1
LES CENT VOIES (cantamantalon) DU PAGANISME.
ou
SCIENCE ET PHILOSOPHIE
LA MYTHOLOGIE DRUIDIQUE
Tome I
druiden36lessons.com
https://www.druiden36lessons.com
2
REGAIN, RÉSURGENCE ET RENAISSANCE, OUI !
RÉSURRECTION À l’IDENTIQUE, NON !
« C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin ».
La comparaison est un processus mental fondamental : regrouper certains faits dans des catégories communes, mais aussi observer les différences. De tels liens et relations sont à la base de la pensée et de la science. Sans cela il n’y a que des faits isolés sans liens entre eux. C’est donc sur la base de la comparaison que naissent les généralisations, les interprétations et les théories. La comparaison crée de nouvelles façons de voir et d’organiser le monde.
Le comparatisme religieux est donc vieux comme le monde. Hérodote en faisait déjà. En ce qui concerne les religions antiques, cette démarche intellectuelle a produit de nombreux ouvrages rangés dans les rayonnages « mythologie comparée » depuis Max Muller (1823-1900).
En ce qui concerne les religions non antiques il en va tout autrement.
Chaque religion s’est bien entendu comparée à celles avec lesquelles elle était en concurrence, mais d’abord pour les dénigrer ou affirmer sa supériorité.
Les premiers éléments d’un début de comparatisme religieux plus objectif se trouvent actuellement éparpillés sous l’étiquette « dialogue religieux » et proviennent généralement des religions se définissant elles-mêmes comme monothéistes vu leur extension de par le monde. Le tout dans un but apologétique ou missionnaire évidemment. D’où problème.
Nous trouvons également des réflexions utiles dans les cercles relevant plus ou moins de l’athéisme, mais elles sont…
— Soit détaillées, mais focalisées sur une religion particulière.
— Soit plus générales, mais assez sommaires.
Et relèvent d’ailleurs aussi le plus souvent de l’histoire des religions, mais le tout dans une optique non croyante.
De grands noms jalonnent cette histoire depuis William Robertson Smith (religion des Sémites) jusqu’à Mircea Eliade en passant par Émile Durkheim.
D’autres auteurs ont ouvert de nombreuses pistes en ce domaine.
Notre idée est D’EN PROLONGER UN CERTAIN NOMBRE EN ALLANT ENCORE PLUS LOIN DANS CE COMPARATISME RELIGIEUX (élargissement du champ des recherches anthropologiques, approfondissement des soubassements psychologiques, fin des survalorisations, décolonisation, antiracisme nouvelles hypothèses…) ET EN REPRENANT LE FIL INTERROMPU DE LEUR PASSIONNANTE QUÊTE DU GRAAL INACHEVÉE CAR l’ancien druidisme est un peu comme le célèbre conte du Graal de Perceval et de Gauvain.
C’est une histoire inachevée, qui s’interrompt brutalement après les 9000 premiers vers. Notre projet est d’en écrire la suite. Une continuation disait-on à l’époque. Ces petits cahiers destinés aux futurs très-sachants, se veulent à la fois une continuation et une mise en garde. Une continuation ou un ultime prolongement, car ils ont été composés à la manière des théologiens (chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans, etc.) du moins dans ce qu’ils avaient, tous, de meilleur (des éléments souvent d’origine païenne en fait). Une des fonctions de l’imitation a toujours été, en effet, dans les littératures orales populaires, de répondre à l’attente du public, frustré par l’interruption de la création originelle [en l’occurrence la philosophie druidique]. À cette attente a répondu au Moyen-âge, la technique narrative cyclique de la poésie épique des chansons de geste ou celle des Romans de la Table ronde.
La voie du pastiche est celle qui consiste à enrichir l’original en le complétant par des touches successives, en développant des détails à peine esquissés, ou en interprétant ses ombres. Et ça, la pensée de nos ancêtres en avait bien besoin !
Mais cette compilation raisonnée, due à la plume de Pierre de La Crau, est aussi en un sens une mise en garde, car il ne fut jamais question, néanmoins, pour le maître d’œuvre de ce travail collectif, d’avaliser tel quel et sans réserve aucune, l’ensemble de ces doctrines. Il a au contraire souhaité, par toutes sortes de moyens littéraires (retournement des arguments, contre-pied, ou autres…) en faire ressortir les aspects souvent négatifs, néfastes, aliénants ou obscurantistes ; et si ce texte peut sembler parfois, rendre indirectement hommage à la capacité de réflexion des diverses Écoles théologiques actuelles, chrétiennes, musulmanes, juives, ou autres, c’est involontairement ; car son but est bien de tout faire, pour leur arracher, des mains, le monopole du discours sur le divin (voir à ce sujet les propos d’Albert Bayet), quitte à achever de les discréditer définitivement aux yeux du public. Sauf en ce qui concerne ce qu’elles ont emprunté de mieux au paganisme, évidemment, et qui est
3
énorme ; car dans ce dernier cas, il s’agit, rappelons-le encore une fois, de la part du maître d’œuvre de cette compilation, d’une réadaptation à notre monde, des réflexions de ces apprentis théologiens (le dieu des philosophes, l’Ahoura Mazda, l’immortalité de l’âme, les hommes-dieux, les fils de dieu, le messie Saoshyant, la trinité, le taouaf, les sacrifices, la vie après la mort, sans compter les chérubins le paradis, etc.)
En d’autres termes non pas de l’Histoire, mais une fiction historique, d’après les œuvres de… voir la bibliographie à la fin. En ce sens, notre « imitation » n’est qu’un retour aux sources. En bref un hommage.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme.
Car ainsi que l’a très bien vu Carl Gustave Jung la religion n’est jamais que « l’observation attentive de forces tenues pour des ‘puissances’ : les esprits, les démons, les dieux, les lois, les idées, les idéaux, ou autres, suivant le nom qu’on leur a donné et que l’homme a considéré comme étant assez puissantes, dangereuses, ou utiles pour être soigneusement prises en compte ; ou assez grandes, belles et porteuses de sens pour être pieusement adorées voire aimées » (Psychologie et Religion 1937).
La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque *, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
4
INTRODUCTION.
Amis qui allez lire ce petit livre destiné aux jeunes 2) qui que vous soyez, croyants ou incroyants 3), païens ou monolâtres, sachez que sa lecture est exigeante, difficile, voire surprenante. Mais il faut savoir parfois « grimper aux arbres » pour atteindre au sommet de l’Arbre du monde, à la divinité. Toute quête du Graal implique une recherche longue et difficile.
Ce petit camminus qui sent bon la noisette, mais fidèle aux contenus essentiels de la foi druidique la plus antique (quelque part en Europe centrale au deuxième millénaire avant notre ère), mis à jour pour ce qui est de la méthode, pourrait avoir un nouveau sous-titre : la nouvelle paix entre les hommes et les dieu-ou-démons. S’il y a paix, c’est qu’il y a eu guerre. La relation à la divinité n’est pas toujours facile, elle est même souvent source de conflits. Surtout quand on se fait une idée un peu trop précise des dieu-ou-démons. Cet essai n’est donc qu’une étape, ou un point de départ si l’on veut. En tout cas le début d’un processus, et non un aboutissement.
C’est la raison pour laquelle, tout au long de ce petit camminus (résumé de notre savoir ancestral), il sera question de paix, de paix à faire ou à préserver avec les dieu-ou-démons. Tel est le fil conducteur qui court d’un bout à l’autre, et que l’on ne cessera jamais d’apercevoir.
Nous rappelons bien sûr que cet essai de catéchisme (camminus) druidique n’est pas un dogme, mais un simple carrefour (cantamantalon) de voies menant à de plus amples réflexions. Dans ce qui suit, les mots sont à mettre entre guillemets, la lecture d’un livre sans que l’auteur soit là pour en expliquer les subtilités ou les distinguos à faire, étant toujours un exercice difficile. Les mots ne représentent qu’une faible partie de ce qu’ils « recouvrent ». Chacun d’entre eux mériterait au minimum un livre pour en exprimer le « contenu ».
Ce qui est écrit ci-dessous est le résultat synthétique de dizaines d’années de lecture, de rencontres et d’expériences (en général plus décevantes que bouleversantes d’ailleurs) dont l’historique emplirait au moins deux milliers de pages. D’où son autre sous-titre en celte : Mantalon siron esi.
Si l’on veut bien tenir compte de ses origines chamanes, le druidisme est la plus vieille des religions du monde, mais le mot (druidisme) pour désigner la religion des Celtes est d’origine relativement récente. Le Moyen-âge irlandais utilisait le terme druidecht, que nous pourrions plus ou moins rendre par « druiderie ». En réalité il n’y avait pas de terme spécifique, et ce que nous appelons druidisme aujourd’hui, était par exemple désigné par des périphrases, dont une au moins est attestée sous la plume de César. « Ils discutent abondamment sur les astres et leur mouvement, sur la grandeur du monde et de la terre, sur la nature des choses, sur la puissance et le pouvoir des dieu-ou-démons immortels, et ils transmettent ces spéculations à la jeunesse ». (César B. G. Livre VI, 14).
Le texte qui suit n’est que la mise en forme d’un document de travail initialement prévu pour l’Ollotouta druidique en 1993, mais depuis élargi en fait à tous ceux que ce projet de base philosophique peut intéresser.
La plupart des classifications proposées en matière de religion prêtent gravement à la critique, et tout d’abord évidemment la division classique en religions animistes, polythéistes ou monothéistes. Animisme, polythéisme, monothéisme *, ne sont, à vrai dire, que des moments du développement religieux, des stades divers d’une même évolution, beaucoup plus que des types distincts.
Toutes les religions à leur origine consistent essentiellement dans l’adoration de Puissances vagues et redoutables, dont ni le nombre ni les attributions ne sont rigoureusement déterminés, mais qui sont répandues à travers la nature entière. Toutes elles convergent vers la reconnaissance de l’unicité d’un divin, à ne confondre nullement avec une quelconque monolâtrie *, en lequel s’absorbent et se concentrent ces manifestations multiples. Toutes elles traversent une période plus ou moins longue de polythéisme organisé à la grecque, où le gouvernement de l’univers appartient à une oligarchie d’êtres surhumains (les élohim dans la Bible, fils de la grande déesse mère Ashéra/Ishtar/Astarté et pour finir de la démone Astaroth). L’animisme, par le moyen du culte prépondérant, et parfois même exclusif, d’une force supérieure à laquelle tous sont subordonnés, est une première ébauche du panthéisme, donc du monothéisme philosophique et réfléchi *.
Dans le polythéisme également de type philosophique et réfléchi, « l’hénothéisme », cette sorte d’oubli de tous les autres dieu-ou-démons **, tandis que l’on s’adresse seulement à l’un d’entre eux dans les prières ou dans les hymnes, ou que l’on cherche par le sacrifice à gagner sa bienveillance ou à le contraindre à coopérer en vertu de l’antique principe aryen du dadami se dehi me ; l’assimilation fréquente des diverses Puissances cosmiques les unes avec les autres, qui en viennent parfois ou souvent, à ne paraître plus figurer que les noms divers et les fonctions multiples d’un même être ; font mieux que préparer la voie au monothéisme. Ils constituent déjà un monothéisme philosophique et
5
réfléchi, à ne surtout pas confondre avec la monolâtrie biblique ou coranique. Il ne faut plus, dès lors, qu’un petit effort de réflexion philosophique pour prendre conscience de l’unicité du divin. Unicité qui d’ailleurs revêtira plus souvent la forme panthéiste que la forme personnelle, c’est-à-dire anthropomorphique***, que prône le judéo-islamo-christianisme, et qui est en réalité une monolâtrie.
Des traces de polythéisme subsistent néanmoins dans ces religions, le culte des saints dans le christianisme, l’adoration (isma) de Mahomet le pèlerinage à La Mecque (taouaf, etc.) ainsi que la peur des djinns dans l’islam. Aux yeux de l’islam, le dogme chrétien de la Trinité n’apparaît-il pas en réalité comme un trithéisme voire une triade de dieu-ou-démons, donc du chirk **** donc du koufr****, autrement dit quelque chose de taghoute**** ; et dans le judaïsme même, les anges, les messagers de Dieu ou du Démiurge et ses ministres, n’ont-ils pas gardé quelque chose de leur ancien caractère divin du temps de la religion sumérienne ou cananéenne ? Sans oublier la vénération dont sont entourés dans l’islam la personne même de Mahomet (isma, mais ça nous l’avons déjà dit) ainsi que le recueil des propos dont il s’est fait l’écho quand il ne les a pas inventés, que l’on appelle « le Coran » ; et qui confine à l’idolâtrie 1).
Beaucoup pensent et même affirment que l’Homme a été fait à l’image de Dieu. Mais ce que nous voyons d’abord dans l’Histoire, c’est que le Dieu ou le Démiurge des religions est le plus souvent fait à l’image de l’Homme.
1) Le développement de la doctrine de l’isma. La croyance générale à travers le monde musulman d’aujourd’hui est que tous les prophètes bénéficiaient de l’isma, qui est une sorte de protection spéciale contre l’erreur ou le péché.
C’est une des nombreuses aberrations de l’islam, car il existe pourtant une foule d’éléments contraires dans le Coran et les hadiths. Mais, conformément à la dialectique politicienne la plus couramment utilisée de nos jours, les mentions dans le Coran et dans les Hadiths desdits péchés de certains prophètes ont été adoucies, et sont présentées seulement comme des « erreurs ». Des euphémismes du même genre, tels que « actes dus à un manque de mémoire », sont aujourd’hui constamment employés par les auteurs musulmans pour expliquer ces méfaits attribués à certains prophètes, que les Écritures et les traditions de l’islam ont néanmoins enregistrés à leur charge.
La raison de l’apparition dans l’islam de cette doctrine est facile à comprendre.
Les premiers musulmans ont vite découvert que la Bible enseignait que Jésus avait été un homme dénué de tout péché. Or une telle supériorité du personnage de Jésus sur Mahomet ne pouvait pas être tolérée par ces musulmans. Et de même que des miracles ont été attribués au porte-parole de l’islam pour lui donner un statut au moins égal à celui du personnage de Jésus, de même il a été réputé pour avoir toujours vécu sans péché dans la même intention. Ce qui est évidemment impossible pour des personnages ayant vraiment vécu dans notre monde à nous, le monde des hommes, le Mediomagos ! Voir par exemple la politique menée à l’encontre des tribus juives de Médine ou des environs – Khaïbar – par Mahomet devenu chef d’État après avoir été dans l’opposition (dans sa ville natale).
La doctrine de la révélation dans l’Islam soutient également que les Écritures ont été dictées directement aux prophètes par le truchement de l’archange Gabriel. Or comment pourraient-ils être dignes de confiance quant à leur transmission des révélations en question, s’ils n’ont pas été préservés eux-mêmes de toute erreur, de toute faute, ou de tout péché, tant dans leur vie privée que publique ??
L’orthodoxie musulmane en a donc tiré la conclusion « logique » (les guillemets s’imposent) que les prophètes ont tous été par nature immunisés contre les « erreurs » graves ou sérieuses.
2) De 7 à 77 ans.
3) « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées ; tandis que les Celtibères et leurs voisins du nord sacrifient à un dieu sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; en se livrant alors avec toute leur maisonnée à des rites divers agrémentés de danses » (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
* La meilleure des définitions du monothéisme est d’ailleurs encore celle fournie par nos frères d’Extrême-Orient, dans la partie centrale du grand poème épique indien appelé le Mahâbhârata et
6
datant vraisemblablement du IIe siècle avant notre ère. C’est un dialogue entre le dieu Krishna/Vishnou et le prince Arjouna, ce dernier hésitant à déclencher une grande bataille fratricide.
“Bhagavad Gita 9, 23-29. « Toute oblation qu’avec foi l’homme sacrifie aux dieux est en fait destinée à moi seul, ô fils de Kounti, mais offerte sans le savoir, car je suis l’unique bénéficiaire et l’unique objet des sacrifices. Que l’on m’offre, avec amour et dévotion, une feuille, une fleur, un fruit, de l’eau, cette offrande, je l’accepte. Je n’envie, je ne favorise personne, envers tous je suis impartial. Mais quiconque me sert avec dévotion vit en moi et je suis son ami ».
Note de la rédaction. Nous avons traduit le sanscrit Kaunteya par « fils de Kunti », mais si quelqu’un a mieux à suggérer, qu’il nous le dise !
** Nous utilisons ici le terme « démon », car il va de soi que les dieux ou anges des uns comme Ishtar Apollon/Apellon/Abellios, etc. sont automatiquement assimilés à des démons ou djinns comme Astaroth ou Abaddon par les autres et réciproquement mutatis mutandis. Dans le cas de l’Apollon/Abellio/Apellon, etc. archaïque… ses nombreuses épiclèses s’y prêtaient à merveille : pythios, lykeios, smintheus, hekebolos, hekaergos……
*** Ce que le druidisme a toujours affirmé PUISQU’IL FUT À LA FOIS ANICONIQUE, MAIS AUSSI CAPABLE DE REPRÉSENTER LES DIEUX SOUS UNE FORME HUMAINE COMME LES GRECS, OU EN PASSANT PAR UNE SIMPLE ÉBAUCHE VOIRE UN SYMBOLE (simulacrum en latin), c’est que le divin n’est ni personnel ni impersonnel, MAIS QU’IL PEUT ÊTRE PERSONNELLEMENT RESSENTI.
**** Chirk. Polythéisme. Koufr. Paganisme. Taghoute. Abomination.
7
CONVENTIONS LINGUISTIQUES PRÉALABLES :
LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE VÉRITÉ.
La faible lumière de la raison est toujours éclipsée par les sombres nuages des passions et des convoitises. Comment distinguer ce qui est juste de ce qui est faux dans de tels récits, ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas ?
Dieux ou démons ? Nous parlerons ici de dieu-ou-démons avec un trait d’union, car l’histoire a prouvé que les démons des uns peuvent être ou avoir été, les dieux des autres. Lucifer ou Iblis.
Le Destin est la loi des mondes intemporelle à l’origine de tout, ontologiquement parlant venant juste après le néant. Un néant pro-créateur en quelque sorte. Il est donc par définition impersonnel. Mais il a des émanations, des anges ou des agents (des causes secondes), qui eux sont personnels, ont une forme humaine et s’appliquent à nous tous individuellement.
Demiurge. Petit dieu ou divinité de rang inférieur responsable de ce monde raté. À distinguer donc absolument de l’être suprême ou dieu des Philosophes appelé Tocade (Destin) par les druides druides antiques.
Bitos ou Cosmos. Partie strictement matérielle et physique du grand tout.
Les éléments fondamentaux irréductibles constitutifs de l’univers n’étaient que deux selon Strabon interprète du druidisme, le feu et l’eau (Géographie IV, 1,13). Et comme cette remarque de Strabon vient après la mention de l’immortalité de l’âme on peut en déduire que pour les druides antiques l’âme était comme le feu et le corps comme l’eau.
Anaon. Le druide « éternel » Allan Kardec pensait néanmoins que la partie non physique de l’homme était double, âme et esprit (périsprit).
Bref, il existe donc deux grands niveaux de la divinité. Le niveau souverain et les niveaux immédiatement inférieurs ou intermédiaires. Le Divin dans toute sa profondeur infinie, au-delà de la conscience et de l’expérience humaine, et d’autre part, la Déité comme expérience finie de l’expérience humaine. L’homme étant un être limité, de par ses sens, il ne peut donc évidemment concevoir le divin que de façon « humaine ».
Les entités suprahumaines sont souvent personnalisées ou intériorisées au point d’être dans l’esprit de ceux qui en ressentent la présence, comme aurait dit Jung.
Le divin a, par conséquent, toujours revêtu deux formes opposées. Une forme impersonnelle et une forme personnelle. Le Destin et les dieux. En tant qu’être humain, nous sommes plus à l’aise avec la forme personnelle, mais celle-ci nous pose des problèmes insolubles. Par exemple, l’éternelle question du bien et du mal (si Dieu veut le bien et qu’il est tout puissant, comment se fait-il qu’il n’anéantisse pas le mal pour l’éliminer à jamais) ?
Les dieu-ou-démons du druidisme, à quelques exceptions près, sont donc, comme le Démiurge (le créateur de ce monde) des judéo-chrétiens (le christ ou le messie ?) ou le sagouna brahman des hindous (par opposition au nirgouna brahman), des dieu-ou-démons personnels, ayant une personnalité propre, et s’adressant personnellement à chacun de nous. En d’autres termes, ils sont aussi anthropomorphes que le dieu-ou-démon d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob ; qui peut se mettre en colère, pardonner, voire se laisser tromper, qui peut aimer ou avoir des préférences, Abel, être contre les végétariens, pour ceux qui mangent de la viande. Enfin si nous avons bien compris cet épisode de la Bible, et ainsi de suite.
Le divin intervient sous plusieurs formes, et désigne par conséquent plusieurs choses, qui sont liées, mais relativement différentes, et qu’il ne faut pas confondre. Pour aller du multiple vers l’unique, on peut adopter une vision panthéiste et voir le divin qu’il y a en chaque chose. Ensuite, avec la vision polythéiste, on peut voir le divin à l’image de l’homme sous forme de dieu-ou-démons personnels. C’est certainement la façon la plus accessible d’appréhender le divin, car ces causes secondes ou agents du Destin humanisés sont à notre image, avec chacun ou chacune des particularités liées à des problématiques humaines concrètes. On peut intercaler entre le polythéisme et le monisme, une couche assez mince, celle du bi-théisme. Enfin, dans la vision moniste, on peut appréhender le divin comme un grand tout (celte pariollon).
Connaître c’est naître avec en latin (co-gnosco) et science ou savoir ainsi qu’érudition, c’est une tout autre chose, la science est l’explication logique et reproductible des phénomènes ; l’application, « la réussite », en est matérielle, extérieure à l’être. C’est une procédure figée, limitée au monde physique.
8
La connaissance est la conviction intime et non transmissible (intégration) de ce qui « EST », l’application en est spirituelle. C’est un processus vivant lié à l’être. Les deux peuvent être concomitantes, mais ce n’est pas obligatoire, il y a des « connaissant » au sens étymologique du terme même dans les sociétés dites « primitives », il semble qu’il n’y en ait pas beaucoup plus dans les sociétés dites « modernes »… La science est une érudition ou un savoir-faire, la connaissance est compréhension ou art du savoir… être. La science, transmissible, est validée par les hommes, la connaissance (co-naissance), intransmissible, par les rêves et les visions issus du divin. La science est enseignée par le Discours et la Logique, la connaissance par l’expérience. Dans le cadre de la connaissance, le druidisme ne fait que donner des indications, des exercices permettant de progresser, il ne peut qu’expliquer ce qui doit être saisi, vécu, en profondeur. Le disciple doit tout faire lui-même, sinon, il ne peut intégrer l’expérience.
Un exemple simple à partir d’un vulgaire quignon de pain.
La science vous dira exactement quelles sont les proportions de lipides, de glucides, de protides, d’eau, de sucre, de sel, le temps de pétrissage, le temps de levage de la pâte, etc. Vous serez incollables en la matière, mais cela ne vous apprendra ni à faire un pain doré à point, encore moins à le déguster !
Par la « connaissance co-naissance » en revanche ; vous serez le blé qui mûrit sous le soleil d’été, la farine broyée finement par la meule de pierre, malaxée avec l’eau et le levain ; vous sentirez le tour de main du boulanger, vous vous échaufferez doucement dans le four à pain, vous saurez goûter la texture, apprécier le moelleux de la mie et le croquant de la croûte. Vous serez vous-même en train de savourer un délicieux morceau de vie.
Seule la connaissance co-naissance a un effet salvateur. Cette connaissance ne peut être atteinte que par une expérience concrète et charnelle vécue par toutes les fibres de son corps. L’aide ou l’assistance d’un très-sachant de la druidiaction est souvent nécessaire, mais non indispensable. La connaissance divine ou connaissance de Dieu, n’a ici aucune connotation d’intellectualisme ni d’élitisme, elle n’est pas comparable à celle que l’on acquiert par l’étude des faits et gestes (l’a dit l’a fé, disait ma femme) d’un quelconque démiurge, consignés dans un livre (pourquoi un d’ailleurs et pas douze, ou toute une bibliothèque comme à ou Alexandrie ?), mais plutôt à celle que l’on obtient par une fréquentation assidue. Elle est du type « connaître un ami d’enfance » et non du type « savoir la théorie des nombres premiers ». Cette continuité ontologique entre l’Homme et Dieu (Dieu et non le Démiurge Judéo-islamo-chrétien) va de pair avec un certain panthéisme à la John Toland. L’Être suprême est inconnaissable, sauf à parvenir à s’identifier soi-même avec la divinité de son choix par toutes sortes d’expériences psychiques. Celles-ci ont pour but la perte de l’identité individuelle, des caractéristiques de l’individu, lequel est appelé à se fondre avec le Bitos ou Cosmos en tant qu’être inconnaissable divin. Paradoxalement, il faut donc désapprendre à se connaître soi-même dans son individualité propre, pour se fondre dans le Tout cosmique, physique et/ou spirituel (Pariollon). État de l’être généralement désigné par des termes issus de la famille linguistique auventia/auentieticos ; gallois awen/awenydd.
En d’autres termes, offrir à l’homme une expérience intérieure qui le régénère quelque peu, voire le divinise, où il se ressouvient et reprend conscience de son soi, de sa nature et de son origine, authentiques. Dans cette expérience, il se reconnaît en Dieu (mais non dans le Démiurge), il connaît Dieu (mais non le Démiurge), il s’apparaît à lui-même comme émané de Dieu (et non du Démiurge). Il est de toute éternité sauvé. Cf Spinoza dans son Éthique : « nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels » *. Son salut est donc le fruit d’une (re) connaissance du « moi » comme étincelle du divin, au terme d’une exploration intérieure, expérience directe et immédiate de la Conscience divine et cosmique.
*Formule tout aussi difficile à comprendre que certains de nos lais les plus obscurs et tordus même s’ils sont maintenant écrits en prose.
9
LES MILLE ET UNE FAÇONS DE VOIR OU CONCEVOIR LE DIVIN.
Le Divin est « Un », mais il est « reconnu » (différencié) dans notre « esprit » par ses « attributs/forces » qui sont « multiples ». L’Être supérieur est impersonnel (contrairement à ce que prétendent les judéo-islamo-chrétiens), mais il est, bien sûr, et inévitablement, PERSONNELLEMENT VU ET RESSENTI.
Vu de façon anthropomorphique (il est père, bon, juste, ou chef des armées, sabaoth en hébreu, vengeur, etc.) et il est censé s’occuper de chacun d’entre nous personnellement comme si nous étions seuls au monde. Du moins c’est ce que tout croyant s’imagine ou espère dans toute la splendeur de cet égoïsme qui l’aide à vivre. Les juifs ont même été jusqu’à imaginer que l’Être supérieur n’avait d’yeux que pour eux, qu’ils avaient en quelque sorte été choisis par lui entre tous. Quel orgueil alors que tous autant que nous sommes, nous ne sommes que de la buée sur du cristal, des gouttes d’eau nées de gouttes d’eau, et destinées à retourner un jour dans l’Océan. Enfin si penser avoir été choisis par Dieu peut les aider à vivre en tant que peuple… Mais cela ne doit pas se faire au détriment des autres peuples qui eux aussi sont des enfants de Dieu ayant le droit de vivre sans être… et dans la dignité (d’où mes quelques jours passés à Beyrouth début 1976).
Mais revenons plutôt à nos moutons.
Bref, c’est pourquoi dans les sanctuaires druidiques on pourra voir des fresques montrant Ogmios, des statues représentant Suqellos, Lug, Épona, Toran/Taran/Tuireann, etc. L’Homme est un monstre d’orgueil qui se prend pour le centre du monde et imagine les dieux à son image (ils sont pères, bons, justes, ou chefs des armées vengeurs et ainsi de suite…) et tout peuple est donc un peuple élu aux yeux de son dieu quand il y a hénothéisme, ou de ses dieux quand il y a polythéisme, PUISQUE CE SONT LES DIEUX QU’ILS SE DONNENT ET QUI DONC LUI CORRESPONDENT… Ce qu’a très bien expliqué en son temps quand j’habitais à Paris mon maître Pierre Lance. Chaque peuple se donne des dieux qui lui ressemblent. Les peuples impitoyables se donnent des dieux impitoyables, les peuples doux et pacifiques se donnent des dieux doux et pacifiques, et ceux qui sont partagés entre tous ces divers sentiments qui peuvent habiter le cœur d’un homme… Eh bien s’en donnent plusieurs.
Il ne sert à rien de professer que l’univers est né d’un principe Unique, l’homme n’en a pas moins besoin de figures plus moins humaines pour personnifier la santé la richesse l’accomplissement sexuel, de quoi boire et manger, dormir ou se vêtir, voire la compassion et la justice et tutti quanti après. Cela rend le monde plus facile à comprendre que s’il était régi par des forces, complètement indifférentes au sort des hommes. Avoir des dieu-ou-démons, même cruels, est préférable au chaos. Et des dieu-ou-démons personnels comme le christ ou le messie des juifs rendent d’ailleurs le monde plus supportable en valorisant la condition humaine. Ces entités surhumaines ou non humaines sont donc souvent vues comme des dieu-ou-démons personnels à l’instar du christ ou du messie, dotés d’une forme humaine, capables d’émotions humaines, ou accomplissant des actions ressemblant à celles des hommes ; même s’ils sont immortels et ont bien sûr infiniment plus de pouvoirs.
Le Hésus appelé Chien de Culann en Irlande (Cuchulainn) est par exemple un peu comme Krishna en Inde, à la fois vrai dieu-ou-démon, mais aussi vrai homme, doté d’un corps comme le nôtre.
Et c’est donc dans les prières adressées à ces dieu-ou-démons accessibles (le Christ, Allah Bouddha, ou Jéhovah et ainsi de suite), que les êtres humains peuvent trouver la force de construire leur vie. Mais seuls les héros sont capables de tirer le meilleur parti de cette puissance. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont de grands héros comme Cuchulainn (en Irlande). Et c’est pourquoi les premiers saints du christianisme celtique furent aussi présentés comme de véritables héros.
Ainsi que nous avons pu le voir, les dieu-ou-démons du druidisme sont souvent des dieu-ou-démons personnels, ils ont une forme humaine ; ils s’attachent à un lieu ou à une communauté. Ce caractère personnel des dieu-ou-démons celtes explique d’ailleurs dans une très large part la survivance du druidisme.
Le nombre des dieu-ou-démons druidiques de cette époque est infini : grands dieu-ou-démons, spécialisés ou non, petits dieu-ou-démons, dieu-ou-démons subalternes, demi-dieu-ou-démons, dieu-ou-démons étrangers…
Le texte de Pierre de La Crau s’arrête ici après quelques lettres griffonnées sur le papier difficilement compréhensibles. Ses héritiers ont cru bon de placer ici certaines des notes retrouvées par eux dans un vieux classeur.
10
……………………… Tous ces dieu-ou-démons sont des manifestations du Destin des bouillonnements du Dieu-par (Pariollon) qui est fusion métamorphique de l’âme et de la matière.
Les dieu-ou-démons sont hiérarchisés (les druides ignoraient l’idée d’État totalitaire, les sides ou demeures dieux pour eux ne formaient qu’une sorte de fédération, en quelque sorte les sides unis d’Europe de l’Ouest).
À l’intérieur de ces Sides Unis d’Europe, il existe des grands dieu-ou-démons et des petits dieu-ou-démons suivant leur degré de proximité avec le Destin (Tocad, ou Tocade pour les féministes).
Ce qui ressort en effet tout particulièrement de ces textes c’est la toute-puissance du Destin mise en œuvre par des malédictions appelées geis/gessa en gaélique, ou tynghed en gallois si l’on en croit John Rhys dans le deuxième volume de son livre sur le folklore celtique gallois et manx. À propos du mot gallois « tynghed ».
« Je citerai ici un passage du début de l’un des plus celtes des contes gallois, celui de Kulhwch et Olwen. Le père de Kulhwch, après avoir été veuf quelque temps, se remaria, mais n’informa pas sa seconde épouse le fait qu’il avait un fils. Elle le découvrit néanmoins et le fit savoir à son mari ; aussi fit-il venir son fils Kulhwch, et ce qui suit est le compte-rendu de l’entretien qu’aura son fils avec sa belle-mère.
Sa belle-mère lui dit alors : « Il serait bien pour toi d’avoir une femme, et justement j’ai une fille qui est recherchée en mariage par tous les hommes de renom de ce monde ! »
« Je ne suis pas en âge de me marier », répondit le jeune homme. Alors elle lui répondit : « alors je te déclare que ton destin sera de ne pas trouver de femme qui te convienne tant que tu n’auras pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ! »
Le jeune homme se mit à rougir et l’amour de cette jeune fille se diffusa de lui-même dans tout son corps, bien qu’il ne l’ait jamais vue. Et son père lui demanda donc : « Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon fils, et de quoi souffres-tu ? »
« Ma belle-mère m’a dit que je n’aurai jamais d’autre femme tant que je n’aurai pas épousé Olwen, la fille d’Yspaddaden Penkawr ».
« Cela ne te sera pas difficile », répondit son père. « Arthur est ton cousin. Va donc chez Arthur lui couper les cheveux, et demande-lui ça comme récompense ! »
… Le mot dans le texte gallois pour Destin est tynghet (anciennement tuncet), et le terme irlandais correspondant est attesté sous la forme Tocad. Ces deux mots ont tendance, comme celui de « sort » à être utilisé surtout en mauvaise part. Antérieurement, ils ont dû être aussi utilisés dans un sens plus propice, comme dans le cas du nom de femme Tunccetace, sur une des premières pierres gravées du Pembrokeshire. Si son nom avait été rendu en latin on l’aurait probablement appelée Fortunata, c’est-à-dire bonne fortune… Dans la partie méridionale de mon comté natal de Cardigan, la phrase en question était encore d’usage courant ces trente dernières années encore, et les pratiques qu’elle dénote sont toujours suffisamment connues pour alimenter des histoires locales…
La formule tyngu tynghed, toujours parfaitement compréhensible au Pays de Galles, rappelle un autre exemple de l’importance de ce genre de malédiction, à savoir le latin fatum… Je précise ici que les Romains avaient une pluralité de fata ; mais… que l’on ignore si les Gallois de l’Antiquité avaient eux aussi plus d’une tynghed. Dans le cas de l’ancienne littérature nordique en tout cas, il apparaît que le Destin y porte un nom peut-être apparenté avec le gallois tynghed. Je fais allusion ici au personnage féminin appelé Thokk, qui apparaît dans l’émouvant mythe relatif à la mort de Balder…
Dans cette ogresse (Thokk), sourde aux appels des sentiments d’affection, nous avons peut-être la contrepartie de nos celtiques tocad et tynghed, et le nom de cette dernière en tant que partie intégrante d’une des formules de l’histoire galloise, tout en nous fournissant la clé du mythe, nous montre comme les premiers Aryens ne connaissaient rien de plus contraignant que la force magique d’un serment. Cette conception de la destinée porte certes avec elle la marque de son humble origine, et l’on souscrit volontiers au mot de Cicéron (De Divinatione II, 7) quand il écrit : « Anile sane et plenum superstitionis fati nomen ipsum ». Mais d’un autre côté elle a aussi la sinistre dignité de conférer un nom au sombre et inexorable pouvoir auquel l’univers dans son ensemble est censé obéir, un pouvoir devant lequel le grand et resplendissant Zeus de la race aryenne n’est qu’une vulgaire marionnette ».
11
Ar ro fedatar is vadh bodesin nobíad a athcin
ou
Ar rofetatár is úad fessin no bíad a athgein.
Malédiction n’est d’ailleurs pas tout à fait le mot de notre langue qui convient le mieux pour traduire cette situation, car ce n’est ni une vengeance ni une punition et les effets n’en sont pas toujours immédiats. La caractéristique principale de ces geis/gessa est en effet qu’elles sont le plus souvent conditionnelles, et qu’elles sont en outre d’ailleurs le plus souvent négatives. Il est demandé à quelqu’un de faire ou plus fréquemment de ne pas faire, telle ou telle chose.
Le drame se noue quand le héros, pris entre deux gessa contradictoires, se trouve dans la nécessité de violer un de ces interdits pour respecter l’autre. Nous y reviendrons.
12
LES MILLE ET UNE FAÇONS DE VOIR OU CONCEVOIR LE DIVIN (SUITE).
Ainsi que nous l’avons vu, on peut donc ranger toutes ces entités divines en trois grandes catégories, les dieu-ou-démons qui sont restés aériens ou célestes, et qui n’ont été exilés jadis que juste en dessous de la surface de la Terre (sous certaines collines par exemple en Irlande) ; les dieu-ou-démons inhérents au génie humain le plus pur, le plus civilisé, ou tapis dans les tréfonds de l’âme humaine, dans ses plus sombres replis (ceux-là résistent à toute analyse) et enfin ceux qui ont été relégués plus profondément sous terre du moins dans l’imagination populaire.
On me permettra ici d’introduire ma réflexion par le rappel d’un fait divers survenu en France en 2013 (la France est décidément un pays de sorciers voué aux faits divers de ce type, voir Pont-Saint-Esprit en 1951 (7 morts).
Les faits se sont passés au mois de mars 2013 dans le hameau de La Roche (Commune d’Albaret-Sainte-Marie en Lozère) : des ampoules qui explosent, des meubles qui tombent, des couteaux qui se retrouvent par terre, un chat et des oiseaux morts. En fait il s’agissait d’un puissant champ électrique ou électromagnétique (600 ohms) provoqué par un courant tellurique.
Il va de soi que nos ancêtres n’ont pu qu’attribuer de tels phénomènes à des entités surhumaines, des démons ou des dieux irrités pour telle ou telle raison (le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob a bien foudroyé un des porteurs de l’arche d’Alliance qui voulait l’empêcher de tomber, un dénommé Uzza (II Samuel, 6).
Les gnostiques d’Occident ne sont jamais opposés à la « divinisation » de certains phénomènes de la nature. Ils reconnaissaient au contraire les divinités « qui se manifestent ».
Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) distinguaient par conséquent les élémentals…
De l’eau (les sources les rivières). Des nymphes ou fées avaient la charge des fontaines et des sources. Leurs pouvoirs avaient trait à la fécondité, à la séduction, à l’érotisme et à la passion (voir la très poétique légende de la Boinne ou Damona Vinda en Irlande).
De l’air (les vents comme le Cers, ou la Galerne en France…). Il est bien connu en effet que certains vents ont une grande influence sur le psychisme humain, exemple les vents de Santa Ana en Californie.
De la terre (les montagnes, quoi de plus majestueux qu’une montagne, les plaines, les marais et ainsi de suite).
De la végétation. Les élémentals dans ce cas ont pour rôle de veiller à la croissance et à la floraison du règne végétal.
Pour faire en sorte qu’une action désirée se réalise, les humains doivent complaire à un ou plusieurs de ces deiwi déchus, et doivent les satisfaire par des rites rigoureusement codifiés. N.B. Il va de soi dans ce cas que les rituels pour les conjurer n’ont d’effet que sur le mental de la personne menacée, ce qui n’est déjà pas mal.
Mais seuls ceux qui fréquentent les domaines de l’imaginaire et de la créativité (les poètes et les mystiques du mundus imaginalis) sont susceptibles de les voir.
Au Moyen-âge ces élémentals ont été peu à peu conçus comme étant plutôt, eux aussi, de sexe féminin, et sont devenus ce que l’on appelle des fées. Cette filiation des fées telles que nous venons de l’indiquer montre qu’elles sont originellement des symboles ou des personnifications du concept de Terre-Mère. Les lieux de leurs épiphanies montrent cependant clairement leur origine. Elles apparaissent en effet le plus souvent sur des montagnes, près des crevasses et des torrents, sur les innombrables collines de fées, ou dans le plus profond des forêts, au bord d’une grotte ou encore près d’une rivière qui murmure, ou au bord d’une source, voire d’une fontaine. Elles sont associées à des rythmes ternaires, mais, en y regardant de plus près, elles relèvent aussi de rythmes quaternaires. Ce qui représente en effet et le rythme lunaire et celui des saisons. La lune est visible pendant trois phases sur quatre ; à sa quatrième phase, elle devient comme invisible, on dirait qu’elle est morte. De même, la vie représentée par la végétation naît sur la terre au printemps, s’épanouit en été, décroît en automne, et disparaît pendant l’hiver, temps de silence ou de mort.
