tant aujourd’hui, hélas, se fondant sur ce témoignage de Cassien (nostalgie de la chute, etc.) affirment qu’il serait possible de se souvenir de ses vies antérieures. Mais les cas isolés avancés à l’appui de cette thèse posent toujours le problème de la vérification.
La transmigration n’est pas un châtiment, mais une occasion offerte. Soit de se racheter, en se réincarnant autant de fois que nécessaire, soit d’aider les plus faibles ou les plus imprégnés par les forces du mal, à s’élever par l’étude et la prière.
En fait, d’un point de vue scientifique, tout se passe comme si le patient avait une deuxième personnalité.
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On définit le trouble dit « de la personnalité multiple » par la coexistence, chez un même individu, de deux ou plusieurs états de personnalités distincts. Qu’ils aient une mémoire propre, des modalités comportementales spécifiques et leurs propres styles de relation sociale, ou qu’ils partagent une partie de ces différents comportements. Les deux consciences se combattent dans un même champ qui est le corps, et l’âme est comme partagée. Ce type de trouble commence à s’installer dès l’enfance, mais n’est, le plus souvent, remarqué par les cliniciens, que beaucoup plus tard ; il s’agit d’ailleurs presque toujours de filles (60 à 90 %).
Le passage d’une personnalité à une autre est généralement brusque (quelques minutes). La transition est sous la dépendance du contexte relationnel. Les transitions peuvent survenir également lorsqu’il y a conflit entre les différentes personnalités, ou lorsque ces dernières ont élaboré un plan commun. Les personnalités peuvent être diamétralement opposées dans leurs caractéristiques, et différer même quant aux tests psychologiques ou physiologiques : elles peuvent nécessiter par exemple des verres correcteurs différents, répondre de manière différente au même traitement, et avoir des quotients intellectuels différents. La Schizophrénie peut évidemment elle aussi aboutir aux mêmes symptômes.
* Nabuchodonosor, Hitler, Staline, et quelques autres. Encore que pour certains penseurs de l’École bouddhiste de la terre pure comme Shiran (1173-1262), même les hommes comme eux peuvent se réincarner dans l’autre monde de type paradisiaque, afin d’y suivre enfin et dans les meilleures conditions les enseignements du bouddha de la terre pure occidentale (zettai tariki et akunin shoki).
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LA JUSTICE D’EXCEPTION : LA RÉINCARNATION PÉNALISANTE (ATEGENETO).
Opinion individuelle du druide Leonorios sur le Vindomagos (École du Drunemeton).
Après la mort l’anaon ou âme-esprit, passe dans l’autre monde parallèle de nature paradisiaque appelé Mag Meld ou Vindomagos, afin d’y continuer sa purification dans la béatitude de la contemplation du Graal (du divin). Autrement dit au Mag Meld, Tir na n’Og, Tir na mBan ; un certain nombre d’hommes et de femmes, ayant achevé leur vie terrestre, et revêtus d’un corps idéal (bellissamos/bellissama, xvarnah en avestique) ; achèvent de se purifier en contemplant dans la pleine lumière et tels qu’ils sont, les dieu-ou-démons ou leurs trinités. Ou alors l’âme-esprit passe à un stade supérieur dans le retour au Grand Tout (erdathe individuelle). Voire se réincarne sur terre en bacuceos après un plus ou moins bref passage dans l’enfer glacé de l’andumnon ou plus précisément des antichambres du paradis qu’il abrite.
Un des derniers éléments du néo-druidisme est la croyance en la possibilité d’une réincarnation ici-bas des âme/esprits de certains malades mentaux, car l’hypothèse d’une vie antérieure est la seule explication possible à un certain nombre de cas exceptionnels. Comment expliquer en effet autrement, l’incroyable diversité des destins humains ?
La loi d’airain de l’ategeneto peut s’énoncer ainsi.
PREMIER CAS DE FIGURE (le plus courant. Peut-être 99,9 % DES DÉCÈS).
L’anaon (l’âme-esprit) a bien vécu. L’être a maintes fois cherché son illumination spirituelle. L’homme a tenté de maîtriser ses instincts inférieurs, derniers sursauts de son animalité. Son corps ayant cessé de vivre, l’âme-esprit sait alors que l’essentiel est de ne pas perdre son sang-froid, sa conscience, sa pleine liberté d’appréciation, un peu comme le nageur solitaire lancé dans une longue traversée. Les hallucinations inévitables qui se dégageront de son mental revêtiront alors un aspect tranquille et harmonieux. Rien ni personne (aucune divinité courroucée disent nos amis tibétains) ne pourra l’effrayer ou l’égarer alors. Et les suggestions immédiates corrélatives à ce dégagement et à cet éparpillement du psychisme seront des suggestions raisonnables, harmonieuses, calmes. Devant elle s’ouvriront toutes grandes les portes du Vindomagos.
De même que la journée du sage, faite de l’accomplissement de son devoir quotidien et du maximum de bonnes actions, génère le sommeil du juste ; de même que la vie du guerrier entièrement voué à la défense de son pays ou à la protection de la veuve et des orphelins génère le sommeil du juste ; une vie bien remplie, où l’altruisme et l’intelligence ont dominé souvent, est génératrice du meilleur destin possible.
Ceux qui meurent dans le cadre de la Reda ou de l’éthique minimale de la druidiaction, sont assurés d’une vie immortelle après leur mort, même s’ils ne sont pas encore assez purifiés pour s’engloutir et disparaître dans le Grand Tout du Pariollon.
Le druidisme antique appelait donc Vindomagos ou Mag Meld cette bienheureuse purification post mortem, distincte de la plénitude de la réabsorption au sein du Grand Tout. Elle est à l’exact opposé du passage au sein des glaces de l’anderodumnon appelé Donno Tegia (Tech Duinn), Annwn, etc.
DEUXIÈME CAS DE FIGURE (beaucoup plus rare. Peut-être 0,01 % des décès).
L’anaon a mal vécu. L’âme-esprit n’a recherché que des satisfactions basses, elle a délaissé sa spiritualité pour ne flatter que sa matérialité. Dès lors et à peine le corps physique privé de vie, elle n’aura plus que des hallucinations chaotiques, heurtées, violentes (Catubodua, Cicolluis, etc.les fameuses divinités courroucées du bouddhisme), qui l’affoleront et lui feront perdre tout contrôle d’elle-même dans l’inconnu. Ces réactions violentes, ces hallucinations, l’affolement qui en résulte, privent l’anaon de son libre arbitre et de la possibilité de choisir intelligemment. L’âme-esprit, l’anaon, sera comme le nageur qui s’affole. Elle ne pourra pas vaincre les suggestions qui naîtront de ses visions.
Et ce sont ces suggestions qui deviendront les raisons ainsi que les lois de sa re-descente sur terre, sous forme de bacuceos.
Mais cette réincarnation des âmes-esprits ne s’opère qu’après un temps de passage plus ou moins long dans le monde de glace appelé andumnon, ou anderodubnon (Donnotegia, Annwn, etc.)
Note à propos de la conception chrétienne (irlandaise et « marcusienne », du nom de l’auteur de la vision de Tondale) de l’enfer.
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La vision de Tondale (Tungdal était un noble irlandais en mauvais termes avec l’Église catholique) fut une œuvre irlandaise du XIIe siècle, abordant un thème semblable à celui de la Fis Adamnan, ou à celui de la vision de Fursa.
Le malheur pour l’Occident, ce fut que cette fichue idée a plu à l’Europe chrétienne. Elle a été reprise par l’Elucidarium (vieux français le lucidaire) d’Honorius Augustodunensis, autre moine irlandais, ainsi que par quantité d’autres auteurs. Or ce purgatoire infernal de saint Patrice, né d’une déformation (ou d’une incompréhension) de certains mythes celtiques archaïques (la forge de Gobannos/Goban/Goibniu), n’a quand même rien à voir avec notre cher druidisme ! Qui en abandonne donc la pleine et entière responsabilité aux catholiques, aux réformés, aux orthodoxes, et aux autres Témoins de Jéhovah.
Bien qu’étant d’origine celtique, Marcus (l’auteur de cette vision de Tondale) était un esprit malade (déstabilisé par l’impérialisme culturel grandissant de l’Église de Rome). Honorius Augustodunensis lui aussi d’ailleurs. Leur enfer n’a par conséquent rien à voir avec l’antichambre du Paradis, glacé, de type celtique. Marcus et Honorius n’avaient plus rien de celte. Comme le prouve le soutien apporté par Marcus à saint Malachie, initiateur de la contre-réforme cistercienne en Irlande.
Plus correcte au point de vue théologique celtique (et en tout cas bien plus proche de la vérité à ce propos) est la conception galloise de ce non-monde glacé, reprise ultérieurement par le spiritisme. Des sortes de limbes glacées, où les êtres demeurent, incertains de leur état, se mêlant parfois, visibles ou invisibles, à la foule des vivants.
Il ne faut pas oublier néanmoins que le mal ne se réalise que de façon ponctuelle. Il y a des péchés (des erreurs, des fautes, des faiblesses humaines, des crimes) il n’y a pas le Péché, entré dans le monde avec un péché originel du premier homme. Quelle stupide et dangereuse idée ! Il n’y a pas de mystère du Mal, du Péché, il n’y a que des décisions erronées * ou des fautes.
Il n’y a pas eu de chute originelle du premier homme (Cornunnos), au sens strict du terme ! Il n’y a eu qu’un dérapage que notre Toutadis Pater (Cornunnos) a de lui-même réparé en mettant au point une méthode pour triompher de ces faiblesses.
Note à propos de l’approche bouddhiste de la question. Un de nos frères en la croyance qu’il existe une Terre Pure pouvant accueillir tous les défunts, en Extrême-Orient, Shinran (1173-1263) a néanmoins expliqué que (selon lui) même Hitler et Staline sont allés au paradis. « Même les bons renaissent dans la Terre Pure » disait-il « alors pourquoi pas les méchants ?».
Possible, mais à condition au moins d’y croire. Car nul ne peut se réincarner dans cette Terre Pure qui nous attend après la mort S’IL NE CROIT PAS AU MOINS QU’ELLE EXISTE. Car là est l’essentiel et peu importe les raisons techniques avancées par Shinran : la force des vœux du Bouddha Amitabha et le transfert sur notre tête de ses mérites (des mérites du Bouddha car les nôtres de mérites sont, hum, comment dire, à tout le moins très discutables, idée que les anciens druides eux avaient théorisée de leur côté sous la forme des Ces Noinden). En tout cas pas forcément la récitation du nembutsu. Y penser suffit !
Enfin tel est notre point de vue à nous autres barbares druides d’extrême occident sur la question.
TROISIÈME CAS.
Les anaons vont se fondre directement dans le Pariollon ou Grand Tout qui n’est jamais que la lumière divine où fusionnent les grandes âmes, les âmes pures, sans passer par l’étape du Vindomagos.
QUATRIÈME CAS : LA RÉINCARNATION NON PÉNALISANTE (des exceptions à la règle générale qui est la non-réincarnation sur cette terre).
Les anaons ou plus exactement les anatiomaroi, redescendent sur terre, non parce qu’elles ont mal vécu, mais par pur altruisme, pour y aider ou y instruire les autres hommes restés derrière eux. Corps et âme/esprit des semnothées ou des kingetes, devenus awenyddion, subsistent certes encore, jusqu’au temps de leur ultime désincarnation, mais une absolue et immanente liberté intérieure a déjà été atteinte par eux. Leur sérénité s’avère absolue. Craintes et même espérances sont si loin qu’elles n’existent plus pour eux. Les illusions du monde de la grande déesse-ou-démone-mère cosmique non plus. Qu’importe alors que cette nouvelle existence passagère, dont la faiblesse originelle est éradiquée par le xvarnah (vieux celtique bellissamos/bellissama), soit encore prolongée pour quelques instants, ou pour quelques siècles. L’awenydd a réussi la percée qui conduit au sommet de l’autre monde. Il est sur la bonne voie, la voie qui permet un épanouissement définitif de son âme. Le semnothée, l’awenydd ou le Kinges, voudrait-il dès à présent mettre fin à cette existence, qu’il le
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pourrait, notamment afin d’éviter l’éventuelle déchéance du 6e âge, le Diexbliniceto (Diblidecht en gaélique). Mais la plupart attendent le terme fixé par notre mère Nature.
REMARQUE : CES TROIS DERNIERS CAS SONT LE FAIT DE QUELQUES INDIVIDUS SEULEMENT, À CHAQUE GÉNÉRATION.
NOTE DE PIERRE DE LA CRAU insérée à cet endroit par ses héritiers.
À une exception près peut-être, la réincarnation en ce monde (nous ne parlons pas de la réincarnation dans l’autre) est inconnue de la tradition celtique, même en Irlande. Il n’existe que des cas plus ou moins légendaires de métamorphose, c’est-à-dire des changements d’apparence ou de forme, ou de conscience et de personnalité. Il existe en effet, c’est indéniable, un certain nombre de légendes irlandaises, où héros et dieu-ou-démons changent provisoirement de forme, nous disons bien… provisoirement.
Ces métamorphoses psychosomatiques sont des accidents interrompant le cours normal d’une existence, sans en changer la signification. Elles n’ont rien à voir avec l’immortalité de l’âme/esprit. Les métamorphoses, réelles ou illusoires, les plus connues, sont celles des deux druides porchers royaux du nord et du sud de l’Irlande, consignées dans le récit intitulé « Compert in da Muccido » ; et celles des enfants de Lero transformés en cygnes par leur belle-mère (Oidhe chloinne Lir).
Le druidisme est une culture de l’immanence et de la transcendance à la fois, donc sans aucune problématisation de la rencontre d’une âme et d’un corps de nature hétérogène. De la même manière, le divin est présent parmi les hommes, dans cette conception de l’unité de l’être. Il n’y a pas d’ordre immanent ou transcendant figé, instituant des règnes, animal, végétal, minéral… ce sont des notions arbitraires, tant les frontières sont floues. Le Gdonios ou l’Homme participe du divin par sa culture, et par toutes ses formes de mémoire, mais il participe aussi de l’animalité par sa mortalité, son besoin de nourriture, sa reproduction. Aucune barrière ne sépare les hommes, les dieu-ou-démons et les animaux, et le rituel central de la religion druidique antique, le sacrifice, rappelait sans cesse cette répartition toujours à « refonder ».
L’image du changement provisoire du corps ou du psychisme d’un homme, en celui d’un animal, traduit à sa façon cette unité du monde et cette fluidité des formes. Il en est de même pour les dieu-ou-démons qui apparaissent aux hommes sous une apparence humaine, socialement intelligible, et qui permet donc la communication.
Il ne faut par conséquent nullement confondre métamorphose et réincarnation. À une exception près, la légende irlandaise intitulée en gaélique Scél asa mberar combad hé Find mac Cumaill Mongan 7 ani dia fil Fothaid Airgdig a scél so sis.
Le nom de Mongan apparaît une fois, et seulement une fois, dans sa forme complète : Mongân Finn mac Fiachna Finn : « Mongan le Beau, fils de Fiachna le Beau ». Le surnom adjectival Find ou Finn (en graphie plus récente) signifie également « blanc ».
Un seul fragment donc, en tout et pour tout, nous affirme que Mongan était Finn, fils de Cumall. C’est le deuxième, dans son titre et dans le seul paragraphe 6.
Une histoire où il est dit que Mongan était fils de Cumall et qu’il fut la cause de la mort de Fothad Airgdech.
Un revenant, Cailté/Caletios, y prend la parole pour contredire un dénommé Forgoll.
Bâmârni latsu la Finn ol in t-oclach (j’étais alors avec toi, c’est-à-dire avec Finn, dit le guerrier) et Bâmârni la Finn trâ ol se dulodmar di Albae (J’étais avec Finn et nous revenions d’Écosse).
Cela peut se comprendre comme une allusion sans équivoque à l’expédition de Fiachna Finn en Écosse.
Puis, au paragraphe 7, nous lisons ba hé Finn dano inti Mongân acht nad leic a forndisse… (C’était alors Finn qui était ce Mongan, bien qu’il ne permît pas qu’on le dît.)
Y a-t-il eu confusion du surnom de Fiachna Finn et de Mongan Finn avec le nom de Finn fils de Camulos/Cumaill ?
* Erronées, car ne pouvant que fatalement avoir des conséquences négatives y compris pour soi -même (exemple une vengeance, des mesures de rétorsion, etc.)
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LES DIVINITÉS PSYCHOPOMPES OU ACCUEILLANTES.
Les écoles callaïque ou « lucanienne » du druidisme.
Lucain. Livre I. 452. À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes.
Strabon. Livre II Chapitre IV, 16. Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière.
Les écoles callaïque ou « lucanienne » du druidisme n’en font donc pas tant des divinités extérieures aux êtres qui naviguent dans l’au-delà de la mort, mais plutôt des personnifications des qualités intrinsèques ou préternaturelles de l’être humain favorisant une heureuse réincarnation dans l’au-delà. Telle est du moins leur interprétation du rôle de ces dieux ou démons.
Les premiers à se manifester sont ceux que nos amis bouddhistes appellent les divinités apaisantes ou paisibles, en raison de leur rôle dans ce processus, à ce stade du voyage de l’âme/esprit. Ce sont les personnifications de tous les sentiments humains positifs, altruistes, esthétiques et pacifiques, contenus dans le cœur. Elles se manifestent cependant dans notre dimension, ce qui peut effrayer de prime abord si on ne les reconnaît pas. Ces personnifications divines ont souvent une forme animale, car il existe en effet des animaux dits PSYCHOPOMPES. Du grec « pompos », qui conduit et « psukhê », l’âme.
Le cheval était souvent associé au royaume des morts, auxquels on le sacrifiait. Il jouait un rôle de « psychopompe » dans de nombreuses cultures asiatiques, voire dans la Grèce mycénienne ; où des chevaux étaient sacrifiés aux grands héros morts, afin qu’ils les emmènent dans les champs de l’Au-delà. Le cheval devient même la seule monture de l’autre monde dans certaines cultures, brésilienne et vaudoue.
Dans le druidisme, une des divinités psychopompes apaisantes ayant pour vocation d’accompagner le voyage de l’âme/esprit dans l’au-delà, et donc à visualiser pour réussir sa réincarnation dans l’autre monde paradisiaque, est notre grande reine Épona. Toute personne suffisamment avancée sur le plan spirituel, c’est-à-dire instruite dans notre religion, la reconnaît immédiatement dans les fractions de seconde qui suivent sa mort, et sait se fondre avec elle, par exemple dans les plis de son manteau, pour ainsi éviter de retomber sur terre. Ce qui suffit à échapper définitivement au cycle infernal et sans fin, des renaissances ou réincarnations en bacuceos ou seibaros.
On en a une illustration dans la légende d’Ossian en Irlande.
Dans la mythologie gaélique, Épona la psychopompe apparaît en effet sous la forme d’une gracieuse cavalière appelée Niamh (équivalent zoroastrien : la daena). La légende la plus connue la concernant est celle qui nous décrit sa rencontre avec le célèbre féniane Ossian.
Ossian rencontre Niamh alors qu’il chasse près des rives d’un lac. Elle lui apparaît brusquement sur un cheval aux sabots d’argent et à la crinière d’or, appelé Enbarr (dont le nom signifie en irlandais « imagination ». Tout un programme !) Niamh lui explique qu’elle vient de très loin spécialement pour lui, afin de l’inviter à venir dans le royaume de son père, dans l’autre monde, le Pays d’éternelle jeunesse. Il monte sans hésiter sur le coursier et son père ne le revit plus jamais. Après diverses aventures dans l’autre monde (il se bat contre un géant sous-marin), Ossian commença d’éprouver de la nostalgie pour son pays natal. Niamh lui confia donc son cheval magique pour qu’il puisse visiter son pays, mais le prévint également de ne jamais mettre pied à terre sous peine de ne plus pouvoir revenir. À son retour l’Irlande lui sembla un pays étranger, car tous ceux qu’il avait connus étaient morts depuis longtemps. Les gens lui semblèrent beaucoup plus pauvres, misérables ou petits, que les héros avec qui naguère encore il avait grandi. Ayant rencontré par hasard des hommes vêtus de haillons qui essayaient de pousser un rocher, il le souleva d’une main, mais sa selle glissa et il tomba au sol. Alors son beau cheval magique s’évanouit aussitôt et le vaillant et jeune guerrier qu’il était se transforma en un vieillard aveugle et frêle. Un moine copiste chrétien a introduit saint Patrice dans ce
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mythe. Comme tout le monde semble le prendre pour fou, on amène Ossian au saint homme qui écoute son histoire et lui explique tous les changements survenus en Irlande depuis l’avènement du christianisme et s’efforce de le convertir. Mais Ossian lui répondit qu’il ne concevait pas un Paradis qui ne tiendrait pas en honneur les Fénianes désireux d’y entrer ni un Dieu qui ne serait pas fier de compter Vindos/Finn parmi ses amis. À quoi ressemblerait une vie éternelle où l’on ne pourrait ni chasser ni faire la cour aux belles dames ? Il préféra donc cet Enfer dont ses compagnons les Fénianes, d’après saint Patrice, subissaient les pires tourments, et mourir comme il avait toujours vécu, afin de les rejoindre.
Le royaume d’Épona étant, comme il se doit, le royaume des morts, nombreux sont les monuments et les statuettes qui la représentent sous la forme d’une jeune femme assise le plus souvent en amazone à droite sur une jument marchant au pas, et parfois même accompagnée de son poulain. Il lui est fréquemment associé (par exemple, tenu dans sa main droite), un oiseau, un petit chien (entre les pattes de la jument ou sur ses genoux) ainsi qu’un enfant (le hésus Cuchulainn petit?). Épona fait en effet partie des matres mopates.
Sur une inscription de Diocléa (Dalmatie), elle est qualifiée de Regina, et sur une autre d’Apulum (Alba Iulia en Roumanie) de Regina Sancta, ce qui montre bien qu’elle ne faisait qu’une avec la Rigantona devenue en gallois Rhiannon la Grande Reine. Déesse-ou-démone, ou fée, de la terre mère, ou mère du Grand Hesus (Morfessa en irlandais, maître de Thulé-Falias ou Fo-Alias). En ce qui concerne le hésus Cuchulainn Épona mérite donc vraiment le nom de « théotokos » (mopas).
Elle symbolise l’énergie enfermée dans la terre, dans la matière. Épona est la source primordiale, chtonienne, de toute fécondité. Elle trône parfois sur un char traîné par deux chevaux, comme Cuchulainn d’ailleurs, ce qui signifie qu’elle maîtrise, ordonne et dirige, la puissance vitale ainsi que les cycles de l’évolution biologique terrestre.
C’est d’abord gravée dans la pierre qu’elle fut représentée, car la pierre contient la substance qui lui permet de faire croître les moissons et les arbres chargés de fruits. Ou de fournir également aux espèces sauvages errant sur les montagnes, des cours d’eau, des frondaisons et de verts pâturages. Aussi lui a-t-on donné aussi parfois, le nom de patronne des espèces sauvages, ou de mère des hommes. Épona est une déesse-ou-démone, ou une fée si l’on préfère, dont le culte se confond, dans les temps les plus anciens et dans toutes les régions du monde antique, avec celui de la fécondité. Elle est tantôt chevauchante, tantôt assise entre deux chevaux, parfois dotée d’une corne d’abondance, parfois aussi, comme signalé plus haut, accompagnée d’un jeune chien.
Il est donc tout à fait logique de l’associer au culte du Grand Hesus (puisque celui-ci porte en Irlande un nom totémique signifiant « le chien de Culann » : Cu Chulainn (Culann était un forgeron).
Épona finira par symboliser la mort et la fécondité, la fécondité par la mort. Ses apparitions et disparitions, inattendues, reflètent l’alternance de la vie et de la mort, et, en fin de compte, leur unité. Par ses apparitions ou ses occultations, Épona révèle le mystère et la sacralité de la conjugaison de la vie et de la mort (aurait pu dire Mircea Eliade). Le culte d’Épona est un culte dominé par l’amour et le sacrifice des juments.
On retrouve dans ce symbole de la mère la même ambivalence que ceux de la mer et de la terre. La vie et la mort sont liées. Naître c’est sortir du ventre de la mère, mourir c’est retourner à la terre. La mère, c’est la sécurité de l’abri, de la chaleur, de la tendresse et de la nourriture.
Cette mère divine appelée chez nous Épona, symbolise donc la sublimation la plus parfaite de l’instinct, et l’harmonie la plus profonde. Par son état paradoxal de mère et de vierge, la triple Épona représente à la fois la potentialité du monde et la béatitude divine. Contrairement à ce que prétendent ou feignent de croire certains néo-druides, dieux et déesses comme Épona font bien partie du druidisme, sont un des niveaux de vérité du druidisme, cette antique déesse (Épona) des steppes d’Eurasie a été intégrée dans leur vision du monde par les druides antiques. Tout comme le bouddhisme des origines a su trouver aux déités locales d’avant lui une place acceptable et un rôle utile dans sa pratique au niveau populaire et quotidien ainsi que l’a bien démontré Charles Norton Edgecumbe Eliot 1862-1931 (Hindouisme et Bouddhisme). L’antique dieu de la mort Mara y symbolise par exemple la tentation et y est devenu un esprit maléfique, etc. Mais ce qui compte surtout dans le bouddhisme, tout comme dans le druidisme d’ailleurs, c’est de ne pas succomber à la tentation de croire en un dieu personnel, créateur et censé être éternel ou tout-puissant.
Pour conclure, les dévas font donc bien partie de la cosmogonie bouddhiste et la déesse Tara est par exemple une divinité (une bodhisattva du genre féminin) reconnue par le bouddhisme.
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Ainsi que l’a très bien vu le celtologue Henri Lizeray, la femme joue aussi un grand rôle dans les conceptions religieuses celtiques ; tant par son rôle de messagère de l’Autre Monde (voir les anges du christianisme médiéval) que par celui de divinité maîtresse de la mort et des animaux.
Épona est celle qui occupe dans la druidiactio la place la plus élevée, juste en dessous de Lug et du grand Hésus, Maître de Thulé/Falias sous le nom de Morvessus ou Morvesos ou Morfessa dans la tradition apocryphe irlandaise. Celle qui est la plus proche de nous également, car sa maternité adoptive divine s’étend aussi aux humains. Elle est enfin psychopompe et anextlomara en plus d’être mopas.
Aussi est-il normal de se pencher un peu sur le rôle de cette bienheureuse vierge sans parèdre du moins dans l’iconographie…
Ce glorieux destin a été comme l’anticipation de la résurrection des corps de type xvarnah ou bellissamos qui nous attend dans l’autre monde paradisiaque et pur qu’Amithaba appelait Soukhavati, et les druides Mag Meld. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle intervient en tant que divinité apaisante ou guide spirituel au sens strict dans les instants qui suivent la mort.
Épona n’est pourtant pas complètement hors de notre monde, car elle accompagne de ses prières nos âme/esprits dans leur chemin vers l’autre monde. Par son aide constamment renouvelée, elle continue à nous secourir jusqu’au bout et c’est pourquoi cette bienheureuse vierge sans pareil et sans parèdre dans l’iconographie, est toujours invoquée en tant qu’aide, auxiliaire, médiatrice, etc. Épona qui, comme une mère adoptive, porte le celtisant convaincu tout au long de son voyage terrestre l’accompagne donc aussi au terme de cette première moitié de sa vie. Afin de le remettre entre les mains du maître qui habite à l’ouest du monde là où le soleil se couche.
Conclusion pratique pour notre druidiactio. Contrairement à ce qu’affirment certains néo-druides d’aujourd’hui, se tourner vers la figure maternelle et apaisante d’Épona fait bien partie du druidisme. Se servir d’une de ses images comme aide à la méditation ou à la concentration fait bien partie du druidisme et ça peut aider à mourir, donc à vivre. C’est du druidisme populaire par excellence. Le dernier refuge du soldat broyé dans une tranchée. Un équivalent celtique du bouddhisme se doit par conséquent, par compassion, d’inclure un culte d’hyperdulie centré sur Épona dans les soubassements de sa philosophie. Le contraire serait une bien inutile iconoclastie. L’important demeure de rejeter philosophiquement parlant le mythe du dieu personnel créateur tout puissant, qui est effectivement incompatible avec notre triangle philosophique dont les trois extrêmes sont l’athéisme l’agnosticisme et le panthéisme.
Autres divinités ou entités animales psychopompes et bienveillantes.
Comme le renne et le chevreuil, le cerf semble avoir joué un rôle de psychopompe (qui conduit les âme/esprits des morts) : le Morholt d’Irlande, oncle d’Yseult, tué par Tristan en combat singulier, est dépeint par Joseph Bédier comme gisant mort, cousu dans une peau de cerf.
Le cerf est par sa ramure qui repousse chaque année le symbole du renouveau de la nature. Dans la mythologie celtique, le cerf par exemple incarne souvent celui qui fait passer les âme/esprits vers le monde des morts, le pays divin ou encore le « pays des fées ». On retrouve d’ailleurs ce schéma dans le conte gallois « Pwyll Prince de Dyfed » dans Les Quatre Branches du Mabinogi, où Pwyll chasse un cerf à la lisière d’une clairière dans un bois, et rencontre ainsi Arawn, roi d’Annwn (ou Annfwn, « l’Autre Monde »). On pourrait ajouter à ces exemples la biche du « Lai de Guigemar » chez Marie de France, ou encore le cerf vainement poursuivi par Gauvain dans Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes ; qui sont aussi des signes de frontières entre l’Autre Monde et la « réalité » de la Cour. Encore qu’ils se doublent là d’une symbolique sexuelle. On trouve un symbolisme similaire dans d’autres mythologies (cf. chez les Grecs, Actéon déchiqueté par Diane et sa meute ; ou encore le grand cerf Eikthyrnir dans les Eddas, etc.), mais la fonction psychopompe et initiatique du cerf, messager de l’autre monde, est particulièrement importante dans la littérature celtique.
Un signe incontestable de l’importance du cerf dans la symbolique druidique est la fréquence relative de son apparition dans l’iconographie ou la légende. Une divinité bien connue des druides porte le nom de Cornunnos, « celui qui a le sommet du crâne comme un cerf ». Elle est représentée sur le chaudron d’argent de Gundestrup, assise dans la position bouddhique, tenant un torque dans une main et un serpent dans l’autre, entourée d’animaux les plus divers, et notamment d’un cerf. Peut-être faut-il voir dans ces bois de cerf surmontant la tête du dieu-ou-démon, un rayonnement de lumière céleste. Un autre monument remarquable est celui de Reims où Cornunnos est représenté en dieu-ou-démon de l’abondance. On en connaît plusieurs autres. Cependant, il semble bien que ce dieu-ou-démon doive être compris comme un maître des animaux. En Irlande, le fils du grand héros du cycle ossianique, Finn, s’appelle Ossian (« faon »), tandis que saint Patrice se métamorphose et transforme
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ses compagnons en cerfs (ou en « daims ») pour échapper aux embûches du roi Loegaire. Il agit ainsi en vertu de l’incantation ou procédé magique appelé feth fiada, lequel procurait en principe l’invisibilité.
Le symbolisme du cerf dans le monde celtique est donc très vaste et il a trait certainement aux états primordiaux. Faute d’une étude d’ensemble, on devra provisoirement se borner à relever aussi le symbolisme d’abondance et de longévité. Les Celtes employaient de nombreux talismans, faits en bois de cerf, et l’on a noté, en Suisse, dans des tombes alémaniques, des ensevelissements de cerfs à côté de chevaux ou d’hommes. On a rapproché ce fait, des masques de cerf dont étaient munis des chevaux sacrifiés dans des kourganes de l’Altaï aux Ve et VIe siècles avant notre ère. En Bretagne armoricaine, saint Edern est représenté chevauchant un cerf. Les légendes irlandaises nous narrent que Sadv, la mère d’Ossian (fils de Finn et célèbre poète guerrier du IIIe siècle) fut transformée en biche par un druide.
En Bretagne armoricaine on raconte également que Dahud, la princesse d’Ys, traquée en vain par le roi Marc’h, aimait courir les bois sous la forme d’une biche blanche.
Le corbeau la corneille ou le vautour.
«… Pour eux [les Celtes dont le nom est associé aux Ibères] il est glorieux de mourir au combat, et il est sacrilège de brûler le corps de celui qui a connu une telle mort. Ils croient que leurs âmes/esprits seront transportées au ciel auprès des dieux si le corbeau * affamé déchire leur dépouille gisante » (Silius italicus. La guerre punique. Livre III. Vers 340-343).
* Le texte en fait parle de vautours, mais nous avons remplacé ce mot par celui de corbeau (ou de corneille) plus connu. Cela ne change rien au principe !
De grandes civilisations, de l’Asie à l’Europe centrale, confiaient aux vautours le soin de faire disparaître les cadavres humains, plutôt que de polluer directement la nature en se débarrassant des morts par enterrement, incinération, immersion, ou décomposition à l’air libre. On connaît encore quelques groupes comme nos frères Parsis, qui pratiquent ces funérailles « astrales » où les vautours sont chargés d’engouffrer proprement les corps qui leur sont livrés en pâture, et de ne laisser au sol que des os purs et nets. On touche ici l’un des domaines où s’expriment les convictions les plus profondes d’un peuple, et son rapport au monde visible et invisible. Pour un Grec du temps d’Homère, la mort sans sépulture ni stèle représentait le dernier outrage. Abandonner sur le champ de bataille le corps des combattants à la diligence des charognards déshonorait un chef à jamais. Il va sans dire que cette attention ne portait que sur les dépouilles des citoyens, la piétaille n’entrait pas en ligne de compte.
C’était donc les Barbares qui avaient recours aux vautours pour faire disparaître les corps, les Galates, les Mèdes, les Mages, les Bactriens, bref les « Autres » vus par les auteurs helléniques, qui demeurent nos rares sources en la matière.
Le dauphin.
Dernier scénario insulaire ou maritime (les régions jouxtant une mer quelconque) : l’âme/esprit part sur un dauphin. Le dauphin accompagnait les défunts dans les « Îles des Bienheureux au bout du Monde », en les portant sur son dos.
C’est le cas du dauphin figurant sur le chaudron de Gundestrup au Danemark : il est chevauché par un être humain.
Le diadème de Mones, trouvé en Espagne (Asturies) et datant d’environ 125 avant notre ère, a beaucoup de points communs avec le chaudron de Gundestrup trouvé au pays des Cimbres (le Danemark). On y voit des cavaliers semblables à ceux de certaines statues de la région et concordants bien avec les descriptions que nous ont laissées les textes traitant du sujet, ou des personnages manipulant des chaudrons. La scène est complétée par un certain nombre d’animaux marins remplissant les vides laissés entre ces cavaliers. Francisco Marco Simón pense qu’il s’agit là d’une scène évoquant l’au-delà, et les animaux marins en question seraient des dauphins accompagnant l’âme/esprit des chevaliers ou des cavaliers dans l’au-delà.
Une des divinités apaisantes que l’on peut visualiser au moment de la mort serait donc Belenos Barinthus ou Belenos Barinthius Manannan mac Lir si nous avons bien compris le bouddhisme celtique. Ce Barinthus est mentionné dans la Vie de Merlin selon Geoffroy de Monmouth. C’est lui le passeur ou le pilote qui conduira Merlin et le roi Arthur mortellement blessé dans l’île d’Avallon. Il est aussi mentionné plus longuement dans la Navigation de saint Brendan, sous le nom de saint Barrind. C’est lui qui, le premier, parlera de la terre promise aux saints (version christianisée de Vindomagos
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ou Mag Meld) à saint Brendan, et d’ailleurs l’y accompagnera. Il s’agit en quelque sorte d’un avatar de Manannan Mac Lir qu’une bien curieuse prière encore connue des pêcheurs de l’île de Man au XIXe siècle évoquait ainsi.
Petit Manannan, fils de Leirr,
Toi qui as béni notre île
Protège-nous ainsi que notre navire
Qui s’apprête à partir
Pour rentrer plein d’êtres vivants et de morts.
Les spécialistes du folklore mannois expliquent que ces morts en question sont des poissons, mais tout cela est bien curieux, et ce saint Barrind n’est pas très catholique.
Happy end du processus de désincarnation qu’est la mort dans ce cas.
Après la mort le kicos (le corps) reste ici-bas, enterré ou parti en fumée, mais anamone et menman encore unis se réincarnent dans l’autre monde. En revêtant un autre corps très proche du précédent (le kicos laissé sur terre) quoique différent sur certains points néanmoins (xvarnah = corps idéalisé ou corps de rêve =bellissamos/bellissama en vieux celtique). Cette réincarnation dans l’autre monde parallèle de nature paradisiaque appelé Mag Meld, ou Vindo Magos, a lieu peu de temps après le décès. Du moins d’après la croyance populaire générale à ce sujet.
Au bout d’un certain temps, l’âme et l’esprit se sépareront définitivement, l’esprit s’effacera peu à peu, et l’âme individuelle et personnelle enfin dégagée pourra se fondre dans l’âme universelle.
On peut aussi renaître dans le monde des dieu-ou-démons, puisqu’ils sont mortels bien qu’ayant une vie infiniment plus longue que celles des humains.
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LES DIVINITÉS REPOUSSANTES.
Les complications dans le processus de désincarnation qu’est la mort selon les écoles callaïque ou « lucanienne » du druidisme.
Lucain. Livre I. 452. À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes.
Strabon. Livre II Chapitre IV, 16. Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière.
Les écoles callaïque ou « lucanienne » du druidisme n’en font pas tant des démons extérieurs aux êtres qui naviguent dans l’au-delà de la mort, mais plutôt des personnifications des pesanteurs ou forces négatives de l’être humain, les passions mauvaises qui poussent à avoir des actes, des paroles ou des pensées, regrettables, productrices de bran, et empêchent donc une heureuse réincarnation dans l’au-delà. Telle est du moins leur interprétation du rôle de ces dieux ou démons.
La deuxième étape pouvant survenir après la mort est celle que nos amis tibétains appellent chonyid bardo. La conscience visualise alors un certain nombre de divinités d’apparence un peu moins séduisante ou affable que notre lumineuse et radieuse Épona (voir la légende de Niamh en Irlande) ou que Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan,
et fait au contraire l’expérience de divinités plus repoussantes ou ambivalentes et quelque peu inquiétantes comme Cobannos/Gobann/Goibniu et sa forge (Mara dans le bouddhisme).
Ces divinités repoussantes ou guerrières constituent d’ailleurs un motif classique de l’art celtique. L’énergie étant ici activée par la crainte, la passion, ou l’intellect, les divinités paraissent irritées, voire hostiles. Ces visions expriment le contenu énergétique de la conscience appréhendé sous la pression de la peur, car tous les poisons et toutes les émotions ressenties dans la vie vont resurgir à ce moment-là. Les désirs de la conscience vont se manifester au mort en prenant « corps » sous forme d’hallucinations répétées, qui vont tenter d’accaparer son esprit.
La légende de la mort selon les très-sachants de l’époque, en cas d’échec de la première phase (suivre les divinités psychopompes apaisantes ou pacifiques comme Épona ou Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan, enseigne donc à ne pas se laisser piéger par ces représentations fantastiques, terrifiantes (qui prennent l’aspect de véritables démons), de nos humaines, trop humaines, faiblesses.
L’imagination des bardes ou des conteurs a représenté ces phénomènes hallucinatoires comme autant de divinités aux symboles bien précis. Mais il ne faut pas s’y tromper. En fait, ces apparitions ne sont que des projections nées de la conscience du mort. Elles n’ont de réalité qu’en son esprit. Il convient de les reconnaître pour s’en libérer sans crainte, comme n’étant qu’une émanation de son ego.
Si l’âme/esprit du défunt les reconnaît à temps pour ce qu’elles sont (et c’est d’ailleurs le cas normal ou habituel), en comprenant qu’elles ne sont que des projections de ses mauvais penchants, de tout ce qu’il y a de négatif en elle, et s’en éloigne [Dindsenchas métrique, tome IV, poème 113. « Mais les âmes des justes, elles, peuvent apercevoir de loin cet endroit et, donc, l’éviter à temps. Voilà ce que croient les païens à propos de Tech Duin] alors elle évitera de s’écarter du droit chemin et de bifurquer vers la renaissance en bacuceos ou en seibaros sur terre. Il se préparera aussi à la meilleure de toutes les renaissances, la réincarnation dans l’au-delà paradisiaque de la tradition celtique. Une fois réincarné dans cet autre monde que l’on dit meilleur appelé Mag Meld ou Vindobitos peu importe (et si l’on veut l’appeler Deouatchène comme nos amis bouddhistes, pourquoi pas ?) il n’y a plus de retour possible ici-bas sur terre. Et il devient plus rapide et plus facile d’achever ou de parachever l’épanouissement de son âme.
Ces divinités repoussantes sont par exemple Tethra le roi des vouivres anguipèdes gigantesques, Arawn ou Gwynn dans la tradition galloise, la Catubodua ou la Sheela na gig et même l’Ankou dans l’ouest de la France. Cobannnos/Gobann/Goibniu quant à lui est plus ambigu.
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La Sheela na Gig ou Catubodua est un aspect de la grande déesse-ou-démone mère cosmique qui donne et reçoit la vie en retour, c’est une figure de changement et de transition, qui, comme toute « porte » psychopompe possède un aspect inquiétant. Le changement est par nature dérangeant. Aux périodes de « passage », nous allons du connu vers l’inconnu. Ce qui est inconnu peut être effrayant et les aspects des gardiens de cette porte peuvent l’être également. Une fois le changement effectué ou la porte passée, nous pouvons regarder derrière nous et nous interroger sur nos peurs. Les gardiens des portes deviennent alors des figures de renaissance et de régénération, belles et pleines de compassion.
Au sens strict du terme, la Sheela Na Gig ou Catubodua est une sculpture figurative féminine aux traits grotesques, présentant une exagération du sexe et que l’on retrouve le plus souvent dans les églises et les châteaux ; parfois accompagnée d’un équivalent masculin ; à travers toute l’Europe.
L’hypothèse avancée par Joergen Andersen et reprise par James Jerman et Anthony Weir, est que ces sculptures ont vu le jour au XIe siècle en France et en Espagne, avant d’être introduites dans les îles Britanniques au XIIe siècle. La plus célèbre des Sheela Na Gig se trouve néanmoins dans le château de Kilpeck, dans l’ouest de l’Angleterre. Ces sculptures sont pourtant plus nombreuses en Irlande (101) qu’au Royaume-Uni (45). On avance généralement qu’elles sont là pour éloigner les mauvais esprits. Les Sheela Na Gigs seraient des protections contre le Diable et la Mort ; de même que les gargouilles et les représentations grotesques de démons dans les églises et cathédrales d’Europe continentale. Mais la Sheela-Na-Gig peut avoir une signification plus profonde et plus positive.
Comme le Thanatos grec ou le Mrtyu indien, et contrairement à la tradition française, l’Ankou est un homme, non une femme, et comme eux, il a comme nom propre le nom même de la Mort : proto-celtique *anku – « mort » vieil irlandais, écossais, gallois angau, cornique angow.
L’essentiel de la tradition sur l’Ankou et l’au-delà fut recueilli à la fin du XIXe siècle par Anatole Le Braz, dans sa Légende de la mort chez les Bretons armoricains (à lire absolument).
L’Ankou ne représente pas la Mort en elle-même, mais son serviteur : son rôle est de collecter dans sa charrette grinçante (karr an Ankou, karrigell an Ankou, karrik an Ankou) les âme/esprits des défunts.
Le char de l’Ankou (karrik ou karriguel an Ankou) est fait à peu près comme les charrettes dans lesquelles on transportait autrefois les morts. Il est traîné d’ordinaire par deux chevaux attelés en flèche. Celui de devant est maigre, efflanqué, se tient à peine sur ses jambes. Celui du timon est gras, il a le poil luisant, il est franc du collier.
L’Ankou se tient debout dans la charrette. Il est escorté de deux compagnons, qui tous deux vont à pied. L’un conduit par la bride le cheval de tête. L’autre a pour fonction d’ouvrir les barrières des champs ou des cours et les portes des maisons. C’est lui aussi qui empile dans la charrette les morts que l’Ankou a fauchés.
Lorsqu’un vivant d’ici-bas entend le bruit de la charrette (wig ha wag !), c’est qu’il (ou selon une autre version, quelqu’un de son entourage) ne va pas tarder à passer de vie à trépas. On dit aussi que celui qui aperçoit l’Ankou meurt dans l’année.
Voici comment le décrit Anatole Le Braz dans son recueil : « L’Ankou est l’ouvrier de la mort (oberour ar maro). Le dernier mort de l’année, dans chaque paroisse, devient l’Ankou de cette paroisse pour l’année suivante. Quand il y a eu, dans l’année, plus de décès que d’habitude, on dit en parlant de l’Ankou en fonction : War ma fé, heman zo eun Anko drouk. (Par ma foi, celui-ci est un Ankou méchant) ».
Contrairement aux représentations squelettiques de la Mort, l’Ankou est la plupart du temps représenté comme un être de chair, puisqu’il a été homme un jour. Cependant, les figurations sculptées de l’Ankou de certaines églises le présentent en squelette aux orbites creuses, armé d’une flèche ou d’une faux.
On dépeint donc l’Ankou, tantôt comme un homme très grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, la figure ombragée d’un large feutre ; tantôt sous la forme d’un squelette drapé d’un linceul, et dont la tête vire sans cesse au sommet de sa colonne vertébrale, ainsi qu’une girouette autour de sa tige de fer ; afin d’embrasser d’un seul coup d’œil toute la région qu’il a mission de parcourir.
Dans l’un et l’autre cas, il tient à la main une faux. Celle-ci diffère des faux ordinaires, en ce qu’elle a le tranchant tourné en dehors. Aussi l’Ankou ne la ramène-t-il pas à lui, quand il fauche ; il la lance en avant.
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Les Bretons nomment la nuit de Noël la « nuit des Merveilles ». Au cours de cette nuit, durant la messe de minuit, l’Ankou a l’habitude de frôler de sa cape tous ceux qui ne passeront pas l’année.
Ces divinités repoussantes ont pour mission ou pour rôle de remettre l’âme/esprit du défunt dans le droit chemin qui conduit au paradis celtique. Il ne faut donc pas en avoir peur, ou plus exactement il ne faut pas s’en inquiéter, car plus elles sont effrayantes, moins on a envie de s’en approcher, et mieux cela vaut donc pour nous.
Il n’en va pas de même dans le cas du maître de l’antichambre ou sas du Paradis celtique qu’est Donn. Se laisser attirer par ses séductions vous vaut un long séjour en son royaume (Donnotegia) sous forme de fantôme ou d’âme/esprit en peine (seibaros). Voire une réincarnation sur terre en tant que bacuceos. Mais dieux merci, de tels cas sont rarissimes. Trois ou quatre par siècle.
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LA LÉGENDE DE LA MORT.
« Prépare ton immortalité, à ta mort, tu feras partie des mondes en formation » (Henri Lizeray).
La pensée de la mort est une pensée qui nous obsède, parce que le temps psychologique nous travaille et nous inquiète. La mort est présente en arrière-fond de nos angoisses les plus sourdes, et pourtant, même en y pensant souvent, nous nous y rapportons sans savoir ce qu’elle représente. Devant la mort, chacun de nous se trouve placé dans une situation paradoxale : obsédé par un processus dont nous ignorons tout, mais en croyant néanmoins en savoir assez pour la craindre ! Ce qui n’a aucun sens.
L’Histoire est un cimetière de croyances dont les avatars suivent une courbe déclinante précise : ce qui est cru a d’abord une existence réelle, puis est l’objet d’une interprétation symbolique, puis s’intériorise, enfin s’oublie. Vision pessimiste, commode, que nous devons corriger. En nous rappelant que l’espace imaginé peut servir à « passer à la limite » d’un système ; et n’est pas sans rapport avec un état des projets ou des désirs humains à un moment donné, en jouant un rôle de témoignage sur le développement des mentalités et des systèmes intellectuels. La référence à l’espace n’est pas un handicap, mais au contraire une nécessité conceptuelle. Posons qu’il en est ainsi, momentanément, à titre de défi et d’épreuve. Étudions comment se présente l’espace de l’au-delà, ici et ailleurs.
On se souviendra sans doute de la lente disparition de la conception de l’au-delà que nous avions observée au début de notre étude. L’au-delà, lieu réel, mais d’accès difficile, devenait, au cours de l’histoire européenne, un lieu hypothétique, purement psychique. Cette évolution mériterait d’être expliquée quelque peu, et l’on aimerait savoir s’il s’agit d’un processus normal.
En effet, bien que ce ne soit pas le cas de l’au-delà irlandais, cette notion est en général liée au phénomène de la mort et aux différents mouvements psychiques qui l’accompagnent. L’au-delà est une réponse à l’angoisse de mourir, et chaque au-delà est en soi une réponse différente tentée par l’être humain. Autant de caractéristiques qui peuvent nous aider à cerner l’originalité celtique.
C’est la première fois en effet dans l’Histoire, qu’une civilisation (la nôtre) renonce sciemment à toute perspective eschatologique ; tant la critique de l’au-delà de la mort a réussi à le faire disparaître de nos réflexions, à le condamner comme une fuite hors du monde, à l’éviter comme une faute de goût ; voire à le ravaler au rang de naïveté pour les simples.
Le refus de disparaître totalement reste pourtant un instinct toujours aussi fort en l’Homme ; désespéré d’être devenu mortel, et qui souhaite retrouver une chance d’inconnu radical.
C’est par conséquent de cette expérience existentielle qu’il faut partir, si l’on veut redonner vie à l’au-delà rendu à l’immanence et au présent. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que l’au-delà est un lieu imaginaire qui permet l’initiation. Il faut avoir subi une mort initiatique (dépouillement spirituel intense, vide de conscience, etc.) pour acclimater la vraie mort et l’intégrer à nos existences, afin de redonner au présent sa plénitude. Il est indispensable de ne pas perdre de vue la finalité de cet exercice, qui est de traverser vivant l’expérience de la mort, comme on passe à travers le feu ; de manière à l’avoir derrière soi, telle une chose désormais reconnue inoffensive et incapable d’inspirer la crainte.
L’au-delà irlandais répond à ce type d’expérience et d’initiation, puisque le héros y épouse souvent la fille du roi des morts, y découvre l’éternelle jeunesse née d’une issue favorable à ses épreuves. Et s’il revient chez lui pour mourir, cela ne saurait l’affecter puisqu’il a déjà vécu la mort en quelque sorte. Ces textes pourraient correspondre à une philosophie éducative ou à une pédagogie pour adulte, visant à promouvoir une morale apprivoisant la mort.
Toutefois, ces « au-delà » ne se ressemblent pas, et certains laissent entendre différents scénarios d’initiation. Il sera donc juste de voir à quelle catégorie appartient le nôtre.
Le premier type d’au-delà propre au chamanisme est marqué par une identité entre ce monde et l’autre (où règne l’abondance) et surtout par leur proximité. Un « incessant va-et-vient » s’établit entre ces mondes pour y rencontrer des ancêtres se réincarnant partiellement chez les vivants, si bien que l’au-delà est valorisé positivement.
Le deuxième type correspond à la Mésopotamie et à l’Égypte, et à l’invention d’une civilisation de la ville, laquelle, par une action assez mystérieuse, éloigne l’au-delà et le dévalue. Ce monde ci est coloré, attirant ; l’autre est gris, au point que l’on essaie de recréer dans la tombe du mort tous les agréments de la vie terrestre qu’il a quittée (figurines humaines, mobilier miniature, décor d’une
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maison). Tout au plus, voit-on naître un au-delà des purs qui auront la chance de rejoindre leur dieu-ou-démon après avoir été autorisés à « recoudre ensemble » leur âme/esprit et leur corps. Séparés, donc dans le malheur, à l’inverse de la vie terrestre où ils sont unis. La notion de « terre d’abondance » disparaît au profit d’une opération intellectuelle plus complexe qui privilégie une participation à l’Essence.
Le troisième type d’au-delà s’établit avec les religions du Livre, qui opèrent une autre coupure conceptuelle : le temps n’est plus un temps cyclique court, mais un temps orienté, qui a un début et une fin. En attendant, l’au-delà est un lieu intermédiaire en suspension, ou un lieu final. Ce qui caractérise cet au-delà, ce n’est ni sa proximité, ni son éloignement, mais son dépassement du temps, sa victoire sur lui, l’espoir de se soustraire à son déroulement inéluctable. On retrouvera dans cette catégorie, l’Iran zoroastrien et mazdéen, l’islam, le judaïsme, avec l’élaboration ultérieure de théories particularisant davantage cette relation au temps, c’est-à-dire le christianisme et l’hindouisme.
Ce quatrième type d’au-delà est conçu dans le cas du christianisme comme un lieu où l’âme/esprit se réincarne et demeure unique et personnelle, et dans le cas de l’hindouisme comme un endroit de désindividualisation absolue avant de rejoindre l’Être supérieur. L’au-delà de ces religions se mérite, d’où une forte connotation de Bien et de Mal, des récompenses et des peines, de la justice divine réparant les injustices d’ici-bas, toutes notions moins développées auparavant.
Le Français Michel Hulin, après cette revue synthétique des « au-delà », suggère que sa disparition est due à des contradictions trop fortes pour qu’un seul type d’au-delà puisse les résoudre. On souhaite un au-delà que l’on puisse imaginer, voir, approcher, mais on le veut aussi révélateur d’une altérité immanente absolue. On le veut éternel, mais on craint que l’ennui soit synonyme de son bonheur ; on le suppose réservé aux meilleurs, sans pour autant éliminer notre liberté…
La conclusion de son étude reprend cette position de la modernité se dégageant de tout centre (l’au-delà n’en est qu’une figure, en tant que référence ultime) pour tenter de la dépasser. De tout cela, il ressort avec évidence que l’imagination eschatologique est tout à fait incapable de résoudre de telles contradictions. Elle en est le jouet, tout comme le révélateur, mais elle ne peut en aucune manière les dominer. La solution, si elle existe, doit être cherchée ailleurs… Il s’agirait en somme, moins d’éliminer l’au-delà que de le rapatrier dans l’ici-bas, en réintégrant sa fonction réparatrice et pacificatrice dans l’horizon même de cette vie brève, confuse et incohérente, qui d’ordinaire est la nôtre. L’au-delà pourrait bien représenter l’envers ordinaire : la face cachée du temps. Notre existence quotidienne devrait pouvoir reposer sur elle-même, se suffire à elle-même, ne plus être tendue toute entière vers le mirage d’un achèvement à venir. On peut néanmoins douter de l’efficacité de cette morale qui enferme l’homme dans le produit de ses créations momentanées, le rend philosophe de l’instant, amateur judicieux de sa vie.
Cette étude a le mérite de souligner deux points. Elle permet de situer l’au-delà druidique ; elle montre que les représentations de l’au-delà ont permis l’élaboration de plus en plus épurée de théories sur la survie possible de « quelque chose » après la mort ; que ces représentations sont premières et précèdent les théories, non l’inverse.
Le dernier point que nous constaterons parce qu’il suppose une progression, a le mérite de faire voir quelle immense production de textes, de nuances et d’inventions subtiles, nous devons à ces « au-delà ».
Au sein de ces quatre types d’au-delà, celui qui conviendrait le mieux à « l’au-delà » des textes irlandais, d’après Guy VINCENT, c’est le premier, celui qui est encore proche des conceptions chamanes. Car le passage d’un monde dans l’autre n’est pas irréversible, mais peut se faire dans les deux sens. Il est à proximité du monde humain, à l’intérieur des tertres ou sur une île occidentale, dans le cas des légendes anciennes. L’Au-delà est celui des morts ou le monde à venir par opposition à celui des vivants, et le terme implique une notion de non-retour définitif qui n’est pas exactement celle du side irlandais. Ce n’est pas l’Autre Monde celtique, lequel n’est vraiment « autre » que parce que nous sommes incapables de le concevoir réellement : les langues celtiques ignorent tout mot rendant l’idée d’un Au-delà des Morts. Le fait que la société irlandaise ancienne n’ait pas connu le phénomène de la Ville confirme cette idée. Ce n’est qu’avec les sociétés citadines que l’au-delà s’éloigne et se dévalue ; et ce n’est qu’avec les grands empires centralisés ou les royaumes nationaux que l’au-delà s’accompagne d’une vision historique orientée, ou d’une philosophie du livre sacré.
1). Les Éditions en ligne Caracâra. Les Éditions en ligne Caracâra du site utqueant. org publient des travaux de recherche consacrés à diverses œuvres littéraires à partir de méthodes nouvelles.
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Notre conviction à nous c’est que le druidisme n’est ni bouddhiste ni hindou ni chrétien, mais les deux ou les trois simultanément, puisque pour lui après la mort il y a…
— RÉSURRECTION de la chair (le défunt se réincarne dans l’autre monde avec un corps idéal ou de rêve de type xvarnah – glorieux disent les chrétiens, bellissamos/belllisama disaient les anciens druides – par rapport à celui d’avant).
— PARTICIPATION à la vie divine (des dieux). Participation qui laisse subsister la personnalité du défunt, qui peut voir le divin ou les dieu-ou-démons « face à face » (Vision béatifique du Graal à la façon de Plutarque et de ses mystérieuses îles).
— Mais aussi ACHÈVEMENT DE LA PURIFICATION, et après un certain temps « fusion » radicale de l’âme humaine individuelle dans la Divinité. « Confusion » même puisque les deux substances, humaine et divine, se confondront. Les deux entités sont considérées comme se fondant tout naturellement l’une dans l’autre, puisque l’âme humaine est une parcelle détachée de la Divinité. Après la mort, elle fait retour à son origine en passant par l’intermédiaire d’un plus ou moins long séjour dans l’autre monde et par un processus conforme à sa nature. Il s’agit là d’une IDENTIFICATION ABSOLUE, c’est-à-dire d’une immersion radicale de l’âme dans la Divinité avec perte de personnalité. L’Englobant universel (ou Principe supérieur) transcende tout : la matière et l’âme, le bien et le mal, la dualité comme aussi l’unité.
En ce qui les concerne, pour les très-sachants de la druidiaction ou druidecht, la mort n’est que le milieu d’une longue vie, et après la mort, les âme/esprits se réincarnent dans un autre monde parallèle… disons meilleur.
Vingt siècles de christianisme (avec son idée d’enfer) ont eu pour résultat que nous ne connaissons plus « l’art de bien mourir » auquel s’exerçaient nos ancêtres, dès l’enfance.
L’Humanité contemporaine, du moins celle des sociétés païennes devenues chrétiennes, entretient donc un rapport assez ambigu avec la mort. Celle-ci est à la fois refoulée, escamotée, mais partout présente, voire envahissante. Cela tient aux contradictions internes du message chrétien et notamment à son inquiétante notion d’enfer ou de damnation, éternelle. Nos ancêtres envisageaient la mort avec beaucoup plus de sérénité, car ils avaient compris, eux, que l’enfer n’existe pas dans l’autre monde. S’il existe, c’est dans ce monde ci. Et le plus souvent d’ailleurs, l’enfer, ce sont les autres.
Les mourants sont donc tenus à distance dans des services créés spécialement, par les chrétiens, pour cela (hôpitaux, hospices, etc.). On fait en sorte que les enfants ne les voient pas et l’on enterre les corps derrière l’église (les païens les auraient plutôt enterrés DEVANT), ou même plus loin encore. Ces tentatives chrétiennes de refoulement de la mort ont fait qu’elle en est devenue obsédante. Les médias et la littérature la montrent accomplissant son œuvre sur les hommes politiques, les vedettes, sur ceux que l’on croyait être des privilégiés. Les médias parlent et reparlent des menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’Humanité : l’accident nucléaire, les armes chimiques et biologiques, mais aussi, malgré les progrès de la médecine, des maladies nouvelles qui viennent s’ajouter aux autres (cancer, sida, et ainsi de suite). En même temps que l’on évite de penser à la mort à cause de la possibilité de cette damnation éternelle ; il y aura beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, affirme la religion chrétienne, et même les juifs n’en feront pas forcément partie malgré leur insupportable racisme à ce sujet *; autrement dit tout le contraire du druidisme où 99,9 % peut-être des mortels peuvent devenir « meldi » dans l’autre monde et non « bacucei » ou « seibari », condamnés à une nouvelle incarnation ou à une nouvelle vie sur Terre.
* la notion druidique de peuple élu est très différente puisqu’il ne s’agit pas d’être élu par le seul dieu père de tous les hommes, mais d’être élu… par ses propres dieux. Ce qui est une tautologie difficilement contestable et qui revient à dire à l’instar de mon vieux maître Pierre Lance : « Comme tous les hommes les Celtes ont des dieux qui correspondent forcément à leur mentalité collective, les juifs ont par exemple un dieu jaloux et chef des armées (sabaoth) les Celtes ont des dieux de la guerre, mais aussi des dieux plus pacifiques comme sainte Brigitte, déesse des arts et des lettres. Et qui sont en parfaite adéquation avec leur psychisme puisque parlant la même langue.
Diodore de Sicile : des hommes, qui ont l’expérience de la nature divine, et qui parlent, pour ainsi dire, la langue des dieux [qui sont homophonon en grec].
Les Celtes ne constituent donc pas un peuple élu MAIS ONT UNE LANGUE ÉLUE…… PAR LEURS PROPRES DIEUX. CE QUI EST PRESQUE UNE TAUTOLOGIE.
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Il est donc temps pour notre société de se guérir du christianisme et de redécouvrir la vérité recouverte par sa langue de bois. Car la vérité la voici, et ce message est une formidable bonne nouvelle (suscetla en irlandais) : il n’y a pas d’enfer ! Pas de géhenne de feu ! La mort n’est que le milieu d’une longue vie ! Ce que l’on appelle « la mort » n’est qu’une transformation de l’énergie vitale ! De fait, la mort n’existe pas ! Mourir, c’est d’abord revivre dans un autre monde que l’on dit traditionnellement meilleur et dans un corps de rêve ou idéal (xvarnah disent nos amis zoroastriens, bellissamos/bellissama disent les très sachants) puis se mêler à l’énergie cosmique.
L’homme est constitué de quatre éléments.
