En quoi consistait donc la tripartition indo-européenne et quelles étaient les fameuses trois fonctions en question ?À la première fonction étaient associés l’ordre cosmique, la vertu, les serments, les contrats, la souveraineté, la protection spirituelle de la communauté, l’éthique ; et en ce qui concerne l’espace, le ciel supérieur et bien d’autres choses encore. Sur le plan humain, elle était représentée par les prêtres : brahmanes indiens, flamines romains, druides celtes *.
Les prêtres étaient des gardiens de la loi, des savants, et ceux qui organisaient les rituels sacrés. Ils étaient les incarnations de l’aspect régulateur de la première fonction. Chez certains peuples indo-européens, il existait une dichotomie sexuelle dans la classe sacerdotale. Les prêtres et les prêtresses n’avaient pas les mêmes fonctions. Les prêtresses étaient plutôt liées aux prophéties et à la magie.
À la deuxième fonction étaient associés la force, les arts martiaux, le courage, le vent et le tonnerre, c’est-à-dire le ciel intermédiaire d’un point de vue spatial. Sur terre, elle était représentée par les guerriers ou les seigneurs : les kshatriya indiens par exemple.
À la troisième fonction : l’agriculture, l’élevage, la richesse et la production de biens matériels, la santé, la fécondité, l’amour, la beauté, et ainsi de suite. Sur le plan humain, elle était représentée par le peuple, ceux qui travaillent et qui produisent. Les paysans et bergers, les artisans et commerçants… Et du point de vue spatial, leur domaine était la terre en surface ou dans ses profondeurs, ainsi que l’océan.
La première fonction indo-européenne est donc celle de la souveraineté sacerdotale : ordre cosmique et ordre social, justice, régulation, morale, sagesse et connaissance, magie, sont ses principaux attributs. C’était une fonction ambivalente ayant deux aspects très contrastés.
Le premier aspect de cette fonction est celui qui représente l’ordre cosmique ou social, bienveillant et paisible. C’est par exemple un juriste qui juge et valide les contrats.
Le second aspect représente l’ordre cosmique ou social implacable et presque guerrier. C’est un dieu-ou-démon inquiétant, lointain et sauvage, qui fait obéir aux serments, par exemple en punissant ceux qui ne les respectent pas.
Cette fonction est en général représentée par une paire divine nettement reconnaissable chez les Indo-européens les plus conservateurs. Varuna et Mitra chez les Indiens védiques, Odin et Tyr chez les Germains, Jup (p) iter et Dius Fidius chez les Romains.
Odin est un guerrier – il préside aux combats sur les champs de bataille – c’est donc un représentant divin de la deuxième fonction. Jupiter est le dieu-ou-démon de Romulus, dans le récit de la fondation de Rome. Or Romulus, premier roi de Rome, demi-dieu-ou-démon, fils de Mars – dieu-ou-démon de la guerre – élevé avec son frère par une louve, et qui est avant tout l’incarnation de la première fonction, en particulier du premier terme de sa définition ; a un règne agité, voire violent (plusieurs meurtres à son actif, dont celui de son frère, des trahisons, le rapt des Sabines, etc.). Au contraire, Numa, son successeur, est paisible et juste. Il fonde les lois romaines et les sacerdoces. Son dieu est Dius Fidius, assimilé à Jupiter.
En fait, le premier élément met en place l’ordre, mais c’est par un acte de violence et de coercition sur le chaos, alors que le second administre l’ordre ainsi établi par une action concertée, paisible, et juridique.
La première fonction semble donc recouvrir les deux autres – la fonction guerrière et violente ou la fonction productive et paisible – comme si elle les englobait. Les druides pouvaient d’ailleurs, nous disons bien pouvaient, sans y être obligés, faire la guerre et porter les armes. D’où, peut-être, la supériorité de cette fonction aux yeux des Indo-européens.
Chez tous les peuples indo-européens historiques, du moins parmi les plus conservateurs, les dieu-ou-démons fonctionnels étaient tous des entités masculines, flanquées de parèdres plus ou moins symboliques.
Les déesse-ou-démones, ou les fées si l’on préfère, importantes, sont soit trivalentes (incarnant des aspects des trois fonctions comme Athéna chez les Grecs, qui est à la fois une déesse-ou-démone, ou fée, de la sagesse, de la guerre et de la communauté) ; soit l’incarnation d’un aspect de la troisième fonction (fécondité, abondance, etc. exemple Rosemartha chez les Celtes…).
Lors de maints rituels d’un bout à l’autre de la sphère d’occupation historique des peuples indo-européens – de l’Inde à l’Irlande – les principaux dieu-ou-démons des trois fonctions indo-européennes, on peut même dire leurs représentants, étaient invoqués ou remerciés par des offrandes ou des gestes en leur honneur, accomplis dans un ordre bien précis. D’abord la première fonction, ensuite la deuxième, enfin la troisième.