Comme diraient les poètes, ces fées participent du surnaturel, parce que leur vie est continue, et non discontinue comme la nôtre, et comme celle de toute chose vivante en ce monde. Il est donc normal qu’en la saison de la mort, on ne puisse les voir, donc qu’elles n’apparaissent pas. Pourtant, elles
13
existent toujours, mais sous une autre forme, relevant comme elles, en son essence, de la vie continue, de la vie éternelle.
Telle est l’explication que l’on donne traditionnellement aux fées, mais elle relève surtout du domaine de la poésie.
Il en va tout autrement pour les feux-follets. Il s’agit de méthane et/ou de produits phosphorés issus de la décomposition de végétaux ou de cadavres, enflammés par combustion spontanée et mis en mouvement par le moindre appel d’air.
Mais il ne s’agit pas d’une véritable flamme, il s’agit plutôt d’une sorte de phosphorescence. Le phénomène a même été signalé aux États-Unis dans le triangle de Bridgewater et en Louisiane.
Pour en revenir à nos fées, l’aspect lunaire évoqué précédemment serait la raison pour laquelle Mélusine, le samedi, quitte son époux humain et lui demande de ne pas chercher à la voir. Il lui faut en effet, en cette quatrième phase, quitter l’apparence humaine pour prendre celle d’un serpent, symbole animal, comme on le sait, de la vie éternelle. Mélusine est alternativement femme et serpent, de la même façon que le serpent change de peau pour se renouveler indéfiniment. C’est le moment qui, chez les humains, correspond à la mort. Aussi les fées ne se montrent-elles jamais que de façon intermittente, comme par éclipses, bien qu’elles subsistent en elles-mêmes de façon permanente.
Première note de Pierre de La Crau. On pourrait en dire autant des manifestations de l’inconscient.
Deuxième note de Pierre de La Crau, à propos de la fée Mélusine et insérée à cet endroit par ses héritiers.
Origine du mot vouivre. Le terme vouivre est issu d’un croisement sémantique.
Le celte vobero ou vabero, a donné sur le Continent, à côté de vaivre, les formes vavre et surtout voivre, qui désignaient un petit ruisseau plus ou moins caché, l’endroit où de l’eau sourd de terre. C’est pourquoi on le retrouve dans des lieux-dits désignant une source, un ruisseau, mais aussi un bois, une prairie ou une terre humide (exemple : Pré de Vaivre, bois de Vaivre, source de Vaivre, Grande Vaivre, etc.).
Mais le mot vouivre est également issu du latin vipera : la vipère, le serpent.
Conformément à cette étymologie, la vouivre est donc d’abord fondamentalement un serpent. Sa taille est variable : de quelques dizaines de centimètres à plusieurs mètres de longueur.
Les hommes et les femmes, les dieu-ou-démons et les déesse-ou-démones, à queue de serpent, sont fort nombreux dans toutes les civilisations, dans toutes les traditions, sous toutes les latitudes. Les légendes et l’iconographie cambodgiennes nous montrent de nombreux nagas ou serpents à forme humaine, ou certaines lignées royales issues de l’union d’un homme et d’une nagini. On ne saurait mieux dire les racines souterraines de la souveraineté voire de certaines divinités. On trouve aussi des couples enlacés, homme et femme à queue de serpent. À Brennilis (département français du Finistère), la statue de la Vierge Marie, « Notre Dame de Bréac Ellis », a sous ses pieds, Mari Morgane la serpente. En déplaçant la statue pour refaire les dorures, on s’est aperçu que la queue de la serpente rejoint la natte de la vierge dans son dos, sans que l’on puisse faire la distinction. Et en examinant attentivement la représentation de l’arbre de Jessé biblique qui se trouve dans l’église de Saint-Thégonnec (Finistère toujours), on peut voir que Jessé rêve, endormi, dans les replis du corps de Mélusine !
La vouivre apprécie les lieux peu habités comme les marais, les grottes. Elle passe la plus grande partie de son temps sous terre. Son repaire peut être un trou qui s’ouvre à même le sol, une caverne au flanc d’une falaise, ou les souterrains d’un château en ruines. Mais elle fréquente aussi les milieux aquatiques : rivière tranquille miroitant sous les feuillages, étang paisible au milieu d’un bois, source courant sous la mousse, ou s’étalant dans un bassin de pierre, parfois même fontaine en plein cœur d’un village. C’est là qu’elle va boire ou se baigner.
Troisième série de notes retrouvées sur du papier à lettres et insérée à cet endroit par ses héritiers.
… que dans la mythologie druidique on peut classer les dieu-ou-démons en deux groupes ou familles, comme les Ases ou les Vanes du monde germanique ou les dieu-ou-démons olympiens et les Titans du monde grec. Les dieu-ou-démons aériens dits enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) en Irlande, et les dieu-ou-démons souterrains, des vouivres anguipèdes gigantesques (que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande). Leur chef de file est une divinité nommée Balaros.
Les vouivres ou anguipèdes gigantesques appelés andernas ou andedioï sur le Continent, ont donc au moins une fonction qui les fait intervenir dans la vie des hommes : ils assurent la richesse du sol. Ils sont étroitement localisés, mais très nombreux.
14
… Leur culte date de l’époque où les peuples avaient des préoccupations assez matérialistes, plutôt axées sur l’harmonie entre les hommes et la nature. Le culte des vouivres anguipèdes gigantesques tels Crom Cruach, Lero/Lir, Cicolluis/Cichol Gri-Cenchos, Litavis/Nerthus 1), et ainsi de suite, devait donc entrer dans un cadre fortement teinté de chamanisme.
La principale fonction de ces dieu-ou-démons souterrains, andedioï, dieu-ou-démons de l’anderodubno, est donc la fécondité. On le voit bien avec le rôle joué par Bregsos/Bres le roi usurpateur qui sera vaincu à la fin de la grande bataille de Mag Tured : c’était visiblement un dieu de l’agriculture.
Ce sont des dieu-ou-démons de la terre, ou des dieu-ou-démons souterrains, qui furent sans doute les dieu-ou-démons primordiaux d’une religion antérieure aux invasions indo-européennes.
Le panth-éon ou plérôme 2) celtique est principalement marqué par ce clivage entre dieu-ou-démons et déesse-ou-démones « célestes », la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on veut, Danu (bia) ; et dieu-ou-démons plus souterrains associés à la fertilité, à la fécondité, aux récoltes, au bien-être matériel, à la nature voire à la sexualité ou à l’érotisme (appelés Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande).
Sur le Continent, ils sont souvent représentés sous forme de vouivres anguipèdes gigantesques ainsi que nous l’avons déjà exposé. En Irlande, ces vouivres anguipèdes gigantesques ont été diabolisées sous le double effet de la christianisation et de la gaëlicisation. On peut d’ailleurs se demander si cette diabolisation des forces chtoniennes n’avait pas commencé AVANT MÊME LA CHRISTIANISATION (CE SERAIT ALORS LÀ UNE DES PREMIÈRES DÉVIATIONS DU DRUIDISME IRLANDAIS PAR RAPPORT AUX GRANDES LIGNES DU DRUIDISME DE RÉFÉRENCE).
Il y a plusieurs façons pour ces entités d’entrer en contact.
L’une d’elles est le combat. Dans la lutte entre les dioï et les andedioï, les dioï, les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) en Irlande, finissent toujours par l’emporter, notamment dans certains cas grâce à l’aide de Taran/Toran/Tuirean. Statuaire romaine : les vouivres ou anguipèdes gigantesques sont terrassés par Taranis/Jupiter.
Le second type de contact est l’union conjugale, l’hiérogamie, le mariage sacré.
Les dieu-ou-démons de la tribu de Danu (bia) ont généralement des fonctions plus « spirituelles » que les dieu-ou-démons souterrains symbolisés par des vouivres anguipèdes gigantesques sur le Continent.
Je relève d’ailleurs qu’une des variantes de notre mythologie, celle particulièrement développée en Irlande, les fait venir pas exactement d’une autre planète, ni de l’espace, ni des airs, mais d’îles lointaines situées au nord du Monde 2).
Certains auteurs distinguent même soigneusement ces divinités des dieux aériens ou célestes au sens strict du terme, comme les divers vents que nous connaissons (Circius/Cers, Santa Ana…) pour déduire de leur habitat initial, ces mystérieuses îles 3) au nord du monde, au nord du monde et non du nord du monde, qu’il s’agit là en réalité de dieux typiquement humains ou plus exactement bien représentatifs des vertus qui font honneur au génie humain le plus civilisé (la recherche de la vérité ou de la justice, etc.) ou de ses plus sombres passions (l’envie la jalousie la haine la guerre, la psychopathie est par exemple un dieu ou démon puissant…)
Ces deux, ou trois ? groupes de dieu-ou-démons s’affronteront longtemps ; avant de se confondre plus ou moins dans l’esprit de nos ancêtres après la christianisation au fur et à mesure du développement des activités humaines et de leur emprise sur la nature, et donc de disparaître symboliquement de la surface de terre pour se réfugier dans ses profondeurs.
D’ailleurs il a toujours existé une sorte de chassé-croisé entre ces deux ou trois ? grandes catégories de dieu-ou-démons, et certains sont passés d’une catégorie à l’autre (cas de Bregsos /Bres le dieu de l’agriculture dans les mythes irlandais par exemple) ; ou ont des ancêtres communs, vu les nombreuses alliances ayant par moments réussi à faire régner la paix entre ces deux (ou trois ?) catégories rivales de dieu-ou-démons.
Dans la pratique, les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou de la fée Danu (bia), étaient plutôt priés par les aristocrates. Les dieu-ou-démons topiques ou souterrains comme Bregsos ou Crom Cruach en Irlande, Arduinna en Belgique, Vosegos en France, Tudi Gong en Chine, représentatifs de la fécondité et de la fertilité entre autres, étaient honorés par la paysannerie.
15
1) La terre joue auprès des hommes un double rôle. Par sa fertilité, elle les nourrit. Elle les reçoit dans son sein quand ils sont morts. La déesse-ou-démone, ou fée, chtonienne par excellence (la terre mère), appelée Litavis/Nerthus, est une déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme ; qui sera rangée sous un nom au masculin dans la famille des dieu-ou-démons Vanes, par les Germains. C’était une importante divinité possédant une mystérieuse forêt sur une île des Cimbres ou des Teutons, au Danemark ; là où l’on a retrouvé le fameux chaudron de Gundestrup (l’île de Fionie ou l’île de Seeland), ou sur l’île allemande de Rügen.
« Puis viennent les… [suit une longue liste de peuples habitant la partie de l’Allemagne du Nord donnant sur la mer Baltique]… qui sont protégés par des cours d’eau et des forêts. Il n’y a rien de bien particulier à signaler pour eux, excepté le culte qu’ils rendent en commun à Nerthus, autrement dit à la Terre-Mère. Ils croient qu’elle intervient dans les affaires humaines et qu’elle se fait conduire auprès de leurs peuples. Dans une île de l’Océan, il y a un bois consacré depuis toujours, et, dans ce bois, un char couvert, dédié à la déesse. Seul le prêtre a le droit d’y toucher ; il connaît le moment où la déesse est présente dans ce sanctuaire ; elle part traînée par des génisses, et il la suit avec une profonde vénération. C’est alors la fête dans tous les lieux qu’elle daigne visiter ou honorer de sa présence. Les guerres sont suspendues ; on ne prend plus les armes ; tout fer est soigneusement enfermé. Ce temps est le seul où ces barbares connaissent la paix ainsi que le repos ; il dure jusqu’à ce que, la déesse étant rassasiée de la compagnie des mortels, le même prêtre la rende à son temple. Alors le char, et les voiles qui le couvrent, et, si on les en croit, la divinité elle-même, sont immergés dans un lac solitaire. Des esclaves s’acquittent de cet office, et aussitôt après le lac les engloutit. De là une religieuse terreur et une sainte ignorance à propos de cet objet mystérieux que l’on ne peut voir sans périr » (Tacite. Germania XL 2, 3 et 4).
On ne peut s’empêcher de penser au mythe de la Dame du Lac dans la littérature arthurienne.
D’après certains auteurs, cette graphie (Nerthus) correspondrait au dieu-ou-démon germanique Niördr ou Njördr. Un dieu-ou-démon, pas une déesse-ou-démone, ni une fée, alors que le texte de Tacite est pourtant fort clair. Nerthus id est Terra Mater. Curieuse image que celle que donne cette religion donc, où l’on ne sait jamais avec certitude si l’on a affaire à « un » dieu ou à « une » déesse.
2) Nous utilisons le terme plérôme qui signifie en grec « plein » afin de bien montrer ici que nous ne nous contentons pas des seules entités surhumaines célestes, mais que nous incluons également dans ce que nous entendons signifier… les entités surhumaines chtoniennes souterraines inconscientes.
3) Une île, c’est une terre, mais dans l’esprit des très-sachants appelés druides, de telles îles appartenaient beaucoup plus au monde céleste qu’au monde purement terrestre. Ces îles lointaines étaient de toute façon des portes ou des points de contact avec une autre partie de l’univers. De tels dieu-ou-démons peuvent venir sur la terre. On peut conclure des marchés avec eux.
16
LA PARABOLE D’OGMIOS.
Il était une fois un vieillard aussi vieux qu’il est possible. Les quelques cheveux qui lui restent (il est presque complètement chauve sur le devant) sont totalement blancs, et sa peau est ridée, mais aussi tannée, comme brûlée par le soleil.
Et l’historien grec du IIe siècle, Lucien de Samosate, d’ajouter (Discours, Hercule 1-7) :
« Notre Héraklès est connu chez les Celtes du Continent sous le nom local d’Ogmios ; et l’apparence qu’il a dans leurs fresques est vraiment grotesque.
On le prendrait presque pour quelque déité infernale, pour Charon ou Japet, enfin pour n’importe qui plutôt qu’Héraklès. Tel qu’il est néanmoins, il a tous les attributs particuliers de ce dieu : la peau de lion pend sur ses épaules, sa main droite tient la massue, sa main gauche l’arc tendu, et un carquois est accroché à son côté ; rien ne manque de l’équipement d’Héraklès. Au début je crus que c’était par haine des dieux grecs ; qu’en prenant de telles libertés avec l’apparence personnelle d’Héraklès, les Celtes ne faisaient que se venger sur le plan pictural pour son invasion de leur territoire ; quand dans sa quête des troupeaux de Géryon, il avait parcouru et pillé la plupart des peuples d’Occident. Je dois néanmoins, maintenant, mentionner le trait le plus remarquable de ce portrait. Cet antique Héraklès entraîne derrière lui une grande foule d’hommes, tous sont attachés par les oreilles au moyen de chaînes faites d’or et d’ambre, ressemblant beaucoup plus à de très beaux colliers qu’à n’importe quoi d’autre. Et malgré ce lien assez ténu, ils ne faisaient aucun effort pour s’échapper, bien qu’il leur soit très facile de le faire. Il n’y a pas le plus petit signe de résistance : au lieu de planter leurs talons dans le sol et de se jeter en arrière, ils suivent au contraire avec une joyeuse alacrité, en chantant les louanges de leur ravisseur ; et vu l’ardeur avec laquelle ils se hâtent derrière lui pour éviter que les chaînes ne se tendent, on pourrait dire que s’enfuir est bien la dernière chose qu’ils désirent. Mais je ne vous cacherai pas plus longtemps le très curieux détail qui m’a le plus frappé. La main droite d’Héraklès étant occupée par la massue, et la gauche par l’arc, comment lui faire solidement tenir l’autre extrémité des chaînes ? le peintre a résolu le problème en faisant un trou au bout de la langue du dieu, et en faisant le point d’attache desdites chaînes ; sa tête est donc tournée vers eux, et il regarde ceux qui le suivent ainsi l’air souriant. Je dus rester longtemps stupéfait à contempler ainsi un tel tableau, je ne savais que penser de tout cela et je commençais même à m’en irriter quand je fus abordé en un grec admirable par un Celte qui se tenait à côté de moi, et qui en plus d’avoir des connaissances très précises dans leur science nationale, s’avéra ne pas être complètement ignorant de la nôtre. « Noble étranger, je vois que cette fresque vous laisse perplexe », me dit-il, « laissez-moi donc vous en donner la clé. Nous autres Celtes, nous n’associons pas l’éloquence à Hermès, comme vous, mais au puissant Héraklès.
Ne soyez pas non plus surpris de le voir ainsi représenté en vieil homme. Car la prérogative de l’éloquence est d’atteindre la perfection avec l’âge ; du moins si nous pouvons en croire vos propres poètes, qui nous disent que…
« La jeunesse a l’esprit qui erre,
Alors que la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse ».
C’est pourquoi nous trouvons dans leurs poèmes que du miel coule des lèvres de Nestor ; et que les discours des conseillers de Troie sont semblables à des lis, qui, si ma mémoire est bonne, sont des fleurs de chez vous.
En conséquence de quoi, si vous voulez bien considérer la relation qui existe entre la langue et l’oreille, vous ne trouverez rien de plus naturel que la façon dont notre Héraklès, qui est l’éloquence personnifiée, mène les hommes, les oreilles enchaînées à sa langue. Et ce n’est pas pour lui faire affront que le bout de sa langue a été percé, car je me souviens aussi des vers d’un de vos poètes comiques disant que…
Il y a toujours un trou dans la langue du bavard.
Bref, nous nous attribuons tous les exploits de l’Héraklès initial, du premier au dernier, à sa sagesse, ainsi qu’à la force de persuasion de son éloquence. Ses traits ne sont rien d’autre que ses paroles : rapides, acérées, propres à toucher les âmes et à les émouvoir ». Pour conclure, il me rappela notre propre image : « Les paroles ont des ailes ».
17
Pour désigner son interlocuteur Lucien écrit textuellement philosophos. Philosophos n’est employé dans la phrase que comme adjectif ; mais comme substantif c’est le mot usité généralement par les écrivains grecs pour désigner les très-sachants ou gnostiques d’Occident.
Nous ne pouvons pas être sûrs que le Grec a bien tout compris et répété, mais les témoignages anciens sont trop rares pour qu’on puisse en négliger un. Il se peut aussi que ce très-sachant ait nuancé son interprétation afin d’apaiser l’irritation de son interlocuteur. Mais la forme de l’explication, qui trahit une grande finesse d’intelligence, devait pour le moins émaner d’un bon connaisseur en théologie.
Il y a dans l’explication fournie à Lucien, plus de politesse que de sincérité. On ne sait pas, vraiment, ce qu’il convient le plus d’admirer, ou le sincère effort de compréhension du rhéteur grec, ou les talents de diplomate de notre commentateur celte. Si tous les très-sachants ou gnostiques d’Occident ont expliqué ainsi les choses à leurs interlocuteurs, ne disant jamais que ce qu’ils voulaient bien dire, ne soyons pas surpris des embarras de l’interpretatio graeca ou romana. Elle n’a dû être qu’un « camouflage ». L’interpretatio graeca en question a dû être faite par les Celtes eux-mêmes. Dans le cas d’Ogmios, tout se passe comme si une divinité celtique, à double ou triple visage, s’était vue affecter une interpretatio graeca fort subtile, créée à toutes fins utiles par les très-sachants de la druidiaction (druidecht).
Que faut-il retenir de ce récit de Lucien de Samosate ? Plusieurs choses.
Tout d’abord, à l’image de ce grand voyageur, il faut faire du tourisme religieux intelligent *, ne pas s’arrêter à l’apparence ou aux explications simplistes comme les judéo-islamo-chrétiens ou les journalistes français d’aujourd’hui, mais toujours chercher plus loin.
Deuxième point : la mythologie des Celtes est tout aussi complexe que celle des Grecs ; ce n’est que notre ignorance des neuf dixièmes de sa nature qui nous la fait trouver sommaire et illogique.
En outre, dans chaque témoignage il faut tenir compte des intérêts ou de la psychologie du narrateur. Grecs et Romains ont visité le pays, mais Lucien et César ne cherchaient pas les mêmes informations ; l’un prenait le temps de questionner, de se renseigner, l’autre ne s’intéressait qu’au potentiel militaire et aux alliances politiques.
Cela ne signifie pas pour autant que César fut mal informé ; mais la mythologie était le cadet de ses soucis et, de plus, il prenait plaisir à souligner devant ses futurs lecteurs, la barbarie ou l’inculture des Celtes face au progrès en marche : le pas lourd et cadencé des légions romaines.
Lucien, en tant qu’invité, bénéficiait de la sympathie instinctive de tous les intellectuels celtes envers un Grec qui, de surcroît, était un esprit curieux et ouvert.
Il est aussi important de remarquer l’existence dans ce pays, que l’on nous dit barbare, et inculte, de personnalités capables de discuter d’égal à égal et dans sa langue, avec Lucien de Samosate.
Rien ne dit que cet érudit capable à la fois de citer des vers grecs et d’effectuer une brillante mythologie comparée entre Ogmios et Hercule, ait été un très-sachant ou gnostique d’Occident ; mais la présomption est assez forte.
Enfin, il faut noter que si le Celte surclasse le Grec, il n’en profite pas pour essayer de le convertir, et c’est peut-être là l’enseignement le plus important de ce texte. Les dieu-ou-démons celtes et les dieux-ou-démons grecs ne s’opposent pas, tels le Christ et Mahomet, mais vivent chacun leur mythologie propre dans leur milieu naturel ; l’un pouvant emprunter l’aspect ou les caractères de l’autre sans pour autant être lui superposable. Quelle leçon de tolérance !
Outre le fait que Lucien de Samosate était un Grec, et qu’il pensait en fonction de sa culture ou de son mode de vie, que conclure encore de ce récit et des commentaires ?
Notre but est de faire comprendre ce qu’est vraiment le druidisme. Il y a deux impératifs pour cela.
Le premier, c’est de bien s’imprégner de son histoire. Beaucoup de celtisants, sincères, issus de la fausse filiation initiatique galloise lancée par Iolo Morganwg (le Collège des druides et ovates des Gaules en France, le collège druidique breton, etc.) en bref 90 % du néo-druidisme actuel ; inconsciemment marqués par vingt siècles de philosophie chrétienne, ou tout simplement par la philosophie dominante de notre époque véhiculée par les journalistes, même si c’est plus ou moins confusément ; préfèrent nier les faits qui sont reprochés aux très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques plutôt que de les reconnaître.
Or la solution tout comme la vérité réside ailleurs.
18
Il ne s’agit pas de nier les faits dûment établis, mais de chercher à les comprendre. C’est évidemment plus difficile que de les rejeter en bloc, cela nécessite beaucoup plus de travail, obscur et anonyme, beaucoup plus d’audace et de courage aussi, loin des lauriers facilement glanés. Cela rapporte moins, mais que de trésors authentiques jaillissent alors sous la plume des obstinés pionniers ou aventuriers, se livrant à ce travail !
Il s’agit certes d’un druidisme moins à la mode que le druidisme idéal que nous venons d’évoquer ; mais il a sur ce dernier un incontestable avantage, celui d’avoir au moins réellement existé. On ne peut pas toujours en dire autant des brillantes, si tant est que cet adjectif soit approprié, reconstructions intellectuelles du néo-druidisme actuel, issu du faussaire de génie que fut Iolo Morganwg.
Le druidisme qui sort de ces livres est trop beau pour être vrai ! L’Histoire est une science, humaine, mais qui a ses règles, n’échappant nullement à la morale. C’est pourquoi il importe de méditer d’abord l’histoire du druidisme, et non les livres de fiction qui ont été écrits, hélas, en trop grand nombre, à son sujet. Quelle que soit la sincérité, parfois évidente, de leurs auteurs !
Il faut méditer jour et nuit les livres d’histoire écrits à son sujet, en rêver presque jusqu’à en devenir druide soi-même à force d’intériorisation. Le druidisme ne doit pas être ressenti (inconsciemment) par nous, comme quelque chose d’étranger ; mais comme l’expression même de notre moi le plus profond.
Le deuxième impératif est qu’il faut réussir à trouver les mots pour traduire cela dans notre langage d’hommes du XXIe siècle. Il faut notamment réussir à comprendre de l’intérieur les faits ainsi que les idées que nous rapportent, sans toujours bien les comprendre, les historiens (les vrais).
Cessons de prendre (même inconsciemment) les gnostiques d’Occident, pour des sauvages primitifs et ignares, accordons-leur pour une fois le bénéfice du doute ; et l’on verra aussitôt que ces faits et gestes peuvent s’expliquer d’une façon tout autre.
Notre deuxième impératif est donc qu’il faut réussir à trouver les mots pour traduire tout cela dans notre langage d’hommes du XXIe siècle. Il s’agit là presque d’un travail de traduction. Aux Grecs il faut parler grec !
Et comme dans toute traduction le mot-à-mot ne suffit pas. Il faut savoir parfois s’écarter du modèle afin de restituer la poésie et la force de l’original, sans le trahir. Il faut savoir se mettre dans la peau d’un gnostique d’Occident d’il y a deux mille cinq cents ans, certes, mais il faut savoir aussi se mettre dans la peau d’un homme du XXIe siècle.
C’est ainsi que nous désignons parfois aujourd’hui par le mot Graal, terme d’origine médiévale consacré par une littérature connue, le mystère divin (ou la divinité en son mystère) si peu accessible à l’entendement humain.
Il faut trouver les termes adéquats et à force « d’erreurs » dans le détail, arriver à faire comprendre à nos contemporains la vérité profonde de cette philosophie religieuse. Il ne s’agit pas de restituer dans son intégralité passée ce que fut le druidisme antique, ça, c’est du travail d’historien, et cela laisserait presque tout le monde indifférent, à part une poignée de spécialistes…
Il s’agit de faire renaître les grands principes fondateurs du druidisme antique, et, au-delà des questions de forme ou de détails, de les faire littéralement se réincarner dans notre époque. Autrement dit, garder l’Histoire, mais en réactualiser l’esprit en fonction de notre temps.
Notre but n’est pas l’Histoire pour l’Histoire ; mais la réactualisation des principes druidiques qui peuvent encore aujourd’hui, et plus que jamais, nous aider à vivre.
« Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec. Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux pour deux raisons : la première…… et parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser » (césar. B.G. Livre VI, 14).
Beaucoup de choses ont été écrites sur le druidisme, et notamment beaucoup d’âneries, toutes plus navrantes les unes que les autres. Il importe aujourd’hui de rectifier ces erreurs consternantes, afin que nos compatriotes de cœur, les Celtes d’esprit, partout sur cette planète, sachent enfin ce que fut vraiment cette grande religion, cette Atlantide à jamais disparue.
19
Il faut repenser l’ancien druidisme en fonction de la culture moderne, c’est-à-dire réinterpréter les demandes du monde moderne pour montrer comment elles peuvent être satisfaites pleinement de façon païenne, ou plus exactement druidique. Reconstruire un modèle synthétique du druidisme dans les catégories culturelles de notre époque. Il nous faut une druidiaction offensive, ouverte, audacieuse, qui ne se replie pas dans de pseudo-traditions vieilles de quatre ou cinq siècles à peine ; comme dans le cas de l’hérésie galloise (par hérésie nous voulons dire : les supercheries forgées de toutes pièces de Iolo Morganwg) ; mais aborde franchement les questions nouvelles. Et qui ne craigne pas de faire l’autocritique du druidisme.
Pour cela, il faut tenir compte des connaissances scientifiques modernes, qui sont fondamentales comme critère de la vérité. Le savoir druidique doit être, non pas la totale connaissance de soi et du monde (personne ne peut tout savoir), mais la meilleure clé de toute compréhension de soi-même et du monde (à tous les niveaux).
IL FAUT PARLER EN DRUIDE DU DRUIDISME ET IL FAUT PARLER AUX GRECS EN GREC.
1. Il faut d’abord apprendre à connaître le druidisme de l’intérieur (se mettre dans la peau d’un très-sachant ou gnostique de la druidiaction d’il y a 2000 ans) pour être en mesure de bien en parler, pour être capable de bien l’expliquer. Donc lire et relire… les bons ouvrages à ce sujet. L’initiation « magique » ne suffit pas. Nul n’était admis dans les fénianes sans avoir lu les TRENTE-TROIS livres, autrement dit le rayon « druidisme » de la petite bibliothèque religieuse. Pourrait-on dire, car au Moyen-Age en Irlande il ne s’agissait pas de 33 livres, mais seulement de 12. Voir Céitinn/Keating à ce propos.
2. Pour bien expliquer le druidisme, il faut parler aux hommes et aux femmes de ce siècle dans leur langue. Parler du druidisme aux hommes du XXIe siècle avec des mots du XXIe siècle, et ainsi de suite… et surtout avec des exemples actuels (naturels, psychologiques, moraux) faciles à transposer.
Regardez donc cette foi philosophique et réfléchie avec les yeux de ce philosophos dont parle Lucien, et ensuite essayez de la comprendre de l’intérieur au lieu de la condamner bêtement.
Enfin, sachez parler le langage de nos contemporains pour l’expliquer ou la faire comprendre.
Aux Grecs parlez le grec pour la dire, aux Romains le latin, aux Juifs l’hébreu, aux Chinois le chinois.
Comme le dit Solin, cité par Henri Lizeray dans sa Doctrine secrète du druidisme : « La théologie païenne doit être interprétée avec largeur de vues ».
Ainsi que le précise même le grand penseur arabe saint Jean de Damas (Jean le Damascène) le père du vieux principe s’énonçant ainsi en latin : philosophia ancilla theologiae, nous devons recourir aux discours des philosophes « car tout artisan a besoin de moyens pour mener son entreprise à terme. Mais il convient que les servantes soient soumises à la Reine. Nous recueillerons donc les raisonnements qui servent à la Vérité, nous rejetterons l’impiété qui exerce sur eux sa tyrannie » (Fontaine – ou source – de la connaissance – ou de la sagesse -. Chapitre I).
Afin d’éclairer de l’intérieur la philosophie mystique et religieuse du druidisme, nous ferons appel dans cet essai à deux des grands phares indo-européens ou aryens encore bien connus actuellement de nos contemporains, pour diverses raisons.
— La mystique persane ou aryenne antique.
— La philosophie grecque (Pythagore, mais aussi Platon, etc.)
Notamment par le biais de la célèbre École de philosophie située à Carrhes (Carrhae/Harran pratiquement sur la frontière entre la Turquie et la Syrie) qui fut le centre oriental de la pensée platonico-pythagoricienne et qui par le truchement des traductions en arabe a finalement joué un grand rôle dans la Renaissance européenne.
Les sabéens de Carrhes Carrhae ou Harran ont eu en effet une influence considérable sur leur époque (le saint Coran d’ailleurs en fait presque des égaux des musulmans), et ce jusqu’aux alentours de l’an mil, une influence qui a dépassé de loin le cadre de cette modeste région de Mésopotamie. Leur paganisme de type grec et iranien est aussi à l’origine de toute la philosophie musulmane médiévale. Nous disons bien de la philosophie (falasifa) arabo-musulmane, et non de la religion islamique, car cette philosophie musulmane, de par ses origines païennes gréco-persanes, et autres, a toujours été, en effet, fort éloignée du Coran (elle fut d’ailleurs le plus souvent considérée comme hérétique c’est-à-dire relevant de la zandaqa **, par les pieux musulmans : cf. la dialectique ou kalam
20
des qadarites (qadariyya), moutazilites et autres mécréants de tout poil en Dar al islam ou terres d’islam).
Les parabolans chrétiens (parabolans, pas talibans) ayant fermé en 529 l’école d’Athènes le célèbre Simplicius et ses disciples se réfugièrent alors à Carrhae (Harrân), une ville alors située aux confins de l’Empire, à la frontière perse. Leur école prospéra au moins jusqu’au Xe siècle. Nous savons notamment par diverses sources (arabo-musulmanes) qu’un temple y fonctionnait encore autour de l’an mil. Il s’agit par conséquent de l’ultime bastion, dans la région, d’un paganisme conscient et revendiqué. Hélas sans doute aussi dégénéré que les derniers druides du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill à la même époque ! Les sabéens de Carrhes Carrhae ou Harran faisaient remonter leur origine spirituelle à Hermès, guide des âme/esprits dans l’au-delà, messager capable de traverser les trois régions de l’Univers, donc Mercure (autrement dit Lug en interpretatio druidica). Ces néo-platoniciens tardifs, mâtinés de Pythagorisme, assumaient le nom de « païens », et pratiquaient les rites de toujours (prières aux dieu-ou-démons, jeûnes, ablutions, sacrifices, etc.).
Leur plus célèbre maître, Thâbit Ibn Qorra, mort en 901 à Bagdad, a écrit en syriaque un livre intitulé « Des institutions d’Hermès », un livre que son fils traduisit en arabe (Kitab nawamis Harmas). En 933 le muthasib de Bagdad demanda leur génocide.
Le dernier connu, Hokaïm Ibn Isâ Ibn Marouân, mourut en 944, mais leur École put apparemment survivre jusqu’en 1081, date de la destruction de leur dernier temple par les Seldjoukides.
C’est donc par l’intermédiaire de cette École de pensée que la philosophie, avant de revenir en Europe par le truchement des Arabes, a survécu dans la région. La théosophie d’un Sohraouardi par exemple, est issue à la fois du néoplatonisme tardif de cette École de Harran, et de la spiritualité mazdéenne de l’ancienne Perse, fondée sur la notion d’êtres illuminés de lumière (roshaniyâ en persan)…*****
* Les seuls voyages qui vaillent d’ailleurs sont des voyages intérieurs. Rien ne sert d’aller à l’autre bout du monde si c’est pour y trouver la même chose que chez soi et partout ailleurs, et porter sur les hommes et les choses (objets inanimés avez-vous une âme ?) un regard aussi superficiel que les analyses de nos modernes journalistes sur la guerre en Syrie (les bons et intelligents courageux et tutti quanti, contre les bêtes et méchants qui sont lâches en plus évidemment. Ce qu’oublient ces journalistes français c’est que le mal pratiquement tout le monde est contre (à part une infime minorité de psychopathes ou sociopathes), mais, le drame c’est que les hommes ne sont pas d’accord entre eux sur ce qu’est le mal). Comme l’a dit un jour Pascal : « l’homme n’est ni ange ni bête et le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête ». Nos contemporains ont certes parcouru le monde, mais ils n’ont rien vu, car, répétons-le encore une fois, il n’est de véritable voyage qu’intérieur.
** Hérétiques se dit zindiqs en dar al islam ou terres d’islam. C’est un terme d’origine persane (zendik) signifiant quelque chose comme « libre penseur ».
*** Son nom complet, Al-Sabi Thâbit ibn Qorra al-arrani, et ses écrits sur Hermès Trismégistes prouvent qu’il s’agissait bien d’un Sabéen de Harran et certainement pas d’un musulman. Tant pis pour les antiracistes/racistes **** de l’islam qui veulent à tout prix en faire un bon musulman.
**** Ce sont les mêmes ! Quant à moi voici ma définition du raciste : « Les racistes ce sont les autres ! »
***** Avertissement au lecteur. Dans ce qui suit, néant et zéro seront soigneusement distingués.
Le néant c’est une absence, mais le zéro lui ce n’est pas le néant. Il désigne bien sûr une absence, mais il sert aussi de point de repère en géométrie et c’est aussi un nombre.
Les Grecs de l’Antiquité considéraient que ce qui existe est « un », mais n’avaient pas la faculté d’abstraction nécessaire pour être capables d’écrire ce qui n’est pas, ce qui est inexistant (exemple Parménide).
Pour Aristote d’ailleurs le vide et l’infini n’existaient pas.
21
Les Grecs n’avaient par conséquent aucun système d’écriture incluant le zéro dans leur numération, puisque le néant heurtait leur conditionnement intellectuel.
C’est pourquoi d’ailleurs il n’y a pas d’an zéro dans notre calendrier, les premiers chrétiens étaient incapables de le concevoir le néant. Il n’y a pas d’an zéro de l’ère chrétienne, on commence directement avec l’an 1. On commence directement avec l’an 1.
D’où sans doute également le succès de la notion d’éther comme cinquième élément.
Seuls des intellectuels comme les druides d’extrême orient appelés brahmanes ou les prêtres mayas réfléchissaient assez au néant (dans leurs philosophies) pour réussir peu à peu par tâtonnements successifs à élaborer la notion de sunya ou zéro. Le nom même de Brahmagupta en tout cas semble indiquer qu’il était hindouiste, mais le bouddhisme était encore très présent en Inde à l’époque. Quoi qu’il en soit ce qui est certain c’est que le zéro apparaît déjà dans un manuscrit indien, le Bakhshali, datant du 3e ou 4e siècle avant notre ère. Il était aussi connu des Babyloniens à la même époque.
Bref, néant et zéro ce n’est pas la même chose, le zéro peut être aussi le contraire du néant.
Quant au néant il put aussi simplement l’état de ce qui précède l’être, de ce qui est antérieur à l’existence. Le corps d’un être humain un an avant sa naissance par exemple. Il n’existe en aucune façon.
22
L’APOGÉE DU DRUIDISME ANTIQUE (MYTHO ou META-HISTOIRE).
Ambigatus ou Ambicatus a réuni sous sa domination, vers la fin du cinquième siècle avant notre ère, une grande partie de l’Allemagne actuelle et de l’Autriche, la France moins le bassin du Rhône, et près des deux tiers de la péninsule ibérique. L’unité politique a été alors complétée par une sorte d’amphictyonie religieuse, et les diverses nations celtiques ont eu un même panth-éon ou plérôme, supérieur. Quand l’empire d’Ambicatus s’est démembré ou que le lien qui unissait les tribus celtes se fut relâché ; les dieu-ou-démons locaux, dont le prestige avait dû quelque temps céder à l’autorité du panth-éon ou plérôme pan celtique, furent de nouveau évidemment l’objet de bratou decantem, d’ex-voto, et de dédicaces. Demeura néanmoins la sensibilité religieuse qui avait été le lien ou le liant de tous ces peuples.
« ILS DISCUTENT BEAUCOUP DE LA NATURE DES CHOSES,
DE LA PUISSANCE ET DU POUVOIR DES DIEUX IMMORTELS
ET ILS TRANSMETTENT CES SPÉCULATIONS À LA JEUNESSE » (B. G. VI, 14).
Et s’il y avait une création sans créateur ? Non pas un commencement et une fin absolus mais des commencements et des fins relatives en vertu du grand principe de conservation de l’énergie attribué à Lavoisier : « rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme » ?
Les Celtes ne pensaient-ils pas que l’Humanité était issue d’un existant appelé Dis pater par les Romains et les druides ne disaient-ils pas contrairement à la Bible que le jour vient de la nuit ?
Je dis contrairement à la Bible car si j’en crois son mythe de la création avant que la lumière soit il avait non pas la nuit MAIS RIEN !
Cette notion de création absolue de notre univers par un Dieu tout puissant soulève deux problèmes qui sont autant d’apories que traînent comme des boulets les théologie juive chrétienne et musulmane.
La première est « Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? »
Les Sumériens répondaient (au pluriel) que c’était pour être adoré prié et se voir offrir des sacrifices.
Les chrétiens répondent plus hypocritement « par amour ».
Et la deuxième aporie est, puisque ces religions de masse monolâtres ont une telle eschatologie, pourquoi Dieu mettra-t-il fin à ce monde un jour ?
En résumé : « pourquoi faire surgir le monde du néant pour l’y renvoyer presque aussitôt (aussitôt car comparée à l’éternité la durée de vie de notre univers selon leurs premières générations... devait être relativement courte) » ?
Laissons donc l'anthropomorphisme à nos ancêtres biologiques ou spirituels ! L'être des êtres est indifférent à tout ça, IL EST un point c'est tout !
Et telle était peut-être en définitive la substance ou la quintessence de la philosophie de Diviciacos de Bibracte ainsi résumée par Strabon (qui n’y a visiblement rien compris): « les âmes et l'univers sont indestructibles, mais un jour le feu et l'eau prévaudront ».
L’idée de Dieu que se font les religions de masse, monolâtres (judaïsme christianisme et islam) est en tout cas le plus grand commun diviseur de l’Humanité, évitons par conséquent de le mêler à nos affaires d’hommes ;
Dieu est en effet une inconnue qui rend toute équation impossible à résoudre
Les maîtres mots du vieux druide de la forêt marseillaise étaient peut-être mais avant la lettre évidemment, panenthéisme panthéisme athéisme agnosticisme (dixit le vieux druide de la forêt des environs de Marseille d’après Lucain de La Pharsale….ou Lucien….de Samosate) car il faut savoir parler aux Grecs en grec. Mais qu'est-ce que la Vérité ? La sincérité est peut-être plus à notre portée.
23
Le fondement de la démarche druidique authentique est la réflexion et l’interrogation : qu’est-ce que ce monde en réalité ? Quelle est sa vraie nature ? Quel est le sens de l’existence individuelle ?