— L’âme, principe de non-matière, éternel (anamone).
— L’esprit, partie inférieure de l’âme (menman).
— Le corps, enveloppe matérielle destructible (kicos).
— Le périsprit, corps fluidique complet (seibaros). Le périsprit ou seibaros est le vrai corps qui, contrairement au corps matériel, lequel se transforme avec l’âge, ne se modifie pas matériellement. Il est l’aspect spirituel de l’être, le principe permanent de notre identité personnelle. Enfin du moins d’après le druide Allan Kardec.
L’anaon, c’est l’âme et l’esprit, l’anamone et le menman. Ce qui survit après la mort, ce qui passe dans un autre monde après la mort, ce n’est pas seulement l’âme, mais le duo, le couple ou l’attelage : « Âme + esprit ». Ce qui se réincarne au paradis après la mort, c’est donc…
— L’âme individuelle impersonnelle appelée anamone.
— Mais aussi l’esprit personnalisé appelé menman.
— Le tout dans un véhicule psychopompe. Ce que le druide Alan Kardec appelle le périsprit, mais que les anciens gnostiques d’Occident appelaient plus vraisemblablement seibaros. Le druidisme nous apprend aussi en effet que l’âme et l’esprit sont unis au corps par un élément intermédiaire, qui tient à la fois du corps et de l’âme/esprit, le seibaros ; enveloppe semi-matérielle, corps subtil, corps fluidique, entourant le corps physique comme le périsperme entoure le fruit.
Le druide Allan Kardec et après lui son École pensent non seulement qu’il survit à la mort, mais qu’il précède même la vie. Mais personne n’est obligé de le suivre sur ce point !
« À vous seuls il est donné de connaître les dieux et les Puissances du Ciel ! Et à vous seuls de les ignorer » (Lucain, De Bello Civili I, 452). Principe de la quête du Graal individuelle.
Avec la mort le kicos (la chair, le corps) se disperse d’une façon ou d’une autre en ce bas monde ; alors que le binôme âme/esprit (anamone/menman) passe dans l’autre pour s’y réincarner dans un corps très proche du premier, avons-nous dit.
Bien entendu, nul n’a jamais pu observer ce phénomène, mais nos ancêtres ont imaginé différents scénarios pour se donner une idée du processus.
Rappelons tout d’abord que le druidisme distingue bien la terre du milieu et les terres divines, célestes, pures ou presque. La terre du milieu est celle où l’on trouve les différents règnes (minéral, végétal, animal, etc.) de l’existence sensible.
Sur ces terres « impures » du milieu, il est difficile d’obtenir vêtements et nourriture. Il est difficile de suivre sa destinée, difficile de rencontrer les dieu-ou-démons et les anatiomaroi ou semnothées. En bref, cette terre du milieu est une terre où les conditions, dans l’ensemble, ne sont guère favorables au développement spirituel ; et dans laquelle il est difficile d’évoluer ; dans laquelle il est difficile de suivre la voie vers l’épanouissement de son âme.
La terre divine, céleste, pure ou presque, qui nous attend après la mort, est, bien sûr, complètement à l’opposé de cette dernière ; exception faite des anatiomaroi ou semnothées, elle n’abrite que des dieu-ou-démons ou des hommes, et nourriture et vêtements apparaissent spontanément, sans que qui que ce soit doive travailler pour les produire. Il est très facile d’y suivre son Destin, très facile d’y rencontrer les dieu-ou-démons et les anatiomaroi ou semnothées. Bref cette terre divine, céleste et pure est par définition celle où les conditions sont beaucoup plus favorables au développement spirituel ; et où il est facile pour les êtres humains d’évoluer, facile de suivre la voie vers le retour au Grand tout, et ainsi de suite.
Cette Terre pure telle qu’elle est en particulier décrite par les différentes Écoles du druidisme *, est un monde, une dimension d’existence, où il n’y a ni douleur, ni souffrance, ni misère, ni séparation, ni deuil, ni perte. C’est un monde ou un état d’existence où il n’y a ni vieillesse, ni maladie, ni mort. C’est un état de paix parfaite, où il n’y a ni conflit, ni guerre, ni bataille, ou alors des bagarres de cinéma,
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sans mort ni blessures graves, pour ceux qui ne rêvent que de ça : la perfection et le bonheur y vont jusque-là !
* Voir les différentes îles décrites par Plutarque. Noibo Adamnan va même jusqu’à dire d’elles que c’est une terre sans orgueil, sans mépris, sans mensonge, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans tromperie, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans salut, sans neige, sans vent, sans humidité, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froideur. Un noble Royaume, admirable, merveilleux, où règnent le savoir, la lumière, et les parfums d’une Terre abondante, un royaume où règnent les plaisirs de toute bonté.
N.B. En ce qui nous concerne nous préférons la description que nous en donne l’echtra Condla du 8e siècle.
Là où tout est beau, attirant et pur
Là où n’existent ni faute, ni maladie, ni temps
Ni frontière, ni guerre, ni souffrance, ni peine, ni esclavage.
La musique y est merveilleuse,
Il y coule des ruisseaux d’hydromel
Et la paix y est partout éternelle.
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L’important est de bien se préparer, de son vivant, à la mort, pour y renaître comme le soleil après la nuit. Connaître par cœur ou intimement et à l’avance, ce qui va se passer après la mort du corps, suffit à préserver le défunt du cycle infernal des réincarnations sans fin, en bacuceos ou seibaros, de nos amis hindous (samsara). La légende de la mort selon les très-sachants, décrit par conséquent les différentes phases dont la connaissance préalable a le pouvoir de libérer de la fatalité de la renaissance en ce bas monde.
Le passage de Lucain (Guerre civile, I, 448-450) : « Vous, les vates, dont les poèmes guerriers jadis immortalisaient les puissantes âmes/esprits [en latin animas] de ceux qui sont morts à la guerre… » s’avère assez curieux. Il semble indiquer qu’il existe une technique permettant de faire passer les âme-esprits individuelles des guerriers dans l’autre monde parallèle de nature paradisiaque. Et d’éviter ainsi la renaissance sur terre sous forme de bacuceos ou de seibaros après passage dans l’Annwn ou dans la Donno Tegia. Une combinaison sans doute de chants ou de récitations, mise en œuvre par les vates, et dont les maîtres mots devaient être : sérénité, simplicité, naturel… voire lâcher-prise.
À en croire la plupart des traditions, il existe un certain nombre de prières et d’exhortations que l’on peut réciter ou lire durant l’agonie ou immédiatement après la mort du défunt. Pour orienter son esprit dans l’au-delà et l’aider ainsi à se délivrer du cycle infernal des réincarnations en bacuceos (samsara dit-on en Extrême-Orient) ou demi-réincarnation en seibaros.
Cette technique des vates pour conduire les âme/esprits à l’immortalité n’est bien entendu d’aucune utilité aux druidisants ayant déjà atteint de hauts niveaux de conscience ; elle est surtout destinée aux individus ordinaires, afin de les aider à surmonter les angoisses et les incertitudes.
Il n’est pas facile de faire coïncider les moments décrits par la légende de la mort selon les druides, et ceux des expériences de mort imminente. On peut néanmoins considérer que l’expérience de mort imminente se produit dans cet entre-deux, des premières étapes ou deuxièmes étapes évoquées ci-dessus.
Lorsque le principe-conscient sort du corps, il se demande : suis-je mort ou non ? Il ne peut le déterminer. Le défunt peut entendre les pleurs et les gémissements de ses amis, de ses parents ; surtout il peut les voir, entendre leur appel, mais comme ils ne peuvent savoir qu’il leur répond, il s’en va, mécontent. À ce moment-là, des sons, des lumières, des rayons, se manifestent à lui.
Parmi les divers états mentionnés par nos récits, nous trouvons des états instables et fugaces, comparables aux mirages dans le désert ; une impression d’engloutissement liquide et des sensations d’embrasement ; des perceptions de fumées ou de volutes de lumière ; l’expérience de points lumineux, semblables à des lucioles ; l’existence de trois lumières successives : la luminosité blanche, comparable à la clarté lunaire, puis l’expérience de la luminosité rouge, semblable à la lumière du Soleil, et enfin l’expérience de la luminosité noire. Ces lumières primordiales sont définies par
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certaines Écoles druidiques d’aujourd’hui comme étant l’irradiation de notre propre nature, et sa perception correspondrait donc à notre éveil ou à notre apparition dans l’autre monde.
« Vous, les vates, dont les poèmes guerriers jadis immortalisaient les puissantes âmes/esprits [en latin animas] de ceux qui sont morts à la guerre, vous, les bardes, vous recommencez en toute quiétude à déclamer un flot de chants plus abondants, pendant que vous, les druides, vous retournez à vos sinistres mystères et à vos rites barbares naguère abolis par les armes. À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes. À en croire vos maîtres, les ombres des morts ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe ni les pâles royaumes de la mort ; une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres dans un autre monde [en latin orbe alio] et la mort n’est que le milieu d’une longue vie ; si vous savez bien ce que vous chantez. Heureux sont les peuples qui regardent la Grande Ourse à cause de cette erreur ; car ils ignorent cette peur suprême qui effraie tous les autres, de là cet esprit [en latin mens] enclin à se jeter sur le fer, cette force de caractère [latin anima] capable d’affronter la mort, et ce peu de soin mis à épargner une vie qui doit vous être rendue » (Lucain, La Guerre civile, I, 448-465).
« Un des préceptes qu’ils enseignent – évidemment pour les rendre plus aptes à faire la guerre – est devenu de notoriété publique, à savoir que les âmes/esprits [latin animas] sont immortelles et qu’il existe une autre vie chez les Mânes. C’est pourquoi ils brûlent et enterrent avec le mort des choses qui conviennent aux vivants. Et jadis les comptes des marchands ainsi que les registres de dettes accompagnaient, eux aussi, les morts, afin d’être soldés ou honorés dans l’autre monde ; certains individus se jetaient même gaiement sur le bûcher funèbre de leurs êtres chers, comme s’ils allaient revivre avec eux » (Pomponius Mela, Chorographie, III, 2, 18).
« Je remarque une ancienne coutume des Celtes, qui, dit-on, se prêtaient souvent des sommes remboursables dans l’autre monde, tant ils étaient persuadés que nos âmes ou esprits sont immortels. Je les traiterais d’insensés, si l’opinion de ces porteurs de braies ne se retrouvait pas sous le manteau grec de Pythagore. La philosophie… des Cimbres et des Celtibères : le courage et le dévouement. Ils tressaillaient d’allégresse dans les combats, qui leur offraient un moyen de sortir de la vie avec gloire et félicité. Malades, ils se désolaient d’être ainsi condamnés à une mort honteuse et misérable. Les Celtibères regardaient aussi comme un opprobre de survivre, dans une bataille, à celui qu’ils avaient juré de défendre au péril de leur vie » (Valère Maxime, Des dits et faits mémorables, II, 6, 10-11).
« Encore aujourd’hui… la plupart des barbares persuadent leurs fils que l’âme/esprit de ceux qui meurent n’est pas détruite, mais qu’elle subsiste ; qu’il ne faut pas redouter la mort, mais qu’il faut être plein d’énergie devant les dangers » (Jamblique, Vie de Pythagore, 30).
« Le point essentiel de leur doctrine, c’est l’immortalité de l’âme/esprit, car ils enseignent qu’après la mort, elle passe dans d’autres corps. Cette conviction, d’après eux, incite particulièrement au courage, en faisant mépriser la peur de la mort » (César. B. G. VI, 13-14).
« Ils invitent aussi les étrangers à leurs festins, et, après le repas, leur demandent qui donc ils sont, et quel besoin les amène en ces lieux. Durant les repas, sur les premiers sujets venus, ils en viennent à des disputes, puis à des provocations, enfin à des combats singuliers, où l’on voit combien leur est indifférente la perte de la vie. C’est que chez eux a prévalu le dogme de Pythagore, selon lequel les âme/esprits des hommes sont immortelles. Et qu’après un certain nombre d’années chaque âme/esprit revient à la vie en entrant dans un autre corps. C’est pourquoi aussi, pendant les funérailles, il en est qui jettent dans le bûcher des lettres écrites à leurs morts, comme s’ils pouvaient les lire » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 28).
Si l’on est convaincu que les expériences de mort imminente manifestent une dimension essentielle de l’être humain, qui a besoin de s’exprimer ainsi, et dont les effets sont bénéfiques ; il importe donc d’ancrer de nouveau l’Homme moderne dans cette dimension du sacré. Ces expériences de mort imminente nous montrent que tout un chacun peut y être initié, pourvu qu’un mythe sous-tende cette démarche, et qu’existent des initiateurs compétents pour l’accompagner.
Le bref rappel qui suit n’est pas un guide de la bonne mort à la façon de Suqellos ou un livre des morts celto-druidique, mais un rappel de quelques conseils pour guider l’âme/esprit du défunt dans ses efforts pour renaître dans l’au-delà. Vraisemblablement inspirés par les expériences de mort imminente connues des anciens druides. Celui qui a bien étudié la légende de la mort selon les gnostiques d’Occident, ou celui qui est bien imprégné de ces grands principes n’éprouve alors aucune
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peur au moment de mourir. Si l’on en est déjà un familier, alors on aborde cette ultime épreuve avec confiance et gaieté.
Rappelons tout d’abord que le druidisme n’exclut personne de l’accès au paradis a priori ; alors que le bouddhisme, lui, en exclut et d’emblée les hommes ayant commis les fautes suivantes : avoir tué son père, ou sa mère, un saint bouddhiste, avoir blessé un bouddha, ou avoir divisé sa communauté. Voir certaines versions du grand soutra de la terre de félicité (soukhavativyouha). De la plaine de Joie diraient les Irlandais.
Or une telle exclusion contredit le principe druidique exposé par ces quelques commentaires anonymes de l’œuvre de Lucain, et que nous nous faisons un plaisir de rappeler ci-après.
Scolies bernoises de la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451. « Les druides nient que les âmes puissent périr [Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER [aut contagione inferorum adfici] ».
454. « Ils ne disent pas que les Mânes existent [Manes esse, non dicunt] ».
Le point Nº 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743 sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer) va d’ailleurs aussi clairement dans ce sens. Il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
En la matière le druidisme n’a donc rien à voir avec le bouddhisme, et c’est là encore un des innombrables points qui nous séparent de nos amis d’Extrême-Orient.
Il faut bien distinguer deux parties, deux grands niveaux ou deux grands états d’être différents, dans l’Autre-Monde ou l’Au-delà druidique.
Le monde des dieu-ou-démons et le monde des morts.
Le monde des dieu-ou-démons est appelé Sedodumnon.
Les mondes des morts ont plusieurs noms : Vindomagos, Mag Meld, mais aussi Donnotegia/Tech Duinn, Andumno/Annwn, le royaume de Tethra et ainsi de suite.
Et ces différents noms correspondent vraisemblablement à différents degrés ou strates de ce paradis ou de ce monde des morts.
Aucune barrière n’existe néanmoins entre ces deux parties de l’Autre Monde ou de l’Au-delà, et elles s’interpénètrent largement au sein d’un ensemble commun : l’Albiobitos.
L’immense majorité des êtres vivants (100 % des minéraux, des végétaux, des animaux et 99,99 % ou 99,90 % des êtres humains) renaissent après leur mort dans un autre monde lumineux ; où ils peuvent, en compagnie des dieu-ou-démons qui sont leur Graal, achever dans de meilleures conditions, la purification qui doit les réintégrer dans le Grand Tout du Pariollon.
Quelques-uns néanmoins ne vont pas plus loin que l’antichambre du Paradis et renaissent en ce bas monde (les bacuceos ou seibaros) vu les crimes qu’ils ont commis, afin de bénéficier d’une seconde chance. Car chaque être humain sain d’esprit, est quand même plus ou moins responsable de ses actes, malgré tout ce que l’on peut lui trouver comme circonstances atténuantes (fatalité, destin, et ainsi de suite). Il ne peut donc qu’en subir les conséquences.
De façon plus détaillée voici ce que les expériences de mort imminente ont inspiré comme déduction aux anciens druides.
Avant de déboucher dans la lumière blanche de Vindomagos, les âme/esprits étaient soumises à toutes sortes d’ordalies post-mortem extraordinaires. L’ordalie post-mortem est l’application à la justice, en dernier ressort et en dehors de toute intervention humaine, des techniques de vérification de l’innocence ou de la culpabilité d’un accusé ; de vérification du bien-fondé ou de la justesse de la décision devant l’affecter. Ce qui exclut toute erreur et par là encore tout hasard, puisque le destin des hommes concerne d’abord les dieu-ou-démons. Ce sont ces ordalies judiciaires post mortem mal comprises par les premiers chrétiens (leur niveau intellectuel était très bas) qui ont donné naissance à l’imagerie chrétienne concernant l’enfer, la damnation et ses tourments.
À ce sujet, rappelons-le encore une fois, notre néo-druidisme ne peut que s’élever avec force et vigueur contre les thèses pseudo-celtisantes de la vision de Tondale, d’Adamnan et autres textes mensongers de ce genre. Cet univers monstrueux ne relève pas de la mythologie celtique irlandaise
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authentique, mais des fantasmes sadomasochistes chrétiens personnels de Marcus (leur auteur), un moine cistercien proche de l’Irlandais saint Malachie : ce ne sont que des fantasmes style « purgatoire de saint Patrice ».
L’ancien druidisme utilisait pour cette pesée-tri-répartition, des âme/esprits, le mot « viria », vérité, d’où le gaélique « fir ». La notion en cause était celle du vrai ou du faux, du juste ou de l’injuste (il n’est pas exagéré de dire que l’ancien druidisme était obsédé par la nécessité des jugements équitables, conformes au droit). Le mot actuel, ordalie, ne traduit que très imparfaitement cette notion de pesée-tri-répartition.
Au moment de la mort, l’existence de chaque homme, qui n’est pas déjà parvenu au stade d’awenydd, est donc placée sous la lumière des dieu-ou-démons amarcolitani, c’est-à-dire au regard perçant ; comme Tethra, Donn, Épona ou Belenos Barinthus Manannan. Cette grande lumière tombe sur tout ce qui a été vécu par lui. LE JUGEMENT DE L’ÂME C’EST SON HISTOIRE. SA VÉRITÉ C’EST CE QU’ELLE VOIT DANS LE MIROIR QUE LUI TENDENT LES DIVINITÉS COURROUCÉES OU APAISANTES (PSYCHOMPOMPES) QUE SONT ÉPONA TETHRA DONN OU BELENOS.
Ce moment de vérité (il concerne chacun au moment de sa mort) ou de « virion » n’attend pas la fin du cycle en cours ; le jour où la vérité sera faite sur la vie et l’Histoire, non plus des anamones individuelles, mais de l’Humanité tout entière. Il détermine la situation intermédiaire dans laquelle vont se retrouver les défunts qui ne sont pas devenus awenyddion.
Chacun des défunts est mis en face de sa vérité (viria, en celte ancien), comme dans un miroir, d’où aussi le nom de miroir des âme/esprits, qui est donné à ce processus de tri automatique des âmes. Et c’est peut-être d’ailleurs un fragment de cette légende de la mort druidique, que l’on peut retrouver dans le texte du Pseudo-Plaute intitulé querolus ou aulularia.
« LE LARE. Là vivent des gens qui suivent le droit naturel. Là il n’y a point de grimace, là on rend des sentences capitales sur un tronc de chêne, et on en écrit le texte sur les os du patient ».
C’est donc en présence de Tethra, de Bélénos Barinthus Mananann, d’Épona, de Donn ou de Cornunnos notre lointain ancêtre, assis sous son chêne pour y rendre la justice, qu’aura lieu ce moment de vérité de l’âme. En fonction de ce que chacun aura fait ou omis de faire, durant la première moitié de sa vie, sur terre.
Une répartition plutôt bienveillante (virotutis) et en tout cas équitable dont sont témoins toutes ces divinités psychopompes, pour ceux et celles qui auront bien agi tout au long de leur vie terrestre ; et qui n’auront pas ainsi accumulé trop de bran (carma chez les hindous et les bouddhistes), à cause de leurs manquements ou de leurs fautes. En tout cas pas de quoi empêcher la fusée intersidérale de leur âme d’atteindre sa vitesse de libération.
Répartition d’élude (irlandais elutach elodach), c’est-à-dire de condamnation à la réincarnation pour ceux qui auront accumulé trop de bran ; pas en ayant multiplié les fautes, les manquements et les erreurs, ce qui peut arriver à la plupart d’entre nous, mais en ayant commis des crimes exceptionnels. La fusée interstellaire de leur âme ne pourra jamais atteindre sa vitesse de libération.
À titre de comparaison dans le bouddhisme amidiste de la Terre Pure, et pour mémoire, sont exclus de Mag Meld les hommes ayant commis les fautes ci-après. Avoir tué son père, ou sa mère, un saint bouddhiste, avoir blessé un bouddha ou avoir divisé sa communauté.
Ces réalités de la destinée humaine soulignent donc le sérieux que tout homme doit accorder aux options fondamentales menant son existence en ce monde, et qui doivent toujours se traduire par des actions positivement concrètes.
Que ce soit à titre personnel ou en tant que responsable de tel ou tel groupe humain (famille clan tribu nation État entreprise, etc.). Il ne s’agit pas des mêmes déontologies !
Le caractère très anthropomorphique de cette image du miroir (du jugement de l’âme/esprit PAR ELLE-MÊME) ne doit pas néanmoins nous induire en erreur. En fait, il n’y a pas jugement des âme/esprits au sens strict du terme. Pesée des âme/esprits serait déjà un terme plus juste ; mais ce n’est même pas de cela qu’il s’agit non plus.
Les anamones (âmes) qui ont un esprit ou menman trop chargé de bran, retombent d’elles-mêmes sur terre, comme une fusée qui aurait raté son décollage pour les étoiles (les planètes dit un des scholiastes de Lucain, le soleil dit Henri Lizeray *), pour se réincarner en bacuceos, ou en seibaros, un point c’est tout.
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Prenons une image plus moderne : ce sont des fusées qui n’ont pas réussi à, en quelque sorte, atteindre leur vitesse de libération. Il y a donc ici application purement mécanique d’une loi cosmique, celle de la justice immanente.
Le symbole de la pesée des âme/esprits (effectuée en présence des dieu-ou-démons psychopompes) n’est pas celui d’un jugement avec tout ce que cela peut impliquer comme sévérité ou laxisme, en bref comme subjectivité (injustice ?) malgré l’allusion du Pseudo – Plaute à ce propos « Là vivent des gens qui suivent le droit naturel. Là il n’y a point de grimace, là on rend des sentences capitales sur un tronc de chêne, et on en écrit le texte sur les os du patient ».
Les dieux ou démons comme Tethra, Gwynn, Épona ou Belenos Barinthus Manannan, Donn, voire Cornunnos, se bornent à entériner un fait qui de toute façon avait de lui-même ses propres conséquences inexorables, automatiques.
Pour couper court à toute équivoque, les anciens druides n’ont d’ailleurs guère utilisé cette notion de pesée des âme/esprits, et ils ont fait référence à un autre symbolisme, celui du miroir (de bronze évidemment).
Tout individu est responsable de son destin. De bonnes actions rendent l’anamone plus subtile, plus transparente. Par contre chaque acte ou chaque omission résultant de l’ignorance, de la paresse, de l’égoïsme, de la convoitise… a un résultat intérieur sur l’âme (l’anamone), via son esprit ou menman, en plus de son résultat extérieur. Chacun de ces actes a pour effet une modification psychique de l’anamone humaine, et laisse une empreinte qui va déterminer sa vie suivante : celle qui se poursuivra dans l’autre monde, ou très exceptionnellement de nouveau sur Terre. Car nos actions nous suivent toujours, elles ne se consument ni ne s’épuisent jamais. Rien ne se perd, rien ne crée, tout se transforme. Telle est la grande loi de conservation de l’énergie dans l’Univers. Ni dans le ciel, ni au milieu des mers, ni dans les cavernes ou les montagnes, n’existe un lieu où l’homme puisse se libérer des conséquences pour lui-même d’une mauvaise action qu’il a commise ; SI ELLE EST VRAIMENT GRAVE. Les actes ont des répercussions déterminant chaque destinée humaine dans sa vie présente, mais aussi dans une éventuelle autre vie sur terre. La responsabilité de l’Homme pour ses actes est par conséquent réelle, il ne saurait être question d’un déterminisme de l’agir humain d’origine divine diabolique ou satanique. L’Homme n’a rien d’un instrument sans volonté aux mains d’une entité surnaturelle arbitraire. L’homme détermine lui-même, par ses décisions, la nature de son sort (la réincarnation dans un autre monde paradisiaque type Vindomagos) ou la nouvelle chance qui va lui être accordée (l’ategeneto et la réincarnation en bacuceos ou seibaros). Car il doit toujours y avoir place pour une réparation (voir le droit naturel et les pénitentiels irlandais) dans la tradition druidique. Toutes ces actions étant causées par l’ignorance ou par la faiblesse humaine, qui, ainsi que chacun sait, affecte même les meilleurs et au plus mauvais moment (cf. les Ulates et leur bien étrange maladie annuelle) ; afin d’ y échapper, il faut apprendre à connaître soi-même et de l’intérieur, ce dont nous avons été cause par nos actes ; mais que nous n’avons pas éprouvé nous-mêmes. En passant donc en quelque sorte à notre tour de l’autre côté de la barrière. Une éventuelle renaissance ici-bas nous conduit ainsi à des situations qui permettent de vivre ces expériences « de l’autre côté ». Chacun peut alors goûter les fruits de ses actes et récolter ce qu’il a semé.
N.B. Pour une anamone, bien vivre ou vivre mal dépendait très étroitement des devoirs de son état. On n’attend pas les mêmes choses d’un Juge ou d’un Soldat, d’un Agriculteur ou d’un Roi. L’éthique druidique antique était basée sur la tripartition fonctionnelle de la société, elle était différenciée. Elle n’était donc pas unique comme dans le cas du christianisme, véritable lit de Procuste coupant tout ce qui dépasse.
Une conduite normale permet de renaître dans l’autre monde du Mag Meld, du Vindomagos, une attitude exceptionnellement négative aboutit à patienter dans l’antichambre du Paradis, voire à la renaissance sur terre. Celui qui fait le bien, le fait aussi pour lui (pour le plus grand bien de son anamone) ; celui qui fait le mal le fait contre lui-même (il s’oblige à la réincarnation sur terre en bacuceos ou seibaros). Il y a d’ailleurs là une différence majeure entre le druidisme et l’hindouisme. Dans l’hindouisme, même le bon poids de bran entraîne une réincarnation, alors que dans le druidisme, seul un exceptionnel « mauvais » poids de bran fait pencher la balance du côté de la réincarnation. Il n’est d’ailleurs même pas tout à fait juste de parler de bon ou de mauvais bran. Le druidisme considère plus simplement qu’il y a eu en l’occurrence accumulation de bran due à des faits ou à des manquements contraires à l’éthique, d’une exceptionnelle gravité (alors générateurs d’ategeneto, passé une certaine limite) ou au contraire très peu de bran. Autrement dit, pas de « balance » à deux plateaux se partageant dans ce cas entre bien et mal, mais un « peson » avec limite de surcharge dangereuse pour l’âme/esprit (anaon). Il y a poids de bran s’il y a eu actes ou
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manquements répréhensibles, à un point extraordinaire ; sinon tout se passe comme s’il y avait absence de poids (absence de bran).
Les témoignages celtiques les plus anciens, eux, font état de quatre lieux de réincarnation possible : le Vindomagos de l’Autre Monde, le Sedodumnon ou monde des dieu-ou-démons, le monde humain (le Mediomagos), et les différents mondes s’étageant au-dessous, l’Andumno.
Nos amis bouddhistes ou hindous admettent aussi la possibilité d’une réincarnation dans le monde animal.
N.B. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la plus grande prudence s’impose néanmoins à propos de la possibilité ou non de se souvenir des vies antérieures. Les cas isolés avancés à l’appui de cette thèse posent tous le problème de la vérification. Il peut très bien en effet y avoir… réincarnation en bacuceos sans souvenir.
* D’après Henri Lizeray, et suite sans doute à une mauvaise lecture du scholiaste de Lucain, le soleil, en effet, est la bouche béante vers laquelle se précipitent, après plus ou moins de durée, tous les êtres animés, pour être rénovés et refaits sous une forme plus pure.
Le Crom de nos frères irlandais c’est Cronos, c’est-à-dire le Temps avons-nous dit. Comme les religions ne sont que des symboles, on sacrifia des victimes à Crom par analogie avec le Temps qui consomme tout, edax rerum. On reconnaissait les mêmes dispositions à Bel, le soleil du printemps, car le mot bel signifie bouche [erreur d’Henri Lizeray].
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TETHRA, GWYNN, ÉPONA, OU BÉLÉNOS BARINTHUS MANANNAN, DONN VOIRE CORNNUNNOS.
Il est néanmoins nécessaire de rappeler le caractère projectif de toutes ces apparitions. Ainsi que l’on fait remarquer plusieurs auteurs à ce propos, un sujet voit ce que sa culture lui enseigne comme pouvant être vu en un lieu et à un moment donné. Jésus sur sa croix, la Vouivre près de tel étang, la Vierge dans une église à la fête de l’Assomption, la Dame Blanche au bord d’une route, un ange dans les cieux, etc. Donc, le mythe fournit dans la vie sociale une grille de lecture, de décodage des événements, de la même façon qu’en science, un paradigme scientifique, ou l’ensemble des théories implicitement admises par la culture du temps oriente l’observation des faits. La communication est toujours de type télépathique. Mais la tradition druidique connaît aussi des êtres de lumière beaucoup moins effrayants même si c’est pour la bonne cause, que Donn, Tethra, Arawn ou Gwynn ap Nudd. Donn, Tethra, Arawn ou Gwynn ap Nudd, sont donc nos propres formes-pensées, dont il ne faut nullement avoir peur. Si nous savons les reconnaître, elles se dissoudront d’elles-mêmes. Et il sera encore possible au défunt d’échapper à la renaissance sur terre en tant que possédé du type bacuceos, ou en tant que fantôme de type seibaros. S’il a confiance en Belenos Barinthus Manannan, le « bouddha » celte régnant sur l’autre monde druidique appelé Mag Meld.
En cas d’échec de cette avant-dernière étape du voyage de l’âme/esprit après la mort, peut surgir le moment du dernier piège, celui de la réincarnation sur cette terre, toujours possible évidemment.
Si elle ne fait pas confiance à Belenos Barinthus Manannan, si elle est au contraire fascinée par les divinités « maléfiques » ou « courroucées », l’âme/esprit retombera en effet dans un des autres mondes comme Annwn ou Tech Duin (Andumno ou Donnotegia). Qui ne sont que des étapes ou des sas vers le retour ici-bas sous forme de bacuceos ou seibaros.
Les personnes qui ont approché de très près la mort et qui ont vécu une EMI (Expérience de Mort Imminente), ont expérimenté la sortie de leur propre corps pour flotter au-dessus de lui et au-dessus du monde environnant. Beaucoup ont décrit une expérience positive et enrichissante. Il est plus rare d’avoir des récits terrifiants, peut-être par peur de les raconter, du jugement des autres, ou par volonté de les oublier rapidement. Au cours de ces expériences, dites négatives, certains se sont sentis tourmentés par la honte et la culpabilité d’avoir fait du mal aux autres, et auraient alors aimé pouvoir rectifier leurs erreurs.
Se jugeant sévèrement, certains se sont sentis indignes du flot d’énergie positive inconditionnelle qui s’écoulait sur eux, et ont vécu des expériences dignes de l’enfer particulièrement traumatisantes (voir
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le mythe de la chasse sauvage et des cwn annwn). Ceux qui ont eu le courage d’en faire le récit, ont décrit des paysages désolés, l’impression d’avoir été pourchassés (par les cyn annwn ?), voire blessés ou encore des mondes habités par des êtres sous l’emprise de différents états de souffrance ; dont la forme est déterminée par leurs attachements, leurs dépendances, ou les tendances émotionnelles négatives les plus fortes qu’ils ont héritées de leur vie.
Ainsi que nous avons pu le voir, il existe bien évidemment une École druidique soutenant l’hypothèse que ces divinités guerrières plus ou moins effrayantes, genre Tethra, Arawn, Gwynn, Donn ; que tous ces animaux psychopompes ; ne sont en réalité que des projections de notre esprit, et n’ont aucune existence en eux-mêmes.
Ce qui est important de bien comprendre, c’est qu’il n’y a en fait rien de surnaturel dans toutes ces visions, et que tout ce que le mourant ressent et perçoit émane simplement de son propre esprit ; lequel n’est rempli que de ce que la vie lui a suggéré (expérience personnelle, univers culturel, religion aussi bien sûr, etc.)
Revenons maintenant à notre « navigation » initiatique post mortem et à ses nombreuses « îles » ou « étapes » visuelles. Supposons que l’âme/esprit du défunt, effrayée par le spectacle de ces divinités plutôt inquiétantes et bien loin d’être aussi psychopompes qu’un Belin/Belen/Barinthus/Manannan venant à sa rencontre sur un char fleuri (par exemple Tethra, Arawn, Gwynn, Donn le sombre…) a pu se réincarner ailleurs que dans ces autres mondes douteux ou de seconde zone…
Insistons bien alors sur le fait que nous ne recevons pas une nouvelle âme avec la régénération qui suit l’accession au paradis celtique du Mag Meld ou du Vindomagos, mais bien un nouveau corps, idéal, idéalisé, de rêve (bellissamos ou bellissama en vieux celtique)… Ce corps est spirituel, plus subtil que l’air, semblable aux rayons du soleil, aussi différent de l’ancien corps que le soleil resplendissant peut l’être de la lune. Doté de ce que nos amis zoroastriens qualifient de « xvarnah ». Un corps mental ou glorieux doté des six sens ; il peut voir sa famille, circuler dans le monde en traversant les obstacles…
À en croire un des scholiastes de Lucain, il semblerait alors que se produise une progression par paliers vers des espaces de moins en moins matériels, où la frontière entre pensée pure et matière devient plus floue. Chaque niveau pourrait être à la fois autonome, doté de règles particulières de fonctionnement, et en état de continuité/discontinuité avec ceux qui le jouxtent. La progression se ferait donc vers des mondes (planètes dit le scholiaste de Lucain, soleil dit Henri Lizeray commentant les cultes primitifs de Crom et Bel) où la pensée devient de plus en plus immanente-transcendante et universelle, et de moins en moins imaginable pour nous. À chaque espace correspondrait une qualité de lumière différente.
Bien entendu, nous nous situons ici dans un modèle postulant la « réelle » sortie du corps d’un substrat qui devient autonome et ensuite évolue « loin » de ce corps. C’est, en effet, l’hypothèse la plus simple pour rendre compte des observations objectives et précises à distance, hors de portée des sens physiques connus.
La confrontation des témoignages montre différents états ou stades de lumière, qui pourraient correspondre à ces états de conscience progressifs et de « dématérialisation » des perceptions relatives à ces états.
Mais cette hypothèse peut encore relever d’un réductionnisme binaire. Les notions de haut et de bas sont conditionnées par notre conscience gravitationnelle, et nous en concluons que ce qui est léger s’élève ou que ce qui est lourd tombe. Il pourrait ne se produire qu’un dés-ancrage et une dé-localisation de notre conscience, permettant à notre système de perception et d’analyse de fonctionner autrement.
Il ne faut, par conséquent, nullement écarter l’hypothèse que seul l’espace interne est exploré ; ce qui ne préjuge en rien des univers pouvant s’ouvrir à notre perception, dans cet infiniment petit. Subsistent toujours les questions paradoxales : où est l’intérieur, où est l’extérieur ? Comment sont emboîtés l’infiniment grand et l’infiniment petit ?
Tout se passe comme s’il y avait, dans l’espace du corps, mais à un niveau plus subtil, un espace intermédiaire qui se connecterait avec un troisième espace, celui de la lumière. On peut s’interroger sur la continuité ou la discontinuité de ces espaces. Il n’est pas sûr que ces concepts soient bien adaptés, l’image typiquement druidique (pour ce qui est de la mort milieu d’une longue vie en tout cas) d’un ruban de Moebius ou d’une bouteille de Klein serait peut-être plus pertinente. Comme si nous étions sur l’envers ou l’endroit d’une même structure, le centre étant situé juste sur la surface de torsion du ruban.
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Ceux qui n’agissent pas trop mal dans la vie, et conformément aux devoirs de leur état (autrement dit, qui n’accumulent pas trop de bran susceptible de faire capoter le décollage vers les étoiles de la fusée de leur âme) peuvent, après leur mort, accéder à une région du Vindobitus qui n’est plus soumise à la réincarnation ; le Vindomagos. Si l’on en croit Plutarque, grâce au Vindobitus (Vindomagos, Mag Meld, etc.) même le commun des mortels peut donc voir un jour à son tour ce rocher brillant comme de l’or face à face, et tel qu’il est, faute de pouvoir se fondre immédiatement dans le grand Tout. Cette contemplation du rocher d’or de Plutarque dans toute sa gloire céleste est le Graal ou Paradis dans d’autres traditions. Au sein de la lumière éternelle, les meldi vont y jouir d’une nouvelle longue vie. Il n’y a plus pour eux ni mort ni souffrance. Tout y devient harmonieuse musique. L’hydromel coule des rochers, des sources de bière et de lait jaillissent des chaudrons géants inépuisables, et les bêtes de la forêt n’y sont plus sauvages… (bref, voir les descriptions de l’Insula Pomorum de la vita Merlini : Avallon). La vie parfaite ou rêvée en compagnie des trinités de dieu-ou-démons ou en communion avec eux, avec Épona, Cornunnos, Belin/Belen/Belenos et tous les autres, c’est ça le Vindomagos.
Ultime écho des descriptions de cet état de l’être, élaborées par les anciens druides à l’intention des hommes ou des femmes ayant un tempérament relevant de la première et non de la deuxième ou troisième fonction (sous la plume de Noibo Adamnan) : C’est une terre sans orgueil, sans mépris, sans mensonge, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans tromperie, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans salut, sans neige, sans vent, sans humidité, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froideur. Un noble Royaume, admirable, merveilleux, où règnent le savoir, la lumière, et les parfums d’une Terre abondante, un royaume où règnent les plaisirs de toute bonté.
Avoir une demeure quasiment éternelle en ce ciel peut donc être l’aspiration la plus profonde, même du commun des mortels. Vivre au Vindobitus, c’est être avec les dieu-ou-démons tout en gardant provisoirement son identité. Ce mystère de communion avec les dieu-ou-démons au sein de ce coin du Vindobitus, dépasse évidemment toute compréhension et toute représentation. La tradition celtique nous en parle en termes de lumière, de paix, de festin, de musique, et ainsi de suite. Car tous les fruits de la nature ou les heureux résultats de l’industrie humaine s’y retrouvent aussi, mais comme illuminés ou transfigurés de l’intérieur.
Trop de bran conduit au contraire à une baisse du niveau vibratoire, à un plongeon ou à une descente encore plus profonde dans le monde et la matière. Alors que la non-accumulation de bran conduit à échapper au cercle vicieux et infernal des réincarnations sans fin, en bacuceos ou seibaros.
La découverte de cette grande loi métaphysique, par les druides, a permis, tout en continuant à tenir compte de la réalité de certains cas rarissimes, de ne plus avoir besoin d’un Diable ou d’un grand Satan pour l’expliquer. Elle est automatique, mécanique bien qu’exceptionnelle (quatre ou cinq cas par siècle).
Les mortels ont pu ainsi du même coup, y trouver des raisons d’espérer, ainsi que des raisons de faire des efforts sur eux-mêmes pour se dépasser.
Les monolâtres judéo-islamo-chrétiens, qui ne sont les hommes que d’un seul dieu-ou-démon et d’un seul grimoire genre Necronomicon, ne connaissent qu’une unique vie dans laquelle tout se décide pour l’éternité, le salut ou la damnation, éternels.
Cette idée chrétienne ou musulmane du jugement des âmes (yawm ed-din en arabe) est particulièrement absurde, et procède d’un évident manque de réflexion de ces religions. Car si l’âme est un don ou une partie de Dieu, pour reprendre leur propre vocabulaire, un tel jugement ne pourrait être qu’une auto-condamnation de Dieu se déchargeant de ses propres erreurs sur un bouc émissaire (Satan, le Diable, etc.). Un tel jugement serait en outre inutile et superflu !
Notre héros à nous autres, le Hésus Cuchulainn, a établi lui-même pour les mortels que nous sommes, les normes de comportement, mais savait très bien que l’Homme contrevient souvent à ces normes. Le Destin a donc veillé à ce que ces transgressions trouvent en elles-mêmes leur propre sanction (justice immanente dont les dieux ne sont que des auxiliaires). C’est la loi d’airain de l’ategeneto. Ces renaissances en bacuceos ou seibaros, ne constituent pas un châtiment à proprement parler, car le sacré, c’est l’Homme (nemetos). La réincarnation en bacuceos ou seibaros n’est que l’auto-expérience de l’état où l’homme se met du fait de ses propres actions (antérieures).
L’Être supérieur n’a donc que faire du rôle de juge que veulent lui attribuer le christianisme et l’islam. Le jugement de l’âme esprit c’est sa propre histoire, son destin. Les expériences faites au cours des différentes étapes de ce périple initiatique (la mort étant l’initiation supérieure par définition) sont, bien sûr, conditionnées par les habitudes mentales du défunt, développées durant sa vie et ses dernières
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pensées. De la même manière que nos rêves sont également conditionnés par notre état psychique et nos actions.
Par la coupure automatique de l’enveloppe corporelle, la mort nous donne une occasion exceptionnelle de nous libérer de l’emprise de nos instincts animaux les plus obscurs, et de déboucher dans la lumière d’un monde meilleur. L’âme/esprit délivré du corps se retrouve libre et doué d’ubiquité. S’il pense à un lieu ou à un état, elle s’y trouve instantanément.
Il s’agit par conséquent de dépasser la mort, en métamorphosant son processus en un acte d’affranchissement, ou de libération, du cycle sans fin des réincarnations en bacuceos (ategeneto) ou seibaros. C’est pourquoi il importe de rappeler à tout un chacun les principales étapes qui jalonnent cet itinéraire (cf. la légende de la mort).
La connaissance de cet itinéraire et de ses nombreux pièges est indispensable à celui qui est en train de se défaire de son incarnation ici-bas. Une connaissance qui, si l’on n’y a point accédé de son vivant, reste néanmoins possible jusqu’à l’instant même du grand passage.
Notre existence corporelle est soutenue par divers éléments intérieurs (chairs, fluides corporels, chaleur corporelle, respiration et complexion corporelle). Chacune des étapes de la dissolution va donc avoir des répercussions physiques et psychologiques, se manifestant par des signes extérieurs physiques, et par des signes intérieurs expérimentés par le mourant. Toutefois, dans certains cas, une mort accidentelle par exemple, les processus de dissolution peuvent être si rapides qu’il n’est pas possible d’en prendre conscience.
Chaque fois qu’un de ces centres d’énergie cesse de fonctionner, il se manifeste au mental (au binôme âme + esprit ou anamone + menman) sous la forme d’une entité à l’apparence apaisante (Épona, Belin/Belen/Barithus/Manannan…), ou au contraire effrayante, selon les idées du défunt (Tethra, Gwynn…). Les druides d’aujourd’hui parlent de dieux psychopompes, nos amis tibétains de divinités paisibles. Essayons un peu d’y voir clair, c’est le cas de dire, car l’attitude de l’esprit à ce moment précis décide du destin ultérieur de l’âme.
Si nous savons maintenir notre esprit dans la clarté du droit chemin à la manière d’un soleil que n’obscurcit aucun nuage, en maîtrisant nos peurs et nos visions ; nous sommes alors à même de contrôler la séparation de notre âme/esprit et de notre corps et l’orientation de notre au-delà-de-la-mort.
Cette préparation des âme/esprits est un peu comme une police d’assurance. Si l’on n’arrive pas soi-même à forcer l’épanouissement de son âme de son vivant, on est assuré d’y réussir après la mort dans cet autre monde. C’est le chemin le plus direct et le plus rapide pouvant y conduire. Point n’est besoin dans ce cas de pratiquer ascèse ou méditation pendant des heures. Et heureusement, car la plupart d’entre nous n’ont pas la possibilité de pratiquer à outrance la méditation en solitaire ou la mortification. Il faut donc un chemin plus simple, plus direct, pour en quelque sorte frayer le passage. La vie est très courte et peut prendre fin soudainement, ou sans avertissement, contrairement à ce que semble penser le Breton Anatole Braz sur le sujet : « Les personnes qui nient les intersignes en ont autant que celles qui en ont le plus. Elles les nient uniquement parce qu’elles ne savent ni les voir ni les entendre ; peut-être aussi parce qu’elles craignent, et qu’elles ne veulent rien entendre, ni rien voir, de l’autre vie… Personne ne meurt, sans que quelqu’un de ses proches, de ses amis ou de ses voisins, n’en ait été prévenu par un intersigne ».
En ce qui nous concerne, nous maintenons que l’Ankou (la mort) peut frapper sans prévenir. Et quand la mort advient, nous n’avons aucune possibilité d’y échapper : ni notre richesse accumulée ni notre renommée, rien ne peut nous venir en aide hormis les quelques considérations qui suivent.
Les Celtes ont été à l’origine un peuple de terriens et non de marins (quelque part au nord des Alpes au second millénaire avant notre ère).
1. Le premier symbolisme, en ce qui concerne le séjour des âmes/esprits après la mort, se contentait donc d’évoquer des terres lointaines, situées là où le soleil se couche : la Letavia. Le binôme âme/esprit était censé se rendre dans cette Letavia, grâce à l’aide de divers animaux psychopompes du genre cerfs, chevaux, et autres. D’où un des symbolismes d’Épona d’ailleurs, et aussi celui des tombes à char (l’âme/esprit du mort, dans cette optique, en avait besoin pour se rendre au pays du soleil couchant, comme en une fantastique chevauchée). D’où également le symbolisme de Cornunnos.
L’autre monde est situé au-delà des mers en Irlande ou chez les Bretons, mais au-delà d’une rivière (le fleuve de l’oubli) sur le continent. Du moins si l’on en croit ce passage de Strabon (Géographie Livre III, 3, 4-5) : « la contrée que nous décrivons est riche et fertile… On franchit encore d’autres
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cours d’eau, puis on atteint le Léthé. Ce fleuve que les auteurs appellent aussi tantôt le Limeas, tantôt l’Oblivio, descend de la Celtibérie et du pays des Vaccéens… Les derniers peuples de la Lusitanie sont les Artabres, qui habitent près du cap Nerium. Dans le voisinage du même cap, qui forme l’extrémité à la fois du côté occidental et du côté septentrional de l’Ibérie, habitent les Celtici, proches parents de ceux des bords de l’Anas. On raconte qu’une bande de ces derniers, qui avait entrepris naguère une expédition en compagnie des Turdules, contre les peuples de cette partie de l’Ibérie, s’étant brouillée avec ses alliés dès la rive ultérieure du Limaeas ; et ensuite ayant perdu en même temps, pour comble de malheur, le chef qui la commandait ; se répandit dans le pays et décida d’y demeurer. Ce qui fit donner au Limaeas cette appellation de fleuve du Léthé ou de l’Oubli ». Strabon a donc pris ce fragment de mythe au pied de la lettre.
À deux reprises, le Conte du Graal développe l’image d’une frontière aquatique qui sépare le monde des hommes et celui de la Merveille, plus précisément celui des vivants et celui des morts. N’est-ce pas sur l’autre rive de cette rivière infranchissable, que Perceval pense pouvoir retrouver sa mère, qui pourtant est déjà morte, même s’il l’ignore. Mais cette frontière aquatique et symbolique, Perceval ne la franchira jamais. À la différence de Gauvain qui, une fois passé dans la barque d’un nautonier évoquant les mystérieuses barques de bronze ou de cristal qui conduisent à l’autre monde dans la mythologie irlandaise, retrouvera, lui, sa mère et son aïeule. Dont le texte nous indique pourtant clairement qu’elles sont décédées depuis longtemps : « Gauvain, cher seigneur, je le connais bien et je puis affirmer qu’il n’a plus de mère depuis vingt ans passés au moins » (vers 8753 à 8756).
C’était d’ailleurs le cas de Lancelot dans le Chevalier de la Charrette qui découvre, de l’autre côté de l’eau, en plein royaume de Gorre, autre image de l’Au-delà, le cimetière futur et sa propre tombe.
Le symbolisme du pont est très répandu dans le monde celtique ; il manifeste la difficulté du passage dans l’au-delà. Voir l’épisode de Lancelot et du Pont de l’Épée dans le Chevalier de la charrette justement. Lancelot pénètre dans l’autre monde et s’apprête à effectuer une véritable descente aux enfers. Il arrive près d’un pont périlleux qui suscite l’effroi et sous lequel coule une eau « rapide, grondante, noire et aussi épaisse que si c’était le fleuve du diable » (v. 3015-3018). Le romancier décrit les confins de l’autre monde selon la tradition ancestrale des légendes celtiques.
Avant de traverser le Pont de l’Épée, le chevalier aperçoit sur l’autre rive deux lions ou deux léopards (v. 3041), prêts à le dévorer.
On retrouve ce thème dans les conceptions religieuses de la Perse antique où le pont Chinvat, qui signifie le « diviseur » ou « trieur » dans la tradition iranienne, est un passage périlleux, large pour les justes, étroit comme une lame de rasoir pour les impies. De la Perse, il passera d’ailleurs dans l’islam.
Ce motif druidique par excellence apparaît aussi à plusieurs reprises dans le parcours de Gauvain : « Jamais chevalier qui soit allé par ici à travers champs ou par chemin, n’a pu en revenir, car c’est la frontière de Galvoie. Jamais chevalier ne peut la passer puis en revenir, et personne n’en est encore revenu, sauf moi qui… » (vers 6600 à 6606).
On retrouve cette idée dans les paroles mêmes de l’Orgueilleux du passage à l’étroite voie. « Il n’est pas de chevalier né d’une mère qui ait passé les cols de Galvoie, pour peu que je le voie et que je le trouve devant moi » (vers 8384 à 8387).
Les habitants de cet autre monde ont néanmoins tous un petit quelque chose de différent de ceux d’ici-bas.
C’est un lieu où règne le bonheur qui va peu à peu influencer Gauvain : « Dame, dit-il, je vous crois, car avant que je ne vous voie, tout me laissait indifférent, tant j’avais de colère et de peine. Mais à présent je suis heureux, plus que je ne pourrai jamais l’être ».
Les visages y sont auréolés de gloire : « Ses cheveux étaient cerclés d’or, et ils étaient dorés autant que l’or et davantage. Son visage était blanc et la nature l’enluminait d’une couleur vermeille et pure ».
Il ne peut par définition y exister haine, mort, envie, et autres vices de ce genre : « Aucun chevalier n’y peut entrer, ou y rester sain et vivant plus de temps qu’il en faut pour galoper une lieue, s’il est cupide ou s’il a un vilain défaut comme la tromperie ou la lésine. Ni lâche ni traître n’y dure, ni félon ni parjure ».
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Dernier point enfin : c’est une Trinité féminine (quel blasphème !) qui règne sur cet extraordinaire royaume : la grand-mère, la fille et la petite-fille.
N.B. Chez Chrétien de Troyes, la transcendance de l’au-delà est remplacée par l’immanence du bonheur dans une société chrétienne. Dans son rapport aux légendes des fées, le roman de Chrétien apparaît en effet comme une inversion narrative. La fée s’éprend d’un mortel, est déçue par lui, au bout du compte le met à l’épreuve par une espèce de pénitence, et le pardonne. Erec, lui, s’éprend d’Énide, la déçoit, est déçu par elle, met à l’épreuve la substance du couple, et refonde une liaison accomplie.
2. Étroitement lié à ce premier symbolisme, il y avait aussi celui qui situait « au ciel » ce lointain paradis. Les Celtes ne s’occupaient pas, par exemple, des cadavres des leurs tombés sur des champs de bataille trop lointains. Parce qu’ils étaient persuadés que les corbeaux en consommant les chairs des morts emporteraient aussi leur âme/esprit au Paradis des guerriers, là où elles étaient appelées.
Ce voyage de l’âme/esprit des guerriers tombés sur le champ de bataille, ingurgitée par des corbeaux qui vont la conduire jusqu’au Paradis, se retrouve aussi chez les chamans sibériens.
Cette image s’inscrit dans un ensemble de croyances largement diffusées dans tout le monde altaïque. Il est remarquable, en tout cas, qu’elle ait laissé des traces dans la mythologie irlandaise où le corbeau joue toujours le même rôle, et conduit l’âme/esprit des guerriers dans l’éden des combattants ayant fait preuve d’héroïsme. Mais Silius Italicus, lui, pensait qu’au lieu de corbeaux, il devait s’agir de vautours.
Punica, Livre III, 340-343 (à propos des Celtibères ayant aidé Hannibal).
« Ils sont venus aussi les Celtibères. Pour eux c’est une gloire de mourir au combat et il est sacrilège de brûler le corps de celui qui a péri d’une telle mort. Ils croient qu’ils seront transportés au ciel auprès des dieux-ou-démons, si le vautour affamé déchire leur dépouille gisante ».
Corbeaux ou vautours ? Cela devait dépendre des régions et des climats. Ce qui est certain, c’est que les druides voyaient dans certains oiseaux les intermédiaires naturels entre le monde humain et l’univers céleste. Comme la fumée montant des foyers sacrificiels ou funéraires, l’oiseau passait pour un messager, mais aussi un convoyeur d’âme/esprit. Une divinité paisible diraient nos amis bouddhistes. Les deux symbolismes n’étant pas nécessairement incompatibles (il faut d’abord s’élever assez haut dans le ciel pour rejoindre au plus vite ensuite le pays du soleil couchant), ils ont souvent été associés dans le druidisme primitif.
Un scénario intermédiaire semble en effet avoir été celui qui représentait l’âme/esprit partant sur un char en direction de l’endroit où le soleil se couche. Les tombes à char de l’Âge du fer en sont la preuve. Le récit intitulé en gaélique Siaburcharpat Con Culainn en est une lointaine réminiscence, bien que sa christianisation soit évidente.
3. Le scénario le plus récent met en scène un voyage du binôme âme/esprit au-delà des mers. Mais cette allégorie n’a pu être élaborée de façon significative que quand nos ancêtres ont commencé d’atteindre les rivages de l’océan. Un troisième symbolisme s’est alors élaboré dans l’imaginaire bardique de l’époque, celui de la PORTE DU ROYAUME DES MORTS OU DE LA LETAVIA ; nom de la terre intermédiaire située au fin fond de l’univers habité, entre le monde des hommes et celui des esprits, voir le sanscrit Prithvi.
La légende de la mort de l’ancien druidisme nous décrivait ainsi la façon dont, à l’époque, les hommes concevaient ce voyage des âme/esprits, du moins d’après des descriptions rapportées par des auteurs gréco-romains.
Les âme/esprits étaient censées se rendre en ce lieu sur des barques de cristal, de verre, de bronze ou de simples pêcheurs, extensibles, voire sur des dauphins. Elles étaient censées partir vers l’ouest en suivant le soleil, au-delà du pays des portes de la Mort. Au-delà des portes de la Mort sur la mer des morts. L’ancien druidisme appelait Morimarusa, ou mer morte, ces eaux situées au bout de la terre, autour de Thulé, eaux où l’on ne pouvait naviguer qu’à la rame et lentement. L’eau étant considérée comme la seule barrière pouvant logiquement séparer les esprits des morts, des esprits des vivants ; le passage de la Morimarusa, chez les anciens druides, était donc l’équivalent du passage du Limeas ou de l’Oblivio en Celtibérie, ou du Styx et du Léthé chez les Grecs.
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Voici les descriptions, quelque peu surréalistes et mystérieuses, que divers auteurs nous en ont laissées.
Strabon. Géographie. Livre II, 4, 1 : Pythéas nous parle des parages de cette mystérieuse Thulé où « il n’y a ni terre ni eau ni air à l’état séparé, mais une sorte de mélange des trois, ressemblant à une gelée de poisson, dans laquelle la terre, l’eau et l’air, et toutes les choses sont mêlés. Comme s’ils étaient tous réunis ».
Pline, Histoire naturelle, Livre IV. XXVIl. « Il faut maintenant sortir du Pont, pour exposer l’extérieur de l’Europe ; il faut, après avoir traversé les monts Riphées, suivre à gauche les rivages de l’Océan septentrional jusqu’à ce que nous arrivions à Cadix. On parle d’un grand nombre d’îles sans nom situées dans ces parages ; de ce nombre est, en face de la Scythie dite Raunonienne, une île qui, d’après Timée, se trouve éloignée d’une journée de navigation, et où, au printemps, l’ambre est rejeté par les flots. La renommée n’a que des renseignements incertains sur le reste de ces rivages. Océan Septentrional : Hécatée l’appelle, à partir du fleuve Paropamise, mer Amalchienne là où il baigne la Scythie, ce nom signifiant congelé dans le langage de ces peuples. Philémon prétend qu’elle est appelée par les Cimbres, Morimarusa, c’est-à-dire mer morte, jusqu’au promontoire Rubéas ; et au-delà, mer Cronienne. D’après Xénophon de Lampsaque, une navigation de trois jours conduit de la côte de Scythie à une île d’une grandeur immense, Baltia ; Pythéas l’appelle Basilia. On cite aussi les îles Oones, où les habitants vivent d’œufs d’oiseaux et d’avoine ; on en cite d’autres où les hommes naissent avec des pieds de cheval, et s’appellent Hippopodes ; on cite enfin les îles des Fanésiens, dans lesquelles les habitants, qui vont nus, se couvrent de leurs oreilles, d’une grandeur excessive.
On commence à avoir des renseignements un peu plus clairs à partir des Ingévons, le premier peuple germain que l’on rencontre. De ce côté-là sont les monts Sevons, une chaîne immense qui forme jusqu’au promontoire des Cimbres un vaste golfe appelé Codan, et rempli d’îles ; la plus connue est la Scandinavie, dont la grandeur n’a pas été reconnue : la seule portion sur laquelle on ait quelques notions est occupée par la nation des Hillévions ; elle habite 500 bourgades, et elle considère cette contrée comme un second univers. Quelques auteurs rapportent que ces régions sont habitées jusqu’à la Vistule par les Sarmates, les Vénèdes, les Scires et les Hirres ; qu’il y a là un golfe appelé Cylipenus, à l’ouverture duquel se trouve l’île de Latris ; puis, qu’il y a un autre golfe nommé Lagnus qui touche au pays des Cimbres. Le promontoire des Cimbres, en s’avançant au loin dans la mer, forme une péninsule qui est appelée Tastris. Là 23 îles ont été découvertes par les victoires des Romains ; les plus célèbres sont Burchana (Borkum), appelée Faberia par les nôtres, à cause d’un fruit qui vient spontanément là-bas, et qui ressemble à une fève ; Glessaria, nommée par nos soldats ainsi à cause du succin, et Austravie par les barbares ; enfin Actania ».
MER MORTE OU MER DES MORTS ?
Il est possible que par une adaptation analogue à celle du sens original de Letavia, cette mer ait été dite Morimarusa, par opposition à la « mer normale » : l’Atlantique. Car intervient alors le quiproquo : mortuum mare = mer morte/morimarusa et mortuum mare : mer des morts. Confusion reprise par Pline : morimarusa… hoc est mortuummare… ultra deinde Cronium (mare) »… Morimarusa… c’est la mer des morts… au-delà c’est la mer Cronienne ». Les Grecs de leur côté parlaient de Kronion pelagos (mer de Kronos).
N.B. La mythologie celtique ajoutait que cette Morimarusa ou mer des morts était hantée par un monstre aquatique. Une variante de la légende en faisait un gigantesque serpent à tête de bélier.
À propos des habitants de cette mystérieuse Letavia, le poète latin Claudien dans ses invectives contre Rufin nous informe d’ailleurs encore plus, comme s’il avait déjà lu ou entendu les récits des navigations irlandaises.
Claudien, in Rufinum I, 129-134. « « Là où vient se briser l’océan sur les rivages de la Celtie, on rapporte qu’Ulysse, par des libations de sang, mit en mouvement le peuple des morts. Là on entend le faible sifflement des ombres qui gémissent en volant. Les paysans voient partir les pâles troupes des morts. C’est de là que Mégère prend son essor. Sa présence ternit les rayons du soleil ; et ses horribles hurlements déchirent la voûte éthérée. À ce bruit lugubre, la Bretagne se trouble, la terre s’ébranle sous les pieds du Sénonnais ; la mer s’arrête, repliée sur elle-même, et le Rhin, glacé, laisse échapper son urne ».
Ce texte est évidemment marqué par les conceptions classiques concernant le monde des morts dans l’Antiquité gréco-latine (des ombres pâles et lugubres). Mais il n’en demeure pas moins intéressant,
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car c’est dans des îles semblables en effet que vont les morts suivant Procope (De Bello Gothico IV, 20).
« Le long de la côte de l’océan qui s’étend juste en face de l’île de [Grande] Bretagne, il y a de nombreux villages. Ils sont habités par des hommes qui pêchent à l’aide de filets ou cultivent la terre voire font du commerce maritime avec cette île, et qui sont, en autre chose, sujets des Francs, bien que ne leur payant aucun tribut, ledit tribut ayant été supprimé pour eux depuis des temps immémoriaux en raison, disent-ils, d’un service qu’ils rendent et que je vais décrire ici. Les hommes de cet endroit disent que le transport des âmes/esprits [grec psyché] leur incombe à tour de rôle. Les hommes qui doivent accomplir ce travail lors de la nuit qui doit venir, en prenant la relève des autres, dès que l’obscurité tombe, se retirent dans leur maison et vont dormir, en attendant celui qui doit les rassembler pour effectuer cette tâche. À une heure de la nuit très avancée, ils réalisent que l’on frappe à leur porte et entendent une voix indistincte les appelant à venir faire leur travail. Alors ils se lèvent et se rendent sans hésiter sur la plage, sans comprendre la raison qui les pousse à cela, mais en en ressentant néanmoins la nécessité. En ce lieu, ils aperçoivent alors des embarcations prêtes à partir, mais sans personne à bord, non pas leurs propres esquifs cependant, mais une sorte de barques différente, à bord desquelles ils montent et dont ils prennent les rames. Ils réalisent alors que ces bateaux sont chargés à ras bord d’un grand nombre de passagers ? puisqu’ils sont mouillés par les vagues qui atteignent presque le niveau du plat-bord et des dames de nage, et qu’ils ne dépassent le niveau de l’eau que de l’épaisseur d’un doigt, tout juste ; eux-mêmes cependant ne voient personne, mais après avoir ramé à peine une heure, ils arrivent en [Grande] Bretagne. Alors que, quand ils effectuent ce voyage sur leurs propres embarcations, sans se servir des voiles, mais à la rame, ils effectuent péniblement ladite traversée en une nuit et un jour. Puis quand ils ont atteint l’île et qu’ils ont été délivrés du poids de leurs passagers invisibles, ils repartent chez eux à toute vitesse, leurs bateaux étant soudainement redevenus si légers qu’ils ne font qu’effleurer les vagues, et qu’ils n’ont que la quille dans l’eau. En ce qui les concerne, ils ne voient jamais personne assis à côté d’eux à bord de leur navire ou en débarquant, mais ils disent qu’ils entendent une sorte de voix venant de cette île, et qui semble être une annonce destinée à ceux qui doivent prendre ces âmes/esprits [grec psyché] en charge, car on fait alors l’appel de tous les passagers arrivés avec eux, par leur nom et qualité dans la vie d’avant, le nom de leur père et le leur propre. Et s’il y a aussi des femmes parmi ceux qui ont été ainsi acheminés, on donne les noms des hommes à qui elles étaient mariées dans la vie d’avant » (Procope. De Bello Gothico IV, 20).
Le bateau ou la barque, de bois de verre ou de bronze, appartient évidemment à l’Autre Monde.
Mais on se demande bien quelles peuvent être les personnes qui accueillent tous ces morts en les appelant par leur nom, leur tribu ou leur lien de parenté ; et en leur posant toutes sortes de questions (des signes convenus ?) pour qu’ils y répondent. Par leur nom, par leur tribu, par leurs liens de parenté… d’où l’importance de l’existence de tous ces renseignements sur les tombes.
Les liens de parenté évoqués par ce texte ne sont peut-être qu’une banalité de l’anthroponymie celtique (où l’on est toujours désigné comme étant le fils ou la fille de quelqu’un). Mais la mention d’un échange entre les passagers qui débarquent, et ceux qui les accueillent, laisse à penser qu’il s’agit là peut-être de proches ou de parents venus les chercher.
Ce texte est intéressant malgré sa date tardive dans la littérature grecque byzantine. Comme il fallait s’y attendre, Procope est très mal renseigné sur cette étrange traversée. La « Brittie » est sans doute la (Grande-) Bretagne. Mais elle n’était pas le véritable but des âme/esprits de ces défunts.
Ce fragment de texte conserve la trace légendaire de conceptions religieuses absolument identiques à celle de l’Irlande. Car ce n’est pas à la colonisation insulaire du VIe siècle que l’Armorique, appelée ensuite la Letavia, puis la Bretagne, doit d’être devenue le lieu de passage des morts. Cette qualité est très antérieure, comme le prouve le court passage de Claudien que nous avons examiné plus haut.
Ainsi que nous l’avons déjà vu maintes fois, un autre texte intéressant à plus d’un titre (de Plutarque) nous apporte des précisions supplémentaires sur la mystérieuse île de Kronos (Saturne) où se rendaient tous ces morts ; et qui n’était pas évidemment la Grande-Bretagne comme le croit Procope.
« Rien n’est plus enchanteur que la nature de cette île, où l’air est d’une charmante douceur. Quelques-uns pensaient à la quitter, mais le Dieu les en dissuada en se présentant à eux comme à des familiers ou à des amis. Ce n’est pas en effet uniquement en songe, ou par des visions symboliques, que beaucoup de ces insulaires voient des démons et conversent avec eux, c’est face à face. En ce qui concerne Saturne lui-même (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), il
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demeure dans une grotte profonde, où il dort sur un rocher brillant comme de l’or ; car c’est par le sommeil que Jupiter [Taran/Toran/Tuireann ?] a imaginé de le lier. Des oiseaux dont la demeure est en haut de ce rocher viennent en voltigeant apporter au Dieu l’ambroisie. Une odeur délicieuse s’exhale de ce rocher comme d’une source, parfume l’île entière. Les Démons dont nous avons parlé entourent Saturne (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieux et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur les événements les plus importants, font des révélations précieuses dont ils assurent qu’elles sont les songes du dieu » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
L’interpretatio graeca de Plutarque mélange évidemment beaucoup de choses, notamment le royaume des morts et celui des dieu-ou-démons, et il est difficile de savoir quelles sont exactement les divinités celtes qu’il affuble des noms de Saturne ou de Jupiter.
Lug et Belenos Barinthus Manannan Lerigenos ? Cornunnos ? Taran/Toran/Tuireann ?
Ce qui est probable en tout cas, c’est que toute cette histoire a quand même un rapport avec une sorte d’au-delà du temps puisque Saturne dans la mythologie romaine, était bien le temps personnifié. Les habitants de cette île évoqués par Plutarque (les insulaires) sont hors du temps et ont le privilège de pouvoir parfois converser avec les dieux (les démons au service de Cornunnos-Saturne).
La renaissance dans un autre monde meilleur est un concept fondamental du druidisme. Cette renaissance dans un autre monde sert à racheter nos erreurs, celles que nous avons commises dans notre vie sur terre. Il faut chercher à s’en purifier pour pouvoir réintégrer le Grand Tout. Bien différente dans sa forme et dans son extension, et par conséquent dans son importance, est donc la conception irlandaise d’un Au-delà ou plutôt d’un Autre Monde parallèle, où les défunts mènent une existence paradisiaque ; Tir na mBeo, Terre des Vivants, Tir na mBan, Terre des Femmes [on retrouve là plutôt le paradis de type musulman avec ses houris éternellement vierges. N.D.L.R.] Mag Meld, Plaine du Plaisir (voir le nom des Meldi, de Meaux, dans la région parisienne), Tir na nOg, Terre des Jeunes.
Le plus souvent, ce paradis celtique se situe très loin à l’ouest de l’Irlande, au-delà du soleil couchant, là où vont les morts. Quelquefois même c’est une pure et simple traduction de l’expression biblique, la « Terre de Promesse », Tir Tairngiri, où pousse l’Arbre de Vie. Tout y est beau, jeune, attirant et pur. Les défunts y trouvent un sort enviable par comparaison à celui des vivants de notre monde. Mais si le monde du royaume des morts n’est réellement plus soumis aux catégories habituelles de l’espace et du temps, alors même de telles descriptions pour le caractériser sont insuffisantes. Ce ne sont que des tentatives de traduction de l’indicible ou de réduction au fini de l’infini.
L’autre monde appelé Albiobitos est composé de trois mondes, celui des dieu-ou-démons, celui des défunts ordinaires et celui des grands initiés. Revenons donc sur ces différents scénarios.
Dans le phénomène de désincarnation appelé mort, la réalité se manifeste par une communion avec des énergies qui ont des analogies avec les éléments constitutifs de l’existence phénoménale, et peut prendre diverses formes, sons, forces, ou lumières, par exemple.
Ces processus de désincarnation seront différents selon les convictions de chacun.
La traversée de la mort est toujours le reflet de l’existence passée, en fonction de la façon dont elle a été vécue, en bien ou en mal, avec générosité ou égoïsme. L’agonie, la mort, puis le devenir de l’âme/esprit dans la renaissance ou la transcendance, adviennent conformément aux orientations correspondantes.
Ensuite apparaissent différentes manifestations du divin.
Elles sont les formes personnifiées des impulsions intellectuelles ou sensibles du vivant qui mobilisent ces énergies.
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PREMIÈRES CONCLUSIONS
SUR LA LÉGENDE DE LA MORT.
Ainsi que l’a très bien dit Henri Lizeray : « Prépare dès maintenant ton immortalité, à ta mort tu feras partie des mondes en formation ».
Ce savoir druidique nous donne un aperçu des réalités qui dépassent les frontières de notre vie, de notre monde. Mais ce que nous pouvons deviner actuellement de ces réalités n’est qu’une image obscure et déformée, comme dans un miroir. D’où d’ailleurs la légende de la mort du Breton Anatole Le Braz. Notre connaissance est pour l’instant partielle, mais un jour elle sera plus complète, voire même totale, et nous pourrons alors apercevoir le rocher d’or (le Graal ?) de la mystérieuse île décrite par Plutarque. Nous pourrons le contempler en quelque sorte les yeux dans les yeux.
En tout cas ce savoir nous permet d’effacer dès maintenant notre peur et de vivre autrement la souffrance et la mort, même si notre nature continue à regimber.
Même quand il reste caché dans l’inconscient du druidisant, ce savoir ancestral fortifie. Et le soutient dans sa volonté de suivre un chemin semé d’embûches. Car il n’est pas seulement savoir humain, c’est aussi une force qui vient de l’esprit symbolisé par Taran/Toran/Tuireann (en raison du caractère fulgurant que peuvent prendre ses manifestations. Elle habite l’âme des druidisants.
Nous sommes ainsi en paix avec les dieu-ou-démons. Et le chemin le plus rapide à suivre pour avoir accès au monde des morts et des dieu-ou-démons (Albiobitos) nous a été montré par le setanta dit hésus dit Cuchulainn (ou chien de Culann en Irlande).
Car la souffrance elle-même a son utilité dans tout ceci, puisqu’elle nous pousse à vouloir nous libérer le plus vite possible du cycle infernal de l’ategeneto (la réincarnation sans fin en ce bas monde sous forme de bacuceos ou seibaros). Ce savoir produit l’espérance, et l’espérance ne trompe jamais, puisque cette passion pour l’autre monde a été soigneusement répandue dans nos cœurs par nos grands ancêtres spirituels. Voir les nombreuses remarques des auteurs grecs et latins à ce sujet.
Il n’est pas possible de décrire vraiment et avec précision, ce qui échappe à l’expérience sensible. D’où d’ailleurs les naïvetés anthropomorphiques de la légende de la mort que nous venons d’étudier. Le druidisme ne fait que proposer des images, des analogies, des symboles, qui correspondent à nos situations et à nos aspirations humaines les plus profondes, pour nous faire pressentir cet au-delà de la vie terrestre.
Cependant, et en dépit de l’imperfection des mots ou des représentations cherchant à exprimer des réalités invisibles, le savoir druidique nous permet néanmoins ; même s’il laisse planer un certain mystère sur les réalités de la vie après la vie, puisqu’elles débordent le champ de l’expérience ; d’affirmer un certain nombre de choses.
Premier point : la presque immortalité de l’âme (appelée anamone chez les Celtes). « Je pense donc je suis a dit Descartes, et celui qui existe persiste, car le temps et l’espace sont les branches desséchées d’un arbre toujours en période de pousse » (Henri Lizeray). Henri Lizeray qui ajoute dans sa D.S.D.D que, puisque rien ne se détruit, corps et âmes reviennent dans ce cas nécessairement à leurs origines. Le corps retourne à la terre, à la matière, et l’âme à sa sphère d’origine (l’awenyddio).
En découvrant cette vérité ; à savoir que la vie humaine n’est pas vraiment anéantie avec la mort, qu’elle est simplement transformée par réincarnation dans un autre monde ; le druidisme soutient, contrairement à la religion juive et à la Bible, que subsiste après la mort un élément spirituel. Un élément spirituel que les anciens gnostiques d’Occident appelaient anamone et que l’on appelle aujourd’hui âme. En relation avec l’âme universelle (awentia ou awenyddia) qui la sous-tend et la nourrit, cette âme est, elle-même, presque immortelle.
Le mot âme est à entendre dans le sens utilisé par les anciens druides quand ils parlaient d’anamone. C’est-à-dire le principe spirituel de la personne humaine, source de son unité, partie de l’homme à côté du corps, mais immanente à ce corps. Car l’Homme Est un corps, car l’homme est corps et âme, en une seule personne.
C’est en comprenant l’âme ou l’esprit de cette façon que les très-sachants affirment sa presque immortalité. Le druidisme affirme la survivance et la subsistance après la mort d’un élément spirituel qui continue d’exister dans sa relation au monde (transformation matière énergie).
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Le savoir druidique permet concrètement d’affronter la mort et d’accéder dans les meilleures conditions possibles aux réalités situées au-delà. La renaissance dans l’autre monde et la vision béatifique du rocher d’or sur lequel trône le maître de cet autre monde (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26) pour les Meldi, la régénération des corps à la fin du cycle en cours, l’union définitive entre l’anamone et le Pariollon pour les awenyddion, etc.
Cette foi druidique n’est cependant pas une fuite devant les réalités parfois douloureuses de ce monde.
Le druidisme prend la mort au sérieux justement, mais les très-sachant s’efforcent de discerner dans les événements ou les exigences de leur temps, quels sont les nouveaux signes de la présence du Graal en ce monde.
La dernière paix faite avec les dieu-ou-démons a été une paix définitive, du moins dans le cadre de ce cycle, le seul accessible à notre connaissance. L’esprit nous a été donné qui nous fait participer dès maintenant à cette vie des dieu-ou-démons ; et ce avant même leur parousie. Car les vivants de ce monde seront alors comme des dieu-ou-démons.
La mort et la montée au ciel de Cuchulainn ont été la preuve que cette vie ici-bas n’est pas à recommencer indéfiniment. Telle est la parole de vérité, la « suscetla », que sont chargés d’annoncer ceux qui, depuis, savent, et dont l’âme brûle de ce feu sacré, les très-sachants ou les gnostiques d’Occident que l’on appelle druides.
Cette vision du monde demeure donc ouverte à la possibilité d’un accomplissement final à venir, ultime et immanent transcendant, mais dont seuls les grands axes sont perceptibles.
Ce que deviendra le monde, a dit le poète, ne paraît pas encore clairement. Mais ce que nous savons c’est que, quand les dieux reparaîtront, nous serons semblables à eux, parce que nous pourrons les voir enfin tels qu’ils sont (désoccultation des dieux appelée parousie par les chrétiens).
Une telle ouverture sur l’avenir et sur l’immortalité se trouvait déjà dans le savoir de l’ancien druidisme et, par conséquent, elle est donc restée une dimension essentielle du néo-druidisme actuel.
Le néo-druidisme, en définitive, ne fait que parler de cette destinée finale des mortels que nous sommes, du sens de l’Histoire et des différentes formes d’éveil des consciences ou d’épanouissement de l’âme.
Les thèses majeures du druidisme comportent une dimension eschatologique. Les dieu-ou-démons du druidisme appellent les hommes à envisager, au-delà de leur vie et au-delà du temps de ce cycle, un épanouissement total de leur âme. Et la souffrance sur cette terre a donc un sens : elle incite à rechercher cet épanouissement.
C’est donc cet accomplissement promis à l’Homme qui doit l’emporter. Ce que nous entreprenons en ce monde n’est jamais complètement vain !
Une telle perspective ne peut d’ailleurs que nous pousser à nous engager encore plus résolument sur les différentes voies qui s’offrent à nous pour devenir comme les dieu-ou-démons. Alors que la Bible, elle, rejette absolument une telle perspective pour l’Homme (Genèse, 3, 4 et 3, 22).
Les dieu-ou-démons celtes eux-mêmes sont déjà avec nous (contrebis) dans ce long cheminement afin de nous aider à nous libérer des ténèbres de la faiblesse animale qui peut affecter les meilleurs d’entre nous (les Ulates par exemple) et acquérir un corps de rêve ou idéal (xvarnah en avestique, bellissamos bellissama en vieux celtique).
Résumons-nous.
Les druidisants se sentent solidaires de toutes les formes d’espérance sans lesquelles l’Humanité ne pourrait pas survivre. Ils y discernent aussi quelque chose de la présence mystérieuse de l’Être supérieur dans le monde qu’il anime. Ils ont néanmoins l’ardente obligation de réaffirmer un certain nombre de vérités.
Tout ce qui vit, tout ce qui est, à terme ne fera plus qu’un avec l’Englobant universel, un jour ou l’autre. Seul varie le moment de cette réintégration dans l’Être supérieur que l’on appelle Pariollon.
Chaque âme individuelle (anamone) est une partie de l’Être des êtres (le Pariollon ou Bitos), tire de lui sa force vitale, et porte en elle sa nature englobante de façon quasi invisible. Cet Être des êtres immanent absolu est un neutre, ni dieu-ou-démon, ni déesse-ou-démone, ni fée, sans attribut, sans forme, sans tâche à remplir, partout présent et néanmoins difficilement connaissable. C’est un être transcendant immanent qui pénètre le monde, lui infuse vie, et le porte. Un principe qui ne passe pas, au cœur et au-delà des mondes et des cycles qui, eux, passent. La larme de feu cosmique qu’est notre âme s’identifie avec ce grand tout universel originel.
Ainsi que nous l’a bien montré la voie des druides de type amarcolitanos, il suffit de reconnaître cette unité. Une telle connaissance conduit alors tôt ou tard à la fusion entre l’anamone et l’awentia ou
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awenyddia, et à la disparition du soi individuel appelé esprit ou menman, donc au dépassement de la séparation entre l’individu et son origine (cosmique). C’est une libération par le savoir.
Le druidisme est certainement la conception la plus abstraite du divin que l’on ait pu jamais imaginer. D’où d’ailleurs l’accusation d’athéisme rapportée par Strabon.
« Certains auteurs affirment que les Galiciens sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins plus au nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors durant toute la nuit, avec leur maisonnée, à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16). Un Dieu ou Démiurge qu’on ne nomme pas…
Attitude donc aux antipodes de l’imagerie d’Épinal simpliste et anthropomorphique de la Bible (du judaïsme au christianisme).
Doté d’une âme quasiment immortelle, l’homme peut par conséquent, dès sa mort, soit fusionner avec son principe, soit continuer à exister en tant que « moi » humain ; en tant qu’élément spirituel doué de conscience et de volonté (séjour dans le Vindomagos ou réincarnation, pour le pire comme pour le meilleur).
Il existe quatre moyens de réintégrer plus ou moins rapidement l’Être des êtres par fusion métamorphique au sein du Pariollon.
Le premier de ces moyens est le fait d’être appelé par les dieu-ou-démons pour devenir druide c’est-à-dire chercheur de Graal (vocation d’amarcolitanus). Les druides de type amarcolitanos n’ont jamais constitué une caste comme les Lévites chez les juifs. « Ces gens-là cherchèrent leurs titres généalogiques, mais ils ne les trouvèrent point. Alors, on les déclara souillés, bannis du sacerdoce » (Esdras, 2, 61 à 63).
Beaucoup de druides étaient évidemment fils de druides ou de chevaliers, mais leur enseignement était ouvert à tout le monde et il est évident qu’ils devaient aussi s’occuper des enfants doués qu’ils pouvaient repérer ici ou là dans la population.
Avoir la vocation d’amarcolitanos et se consacrer au savoir que ce soit sur le plan personnel (quête du Graal) ou afin d’élever le niveau intellectuel et donc aussi également de l’Humanité entière est un des moyens de sauver son âme du cycle infernal des réincarnations sans fin en bacuceos ou seibaros, dans cette vallée de larmes qu’est le dumnon. Devenir amarcolitanos fait du druide un awenydd en puissance. C’est-à-dire un éveillé ou un illuminé, au bon sens du terme, qui peut entrevoir le Pariollon par moments et léviter de précieuses secondes en quelque sorte en état de fusion métamorphique avec lui ou en lui.
Le deuxième de ces moyens est la voie du combat contre soi-même, réservée à ceux qui ont une psychologie plus active, réservée à ceux qui ont un tempérament de battant. Ce que l’on appelle grand djihad chez nos frères ennemis musulmans (le petit djihad renvoyant à la notion de guerre sainte ou sacrée de type croisade destinée à défendre OU ÉTENDRE l’islam, les musulmans et les terres d’islam * (dar al islam). Mais attention à la taqiyya qui justifie de faire passer l’un pour l’autre. Les journalistes n’y voient toujours que du feu. Ce qui s’est passé en Syrie à partir de 2012 c’était bien un djihad au sens de « petit Djihad » et ce que l’on entend généralement par djihadiste c’est le mercenaire croisé de l’islam politique armé le plus barbare.
Pour en revenir aux Celtes d’esprit on appelle Kinges celui qui se livre à de tels exercices à la fois spirituels et physiques, lui permettant lui aussi de devenir awenydd, c’est-à-dire d’accéder au monde divin.
Bien que beaucoup plus lente que la voie du druide awenydd en fait, vu l’incertitude de ses résultats, cette voie peut être néanmoins assez brève (quelques années ???) d’où son nom de voie royale. La souffrance et la mort sont dans ce monde du fait de notre origine animale (c’est là notre faiblesse originelle de type Ulate). C’est donc aussi par la souffrance et la mortification que l’on peut accéder à la rencontre définitive avec le monde divin (Sedodumnon ou Albiobitos).
Hesus, le dernier avatar de Lug petit-fils de Balaros le roi des vouivres anguipèdes gigantesques, est venu nous montrer que tel était le sens de la souffrance.
Le néo-druidisme parle aujourd’hui dans ce cas de vie éternelle, mais c’est bien sûr faute de terme adéquat. Prenons une lampe allumée pour la nuit. La flamme du début de la nuit sera-t-elle toujours exactement identique à celle de la mi-nuit, exactement identique à celle de la fin, quand l’aurore aux doigts de rose commence à faire son apparition ? Ou bien s’agit-il de flammes complètement différentes ? ?
La mort d’un homme ou d’un monde n’est que le milieu d’une longue vie. L’un naît, l’autre disparaît, mais cet enchaînement n’a ni commencement ni fin. Pourtant, ce n’est ni le même être ni un être différent qui renaît. Tout dépend du point de vue auquel on se place.
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En réalité cette vie, continuité, mais aussi épanouissement de notre état d’union avec l’Être supérieur ou Bitos dès ce bas monde (dumnon) est dans sa plénitude même un objet d’attente pour tout un chacun. Pour les hommes ou les femmes de tempérament « première fonction », cette vie future consiste à pouvoir contempler le rocher d’or où repose le divin au milieu de la blanche plaine immortelle de Vindomagos (pour les Meldi) et à jouir d’un corps de rêve ou idéal (xvarnah en avestique, bellissamos bellissama en vieux celtique). Un tel destin est vie intense, ainsi que l’est la vie même du Bitos, anticipation de la fin du cycle en cours, où le divin sera tout en tous après la désoccultation ou parousie (retour) des dieu-ou-démons 1).
Mais en réalité, rappelons-le, nous possédons déjà en nous voire autour de nous, les prémices de cette vie, dont la plénitude nous attend au-delà de la mort.
Dans cette existence de chaque jour, la vie éternelle a déjà commencé. Nous avons reçu les dons de l’esprit par qui le Destin a ressuscité les dieu-ou-démons d’entre les morts (voir le cas de certains d’entre eux lors de la bataille de la Plaine des menhirs ou des piliers. Ils meurent, mais réapparaissent aussitôt) et nous vivons même au milieu des preuves que s’accomplira aussi en nous ce mystère.
La vie n’est jamais détruite, elle se transforme seulement : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Lorsque prend fin leur séjour sur terre, les anamones vont renaître dans la plaine éternelle du Vindomagos afin de pouvoir désormais y contempler le rocher d’or où repose le Graal. Pendant que les anamones des awenyddion, ategnati ou kingetes, se réunissent, elles, au Pariollon, par fusion métamorphique directe, opérée au cœur de cette super « centrale nucléaire » cosmique. Cette certitude permet donc au païen d’obédience (option) celtisante de transformer sa propre mort en un passage, en un changement d’état, à l’instar de notre fascinant Hesus Setanta. Mourir ainsi, pour celui qui sait, constitue un accomplissement. Voici ce qu’en dit, rappelons-le, la légende de la mort de l’ancien druidisme (parlant de la désincarnation des awenyddion ou des semnothées, ou des anatiomaroi, il est vrai chez les Celtes).
« À son arrivée un grand trouble venait de se manifester dans l’air, accompagné de nombreux signes célestes : les vents se déchaînèrent, et la foudre tomba en plusieurs endroits. Quand le calme fut revenu, les habitants de l’île lui dirent que c’était un des êtres supérieurs qui venait de trépasser. Car, ajoutèrent-ils, de même qu’une lampe allumée n’a rien de fâcheux, mais qu’en s’éteignant, elle est désagréable pour maintes personnes, de même les grandes âme/esprits, lorsqu’elles brillent de tout leur éclat, sont bienveillantes, loin d’être funestes à qui que ce soit ; mais quand elles s’éteignent et s’anéantissent, souvent elles provoquent, comme cela venait d’arriver, des tourbillons et des orages de grêle, souvent aussi dans ce cas, elles empoisonnent l’air de souffles pestilentiels »(Plutarque. Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé.)
L’Être supérieur (Bitos) étant solidaire de ceux qui l’honorent sur cette terre, il ne peut pas, par définition, les abandonner au néant. Le salut procuré aux druides ou aux kingetes, après la mort, prend la forme d’une union béatifique avec le dieu-ou-démon régnant sur l’autre monde du haut de son rocher d’or. Union où peut être vécue la vie même de l’Être des êtres. Cette union béatifique de l’anamone de chacun (et de son moi que l’on appelle menman) avec le divin, comble l’être (humain) d’une joie parfaite.
Une telle issue favorable est accordée aux druides amarcolitanoi par pure et libre solidarité souveraine du grand tout du Pariollon, envers eux et ce qu’ils représentent. Car les dieu-ou-démons en sont également solidaires. Mais elle peut être aussi conquise de haute lutte par toute personne se livrant aux exercices spirituels et physiques appropriés (les kingetes).
Seule une minorité d’individus parvient, dès ce monde, à l’état d’awenydd. Mais après la mort, au Vindomagos, il y a peu à peu fusion progressive entre l’âme individuelle (l’anamone) et l’âme cosmique universelle (l’awentia ou awenyddia) et dépérissement de l’esprit : le menman. Le défunt devient peu à peu comme translucide, diaphane, éthéré.
Pour découvrir que d’autres personnes que les awenyddion peuvent être sauvées en accédant à cette contemplation directe du rocher d’or où repose le dieu-ou-démon ; il a fallu réaliser, bien sûr, que les relations avec lui ne peuvent jamais être purement et simplement anéanties, pour ceux qui ont tenté au moins, une fois dans leur vie, de le trouver (même principe que le nemboutsou du bouddhisme amidiste).
« Une odeur délicieuse s’exhale de ce rocher comme d’une source, parfume l’île entière. Les Démons dont nous avons parlé entourent Cronos (le bouddha Amitabha ? Le Graal ? Le destin ????), et lui prodiguent leurs soins. Ils faisaient partie de sa cour quand il régnait sur les dieu-ou-démons et les hommes. Possédant eux-mêmes le don de divination, ils font un grand nombre de prédictions et, sur
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les événements les plus importants, font des révélations précieuses dont ils assurent qu’elles sont les songes du dieu » (Plutarque. De facie in orbe Lunae,).
Même principe que le nemboutsou avons-nous dit plus haut. On se croirait dans le bouddhakshetra d’Amitabha ! Vu l’importance du sujet, il ne sera pas déplacé ici de redonner à nos fidèles (lecteurs), en quelques mots, ce que nous avons déjà noté à ce propos. Bouddhakshetra, terre de bouddha ou champ de bouddha, est un terme qui désigne un domaine de l’univers dans lequel un bouddha donné exerce son activité ou son influence. Selon le Mahavamsa, le domaine de sa vie terrestre est le jâtikkheta, qui peut être impur ou mixte, comme notre monde qui est le jâtikkheta du bouddha Çakyamouni. Le domaine dans lequel s’étend son enseignement est l’ânâkkheta. Le domaine dans lequel s’étendent sa sagesse et sa connaissance est le visayakkhetta, considéré comme illimité. Les deux derniers sont des terres pures résultant de ses réalisations et manifestant ses qualités ; ceux qui ont une affinité pour elles y renaissent. Toujours selon le Mahavamsa, un Bouddhakshetra équivaut à 61 milliards d’univers. Le concept est particulièrement développé dans le Mahayana, dans les soutras du Lotus et dans le Vimalakirti ainsi que dans ceux qui sont consacrés à certains bouddhas comme Amitabha, dont la terre pure est de loin la plus connue. Elle est en effet au centre des croyances et pratiques du courant dit de la Terre pure, l’un des plus importants du bouddhisme.
Bien que certains textes décrivent les terres pures comme des domaines éloignés de notre monde, le Lotus et le Vimalakirti affirment qu’elles se constituent ici-bas même, autour d’un bodhisattva, en vertu de la pureté de son esprit ; elles ne sont composées que des êtres qui s’élèvent spirituellement grâce à son enseignement. Selon ces soutras, il existe néanmoins des différences de qualité entre les terres pures des différents bouddhas. La terre pure d’Amitabha elle-même cède le pas, selon certains, à celle du bouddha Padmavati. Les courants Tiantai et Tendai, eux, fortement influencés par le Soutra du Lotus, envisagent quatre terres auxquelles on accède selon son degré de conscience.
Ci-dessous quelques noms de terre pure.
La Terre de la Parfaite Béatitude (Sukhavati) du bouddha Amitabha, la plus connue, décrite dans les soutras de la Terre pure, elle serait située à l’ouest de notre monde.
La Terre de la Joie (Abhirati) du bouddha Akshobhya, située à l’est de notre monde.
La Terre d’Émeraude du bouddha Bhaisajyaguru ; décrite dans le Soutra Bhaisajyagourou, elle serait située à l’est de notre monde.
La Terre de la Solennité secrète du bouddha Vairocana, décrite dans le Mitsugon kyo.
La Terre pure du Pic du Vautour, où règne l’enseignement du Bouddha Çakyamouni.;
La Terre pure du Mont Potakala, du bodhisattva Avalokiteshvara.
Alors pourquoi pas la Terre pure (au-delà celtique) du bouddha évoqué par le texte de Plutarque ?
Alors pourquoi pas la Terre pure (au-delà celtique) du bouddha Cornunnos ?
Alors pourquoi pas la Terre pure (au-delà celtique) du bouddha Belenos ?
* C’est d’ailleurs le sens le plus commun, celui auquel pense immédiatement l’immense majorité des gens qui en parlent, le Mahomet historique AYANT ÉTÉ AUSSI UN GUERRIER à la différence du héros des quatre évangiles.
1) La parousie des dieu-ou-démons est le retour sur terre des dieu-ou-démons exilés dans un autre univers depuis la fin de la méta-histoire. Ce sera un nouveau règne pour eux et pour nous, les humains, car nous serons alors comme des dieu-ou-démons ; mais ce nouveau règne sera bref, il ne sera qu’un couronnement, car fin de ce monde et naissance d’un nouveau surviendront peu après.
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CONCLUSION FINALE
SUR LA LÉGENDE DE LA MORT.
La légende de la mort doit aider tout défunt à voyager dans l’au-delà. L’ordalie post mortem opérée à l’aide des dieu-ou-démons (viria ou opération-vérité grâce à un miroir) conduit nécessairement à deux situations différentes bien que non opposées : la terre de félicité du Vindomagos, le plus ou moins séjour comme une âme en peine dans le royaume de Donn/Cernunnos appelé Donnotegia, qui est une sorte d’antichambre du Paradis. C’est aussi dans le même but que Yama, le souverain indo-bouddhique du royaume des morts, utilise pour opérer la sélection un miroir. Que reflète en effet le miroir tendu par le dieu-ou-démon ? La vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience.
La croyance en la presque immortalité de l’âme chez les Celtes a conduit certains chercheurs à voir dans le Vindomagos et dans les îles apparentées (Mag Meld, etc.) un pays des morts, mais qui dans ce cas y avait accès ? Tous les défunts, quelques-uns seulement, ou la moitié ? La croyance en un au-delà après la mort est ancrée dans les esprits dès l’époque des mégalithes en Europe. Les chamanes et les chefs seront les premiers à espérer cette survie. Mais peu à peu tous les autres hommes (préhistoriques) y adhéreront. Le sacré en effet (le nemetos) c’est l’Homme.
Car l’Être supérieur, le Tokad ou le Bitos, ne peut abandonner au néant ceux qui en ont fait leur Graal. Même si dans ce cas-là, pour les mettre en état d’union totale avec lui, une ultime étape de purification est nécessaire, aux mortels qui n’ont pas pu atteindre de leur vivant l’état d’awenydd. La légende de la mort selon les druides nous a dépeint cette plaine pure et lumineuse avec maints détails évidemment assez naïfs.
On appelle Vindomagos cette ultime étape avant la fusion dans le Pariollon. Ce Vindomagos est-il un état, un lieu, ou un temps ?
Le passage dans le royaume des morts sur lequel règne Donn/Cornunnos, en tant que seibaros, est l’aboutissement logique du refus par l’âme/esprit du vrai divin, le divin apaisé. Ce refus ; qui est négation de la vie et de la joie que procure l’union, même partielle et fugace, de l’anamone individuelle et du vrai monde ; finit d’accumuler sur les épaules de son porteur un lourd fardeau négatif le vouant à l’ategeneto (le bran). Il finit par lui interdire provisoirement, tout séjour au Mag Meld ou au Vindomagos.
Si l’âme d’un défunt se fourvoie dans le royaume des morts de Donn/Cornunnos (Donnotegia) au lieu de rester dans la grande plaine verte et lumineuse du Vindomagos, c’est à cause de ses fautes ou de ses erreurs. Un plus ou moins long séjour en tant que seibaros ou âme en peine, dans l’antichambre du Paradis appelée Donnotegia, lui permettra de rendre son âme au moins digne du Vindomagos, il sera pour lui comme une première purification.
N.B. Il s’agit là de réalités attestées par l’expérience, même si l’ancien druidisme les a traduites dans un langage nécessairement imagé. Les expressions comme Vindomagos, Aballomagos, plus tard Mag Meld, Tir na mBéo, Tir na nOg, voire Maison de Donn (Donnotegia), etc. désignent pourtant un monde qui n’est pas exactement celui des dieux-ou-démons au départ.
Passer dans le Vindomagos, c’est aller rejoindre les dieu-ou-démons au Vindobitu certes, mais surtout afin de pouvoir être ainsi admis à la contemplation du divin Graal ? sur son rocher d’or parfumé. État de bienheureux meldos qui n’est pas encore néanmoins la fusion avec et dans le Pariollon puisque les individualités demeurent : l’âme de X restant toujours différente de l’âme d’Y, tant que leurs esprits ou menman individuels n’ont pas été dissous.
Le séjour en Vindomagos ne doit pas être assimilé à la fusion entre anamone individuelle et awenyddia ou âme universelle, qui n’intervient que plus tard.
Le Vindomagos est aussi l’accomplissement de la vie de l’homme qui a été un bon briugu. Pour les ategnati, les druides, et les kingetes, il en va différemment, comme nous avons pu le voir. Le Vindomagos n’a ni druide ni guerrier, sauf éventuellement de façon temporaire (pour 90 jours ?), lors de certains voyages initiatiques.
Ce qui est sûr, c’est que le Vindomagos n’est pas à concevoir comme une punition par laquelle le Destin se vengerait en quelque sorte de nos infidélités envers les dieu-ou-démons ses « enfants »*. C’est seulement une étape de transition, un espace-temps à part, et non un lieu géographique).
Le néo-druidisme reprend la symbolique antique d’un lieu où les morts attendent. Mais il doit être clair aussi que, dans ce cas-là, les morts devenus meldi n’ont plus avec les êtres et les choses de notre monde les mêmes relations qu’avant.
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La tradition druidique affirme que ceux qui sont au Vindomagos, les bienheureux Meldi, restent sensibles aux prières et aux supplications qu’on leur adresse, et qu’ils peuvent donc intercéder en faveur de leurs combennones humains restés ici-bas dans leur trou (dumnon). Ou de ce côté-ci du fleuve de l’oubli. Un peu comme des bodhisattvas en quelque sorte. Dans la tradition druidique la plus authentique ces phénomènes interviennent en général autour de la fête de Samon (ios).
La vision béatifique du Graal d’or sur lequel repose le dieu-ou-démon ; vision dans laquelle la mort a introduit les hommes ayant suivi la voie des dieu-ou-démons (divodorum) ; leur fait prendre encore plus douloureusement conscience, en effet, en tant que Meldi, de notre faiblesse congénitale depuis Cornunnos (la fameuse maladie des Ulates). Et donc de la nécessité pour les mortels de se rendre plus dignes de l’union totale avec le grand tout du Pariollon.
Le bonheur du monde lumineux qu’est le Mag Meld ou Vindomagos n’est pas un bonheur égoïste et solitaire, coupé des autres hommes. Communion avec les dieu-ou-démons, il est aussi regard porté en direction de tous ceux qui sont encore sur cette terre. Cette communion préfigure celle qui sera caractéristique de la surhumanité, à venir dans le prochain cycle, après la parousie ou désoccultation des dieu-ou-démons.
Répétons-le encore une fois ! Dans le cas des hommes ayant franchi le divodorum ou voie des dieu-ou-démons, le mort n’est pas anéanti et subsiste d’une manière ou d’une autre, mystérieusement, auprès des dieu-ou-démons et non loin du Graal du rocher d’or de Plutarque. L’union de ceux qui sont encore en chemin sur la voie des dieu-ou-démons, appelée divodorum (les combennones) avec leurs frères re-nés en cette nouvelle et pure terre de jouvence (les Meldi), demeure aussi. Elle se manifeste notamment les jours de samon (ios). Car du défunt, il subsiste toujours quelque chose, au moins de par ceux qui l’ont connu de son vivant. Penser à un défunt, c’est déjà le faire revivre. Car ne meurent vraiment que ceux que l’on oublie (c’était aussi la plus grande des craintes de Cuchulainn en Irlande).
L’ancien druidisme avait d’ailleurs mis au point toutes sortes de techniques pour interroger les âmes/esprits des Meldi (les esprits des morts).
« À propos des visions nocturnes, on expose souvent que les morts n’ont pas été vus en vain. Car, ainsi que l’affirme Nicandre, les Nasamons de Libye consultent des oracles particuliers en restant près des tombes de leurs parents… et les Celtes pour la même raison passent la nuit près des tombeaux des héros ».
On trouve aussi dans la Bible, livre I de Samuel, au chapitre XXVIII, une bien étrange histoire à ce même sujet.
Mais en recevant comme ils le méritent ces dons de l’autre monde (qui nous apparaît en esprit), les druidisants n’en oublient pas pour autant de travailler aussi à ce monde qui passe, par les exercices et les rituels, par la prière et l’engagement, par la recherche du beau et du vrai, par la recherche du savoir qui nous explique comment accéder, tôt ou tard, à la contemplation totale de l’autre monde dont ils attendent le retour comme des veilleurs attendant l’aurore. Son signe avant-coureur sera la parousie des dieu-ou-démons aujourd’hui occultés, le retour des dieu-ou-démons, le nouveau règne des dieu-ou-démons.
* Image anthropomorphique. Les dieux ou démons ne sont pas des enfants qui auraient été engendrés par le Destin, mais des auxiliaires dudit Destin, des causes secondes en quelque sorte.
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ÉLÉMENTS D’ESCHATOLOGIE GLOBALE.
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LEITMOTIV SUR LES VOYAGES DE L’ÂME APRÈS LA MORT.
Toute existence en ce bas monde tend à sa dissolution finale dans le Pariollon (le grand tout). C’est la néguentropie universelle. Telle est la principale caractéristique de toute vie sur terre et donc de celle de l’homme. Chacun y arrive différemment et selon sa nature.
Il semble nécessaire dans tous les cas de bien distinguer le séjour des morts du séjour des dieu-ou-démons. Même si les deux sont très proches, voire contigus, et font partie du même sous-ensemble appelé Vindomagos, lui-même partie intégrante de l’Albiobitos.
Le séjour des dieu-ou-démons n’est pas vraiment précisé ou localisé dans nos mythes. Il y en a sous terre, mais il y en a aussi dans les airs ou dans les eaux. Bref un peu partout !
Pour ce qui est du domaine des morts, il en va quelque peu différemment.
À quelques exceptions près, tout homme a besoin d’une phase intermédiaire après la mort pour y arriver : la renaissance dans un autre monde où il peut se préparer à cet ultime voyage au milieu des étoiles. Cet autre monde n’est pas un et s’étage sur des plans différents ; afin que plusieurs états de l’être puissent y co-exister (royaume des morts, royaume des dieu-ou-démons – autant de sides que de dieu-ou-démons – ou ultime étape avant la dissolution finale dans le grand tout, etc.)
Certaines personnes peuvent accéder de leur vivant même aux plans inférieurs de cet autre monde, où elles peuvent vivre un temps ainsi, en compagnie des dieu-ou-démons, en attendant leur fusion métamorphique dans le grand Tout.
Les auteurs de crimes exceptionnels doivent, avant d’arriver à ce stade (la réincarnation en un autre monde de nature paradisiaque) ; en quelque sorte repartir à zéro et repasser par la case départ. Comme dans le fameux jeu de l’oie. Ils se réincarnent en ce bas monde (bacuceos).
La plupart des défunts, pour ne pas dire la totalité, achèvent leur purification dans les différents purgatoires paradisiaques des espaces souterrains ou célestes ; montant parfois d’une sphère à l’autre le moment venu (autre image pour tenter de nous faire saisir ce qui est proprement indicible). Mais cette participation des humains à la vie quasiment immortelle des dieu-ou-démons n’apparaît pas, d’ailleurs, nous le répétons encore une fois, comme la récompense d’une vie terrestre remplie de bonnes œuvres.
Quelques individus tout aussi exceptionnels, mais dans le bon sens du terme (les semnothées ou grandes âmes/esprits) peuvent accéder directement après leur mort au Pariollon (retour au Grand Tout stricto sensu).
La légende de la mort druidique peut aider tout défunt à voyager, en suivant vers l’ouest le soleil au-delà des Portes de la Mort (Letavia, autre nom de la terre intermédiaire, située entre le monde des hommes le Dumnon, et le Vindomagos, qui constitue en quelque sorte l’entrée du monde des morts) ; puis sur la Mer morte ou Mer des morts (Morimarusa) qui règne à l’Occident ou au nord du Monde.
Après la mort du corps, l’âme/esprit est accompagnée par diverses entités psychopompes, les premières étant des divinités apaisantes et affables comme Épona ou Belenos Barinthus Manannan, les secondes des divinités repoussantes comme Tethra le prince des vouivres anguipèdes gigantesques, Arawn ou Gwynn dans la tradition galloise, la Catubodua ou la Sheela na gig et même l’Ankou (dans l’ouest de la France).
La réincarnation dans l’autre monde parallèle de nature paradisiaque appelé Mag Meld, Vindomagos, Tir na n’Og, Tir na mBan ou autrement, a lieu peu de temps après le décès. Du moins si l’on en croit la croyance populaire générale.
On peut aussi renaître dans le monde des dieu-ou-démons, puisqu’ils sont mortels bien que dotés s’une vie d’une durée infiniment plus longue que celle des humains.
Mais les désincarnés peuvent également séjourner un certain temps dans le non-monde où règnent Donn, Tethra, Arawn, Gwynn… L’âme/esprit du défunt dans ce cas est accompagnée par diverses
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entités psychopompes nettement moins agréables que notre gracieuse Épona ou que Belenos Barinthus Manannan conduisant les âmes jusqu’à la demeure de Cornunnos le bouddha d’Occident.
Certaines âme/esprits restent alors sans corps de type xvarnah ou bellisamos bellisama et vont demeurer avec diverses autres entités vulgairement appelées démons, en un lieu de passage transitoire (en fait un état d’être) AVANT DE SE RÉINCARNER DANS CERTAINS CAS sur terre en bacuceos.
Mais encore une fois, répétons-le, rarissimes sont les malheureux repoussés vers le bas, et tourmentés dans l’antichambre du Paradis, avant d’être soumis à l’oubli de leur vie précédente puis rejetés dans de nouveaux corps sur cette terre. En se tournant vers la matière, l’âme du bacuceos oublie sa propre identité. C’est une deuxième mort spirituelle. L’amnésie de la condition originale de l’âme est d’ailleurs une nécessité dans ce cas. C’est pourquoi il est impossible de se souvenir de ses vies antérieures.
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ÉLÉMENTS DE COSMOGONIE DRUIDIQUE.
Opinion individuelle du druide Leonorios sur la cosmogonie druidique.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, les judéo-islamo-chrétiens prétendent que Dieu (ou le Démiurge ?) a créé le monde à partir de rien (ex nihilo). Or, comme le remarque si bien H. von Stietencron, à côté du Un immanent absolu, peut-il y avoir un rien, c’est-à-dire un domaine que ne pénétrerait pas sa plénitude qui englobe tout ? Ce serait une limitation, une restriction » (Hans Küng et H. Von Stietencron. Christentum und Weltreligionen. Traduction Pierre de La Crau).
Cette venue à l’être du chaos de matière première initiale (le Pariollon) ne doit donc pas être conçue comme un surgissement du néant, mais comme un phénomène moniste : l’autodéploiement de l’Être supérieur. Car le monde n’est pas créé par le UN, mais le Un a produit la diversité par autodéploiement. Il n’y a rien dans le monde, ni animal ni plante, ni pierre, qui ne conserve cette relation à son origine et qui, donc, n’ait pas sa part à l’unique être immanent absolu. Dit autrement, il y a plus qu’une simple participation du monde et de toutes les créatures à la nature de Dieu ou du Démiurge (comme dans les variantes les plus éclairées du judéo-islamo-christianisme). Il y a identité entre Dieu ou le Démiurge et le Monde.
Ou plus exactement entre Dieu ou le Démiurge et les Mondes, car le Destin supérieur a suscité non seulement notre terre, notre soleil, notre lune et nos étoiles, mais aussi d’innombrables mondes parallèles. Ces mondes flottent dans l’espace comme des feuilles de chêne flottant dans la brise. Comme des feuilles de chêne, ils s’ouvrent et se ferment, naissent et meurent. Et leurs dieu-ou-démons également, car les dieu-ou-démons naissent et disparaissent avec eux.
Un jour Dieu Allah ou Yahweh disparaîtront eux aussi, avec ce monde qui est le nôtre et qu’ils prétendent (ruse suprême dans la bouche de leurs thuriféraires) avoir créé (mais l’équivalent druidique de la Götterdernmerung germanique ne nous est pas néanmoins parvenu, sauf sur des pièces de monnaie montrant un loup dévorant la lune et un cheval solaire, etc. Voir plus loin le type monétaire BN 7229).
Revenons à cette génération spontanée de la matière première initiale.
Les hommes ont toujours été partagés sur la question de l’éternité du monde, mais jamais sur l’éternité de la matière : Ex nihilo nihil, in nihilum posse reverti. Voilà l’opinion de toute l’Antiquité classique. Voltaire cite là un vers du poète latin Lucrèce, dans lequel il résume le système d’Épicure : aucune chose ne peut venir de rien ni retourner à rien, c’est-à-dire que rien ne peut être créé ni anéanti.
Il n’existe donc pas et n’existera jamais de Dieu ou de Démiurge éternel créateur, omnipotent, source de salut, et ainsi de suite. Et le druidisme est athée en ce sens qu’il nie formellement, comme le bouddhisme, l’existence d’un tel dieu-ou-démon supérieur anthropomorphe, omnipotent, omniscient, en même temps pur amour, créateur de l’univers, etc., etc. Le vrai druidisme ne postule pas l’existence d’un créateur, et n’admet que la réalité d’un processus de création (pro-création).
Répétons-le encore une fois ! Il n’y a pas de créateur, les choses dépendent simplement de leurs propres causes : il n’y a pas de commencement. Tout change constamment. De nouvelles circonstances produisent des faits nouveaux qui agiront à leur tour comme cause et produiront à nouveau quelque chose de différent. Ne demeurent invariantes que quelques grandes lois cosmiques que d’aucuns appellent le Destin. C’est la notion d’interdépendance généralisée. Toute chose dépend également de ses parties ou de ses composants.
Les chamans primordiaux recouraient à différentes images, assez naïves d’ailleurs, pour parler de l’origine de ce monde. Ils voyaient généralement cela comme une séparation entre le ciel et la terre voire comme un sacrifice.
Mais la question qui se posait alors était la suivante : d’où vient le matériau utilisé par le grand architecte ou le grand horloger de l’Univers ? Était-il déjà présent à ses côtés ? Y avait-il par exemple déjà une matière originelle également sans commencement, à partir de laquelle le monde pouvait être façonné ? Ou bien n’y avait-il, au commencement, que le Un du Néant, et rien d’autre à côté ?
Sous le nom de Tokad ou Tocade le druidisme de type amarcolitanos (voir et savoir) a donc très tôt cherché à connaître les causes secondes et les principes seconds, qui président à la construction des
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mondes ; les composantes physiques de la matière et les lois qui la régissent. À remonter la chaîne évolutive et à parvenir à la connaissance, libératrice, par reconnaissance de la différence existentielle entre matière et âme (prakriti et pourousha pour les brahmanes).
Cette réflexion sur le Destin des êtres a débouché sur une conception dialectique des rapports entre la matière et l’âme (dualisme relatif à l’intérieur d’un cadre moniste).
Voir, à l’autre bout du monde indo-européen, la doctrine moniste – advaita – du philosophe hindou Shankara, au VIIe siècle ou le dualisme relatif – vishishtâdvaita – du célèbre Râmânuja (1017-1137).
Les druides antiques n’ont jamais été aussi loin dans la négation du monde que les bouddhistes de la plus ancienne École, ou que les philosophes grecs de type Parménide ou Zénon d’Élée. Pour les éléates en effet, tout est illusoire et nous trompe en ce bas monde : notre langage, nos symboles et même notre bon sens. Mais entre cette pure exigence logique, et toutes les suggestions concrètes, dispersées, contradictoires, de la science ou de l’expérience humaine, auxquelles l’homme ne peut échapper, l’intervalle est vertigineux. Les druides essaieront donc de percer le secret de la Nature des Choses en commençant à organiser méthodiquement la synthèse des connaissances sur l’Homme et l’environnement, jusque-là isolées.
Les druides primordiaux (du IIe millénaire avant notre ère) étaient d’excellents observateurs du ciel. Ils ont réalisé très tôt que temps et espace étaient immenses et ils ont tenu compte dans leurs réflexions de cette formidable immensité.
Si l’on en croit Celse (Discours vrai contre les chrétiens – 178), la notion de cycles bien plus longs que ceux de la Bible (Celse se moque d’ailleurs de l’étroitesse des conceptions de Moïse * en matière de chronologie) ; était déjà couramment admise dans l’Antiquité.
Fragment numéro 5.
« La cosmogonie de Moïse est d’une puérilité qui dépasse les bornes. Le monde est autrement vieux qu’il ne le croit ; et des diverses révolutions qui l’ont bouleversé, soit des conflagrations, soit des déluges, il n’a entendu parler que du dernier, celui de Deucalion ».
Fragment numéro 42.
« Après un cycle d’un certain nombre de siècles, au retour de certaines conjonctions des astres, des conflagrations et des déluges se produisent. Or, comme le dernier cataclysme qui ait eu lieu au temps de Deucalion est un déluge, l’ordre des choses devant amener une conflagration ; ils se sont fondés là-dessus pour affirmer que Dieu devait descendre ici-bas tout armé de feu comme pour appliquer une torture ».
Les gnostiques d’Occident semblent cependant avoir été beaucoup plus loin ; et avoir admis l’existence de supercycles, encore plus grandioses, et bouclés non plus par l’action du feu ou de l’eau, alternativement, mais par l’action CONJOINTE de ces deux éléments. Puisque tel est peut-être en définitive le seul sens possible de cette remarque de Strabon à leur sujet :
« Ils affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon. Géographie IV, 4 à 6).
Les cycles cosmiques envisagés par les druides se terminent donc, non pas comme ceux qui sont envisagés en ce temps-là, c’est-à-dire par l’action de l’eau OU du feu, suivant le cas, mais par l’action des deux RÉUNIS. Ces supercycles « druidiques » englobant ou dépassant, et de loin, les autres, ont beaucoup surpris évidemment Strabon, qui n’était guère habitué à des durées aussi importantes en matière de cosmogonie.
Les nombres avec lesquels jonglent les sciences actuelles (20 milliards d’années d’âge pour le présent cycle) rendent absurdes les données chiffrées de la Bible, puériles même en comparaison (six petits milliers d’années pour cette Terre).
Les données druidiques, elles, avec leurs ordres de grandeur qui faisaient ricaner les Grecs, les Romains, voire les juifs, étaient déjà moins éloignées de la réalité.
La cosmologie druidique est caractérisée par la reconnaissance de la formidable immensité de l’espace et du temps.
Dans le livre de Lismore ((fo.151, b 2) on trouve en effet le passage suivant.
« Trois ans pour le champ (assolement triennal ?).
Trois durées de vie du champ pour le chien.
Trois vies de chien pour le cheval.
Trois vies de cheval pour l’être humain.
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Trois vies d’être humain pour le cerf.
Trois vies de cerf pour le merle.
Trois vies de merle pour l’aigle.
Trois vies d’aigle pour le saumon.
Trois vies de saumon pour l’if.
Trois vies d’if pour le monde du début à la fin ».
Que notre auteur préférée [Éléonore Hull, « Le faucon d’Achill ou la légende des plus vieux animaux du monde » Folklore, Tome. 43, No.4 (1932) : pp. 376–409] commente ainsi.
« Nous arrivons ainsi à 59 050 ans, soit deux multiples de trois en plus que le calcul de Westminster, qui nous donne 6561 ans ; c’est-à-dire la durée de vie d’un saumon dans la liste irlandaise ».
Ce qui avait déjà de quoi surprendre les peuples mentionnés ci-dessus puisque leur tradition à eux ne faisait remonter la naissance du monde qu’à quelques milliers d’années. Certaines Écoles druidiques (les plus spiritualistes) semblent avoir vu les choses ainsi.
Le monde matériel est le point ultime de la diffusion divine. Le monde « émane » « découle » comme d’une source, de Dieu, et il n’est pas nécessaire que sa Volonté intervienne dans la formation du monde. Cela signifie d’une part que Dieu ou le Démiurge ne pouvait pas faire autrement que de créer, d’autre part qu’il y a une continuité d’émanation entre le monde et Dieu ou le Démiurge.
Tout ce qui existe doit nécessairement exister, puisqu’il existe. Car s’il y a aujourd’hui une raison à l’existence des choses, alors il y en a eu aussi une hier, il y en a même eu de tous les temps ; et cette cause doit toujours avoir eu un effet, sans quoi elle aurait été à jamais ou pour l’éternité, une cause inutile.
Toutes les choses qui existent sont donc des émanations éternelles de ce premier moteur.
Mais comment imaginer que de la pierre et de la fange soient des émanations de l’Être éternel, intelligent et tout-puissant ?
Il n’y a que deux partis à prendre : ou admettre que la matière éternelle est par elle-même, ou que la matière sort éternellement d’un Être puissant, intelligent, éternel.
Mais, ou subsistante par sa propre nature, ou émanée de l’Être producteur, cette matière existe de toute éternité, puisqu’elle existe, et qu’il n’y a aucune raison pour laquelle elle aurait pu ne pas exister auparavant.
Si la matière est par conséquent éternellement nécessaire, il est donc impossible, il est donc contradictoire, qu’elle ne soit pas. Dire que cet Être éternel, ce Dieu ou Démiurge tout-puissant, a de tout temps rempli nécessairement l’univers de ses productions, ce n’est pas lui ôter sa liberté ; bien au contraire, car la liberté n’est que le pouvoir d’agir. Dieu ou le Démiurge a toujours pleinement agi ; donc Dieu ou le Démiurge a toujours usé de la plénitude de sa liberté.
Il est par conséquent aussi impossible que le monde soit sans Dieu ou Démiurge, que Dieu ou le Démiurge soit sans le monde.
Ce monde est rempli d’êtres qui se succèdent ; donc Dieu ou le Démiurge a toujours produit des êtres qui se sont succédé. Si l’influx vital qui émane continuellement de cet être supérieur, tant dans le monde naturel que surnaturel, cessait un instant, tout retomberait dans le néant (Voltaire. Dictionnaire philosophique).
* Moïse. Ou plutôt le scribe qui a mis ces idées dans sa bouche, l’existence historique de Moïse étant très controversée tout comme l’exode (nous y reviendrons).
** Estimation des « druides » actuels : âge de la Terre 5 milliards d’années, âge de l’univers (ce qui s’est passé après l’apparition du Grand Tout) : 15 milliards d’années
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PREMIÈRE IMAGE ET PREMIER SYMBOLE.
Apparition des univers à partir d’un pré univers.
« Il y a en outre, une espèce d’œuf, omise par les Grecs… En été, il se rassemble une multitude innombrable de serpents qui s’enlacent et sont collés les uns aux autres en une harmonieuse étreinte, tant par la bave qu’ils rejettent que par les sécrétions qui transpirent de leur corps ; il en résulte une boule appelée œuf de serpent. Les druides disent que cet œuf est projeté en l’air par les sifflements et qu’il convient de le recueillir dans une saie avant qu’il ne touche la terre. Le ravisseur doit s’enfuir à cheval, car il est poursuivi par les serpents jusqu’à ce qu’ils en soient empêchés par l’obstacle d’une rivière. On reconnaît cet œuf à ce qu’il flotte contre le courant, même s’il est attaché à de l’or. La finesse industrieuse des mages est telle, pour cacher leurs fraudes, qu’ils prétendent que l’on doit le recueillir à une lune déterminée, comme s’il était possible aux hommes de faire coïncider l’opération avec la volonté humaine. J’ai, certes, vu cet œuf, de la grosseur d’une pomme de taille moyenne, et à la croûte cartilagineuse comme les tentacules du poulpe. Il est célèbre chez les druides. On en vante beaucoup l’effet pour le gain des procès ou l’accès auprès des rois ; mais c’est si faux qu’un chevalier romain des Voconces, qui en avait un sur sa poitrine lors d’un procès, fut mis à mort par le divin Claude, empereur, sans autre raison que je sache. Pourtant ces étreintes de serpents et leur entente féconde semblent être la raison pour laquelle les nations étrangères en signe de paix ont entouré le caducée de représentations de serpents, mais il n’est pas coutume dans le caducée qu’ils soient crêtés » (Pline. Histoire Naturelle XXIX, 52).
Ces serpents, il n’est pas dit s’ils se mordent la queue comme dans le cas de l’ouroboros, mais le texte de Pline parle bien d’étreinte harmonieuse. Cette image animale représente le cercle incarnant l’éternel retour et indique qu’un nouveau début coïncide avec une fin dans une perpétuelle répétition. Le sens intrinsèque de l’image du serpent et l’idée qui lui est rattachée, à savoir qu’à travers sa mue, il se rajeunit perpétuellement, sont ici confondus au plus haut point. Le plus important est cependant cette forme circulaire de l’ouroboros ; qui symbolise la notion de perfection et d’éternité, et par là l’existence d’un concept où toute chose finit toujours par retourner au chaos fondateur ; ou au contraire où toute chose subit un renouvellement perpétuel, en passant sans cesse par les phases de mort et de résurrection. Ceci nous montre une fois de plus à quel point la pensée druidique intégrait la notion de couples d’opposés (oxymore ou gwenn ha du).
L’œuf miraculeux que vit Pline et qu’on lui a dit être l’ovum anguinum, paraît bien, d’après la description qu’il en donne, avoir été un oursin fossile… et les pratiques magiques qu’il rapporte n’étaient que le résidu dénaturé d’un mythe religieux beaucoup plus profond… Nous sommes donc en présence de conceptions préhistoriques qui, aussi bien en Grèce qu’en Occident, ne subsistent plus qu’à l’état de survivances mutilées à l’époque où nous parvenons à les saisir. Pline enregistre une donnée religieuse qu’il relègue au rang de vaines superstitions parce qu’il ne l’a pas comprise. (Salomon Reinach, « Zagreus, le serpent cornu », Cultes, mythes et religions.)
La découverte de plusieurs oursins fossiles enterrés dans des capses ou cistes de pierre au cœur de divers tertres ou tumulus, constitue la preuve qu’il y avait là quelque chose de beaucoup plus complexe que Pline ne veut bien le dire. On n’édifie pas un tertre de vingt mètres de diamètre sans raison sérieuse. Le texte de Pline rapporte donc une légende cosmogonique importante, mutilée, desséchée.
L’oursin fossile est le symbole de l’univers et cela suffit à la correction des incohérences de Pline dont il est vain de proposer une interprétation matérialiste. L’auteur latin a recueilli des données métaphysiques fondamentales de la doctrine druidique, mais, ne les ayant pas comprises, il les a revêtues du déguisement de ce qui est, pour lui, une fable ridicule. On ne comprend pas que l’ovum anguinum ait été projeté en l’air par les sifflements des serpents d’une part si, d’autre part, il était constitué par le phénomène naturel du « nœud de vipères ». On ne comprend pas davantage que cet œuf, miraculeusement recueilli dans une saie, doive être emporté par un homme à cheval pour échapper à la poursuite de reptiles insignifiants ; on comprend encore moins qu’un oursin fossile ait pu flotter ou être attaché à de l’or.
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Il est exclu de croire que Pline a personnellement vu ce qu’il rapporte. Il fait état de légendes – qu’il se garde de reprendre à son compte – uniquement parce qu’elles concernent le sujet qu’il traite. Il compile une documentation dont la qualité religieuse lui échappe. Et il fait l’amalgame de la réalité concrète (l’oursin fossile) et de la légende druidique (l’œuf de serpent) pour dénigrer cette dernière.
Seul un symbolisme élevé peut justifier la présence d’un oursin fossile dans une capse ou ciste vide, sous un tumulus sans inhumation ni incinération. Ce n’est pas non plus par superstition qu’un chevalier romain Voconce portait sur lui un oursin fossile à titre de talisman, mais parce qu’il connaissait le symbolisme sacerdotal de l’œuf cosmique. Et ce n’est pas davantage parce qu’il condamnait une superstition que l’empereur Claude a fait mettre à mort le malheureux, c’est parce qu’il se référait aux druides, condamnés comme mathematici.