Les légendes druidiques, quelle que soit l’interprétation à donner à tant de passages difficiles ou désespérés, témoignent, à n’en pas douter, d’une certaine conception de la vie. Weltanschauung disent nos amis allemands.
Cette littérature orale des Celtes nous donne accès à leur sagesse : à travers son étude, c’est donc une véritable transformation intérieure qui s’offre au chercheur en spiritualité parti à la quête du Graal.
L’étude des différentes littératures celtiques, irlandaise, galloise, ou francophone (les romans de la Table Ronde), fournit des éléments de réflexion, et constitue un des fondements du vrai druidisme d’aujourd’hui. Cette très riche littérature délivre à la fois une vision de la vie inspirante et libératrice (weltanschauung), ainsi qu’une sagesse pratique. La réflexion personnelle, fondée sur l’étude des mythes celtes, permet de développer la distinction entre le réel et l’irréel, entre le permanent et l’illusoire, et un certain détachement, des qualités intérieures indispensables pour progresser.
La contemplation des merveilles du Monde devient alors naturelle à celui qui a entrepris ce travail de purification intérieure de son esprit, car de façon ultime, c’est toujours par la méditation que l’on atteint la Connaissance, et la redécouverte de notre vraie nature.
Il ne faut pas oublier que l’Homme de Néandertal notre ancêtre à 30 % mis bout à bout avait un cerveau plus……[la suite du texte manque].
24
LES CINQ PETITS RUISSEAUX QUI FONT
LA GRANDE RIVIÈRE.
Dès que l’on aborde le domaine du druidisme, on se trouve inévitablement confronté au problème des références. On ne connaît en effet qu’un seul druide historique, attesté par César vers 58 avant notre ère, Diviciacos, et son attitude fut d’ailleurs très contestable (il collabora en fait avec le parti de l’étranger à savoir Rome).
Cinq types de sources nous livrent néanmoins des informations générales. Tout d’abord, les contemporains des très-sachants ou gnostiques d’Occident, de l’Antiquité.
Tous les écrivains de l’Antiquité s’accordent en effet à reconnaître l’extrême religiosité des Celtes. Au témoignage bien connu de César, qui rapporte que les Celtes sont un peuple très adonné aux pratiques religieuses (admodum dedita religionibus), il faut ajouter ceux de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse.
Livre V, 46, 3 : des Celtes étonnés d’une si merveilleuse audace, ou peut-être pénétrés d’un de ces sentiments de religion auxquels ce peuple est loin d’être indifférent (Tite-Live).
Antiquité Romaine, Livre VII, 70, 3 à 4 : les Celtes, comme les Libyens, les Égyptiens, les Scythes, et les Indiens, sont fidèles à leurs croyances religieuses et le temps ne le persuade pas de renoncer (Denys d’Halicarnasse).
Autrement dit, nous avons donc d’abord pour commencer divers textes de l’Antiquité classique émanant d’étrangers, nous relatant ce que géographes et historiens gréco-romains ont cru comprendre des conceptions philosophico-religieuses des Celtes.
L’existence des très-sachants de la druidiaction ou gnostiques d’Occident est attestée dans l’Antiquité par des témoignages et des auteurs grecs ou latins allant du premier siècle avant au premier siècle après, notre ère. Les plus connus et les plus importants sont : Diodore de Sicile (Bibliothèque historique), Strabon (Géographie), Pomponius Mela (De Chorographia), Lucain (La Pharsale), Pline l’Ancien (Histoire naturelle), et surtout Jules César et ses célèbres commentaires De bello gallico. On peut rajouter quelques dizaines de noms d’auteurs à cette trop courte liste, y compris des Pères de l’Église (catholique). Et quelques décisions des premiers conciles contenant, parmi les innombrables défenses qu’ils formulent, des allusions à certains rites encore pratiqués à leur époque par la population « païenne ». Ces témoignages donnent souvent une image négative des peuples celtes, mais on peut quand même en extraire de nombreux éléments très intéressants.
La deuxième source d’information est constituée par les nombreux monuments britto-romains (autels, stèles, laraires, etc.) qui sont malheureusement muets le plus souvent, le nom même de la divinité représentée y apparaissant rarement.
La troisième source d’information est alimentée par les monnaies celtiques sur lesquelles figurent fréquemment des symboles « druidiques », mais elles n’ont été que peu étudiées du point de vue de la tradition. Voir néanmoins la série des pièces dites « au loup mangeur de lune » ou « au loup mangeur de soleil ».
La quatrième source est alimentée par les découvertes faites dans le nord de la France au cours des dernières décennies du XXe siècle, de restes de toute une série de sanctuaires. Ces fouilles archéologiques ont révolutionné la problématique de la religion druidique, en mettant bien en évidence l’existence, dans le monde celte, de sanctuaires tout à fait comparables à ceux du monde grec. À la seule différence qu’ils n’étaient pas en pierre, mais en matériau périssable ou renouvelable (bois, etc.).
La cinquième source est beaucoup plus tardive, puisqu’il s’agit de la mise par écrit par les moines du Moyen-âge, des traditions orales d’Irlande. Cette littérature, dont la rédaction s’étale du VIIIe siècle au XVIIe siècle, vient confirmer ou compléter les résultats des études des sources antiques.
25
Elle retranscrit les mythes et les épopées transmis oralement de génération en génération. Les collecteurs transcripteurs de ces récits ont affublé tous ces mythes d’un vernis chrétien, mais en en faisant abstraction, il est possible d’y découvrir le substrat celtique original.
Tout le travail des druidisants dans ce cas consiste à dégager la matière primitive de la mythologie celtique, tout en se situant dans le contexte indo-européen.
Ces divers textes de la littérature irlandaise médiévale peuvent être regroupés en six grandes catégories.
— Les grandes batailles de la méta-histoire ou histoire mythique. Cath Maighe Tuireadh « La bataille de Mag Tured ».
Cath Maighe Tuireadh Cunga « La bataille de Mag Tured à Cung » Oidhe Chloinne Tuireann « La tragique destinée des enfants de Tuireann ».
— Le cycle mythologique. Qui comprend également les légendes sur le peuplement de l’île (les légendes sur Etanna – Tochmarc Etaine, le Lebor gabala Erenn, et ainsi de suite…).
— La Bible du druidisme ou cycle héroïque (dit aussi cycle de la Branche rouge ou de l’Ulster) dont le héros principal est l’invincible Hesus CuChulainn. C’est dans ce cycle qu’il faut classer le célèbre récit narrant l’enlèvement des vaches de Cooley ainsi que l’émouvante légende de Deirdre…
— Le cycle des Fénianes (dit également cycle ossianique ou du Leinster) dont le héros principal est Finn Mac Cumaill (Vindos/Camulos) ainsi que son fils Ossian et son petit-fils Oscar.
— Le cycle historique (ou des rois).
— Les aventures voyages ou visions diverses. Conle, Bran fils de Fébal, Cormac, saint Brendan, Tondale, le Purgatoire de saint Patrice, la vision d’Adamnan, les autres imrama ou echtrai, etc. Etc.
Nul aujourd’hui ne peut honnêtement se dire druide (nous parlons ici d’honnêteté intellectuelle) s’il n’a pas un tant soit peu étudié ces principaux textes mythologiques… irlandais (nous disons bien irlandais et non gallois) ; les célèbres triades des bardes de l’île de Bretagne de Iolo Morganwg (Edward William 1747-1826, fondateur de la gorsedd beirdd ynis Prydain) n’ayant aucun rapport (ou presque) avec le vrai druidisme, ainsi que nous allons le voir.
Cette sixième et dernière source est en effet à fuir comme la peste. Il s’agit de supercheries forgées de toutes pièces. Comme plusieurs de ses contemporains, Édouard Williams était sincèrement persuadé que les bardes gallois, et notamment ceux du Glamorgan, avaient pu hériter des traditions des gnostiques d’Occident du monde antique. Le seul problème est qu’il a produit un vaste corpus de contrefaçons pour justifier cette prétention.
Normalement, ce sujet ne fait pas partie de notre domaine d’étude. Il demeure néanmoins primordial à nos yeux, d’aider les vrais amateurs, lancés dans leur quête du Graal, à distinguer le druidisme antique ; qui disparaît définitivement du seul lieu où il subsistait encore en plein Moyen-âge, c’est-à-dire l’Irlande, lors de la christianisation de l’île ; avec le dernier druide de la Cour du prince Domnall mac Muirchertach Ua Néill (O’Neill) roi d’Ailech de 943 à 980 et Ard ri Érenn de 956 à 980 * ; d’un certain néo-druidisme qui apparaît au XVIIIe siècle.
Une bonne connaissance du premier, du druidisme antique, suffit à rendre caduques les parodies de cérémonies et de « philosophie » du second en tant que mouvement initiatique de filiation antique.
Il existe trois branches principales dans le néo-druidisme, toutes trois basées sur la franc-maçonnerie, et fondées à Londres.
— Le 22 septembre 1717 à l’Apple Tree Tavern, par l’Irlandais John Toland.
— Le 28 novembre 1781 à la King’s Arm Tavern, par un charpentier, Henri Hurle (Ancien Ordre des Druids).
— Le 21 juin 1792 sur la colline de Primrose, par l’ouvrier maçon dont nous venons de parler, Iolo Morganwg (Edward Williams pour l’État civil).
Le néo-druidisme le plus connu, hélas, se fonde sur la partie des Iolo Manuscripts parus en 1848, et le Barddas du pasteur William Ab Ithel paru en 1862. Ces textes ne correspondent en rien aux normes irlandaises préchrétiennes, ni même indo-européennes. Le fond théologique est manifestement d’essence chrétienne et la langue en est le gallois moderne. Selon William Ab Ithel, les sources en seraient une mystérieuse collection de manuscrits datant de 1560 et appartenant à un barde dénommé Llewelyn Sion. Ces « sources » ne sont plus disponibles comme par hasard, mais si elles l’étaient, elles ne nous montreraient certainement pas autre chose qu’une série de textes d’inspiration chrétienne, contenant au mieux une infime parcelle de la tradition druidique antique. Ce genre de
26
document ne justifie donc en rien une quelconque filiation avec les très-sachants (gnostiques d’Occident) de l’Antiquité.
L’Histoire exclut d’ailleurs toute possibilité de survie, même clandestine, du druidisme, par-delà les siècles, et jusqu’à nos jours. La romanisation, la christianisation, et les invasions germaniques ont constitué une triple rupture.
Les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill ayant toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib, à leur répertoire, étaient peut-être déjà chrétiens. Il est vrai que ces pratiques étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y eut peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-Age.
Il convient donc de souligner l’impossibilité de restituer la tradition celtique « naturelle ». Cette dernière ne nous est accessible que par le truchement des textes insulaires et classiques, et de l’archéologie. Ce qui ne nous permettra jamais de retrouver les rituels (presque intégralement occultés par les moines irlandais). Ni la langue sacrée (le iarnberle comparable au sanscrit védique) qui était la langue traditionnelle, servant à la transmission de ce savoir et à l’accomplissement des rituels correspondants.
La véritable tradition celtique ne peut être retrouvée que par le biais de recherches scientifiques, que ce soit dans le domaine de l’archéologie, de la philologie, ou bien encore du comparatisme religieux. Ce travail ne peut être effectué que par des personnes compétentes, ayant suivi une formation de haut niveau et en aucun cas par des semi-lettrés (Jean Markale, Paco Rabanne, Mercurios, Paul Bouchet, Marc Questin, etc.). Ce néo-druidisme de pacotille n’a d’intérêt que dans le cadre d’une étude sur l’idée que l’on se faisait des Celtes païens au XVIIIe siècle, ou bien encore sur les différentes branches de la franc-maçonnerie.
Note de la rédaction. Mettre le Français Jean Markale dans le même sac des semi-lettrés que le dénommé Mercurios est exagéré. Mais pour Mercurios, que nous avons bien connu, et dont nous avons déjà oublié le nom pour l’État civil, c’est parfaitement justifié.
* Du moins c’est ce que l’on peut déduire de l’existence encore à l’époque, dans le répertoire des grands « poètes » irlandais, de l’imbas forosnai du teinm loida et du dichetal do chennaib, pourtant interdits par saint Patrice (cf.la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle).
27
ÉLÉMENTS DE COSMOGONIE DRUIDIQUE.
LE MONOGENOS OU AVANT-PREMIER (= avant le premier) ÉON (CELTE AIU = FORCE VITALE).
Rappel, vu l’importance de la chose.
Et s’il y avait une création sans créateur ? Non pas un commencement et une fin absolus mais des commencements et des fins relatives en vertu du grand principe de conservation de l’énergie attribué à Lavoisier : « rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme » ?
Les Celtes ne pensaient-ils pas que l’Humanité était issue d’un existant appelé Dis pater par les Romains et les druides ne disaient-ils pas contrairement à la Bible que le jour vient de la nuit ?
Je dis contrairement à la Bible car si j’en crois son mythe de la création avant que la lumière soit il avait non pas la nuit MAIS RIEN !
Cette notion de création absolue de notre univers par un Dieu tout puissant soulève deux problèmes qui sont autant d’apories que traînent comme des boulets les théologie juive chrétienne et musulmane.
La première est « Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? »
Les Sumériens répondaient (au pluriel) que c’était pour être adoré prié et se voir offrir des sacrifices.
Les chrétiens répondent plus hypocritement « par amour ».
Et la deuxième aporie est, puisque ces religions de masse monolâtres ont une telle eschatologie, pourquoi Dieu mettra-t-il fin à ce monde un jour ?
En résumé : « pourquoi faire surgir le monde du néant pour l’y renvoyer presque aussitôt (aussitôt car comparée à l’éternité la durée de vie de notre univers selon leurs premières générations... devait être relativement courte) » ?
Laissons donc l'anthropomorphisme à nos ancêtres biologiques ou spirituels ! L'être des êtres est indifférent à tout ça, IL EST un point c'est tout !
Et telle était peut-être en définitive la substance ou la quintessence de la philosophie de Diviciacos de Bibracte ainsi résumée par Strabon (qui n’y a visiblement rien compris): « les âmes et l'univers sont indestructibles, mais un jour le feu et l'eau prévaudront ».
L’idée de Dieu que se font les religions de masse, monolâtres (judaïsme christianisme et islam) est en tout cas le plus grand commun diviseur de l’Humanité, évitons par conséquent de le mêler à nos affaires d’hommes ;
Dieu est en effet une inconnue qui rend toute équation impossible à résoudre
Les maîtres mots du vieux druide de la forêt marseillaise étaient peut-être mais avant la lettre évidemment, panenthéisme panthéisme athéisme agnosticisme (dixit le vieux druide de la forêt des environs de Marseille d’après Lucain de La Pharsale….ou Lucien….de Samosate) car il faut savoir parler aux Grecs en grec. Mais qu'est-ce que la Vérité ? La sincérité est peut-être plus à notre portée.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de la voir par ailleurs, l’AIU est l’appellation celte de ce qui vient immédiatement après le néant pro-créateur et le magma nuageux (oxymores) qui en est issu, à savoir l’interaction entre l’esprit ou l’âme, et la matière, donc la vie, l’existence, la transformation continue, également compris comme éternité chez les druides d’après Strabon (Géographie IV, 1, 13).
Il faut en effet distinguer, comme le fait d’ailleurs Scot Erigène, la « Déité insondable » et le « Dieu ou Démiurge providentiel ». La Déité insondable est la « Nature Incréée Incréante ». C’est « Le Principe qui est au-delà de tout Principe ».
28
Les druides médiévaux ont également assimilé cet éon monogène ou primordial à une sorte de Loi des mondes agissant sur deux plans, le plan cosmique ou général (le Destin) le plan individuel (la destinée).
………
Telle est donc la première trinité druidique de tous les temps. L’Être immanent absolu engendre le Un, le Un engendre le Tokade ou Destin (ison son bissiet) qui génère à son tour le Grand Tout (symbolisé par le Pariollon), mais tous trois constituent un Dieu ou Démiurge unique.
Dès lors, on comprend mieux que le vrai principe des choses soit toujours, pour les très-sachants, l’Indéfini, l’Indifférencié qui ne souffre pas des limites fondatrices de l’individu. C’est pourquoi les gnostiques d’Occident qualifiaient l’Indéfini de divin, d’immortel, d’impérissable ; il est l’Originel d’où sont issus tous les individus qui en sont exilés, mais auquel ils finissent par retourner lors de leur épanouissement ultime (dissolution finale diraient les bouddhistes). On ne saurait trouver notion plus proche de la philosophie originelle des très-sachants appelés druides qui, pour expliquer Dieu ou le Démiurge et le monde, s’appuyaient sur la nécessité d’un intermédiaire entre l’immanent absolu et le mobile.
Autrement dit et on revient un schéma du type……
1° Une hypostase supérieure qui possède la perfection infinie sans être contaminée par l’action ni la multiplicité (le point où s’équilibrent toutes les oppositions, le point ogham de l’espace temps symbolisé par la lettre éabad du druidisme médiéval ou la sphère immobile, moteur de tous les cercles gravitant autour de lui, du néoplatonisme au sens large).
2° Une hypostase inférieure à la première, le Destin, Loi des mondes, voix, verbe ou pensée créatrice d’une sorte de grand architecte de l’univers, n’ayant jamais existé, ou mort depuis longtemps.
3° Une hypostase capable de produire le monde spirituel et matériel, mais mouvante et subordonnée à la précédente, le Grand tout que symbolise à la perfection l’image du chaudron cosmique.
Du symbolisme du chaudron découlent beaucoup de choses et notamment la plus évidente, la plus immédiate, à savoir que Dieu ou le Démiurge est impersonnel.
Le symbolisme du chaudron fait donc aussi évidemment des druides… des idolâtres ! Et il est vrai que certaines Écoles druidiques n’utilisaient jamais le terme ou la notion de « Dieu » pour désigner l’Être infini dont tout l’univers est issu.
Le dieu « Par » était pour eux si impersonnel qu’ils le représentaient non comme un être humain, barbu, de sexe masculin, puisque père, etc. ainsi que le font les judéo-chrétiens, mais par… une chose, un objet. Et alors ? Fichte lui-même n’a-t-il pas écrit : « Das System, in welchem von einem übermächtigen Wesen Glückseligkeit erwartet wird, ist das System der Abgötterei und des Götzendienstes, welches so alt ist als das menschliche Verderben und mit dem Fortgange der Zeit bloss seine äussere Gestalt verändert hat ».
Ce qui signifie en gros (mes quatre ans d’allemand sont loin) :
« Le système qui consiste à attendre d’un être tout puissant le bonheur, c’est le système de l’idolâtrie justement. Il est aussi vieux que la corruption humaine et le progrès du temps n’a fait que changer sa forme extérieure » (Fichte. Appel au public contre l’accusation d’athéisme).
Impersonnalité de Dieu ou du Démiurge par conséquent, qui peut être identifié à tout sans jamais se distinguer de sa (pro) création.
Strabon, Géographie IV, 4 : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront ».
Au début fut donc le chaudron cosmique (le Chaos des Grecs), un tout incommensurable au sein duquel les éléments constituant le monde actuel étaient mélangés. Le divin, c’est l’union intime absolue et sous des formes impensables de l’âme et de la matière.
Le divin finalement n’est que l’état de l’être résultant de la fusion métamorphique de l’âme et de la matière.
La preuve la plus claire en est que les eaux paraissent être l’élément primordial de la création druidique. Le Soleil, et avec bien plus d’importance Haedus, à la fois feu terrestre, feu du ciel et feu du soleil, sont les grandes figures de la cosmogonie druidique, mais l’un et l’autre passent pour avoir été engendrés par l’eau. Cette étrange filiation vient sans doute de ce que l’éclair paraît jaillir des nuées porteuses de pluies, d’où l’eau devenue Mère du Feu. Ce qui nous renvoie d’ailleurs aux mythes védiques concernant Agni et Apam-napat.
29
Q : Qu’est-ce que le chaudron primordial ?
R : Le Feu et l’Eau.
Q : Que voulez-vous dire par Feu ?
R. Il est produit par une exaltation radiante de l’âme qui réussit à vaincre ses forces d’attraction. Et il ne trouve son expansion que dans le second principe, l’eau.
Q : Que voulez-vous dire par Eau ?
R : Elle est silencieuse et ne possède point de véritable vie, car alors qu’elle radie, elle absorbe par la même occasion. Mais elle est en un sens l’absolue et immanente manifestation de la vie.
Eau et Feu de toute éternité coexistent et restent distincts, même lorsqu’ils se contiennent l’un l’autre.
La majorité des chaudrons mythiques et magiques des traditions celtiques (leur rôle est analogue dans les autres mythologies indo-européennes) a été trouvée au fond de l’Océan ou des lacs. La force magique réside dans l’eau ; les oules (du latin aulla), les chaudrons, les marmites, les calices, les tonneaux sont des récipients de cette force magique, souvent symbolisée par une liqueur divine, ambroisie ou eau vive. Ils confèrent l’immortalité ou la jeunesse éternelle, transforment celui qui les possède (ou qui s’y plonge) en héros, voire en dieu-ou-démon. Le chaudron peut être considéré à juste titre comme l’ancêtre et le prototype du Saint-Graal.
La littérature celtique évoque le Pariollon sous trois noms différents.
Le premier nom est Murios (de muir, la mer) le chaudron du Suqellos Dagda Gargant, le grand dieu-ou-démon-druide. C’est un chaudron d’abondance que personne ne quitte sans être rassasié. Ce chaudron contient non seulement la nourriture matérielle de tous les hommes de la terre, mais aussi toutes les connaissances du monde.
Le second est le chaudron de résurrection dans lequel, selon l’iconographie du chaudron de Gundestrup lui-même, et le récit gallois du Mabinogi de Branwen, on jette les morts afin qu’ils ressuscitent le lendemain.
À noter aussi que Kerridwen, la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, galloise, médiévale, des poètes, des forgerons et des médecins ; possédait un chaudron qui était une source d’inspiration et de pouvoirs magiques.
Le Pariollon (= Parinirvana chez les bouddhistes) est l’éternel, le non conditionné, la réalité supérieure, impossible à cerner par la parole ou par la pensée. Le mot signifie Chaudron cosmique.
La réalité perceptible ultime est ce chaudron cosmique évoqué par le Graal au Moyen-âge. Cet Englobant Universel contient à la fois un aspect non changeant, éternel, de l’Être, et la puissance de changement du Devenir. Ce chaudron cosmique n’est ni féminin ni masculin, il est non-duel.
Le chaudron cosmique est aussi à la fois statique et dynamique. C’est ce qui le rend insaisissable pour l’intellect.
Ce Dieu ou Démiurge providentiel a une « Nature Incréée Créante ». Il est la Cause universelle d’une fécondité sans limites.
Ainsi que nous avons pu le voir, ce chaudron cosmique ou dieu-par des gnostiques d’Occident appelés druides, ne peut se manifester que par une autolimitation ; puisqu’il ne peut avoir aucun contact avec une matière ou une âme qui n’existent pas encore. Ses pouvoirs ou attributs, qui sont auparavant cachés dans l’abîme insondable, évoluent hors de lui et deviennent les principes de tout développement ultérieur de la vie ; ils se déroulent par vagues d’émanations successives jusqu’à ce qu’ils se soient tout à fait éloignés de la pureté divine, et atteignent le domaine de la matière.
Le Dieu-Par n’a pas de personnalité, et demeure totalement inconnaissable. Il est l’Abîme insondable avons-nous dit. Cependant, sa perfection et sa plénitude ne peuvent que se transmettre à d’autres sphères spirituelles ou matérielles, par voie d’émanation.
Le Grand Tout du Pariollon est un peu comme le Parinirvana des bouddhistes, au-delà de l’esprit ou de l’âme, et de la matière, au-delà du feu et de l’eau. Une force sans attribut, universelle, impersonnelle, infinie, insaisissable, qui est tout et transcende tout.
Dans la littérature arthurienne, ce chaudron est devenu le Graal et il a bien sûr été rattaché par divers faussaires plus ou moins bien inspirés, à la mythologie chrétienne.
Dieu ou le Démiurge est inconnaissable, sauf à parvenir à s’identifier soi-même avec la divinité par toutes sortes d’expériences psychiques. Celles-ci ont pour but de mettre fin à l’identité personnelle, au sentiment des caractéristiques de l’individu, lequel est appelé à se confondre avec le Bitos ou Cosmos
30
en tant qu’être inconnaissable divin. Paradoxalement, il faut donc désapprendre à se connaître soi-même dans son individualité propre, pour se fondre dans le Tout cosmique.
Ceux qui atteignent le Pariollon sont appelés des anatiomaroi (des semnothées en grec). Pour y arriver, il faut achever de purifier son anamone (son âme) de toutes les scories provenant de son interaction avec le corps.
Ceci étant achevé, il se produit ce que l’on peut considérer comme un épanouissement de l’âme (appelé moksha dans l’hindouisme). Et cet épanouissement de l’âme conduit au Pariollon (Parinirvana des bouddhistes) dans lequel on peut entrer directement à partir de ce bas monde (rarissimes exceptions) ou à partir de l’autre (cas le plus fréquent).
Le Retour au Grand Tout (erdathe individuelle ou erdathe universelle), par plongée ou immersion dans le grand chaudron cosmique, est donc le point culminant de la doctrine druidique.
Face ou au-dessus de ce monde gouverné par la loi de cause à effet se trouve justement le royaume sur lequel la causalité ne règne pas (comme c’était le cas d’ailleurs de l’univers avant le grand boum supposé par Georges Lemaître en 1927 : l’œuf primitif). Mais le Grand Tout n’est pas un paradis. L’autre monde parallèle au nôtre que l’on appelle le paradis est le fruit d’un mérite, même infime, le Grand Tout, lui, est indifférent au mérite ou au démérite. Du reste, il n’y a pas un lien nécessaire entre la mort et ce Grand tout. Le Grand tout est atteint dès que l’âme humaine perd toute conscience de soi.
On est pour commencer, si la tentative réussit, « terrifié », « pétrifié », « annihilé », par la simple évocation de la puissance divine « infinie » ; (nous disons « infinie », mais l’infini n’existe qu’au regard de nos limitations, car le cosmos physique et matériel a des « limites », encore que celles-ci nous soient incompréhensibles) ; et le gouffre qui nous sépare d’elle est incommensurable.
L’anatiomaros ou grand initié (semnothée en grec) est celui qui est libéré de toute espèce de désir malsain hormis celui d’être pleinement, de toute espèce de peine ; libéré de tout par la méditation et l’extase, il a conquis, lui aussi, la grande science qui illumine (imbas forosnai). Il sait tout et peut tout, il a déjà un pied dans l’autre monde des dieu-ou-démons (Sedodumnon). Il peut continuer à se mouvoir parmi les hommes, mais il n’appartient plus au monde de l’illusion ou du relatif, il a déjà un pied dans l’Immuable. À sa mort, il entrera directement dans le Grand tout qui est au-delà du séjour des dieu-ou-démons, ou, si l’on préfère, le séjour des dieu-ou-démons achevé (le sedodumno à la puissance 10).
Mes correspondants gallois me disent qu’ils appellent de tels grands initiés des « awenyddion ». Il y a un peu de ça effectivement, mais toute la question est de savoir si ces awenyddion sont toujours en état d’extase ou revenus à leur état antérieur ce qui semble être le cas au Pays de Galles. Disons que la différence entre les deux est que dans le cas de l’auentieticos/awenyddyon le phénomène est très bref et que dans le cas des anatiomaroi il est plus long, plus durable. Le bienheureux habitant du monde parallèle de nature paradisiaque selon les très-sachants de la druidiaction (Mag Mell, Vindomagos…) accède, lui aussi, à ce Grand tout après sa mort à ce paradis, la purification de son âme ayant été achevée. Il s’agit de la dernière forme ou phase d’épanouissement de l’âme appelé moksha ou illumination par les druides d’Extrême-Orient, un peu déviants, que sont les maîtres indo-bouddhistes.
* D’après le dictionnaire électronique de la langue irlandaise, erdathe ou airddach ou airtach signifie régénération ou reconstitution. Dans l’esprit des Irlandais de l’époque la chose n’avait pas de connotation négative ou terrifiante comme chez les chrétiens ou les musulmans, vu son sens secondaire : célébration fête cérémonie.
Il convient en tout cas de rappeler ici ce que Strabon en a noté : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront » (Strabon, Géographie IV, 4).
31
LA RÉSERVE PSYCHIQUE OU « ANIMIQUE » UNIVERSELLE.
Ce réservoir d’âme universel bien évidemment n’occupe pas un lieu particulier de l’espace, car ce n’est pas un lieu, mais une quintessence base de toute matière et formée à partir de l’élément primordial. Un peu comme le mystérieux 5e élément des mages de la Table d’Émeraude. Cet océan d’âme imbibe tout ce qui peut l’être dans l’immensité de l’espace physique. Cette grande âme universelle occupe, plus ou moins, l’univers, un peu comme l’eau de l’océan peut imbiber le sable d’une plage encore humide. Disons qu’il s’agit d’un océan psychique universel portant des îles et des continents.
« Il y a en Cambrie des personnes que l’on ne trouve nulle part ailleurs appelées awenyddyon, ou hommes inspirés ; quand ils sont consultés sur quelque chose de douteux, ils se mettent à hurler violemment, comme s’ils étaient hors d’eux-mêmes, et deviennent comme possédés. Ils ne répondent pas directement à ce qu’on leur demande ; mais qui les observe attentivement trouve quand même après maints préambules et maints discours futiles ou incohérents, quoique bien tournés, l’explication recherchée : ensuite ils sortent de leur extase comme d’un profond sommeil et pour ainsi dire comme contraints et forcés de retourner au sens sens commun. Après avoir répondu aux questions, ces personnes ne reviennent à leur état normal qu’après avoir été secouées par quelqu’un ; mais elles ne peuvent se rappeler les réponses qu’elles ont fournies. Si on les consulte une deuxième ou une troisième fois sur la même chose, ils recourent alors des tournures totalement différentes ; peut-être parlent-ils ainsi poussés par des esprits fanatiques et ignorants. Ces dons leur sont habituellement conférés en rêve… mais en prophétisant de la sorte ils invoquent le vrai Dieu vivant ainsi que la Sainte Trinité » (Giraud de Cambrie).
Un des tout premiers éons ou puissances éternelles nés par émanation de l’Être supérieur, est donc cet Awenyddio ou générateur d’âme universelle. La raison, en effet, ne peut que concevoir l’idée d’une âme universelle, infinie, qui meut toutes choses, et qui les organise d’après certains modes de fonctionnement. Mais il ne faut pas oublier pour autant qu’au-dessus de cet être qui agit et qui se meut, il y a autre chose, ainsi que nous l’avons vu. L’awenyddio ou réservoir psychique universel est la médiation entre le Pariollon dont il procède (le Parinirvana des bouddhistes) et le monde sensible qui en émane.
La première caractéristique de la pensée philosophique druidique, est sa croyance en une âme universelle, non créée, mais émanée, sans limites, et immortelle. Cette âme universelle, transcendante et immanente à la fois, représente l’essence subtile qui est à la source de l’univers visible et invisible, et qui constitue en même temps le tréfonds du soi, ou âme (anamone), de chacun.
C’est la plus importante concentration animique pouvant exister dans l’univers. Comment décrire cette immortalité ? Aucun mot ne saurait décrire cette conscience immanente absolue. L’âme est comme perdue dans sa majesté.
Alors que l’esprit même universel, est destiné à évoluer, l’âme du monde, elle, est pure immuabilité, pure spiritualité, inqualifiable et donc non qualifiée. Elle n’agit, ni ne pense par elle-même, n’a ni volition, ni perception, elle n’est donc pas Dieu ou le Démiurge. Mais si elle est unique en son essence, elle est innombrable en ses manifestations : il y a autant d’âmes individuelles que de corps et c’est l’âme universelle qui met en branle l’évolution des âmes individuelles (anamones).
Cette influence néanmoins, n’est pas à considérer comme un impact mécanique. Sa proximité par rapport à elles agit sur les anamones comme un aimant et provoque leur évolution.
Cet awenyddio est une sorte de mouvement, mais un mouvement logique, rationnel, organisateur. Il crée un monde et se subdivise en âmes individuelles (celles des hommes, des animaux et des plantes). L’âme humaine est donc une parcelle de cet awenydia. Autant dire que chaque âme est une parcelle de Dieu ou du Démiurge, que Dieu ou le Démiurge est présent donc, en chacun de nous.
Pourtant, opposer « matière » et « âme », en faire deux mondes, l’un inerte et aveugle, l’autre doué de vie et de conscience, mène aux dilemmes qui nous empoisonnent depuis des siècles, tout simplement parce que la question est mal posée ! Divisez à tort un même processus en deux, oubliez
32
que vous l’avez fait, puis demandez-vous ensuite pendant des siècles comment les deux parties ont pu se réunir. Tel est le défi permanent du judéo-islamo-christianisme.
De tout temps les gnostiques d’Occident appelés druides ou très-sachants, ont émis des objections au dualisme « âme-matière » : si l’âme est une substance différente de la matière (et du corps), comment expliquer la corrélation entre eux ? Ils récusent donc les fondements de l’opposition matérialisme/spiritualisme. Selon eux, la réalité consiste en une substance sous-jacente, incluant âme et matière en un Tout.
Cette Tradition se sépare autant du matérialisme athée classique que du créationnisme des religions du Livre. Il n’y a pas d’âme individuelle séparée, donc aucun « Jugement » post-mortem, et Dieu ou Diable est un immanent inhérent au monde. Mais les druides récusent aussi l’anéantissement immédiat du couple âme/esprit (appelé anaon) après la mort ou dans la mort. Après la mort du corps et au terme d’un processus plus ou moins long (purification dans un autre monde de type paradisiaque, etc.) l’âme individuelle réintègre le Grand Tout dont elle est issue. Un point, c’est tout !
Face aux difficultés du réductionnisme classique, certains physiciens s’approchent, avec les nuances qui s’imposent, d’une telle conception. « Matière » et « Âme » sont des catégories verbales, héritage d’une tradition judéo-grecque périmée. Ces mots ne recouvrent pas le Réel. Nous participons d’un champ infini d’énergie, qui est aussi conscience, et prend de multiples formes, mais ne doit pas être découpé en aspects opposés. Chaque grain ou atome de matière est aussi un grain ou atome d’âme : tout est empli d’âme. Toute matière est peu ou prou imprégnée d’âme à des degrés divers, et contient plus ou moins d’âme. Aucun atome de matière ne saurait être totalement exempt d’âme, et inversement. Toute âme dans le monde est peu ou prou imprégnée de matière à des degrés divers, et comporte plus ou moins de matière, aucune vibration de l’âme ne saurait être totalement exempte de matière.
On trouve dans certains témoignages les éléments d’une pensée moniste d’un genre qui diffère de celui de Parménide, le Monisme spirituel ou monisme de l’Âme. Tout est Âme. L’Âme se retrouve en toute chose et plus profondément dans tous les processus historiques : elle est en devenir au milieu de tout ce qui est.
Le monde n’est pas plus fait de matière que les arbres de bois. Il n’est ni âme ni matière, ces deux mots désignent un même processus. Au commencement il n’y avait que le Grand Tout du Pariollon et rien d’autre. Le monde n’a pas été créé par le Pariollon, mais ce gigantesque chaudron cosmique (appelé Parinirvana par les bouddhistes) a produit la diversité des formes, par autodéploiement (personnifié par l’image de la Grande Déesse-ou-démone Mère Cosmique). Il n’y a rien dans le monde, ni animal, ni plante, ni pierre, qui ne conserve cette relation à son origine et qui, donc, n’ait part à l’unique être immanent absolu qu’est le Pariollon ; mais attention, cet acte hors du temps qui met l’être à l’impératif…[lacune, les héritiers de Pierre de La Crau n’ont pas trouvé la suite].
Antérieurement et avant que la matière existe il y eut donc l’âme, mais cette âme s’est pour ainsi dire partiellement condensée en matière. Comme si l’on voyait de l’eau contenue dans une bouteille se congeler en petits blocs de glace sous l’effet d’un refroidissement graduel. De même que l’on voit se solidifier ce qui était liquide auparavant, on peut en hypostasier (à rebours) la formation d’objets, de phénomènes, et d’êtres matériels, par condensation de ce qui n’était auparavant qu’âme pure.
Ainsi que l’a très bien compris Teilhard de Chardin, l’Histoire n’est rien d’autre que cette matérialisation de l’âme qui se cherche à travers le monde, et tente de mieux se comprendre elle-même. Les hommes jetés au milieu du processus historique agissent en poursuivant leurs intérêts, en fonction de leurs passions, mais ils travaillent en fait pour l’âme et l’esprit universels (la noosphère), et la réalisation de sa fin ultime [finalement c’est la thèse de Hegel, non ? Ou la main invisible de John Smith ?]. Autrement dit l’autodivinisation de l’univers (dans ce cas précis, la notion de main dite invisible garde tout son sens).
L’histoire des hommes est donc fonction du développement de l’Âme universelle dans le monde, ce qui débouche inévitablement sur une conception de la fin de l’Histoire où le tout de l’Âme se réalise.
L’enjeu du débat n’est rien de moins que la prétention à une parfaite connaissance (omniscience) et maîtrise (omnipotence) de la matière par l’âme, qui lui serait non seulement immanente, mais co-naturelle.
33
N.B. Les matérialistes athées, eux, par contre, pensent que l’âme est produite par la matière « comme la bile est sécrétée par le foie ». Ces matérialistes athées considèrent que la matière est inerte, dépourvue de vie et de pensée, mais ils se trouvent alors confrontés à des problèmes difficiles à résoudre. Par exemple celui de « l’émergence » de la vie (ou de l’intelligence) à partir de particules qui en sont absolument dénuées… Sans oublier l’apparition de la conscience. Le matérialisme athée attribue cette dernière à la « complexification » du système cérébral, mais comment expliquer que l’accumulation de corps n’ayant pas une certaine propriété puisse « créer » justement cette propriété ?
Par ces différents chemins, on rejoint la question jadis formulée par Leibniz : à quel moment quelques grains de sable deviennent-ils un tas de sable ? Pour ce philosophe, il n’y a pas de ligne de démarcation : « la nature ne fait pas de saut », tout est continu, et l’âme existe déjà de façon diffuse dans chaque entité même élémentaire. Ce qui voudrait dire qu’une sous sous-particule est déjà en quelque sorte « animée » !
Nous reviendrons sur cette question de Leibniz, qui est souvent escamotée par un discours complexe sur les « propriétés émergentes des systèmes ». D’où vient alors la matière-énergie ? Est-elle créée ou éternelle ? Y a-t-il une finalité à cet univers ? Ou bien est-ce une simple « danse cosmique » à la façon de Shiva, qui nous entraîne en des cycles de déploiement et de retour sans fin ? Et quel est précisément le rapport entre l’univers et moi ? Suis-je une cellule du Grand animal cosmique, ou bien ai-je une part d’autonomie et de responsabilité ?
La réflexion sur le comportement des particules nous a montré la difficulté du problème : il n’est pas facile de tracer la frontière entre un phénomène « mental » et un phénomène « physique » ! Les « objets » quantiques alimentent les spéculations les plus étranges, leur complexité fascinante devient alors un miroir de l’âme. L’évidence d’une « intelligence » animant la matière à ses niveaux les plus profonds !
L’Âme cosmique universelle (awenyddia) est béatitude, joie, félicité, dans le sens où elle est accomplissement de tous les souhaits, puisqu’il n’est rien que cette puissance ne porte en soi.
L’émanation divine explosera ensuite en une multitude d’âmes individuelles ou collectives, ayant toutes une zone d’ombre plus ou moins grande. Les âmes pensantes individuelles seront chacune une étincelle ou une larme de feu de l’âme du monde (awentia ou awenyddia).
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau. Âme (anamon) : pour les très-sachants d’Occident appelés druides, l’âme était simplement l’étincelle divine ou la part de divinité en chacun des êtres peuplant cette terre. Tout être vivant est doté d’une âme, qu’il fasse partie du règne minéral (une montagne, une rivière, une plaine, un lieu, cultivé ou pas, un océan) végétal (une forêt un arbre une fleur) animal, ou humain. Il existe même des âme/esprits collectives. Vu la puissance de ces flammes divines (ce ne sont plus de simples étincelles), les très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques, ont même eu tendance à les considérer, à l’instar des autres dieu-ou-démons. Ces anamone ou plus exactement anaon en breton, individuelles, ne migrent pas indéfiniment du corps d’un individu à un autre après la mort, mais vont alimenter le Grand tout du Pariollon (Parinirvana chez les bouddhistes). Après être passé plus ou moins longtemps par un stade intermédiaire de l’être, celui qui est appelé Vindobitos, et qui abrite également le royaume des dieu-ou-démons, appelé plus précisément Mag Meld, Tir na mBan, Tir na mBéo, etc. (Plérôme sous la plume de saint Irénée).