(Analyse une fois de plus extraite de l’œuvre des remarquables celtologues français que sont Françoise Le Roux et Christian-Jacques Guyonvarc’h. Nous critiquons assez la France d’aujourd’hui, qui n’est plus celle de Lafayette hélas, pour saluer de telles exceptions).
Ainsi que nous venons de le dire, ce thème mythique, a survécu, non sans distorsion, jusque dans le Moyen-âge gallois et, plus avant, dans la littérature arthurienne. Par exemple dans l’histoire de Peredur consignée dans les Mabinogion. Peredur s’y bat contre un homme noir et n’ayant qu’un œil. Il sort vainqueur du combat et le contraint à lui expliquer comment il a perdu son œil.
« La jeune fille apporta à Peredur des armes qui lui convinrent. Il se battit contre l’homme noir jusqu’à ce que celui-ci lui demande grâce.
Je te l’accorde, dit Peredur, pendant le temps que tu mettras pour me dire qui tu es, mais aussi qui t’a enlevé ton œil.
Seigneur, c’est en me battant contre le serpent noir du cairn. C’est un monticule que l’on appelle le Mont douloureux, et sur ce monticule, il y a un cairn, dans ce cairn un serpent, et dans la queue du serpent une pierre. La pierre a cette vertu que quiconque la tient dans une main peut avoir, dans l’autre, tout ce qu’il peut désirer d’or. C’est en me battant contre ce serpent que j’ai perdu mon œil. Mon nom est… »
Le serpent est ce qui reste de la légende druidique rapportée par Pline et qui, bien entendu, incomprise de Pline lui-même, n’est pas mieux comprise dans le récit gallois christianisé des Mabinogion. Mais l’on retrouve encore et toujours le motif de la pierre et de l’or, la pierre étant vraisemblablement le substitut (par incompréhension) de l' « œuf de serpent » ayant valeur de talisman.
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L’œuf de serpent considéré comme contenant le germe à partir duquel se développera l’univers est un symbole presque universel qui s’explique de lui-même. Pour raconter de quelle manière naît notre univers à partir d’un pré-univers, les récits mythologiques recourent à des métaphores et des scénarios qui se retrouvent d’une École à l’autre. La première de ces métaphores scénarios est celle de l’œuf. L’œuf est une réalité préexistante à notre univers, et aussi un lieu de gestation des divinités. L’œuf, lorsqu’il s’ouvre, libère un souffle qui suscite le déploiement de la grande vie cosmique. La naissance du monde à partir d’un œuf fut donc une idée commune très répandue chez les Celtes (mais pas chez les Grecs à en croire Pline).
Même image aussi dans les peuplades africaines. Chez les Dogons, l’œuf primordial produit des jumeaux dont l’un sort prématurément, ce qui explique l’imperfection et l’impureté de notre monde. L’Égypte, quant à elle, évoque la vibration (ou le souffle) interne à l’œuf primordial et qui met en branle le Bitos ou Cosmos. Dans l’ancienne mythologie shinto du Japon, le chaos primitif ressemblait aussi à un œuf qui devait être déchiré pour que le monde puisse advenir. On retrouve une conception comparable au Tibet : les éléments principaux de l’univers procèdent d’un œuf.
Pour mémoire, ci-dessous un bref rappel de ce que dit la doctrine hindoue en la matière.
L’œuf du monde (Brahmânda) est l’enveloppe de « l’Embryon d’Or » (Hiranyagarbha, germe originel de la lumière cosmique, et cet œuf est contenu dans les eaux primordiales tout en étant couvé par le cygne symbolique Hamsa « Oiseau Unique »). L’œuf cosmique est la forme prise par Brahma, qui existait avant l’Existence elle-même, au-delà de l’Être et du Non-Être ; et qui, par sa propre énergie, a
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divisé l’œuf divin en ciel et terre et créé le monde manifesté. Autrement dit, l’embryon contenu dans l’œuf cosmique se situe au niveau le plus élevé de la cosmogonie. Au-dessus de Prajapati « Seigneur des Créatures » qui est l’expression de Brahma par rapport au degré d’existence de l’état humain. Et de Pourousha, l’homme primordial, dont sont issus les dieu-ou-démons et les hommes ; et qui est la Victime, immolée par les dieu-ou-démons eux-mêmes, dont le sacrifice était indispensable à la création. L’équivalence hindoue de l’œuf et de Brahma rend compte pareillement de l’importance de l’œuf en tant que symbole « druidique », attaché la prééminence de la classe sacerdotale.
Ce qu’il faut retenir de ceci, c’est que l’univers ne peut naître que d’un espace qui lui donne une forme d’indépendance par rapport aux forces chaotiques et maléfiques qui l’assiègent. La création du monde est conçue comme une forme de « délivrance » par rapport à des forces qui voudraient empêcher son apparition et qui continuent ensuite de le menacer.
Dans les différentes formes traditionnelles, la sortie dans le monde manifesté s’opère généralement sous l’influence ou l’attraction terrestre et le retour vers le Principe non manifesté sous l’influence ou l’attraction céleste. Aussi, l’Œuf du Monde est-il souvent scindé en deux moitiés représentant le Ciel et la Terre. Et les deux courants inverses de la force cosmique peuvent être symbolisés par un serpent qui enveloppe l’œuf, appelé amphisbène, pourvu d’une tête à chacune des extrémités, elles-mêmes enroulées dans des sens opposés. Les deux têtes correspondent aux pôles céleste et terrestre de la force cosmique.
L’entremêlement des serpents, le nœud, est le point de jonction où convergent toutes les énergies. Et de cette conjonction naît l’œuf ou le chaudron cosmique appelé Pariollon. C’est de cet œuf que tout provient parce qu’il contient tout. Il est l’Unité concentrée, mais il n’est pas l’origine, car il ne peut y avoir d’origine absolue. L’œuf est sécrété par les serpents représentant les énergies antérieures déployées qui, à un moment de l’Histoire de l’Univers ou Bitos, cessent leur évolution, pour entreprendre leur involution, leur concentration. L’œuf va pouvoir libérer des énergies nouvelles, qui vont à leur tour se déployer, pour recommencer leur involution et produire un autre œuf, et ainsi de suite éternellement.
Pour le druidisme le monde n’a pas été créé à partir de rien (hormis le premier bien sûr). Le monde est immortel, mais il passe par des phases cycliques. Après une longue période d’expansion, il se résorbe insensiblement. Puis à partir d’un « reste » (œuf primordial d’un nouvel univers), il resurgit sous l’action des lois implacables ayant présidé à sa destinée (Tokad).
Il existe dans tout l’ancien domaine celtique un certain nombre de dodécaèdres en bronze ajourés, bouletés, d’une dimension et d’un poids variables (entre 35 et 1100 g) ; sur l’utilité ou l’emploi desquels on a longtemps hésité, mais dont le rôle religieux ne fait aucun doute. Ils constituent en outre une coïncidence remarquable des conceptions celtique et pythagoricienne.
Certains les ont rapprochés des œufs de serpents, dont parle Pline l’Ancien, et qui étaient très renommés. Ces œufs seraient formés de reptiles enlacés ou noués en boule. Ils seraient dotés de toutes sortes de vertus bénéfiques. Les druides les utilisaient. On les assimile généralement à des fossiles d’oursins, mais certains auteurs les rapprochent plutôt des dodécaèdres, dont les angles trièdres sont surmontés de petites boules, aujourd’hui sans relief, mais qui pouvaient à l’origine évoquer les têtes saillantes des serpents enlacés. Quoi qu’il en soit de l’identification des figures, le rapprochement des symboles de l’œuf magique et du dodécaèdre n’est pas fortuit : l’un et l’autre symbolisent le développement de l’univers.
Revenons sur la conception que le druidisme se fait du cosmos. L’univers tel que nous le percevons s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps. Or, dans le druidisme, le temps n’est pas conçu de façon linéaire comme c’est le cas dans la pensée judéo-islamo-chrétienne, mais de façon cyclique. On peut ainsi distinguer deux phases qui se succèdent alternativement : un temps d’édification et un temps de destruction. Lorsque l’être de l’univers se matérialise, l’univers se déploie dans toute sa majesté à partir d’une masse de matière et d’âme/énergie qui n’est autre que le reste d’un univers précédent. À la fin des temps, lorsque la roue du destin suprême a fait un tour complet, le bitos ou univers se résorbe peu à peu ; concentrant tous les éléments qui subsistent en un nouveau reste qui à son tour servira de base à la création de l’univers suivant. Dans ce mouvement cyclique à deux temps, la création, bien qu’elle change de forme, perdure. Il n’y a donc ni véritable commencement ni
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fin absolue. La création, tout comme la destruction, est relative, et dans l’absolu, il n’y a ni création ni anéantissement 1).
Ainsi pour la pensée druidique est-ce d’un œuf de serpent que naît l’univers. Pour elle, à l’origine, était l’œuf cosmique du grand Tout, c’est-à-dire toute la matière et tout l’esprit du Bitos ou de l’Univers concentrés, flottant dans le vide absolu. Cet œuf du Destin comparé à un serpent cosmique était l’Esprit éternel ou cosmique, mais l’esprit éternel ou cosmique ne peut pas se connaître directement lui-même. Il faut qu’il commence en quelque sorte par devenir autre, par s’extérioriser, par sortir de lui-même pour prendre conscience de lui.
D’où l’explosion originelle, il y a plusieurs milliards d’années, qui a mis fin à cette forme d’existence de Dieu ou du Démiurge en le démembrant comme un cavaros (comme un géant). C’est de cette mort de Dieu ou du Démiurge qu’est née la coupure entre l’âme et la matière. L’évolution, ce sont donc les rapports complexes et dialectiques de ces deux faces du Dieu mort, l’âme et la matière, qui en se développant, donnent la vie et la multiplicité successive des êtres découlant les uns des autres.
1) Mais cette manière de concevoir le monde comme immortel ou cyclique ne résout pas la question des commencements absolus, évidemment. Il faut pour cela recourir à la notion de néant, ainsi que nous l’avons déjà remarqué.
2e image et 2e symbole !
LE CIEL ET LA TERRE.
Nous pouvons lire dans le récit gaélique de l’exil des fils de Doel Dermott, que…
« Condla le mince se trouvait dans l’île, la tête appuyée contre une haute pierre à l’ouest de l’île, les pieds contre une autre pierre aussi haute à l’est de l’île ? et sa femme ? lui lavait la tête. Lorsqu’il entendit le bruit de l’embarcation qui arrivait, il se leva et souffla devant lui avec tant de violence qu’une vague s’éleva sur la mer ».
La tête appuyée contre une haute pierre… Nous avons là vraisemblablement le fragment d’une image ou d’une allégorie élaborée par les très sachants de la druidiaction antiques afin de faire comprendre certains phénomènes à leurs élèves, à leur population (définition même de la mythologie druidique d’ailleurs), mais détaché de son contexte et utilisé par les bardes afin de corser leurs récits.
Il s’agit de la position dans laquelle la déesse égyptienne Nout est figurée quoiqu’orientée à l’envers (notre géant regarde vers l’ouest et ne fait pas face à l’est). Nous ne voulons pas dire par là que civilisation égyptienne et civilisation celtique sont issues d’une même civilisation antique supérieure de type Atlantide, mais que cette ressemblance étonnante des deux motifs, l’égyptien et l’irlandais, montre qu’il s’agit d’un thème mythique très ancien que notre récit utilise sans plus très bien le comprendre et sans autre explication. Le mythe panceltique initial dont ce détail est un fragment n’était déjà plus compris depuis des siècles de la part des bardes colportant ces récits destinés à distraire les populations les soirs de nuit d’hiver au coin du feu. Condla le mince (pourquoi mince d’ailleurs, parce que l’île doit être située sous lui et qu’il en quelque sorte arqué au-dessus ?) est en tout cas un homme peu ordinaire, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il est capable de déclencher des tempêtes.
LE SERPENT COSMIQUE TERRESTRE.
3e image et 3e symbole.
Il ne faut pas demander une parfaite logique à la cosmogonie celtique, ni sans doute à aucune cosmogonie. Un mythe est un récit symbolique sacré, allégorique, qui essaie d’apporter une interprétation cohérente des faits naturels et historiques, afin de répondre aux interrogations métaphysiques des hommes (par exemple sur la théogonie, la cosmogonie, l’anthropologie, etc.). Le mythe est d’abord et avant tout une tentative d’explication, d’injection de sens à des « faits », donc à des éléments observés, vécus, ressentis. Le deuxième point, c’est que le mythe est une symbolisation, ce qui sous-entend une implication des couches profondes de l’imaginaire, de l’inconscient, des grands archétypes. Enfin, le troisième point d’importance est que le mythe est
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partagé socialement, puisqu’il fournit un cadre interprétatif général par un récit, une « belle histoire » chargée de sens pour la société dont elle émane. Le mythe se distingue donc d’une pure fiction subjective, individuelle ; il se distingue également du résultat scientifique, établi rationnellement, « prouvé », ou tout du moins accepté par la communauté scientifique académique.
Nos ancêtres distinguaient donc soigneusement deux sortes de serpents cosmiques. La première catégorie, ce sont les serpents géants qui couvent la forme indifférenciée de l’œuf universel, autre symbole ou autre image pour signifier le chaudron cosmique du Grand Tout, le Grand Tout en tant qu’origine.
Le serpent, dans cette allégorie, symbolise une multiplicité primordiale, une unique et multiforme créature primordiale qui ne cesse de se tortiller, de disparaître, et de renaître. Nous touchons là du doigt le mythe des origines. L’un de ceux qui faisaient partie des spéculations druidiques selon César B. G. VI, 14 : « de deorum immortalitalium vi ac potestate » (« sur la puissance et le pouvoir des dieux immortels ») et dont l’lrlande ne nous a conservé qu’une infime partie.
C’est ce mythe ou symbole cosmogonique que Pline a reproduit sans le comprendre et nous ne comprenons plus maintenant la raison d’être du cavalier qui s’enfuit avec cet œuf de serpent dans les plis de son manteau (le dieu Atepomaros ?? Taran/Toran/Tuireann ?). L’impérialisme romain a rendu tout un pan de notre imaginaire collectif strictement incompréhensible. Rappelons-le encore une fois, la civilisation intellectuelle de nos ancêtres spirituels est une Atlantide engloutie à tout jamais. Vae Victis !
La deuxième catégorie de serpent cosmique est celle qui joue un rôle dans le maintien de la Terre.
Ce que les textes ne nous disent pas, mais se contentent d’insinuer, les monuments nous l’apprennent : les druides honoraient un dieu-ou-démon serpent, et ce dieu-ou-démon serpent était cornu.
Sur l’autel de Mavilly, le serpent cornu figure à côté des images des douze dieux ou démons du panthéon romain ; il représente à lui seul, sur ce monument d’une importance capitale, le druidisme. On le trouve encore, sur l’autel de Paris, dans la main d’une sorte de Mercure tricéphale, qui est accompagné d’un bélier ; il se rencontre sur la tranche de la stèle de Beauvais, dont la face est occupée par une image de Mercure, et sur différents monuments de provenance celtique, auxquels il faut ajouter le grand vase d’argent de Gundestrup. Le serpent à tête de bélier est un symbole de toutes les énergies à l’œuvre sur ou dans notre planète.
À la base de ce mythe, on retrouve le serpent, le dragon ou le « ver », ce que le moyen-gallois nomme indistinctement pryf, et que l’on retrouve encore dans le mythe continental – transmis miraculeusement par le folklore – de Mélusine et de la « vouivre ».
La roue à rames ou roth ramach irlandaise est une allégorie complexe et difficile à déchiffrer, vu sa christianisation. Sa forme, du moins telle qu’elle nous est décrite par la tradition irlandaise, en fait un navire volant (ou plus exactement allant aussi bien sur mer que sur terre) aux dimensions gigantesques (puisque contenant mille lits portant chacun mille hommes). Il doit garder toutes ses voiles déployées jusqu’au jour où il se brisera sur le pilier (la montagne ?) de Cnamchaill. L’apparition de ce vaisseau fantôme est mise en rapport avec une fête de la Saint-Jean devant se dérouler un vendredi, et avec la fin du monde ou plus exactement le Jugement dernier (« aveugle sera quiconque la regardera, sourd quiconque l’entendra, mort quiconque sur qui elle tombera »). Cette roue à rames est étroitement associée à un druide irlandais mythique appelé justement Mog Ruith, autrement dit « le serviteur de la roue ».
On en a fait tour à tour…
— Un symbole solaire (une roue solaire)
— Un symbole cosmique plus vaste (une roue cosmique)
— Une roue de la Fortune ou du Destin.
— Une roue divinatoire.
Les manipulations opérées par le christianisme ont été telles qu’il est bien difficile aujourd’hui, en l’absence de nouveaux textes, de se faire une juste idée de ce que fut à l’origine ce symbole druidique. Sans doute un peu tout ça.
Le gigantisme de cette roue, le fait qu’elle porte des êtres humains, qu’elle est susceptible d’être affectée par une catastrophe de nature cataclysmique correspondant à la fin du monde, nous incite à penser qu’il s’agit plutôt d’une allégorie de la Terre flottant dans l’espace.
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On attribue parfois aux très-sachants de l’Ancien Druidisme une vision de notre planète assez séduisante. Celle-ci serait une sorte de bulle (cruinne, dérivé gaélique du celtique crundnios signifiant sphérique, la sphéricité de la Terre ayant aussi été découverte par les druides antiques) formée par la concavité du Ciel et la surface plane de la Terre ; flottant elle-même sur une immense masse d’eau en forme de demi-sphère. Dans la représentation cosmologique indo-européenne primitive, la terre était en effet vue comme un unique continent plat et circulaire, entouré par des eaux extérieures (l’Okéanos des Grecs). Le terme celte Litauia désignait par conséquent à l’origine simplement l’étendue de cette surface de la Terre.
Ce théonyme vieux celtique signifiant « la plate, l’étendue » correspond d’ailleurs au nom de la déesse-ou-démone sanscrite Prhvi/Prithvi. Cette conception a le mérite de souligner le rôle primordial des eaux et des océans dans la formation des terres et donc de la vie. La terre des hommes n’est jamais qu’une île circulaire (une roue ramante ? ?) perdue dans l’immensité des océans lointains, hantés par un serpent à tête de bélier.
Mais à l’origine, avant même l’apparition de la Terre, seules étaient les eaux primordiales. Un océan inerte sans limites, entouré d’une obscurité absolue (qui n’est pas la nuit, car cette dernière n’a pas encore été suscitée). Puis dans ces eaux primordiales apparaissent spontanément le feu et la lumière. Ces eaux primordiales sont alors rejetées à la périphérie de l’espace asséché par l’action du soleil, mais des êtres mythiques et fabuleux continuent de hanter cette mer morte (morimarusa). L’un d’entre eux est donc représenté sous la forme d’un serpent à tête de bélier. Ce serpent à tête de bélier est la représentation d’un grand serpent invisible, causal et intemporel, maître du principal vital et de toutes les forces de la nature. Il ne veille pas sur l’œuf cosmique comme vu précédemment, mais sur la Terre, et il constitue évidemment une épreuve redoutable pour les âme/esprits égarées en ces lieux extrêmes au bout du monde. La pire des déités courroucées du livre des morts druidique. Pire que le redoutable maître de Tech duinn.
Il y a deux façons concevables de maintenir la Terre « en vie », soit en la portant, soit en l’embrassant d’un cercle continu, qui empêche sa désintégration de la même façon que le cerclage d’un tonneau empêche celui-ci d’éclater.
Eh bien c’est justement ce que fait ce serpent à tête de bélier gardien d’une Terre dont il assure la pérennité. Mais le serpent à tête de bélier c’est aussi la dynamique du cercle (Ouroboros). C’est-à-dire la première roue, d’apparence immobile parce qu’elle ne tourne que sur elle-même. Mais dont le mouvement est infini parce qu’il se reconduit à l’infini en lui-même. Le serpent à tête de bélier, c’est donc aussi en quelque sorte par conséquent le symbole de l’éternelle dialectique de la vie et de la mort.
Les serpents visibles sur terre n’apparaissent d’ailleurs que comme la brève incarnation de ce grand serpent. Ce n’est cependant pas lui qui mettra fin un jour à cette Terre qu’il maintient solidement dans l’espace comme le cerclage maintient le tonneau, ce sera là le rôle du loup cosmique (nous y reviendrons). Une terre conçue à l’origine non pas comme une sphère (crundnios/cruinne), mais comme un bouclier rond flottant sur les eaux. Que le serpent cosmique supportant la terre enserre de ses anneaux, tapi au fond des eaux entourant ledit bouclier ou ladite roue ramante. Le symbole même de la circonférence incarnée par le bouclier ou la roue ramante lenticulaire vient ici compléter celui du centre (son moyeu).
Le serpent à tête de bélier forme un couple d’opposés, mais il le forme avec lui-même, car il enserre le monde en se mordant la queue, cf. l’ouroboros, présent dans de nombreuses cultures.
Lorsque sera venue l’heure de la fin du monde, le serpent à tête de bélier relâchera ses anneaux et provoquera ainsi le chaos et le naufrage de la terre actuelle, alors plus rien ne retiendra le contenu « de son tonneau ».
Ceci montre bien que le serpent à tête de bélier des anciens druides est en réalité le gardien de l’ordre de la Terre, malgré son apparence monstrueuse associée à une terreur primordiale comparable à celle suscitée par la peur que le ciel nous tombe un jour sur la tête. Le serpent à tête de bélier représente donc dans son symbolisme chtonien la vie à son premier état de latence, comme la couche de vie la plus profonde, se rapprochant étroitement de la terre mère.
Images analogues dans d’autres traditions.
Dans les pays germaniques, le serpent Jörmungand (appelé aussi Iormungand) joue le même rôle. Jörmungand est un gigantesque serpent de mer, fils de Loki et de la géante Angrboda. Il était aussi
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appelé « le Mystérieux Dragon du Nord ». C’est le frère de Fenrir et de Hel. Après sa naissance, il se met à grandir à un point tel qu’il encercle le monde et peut se mordre la queue (Ouroboros) maintenant ainsi les mers en place. Ce qui lui valut les noms alternatifs de Serpent de Midgard ou de Serpent-Monde. Un jour Thor décida qu’il était temps de se mesurer à Jormungand. Il se rendit au port et il essaya de louer une barque. La seule à peu près en bon état qu’il put trouver appartenait à un géant qui redoutait d’aller en mer quand Jormungand était réveillé. Thor ne l’informa pas de ses intentions et paya une somme plus que raisonnable. Puis il prit le fil à pêche le plus solide qu’il put trouver. Il se rapprocha de l’endroit où se trouvait Jormungand et accrocha une tête de bélier à son hameçon. Puis il plongea sa ligne, et il ne se passa pas beaucoup de temps avant que Jormungand ne morde à l’hameçon. Il se mit alors à tirer de toutes ses forces. Le serpent tirait aussi, et la barque tanguait. Le pilote, effrayé, trancha la ligne, et le serpent disparut dans les profondeurs avec sa tête de bélier.
Les mythes à propos de Jormungand nous viennent principalement de l’Edda poétique (Hymiskvitha et Völuspá) ainsi que de l’Edda en prose (Húsdrápa). Parmi les sources de moindre importance, on peut citer les kennings de la poésie scaldique.
N. B. Le problème est que tous ces documents ou presque ont été couchés par écrit voire rédigés par des clercs ou des lettrés chrétiens, les seuls à savoir écrire à l’époque. L’exemple des deux grands mythographes scandinaves, l’Islandais Snorri Sturluson auteur de l’Edda dite en prose, ou le Danois Saxo Grammaticus avec sa Gesta Danorum, vivant tous les deux vers 1200, est éclairant. Ils font de l’interpretatio christiana, græca ou latina, de bons vieux mythes qu’ils ne comprennent plus. Ces documents écrits, Eddas et poésie scaldique, sagas et textes apparentés, sont donc trop récents : ils datent en moyenne, au mieux, du XIe siècle, et sont surtout imprégnés d’influences chrétiennes. L’Edda en prose de Snorri Sturluson date par exemple du XIIIe siècle. Le Prologue de l’Edda en prose débute par une explication du paganisme d’un point de vue chrétien. Il évoque plusieurs épisodes de la Genèse : la création par Dieu ou le Démiurge du ciel et de la terre, l’apparition d’Adam et Ève, le déluge et l’arche de Noé. Le Ragnarök ressemble donc à l’Apocalypse chrétienne, les Walkyries aux anges, Odin à Mercure, Baldr à Baal, le chien-loup Fenrir à Cerbère, et ainsi de suite. Il faudrait connaître à fond la mentalité de ces peuples pour y voir clair, mais nous manquons cruellement de documents clairement intelligibles. Même si nous disposons de très peu de témoignages non scandinaves sûrs, les contacts entre le nord de l’Europe et les mondes celtique, latin ou slave, n’ont pas pu alors ne pas avoir de profondes influences, bref, nous en sommes réduits à conjecturer…
En Égypte le serpent géant Apophis joue le même rôle. Son nom Aapep ou Aapef (en égyptien) signifiait « géant » ou « serpent géant ». Il est représenté justement sous la forme d’un serpent gigantesque qui s’attaque quotidiennement à la barque de Rê voguant sur le Noun, afin de mettre fin au processus de la création, mais il est chaque fois vaincu. Chaque lever du soleil marquait ainsi la victoire de Rê sur Apophis. Apophis est le dieu-ou-démon des forces mauvaises et de la nuit, personnification du chaos ou du mal tentant de réduire à néant la procréation divine.
NAISSANCE ET ORIGINE DE LA TERRE. 4e image et 4e symbole.
Ainsi que nous avons pu le voir, les druides antiques avaient leurs idées en ce qui concerne la naissance de notre monde à nous, la Terre et son soleil.
L’iconographie des motifs gravés ornant les flancs du mont Bego, dans les Alpes (une véritable bible de pierre), témoigne en faveur de cette vision dualiste. Dans la vallée des Merveilles, des schémas stylisés ou abstraits dépeignent leur vision du Cosmos, leurs pratiques religieuses à ce sujet ; les trois stèles principales sur le Pic des Merveilles se laissent déchiffrer comme trois épisodes de la naissance de l’Univers, telle qu’elle est chantée par le poète grec Hésiode. L’image la plus couramment répandue à l’époque était donc celle d’une séparation du (dieu-ou-démon du) ciel et de la (déesse-ou-démone de la) terre. Ayant eu pour résultat de rendre la planète habitable par le genre humain, car le Gdonios (l’Homme, littéralement le Chtonien, Khthônios en grec) était issu des profondeurs de la terre selon eux. C’est d’ailleurs cette étymologie qui est à l’origine de la fameuse remarque de César. Les propos du druide éduen Diviciacos, du genre « chez nous et par définition
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l’homme est issu des profondeurs de la terre », sont devenus dans ses commentaires : « Ils se disent issus de Dis Pater. Et c’est une tradition des druides » (B. G. VI, 18).
Essai de transposition dans la cosmogonie de l’ancien druidisme. À l’intérieur du chaos primordial de l’œuf de serpent apparaît une première différenciation, entre Taran/Toran/Tuireann, le ciel ; et la grande déesse-ou-démone-mère cosmique ou fata Morgana : la mer. Cette division ne se fait pas latéralement, mais hiérarchiquement (avec un haut et un bas). Taran/Toran/Tuireann continue donc à « couvrir » (au sens sexuel et spatial) la grande déesse-ou-démone-mère cosmique située sous lui, et de ce fait rien ne peut advenir à l’existence ?????????
Plus près de nous, il existe un autre mythe druidique intéressant à méditer, celui qui traite de l’origine des plantes médicinales.
Il a été consigné dans le livre des Conquêtes de l’Irlande, à l’occasion de la seconde bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli.
« Medocios fut enterré par Diancecht, et des plantes au nombre de 365 poussèrent sur sa tombe, identiques au nombre de ses jointures et de ses nerfs. Airmed ouvrit son manteau et rangea ces plantes d’après leurs qualités. Mais Diancecht arriva et mêla les plantes, si bien que l’on ne connaît plus leurs effets, à moins que le Saint-Esprit ne l’ait révélé par la suite ».
Conclusion. Les mythes de démembrement d’un géant (cavaros) ou d’un être surnaturel anthropomorphe nous montrent aux origines, avant l’avènement définitif de la Terre telle que nous la connaissons, un être qui totalise en lui l’ensemble des potentialités de notre planète. À la suite de rivalités entre divinités, cet être est tué, démembré, mais les différentes parties de son corps vont être utilisées pour donner la Terre telle que nous la connaissons. L’étape finale ou décisive est toujours une mise en ordre ou une consolidation des éléments auparavant épars. Les montagnes, le ciel, les nuages, les étendues d’eau… seront constitués à partir des éléments démembrés du géant.
FORME ET MOUVEMENTS DE LA TERRE. 5e image et 5e symbole.
Il ne faut pas demander une parfaite logique à la cosmogonie celtique, ni sans doute à aucune cosmogonie, qu’elle soit biblique ou coranique.
Une cosmogonie beaucoup plus vraisemblable nous est en effet fournie par ce que les bardes médiévaux irlandais racontaient à propos des trois vagues d’Ochann et des boucliers.
Pour répondre à la question que se posait à ce sujet le Père Edmond Hogan en 1892, indiquons donc qu’à notre avis ceci est une lointaine réminiscence de l’antique conception druidique selon laquelle la terre était analogue à un bouclier bombé flottant sur un océan primordial : les trois ou neuf vagues (d’où l’image du serpent géant cornu à tête de bélier enserrant la terre de ses anneaux). Ce qui affecte les vagues (le serpent à tête de bélier) affecte la terre (le bouclier bombé). Ensuite par glissement de sens « affecte tous les boucliers ulates ». Image sans doute utilisée pour suggérer un cataclysme extraordinaire.
On objectera peut-être à cette hypothèse que les druides irlandais ont toujours considéré que la terre était ronde comme l’atteste l’usage du terme cruind (crundnios) pour désigner la terre et le titre même du livre de Dicuil consacré à ce sujet vers 825 : De mensura orbis terrae.
Peut-être ! Mais ne serait-ce pas un peu trop beau pour être vrai ?
Cruinne. Cruind. Crudnios. Le terme évoque la notion de rondeur ou de sphère, mais il est difficile de dire s’il faut le traduire vraiment par « globe terrestre ». Le sens de « globe » prêté à ce mot (pluriel cruinnean) dans l’expression « tout l’or du cruinne » n’est peut-être qu’une interprétation du XVIe siècle ; date de la variante de la légende du manuscrit parlant de Cuchulainn et comportant ce mot (Aided Con Culainn).
Il est vrai que la découverte de la machine d’Anticythère en 1900 montre bien que certains milieux païens de l’Antiquité étaient arrivés à un degré de connaissance stupéfiant avant que ne s’abattent sur l’Occident les ténèbres du christianisme médiéval.
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FRAGMENTS SUR LA FIN DU MONDE SELON LES DRUIDES.
Brouillon ou poème de Pierre de La Crau concernant la fin du monde, et retrouvé par ses héritiers.
Un grand signe paraîtra dans le ciel. Un loup avalera le soleil, et un autre la lune. Le soleil s’obscurcira, la lune ne diffusera plus sa douce lumière. Le firmament et ses étoiles tomberont sur la terre, des tremblements de terre pourfendront le globe et la mer aux vagues bleues viendra sur le front du monde. Toutes les puissances qui sont dans le ciel et sur la terre seront ébranlées. Les tribus de la terre se lamenteront, et voici ce que dira chaque homme quand on le mettra en terre encore vivant : och, och. C’est for uch que l’on a creusé ces tombes, que forrach soit donc leur nom…
En réalité nul ne sait très précisément comment les très-sachants de l’Antiquité concevaient cette apocalypse. La seule chose de sûre c’est que c’est bien ainsi qu’ils voyaient les choses puisqu’on en a une trace dans les écrits des auteurs antiques. La réponse des ambassadeurs celtes (des druides) envoyés auprès d’Alexandre lors de son expédition en Thrace au IVe siècle avant notre ère.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le signaler plus haut, mais repetere = ars docendi, Ptolémée, fils de Lagos, rapporte en effet qu’au cours de cette campagne, des Celtes des bords de l’Adriatique rencontrèrent Alexandre afin d’établir avec lui des rapports d’amitié ou d’hospitalité. Le roi, qui les avait accueillis avec cordialité, leur demanda, un peu ivre, ce qu’ils craignaient le plus, persuadé qu’ils allaient le désigner lui.
« Alexandre prit la ville et tout le butin que les Gètes y avaient laissé derrière eux. Après avoir rasé la cité jusqu’au sol, il offrit un sacrifice sur la rive du fleuve… Là des ambassadeurs vinrent le trouver de la part de Syrmus, roi des Triballes, et de la part aussi des autres nations indépendantes habitant les rives de l’Istros. Il en vint également de chez les Celtes qui demeurent près du golfe ionique. Ces peuples sont de grande stature et ont un caractère hautain. Tous ces envoyés disaient qu’ils étaient venus chercher l’amitié d’Alexandre. À tous il donna des gages d’amitié, puis en reçut d’eux en retour. Il demanda ensuite aux Celtes quelle était la chose au monde qui leur causait le plus d’alarmes, en escomptant que sa renommée, qui était déjà grande, ait atteint les Celtes et même au-delà, et donc qu’ils répondraient que c’était lui qu’ils craignaient par-dessus tout. Mais la réponse des Celtes fut contraire à son attente ; car, comme ils demeuraient très loin d’Alexandre, habitaient des régions d’un accès difficile, et qu’ils s’étaient bien aperçus que toutes ses préoccupations allaient dans une autre direction, ils lui répondirent que ce qu’ils craignaient c’est que le ciel leur tombe un jour ou l’autre sur la tête… » Autrement dit la fin de toute vie sur Terre.
Récit de l’entrevue qu’eurent les Celtes de Thrace avec Alexandre le Grand en – 335 au confluent du Danube et de la Morava. D’après Arrien. Il devait s’agir des ancêtres des Scordisques.
Rappelons également pour mémoire la curieuse légende irlandaise de la roth ramach citée plus haut.
Il y a eu bien sûr une eschatologie druidique, et elle devait donc être assez subtile et complexe. Le prouve la citation même de Strabon, qui la trouve apparemment contradictoire. « Ils affirment que les âmes et l’univers sont immortels, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront ».
Par contre il nous manque totalement, pour le druidisme, l’équivalent – qui a existé – de la Götterdämmerung germanique. La lacune est certainement due à la christianisation. Et si les divinités des Tuatha Dé Danann, autrement dit les dieu-ou-démons de l’Irlande préchrétienne, sont parfois nommées dans des métaphores ; leur destin d’entités soumises, elles aussi, au processus de désintégration qui se produira lors de la fin du monde, n’est envisagé à aucun moment. Nous en sommes donc réduits aux conjectures, mais nous avons quand même assez d’indices pour en avoir une petite idée.
En avril 1999, a été trouvée en effet, dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye (département des Yvelines) une petite monnaie en argent, d’un diamètre d’environ 16 mm, fort intéressante.
Sur l’avers : profil gauche d’un personnage portant un torque ; dont l’abondante chevelure est répartie en deux masses séparées par une césure verticale, et ornée de légères stries, inclinées vers l’avant sur la partie antérieure, et horizontales sur la partie postérieure ; devant la bouche, un soleil à quinze rayons.
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Au revers : un cheval galopant à droite derrière une roue à huit rayons, alors qu’au-dessous de lui un monstre mi-lion, mi-loup court dans la même direction, les oreilles couchées vers l’arrière, en tenant dans sa gueule ouverte un croissant lunaire.
Ce revers monétaire, a priori peu courant aurait pu passer pour inédit, si la sagacité de Michel Dhénin, Conservateur en chef au Cabinet des Médailles de la BnF, ne l’avait promptement identifié au type BN 7229. Le type BN 7229 n’était connu jusqu’alors que par un unique exemplaire provenant de la collection Saulcy, qui est issu des mêmes coins monétaires que celui qui fut trouvé à Saint-Germain-en-Laye, mais apparaît moins bien frappé. Le torque est très peu visible, les reliefs du visage écrasés, le croissant de lune du revers, en partie hors flan, n’est pas identifiable.
Cette pièce d’argent a été attribuée aux Veliocasses…
Sur le type BN 7229, le loup fait couple avec un cheval caracolant derrière une roue au-dessus de lui, et il convient donc de les prendre en compte conjointement dans une tentative d’explication.
La nature solaire de l’équidé se révèle ici manifeste et tout à fait conforme à la tradition, perceptible en Europe dès l’âge du bronze, qui assimile le mouvement de l’astre diurne à la course d’un cheval céleste. Le document de haute époque (1300-1200 avant notre ère) le plus spectaculaire en ce domaine est le chariot cultuel trouvé en 1902 dans une tourbière de Trundholm (Danemark) ; sur lequel le soleil, figuré par un disque d’or, est tiré par un cheval (et sans doute deux à l’origine), l’ensemble étant monté sur trois paires de roues.
On peut considérer ; dans ce cas comme dans celui de la monnaie qui nous intéresse (et plus largement sur toutes celles où l’équidé en question est accosté de signes héliaques : étoiles, annelets, roues) ; que le cheval constitue alors une représentation du soleil, figuré de façon redoublée par le disque ou la roue.
L’élément iconographique le plus spécifique figurant au revers du type BN 7229 est l’image du monstre mi-lion, mi-loup saisissant la lune dans ses mâchoires, un thème qui n’est pas inédit. En effet, un statère d’or attribué aux Unelli montre, sous une palme couchée, un monstre mi-loup, mi-lion à droite, retournant la tête, la gueule ouverte, la queue hérissée retournée vers le haut ; qui cherche à engloutir (ou qui régurgite) le soleil, figuré par une roue à quatre rayons, et accosté à sa gauche d’un croissant lunaire compartimenté. Du fondement de l’animal s’échappe un rameau formé de quatre feuilles opposées deux à deux. Sous le loup, un aigle tête levée, ailes déployées, devant le canidé, des motifs informes…
Si le mythe du loup monstrueux cherchant à dévorer les luminaires célestes n’apparaît pas dans les fragments de mythologie celtique que nous ont transmis les collections tardives et lacunaires de textes gallois ou irlandais ; l’idée en transparaît dans la tradition orale bretonne qui utilise l’expression Diwall alloar diouzh ar bleiz : protéger la lune du loup, ce qui signifie aujourd’hui « prendre une peine inutile, perdre son temps », mais devait, à l’origine, avoir une dimension cosmologique…
Comment interpréter cette scène spectaculaire en fin de compte ? Il nous paraît découler des éléments précités que celle-ci se structure selon plusieurs couples d’oppositions superposés : cheval/loup, soleil/lune, jour/nuit, cycle/événement, ordre/chaos. On peut alors faire de cette iconographie, soit une lecture discursive (en quelque sorte « littéraire »), soit une interprétation conceptuelle (plus « abstraite »). En d’autres termes, cette image monétaire est la transcription visuelle d’éléments de sens qui peuvent être appréhendés, soit selon un code mythologique, soit selon un code astronomique.
Dans un cas, l’esprit s’oriente vers une interprétation eschatologique ; qui conduit à présumer que la scène est la traduction graphique d’un épisode mythologique, dans lequel des dieu-ou-démons – et/ou des forces – représentés par un loup monstrueux porteur de chaos, et un cheval solaire incarnation de l’ordre céleste, s’opposent ; dans une catastrophe cosmique plus ou moins équivalente à celle que relate abondamment la littérature scandinave.
On peut cependant opter pour une approche plus symbolique de la scène monétaire – sans en exclure les dieux ou démons – en y voyant une mise en images des conceptions astronomiques des anciens druides sur les phénomènes sidéraux ; qui rythment avec régularité la marche du cosmos (la course du soleil) ou viennent l’interrompre de façon cyclique (les éclipses)… sur les monnaies d’or des Aulerci Eburovices, le loup tente de mordre les jambes du cheval. Ceci peut fort bien être compris comme une attaque de la bête fauve contre le soleil, figuré par l’équidé, qui ferait pendant à l’agression contre la lune, gravée sur la monnaie d’argent, dont nous venons de parler.
Quoi qu’il en soit, il ne sera probablement jamais possible de trancher entre ces deux grilles sémantiques, mais il faut souligner que, loin de s’exclure, elles ont dû constituer, dans l’esprit des anciens Celtes, des explications du monde complémentaires. Les occultations des deux luminaires
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célestes peuvent annoncer leur destruction redoutée – à venir dans le temps du mythe – et la représentation du siècle de trente ans, où le loup cosmique dévore une lunaison, préfigurer le grand et dramatique renouvellement cyclique de l’univers. Il nous semble donc, en définitive, que c’est bien dans cette riche dialectique entre le mythique et le sidéral, que se trouve enfermé le sens profond de la cavalcade effrénée qui déchaîne ; à travers le morceau de ciel circonscrit dans l’orbe d’une piécette d’argent ; un coursier solaire et un loup mangeur de lune. Le niveau de lecture peut aussi être lié au statut social et culturel de celui qui observe. Les très-sachants comprenaient les symboles, pensée concentrée, mais le peuple leur préférait les aventures mythologiques, comme il préfère aujourd’hui les bandes dessinées, a fortiori aux traités de théologie ou même d’Histoire. Pourtant, la fin d’un tel âge ne coïncide pas nécessairement avec la fin du monde. La philosophie hindoue postule par exemple qu’un sauveur appelé Kalkin, dixième avatar de Vishnou, surviendra in extremis, au moment où tout semblera perdu. Il triomphera des corrompus dans une grande bataille eschatologique au soir de laquelle l’ordre juste (dharma) aura été rétabli et les conditions d’un nouvel âge d’or réunies (D. Hollard. La monnaie d’argent BN 7229. Société d’études numismatiques et archéologiques).
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La répétition étant la plus forte des figures de rhétorique revenons sur quelques points cruciaux.
LA VIE DES MONDES
par le druide Leonorios.
Dès le IVe siècle avant notre ère, nos recherches attestent une nouvelle conviction : celle qui se rapporte aux créations et aux destructions cosmiques alternées de l’univers ou bitos. Le mécanisme de ces apparitions et disparitions a sans doute fait l’objet de beaucoup de spéculations. Quand Diviciacos indiquait à Cicéron qu’il pratiquait la « physiologie », c’est sans doute à de telles recherches sur les éléments fondamentaux du monde qu’il faisait allusion.
Seules des bribes nous en sont parvenues, et ce n’est malheureusement explicité dans aucun des témoignages en notre possession. Hormis celui du général d’Alexandre le Grand appelé Ptolémée : « Ils lui répondirent qu’ils n’avaient peur de personne et que la chose au monde qu’ils craignaient le plus était que le ciel ne tombât un jour sur leur tête… hóti oudéna, plèn ei ára me ho ouranòs autois epipésoi ». Arrien (Anabase ou Expéditions d’Alexandre. Livre I, chapitre I)
Strabon nous en a cependant gardé un autre fragment, la notion de résorption universelle par le feu et par l’eau (« Ils affirment que les âmes et l’univers sont immortels, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront ». Géographie. Livre IV, 4 à 6) ; ce qui correspond à ce que l’on appelle Pralaya dans la cosmogonie indienne, ou à la notion indo-iranienne d’Apam Napat (le feu dans l’eau).
Q : Qu’y a-t-il au commencement de chaque monde ?
R : Le Feu et l’Eau. Feu et eau ont existé de toute éternité, ils restent distincts même lorsqu’ils se contiennent l’un l’autre.
Q : Que pouvons-nous conclure de cela ?
R : Ce Feu, qui est très différent de l’élément feu, qui n’est qu’un symbole, a une nature mystérieuse. Intelligence et Sensibilité, Puissance et Action. L’Âme est la manifestation intérieure de ce feu primordial. Le Feu est le centre qui se déploie dans la circonférence. Il est silencieux et ne possède pas de véritable vie, car quand il irradie, alors il absorbe par la même occasion. Et il ne trouve son expansion que dans le second principe, l’eau.
Q : Que voulez-vous dire par Eau ?
R : Elle est l’absolue et immanente manifestation de la vie. Elle est produite par une exaltation radiante du Feu qui réussit à vaincre ses forces d’attraction.
Puis le processus recommence et un nouvel univers ou un nouveau bitos apparaît. Le fait n’a rien d’une création ex nihilo, mais se produit par étapes, à partir d’un principe primordial mû par une loi universelle : le Tokad. Le Tokad assure la conservation de l’univers ou bitos quand celui-ci se manifeste ; quand celui-ci implose, il conserve en sa pensée (labarum) le destin ou schéma du monde, prêt à reparaître lors d’une nouvelle création.
À ce stade le Divin ne peut être dissocié du processus de l’évolution de l’univers. Il est l’une des composantes de la bonne marche de cet univers ou bitos. Mais le pouvoir du Destin est de rendre le monde autocréateur. Tel un chef d’orchestre, il ne crée qu’en insufflant un dynamisme à l’orchestre de l’évolution auto-transformatrice du monde. Le destin ou Tokad ne crée pas. Il ne gouverne pas. Il est une sorte de « main invisible » qui, à l’intérieur de l’univers ou bitos, est à la fois un fil conducteur, une promesse et une incitation. Il propulse et accompagne ainsi le « processus » de l’évolution du monde. À la fin de chaque cycle, le monde implose et se ramène à ses composants de base, au début de chaque période d’expansion, il se réorganise en suivant des règles immuables.
Réversibilité tout comme irréversibilité, sont des concepts importants pour ce qui est de la physique et tout particulièrement de la thermodynamique. Tout le monde a au moins une fois fait l’expérience suivante : un morceau de verre se brise sur le sol et ne se reconstitue pas de lui-même. En revanche, on peut tirer sur un élastique, le déformer, ensuite, dans une certaine limite, quand on le relâche, il retrouve exactement son état initial. La première expérience est typique d’une transformation irréversible, la seconde est ce qui s’approche le plus d’une transformation réversible.
Aussi simples qu’ils puissent paraître, ces deux exemples illustrent la possibilité ou l’impossibilité pour un système de retrouver spontanément, et de manière exacte son état antérieur immédiatement. La mécanique classique suppose la réversibilité des phénomènes de manière implicite. En effet, dans toutes les équations fondamentales, il est possible de renverser le cours du temps, c’est-à-dire que le
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changement de la variable temps « t » en « – t » laisse les équations fondamentales invariantes. Les conditions théoriques d’une transformation réversible sont les suivantes : continuité des grandeurs intensives, lenteur (transformations quasi statiques), absence de phénomènes dissipatifs.
De manière plus précise, on peut dire qu’une transformation réversible est un modèle idéal pour lequel les échanges de grandeurs extensives sont quasi statiques ; c’est-à-dire effectués en un grand nombre d’étapes pour que le déséquilibre des grandeurs intensives conjuguées soit réalisé par de très faibles variations, et en l’absence de phénomènes dissipatifs. Il est très souvent possible, dans des conditions expérimentales adéquates, de se rapprocher de ce modèle.
Certains phénomènes sont a priori réversibles : imaginez un sac rempli de billes et secouez-le. Passer le film à l’envers ne donnera rien de surprenant… les billes remuent, mais rien n’est contraire au sens commun.
EH BIEN LE DRUIDISME POSTULE QUE, DE LA MÊME FAÇON QUE TOUT ÉLÉMENT DIVIN OU TOUTE ÉTINCELLE DIVINE, RETOURNERA UN JOUR TÔT OU TARD DANS LE SAC DE BILLES DU GRAND TOUT. C’est la loi de réversibilité du Bituitos ou loi de réversibilité de la procréation du monde. C’est ainsi que le grand savant que fut Laplace, n’hésita pas un jour à prédire, non seulement un déterminisme total des lois de la physique, mais également la possibilité, à partir d’un état donné, de décrire le passé ou le futur d’un système mécanique. Le temps n’a pas de sens d’écoulement.
La roue de Toran/Taran/Tuireann (tarabara en breton) et son labarum sont un symbole clé du druidisme. La roue de Toran/Taran/Tuireann représente le cours du temps, elle incarne les cycles cosmiques de la naissance et de la mort, de la petite enfance, de l’enfance, de la jeunesse, de l’âge adulte, de la maturité, de la dégradation ou de la déliquescence.
« Divinis humana componere licet », a écrit Ausone (dans son petit poème sur l’emploi du mot libra). « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines ».
Les très-sachants irlandais distinguaient plusieurs âges dans la vie d’un être humain.
1 * Noidenotaxeto > Nàidendacht : la prime enfance.
2 * Mapotaxeto > Macdacht : l’enfance.
3 * Geistlaxeto > Gillacht : l’adolescence.
4 * Ogiolagiato > Hoclachus : la jeunesse (l’âge adulte jeune).
5 * Senodageto > Sendacht : l’âge mûr.
6 * Diexbliniceto > Diblidecht : la vieillesse.
On peut donc présumer qu’il en allait de même pour la vie d’un monde ou d’un univers (bitos), d’un cycle.
Le monde dans lequel nous vivons n’est que le stade plus ou moins avancé d’un cycle cosmique que l’on nomme Aiu, qui est « le développement total d’un monde », et qui représente un « état ou degré » de l’Existence universelle (Bitos).
Chaque Aiu est divisé en cycles, appelés setlocenia.
Chaque setlocenia en l’occurrence a une durée de 59 049 années (durée du monde dans la tradition galloise d’après Jan De Vries et son étude sur la religion des Celtes).
Il est divisé lui-même en six colonnes (colomna ais en gaélique) que l’on peut assimiler aux six âges de la vie. Ces âges, qui se succèdent au sein d’un bituitos, sont marqués par une « croissance » et « dégénérescence » les uns par rapport aux autres.
La petite enfance du monde.
L’enfance du monde.
La jeunesse du monde.
L’âge adulte du monde.
L’âge mûr du monde.
La sénilité du monde.
Note de la rédaction. Les chiffres indiqués dans divers textes néo-druidiques pour la durée d’un bituitos, et par suite pour celle des colonnes d’âges correspondantes, ne doivent nullement être regardés comme constituant une « chronologie » au sens ordinaire de ce mot ; c’est-à-dire exprimant des nombres d’années devant être pris à la lettre. La science a depuis considérablement augmenté
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ces chiffres. La même tradition galloise citée par Jan de Vries donne d’ailleurs 19 683 années de vie à l’if, ce qui est beaucoup (à moins qu’il ne s’agisse d’un arbre cosmique).
La notion fondamentale à prendre en considération dans le calcul de la durée de ces cycles ou cycle de cycles est plutôt la période astronomique de la précession des équinoxes appelée « grande année » ; dont la durée s’élève à 25 920 ans, de telle sorte que le déplacement des points équinoxiaux est d’un degré en soixante-douze ans. Ce nombre 72 est précisément un sous-multiple de 4 320 = 72 x 60, et 4 320 est à son tour un sous-multiple de 25 920 = 4 320 X 6. Le fait que l’on retrouve pour la précession des équinoxes les nombres liés à la division du cercle est d’ailleurs encore une preuve du caractère véritablement naturel de cette dernière ; mais la question qui se pose est maintenant celle-ci : quel multiple ou sous-multiple de la période astronomique dont il s’agit correspondait à la durée d’un bituitos chez les gnostiques d’Occident ?
En Mésopotamie puis en Grèce, la notion de « grande année » s’appliquait à environ la moitié de cette période évaluée souvent par approximation à 12 000 ou 13 000 ans, sa durée précise étant de 12 960 ans.
Étant donné l’importance toute particulière qui est ainsi attribuée à cette période, il est à présumer que le bituitos druidique devait comprendre un nombre entier de ces « grandes années » ; mais lequel ???
Bref ! Pour les druides de l’Antiquité, le temps n’était pas conçu de façon linéaire comme c’est le cas dans la pensée juive, mais de façon cyclique : il y avait toujours un pré univers. Pour certains peuples et notamment par exemple les Aztèques ou les Mayas, il y aurait eu aussi d’autres terres avant la nôtre, et notre terre d’aujourd’hui ne serait que la dernière en cours, la cinquième, celle de notre ère actuelle. Quatre fois détruite ainsi que la vie qui la hantait, mais quatre fois sauvée par le sacrifice des dieu-ou-démons qui se sont littéralement jetés à l’eau ou dans le feu pour obtenir sa résurrection.
Le problème de la sortie du néant (conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien) ayant été résolu comme vu précédemment, trois grandes phases se succèdent toujours alternativement : un temps d’apparition un temps de conservation et un temps de destruction. Lorsque la création se matérialise, l’univers ou bitos se déploie dans toute sa majesté à partir d’un point d’âme et de matière (le feu dans l’eau * des explications druidiques simplifiant la question) ; qui n’est autre que le reste d’un bitos ou univers précédent. À la fin des temps, lorsque la roue de Taranis ou Tarabara en breton, a fait un tour complet, l’univers ou bitos se résorbe peu à peu ; concentrant tous les éléments de celui qui a précédé en un nouveau reste qui à son tour servira de pré univers ou de point de départ à la formation du suivant. Dans ce mouvement cyclique à trois temps, la « création », bien qu’elle change de forme, perdure. Il n’y a plus ni véritable commencement ni véritable fin du monde, tout se transforme : la création, tout comme la destruction, est relative. Bref à chaque nouvelle naissance du monde, celui-ci se réorganise suivant des règles immuables (le Destin ou Tokade) ; à la fin de cycle, quand le monde implose, le Tokad ou Destin a déjà en sa pensée le schéma général de l’univers ou bitos prêt à reparaître lors d’une re-naissance dans l’espace. À chaque âge du monde, le Tokad enserrant de ses anneaux l’œuf de serpent, réenclenche le processus évolutif. Mais il est vrai que le Tokad ou Destin ne reçoit plus guère d’adorations particulières aujourd’hui. On ne lui construit plus de temples. Il est quelque peu oublié.
* Apam napat dans la tradition indo-iranienne.
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MORT ET FIN DU MONDE. OU PLUS EXACTEMENT DE CE MONDE, DE CE CYCLE.
Le mot eschatologie est un dérivé du terme grec eschatos signifiant le dernier. L’eschatologie (Discours sur la Fin des Temps) relève de la théologie et de la philosophie en lien avec les derniers temps, les derniers événements de l’histoire du monde ou l’ultime destinée du genre humain, couramment appelée la « fin du monde ». Dans de nombreuses religions, la fin du monde est un événement futur prophétisé dans les textes sacrés ou le folklore. Plus largement, l’eschatologie peut aussi embrasser des concepts qui sont liés tels que celui de Messie ou de temps messianique, l’après-vie et l’âme.
L’eschatologie en tant qu’étude de la fin du monde s’attache à étudier comment et quand notre monde retournera au néant pour les uns, se muera en un nouveau monde pour les autres.
Il s’agit d’études axées sur les derniers temps, les derniers jours avant la disparition, c’est-à-dire la frontière entre l’existence et l’après-existence. Les études eschatologiques amènent ainsi à travailler sur les causes et les manifestations qui réduiront notre monde, notre univers, notre bitos, à néant (du moins d’après les judéo-islamo-chrétiens). Cela revient à étudier les mécanismes ayant pour résultat de générer un moment de réduction à néant, si tant est que le néant puisse exister.
L’eschatologue est un explorateur ou un chercheur aux portes du « néant » qui s’attache à tenter de cerner une phase de la dynamique de ce « néant ».
Les très-sachants de l’Antiquité ont été fort clairs à ce sujet. (Strabon. Livre IV, 4 à 6) : « Ils affirment que les âmes et l’univers sont immortels, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront ».
On ne peut pas mettre en doute cette information (que Strabon tire de Posidonios). C’est-à-dire celle de la détermination par les très-sachants d’éléments premiers constituant la matière et revenant à l’état pur lors de la conflagration finale de l’univers ou Bitos. On ne peut d’ailleurs que la mettre en relation avec la notion irano-hindoue d’Apam Napat. Apam Napat est un nom à la fois védique et avestique. Il signifie littéralement, le « Fils des Eaux » (de l’espace, c’est-à-dire, de l’Éther), car dans l’Avesta des parsis, Apâm Napât se tient entre les yazatas du feu et les yazatas de l’eau.
Un jour le feu et l’eau l’emporteront…
Une telle formule n’étonnera que ceux qui ne connaissent pas les théories des physiologistes ioniens ou celles de l’ancien stoïcisme.
L’eau et le feu étaient en effet, pour eux également, les éléments premiers entrant dans la composition de l’univers.
La destruction de celui-ci doit donc se traduire par une réapparition de ces éléments premiers. Une telle conception de l’univers dit bitos et de sa fin, aboutit donc naturellement à un système cyclique et perpétuel.
Autrement dit.
— La matière (l’univers) est éternelle.
— Et les âmes aussi, tout comme les dieu-ou-démons.
— Mais un jour tout ceci se résorbera en une gigantesque implosion.
Cette catastrophe cosmique ne sera pas synonyme d’annihilation, d’anéantissement, ou de retour au néant. Elle entraînera seulement la décomposition de l’univers en ses forces fondamentales (l’âme et la matière, le feu et l’eau), dans un gigantesque trou noir de l’espace.
Âmes et Matière ne sauraient se perdre, puisqu’elles sont indestructibles, mais ils peuvent, par contre, se métamorphoser radicalement. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme (Lavoisier).
« Divinis humana licet componere. Aux choses humaines, on peut comparer les choses divines » (Ausone, églogue sur le mot libra).
Il en va du sort du monde comme de celui de l’âme. Sa mort n’est qu’un des points d’une ligne de vie infinie, en comptant des milliards et des milliards.
S’il meurt, c’est pour renaître et se réincarner, peu importe que cette réincarnation suive immédiatement ou pas sa sortie du trou noir en question.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, le mécanisme des apparitions et disparitions du monde ou de l’univers n’est explicité dans aucun des témoignages en notre possession, hormis celui du général d’Alexandre le Grand appelé Ptolémée. « Ils lui répondirent qu’ils n’avaient peur de personne et que la chose au monde qu’ils craignaient le plus était que le ciel ne tombât un jour sur leur tête… hóti oudéna, plèn ei ára me ho ouranòs autois epipésoi ». Arrien (Anabase ou Expéditions d’Alexandre. Livre I, chapitre I)
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Strabon nous en a cependant gardé un autre fragment, la notion de résorption universelle par le feu et par l’eau (« Ils affirment que les âmes et l’univers sont immortels, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront ». Géographie. Livre IV, 4 à 6).
Mais cela nous l’avons déjà dit plus haut. Il importait seulement de le souligner.
D’où peut-être l’épouvante de Brennos et de ses rudes guerriers à Delphes au cours d’un orage, quelques décennies plus tard, en 279 avant notre ère (Trogue-Pompée, Histoires philippiques, XXIV, 4-8, Pausanias, Description de la Grèce, IV, 1-4).
Mais le fragment de Strabon nous en a gardé l’essentiel, l’idée de résorption universelle par le feu et par l’eau, correspondant à ce que l’on appelle pralaya dans la cosmogonie hindoue.
Les choses, quelles qu’elles soient, suivent un éternel cycle, tourbillonnant et se répétant à l’infini. Elles passent d’un état d’avant existence à un état d’existence puis à un état d’après existence, qui lui-même passe à un état d’avant existence, etc. Lucain. De Bello Civili I, 454-462. « Si vous savez ce que vous chantez, la mort est le milieu d’une longue vie ».
Le caractère de non-être est temporel et mouvant, il est cyclique c’est-à-dire que les choses revêtent un caractère qui alterne entre la non-existence et l’existence. L’existence de toutes choses dépendant de nos sens, la durée même de ces existences dépend directement de nos perceptions. Ainsi, la planète Terre existe-t-elle depuis quelques milliards d’années. Parce que nos connaissances et la perception qu’elles nous procurent, nous permettent de dater, avec des marges d’erreur relativement infimes, son âge, c’est-à-dire sa durée d’existence jusqu’à nos jours. De la même manière, nous savons dater, avec, certes, moins de précision, l’âge de certaines étoiles ou galaxies et, par comparaison avec l’âge de notre planète, nous nous rendons compte que notre système solaire est très jeune. Cela tend à prouver que le caractère de non-existence est majoritaire dans la durée ou, si l’on veut, que le caractère d’existence est, lui, minoritaire. Même ce que nous imaginons avoir toujours existé n’est finalement qu’un ersatz d’existence en comparaison de l’infinité du néant. Du néant conçu en tant que non-existence et non en tant que vide ou rien.
Le terme grec aïôn signifie « âge » ; certaines traductions peuvent être comprises en fin de l’âge ou du cycle, au lieu de fin du monde. La distinction revêt aussi une signification théologique, car les temps de la fin, dans de nombreuses religions, peuvent inclure la destruction de la planète (ou de tous les êtres vivants) ; mais avec la survie de l’espèce humaine, sous une forme nouvelle, ou partiellement (les élus) mettant ainsi un terme à l’âge actuel, et en commençant un nouveau.
Religion égyptienne.
Pour les Égyptiens, dans un futur très éloigné (des millions d’années), lorsque les hommes auront accompli leur destin sur terre, le Démiurge détruira la Création (que ce soit les hommes ou les dieu-ou-démons). Mais ce qui n’a pas été créé ne peut être détruit, donc il restera le non créé (Noun et le Démiurge se retrouveront et fusionneront de nouveau). Puis le cycle recommencera. N.D.L.R. Cette conception du monde implique donc que les hommes, vivants ou morts, et les dieu-ou-démons aussi, ont une durée de vie limitée.
Zoroastrisme.
En Iran la période de rémission avant l’erdathe (irlandais airtach) ou fin du Monde devant durer mille ans, était associée au retour du Saoshyant. Saoshyant est en effet le nom du messie ou sauveur suprême dans la mythologie perse antique. Son avènement marquera l’arrivée des derniers jours et du Frashkart (l’ultime renouveau). On dit parfois que le Saoshyant naîtra d’une vierge qui sera fécondée par la semence de Zoroastre pendant qu’elle se baignera dans un lac. Il viendra pour renouveler le monde et ressusciter les morts. Durant cet ultime renouveau, l’Humanité sera soumise à un torrent brûlant, qui la nettoiera de ses imperfections ou de ses vices, et lui permettra de vivre en compagnie d’Ahoura Mazda. Pour tous ceux qui auront mené une vie sans reproche, ce torrent brûlant ne fera pas plus d’effet que du « lait tiède ». Le Saoshyant sacrifiera un taureau et mélangera sa graisse avec de l’élixir magique, l’haoma, pour en faire un breuvage d’immortalité qu’il donnera ensuite à chacun des membres de l’espèce humaine.
N.B. À la jonction du politique et du religieux, et du fait d’une lointaine influence indo-européenne, on découvre la même idée dans le monde chiite. Les musulmans chiites guettent le retour du Mahdi, c’est-à-dire de l’imam caché.
Hindouisme. Les prophéties traditionnelles hindoues, telles que décrites dans les Puranas et de nombreux autres textes, nous disent que le monde tombera dans le chaos et la dégradation. Il y aura
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une montée rapide de la perversité, de l’avidité, des conflits, un état de choses appelé Kali Yuga. Lorsque la fausseté de la tromperie, la léthargie, l’assoupissement, la violence, le découragement, la colère, l’illusion, la peur, et la pauvreté prévaudront [sur le Kali Yuga druidique, voir plus haut le dialogue des deux sages – Acallam na Senórach – et la prophétie de la grande reine Morgane à la fin de la deuxième bataille de Magos Turation…] lorsque les hommes, remplis de suffisance, se considéreront comme les égaux des brahmanes ; alors sera venu le temps du Kali Yuga. Mais cette fin de cycle sera suivie de l’apparition d’une incarnation divine : Le Seigneur se manifestera en tant qu’avatar de Kalki […] Il rétablira la droiture sur la terre, et les esprits des hommes deviendront aussi purs que le cristal […] le Sat ou Krita Yuga (autrement dit l’âge d’or) sera rétabli.
Bouddhisme.
Dès ses débuts, le bouddhisme s’est vu comme immergé en un temps de décadence. D’après le Sutta Pitaka, Bouddha prédisait que ses enseignements disparaîtraient au bout de cinq cents ans : les dix préceptes moraux ne seront plus pratiqués et seront alors remplacés par leur contraire ; il s’ensuivra une période de misère et la fin du règne du vrai dharma. Le bouddhisme ayant lui aussi dépassé les prévisions pessimistes de son fondateur, la durée de vie de la doctrine fut prolongée jusqu’à 5000, puis 10 000 ans. Mais sa fin est toujours envisagée. Des commentateurs tels que Bouddhaghosa nous décrivent même son effacement : lors d’une première étape, les saints ou grands initiés n’apparaîtront plus dans le monde ; puis les enseignements se videront de leur contenu, avant de disparaître entièrement ; enfin, le souvenir du Bouddha lui-même s’effacera, et ses reliques seront réunies à Bodhgaya, lieu de son illumination, pour y être incinérées. Mais un certain temps après, un nouveau bouddha, que l’on appellera Maitreya, fera son apparition pour remettre en mouvement la roue du dharma, et le bouddhisme ainsi ressuscité indiquera de nouveau le chemin vers le nirvana.
N. B.1. Siddhârta Gautama dit Çakya-Mouni, le bouddha de notre ère, avait lui-même succédé à de nombreux bouddhas du passé, notamment Amitabha (ou Amida en japonais).
N.B. 2. Les cycles de déclin et de rétablissement du bouddhisme reproduisent les cycles de création et de destruction de la cosmologie hindouiste. On distingue dans un cycle trois époques (ou cinq périodes, selon les auteurs). Celle du « vrai dharma », celle du « semblant de dharma » et celle de la « fin du dharma », dans laquelle donc se situe le bouddhisme depuis pratiquement ses débuts, si nous avons bien compris, nous autres barbares druides d’Extrême Occident. Ce concept a joué un rôle important durant les périodes troublées de l’histoire de la Chine et du Japon qui ont vu la naissance de sectes millénaristes. Certains courants faisant une part importante à la foi (Terre Pure, bouddhisme Nichiren) s’appuient sur cette croyance pour promouvoir leur enseignement. Avec pour argument qu’en ces temps de fin de dharma, le bouddhisme « classique » fondé essentiellement sur l’ascèse et la méditation, a perdu de son efficacité, donc que seule la foi ou la dévotion peuvent encore sauver.
Judaïsme. La fin des temps décrite dans le livre de Daniel, appelée Aharit HaYamim, dont l’étape la plus importante, au point d’être souvent confondue avec le processus global, est appelée Yemot Hamashiach (les Temps messianiques). Cette croyance est loin d’être accessoire. Elle figure dans les treize principes de Maïmonide. Et celui-ci écrit dans son commentaire sur la Michna (traité sur le Sanhédrin) ; où ces idées sont exposées pour la première fois ; que ceux qui n’y croient pas ne font pas partie du peuple d’Israël, et n’auront donc aucune part au monde à venir (toujours cette fichue idée raciste de peuple élu !)
La Fin du Monde selon le judaïsme est divisée en un certain nombre d’époques successives.
a) Hevlei haMashiach et Ikveta De'Meshicha (signes avant-coureurs messianiques). C’est une ère de souffrances mondiales, dans laquelle s’inscrit notamment la guerre de Gog et Magog, c’est-à-dire Israël contre les nations, prophétisée par Ezéchiel et Zacharie. Cet affrontement apocalyptique est aussi connu sous le nom d’Armageddon.
b) Ensuite retour du prophète Élie, qui ramène le Messie, et début des Temps messianiques proprement dits.
c)Techiyat HaMetim (Résurrection des morts).
d) Yom HaDin (Jour du jugement).
e) Et enfin établissement de l’Olam Habah (monde à venir) pour l’éternité.
N.D.L.R.
Nous ne nous appelons pas Moïse Maimonide, mais nous nous permettrons néanmoins aussi de faire quelques commentaires sur le sujet, d’un point de vue druidique, car cette eschatologie juive a été en
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grande partie reprise par le christianisme, jusque dans sa prétention raciste de réserver un au-delà heureux aux seuls membres de sa communauté en en excluant les païens (le fameux « hors de l’Église point de salut ! ».
a). Les signes avant-coureurs de la fin de ce monde… les vaticinations habituelles en la matière. Les Germains avaient les leurs (le Ragnarök) les druides aussi cf. Strabon) les bardes irlandais aussi (prophétie de la grande reine Morgane et dialogue des deux sages sur le sujet). En fait personne ne sait précisément comment cela se passera !
b) Retour d’Élie avec le messie qui devra être génétiquement un descendant du roi David… chez nous on a retour d’Arthur et retour des dieux, parousie des dieux, désoccultation des dieux.
c) Résurrection des morts… Non ! Transformation des corps de ceux qui seront encore vivant à ce moment-là… en corps idéaux ou de rêve (dotés de xvarnah diraient nos amis zoroastriens, bellissamos en vieux celtique) CEUX QUI SONT DÉJÀ MORTS EN ÉTANT DÉJÀ DOTÉS.
d) Jugement des morts. Étape inexistante dans le druidisme, car LE JUGEMENT DE L’ÂME C’EST SA PROPRE HISTOIRE, SON DESTIN.
e) Le monde à venir… Ce monde idéal doté de xvarnah ne dure qu’un instant dans le druidisme. Ce règne des dieux également. AFIN DE SERVIR DE MODÈLE, DE RÉFÉRENCE. Ensuite tout disparaît pour recommencer à (presque) zéro.
Christianisme.
Bref, rappel sur l’état des idées à ce sujet dans le monde juif à l’époque de la naissance du christianisme. Sous l’influence de diverses traditions, notamment grecque, et suite à une période de plusieurs siècles, assez confuse sur les plans politique et spirituel.
Les sadducéens ne croyaient à aucune résurrection (il s’agit sans doute du point de vue initial de la bible hébraïque).
Les sectes esséniennes ne croyaient qu’à la résurrection de l’âme.
Les pharisiens croyaient aussi bien à la résurrection de l’âme qu’à celle des corps.
Sur ce point le nazoréen Jésus fut donc complètement pharisien.
Le terme grec eschatos est utilisé dans le Nouveau Testament pour indiquer que la fin du monde commencera en fait avec le second avènement du Christ. Le nazoréen Jésus a en effet enseigné à ses disciples qu’il reviendrait rapidement pour juger les vivants et les morts (ah cette obsession du jugement et des lois !).
Les chrétiens du 1er siècle croyaient par conséquent que la fin du monde adviendrait durant leur vie.
Les textes sont néanmoins assez ambigus et suggèrent.
— Soit la mort des individus.
— Soit la fin des sociétés humaines ou d’une génération (la fin d’un monde).
— Soit la fin du monde (les événements que verra la dernière génération qui vivra sur terre).
On trouve une trace de ces multiples sens dans l’évangile de Matthieu 24, 37- 42. Il s’agit d’un passage où le héros de ce roman moral et métaphysique appelé Jésus parle de son retour dans la gloire, un mystère habituellement réservé à la fin du monde. Or il y décrit aussi la mort individuelle d’un homme, puis d’une femme : « Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’Homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, mais les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement du Fils de l’Homme. Si deux hommes sont aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé ; deux femmes en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée ».
Les chrétiens du 1er siècle de notre ère étaient donc bêtement convaincus que la fin du monde adviendrait durant leur vie. Le héros de leur roman (Jésus), dans l’Évangile selon Marc, chapitre 13, verset 8, y a comparé en effet la fin du monde aux douleurs de l’enfantement d’une mère. L’image implique donc que le monde est déjà « gros » de sa propre destruction, mais que personne à part Dieu (ou le Diable), ne peut connaître le moment auquel cela se produira.
Le doute commença néanmoins à percer dans les ténèbres embrumées de leur esprit lorsque, au fil des ans, les chrétiens s’aperçurent que ce qu’ils croyaient imminent ne se produisait pas. Vers 190, Justin déclara que Dieu retardait la fin du monde parce qu’il voulait que le christianisme devienne auparavant une religion mondiale.
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À la fin du IIe siècle, la plupart des chrétiens étaient désormais convaincus que la Fin du Monde se trouvait au-delà de leur génération ; et le héros de leur roman métaphysique y dénoncera les tentatives de se livrer à des spéculations sur l’avenir, de connaître « le temps et l’heure ».
De telles tentatives de prédire le futur furent découragées, quoiqu’une date ait été fixée pour cette Fin du Monde, à l’aide des traditions juives. En utilisant ce système, cette Fin fut donc fixée à l’an 202, mais lorsqu’elle fut passée sans que rien de tel ne se produise, elle fut fixée à l’an 500. Après 500, comme il ne s’était toujours rien passé, cette notion finit par perdre de son importance dans la religion chrétienne.
Sans que rien de tel ne se produise.
La dernière tentative fut celle de l’archevêque irlandais James Ussher (1581-1656), Professeur au Collège de la Trinité à Dublin. Il écrivit que la création du monde ayant eu lieu en – 4004, le 23 octobre à midi, l’apocalypse devait donc survenir le 23 octobre 1997 à midi. Exactement deux mille ans après la naissance du Christ et six mille ans après la création, puisque par extrapolation avec les six jours de la Genèse, le monde devait durer six mille ans. Le septième jour de repos du créateur correspondant au Millénium qui apportera mille ans de félicité avant le Jugement dernier.
En savant « rigoureux », Ussher repère donc l’âge des personnages bibliques et les additionne : Adam 930 ans… Noé 950 ans, etc. Mais en homme de son temps, il travaille en fonction d’une confiance absolue dans la véracité au premier degré des récits bibliques. Et si aucune source historique ne mentionne la date de la naissance du Christ, on connaît la date de la mort du fameux Hérode : 750 ab urbe condita (calendrier julien) ou 4 avant notre ère (calendrier grégorien). Or Hérode et Jésus ont nécessairement cohabité au moins quelque temps, sinon, les récits de la Bible n’ont plus aucun sens.
Donc si Hérode régnait à la naissance de Jésus, Jésus est forcément né au plus tard en l’an – 4. À partir de là, une connaissance approfondie des textes vétérotestamentaires permet de déterminer la durée de vie de chacune des générations conduisant à l’avènement du Christ, et par conséquent de remonter jusqu’à Ève et Adam. Il suffit ensuite d’ajouter 7 000 ans à la date du commencement des temps pour avoir celle des Fins dernières !
La chronologie d’Ussher a connu en son temps un énorme succès. Grâce à la marge de 350 années allant de la date de son établissement par notre archevêque à celle de sa réalisation (théorique) à venir, la plupart des chrétiens ont pu s’y référer jusqu’au XXe siècle. Les adeptes invétérés du fixisme en ont d’ailleurs, depuis 1997, établi d’autres.
Une telle croyance accroît évidemment le pouvoir des églises, des sectes, des partis… sur les consciences. Par l’exercice d’une pseudo-maîtrise du temps fondée avant tout sur la crédulité… jusqu’à ce que le temps rattrape l’échéance vainement fixée, bien entendu !
L’idée chrétienne puis musulmane, du Jugement dernier, du Jugement des âmes, est en réalité particulièrement absurde et procède d’un incroyable manque de réflexion de ces religions. Car si l’âme est une partie de Dieu, pour reprendre leurs propres idées, un tel jugement ne pourrait être alors qu’une auto condamnation de Dieu, se déchargeant de ses propres erreurs sur un bouc émissaire en l’occurrence (Satan, le Diable, etc.). Un tel jugement serait en outre inutile et superflu.
Eschatologie musulmane.
Tiré du Coran et des hadiths, le livre de Mohammed Ali Ibn Zubair Ali intitulé « les Signes de Qiyamah » traite de l’arrivée de cet illuminé (le Mahdi). L’origine historique de l’eschatologie islamique est semblable à l’eschatologie chrétienne, l’islam s’étant bâti à partir du judaïsme et du christianisme. Le jour du jugement ou Yawm al-Qiyamah (Jour de la résurrection), Allah (Dieu ou le Démiurge selon les points de vue) ressuscitera les morts, puis enverra les croyants au paradis. Et les mécréants, les incroyants, les non repentants, les malfaisants, les criminels, les corrompus, les druidisants, les païens, en Enfer. Mahomet en ayant parlé avec ses compagnons, certains pensaient que la fin du monde arriverait avec leur propre mort.
L’Antéchrist émergera d’une route située dans une région entre le Cham (actuelle Syrie-Liban-Palestine) et l’Iraq, et commencera d’appeler les peuples à venir l’adorer. Il provoquera de grands troubles ou de grandes tentations (fitna). Les plus nombreux à le suivre seront les juifs, les femmes et les Bédouins. Soixante-dix mille juifs d’Ispahan (dans l’actuel Iran) le suivront dans le monde entier, de même que le vent éparpille la pluie dans toutes les directions. À l’exception de La Mecque et
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Médine, car il sera défendu à l’antéchrist d’y entrer. Il régnera quarante jours. Il ordonnera aux cieux et il pleuvra, il ordonnera à la terre et elle produira de la végétation. Ensuite la terre s’effondrera, le brouillard ou la fumée couvriront les cieux durant quarante jours. Cela se répandra sur toute la terre, ce qui provoquera chez les croyants quelque chose de semblable à un petit rhume, alors que les incroyants, eux, seront frappés beaucoup plus durement. Pour finir, un vent glacial s’abattra sur terre et tuera tous les croyants, ne laissant sur terre que les incroyants, qui seront donc les témoins de la Dernière Heure. L’ange Israfil sonnera la trompette, et la résurrection de tous les êtres humains commencera.
Cet antéchrist sera borgne (c’est-à-dire qu’il aura un œil bon et l’autre abîmé) ; sur son front sera écrit le mot « kafara » (c’est-à-dire Kafir ou incroyant). Mais seuls les vrais fidèles seront capables de voir cette inscription entre ses deux yeux.
Les hadiths rapportent qu’un saint guerrier, le Mahdi, que les chiites duodécimains identifient avec le Muhammad al-Mahdi (leur dernier imam) défendra l’islam contre cet antéchrist. Mais c’est Jésus revenu sur terre qui est censé venir à bout du faux messie en question. Ensuite, Jésus et le Mahdi resteraient sur terre pendant quelques années. D’après certaines traditions, Jésus se marierait, aurait des enfants avant de mourir, revenant ainsi à une nature humaine « normale ».
La plupart des religions de masse monolâtres ont donc des doctrines qui affirment que des membres « choisis » « élus » ou « dignes » de la seule vraie croyance seront « épargnés » ou « délivrés » du jugement et de la colère de Dieu ou du Démiurge, à venir ; et qu’ils seront envoyés au paradis avant, en même temps, ou après ces derniers, en fonction du scénario de la fin des temps qu’elles retiennent.
Aujourd’hui l’ignorance ayant régressé leurs croyances se limitent le plus souvent en l’existence d’un au-delà et en une explication de l’origine du monde.
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RETOUR VERS LE FUTUR.
Opinion individuelle du druide Jean-Pierre Martin sur la cosmogonie druidique.
L’histoire d’une longue vie (d’un cycle) selon les très-sachants est, comme nous venons de le voir, un développement cohérent et continu. Mais l’histoire de l’Homme et du Cosmos ou Bitos de ce cycle est aussi toute entière orientée vers son retour à l’origine d’après Strabon. « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4).
RAPPEL.
La cosmologie druidique repose sur la conception d’un déroulement cyclique de l’histoire du monde, de périodes dans la formation du monde, et de catastrophes cosmiques successives suivies de nouvelles formations du monde.
C’est la même chose, mais à l’échelle cosmique, que ce que nous connaissons ici-bas sur terre. Naissance, vie et mort, formation maintien et extinction. Ou plus exactement petite enfance du monde, enfance du monde, jeunesse du monde, âge adulte du monde, âge mûr du monde, sénilité du monde.
Ainsi que l’a très bien écrit Ausone (sur l’emploi du mot libra) « Divinis humana licet componere ». « Aux choses humaines, on peut comparer les choses divines ».
L’histoire d’une longue vie (d’un cycle) selon les druides est un développement cohérent et continu, avons-nous déjà dit. Le temps est en général considéré sous l’aspect de durée des phénomènes, comme chez les astronomes. On admet de grands cycles se renouvelant éternellement et englobant des groupes de cycles plus petits. Après une fin du monde, l’univers ou bitos se déploie une nouvelle fois.
« Rien ne meurt tout entier, la mort d’un être, c’est la naissance d’un autre et vice-versa ; par une perpétuelle métamorphose et par une alternative admirablement variée, tout aboutit nécessairement à la communion et à la conservation de ce Tout (Pariollon ?) excellent, et, pour ainsi dire, parcourt un cycle éternel. C’est l’opinion que partageait le célèbre enfant chéri des Muses (Musée d’Athènes un philosophe préhomérique), c’est d’un seul élément que tout s’est fait, c’est dans le même Élément que tout se résoudra ». (John Toland. Le Pantheisticon).
Scot Erigène était d’un avis quelque peu différent : l’univers est conçu en quatre catégories différentes, dont l’origine est Dieu et dont le terme aboutit à Dieu. Tous les êtres créés finalement se résorbent en leur créateur. La notion de bien et de mal est abolie, coupables et innocents devant finalement connaître la même destinée.
Il n’y a ni commencement ni fin absolus, il n’y a que des commencements ou des fins relatifs. Toute destruction est suivie d’un nouveau commencement, mais il y a continuité illimitée de l’esprit, alors même que les mondes naissent et disparaissent dans leur déroulement cyclique.
L’esprit vit dans ces dimensions temporelles en une répétition sans fin. L’individu sait que l’espace dont il dispose y est illimité. Il sait en effet que le Pariollon anime non seulement notre terre, notre soleil, mais aussi d’innombrables mondes parallèles. Le Pariollon est comme un Dieu ou Démiurge cosmique. D’innombrables mondes surgissent de lui puis se perdent à nouveau, en lui.
L’univers n’a pas été créé par Dieu ou le Démiurge autrefois en un premier commencement, puis abandonné à lui-même. L’univers est procréé à chaque instant, si bien que l’acte divin de la procréation est constamment à l’œuvre, et Dieu ou le Démiurge ne saurait s’en être retiré dans un quelconque ailleurs, contemplant de sa hauteur une création dont il se désintéresserait. La vision druidique considère le Divin comme immanent au monde, comme une Intelligence Créatrice qui contient en elle-même, perpétuellement, la procréation du monde. Dans l’infiniment proche et certainement pas dans un ailleurs lointain des origines.
CONSTAT.
Science et Histoire des siècles précédents se sont construites contre cette ancienne philosophie païenne, qui consistait surtout en une spéculation sur les cycles ; et depuis saint Augustin la tradition
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chrétienne n’a pas manqué de réfutations de ces cycles réduits à ne plus être que de simples coïncidences.
Il faut remonter aux origines du christianisme pour en trouver les premières traces. Pour marquer la différence entre la foi païenne et les croyances chrétiennes, les Pères de l’Église ont décidé que devaient être abandonnées l’hypothèse de la renaissance et l’interprétation cyclique du temps, croyances qui étaient pourtant admises par les premiers chrétiens. On en trouve des traces très claires, notamment dans les écrits apocryphes. Il était en effet insupportable pour les premiers chrétiens, de penser que le Christ, qui avait tant souffert, devait revenir encore et encore pour sauver l’Humanité. C’était justifier l’insoutenable, admettre la répétition de ce qui engendra toutes les souffrances du Christ et devoir renouveler le Sacrifice. D’où leur réaction quasi instinctive. Non, le Christ est mort sur la croix une fois pour toutes, et l’Humanité a par conséquent été sauvée une fois pour toutes. Dès lors, le temps apparut comme une ligne sur laquelle étaient marqués des événements. La genèse, la chute, la révélation faite à Moïse, la naissance du Christ, la montée au Calvaire, la Résurrection et, dans les temps à venir, l’avènement de la Cité de Dieu (comme le dit saint Augustin). Il fallait alors imaginer avec un « début » du temps, ce qui correspond à la création ex nihilo, c’est-à-dire une « fin » des temps, l’Apocalypse – ce qui n’a de sens que dans une conception du temps sous forme de ligne droite. Une représentation linéaire du temps fut donc posée, en opposition franche avec la représentation cyclique du temps qui prévalait auparavant. Ce qui est assez curieux, c’est que cette représentation du temps comme une ligne a survécu au déclin du christianisme dans la pensée. La plus extraordinaire métamorphose de la représentation linéaire du temps, léguée par le christianisme, n’est rien moins que le mythe du progrès illimité qui vit le jour à l’aube de la technoscience moderne et du capitalisme (ou libéralisme avec économie de marché), conquérant. L’avenir est radieux ! La grande route du progrès s’ouvre toute droite devant nous. Et nous pouvons, ivres d’orgueil, considérer le passé révolu comme une masse de superstitions grotesques. Comme une errance de l’Humanité dans une barbarie heureusement révolue. Voici venir avec la « science » (occidentale), la « technique » (occidentale)…… la « civilisation » (occidentale). Il ne vient pas à l’esprit d’un homme du XXIe siècle, que ce progrès, dans lequel il croit si aveuglément, puisse lui aussi, à tout prendre, n’être qu’un mythe et finalement une idée religieuse.
Car il est certain que si en ce qui concerne les données scientifiques et la technologie, on peut considérer que l’accumulation est possible, en ce qui concerne l’éthique et la morale tout est toujours à sans cesse recommencer. Le progrès technologique est possible, mais le progrès moral non. En matière d’éthique et de morale, l’effet cumulatif que l’on peut observer dans le domaine des sciences et des techniques n’existe pas ! Voir la Syrie de 2013.
Il existe en réalité deux façons de voir les cycles.
La première est celle de l’éternel retour, la seconde est celle de la spirale.
La première hypothèse est très nettement formulée par les stoïciens et fut d’ailleurs reprise par Nietzsche. Platon l’affirmait déjà nettement : le Temps se meut en cercle. Marc-Aurèle a d’ailleurs écrit dans le même sens : « Toutes les choses sont éternellement semblables pour ce qui est de la forme et reviennent en boucle ». Le Temps de la Nature, dans lequel est pris notre temps humain, fait une boucle qui revient perpétuellement sur elle-même, si bien que la Création se répète indéfiniment, comme doit se répéter la Destruction universelle. Bref, l’univers ou bitos est considéré comme éternel, mais il est périodiquement anéanti et régénéré à chaque création. Cette doctrine de la conflagration périodique se retrouve chez Héraclite et dans la pensée stoïcienne chez Zénon. Du coup, dans une perspective cosmologique, ce qui est proprement historique devient finalement relatif. L’actuel, au regard de l’immensité des cycles de la Nature, est bien peu de chose, et s’y attacher serait une erreur. L’essence est dans la perpétuelle venue à soi du même dans le Temps, dans l’Identique. Dans la Nature, rien n’est nouveau sous le soleil, tout se répète à l’infini. Le sage se tient dans l’intemporel. « Quand on voit ce qui est maintenant, on a tout vu, et ce qui s’est passé depuis l’éternité, mais aussi ce qui se passera jusqu’à l’infini ; car tout est pareil en gros et en détail ».
Il est pourtant difficile de croire que le Temps puisse faire une boucle totale et parfaite sur lui-même, et répéter pour l’éternité la suite de ses événements. C’est même plus qu’étrange, c’est insupportable, comme il est insupportable de penser que tout ce que nous avons vécu puisse se reproduire à l’identique indéfiniment, un peu à la façon d’un film qui tournerait en boucle à la télévision. Or c’est pourtant ce que l’on trouve chez les stoïciens. Eudème, paraphrasant Aristote, écrit, quelque trois siècles avant notre ère : « s’il faut en croire les pythagoriciens, les mêmes choses se reproduisent ponctuellement. Vous serez à nouveau avec moi et je réexposerai cette doctrine et ma main jouera de nouveau avec ce bâton et ainsi de suite ». Dans la cosmogonie des stoïciens, l’univers est consumé périodiquement par le feu qui l’a engendré et renaît de ses cendres pour revivre la même histoire. À
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nouveau, les diverses particules séminales se combinent, à nouveau, elles donnent forme aux pierres, aux arbres et aux hommes…
Cette conception n’a sans doute été que partiellement celle des druides, car elle est aux antipodes du thème de la séduction des arrière-mondes de la tradition celtique. Pas de passage transitoire vers un ailleurs, et un au-delà de ce monde, pas de compensation dans un paradis. Seulement le Destin qui implacablement répète ce qui a été jadis écrit.
La deuxième hypothèse est plus nettement druidique. La seconde figure du temps cyclique est en effet non celle du cercle, mais celle de la spirale. L’image de la spirale combine celle du retour circulaire, mais avec, à chaque spire, un léger décalage linéaire.
Comme dans le cas du caducée, les anneaux des serpents représentent alors l’ensemble des cycles de la manifestation universelle. Chaque cycle reflète un état de manifestation ou l’une de ses modalités. La fin d’un cycle coïncide avec le début du suivant, et la mort d’un cycle survient toujours avec la naissance d’un autre. En conséquence, les changements dans les états manifestés peuvent être mesurés le long d’un axe vertical qui traverse chaque anneau ou cycle en son centre, là où tous les aspects propres à l’état considéré sont en parfait équilibre, en parfaite harmonie. Cet axe symbolise la direction de la manifestation de l’Être ou de l’Unité Primordiale.
Tel est le sens de la représentation, souvent mal comprise, de la théorie druidique, dont nous allons donner un aperçu. Car nous avons affaire avec la cosmologie druidique, à une théorie très complexe du temps cyclique qui, loin de se cantonner à un simple récit mythique des origines du monde, livre une analyse mathématique précise. Ce qui frappe en effet, c’est l’immensité des durées envisagées. Ce temps n’est pas le temps historique, mais le Temps de la Nature dans lequel l’Histoire vient prendre place. Ce que nous appelons aujourd’hui l’Histoire n’est ici qu’une très très faible portion du Temps. Un battement de cils dans la respiration de l’infini. Le Temps de la Nature est analysé dans des boucles ou spirales, qui elles-mêmes contiennent d’autres boucles. Il n’y a ici ni commencement absolu du temps, ni une fin absolue, mais une pulsation rythmique de la Manifestation. La Manifestation est un jeu de l’Être avec lui-même, et à chaque lancer de dés, une nouvelle combinaison des possibles advient, reprenant les éléments antérieurs pour les disposer autrement. L’infini joue infiniment avec lui-même. Nous ne sommes donc pas du tout dans la représentation de l’éternel retour de Nietzsche et cependant, le mouvement cyclique du Temps est bel et bien présent. Le Temps ainsi décrit dépasse toute imagination humaine, il enveloppe l’apparition de toutes les civilisations, de leur grandeur, de leur apogée, de leur fin.
Au Moyen-âge sur le Continent, les hommes contemplant la ligne d’horizon de l’Océan pensaient que la Terre était plate 1). Ils ne faisaient donc que juger selon l’apparence de ce qu’ils pouvaient observer. Quand une circonférence est d’une taille aussi considérable que celle de la Terre, l’observateur humain a le sentiment qu’elle est plate. Le même type d’argument vaut pour le temps. La ligne du temps, du point de vue de nos préoccupations humaines, passe pour une évidence. Mais avec une perspective plus large, comme celle de la tradition druidique, nous pourrions percevoir qu’en réalité la ligne du temps est un segment de courbe. La représentation linéaire du temps est une vision myope, une vision à très courte vue.
Dans la vision druidique du temps, le progrès reste néanmoins toujours parfaitement pensable, l’avènement d’une sorte d’Âge spirituel à la Teilhard de Chardin tout à fait concevable… Sauf qu’il ne saurait être question d’un achèvement définitif, éternel. À supposer même qu’un Âge d’or s’ouvre à nouveau à nos yeux, il finirait au bout d’un certain temps par succomber, lui aussi, à sa propre perfection.
Il n’y a pas dans la tradition druidique de véritable contradiction. « L’important n’est pas de renoncer à sa situation historique… mais de garder en esprit les perspectives de la Grande Vie (bituitos), tout en continuant à remplir son devoir dans le temps historique ».
C’est exactement la leçon donnée, à l’autre bout du monde aryen, dans la Bhagavad Gita, par Krishna s’adressant au prince Arjouna. Car après avoir présenté l’immense perspective du Temps cosmique, Krishna n’invite nullement son interlocuteur à quitter les préoccupations terrestres. Arjouna lâche son arc, accablé par la destruction imminente qui va s’opérer dans le combat contre le clan des tyrans qui ont pris le pouvoir, les Kauravas. Il voudrait quitter la scène de l’Histoire. Mais Krishna lui intime très fermement l’ordre d’assumer son devoir, dans le contexte d’une crise au sein de laquelle il doit jouer son rôle. L’action n’attend pas et elle doit être effectuée. Si moi-même je n’agissais pas constamment dit-il, l’univers entier périrait. Relève-toi et agis en accomplissant ton devoir, la destinée, qui est la tienne.
La représentation cyclique du temps n’a donc rien d’une spéculation gratuite. Elle ouvre seulement des perspectives radicalement différentes de la représentation linéaire du temps. Elle est profondément significative. Elle n’a rien d’absurde, de primitif, d’archaïque ou d’infantile. Elle fait partie
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d’un héritage immémorial de l’Humanité, elle est présente dans toutes les civilisations. Elle enveloppe un sens du sacré qui justement fait défaut à la représentation linéaire du temps historique.
1) Alors que les savants d’Irlande, eux, connaissaient déjà, ou toujours, la notion de crundnios (cruinne), c’est-à-dire de globe terrestre. Et que les Grecs avaient mis au point la machine d’Anticythère.
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DOCUMENTS DE TRAVAIL.
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 1
LE POINT DE VUE DE LA PALÉONTOLOGIE.
Singe se dit apa en galate (abanas dans le dictionnaire d’Hésychios). Et si les savants galates connaissaient les singes, ils n’avaient donc pu que remarquer que l’homme ressemble à cet animal. Les figurines en terre blanche des fabriques de l’Allier nous montrent d’ailleurs différents singes habillés comme des humains. Les Romains n’avaient pas d’humour, et les Celtes énormément. Mais en habillant les singes de vêtements usuels, comme la fameuse capuche, le bardo-cucullus, de qui se moquaient-ils ? Du pouvoir ? D’eux-mêmes ? Les Russes sous Staline ont réagi par l’autodérision. Les Celtes de l’Empire romain semblent avoir fait de même.
Thomas Huxley, un anatomiste contemporain de Darwin, a examiné attentivement le squelette de l’homme et celui des singes, et en a conclu que, parmi tous les singes, les deux espèces les plus proches de nous sont le gorille et le chimpanzé. Mais Huxley ne pouvait déterminer laquelle de ces deux espèces est la plus proche de nous ; ce n’est que depuis 1967 que l’on a pu confirmer que c’est le chimpanzé. Voire même encore plus : la génétique a montré que le chimpanzé en l’occurrence est une espèce beaucoup plus proche parente de l’humain que du gorille ! Bien que sur le plan anatomique le chimpanzé ressemble davantage au gorille qu’à l’humain, sur le plan génétique (et donc évolutif), il est notre espèce sœur alors que le gorille est une espèce cousine. L’humain et le chimpanzé (il existe en fait deux espèces de chimpanzés) partagent entre 98 et 99 % de leurs gènes. On en conclut que l’homme ne descend pas du singe : l’homme est un singe nu, dont le plus proche parent est le chimpanzé. Autrement dit, le dernier parmi les singes actuels avec lequel nous partageons un ancêtre commun est le chimpanzé : l’homme et le chimpanzé descendent de ce dernier ancêtre commun, qui reste à découvrir, et aucune autre espèce n’en descend.
L’origine de l’Homme par Cyrille Barrette, spécialiste reconnu du comportement et de l’écologie des mammifères, à l’Université Laval au Québec.
L’Homme s’intéresse à son origine depuis toujours. Dans toutes les civilisations et à toutes les époques, on retrouve des mythes de la création. Cette question intéresse, en plus des auteurs de mythes, les théologiens, les philosophes, et les scientifiques. On se pose les quatre grandes questions existentielles suivantes depuis au moins 2 400 ans.
Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Et où allons-nous, particulièrement après la mort ? Pourquoi existons-nous ?
Contrairement aux histoires mythiques sur l’origine de l’homme, nombreuses et diversifiées, la Science raconte une histoire unique et universelle, partagée par tous les hommes qui adhèrent à sa méthode, où qu’ils se trouvent. Et voici les généralités que la biologie peut affirmer presque avec certitude, sur la nature et l’origine de l’Homme.
1. L’humain est une espèce animale comme les autres. 2. Notre espèce a des ancêtres : elle a émergé à partir d’autres espèces. Tout être vivant actuel est le point final actuel d’une chaîne ininterrompue d’êtres vivants depuis 3,8 milliards d’années. 3. L’émergence de l’humain s’est effectuée sur plusieurs millions d’années (un million d’années = 500 fois 2 000 ans !) 4. Comme c’est le cas pour toutes les espèces, l’émergence de l’Homme est un mélange de sélection naturelle et d’Histoire. 5. Nous sommes plus proches parents de certaines espèces que d’autres.
Ces affirmations sont récentes : il y a 300 ans, on n’aurait pu rien dire de tout cela. Mais aucune réflexion sur la nature humaine ne peut maintenant ignorer ces cinq réalités biologiques.
Que sait-on aujourd’hui de spécifique sur notre histoire, que l’on ignorait il y a 100 ans ?
1. Elle s’est passée en Afrique. 2. Elle commence il y a entre cinq et huit millions d’années. 3. Elle dessine un buisson comprenant un grand nombre de branches plus ou moins apparentées. 4. On connaît aujourd’hui une vingtaine d’acteurs dans cette histoire. 5. On connaît de mieux en mieux les liens de parenté entre ces espèces et entre ces espèces et nous. 6. On sait que notre branche aurait très bien pu ne jamais exister : tant qu’elle n’avait pas émergé, son apparition était à 100 % incertaine.
ÉCHELLE DE JACOB OU BUISSON ?
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Il existe deux façons scientifiques de considérer ce qui s’est produit entre l’époque de notre dernier ancêtre commun et aujourd’hui ; l’une est fausse et l’autre est vraie. D’une manière caricaturale, on peut dire que la première est une échelle de Jacob et la seconde un buisson.
La vision « échelle de Jacob » fut la seule adoptée par tous les chercheurs et penseurs de l’évolution jusque vers 1970. La vision « échelle » de l’évolution humaine est linéaire, ascendante et cumulative : les espèces se succèdent les unes les autres dans le temps, chacune étant un peu moins singe que la précédente, et un peu moins humaine que la suivante.
C’est à partir de cette vision linéaire, partagée par la plupart des grands penseurs de l’évolution de 1850 jusqu’à presque 1975 et fortement ancrée dans la culture populaire, que l’on a inventé la notion de chaînon manquant. Chacune des espèces qui se succèdent dans le temps constitue un chaînon de la série linéaire – de l’échelle – qui mène du singe à l’Homme. Il s’agit de chercher leurs fossiles pour les trouver. L’Homme, bien entendu, occupe le sommet de cette échelle.
Aujourd’hui, presque plus personne n’adhère à cette conception « échelle de Jacob » de l’évolution. À partir de la parution de certains articles scientifiques, en 1971, et en 1972, s’est développée une critique de la vision linéaire de l’évolution, dont l’aboutissement fut le remplacement de cette vision linéaire par la vision en buisson. Car en réalité, l’évolution ne fait pas des lignes, mais des buissons : elle s’étend et se ramifie dans de multiples directions parallèles, foisonnantes et complexes. L’idée de ligne, d’échelle linéaire évolutive, est une construction purement humaine. Cette nouvelle vision de l’évolution s’applique à l’ensemble du monde vivant, y compris notre espèce. Cette nouvelle conception de l’évolution ne remet pas en question les deux théories principales de Darwin : la sélection naturelle, mécanisme par lequel se fait l’évolution ; la théorie de l’ascendance commune.
CLADOGENÈSE ET ANAGENÈSE.
L’étude de la très grande diversité d’espèces apparentées chez trois groupes actuels, les pinsons des îles Galapagos, les mouches à fruits (drosophiles) de l’archipel d’Hawaii, et certains poissons des Grands Lacs africains ; de même que l’étude de la diversité chez deux groupes éteints dont les fossiles sont très abondants, les chevaux et les antilopes ; nous montrent que, dans tous les cas, l’évolution ne dessine jamais des séries linéaires et prévisibles, mais toujours des buissons ramifiés au possible et imprévisibles, comprenant notamment un grand nombre de branches mortes. C’est-à-dire de lignées qui ne sont pas parvenues jusqu’à aujourd’hui.
On en a conclu que dans la majorité des cas, l’origine des espèces n’est pas le produit de l’anagenèse, mais de la cladogenèse.
L’anagenèse est le processus par lequel une espèce se transforme progressivement pour devenir une nouvelle espèce : c’est une transformation linéaire et progressive.
La cladogenèse est le bourgeonnement d’une nouvelle espèce à partir de la population d’une ancienne espèce ; l’ancienne espèce ne se transforme donc pas, mais continue son existence, et de nouvelles espèces peuvent continuer d’en bourgeonner.
Initialement, la notion d’anagenèse fut appliquée autant aux cinquante millions d’années d’histoire des chevaux qu’aux cinq à huit millions d’années d’histoire de l’Homme. Selon l’anagenèse, il n’existe qu’une seule espèce à la fois ; selon la cladogenèse, plusieurs espèces peuvent coexister simultanément.
Or, il n’y a aucune raison pour que la vision « buisson » décrive bien l’évolution des pinsons, des mouches à fruits, des poissons, des chevaux et des antilopes, mais pas celle des humains. Il n’y a aucune raison pour que l’évolution de l’Homme soit linéaire, alors que celle de toutes les autres espèces est buissonnante.
La vision buissonnante a une conséquence qui est loin d’être innocente, et qui constitue la raison principale pour laquelle on lui a opposé une si grande résistance. Cette vision implique que l’émergence de notre espèce, à partir du nœud qui sépare notre branche de celle des chimpanzés, n’était ni inévitable, ni prévisible, ni prédéterminée. L’émergence de l’Homme était totalement incertaine, à l’instar de celle de toutes les autres espèces, et ce, contrairement à ce que nous dit la vision linéaire. Selon la vision buissonnante, nous aurions très bien pu ne jamais exister. À chacune des étapes de notre histoire, notre lignée aurait très bien pu donner autre chose ou encore s’arrêter.
Dans une échelle linéaire, il est facile de prédire ce que sera l’échelon – le chaînon – suivant. Mais dans un buisson, il est impossible de prédire dans quelles directions les nouvelles branches iront, ou si et quand elles mourront.
Les nouvelles espèces qu’une espèce donnée engendrera dans le futur dépendent de deux choses : l’ensemble des caractères et l’ensemble des capacités de l’espèce initiale, qui sont les produits de son
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histoire passée ; l’ensemble des circonstances aléatoires – et donc imprévisibles – que cette espèce va rencontrer dans le futur. Les nouvelles espèces sont donc, elles aussi, imprévisibles. Ce mélange de Hasard et d’Histoire s’appelle la contingence. L’histoire d’une lignée, y compris la nôtre, n’est jamais ni écrite d’avance ni totalement le fait du hasard : la réalité s’avère beaucoup plus complexe. Exemple de contingence : la date de ma mort. Elle n’est ni prédéterminée ni due au hasard, mais elle dépend de mon histoire passée (âge, maladies, blessures, etc.) et de mon histoire future (mode de vie, pratique de sports extrêmes, et ainsi de suite). La date de ma mort est un mélange de hasard et d’histoire. Eh bien, de même, l’histoire d’une lignée, c’est un mélange de sélection naturelle et de contingence.
La vision linéaire et progressive est complètement fausse, même si elle est simple et qu’elle nous plaît. En réalité, l’évolution ne va nulle part en particulier ; cela est vrai de toutes les espèces, y compris de la nôtre.
À partir du nœud qui la sépare de celle des chimpanzés, notre branche n’a pas poussé d’une manière linéaire, mais s’est ramifiée en buisson ; de toutes les espèces apparues dans notre buisson, la nôtre, l’Homo sapiens est la seule ayant survécu jusqu’à aujourd’hui. Si d’autres espèces, comme l’Homo erectus ou l’homme de Neandertal, avaient survécu, nous n’avons aucune idée de ce qu’elles auraient donné aujourd’hui.
L’origine de l’Homme.
On sait de mieux en mieux où et quoi chercher. D’Aristote à 1850, on n’a découvert aucun ossement de préhumain. De 1850 à 1900, on a découvert trois espèces : l’homme de Neandertal, l’homme de Cro-Magnon et l’homme de Heidelberg. De 1900 à 1950, on a découvert trois nouvelles espèces ; de 1950 à 2000, on a découvert quatorze nouvelles espèces. Enfin, de 2000 à 2005, on a découvert cinq ou six nouvelles espèces. La découverte de toutes ces espèces fossiles a sonné le glas de la vision échelle de Jacob : les faits imposent la vision buissonnante pour ce qui est de l’évolution humaine, comme de l’évolution de toutes les autres espèces. On aurait dû savoir cela depuis le début. On aurait dû savoir que notre histoire était le produit des mêmes processus que celle de toutes les autres espèces : un mélange de sélection naturelle et de contingence (aléas de l’Histoire et circonstances). L’idée d’hominisation lancée par Teilhard de Chardin, n’est qu’un mythe, n’est qu’une vision de l’esprit.
Le terme évolution semble indiquer une progression, comme si l’Homme, partant d’une animalité lointaine, avait, inexorablement et de manière continue, avancé vers le stade actuel que l’on nomme aisément « progrès ». Il est de bon ton aujourd’hui (à la différence des premières théories), de replacer cette évolution humaine dans un cadre plus global (évolution de la vie en général), où quantité de scénarios éclosent (notion d’aléatoire ?), certains subsistant et d’autres non.
Les connaissances issues des fossiles découverts doivent beaucoup au hasard. Avant les premières sépultures (vers – 200 000 ans), la mort était souvent peu naturelle, on imagine l’influence des prédateurs sur le déplacement des cadavres, mais il faut compter aussi sur le facteur d’enfouissement. Les os restants sont piétinés, souvent charriés par l’eau ou l’évolution géologique, et leur positionnement actuel n’a plus rien à voir avec celui d’origine. Cela explique aussi que l’on retrouve surtout des dents et des mâchoires, les parties les plus résistantes du squelette.
On peut noter quand même que le premier fossile « singe » a été découvert en 1837, et qu’il constitua la première preuve de la possible lointaine origine de l’Homme. Buffon, en 1749, faisait remonter cette origine à 8000 ans, sans oublier Linné (1758), qui mit au point une première classification du monde naturel, rangeant l’Homme dans le genre homo. Avant cette époque, seuls des restes d’outils étaient disponibles. Tout ce faisceau de présomptions a donc abouti à Charles Darwin (1859), qui confirma le fait que l’Homme n’était pas une création divine, mais le résultat d’une évolution « animale » ayant ses lois. Depuis, les découvertes de fossiles se sont succédé : Neandertal 1856, Cro-Magnon 1868, Pithécanthrope asiatique 1891, Enfant de Taung (australopithèque) 1925… de même que les théories et les datations !
C’est dans les montagnes Rocheuses que l’on a trouvé les traces d’un primate « originel », de la taille d’un gros rat, le purgatorius, daté d’environ 70 millions d’années : à peu près la date de la disparition des dinosaures… Il se nourrit d’insectes (comme auparavant), mais aussi de fleurs et de fruits (c’est nouveau) : lui et ses descendants vont coloniser le reste du monde. Il a 44 dents. La notion de niche écologique est importante, puisque, de ce même animal, vont émerger, selon les endroits et leurs communications, les hommes (Afrique) et (par exemple) les lémuriens.
Comment interviennent les mutations qui ont permis l’évolution d’un gros rat (purgatorius) vers l’Homme ? Les éléments majeurs les favorisant sont le climat et la géologie, à travers l’alimentation qu’ils « suggèrent ». On observe par exemple une corrélation relativement évidente entre les extinctions ou apparitions de certaines espèces, et des phénomènes climatiques importants (exemple : l’extinction de 90 % des espèces, il y a 220 millions d’années). La communication
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géographique (Eurasie – Afrique, il y a 18 millions d’années) permet aussi le transfert d’espèces, qui, une fois séparées dans l’espace, évoluent différemment (le ramapithèque vers l’orang-outan).
Ce n’est que vers 35 millions d’années que l’on trouve des traces de primates supérieurs (32 dents), isolés en Afrique (aegyptopithèque, petit singe égyptien) : d’où l’idée que nous descendons a) du singe b) d’Afrique. Il est de la taille d’un gros chat et a un cerveau de… 40 cm3.
On découvre ensuite le proconsul (cerveau : 150 cm3, on parle alors d’hominoïdes), de la taille d’un chimpanzé, qui profite de la liaison des plaques Afrique-Asie pour se répandre vers 17 millions d’années. Il donnera lui-même naissance à d’autres singes. Par exemple le ramapithèque en Asie (dont la filiation conduit à l’orang-outan), le kenyapithèque en Afrique (15 millions d’années, cerveau : 300 cm3, notre plus probable ancêtre commun singe/homme), et le dryopithèque en Europe.
On est toujours à la recherche de l’ancêtre commun juste avant la séparation, d’une part chimpanzés/gorilles, de l’autre australopithèques/hommes, dont on situe la date entre 10 et 7 millions d’années.
Aujourd’hui, nous savons que les chimpanzés ainsi que les bonobos, sont plus proches de nous que du gorille, puis viennent les gorilles, alors que l’orang-outan est le plus éloigné. Il est donc faux de dire que l’Homme descend du singe, car parmi les singes, certains sont plus proches de nous que d’autres.
Quatre étapes importantes ont mené à la branche humaine.
— Le primate est descendu vivre à terre.
— Il s’est redressé puis a marché debout.
— Son cerveau s’est développé, ce qui a entraîné…
— La CIVILISATION !
Les premiers « hominidés » (7 millions d’années).
Le caractère distinguant fondamentalement les australopithèques des grands singes est leur bipédie quasi permanente (mais il y en a d’autres), bien qu’ils grimpent encore aux arbres et que leur démarche soit « chaloupée ». On observe d’ailleurs des évolutions différentielles du corps : certaines parties (les bras, le cerveau, les membres inférieurs, c’est selon) évoluent séparément, et donnent des espèces « mixtes » (Afarensis possède un « bas » humain, mais un haut « singe »).
Nourriture encore végétarienne. Poids : environ 40 kg. Cerveau : 450 cm3.
Utilisation possible d’objets naturels (pierres ou bâtons) d’un niveau un peu plus élevé que le singe actuel, mais pas de fabrication en vue d’une utilisation précise.
Pas de campement fixe : ils s’arrêtent là où ils sont. Ils vivent en groupe.
Homo habilis : le premier homme (2,5 millions d’années).
Origine : Afrique de l’Est (Olduvai, Tanzanie). Importante crise climatique (sécheresse), qui va sonner le glas des espèces les plus « robustes », tandis que l’homme va se tourner vers l’alimentation omnivore.
Son bourrelet au-dessus des yeux reste encore très marqué. Cerveau : 750 cm3 – Poids : 40 kg. Poursuite de l’évolution bipède (membres inférieurs et pieds plus solides, membres supérieurs plus graciles), mais surtout développement du cerveau (avec peut-être apparition du langage articulé, grâce à une évolution de son système respiratoire et du larynx).
Fabrication intentionnelle d’outils, encore frustres, lui servant à découper la viande et casser les os, et construction d’un habitat volontaire (quoique sommaire : protections circulaires), dans lequel Habilis revient chaque nuit et apporte sa nourriture. Il quitte définitivement la forêt.
Début d’un partage des tâches entre hommes et femmes, permettant d’assurer la cohésion et la survie du groupe. Les relations « familiales » (restons prudents) s’en trouvent affectées. Quand le groupe atteint une trentaine d’individus, il essaime, et l’on date de ces époques les premières migrations ainsi que la conquête du reste du monde (ou presque).
La nourriture est de plus en plus carnée, surtout sous forme de « charogne » (viande et moelle) quand il s’agit de grands animaux.
Il y a peut-être à l’époque sur Terre 150 000 humains au plus.
À la fin du XXe siècle, on s’est aperçu que tous les fossiles en relation avec la lignée humaine avaient été trouvés à l’est de l’Afrique. Voilà pourquoi nous avons pensé que nos origines étaient africaines, puisque, d’une part, les espèces les plus proches de nous dans la nature actuelle, les chimpanzés, vivent en Afrique ; et que, d’autre part, les plus anciens fossiles de notre lignée se trouvaient à l’est de l’Afrique. D’où la théorie suivante : les grandes vallées du Rift africain se sont déformées, il y a six ou sept millions d’années. Les précipitations venant du golfe de Guinée butant sur ce Rift, l’ouest de l’Afrique est resté humide : c’est là que vivront les bonobos, les chimpanzés ou les gorilles, qui ont, eux aussi, évolué. À l’Est, par contre il y a eu moins de précipitations. La forêt s’est transformée en un
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milieu de type mosaïque. C’est là qu’est apparue notre lignée. Au début du XXIe siècle, cette théorie a été confortée par le fossile trouvé au Kenya et âgé de six millions d’années, appelé Orrorin.
Et puis Toumaï a été trouvé au Tchad en 2001. Ce fossile, âgé de 6 à 7 millions d’années, a invalidé la théorie précédente. Aujourd’hui, on ne peut donc plus dire que l’Homme est né à l’Est ou à l’Ouest. En revanche, l’analyse de Darwin, selon laquelle l’Homme serait né en Afrique, est confortée.
Ce qui ne veut pas dire pour autant que les Africains actuels sont les exactes copies de ces lointains ancêtres. Ils n’en sont eux aussi que des formes très évoluées, venues d’ailleurs également. Les plus anciens Africains sont à chercher du côté des Pygmées des Hottentots ou des Bochimans, voire des groupes éthiopiens (Galla, Amhara).
L’origine de l’Homme par Pascal PICQ, paléoanthropologue auteur de plusieurs ouvrages et articles scientifiques tournant autour de la question de « qu’est-ce que l’humain ? ».
L’homme et le chimpanzé ne diffèrent que par 1 % de leur patrimoine génétique. La quête de leur dernier ancêtre commun constitue-t-elle le Graal de la paléoanthropologie humaine ?
Pascal PICQ.
Certainement ! En réalisant que l’Homme descendait du singe, on imaginait des hypothèses, des chimères, appelées « chaînons manquants », moitié grand singe, moitié homme. Aujourd’hui, nous avons abandonné ce concept au profit de celui de « dernier ancêtre commun », qui désigne l’espèce ancestrale à partir de laquelle la lignée qui va donner naissance aux hommes se sépare de celle des chimpanzés.
Orrorin est un bipède accompli, muni de grandes canines. Son fémur est plus apte à la bipédie que celui de Lucie, qui date pourtant de 3 millions d’années. D’où l’idée d’Orrorin se redressant dans la savane. Puis a été découvert Toumaï, qui a une face assez courte, avec de petites canines, comme nous, les hommes. Or il n’est pas certain qu’il ait marché debout. Par conséquent, nous ignorons maintenant si tous les caractères que nous pensions exclusivement humains sont « dérivés », ou « évolués ». Personne ne peut trancher ce débat dans l’état actuel de nos connaissances ; il nous faut d’autres fossiles, notamment les plus anciens.
En fait, nous ne serons jamais capables de reconnaître ce dernier ancêtre commun. Nous ne pourrons jamais reconnaître le dernier ancêtre commun, car il aura non seulement des caractères évoquant les lignées des grands singes et des hommes, mais aussi des traits qui lui seront propres.
Il y a environ 500 000 ans, plusieurs espèces cohabitaient : l’Homme de Neandertal, l’Homo Sapiens, l’Homme de Solo et l’Homme de Flores, en Asie. Pourquoi une seule a-t-elle survécu ?
Pascal PICQ.
Notre lignée a toujours connu un grand succès évolutif, avec de la biodiversité. Mais les âges glaciaires s’accentuant, vers 1,8 million d’années, seule une branche subsistera : le genre Homo, avec le premier « vrai » homme appelé Homo Ergaster. C’est lui qui va sortir d’Afrique. Au même moment, toutes les autres lignées s’éteignent.
Cette branche va sortir d’Afrique pour se déployer en Europe et en Asie. En Europe ses descendants sont devenus les hommes de Neandertal, et ceux d’Afrique, l’Homo Sapiens. Ils sont également devenus des Homo Erectus plus ou moins spécialisés, comme les hommes de Solo, à Java. Il y a 800 000 ans, des Homo Erectus ont en outre fabriqué des embarcations, et se sont rendus sur l’île de Flores.
Il y a 40 000 ans, sur cette terre, il y avait Homo Sapiens – nous – ainsi que les hommes de Neandertal, les hommes de Solo et les hommes de Flores. Il y a 30 000 ans, l’homme de Neandertal disparaît, suivi par l’homme de Solo, il y a 27 000 ans. Il y a 18 000 ans, au moment où nous peignons Lascaux, les hommes de Flores disparaissent à leur tour, si bien qu’il ne reste plus aujourd’hui qu’une seule espèce : l’Homo Sapiens.
Nous appartenons donc à un groupe en voie d’extinction, mais nous avons pu nous redéployer sur la Terre grâce à notre civilisation. Le feu, les outils, les abris nous ont permis d’assurer notre survie, grâce à l’innovation et à l’adaptation technologique.
L’Homo Sapiens, dans sa forme moderne, a pris une place de plus en plus importante sur Terre. Mais il y a 60 000 ans, nous n’aurions pu imaginer cette suite de l’Histoire. En effet, les hommes de Cro-
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Magnon et de Neandertal étaient contemporains au Proche-Orient et avaient les mêmes pratiques techniques et culturelles. Dès lors, qu’est-ce qui a fait que Neandertal a disparu et pas nous ?
Pascal PICQ.
Notre espèce Homo Sapiens apparaît il y a 200 000 ans ; c’est l’Homme moderne ou Homo Sapiens sapiens qui a environ 40 000 ans. La durée de vie des espèces chez les mammifères est en moyenne d’environ un million d’années. Avons-nous encore un blanc-seing de 800 000 ans devant nous ? Cela relève de notre responsabilité collective. Nous parlons de plus en plus, aujourd’hui, du post-humain. Depuis le néolithique, avec l’invention de l’agriculture, les hommes ont joué sur la variabilité que produit la nature. Ils sont aujourd’hui capables, non pas uniquement de sélectionner à partir de ce que produit la variabilité naturelle, mais aussi de travailler sur les processus mêmes qui produisent cette variabilité : les manipulations génétiques. Peut-on aller contre cela ? Francis Fukuyama pense que la nature humaine est une « bonne fée », qui fera que l’on corrigera nos défauts. Pour ma part, j’ai l’impression que l’on joue aux apprentis sorciers. Nous ignorons les conséquences qu’auront ces manipulations.
Un jour, un représentant de Monsanto m’a dit que j’étais anti-OGM. Je lui ai répondu : « Non, je ne suis ni pour, ni contre, mais quand vous me dites que les OGM vont sauver de la faim dans le monde, vous vous moquez de moi, car nous pouvons déjà nourrir tout le monde sur cette planète. De plus, les OGM, même s’ils peuvent aider à cela, ne pourront jamais pallier les égoïsmes, la corruption, et les inégalités, que les hommes produisent sur la Terre. Il s’agit donc d’un problème d’humanité, de philosophie et d’éthique, et pas seulement scientifique et technique ». Excellente objection que l’on peut également adresser au philosophe Marek Halter.
Les paysans qui refusent les OGM seraient, selon lui, des nantis. Ce maïs pourrait servir à nourrir ceux qui ont faim… Que de contre-vérités ! C’est au contraire pour une part la surproduction du Nord, liée à l’agriculture industrielle et aux subventions qui vont avec, qui est responsable de la ruine des paysans du Sud. Monsieur Halter, j’ai beaucoup de respect pour ce que vous avez fait ou écrit, sur ce que vous connaissez. Alors de grâce, évitez de gâcher tout en devenant un perroquet qui ne sait que répéter, sur ce que vous ne connaissez pas, les slogans des spéculateurs que vous dénoncez. Vous pensez que la colère est source de jeunesse ; faites qu’elle ne soit pas source d’ignorance.
Peut-on admettre le clonage pour la suite de l’Humanité ? Certains pensent que oui. Pour ma part, je dirai que les manipulations génétiques jouent sur certains gènes, mais que l’environnement, lui, est un facteur agissant énormément sur l’évolution. Le clonage n’est qu’une donnée parmi un ensemble d’éléments beaucoup plus complexes, qui font interagir, dès la naissance, un individu avec son environnement. Nous ne pourrons jamais nous reproduire à l’identique, car l’environnement du cloné n’est pas celui du cloneur : c’est bien ce qui fait la vie !
Quant à l’avenir de l’homme, il va dépendre de la manière dont nous pourrons partager la notion de progrès qui s’est développée en Occident au cours du XXe siècle. L’hominisation et le progrès ont été pensés comme des « lois » ou des « processus » universels, comme allant de soi ou tout au moins inéluctables. En fait, c’est comme l’évolution, avec toutes ses contraintes et ses incertitudes.
Abordons maintenant la relation entre l’Homme, le progrès, la science, et l’avenir de l’espèce humaine. Selon Francis Fukuyama, l’évolution mène nécessairement vers plus de complexité, de progrès, de perfection. La question de la suprématie technologique de l’Homme sur la nature se pose aujourd’hui. Mais l’espèce humaine, capable de dominer les forces de la nature, comme aucune autre espèce avant elle, se trouve aujourd’hui menacée par sa propre puissance. Face à cette situation inédite, ne serait-elle qu’un paradoxe de l’histoire de la Vie ?
Pascal PICQ.
Nous ne sommes pas un paradoxe : nous faisons partie de l’histoire de la Vie. Mais si la vie repartait dans les mêmes conditions initiales sur Terre, elle serait tout autre. Il n’y aurait pas d’hommes, de dinosaures ni de mouches, mais d’autres formes de vie.
Qu’est-ce que la complexité ? L’homme a des rapports complexes au monde, mais notre génome n’a que 30 000 gènes, bien moins que le grain de riz. Quantitativement, il est donc plus simple, mais c’est dans son expression, sa grammaire, qu’il devient complexe. Le terme de complexité s’avère donc quelque peu ambigu. Ce sont les fonctions qui sont complexes, et pas nécessairement les structures.
Je pense par conséquent que l’Occident ne doit pas être arrogant ni méprisant, vis-à-vis des autres populations humaines. Simplement, nous avons développé d’autres capacités, par nos études, nos
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cultures, nos techniques. Nous ne détenons pas tout le savoir. Nous avons fait des choix au cours de notre histoire.
L’idée que la vie a toujours survécu malgré les catastrophes, ne délivre-t-elle pas un blanc-seing pour l’exploitation de la planète ?
Pascal PICQ.
Il s’agit d’un vrai problème. Les néo-créationnistes acceptent l’idée qu’il y ait eu cinq grandes catastrophes naturelles dans l’histoire de la Terre, mais ils soulignent que la vie a toujours continué. Traduction dans leur rapport au monde : on peut continuer à exploiter les ressources mises à notre disposition par la Providence, par la Terre, parce que quoi qu’il arrive cela pourra continuer.
J’ajoute, pour ma part, que la vie continuera effectivement, mais pas du tout avec les mêmes acteurs. Le fera-t-elle avec ou sans nous ? La sixième extinction est en cours. Elle est causée par l’Homme et elle se révèle extrêmement rapide, des milliers d’espèces disparaissant chaque année. Il faut changer notre rapport au monde. C’est cela, l’hominisation : une prise de conscience permanente.
L’hominisation, ce n’est pas cette conception aussi arrogante qu’anthropocentrique de l’histoire de la vie ; ce n’est pas un état de grâce, une « liberté » dénuée de responsabilité. C’est une réflexion, une prise de conscience permanente sur notre condition humaine et notre relation avec la nature, notre nature. L’hominisation, cela commence maintenant, et cela ne s’arrête jamais.
Le concept de développement durable peut se définir comme suit : un développement répondant aux besoins des générations présentes, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Le développement durable, fondé sur l’équilibre entre croissance économique et écosystème, pourrait-il constituer cette occasion unique de redonner un sens au progrès ?