34
LA GRANDE DÉESSE-OU-DÉMONE MÈRE COSMIQUE :
LA MATIÈRE (la GDMC).
Étymologie. Matière vient du latin mater, « la mère » : dans cette langue, il y a donc un lien entre la mère, la matrice, ce qui produit, et la matière, ce qui est produit.
Le nom celtique de Matrona jouant sur les deux racines du vieux fond protoceltique : mater = matière et mater = mère, exprimait cette notion de génération-concrétisation. (Il ne saurait en effet être question de « création » en druidisme : voir principe moniste de la quantité constante du grand tout « matière + énergie » ; « rien ne se perd, rien ne se crée »…).
« Matière » et « mètre » dérivent tous deux du sanscrit matr – (mesurer) ; l’expression « monde matériel » ne désigne rien d’autre que le monde vu comme étant mesuré ou mesurable, à l’aide d’images abstraites, telles que celles des centimètres, grammes, ou décibels.
Les judéo-islamo-chrétiens prétendent que Dieu ou le Démiurge a créé le monde à partir de rien (ex nihilo). Mais cette venue à l’être du chaos de matière première initial, ne doit pas être conçue comme un surgissement du néant, plutôt comme un phénomène moniste : l’autodéploiement de l’Être supérieur.
Q : Qu’est-ce que la matière ?
R : C’est tout ce qui n’est pas l’âme cosmique primordiale, mais c’est aussi en un sens la manifestation extérieure de cette âme universelle.
De même que l’être ne peut qu’être issu du néant, la matière ne peut qu’être issue de l’âme. De l’âme du monde émane donc la matière, le degré le plus bas de l’être ou de la perfection. Car la Matière a une origine spirituelle, c’est un état de l’être, une « expression externe solidifiée » de l’Être immanent absolu. Il s’agit du Pouvoir divin qui permet à la réalité spirituelle d’apparaître.
L’action de la matière dans l’univers, sa force d’attraction en quelque sorte, sa pesanteur, est assimilée à une grande déesse-ou-démone mère cosmique, appelée Matrona Rigantona dans l’ancien druidisme. Elle ne possède aucune existence indépendante de l’âme universelle et dès lors ne peut être considérée ni comme absolument existante *, ni comme non existante. Elle peut revêtir une multitude de formes. Véritable objectivité à côté de la pure subjectivité qu’est l’âme, cette matrona est un éon féminin.
* Cela n’a pas empêché les bardes, échelon inférieur du druidisme, de broder bien entendu à son sujet une foule de mythes destinés à captiver leur public.
Le monde matériel est le point ultime de la diffusion du divin. La cosmogonie druidique admet donc une sorte de dualisme ou une relative dualité (eau/feu, âme/matière, hommes/dieux-ou-démons, nuit/jour, mort/vie) d’où son agonistique. Mais il n’y a pas de dualisme brutal entre Bien/Mal, Dieu/Diable, la Matrona sous son aspect fata Morgana pouvant être aussi par moments créatrice (même si c’est surtout d’illusions).
La matière existe : elle est présente dans l’intégralité de l’univers, même dans le vide intersidéral, sous forme de particules. Notons que l’essentiel (environ 90 %) de la masse de l’univers, est constitué de matière ou énergie inconnue, dite sombre, car nos détecteurs ne peuvent la mettre en évidence. De même que le zéro absolu (0 K = – 273,15 °C) est inaccessible, le vide total est une spéculation qui, en soi, est fausse. Il s’agit d’un modèle approchant un idéal théorique, avec des marges d’erreur si infimes qu’elles sont négligeables.
Le vide est l’absence de matière, c’est l’existence d’un domaine où la matière est en très faible quantité, presque inexistante. Le vide est, il n’est donc pas le néant.
La réflexion sur le comportement des particules nous a montré la difficulté du problème : il n’est pas facile de tracer la frontière entre un phénomène « mental » et un phénomène « physique » ! Les « objets » quantiques alimentent les spéculations les plus étranges, leur complexité fascinante devient
35
donc un miroir de l’âme : l’évidence d’une « intelligence » animant la matière à ses niveaux les plus profonds ! Ainsi que nous l’avons déjà dit (mais repetere = ars docendi).
Les chamans prédruidiques n’ont jamais considéré la naissance du monde comme une création ex nihilo (ce que font les théologiens judéo-islamo-chrétiens), mais comme la mise en ordre d’un chaos de matière initiale figuré par un gigantesque chaudron. Une séparation de la terre et du ciel, qui repose sur la cime des grands arbres comme Irminsul, ou les ashéras bibliques, etc.
La question qui se posa donc à eux fut la suivante : ce chaos de matière initial ou tohu-bohu biblique, à mettre en ordre, d’où vient-il ?
A-t-il eu un commencement et aura-t-il une fin ?
Ou est-il sans commencement et sans fin, sa matière première étant éternelle ?
La réponse druidique à ce sujet a été fort claire.
L’être n’est pas éternel, car il vient paradoxalement du néant, mais en revanche il est maintenant immortel. Et la matière n’est pas éternelle, car elle a eu un commencement, c’est cette émanation spontanée de l’âme qui a permis justement la naissance du premier des mondes.
Par contre, la matière n’aura jamais de fin, car elle est immortelle, impérissable ; et la seule chose qui peut lui arriver c’est de se transformer, même de façon radicale il est vrai, ses dieu-ou-démons également (il nous manque néanmoins l’équivalent druidique des Götterdärnmerung Völuspa et Muspilli germaniques). Il n’en subsiste de traces que sur certaines monnaies des Unelli (un loup gigantesque dévorant le soleil, etc.)
« Ils disent que les âmes humaines, ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Strabon, livre IV, IV, 4).
C’est ce processus qui permet chaque fois la naissance de nouveaux mondes et de nouveaux dieu-ou-démons, mais pas chaque nuit comme le veut la mythologie égyptienne : chaque fin de cycle.
Notre présent monde, comme tous les autres, a une dimension temporelle cyclique ou plus exactement spiraloïde appelée « Longue vie » par les gnostiques d’Occident (Setlocenia). C’est-à-dire qu’il vit, en une répétition sans fin ou presque, mais qui le fait néanmoins peu à peu monter vers l’autodivinisation par réintégration au sein du Grand tout (Pariollon pour les druides, Parinirvana en Extrême-Orient). Viendra ensuite une nouvelle génération de monde, suivant un ordre rétabli par la Tocad, si l’on en croit la monnaie des Unelli (le loup géant rejette de la végétation). Et cette longue vie se répétera vraisemblablement d’innombrables fois. Comme elle s’est déjà répétée à d’innombrables reprises avant notre temps à nous.
Enfin si le Tocade l’a bien prévu, car l’avenir n’appartient qu’à lui. Mais revenons à cette génération spontanée de la matière première initiale, concept évidemment taghout aux yeux des créationnistes judéo-islamo-chrétiens. Selon Zoroastre, il y eut d’abord un principe premier, éternel et infini. De ce premier principe éternel et infini, en sortirent deux autres. Cette première émanation fut pure, active, parfaite et…
… Ici se trouve un blanc dans le texte de Pierre de La Crau qui est donc inachevé.
36
LA PARTIE SUPÉRIEURE DE L’HYPER MONDE APPELÉE ALBIOBITOS.
(Ou totalité des puissances situées au-dessus des dieu-ou-démons. Plérôme sous la plume de saint Irénée, mais à tort).
L’Albiobitos (ou Plérôme dans le monde grec, mais indûment avons-nous dit) est constitué du Pariollon (Parinirvana pour les bouddhistes), de la Loi des mondes ou Destin appelée Tokad, et des éons voire dieu-ou-démons qui en ont émané en premier. Cet Albiobitos qui est lumière s’oppose à l’Anderodubno qui est le Vide spirituel.
Au-dessus des dieu-ou-démons au sens habituel du terme, ou à l’écart, de grandes forces abstraites animent en effet le monde. L’albio-bitos ou hyper monde est un univers clos contenant le Divin par définition et d’autres êtres spirituels en plus.
La vie universelle provient d’une essence immortelle et indestructible, qui est un elle aussi comme abîme insondable (Bythos donc chez Irénée de Lyon). Elle s’est manifestée d’abord en des couples (des syzygies sous la plume d’Irénée de Lyon toujours), qui se sont complétés par une sorte de génération en cascade.
L’Albiobitos est, initialement, la réunion de dix de ces divinités, hiérarchisées ou complémentaires, dont l’action rend compte de toutes les forces élémentaires en action dans notre univers.
Elles forment une chaîne ininterrompue entre Dieu ou le Démiurge et notre monde à nous, celui des hommes. Elles constituent la trame de notre monde et la Loi qui les dirige et les lie, est la loi des mondes appelée Destin ou Tokad.
Ainsi que nous avons pu le voir, au départ il y a l’Unité immanente absolue du Dieu ou du Démiurge, le principe de l’existence, la lumière des lumières. Cette Unité créatrice, inaccessible à l’entendement humain, produit par émanation une diffusion d’être ou de vie qui, procédant du centre à la circonférence, va en perdant insensiblement de son éclat et de sa pureté, à mesure qu’elle s’éloigne de sa source ; jusqu’aux confins des ténèbres dans lesquelles elle finit par se confondre. En sorte que ses rayons divergents, devenant de moins en moins spirituels, et d’ailleurs repoussés par les ténèbres, se condensent en se mêlant avec elles, et prenant une forme matérielle, forment toutes les espèces d’êtres que le Monde peut renfermer. Il y a donc entre l’Être supérieur et l’Homme, une chaîne incalculable de puissances intermédiaires, dont les perfections diminuent en proportion de leur éloignement du Principe procréateur. Ces émanations sont projetées par ordre décroissant.
Il s’agit là d’une notion un peu plus pointue que la notion de création ex nihilo, soutenue par les juifs, les chrétiens, et les musulmans, qui affligent Dieu des délibérations d’un esprit et des actions d’une volonté semblable à celle de l’Homme [il est vrai que le texte de la genèse parle plus précisément d’élohim, ce qui est un pluriel, et non de Dieu au singulier]. Cette Emanatio ex Deo, confirme au contraire l’absolue et immanente transcendance du Dieu-Par, faisant du déploiement cosmique une coïncidence de son existence. Ces émanations ne l’affectent en aucune manière, pas plus qu’elles ne le diminuent. Il ne se divise pas en une multitude d’êtres inférieurs ni ne se morcelle. Un peu comme le soleil dont émane la lumière sans qu’il en soit diminué pour autant, ou avec un reflet, qui ne diminue en rien l’objet reflété.
Les aeons ou éons (du celtique aiu « force vitale, vie », d’où « durée de la vie », puis « durée, ou éternité », enfin substance éternelle émanée de l’Être divin et par laquelle s’exerce son action sur le monde) sont des déités. Ce ne sont pas des dieu-ou-démons créateurs personnels au sens strict du terme. Il s’agit plutôt de formes massives de vie, des courants d’énergie. Des forces qui forment le noyau supérieur de l’univers dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le plérôme au sens grec du terme ou albiobitos. Là vivent des déités en réalité presque pures âme/esprits ou pures énergies, peu ou prou indifférentes au sort de notre Humanité, car trop absorbées par la dialectique cosmique de leur
37
interaction mutuelle. Ces déités ont une durée de vie extrêmement longue (plus longue encore que celle des autres dieu-ou-démons), mais limitée néanmoins à celle de leur monde, le nôtre.
Les « dieu-ou-démons » ou les « sur-dieu-ou-démons » qui composent ce monde, sont des manifestations du Un divin qui est fusion métamorphique de l’âme et de la matière ; l’union intime et quasi absolue, sous des formes impensables en tout cas, de l’âme universelle et de la matière.
Cet albiobitos est habité par des êtres au corps éthéré, fait tout de lumière et de pureté. Ils sont à l’abri de toute souillure et n’ont ni père ni mère au sens strict du terme, car ils correspondent à un degré de l’être un peu moins primitif que celui que nous sommes capables d’imaginer.
On appelle hypostase (vyuha dans l’hindouisme) la personnification d’une de ces composantes. La notion d’hypostase ou de vyuha n’oublie pas et ne méconnaît pas, l’unité de l’être supérieur qui en est à l’origine. Ce qui caractérise le premier des plans supérieurs issus de cette émanation, c’est sa très grande proximité d’avec le Grand Tout divin. Il s’agit simplement de la personnification non éphémère d’un des attributs de la divinité (père, fils, et même esprit sont par exemple les hypostases du Dieu ou du Démiurge des chrétiens).
L’hypostase ou vyhua, dans l’hindouisme, est une des composantes, d’une unité supérieure indissoluble. Plus qu’un attribut, mais moins qu’une substance. Du niveau supérieur émanent des forces divines qui sont ses hypostases. Ce sont en quelque sorte des dieu-ou-démons supérieurs ou primordiaux. Du grec hypostasis, le fait d’être placé juste en dessous de quelque chose, autrement dit base, fondement.
Le préfixe « hypo », suggère l’idée que les hypostases occupent un degré inférieur par rapport à l’unité supérieure, laquelle mérite ainsi bien mieux son nom grec d’Hyperthéos, où l’on retrouve le préfixe « hyper » qui signifie au-dessus. De la sorte, on distingue donc plus facilement l’Hyperthéos, qui est le Pariollon bouillonnant, donc un Sur-Dieu, d’avec les hypostases qui apparaissent ainsi comme des sous-dieux. Mais le niveau supérieur transcende toujours les hypostases.
Il existe des systèmes philosophiques à 2 hypostases, à 3 hypostases, à 4, à 5, à 6, à 7 (l’heptade des sabéens de Carrhes Carrhae Harran ou de Zoroastre, etc.) Pour mémoire les hypostases de la triade chrétienne sont le Père le Fils et le Saint-Esprit, des personnes égales en nature et se définissant uniquement par leurs relations. L’Être-Dieu ou Démiurge Un englobe en effet le multiple et le fonde. Ces hypostases divines ou vyuha dans l’hindouisme sont comme autant de Pouvoirs du Divin qui est Un, tout comme dans une entreprise, le président délègue certains ses pouvoirs à des collaborateurs efficaces. Ces entités spirituelles, dieu-ou-démons, anges ou éons, djinns ?? sont organisées en une hiérarchie commençant par les plus spirituels (les plus près du Dieu ou Démiurge, supérieur, jusqu’aux moins spirituels, les dieu-ou-démons qui dominent et organisent la matière. Ces hypostases sont évidemment du chirk aux yeux des musulmans.
Il s’agit pourtant de constantes ou de dimensions qui donnent sens aux phénomènes et les fondent, participant ainsi de toutes les réalités de l’expérience ordinaire.
Nous ne nous étendrons pas de nouveau sur les premiers éons qui ne sont pas des dieu-ou-démons au sens strict du terme, mais plutôt des concepts, ou des lois cosmiques, premier démembrement connu de la grande loi de vie de l’univers.
Redonnons néanmoins ici, à titre indicatif et brièvement, la liste de ces premières puissances qui avaient déjà été clairement identifiées par nos ancêtres. Ces éons de l’Albiobitos sont en effet hiérarchisés. Il existe de grands éons et des petits éons, suivant leur degré de proximité avec l’origine de tout (mais chacun est une hypostase de la vie de l’Abîme divin, un échelon descendant ou remontant jusqu’à lui).
Le premier des éons surgis par parthénogenèse de cette émanation primordiale ou monogène, a dû être ce que les Grecs appelaient…
Ici il y a un blanc dans le texte de Pierre de La Crau. Ses héritiers ont cru bon de rappeler ici ce que leur père avait griffonné sur un cahier jamais terminé et datant de l’époque où il n’était pas encore handicapé par la maladie de Parkinson.
EN RÉSUMÉ.
Il y a donc trois forces fondamentales à l’œuvre dans l’univers.
— Les plans du grand architecte de l’Univers, ou disons, pour être plus objectif, les ressorts dont a disposé le grand horloger.
38
Ce que les gnostiques d’Occident appelaient le Destin ou Tocade/Tokad. Et ses signes (Labaron/Labarum) peuvent être également créateurs en ce monde puisqu’ils peuvent servir à déterminer l’action des hommes. Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était d’ailleurs déjà la grande affaire des anciens druides.
Ces pensées de Dieu ou du Démiurge façonnent donc l’Univers.
À première vue, la vie, de façon générale, semble composée d’une infinité de variations plus farfelues les unes que les autres. La diversité de la flore et de la faune terrestre et aquatique nous laisse en émerveillement devant l’artiste chevronnée qu’est Dame Nature. Des millions d’espèces, des milliards de couleurs, des centaines de tactiques de survie et de reproduction les plus inventives les unes que les autres. Mais cette diversité apparente n’est en réalité qu’illusion. Ce ne sont que des variations sur un nombre de thèmes très restreint. Parmi les formes visibles, la nature a ses préférées, dont les spirales, les méandres, les ramifications et les raccords à 120 degrés. Ces structures se répètent sans cesse.
La pensée de Dieu ou du Démiurge, son Tokade ou Destin (le labarum est son messager), est une puissance agissante, un intermédiaire entre l’être supérieur et le monde. Dieu ou le Démiurge se révèle donc au travers de ce premier-né. Le monogène ou éon zéro, est une puissance immortelle émanant de l’Être des êtres, supérieur, et rendant possible son action dans le monde. De cette unité primitive du monogène émane donc une première syzygie, du grec syzygia, réunion, conjonction ou opposition de la Lune avec le Soleil (nouvelle ou pleine lune).
— L’âme universelle, la grande réserve psychique universelle, appelée awenyddio (pour reprendre un terme gallois). Essentiellement vue comme une flamme primordiale ou un feu cosmique. Son origine, ou son principe, en était le feu intellectuel. Un feu parfait et absolument pur. Source de tous les êtres, immatériels et matériels.
Les êtres immatériels forment un monde. Les matériels en forment un autre.
Le premier a conservé la pure lumière de son origine ; le second l’a perdue. Il est dans les ténèbres, et ces ténèbres s’accroissent à mesure que la distance du premier principe devient plus grande.
— La matière. Matrona. Essentiellement vue comme une eau primordiale. Le feu et la lumière vont toujours en s’affaiblissant. Où cessent la chaleur et la lumière, commencent la matière, les ténèbres et le mal, dont Zoroastre fait le monde d’une entité qu’il appelle Ahriman.
Le monde de la lumière et du bien étant attribué par lui à une entité appelée Ahoura Mazda.
[Le druidisme ne va pas jusque-là et laisse ce dualisme aux judéo-islamo-chrétiens].
La matière est en mouvement perpétuel et tend sans cesse à se spiritualiser, à devenir lumineuse et active.
Devenue plus spirituelle, active et lumineuse, elle retourne à sa source, au feu pur, à Mithra, où disparaît son imperfection et où elle jouit d’une félicité supérieure.
Dans ce système, l’homme ainsi que tous les autres êtres du monde visible sont désignés sous le nom commun de matière.
Cette idée a été générale ; elle a été celle de maints philosophes anciens ; et ce qui est très remarquable, c’est qu’elle fut adoptée par les théosophes chrétiens. Les disciples de Basilide, ceux de Valentin et tous les autres chrétiens gnostiques, y ont puisé leur système des émanations, qui a joui d’une grande célébrité dans l’école d’Alexandrie.
39
LE PRIMOGENOS PREMIER DES ÉONS
DE LA PIMPETIA ORIGINELLE : SAITLO (le temps).
Le temps est évidemment par définition Primogenos ou premier-né, le temps est évidemment le premier de tout phénomène s’inscrivant dans la durée.
L’Aiu (l’Éternité supporte le temps). Le Grand Tout non limité par le temps et l’espace, se donne à lui-même, de par sa propre volonté, en vertu de sa toute-puissance, les formes limitées du temps et de l’espace.
La durée ou le temps est ce, tout au long de quoi, expie l’ex-istence sortie de l’être. Pour Plotin, le temps est produit par l’Âme, et pour Proclus, le Temps est une hypostase supérieure à l’Âme.
L’émanation se déroule en effet suivant les rythmes en spirale du Temps, de révolution cosmique en révolution cosmique. Le Principe ultime à partir duquel naissent toutes choses reste transcendant ou immanent à cette manifestation, situé dans l’immortel. De ce point de vue, il est possible de dire que toute existence se trouve dans le Temps, mais que le Temps lui-même est la fluctuation d’une Réalité qui ne change pas et dans laquelle toute existence reste située. Telle est, rapidement esquissée, la représentation mythique des rapports du temps et de l’aiu (de l’éternité) dans la pensée druidique.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, les légendes s’astreignent à cerner de proche en proche la réalité la plus haute, dans un cadre d’équivalences ou d’identifications entre microcosme et macrocosme. « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines » Ausone (dans son petit poème sur l’emploi du mot libra).
Les légendes druidiques ont donc abordé le thème du temps qui passe, voire ont essayé de le figurer, de le représenter, au moyen de diverses allégories. En voici quelques exemples.
Immram Brain Maic Febail ocus a echtra andso sis (la navigation de Bran, fils de Febal et ses aventures).
Bran est le fils de Febal, son nom signifie « corbeau ». Alors qu’il se repose à l’extérieur de son château, il entend un chant étrange ; dont la voix lui vante les délices d’Emain Ablach, la Terre des Pommiers (symbole d’aiu c’est-à-dire d’éternité), une île au milieu de l’océan. Bien qu’il soit entouré de nombreuses personnes, il est le seul à entendre l’appel de la messagère de l’Autre Monde. Ne pouvant résister à l’invitation, il se procure un bateau et part avec « trois fois neuf » compagnons de voyage. Sur la mer, il est accueilli par Belinos Barinthus Manannan Mac Lir, le dieu-ou-démon souverain du Side. La première île qu’ils abordent est occupée par des gens qui ne font que rire, et ne leur prêtent aucune attention. Un des marins débarque, il est aussitôt pris d’un rire frénétique, et refuse de remonter à bord. Enfin, ils approchent de l’Île des Femmes (Tir na mBân), la reine lance un fil à Bran de façon à tirer le bateau, et tous débarquent. Les femmes sont toutes jeunes et magnifiques, chaque compagnon en choisit une, la reine se réserve Bran. Ils vivent là plusieurs « mois » dans une totale félicité.
Mais la nostalgie du pays natal commence à saisir les hommes et Nechtan, fils de Collbran, décide Bran à rentrer. La reine leur adresse une sévère mise en garde : ils passent outre. Mais une fois parvenus à bon port, personne ne les reconnaîtra, et eux-mêmes ne reconnaissent plus personne. Nechtan descend à terre, mais se transforme aussitôt en un tas de cendres. Bran qui a compris, reprendra donc la mer pour une navigation sans fin.
Le récit de cette navigation est typique d’un voyage dans le Side : au départ il y a l’invitation de la fée, puis le séjour merveilleux dans l’Île des Femmes, qui ne sont autres que des déesse-ou-démones, ou des fées si l’on préfère. Sur l’île, le temps n’existe pas, ou du moins, l’île est hors du temps pour ceux qui séjournent là. Si Bran et ses compagnons ne sont pas reconnus à leur retour, et que Nechtan tombe en poussière en mettant le pied à terre (c’était la mise en garde de la reine) ; c’est que leur séjour a duré plusieurs siècles, et qu’ils sont morts depuis longtemps. Le retour dans le monde des hommes s’accompagne de l’emprise du temps auquel ils avaient provisoirement échappé.
Il n’est pas certain que les clercs qui ont retranscrit cette tradition, transmise oralement pendant des siècles, aient réellement compris de quoi il s’agissait. Le mythe druidique est une figuration dans laquelle prennent place les forces de la Nature, dans leur déploiement à partir de l’Origine de la procréation du monde. Le mythe druidique raconte l’expression de l’aiu (de l’éternité) dans le temps. Bien sûr, le problème que nous pose cette mythologie, c’est qu’elle se place surtout sur le plan des images et que son langage est propre à une culture donnée. Le philosophe voudrait, lui, entendre le
40
langage de la raison plus que celui du mythe. Mais l’intelligence peut-elle, par la seule voie de la spéculation, tenter de comprendre la relation de l’aiu (de l’éternité) au temps ?
C’est peut-être dans cette direction qu’il faut chercher pour comprendre les paroles de Spinoza dans son livre intitulé « L’Éthique » : « nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels ». Certains spécialistes ont avoué eux-mêmes leur perplexité devant une telle affirmation ! Pourtant, le texte est assez clair, à condition de retrouver le sentiment panthéiste qui le porte. Spinoza présente la Réalité ultime sous le nom de Substance de laquelle il dérive les attributs de l’étendue (la matière matrona) et de la pensée. Des attributs découlent des modes spécifiques et l’Homme y participe par le corps et par l’esprit, de manière nécessaire.
Si la Substance qui est Dieu ou le Démiurge, ou la Nature, enveloppe la totalité de ce qui est, elle enveloppe à la fois la durée, tout en demeurant elle-même en deçà du temps. Par le corps, l’Homme est saisi dans la durée. Par la pensée l’Homme s’élève à l’ordre des essences, qui résident dans la Pensée de Dieu ou du Démiurge, ce qui veut dire que l’Homme, dans la rencontre de la vérité de ce qui est, connaît l’ordre éternel des choses. Il est dans la nature même de la raison de connaître sous l’angle de l’aiu (de l’éternité), car connaître, c’est connaître ce qui est, tel qu’il est de toute éternité. Notre esprit, en connaissant dans l’ordre éternel des choses, éprouve, dans son élévation au-dessus du temps, sa participation à l’aiu (à l’éternité). Nous « sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels », à chaque fois qu’abandonnant à elle-même la fuite du temps, nous nous élevons à la vérité éternelle des choses. Nous sentons alors que nous participons de cette éternité qui nous est ouverte, parce que nous ne sommes pas seulement un corps périssable, mais aussi une essence dans l’entendement infini de la Substance divine.
Un tel éon, ou hypostase, ou vyuha (dans l’hindouisme), a dû exister dans la théologie druidique, puisque Plutarque le mentionne à plusieurs reprises sous son nom grec de Kronos.
« Il existe une île, Ogygie, située loin au-delà des mers ! À cinq jours au large de la [Grande] Bretagne en naviguant vers l’ouest, il y a aussi une île. Et trois autres, à égale distance de cette dernière, mais aussi de chacune des autres, sont situées au-delà en allant dans la direction du couchant d’été.
Dans l’une d’entre elles, d’après les histoires racontées par les barbares du pays, Cronos [ou plus exactement l’éon celte ainsi appelé par les Grecs] est retenu prisonnier par Zeus [?], mais, flanqué d’un fils [Briarée en interpretation graeca?] comme geôlier, on lui a laissé la souveraineté sur ces îles et de cette mer, qu’ils appellent golfe cronien. Ils ajoutent que le grand continent, par lequel cet océan est entouré, bien que situé un peu moins loin des autres îles, est à environ cinq mille stades d’Ogygie ; le voyage devant se faire à la rame, car la mer est difficile à traverser : elle est envasée par une multitude de rivières… Quand après avoir accompli une révolution de trente ans, l’étoile de Cronos que nous appelons Phénon, mais eux, dit notre auteur, Nycturus, entre dans le signe du Taureau ; après s’être longuement préparés à ce sacrifice et à cette traversée, ils choisissent par tirage au sort et font partir là-bas un nombre suffisant d’envoyés, sur la quantité de navires qu’il faut, en prenant à bord tous les compagnons et toutes les provisions nécessaires à des hommes qui vont traverser tant de mer à la rame, et vivre si longtemps sur une terre étrangère. Ensuite, après qu’ils ont pris la mer, tous ces voyageurs rencontrent des fortunes diverses comme on pouvait s’y attendre ; mais ceux qui survivent à cette traversée abordent en premier les îles opposées, qui sont habitées par des Grecs (sic) ; le soleil y disparaît pendant moins d’une heure, et ce pendant trente jours, telle est la durée de leur nuit là-bas ; mais il y règne une obscurité peu profonde, comme une sorte de crépuscule miroitant à l’ouest. Là ils passent quatre-vingt-dix jours considérés avec honneur et amitié comme des saints, et bien traités ; ensuite les vents les ramènent dans leur île. Personne d’autre n’y habite à part eux-mêmes et ceux qui ont été envoyés en ce lieu avant eux. Ceux qui ont servi le dieu pendant au moins trente ans sont autorisés à rentrer chez eux, mais la plupart d’entre eux choisissent habituellement de rester, certains à cause des habitudes qu’ils y ont contractées, d’autres parce qu’ils ont tout en abondance, sans labeur ni contrariété, alors qu’ils emploient toutes leurs journées en sacrifices et en célébrations, ou à discourir sur divers sujets ainsi qu’à philosopher ; car la nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or – le sommeil étant le seul moyen que Zeus a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos, ayant
41
été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves. Les passions et les émotions titanesques qui affectent son âme font qu’il est toujours sur le point de rompre ses liens, jusqu’à ce que le sommeil restaure ses forces et que sa nature royale et divine retrouve ainsi toute sa pureté originelle » (Plutarque. De facie in orbe lunae, 26).
« Parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels ». Ils ajoutent en outre qu’il y a dans cette partie du monde une île où Cronos [ou plus exactement le dieu-ou-démon celte ainsi appelé par les Grecs] est tenu confiné, gardé pendant qu’il dort par Briarée ; car le sommeil est le lien qui le retient enchaîné en ce lieu, et que tout autour sont de nombreux démons qui lui servent de valets ou de serviteurs… » (Plutarque. Sur l’échec, la fin, ou l’obsolescence, des oracles].
Des citations de Plutarque, assez obscures, on peut néanmoins en déduire le schéma suivant.
Il existe loin à l’ouest du monde une ou plusieurs îles merveilleuses et paradisiaques.
Le premier roi de ce domaine, Kronos dans l’interprétation grecque, a été détrôné par le nouveau maître de cet archipel, un dieu-ou-démon celte assimilé à Zeus/Jupiter par Plutarque. Le cas étant clair en ce qui le concerne, il doit donc s’agir du dieu-ou-démon celte Taran/Toran/Tuireann. Qui est l’entité celto-druidique assimilée au géant grec Briarée, cela, par contre, reste plus conjectural.
42
LE DEUXIÈME DES ÉONS DE CETTE TÉTRADE : L’AGO (vieil irlandais ag, génitif aig) ou NETO/NEITH/NEIT/NET ?
Préliminaire linguistique.
Nous n’utiliserons pas ici le terme agon au sens grec d’aimable compétition sportive ou poétique, mais plutôt dans son sens thrace ou galate ; voir les noms propres Orgiagon/Ortiagon (l’ambigu époux de la célèbre Chiomara), Aigosages (une tribu du royaume de Tylis), etc.
Un sens somme toute assez proche du polemos d’Héraclite qui a dû en garder la tonalité indo-européenne primitive.
Pour Héraclite en effet le polemos est « pantôn pater » ce qui veut dire « père de toutes choses ». La formule grecque exacte est « Polemos panton men pater esti, panton de basileus, kai tous men theous edeixe tous de anthropous, tous men doulous epoiese tous de eleutherous ».
Mais pour Héraclite cela veut surtout dire que les choses ne sont jamais achevées, qu’elles sont continuellement créées par les forces qui s’expriment dans la vie des hommes et de la nature, que tout est assemblage de forces contraires. Telle est du moins notre interprétation d’Héraclite et notre agonistique à nous sera donc à comprendre en ce sens et non dans le sens de courtoise compétition sportive.
Éon considéré ou vu comme un simple dieu-ou-démon de la guerre, ancêtre des enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), et des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore dans la déviation irlandaise.
La mythologie irlandaise lui attribue en effet une très nombreuse progéniture, mais assez curieusement on sait très peu de choses à son sujet. L’hérésie irlandaise (nous voulons dire par là que c’est une déviation un peu poussée par rapport au druidisme continental antique) ; lui attribue comme parèdre ou shakti (Catu) Bodua (Bodb), Nemetona (Nemain en Irlande), et Féa, voire la triple Morrigan elle-même (autrement dit la Fata Morgana). Il s’agit évidemment d’une erreur due à la dégénérescence du druidisme local. Ou alors cela signifierait que cet éon était capable de former des paires avec des émanations divines de rang inférieur comme chez les gnostiques… d’Orient.
Il était aussi connu des Celtibères puisqu’une ville de la Lusitanie espagnole (dans la région de Cadix) lui était vouée (Netobriga).
« Les Accitains, nation espagnole, honorent très religieusement, sous le nom de Néton, un simulacre de Mars orné de rayons » (Macrobe. Sat. I, 19).
Mais peut-on faire confiance à l’interprétation romaine des faits de civilisation celtique ?
Concluons qu’il s’agit, soit d’un éon, soit d’une divinité primordiale à l’origine à la fois des dieu-ou-démons aériens et des dieu-ou-démons souterrains du monde celte (Tribu de Danu-bia et Fomoire en Irlande).
Konrad Lorenz, homme pacifique s’il en fut, a réfléchi à l’apport de l’agressivité tout au long de la lente évolution qui a conduit aux espèces actuelles, spécialement au cas de l’Homme. Il estime que l’agressivité a été un facteur fondamental de la survie et du développement des espèces à travers l’évolution.
Par la sélection sexuelle : le plus fort, agressif (et intelligent, chez l’hominien), a le plus de chances de procréer. À noter que, dans certaines espèces, ce comportement s’étend aux femelles, entre elles ; par exemple chez le loup. Plus cruelle que le mâle, la louve dominante tue la jeune rivale qui recherche les faveurs de son conjoint.
Pour la défense du groupe, spécialement des jeunes, contre les prédateurs.
Pour la conquête de l’alimentation du groupe face à la concurrence des autres espèces du même biotope ; les carnivores dans le cas de l’homme.
Des études récentes, au microscope, de dents fossiles, ont montré que la base de l’alimentation de l’Homme a été, en moyenne, de plus en plus carnée jusqu’au Néolithique. Ce qui constitue donc une différence radicale avec les grands primates, encore que le chimpanzé puisse, à l’occasion, être carnivore. Ceci, avec une prédominance marquée pour l’homme-mâle chasseur-pourvoyeur, par rapport à la femme qui, plus contrainte à la sédentarité par ses charges maternelles, trouvait plus souvent un complément par la cueillette de végétaux. Conséquence millénaire, ou meilleure adaptabilité de la femme, les restrictions du dernier conflit (1939-1945) ont montré qu’elle s’accommode plus facilement que l’homme d’une alimentation surtout végétale.
43
Or les capacités physiques de nos ancêtres hominiens – dentition, musculature, ongles, rapidité à la course, etc. – étaient bien médiocres pour assurer la pérennité d’une espèce à la fois prédatrice et proie ; vivant dans une zone, la savane, où, si le gibier s’avère abondant, les grands carnassiers ne le sont pas moins, et les refuges rares. Très tôt il a fallu suppléer aux déficiences physiques par des moyens artificiels, les armes de chasse, et par l’intelligence. Par ailleurs, que cela nous plaise ou non, descendants de ceux qui n’ont pu nous transmettre la vie que parce qu’ils étaient parmi les plus forts, les plus rusés, les plus agressifs surtout, nous portons leur héritage biologique. Par nature l’être humain est agressif. La civilisation, la conscience individuelle, peuvent et doivent canaliser cet instinct, voire le sublimer. Pour certains philosophes, l’instinct de curiosité ou de recherche, qui nous a donné l’énergie nucléaire, l’informatique ainsi que le laser, et conduits sur la Lune, serait un substitut à l’agressivité ; de même, naturellement, que la plupart des sports où la chose est plus évidente. Reculer les bornes du savoir serait une sorte « d’action-réaction » au défi lancé par notre ignorance.
Mais nier ou ignorer cet héritage est une dangereuse ineptie, même si elle domine de façon écrasante chez les journalistes intellectuels ou gens de média, de notre époque. Évidemment puisqu’ils ne donnent pas aux esprits plus lucides qu’eux l’occasion de s’exprimer. Il suffit de regarder les débats télévisés en France *. Oh certes, les intervenants s’expriment tous très bien, mais quelle médiocrité dans la réflexion, quelle superficialité de la part de gens ayant en principe pour vocation d’éclairer l’opinion publique. Tout cela est certes brillant, mais guère profond. Que de lâchetés ! Trop de conformisme et pas assez d’indépendance intellectuelle peut-être. On est entre gens bien, gentils intelligents et qui n’ont qu’un seul défaut (ils sont pauvres puisqu’ils donnent tout aux plus pauvres qu’eux). Comme le dit le vieil adage « chez nous on met en prison ceux qui sonnent le tocsin et on encense les pyromanes ».
Peu avant sa mort, le polémologue Gaston Bouthoul (Monastir, Tunisie 1896-Paris 1980) notait, avec tristesse, mais sans surprise, qu’ayant souvent eu à parler du racisme devant des auditoires se réclamant de l’antiracisme le plus intégral, il y avait toujours senti les réactions haineuses d’une idéologie combative (l’intelligence en effet s’évanouit devant les réactions passionnelles dès qu’on aborde la question).
Les pacifistes se croient pacifiques, mais leur subconscient ne l’est pas. Le langage courant actuel échange souvent, et abusivement, les termes pacifique et pacifiste, qui ont pourtant des significations très différentes.
* Le manque d’empathie de ces médiocres élites autoproclamées (ce sont incontestablement des natiopathes), qui s’explique sans doute par un orgueil inversement proportionnel à leur intelligence PROFONDE des situations, est assez effarant.
Précisons que chez les peuples dits primitifs, les femmes, si elles ne participent pas aux opérations d’agression, contribuent cependant énergiquement à la défense du groupe. Au XXe siècle par exemple, dans les tribus Hmongs des hauts plateaux (avant leur extermination par armes chimiques à la fin des années 1970), face à leur ennemi démocrate (viet-minh, puis viêt-cong) l’attaque – embuscades essentiellement – était l’affaire des hommes. Mais pour la défense du village assailli par les Bodoï de la très populaire démocratie vietnamienne, les femmes adultes se battaient avec le même acharnement que les hommes, voire avec férocité pour celles qui avaient des enfants. Ce constat peut surprendre, mais c’est là pourtant un réflexe très commun dans les espèces animales supérieures : la mère défend ses petits avec une ténacité inflexible ; et que nous le voulions ou non, l’évolution du mammifère à l’homme ne représente qu’une très faible partie de la durée de la vie sur Terre. (K. Lorenz. Das sogenannte Böse. Zur Naturgeschichte der Aggression. Chapitre III).
La première opposition utile (oxymore ou gwenn ha du) pour exprimer le sentiment d’humanité a sans doute été ami/ennemi ; mais il est nécessaire en théologie druidique de bien faire la distinction entre la guerre sans haine (ago, vieil irlandais ag, génitif aig) et l’attirance ou l’attachement sans amour de nature humaine (oxymore). Il n’y a jamais eu chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht) de dualisme brut entre Âme/Matière, Bien/Mal, Dieu/Diable, la matière (matrona) pouvant être aussi par moments matrice procréatrice (même si c’est surtout d’illusions).
L’esprit de la prière typiquement celtique appelée « lorica » est tout entier fondé sur ce goût qu’avaient les druides d’achever ou de clore une liste. En effet, si l’on évoque le noir, pourquoi ne pas évoquer le blanc, le mouvement ne va-t-il pas aussi avec l’arrêt, le nord et le sud avec l’est et l’ouest ? Tout cela suggère l’idée de totalité, que rien n’a été oublié ni ne peut l’être, que tout est pris en compte.
44
Le système de nomination celte est aussi largement organisé en paires d’antonymes. Cette structuration binaire permet souvent de mieux cerner le sens des éléments des noms propres composés. On a regroupé ci-dessous quelques exemples, d’après Xavier Delamarre (Approche linguistique du vieux celtique continental).
Bon/Mauvais.
Su-carus « Bien-Aimé ». Du-carus « Mal-aimé ».
Su-ratus « Bonne-Grâce ». Du-ratus « Mauvaise-Grâce ».
Daco-uir (os) « Bon-Homme ». Doiros (*Du-uiros) « Mauvais-Homme ».
Su-leuia « Bonne-Conductrice ». Du-louius « Mauvais-Guide ? »
Su-melo « Bonne-Douceur ». Du-melus « Mauvaise-Douceur » (« Hypocrite » ?)
Daco-toutus « Bonne-Gauche ? ». Du-teutos « Mauvaise-Gauche ».