Pascal PICQ.
Le développement durable est un changement important de paradigme. En effet, la vision du progrès laissait entendre que le passé de jadis était moins bien que le présent, et que l’avenir serait mieux qu’aujourd’hui. Cela ne va plus de soi, même si le débat n’est pas simple.
Pour la première fois de l’Histoire, avec la notion de développement durable, une génération se préoccupe de l’avenir, des générations suivantes. Elle ne considère plus que son bien-être va continuer à croître indéfiniment et que, forcément, la génération suivante pourra subvenir à ses besoins grâce à cela.
Mais ne soyons pas naïfs : toute espèce a une action sur l’environnement. Même nos actions les plus conscientes possibles, pour maintenir l’avenir des générations futures impliqueront de puiser dans les ressources naturelles. Il reste à savoir comment le faire au mieux. Il nous faut savoir comment préserver les ressources non renouvelables, et mettre en place de nouvelles ressources, en sauvegardant au mieux les chances des générations futures. Mais pour cela, il faut une réelle prise de conscience, au quotidien. Et il faut faire vite : nous avons une génération pour tenter de sauver ce qui peut l’être.
La science admet ne rien pouvoir dire sur la question du sens de l’existence ni sur celle de la vie après la mort ; mais elle a beaucoup de choses à dire sur les questions de la nature et de l’origine de l’Homme. Ces deux questions sont en fait deux aspects d’une même réalité : la question de l’origine concerne les circonstances qui ont fait se mettre en place les caractéristiques de la nature humaine.
La science se distingue de toutes les autres approches visant à répondre à ces questions, en ce qu’elle est soumise à un maître sévère, indomptable, sans pitié, cruel et invincible : la réalité ! Le moindre Fait peut faire honte à la plus grande des théories. Mais ce maître n’a aucune prise sur toute histoire construite à l’extérieur de la science ; ces histoires sont donc libres de raconter n’importe quoi ou son contraire… et ne s’en privent pas. Elles ne peuvent donc pas toutes être vraies simultanément ; et probablement d’ailleurs qu’aucune n’est vraie. Mais elles sont reçues par un très vaste public motivé par son désir de croire. Par contre, les histoires racontées par la Science sont les seules qui ont une chance d’être vraies. La Science tend de plus à améliorer ses histoires pour les faire s’approcher de plus en plus de la vérité.
Cyrille Barrette et Pascal Picq.
Certains nient l’existence des races chez l’humain. L’une des façons de définir le concept de race, chez l’humain, est de comparer la diversité génétique que l’on retrouve entre les individus appartenant à une même race, à celle que l’on retrouve entre les races ; la diversité étant plus grande à l’intérieur
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des races qu’entre les races, on en conclut que le concept de race ne s’applique pas à l’humain : les races, chez l’humain, n’existent pas.
En revanche, si l’on considère les mêmes critères chez l’humain que chez les autres espèces, c’est-à-dire les caractères anatomiques (taille, couleur du plumage ou du pelage, etc.) ; alors, il est évident que l’on va voir différentes races dans l’espèce humaine.
Enfin, si l’on considère l’importance des races dans les relations sociales, notamment au niveau de l’appariement des personnes, on ne peut en nier l’existence.
De toute façon, l’idée même de supériorité ou d’infériorité pose un autre problème. En effet, en fonction de quel critère décider qu’un groupe humain est supérieur ou inférieur à un autre ? Va-t-on mesurer l’infériorité/supériorité par les performances athlétiques (et lesquelles : endurance, résistance, précision…) ; les capacités intellectuelles (et là encore lesquelles : imagination, apprentissage, mémoire…) ; ou encore la résistance aux infections, la fécondité, ou bien la coopération et l’altruisme ? En fait, la théorie de l’évolution implique clairement que la supériorité n’a aucun sens absolu, mais seulement un sens relatif à un certain contexte. Contexte qui peut être bouleversé par l’introduction d’une nouvelle espèce. Ou, chez l’Homme, d’une nouvelle technique ou d’une nouvelle conception sociale.
Il existe deux grandes hypothèses pour expliquer la distribution géographique des humains.
1. Le multi-régionalisme. L’Homo erectus serait sorti d’Afrique il y a un million et demi d’années. Certains groupes seraient allés en Europe, d’autres en Chine, d’autres en Asie du Sud et du Sud-est ; d’autres enfin seraient restés en Afrique. Cette théorie suppose que toutes ces populations d’Homo erectus se seraient ensuite développées, en parallèle, en Homo sapiens légèrement différents les uns des autres. Il existe des variantes de cette hypothèse : les populations d’Homo sapiens se seraient développées, ou bien en demeurant isolées les unes des autres, ou bien en se mélangeant les unes aux autres. L’une ou l’autre de ces variantes aurait donné, aujourd’hui, une seule espèce avec une grande diversité. Cette hypothèse est acceptée par seulement une très petite minorité de chercheurs.
2. La vision la plus répandue aujourd’hui est celle-ci : Homo sapiens aurait émergé une seule fois et en un seul endroit, en Afrique (on ne sait pas exactement à partir de quel ancêtre ; ce pourrait être Homo habilis, une forme d’Homo erectus, etc.), puis aurait migré hors d’Afrique et aurait repoussé Homo erectus, qui était déjà là, ainsi que l’homme de Neandertal, qui occupait l’Europe et a transmis aux Blancs un certain nombre de ses caractéristiques. Couleur de la peau et des yeux, mais aussi certaines maladies, ce dont ils ne se vantent pas. Jusqu’à 15 % de leurs gènes.
Selon cette hypothèse, nous sommes tous Africains. Homo sapiens se serait ensuite diversifié dans différents milieux, sans se mélanger à Homo erectus. Les races seraient donc le produit de l’adaptation d’une seule et même espèce, Homo sapiens, à des conditions écologiques différentes.
Comment l’Homme va-t-il évoluer ? L’évolution par sélection naturelle est toujours imprévisible. Même avec un vrai buisson, il est impossible de prédire quelles seront les branches qui émergeront à partir des bourgeons. De plus, le buisson est un modèle très simplifié de la réalité de l’évolution. Toutefois, l’humain possède une caractéristique exceptionnelle : il est à l’abri de la sélection naturelle. Il est donc très probable que nous n’évoluerons plus sur le plan biologique ; mais, bien entendu, nous continuerons d’évoluer sur les plans culturel, scientifique, technologique… Nous n’avons d’ailleurs pratiquement pas évolué sur le plan biologique depuis 100 000 ans : nous avons le même corps, et notamment le même cerveau, que Cro-Magnon.
Les visions de la science-fiction qui montrent l’humain du futur avec une grosse tête et un gros cerveau ne sont pas plausibles. Car pour que cela arrive, il faudrait : 1) qu’il y ait une diversité, dans la population, quant à la taille du cerveau (ce qui est vrai) ; 2) que cette diversité anatomique corresponde à une diversité génétique (ce qui est également vrai : la taille du cerveau est déterminée génétiquement) ; 3) qu’il y ait une corrélation entre le succès reproducteur et la taille du cerveau… ce qui n’est pas vrai. Les gens qui ont une grosse tête ne font pas, en moyenne, plus d’enfants que ceux qui en ont une petite. Égoïsme des intellectuels comme l’avait remarqué Barrès ou rôle des femmes, peu importe !
Un autre exemple est celui des dents de sagesse *: celles-ci ne disparaîtront pas, et la faute en incombe aux dentistes ! En effet, les troisièmes molaires étaient en train de disparaître : un certain nombre d’humains n’ont pas de dents de sagesse, ou en ont seulement une ou deux, ou en ont qui n’émergent pas des gencives. Notre mâchoire ayant rapetissé, les dents de sagesse n’ont plus assez de place. Avant la venue de leur extraction par les dentistes, ceux qui en avaient, souffraient d’abcès ou d’autres problèmes, ce qui entraînait une moins bonne santé, donc, une longévité plus courte. Ces gens faisaient donc ainsi, en moyenne, moins d’enfants : la sélection naturelle était en train d’éliminer leurs gènes de l’espèce humaine. L’extraction des dents de sagesse a arrêté ce processus.
La seule façon de faire augmenter la taille du cerveau, d’éliminer les dents de sagesse, ou encore le petit orteil, ou de modifier quelque caractère que ce soit (mais à condition qu’il soit déterminé
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génétiquement) ; serait de faire de la sélection artificielle avec nous-mêmes comme nous le faisons avec nos animaux et plantes domestiques. C’est-à-dire qu’il faudrait contrôler qui se reproduit et qui ne se reproduit pas.
Compte-rendu rédigé par Daniel Fortier, professeur de physique au collège Lionel-Groulx (Sainte-Thérèse, Québec).
* La dent que Vindos/Finn touchait avec son pouce pour avoir des intuitions dignes d’être d’un voyant.
Note de la Rédaction. Comme dans le cas de l’incitation au métissage universel, obligatoire ou rendu politiquement souhaitable, donc ! Mais ce serait là une mentalité d’éleveurs de chevaux !
Nous préférons également éliminer du compte rendu de cette conférence une prédiction de l’auteur qui n’a pas lieu d’y figurer : « On prévoit qu’avant la fin du XXIe siècle, la majorité de la population d’Europe occidentale sera musulmane ». Une telle prédiction n’a rien à faire dans une étude sur la spiritualité druidique, et de toute façon, cette régression n’aura pas lieu si le bon sens l’emporte *. Notre rôle est bien d’éclairer l’Humanité, de la désaliéner autant que faire se peut, et non de la faire reculer dans l’obscurantisme au nom… au nom… au nom de quoi au fait ? ?
L’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD. est inférieur, et même inférieur, au druidisme voire au christianisme ! Il n’existe pas, par exemple, dans la religion musulmane (Coran hadiths Sira et Charia Fiqh Madhahib) ; d’équivalent des paraboles de la femme adultère (christianisme-évangile) ou de la femme de Partholon (druidisme : livre des conquêtes irlandais). Ni d’équivalent de la loi réprimant plus durement le crime commis contre un étranger, que celui qui est perpétré contre un de ses compatriotes (ou coreligionnaire donc par définition à l’époque, cf. le druidisme selon Nicolas de Damas : recueil des coutumes extraordinaires) ; voire encore de la parabole du bon Samaritain (christianisme-évangile). Sans compter que les druides antiques également (ils étaient homophonon selon Diodore de Sicile, livre V, 31) parlaient, eux aussi, la langue divine par excellence (kalâm nafsî. Mais il est vrai que les moutazilites reconnurent que le Coran n’était pas incréé. Dont acte !)
Par contre, ce qui est certain, et là, nous sommes entièrement d’accord avec cet auteur, contrairement à une idée répandue, le créationnisme progresse un peu partout dans le monde. Les écoles françaises ont par exemple reçu dernièrement (en provenance de Turquie) un livre richement illustré présentant le créationnisme comme une alternative possible à la théorie de l’évolution. Partout dans le monde en effet, mais pour des raisons différentes, des individus se trouvent un ennemi commun en la personne de Charles Darwin.
* Il est vrai qu’avec les gens de médias que nous avons ce n’est pas gagné !
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 2.
LA VISION TEILHARDIENNE DE LA FIN DU MONDE (CONDUISANT À LA FIN DE L’HISTOIRE,
MAIS AUSSI À L’ANÉANTISSEMENT DU COSMOS).
L’Homme n’est pas le résultat d’une évolution linéaire qui mènerait directement de la matière vers lui. Mais il est le résultat d’un « tâtonnement » de la vie.
L’histoire de la vie est conçue comme une recherche et le hasard apparent n’est que la pression de la Vie vers plus d’adaptation.
— Le tâtonnement, chez Teilhard de Chardin, est sa manière de rendre compte du hasard dans l’évolution naturelle. Plutôt que de prétendre que le hasard n’existe pas, Teilhard l’intègre dans une représentation plus large selon laquelle la Vie – mot clé de sa pensée – tend par expérimentation vers des états de plus en plus complexes et de plus en plus conscients. Pour mieux s’adapter au milieu.
— La tension n’est pas linéaire, toute droite : elle est faite d’essais ou d’erreurs. Rien n’est jamais joué d’avance…
Teilhard nous dit que l’histoire de la Vie est jonchée de cadavres et d’échecs. Mais il ajoute : cependant la vie a toujours triomphé !
Avec l’apparition de l’Homme, c’est-à-dire d’une conscience réfléchie, les cartes vont être brouillées. Alors que le vivant tâtonnait dans toutes les directions pour mieux s’adapter à l’environnement et à l’adversité… Le destin de l’Homme devient objectif et analysable par la conscience humaine.
L’avenir n’est plus alors une simple question de tâtonnement inconscient ou de poussée déterministe, mais de responsabilité. Ce n’est pas en regardant les origines que l’on comprend l’Homme et la sphère de la pensée, mais en scrutant son déploiement et son avenir. L’Homme, en toute liberté, peut briser ou arrêter l’évolution, voire régresser… [Tel est d’ailleurs la grande crainte de l’auteur de cette compilation, la récente expansion de l’islam ou du fondamentalisme chrétien lui inspire les plus vives inquiétudes].
Second principe qui doit guider notre analyse du déploiement de la Noosphère.
Si fascinant soit-il, le problème des origines, même solutionné dans le détail, ne résout pas le problème humain. Nous avons parfaitement raison de considérer la découverte des hommes fossiles comme une des lignes les plus éclairantes et les plus critiques de la Recherche moderne. Il ne faudrait pas cependant nous illusionner pour autant sur les limites, en tous domaines, de cette forme d’analyse qu’est l’embryogenèse. Si, dans sa structure, l’embryon de chaque animal est fragile, fugace, et par suite, dans le passé, pratiquement insaisissable, combien plus encore, dans ses traits caractéristiques, est-il équivoque et indéchiffrable ! Ce n’est pas dans leurs germes que les êtres se manifestent, mais dans leur épanouissement. Pris à leur source, les plus grands fleuves ne sont que de minces ruisseaux. Ce n’est donc pas en se regardant vers l’arrière que l’on peut comprendre l’énigme du phénomène humain !
Teilhard ne condamne pas pour autant les recherches des paléontologistes, loin de là, puisqu’il en était lui-même un… mais il estime que les paléontologistes et les biologistes n’en voient qu’une dimension…
Les êtres se manifestent et ne se comprennent véritablement que dans leur épanouissement avons-nous dit. Pour saisir l’ampleur vraiment cosmique du phénomène humain, il était nécessaire que nous en suivions les racines, à travers la Vie, jusqu’aux premiers enveloppements de la Terre sur elle-même. Mais, si nous voulons comprendre la nature spécifique et deviner le secret de l’Homme, il n’est pas d’autre méthode que d’observer ce que la réflexion a déjà donné, ainsi que ce qu’elle annonce.
Bref, Teilhard de Chardin nous invite à concilier deux positions apparemment contradictoires…
a) D’une part, l’Homme n’est qu’un rameau de plus dans l’arbre de la vie. C’est un animal, proche cousin des singes. Position de la plupart des scientifiques et des philosophies naturalistes.
b) D’autre part, le phénomène humain est irréductible au genre animal : il y a quelque chose en lui d’unique.
COMMENT CONCILIER LES DEUX ?
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— La position (a) correspond à l’observation des origines, des germes.
— La position (b) correspond à l’épanouissement et au déploiement de la Noosphère.
En ce sens, Teilhard de Chardin nous oblige donc à penser dans la durée et non dans l’instantané
Toutefois, rien n’est joué d’avance : la possibilité d’un échec de l’évolution aboutissant à l’Homme existe…
Deux questions peuvent alors se poser.
— Les échecs de l’aventure humaine seront-ils limités historiquement et géographiquement, comme dans l’évolution végétale et animale, qui laisse derrière elle de nombreux cadavres ? Et dans ce cas, l’histoire humaine parviendra à un accomplissement définitif…
— Ou l’aventure humaine peut-elle s’effondrer complètement, à la suite d’une sorte de suicide collectif ?
Pour cette dernière question, relire sa réflexion sur l’absurdité du monde. Teilhard ne croit nullement à un cataclysme cosmique proche. Puisque le vivant a produit une nouvelle espèce capable d’affronter plus efficacement l’adversité ainsi que l’adaptation au milieu, il estime que l’ingéniosité humaine parviendra toujours à se sortir des situations les plus risquées…
La nature cosmique de l’Homme.
L’Homme est un être cosmique et non pas « une cire vierge » sur laquelle on peut écrire tout et n’importe quoi. Ses lignes de croissance sont biologiquement définies. En tant que personne, c’est-à-dire en tant que tout, membre du Tout cosmique, l’être humain a le devoir fondamental de se perfectionner, de se personnaliser, dans le sens de l’Évolution qui le porte ; c’est-à-dire de l’origine spirituelle à l’aboutissement spirituel. C’est l’évolution qui permet de distinguer le Juste de l’Injuste, de dire ce qui est véritablement Droit.
La Loi de l’Évolution.
Pour Teilhard, l’Univers n’est pas un Ordre, mais un Processus. Rien n’est immuable dans l’univers, « La nature est devenir ». La « dérive universelle » est au cœur du Temps et de l’Espace. Tout évolue, se transforme, et se complexifie, dans un processus de cosmogenèse total.
Le processus, c’est l’Hominisation, l’évolution du phénomène humain, du préhumain à l’ultra humain, par spiritualisation de la Matière. La Loi de l’Évolution, c’est la loi profonde de la montée de l’énergie cosmique, qui culmine dans l’énergie humaine.
La Morale de l’Évolution cosmogénétique.
L’objectif est la fusion de tout dans le Tout. Le moyen en est l’Hominisation, et ne peut résulter que du dynamisme de la socialisation, qui est force, et non du statisme social. Le Juste, c’est-à-dire le Droit, est de permettre le plein développement de la force de socialisation. Est injuste, tout ce qui limite la force socialisante et donc personnalisante.
La disparition du droit moderne.
Le droit moderne, qui est injuste, disparaîtra. Toutes les lois morales et juridiques du monde moderne seront absorbées par l’Évolution cosmogénétique. Le droit libéral sera remplacé par « l’énergie psychique universelle ». Par une socialisation progressive et croissante, l’organique se substitue au juridique.
Par le développement et la montée de la spiritualisation, l’ajustement du Un au Tout devient automatique, parce que nécessaire. Pour qu’il en soit ainsi, eh bien il suffit de laisser jouer la nature essentiellement biologique des lois morales et sociales, qui universalise, « organicise », et automatise, la responsabilité…
L’avènement de l’Homme marque un palier entièrement original, d’une importance égale à ce que fut l’apparition de la vie ; et que l’on peut définir comme l’établissement sur la planète, d’une sphère pensante, surimposée à la biosphère : la noosphère.
Nous commençons seulement à réaliser… que l’Homme occupe une position clé, une position d’axe principal, une position polaire dans le Monde. Si bien qu’il nous suffirait de comprendre l’Homme, pour avoir compris l’Univers. Tout comme l’Univers resterait incompris, si nous n’arrivions à y intégrer, de façon cohérente, l’Homme tout entier, sans déformation. Non seulement avec ses membres, mais avec sa pensée.
* N.D.L.R. Ausone : « « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines ».
Au commencement, la complexification…
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Il y a lieu de reconnaître dans la Vie l’expression d’un des mouvements les plus significatifs et les plus fondamentaux du Monde autour de nous ; non pas en vertu de quelque option sentimentale ou gratuite, mais par un faisceau de solides raisons qui se découvrent immédiatement. Pour peu que l’on s’avise du lien, structurel et intime, rattachant « l’accident vital » à l’énorme et universel phénomène (si évident, et cependant encore si peu compris !) de la complexification de la Matière…
Abandonnée à soi, indéniablement, une partie de l’étoffe cosmique, non seulement ne se désagrège pas, mais encore, par une sorte de fleur d’elle-même, se met à vitaliser. Si bien que, en plus de l’entropie (par quoi se dégrade l’énergie) ; en plus de l’expansion (par quoi se déploient et se granulent les nappes de l’Univers) ; en plus des attractions électriques et gravitationnelles (par quoi s’agglomère la poussière sidérale) ; force nous est désormais (si vraiment nous voulons couvrir l’expérience et appréhender tout le phénomène) de considérer ou d’admettre ; animant la masse totale des choses ; un courant constant, pérenne, de « complexification qui intériorise ». Le même Univers s’enroule et se centre du très simple à l’immensément compliqué ; ici et là le mouvement s’accélérant (comme dans une sorte de fuite en avant) au lieu de ralentir. On peut parler aussi de passage du Non arrangé à l’Arrangé…
Si, d’une manière ou d’une autre, notre Monde est vraiment quelque chose qui s’arrange, alors nous comprenons mieux que la Vie ne puisse plus être regardée dans l’Univers comme un accident superficiel ; mais que nous devons l’y considérer comme exerçant une formidable pression partout – prête à sourdre n’importe où dans le Cosmos par la moindre fissure. Et une fois sortie, incapable de ne pas utiliser toute chance et tout moyen pour arriver à l’extrême de tout ce qu’elle peut atteindre, extérieurement de complexité, intérieurement de conscience…
Ce qui, en chaque point et à chaque instant, définit et mesure l’enroulement (arrangement) de l’Univers, c’est, par définition, le degré de vitalisation atteint par la Matière au point et au sommet considérés. Mais ce n’est pas tout ! Ce qui derechef, faut-il ajouter, définit et mesure la vitalisation d’un corpuscule donné, c’est son degré d’intériorisation, ou « tension psychique » (conscience, culminant chez l’Homme en liberté). Puisque, avons-nous reconnu plus haut, les deux variables sont étroitement liées. Qu’est-ce à dire, sinon que, s’il y avait par chance dans le vivant une partie (un certain organe) plus spécialement connectée avec le développement psychique de l’être ; c’est la complexité de cette partie seule (le reste ne faisant que troubler les mesures !) qui pourrait, et qui devrait, être employé, pour apprécier le degré de corpusculisation atteint par le vivant examiné. N’ai-je pas nommé ici le système nerveux ? s’exclame alors Teilhard…
L’auteur énumère ensuite longuement les résultats des recherches sur l’évolution du système nerveux et du cerveau chez les mammifères, anthropoïdes, primates… depuis les temps les plus anciens.
En fait, une fois reconnu que, chez les vivants supérieurs, c’est le degré de cérébralisation qui mesure la vraie complexité (c’est-à-dire l’état quasiment absolu de vitalisation) des êtres ; c’est presque un truisme de décider que c’est par les Primates, et plus spécialement par les Anthropoïdes, que passait sur la Terre, avant l’Homme, l’axe principal du mouvement cosmique de corpusculisation, ou formation d’individus délimités, mobiles et autonomes.
L’Homme, le pas de la Réflexion.
Ce qui explique la révolution biologique causée par l’apparition de l’Homme, c’est une explosion de conscience.
Le Père Teilhard précise ici, en note, que le groupe humain se comporte fonctionnellement comme une « inflorescence » terminale unique sur l’Arbre de la Vie. Il remarque aussi : effet supérieur de corpusculisation, la Noosphère, ultime et supérieur produit, chez l’Homme, des forces de liaison sociale, ne prend un sens plein et définitif qu’à une condition. C’est qu’on la regarde, dans sa totalité globale, comme formant un seul et immense corpuscule, où s’achève, après plus de six cents millions d’années, l’effort biosphérique de cérébralisation. Puis il insiste à nouveau sur le fait que le processus a demandé une grande durée. Pour parler de socialisation, il a fallu qu’il y ait un grand nombre d’individus.
Effets d’orthogenèse.
Par « orthogenèse » au sens le plus étymologique et le plus général du terme ; il faut entendre la dérive fondamentale suivant laquelle l’Étoffe de l’Univers se comporte à nos yeux comme se déplaçant vers des états corpusculaires toujours plus complexes dans leur arrangement matériel ; et, psychologiquement, toujours plus intériorisés. Dérive directement inscrite, dans une concentration croissante du système nerveux.
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REMARQUES DE TEILHARD DE CHARDIN SUR CE MOMENT DE NOTRE HISTOIRE.
Si l’on regarde vers l’infiniment petit, le nombre et l’indifférence des particules élémentaires semblent effrayants. Si l’on regarde en arrière à la naissance du monde, on entre dans un tourbillon d’énergie au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, où seul le hasard, les sauts aléatoires, semblent diriger toute ébauche d’évolution. Et même, si l’on se penche sur le monde du vivant, on voit que l’Homme paraît n’être qu’une espèce animale de plus. À l’échelle du temps, l’apparition de l’Homme, il y a trois millions d’années, ne semble être qu’un souffle éphémère et bien fragile…
MAIS, note Teilhard de Chardin…
— Pour que la conscience émerge, il faut que la nature expérimente toutes les voies possibles.
— Et les possibilités ou les fonctionnalités de la conscience dépendent de la complexité organique. Il n’existe pas de conscience dans un univers simple.
— Si l’évolution, dont les lois de la vie reposent sur l’adaptation au milieu, a permis l’apparition de l’Homme, c’est que l’Homme porte en lui-même les meilleures garanties d’adaptation.
— Dès que la conscience est apparue sur Terre, elle a recouvert l’ensemble de la Planète : une nouvelle ère a commencé… La Noosphère est la sphère pensante qui couvre notre Terre : elle fait suite à la « Biosphère » qui représente la couverture vivante à la surface du globe.
De même que la Biosphère semble ne former qu’une unité globale, mais organisée en de multiples rameaux et en de multiples espèces ; de même la Noosphère – dont on ne peut comprendre le sens que dans l’avenir – va tendre vers une unité organique plus puissante que la Biosphère, parce qu’elle répond mieux au milieu…
Depuis que s’est posé le problème scientifique des origines humaines – depuis qu’une équipe grossissante de chercheurs s’acharne à fouiller le passé à son point initial d’hominisation – je ne puis trouver une formule plus expressive que celle-ci pour résumer les découvertes de la Préhistoire.
Plus les trouvailles de fossiles humains se multiplient, plus leurs caractères anatomiques et leur succession géologique s’éclairent, plus il devient évident, par une convergence incessante de tous les indices et de toutes les preuves ; que l’espèce humaine, si unique soit-elle par le palier où l’a portée la réflexion, n’a rien ébranlé dans la Nature au moment de son apparition.
Soit en effet que nous la regardions dans son environnement, soit que nous la considérions dans la morphologie de sa tige, soit que nous l’inspections dans la structure globale de son groupe ; elle émerge à nos yeux exactement comme n’importe quelle autre espèce. L’apparition de l’Homme sur la Terre n’a rien ébranlé profondément dans la Biosphère. L’homme est entré sans bruit…
Lorsque l’Homme est apparu dans la nature, « au cœur des primates », comme « axe et flèche de l’Évolution zoologique », il était semblable aux autres animaux, sauf qu’il portait en lui une différence toute particulière : la capacité encore endormie de réfléchir. Au stade de l’hominisation, les premiers hommes avaient potentiellement un cerveau capable de réfléchir, mais un système nerveux encore primitif. Le mouvement dispersif du premier peuplement de la Terre ne favorisait pas la communication. Par la suite, néanmoins, pendant le début de l’étape allant de l’Homo Sapiens à l’aube de l’Âge néolithique, l’Humanité commence à se rassembler, en formant une ligne convergente sur la Terre : le groupement est devenu nécessaire. Cette condition favorable a encouragé l’Homme à sauter le Pas de la Réflexion. Un phénomène très spécial s’est alors produit : la naissance d’une nouvelle sphère planétaire, au-dessus de la Biosphère, la Noosphère. À ce processus de la création d’une nouvelle enveloppe planétaire formée tout entière par l’ensemble de la pensée humaine, Teilhard de Chardin a donné le nom de Noogénèse.
Le résultat de la Noogénèse est donc la Noosphère, une couche plus mûre, épanouissante et définitive, constituée par l’ensemble de la pensée de l’Homo Sapiens. Elle est ouverte à toute modification subtile depuis l’étage primitif, jusqu’à ce qu’elle puisse abriter toutes les connaissances humaines, toutes les idées ou technologies de plus en plus complexes, voire toute la conscience planétaire.
Pour que le cerveau soit capable de cette absorption presque illimitée, que la pensée humaine puisse se développer jusqu’aux temps modernes, il a fallu que l’Homme subisse quelques modifications essentielles dans son cerveau et dans son système nerveux.
L’Évolution, nous dit Teilhard, n’est pas encore arrivée à sa fin ; elle rebondit, dans le même processus d’enroulement sur soi ; mais cette fois comme une évolution consciente d’elle-même, en donnant naissance à une nouvelle étape de la Noogénèse, qui ne s’est nullement arrêtée après la création de la Noosphère. Bien au contraire, avec le surpeuplement de la Terre, la Noogénèse progresse. Comment reconnaître cette progression, cette nouvelle étape de la Noogénèse ? Y a-t-il de l’espoir pour une vraie conscience planétaire au troisième millénaire ? Osera-t-on espérer un âge où
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la Matière sera mise au service de l’Esprit au lieu du contraire comme aujourd’hui ? Si oui, comment s’effectuera ce changement ?
Selon Teilhard, ce rebondissement de l’Évolution se fait par mutations subtiles, de génération en génération, le long d’un continuum, en suivant le phylum génétique ayant débuté dans les ombres de l’énorme passé de l’Homme. Elle est visible à nos yeux dans de petites nuances que l’on observe à chaque différence remarquable en l’espace de quelques générations.
Prenons le phénomène de la différence de taille entre une génération et sa descendance. C’est un phénomène déjà observé par la Science depuis quelques décennies, jadis plus dispersé, mais actuellement plus fréquent. Remarqué auparavant seulement dans les peuples du nord de l’Europe, ce phénomène est évident aujourd’hui dans les peuples du monde entier, sans distinction de race ni de consanguinité.
Parallèlement à cette mutation, il y a une autre différence dans le QI des jeunes générations ; on peut facilement y remarquer une sensible différence en faveur des générations F 2. Cela prouve, en nous rappelant la « Loi de Complexité-Conscience » qui régit l’évolution, et en tenant compte du développement des structures du cerveau, qu’il s’agit là d’un mouvement de cérébralisation. C’est une complexification cérébrale, aussi physique que psychique. Physique, étant donné la spécialisation des neurones avec l’augmentation des fibres nerveuses nécessaires pour occuper plus d’espace dans un corps physique de taille plus grande et un cerveau plus complexe ; et psychique, par rapport au comportement de l’Homme, qui, suivant la loi principale, devient plus conscient de lui-même, et cherche de plus en plus d’Individuation, dans une convergence intérieure en harmonie avec la direction évolutive.
Ce mouvement de cérébralisation par des mutations psychiques aussi bien que physiques prépare la prochaine étape évolutive. Car, comme Teilhard nous l’explique, l’Évolution est une transformation d’abord fondamentalement psychique, face aux « limites » organiques du cerveau : le mouvement à l’avenir sera dans l’Esprit de l’Humanité.
Suivi en montant vers les très grands complexes, le même élément « psychique », dès sa première apparition dans les êtres humains, manifeste, en relation à sa matrice de « complexité », une tendance croissante à la maîtrise et à l’autonomie.
Après l’émergence vient l’émersion. Dans les perspectives d’involution cosmique, non seulement la conscience devient coextensive avec l’univers, mais l’univers reste en équilibre et en lien avec la matière, dans la forme de la pensée, sur un pôle supérieur de l’intériorisation.
Aussi, lorsque l’on examine le comportement de l’Homme Moderne, faut-il lui donner un sens ; scruter sa motivation ultime ; et ne pas se perdre en considérations trop détaillées sur sa structure physique, si perfectionnée, qui vient couronner l’Évolution. Mieux, pour que ce phénomène humain ait un sens, il faut supposer une autre structure dynamique dans l’Homme ; ce qui serait son Esprit, son âme, qui n’aurait pas de « logis » palpable dans toutes ces ramifications spécialisées cérébrales ; mais qui va orienter son comportement psychique dorénavant vers plus de développement spirituel, pour l’Âge de la conscience collective à venir.
La marche de l’Humanité prolongeant celle de toutes les autres formes animées, se développe incontestablement dans le sens d’une conquête de la Matière mise au service de l’Esprit. La pensée perfectionnant artificieusement l’organe même de sa pensée, la vie rebondit en avant sous l’effet collectif de sa réflexion.
Effets sur la Noosphère.
Ce processus de rebond de l’évolution ne pourra pas se produire sans être conforme à la loi principale de Complexité-Conscience, tout en suivant la loi de Convergence (« Tout ce qui monte converge »). Ce qui nous amène à penser à un Univers qui s’enroule en s’épanouissant.
Puisque la Noosphère est une enveloppe faite de pensée humaine, elle évolue simultanément avec l’ensemble de l’évolution de la conscience planétaire. Toute personne qui crée de la culture, du contenu… et le verse au patrimoine commun contribue à l’extension de la noosphère, tout en « marquant son territoire » à l’intérieur de cette dernière. Il est (co) propriétaire, non d’un morceau de la noosphère, mais de la totalité de celle-ci… avec des milliards d’autres (co) propriétaires.
Dans son article « Noosphère et Hypermonde », P. Berger cite ces pensées de Teilhard. Jusque dans les zones les plus spiritualisées de notre être, sans doute, certaines nécessités intérieures subsistent ; qui nous forcent inexorablement à poursuivre sans arrêt notre marche en avant… Doublant, et peu à peu relayant la poussée venant d’en bas, voici donc que l’apparition d’un attrait descendant d’en-haut se découvre comme organiquement indispensable pour la suite de l’opération : indispensable pour soutenir l’élan évolutif. Et indispensable, en même temps, pour créer, autour de l’Humanité en cours de totalisation, la chaleur psychique, l’atmosphère cordiale ; hors de laquelle l’emprise économico-technique du monde ne saurait qu’écraser les âme/esprits les unes contre les autres. Sans parvenir à les souder entre elles et à les unifier. Dans ces conditions, il ne nous servirait à rien évidemment de
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chercher à nous évader du tourbillon qui se resserre sur nous. Par contre, ce qui importe au plus haut point, c’est de savoir comment, dans ce tourbillon, nous orienter ou nous comporter spirituellement ; de telle sorte que l’étreinte totalisante à laquelle nous sommes soumis ait pour conséquence non point de nous déshumaniser par mécanisation, mais (comme il semble possible) de nous surhumaniser par intensification de notre puissance de comprendre.
Que peut-on faire pour encourager, pour assurer que l’auto-cérébralisation de l’Humanité devienne l’expression la plus concentrée du rebondissement réfléchi de l’évolution en marche, vers la conquête de la matière mise au service de l’Esprit ?
La seule sortie possible sera d’ordre spirituel, en faisant confiance au grand et laborieux travail de l’Évolution ; qui, en parvenant à créer les êtres humains avec tant de soins, ne peut pas être conçue comme s’étant organisée toute seule au hasard. Il faut affirmer, avec Teilhard, que « Oui », c’est une évolution dirigée, consciente d’elle-même ; car il y a un Moteur qui l’oriente et l’attire à Lui, un point ultime [N.D.L.R. cf. le symbolisme de la lettre eabadh de l’alphabet oghamique].
Sous quelle forme, le long de quelles lignes, pourrait-on concevoir à l’avenir le progrès des effets « noosphériques » ?
Sous une forme collective et spirituelle d’abord ! Dès l’apparition de l’Homme, nous avons pu noter un certain ralentissement des transformations passives et somatiques de l’organisme, au profit des métamorphoses conscientes et actives de l’individu pris en société. L’artificiel relayant le naturel. La transmission orale ou écrite se superposant aux formes génétiques (ou chromosomiques) de l’hérédité…
Il se peut que, dans ses capacités, ainsi que dans sa force de pénétration individuelle, notre cerveau ait atteint ses limites organiques. Mais le mouvement ne s’arrête pas pour autant. De l’Occident à l’Orient, l’évolution est désormais occupée ailleurs, dans un domaine plus riche et plus complexe ; à construire, avec tous les esprits mis ensemble – l’Esprit – au-delà des nations et des races, la prise en bloc, inévitable et déjà en cours, de l’Humanité.
L’Humanité a devant elle des possibilités immenses… Depuis le Pas de la Réflexion, grâce aux étonnantes propriétés de « l’artificiel » qui, séparant l’instrument de l’organe, permet au même être d’intensifier, mais aussi de varier indéfiniment les modalités de son action sans rien perdre de sa liberté ; grâce en même temps au prodigieux pouvoir de la Pensée de rapprocher ou de combiner dans un même effort conscient toutes les particules humaines ; nous sommes entrés dans un domaine complètement nouveau de l’Évolution… Nous n’avons encore aucune idée de la grandeur possible des effets « noosphériques ». La résonance des vibrations humaines par millions ! Le produit collectif et additif d’un million d’années de Pensée !
Avec Internet, cette fameuse conscience planétaire, tant prônée par des précurseurs comme Teilhard de Chardin, devient palpable. Dans le cybermonde, la notion d’étranger n’existe pas !
N.D.L.R.
Il reste néanmoins dans la vision de Teilhard de Chardin, des restes de pensée dualiste, due à sa formation chrétienne. Il se peut toujours en effet, suivant une loi implacable, à laquelle rien dans le passé n’a encore échappé, que le Mal, croissant aussi en même temps que le Bien, atteigne à la fin son paroxysme, lui également, sous une forme spécifiquement nouvelle. Pas de sommet sans abîme… au cours et en vertu du processus qui la rassemble, la Noosphère, parvenue à son point d’unification, se cliverait en deux zones, respectivement attirées vers deux pôles antagonistes d’adoration… Une dernière fois encore, la ramification.
Bref, Teilhard envisage toujours deux possibilités presque contradictoires ; tout en nous indiquant que nous devons tourner nos efforts vers la bonne (pour plus de détails, sur la pensée de Teilhard de Chardin voir Maria Luiza Glycerio et Janice B. Paulsen).
Ainsi que l’a très bien compris Teilhard de Chardin, l’Histoire n’est rien d’autre que la matérialisation de l’Âme qui se cherche à travers le monde, et tente de mieux se comprendre elle-même. Les hommes, jetés au milieu du processus historique, agissent en poursuivant leurs intérêts, en fonction de leurs passions. Mais ils travaillent en fait pour la Raison universelle (la noosphère) et la réalisation de sa fin ultime : l’autodivinisation de l’univers.
N.D.L.R. Même raisonnement que dans le cas de la main invisible d’Adam Smith. Il est très discutable. À tout le moins très optimiste.
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L’histoire des hommes est donc fonction du développement de l’Âme ou de la Raison universelle dans le monde, ce qui débouche sur une conception de la fin de l’Histoire où le tout de l’Âme se réalise.
L’enjeu du débat n’est rien moins que la prétention à une parfaite connaissance (omniscience) et maîtrise (omnipotence) de la Matière par l’Âme, qui lui serait non seulement immanente, mais co-naturelle.
La pensée de Teilhard de Chardin à cet égard se heurte de plein front, chez les chrétiens, à leurs résidus de dualisme, hérités des Grecs, et du modèle manichéen du mal, identifié à la matière.
Philosophiquement, Teilhard réduit en effet le vieil antagonisme esprit/matière dans une vision unifiée du réel : esprit et matière, deux faces d’un même réel.
Le Mal et le Bien sont les deux pôles de notre évolution dans une morale de mouvement.
Est un Mal tout ce qui divise et nous fait régresser vers la Multitude.
Est un Bien tout ce qui unit et fait progresser vers le Multiple unifié.
Chacun de nous est dans une dynamique de montée ou de descente. C’est seulement dans cette dynamique que nous pouvons juger notre situation : ce qui était hier un bien pour moi peut être un mal aujourd’hui, si j’y redescends ; ce qui est un bien pour X est peut-être un mal pour Y, si c’était sa situation d’hier et s’il a progressé depuis.
Vladimir Vernadski a déploré que la découverte de l’évolution (qu’il attribue à Cuvier, avant Wallace et Darwin) ait éclipsé les autres problématiques. « L’évolution des espèces occupe la place centrale dans cette conception et attire l’attention au point de faire oublier d’autres phénomènes biologiques aussi importants, si ce n’est davantage ».
Et de plaider auprès des biologistes pour qu’ils s’intéressent davantage à la bio-géochimie, afin de fournir les données nécessaires à son développement ultérieur. De plus, le rapport pouvant exister entre l’évolution des espèces et les phénomènes biogéochimiques, est, selon lui, « un des problèmes scientifiques les plus importants de notre temps ».
S’il considère l’évolution comme quelque chose qui n’est « plus douteux », il refuse les éléments réactionnaires et malthusiens propres à la théorie darwinienne et à ses avatars. Pour lui [et comme pour saint Colomban d’Iona], remplacer le Dieu de la religion par le Dieu hasard n’est pas satisfaisant. Il y a bien une direction dans l’évolution, qui n’est pas seulement gouvernée par des rencontres fortuites de molécules, par des mutations. Le principal effet de cette évolution, considérée d’un point de vue global biosphérique, est d’accroître l’activité chimique et l’énergie libre.
La théorie de l’évolution de Darwin, et la biosphère de Vernadsky ont été unifiées par Teilhard de Chardin en une puissante approche holiste du « phénomène humain » ; qu’il conçoit comme une étape de l’évolution menant au déploiement de la noosphère. Laquelle prépare l’avènement d’une fin du monde par surspiritualisation en un point attractif ou moteur de l’espace-temps.
Ce point est conçu comme étant le pôle de convergence de l’évolution. Ce point de l’espace-temps manifeste l’avènement d’une ère d’harmonisation des consciences, fondée sur le principe de la « coalescence des centres ». Chaque centre, ou conscience individuelle, est amené à entrer en collaboration, toujours plus étroite, avec les consciences avec lesquelles il communique, celles-ci devenant, à terme, un tout noosphérique. L’identification non homogénéisante du tout au sujet qui le perçoit, entraîne un accroissement de conscience, dont ce point forme en quelque sorte le pôle d’attraction en jeu, sur le plan individuel autant qu’à l’échelle collective. La multiplication des centres, comme images relatives de l’ensemble des centres harmonisés, participe à l’avènement de la résurrection spirituelle, ou théophanie, de l’incarnation humaine.
Annonçant la planétarisation que nous connaissons aujourd’hui, Teilhard développe donc la notion de noosphère qu’il emprunte à Vernadski, pour conceptualiser une sphère de pensée enveloppant la Terre. L’Homme doit, selon lui, rejoindre le divin en un point de parfaite spiritualité, qui représenterait de facto, et sans tristesse aucune, la fin des temps.
La formation chrétienne de Teilhard a fait qu’il n’a pu s’empêcher de glisser ici une interprétation du mythe christique : le christ cosmique. C’est une hypothèse qui en réalité n’apporte rien à son raisonnement et l’on peut parfaitement s’en passer.
La mondialisation suscite moins d’enthousiasme. Mais comme l’a dit Ernest Renan, il ne nous a jamais été garanti par quiconque que la découverte de la réalité nous serait agréable.
Hominisation et humanisation.
Teilhard pense également identifier parallèlement à l’évolution biologique une évolution de type moral : l’affection pour la progéniture se rencontre chez les mammifères et non chez les reptiles apparus de façon plus précoce. L’espèce humaine, malgré ses accès de violence sporadique, s’efforce de développer des réseaux de solidarité de plus en plus élaborés (Croix-Rouge de Dunant,
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Sécurité sociale de Bismarck… L’évolution physique qui a débouché sur l’hominisation se double, d’après lui, d’une évolution spirituelle, qu’il nomme humanisation.
Se demandant d’où vient ce surcroît de conscience, il l’attribue à la croissance également de la complexité des structures nerveuses : le cerveau des mammifères est plus complexe que celui des reptiles, celui des humains plus complexe que celui des souris.
Évolution et organisation.
L’évolution se passe ensuite à son avis dans la possibilité qu’ont les consciences de communiquer les unes avec les autres et de créer, de facto, une sorte de super-être. En se groupant par la communication, les consciences vont faire le même saut qualitatif que les molécules qui, en s’assemblant, étaient passées brusquement de l’inerte au vivant.
La fin de ce mond ci !
Bien loin de plafonner (ou même de rétrograder) comme on l’entend trop souvent dire, l’Homme est aujourd’hui en plein essor… Aucune force physique ou psychique – sur la planète comme elle est – ne paraît capable d’empêcher l’Humanité, pendant plusieurs millions d’années encore, de chercher, d’inventer, de créer, dans toutes les directions.
a) D’abord collectivement, l’Humanité tend, technico-psychiquement, à converger sur soi… Dans ces conditions, l’Humanité tend vers un état supérieur de réflexion collective se traduisant, non point par une dilatation et une diversification toujours plus grande de notre champ d’affectivité ou de connaissance ; mais bien plutôt par une vision du monde toujours plus étroitement localisée. En ce sens, on pourrait dire, théoriquement et idéalement parlant, que l’Humanité finira quand, ayant enfin compris, elle aura, par une réflexion totale et finale, tout ramené en elle à une passion et à une idée communes.
b) Ensuite individuellement. Au terme de la phase grandissante de socialisation qui vient de se clore, nous avions cru que c’était dans un geste d’isolement, c’est-à-dire par voie d’individuation, que nous allions atteindre le bout de nous-mêmes. À partir de maintenant (c’est-à-dire depuis que l’Hominisation est entrée dans sa phase de convergence) ; il devient manifeste que ce n’est au contraire que par un effet de synthèse, c’est-à-dire par personnalisation, que nous pouvons sauver ce qui se cache de vraiment sacré au fond de notre égoïsme. Le centre extrême de chacun de nous coïncide (sans se confondre) avec le point de confluence d’une multitude humaine tendue, réfléchie, et unanimisée, librement, sur elle-même.
c) Enfin cosmiquement. Si véritablement, par sa portion pensante, la Matière vitalisée converge, force nous est bien d’imaginer, correspondant au point de réflexion noosphérique, quelque bout immanent absolu de l’Univers… De même que les astronomes parlent d’un atome primitif, n’est-il pas curieux que la biologie, extrapolée à l’extrême (et cette fois vers l’avant) nous conduise à une hypothèse analogue ? Celle d’un foyer universel, non plus d’extériorisation et d’expansion physique, mais d’intériorisation psychique, vers où la Noosphère terrestre, en voie de concentration (par complexification) semble destinée à parvenir…
Teilhard évalue les chances et les conditions de la réussite de l’évolution de ce monde, et conclut par la proposition suivante. Si le pôle de convergence psychique vers lequel gravite, en s’arrangeant, la Matière, n’était rien d’autre, ni rien de plus, que le groupement totalisé, impersonnel et réversible, de tous les grains de pensée cosmiques, momentanément réfléchis les uns sur les autres ; alors l’enroulement sur soi du Monde se déferait dans la mesure même où l’évolution, en progressant, prendrait plus clairement conscience de l’impasse où elle aboutit. Sous peine d’être impuissant à former une clé de voûte pour la Noosphère, le point ultime ne peut être conçu que comme le point de rencontre entre l’Univers parvenu à sa limite de centration, et un autre centre encore plus profond. Centre autosubsistant et principe absolument ultime, celui-là, d’irréversibilité, mais aussi de personnalisation.
Et c’est en ce point, si je ne m’abuse, que sur la Science de l’évolution (pour que l’évolution se montre capable de fonctionner en milieu hominisé) s’insère le problème de Dieu ; moteur, collecteur et consolidateur, en avant, de l’évolution.
CONCLUSION.
On remarquera que le super-être évoqué par Teilhard de Chardin est sans rapport aucun avec le surhomme de Nietzsche, dans lequel Teilhard ne voit qu’une extrapolation trop simple d’un passé révolu. Et qui ne tient nul compte du phénomène de communication croissante entre les individus (« La chenille qui interroge son futur s’imagine sur-chenille »). Pour Teilhard, ce n’est déjà plus au niveau de ces seuls individus que le processus d’évolution se réalise, et il ose même, à ce sujet, une
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phrase lyrique. « Rien dans l’univers ne saurait résister à un nombre suffisamment grand d’intelligences groupées ou organisées ». Ernest Renan y voyait Dieu en construction.
L’Église catholique ayant toujours préféré attribuer le Mal du Monde aux œuvres de Satan, et non à un plan voulu par Dieu lui-même, demanda donc à Teilhard de suspendre ses publications. Et inscrivit à l’Index, jusqu’à plus ample information, ce qui était déjà imprimé sous son nom.
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 3.
UNE AUTRE VISION DU DESTIN DE L’HOMME, MOINS COLLECTIVISTE CETTE FOIS-CI.
Poème du Mal Passant (résumé par Pierre de La Crau).
Il est venu, Celui qu’exorcisaient les prêtres inquiets, que les sorciers évoquaient par les nuits sombres, sans le voir apparaître encore, à qui les pressentiments des maîtres passagers du monde prêtèrent toutes les formes monstrueuses ou gracieuses des gnomes, des esprits, des génies, des fées, des farfadets. Le règne de l’Homme est fini.
Après les grossières conceptions de l’épouvante primitive, des hommes plus perspicaces l’avaient pressenti. Mesmer l’avait deviné, les médecins ont découvert la nature de sa puissance. Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau. Je les ai vus s’amuser comme des enfants avec cette horrible puissance !
Malheur à nous ! Malheur à l’Homme ! Il est venu, il crie son nom, et je ne l’entends pas…
Le Horla va faire de l’Homme, ce que nous avons fait du cheval et du bœuf. Malheur à nous !
Mais il faut le connaître, le toucher, le voir ! Je me rappelle les paroles du moine du mont Saint-Michel : « Voyons-nous la cent-millième partie de ce qui existe ? Le vent qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer, détruit les falaises et jette sur les brisants les grands navires ; le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit ; l’avez-vous vu et pouvez-vous le voir ? Et, pourtant, il existe ! »
Mon œil est si imparfait, qu’il ne distingue même pas les corps s’ils sont transparents comme du verre !… Qu’une glace sans tain barre mon chemin, il me jette dessus comme l’oiseau entré dans une chambre se casse la tête aux vitres. Mille choses le trompent et l’égarent ! Quoi d’étonnant, à ce qu’il ne sache point apercevoir un corps nouveau que la lumière traverse.
Pourquoi serions-nous les derniers ? Sa nature est plus parfaite, son corps plus fin et plus fini que le nôtre, si faible, si maladroitement conçu, encombré d’organes toujours fatigués, toujours forcés comme des ressorts trop complexes, qui vit comme une plante et comme une bête.
Ils sont quatre, rien que quatre ! Quelle pitié ! Pourquoi ne sont-ils pas quarante, quatre cents, quatre mille ! Ah ! l’éléphant, l’hippopotame, que de grâce ! Le chameau que d’élégance !
Le papillon est une fleur qui vole ! J’en rêve d’un qui serait grand comme cent univers, avec des ailes dont je ne puis même pas exprimer la forme, la beauté, la couleur et le mouvement. Je le vois… il va d’étoile en étoile, les rafraîchissant et les embaumant du souffle harmonieux et léger de sa course !… Et les peuples de là-haut le regardent passer, ravis, extasiés !…
Seul peut-être le temps a prise sur l’Être Invisible et Redoutable. Pourquoi ce corps transparent, ce corps inconnaissable, ce corps d’Esprit, s’il devait craindre, lui aussi, les maux, les blessures, les infirmités, la destruction prématurée ? Après l’Homme, le Horla. Après celui qui peut mourir tous les jours, à toutes les heures, à toutes les minutes, va venir celui qui ne doit mourir qu’à son jour, à son heure, à sa minute, parce qu’il a touché à la limite de son existence !
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 4.
AUX RACINES DE LA HAINE :
LA MONOLÂTRIE.
C’est la Bible qui nous a fourni le « meilleur » (les guillemets s’imposent) des exemples d’intolérance religieuse.
EXODE 20, 2-17. « Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi […] tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, et tu ne les serviras pas, car moi le seigneur ton dieu, je suis un dieu jaloux qui punit la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants ».
DEUTÉRONOME 6, 13-14. « Vous ne suivrez pas d’autres dieux »*.
MATTHIEU 4, 10. « C’est le seigneur ton dieu que tu adoreras et à lui seul tu rendras un culte ».
CATÉCHISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE 2814.
« Voilà pourquoi nous ne disons pas expressément : que ton nom soit sanctifié EN NOUS, car nous demandons qu’il le soit DANS TOUS LES HOMMES ».
* Chacun pourra noter au passage que ces textes de base du judaïsme ou du christianisme ne sont en aucune façon l’expression de la croyance en un seul dieu (puisqu’ils admettent implicitement qu’il y a d’autres dieux) ; mais sont l’expression sans concession (il s’agit d’un ordre, d’un commandement) de la volonté d’interdire, à ceux auxquels ils s’adressent, tout culte autre que celui du dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Or l’adoration d’un seul dieu plonge l’homme dans le repliement sur soi-même et dans l’idolâtrie métaphysique, bref dans l’aliénation ou l’intolérance. Les ignobles propos des lettres de saint Justin à l’empereur Antonin le Pieux (vers 155), lui expliquant que le christianisme est la meilleure des religions pour l’impérialisme romain, ne font que conforter cette analyse du monothéisme.
La secte des nazoréens (Actes des Apôtres, 24, 5 et 14) ne changera décidément jamais.
Les Anciens disaient que c’est la crainte qui au début a fait les dieu-ou-démons dans le monde : Primus in orbe timor fecit deos 1). On pourrait dire de ce point de vue que la divinité mandante a passé ensuite le relais à ses mandataires, et que la peur s’est transférée des premiers aux seconds. Dès lors, c’est la peur qui a aussi fait les prêtres : Secundus in orbe timor fecit sacerdotes. Mais c’est bien de nous-mêmes, de nos appréhensions et de nos alarmes, qu’ils tirent leur pouvoir. L’autorité en général est essentiellement affaire de projection mentale. Voyez par exemple les expériences de Stanley Milgram consignées dans son livre sur la soumission ou l’obéissance à l’autorité. Tous les psychologues vous le diront : la projection que nous faisons d’abord et spontanément (du moins le pensons-nous) sur les êtres et les choses n’a rien à voir avec la perception lucide et mûrie que nous pouvons ensuite en avoir. Elle est induite en nous par l’éducation, le dressage que nous avons subi étant enfants, la force de l’habitude ensuite.
Très vite, dans le cas où la projection se nourrit de peurs, une fois le conditionnement initial intériorisé, la menace n’a plus du tout besoin d’être explicite. Le danger en fait n’est pas dans ce phénomène lui-même, qui est inévitable au moins au début de toute vie, mais dans son utilisation ou sa manipulation par ceux qui s’en emparent et s’en parent, pour maintenir toute leur vie durant leurs ouailles dans l’infantilisation. Pensez par exemple au chantage aux sacrements que font certains prêtres… Par nos peurs, nos projections accumulées, nous construisons notre propre cage, nous contribuons à notre aliénation. Notre prison a notre angoisse comme fondement. Épictète le disait bien : ce ne sont pas les choses qui tourmentent les hommes, mais l’idée qu’ils s’en font.
1) Lucrèce (98-55 avant notre ère) du vers 1218 au vers 1221 de son De natura rerum (chant V), s’interroge sur l’effroi religieux qui saisit le cœur de l’homme lorsque la foudre déchire les cieux : « Au reste, quel est l’homme à qui la crainte des dieu-ou-démons n’étreint pas le cœur ? Dont le corps ne se contracte pas d’effroi quand sous les terribles traits de la foudre, la terre embrasée se met à trembler et que d’épouvantables grondements courent à travers le ciel ? ».
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Lucrèce ne dit pas strictement que la foudre fait les dieu-ou-démons, mais que la crainte des dieu-ou-démons et la frayeur due aux éclairs embrasant la terre sont en quelque sorte concomitantes ; c’est un peu plus haut dans le chant V, aux vers 1168 et sqq., que l’on peut repérer une réflexion plus substantielle sur l’origine des dieu-ou-démons, ou du moins sur la genèse initiale de leur représentation en nous-mêmes. L’origine de cette représentation serait onirique et obéit à une double modalité. L’homme endormi, si s’estompent en lui les reliefs des frayeurs diurnes, est réceptif aux « simulacres » des dieu-ou-démons, c’est-à-dire à la subtile translation matérielle (depuis les arrière-mondes jusqu’à notre univers) des effigies des dieu-ou-démons eux-mêmes : le sommeil paisible est propice à la réception en notre âme de ces clichés divins ; mais lorsque d’étranges phénomènes excitent l’imagination de l’homme primitif, alors ce dernier attribue dans ses songes une dimension hyperbolique démesurée, aux objets des visions hallucinées produites à l’état de veille sur l’écran de son imagination : « En ces temps primitifs, les mortels voyaient en imagination, même tout éveillés, d’incomparables figures de dieu-ou-démons, qui prenaient pendant leur sommeil une grandeur plus étonnante ».
L’inquiétant spectacle de la nature, des songes qui rompent toute mesure, autant de facteurs qui nourrissent l’angoisse des hommes. Si Lucrèce déplore l’origine subjective (c’est-à-dire hallucinatoire) de l’idée que l’on se fait des dieu-ou-démons, il ne refuse pas pour autant toute valeur objective à l’idée elle-même : une idée n’est pas nécessairement discréditée parce que son origine obéit à une psychogenèse particulière. D’ailleurs Lucrèce, en fidèle disciple d’Épicure, gardien d’une rigoureuse orthodoxie, n’a nullement nié l’existence des dieu-ou-démons ; ces derniers, parce qu’ils jouissent d’une corporéité inaltérable garante d’une ataraxie perpétuelle, sont, à l’inverse de ce que leur prête la foule, les êtres au contraire les plus aptes à nous inspirer la pleine sérénité.
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 5.
VERS UN RÉENCHANTEMENT DU MONDE.
Le désenchantement du monde (en allemand Entzauberung der Welt) est d’abord une expression poétique de Schiller (signifiant littéralement le désensorcellement du monde, si ma mémoire est bonne, mais il est vrai que mes quatre ans d’allemand sont loin) reprise et développée par Max Weber.
Elle évoque aujourd’hui un rapport au monde issu du développement des sciences et techniques, aboutissant à une perte de sens et d’illusions, donc à une déception allant croissant.
Il est de bon ton aujourd’hui de vouloir « corriger » Weber. Il nous semble pourtant qu’il n’y a pas grand-chose à rajouter à son analyse du phénomène.
Weber voit en effet dans le calvinisme le point final (disons l’aboutissement) d’un long processus commencé avec le judaïsme antique et relayé par la pensée grecque, jusqu’à la naissance du capitalisme. Le tour de force culturel des réformés calvinistes ou autres aura été d’asseoir leur discours sur des traits psychologiques humains jusque-là considérés comme des vices ou des défauts, exemple la cupidité ; devenant ainsi d’actifs agents d’une sorte de désenchantement du Monde. Ce désenchantement du monde a comme effet une vacance du sens : la signification fondamentale du monde, de l’existence, a disparu pour l’homme moderne. Les événements sont considérés comme le seul produit de forces physiques, dont la compréhension est, en principe, toujours accessible à l’homme. Le monde en vient ainsi à être considéré comme dépourvu de sens, étant un pur mécanisme physique dénué d’intention.
Bref, dans son analyse du processus de rationalisation de l’Occident moderne, Weber insiste sur le fait que la transformation des dispositions mentales, ou éthos, des acteurs, a joué un rôle crucial. Le scientisme est né avant tout de la modification des principes d’action (notamment éthiques) gouvernant la conduite de vie des hommes. Ainsi, dans son analyse de la naissance du capitalisme, Weber fait-il peu de places à la modification des moyens de production (ce qui constitue par contre l’analyse de Marx, qui n’a pas toujours tort néanmoins, bien au contraire, reconnaissons-le). Pour Weber, le capitalisme est donc principalement né de l’apparition d’une nouvelle éthique économique, trouvant son origine dans la mentalité protestante. Dans ce nouvel éthos économique, la conduite de vie des acteurs est dirigée par le principe selon lequel la finalité de l’existence est le travail dans le cadre d’une profession : le travail devient une fin en soi. Dans l’émergence de cette nouvelle morale économique, les croyances religieuses (la religion réformée en l’occurrence) ont eu, pour Weber, un rôle fondamental. Weber pense ainsi que les principales causes de l’émergence du capitalisme ne sont pas techniques ou économiques, mais principalement éthiques et psychologiques. Si le capitalisme a pu se développer, selon Weber, c’est grâce à l’ascèse du travail dans le monde qui a été au centre du monde calviniste, et plus largement puritain. Dans celui-ci en effet, le travail y devient la plus haute tâche que peut accomplir l’homme pour la gloire de Dieu et, surtout, le fidèle peut trouver dans sa réussite professionnelle la confirmation de son statut d’élu de Dieu. C’est dans la sécularisation de cette ascèse, en affinité élective avec l’ « esprit du capitalisme », que le capitalisme a trouvé l’impulsion première à son expansion, en lui permettant de vaincre le « monde de forces hostiles » qui s’opposait à lui.
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Le langage de l’ancien druidisme est donc parfois imagé, comme nous pouvons le constater, poétique même !
Le néo-druidisme, lui, affirme simplement que ceux qui auront vécu en ce monde en évitant d’accumuler trop de bran ; c’est-à-dire qui auront vécu en évitant de multiplier erreurs et fautes, et surtout fautes impardonnables ou crimes à l’horreur exceptionnelle ; auront en héritage la terre pure qui les attend depuis la naissance du monde. Afin qu’ils puissent s’y entraîner à la fusion au cœur de la fantastique centrale « thermo-nucléaire » spirituelle qui clôturera ce cycle.
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La doctrine druidique du Vindomagos apporte la seule réponse possible aux doutes et aux interrogations que nous pouvons avoir. Les hommes et les femmes qui n’ont pas pu réussir à parvenir à l’état d’awenydd ; mais qui ont quand même au moins réussi à ne pas trop accumuler de bran (de mauvaises actions) ; renaissent après leur mort en un autre monde de paix indicible et de lumière. Appelé Vindomagos, mais aussi Abelliomagos, Aballacon (Avallon ou Tir na Ablach), Plaine du plaisir (Mag Meld), Terre de Jouvence (Tir na n’Og), etc. Où ils peuvent se préparer en toute quiétude à pouvoir un jour, eux aussi, devenir awenydd à leur tour *.