Su-caelus « Bon-signe ». Dus-celinatia « Mauvais présage ».
Susus. Dusius ?
Blanc/Noir (Clair/Sombre).
Uindo-ridio – « Chevalier-Blanc » cavalier »). Dobno-redo « Chevalier-Noir ».
Uindio-rix, Albio-rix « Roi-Céleste ». Dubno-rix « Roi-des-Ténèbres ».
Argio-talus « Front-Lumineux ». Dubno-talus « Front-Sombre ».
Uindiacos. Dumnacos.
Uindedo. Dumnedo.
Haut/Bas.
Uxo-unna « Eaux-d’en-Haut ». Ando-unna « Eaux-d’en-Bas ».
Uxsa-canus « Roseau-Haut ». Ande-canus « Roseau-Bas ».
D’ici/d’ailleurs.
Nitio-broges « Du-Pays ». Allo-broges « Étrangers ».
Eni-genos, Enignus « Indigène ». Egenus, eskenino – (celtib.) « Allogène, étranger ».
Errants, Nomades/Sédentaires.
Alauni « Errants, Nomades ». Anauni « Qui restent, Sédentaires ».
Jeune/Vieux.
Iouinco-rix « Jeune-Roi ». Seno-rix « Vieux – Roi ».
Humainement parlant et d’un point de vue strictement humain (est-il possible d’en avoir un autre ??) une chose ne peut exister que par son opposé. Le Un non encore différencié se divise, pour donner naissance à deux forces opposées, mais complémentaires.
Des forces opposées, mais complémentaires, lesquelles expriment la dichotomie fondamentale APPARENTE du monde, et son équilibre (du moins d’un point de vue strictement humain). Le feu et l’eau, le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, le masculin et le féminin, le chaud et le froid, le positif et le négatif.
45
Malgré son apparente complexité, le monde qui nous entoure est en réalité animé seulement par deux forces, ou plutôt par une force unique, mais ayant une double polarité, comme l’électricité.
Tout, dans l’univers, est mû par cette force fondamentale, cette énergie, qui fait circuler les électrons dans les atomes, se multiplier les cellules, croître les plantes et les êtres vivants ; qui anime le mouvement du vent et des astres. On ne peut la voir ou la toucher ; tout comme pour l’électricité, on ne peut que percevoir ses effets. Chez l’humain, cette force soutient aussi bien les fonctions du corps que celles de l’esprit.
Ces lois universelles sont immanentes, absolues et intangibles, elles ne se laissent pas travestir au gré de nos fantaisies, quelles qu’en soient les motivations. Toute médaille a son revers, qu’on le veuille ou non.
L’équilibre n’est jamais statique, mais en mouvement toujours, entre ces deux forces opposées, complémentaires et interdépendantes, représentées dans le symbole du « s » (les esses de l’art celtique). Une des spirales représente les forces de type passif : ombre, froid, profondeur, humidité, et ainsi de suite ; alors que l’autre représente celles de type actif : lumière, chaud, surface, sécheresse… Tout a besoin de ces deux forces. Elles sont toujours en relation dynamique : lorsque l’une croît, l’autre décroît (principe des vases communicants ou de l’interconnexion réciproque).
C’est la bataille éternelle entre néguentropie et entropie, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». L’ordonné ne peut exister sans le désordre, toute « structure » (néguentropie) nécessite un immense gaspillage d’énergie (entropie). C’est ainsi que le soleil est la source (il la permet sans en être l’origine) de la vie terrestre.
Expansion, structuration, transformation, tout est vibration dans le Bitos ou cosmos, « rien n’existe en soi », tout dépend de tout…
Depuis des lustres on se bat pour savoir si notre univers est en expansion indéfinie ou s’il se repliera sur lui-même à la fin de son « expansion ». Dans un cas il se vide de sa « substance » par évaporation, dans l’autre il devient de nouveau un point « ogham » (eabadh) de l’espace-temps.
On parle dans l’étude des systèmes dynamiques de dysentropie. Dans un tel système, une néguentropie partielle mène à un état d’auto-organisation de niveau supérieur par un phénomène de percolation.
L’entropie est considérée dans le second principe de la thermodynamique comme étant spontanément croissante en système fermé. Sous cette condition, la notion de néguentropie est donc nécessairement limitée dans le temps ou l’espace ou ne peut s’appliquer qu’à un système ouvert.
Dans tous les cycles naturels, chaque force succède à l’autre comme le jour succède à la nuit, l’action au repos, l’inspiration à l’expiration. L’équilibre n’est jamais statique, mais dynamique.
Rien n’est donc plutôt ceci que cela, mais tout le devient. Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement suscitées par les forces qui s’écoulent dans les phénomènes. Le devenir sert de lien entre les phénomènes.
Différentes cosmogonies mentionnent la genèse du monde comme résultant d’un long et difficile partage entre deux entités, ou deux forces antagonistes, qui s’attirent et qui se repoussent. C’est grâce à la présence de ces deux forces, de ces deux pulsions, que la vie est appelée à l’être. Deux forces totalement opposées, mais complémentaires et fondamentales, qui s’affrontent en permanence, et engendrent ainsi l’équilibre de l’univers. Un équilibre, certes précaire, mais sans lequel il n’y aurait ni vie, ni mort, ni action, ni passivité. Il n’y aurait rien. L’univers serait immobile, pour ne pas dire cataleptique.
Les mythes montrent comment tout monde dépend de l’interaction de forces et polarités variées, dont l’équilibre ou l’union maintient la vie. Ces forces ou « polarités » sont décrites de différentes manières – feu et eau, ombre et lumière, masculin et féminin, force (répulsion) et sensation (attraction) – et, combinées, elles forment le Tout.
Cas par exemple de la cosmogonie de nos cousins germains du nord avec leur notion de Ginnungagap, et par les impressions de chaud et de froid qui se répartissent autour de ce vide. À l’ouest se trouve Niflheim, monde du froid, de la glace, des ténèbres et des brumes, et à l’est se trouve Muspellheim, monde de la chaleur, de la lumière et des flammes. Ces deux mondes sont séparés par la crevasse géante que forme le Ginnungagap. Le monde de glace et le monde de lave en fusion agissent l’un sur l’autre et tout fond pour donner le monde.
46
On retrouve la même idée chez les philosophes grecs. Fragments d’Héraclite, conservés par Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, Livre IX.
Que les hommes aient tout ce qu’ils souhaitent ne serait pas une bonne chose. La maladie rend agréable et bonne la santé ; la faim la satiété ; la lassitude le repos. Pour Dieu tout est beau bon et bien, même si les hommes pensent que certaines choses sont bien et d’autres mal. Car tout est régi par le Destin. Ce monde est le même pour tout le monde, aucun des dieux ni des hommes ne l’a fait, mais il a toujours été, est et sera, un feu toujours vivant. La guerre est la mère et la reine de tout, elle a fait de certains des dieux, d’autres des hommes, et elle en a fait quelques-uns esclaves et d’autres des hommes libres. L’harmonie du monde est une harmonie des contraires, comme dans le cas de l’arc et de la lyre. Les contraires ne forment qu’un, des différences résulte l’harmonie la plus belle qui soit, tout naît de ces différends. Tout se tient. S’il n’y avait pas de soleil, il n’y aurait que la nuit. Le jour et la nuit, l’hiver et l’été, la guerre et la paix, l’abondance et le besoin ne font qu’un. Tout et partie, accord et désaccord, concorde et discorde, l’individu vient de l’ensemble et l’ensemble vient de l’individu. Les aller et retour de la carde des artisans ne forment qu’un seul et même mouvement. Descendre et monter sont une seule et même chose. Commencement et fin ne font qu’un. Le bien et le mal sont identiques. La rivière dans laquelle nous descendons est à la fois la même et une autre. Le froid devient chaud, le chaud, froid ; l’humide devient sec, et le sec, humide. Être vivant ou mort, éveillé ou endormi, jeune ou vieux, c’est la même chose. Ces différents états ne sont que des métamorphoses l’un de l’autre. Les Immortels sont mortels, les mortels immortels, vivant dans leur mort et mourant dans leur vie. Toute émulsion se décompose si elle n’est plus agitée. C’est dans le changement qu’est le repos.
L’originalité d’Héraclite, par rapport aux autres physiciens, réside dans le fait qu’il cherche, derrière les modifications des apparences naturelles, à saisir l’unité cosmique résultant de leur contradiction. En témoigne notamment le célèbre fragment : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Un autre fragment est également significatif : « L’opposé s’avère utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie (ou toutes choses sont engendrées par la discorde) ». Héraclite affirme les aspects ou qualités des choses qui évoluent entre leurs contraires ; car la loi du remplacement des contraires est la condition du devenir des choses. Entre contraires, il y a une lutte aboutissant à la création.
Dire que toute chose passe ainsi continuellement d’un contraire à l’autre, c’est dire que l’ago ou guerre (vieil irlandais ag, génitif aig) est en quelque sorte la mère et la souveraine de l’univers ; elle est la logique des choses. Ce qui se sépare s’unit : partout il y a des tensions opposées, comme dans l’arc et la lyre.
Le questionnement et les observations empiriques des anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) sur le monde lui-même ; leur ont permis de proposer, comme fondement de ce monde, l’opposition des contraires, le mouvement universel et l’éternel recommencement des choses, selon un cycle. Si tout s’oppose, l’amour et la haine, la guerre et la paix, le silence et la parole… les contraires, dans leur opposition même, sont néanmoins embrassés par l’unité : sur l’échiquier, les blancs et les noirs jouent la même partie.
Ce qui est contraire a aussi son utilité, la mer est à la fois l’eau la plus pure et la plus souillée ; potable et salutaire aux poissons, elle est non potable et funeste pour les hommes. Bien et Mal sont tout un.
Bien qu’ils soient trop souvent présentés comme des apologistes de la « guerre universelle », les très-sachants de la druidiaction (druidecht) privilégient au contraire l’unité résultant des contraires, au détriment de leur lutte. Dieu ou le Démiurge est jour et nuit, printemps et automne, surabondance et famine : il prend des formes variées, voire contraires. Ce qui est en nous est toujours la même chose : vie et mort, veille et sommeil, jeunesse et vieillesse ; car le changement de l’un donne l’autre, et réciproquement.
47
LE TROISIÈME DES ÉONS DE CETTE PIMPETIA : L’OXYMORE OU GWENN HA DU.
Au sens non manichéen du terme. Non pas noir ou blanc, mais blanc ET noir.
La scission initiale à l’origine de toutes choses apparaît dans les couples de contraires : positif-négatif, vie-mort, chaud-froid, féminin-masculin, etc. Cela se retrouve également dans les phénomènes d’alternance : le jour et la nuit, le mouvement et le repos, le flux et le reflux…
Mais les contraires se réunissent aussi dans l’unité, puisqu’ils proviennent tous d’un seul et même être, qui en se séparant de lui-même, s’unit avec lui-même. De toutes ces oppositions naît l’harmonie du monde, qui éclate à nos yeux. Il existe un état de conscience dans lequel où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le futur et le passé, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas, cessent d’être perçus contradictoirement. D’où d’ailleurs le calendrier luni-solaire des très-sachants trouvé à Coligny, qui est typique de leur pensée.
Voici en effet ce que l’on peut comprendre du calendrier luni-solaire de Coligny. Voici ce qu’il faut comprendre de toutes les descentes du feu dans l’eau qu’évoque la mythologie druidique. Il faut saisir l’harmonieuse fusion des deux principes attirés par un « amour » ; qui n’est pas encore « érotique », dans les plans inférieurs de notre monde, puisqu’il n’y est pas encore question d’hommes et de femmes ; mais « attractif » comme la force qui invite les atomes à se combiner entre eux.
D’où dans la mythologie celtique, et conformément au comput luni-solaire qu’est le calendrier de Coligny donc, le fait que les dieu-ou-démons en ce qui la concerne, ont presque tous une parèdre, une compagne ou une épouse ; et vont donc par couples, comme Jéhovah et son Ashéra dans la Torah biblique par exemple. L’Univers s’est construit sur l’opposition de forces qui se sont équilibrées réciproquement : âme et matière, feu et eau, masculin et féminin, soleil et lune…
Les choses sont des assemblages de forces contraires, et le monde est un mélange qui doit sans cesse être remué pour qu’elles y apparaissent. Est-ce dû au fait que les Celtes étaient des rhéteurs redoutables et cultivant plus que quiconque l’art de bien parler ? Toujours est-il qu’une de leurs façons de penser était l’oxymore, c’est-à-dire non l’opposition, mais la possibilité de lier ou de coupler des contraires. Exemple le Gwenn ha Du (drapeau breton), le clair-obscur (de l’italien chiaro oscuro) ou aigre-doux, etc.
En linguistique, l’oxymore est une figure de style où deux mots désignant des réalités contradictoires, ou fortement contrastées, sont néanmoins associés par la syntaxe. En exprimant ce qui est inconcevable, le poète crée ainsi une nouvelle réalité qui suscite un effet de surprise.
Si certains oxymores ont été imaginés pour attirer l’attention du lecteur ou de l’auditeur, d’autres ont été mis au point par les druides pour créer une catégorie verbale décrivant une réalité difficile à concevoir.
!-------- ---------------------------------------- !
Cet adiantu (mot celtique signifiant désir) est une force fondamentale issue du chaudron ou chaos primitif ; qui domine le monde avant même l’apparition des dieu-ou-démons et des hommes ; et qui, en assurant l’union et la complémentarité des parties dissemblables, permet à l’univers de prendre forme.
Son pouvoir de cohésion s’étend à tout ce qui peut exister : aux dieu-ou-démons, aux humains, aux animaux, aux plantes, aux roches, etc. En cela, il est assez proche des forces physiques qui régissent le cosmos, et n’a pas de représentation anthropomorphique.
LA VOIE DES NAMNÈTES.
(la plus ancienne des lois de la nature.)
L’essence même divine est une chose, son activité concrète et quotidienne en est une autre. La personnalisation du concept abstrait passe très souvent par l’attribution d’un genre. Masculin féminin ou neutre. On peut ainsi parler de deux états complémentaires, sexuellement opposés, mais tous deux nécessaires à l’apparition du mouvement ou de l’énergie. Or, donner un caractère sexué au Principe d’animation de la matière par l’âme, c’est déjà anthropomorphiser, donc donner un caractère terrestre permettant le culte.
48
Les dagolitoi ou fidèles de ce genre de culte conçoivent donc la divinité comme polarisée en deux aspects, masculin et féminin. Le Bitos ou Cosmos y est perçu comme le déploiement de l’énergie masculine de l’âme (l’esprit) dans la matière et le culte consiste à utiliser cette puissance. Ce type de druidiaction (cette voie druidique) vise à l’unification des polarités sur tous les plans et dans tous les domaines. Il s’agit ainsi, dans les rites, de réaliser, d’éprouver ou de ressentir, les vérités abstraites, métaphysiques et cosmologiques : l’acteur mobilise ces concepts pour les concrétiser dans le plan physique. Il faut réunir les deux pôles, l’âme et la matière qui demeurent indissolublement unis dans le Tout Englobant Universel. Et s’il est légitime de privilégier l’un de ces deux pôles, il ne faut jamais aller jusqu’à ignorer l’autre, qui a toujours sa place dans le Grand tout. Dans sa conception la plus élevée, ce type de druidisme transcende, lui aussi, les oppositions superficielles entre contemplation et action, repos et mouvement, ascèse et jouissance.
Il existe des rites et des pratiques qui visent à réaliser concrètement cette unification par l’accomplissement codifié de l’acte sexuel (car bien sûr dans le paganisme celtique ou en matière de druiderie aucune connotation de péché ne pèse sur la sexualité).
Strabon, Géographie, Livre IV, Chapitre IV. 6. « Il y a une petite île, pas très loin en pleine mer, située au large de l’embouchure de la Loire, et que cette île est habitée par des femmes Namnètes [en grec Samnitôn]. Elles sont possédées par l’esprit de Dionysos et se rendent ce dieu propice en l’apaisant par de mystérieuses initiations aussi bien que par d’autres cérémonies sacrées ; aucun homme ne met le pied sur cette île, bien que ces femmes la quittent parfois en se servant d’un bateau. Elles ont alors des relations avec des hommes, et ensuite y retournent de nouveau ».
Paraphrase de Denys le Périégète.
« À proximité se trouve une autre traînée d’îlots, en ce lieu les femmes des nobles Amnites qui demeurent en face célèbrent avec des transports d’enthousiasme les fêtes en l’honneur de Bacchus couronnées de grappes de lierre aux feuilles noires et le bruit de leur tumulte s’élève distinctement dans la nuit.
Sur les bords de la rivière des Absinthes en Thrace les Bistonides invoquent le retentissant Iraphiotès, avec leurs enfants le long du Gange aux sombres tourbillons les Indiens mènent leurs joyeux cortèges en l’honneur du bruyant Dionysos : Mais c’est avec beaucoup plus d’ardeur que les femmes en ce lieu crient « Évohé ! »
L’union sexuelle, qui transcende les corps physiques pour évoquer l’union primordiale de l’âme/esprit dans la matière, est symbolisée par le foudre de Taran/Toran/Tuireann. Voir aussi à ce sujet l’épisode, plus anecdotique il est vrai, de l’adultère de la femme de Partholon.
Cet aspect de notre druiderie, bien que rare, a fortement marqué les Grecs et les Latins, notamment Strabon. Il a donné lieu à de multiples spéculations, dues à l’imagination fertile des hommes dès qu’il est question de mystère et de secret.
49
LE QUATRIÈME DES ÉONS DE LA PIMPETIA ORIGINELLE : BIUITONA la vie.
Ici normalement les scientifiques d’aujourd’hui parleraient en premier de l’espace puisque les deux, espace et temps, sont liés selon la théorie de la relativité restreinte. Mais ce petit camminus n’est pas un manuel d’astrophysique ni d’astronomie, son but est de vous aider à vivre en vous faisant comprendre de l’intérieur ce qu’un très sachant d’il y a 4000 ans pouvait déduire de l’observation de la nature qui l’entourait. Et ce qui sautait aux yeux d’un très sachant de l’époque c’est la vie qui l’animait lui-même ou qui l’entourait. La vie, grouillante et sous d’innombrables formes, évoluant au fil des ans, soit par un éternel retour suivant le cycle des saisons, soit par disparition apparente dans la mort de chaque individualité, au moins pour ce qui est de la forme matérielle. La vie sous toutes ses formes, qui naît, qui se développe, et qui meurt, tel était sans aucun doute le thème de réflexion des vieux sages de la tribu arrivés au soir de leur vie. L’espace était une dimension trop intuitive ou allant trop de soi pour attirer l’attention. Qui d’ailleurs comprend vraiment la théorie einsteinienne de l’espace – temps et des droites courbes ? En 1905 à part Einstein pas grand monde ! Et de même pour l’espace-temps d’Hermann Minkowski en 1908. Poincarré ?
De toute façon peu importe, si nous comprenons bien tous ces travaux, temps et espaces ne sont pas des absolus, temps et espace sont liés, ce ne sont que les deux faces d’une même réalité, et parler du temps c’est déjà parler de l’espace ? Non ?
Et ce qui a surtout attiré l’attention des premiers philosophes après le temps c’est le mouvement, assimilé par eux à la vie.
Les Grecs ont connu deux écoles, les éléates (Parménide, Zénon…), Héraclite et ses successeurs (Aristote, etc.)
Si pour les premiers Grecs le mouvement était par excellence le flux, l’indéfini, l’illimité, rebelle à la pensée conceptuelle, un chaos insondable, le « Léthé », qu’il s’agissait de fuir dans le monde des Idées, Aristote renverse la perspective en posant que l'être n’est en devenir que relativement à l’être en acte, qu’à sa finalité (l’enfant n’est enfant que par rapport à l’adulte, le froid que par rapport au chaud) qu’il peut être. Avec l’abandon de toute évocation d’un flux universel qui emporterait toute chose, de toute spéculation sur le « non-être », le mouvement limité de chaque chose s’inscrit d’une manière précise entre un état initial et un état final. Il libère ainsi la philosophie d’une imagination présocratique foisonnante d’un contenant infini comme source toujours rejaillissant des choses.
Avec Aristote, nature et mouvement sont si étroitement liés qu’il définit la nature comme principe de mouvement et de repos. Le repos n’est pas considéré comme une restriction du mouvement, il est un moment du mouvement qui emporte tous les êtres mobiles pris dans un mouvement discontinu vers un terme même provisoire. Toutefois dans cette physique, mouvement et repos sont diamétralement opposés en ce que le premier est un processus et le second un état. La mobilité est en tant qu’energeia, pour tous les êtres naturels qui vieillissent ou se dégradent, à la fois mouvement et repos. Dans ce sens, le repos ou le terme seront toujours provisoires affectés d’instabilité, en attente à chaque étape du mouvement suivant. Du point de vue ontologique l’être naturel est caractérisé par la possibilité toujours ouverte du mouvement, d’une instabilité fondamentale inhérente à son principe d'« être naturel ».
EN CE QUI NOUS CONCERNE NOUS AUTRES TRÈS SACHANTS D’OCCIDENT NOUS NOUS CONSACRERONS DONC À L’ÉTUDE DE LA VIE SOUS TOUTES SES FORMES ET ABANDONNERONS LA MÉCANIQUE OU CINÉMATIQUE AUX SCIENTIFIQUES. LE MOUVEMENT DES ATOMES NE NOUS INTÉRESSE PAS.
Tout ce que nous savons vraiment sur la vie, c’est qu’elle existe et se manifeste en tant qu’énergie. Nous savons que l’énergie ne peut être ni créée ni détruite, seulement transformée. La science n’a pas dévoilé suffisamment ses mystères pour être en mesure de nous dire ce qu’elle est. Les savants ne peuvent même pas s’accorder pour savoir si des entités comme les virus, qui se multiplient et mutent, sont vivants ou non.
Tout ce que nous savons vraiment sur la vie, c’est qu’elle a commencé un jour et qu’elle se poursuit. La vie de la Terre, la vie sur Terre, a débuté il y a des milliards d’années. Tout ce que nous observons de vivant est la continuation de la vie qui se multiplie et se divise en permanence dans de nouvelles expressions. Par exemple, quand un spermatozoïde vivant s’unit avec un ovule vivant, ils cessent tous deux d’exister en tant qu’entités indépendantes. Ils deviennent un zygote ; une nouvelle expression de la continuation de la vie. Ce n’est pas une nouvelle vie, c’est une fusion et une continuation de la vie, qui existait dans le spermatozoïde et dans l’ovule ; qui existait dans les organismes qui ont produit ces gamètes ; et ainsi de suite, depuis des milliards d’années.
50
La Terre est vivante. Nous, les êtres qui sommes nés d’Elle et marchons sur Elle, sommes une part d’Elle et de Sa vie. Nos corps sont composés des mêmes minéraux qui constituent Son corps. De même, notre esprit et notre âme sont une part de Son esprit et de Son âme. La terre est un être vivant total, et nous sommes une part de Son être vivant total, de même que les cellules de nos corps sont des parties vivantes de notre être vivant. Son corps est vivant de la même façon que nos corps le sont. Même les pierres sont vivantes de la même façon que les os de nos corps le sont.
Lorsque nos corps cessent de fonctionner puis commencent à se décomposer, alors c’est que nous sommes morts. La décomposition est le moyen utilisé pour réabsorber les minéraux de nos corps, afin qu’ils puissent être réutilisés par d’autres formes de vie : comme nourriture pour les bactéries, les vers, les insectes, les animaux, les plantes, et ainsi de suite. L’énergie vitale du corps est ainsi « réincarnée » ou transformée en l’énergie vitale d’autres êtres.
N.B. Les druides d’Europe centrale semblent avoir personnifié cette terre mère sous le nom de Nerthus, mais aussi avoir dédoublé cette Nerthus en diverses hypostases toutes de nature féminine (l’image était évidente) : Rose-Martha la terre cultivée (Tailtiu en Irlande), mais aussi des triades, des fées des bois et des forêts, des rivières, etc.
51
LE CINQUIÈME DES ÉONS DE CETTE PIMPETIA :
LE BRIO OU LA BRIGO DES DIEUX (BRICHT EN GAÉLIQUE).
« Ils discutent abondamment……… sur la puissance et le pouvoir des dieu-ou-démons immortels ». (César B. G. Livre VI, 14).
Autrement dit les superpouvoirs, les pouvoirs surhumains, surnaturels, contre nature, voire simplement préternaturels. Généralement symbolisés par une ou plusieurs déesses.
Un autre concept essentiel du druidisme. Le brio ou la brigo (bricht en irlandais) correspond à l’énergie potentielle ou virtuelle que les hindouistes appellent shakti et les philosophes grecs essence. Le brio ou la brigo est la contrepartie « féminine » d’un dieu (sa parèdre), en fait son pouvoir de transformation/création, sans lequel il ne peut agir.
Derrière chaque homme qui réussit, dit-on, il y a une femme. On peut aujourd’hui interpréter de diverses façons cette boutade. L’interprétation la plus courante est celle qui consiste à y voir une évocation du fait que, traditionnellement, dans un couple, c’est la femme, et en premier lieu la femme au foyer, qui se sacrifie le plus, du moins qui fait le plus de sacrifices, en se consacrant à son mari et à ses enfants. D’autres voient dans cette formule une allusion à la part féminine qui peut exister en tout homme.
Le vocable irlandais bricht, briocht, est une formation de nom verbal sur le thème brig – « montrer, manifester », qui se rattache à la racine *bherek – ou *bh(e)regh – « briller, ou éclairer ».
Le terme musicologique italien « brio » (du provençal briu), et désignant le caractère brillant et résolu d’une composition, ou d’une exécution, musicale, est sans doute aussi un lointain écho de cette notion linguistique. Si un homme a du brio, alors cherchez la femme qui est derrière lui et qui s’en occupe, qui se charge de ses problèmes d’intendance, qui le conseille ou qui le pousse. Enfin peut-être.
Quoi qu’il en soit, les druides, apparemment, avaient fait leur cet adage puisqu’une des particularités de la religion des Celtes est le culte rendu à des divinités semblant vivre en couple. C’est là une forme singulièrement développée de l’humanisation du divin…
Il y a des couples purement celtes : Suqellos et Nantosuelta, Bormo ou Albius et Damona, Bormanus et Bormana, Ucuetis et Bergusia, Cicolluis et Litavis, Telo et Stanna, Luxovius et Bricta…
Comment faut-il expliquer ces couples ? Il n’est absolument pas sûr que ce soient toujours des époux. Comme dans le cas de Jéhovah et de son Ashéra dans la Torah biblique par exemple. Il est plus vraisemblable que les deux divinités soient de même nature, donc relevant du même domaine.
Quoi qu’il en soit, cette parité hommes/femmes n’était sans doute que l’application au monde des dieu-ou-démons, d’un principe philosophique druidique beaucoup plus général, celui de l’attirance ou de la coïncidence des contraires.
La conjonction des contraires (eau/feu, vide/plein, etc.), était, selon les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), nécessaire à la vie ou au mouvement. Et ceci, sans aucun manichéisme, puisque, dans leur conception de ce dualisme relatif, il n’était nullement question qu’un des contraires finisse un jour par l’emporter sur l’autre.
La preuve, leur fin du monde à eux, les gnostiques d’Occident appelés druides ne la voyaient pas comme résultant de l’action d’un seul élément, mais comme résultat de l’action conjuguée de deux éléments traditionnellement contraires, le feu et l’eau. « Ils affirment que les âmes et l’univers sont indestructibles, mais qu’un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Strabon Géographie IV, 4).
La Nature a ses lois, et ces lois sont donc son destin (son dharma diraient les bouddhistes). Héraclite était d’ailleurs du même avis.
La différenciation en pôles opposés, mais complémentaires, concourant à une œuvre commune, en bref à la vie (feu et eau, âme et matière, masculin et féminin, etc.) du Un atomique originel (du point oghamique ébad dirait Henri Lizeray) ; semble donc être la plus ancienne découverte du druidisme. Mais sur le plan moral, encore une fois, répétons-le, cela n’aboutissait en aucune façon à un dualisme absolu (manichéisme). Cela se traduisait par un dualisme relatif et modéré, compatible avec le monisme le plus pur sur le plan philosophique (de la coïncidence des contraires).
L’Awenyddio est une entité unique, un éon ou une hypostase de première génération, disons plus justement émanation, suscitant toute existence et animant tous les êtres vivants. Cette âme universelle est de même nature que l’anamone individuelle de chaque être humain. L’Awenyddio, c’est la puissance de l’âme résidant à la fois dans l’infini de l’Univers, et dans la finitude de l’Humanité ; tout en restant inaccessible, elle fait partie intégrante du quotidien : force active, conscience manifestée du Grand tout elle est présente en toute chose et en chacun de nous, elle est le lien entre le macrocosme et le microcosme. « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ». Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra). Et c’est
52
là évidemment un système de pensée considéré comme complètement taghout par les monolâtres créationnistes.
Vision très féministe des choses : l’homme ne peut rien sans la femme qui est plus que son repos du guerrier, qui est sa force ou son soutien quotidien, sans lequel il ne serait rien, ou du moins pas grand-chose et pas longtemps. Ce qu’avaient bien pressenti à leur façon certains auteurs de l’Antiquité parlant de la femme chez les Celtes.
Ammien Marcellin (Histoires. Livre XV, chapitre XII, 1) : « Une troupe entière d’étrangers ne serait pas capable de tenir tête à un seul de ces hommes s’il appelle sa femme à la rescousse, car elle est généralement très forte quand elle est folle de rage, et spécialement quand, le cou gonflé, les dents serrées, ses énormes bras blanchâtres brandis en avant, elle commence d’asséner des coups, y compris avec les pieds, comme autant de traits envoyés par une catapulte ».
L’existence est empirique et ne permet pas de connaître les êtres : c’est le domaine de l’accidentel et du contingent, du multiple et de l’altérité irréductible. L’apparence apparaît comme le contraire de la réalité.
Or, si une telle explication répond aux questions que peut se poser la métaphysique, elle ne satisfait pas la conscience religieuse qui s’émerveille devant l’harmonie et la beauté de l’ordre universel. L’Homme a donc besoin d’une figure personnalisée à qui adresser ses louanges, son émerveillement et sa reconnaissance.
Afin de répondre à cette exigence, la cosmologie druidique fait appel à deux idées fondamentales : l’Essence (brigo) et l’Existence manifestée (les dieu-ou-démons masculins). D’un être, on peut dire ce qu’il est (l’âme), ou ce qu’il a (son corps ou ses biens matériels). Ce qui nous renvoie aux deux corrélatifs, l’essence ou l’être profond, la brigo, et l’existence ou l’avoir, le pôle masculin.
La Brigo est le concept druidique qui désigne la réalité persistante d’un être à travers les modifications de ses accidents représentés par le dieu-ou-démon de type masculin. La synthèse druidique a par conséquent pourvu chaque dieu-ou-démon d’une figure féminine qui symbolise l’essence ou la puissance virtuelle de ce dieu-ou-démon.
Cet aspect féminin, cette énergie créatrice c’est la Brigo, la forme (conceptuelle) qui permet à l’être de se manifester, de se matérialiser.
Même si c’est généralement l’aspect masculin qui est au centre des mythes relatifs à la cosmogonie druidique, il en existe qui semblent « oublier » le rôle du père qui engendre, au seul profit de la mère. La Brigo est en quelque sorte la grande déesse-ou-démone de l’énergie omniprésente, qui donne la vie et le mouvement. La Brigo est en quelque sorte la Mère Divine qui enfante le monde ; et toutes les déesse-ou-démones, ou fées, sont des filles de cette Brigo.
La Brigo, l’énergie cosmique, l’énergie créatrice, réside à la fois dans l’infini de l’univers et dans la finitude de l’Humanité ; tout en restant inaccessible, elle fait partie intégrante du quotidien : force active, conscience manifestée, Nature Primordiale, elle est présente en toute chose et en chacune de nous, elle est le lien entre le macrocosme et le microcosme. Nous l’avons déjà dit, mais il importe de le répéter (repetere = ars docendi).
Les épouses des dieu-ou-démons du panth-éon ou plérôme druidique, sont des personnifications de cette Énergie primordiale représentée dans ses différents pouvoirs.
La différence entre un Dieu ou le Démiurge et sa brigo est la même qu’entre un feu et son pouvoir de brûler, un mot et sa faculté de donner du sens. L’union des dieu-ou-démons mâles (mise en œuvre, extériorisation) et de cette Brigo universelle et multiforme (l’essence, l’énergie potentielle ou virtuelle) est le fondement de la vie de notre univers. Dans le druidisme antique, la caractéristique du binôme Brigo et dieu-ou-démons masculins est d’être une dualité s’épousant pour ne former qu’une seule entité, l’être conscient de lui-même. Cette entité possède deux modalités complémentaires.
Ce qui caractérise la Brigo, c’est en effet d’une part le mouvement d’intériorisation, afin d’accéder à la connaissance la plus intime, la plus sensible des êtres, à la prise en compte de tout le potentiel contenu dans l’ombre. D’autre part un mouvement d’extériorisation pour marquer sa présence et faire valoir sa personne, pour resplendir et s’illuminer, pour manifester sa nature dans la lumière, dans la connaissance de soi en tant qu’objet. C’est la divinité masculine qui se charge de ce rôle.
Quand le binôme Brigo/dieu, donne dans l’introversion, c’est pour manifester ce qu’il est (le verbe Être) à savoir un Étant doué de modalités. Quand il donne dans l’extraversion, c’est pour manifester tout ce qu’il possède (le verbe avoir), c’est-à-dire un Étant doué de puissance, le Dieu ou le Démiurge. Le reflet de ces deux tendances (l’Être et l’Avoir, la brigo et le dieu-ou-démon) se retrouve dans les couples divins celtiques que l’on connaît.
53
Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, revenons sur la façon dont le druidisme conçoit la vie du monde.
L’univers tel que nous le percevons s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps. Or, dans la conception du monde druidique, le temps n’est pas conçu de façon linéaire comme dans la pensée judéo-islamo-chrétienne, mais de façon cyclique. On peut ainsi distinguer deux phases qui se succèdent alternativement : un temps de venue à l’être et un temps de destruction. Lorsque la venue à l’être se matérialise, l’univers se déploie dans toute sa majesté à partir d’une masse de matière et d’énergie (Brigo) qui n’est autre que le reste d’un univers précédent. À la fin des temps, lorsque la roue du destin suprême a fait un tour complet, l’univers se résorbe peu à peu ; en concentrant tous ses éléments dans un nouveau reste, qui à son tour servira de germe (ou d’œuf) pour la procréation d’un autre univers ; et ainsi de suite. Dans ce mouvement cyclique à deux temps, l’univers, bien qu’il change de forme, perdure. Il n’y a ni véritable commencement ni fin absolue ; la création, tout comme la destruction, est relative, et d’un point de vue supérieur, il n’y a ni création ni anéantissement. On rejoint ici Héraclite.
Le culte de la Mère Divine.
La Brigo joue un rôle tout à fait central dans les mythes de création de l’univers. Tantôt primordial, tantôt secondaire, son rôle est indispensable : elle permet le passage de l’essence à l’être, de l’être à l’avoir, du concept à la matérialisation.
Dans certains mythes en effet, la puissance originelle est plutôt appelée Brigo que Pariollon ; utilisant ainsi un vocabulaire féminin et non neutre, et par voie de conséquence, rendant possible l’assimilation de cette puissance à une déesse-ou-démone, ou à une fée si l’on préfère ce terme, et non à un dieu-ou-démon. Ce culte fait écho à la maternité de la matière/énergie, la Mère universelle dont tous les êtres et tous les phénomènes matériels sont les enfants. Cette vision de la Brigo fait référence aux mythes fondateurs dans lesquels la Brigo est vue comme la partie véritablement essentielle et indispensable, primordiale, la seule entité réellement digne de culte, parce que c’est elle qui engendre le monde.
Si la Brigo incarne l’énergie maternelle, tendre, protectrice et aimante de la Mère divine, elle en incarne également l’aspect inverse. Car la Brigo est une totalité, une plénitude possédant elle-même à ce titre, des polarités qui, si elles semblent s’opposer, sont en réalité tout à fait complémentaires. Elle possède donc une face sombre mystérieuse et terrifiante qu’il nous faut reconnaître et accepter, voire aimer au même titre que ses aspects lumineux : la Morrigani sous son aspect Catubodua ou Sheela na gig.
En effet, puisque tout ce qui naît doit mourir, et que la Brigo symbolise la matière/énergie créatrice, l’impulsion qui permet à la vie de se manifester ; il est logique que son rôle soit également associé, de près ou de loin, à la cessation de cette manifestation, à la mort. La Brigo prend alors la forme d’une déesse-ou-démone cruelle, sanglante et sans merci : la Morrigani, ou la Catubodua (dont l’animal est la corneille… ou le corbeau). Bien qu’effrayant, nous avons pu constater que cet aspect demeure très présent dans les légendes irlandaises. Ces aspects de l’énergie féminine, qui peuvent paraître monstrueux pour des non avertis, sont pour les très-sachants appelés druides une source inépuisable de symboles salvateurs, dépourvus de toute agressivité personnelle. On ne peut en effet dissocier les aspects maternels, doux et lumineux, de la Brigo, de ses aspects plus redoutables. La matière/énergie créatrice est tout à la fois la vie et la mort, et l’Homme doit apprendre à l’honorer ou l’aimer dans ces deux cas.
Tous les grands mystiques celtes insistent sur le fait qu’on ne peut finalement connaître la Brigo qu’en en faisant l’expérience… Or, si la Brigo a bien des manières de se manifester en ce monde, elle en est la seule maîtresse : sa caractéristique est de déborder l’individu qui s’est enfermé dans des repères mentaux, pour le surprendre là où il ne s’y attend pas. Le temps de la Brigo ne peut se réduire à des événements plus ou moins extraordinaires comme des visions, des extases. Il conduit à bien plus : l’émergence d’un nouvel état de conscience, comme si l’on voyait le monde pour la toute première fois. Il est très difficile de parler de l’état de fusion des âmes individuelles avec la Brigo, car il s’agit d’une expérience qui va bien au-delà des mots et des concepts descriptifs qu’on peut fournir. Parler de la Brigo dans ces conditions, sans en avoir fait l’expérience, est comme parler d’un choc électrique à des personnes… qui ne connaissent pas l’électricité… Dans cet état, l’observateur objectif ne peut que constater les choses, sans pouvoir ni vouloir les qualifier.
La Brigo est vénérée sous des formes paisibles tout comme dans des visions plus destructrices ou effrayantes… Car les aspects de la Brigo sont complémentaires : elle englobe toutes les réalités et toutes les abstractions. À la fois puissance et conscience, force et sens qui oriente cette force, elle est une médiatrice, un relais entre le corps et l’âme, entre l’homme et le divin. L’âme ne peut régir le corps qu’avec l’assistance de la Brigo qui l’habite.
54
Dans cette médiation entre l’Homme et ce qui le transcende, on peut distinguer trois manières d’être par lesquelles la Brigo se manifeste selon les plans.
— Universelle : la brigo cosmique, qui anime et qui dirige les forces et les processus du monde phénoménal. Dans son aspect externe, elle se manifeste alors dans la Nature de toute chose. La Brigo primordiale qui se tient au-dessus des mondes et sert de trait d’union entre l’homme et le mystère non manifesté de l’Être supérieur. Au niveau cosmique la Brigo c’est l’énergie, ce qui fait bouger les choses dans la nature.
— Individuelle : dans le gnosticisme, cette essence est rattachée à l’âme/esprit, que possèdent psychiques et pneumatiques.
— Transcendante ou immanente : dans ce monde d’ignorance et de brutes, le monde de la vie et du corps, la Brigo nous soutient et nous conduit à travers l’obscurité vers notre but. Subjectivement, au niveau microcosmique, la Brigo c’est l’énergie en nous, sous son double aspect : activité, mais aussi souffrances.
55
EN RÉSUMÉ.
La réunion de cette tétrade et de cette pimpetia ou groupe de cinq, manifestant par degrés successifs et descendants, l’Être supérieur, constitue la partie la plus élevée de l’Albiobitos, dite Ennéade.
L’équivalent en plus logique plus rationnel et moins simpliste moins manichéen de la hiérarchie céleste judéo-chrétienne théorisée par le pseudo Denys l’aréopagite ou la caballe (archanges anges séraphins principautés, etc.)
Seul cet hypermonde (dans le cas du paganisme celtique) a été organisé par des entités assez indépendantes pour être libres (ce qui n’est pas le cas de notre monde à nous).