Le Vindomagos, quel que soit son nom, qui varie suivant les nations et les traditions (il est appelé par exemple Terre Pure ou Sukhavati en Extrême-Orient), est un monde de bonheur et de paix, sans souffrance ni passion. Où les bienheureux Meldi (les croyants admis en ce « lieu ») peuvent mûrir sans entrave, libérés du fardeau générateur d’ategeneto : le bran. Avant de parvenir, eux aussi, à l’illumination supérieure et de pouvoir fusionner avec le Grand Tout du Pariollon.
Le stade intermédiaire que constitue ce monde du Vindomagos ; appelé aussi Abelliomagos, Aballacon, Avallon ou Tir na Ablach, Terre des Vivants, Terre des femmes, et autres ; permet aux combennones qui se sont avérés incapables, à cause de leur faiblesse humaine (de type maladie des Ulates), de suivre la voie des druides ou des kingetes (la voie royale des combattants de soi-même) d’arriver, eux aussi, à ce que leur âme s’épanouisse enfin.
La relation avec la divinité ne peut être vraiment anéantie pour les combennones qui ont été de bons briugu. C’est-à-dire qui ont été jusqu’à faire beaucoup d’efforts pour suivre la voie des dieux (la reda), en allant parfois jusqu’à sacrifier leur vie pour cela.
La doctrine druidique du passage préalable dans une antichambre du paradis celtique, pour y connaître quelque temps le sort d’une âme en peine (seibaros), ne fait que constater la réalité, dans certains cas, d’une inaptitude momentanée au bonheur de la vie dans un autre monde meilleur ; après la mort, par réincarnation de l’âme dans le Vindomagos ou Mag Meld. Ce bref séjour dans l’antichambre du paradis, selon les druides, permet ainsi au défunt de mieux se préparer à l’étape suivante du voyage de son âme à lui : la Plaine du plaisir (Mag Meld), la Terre de Jouvence (Tir na n’Og), ou autre, car peu importe le nom pourvu que l’on en ait son ivresse.
La doctrine druidique de la réincarnation ne fait que constater la réalité dans certains cas (rarissimes) d’une nouvelle vie sur terre ; après la mort, par réincarnation de l’âme dans d’autres corps, s’il y a eu accumulation de beaucoup beaucoup trop de bran avant, par le défunt. Cette réincarnation permet ainsi au défunt de se purifier, en n’accumulant plus de nouvelle cause d’ategeneto.
La réincarnation dans un autre corps, mais dans l’autre monde ; n’exclut nullement la possibilité d’une résurrection des corps, d’une résurrection de la chair, de ceux qui seront encore en vie sur terre lorsque arrivera sur terre le temps de la grande régénération de l’univers que l’on appelle erdathe ou airtach dans les textes irlandais. L’exemple rassurant de Setanta, si mythifié soit-il, est à méditer à ce sujet. Ayant, sous des incarnations antérieures, affronté lui-même le cycle infernal des ategenetones, le hesus Setanta Cuchulainn en est sorti vainqueur par sa montée au ciel. Ainsi attestée selon la Tradition : « L’âme du Hésus Cuchulainn apparut alors aux trois fois cinquante reines qui l’avaient bien aimé, elles le virent sur son char devenu glorieux (siaburcharpat) au-dessus d’Emain Macha, et elles l’entendirent chanter quoique mort :
Emain ! O Emain !
Puissant royaume ! ».
* Voici comment Noibo Adamnan à la suite de Plutarque décrit le Vindomagos qui attend les hommes et les femmes plutôt de type première fonction voire même plus précisément de type « contemplatif », et non de type guerrier se complaisant dans la bagarre.
Un royaume sans orgueil, sans mépris, sans mensonge, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans tromperie, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans salut, sans neige, sans vent, sans humidité, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froideur. Un noble Royaume, admirable, merveilleux, où règnent le savoir, la lumière, et les parfums d’une Terre abondante, un royaume où règnent les plaisirs de toute bonté.
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DOCUMENT DE TRAVAIL N° 6.
VERS UN NOUVEAU POLYTHÉISME MONDIAL.
Avertissement au lecteur. Ci-dessous le terme d’origine grecque polythéiste sera utilisé dans le sens suivant « qui a plusieurs centres d’intérêt, qui est fondé sur plusieurs valeurs et non sur une seule ».
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Huit milliards d’hommes habitent aujourd’hui sur cette Terre. Parmi eux deux milliards et demi se disent chrétiens (dont un milliard de catholiques), deux milliards se disent musulmans, un milliard se disent hindou, 800 millions se disent bouddhistes, 17 millions se disent juifs, et cent mille 1) seulement sont druidisants. Or le dialogue entre religions n’a été entamé sérieusement qu’il y a quelques décennies à peine.
Car l’Homme est bien le seul animal dont on peut dire : « À vous seuls il est donné de connaître les dieux et les Puissances du Ciel ! Et à vous seuls de les ignorer » (citation de Lucain à propos des Celtes, De Bello Civili I, 452).
Il n’est d’autre Dieu ou Démiurge que le Tokad, tel qu’il s’est progressivement dévoilé aux hommes de bonne volonté, par l’intermédiaire des dieux ses forces auxiliaires. Mais le premier tout comme le dernier des êtres, est le Pariollon ou Grand Tout. Le Pariollon ou Grand Tout est le plérôme de l’être, immortel et sans fin. Lui seul est son être même, il est de lui-même tout ce qu’il est. Nous ne pouvons guère saisir du Pariollon ce qu’il est, nous pouvons surtout saisir ce qu’il n’est pas. Le Pariollon n’est aucunement à l’image de l’homme. Il n’est ni homme ni femme. Le Pariollon est pur esprit et pure matière. Materia prima et ultima où il n’y a pas encore de place pour la différence des sexes. Mais même sans cette foi chevillée au corps (les dieux ne sont que les causes secondes de la divine Tocade), il est possible de trouver la voie qui mène directement à l’autre monde de nature paradisiaque, qui nous attend après la mort. Le druidisme admet sans problème qu’il y a dans les autres cultes un début honorable de quête du Graal.
Le druidisme reconnaît tout ce qui peut se trouver de vrai ou de bien dans les autres religions (zoroastrisme de nos frères parsis, mithraïsme, religion de Simon le Magicien, ondinisme, hindouisme, christianisme populaire, les versets sataniques de l’islam et ainsi de suite…). Le druidisme n’est pas sectaire. La celtisation des esprits et des cœurs que nous appelons de tous nos vœux implique d’abord un dialogue respectueux avec ceux qui ne sont pas encore spirituellement Celtes (voir le fameux dialogue de Lucien de Samosate à propos d’Hercule).
Tous les chemins peuvent mener au puits sacré source de vie dans le désert *. Les druides préfèrent le petit sentier qui sent bon la noisette (le camminus), mais l’important c’est d’éviter l’autoroute et ses accidents (les religions de masse). Et de toute façon c’est toujours en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin. Les bouddhistes éléates grecs n’ont pas de chance, car le mouvement se démontre en marchant.
L’Homme s’est toujours interrogé sur l’existence des dieu-ou-démons. « Ils discutent beaucoup […] de la puissance et du pouvoir des dieux immortels, et ils transmettent ces spéculations à la jeunesse » (B. G. VI, 13).
Multiples sont les expressions de cette universelle aspiration au divin, car ce n’est qu’en ce divin que l’Homme peut trouver la vérité ainsi que le bonheur : « nate memento beto to divo ! ». Ou « mento beto divo ! » (Il s’agit de deux variantes de la vie de saint Symphorien d’Autun, dont la traduction en latin est « memento dei tui ».)
L’aspect le plus évident de ce petit côté « divin » de l’Homme, se trouve dans sa capacité à communier avec le divin les jours de Samon (ios). Mais ce rapport intime et vital qui unit les hommes et les dieu-ou-démons, peut être oublié, méconnu, et même rejeté, que ce soit par monolâtrie ou matérialisme athée (ce qui revient au même, à la différence du spiritualisme athée qui, lui, en diffère beaucoup).
Croire est un acte humain tout à fait fondamental. Mais quand les hommes se réfèrent au Divin, que veulent-ils dire exactement ?
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L’Englobant universel en effet, ne saurait être confondu avec les diverses caricatures de monothéisme qu’en font les monolâtries modernes, qui aliènent l’Homme (les religions de masse que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam).
Pour Jung l’existence d’un « tout autre » n’est pas définie comme le Dieu transcendant, car il échappe à toute saisie. Le « tout autre » dont les hommes ont le sentiment de dépendre c’est ce qu’Émile Durkheim a mis en évidence dans son célèbre essai de 1912 intitulé « les formes élémentaires de la vie religieuse » à savoir les éléments basiques de la religion que notre ami Jung a repris sous le nom de « numineux » tout en l’associant à sa notion d’archétypes (les dieux ?).
« Pour pouvoir rechercher quelle est la religion la plus primitive et la plus simple que nous fasse connaître l’observation, il nous faut tout d’abord définir ce qu’il convient d’entendre par une religion ; sans quoi, nous nous exposerions soit à appeler religion un système d’idées et de pratiques qui n’aurait rien de religieux [comme l’Islam], soit à passer à côté de faits religieux sans en apercevoir la véritable nature……
Ces définitions écartées, mettons-nous nous-même en face du problème. Remarquons tout d’abord que, dans toutes ces formules, c’est la nature de la religion dans son ensemble que l’on essaie d’exprimer directement. On procède comme si la religion formait une sorte d’entité indivisible, alors qu’elle est un tout formé de parties ; c’est un système plus ou moins complexe de mythes, de dogmes, de rites, de cérémonies. Or un tout ne peut être défini que par rapport aux parties qui le forment. Il est donc plus méthodique de chercher à caractériser les phénomènes élémentaires dont toute religion résulte, avant le système produit par leur union. Cette méthode s’impose d’autant plus qu’il existe des phénomènes religieux qui ne ressortissent à aucune religion déterminée. Tels sont ceux qui constituent la matière du folklore. Ce sont, en général, des débris de religions disparues, des survivances inorganisées ; mais il en est aussi qui se sont formés spontanément sous l’influence de causes locales [????]
Toutes les croyances religieuses connues, qu’elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts que traduisent assez bien les mots de profane et de sacré. La division du monde en deux domaines comprenant., l’un tout ce qui est sacré., l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse ».
Anima naturaliter pagana et non musulmane, chrétienne ou juive.
Seul le paganisme est vraiment universel, parce qu’il dit à chaque homme et à chaque peuple : « Deviens ce que tu es, sois toujours plus particulier, sois toujours plus différent, sois toujours plus autre que moi et ne prends pas ma route ! Suis la tienne ! Alors et seulement alors l’harmonie du monde deviendra possible » (le dernier des grands celtisants français : Pierre Lance).
Anima naturaliter pagana… Tout homme naît païen. Ce sont les parents et le milieu social (voir le célèbre chien de Pavlov) qui en font ensuite un juif, un chrétien ou un musulman. Le paganisme a été et est toujours la première religion des hommes. Prétendre le contraire comme le font l’islam le judaïsme et le christianisme… est une dangereuse (car source d’intolérance) bouffonnerie. L’âme est naturellement païenne.
La croyance sans la raison fait des croyants des aveugles. On l’a bien vu avec la religion du Livre : le judéo-islamo-christianisme et leurs divers Necronomicon. Il est dangereux que les hommes s’accrochent aussi aveuglément à une doctrine à ce point illusoire et dogmatique, fût-elle pas trop mauvaise sur certains points.
Il ne faut pas se contenter de suivre une religion, il faut aussi vérifier personnellement la justesse de son enseignement (autrement dit, effectuer sa quête du Graal personnelle). Tout en laissant les autres faire leur propre expérience en ce domaine. Les druides ont, certes, la mission d’opérer le salut du Monde en enseignant comment passer dans l’autre, mais il ne faut sous aucun prétexte imposer cet enseignement. Le prosélytisme des témoins de Jéhovah ou d’Allah n’existe pas chez les païens.
Le druidisme a toujours compris l’attachement qui peut exister envers les traditions, quelles qu’elles soient, envers les sanctuaires (les offrandes et les sacrifices pieux en usage depuis toujours, comme à La Mecque) ; c’est pourquoi le néo-druidisme existe souvent aujourd’hui conjointement avec d’autres formes d’expression religieuse. Quelqu’un peut à la fois s’intéresser au druidisme tout en s’intéressant au chamanisme, à la magie, au bouddhisme, au christianisme, à la Wicca, et ainsi de suite.
Le message du druidisme n’est pas toujours accessible à tout le monde, il est réfléchi. C’est pourquoi l’invocation de dieu-ou-démons plus simples ; comme le dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Yahweh, devenu Jéhovah, ou Allah, etc. ; peut ne pas être totalement dénuée d’intérêt dans certains cas, pour satisfaire les habitudes religieuses contractées durant l’enfance. Car on ne naît pas
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juif chrétien ou musulman, on le devient au travers d’un conditionnement religieux de type « chien de Pavlov ».
Tous ces monothéismes non philosophiques et non réfléchis, car révélés sont cependant confrontés au problème central des hommes ou des femmes d’un seul livre, d’un grimoire, celui de la foi littérale, de la dévotion légale, ou du légalisme fondamentaliste.
La Loi vétéro-testamentaire comporte 613 prescriptions.
Le Corpus juris canonici romain (de 1917) comporte 2414 canons.
Le recueil de traditions islamiques le plus célèbre, celui d’Al Boukhari (mort en 870) comporte 7300 hadiths.
Toutes les questions, de l’appel à la prière, aux soins dentaires, en passant par l’achat et la vente, sont régies par la loi religieuse. Les détenteurs de ce pouvoir monolâtre estiment évidemment toujours nécessaires ou normales les lois qu’ils édictent. Mais elles représentent en réalité un incroyable fardeau, qui ne laisse aucune liberté de penser ou de faire, à l’Homme, la seule solution étant la soumission à l’entité supérieure (selon eux). Tel est d’ailleurs le sens littéral du mot islam (soumission).
Un grand nombre de monolâtres (les juifs, les chrétiens et les musulmans) identifient l’obéissance à la volonté divine à l’obéissance à ces lois écrites et à leur tradition d’explication. Mais à quoi bon vivre dans ce cas ? (Si tous nos faits et gestes sont programmés à l’avance ?) Il n’y a plus d’évolution possible de l’anamone (du moi). Il n’y a plus de vraie liberté, même limitée, il n’y a plus qu’une très subjective illusion de liberté.
Il a toujours été plus facile évidemment, de s’en tenir simplement à la lettre d’une loi générale, plutôt que de chercher, en fonction de l’individu concerné.
Pourtant, aucune loi écrite ne peut tenir compte de tous les cas pouvant se présenter, combler les lacunes, tenir compte des intérêts concrets, de l’Homme. Tous ces gens d’un seul livre (les juifs, les chrétiens et les musulmans) ont, certes, essayé d’adapter, à la façon des juristes romains, des directives légales devenues vides de sens, aux conditions concrètes de vie nouvelle ; voire d’en déduire des idées correspondant à ces situations nouvelles. Mais cela n’a fait qu’entraîner une nouvelle accumulation de lois écrites (par interprétation ou explication de la loi originelle) à la limite de la mystification (charia, talmud).
Or plus on accumule prescriptions et interdits, plus on finit par occulter l’essentiel. Les trous du filet sont d’autant plus nombreux que les mailles sont plus fines.
« Ils apprennent là un grand nombre de vers par cœur ; en conséquence de quoi certains y suivent leurs cours pendant vingt ans. Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec… En outre ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César livre VI chapitre XIV).
Au lieu de travailler à diffuser, comme le fait le néo-druidisme ; de nouvelles interrogations sur la fonction de la religion dans la vie ; la position philosophique sous-jacente de tous ces gens du livre (d’un seul livre) continue à cultiver la fiction d’un mental humain immuable. La fiction d’une Révélation enracinée dans tout un fatras d’Écritures, et de ce fait considérée comme infaillible dans ses méthodes et ses énoncés, bien que souvent contradictoire dans les faits.
Les gnostiques d’Occident qui savent l’importance de ne jamais rien figer par écrit, et qui savent à quel point les civilisations sont mortelles, invitent donc les monolâtres (les judéo-islamo-chrétiens) à une nouvelle lecture des grimoires en question (Bible-Évangile-Coran).
La parole des dieu-ou-démons n’est perceptible que dans une parole humaine, la révélation de l’Englobant universel qu’est le Pariollon ou Grand Tout universel, passe nécessairement par la médiation d’une expérience et d’une interprétation humaines. D’où le thème druidique du celtique langue élue ** des dieu-ou-démons.
Diodore de Sicile, Livre V, 31. « La coutume est chez eux que personne ne sacrifie sans l’assistance d’un philosophe ; car ils croient devoir user de l’intermédiaire de ces hommes qui connaissent la nature des dieux, et parlent, pourrait-on dire, leur langue ** pour leur offrir des sacrifices d’Actions de grâce et implorer leurs bienfaits ».
* Zamzam à la Mecque. Car le vrai druidisme se reconnaît aussi pleinement dans la circumambulation (taouaf) effectuée autour du puits et des deux pierres sacrées de la Kaaba.
* Le terme grec exact est homophonon.
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À en croire le Lebor Gabala Erenn ou l’Auraicept na n-Éces et d’autres légendes du folklore irlandais à ce sujet.
Variante de l’Auraicept.
« Ici commencent les rudiments des poètes c’est-à-dire le commencement de toute leçon.
— Question : laquelle des soixante-douze langues primordiales fut-elle révélée en premier par Fenius Farsaid ?
— Réponse : ce n’est pas difficile : la langue celtique.
— Question : quelle est la raison pour laquelle on peut dire que le celtique est une langue élue ?
— Réponse : ce n’est pas difficile : parce qu’il a été fait avec le meilleur de toutes les autres langues.
— Question : le celtique existait-il même avant d’être choisi ?
— Réponse : oui, il existait en vérité, puisque les 72 premières langues du monde ne se trouvent pas autrement. Tout son obscur existant dans les autres langues trouve sa place en celte à cause de sa clarté qui surpasse de loin celle de toutes les autres langues.
— Question : quel est le disciple de l’École de Fenius qui fut chargé de le rapporter ?
— Réponse : ce n’est pas difficile : Gaedel, fils d’Ether, fils de Toe, fils de Baracham de la Scythie grecque.
— Question : et qu’en a-t-il ramené au juste ?
— Réponse : tout, à part les obscurités que les bardes y ont rajoutées après son élaboration par Fenius » (Auraicept na n-Éces, livre de Ballymote).
Le Destin peut se révéler aux hommes à travers toute une série d’auxiliaires ou de causes secondes comme les dieux, mais peut aussi très bien se révéler aux hommes à travers toute une série d’autres avatars ou d’incarnations mythiques différentes, variables, du type « hommes-dieux ».
Apollonius de Tyane ; Siddhârta Gautama ou Simon le magicien par exemple. Il n’est donc pas impossible dans cette optique druidique, que le fameux rabbi de Nazareth (sic) appelé Yehoshoua bar Yosef, ait été, lui aussi, un grand awenydd, ou un homme-dieu. Même si son message est nettement moins intéressant que celui du druidisme (trop tourné vers le peuple juif, trop irréaliste ou trop démagogique) et son historicité controversée (nombreux mythes dans l’histoire de sa vie et de son œuvre : d’où venait-il ? Où avait-il acquis toutes ses connaissances ? Comment gagnait-il sa vie ? Etc.).
Le druidisme élève Lug, Hesus et Mariccus, au-dessus de l’Histoire du monde, mais uniquement pour en faire les vecteurs d’une projection philosophique dans l’intériorité des âmes/esprits.
Le plus important dans les avatars explorés par le druidisme, ce n’est pas tant l’historicité de Lug, d’Hesus ou de Mariccus, mais l’étincelle (de lumière) qui est en eux.
Ces incarnations peuvent se répéter dans chacun des cycles ou longues vies de l’Histoire du monde, en tout temps et en tous lieux. La divinité cachée derrière ou dans la manifestation terrestre, demeure plus importante que la manifestation elle-même.
Le message divin s’adresse à tous, mais en raison de la diversité des hommes et de leurs différences, chaque individu le comprend dans une mesure différente.
Rares sont ceux qui le comprennent dans sa totalité, mais il est déjà d’un grand secours, même quand on n’en saisit qu’une petite partie, comme le font ceux qui sont spirituellement Sémites (les chrétiens d’après le pape Pie XI). Chaque mortel en effet se situe à son niveau sur le chemin qui conduit au château du Graal et il est donc parfaitement normal que ses relations avec la divinité soient différentes de celles de son voisin.
La philosophie polythéiste du druidisme est une conception universelle globale du monde (Weltanschauung en allemand) qui s’étend à la multiplicité des religions même autres que le paganisme, qui ont toutes, elles aussi, leur rôle à jouer sur cette Terre, et, donc, le droit de vivre. Plus il y a de fleurs dans la prairie et plus la prairie est belle ! Que mille et une fleurs donc, s’épanouissent dans ses prés ! Ce sont, elles aussi, des tentatives d’approche du sacré, du nemetos, ayant leur utilité. L’Homme est libre de choisir son destin, est libre de se rapprocher ou de s’éloigner du Graal, selon la voie suivie, rien n’est écrit d’avance.
La multiplicité des religions est nécessaire pour permettre à des hommes et à des femmes, dont les besoins sont différents, et qui n’en sont pas au même stade de développement spirituel, de trouver leur propre voie d’accès à l’autre monde.
En fonction de son milieu naturel, toutes ces religions cherchent à frayer à l’Homme un chemin dans sa direction, quel que soit le nom qu’on lui donne.
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Elles n’ont pas toutes néanmoins la même efficacité.
Unité de but ne signifie pas identité de chemin.
Certaines religions conduisent plus vite au but, d’autres s’avèrent rapidement être des impasses ou des détours (exemple le christianisme).
L’homme ne s’y engage que parce qu’il ignore le meilleur chemin.
Certes, vénérer d’autres dieu-ou-démons que les dieu-ou-démons celtes, ou que le Destin et ses auxiliaires, peut aussi porter ses fruits, mais ceux-ci ne seront que de courte durée. Le druidisme, lui, connaît le chemin le plus adapté.
Le polythéisme druidique ne prétend donc pas que toutes les religions sont identiques, mais seulement que, vu du sommet de la montagne, qu’il y a convergence d’une partie des voies qu’elles empruntent, car certaines s’égarent en de longs détours pour y parvenir. Dans quel état d’ailleurs ! Les religions ne sont pas toutes identiques. Certaines sont moins efficaces que d’autres, contiennent une part d’erreur plus grande.
Le problème éthique c’est la transmission d’office à des enfants n’ayant pas encore la maturité nécessaire pour y réfléchir vraiment, de telles habitudes religieuses ; qui vont conditionner « à la Pavlov » le restant de leur vie ; au lieu de leur laisser le libre choix de croire, ou de ne pas croire. Cela revient en fait à ne laisser devant eux qu’une seule porte ouverte, et à verrouiller toutes les autres. La transmission aux enfants d’une option religieuse plutôt qu’une autre devrait donc être interdite, et les options religieuses ne devraient être soumises qu’à des adultes librement consentants.
Néanmoins, face aux différentes descriptions de la réalité offertes par les religions, il ne s’agit pas de déclarer les unes vraies ou les autres fausses, mais de bien voir que chacune est en fait adaptée à la capacité d’appréhension ou de compréhension, de ses fidèles, à leur degré d’évolution ou de conscience, donc à leur milieu en définitive.
Il est par exemple évident, et nous l’avons déjà signalé ; que l’ensemble formé par le Coran les hadiths et la Sira, est doublement inférieur au druidisme voire au christianisme ! Il n’existe pas, par exemple, dans le
CHAR. FIQ. MAD (Coran et hadiths) ; d’équivalent des paraboles de la femme adultère (christianisme-évangile) ou de la femme de Partholon (druidisme : livre des conquêtes irlandais). Ni d’équivalent de la loi réprimant plus durement le crime commis contre un étranger, que celui qui est perpétré contre un de ses compatriotes (ou coreligionnaire donc par définition à l’époque, cf. le druidisme selon Nicolas de Damas : recueil des coutumes extraordinaires) ; voire encore de la parabole du bon Samaritain (christianisme-évangile). Sans compter que les druides antiques également (ils étaient homophonon selon Diodore de Sicile, livre V, 31) parlaient, eux aussi, la langue divine par excellence (kalâm nafsî. Mais il est vrai que les moutazilites reconnurent que le Coran n’était pas incréé. Dont acte !)
On arrive ainsi à une juxtaposition d’interprétations différentes, qui n’est pas refus de toute conviction personnelle de la part du druidisme ; mais simplement reconnaissance des différents niveaux d’expérience religieuse ; de la foi chrétienne du charbonnier à la coupe des cheveux en quatre ou au pilpoul des bouddhistes.
Seul un tel polythéisme peut contribuer enfin efficacement à la paix du monde, en supprimant tout prétexte religieux aux guerres. Comprenons-nous bien ! Un tel point de vue polythéiste ne peut à lui seul empêcher les conflits, mais il peut en revanche contribuer à réduire efficacement l’incompréhension et l’intransigeance des intégrismes.
Quand les musulmans auront compris que l’essentiel de leur pèlerinage à La Mecque n’est pas dû à Abraham, mais d’origine païenne, alors ils feront preuve de plus de compréhension envers le paganisme.
Car les combats les plus fanatiques, les plus cruels, sont ceux que colorent, inspirent, ou légitiment, les religions d’un seul livre. Pas de paix entre les peuples donc, sans respect de la liberté de culte. Mais peut-on tolérer l’intolérance ?
La protection de toutes les communautés religieuses, même autres que celle du druidisme, fait partie des devoirs de tout bon roi originellement bien d’esprit celte (chamanisme, mégalithisme, ondinisme, et aujourd’hui hindouisme, bouddhisme, christianisme celtique, etc.). Ces religions sont souvent, nous l’avons vu, le chemin convenant le mieux au degré d’évolution spirituelle des peuples (leur mentalité collective). On a pu le voir dans le cas de la fondation du royaume galate (les populations urbaines ont pu subsister en tant qu’atectoi ou « protégés », le culte de la grande mère des dieu-ou-démons à Pessinonte a été maintenu, et ainsi de suite).
Évidemment, d’une façon générale les religions de type païen s’accommodent plus facilement de la tolérance (à cause de leur intériorité) que les religions dans lesquelles la conception du divin implique des choix dramatiques, provoquant des crises. Et conduit ainsi à une division entre ceux qui suivent et
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ceux qui ne suivent pas, entre élus et non élus, entre sauvés et damnés (voir par exemple le judéo-islamo-christianisme).
Comme toute religion révélée, l’islam est persuadé de posséder la vérité absolue et comme chacun sait une vérité absolue ne devient tolérante qu’à partir du moment où l’on ne croit plus pleinement en elle. Le musulman convaincu ne peut être tolérant. Le musulman tolérant est un musulman qui commence à ne plus croire à 100 % à l’islam.
Même chose pour le christianisme évidemment. Si le christianisme contemporain n’est plus aussi intolérant qu’avant, c’est plus à cause de sa décadence que par choix. Jusque dans les années 1950, son slogan était « hors de l’Église point de salut ! »
La tolérance des paganismes comme celle des druides peut, elle, par contre, aller parfois jusqu’à l’assimilation sans critique, au manque d’esprit critique, au manque de force dans la résistance face aux nouveaux totalitarismes religieux de notre époque. Cas de beaucoup des groupuscules néo-druidiques français actuels, comme le collège des druides bardes et ovates de Mme H. C. – publication A. G. – ; la gorsedd bretonne du Docteur G… L. S., le groupe druidique de MM. P… et D… publication M. – qui mélange allègrement druidisme et ondinisme, etc.
Nous comprenons très bien les raisons du développement hellénistique de la christologie, l’intérêt des grands conciles de Nicée et de Chalcédoine. Nous voyons bien en effet quelles étaient leurs intentions profondes. Mais comprenons-nous bien ! Il doit être hors de question pour de vrais druides de donner dans le christianisme, même sans christ. C’est-à-dire d’adopter les plus absurdes idées de base lui appartenant exclusivement, sans justification autre que le poids du conformisme inconscient et des habitudes (exemple : le péché originel, etc.).
Dans le contexte global de ce nouveau polythéisme mondial en marche, les très-sachants ne sont mus que par la question suivante : comment faire comprendre aux gens du Livre, un grimoire du genre Necronomicon ; que le druidisme n’est pas si « sorcier » que cela.
Aucune religion aujourd’hui ne peut se permettre de « splendide isolement » façon XIXe siècle.
Nous ne pouvons pas, et nous n’en avons pas le droit, continuer à ignorer les valeurs philosophiques morales ou esthétiques des milliards d’autres hommes ayant habité ou habitant toujours notre planète. Nous n’avons pas le droit non plus d’éluder plus longtemps les questions normatives concernant le vrai ou le faux, en bref les valeurs.
De la croyance en de nombreux dieu-ou-démons au refus de croire en Dieu ou au Démiurge (matérialisme athée) en passant par la croyance en un dieu-ou-démon unique ; la présente petite bibliothèque pour les jeunes ne part pas du principe que le druidisme serait le seul à être dans le vrai. Elle essaie simplement de décrire et d’énumérer les grandes vérités universelles admises par tous, en les mettant à la portée de ceux qui se sentent spirituellement celtes. C’est-à-dire en concepts et images plus ou moins anthropomorphiques, employés par le druidisme dans son œuvre de pédagogie pour adolescents.
Toute religion est d’abord par conséquent rencontre concrète avec le sacré, rencontre vécue et incarnée. Que cette réalité supérieure appelée Pariollon soit conçue comme impersonnelle (par exemple dans le cas des judéo-islamo-chrétiens) ou a-personnelle (par exemple dans le cas des païens), comme puissance au singulier (Dieu) ou au pluriel (les dieux, esprits, anges ou démons).
Les religions sont relation à quelque chose qui dépasse ou englobe l’homme et son monde, à une réalité vraie ultime, quelle que soit la façon dont on conçoit ce Pariollon (l’Être supérieur, le grand esprit…). La vraie religion est une philosophie qui propose à l’Homme des moyens de faire son salut c’est-à-dire de finir dans un autre monde de nature paradisiaque (Mag Meld pour ne pas le nommer). Une religion, c’est donc aussi une relation réalisée au niveau social ou individuel, de façon vivante, dans une tradition et une communauté (dans des rituels, une éthique, et une doctrine).
Enfin du moins d’après le druidisme.
Toute religion est vision de la vie, attitude de vie, mode de vie (et de mort) croyant. Chaque religion est un modèle individuel ou social englobant les hommes et le monde, un système de coordonnées à travers lequel des hommes voient et vivent, pensent et ressentent, agissent et souffrent (même s’ils n’en ont pas toujours conscience). Un système de coordonnées fondé dans l’immanence, mais se déployant dans la transcendance, grâce auquel l’Homme s’oriente, intellectuellement, émotionnellement. Toute religion fournit un sens de la vie englobant, garantissant les valeurs supérieures, garantissant les normes inconditionnelles, et créant une patrie spirituelle.
En dépit de toutes les difficultés que cela suppose, les druides que nous sommes allons essayer de procéder par argumentation rationnelle, au lieu d’invectiver ou de caricaturer, comme le font les « monothéistes ». Nous allons essayer d’atteindre ainsi un double objectif.
— Une autocritique druidique à la lumière des autres religions (cela se traduira par de nombreuses suppressions ou des révisions, aussi déchirantes soient-elles).
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— Une critique druidique des autres religions à la lumière du message de la philosophie celtique puisque philosophie celtique il y a si l’on en croit Diogène Laërce et les Stromates de Clément d’Alexandrie (voir notre leçon N° 1).
Il s’agira dans cette double démarche d’éviter l’absolutisme borné ou arrogant, qui « absolutise » sa vérité à lui et dissout la vérité des autres.
Les gnostiques d’Occident n’entendent défendre ici, ni un point de vue exclusiviste, qui condamnerait globalement les religions non celtiques et leur vérité ; ni une position de supériorité condescendante qui estimerait d’emblée notre philosophie meilleure (dans son éthique, etc.)
Une telle attitude ne peut conduire qu’à une apologétique paresseuse, à l’impossibilité d’apprendre, et à l’ergotage. Bref au dogmatisme, qui estime posséder par définition la plénitude de la vérité, ou privilégie la lettre à l’esprit, ce qui lui interdit évidemment de les trouver un jour.
Mais personne ne doit non plus attendre de nous, druides, un relativisme superficiel et irresponsable qui mettrait sur le même plan toutes les valeurs et toutes les normes ou tous les systèmes religieux.
Un polythéisme mal compris, qui entérinerait les autres religions sans débat, sans réflexion, et sans critique ; sans attirer l’attention sur les non-vérités en dépit de toutes les vérités, possibles ; qui exclurait de la critique, en les considérant comme tabou, certaines positions ou décisions religieuses…
Un tel polythéisme ne pourrait que conduire à un antiracisme primaire, minimisant la question de la vérité, ou n’osant même pas la poser. À un lâche laisser-faire enclin à tous les compromis, à toutes les démissions, même face à l’inacceptable. Même face à des actes intolérables aurait-on dit en 1774 ! Pour cela, il faudra cependant admettre une chose, c’est que la frontière entre le faux et le vrai n’est pas une frontière séparant les religions entre elles, mais passant à l’intérieur des religions elles-mêmes, quelles qu’elles soient.
Le druidisme ne rejette rien de ce qui est vrai ou sacré dans les autres religions. Nous n’avons, par exemple, rien contre le fait d’effectuer des circumambulations autour de la Kaaba, que ce soit en habits de cérémonie ou en état de nudité rituelle totale, de manger du mouton à cette occasion ou de vénérer la pierre noire de La Mecque. Le druidisme considère avec respect ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines, qui diffèrent en beaucoup de points de ce qu’il pratique lui-même et propose ; mais apportent souvent aussi une part de vérité. Tout le problème est de séparer le bon grain de l’ivraie.
Il faut accepter de ne pas nier les valeurs des autres religions ; mais il faut également refuser d’accepter sans réserve leurs non-valeurs. La lapidation, le refus du changement de religion, la mutilation des voleurs – il est plus intelligent de les faire travailler pour rembourser leur victime – le mariage des fillettes, le statut de seconde zone des femmes et des non-musulmans, l’obligation de faire le ramadan, l’interdiction de critiquer la religion musulmane (son fondateur et son Necronomicon) son islamocentrisme de mauvais Samaritain, etc., etc., etc.
L’Humanité a besoin d’un dialogue fait d’un donner, mais aussi d’un prendre réciproques, qui sache déceler les intentions les plus profondes.
La condition du dialogue est le respect de l’autre tel qu’il est, de ses croyances et de ses convictions. Il importe donc en ce domaine que les monolâtres, juifs, chrétiens et musulmans, cherchent enfin à mieux connaître les composantes fondamentales de la tradition religieuse de ce paganisme qu’ils méprisent et insultent tant. Et qu’ils fassent enfin l’effort de sortir de leur égoïsme (leur islamocentrisme leur judéocentrisme, etc.), pour rechercher par quels traits fondamentaux les païens se définissent vraiment eux-mêmes.
Sur ce point, on commence à parvenir à un consensus entre les représentants des différentes religions de masse. Le mépris des autres spiritualités fait lentement place à la compréhension, la méconnaissance à l’étude, la conversion forcée au dialogue. De plus en plus de chrétiens se penchent maintenant sur le paganisme pour l’étudier. Le monde spirituel est comme le monde naturel : seule la diversité le sauvera. Exactement comme la santé d’une forêt ou d’une prairie peut se mesurer au nombre de plantes ou d’espèces qui prospèrent en son sein. Seule une grande multiplicité de voies spirituelles ou philosophiques permettra aux hommes de trouver leur chemin à travers l’obscurité ou les dangers de notre époque (citation de mémoire de Margot Adler).
Voici ce que pensent déjà par exemple les chrétiens de l’association universelle unitarienne (UUA).
Et c’est la première fois depuis l’Inquisition que des païens sont acceptés par un groupe appartenant à une des religions de masses se partageant actuellement la planète. Que des « UU » (sic) de sensibilité païenne et des « UU’s » (re-sic) judéo-chrétiens, puissent prier ensemble, sous un même
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toit, constitue un formidable pas en avant du pluralisme religieux. Immenses en sont les implications à long terme, non seulement pour l’universalisme unitarien, mais aussi pour l’ensemble des religions occidentales, et donc pour l’avenir de notre Terre Mère.
Polythéisme critique par conséquent, qui appelle chaque religion, non à tout justifier d’elle, mais à montrer ce qu’elle a de meilleur, de plus profond.
L’enjeu aujourd’hui est de comprendre lentement de l’intérieur, pourquoi le chrétien, le musulman, l’israélite, l’hindou et ainsi de suite, voit, mais avec d’autres yeux que le druidisant. Voit mais avec un autre cœur, son destin et le Monde, le service des dieu-ou-démons, ainsi que l’aide à prodiguer ou pas aux autres hommes (Nicolas de Damas et la parabole du bon Samaritain). Pourquoi il témoigne d’une attitude différente face à la politique, au droit, et à l’art ?
Bref, nous avons besoin d’une religion où toutes les parties se sentent mutuellement responsables, et prennent conscience que personne ne possède la vérité à lui tout seul ; mais que nous sommes tous en route vers une vérité plus grande qui nous dépasse.
La vérité ne peut quand même pas être différente suivant les religions. La vérité ne peut être que la vérité. Ce qui varie, ce sont les vues que l’on a de la vérité.
Ce qui importe par conséquent c’est, à travers toute exclusivité, de rechercher l’inclusif ou le complémentaire.
Une telle approche polythéiste des choses ne peut évidemment que modifier non seulement nos réponses, mais aussi nos questions elles-mêmes, notre vision de nous-mêmes, ainsi que la façon dont nous comprenons le Grand Tout. Un tel polythéisme ne nous appauvrit pas, il nous enrichit au contraire. Notre tout premier souci doit être d’élargir notre horizon de compréhension et d’information. Information, discussion et transformations mutuelles, un tel polythéisme doit par conséquent aboutir, non à un mélange sans critique, mais à un éclairage, une stimulation, un enrichissement, mutuels.
Tel est l’étroit chemin de crête conduisant à cette compréhension réciproque, qui n’est pas un début de religion mondiale unique, mais un début de pacification en ce domaine (la guerre des religions initiée il y a 2000 ou 2500 ans).
Car il est évident que la parole biblique ou coranique n’est quand même pas tombée directement du ciel, et qu’elle n’a pas été inspirée ou dictée mot à mot par Dieu ou le Démiurge. Bible Coran et Necronomicon sont des créations humaines. Le nier confine à la folie.
Il y a les dieu-ou-démons ordinaires habituels, classiques, logiques (le Destin et les différents dieu-ou-démons qui sont ses auxiliaires par exemple). Mais aussi des dieu-ou-démons sortant de l’ordinaire, plus difficiles à comprendre et à cerner, vu leurs nombreuses contradictions (Yahweh/Jéhovah, Yehoshoua bar Yosef dit le nazoréen, Allah, et autres).
Comme l’a très bien vu Marcion de Sinope : le dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, ne correspond pas aux critères d’omnipotence, d’omniscience, et de bonté, qu’on lui applique généralement. Il ne s’agit donc pas du véritable être supérieur. Le dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, n’est qu’un démiurge créateur analogue aux fils de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), en Irlande, avec le serpent dans le rôle des Andernas ou Fomoire. Le dieu d’Abraham, ou plutôt les dieux d’Abraham d’ailleurs (les Élohim et Yahweh).
Coran et Ancien ou Nouveau Testament, ne sont pas des livres saints, parfaits, incréés, qu’il faut accepter à la lettre, car ils ne sont pas sans manques, sans fautes, sans contradictions, sans obscurités ou mélanges, sans limitations, erreurs, ou traductions approximatives. Les moutazilites ont malheureusement eu raison trop tôt, qui avaient en leur temps déjà compris que le Coran n’était pas incréé, mais « créé » ! Traduttore traditore disent d’ailleurs les Celtes cisalpins de la Ligue du Nord.
De plus, à leur sujet, il n’est pas possible de faire abstraction de l’Histoire.
Il y a dans le néo-druidisme beaucoup de critiques des erreurs du monde spirituellement non celte ; mais ces jugements s’appliquent en fait uniquement aux hommes qui combattent ou dénigrent de façon vraiment coupable, le message druidique. Il faut tenir compte du fait que la bonne nouvelle du druidisme (la suscetla) n’a pas encore été comprise ou entendue de façon adéquate par tout le monde. Il s’agit donc moins de condamnations définitives que d’appels explicites et pressants à la compréhension.
N’oublions pas non plus, qu’à côté de la grande lumière du message druidique comme un feu dans la clairière, il y a aussi une foule d’autres lumières, moins perçantes, il est vrai.
Des non-druidisants et même des non-païens peuvent donc accéder à « notre » autre monde de nature paradisiaque, s’ils agissent en conséquence.
De toute façon, l’Être supérieur parle même aussi aux gens du Livre par moments, et il est proche ou solidaire de tout homme de bonne volonté.
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Sa lumière éclaire tout homme venu en ce monde (anima naturaliter pagana). L’illumination par les rayons de son soleil est toujours possible, partout et en tout temps.
Un certain nombre de non-druidisants du passé ou du présent, ont pu, ou peuvent, faire l’expérience de la souveraineté divine de l’être Dieu ou du Démiurge universel (exemple Zoroastre).
Certains hommes (même non-druidisants) ont bénéficié de connaissances particulières, ont eu, eux aussi, une tâche spécifique à réaliser (exemple : Odin/Wotan chez les Germains).
À ceux de nos contemporains qui s’intéressent aux questions religieuses, nous allons donc apporter un petit aperçu de ce qu’est le druidisme, le vrai druidisme ; en quelques mots, accessibles à tous, puisqu’en principe destinés aux jeunes (il s’agit d’un résumé, non d’une somme).
Il ne s’agira pas de répondre en détail à toutes les questions ou à toutes les objections possibles, mais d’aboutir, au fil des pages, à une sorte de présentation résumée du druidisme, à la lumière des autres grandes religions. C’est-à-dire à une présentation prenant donc en compte les principales critiques émanant des autres religions, pour atteindre à une vérité supérieure, sur le fond ; mais toujours enracinée dans la langue et la civilisation celtes pour ce qui est de la forme.
Il est aberrant de voir tant d’hommes ou de femmes fêter d’authentiques traditions païennes (Saint-Jean, Noël, le pèlerinage à La Mecque et tant d’autres…) tout en sursautant d’horreur en entendant le mot « païen ».
Nous rencontrons de plus en plus de nos jours de membres d’autres religions dans nos villes, dans nos écoles, dans les entreprises. C’est un problème de plus en plus pressant depuis que s’est considérablement élargi, non seulement notre horizon religieux géographique, mais aussi notre horizon religieux historique. Depuis aussi que, dans un monde qui bouge, les anciennes frontières entre les religions de masse commencent à s’estomper, vu l’effondrement interne du christianisme. Nous sortons de notre isolement et nous apprenons à percevoir la réalité des autres. Après une période de guerre chaude, puis froide, une période enfin de coexistence plus tolérante que pacifique, il se pourrait que nous soyons aujourd’hui en passe d’entrer dans une quatrième période, celle de la cogestion du sacré.
En dépit de tous les obstacles et de toutes les difficultés que nous connaissons pour la première fois dans l’histoire du Monde, nous assistons enfin à la lente émergence d’une conscience planétaire et globale du sacré ; au début d’un dialogue enfin sérieux entre les religions.
C’est peut-être là l’un des phénomènes les plus importants de ce début de XXIe siècle et qui ne portera tous ses fruits qu’au XXIIe. Aussi convient-il aujourd’hui, plus que jamais, de comprendre et d’admettre enfin, les autres religions, comme partenaires à part entière d’une gigantesque et pacifique confrontation, créatrice d’approfondissement des vérités. Certains monolâtres en effet, peuvent se révéler parfois de véritables pédagogues involontaires, en conduisant sans le vouloir à la vraie compréhension des dieu-ou-démons du Destin.
La vérité de ce que nous croyons n’exclut pas la vérité de ce que croient les autres. Imaginons que nous soyons perdus de nuit au milieu d’un immense paysage inconnu, avec seulement une petite torche chacun pour nous éclairer. Pouvons-nous prétendre décrire l’ensemble de ce paysage ? Chacun ne le décrira-t-il pas de façon différente selon ce que sa torche lui montrera ?
L’un affirmera : c’est une forêt vierge !
Un autre : c’est une plaine désertique !
Un troisième : ce sont des rochers au bord de la mer.
Leurs vérités sont incompatibles et, pourtant, ils ont tous raison. À mesure que nous nous élevons, notre vision de la vérité s’élargit et nous apercevons que les chemins qui en bas étaient séparés, à partir d’une certaine hauteur, convergent.
L’objectif de cette mini-bibliothèque destinée à la jeunesse est donc d’utiliser au mieux les petites lumières que nous avons à notre disposition ; afin d’explorer au maximum ce paysage inconnu appelé Pariollon ou Grand Tout, Allah, Brahman, Nirvana, Yahweh, dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob, etc. Chacun pourra donc avant de refermer ce livre méditer cette prière et se faire sa propre idée.
La nature est de première importance pour le druidisme, car l’Homme n’est pas fait de nature, il est nature lui-même, et ciel en plus. Rappelons-nous toujours que nous faisons partie de la nature, que nous sommes la partie d’un tout colossal et que nous n’en sommes jamais absolument séparés. Notre corps et notre âme sont composés des éléments formant cet univers, tout comme ceux des animaux, des plantes, et des minéraux.
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Nous sommes tous des enfants de Litavis/Nerthus, la Terre Mère. Toute vie en ce bas monde est issue de la Terre Nourricière (Rosemartha) que ce soit la nourriture ou la campagne fécondée par un éclair venu du ciel (notre père qui est aux cieux), car tout se tient dans notre monde (tout est interdépendant).
Nos relations avec la Terre en général et avec la campagne où nous vivons, avec ses forces spirituelles propres, sont d’une très grande importance. Accordez de l’attention à votre environnement, où que vous puissiez vous trouver. Prenez le temps d’observer concrètement, sans vous contenter de simples lectures à leur sujet, la vie des animaux et des plantes autour de vous. Apprenez à écouter les réponses données à vos angoisses métaphysiques par les ruisseaux et les vagues de l’océan, le vent et les orages, les animaux et les insectes. Écoutez aussi les histoires que vous racontent les bâtiments et les villes dans lesquelles vous vivez. Tout a une âme, et toute chose a des leçons à vous donner. Honorez ces esprits partout présents dans la nature en leur adressant également quelque pensée. Leurs réponses pourront vous aider.
Il nous faut suivre les leçons de notre Mère la Terre au travers des messages qu’y délivrent nos frères et sœurs ; tout ce qui respire, nage, vole, se déplace, grandit, se transforme, et donc existe.
Essayons de vivre en harmonie avec tout ce qui est, mais aussi de traiter respectueusement tout ce qui vit.
L’âme de la Terre Mère est ce qui permet l’interconnexion de tout ce qui existe sur terre. Nos âmes sont une partie de Son âme de la même façon que nos corps sont une partie de son corps.
Les vents eux-mêmes peuvent apporter des informations si on les interroge de façon adéquate. Les arbres de la Forêt apportent la sérénité, les vagues de l’Océan la patience ou la vérité de ce monde, puisque l’eau est la mémoire de toute chose.
Allez dans les bois et parlez au ciel, à la terre, aux rochers, aux rivières et aux ruisseaux. Écoutez les réponses, écoutez vos ancêtres. C’est par là que commence toute authentique spiritualité.
1) Ce chiffre est le total, non pas des druidisants actifs et convaincus ; mais de tous ceux qui, à un moment ou un autre de leur vie, se sont intéressés au druidisme. Phénomène historique bien connu auquel se prêtent particulièrement bien les paganismes en général et le druidisme en particulier. Il n’y a problème que lorsqu’une des religions en cause est une monolâtrie intolérante.
Le polythéisme étant par définition tolérant, non exclusif, et admettant également par définition la validité de toutes sortes d’autres cultes, contrairement aux monolâtries caractéristiques des actuelles religions de masse, aucun autre culte aucun autre dieu (agnostos theos/sive deus sive dea) ne saurait complètement répugner au vrai druidisant. Le vrai druidisant s’efforce toujours au contraire au plus complet irénisme vis-à-vis des autres cultes. Cette attitude d’ouverture intellectuelle comparable à une laïcité ouverte en matière politique aboutit souvent à une sorte de double appartenance en ce qui concerne le druidisant de base. C’est d’ailleurs ce qu’a très précisément prôné John Toland pour ses panthéistes (dans son pantheisticon) d’ailleurs, mais pour d’autres raisons il est vrai (la crainte des persécutions). Une double appartenance, à laquelle se prêtent particulièrement bien les paganismes en général et le druidisme en particulier. Il n’y a problème que lorsqu’une des religions en cause est une monolâtrie exclusive.
Quelques exemples historiques.
— Double appartenance libre. Certains juifs du 1er siècle de notre ère étaient aussi chrétiens. Les livres d’histoire les appellent d’ailleurs judéo-chrétiens.
— Double appartenance forcée (sous peine d’exil). Certains juifs espagnols du 16e siècle, les marranes, étaient à la fois juifs (en cachette à la maison) et catholiques le dimanche à la messe.
— Double appartenance « forcée ». L’islam autorise ses fidèles à afficher tous les signes extérieurs de la conformité religieuse dominante s’ils ont des raisons de craindre pour leur vie. C’est le principe dit de la taqiyya (sourates 3.28,16.106). Historiquement surtout pratiqué par les chiites vivant sous domination sunnite, mais des sunnites peuvent également y avoir recours comme dans le cas des morisques toujours en Espagne. Arthur de Gobineau, en 1865, dans son ouvrage Les Religions et les philosophies, semble être un des premiers auteurs occidentaux à décrire le principe de cette dissimulation religieuse.
— Double appartenance semi-libre. Beaucoup d’Islandais du 11e siècle étaient officiellement chrétiens dans leurs relations extérieures ou dans leurs affaires avec des pays étrangers, mais restaient païens en privé ou dans leurs foyers (décision du godi Thorgeir Thorkelsson).
— Double appartenance totalement libre.
La cohabitation du bouddhisme et du shintoïsme au Japon depuis le VIIIe siècle est un excellent exemple de cette double appartenance toujours observable aujourd’hui, et elle a même un nom : shinboutsou shugo. Suivant les circonstances le Japonais moyen est donc soit bouddhiste soit
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shintoïste. Dans les faits, la plupart des Japonais fêtent les mariages et les naissances suivants les rites shintoïstes et les funérailles suivant les rites bouddhistes. Au Japon de nombreux temples bouddhistes ont dans leur enceinte un espace dédié aux kami, quand les kami ne sont pas eux-mêmes considérés comme des émanations des différents bouddhas et boddhisattvas.
— Double appartenance totalement libre. Certains druidisants actuels, mais il n’y a pas de nom en vieux celtique pour désigner ce genre de pratiques religieuses. Évidemment !
* Nous ne mettons pas le christianisme dans cette courte liste à cause de la parabole du bon Samaritain dont il n’existe d’ailleurs aucun équivalent dans le judaïsme ni l’islam. Le seul équivalent est la coutume celtique rapportée par Nicolas de Damas qui signale que chez les Celtes le meurtre d’un étranger donc d’un adorateur d’autres dieux…… EST PLUS SÉVÈREMENT PUNI QUE LE MEURTRE D’UN COMPATRIOTE (les druides voulaient sans doute par prudence éviter tout risque de représailles de la part des peuples voisins).
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ANNEXE N° 1.
LE SYMBOLISME DE L’AMBRE.
L’ambre se situe entre deux mondes : un univers végétal à jamais englouti et le monde minéral qui a inexorablement transformé en gemmes cristallines les larmes d’une résine excrétée il y a dix mille siècles ! L’ambre est une matière qui interpelle en quelque sorte la réalité tangible. D’apparence fragile, elle paraît à l’écart du temps, qui ne semble avoir prise ni sur sa couleur ni sur sa consistance. Alors que l’univers minéral a tendance à « pétrifier » tout ce que le passé laisse comme trace de vie, l’ambre est comme un paradoxe inaltérable. Fossile contenant des fossiles, c’est un élément du règne minéral, tout en conservant des caractéristiques liées au végétal.
On rencontre rarement une matière comme l’ambre qui combine influence chimique et influence physique.
La composition chimique de l’ambre approche de la formule suivante : C10 H16 O, avec quelques variantes. La teneur en hydrogène ou en oxygène peut changer, en outre on y détecte parfois la présence d’azote ou de soufre.
Depuis les années 1950, la chimie organique, activité qui s’est développée autour des combinaisons du carbone, a élaboré quantité de produits pharmaceutiques ou autres. Dans les calmants, sulfamides, antibiotiques et antiseptiques, on trouve des compositions chimiques qui sont très proches de celle de l’ambre : aspirine (C9H8O4), Prontosil (C12H13O2N5S) Sulfadiazine (C10H10O2N4), etc. Cette comparaison assez large permet de situer l’action effective de l’ambre dans une réalité chimique qui a fait ses preuves par ailleurs.
Il est probable en outre que l’action physique de cette sève fossile, combinée à une action chimique incontestable, provoque sur la peau des messages physico-chimiques assez forts pour lutter contre certaines névralgies autour du cou. L’expérience des Anciens était donc fondée, semble-t-il, et en élargissant les recherches, on pourrait encore trouver des applications curatives, bien au-delà des perspectives actuelles.
On trouve de l’ambre dans le Maryland, en Alaska et au Canada, dans la province de la Saskatchewan, où on le date du Crétacé. Il est présent aussi en Chine (Moukden), au Japon (Kuji), en Thaïlande, en Malaisie et au Viêt Nam. En Birmanie, l’ambre peut être jaune vineux, rouge, vert ou parfois même bleu, il s’est formé entre l’Éocène et l’Oligocène. Dans la péninsule Arabique, l’ambre date aussi du Crétacé. Au Mexique (Chiapas) on creuse pour l’exploiter. Dans la République dominicaine (Palo Quémado), il était fameux pour son bleu. Il faudrait citer aussi l’Afrique (Zanzibar, le Gabon, le Nigeria), la Nouvelle-Zélande, l’Inde ou l’Australie. En France, après l’Estérel, la découverte du gisement de Corbeilles démontre qu’il reste encore des possibilités d’en trouver, dans bon nombre de terrains sédimentaires.
L’ambre de la Baltique est la résine d’un conifère qui abondait, au début du quaternaire, sur un territoire recouvrant une partie de l’actuelle Baltique, ce qui explique que cette mer en contienne d’inépuisables réserves.
Premier gisement du globe par ses ressources, l’ambre de la mer Baltique représente les deux tiers de l’ambre du Monde, il est surtout le premier par la qualité de l’ambre qui s’y trouve. La formation géologique de ce sédiment explique cet avantage.
La plaque tectonique Nord-européenne rencontre la plaque centrale aux limites sud de la mer Baltique. À cet endroit elle glisse sous la plaque centrale. Ce mouvement, dans le passé, a causé une modification géographique majeure.
Tandis que la mer baltique était un plateau couvert d’une immense forêt (Pinaceae, Taxodiaceae, Cupressaceae, etc.) la plaque nord s’est légèrement affaissée pour rentrer sous la plaque centrale. Ce changement transforma cette étendue en vaste lac d’eau douce.
Les arbres furent détruits par l’eau et la résine qu’ils avaient produite devint donc un sédiment de ce lac. La suite du mouvement tectonique provoqua l’ouverture au sud-ouest vers la mer du Nord. L’eau salée remplaça l’eau douce et les sédiments légers comme l’ambre furent portés par les courants, sur certains points des côtes de cette mer : Pologne, Russie, Lituanie, Allemagne et Pays baltes.
Les dépôts d’ambre s’effectuèrent dans des sables ou des argiles, sans que de fortes pressions soient exercées sur eux. Les pressions de sédimentation brisent généralement les éléments fragiles, et leur quasi-absence dans ce processus a préservé l’ambre de la Baltique de l’émiettement. Le milieu marin a également préservé cette matière de tous les agents d’érosion, et ce concours de circonstances a fait de l’ambre de la mer Baltique le tout premier au monde pour ce qui est de la qualité.
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L’Homme de l’Âge de pierre attribuait à l’ambre des propriétés surnaturelles. Les anciens Germains se servaient de l’ambre comme encens et le faisaient brûler. Aussi l’appelèrent-ils « brennstein », la pierre qui brûle. Sa combustion dégage une odeur particulière qui embaume depuis l’Antiquité les temples dédiés aux dieu-ou-démons. Sa malléabilité avant l’ère du plastique lui réserva une place privilégiée dans la considération des hommes, car, même refondu, l’ambre conserve ses propriétés physiques et chimiques.
Il y a 7000 ans les premiers habitants de la Scandinavie utilisaient en pendentifs des morceaux d’ambre trouvés sur les plages de cette mer. Son influence sur le bien-être se vérifie si facilement que, depuis la Préhistoire, magies et thérapeutiques lui prêtent d’innombrables vertus…
C’est sans doute à cette époque que naquit l’idée que l’ambre est le lien subtil entre l’âme individuelle et l’âme universelle, matérialisant l’attraction solaire, spirituelle et divine. Ainsi l’ambre acquit-il une grande valeur, et aussi une grande importance auprès, entre autres, des Étrusques, des Phéniciens, des Égyptiens
Pour les Phéniciens et les Étrusques (rites funéraires avec de l’ambre), c’était un symbole de force éternelle et de vie.
Homère fait mention, dans l’Odyssée, de bijoux en ambre, comme d’un présent princier : il s’agit de boucles d’oreilles et d’un collier fait de boules d’ambre.
Au temps de Thèbes, soit 2000 ans avant notre ère, les Pharaons utilisaient l’ambre comme bijou, comme parfum ou pour la médecine. Les matières les plus rares convergeaient vers leurs palais. L’ambre du Liban ou de la péninsule Arabique a probablement acquis à cette époque une excellente renommée. Les dynasties qui se sont succédé jusqu’à la domination romaine ont employé cette matière précieuse en élargissant leur approvisionnement jusqu’aux confins de leur influence.
Depuis lors, il n’a jamais cessé d’être en vogue. Jusqu’au XIXe siècle, on considéra cette matière comme précieuse au même titre que l’argent ou l’or. Entre les années 1895 et 1900, la production d’ambre baltique pour la joaillerie, atteignit des proportions énormes. Trois variétés sont disponibles.
Ambre classique couleur cognac.
Ambre laiteux, plus rare, appelé « ambre royal ».
Ambre à plusieurs couleurs.
Tous ces ambres sont naturels, et les différentes couleurs proviennent d’inclusions naturelles ainsi que du processus de fossilisation.
Les Celtes ont établi une route de l’ambre allant jusqu’en Espagne et en Grèce. Cette « route de l’ambre » relie la mer Baltique à la mer Adriatique par les fleuves (la Weser, l’Elbe, la Vltava ou Moldava, puis le Pô ; ou alors par le Danube). L’ambre est ensuite travaillé dans les ateliers crétois ou du Péloponnèse, avant d’être redistribué dans toute l’Asie Centrale.
L’origine de l’ambre a fait l’objet de bien des récits mythiques, dont certains ont été consignés par les Grecs ou les Romains. Les marchands d’ambre, grecs, remontant les fleuves européens comme le Danube ou le Pô, nous ont rapporté quelques fragments des conceptions druidiques relatives à l’ambre jaune (accommodés à leur façon évidemment). Quelque part nous sommes tous de petites étincelles (de petites larmes dit le mythe) issues d’une grande flamme (le plérôme psychique ou réservoir des âmes), et cette larme est la source de tout ce qui a été, ainsi que de tout ce qui sera.
La légende rapportée par Lucien de Samosate raconte par exemple qu’Ogmios entraînait certains hommes derrière lui en les tenant par les oreilles avec une chaîne d’ambre. Ce lien fragile, mais symbolique, les hommes préféraient ne pas le rompre, pour suivre leur guide spirituel vers la sagesse.
Autre légende. Phaéton, fils de Phébus (le soleil) convainquit un jour son père de l’autoriser à conduire le char du soleil, pour quelques heures, à travers les cieux ; mais il s’approcha trop près de la terre, qui en fut incendiée. Pour sauver la planète, Jupiter frappa Phaéton de son foudre, et Phaéton mourut. Le chagrin changea en arbres sa mère et sa sœur, mais leurs pleurs continuèrent à témoigner de leur affliction. Séchées au soleil, leurs larmes devinrent de l’ambre.
L’Ambre et la fée Électricité. La propriété de l’ambre est de s’électriser par frottement. C’était la seule manifestation possible de l’électricité à l’époque. Avant l’invention de la pile électrique par Alessandro Volta, les adeptes des sciences, pour démontrer l’existence de l’électricité, utilisaient une machine composée d’une boule d’ambre qui tournait en frottant contre une peau de mouton. Des petits morceaux de papier ou des brins de laine étaient attirés par la boule après quelques rotations.
Cette expérience a conduit à la recherche d’un moyen pour accumuler l’électricité ainsi obtenue, démarche qui déboucha sur l’invention de la pile électrique.
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Les anciens druides connaissaient déjà cette particularité (mais ces courants à l’époque ne s’appelaient pas encore « électricité statique ») et en avaient communiqué l’information à des voyageurs ou des commerçants grecs.
Les Grecs l’appelèrent elektron (d’où le mot électricité) c’est-à-dire « fait par le soleil », peut-être à cause de cette histoire ou, peut-être parce qu’il se charge d’électricité quand on le frotte sur un tissu ; et qu’il est alors susceptible d’attirer de petites particules. C’est Thalès qui, après les druides, a redécouvert ce phénomène magnétique, vers 600 ans avant notre ère. Avec les Romains, l’ambre sous toutes ses formes prit divers sens, mais le parfum produit par la combustion de l’ambre fut réservé au temple de Jupiter, afin de manifester l’élévation d’un « nectar » réservé au premier des dieu-ou-démons.
Les Romains envoyèrent des armées à la conquête des régions productrices, afin de s’en assurer le contrôle.