Le druidisme représente de façon symbolique chacune des grandes énergies causales et immanentes ou transcendantes à l’œuvre dans notre univers. Toutes ces énergies (conçues dès lors tels des dieu-ou-démons) sont aussi des aspects divers d’une substance universelle.
On appelle ennéade l’association de ces neuf entités divines représentant les forces nécessaires à la formation du monde organisé qui a jailli des flots du chaudron primordial ayant précédé l’existence de ce premier monde.
Pour Zoroastre les éons affectés à cet univers étaient une heptade représentant Ahoura-Mazda, le « Seigneur Sagesse ». Chacun de ses sept éons avait une fonction bien définie dans la mécanique divine. En dessous de cette heptade d’éons se déployait toute une hiérarchie de dieu-ou-démons, voire d’anges, aux missions positives ou négatives bien réparties. Même chose chez les sabéens de Carrhes (Carrhae aujourd’hui Harran). Mais pourquoi une heptade de dieu-ou-démons et pas neuf comme dans le petit catéchisme ci-dessous ? À nos lecteurs de voir.
En résumé, nous avons donc à la naissance de ce premier monde supérieur les hypostases (vyuha dans l’hindouisme) ou les éons, suivants, une grande ennéade formée par…
1 Le Pariollon ou chaudron cosmique (Parinirvana dans le bouddhisme).
2 Le Tokad (les plans du grand architecte ou grand horloger de l’univers, QUI EST MORT en donnant naissance au monde).
3 L’Awenyddio ou réserve animique universelle.
4 La Matrona ou matière (représentée par la Grande déesse-ou-démone mère cosmique). GDMC.
Cette première « tétrade » constitue le préalable à toute vie.
5 Saitlo (le temps et l’espace).
6 La Biuitona (le mouvement la vie).
7 L’Ago ou Neto (la guerre des contraires).
8 L’Adiantu (l’union des contraires ou oxymore).
9 Le Brio ou la Brigo (l’énergie divine ou invisible).
L’ennéade est l’ensemble formé par ces éons qui ont jailli des flots glacés de l’océan primordial précédant l’existence du monde tel que nous le connaissons. Ces neuf « divinités » de l’Albiobitos ne sont pas préexistantes, mais elles ne sont pas créées non plus. L’Être supérieur les anime ou leur donne vie par le verbe ou la parole (labarum * pour faire agir les hommes). Inclus initialement dans ce non-monde, informe et désincarné, ces éons ou « divinités » de l’Albiobitos sont la personnification des éléments du chaudron ou chaos cosmique qui a précédé l’organisation de notre monde. Ces neuf éons ou hypostases (qui se trouvent en haut de notre hiérarchie spirituelle : vyuha dans l’hindouisme) peuvent faire l’objet d’un culte de latrie (c’est-à-dire qu’ils peuvent être adorés) ; les entités divines situées en dessous ne devant être qu’objets d’une certaine hyperdulie (être honorées).
N.B. La dulie n’est qu’une simple vénération comme dans le culte des saints chrétien, de Mahomet (isma) ou des marabouts musulmans.
Saitlo, Biuitona, Ago ou Neto, Adiantu, Brio or Brigo…
56
Les mages des Perses, qui voyaient en ces éons des génies plus ou moins parfaits, leur donnaient des noms relatifs à perfection, et se servaient de ces noms mêmes pour les évoquer. De là vint la magie des Persans, que les juifs l’ayant reçue par influence culturelle, durant leur captivité à Babylone, appelèrent kabbale.
Platon qui considéra, quelques siècles après, ces mêmes êtres, comme des idées, cherchait à pénétrer leur nature, à les soumettre, par la dialectique et la force de la pensée. Synésius, qui réunissait la doctrine de Pythagore à celle de Platon, appelait Dieu tantôt le Nombre des nombres, et tantôt l’Idée des idées. Mais, non contents d’assimiler les êtres de la hiérarchie céleste à des idées, à des nombres ou à des principes de volonté, il y eut des philosophes qui préférèrent les désigner par le nom de Verbes [labarum chez les druides, mais en tant que déclencheur d’action chez les hommes]. Plutarque écrit par exemple quelque part que les verbes, les idées, ainsi que les émanations divines, résident dans le ciel et dans les astres. Philon donne en maint endroit le nom de verbe aux anges ; et Clément d’Alexandrie rapporte que les Valentiniens appelaient souvent ainsi leurs éons.
Mais revenons aux très-sachants d’Occident.
AFIN DE NE PAS PERDRE DE VUE L’ESSENTIEL ET DE NE PAS NOUS ÉGARER.
L’Être supérieur n’a pas de personnalité, et demeure toujours totalement inconnaissable. C’est un abîme insondable.
Il n’est ni père ni fils ni vengeur ni dieu des armées (sabaoth) ni juge…
Sa perfection et sa plénitude ne peuvent néanmoins que se transmettre à d’autres étants, par voie d’émanation. Ces entités, ces hypostases ou ces éons (que les judéo-islamo-chrétiens appellent anges ou djinns et les hindous vyuha) s’étagent en une hiérarchie allant des plus spirituels (les plus proches du dieu-ou-démon supérieur) jusqu’aux plus dilués ; l’esprit universel justement. Voire encore moins.
Ainsi que nous avons pu le voir, arrivé à ce stade de la (pro) création du monde il n’y avait que le chaos, ou grand chaudron de la soupe cosmique universelle (le tohu-bohu dit la Bible).
Les pouvoirs ou attributs de l’Être des êtres qui étaient auparavant cachés dans l’abîme insondable, évoluent hors de lui et deviennent les principes de tout développement ultérieur de l’existence ; ils se déroulent par vagues d’émanations successives jusqu’à ce qu’ils se soient tout à fait éloignés de la pureté divine initiale, et peu ou prou imprégnés de matière.
Expérimentalement nous les appréhendons surtout d’abord par notre connaissance de nous-mêmes : l’Albiobitos (plérôme mais à tort sous la plume de saint Irénée) se décrit donc lui-même à nous-mêmes par nous-mêmes.
Autrement dit, un peu comme dans la mécanique quantique, les éons dépendent des êtres qui les nomment, tels que ces êtres les découvrent et les éprouvent dans et par leur propre mode d’être. C’est pourquoi ces attributs ou épithètes divins constituent les différents niveaux ou degrés de l’être.
Assez curieusement (il est difficile de se décrire objectivement soi-même), ce sont les musulmans qui ont le mieux décrit cette principale caractéristique de notre druidisme ancestral : ils l’appellent Chirk (al mouchrikîn). Autrement dit l’émanation des éons des dieu-ou-démons ou des hypostases divines (vyuha dans l’hindouisme) à partir du UN originel via le passage obligé du Grand Tout ou Pariollon.
* Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être en effet un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était d’ailleurs déjà la grande affaire des anciens druides. Le labarum est donc en quelque sorte un messager du Destin et en tant que tel une cause seconde dans l’esprit des hommes. Pas simple tout ça !
AUTRES ÉONS DE L’ALBIOBITOS.
Par rapport à Lug, Neto, Neith, Neit est un peu ce qu’est, en Grèce, Ouranos à Zeus. Il n’apparaît pas en dehors des listes ou des mentions généalogiques (le mythe irlandais des origines s’est cristallisé autour du nom des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu-bia). Mais son antériorité, qui est celle du chaos-chaudron originel, explique que ce dieu-ou-démon, lumineux par définition, soit aussi guerrier.
Il n’en va pas de même pour les autres éons mentionnés par les bribes de théologie druidique qui nous restent.
57
Les généalogies sans valeur ou très embrouillées (quelque peu analogues à celles de Jésus dans Matthieu et Luc), fournies par Seathrún Céitinn (Geoffrey Keating), le Livre des conquêtes de l’Irlande (Lebor Gabala Erenn) et quelques notations extraites du manuscrit de la bataille de la plaine aux tumulus (Cath Maige Tuireadh) nous disent à propos de ce dieu-ou-démon de la guerre, qu’il était fils d’Andedeiwos, fils d’Ollodeiwos, fils de Tatos. Autrement dit fils d’Indui fils d’Alldui fils de Tat : mac Indui/maic Alldui/maic Thait.
— Indui. Le premier terme, in, est un préfixe intensif signifiant quelque chose comme grand ou supérieur. Dui est un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) deiwos = dieu-ou-démon. En gaélique on aurait eu dia. Voir vieux celtique andedeiwos.
— Alldui. Le premier terme, all, oll, exprime la notion de totalité. Alldui est donc la divinité dans sa totalité. Dui est aussi un terme issu du brittonique (ivernien selon O’Rahilly) deiwos = dieu-ou-démon.
— Tat. Tat (en gaélique on aurait eu atir. Il s’agit d’un terme brittonique, ivernien selon O’Rahilly) qui signifie « papa ». Voir vieux celtique tatos. Tat est donc une déité primordiale analogue au Pro-père des gnostiques orientaux. Elle doit par conséquent être un synonyme d’éon primordial.
L’homme et le monde ne surgissent pas de façon absurde et sans explication du néant, ex nihilo disent les chrétiens (afin d’y retourner un jour ?), car ils sont porteurs de sens. Les généalogies divines, assez embrouillées il est vrai, ainsi que nous avons pu le voir, du Livre des Conquêtes irlandais, sont la déformation d’une explication détaillée, par les très-sachants de la druidiaction (druidecht), primordiaux ; du processus cosmique ayant abouti à l’apparition de la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Prenons le cas de la suite généalogique irlandaise Ogma fils d’Elatha fils de Delbaeth fils de Neth.
Les Elatha et Delbaeth de nos manuscrits font problème. Delbaeth (vieux celtique Deluato) est un qualificatif souvent associé à Taran/Toran/Tuireann. Mais il s’agit, soit de personnages différents portant le même nom, soit de traditions différentes concernant les mêmes personnages.
Quant à Neth, ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, il s’agit d’une entité considérée comme un simple dieu-ou-démon de la guerre ; ancêtre des enfants de la Déesse-ou-démone, ou fée, Dana ou Danu (bia) et des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomore dans l’hérésie (déviation par rapport au druidisme de référence) irlandaise.
Ce fragment de généalogie signifie peut-être simplement à l’origine : Guerre et Magie (Ogmios) sont issues du pouvoir scientifique et technique (Elatio), né de la forme indifférenciée (Deluato), elle-même issue de l’explosion des contraires. Ou, en sens inverse : Neth (dont le nom signifie confrontation des contraires) donne naissance à Deluato (la forme indifférenciée) ; qui donne naissance à Elatio le savoir-faire (très exactement l’art, la capacité, le savoir ou la technique) ; qui donne naissance ensuite à Ogmios le dieu-ou-démon de la guerre et de la magie, et ainsi de suite.
Cette explication en vaut une autre ! (Le plus troublant dans l’affaire, c’est que delbaeth ou deluato est une épithète souvent associée à Taran/Toran/Tuireann).
Ce raisonnement de type généalogique (anthropomorphique certes, mais de façon nettement moins poussée que dans le christianisme) était en effet courant chez les très-sachants appelés druides.
Rien ne le prouve mieux que cette réponse du jeune Nede à son aîné Ferchertne, dans le dialogue des deux sages.
Poésie fille de réflexion
Réflexion fille de méditation
Méditation fille de Connaissance
Connaissance fille d’enquête
Enquête fille d’Étude
Étude fille de Grande Science
Grande Science fille de Grande Intelligence
Grande Intelligence fille de Compréhension
Compréhension fille de Sagesse
Sagesse fille des dieux de Dana.
Il serait aussi enfantin [ce qu’ont pourtant fait les Irlandais devenus chrétiens. N.D.L.R.] de prendre tout cela au pied de la lettre, que de méconnaître la pensée profonde qui s’exprime sous ces fantaisies.
58
Tout homme un tant soit peu cultivé (comme le célèbre philosophe rencontré par Lucien de Samosate dans les environs de Massilia par exemple) sait ce qui est arrivé à Ouranos et à Kronos (émasculation et ensuite exil).
Ce qu’il faut penser des dieu-ou-démons irlandais comme Ceno/Cian (le lointain. Voir la relégation de Kronos par Zeus) Neth, Delbaeth, et ainsi de suite, EST ENCORE PLUS RADICAL.
Ces dieu-ou-démons ne sont pas de vrais dieu-ou-démons, ce ne sont que des instants ou des étapes du processus de procréation du monde actuel.
Contrairement à ce qu’ont fini par écrire les Irlandais devenus chrétiens, les vrais dieu-ou-démons, au sens strict du terme, commencent aux niveaux en dessous.
De toute façon, les généalogies de ces dieu-ou-démons, complexes et souvent contradictoires, sont uniquement un moyen de les expliquer, de telle sorte que le fait de leur naissance soit concevable par l’intelligence humaine. Nous renvoyons, pour comparaison, à l’explication que l’on propose souvent des Aditya védiques. Avec, en outre, le rappel de la situation paradoxale de la Vierge Marie, mère de celui qui l’a faite, dans le christianisme.
Après la christianisation, ces images ou ces comparaisons, mises au point pour rendre compte de façon très philosophique, du processus de développement cosmique ayant donné naissance au monde actuel, ont été victimes de deux phénomènes très différents, mais tous les deux redoutables.
1) Elles ont été prises au pied de la lettre, et l’anthropomorphisme grossier inhérent à la sous-culture chrétienne a évhémérisé tous azimuts ces allégories cosmogoniques de haut niveau (les Irlandais du Moyen-âge en ont fait des dieu-ou-démons ou des hommes).
2) Elles ont perdu leur cohérence originelle à force d’être copiées et recopiées, et ont été situées à des niveaux ontologiques erronés.
Il est donc vain de vouloir les reconstituer dans le détail ! Ce qui nous en reste dans les manuscrits est beaucoup trop incohérent ! Ce qui précède (la séquence généalogique : Ogmios fils d’Elatio fils de Deluato = Taranis, fils de Neto) n’est par exemple qu’une hypothèse de travail, et en aucune façon une certitude.
Tout ce que l’on peut faire donc, c’est au moins essayer d’en retrouver l’esprit, afin de le restituer aux hommes d’aujourd’hui.
1. L’univers tout entier oscille entre deux pôles opposés. Les êtres et les phénomènes qui se reproduisent dans l’univers sont des agrégats multiples et complexes de ces manifestations contraires.
2. Les êtres et les phénomènes sont des équilibres dynamiques divers ; rien n’est stable ni fini dans l’univers, tout est en mouvement incessant, parce que la polarisation, la source des êtres, est sans commencement ni fin.
3. Les pôles opposés s’attirent l’un l’autre.
4. Rien n’est totalement d’un pôle, tout est agrégat des deux en proportion variable.
5. Rien n’est neutre. La polarisation est incessante et universelle.
6. La force d’attraction entre deux êtres est fonction de la différence entre leurs charges d’actions opposées (oxymore, amour pour les chrétiens).
7. La répulsion entre deux êtres de même charge est d’autant plus grande qu’ils sont plus proches (Neto).
8. Les contraires engendrent leurs contraires. La vie vient de la mort, le jour vient de la nuit.
« Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit » (César. B.G. Livre VI, XVIII).
À noter enfin ! Les gnostiques d’Orient ne connaissaient à ce niveau que les couples, ou syzygies dans la gnose d’origine iranienne (chaque dieu-ou-démon a sa parèdre) ; et ces couples de dieu-ou-démons et de déesse-ou-démones, ou fées, primordiales, constituent, l’Albio-bitos (plérôme à tort chez saint Irénée).
59
LA DYADE ÉLÉMENTAIRE EAU/FEU.
Strabon, Géographie IV, 4 : « Ils affirment, et d’autres avec eux, que les âmes, et que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau régneront ».
Pour les gnostiques d’Occident appelés druides, il existe un « Être-Un », supérieur, totalement immanent-transcendant, ineffable, au-delà du langage. L’être, ou l’existence, est un attribut, et le Un se trouve au-delà de ces attributs, puisqu’il est à leur source. Le Un n’est pas « n’importe quel existant » ni la somme de ceux-ci, mais précède tous les existants.
Du Un a émané le reste de l’univers en tant que séquence d’êtres inférieurs. Si certaines Écoles druidiques ont pu voir à partir de là des centaines d’êtres intermédiaires comme émanations situées entre le Un et l’Humanité, la doctrine d’autres Écoles, elle, est beaucoup plus simple au départ.
Tout ce que l’on appelle improprement la Création, le Macrocosme comme le Microcosme, « le Grand Univers » et « le Petit Univers », résulte de l’action des Éléments appelés éons. Tout Élément ou Éon recèle deux polarités, l’une de nature active et l’autre de nature passive. La polarité positive est toujours constructive, créatrice et productive ; la polarité négative est, au contraire, déstructurante et destructrice. Il faut donc perpétuellement tenir compte de ces deux propriétés fondamentales. Certaines religions apparemment ont d’ailleurs attribué à la polarité positive le bien ou l’âme et à la polarité négative le mal ou la matière. En vérité, le bien et le mal, comme les humains les conçoivent, n’existent pas. Dans l’Univers, il n’y a pas de bonnes ni de mauvaises choses, car tout a été procréé selon des Lois immuables, celles de la Tocade ou Destin. L’Univers est semblable au rouage d’une horloge dont les parties sont interdépendantes. En celles-ci se reflète la parole ou voix Divine (Labaron = signe du destin) et c’est seulement donc en les connaissant que nous pouvons nous approcher de Dieu ou du Démiurge. Mais même la notion de « Divinité », cette dernière étant conçue comme étant un Être sublime, implique une vision fragmentée de ce qu’elle est en réalité.
Tout comme le bouddhisme et le brahmanisme, certains très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, affirmaient en effet l’éternité ou l’indestructibilité des matières élémentaires, le feu et l’eau (symboles sans doute de l’âme et de la matière) ; sans intervention de la volonté et de la puissance d’un dieu-ou-démon créateur personnel en même temps amour justice et ainsi de suite… Parmi tous les couples d’opposés possibles, la syzygie feu et eau semble avoir particulièrement retenu l’attention des gnostiques d’Occident. Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) paraissent en effet avoir distingué cette dyade (Feu/Eau) des autres éons ou hypostases (vyuha dans l’hindouisme) évoqués ci-dessus.
Sans doute parce que, pour eux, ces deux hypostases de l’Être des êtres faisaient déjà partie du monde d’en dessous, le Médiomagos ou monde des hommes. La citation de Strabon à ce sujet de toute façon est ambiguë. « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4. Idée taghout par excellence pour nos frères musulmans évidemment !)
Pour certains druides donc, le monde intelligible ou perceptible n’était formé que des deux hypostases ou substances suivantes.
Le Feu (Aedos). Chez les Celtes en effet, les druides croyaient que tout feu particulier (c’est-à-dire ayant une forme unique conditionnée par son support) n’était que la manifestation d’un feu primordial. Celui dont parle la fameuse remarque de Strabon : « Les âmes et l’univers sont indestructibles, mais un jour seuls le feu et l’eau régneront » (Géographie IV, 4). Quand un feu donné s’éteint, par exemple celui des trinouxtion Samoni (os), il n’est donc pas détruit, mais retourne à un état non manifesté. Le feu ne se manifeste pas seulement sur notre plan matériel, mais dans tout ce qui fut suscité. Les propriétés fondamentales du Feu sont la Chaleur et l’Expansion. Le Feu est à l’évidence l’origine de la Lumière. C’est pourquoi, au commencement du monde, le Feu et la Lumière furent parmi les premiers à venir à l’existence. Le Feu est actif et latent dans tout ce qui a été (pro) créé.
Du Feu, à l’instar de l’eau, réside dans tout l’Univers, aussi bien le plus petit grain de sable que l’immensité visible, mais infiniment lointaine ; et l’un ne pourrait subsister sans l’autre, son contraire. Ces deux Éléments, le Feu et l’Eau, sont les Énergies fondamentales créatrices de toute chose. Par
60
conséquent, dans tous les cas qui se présentent à nous, nous devons toujours considérer ces deux Éléments et leur manifestation respective, ainsi que leurs polarités internes et opposées.
L’eau. L’élément primordial associé à la matière est en général l’eau. Voilà pourquoi on a jadis prétendu que la terre ferme flottait sur de l’eau. La conception des gnostiques d’Occident appelés druides : une terre flottant, comme un disque, sur l’eau ; et un univers sphérique (cruinne *) rempli de matière originelle, c’est-à-dire envisagée comme une masse liquide, s’accorde avec la notion d’eau primordiale, divisée en deux masses séparées : des eaux supérieures d’où viennent les pluies, et des eaux inférieures sur lesquelles flotte la terre ferme, ainsi qu’une île gigantesque. Ou plus exactement comme un gigantesque bouclier, en Irlande.
Les très-sachants de l’ancien druidisme ont été amenés à partager cette idée, parce qu’ils avaient observé que l’humide est l’aliment de tous les êtres vivants, et que la chaleur elle-même vient de l’humide, ou en vit (l’activité microbiologique dégage de la chaleur lorsqu’elle se produit dans un endroit isolé, comme dans un amas de compost). Or, ce dont viennent les choses est leur principe. C’est donc de là que les gnostiques d’Occident tirèrent cette doctrine, et aussi du fait que les germes des plantes ou des végétaux sont par nature humides. Telle était d’ailleurs aussi l’idée des Égyptiens (Noun) et des Babyloniens.
N.B. La raison de cette préférence pour l’eau provient par conséquent de l’importance de celle-ci dans la croissance et la nutrition des choses vivantes.
*Cruinne. Cruind. Crudnios. Le terme évoque la notion de rondeur ou de sphère, mais il est difficile de dire s’il faut le traduire vraiment par « globe terrestre ». Le sens de « globe » prêté à ce mot (pluriel cruinnean) dans l’expression « tous les musiciens du cruinne » n’est peut-être qu’une interprétation du Xe siècle ; date du manuscrit portant ce mot.
Il ne faut pas demander une parfaite logique à la cosmogonie celtique, ni sans doute à aucune cosmogonie.
Une cosmogonie beaucoup plus vraisemblable nous est en effet fournie par ce que les bardes médiévaux irlandais racontaient à propos des trois vagues d’Ochain et des boucliers. Pour répondre à la question que se posait à ce sujet le père Edmond Hogan en 1892, indiquons qu’à notre avis ceci est une lointaine réminiscence de l’antique conception druidique selon laquelle la terre était analogue à un bouclier bombé flottant sur un océan primordial : les trois ou neuf vagues (d’où l’image du serpent géant cornu à tête de bélier enserrant la terre de ses anneaux). Ce qui affecte les vagues (le serpent à tête de bélier) affecte la terre (le bouclier bombé). Ensuite par glissement de sens « affecte tous les boucliers ulates ». Image sans doute utilisée pour suggérer un cataclysme extraordinaire.
On objectera peut-être aussi que ce qui est certain, c’est que pour Dicuil en tout cas la terre était ronde ainsi que l’atteste le titre même du livre de Dicuil consacré à ce sujet vers 825 : De mensura orbis terrae.
Peut-être ! Mais ne serait-ce pas un peu trop beau pour être vrai ? Il est vrai que la découverte de la machine d’Anticythère en 1900 montre bien que certains milieux païens de l’Antiquité étaient arrivés à un degré de connaissance stupéfiant avant que ne s’abattent sur l’Occident les ténèbres du christianisme médiéval.
LES TRIADES.
Sans ignorer la chose, les gnostiques d’Occident, ou druides, eux, qui étaient de meilleurs astronomes, connaissaient aussi la syzygie à trois ou triade. Car en astronomie, une syzygie (du grec suzugia, réunion, puis bas latin syzygia) est une situation où trois corps sont alignés. Ce terme est généralement utilisé pour le Soleil, la Terre et la Lune ou une planète. Par exemple, les éclipses de lune ou de soleil sont des syzygies ; mais on parle aussi de syzygie pour désigner les nouvelles et pleines lunes, lorsque le Soleil et la Lune sont en conjonction et en opposition, bien qu’ils ne soient pas parfaitement alignés avec la Terre.
Ainsi que nous pouvons le voir, l’observation de la nature a joué un grand rôle dans l’élaboration des premiers concepts théologiques druidiques. Une autre des caractéristiques de la pensée druidique est en effet sa tendance, non à dédoubler, mais à carrément détripler les choses. Sur le Continent, cette façon de voir est illustrée par le nombre impressionnant de corps à trois têtes que l’on a retrouvés ici et là. Les personnages de ces triades ne sont pas fixés pour ce qui est des détails, et la composition varie constamment ; le dieu-ou-démon tricéphale lui-même qui apparaît sous un certain aspect sur un monument, est figuré d’une façon différente dans une autre localité.
Les monuments à trois visages présentent tantôt trois faces complètes autour d’un même bloc, tantôt une face centrale à laquelle sont juxtaposées deux moitiés de faces, chacun des deux yeux centraux
61
faisant paire avec un autre œil situé sur le côté. Ce qui est le cas du monument retrouvé à Reims par exemple.
Les monuments à trois têtes se subdivisent en deux séries. La première figure une divinité à trois visages partant d’un même cou et la seconde une divinité dont la tête centrale est figurée avec deux plus petites têtes collées à la hauteur des oreilles, à niveau égal ou différent.
Il ne semble pas qu’il y ait de différence entre les représentations dans leur conception mythique, tout au plus une approche différente dans l’exécution du monument.
Il est impossible de dire si la figure tricéphale représente une même divinité ou si plusieurs dieu-ou-démons différents se cachent sous une même représentation, car la figure est tantôt imberbe, tantôt barbue.
Ces éléments que nous venons de survoler permettent de croire ; que ce soit au travers des représentations figurées ou au travers des textes irlandais ; à l’existence, chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht), d’une conception suivant laquelle un même être divin pouvait unir en sa propre personne trois entités différentes. Cas par exemple des trois fils de Tuireann (Brian, Iuchar et Iucharba) dits aussi les trois dieu-ou-démons de Dana.
Pour la petite histoire, rappelons que le dieu-ou-démon tricéphale se retrouve aussi dans l’Inde védique, ainsi que dans l’art chrétien. La collégiale Notre-Dame-en-Vaux, à Châlons-sur-Marne, possède une des plus belles figures tricéphales, sur le mur intérieur de la chapelle nord, près du chœur. Pour la voir, il faut, après avoir longé le déambulatoire, prendre un petit passage privé de lumière et, avant de déboucher sur la chapelle, lever la tête vers la droite. Le visage triple est là, quatre yeux, trois nez, trois bouches. La cathédrale de Bayeux, en Normandie, possède, elle aussi, une très belle représentation tricéphale visible par tous, pour peu qu’on lève les yeux vers le triforium.
Le dieu-ou-démon tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. Mais que dire lorsque l’on voit sur les monuments figurés le tricéphale encadré de deux autres dieu-ou-démons ? On ne peut plus parler ici de triade, car la triplicité n’est plus respectée. Bref, c’est du chirk, du chirk tous azimuts…
Ce que nous venons d’exposer de la philosophie des druides y laisse encore beaucoup d’obscurité. Comment apprécier la juste valeur de leurs métaphores ? Comment interpréter leurs symboles ? Comment suivre le fil de leurs abstractions ? Comment exalter notre imagination au point d’atteindre à la leur ?
Contentons-nous donc du peu que nous en savons, et jugeons sainement de ce que nous avons, pour ne pas regretter ce qui nous manque.
62
ANGÉLOLOGIE ET DÉMONOLOGIE.
LES ÊTRES INTERMÉDIAIRES DANS LES RELIGIONS DE MASSE (christianisme islam caballe de la merkabah).
Le monde physique, dans lequel nous vivons, l’univers que nous pouvons observer objectivement autour de nous, n’est qu’une faible partie d’un système de mondes, si vaste que l’esprit humain ne saurait le concevoir avons-nous déjà dit : le Bitos.
Nous connaissons bien les caractéristiques et les lois qui prédominent sur les êtres matériels ; en revanche nous ignorons la réalité des créatures spirituelles, étant donné qu’elles se trouvent au-delà de notre approche empirique.
On trouve donc dans toutes les religions des croyances extrêmement diverses concernant l’existence d’êtres invisibles autres que Dieu ou le Démiurge. Les fidèles de ces religions acceptent le plus souvent, comme une évidence, l’existence de ces esprits. On sait donc que ces êtres existent, qu’il y en a de différents types, et qu’il faut s’en faire des amis, ou éviter de provoquer leur colère. Les druides d’aujourd’hui disent d’ailleurs plutôt « il faut réussir à maîtrise ces forces négatives qui sont en nous-mêmes, ou extérieures à nous ».
Il arrive aussi que l’on réfléchisse davantage sur ces entités que l’on appelle des esprits, des anges, des démons, voire des djinns. C’est alors qu’on les classe en catégories de statut variable, de fonction différente, de subtilité diverse.
Zoroastre a procédé en son temps à une réforme majeure du polythéisme indo-européen qui florissait en Iran vers le VIIe siècle avant notre ère. À l’issue de cette réforme, un Seigneur sage (Ahoura Mazda) fut promu au rang de divinité supérieure, avec à ses côtés les six entités abstraites ou éons que sont la Bonne Pensée, la Vérité, la Puissance, la Dévotion, la Perfection, et l’Immortalité. Derrière ces abstractions ou éons se cachent de grandes divinités d’avant qui ont, bon gré mal gré, résisté aux transformations que leur imposa sa nouvelle religion. On appelle « archanges » parfois cette série d’entités qui est ainsi apparue dans son sillage, bien qu’il ne s’agisse nullement de messagers du Dieu ou Démiurge supérieur. Ce groupe de divinités a plutôt été appelé ainsi par analogie avec les anges qui se développeront plus tard au Moyen-Orient.
Dans l’Inde ancienne existaient des familles d’entités non humaines, les unes propices, les autres de mauvais augure. Entre les humains regroupés en professions et de grands dieu-ou-démons comme Shiva ou Vishnou, l’hindouisme a multiplié les troupes d’êtres intermédiaires, souvent dirigées par un chef. Les Âditya, les Vasu, les Rudra (des divinités), les Brahmarshi (des sages), les Prajâpati (pères ou géniteurs), les Gandharva (des musiciens célestes), les Apsara (des nymphes ou naïades), les Yaksha et les Yakshî (des génies), les Vidyadhara (des connaisseurs d’incantations) ; voire encore d’autres forces plus ambiguës comme les Asura, les Dânava, les Daitya, les Pishâca, les Râkshasa, les Nâga (des serpents), les Bhûta (des éléments)… Ils existent d’ailleurs davantage dans les récits mythiques que dans les cérémonies du culte. On raconte qu’ils s’affrontent dans des combats épiques et qu’ils ont fini par se soumettre à un Dieu-ou-démon souverain. Les hindous vénèrent dans leurs villages de nombreuses divinités de tout rang ; certaines de ces divinités mineures sont des âme/esprits errantes ou d’anciens héros voire, des héroïnes, qui ont mérité qu’on leur rende un culte. Mais la seule énumération de toutes ces catégories d’êtres surnaturels atteste que les dieu-ou-démons, et les déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, dont on connaît les noms, ne représentent qu’une infime partie d’un monde infiniment plus complexe.
Il y a longtemps, note Mohân Wijayaratna, que les bouddhistes cinghalais ont pris l’habitude de vivre entourés de dieu-ou-démons, tout en demeurant bouddhistes. Ces dieu-ou-démons, ils les honorent lorsqu’ils ont besoin de secours pour résoudre des problèmes de la vie de tous les jours. Par contre, pour se libérer du monde des renaissances, seul l’enseignement du Bouddha est efficace. Le bouddhisme du Sri Lanka conserve à toutes fins utiles les divinités qui étaient actives dans la ou les religions dont il a triomphé. On dit que ces divinités ont rompu avec l’hindouisme ambiant : elles auraient jadis accepté de suivre le Bouddha, ou encore exerceraient leurs pouvoirs conformément à la permission que celui-ci leur a octroyée de son vivant. Il existe un raisonnement analogue pour les
63
djinns dans l’islam. Ce mécanisme de « permission », commente encore Wijayaratna, place tous les dieu-ou-démons, les demi-dieu-ou-démons, ainsi que les âme/esprits maléfiques, sous l’autorité du Bouddha. Ces différents stratagèmes permettent à toutes sortes d’entités de continuer à exister à l’intérieur du bouddhisme, et de recevoir un culte de la part des populations. On est dans un monde qui tolère l’existence de tous les êtres, mais refuse de niveler leurs pouvoirs qui restent dûment hiérarchisés.
Les anges apparaissent comme un cas particulier d’êtres intermédiaires, typique des monolâtries de masse (judaïsme, christianisme et islam). Les anges sont, dans les traditions juives ; des êtres qui tiennent le milieu entre Dieu et les humains ; ils portent les prières de ceux-ci à Dieu. On les désigne habituellement par le nom de malak (envoyé) ; dans Daniel on parle du prince (des anges) de Perse, et du prince (des anges) de Grèce. NB. Du racisme anti-perse et anti-grec ? Des teutates ou egrégores ?
Quelques autres noms d’anges célèbres : Gabriel, Raphaël, Uriel, Michel, Metatron…
Toute personne qui accomplit une « mitsva », prie ou dirige son esprit vers le divin crée par là même un « malakh » qui constitue comme une part de l’homme qui s’étendrait jusqu’aux mondes supérieurs.
La véritable différence entre un homme et un « malakh » ne réside pas dans le fait que l’homme a un corps. Ce qui distingue l’âme humaine du « malakh », c’est que l’âme comprend un monde vaste et complexe d’éléments existentiels de toutes sortes.
Le « malakh », quant à lui, ne possède qu’une essence unique : c’est, en un certain sens, un être unidimensionnel. Du point de vue de son essence, le « malakh » est éternellement le même : il est statique. C’est un être invariable, prisonnier des limites qui lui ont été fixées lors de sa « création ». Seule varie la durée de son existence.
Il y a plusieurs sortes de « malakhim » dans les divers mondes. Par exemple, ceux qui existent depuis l’origine du temps : ils sont une part inaltérable de l’Être éternel et de l’ordre de l’univers.
Ces « malakhim », en un certain sens, constituent les canaux d’abondance par lesquels la grâce divine s’élève et descend dans les mondes.
Le cas le plus connu en Irlande est celui des anges de sexe féminin (banshees) qui apparaissent notamment à certains visionnaires comme Cuchulainn ou le fils aîné de Conn aux cent batailles (Echtra Conle).
Le « malakh », en d’autres termes cette force qui nous est envoyée depuis le monde supérieur, apparaît donc et, jusqu’à un certain degré, agit dans le monde matériel, tout en étant soumis à ses lois. Entièrement. Les « malakhim » (anges) peuvent se révéler aux êtres humains par le canal d’une vision spéciale. Lorsqu’un être humain expérimente d’une certaine façon la réalité d’un « malakh », sa perception, limitée par ses sens, reste néanmoins soumise à des structures matérielles, et la description que ce visionnaire en fera tendra nécessairement à l’anthropomorphisme.
Néanmoins, il arrive qu’un « malakh », pour se révéler, emprunte une forme tout à fait ordinaire ; il apparaît alors comme un phénomène parfaitement naturel.
Par exemple un vol d’oiseau ou un coup de tonnerre dans le ciel bleu chez les Celtes, qui sont pour ces peuples autant de signes du Destin.
Dans la Bible en Genèse 18, 1-15, Abraham aperçoit des « malakhim » ayant l’apparence d’humains, mais il pressent néanmoins que ce ne sont pas vraiment des hommes qu’il voit, et qu’il est plutôt témoin d’un phénomène surnaturel. Il reconnaît que ces êtres qu’il a reçus n’étaient ni des hommes, ni des prophètes, mais des êtres d’une autre dimension.
En Genèse 19, 1 par contre, ils ne sont plus que deux et arrivent à Sodome au coucher du soleil.
Dans la Bible, ils sont désignés sous trois noms différents. Lorsqu’Adam et Ève eurent péché, ce fut un chérubin qui les chassa du Paradis terrestre. Esaïe, dans son sixième chapitre, appelle les anges séraphins. Il existe également une catégorie d’anges appelés « les trônes ». En poussant cette réflexion à ses limites, cela donnera, dans le christianisme, la réflexion du Pseudo-Denys l’aréopagite sur les neuf chœurs d’anges (VIe siècle) ou le traité de Thomas d’Aquin (XIIIe siècle).
Mais même dans le christianisme catholique, cette croyance n’est pas monolithique, et les interprétations qu’on en a données ont beaucoup varié. La popularité des anges a crû pendant les derniers siècles, avant de disparaître presque totalement après le deuxième concile du Vatican. Leur retour actuel est un phénomène qu’il faut situer dans le contexte d’une crise spirituelle en Occident. Les peuples d’Occident n’ont plus de spiritualité vraiment vivante à opposer aux nouveaux Barbares ; et leur civilisation, la civilisation de la bagnole, du protège-slip, du ballon, ou de Michael Jackson, aux égos surdimensionnés ne tiendra pas le choc quand sera venue l’heure de vérité, celle de la grande Confrontation (des civilisations ou des cultures).
64
Il suffit de voir l’incroyable bêtise, à couper au couteau, des réactions de pur égoïsme soigneusement entretenues par les journalistes et les hommes politiques à la mode dès qu’on veut mieux répartir les richesses produites par la société ou la nation. Rappelons à cet égard que personne peut travailler plus de vingt-quatre heures dans une journée, que ceux qui travaillent le plus ce sont les enfants martyrs ou esclaves surexploités, et que pour ce qui est de responsabilités, quand il s’agit de les assumer et ben il n’y a en général plus personne. Et ne parlons pas des risques ceux qui en prennent vraiment ce sont ceux qui y laissent leur peau, pas leur portefeuille, et ils ne sont plus là pour en parler.
La France, ce peuple qui a été jadis une grande nation (j’y vis depuis assez longtemps pour en parler), serait bien incapable de réitérer le glorieux sacrifice qu’elle et ses enfants d’alors ont consenti en 1914/1918, puisqu’il n’existe plus de nation française au sens spirituel du terme. Elle s’est suicidée dans la deuxième moitié du XXe siècle d’après Éric Zemmour.
Le cas du christianisme gnostique est un peu plus complexe. Éon était le nom donné par quelques Écoles gnostiques, principalement celle de Valentin, à diverses puissances émanant de Dieu, et servant à expliquer l’apparition du monde visible. Les éons formaient ainsi une chaîne d’êtres intermédiaires entre Dieu et l’Homme. Et plus exactement entre le Dieu supérieur et le petit dieu Yahvé des juifs (dont les gnostiques faisaient une divinité secondaire), entre le Père et le Fils, et entre ce dernier enfin et les hommes. Au total, ces êtres, purement spirituels, n’étaient pas autre chose que des abstractions personnifiées : la Sagesse, la Foi, la Prudence… Leur nombre variait selon les Églises. Basilide en comptait 365, autant que de jours ; Valentin n’en admettait que 30. La Caballe 10 (10 séphiroth). Cela dit ; et en dépit des affirmations à l’emporte-pièce que l’on peut lire maintenant ; on peut affirmer sans hésitation qu’au sein de ces populations d’êtres spirituels, il n’existait pas à proprement parler d’anges ou d’envoyés de Dieu ; au sens où l’on utilise ce terme dans le judaïsme, le christianisme ou l’islam. Les éons en diffèrent.
On trouve un peu le même processus dans l’islam qui, outre les anges, conçus sur le même modèle que le christianisme (Azrael, Israfel, Gabriel), admet aussi l’existence des djinns. Les djinns (terme parfois orthographié jinns) sont des créatures du folklore sémite. Ils sont en général invisibles, et peuvent prendre différentes formes (végétale, animale, ou anthropomorphe) ; ils ont un pouvoir d’influence spirituelle ou mentale sur le genre humain (contrôle psychique : possession), mais ne l’utilisent pas nécessairement.
D’après l’islam, ils ont le pouvoir de posséder ceux qui sont en état d’impureté (c’est-à-dire ceux qui n’ont pas fait leur ablution rituelle) ou qui consomment des aliments interdits (drogue, alcool, sang, viande illicite).
Pour les Arabes, les djinns représentent une autre race habitant la terre, ce sont des esprits qui hantent les endroits déserts, les points d’eau, les cimetières et les forêts. Pour se manifester, ils prennent diverses formes, dont celles de l’homme ou des animaux, souvent des serpents. Le mot djinn ou ifrit (pluriel : apharit) désigne d’ailleurs à la fois ces esprits ainsi que certaines variétés de serpents. Leurs noms, paroles ou comportements, qui demeurent étranges, permettent de les distinguer des humains, quand ils en prennent la forme. Comme les hommes, ils sont organisés en royaumes, États, tribus, peuples : ils ont des lois et des religions.