Dans son Histoire naturelle, Pline consacre plusieurs pages à l’ambre, appelé en latin « électrum », et critique sans appel les affabulations des auteurs qui avaient jusqu’alors mélangé mythes celtes et contrevérités géographiques. Son texte explique qu’il s’agit d’une sève solidifiée que l’on trouve sur le rivage des « mers du Nord » ; ajoutant que, bien avant lui, les Anciens savaient déjà qu’il s’agissait d’une matière d’origine végétale, puisqu’ils l’avaient appelée succin.
Il précise qu’il s’agit d’un produit de si haut luxe qu’une petite statuette d’homme en ambre se paye plus cher que plusieurs hommes bien vivants et vigoureux, sur le marché aux esclaves. Néron aurait lancé la mode des cheveux ambrés, après un éloge poétique de la couleur des cheveux de sa femme. À la même époque, en médecine, on l’utilise pour la gorge, les maux d’oreilles, la vue, les dents ou l’estomac. On le consomme en poudre, écrasé avec du miel et de l’huile de rose, on le porte en amulette. On le brûle pour parfumer l’air. Il occupe aussi, d’après Pline, une place importante dans la fabrication des fausses pierres translucides, des améthystes en particulier, puisqu’on peut le teindre de toutes les couleurs.
Les médecins arabes utilisent les propriétés de l’ambre, pour soigner quantité de maux, et aux yeux de ce peuple, l’ambre devient rapidement un symbole.
Ce sont d’ailleurs ces médecins arabes du Moyen-âge, qui vont donner le nom d’ambar à ce produit.
Leur amour de l’art va engendrer la fabrication de colliers d’ambre aux boules très grosses, opaques, et jaunes, ou rouges. Pour les obtenir, les Arabes ont coutume de refondre les divers ambres qu’ils importent en les teintant. On peut également penser que l’essor de leurs contacts commerciaux, ainsi que l’amélioration de leurs pratiques artisanales, les ont conduits à mélanger d’autres résines avec cette précieuse matière.
Qu’ils soient Vikings, Goths, Wisigoths ou Francs, les peuples du nord de l’Europe ont également longtemps conservé un grand attachement à l’ambre et à ses vertus. À en croire les superstitions, il protégerait contre les sorts, le mauvais œil, les poisons, les blessures, et serait même un signe de virilité.
Sa composition chimique doit, par contre, nous mettre en garde contre une consommation éventuelle sous forme de poudre, comme le faisaient les Romains. On ne doit pas plaisanter avec ce genre de produit, encore moins jouer à l’apprenti sorcier. On doit appliquer la plus grande prudence à l’usage interne de l’ambre après ingestion.
Les chapelets ou les amulettes d’ambre sont comme des condensateurs de courant. Et en se chargeant eux-mêmes, ils déchargent de leurs propres excès ceux qui les portent ou les égrènent.
Le collier d’ambre pour les nourrissons est une vieille tradition européenne qui remonte probablement aux Celtes. Son usage autour des anciennes routes de l’ambre se constate jusqu’en Espagne. Lorsqu’un nourrisson fait ses dents, ses mâchoires sont l’objet de douleurs intenses. Un collier d’ambre va calmer ses douleurs de croissance et apaiser ses nerfs. Au-delà de l’effet calmant, le port de ce collier va équilibrer le nouveau-né, stimulant ainsi son adaptation à la vie qu’il commence.
De façon plus générale, toutes les névralgies peuvent trouver un apaisement dans une application locale d’ambre. Mais ne commettons surtout pas l’erreur néanmoins de croire que cette matière peut être un remède à tous les maux, son usage se localise en priorité vers le cou, pour la gorge, les oreilles, le nez ainsi que les poumons. Les crises d’asthme d’origines diverses, pollen ou nerfs sont également calmées, de même que les angoisses, les déséquilibres nerveux ou l’épilepsie.
Sans aller jusqu’à en faire une panacée, on peut penser que le port de l’ambre, d’une manière générale, apporte à l’organisme un réel bien-être préventif. Tant sur le plan nerveux que sur le plan biologique.
Si les femmes se parent sans complexe de colliers, les mœurs actuelles n’autorisent pas trop les hommes à faire de même. Qu’on se souvienne néanmoins que les premiers colliers portés par des êtres humains étaient destinés aux guerriers. En le glissant sous leur chemise, les hommes eux aussi peuvent, très discrètement, bénéficier de tous ses bienfaits.
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La vie tumultueuse de notre époque provoque anxiété ou angoisse. L’ambre est une réponse idéale à ce genre d’oppression. Porter un collier d’ambre permet de lutter contre les sentiments déprimants, les cauchemars.
ANNEXE N° 2.
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Notes retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau.
L’ANTICHAMBRE DU PARADIS DANS LA TRADITION CELTIQUE : L’ANDUMNOS OU ROYAUME DE SUQELLOS (DONNOTEGIA EN IRLANDE, ETC.)
Les défunts peuvent renaître dans le monde des dieux, puisqu’ils sont mortels eux aussi, bien qu’ayant une durée de vie infiniment plus longue que celle des humains. Mais les âmes esprits des défunts peuvent aussi, comme nous l’avons dit, séjourner un certain temps dans l’avant-paradis ou dans l’antichambre du paradis qu’est le royaume des morts.
Première étape ou île (éventuelle) du voyage de l’âme/esprit après la mort.
Ainsi que nous avons pu le voir, l’autre monde druidique est composé de nombreux royaumes ou mondes parallèles différents. On retrouve d’ailleurs le même concept en Extrême-Orient sous le nom de terre ou champ de Bouddha (bouddhakshetra). On appelle Terre de Bouddha ou bouddhakshetra là-bas en effet, une dimension ou sphère d’influence créée par la pensée d’un grand initié de type semnothée ; les êtres humains qui s’y rendent ont la possibilité de s’y épanouir sans obstacle dans le domaine spirituel. Zangdok Pelri, la Glorieuse Montagne Cuivrée, est par exemple la Terre Pure du bouddha Padmasambhava.
En Irlande, l’antichambre du royaume des morts est appelée Maison de Donn (Donnotegia ou Tech Duinn) et elle est située au sud-ouest du pays, au large de la péninsule de Beara, sous l’île du rocher du taureau.
Dindsenchas métrique, tome IV, poème 113. « Mais les âmes des justes, elles, peuvent apercevoir de loin cet endroit et, donc, l’éviter à temps. Voilà ce que croient les païens à propos de Tech Duin ». Il s’agit donc d’une divinité courroucée diraient nos amis tibétains, dont le rôle est de faire peur aux âmes des défunts juste après la mort, afin qu’elles ne s’égarent point en ce lieu. Bref, pas un si mauvais diable que ça en définitive !
Donn est un dieu-ou-démon des morts irlandais confondu avec Eber Donn (Eber le sombre), l’un des chefs de la tribu des fils de Mil. L’aîné même (ou un ancêtre primordial ? ?). Parmi les huit fils de Mil, il y avait en effet, à en croire ces légendes assez farfelues, Eber Donn, Eber Finn, Eremon, Amorgen, Erannan et Ir. Ir mourut par la faute d’Eber Donn (« le sombre »), et ce dernier fut donc condamné par ses autres frères à n’avoir aucune part du pays dont ils allaient s’emparer. Les textes irlandais semblent aussi faire allusion à ses rapports assez complexes avec les divinités de la Terre-Mère (les matres Banva/Banba/Banuta, Votala ainsi qu’Ériu en Irlande). Il insulte Ériu, déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, symbolisant l’Irlande, et périt ensuite noyé au large des côtes après s’être sacrifié pour son peuple (après avoir défié le druide Amorgen de son cri de guerre selon d’autres versions). Sa tombe (Tech Duinn ou Maison de Donn en gaélique) située sur une petite île au sud-ouest de l’Irlande deviendra une des portes du royaume des morts. Et sera donc du coup inévitablement associée aux naufrages et aux tempêtes, dans le folklore. Le mythe du seigneur de Tech Duinn est peut-être l’ultime écho d’un sacrifice humain. Donn aurait jadis accompli son sacrifice en se jetant dans l’Océan, qui du coup est devenu son domaine.
Quoi qu’il en soit, les Irlandais en ont fait un dieu-ou-démon des morts, régnant sur ou sous des îlots rocheux, situés à l’extrême sud-ouest du pays. L’île du taureau (mais au fait, pourquoi taureau et non cerf, nul ne sait, à moins que ce ne soit une allusion au célèbre taureau brun de la Tain Bo Cualnge) située au large de l’île de Dursey, sur la côte sud-ouest (péninsule de Beara, comté de Cork). Les portes de Tech Duinn étaient gardées par une paire de chiens féroces : un noir et l’autre blanc. Donnos/Donn vit donc dans cette île ou sous cette île en forme de cairn, où il garde les morts ayant vraiment commis d’abominables crimes, et les renvoie à leur destinée. En les laissant se réincarner sur terre sous forme de bacuceos, après un séjour plus ou moins long en son royaume. La légende précise d’ailleurs que ceux qui meurent à Donnotegia (Tech Duinn) se retrouvent de nouveau dans notre monde. Comme rien n’est éternel, l’enfer lui-même en effet n’est qu’un mauvais moment à passer (même chose d’ailleurs chez les hindous avec leur royaume de Yama). N.B. Une autre résidence traditionnelle de Donnos/Donn est Cnoc Firinne (Knockfierna dans le comté de Limerick). Le folklore local évoque aussi pour cela le petit fort de Dunbeg, sur la côte ouest de l’Irlande.
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Autre étape ou autre île (éventuelle) du voyage de l’âme/esprit après la mort.
Le royaume de Tethra.
Tethra est un roi des vouivres anguipèdes gigantesques ayant rejoint avec son armée les trois autres princes de cette famille de dieu-ou-démons appelés Balaros, Indicios et Bregsos (Balor, Indech et Bres mac Elatha en gaélique) ; afin de livrer la deuxième bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, contre les dieu-ou-démons aériens dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on veut, Danu (bia). En vain d’ailleurs, il y fut vaincu et y perdit la vie. Son épée magique, appelée Orna, fut récupérée par Ogmios. C’était une épée qui pouvait raconter tous les hauts faits de son maître une fois dégainée. La déesse-ou-démone de la guerre appelée Bodua (Bodb) ou Cathubodua (Bodb Catha) la corneille ou corbeau des combats, lui est fréquemment associée.
Autre étape ou autre île (éventuelle) du voyage de l’âme/esprit après la mort.
On retrouve ce concept (d’une antichambre du paradis) sous le nom d’Annwn ou Annwfn (écrit à tort quelquefois Annwyn, Annwyfn ou Annwfyn) au Pays de Galles. Une des portes de ce monde est, selon les Gallois, située dans l’île de Lundy, une autre à Glastonbury.
Le célèbre poème de Taliesin intitulé « les Dépouilles de l’Enfer » (Preiddeu Annwfn) y place un chaudron magique gardé par neuf sorcières.
La chasse au blanc cerf d’Erec et Énide rappelle le fait que les bêtes blanches, dans le folklore gallois, proviennent d’Annwn. Il peut s’agir d’un sanglier comme dans le mabinogi de Manawydan, fils de Llyr, ou d’un porc blanc dans le lai de Guingamor, ou bien d’une biche blanche comme dans le Lai de Graelent. Ces animaux blancs ont parfois les oreilles rouges, tels les chiens d’Arawn, dans le mabinogi de Pwyll, ou la monture du chevalier aux armes vermeilles du Lai de l’Espine.
L’étymologie galloise du terme suggère que son nom initial, andumnos, et avant cela andedubnos, signifiait quelque chose comme « souterrain » ou « très profond ». Il s’agit d’un autre monde dont les habitants sont des dieux ou des démons selon le point de vue adopté. Il est par conséquent difficile de le classer dans la catégorie des mondes paradisiaques ou dans celle des mondes infernaux.
Pour les Irlandais le royaume d’Andumnos est gouverné par le roi vouivre géant appelé Tethra, ou par une entité appelée Donn (le taureau sombre ? ?), mais pour les Gallois, il est d’abord gouverné par Ariomanos (Arawn) ensuite par Gwyn ap Nudd (Vindos fils de Noadatus/Nuada/Nodons, à ne pas confondre avec le célèbre roi des fénianes irlandais).
Arawn est donc un des rois de l’Andumno ou Annwn. Il parcourt les forêts, avec une meute de chiens blancs aux oreilles rouges, à la poursuite d’un cerf, animal psychopompe par excellence. C’est le chef ou le conducteur d’une chasse sauvage traversant le royaume des hommes chaque veille de 1er novembre ou de 1er mai, avec sa meute de chiens fantômes, appelés les Cwn Annwn.
Arawn est également dit, dans certaines variantes, roi d’Uffern, mot gallois généralement traduit par enfer, notamment dans les écrits de Taliesin. Ce qui en ferait par conséquent, un synonyme chrétien d’Annwn. Il est néanmoins difficile de dire si cette assimilation d’Annwn à une sorte d’enfer est due à l’influence chrétienne, ou si la conception païenne originelle allait déjà en ce sens. Un Mag Meld, mais aussi Tir na mBân, Tir na mBéo, Tir Tairngiri, Tir na nOg, Magh Ionganaidh, Magh Ildathach, Magh Imchiuin, Magh Argetnel, Magh Findargat, Magh Aircthech, Sen Magh, Caer Wydion, Caer Gwydion, Lly’s Don, Caer Arianrhod ou Gwynfa (au Pays de Galles) Vindobitos ou Vindomagos… de seconde zone !
Gwynn ap Nudd est également un des souverains de cet autre monde plutôt inquiétant. Il se mêle souvent des affaires humaines et apparaît notamment dans le conte gallois intitulé Culhwch et Olwen, où il est dit tenir de Dieu lui-même son empire sur les démons.
« On ne peut chasser le Porc Trouyth sans Gwynn, fils de Nudd, à qui Dieu a soumis la force des démons d’Annwyn pour les empêcher de détruire la présente race humaine ».
Le folklore a fait de Gwynn un chasseur maudit, chevauchant sur les nuages, en compagnie parfois du roi Arthur lui-même, et accompagné de ces mystérieux chiens aux oreilles rouges.
Ainsi que nous avons pu le voir, Gwynn ap Nudd participe aussi à la chasse mythique d’Arthur traquant le sanglier appelé Trouyth. Il a un rôle psychopompe puisque l’une de ses fonctions est de
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rabattre les âme/esprits des morts vers l’Annwn, accompagné de sa meute de chiens fantastiques : les Cwn Annwn. Cette chasse sauvage est connue dans tout l’Occident, et fait partie de la mémoire archaïque européenne.
Le Mabinogi concilie légende chrétienne et païenne. Ne pouvant l’arracher de l’enfer, où saint Collen et ses amis l’ont irrévocablement installé, l’auteur explique en effet que c’est uniquement afin de mater les démons et les empêcher de nuire à la race humaine, qu’on l’y a envoyé.
Comme dans le cas de Tech Duinn il s’agissait donc là encore d’un enfer qu’en principe tout défunt avait de bonnes chances de reconnaître et d’éviter, vu son apparence visiblement effrayante et que le druidisme, qui est foncièrement optimiste, ne prenait donc guère en compte, sauf à titre d’hypothèse peut-être.
Scolies bernoises commentant la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451. « Les druides nient que les âmes puissent périr [Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER » [aut contagione inferorum adfici] et
454. « ils ne disent pas que les Mânes existent » [manes esse, non dicunt].
Le point Nº 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743 sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer) va d’ailleurs aussi clairement dans ce sens. Ainsi que nous avons déjà eu maintes occasions de le dire, il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
ANNEXE N° 3.
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L’HÉRÉSIE BRETONNE.
Les religions hindoues et celtiques présentent de nombreux points communs. On a par exemple constaté de fortes similitudes quant à la représentation et la fonction de certains d’entre eux. C’est le cas pour Suqellos (Hok-bras au Huelgoat) et son « équivalent » Yama. Et dans les diverses légendes dorées chrétiennes, on retrouve les mêmes attributs que Suqellos, cas par exemple de saint Roch, ou de saint Jean l’apôtre (et son calice).
L’implacable Ankou nous met en garde contre l’oubli de notre fin dernière. Ces sentences sont gravées sur les murs d’ossuaires ou d’églises. « Je vous tue tous » (Brasparts et La Roche-Maurice), « Souviens-toi homme que tu es poussière » (La Roche-Maurice) ou encore, écrit en breton, « La mort, le jugement, l’enfer froid : quand l’homme y pense, il doit trembler » (La Martyre).
Les nombreux ossuaires, ou édifices, où s’entassent les ossements des défunts, témoignent de la familiarité des Bretons par rapport à la mort : les paroissiens méditent naturellement devant les crânes. Par ailleurs, les âme/esprits des trépassés (anaon) ne sont jamais loin.
Autrefois, lors des moments importants tels Noël ou surtout la Toussaint, il était courant de laisser à leur intention dans la maison, un bon feu, ainsi que quelques crêpes.
Mais la crainte des Bretons se manifeste surtout à l’évocation de l’Ankou. En France, en Bretagne plus exactement, l’Ankou est le maître des « Anaon » ; les âme/esprits errantes vouées à l’infern yen (enfer froid) symbolisé par divers univers aquatiques : océans, courants, lacs, marécages, brouillards, rivières, etc., et notamment dans cette région sauvage que l’on appelle les monts d’Arrée.
L’Ankou est omnipotent. Il est dépeint comme un squelette, parfois drapé d’un linceul, tenant une faux emmanchée à l’envers. Des représentations anciennes le montrent armé d’une flèche ou d’une lance.
L’Ankou circule la nuit, debout sur un chariot dont les essieux grincent. Ce funèbre convoi est le « karrig an Ankou », char de l’Ankou (« Karriguel an Ankou », littéralement brouette de l’Ankou), remplacé par le « Bag nez », bateau de nuit dans les régions du littoral (cf. Procope). Entendre grincer les roues du « Karrig an Ankou » la nuit, ou croiser en chemin le sinistre attelage sont des signes annonciateurs de la mort d’un proche.
Et c’est là qu’à notre sens il y a hérésie : la diabolisation de Suqellos, transformé en squelette grimaçant par la christianisation. Le maître du processus de la mort était autrefois représenté de façon beaucoup moins lugubre. Suqellos était l’intercesseur souverain des dieu-ou-démons dont les attributs sont le chaudron d’abondance ; « dont nul ne s’éloigne sans avoir été rassasié » (c’est aussi un chaudron de résurrection, car les morts qui sont plongés en son sein en ressortent vivants) ; et le maillet qui a la propriété de tuer par une extrémité ou de ressusciter les morts par l’autre. L’Ankou a les mêmes attributs que Suqellos. L’Ankou est la meilleure représentation du druidisme [opinion de l’École présidée par Gwenc’hlan Le Scouëzec].
La probabilité d’une présence de Suqellos au Huelgoat se trouve renforcée par le fait qu’aux portes mêmes de la ville, on entre dans le Monde d’en bas. En remontant la petite vallée du Fao sur quelques kilomètres, on parvient à Brennilis et au Marais de Brasparts, celui que l’on appelle le Yeun Ellez et qui est traditionnellement la Porte des Enfers ou le domaine de l’Ankou. Là s’ouvre le Youdig, l’abîme sans fond par lequel notre monde communique avec celui des divinités chtoniennes.
N.D.L.R. Les « lavandières de la nuit » (Kannerezed noz). Entre le coucher du soleil et son lever, ces femmes, grandes et maigres, viennent dans les lavoirs de ce monde, faire la lessive des suaires. Ce sont des âme/esprits qui, dans les glaces du non-monde, attendent leur délivrance et doivent travailler, en rémission de leurs péchés. Gare aux malheureux qui les rencontrent, il leur est réservé un sort pour le moins tragique… Voir tout ce que nous avons pu écrire dans le tome I à propos des chasses maudites et des royaumes d’Andumno, Donno Tegia, ou Ys.
Mais anciennement dans le druidisme de référence il s’agissait simplement de déesse-ou-démones jouant le rôle de messagères ayant pour fonction de mettre en garde nos héros.
ANNEXE N° 4.
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LE BARDO THÖDOL.
Le nom de l’ouvrage, ou plutôt celui de sa partie principale, composée des termes bardo (état intermédiaire), thö (entendre) et dhol (libérer), signifie libération par l’audition pendant les stades intermédiaires pouvant exister [entre la mort et la renaissance].
Sont également décrits dans le texte trois autres bardos qui ne sont pas propres à la mort, mais appartiennent à l’expérience des vivants : celui de l’état de conscience ordinaire, celui du rêve, celui de la méditation. L’ouvrage mentionne les rituels à observer ainsi que les quatre prières récitées par les lamas Tibétains. Dans le cas où le corps n’est pas présent, une effigie sur papier du défunt, appelée jangbou, est attachée à un bâtonnet puis placée sur l’autel. À l’issue du rituel, le lama la brûle, libérant ainsi l’âme de ses fautes ; celle-ci se réincarne aussitôt. La version intégrale contient de plus des descriptions des différents signes annonçant un proche trépas (ce qu’Anatole Le Braz appelle les intersignes), et comment faire éventuellement pour en repousser l’échéance.
Il y a neuf portes qui sont celles du monde, mais seulement une qui est celle du Mahamudra (nirvana). Si vous fermez les neuf portes, il ne vous reste alors que le chemin de la libération.
Le bouddhisme diffère en cela du druidisme qui, lui, distingue plusieurs voies d’accès (divodorum) à l’autre monde, suivant les individus.
Dans la pensée tibétaine, le processus de la mort biologique dure environ trois jours et demi, ce qui n’est guère plausible. Durant cette période, on peut, selon les moines tibétains, chuchoter des passages du Bardo Thödol à l’oreille du défunt, qui est supposé pouvoir encore les entendre. Il peut alors être guidé à travers le passage du bardo de la dharmatã, qui est le passage par l’expérience de la luminosité divine. Le Bardo de la Dharmãta est l’intervalle dans lequel disparaissent les illusions et dans lequel se fait jour la vérité.
On appelle Phowa, ou « transfert de conscience au moment de la mort » la méthode bouddhiste qui permet, lorsque l’on est arrivé à la fin de sa vie, de passer dans l’autre monde paradisiaque du Bouddha Amitabha, nommé Déouatchène (Vindomagos pour les druides). Par une combinaison du souffle, de récitations de mantras, et de techniques de visualisation, pratiquée au moment de la mort ; la conscience est éjectée par l’ouverture de Brahma, évitant ainsi la renaissance dans les six royaumes de l’existence cyclique (selon les bouddhistes).
À partir de cette ouverture, la conscience peut être transférée directement dans la terre pure de Déouatchène.
P.S. Comme on dit par chez nous (Lucain Guerre civile, I, 448-450) : « Et vous, les vates, dont les poèmes guerriers jadis immortalisaient les puissantes âmes/esprits de ceux qui sont morts à la guerre… »
ANNEXE Nº 5.
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LE GROUPE D’ÉTUDES EXPÉRIMENTALES
DES PHÉNOMÈNES PARAPSYCHOLOGIQUES
de Toulouse.
Les objectifs.
A) L’étude scientifique des phénomènes métapsychiques.
La perception extra-sensorielle regroupant les phénomènes généralement désignés par les termes télépathie, voyance, prémonition, pressentiment, rêves prémonitoires, rhabdomancie, radiesthésie.
La psychokinèse, qui désigne une action supposée de la pensée sur la matière : apparitions, déplacements d’objets incompatibles avec la physique newtonienne, guérisons inexpliquées, « maisons hantées ».
B) La poursuite des travaux antérieurs dans le cas des phénomènes dont la réalité scientifique est acquise et l’étude de la possibilité de cette réalité dans les autres cas. Cette activité peut prendre la forme d’investigations de type éthologique, mais donne surtout lieu à des expérimentations de laboratoire « stricto sensu ».
C) L’étude scientifique des témoignages et documents relatifs aux « états de mort imminente », à la transcommunication.
D) Une action d’hygiène psychosociale, énergique et permanente, visant à favoriser une attitude rationnelle à l’égard des phénomènes étudiés. Dans la mesure où il en a la possibilité matérielle, le G.E.E.P.P. intervient dès qu’une « affaire » prétendument paranormale est portée à la connaissance du grand public.
E) Dans la mesure de ses moyens, son soutien à tout chercheur scientifique en métapsychique (parapsychologie).
F) Une politique de publications scientifiques destinées au grand public.
Il va de soi que les travaux du G.E.E.P.P. n’impliquent pas de prise de position de type philosophique ou religieux.
Le G.E.E.P.P. a néanmoins rencontré depuis sa création diverses oppositions.
— De la part d’une partie du milieu scientifique français qui, mal informée, considère que ces phénomènes ne sauraient être un objet de recherches. L’opposition de ces chercheurs français n’est sans doute pas l’expression d’une opinion majoritaire dans la communauté scientifique, mais de ce fait de nombreuses recherches ne peuvent être développées comme il faudrait.
— De la part d’individus ayant compris que l’étude de ces phénomènes permettait de mettre en évidence des escroqueries.
Le G.E.E.P.P. considère que son éthique lui impose une tâche d’information et d’éducation à l’intention du grand public toujours prêt à dériver vers l’irrationnel. Il intervient donc régulièrement pour satisfaire aux demandes provenant d’institutions diverses et répond à un courrier important provenant de personnes isolées, sollicitant des renseignements ou affirmant être, soit l’objet, soit la victime, de certains phénomènes.
Les membres du G.E.E.P.P. sont tous bénévoles et le groupe dispose de revenus très faibles par rapport aux coûts du matériel scientifique. Il accepte donc les parrainages ainsi que de travailler dans le cadre de conventions, portant sur des programmes d’investigation spécifiques, établis avec des organismes publics ou privés.
Pour tout renseignement complémentaire, contacter Y. Lignon.
ANNEXE N° 6.
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RETOUR SUR LES EXPÉRIENCES DE MORT IMMINENTE (E.M.I.)
Les témoignages d’EMI se sont multipliés ces dernières années pour deux raisons essentielles : l’évolution des techniques de réanimation cardio-respiratoire et l’intervention plus rapide des secours. Les témoignages remontent cependant à l’Antiquité, mais on trouve aussi des récits d’EMI dans les documents du Moyen-âge irlandais (aislingi, imrama, echtrai).
Un grand nombre d’impressions-sensations est rapporté. Toutes ne sont pas nécessairement vécues par les sujets ayant eu ces expériences.
Il y a de nombreux traits communs dans ces impressions et de fortes variations dans le « contenu », qui peut être extrêmement agréable ou au contraire terrifiant.
Les EMI dites « négatives » sont plus rarement rapportées. On en a néanmoins de nombreux exemples dans le christianisme irlandais médiéval.
L’EMI est le point ultime jusqu’où un homme peut aller vers l’autre côté du miroir. Mais puisqu’il en revient, il n’y a pas eu, par conséquent, véritablement mort au sens propre du terme. Les expressions « Expérience de Mort Imminente », ou « Expérience aux Portes de la Mort » n’évoquent donc pas un voyage sur l’autre rive ; mais les sentiments éprouvés lors d’un événement dramatique de la vie raconté avec toute la puissance émotionnelle que recèle le registre du symbolique, de l’imaginaire et de l’affectif. Cette expérience émotionnelle intense, même si elle traduit aussi parfois une projection de l’inconscient personnel et collectif, peut devenir « spirituelle ». En transformant une vie. Pour certains elle représentera une « preuve » de l’au-delà ou à une aspiration à l’espérance.
John Eccles pense qu’une forme de conscience existe indépendamment des organes sensoriels et du cerveau, et donc du corps, voire même lui survivrait. Car des expériences (menées sur des personnes n’étant sous aucune emprise religieuse) révèlent qu’à l’approche de la mort l’esprit se détacherait du corps, alors que les activités vitales s’estompent.
Les visions relatées par des sujets qui ont frôlé la mort, appelées Expériences de Mort Imminente, le prouvent.
La caractéristique première des Expériences de Mort Imminente est qu’elles révèlent une réalité inaccessible à nos facultés de perception ordinaires.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, il existe des Expériences de Mort Imminente positives et rapportant des visions heureuses ou rassurantes, mais également des Expériences de Mort Imminente négatives.
Une Expérience de Mort Imminente négative est effrayante, voire angoissante et, par conséquent, elle n’est pas agréable pour celui qui l’a vécue et la relate.
Certains aujourd’hui estiment que ces Expériences de Mort Imminente négatives et infernales demeurent des phénomènes marginaux. Kenneth Ring et Peter Fenwic ont estimé à 5 % le nombre d’Expériences de Mort Imminente négatives (1999). Elles existent pourtant indéniablement et sont très représentées dans les témoignages du Moyen-âge irlandais.
Ces expériences sont souvent associées à certains des concepts de base de la religion judéo-chrétienne (la géhenne de feu symbolisant l’enfer par exemple).
Le schéma type est celui-ci : le sujet plongé dans un profond état de transe éprouve le sentiment de flotter en apesanteur et hors de son corps. Ce qu’il appelle son âme débouche alors dans un autre monde, généralement infernal pour commencer dans les EMI judéo-chrétiennes comme celles d’Adamnan, de Drythelm, de saint Fursa ou Fursy, Tnugdal ou Tondale, Laisren ; sans oublier le Purgatoire de saint Patrice et l’Elucidarium d’Honorius augustodunensis. Ensuite ou alternativement ce qu’il appelle son âme débouche dans une chaude lumière, fait la rencontre d’êtres de lumière venant l’accueillir pour l’aider à franchir le passage, et accède le plus souvent à la vision finale d’une cité radieuse (et/ou infernale). Le sujet revient de cette expérience radicalement transformé.
Récemment, des chercheurs ont réussi à provoquer artificiellement l’une des premières phases des Expériences de Mort Imminente : une « sortie de corps ». En stimulant une zone particulière du cerveau d’une patiente, celle-ci s’est sentie s’alléger jusqu’à se voir elle-même « allongée sur le lit, depuis le plafond ». Pour beaucoup de scientifiques, cette expérience tendait à prouver que les Expériences de Mort Imminente relevaient d’une hallucination.
Il est possible que l’Expérience de Mort Imminente soit bien, comme l’avancent certains chercheurs opposés à son acceptation, un trouble pathologique dû aux neurotransmetteurs responsables de la vue. Les témoignages d’Expérience de Mort Imminente après usage d’éther appuieraient en quelque
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sorte cette théorie, d’autant plus que d’autres drogues, comme le LSD par exemple, s’attaquent ainsi aux relais synaptiques.
La transmission et l’amplification de tels récits d’Expérience de Mort Imminente, de génération en génération ; avec en plus l’intervention de romanciers ou de poètes pour les mettre en forme (les bardes) ; ont donné ce que l’on appelle les aislingi, les echtrai ou les imrama, dans le monde celtique insulaire.
Passons maintenant en revue quelques-uns des plus célèbres témoignages attestant la possibilité pour l’âme/esprit de survivre hors du corps. Mais encore une fois, répétons-le, nous n’affirmons nullement que ces aislingi, echtrai, ou imrama, sont des comptes rendus d’Expérience de Mort Imminente. Notre conviction est simplement qu’à l’origine de ces légendes, il y a d’authentiques Expériences de Mort Imminente, et qu’elles ont par la suite été enrichies et mises en forme par des lettrés d’obédience druidique.
Les théories qui expliquent ces visions se bousculent. L’une des premières est que l’arrêt des fonctions vitales et notamment de la respiration entraîne une diminution de la quantité d’oxygène distribuée au cerveau ainsi qu’aux tissus, provoquant une augmentation rapide du niveau de CO2. Or, il est établi que l’anoxie (oxygénation insuffisante du cerveau) provoque des visions. Mais l’anoxie ne constituerait pas la seule et unique cause des aislingi, echtrai, ou imrama. Les visions naîtraient aussi d’une sécrétion massive d’endorphines par le cerveau, juste avant la mort. Ces substances voisines de la morphine, produites naturellement par le cerveau en période de tension intense, masquent la douleur immédiate, comme dans un accident corporel important. Les endorphines seraient donc responsables de la sérénité décrite dans les témoignages.
L’echtra, l’aisling, ou l’imram, pourrait être aussi un phénomène pathologique de dépersonnalisation, proche de la schizophrénie. Ce phénomène de neuroprotection serait donc à l’origine, non seulement d’une « déconnexion » de la conscience, mais aussi du besoin de se protéger face à l’imminence de sa propre mort. En se réfugiant dans un monde de fantasmes construit à partir de croyances conscientes et/ou inconscientes.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, en mode chrétien ces aislingi ont donné des textes comme les visions de Noïbo Adamnan, Drythelm, saint Fursa ou Fursy, Tnugdal ou Tondale, Laisren…
La Vision de noïbo Adamnan (aisling adomnain).
Après une longue introduction à la gloire de Dieu ou le Démiurge et de ses saints, le texte nous rapporte ce que l’âme d’Adamnan, ayant momentanément quitté son corps lors de la saint Jean-Baptiste, a pu voir. Et tout d’abord la terre des saints. La description qui en est faite n’est pas sans évoquer celles de l’autre monde celtique (Vindomagos, la terre d’éternelle jeunesse et ainsi de suite…)
Viennent ensuite les six ciels ou les six étapes différentes du Purgatoire, qui ressemblent déjà beaucoup à l’enfer.
Quand l’ange gardien eut fini de faire défiler dans les yeux d’Adamnan ces visions du royaume de Ciel et les premières aventures de chaque âme ayant quitté son corps ; il le prit avec lui afin de lui montrer les profondeurs infernales et ses innombrables souffrances tourments ou punitions de toutes sortes.
Telle était la dernière terre où ils arrivèrent. Un gouffre rempli de feu était derrière, énorme était la flamme qui en montait en en débordant largement. Noire était sa base, rouges son milieu et sa partie supérieure. Huit monstres se tenaient là, les yeux comme des charbons ardents.
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Le thème des îles entourées de murs d’argent ou de bronze est bien évidemment un emprunt à la mythologie druidique insulaire, notamment celle qui concernait les imrama. Le thème des flammes de l’enfer est par contre une image incontestablement d’origine chrétienne. Car pour les druides, l’état de l’être provisoire de toute âme/esprit ayant raté son entrée au paradis et donc vouée à rester un certain temps dans son antichambre, voire à se réincarner sur terre, était plutôt associé au froid et à la glace.
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Voir la célèbre légende irlandaise intitulée Siabur Charpat Con Culaind. Ce qui suit par contre est une énième variante du thème celtique bien connu du pont périlleux. Il se retrouve dans de nombreuses légendes allant de la Perse antique au cycle arthurien.
Vu l’importance de ce thème dans la religion de nos frères en humanité appelés Parsis ou Guèbres, quelques mots sur leur religion s’imposent à titre de comparaison…
Note de Pierre de La Crau sur le sujet, retrouvée par ses héritiers.
Le parsisme est la religion des Parsis, adeptes du zoroastrisme, ou mazdéisme, qui furent obligés de quitter la Perse (Iran), suite à la conquête arabo-musulmane (VIIe-VIIIe siècle), afin de s’installer en Inde ; où l’on trouve des témoignages de leur première colonie à partir de 717. Le Qissa-i Sanjan (« légende de Sanjan », XVIe-XVIIIe siècle) relate cet exode.
Les parsis ont continué à suivre la religion de Zoroastre, ou Zarathoustra (qu’ils appelaient Zardhust), dans les pays où ils trouvèrent refuge. L’expression « adorateur du feu », bien souvent utilisée pour les désigner, s’avère impropre, même s’il est vrai qu’ils vénéraient le feu en tant que symbole sacré, un peu comme les druides.
Les parsis, aujourd’hui présents dans une dizaine de pays, sont environ 180 000. Le groupe le plus important est celui qui vit dans les régions indiennes du Goujarat et de Bombay. Les parsis constituent aujourd’hui une communauté active et politiquement ouverte. Ils ont participé à la lutte pour l’indépendance indienne, et se distinguent par leur esprit avisé, voire entreprenant. Tant pour les domaines politiques – ce sont les parsis qui ont assuré en grande partie l’industrialisation de l’Inde – que dans ceux de l’éducation et de l’assistance. Leur communauté reste néanmoins fermée : on n’est parsi que par filiation et lien matrimonial, à validité religieuse, endogamique.
Les parsis, se fondant sur la traditionnelle cosmogonie dualiste zoroastrienne, estiment que leur devoir est d’accroître la partie positive de la création, œuvre du Seigneur Sage, le dieu-ou-démon Ohrmazd (Ahoura Mazda). Et d’endiguer l’œuvre néfaste de sa parfaite antithèse, le dieu mauvais chef des démons, Ahriman (Angra Mainyou). C’est de ce devoir que découlent les tâches spécifiquement religieuses que sont la culture des champs et la procréation d’enfants.
L’éthique des parsis consiste d’abord à choisir entre le bien et le mal ; le comportement moral est guidé par des valeurs telles que la rectitude de pensée (humata), de parole (huxta) et d’action (hravashta). Celui qui vit selon ces exigences est un juste (ashavan), celui qui les ignore est un « méchant » (anashavan). La transgression de ces valeurs est un péché qui ne peut être expié que par la confession (paitita, patet) à un prêtre. La pénitence que ce dernier impose peut être de se charger de la mise en valeur des cultures, de participer à la construction de ponts ou de canaux, voire de confectionner des outils agricoles. On dirait donc aujourd’hui : condamné à des travaux d’intérêt public. Très bonne idée ! Certains péchés, comme la contamination de la terre, de l’eau, et de l’air, par l’ensevelissement ou la crémation des défunts, ne peuvent être rachetés, ni en ce monde ni dans l’autre (ils sont anaperetha). Ils sont punis par la mort ici-bas et par l’enfer dans l’au-delà (N.B. Importante différence avec le christianisme et avec l’islam néanmoins, cet enfer n’est pas éternel. Il aura un terme et se traduira finalement par le paradis lorsque Ahoura Mazda aura vaincu le mal).
Le parsisme comporte des rituels qui ponctuent les moments essentiels de la vie : naissance, puberté, mariage et mort. Parmi ces rituels revêtent une importance toute particulière le rituel de l’initiation (naujote) et les cérémonies funéraires. Vers l’âge de huit ans, les enfants sont reçus au sein de la communauté, c’est un rite de passage décisif signifiant l’entrée officielle du fidèle dans l’armée d’Ohrmazd et dans la lutte contre Ahriman. Au cours de cette cérémonie, les enfants reçoivent une tunique et une ceinture sacrées. La tunique de coton blanc (sudreh) doit être portée à même la peau : elle symbolise la pureté. Le cordon de laine d’agneau (kûsti), noué à la ceinture, est dénoué au moins cinq fois par jour, à l’occasion des prières.
Les parsis ne connaissent ni enterrement ni crémation. Les cérémonies funéraires cherchent à limiter la propagation du mal. Aussi, le cadavre, dont on a horreur, est-il très vite mis à l’écart ; le cercueil de fer est transporté vers les tours du silence (dakhma) par des hommes vêtus de blanc, et le cadavre, nu, est exposé là, pour que les vautours le dévorent. Les os sont ensuite précipités au fond d’un puits central.
Les tours du silence sont des constructions cylindriques, fermées de tous côtés, sauf le sommet ouvert vers le ciel, d’une hauteur d’environ quatre mètres, au toit incliné vers l’intérieur. Seuls les
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Nasâsâlars, assistants des pompes funèbres parsies, peuvent y pénétrer. On peut voir encore certaines de ces tours à Bombay. En revanche, en Iran, la sépulture ouverte a été interdite pour des raisons d’hygiène, ce qui n’a pas été sans poser de graves problèmes de conscience à la communauté.
Avant que l’offrande d’haoma ne soit présentée au temple du feu, l’âme/esprit du défunt rejoint le pont du Chinvat (« pont du jugement »). À l’entrée du pont, Mithra prononce pour chaque âme/esprit un jugement, durant lequel Rashnou pèse soigneusement les bonnes et les mauvaises actions : après avoir été jugés, les défunts peuvent traverser le pont. Pour l’âme/esprit juste, celui-ci est large et conduit au paradis. Pour l’âme/esprit corrompue, il est au contraire étroit comme la lame d’un sabre, et mène aux froides ténèbres de l’enfer. Celui dont les mérites équivalent aux fautes est dirigé vers l’hamestagan, une sorte de purgatoire, dans lequel il devra patienter jusqu’au Jugement dernier.
Une caste sacerdotale héréditaire est préposée à la célébration du culte et aux autres rituels, comme celui de la confession. Les prêtres (atharvan), qui appartiennent à des familles bien déterminées, reçoivent une éducation appropriée. Le grand prêtre, qui célèbre l’office divin avec sept autres ministres du culte, est appelé zoatar (« invocateur »). Le zarathushtrotema est le chef de la hiérarchie zoroastrienne ; il résidait tout d’abord à Raga (l’actuel Rey, près de Téhéran) et n’était soumis qu’au seul roi de Perse. Le feu sacré, symbole d’Orhmazd, dieu-ou-démon de la Lumière, abrité dans un vase en bronze, posé sur une pierre carrée, brûle constamment dans le temple du feu. Cinq fois par jour, le prêtre entre dans cette partie réservée du temple, l’adarân ou chambre du feu, et célèbre le rituel spécifique, en récitant certains passages de l’Avesta (cela fait beaucoup penser aux prières musulmanes). L’autre partie du temple est ouverte aux laïcs et à leurs pèlerinages personnels.
L’Avesta (déformation d’un mot ancien signifiant « éloge ») est le livre sacré des parsis, c’est un texte rédigé aux IXe et Xe siècles. Mais l’Avesta que nous connaissons ne correspond qu’au quart environ de l’Avesta originel, dont les vingt et un livres sont résumés dans le Denkart. L’Avesta, ordonné selon les exigences liturgiques, comprend les livres suivants.
Le Yashna (« sacrifice »), texte subdivisé en soixante-douze chapitres, ayant trait au sacrifice du feu, encadré de dix-sept gâthâs (« chants »), la partie la plus ancienne de l’Avesta, composée, en un dialecte particulier, par Zoroastre lui-même.
Le Vispered (« tous les juges »), annexe du Yasna : un recueil de litanies.
Le Videvat (« loi contre les démons »), contenant une description des cérémonies d’exorcisme ou de purification et des prescriptions sur la pureté.
Le Khordeh Avesta, ou Petit Avesta, livre de prières pour les laïcs, comprenant les Yashts (« hymnes »), un recueil de vingt et un fragments d’hymnes en l’honneur de différentes divinités (Anahita, Mithra ou les Fravashi), ordonnés suivant les jours et les mois.
N.B. Les ressemblances avec le christianisme ne sont que des coïncidences dues aux influences perses sur le judaïsme naissant.
Bien que relevant incontestablement du paganisme, la religion parsie diffère fondamentalement du druidisme sur un point : son dualisme (le druidisme, lui, est moniste)…[fin de la note de Pierre de La Crau sur les parsis]
Mais revenons à la vision de notre Adamnan irlandais.
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Un pont gigantesque enjambait ce gouffre et reliait un bord à l’autre. Sa partie centrale était plus haute et ses deux extrémités plus basses. Trois groupes différents essayaient de traverser ce pont avec plus ou moins de succès.
Pour certains il était large et facilement praticable d’un bout à l’autre, de sorte qu’ils pouvaient traverser ce gouffre terrifiant sains et saufs, sans peur ni terreur.
Devant le deuxième groupe, le pont était très étroit au début, mais allait en s’élargissant au fur et à mesure qu’ils avançaient, de telle sorte qu’après ils se retrouvaient de l’autre côté en ayant échappé au péril.
Pour le dernier groupe, le pont était large et facile pour commencer, mais très étroit et très raide à la fin ; de telle sorte qu’en arrivant au milieu ils en tombaient et basculaient dans ce gouffre, pour finir dans la gueule des huit serpents rouges ardents qui demeuraient dans le gouffre.
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Voici quels sont les hommes pour qui cette voie était facile : ceux qui étaient chastes, ceux qui étaient repentants et dévots, ceux qui avaient volontairement affronté un sanglant martyre pour témoigner de Dieu.
Ceux pour qui la voie était très étroite au début, mais large à la fin, c’étaient ceux qui avaient dû faire la volonté de Dieu, mais chez qui cette contrainte s’était ensuite transformée en empressement à le servir.
Et ceux pour qui le pont était large au commencement, mais très étroit vers la fin, c’étaient les pécheurs qui ont, certes, entendu la parole de Dieu, mais qui après ne l’ont pas suivie.
Il y avait aussi des foules énormes là-bas malades de peur et impuissantes sur le rivage de la Douleur éternelle sur la terre où règne l’obscurité la plus totale. Une marée de tourments les submergeait puis les quittait tour à tour toutes les heures. Ceux qui se retrouvaient dans cette situation c’était ceux chez qui le bien et le mal sont à égalité. Quand viendra la fin du monde, le Jugement dernier les départagera ; le bien l’emportera sur le mal, et ils seront aussi transportés dans le Havre de la Vie éternelle en présence de Dieu pour l’éternité.
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N.D.L.R. Le thème du flux et du reflux, de la marée montante et descendante, est un thème bien connu des Celtes insulaires. Voir le fameux poème intitulé en gaélique « Sentainne Berri » la vieille de Beara. Ce qui suit est par contre typiquement judéo-chrétien au moins pour moitié. Pour deux raisons : le symbolisme du feu pour évoquer cet état de l’être, et la croyance en l’éternité de cet état. Outre le fait que pour eux il était provisoire et nullement définitif, les druides l’assimilaient plutôt à un hiver dont peut sortir le printemps. Les images et les symboles le concernant, relevant du domaine de la froidure et de la glace dans ce qui suit, sont donc peut-être d’origine druidique. À une immense différence près !
Pour les vrais druides en effet, l’enfer n’existait pas, et il n’y avait que de très rares humains (disons quelques David ou Nabuchodonosor, quelques Hitler ou quelques Staline, quelques Pol-Pot) à mériter l’enfer de la réincarnation sur cette Terre.
Scolies bernoises commentant la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451.« Les druides nient que les âmes puissent périr
[Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER »
[aut contagione inferorum adfici] et
454.« ils ne disent pas que les Mânes existent »
[manes esse, non dicunt.
Adnotationes ad versum I 454].
Encore une fois, répétons-le, il ne saurait y avoir un état de l’être caractérisé par une souffrance infinie ou éternelle. C’est inconcevable, et il fallait bien toute la perversion de mauvais païens convertis par de mauvais juifs, pour arriver, au nom de l’amour, à diffuser d’aussi effrayantes conceptions de la vie et du monde. Si cet état de l’être caractérisé par la souffrance existe, il ne peut être que très provisoire, et destiné à une infime minorité d’individus. Mais revenons à la notion typiquement juive et chrétienne de feu infernal accompagné de tortures sadiques sans fin ; l’imagination du chrétien auteur de ces textes ayant atteint des sommets consternants de ridicule grotesque et sadique, en la matière.
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Il y avait une autre grande foule non loin de ce dernier groupe, et leurs tourments étaient immenses. Ils étaient attachés à des piliers ardents et entourés par une mer de feu leur montant jusqu’au menton, avec des chaînes brûlantes en forme de vipères passées autour de leur taille, le visage écarlate de douleur. Ceux qui étaient plongés dans tels tourments, c’étaient les pécheurs et les parricides, les adversaires de l’Église de Dieu et les mauvais défenseurs des terres d’Église ; à qui en présence des
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reliques du saint on avait confié les dîmes et les offrandes, mais qui avaient vendu ces richesses pour leur propre compte au lieu de les consacrer aux hôtes de Dieu ou aux nécessiteux.
Là d’immenses foules piétinent dans une fange noire comme du jais montant jusqu’à leur ceinture, mais avec un capuchon de glace sur la tête. Ils n’ont ni cesse ni repos et sont brûlés à la fois par le froid et par le feu au niveau de la ceinture.
Des armées de démons s’activent tout autour d’eux, avec des masses d’armes brûlantes dans les mains, afin de sans cesse les attaquer ou les frapper à la tête. Les visages de tous ces misérables étaient tournés vers le nord, et en plus de tous leurs autres malheurs un vent rude et vif soufflait sur leur front.
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N.D.L.R. Ainsi que nous l’avons vu plus haut avec l’apparition du char fantôme de Cuchulainn (Siabur charpat Con Culaind), cette image du vent du nord glacial, et chargé de toutes sortes de maux est sans aucun doute d’origine païenne celtique. Mais revenons à l’imagination sadique et malade des adeptes de la religion d’amour, toujours…
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Des flots de flammes rouges et ardentes étaient déversés sur eux chaque nuit et chaque jour, et ils ne pouvaient y échapper, mais devaient les endurer pour l’éternité, en pleurant ou en se lamentant. Des jets de flammes passaient par les ouvertures du visage (bouche, nez, etc.) de certains d’entre eux ; d’autres avaient la langue transpercée par des clous de feu et pour d’autres encore c’était la tête qui était transpercée par de tels clous ardents. Ceux qui étaient ainsi torturés, c’étaient les voleurs et les menteurs, les traîtres et les blasphémateurs, les bandits et les pirates, les mauvais juges et les chicaneurs, les sorcières et les jeteurs de sorts ; les pilleurs ? (aithdibergaig) et les clercs qui prêchent une hérésie.
Une autre grande multitude d’hommes demeure dans des îles au milieu de la mer de feu. Avec comme un mur d’argent autour d’eux, fait de leurs vêtements et de leurs aumônes. Il s’agit de l’immense armée de ceux qui ont toujours eu pitié d’autrui dans leur vie, mais qui sont toujours aussi restés prisonniers de leur chair jusqu’à la mort. Les aumônes qu’ils ont faites les protègent de cette mer de feu jusqu’au jour du jugement dernier. Ils seront alors conduits au Havre de la Vie éternelle.
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N.D.L.R. Il s’agit peut-être là d’un ultime écho de la tradition druidique voulant qu’il n’y ait pas de damnation éternelle, mais un état de l’être post mortem temporaire avant d’accéder aux plus hautes félicités (l’état de meldos). S’il s’agit bien là d’une notion d’origine druidique, elle a été totalement incomprise, et, donc, déformée ou brouillée, par le judéo-christianisme de l’auteur de cette vision.
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Il y avait aussi une multitude d’hommes revêtus de grands manteaux d’un rouge ardent, tombant jusqu’au sol. Leurs tremblements et leurs cris montaient jusqu’au firmament. Une cohue indescriptible de démons les entoure de toute part avec en laisse des chiens puants à la peau rêche qu’ils excitent et lancent à l’attaque afin qu’ils les mangent et les dévorent. Des chaînes de feu leur brûlaient en permanence le cou.
Ils sont tour à tour élevés jusqu’au firmament puis précipités toutes les heures dans les profondeurs de l’enfer, où des enfants les conspuent et les malmènent. Ceux qui sont ainsi tourmentés, ce sont ceux qui ont été ordonnés prêtres, mais qui ont trahi leur Ordre, haï la piété ; les menteurs qui ont trompé ou ensorcelé les foules et leur ont promis des merveilles, ou des miracles qu’ils ne pouvaient accomplir pour eux-mêmes.
Et les petits enfants qui assaillent ces hommes ayant été ordonnés prêtres, ce sont ceux qui ont eu foi en leur enseignement, et qu’ils ont mal instruits, ou qu’ils n’ont pas mis en garde contre leurs péchés.
À l’est et à l’ouest de ceux-là, il y a une autre foule énorme qui sautille sans cesse, sur des dalles ardentes, tout en se défendant contre une immense armée de démons décochant vers eux une nuée de flèches enflammées. Ils couraient sans cesse et sans arrêt vers de sombres lacs ou rivières afin d’éteindre le feu de ces flèches qui les brûlait.
Atroces et horribles étaient alors vraiment les pleurs et lamentations de ces pécheurs plongés dans ces eaux, car cela ne faisait qu’augmenter au contraire leurs douleurs. Ceux qui étaient ainsi punis,
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c’étaient les artisans, les tailleurs et les commerçants malhonnêtes ; ainsi que les mauvais juges des juifs ou des autres nations, et les rois impies ; les gérants de terres d’église scandaleusement malhonnêtes, les femmes adultères, et tous ceux qui les ont perdus en se rendant complices de leurs mauvaises actions.
Tout au bout de la Terre de Douleurs, il y avait un mur de feu 7 fois plus horrible et plus cruel que la Terre de Douleurs elle-même ; mais aucune de ces âmes ne pourra le franchir avant le jour du Jugement dernier, car c’est la demeure réservée aux démons tant que ce jour ne sera pas arrivé.
Malheur alors à celui qui demeurera ainsi en compagnie des suppôts du Diable dans la douleur et les tourments ! Malheur à celui qui ne sera pas de cette tribu ! Malheur à celui qui a comme seigneur un vil et féroce démon ! Malheur à qui prêtera l’oreille aux gémissements et aux lamentations des esprits s’inquiétant auprès du Seigneur de la survenue rapide du Jour du Jugement dernier, ou de savoir s’ils pourront obtenir une quelconque rémission de leur triste sort ; car ils ne pourront bénéficier d’aucun repos, à part trois heures chaque dimanche !
Malheur à qui mérite cette terre depuis toujours, car voici à quoi elle ressemble ! Des montagnes, cavernes, et buissons épineux ; des plaines, nues et desséchées, avec des lacs d’eau stagnante hantés par des serpents. Le sol y est rugueux et sableux, très accidenté, pris par les glaces. De larges dalles de pierre brûlante parsèment la plaine. Il y a de grandes mers, avec d’horribles abîmes horribles, où se trouvent la résidence et la demeure du diable. Quatre puissants fleuves en traversent le milieu : un fleuve du feu, un fleuve de neige, un fleuve de poison, un fleuve d’eau noire et glauque. Dans ces derniers se vautre avidement après avoir à loisir et à plaisir torturé les âmes, toute une armée de démons.
Et chaque fois que les saintes milices de l’armée céleste chantent en chœur les harmonieux cantiques de la prière de la neuvième heure louant le Seigneur, avec joie et allégresse ; on entend alors les cris misérables de ces malheureux, sans cesse harcelés par les hordes de démons, qui leur font écho.
Telles sont les tortures et les punitions que l’ange gardien fit voir à l’âme d’Adamnan après sa visite du royaume des cieux.
L’âme d’Adamnan fut alors de nouveau enlevée au 7e ciel, et un ange lui ordonna de redescendre dans son corps, afin de rapporter à tout le monde ce qu’il avait pu voir.
Le texte poursuit en rapportant que c’est bien ce que fit désormais Adamnan, à l’instar de noïbo Patrice et de beaucoup d’autres grands personnages de l’antiquité biblique ou romaine.
Notre texte retrouve ensuite la veine celtique de ses débuts. Les âme/esprits des Justes y ressemblent aux habitants de l’autre monde selon les druides (elles prennent la forme d’oiseaux blancs). Et finit sur cette étrange description d’un paradis ressemblant beaucoup au nirvana bouddhiste.
Un royaume sans orgueil, sans mépris, sans mensonge, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans tromperie, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans salut, sans neige, sans vent, sans humidité, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froideur. Un noble Royaume, admirable, merveilleux, où règnent le savoir, la lumière, et les parfums d’une Terre abondante, un royaume où règnent les plaisirs de toute bonté.
N.B. En ce qui nous concerne nous préférons la description que nous en donne l’echtra Condla du 8e siècle.
Là où tout est beau, attirant et pur
Là où n’existent ni faute, ni maladie, ni temps
Ni frontière, ni guerre, ni souffrance, ni peine, ni esclavage.
La musique y est merveilleuse,
Il y coule des ruisseaux d’hydromel
Et la paix y est partout éternelle.
La vision de Drythelm.
En 731, cet honorable père de famille décrit comme un pieux laïc, habitant la région de Cunningham, tout près de la frontière écossaise, tomba gravement malade, et un soir, il mourut.
À l’aube, il revint à la vie, mettant ainsi en fuite tous ceux qui veillaient son cadavre, à l’exception de sa femme, terrorisée, elle aussi, mais heureuse. Par la suite, Drythelm partagea ses biens en trois
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parts, un tiers pour son épouse, un tiers pour ses enfants, un tiers pour les pauvres, et il se retira dans un ermitage isolé de Mailros (Melrose), situé dans un méandre de la Tweed.
Il y vécut dans la pénitence et quand il en avait l’occasion racontait son aventure à qui voulait l’entendre.
Un personnage resplendissant, tout de blanc vêtu, l’avait conduit vers l’est dans une vallée très large, très profonde et infiniment longue, entourée à gauche de flammes épouvantables, à droite de terribles rafales de grêle et de neige. Ces deux versants étaient pleins d’âmes humaines que le vent faisait passer d’un côté à l’autre sans trêve. Il passa ensuite dans des lieux de plus en plus obscurs où il ne distinguait plus que la tache claire que faisait son guide devant lui. Soudain surgirent des boules de feu sombres jaillissant d’un grand puits et y retombant. Drythelm se retrouva seul. Dans ces flammes montaient et descendaient, comme des étincelles, des âmes humaines. Le tout accompagné de pleurs inhumains, de ricanements, et d’une odeur fétide. Drythelm remarqua notamment les tortures que des démons infligeaient à cinq âmes en particulier, dont l’une était un moine, reconnaissable à sa tonsure, une autre un laïc, une troisième une femme.
Alors qu’environné de diables qui menaçaient de le saisir avec des pinces de feu, Drythelm se croyait perdu, une lumière apparut soudain et se mit à grandir comme celle d’une étoile. C’était son guide qui revenait. Les diables se dispersèrent et s’enfuirent en le voyant arriver.
Son compagnon le fit changer de direction, et le ramena en des lieux plus lumineux. Ils parvinrent à un mur d’une longueur et d’une hauteur que son œil ne pouvait embrasser, mais ils le franchirent d’une façon incompréhensible. Drythelm se retrouva dans une grande prairie verte, pleine de fleurs, brillante et parfumée. Des hommes vêtus de blanc y tenaient par groupes innombrables d’aimables assemblées.
Drythelm traversa la prairie, une lumière encore plus douce s’intensifia peu à peu, des chants s’élevèrent, un parfum l’entoura, auprès duquel celui qu’il avait senti dans la prairie n’était qu’une toute petite odeur. La lumière était devenue si brillante que celle de la prairie ne lui apparaissait plus que comme une faible lueur. Il s’apprêta donc à entrer dans ce lieu merveilleux quand soudain son guide le força immédiatement à rebrousser chemin, jusqu’au séjour des âmes tout de blanc vêtues, en lui disant :
« Tu dois maintenant retourner à ton corps et revenir parmi les hommes ». Drythelm en éprouva une immense tristesse et contempla avidement une dernière fois le charme et la beauté de l’endroit où il se trouvait, ainsi que la compagnie qu’il y voyait. Mais alors qu’il s’interrogeait en silence, sans oser le faire, sur la façon de demander quelque chose à son guide, il se retrouva tout d’un coup de nouveau vivant parmi les hommes.
Bède. Historia Ecclesiastica Gentis Anglorum. (Traduction Pierre de La Crau, qui a dû faire appel aux souvenirs de ses sept ans de latin pour y arriver.)
CONCLUSION.
Il faut lire et relire les récits d’echtrai et d’imrama ou les aislingi (visions). Ils renferment des traces multiples de cet indicible qui a pu être mis en images à partir d’un souvenir. La puissance qui transpire de ces témoignages est à chaque fois source de questionnement. L’œuvre de la raison, le raisonnement analytique, la logique cartésienne, ne sont pas la seule voie de connaissance de l’Homme. L’expérience directe, intuitive, fulgurante, immanente, voire transcendante, comme lors de ces états modifiés de conscience profonds que sont les aislingi, semble être réellement un autre mode d’appréhension du monde. Les deux voies se complètent, se nourrissent mutuellement, et peuvent coexister. Il faut encourager cette fécondation mutuelle et sortir des débats simplistes normal/paranormal, rationnel/irrationnel qui, en posant de mauvaises questions, n’apportent que des réponses trompeuses, dans un sens comme dans l’autre. La question est la véritable nature de l’Homme. L’étude approfondie des echtrai et des imrama ou des visions, contribuera nécessairement à bâtir les réponses, si, à la rigueur du raisonnement, nous allions une acceptation de certains possibles…
POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout
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un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction. (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme, seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
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— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque). Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
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J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
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Pour ce qui est de la bibliographie des détails voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Littérature
Métonymie du Destin
Notes
Repères chronologiques
Interrpretatio bouddhista ou recherche de l’équivalent des déités courroucées ou en colère dans l’équivalent du livre des morts druidique
Sur le rôle prédestiné de la communauté de peuples (d’esprit) celte
Les preuves ou signes de l’existence des dieux
Les preuves ou signes de l’immortalité de l’âme/esprit
Le livre des morts irlandais (echtra imram et visions)
ÉLÉMENTS D’ESCHATOLOGIE INDIVIDUELLE.
De l’âme individuelle (anamone et anaon)
De la communion des vivants et des morts
De la formation du bran
La justice d’exception (ategeneto)
Les divinités psychopompes ou accueillantes
Les divinités repoussantes
La légende de la mort
Premières conclusions sur la légende de la mort
Conclusion finale sur la légende de la mort
ÉLÉMENTS D’ESCHATOLOGIE GLOBALE.
Leitmotiv sur les voyages de l’âme après la mort
Éléments de cosmogonie druidique
Première image et premier symbole
Fragments sur la fin du monde selon les druides
La vie des mondes
Mort et fin du monde OU DE CE MONDE ?
Retour vers le futur
DOCUMENTS DE TRAVAIL.
N° 1 Le point de vue de la paléontologie
N° 2 La vision teilhardienne de la fin du monde
N° 3 Le poème du Mal Passant.
N° 4 Aux racines de la haine la monolâtrie
N° 5 Vers un réenchantement du monde
N° 6 Vers un nouveau polythéisme mondial
ANNEXES.
N° 1 Le symbolisme de l’ambre
N° 2 L’antichambre du Paradis dans la tradition celtique
N° 3 L’hérésie bretonne
N° 4 Le Bardo Thodol
N° 5 Le groupe d’études expérimentales des phénomènes parapsychologiques de Toulouse
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N° 6 Retour sur les expériences de mort imminente
Postface à la John Toland
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « la grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « la grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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