Pour l’islam, les djinns sont des créatures dotées de pouvoirs surnaturels. Ils ont été créés de la lumière « d’une flamme subtile, d’un feu sans fumée » (comme l’être humain l’a été à partir d’argile), mais ils sont appelés à croire, eux aussi, et affronteront le jugement dernier, comme les humains.
Pour les musulmans, le Diable n’a jamais été un ange, mais un djinn, et ce, depuis toujours ; les djinns (comme les hommes) peuvent désobéir à Dieu ou au Démiurge et commettre des péchés.
Il est à noter que nulle part dans les textes sacrés musulmans (Coran et Hadiths), il n’est mentionné que les anges n’ont pas leur libre arbitre. Bien au contraire, les dialogues entre Dieu et les anges, rapportés par ces sources, témoignent bien d’un certain libre arbitre desdits anges.
C’est cette faculté d’avoir le choix qui a permis à Satan (mais aussi à Adam comme à Ève) de désobéir à Dieu ou au Démiurge d’après le Coran, et d’être puni pour cela.
Ils sont souvent décrits comme étant des créatures croyantes ou athées (comme l’Homme). Chapitre 51 (Ad-Dariyat) 56 : « Je n’ai créé les djinns et les humains que pour leur ordonner de m’adorer ».
65
Voilà qui a au moins le mérite d’être moins hypocrite que le christianisme qui veut nous faire accroire que Dieu n’a créé les hommes que par amour.
Comme l’homme donc, ils se reproduisent et vivent partout sur terre (même dans le désert ou les mers) ou au milieu des hommes. Mais contrairement à l’homme qui a été créé avec une fâcheuse tendance à oublier ; le djinn, lui, se rappelle tout ce qu’il a pu vivre, voir, ou entendre, et ce, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. De plus, sa force est couramment considérée comme surhumaine.
Les musulmans croient que personne ne peut prédire l’avenir hormis Dieu ou le Démiurge, mais ils pensent qu’une personne pactisant avec un djinn pourrait néanmoins savoir une foule de choses…
N.B. Nous reviendrons ultérieurement sur la question de ces autres être intermédiaires du monde arabe des débuts de l’islam que furent les trois fées ou déesses filles de Dieu : Al-Lat, Al-Uzza et Manat.
On l’aura compris, ce monde des êtres intermédiaires est extrêmement complexe et bigarré. Tantôt il aboutit à une hiérarchie de puissances qui ont accepté de se soumettre à un Dieu ou Démiurge plus fort, ou de reconnaître l’expérience supérieure d’un grand sage. Tantôt il forme une suite d’entités abstraites aux pouvoirs décroissants, mais dotés de fonctions précises. Certaines philosophies considèrent ces êtres intermédiaires comme une série d’entités réelles qui deviennent de plus en plus subtiles à mesure qu’elles se rapprochent de l’Être supérieur. D’autres n’arrivent à penser ces entités que comme des projections de l’esprit, des illusions du mental, ou des symboles religieux. Si certaines traditions présentent ces êtres intermédiaires sans ordre rigoureux, d’autres insistent pour dire qu’ils forment une hiérarchie parfaitement ordonnée. Ces différentes entités semblent souvent avoir toujours appartenu à la même tradition religieuse. Le paisible recensement des forces invisibles ne fait alors que traduire des querelles de préséance entre dieu-ou-démons rivaux. Mais la théologie des êtres intermédiaires peut être aussi une redoutable machine à soumettre ou à réduire les puissances surnaturelles concurrentes.
L’analyse historique des discours théologiques portant sur ce que l’étude scientifique des religions a fini par appeler les êtres intermédiaires, dévoile en fait, quand elle est possible, la difficile coexistence d’un grand Dieu ou Démiurge avec des forces invisibles plus diffuses. Elle met en évidence les rapports de pouvoir d’un Dieu ou Démiurge tout puissant avec des voisins plus faibles. Les mondes supérieurs sont des lieux capables d’abriter les forces étrangères qu’une tradition triomphante a soumises à son Dieu ou Démiurge. Sous couvert des plus hautes spéculations, ces théologies désamorcent en fait le pouvoir d’autres dieu-ou-démons comme Ashéra, Baal, Apollyon/Abaddon, Kemosh, les Élohim, les réduisent en instances intermédiaires, et reconstruisent ainsi un nouvel ordre cosmique qui… Le texte s’arrête ici.
66
DE LA LUMIÈRE DE L’ALBIOBITOS (plérôme sous la plume de saint Irénée) AUX TÉNÈBRES DU NON-MONDE (andumnon).
ILLUSTRATION. Un cône sommet en haut (le point ogham ou eabadh), vertical, ou très oblique, avec au milieu une ligne ondulée, le médiomagos. Partie au-dessus de la ligne ondulée blanche, partie en dessous grise de plus en plus foncée.
RAPPEL.
Dans un espace dont on ne peut dire s’il est fini ou infini, procède l’être, le monde manifesté, sur lequel rayonne la Première émanation, ensuite les diverses hypostases se propagent de proche en proche au travers de la multiplication desdites émanations ; et plus elles descendent, plus elles s’affaiblissent, d’où divers mondes emboîtés ou étagés. La même idée a été d’ailleurs reprise par le grand penseur musulman il est vrai quelque peu hérétique, Sohraouardi. Sohraouardi interprète le dualisme mazdéen en termes d’être et de non-être, de positivité ou de négativité. Il connaît parfaitement la cosmologie mazdéenne, répartissant le monde de l’être en menok, ou état subtil, et getik, ou état matériel, manifesté. Il connaît nommément les éons zoroastriens, et c’est en termes d’angélologie zoroastrienne qu’il donne son interprétation des Idées platoniciennes. Pour Sohraouardi donc, il y avait dix hypostases, une de plus que dans la grande ennéade druidique. La dixième, la plus basse de la hiérarchie, ne constituant pas une sphère particulière, mais un ensemble, les âmes humaines selon Sohraouardi.
L’Albiobitos ou partie supérieure du plérôme sous la plume de saint Irénée se trouve au sommet de cette manifestation et les êtres, tous les êtres, constituant cette Manifestation, sont liés intrinsèquement, du Principe des principes ou plus exactement de l’Être supérieur à la matière inanimée.
Cette notion de degré ou de niveau de manifestation de l’Être supérieur (descente de sa lumière) aboutit évidemment à toute une hiérarchisation des êtres. La clé de voûte du système si l’on peut dire, restant le Principe des Principes, inconnaissable, indicible, ineffable (voir plus haut).
Les premiers des êtres procédant de ce principe primordial (les premières puissances) sont ses émanations. Le Mal n’existe pas en elles, par définition. Ce qui existe ce sont des zones continuant à échapper à cette explosion de lumière, des zones restées opaques. Le Mal, c’est cette force de résistance ou d’occultation (toute provisoire d’ailleurs) de la lumière. Il est intéressant de rappeler ici que, dans la théosophie zervanite de l’ancien Iran, les Ténèbres (Ahriman) sont issues d’un doute éclos dans la pensée de Zervân, la divinité supérieure. Mais bien que le monde matériel soit au plus bas de cette « émanation », les très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’acceptent pas le dédain professé par les judéo-islamo-chrétiens ou gnostiques pour la matière. Ils font remarquer qu’elle est aussi de nature divine, puisqu’émanant de l’Âme du monde (Awenyddio).
ET MAINTENANT À TITRE DE COMPARAISON LA NAISSANCE DU MONDE POUR DIVERS CRÉATIONNISTES.
La première cosmogonie que nous évoquerons sera celle des Indiens mayas Quichés, inventeurs du zéro (Popol Vuh).
Tout était en suspens, tout était plongé dans le calme absolu, dans le silence ; tout était immobile, vide était l’étendue du ciel.
Il n’y avait encore ni homme, ni animal, ni oiseau, ni poissons, ni crabes, ni arbres, ni pierres, ni grottes, ni ravins, ni herbe, ni forêts ; il n’y avait que le ciel. La surface de la terre n’était pas encore apparue. Il y avait seulement la mer unie et l’immense étendue du ciel.
Il n’y avait encore rien d’assemblé, rien qui puisse faire du bruit, rien qui puisse se mouvoir, ou bouger, ou puisse faire du bruit dans le ciel.
Il n’y avait rien qui se tienne debout ; il n’y avait que l’eau immobile, la mer unie, sans rien, sans mouvement. Rien n’existait. Il n’y avait que l’immobilité et le silence dans les ténèbres, dans la nuit.
67
Seul le Créateur, le démiurge, Tepeu Gucumatz, les grands ancêtres, se tenaient sur l’eau environnés de lumière. Ils étaient couverts de plumes vertes et bleues, et c’est donc pourquoi on les appelait Gucumatz. De par leur nature même c’étaient de grands sages et de grands penseurs.
Note de la Rédaction. On ne peut s’empêcher ici de penser aux élohim de la partie Genèse 1,2, de la Bible : « la terre était informe et vide et l’esprit des élohim se mouvait au-dessus des eaux », mais ce n’est en aucune façon l’indice d’une tradition primordiale, cela vient simplement de notre commune nature humaine. Face aux mêmes problèmes, l’être humain arrive souvent à des solutions identiques sans se concerter.
C’est ainsi que le ciel exista tout comme le Cœur des cieux, car tel était le nom de ce dieu puisque c’est ainsi qu’il fut appelé.
Ensuite il y eut le son d’une parole. Tepeu et Gucumatz étaient ensemble au cœur de l’obscurité, de la nuit, et se parlaient.
Ils tinrent conseil, discutèrent et délibérèrent ; ils se mirent d’accord et harmonisèrent leurs paroles et leurs pensées. Il devint alors clair pour que quand l’aube apparaîtrait l’homme devrait apparaître lui aussi.
Ensuite ils réfléchirent à la création, à la croissance des arbres et des fourrés ainsi qu’à la naissance de la vie ou à la création de l’homme. Cela fut accompli dans les ténèbres et dans la nuit par le Cœur des cieux appelé Hourakan (Ouragan).
Le premier signe d’Hourakan s’appelle Caculhá Huracán, le tonnerre de Hourakan. Le deuxième signe est ChipiCaculhá, l’éclair. Le troisième est Raxa-Caculhá, la foudre. Ces trois-là ensemble forment le cœur des cieux.
Ensuite vinrent Tepeu et Gucumatz ; ils tinrent conseil à propos de la vie et de la lumière, ce qu’il fallait faire afin qu’apparaissent la vie et la lumière, et qui devrait leur fournir de la nourriture ainsi que de quoi se sustenter.
Qu’il en soit fait ainsi ! (dirent-ils) Que le vide se remplisse ! Que l’eau se retire et laisse un espace vide, que la terre y apparaisse et devienne ferme ; qu’il en soit fait ainsi ! Qu’il y ait la lumière et que l’aube se lève dans le ciel ainsi que sur la terre ! Mais il n’y aura ni gloire ni grandeur dans notre création et dans notre mise en forme tant que nous n’aurons pas fabriqué ou formé l’être humain. C’est ainsi qu’ils parlèrent.
Alors la terre fut créée par eux. Et ce fut ainsi en vérité qu’ils créèrent la terre. Que la terre soit ! dirent-ils, et il en fut ainsi instantanément. Comme de la brume comme des nuées ou comme un nuage de poussière était la création quand les montagnes surgirent de la mer ; mais aussitôt ces montagnes s’élevèrent dans le ciel…
Ensuite ils firent les petits animaux sauvages, les gardiens des bois, les esprits des montagnes, les cerfs, les oiseaux, les pumas, les jaguars, les serpents, les vipères, les gardiens des fourrés.
Ils assignèrent après cela des demeures aux grands et petits oiseaux [en leur disant] : « Vous vivrez dans les arbres. C’est là que vous nicherez ; c’est là que vous vous multiplierez ; c’est là que vous croîtrez, dans les branches des arbres. Ils parlèrent ainsi aux oiseaux comme aux cerfs ; ils accomplirent sur le champ leur devoir et tous se mirent en quête de leurs demeures et de leurs nids.
La création des animaux à quatre pieds ainsi que des oiseaux étant terminée, le Créateur le Démiurge et les Grands Ancêtres leur dirent : « Et maintenant, parlez, pleurez, gazouillez, appelez, parlez tous selon votre espèce, selon votre genre ». Tel est ce qui fut dit aux cerfs aux oiseaux aux pumas aux jaguars ainsi qu’aux serpents. « Invoquez maintenant nos noms, récitez nos louanges, honorez votre mère et votre père. Invoquez aussi Hourakan, Chipi-Caculhá, Raxa-Caculhá, le Cœur des Cieux, Le Cœur de la terre, le Créateur, le Démiurge, les grands ancêtres ; parlez, invoquez-nous, rendez-vous un culte ». Tel est ce qui leur fut demandé.
Mais ils ne purent réussir à les faire parler comme des hommes ; ils ne purent que siffler crier ou caqueter ; ils furent incapables d’articuler le moindre mot, mais chacun cria de façon différente.
Quand le Créateur et le démiurge virent qu’il était impossible à ces créatures de parler, ils se dirent : « Il leur est impossible d’articuler nos noms, les noms qui sont les nôtres, nous leurs créateurs et leurs démiurges. Ça ne va pas ». Tel est ce que se dirent entre eux les grands ancêtres.
Pour cette raison il y eut donc de la part du Créateur du Démiurge et des Grands ancêtres, un autre essai de création des hommes.
« Essayons encore une fois ! L’aube approche : fabriquons celui qui nous nourrira et nous sustentera ! Que devons-nous faire pour être invoqués, afin de ne pas être oubliés sur terre ? Nous avons déjà
68
essayé avec nos premières créations, nos premières créatures ; mais nous n’avons pas réussi à obtenir qu’elles chantent nos louanges et nous vénèrent. Essayons donc encore une fois de fabriquer des êtres vivants qui soient obéissants et respectueux envers nous, qui nous nourriront et nous entretiendront ». Tel est ce qu’ils se dirent entre eux.
Il y eut alors la création et la fabrication de l’Homme. Ils firent la chair [de l’homme] avec de la terre et de la boue.
La ressemblance avec la Bible s’arrête là, car pour le Popol Vuh ce premier essai se révélera totalement infructueux.
Une seconde tentative sera effectuée à partir de bois, mais ces hommes de bois se révélèrent frivoles, vaniteux et paresseux. Les Dieu-ou-démons les firent donc tous périr au moyen d’un premier déluge.
À la fin, une ultime tentative leur permit de façonner les hommes à partir de maïs, l’espèce humaine trouvant là sa substance définitive. Mais ils craignirent, en voyant les pouvoirs qu’ils avaient conférés à ces nouvelles créatures, que les humains cherchent à les supplanter. C’est pourquoi ils décidèrent de restreindre leur sens, et de limiter leur vue et leur intelligence.
Ces huit premiers hommes seront à l’origine de toute l’espèce humaine, qui va ensuite se diviser puis perdre la capacité de parler un seul et même langage, dans un épisode similaire à celui de la Tour de Babel.
Il est évident, vu les conditions ayant présidé à la mise par écrit de cet ouvrage, que des rapprochements ont été opérés avec la création du monde selon la Bible.
« Au commencement Dieu/Élohim 1) ou le Démiurge créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide et les ténèbres à la surface de l’abîme. L’esprit de Dieu/Élohim 1) ou du Démiurge planait à la surface des eaux. Dieu/Élohim 1) ou le Démiurge dit, que la lumière soit, etc. »
Une telle conception de la naissance du monde, dangereuse, malgré sa grande force poétique (souffle de Dieu = vaisseau spatial extraterrestre) conduit à un dualisme redoutable entre âme et matière.
Le Dieu, ou Démiurge, ou Diable, des juifs, des chrétiens, et des musulmans, est celui de l’Ancien Testament vivant sur une montagne (le Sinaï). Il est le fabricant (démiurge) de tout l’univers et de toutes les créatures. C’est un dieu-ou-démon jaloux, vengeur et sanguinaire, ainsi que l’ont très bien vu les gnostiques d’Orient. Dit autrement, ce n’est pas un Dieu bon et tout puissant, omniscient, qui ne serait qu’amour, mais un démiurge ayant joué aux apprentis sorciers.
Et pour ce qui est des Celtes maintenant, que trouve-t-on dans leurs archives ?
— Rien, ou alors un folklore très dégradé (Gurgunt = Gargantua, Mélusine, etc.) sur le Continent (la romanisation est passée par là !)
— Seulement des traces en Irlande (la christianisation est passée par là !)
L’idée générale demeure bien, là aussi, d’attribuer nombre des noms de lieux ou des caractéristiques géographiques locales à des entités visiblement non humaines, ou surhumaines, à tout le moins fabuleuses, en des temps très reculés ; le plus souvent d’ailleurs en recourant pour ceci à force jeux de mots, pris au premier degré, donc n’ayant aucune valeur scientifique pour ce qui est de l’étymologie.
Il existe donc de nombreuses légendes attribuant tel ou tel lac, telle ou telle plaine (cultivée) à l’action d’entités surhumaines légendaires disparues depuis longtemps. Mais ces explications, et c’est là une différence fondamentale avec les cosmogonies qui précèdent, ne sont pas regroupées en un ou plusieurs textes. Elles sont disséminées sur une infinité d’acteurs, qui plus est répartis en plusieurs vagues successives d’occupation des terres, dont tous ne sont pas des dieux ou des démons d’ailleurs, même si leur caractère fabuleux ou légendaire n’en est pas moins patent.
En fait tout se passe comme si les très-sachants de la druidiaction (druidecht), eux, avaient opté en faveur d’une autre conception cosmogonique, plus subtile.
Le druidisme de la Haute Époque nous offre l’exemple unique d’un dieu-ou-démon supérieur, le Pariollon ou Grand tout (Parinirvana pour les bouddhistes), devenu substance de l’univers ; en qui les autres dieu-ou-démons, tout comme les âmes des hommes, doivent un jour s’absorber.
69
Ainsi que nous avons pu le voir, le Grand Tout dit Pariollon par les très-sachants de la druidiaction, Parinirvana par les bouddhistes, est l’objet de toutes les pensées et aussi de toutes les aspirations des gnostiques d’Occident appelés druides.
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels » (César. B.G. Livre VI. Chapitre XIV).
« Les druides, mais aussi tous les autres, disent que les âmes humaines [psychas en grec], ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux » (Strabon. Livre IV. Chapitre IV).
L’Être supérieur que les druides d’alors conçoivent est à la fois un et triple, il est unité, mais aussi âme, matière, et même esprit. Âme et matière ne sont pas deux dieu-ou-démons au sens habituel du terme ; ce ne sont pas non plus de simples attributs, mais deux hypostases (vyuha dans l’hindouisme) d’un même Étant supérieur. Cette dyade correspond aussi partiellement aux trois aspects fondamentaux que sont dans l’hindouisme la procréation de l’univers (matériel) par l’âme, son maintien, et sa dissolution (la matière étant double et ayant aussi un aspect destructeur : la Catubodua ou Sheela na gig).
Pour certaines Écoles druidiques, tout l’Univers manifesté procède des interactions entre l’Âme universelle et la Matière. Dieu ou le Démiurge n’a pas sa place dans cette approche dualiste relative, mais la réserve animique universelle appelée Awenyddio et la Matière Primordiale, antérieure à la procréation de ce monde. L’awentia ou awenyddia joue un rôle tout à fait central dans ce système de pensée. Tantôt primordial, tantôt secondaire, son rôle est indispensable : il permet le passage du concept à la matérialisation, du Créateur à sa Création.
L’âme universelle y est perçue comme l’énergie cosmique concrète de tous les jours, seule garante effective de la conservation et de l’harmonie universelles. C’est cette énergie qui anime et préside à la mise en ordre de l’univers.
Elle contient tout ce qui est latent, mais non encore exprimé. C’est là la base de la Manifestation. Âme et Matière sont donc deux entités irréductibles et cette École druidique ne se pose pas la question du pourquoi de cette dualité. Cette École de pensée voit la naissance du Monde à partir de l’interaction entre les deux sous l’action d’agents de différentiation, assimilables à des éons et qui ne sont perçus que par leurs qualités. Le déploiement de la Manifestation se poursuit alors par différentes étapes que décrit cette École, mais leur énumération sortirait du cadre de ce très bref aperçu sur le druidisme.
Ce système diffère complètement de celui qui est appelé Sâmkhya aux Indes. Car l’évolution, pour l’Inde, n’est pas un passage du Tout à une partie, mais le passage de quelque chose de relativement moins différencié, à quelque chose de plus différencié, c’est-à-dire plus grossier. Du Pouroucha à la Prakriti par le truchement des gounas.
Le sâmkhya est une doctrine évolutionniste. Son but est de montrer comment l’on est passé de l’indifférencié au différencié, de l’incohérent au cohérent, du chaos-chaudron cosmique au cosmos, du fin au grossier, du subtil au matériel. Sa théorie, ainsi que nous l’avons vu, repose sur deux concepts fondamentaux : le Pouroucha et la Prakriti. Le Pouroucha est l’esprit (passif, il observe et jouit du monde). La Prakriti est la nature, le monde matériel (actif, en perpétuel mouvement et changement, il agit a priori pour le Pouroucha).
Ce système diffère aussi complètement de celui qui est appelé Jaïnisme aux Indes. Le Jaïnisme enseigne que la réalité s’avère composée de deux principes éternels, jîva et ajîva. Le jîva est constitué d’un nombre infini d’entités spirituelles ou âmes ; l’ajîva (c’est-à-dire, « non-jîva » ou poudgala) désigne la matière sous toutes ses formes : kâla (le temps), âkâsa (l’espace), dharma (le principe du mouvement) et adharma (le principe du repos).
Autrement dit en vieux celtique Saitlo (le temps et l’espace), Biuitona (le mouvement la vie) et ?
C’est là évidemment un système de pensée considéré comme complètement taghout par les monolâtres créationnistes.
1) La terminaison en im d’Élohim, qui en hébreu s’applique généralement à un nom pluriel, a été sujette à de nombreuses interprétations. Les théologiens judéo-chrétiens considèrent, dans la
70
théologie « traditionnelle » (pour utiliser cet euphémisme), qu’il s’agit d’un pluriel de majesté (pluralis majestatis) ou pluriel d’excellence (pluralis excellentiæ), plutôt que d’un pluriel numérique. Mais cette notion est ignorée de la grammaire hébraïque tant biblique que moderne.
Comme ni le grec ni le latin n’utilisent de pluriel de majesté pour les noms seuls, les traductions de la Septante puis la Vulgate rendent par un singulier le texte original au pluriel.
Genèse, 1,1 : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ».
Mais cette pluralité se retrouve en plusieurs endroits :
Genèse, 1, 26 : « Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance… »
Genèse, 3, 22 : « Voici que l’homme est devenu comme l’un de nous… »
De nombreuses théories ont été avancées pour expliquer ce pluriel. La théologie judéo-chrétienne « traditionnelle », toujours pour utiliser cet euphémisme, affirme qu’il ne peut grammaticalement pas venir de El (forme singulière du mot traduit par « Dieu ») ou de Eloah (forme utilisée en composition, à morphologie grammaticale féminine). Elle affirme que cette forme, Élohim, serait donc le pluriel d’un nom qui n’existe pas au singulier (en dépit de l’usage attesté de ces singuliers dans la Bible même).
Et quand ce sont les dieux païens qui sont désignés, Élohim renvoie bien à un pluriel numérique : « dieux » (exemple Exode 20, 3 : Tu n’auras pas d’autres élohim acherim devant ma face).
Certains auteurs et nouveaux mouvements religieux voient dans le pluriel du terme Élohim le signe de la pluralité du divin ou du moins de la pluralité de ses formes et en concluent à l’existence d’êtres portant en eux une part de ce divin, souvent nommés les « êtres de lumière ».
Élohim est le nom donné aux extraterrestres que Claude Vorilhon (dit Raël) affirme avoir rencontrés en 1973 ou 1975, et qui sont à l’origine des préceptes du Mouvement qu’il a créé. D’après lui, Élohim se traduirait par « ceux qui sont venus du ciel » et désignerait, dans la Bible, les extraterrestres avec qui les Hébreux seraient entrés en contact dès l’Antiquité (voir par exemple le cas des visions d’Isaïe, Daniel et surtout Ezéchiel si l’on en croit la Caballe de la Merkaba). Selon cette croyance, c’est grâce à une technologie ultra-développée que les Élohim auraient conçu l’Humanité en laboratoire.
Toutes ces polémiques, à vrai dire, intéressent assez peu les druides que nous sommes, et nous les laissons bien volontiers aux gens d’un seul livre. Pour faire partie des fénianes il faut en avoir lu au moins douze.
71
« ILS DISCUTENT BEAUCOUP DE LA NATURE DES CHOSES,
DE LA PUISSANCE ET DU POUVOIR DES DIEU-OU-DÉMONS IMMORTELS ET ILS TRANSMETTENT CES SPÉCULATIONS À LA JEUNESSE » (CÉSAR. B. G. VI, 13).
LE SEDODUMNON OU MONDE DES DIEUX (partie inférieure de l’Albio-bitos).
Rappelons pour mémoire que les sides sont un peu comme les alvéoles de la gigantesque ruche qu’est l’autre monde des dieux, constamment occupés à intervenir dans les affaires humaines et non un monde forcément toujours physiquement situé en dessous du monde des hommes ou Médiomagos. C’est la christianisation qui, en Irlande, a fait des multiples portes d’entrée dans la république des sides un empire géologiquement souterrain, maléfique, et ténébreux, et des dieux des anges déchus. Ces dieux pouvaient eux aussi en réalité à l’origine remonter à la surface du médiomagos pour agir dans le monde des hommes avec autant d’efficacité et de légitimité que les entités célestes descendues du ciel. Le druidisme antique était a-moral, il n’y avait en lui aucune dualité manichéenne dans l’autre monde, aucune condamnation aux glaces de l’enfer en fonction de son comportement sur terre. À de rarissimes exceptions comme… censuré… Nabuchodonosor… censuré… Hitler Staline et quelques autres comme… censuré… condamnés par le poids de leurs fautes à la réincarnation sur terre en tant que bacuceos, tout le monde allait au paradis.
Ces entités divines responsables des sources de la croissance des cultures, etc. sont donc devenue physiquement ou géologiquement chtoniennes par la force des choses dans l’imaginaire des peuples, mais elles ne le sont pas devenues pour autant dans le domaine métaphysique ; la tradition irlandaise est d’ailleurs formelle à ce sujet, certains des membres du peuple fomoréen (Elatio/Elatha, Bregsos/Bres, etc.) peuvent également avoir la beauté du Diable, peuvent également être beaux comme des dieux, leur difformité ou leur laideur sont réversibles.
Doit-on traduire Élohim par Dieu… ou les dieux ? Comme dans Genèse 1,1 ou comme dans Exode 20,3 ? Peut-il y avoir plus d’un Dieu ou Démiurge ?
Réponse non, puisque l’être originel (l’eabad de l’alphabet oghamique) est un et infini par définition, comme le zéro des Sumériens, mais il y a en lui plusieurs hypostases ou personnes ou vyuha (pour l’Hindouisme), c’est pourquoi certains disent que Dieu ou le Démiurge est une poly-unité.
Chacune de ces personnes ou hypostases est-elle elle-même un Dieu ou Démiurge ?
Chaque personne est une détermination de l’Être divin, un rôle, un personnage divin, en sorte que tout en étant chacune Dieu ou le Démiurge, ces personnes ne forment qu’un seul Dieu ou Démiurge.
Dans quelle région de l’univers ce monde divin ou spirituel a-t-il été formé ?
Au point ogham de l’espace-temps. Cet eabadh a suscité un grand nombre d’êtres.
Comment nomme-t-on ces êtres arrivés à divers degrés de développement ?
On les nomme éons.
Les esprits sont-ils nombreux ?
Leur nombre est incommensurable et ils forment au sein de l’univers un vaste monde lumineux dont l’hyper monde divin occupe le sommet ou le centre vu d’en haut.
Tous ces êtres sont-ils arrivés au même degré de développement ?
Non, selon le cas et leur ancienneté ils sont plus avancés les uns que les autres en volonté, pensée, sentiment.
Ces dieu-ou-démons ont-ils une sorte de corps ?
Oui, les dieu-ou-démons sont revêtus d’une sorte de corps éthéré, très subtil, que l’on dit aussi spirituel ou pneumatique.
Les dieu-ou-démons peuvent-ils nous apparaître ?
Oui, les dieu-ou-démons peuvent apparaître à chacun de nous pris individuellement en matérialisant leur corps subtil.
La forme sous laquelle les dieu-ou-démons nous apparaissent, est-elle toujours leur vraie forme ?
Non, cette forme n’est le plus souvent qu’une forme d’emprunt, une forme humaine, la forme de telle ou telle personne ; leur vraie forme nous est inconnue.
Dans quelle région de l’univers notre monde visible actuel a-t-il été formé ?
72
En dessous, tout autour ou à l’extrémité du plérôme lumineux, sous forme de nuages immenses appelés nébuleuses primitives.
De quoi se composaient les nébuleuses primitives ?
Elles se composaient d’abord de gaz incandescents de différentes natures, ce qui représentait d’immenses fournaises.
De quoi se composaient encore les nébuleuses primitives ?
De tous les atomes d’âme ou esprit chassés du ciel par cette gigantesque explosion.
Telles sont les questions et les réponses données par certaines des spiritualités d’aujourd’hui. Du moins si nous les avons bien compris elles et leurs images ou concepts, car le courant de pensée contemporain qui a le mieux réfléchi à la nature des dieu-ou-démons est encore le mouvement spirite lancé par les sœurs Leah (1814-1890), Margaret ou Maggie (1836-1893) et Kate (1838-1892) Fox, au XIXe siècle ; malgré les ambiguïtés du début.
C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de reprendre ici les principaux points de l’analyse du sujet faite par le néo-druide Allan Kardec, mais avec le mot « dieu » à la place du mot esprit.
Cet auteur ; dans son ouvrage intitulé « LIVRE DES ESPRITS CONTENANT LES PRINCIPES DE LA DOCTRINE SPIRITE SUR L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME » ; explique en effet très clairement que ce qu’il appelle, lui, esprit, était appelé dieu ou divinité, il y a plusieurs siècles ; et notamment dans l’Antiquité. Nous avons donc dans son livre remplacé la notion d’esprit individuel par celle de dieu au sens païen du terme, et le résultat en est très surprenant (mais intéressant et à méditer) malgré l’évidence de l’influence judéo-chrétienne sur ses propos.
Note de la rédaction. Il va de soi néanmoins que cette opinion reste celle de la mouvance d’Allan Kardec et ne représente pas nécessairement celle de l’Ollotouta druidique. Pour comprendre la véritable origine du spiritisme il faut se remémorer l’environnement culturel de l’époque : en 1848 les deux jeunes sœurs, Margaret et Kate Fox, et leur « esprit frappeur ». La famille habitait auparavant dans la région de Belleville (Canada), mais s’était établie à Hydesville en décembre 1847. Une sœur plus âgée, Leah (Fish, Brown, puis Underhill, car elle se maria trois fois), qui avait aussi des talents de médium, vivait à Rochester. Une sœur aînée de Margaret et de Kate, Élizabeth Ousterhout, demeurée au Canada (près de Belleville), répandit le mouvement hors des États-Unis. Kate rencontra la femme de lettres canadienne Susanna Moodie, qui fut vivement impressionnée par ses dons de clairvoyance. La propagation du spiritisme aux États-Unis pendant les années 1850 fut phénoménale. Il fut introduit en Grande-Bretagne en 1852.
73
LE POINT DE VUE DISSIDENT DU NÉO DRUIDE ALLAN KARDEC.
245. La vue, chez les dieu-ou-démons, est-elle circonscrite, comme dans les êtres corporels ?
Non, elle réside en eux.
246. Les dieu-ou-démons dans ce cas ont-ils besoin de la lumière pour voir ?
Ils voient par eux-mêmes et n’ont pas besoin de la lumière extérieure ; pour eux, point de ténèbres, hormis celles dans lesquelles ils peuvent se trouver par exception.
247. Les dieu-ou-démons dans ce cas ont-ils besoin de se transporter pour voir sur deux points différents ? Peuvent-ils, par exemple, voir simultanément sur deux hémisphères du globe ?
Comme le dieu-ou-démon se transporte avec la rapidité de la pensée, on peut dire qu’il voit partout à la fois ; sa pensée peut rayonner ou se porter en même temps sur plusieurs points différents, mais cette faculté dépend de sa pureté : moins il est pur, plus sa vue est bornée ; les dieu-ou-démons supérieurs seuls peuvent embrasser un ensemble.
La faculté de voir, chez les dieu-ou-démons, est une propriété inhérente à leur nature, et qui réside dans tout leur être, comme la lumière réside dans toutes les parties d’un corps lumineux ; c’est une sorte de lucidité universelle qui s’étend à tout, embrasse à la fois l’espace, les temps et les choses, et pour laquelle il n’y a ni ténèbres, ni obstacles matériels. On comprend qu’il doit en être ainsi ; chez l’homme, la vue s’opérant par le jeu d’un organe frappé par la lumière, sans lumière il est dans l’obscurité ; chez le dieu-ou-démon, la faculté de voir étant un attribut de lui-même, abstraction faite de tout agent extérieur, la vue est indépendante de la lumière.
248. Le dieu-ou-démon voit-il les choses aussi distinctement que nous ?
Plus distinctement, car sa vue pénètre ce que vous ne pouvez pénétrer ; rien ne l’obscurcit.
249. Le dieu-ou-démon perçoit-il les sons ?
Oui, et il en perçoit que vos sens obtus ne peuvent entendre ».
— La faculté d’ouïr est-elle dans tout son être, comme celle de voir ?
Toutes les perceptions sont des attributs du dieu-ou-démon et font partie de son être ; lorsqu’il est revêtu d’un corps matériel, alors elles ne lui arrivent que par le canal des organes ; mais à l’état de liberté, elles ne sont plus localisées.
250. Les perceptions étant des attributs de l’Esprit lui-même, lui est-il possible de s’y soustraire ?
Le dieu-ou-démon ne voit et n’entend que ce qu’il veut. Cela est dit en général, et surtout pour les dieu-ou-démons élevés, car pour ceux qui sont imparfaits, ils entendent et voient souvent malgré eux ce qui peut être utile à leur amélioration.
251. Les dieu-ou-démons sont-ils sensibles à la musique ?
Veux-tu parler de votre musique ? Qu’est-elle auprès de la musique céleste ? De cette harmonie dont rien sur la terre ne peut vous donner une idée ? L’une est à l’autre ce qu’est le chant du sauvage à la mélodie. Cependant, des dieu-ou-démons vulgaires peuvent éprouver un certain plaisir à entendre votre musique, parce qu’il ne leur est pas encore donné d’en comprendre une plus sublime. La musique a pour les dieu-ou-démons des charmes infinis, en raison de leurs qualités sensitives très développées ; j’entends la musique céleste, qui est tout ce que l’imagination spirituelle peut concevoir de plus beau et de plus suave ».
N.D.L.R. Sur ce point-là, le néo druide Allan Kardec est resté fidèle à la mythologie celtique. Sur la musique merveilleuse du Side, voir les oiseaux (généralement des cygnes) et la harpe magique.
131. Y a-t-il des démons dans le sens attaché à ce mot ?
Le mot démon n’implique l’idée de mauvais dieu que dans son acception moderne, car le mot grec daïmôn d’où il est formé signifie génie, intelligence, et se disait des êtres incorporels, bons ou mauvais, sans distinction.
Les hommes ont fait pour les démons ce qu’ils ont fait pour les anges ; de même qu’ils ont cru à des êtres parfaits de toute éternité, ils ont pris les dieu-ou-démons inférieurs pour des êtres perpétuellement mauvais. Le mot démon doit donc s’entendre des dieux impurs, qui souvent ne valent pas mieux que ceux qui sont désignés sous ce nom, mais avec cette différence que leur état n’est que transitoire. Ce sont des dieu-ou-démons imparfaits qui murmurent contre les épreuves qu’ils subissent, et qui, pour cela, les subissent plus longtemps, mais qui arriveront à leur tour, quand ils en auront la volonté. On pourrait donc accepter le mot démon avec cette restriction ; mais comme on l’entend maintenant dans un sens exclusif, il pourrait induire en erreur en faisant croire à l’existence d’êtres spécifiques créés pour le Mal.
74
En ce qui concerne Satan, c’est évidemment la personnification du Mal sous une forme allégorique, car on ne saurait admettre un être mauvais, luttant de puissance à puissance avec la Divinité, dont la seule préoccupation serait de contrecarrer ses desseins. Comme il faut à l’Homme des figures et des images pour frapper son imagination, il a peint les êtres incorporels sous une forme matérielle avec des attributs rappelant leurs qualités ou leurs défauts. C’est ainsi que les anciens, voulant personnifier le Temps, l’ont peint sous la figure d’un vieillard avec une faux et un sablier ; une figure de jeune homme eût été un contresens ; il en est de même des allégories de la Fortune, de la Vérité… Les modernes ont représenté les anges sous une figure radieuse, avec des ailes blanches, emblème de la pureté ; Satan, avec des cornes, des griffes et les attributs de la bestialité, emblèmes des basses passions. Le vulgaire, qui prend les choses à la lettre, a vu dans ces emblèmes un individu réel, comme jadis il avait vu Saturne dans l’allégorie du Temps.
252. Les dieu-ou-démons sont-ils sensibles aux beautés de la nature ?
Les beautés de la nature sont si différentes, que l’on est loin de les connaître. Ils y sont sensibles selon leur aptitude à les apprécier ou à les comprendre ; pour les dieu-ou-démons élevés, il y a des beautés d’ensemble devant lesquelles s’effacent, pour ainsi dire, les beautés de détail.
254. Les dieu-ou-démons éprouvent-ils la fatigue et le besoin du repos ?
Ils ne peuvent ressentir la fatigue telle que vous l’entendez. L’espèce de fatigue que peuvent éprouver les Esprits est en raison de leur infériorité ; car plus ils sont élevés, moins le repos leur est nécessaire.
517. Y a-t-il des dieu-ou-démons qui s’attachent à toute une famille pour la protéger ?
Certains dieu-ou-démons s’attachent aux membres d’une même famille qui vivent ensemble et qui sont unis par l’affection, mais ne croyez pas pour autant à des dieu-ou-démons protecteurs de l’orgueil des races.
518. Les dieu-ou-démons étant attirés vers les individus par leurs sympathies, le sont-ils également vers les réunions d’individus par des causes particulières ?
Les dieu-ou-démons vont de préférence où sont leurs pareils ; là ils sont plus à leur aise et plus sûrs d’être écoutés. L’Homme attire à lui les dieu-ou-démons en raison de ses tendances, qu’il soit seul ou qu’il forme un tout collectif, comme une société, une ville ou un peuple. Il y a donc des sociétés, des villes, et des peuples, qui sont assistés par des dieu-ou-démons plus ou moins élevés selon le caractère et les passions qui dominent chez eux.
Note de la rédaction. C’est ainsi que le dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob est un dieu jaloux voire un dieu des armées (hébreu sabaoth).
Les dieu-ou-démons imparfaits s’éloignent de ceux qui les repoussent. Il en résulte que le perfectionnement moral des touts collectifs, comme celui des individus, tend à écarter les mauvais dieux ; et à donc attirer les bons, qui excitent et entretiennent le sentiment du bien dans les masses ; comme d’autres peuvent y souffler de mauvaises passions.
519. Les agglomérations d’individus, comme les sociétés, les villes, les nations, les peuples, ont-elles leurs dieu-ou-démons protecteurs particuliers ?
Oui, car ces réunions sont des individualités collectives qui œuvrent à un but commun, et qui ont besoin d’une direction supérieure.
520. Les dieu-ou-démons protecteurs des masses sont-ils d’une nature plus élevée que ceux qui s’attachent aux individus ?
Tout est relatif au degré d’avancement des masses comme des individus.
521. Certains dieu-ou-démons peuvent-ils aider au progrès des arts en protégeant ceux qui s’en occupent ?
Il y a des dieu-ou-démons protecteurs spéciaux, et qui assistent ceux qui les invoquent quand ils les en jugent dignes ; mais que voulez-vous qu’ils fassent avec ceux qui croient être ce qu’ils ne sont pas ? Ils ne font pas voir les aveugles ni entendre les sourds…
Chaque homme ayant ses dieu-ou-démons sympathiques, il en résulte que, dans les touts collectifs, la généralité des dieu-ou-démons sympathiques est en rapport avec la généralité des individus ; que les dieu-ou-démons étrangers y sont attirés par l’identité des goûts et des pensées ; en un mot, que ces réunions aussi bien que les individus, sont plus ou moins bien entourés, assistés, influencés, selon la nature des pensées de la multitude.
Chez les peuples, les causes d’attraction des dieu-ou-démons sont les mœurs, les habitudes, le caractère dominant, les lois surtout, parce que le caractère de la nation se reflète dans ses lois. Les
75
hommes qui font régner la justice entre eux combattent l’influence des mauvais dieu-ou-démons. Partout là où les lois consacrent des choses injustes, contraires à l’humanité, les bons dieux sont en minorité ; et la masse des mauvais qui affluent entretient la nation dans ses idées, paralyse les bonnes influences partielles perdues dans la foule, comme un épi de blé isolé au milieu des ronces. En étudiant les mœurs des peuples ou de toute réunion d’hommes, il est donc aisé de se faire une idée de la population occulte qui s’immisce dans leurs pensées comme dans leurs actions.
522. Le pressentiment est-il toujours un avertissement du dieu-ou-démon protecteur ?
Le pressentiment est le conseil intime et occulte d’un dieu-ou-démon qui vous veut du bien. Il est aussi dans l’intuition du choix que l’on a fait ; c’est la voix de l’instinct.
524. Les avertissements de nos dieu-ou-démons protecteurs ont-ils pour unique objet la conduite morale, ou bien aussi la conduite à tenir dans les choses de la vie privée ?
Tout ; ils essaient de vous faire vivre le mieux possible ; mais souvent vous fermez l’oreille aux bons avertissements, et vous êtes malheureux par votre faute. Les dieu-ou-démons protecteurs nous aident de leurs conseils par la voix de la conscience qu’ils font parler en nous ; mais comme nous n’y attachons pas toujours l’importance nécessaire, ils nous en donnent de plus directs en se servant des personnes qui nous entourent. Que chacun examine les diverses circonstances heureuses ou malheureuses de sa vie, et il verra qu’en maintes occasions il a reçu des conseils dont il n’a pas toujours profité, mais qui lui eussent épargné bien des désagréments s’il les eût écoutés.
525. Les dieu-ou-démons exercent-ils une influence sur les événements de la vie ?
Assurément, puisqu’ils te conseillent.
— Exercent-ils cette influence autrement que par les pensées qu’ils suggèrent, c’est-à-dire ont-ils une action directe sur l’accomplissement des choses ?
Oui, mais ils n’agissent jamais en dehors des lois de la nature. Nous nous figurons à tort que l’action des dieu-ou-démons ne doit se manifester que par des phénomènes extraordinaires ; nous voudrions qu’ils nous vinssent en aide par des miracles, et nous nous les représentons toujours armés d’une baguette magique. Il n’en est point ainsi ; voilà pourquoi leur intervention nous paraît occulte, et ce qui se fait par leur concours tout naturel. Par exemple, ils provoqueront la réunion de deux personnes qui paraîtront se rencontrer par hasard ; ils inspireront à quelqu’un la pensée de passer par tel endroit ; ils appelleront son attention sur tel point, si cela doit donner le résultat qu’ils veulent obtenir ; de telle sorte que l’homme, ne croyant suivre que sa propre impulsion, conserve toujours son libre arbitre.
526. Les dieu-ou-démons ayant une action sur la matière peuvent-ils provoquer certains effets en vue de faire accomplir un événement ? Par exemple, un homme doit périr : il monte à une échelle, l’échelle se brise et l’homme se tue ; sont-ce les dieu-ou-démons qui ont fait se briser l’échelle pour accomplir la destinée de cet homme ?
Il est bien vrai que les dieu-ou-démons ont une action sur la matière, mais pour l’accomplissement des lois de la nature et non pour y déroger, en faisant surgir à point nommé un événement inattendu et contraire à ces lois. Dans l’exemple que tu cites, l’échelle s’est rompue parce qu’elle était vermoulue, ou n’était pas assez forte pour supporter le poids de l’homme. S’il était dans la destinée de cet homme de périr de cette manière, ils lui inspireront la pensée de monter à cette échelle qui devra se rompre sous son poids ; et sa mort aura lieu par un effet naturel et sans qu’il soit besoin d’accomplir un miracle pour cela.
530. Les dieu-ou-démons légers ou moqueurs ne peuvent-ils susciter ces petits embarras qui viennent contrarier nos projets ou dérouter nos prévisions ; en un mot, sont-ils les auteurs de ce que l’on appelle vulgairement les petites misères de la vie humaine ?
Ils se plaisent à ces tracasseries qui sont pour vous des épreuves afin d’exercer votre patience ; mais ils se lassent quand ils voient qu’ils ne réussissent pas. Cependant, il ne serait ni juste ni exact, de les charger de tous vos mécomptes, dont vous-mêmes êtes les premiers artisans par votre étourderie ; car crois bien que si ta vaisselle se casse, c’est plutôt le fait de ta maladresse que celui des dieu-ou-démons.
— Les dieu-ou-démons qui suscitent des tracasseries agissent-ils par suite d’une animosité personnelle, ou bien s’attaquent-ils au premier venu, sans motif déterminé, uniquement par malice ?
L’un et l’autre !
76
532. Les dieux-ou-démons concernés ont-ils le pouvoir de détourner les maux de dessus certaines personnes, et d’attirer sur elles la prospérité ?
Pas entièrement, car il est des maux qui sont dans les décrets du Destin ; mais ils amoindrissent vos douleurs en vous donnant la patience et la résignation.
Sachez aussi qu’il dépend souvent de vous de détourner ces maux, ou tout au moins de les atténuer ; et c’est en cela surtout que les dieu-ou-démons vous viennent en aide, en vous suggérant des pensées propices ; mais ils n’assistent que ceux qui savent s’assister eux-mêmes ; c’est le sens de ces paroles : cherchez, et vous trouverez, frappez, et l’on vous ouvrira.
Note de la rédaction. Tel est aussi le sens de ce propos d’Arrien : « Sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes (Cynégétique).
Sachez bien encore que ce qui vous paraît un mal n’est pas toujours un mal ; souvent, un bien doit en sortir qui sera plus grand que le mal, et c’est ce que vous ne comprenez pas, parce que vous ne pensez qu’au moment présent ou à votre personne ».
533. Les dieu-ou-démons peuvent-ils faire obtenir les dons de la fortune, si on les sollicite à cet effet ?
Quelquefois comme épreuve, mais souvent ils refusent, comme on refuse à un enfant qui fait une demande inconsidérée ».
— Sont-ce les bons ou les mauvais dieux qui accordent ces faveurs ?
Les uns et les autres ; cela dépend de l’intention.
534. Lorsque des obstacles semblent venir fatalement s’opposer à nos projets, serait-ce par l’influence de quelque dieu-ou-démon ?
Quelquefois les dieu-ou-démons ; d’autres fois, et le plus souvent, c’est que vous vous y prenez mal. La position et le caractère influent beaucoup. Si vous vous obstinez dans une voie qui n’est pas la vôtre, les dieu-ou-démons n’y sont pour rien ; c’est vous qui êtes votre propre mauvais génie.
537. La mythologie des Anciens est entièrement fondée sur les idées spirites, avec cette différence qu’ils regardaient les Esprits comme des divinités ; or, ils nous représentent ces dieu-ou-démons ou ces Esprits avec des attributions spéciales ; ainsi, les uns étaient chargés des vents, d’autres de la foudre, d’autres de présider à la végétation, et ainsi de suite ; cette croyance est-elle dénuée de fondement ? Pourrait-il donc y avoir des dieu-ou-démons habitant l’intérieur de la terre et présidant aux phénomènes géologiques ?
Ces dieu-ou-démons n’habitent pas positivement la terre, mais ils président et dirigent selon leurs attributions. Un jour, vous aurez l’explication de tous ces phénomènes et vous les comprendrez mieux.
538. Les dieu-ou-démons qui président aux phénomènes de la nature forment-ils une catégorie particulière dans le monde spirite ? Ces dieu-ou-démons appartiennent-ils aux ordres supérieurs ou inférieurs de la hiérarchie spirite ?
C’est selon que leur rôle est plus ou moins matériel ou intelligent ; les uns commandent, les autres exécutent ; ceux qui exécutent les choses matérielles sont toujours d’un ordre inférieur, chez les dieu-ou-démons, comme chez les hommes.
541. Dans une bataille, y a-t-il des dieu-ou-démons qui assistent et soutiennent chaque parti ?
Oui, et qui stimulent leur courage.
542. Dans une guerre, la justice est toujours d’un côté ; comment des dieu-ou-démons prennent-ils parti pour celui qui a tort ?
Vous savez bien qu’il y a des dieu-ou-démons qui ne cherchent que la discorde et la destruction ; pour eux, la guerre, c’est la guerre : la justice de la cause les touche peu.
543. Certains dieu-ou-démons peuvent-ils influencer un général dans la conception de ses plans de campagne ?
Sans aucun doute !
544. De mauvais dieux pourraient-ils lui susciter de mauvaises combinaisons stratégiques en vue de le perdre ?
Oui ; mais n’a-t-il pas son libre arbitre ? Si son jugement ne lui permet pas de distinguer une idée juste d’une idée fausse, il en subit les conséquences, et il ferait mieux d’obéir que de commander.
77
545. Le général peut-il, quelquefois, être guidé par une sorte de seconde vue, intuitive, qui lui montrerait d’avance le résultat de ses combinaisons ?
Il en est souvent ainsi chez l’homme de génie ; c’est ce qu’il appelle l’inspiration, et fait qu’il agit avec une sorte de certitude ; cette inspiration lui vient des dieu-ou-démons qui le dirigent et mettent à profit les facultés dont il est doué.
552. Que penser de la croyance au pouvoir qu’auraient certaines personnes, de jeter des sorts ?
Certaines personnes ont un pouvoir magnétique très grand, dont elles peuvent faire un mauvais usage si leur propre dieu est mauvais, dans ce cas elles peuvent être secondées par d’autres mauvais dieux ; mais ne croyez pas en ce prétendu pouvoir magique, qui n’existe que dans l’imagination des gens superstitieux, ignorants des véritables lois de la nature. Les faits que l’on cite sont des faits naturels mal observés, ou mal compris.
553. Quel peut être l’effet des formules et pratiques à l’aide desquelles certaines personnes prétendent disposer de la volonté des dieu-ou-démons ?
Il est de les rendre ridicules si elles sont de bonne foi ; dans le cas contraire, ce sont des fripons qui méritent un châtiment. Toutes les formules sont de la jonglerie ; et il n’y a aucune parole sacramentelle, aucun signe cabalistique, aucun talisman, qui ait une action quelconque sur les dieu-ou-démons, car ceux-ci ne sont attirés que par la pensée, non par les choses matérielles.
— Certains dieu-ou-démons n’ont-ils pas eux-mêmes quelquefois dicté des formules cabalistiques ?
Oui, vous avez des dieu-ou-démons qui vous indiquent des signes, des mots bizarres, ou qui vous prescrivent certains actes à l’aide desquels vous accomplissez ce que vous appelez des formules magiques ; mais soyez bien certains que ce sont là des dieu-ou-démons qui se moquent de vous et abusent de votre crédulité.
554. Celui qui, à tort ou à raison, a confiance dans ce qu’il appelle la vertu d’un talisman, ne peut-il, par cette confiance même, attirer un dieu-ou-démon ; car alors c’est la pensée qui agit : le talisman n’est qu’un signe qui aide à diriger la pensée ?
C’est vrai ; mais la nature du dieu-ou-démon attiré dépend de la pureté de l’intention et de l’élévation des sentiments ; or, il est rare que celui qui est assez simple pour croire à la vertu d’un talisman n’ait pas un but plus matériel que moral ; dans tous les cas, cela trahit une petitesse et une faiblesse d’idées qui donne prise aux dieu-ou-démons imparfaits ou moqueurs.
555. Quel sens doit-on attacher à la qualification de sorcier ?
Ceux que vous appelez sorciers sont des gens, quand ils sont de bonne foi, qui sont doués de certaines facultés, comme la puissance magnétique ou la seconde vue ; et alors, comme ils font des choses que vous ne comprenez pas, vous les croyez doués d’une puissance surnaturelle. Vos savants n’ont-ils pas souvent passé pour des sorciers aux yeux des gens ignorants ?
556. Certaines personnes ont-elles véritablement le don de guérir par un simple attouchement ?
La puissance magnétique peut aller jusque-là, quand elle est secondée par la pureté des sentiments et un ardent désir de faire le bien, car alors les bons dieux viennent en aide ; mais il faut se défier de la manière dont les choses sont racontées par des personnes trop crédules ou trop enthousiastes, toujours disposées à voir du merveilleux dans les choses les plus simples et les plus naturelles. Il faut également se méfier des récits intéressés de la part de gens qui exploitent la crédulité à leur profit.
557. La bénédiction et la malédiction peuvent-elles attirer le bien et le mal sur ceux qui en sont l’objet ?
La bénédiction et la malédiction ne peuvent jamais détourner la Providence de la voie de la justice ; elle ne frappe le maudit que s’il est méchant, et sa protection ne couvre que celui qui la mérite ».
558. Occupations et missions des dieu-ou-démons ?
Les dieu-ou-démons concourent à l’harmonie de l’univers en exécutant les volontés de Dieu ou du Démiurge dont ils sont les ministres. La vie spirite est une occupation continuelle, mais qui n’a rien de pénible comme sur la Terre, parce qu’il n’y a ni la fatigue corporelle ni les angoisses du besoin ».
559. Les dieu-ou-démons inférieurs et imparfaits remplissent-ils aussi un rôle utile dans l’univers ?
Tous ont des devoirs à remplir. Est-ce que le dernier maçon ne concourt pas à bâtir l’édifice aussi bien que l’architecte ? » (540).
561. Les fonctions que remplissent les dieu-ou-démons dans l’ordre des choses sont-elles permanentes pour chacun, et sont-elles dans les attributions exclusives de certaines catégories ?
Tous doivent parcourir les différents degrés de l’échelle pour se perfectionner. De même, parmi les hommes, nul n’arrive au suprême degré d’habileté dans un art quelconque, sans avoir puisé les connaissances nécessaires dans la pratique des parties les plus infimes de cet art.
78
562. Les dieu-ou-démons de l’ordre le plus élevé n’ayant plus rien à obtenir sont-ils dans un repos absolu, ou bien ont-ils aussi des occupations ?
Que voudrais-tu qu’ils fissent pendant l’éternité ? L’oisiveté éternelle serait un supplice.
563. Les occupations des dieu-ou-démons sont-elles incessantes ?
Incessantes, oui, si l’on comprend par là que leur pensée demeure toujours active, car ils vivent par la pensée. Mais il ne faut nullement assimiler les occupations des dieu-ou-démons aux occupations matérielles des hommes ; cette activité même est une jouissance, par la conscience qu’ils ont d’être utiles.
— Cela se conçoit pour les bons dieux ; mais en est-il de même des dieu-ou-démons inférieurs ?
Les dieu-ou-démons inférieurs ont des occupations appropriées à leur nature. Confiez-vous au manœuvre et à l’ignorant les travaux de l’homme d’intelligence ?
564. Parmi les dieu-ou-démons, en est-il qui sont oisifs, ou qui ne s’occupent d’aucune chose utile ?
Oui, mais cet état est temporaire, et subordonné au développement de leur intelligence. Certes, il y en a, comme parmi les hommes, qui ne vivent que pour eux-mêmes ; mais cette oisiveté leur pèse, et tôt ou tard le désir d’avancer leur fait donc éprouver le besoin de l’activité, ils sont heureux de pouvoir se rendre utiles. Nous parlons des dieu-ou-démons arrivés au point d’avoir la conscience d’eux-mêmes et leur libre arbitre ; car, à leur origine, ils sont comme des enfants qui viennent de naître, et qui agissent plus par instinct que par une volonté bien déterminée.
567. Les dieu-ou-démons se mêlent-ils à nos occupations et à nos plaisirs ?
Les dieu-ou-démons vulgaires, comme tu le dis, oui ; ceux-là sont sans cesse autour de vous et prennent à une part quelquefois très active, selon leur nature, ce que vous faites ; et il le faut bien pour pousser les hommes dans les différents sentiers de la vie, exciter ou modérer leurs passions.
Les dieu-ou-démons s’occupent des choses de ce monde en raison de leur élévation ou de leur infériorité. Les dieu-ou-démons supérieurs ont sans doute la faculté de les considérer dans les plus petits détails, mais ils ne le font qu’autant que cela est utile au progrès.
568. Les dieu-ou-démons qui ont des missions à remplir, les accomplissent-ils à l’état errant ou à l’état d’incarnation ?
Ils peuvent en avoir dans l’un et l’autre état ; pour certains dieu-ou-démons errants, c’est une grande occupation.
569. En quoi consistent les missions dont peuvent être chargés les dieu-ou-démons errants ?
Elles sont si variées qu’il serait impossible de les décrire ; il en est d’ailleurs que vous ne pouvez comprendre. Les missions des dieu-ou-démons en principe ont toujours le bien pour objet. Soit comme dieu-ou-démons, soit comme hommes ; ils sont chargés d’aider au progrès de l’Humanité, des peuples, ou des individus, dans un cercle d’idées plus ou moins larges, plus ou moins spéciales ; de préparer les voies pour certains événements ; de veiller à l’accomplissement de certaines choses. Quelques-uns ont des missions plus restreintes et en quelque sorte personnelles, ou tout à fait locales ; comme d’assister les malades, les agonisants, les affligés, de veiller sur ceux dont ils deviennent les guides et les protecteurs, de les diriger par leurs conseils ou par les bonnes pensées qu’ils suggèrent. On peut dire qu’il y a autant de genres de missions qu’il y a de sortes d’intérêts à surveiller, soit dans le monde physique, soit dans le monde moral. Le dieu-ou-démon s’élève et progresse selon la manière dont il accomplit sa tâche.
571. N’y a-t-il que les dieu-ou-démons élevés qui remplissent des missions ?
L’importance des missions est en rapport avec les capacités ainsi que l’élévation du dieu-ou-démon. L’estafette qui porte une dépêche remplit aussi une mission, mais qui n’est pas celle du général.
572. La mission d’un dieu-ou-démon lui est-elle imposée, ou dépend-elle de sa volonté ?
Il la demande, et il est heureux de l’obtenir.
573. En quoi consiste la mission des bons dieux ?
Instruire les hommes, aider à leur avancement ; améliorer leurs institutions par des moyens directs et matériels ; mais les missions sont plus ou moins générales et importantes ; celui qui cultive la terre accomplit une mission, comme celui qui gouverne ou celui qui instruit. Tout s’enchaîne dans la nature ; en même temps que le dieu-ou-démon s’épure par l’incarnation, il concourt, sous cette forme, à l’accomplissement des vues de la Providence. Chacun a sa mission ici-bas, parce que chacun peut être utile à quelque chose.
79
578. Le dieu-ou-démon peut-il faillir à sa mission par sa faute ?
Oui, si ce n’est pas un dieu-ou-démon supérieur.
— Quelles en sont pour lui les conséquences ?
Il lui faut renouveler sa tâche : c’est là sa punition ; et il subira les conséquences du mal dont il aura été cause.
655. Est-on blâmable de pratiquer une religion à laquelle on ne croit pas dans le fond de son âme, quand on le fait par respect humain, et pour ne pas scandaliser ceux qui pensent autrement ?
L’intention, en cela comme en beaucoup d’autres choses, est la règle. Celui qui n’a en vue que de respecter les croyances d’autrui, ne fait pas mal ; il fait mieux que celui qui les tournerait en ridicule, car il manquerait de charité ; mais celui qui pratique par intérêt ou par ambition est méprisable.
656. L’adoration en commun est-elle préférable à l’adoration individuelle ?
Les hommes réunis par une communion de pensées ou de sentiments ont plus de force pour appeler à eux les bons dieux. Mais ne croyez pas pour autant que l’adoration particulière soit moins bonne.
657. Les hommes qui s’adonnent à la vie contemplative, ne faisant aucun mal et ne pensant qu’à Dieu ou au Démiurge, ont-ils un mérite ?
Non, car s’ils ne font pas de mal, ils ne font pas de bien et sont inutiles ; d’ailleurs ne pas faire de bien est déjà un mal. Celui qui se consume dans la méditation et dans la contemplation ne fait rien de méritoire, parce que sa vie est toute personnelle, donc inutile à l’Humanité.
668. Les phénomènes spirites s’étant produits en tout temps et s’avérant connus dès les premiers âges du monde, n’ont-ils pas pu faire croire à la pluralité des dieu-ou-démons ?
Sans doute, car les hommes appelant Dieu ou Démiurge tout ce qui était surhumain, les Esprits étaient pour eux des dieu-ou-démons. Et c’est pourquoi, lorsqu’un homme se distinguait entre tous les autres par ses actions, son génie ou par un pouvoir occulte incompris du vulgaire, on en faisait un dieu-ou-démon, et on lui rendait un culte après sa mort ».
Le mot dieu avait chez les Anciens une acception très étendue ; ce n’était point, comme de nos jours, une personnification du maître de la nature, c’était une qualification générique donnée à tout être placé en dehors des conditions de l’Humanité. Or, les manifestations spirites leur ayant révélé l’existence d’êtres incorporels agissant comme puissance de la nature, ils les avaient appelés dieux, comme nous les appelons Esprits. C’est une simple question de mots, avec cette différence que dans leur ignorance, entretenue à dessein par ceux qui trouvaient là leur intérêt, ils leur élevaient des temples et des autels très lucratifs ; tandis que pour nous ce sont de simples créatures comme nous, plus ou moins parfaites, ayant dépouillé leur enveloppe terrestre. Si l’on étudie avec soin les divers attributs des divinités païennes ; on y reconnaîtra sans peine tous ceux de nos Esprits, à tous les degrés de l’échelle, leur état physique dans les mondes supérieurs, toutes les propriétés du périsprit, et le rôle qu’ils jouent dans les choses de la terre.
669. L’usage des sacrifices humains remonte à la plus haute antiquité. Comment l’Homme a-t-il pu être porté à croire que de pareilles choses pussent être agréables à Dieu ?
Les hommes primitifs devaient croire naturellement qu’une créature animée avait beaucoup plus de prix aux yeux de Dieu ou du Démiurge qu’un corps matériel. C’est ce qui les a portés à immoler, d’abord des animaux, et plus tard des hommes, puisque, suivant leur croyance, fausse, ils pensaient que le prix du sacrifice était en rapport avec l’importance de la victime. Dans la vie matérielle, telle que vous la pratiquez pour la plupart, si vous offrez un cadeau à quelqu’un, vous le choisissez toujours d’une valeur d’autant plus grande que vous voulez témoigner à cette personne plus d’attachement et de considération. Il devait en être de même des hommes ignorants à l’égard de Dieu ou du Démiurge ».
— D’après cette explication, les sacrifices humains n’auraient pas leur source dans un sentiment de cruauté ?
Non, mais dans l’idée, fausse, d’être agréable à Dieu-ou-Diable. Voyez Abraham.
672. L’offrande des fruits de la terre a-t-elle plus de mérite à ses yeux que le sacrifice des animaux ?
« Je vous ai déjà répondu en vous disant que seule compte l’intention, et que le fait a peu d’importance pour lui. Comme nous vous l’avons dit et vous le répétons toujours, la prière dite du fond du cœur est cent fois plus agréable que toutes les offrandes. Je répète que l’intention est tout et le fait rien ».
80
673. N’y aurait-il pas un moyen de rendre ces offrandes plus utiles, en les consacrant au soulagement de ceux qui manquent du nécessaire ? Et dans ce cas, le sacrifice des animaux, accompli dans un but utile, ne serait-il pas méritoire, tandis qu’il était abusif alors qu’il ne servait à rien, ou ne profitait qu’à des gens qui ne manquaient de rien ? N’y aurait-il pas quelque chose de vraiment pieux à consacrer aux pauvres, les prémices des biens dont nous jouissons ?
Soulager les pauvres et les affligés demeure le meilleur moyen d’honorer les bons dieu-ou-démons. Je ne dis pas pour cela que les dieu-ou-démons désapprouvent les cérémonies que vous faites pour les prier, mais il y a beaucoup d’argent qui pourrait être employé plus utilement qu’il ne l’est. L’homme qui s’attache au dehors, aux apparences, et non au cœur est un esprit aux vues étroites.
FIN DU TEXTE DÉMARQUÉ DU LIVRE DES ESPRITS DU NÉO-DRUIDE ALLAN KARDEC.
81
NOTRE LIVRE DES ESPRITS À NOUS.
« Le mouvement des astres, l’immensité de l’univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieu-ou-démons immortels, tels sont les sujets de leurs discussions ; ils les transmettent à la jeunesse » (César. B. G. VI, 14).
Q : Qu’appelez-vous dieu-ou-démons ?
R : Les dieu-ou-démons sont les puissances créatrices de l’Essence Primordiale. Ce sont les forces en équilibre qui émanent du Procréateur.
Q : Comment sont produits les dieu-ou-démons ?
R : Les dieu-ou-démons sont produits par l’individualisation des facultés du couple primordial (syzygie chez saint Irénée). Autour des points d’équilibre entre les oppositions, ils se constituent eux-mêmes au moyen de leurs propres facultés afin de toujours recevoir l’impulsion supérieure.
Q : Comment les dieu-ou-démons ont-ils émané du couple primordial ?
R : Par syzygies ou couples. Les dieux au niveau de l’avoir et du paraître et leurs parèdres les déesses au niveau du pouvoir et de l’être en profondeur, agissant en coulisse.
Q : Quelles sont les caractéristiques des dieu-ou-démons ?
R : Perpétuité et Immortalité dans le cadre de ce cycle, car leur essence reste toujours identique.
Dieu ou le Démiurge a plusieurs hypostases (appelées vyuha par l’hindouisme). L’Être supérieur est d’une seule substance, et il est donc Un pour ce qui est de la substantialité, mais il a des hypostases. Par « hypostases », il faut entendre ses attributs comme l’Existence, la Vie, la Science, la puissance, la bonté, l’ubiquité, la connaissance et ainsi de suite, car toute déité a un certain nombre d’attributs, divins par définition. Ces hypostases ou vyuha dans l’hindouisme sont en lui de toute éternité. La Vie est par exemple avec lui de toute éternité, la Vie était avec cet Être supérieur et cet Être supérieur était la Vie par excellence. Idem pour la polarité. Le principe de polarité était avec cet Être supérieur, et cet Être supérieur était le principe de polarité. Tout fut mû par lui.
Dieu ou le Démiurge n’est pas et ne peut pas, être connu dans sa Réalité essentielle, et ne peut être connu que par le biais de ses noms ou attributs [divins], multiples et opposés, qui gèrent l’univers depuis sa naissance jusqu’à sa déchéance. Les noms ou attributs divins se reflètent dans le monde qui en émane, mais ils ne s’y incorporent pas.
La nécessité d’une certaine polarité, d’antithétiques ou de complémentaires, explique l’existence de nombreuses divinités (masculines ou féminines, constructrices ou destructrices, etc.). L’originalité de cette démarche réside dans le fait que pour les très-sachant appelés druides, l’acte formateur n’est pas le résultat d’une volonté divine. C’est le monde qui s’auto transforme.
Les dieu-ou-démons [comme celui d’Abraham d’Isaac et de Jacob par exemple, voire Allah] constituent les personnages centraux des systèmes religieux alors que ce n’est pas le cas des éons supérieurs, à l’exception de Neto en Espagne peut-être. La croyance en ces dieu-ou-démons est répandue dans toutes les civilisations depuis l’Antiquité, mais avec de très grandes variations dans son expression. Ces déités sont immuables, et durent autant que le monde dont elles constituent les piliers (elles lui sont consubstantielles). Elles ne sont pas soumises au destin commun de tout un chacun, qui est de mourir un jour ou l’autre.
Le druidisme philosophique et réfléchi désigne les manifestations de puissance du UN supérieur par des attributs que le druidisme mystique hypostasie, et auxquels il donne une existence personnelle, avec une « forme » divine : ce qui en fait des êtres individuels. La seule voie concevable pour l’Homme est en effet celle de la multiplicité par laquelle l’Immensité non duelle se manifeste. À moins qu’il ne veuille se confondre lui-même avec le zéro, c’est-à-dire avec ce qui ne peut lui apparaître que comme le néant. Le monothéisme [ou plus exactement la monolâtrie] écarte l’homme de la voie de la connaissance et de la réalité métaphysique, en remplaçant l’effort pour comprendre la nature multiple du Divin, par un postulat simpliste et inexact.
Il semble que les principaux dieu-ou-démons comme Yahweh ou Allah aient tout d’abord été des incarnations des forces de la nature, des gardiens de l’ordre universel éternel, Tocade ou Destin ; qui se manifestent aussi bien dans la nature que dans les us et coutumes, comme une puissance équilibrant le cosmos. Les dieu-ou-démons et les déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce terme, de notre panth-éon, en sont une extension (imagée), les éons ou les hypostases ou vyuha représentant la Force apparente extérieure ou manifestée, les déesse-ou-démones la force intérieure
82
ou la sensation (Shakti dans l’hindouisme). Mais si les forces divines (génériques) sont très réelles, il est important de réaliser qu’elles ne doivent pas être vues de manière aussi littérale que les mythes qui nous les décrivent. Entre autres choses, elles représentent certains aspects ou principes de la force vitale, de la puissance de la vie, elles représentent les formes les plus élevées de ce principe, l’idéal le plus haut. Ce modèle « cosmique » a, ou peut avoir, un miroir physique sur terre et dans notre manière de vivre.
Ausone (poème sur l’emploi du mot libra) « Divinis humana licet componere » : « Aux choses humaines on peut comparer les choses divines ». La notion d’hypostase (vyuha dans l’hindouisme), n’oublie pas et ne méconnaît pas, l’unité de l’être supérieur qui en est à l’origine. Il s’agit simplement de la personnification, non éphémère, d’un des attributs de la divinité. En ce sens, on peut dire que les dieu-ou-démons du druidisme sont tous peu ou prou des hypostases (vyuha dans l’hindouisme) d’une entité supérieure, qui les engloberait tous.
Pour les chrétiens les trois Personnes divines sont CONSUBSTANTIELLES. Le DIEU-UN et le DIEU-TRINE sont un seul et même DIEU. Dieu est à la fois INFINI et PERSONNEL. Tel est le MYSTÈRE de la SAINTE TRINITÉ. L’absolue et immanente unité de l’essence divine, dans la distinction des trois personnes, sans préjudice de l’unité ou de la diversité.
Mais pourquoi seulement une triade de dieux ou démons comme chez les chrétiens ou une heptade de sept divinités seulement comme chez les sabéens de Carrhes (Carrhae ou Harran) et pas 4 ? 5 ? 6 ? 8 ? 9 ? Ou une cinquantaine ?
Voici d’ailleurs le point de vue des mazdéens sur la notion de sainte trinité ou de sainte poly-unité.
Extrait du Skand Gumânik Vicar ou « traité apportant une solution décisive de tous ces doutes ».
Ils (les chrétiens) disent que le Père, le Fils et l’Esprit, sont trois « entités » qui ne sont ni séparées l’une de l’autre, ni antérieures l’une par rapport à l’autre. Mais alors, si le Fils n’est pas moindre que le Père, étant au contraire en toutes choses égal au Père, pourquoi leur donne-t-on des noms distincts ?
S’il est possible que trois égale un, il est certainement tout aussi possible que trois égale neuf et neuf égale trois, et l’on peut en dire autant indéfiniment des autres nombres.
En outre, si le Fils n’est pas moindre que le Père, c’est que le Père n’est pas plus que le Fils ; dans ces conditions doit-on dire que le Père procède du Fils ou que le Fils ne procède pas du Père ?
Il est bien certain que tout ce qui procède d’un autre doit être moindre que celui-là, qui est à l’origine de son être ; qu’il s’agisse d’une relation dans le temps, ou d’une relation à l’origine.
Si le Fils n’est pas moindre que le Père, c’est que la cause n’est ni antérieure ni supérieure à l’effet. On pourra donc dire que l’un et l’autre sont des Principes originels, et que la créature n’est pas moindre que le créateur, ni que le créateur n’est pas plus que la créature. Ce qui est ne pas tenir compte de la définition de ces mots. Comme dans le cas d’élohim pour Dieu (ou dieux ?)
NOTRE SOLUTION DÉCISIVE DE TOUS CES DOUTES À NOUS.
Principe Nº 1. La sainte poly-unité.
Le monde des dieux ou démons ou sedodumnon est un état d’être supérieur, un Tout dont la puissance fait qu’il peut être UN en plusieurs. Les hypostases ou vyuha dans l’hindouisme, appelées Taran/Toran/Tuirean, ou Mabon/Maponos/Oengus, et même Lug… Bref, une sainte poly-unité avant la lettre !
La notion païenne d’hypostases ou de personnes divines dans une sainte poly-unité, devrait être facile à comprendre par des chrétiens (trinitaristes), puisqu’elle est identique à celle du monogène des chrétiens gnostiques. Quand des païens disent de telle ou telle entité surhumaine, de tel ou tel être surnaturel, qu’il est fils de Dieu ou du Démiurge ; cela n’implique nullement qu’il est fils de Dieu ou du Diable à la façon dont les juifs ou les musulmans conçoivent leurs prophètes ou leur messie. Mais cela implique une identité foncière, ou une proximité entre cette entité surhumaine et l’Être supérieur.
Les dieu-ou-démons ou déesse-ou-démones, les fées si l’on veut, sont les fils ou les filles de Dieu ou du Démiurge, mais des fils ou filles de Dieu ou du Démiurge que l’on ne doit en rien distinguer de leur Père. Tel était par exemple le raisonnement des païens de La Mecque à propos de leurs trois déesse-ou-démones, ou fées arabes, nommées Al Lat, Manat et Al Ouzza, dites également filles d’Allah.
C’est cette conception non juive des hypostases ou personnes divines (vyuha dans l’hindouisme), que les chrétiens d’origine païenne exprimaient avec des propos du genre : « Moi et le Père, nous sommes un seul ». « Je suis dans le Père et le Père est dans moi » « Celui qui m’a vu a vu le Père ». « Il faut rendre au Fils le même culte qu’au Père ». Cette conception est complètement étrangère au judaïsme. On ne lui trouve de parallèle que dans le paganisme. À l’origine, elle a dû être insupportable
83
non seulement aux Juifs eux-mêmes, mais même aux judéo-chrétiens orthodoxes, c’est-à-dire à ceux qui voulaient conserver la religion de l’Ancien Testament. Ceux qui ne voyaient dans le Nazaréen Jésus que le Messie attendu par les juifs.
N.B. L’omnipotence de cet Être supérieur fait aussi qu’il peut se faire chair, d’où certains êtres exceptionnels en qui coexistent à la fois une nature humaine et une nature divine : le Hésus/Cuchulainn en Irlande par exemple.
Principe N° 2. Personnification ou kénose.
Kénose est le terme technique (tiré du grec) signifiant le fait, pour des dieux-ou-démons comme Lug, la bélisama Brigindo Brigantia Brigitte, Abellio, Hesus, et les autres ; tout en demeurant des éons divins ou des êtres spirituels, relevant du préternaturel surnaturel ; d’avoir abandonné pour leur incarnation sur Terre (avatara) ou pour leur incarnation dans le monde immédiatement supérieur à la Terre ; tous ceux des attributs du divin qui les auraient empêchés, par définition, de vivre une condition plus proche de celle des hommes. Pour le salut des hommes, plus exactement de leurs fidèles, les dieu-ou-démons les ont ainsi rendus leurs frères : ceux qui croient en leur existence peuvent dès lors, par eux, entrer en pleine communication avec leur destin personnel (leur destinée), et devenir enfin eux aussi, comme des dieu-ou-démons. Les dieu-ou-démons ayant pris forme humaine, ils sont devenus consubstantiels aux hommes, quoique d’une manière sensiblement différente. Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), admettaient comme présupposé de l’incarnation des dieu-ou-démons, leur autolimitation (kénose). C’est-à-dire le renoncement de ces éons à certaines des propriétés de la divinité relative au monde, la dépossession de leur conscience divine qui devient comme la conscience humaine, et le renoncement à une partie de leur éternelle connaissance (de Soi et du Monde) ; qui entraîne une sorte de mort de Dieu en les dieux. Dieu est mort et les dieu-ou-démons sont en quelque sorte ses exécuteurs testamentaires.
Principe N° 3. L’avatara-isme.
Il peut y avoir deux types d’avatara-isme dans la mythologie celtique.
Le premier type d’avatara-isme c’est l’avatara-isme au sens large : un avatar complet du dieu en question. Son hypostase en quelque sorte.
Exemple le dieu particulièrement adoré dans l’île de Man : Belin/Belen/Belenos peut-être. Difficile de dire dans le cas de Manannan.
Autre exemple, mais pour ce qui est du principe, pas pour ce qui est de la cohérence linguistique (car c’est une interpretatio celtica) : Jupiter Taranucnus.
Le deuxième type d’avatara-isme c’est l’avatara-isme au sens restreint : un avatar partiel du dieu en question. Vindos/Finn ou le Hesus/Cuchulainn/Setanta en Irlande. Taranucnus sur le Continent, en Allemagne (Deo Taranucno) et Taranu ? tius à Tours.
Le druidisme admet par conséquent l’existence de plusieurs entités célestes qui sont appelées deiwi, donc effectivement dieux. Vu la transformation du sens de ce mot depuis la victoire du judéo-christianisme dans les esprits (traduction par le grec théos de la désignation de l’être supérieur) ; il serait presque préférable de les appeler demi-dieux ; ou alors divinités, âme/esprits célestes, voire anges.
Mais cela reste les ultimes manifestations du Un Supérieur Originel dans la sphère de conception de l’esprit humain. Et pour honorer cet Être supérieur, les caractères naturellement portés à la mystique ont toujours conçu des formes anthropomorphiques du Dieu ou du Démiurge dans leur esprit, afin de lui rendre un culte. Concept désigné sous le nom d’avatar.
Un grand Dieu ou Démiurge (dans le druidisme originel point n’est besoin que ce soit le dieu supérieur) peut apparaître sous un autre nom ou une autre forme dans certaines parties de l’univers.
Cet important principe théologique aryen a d’ailleurs été très bien défini par la Bhagavad Gîta. Krishna y déclare expressément :
J’apparais dans ce monde chaque fois que la vertu décline, et qu’il y a une nouvelle éruption de vice ou d’injustice, et alors je m’incarne parmi les créatures, ô fils de Bharata.
Pour ce qui est du druidisme cela peut ne pas être une simple question d’époque, cela dépend aussi du lieu. Mais le principe demeure le même, et il a bien été défini par l’hindouisme, où le Rig-Veda stipule explicitement : « ekam sat vipra bahudha vadanti ». « Le Vrai Dieu ou Démiurge est Un, bien que les sages lui donnent des noms divers ».
84
Il existe différentes sortes d’avatars qui apparaissent tous à des époques déterminées, dans l’une ou l’autre des régions de l’univers : le hésus Cuchulainn ou le Camulos père de Finn en Irlande, par exemple.
La notion d’incarnation (avatara) diffère de celle d’hypostase en ce sens que dans le cas de l’incarnation ; et à la différence de l’hypostase ; ce n’est pas seulement une des composantes ou un des attributs du dieu-ou-démon qui se manifeste ; mais lui-même, totalement ou partiellement ; dans un but précis (rétablir l’ordre ou réparer une injustice). La notion d’incarnation (avatara) en fait une manifestation particulière, occasionnelle, répondant à un but bien précis. D’un certain point de vue et sur un certain plan, les deux séries (hypostases et avatars) se répondent néanmoins. Dieu-ou-démons et déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, de l’amour, de la guerre (défensive) de la santé… sont des hypostases du divin supérieur ; le Hésus/Cuchulainn ou le fils de Camulos appelé Vindos (Finn en Irlande) sont des incarnations partielles d’autres dieux-ou-démons. Les incarnations partielles plus ou moins éphémères relèvent en effet de la catégorie des héros divinisés.
Note de la rédaction à propos de la différence entre hypostase et avatar. Le grand rabbin nazaréen Jésus est considéré comme hypostase par les chrétiens et comme avatar par l’es hindous. Pas très simple tout ça !
Principe Nº 4. Panthéisme.
L’ensemble des dieux ou démons d’une religion est appelé panthéon ou plérôme (quand il inclut aussi les dieux souterrains ou chtoniens).
Certains systèmes religieux envisagent l’existence d’autres êtres ayant des fonctions et pouvoirs similaires à ceux des dieux : génies, djinns, ou démons, anges, saints, héros, bodhisattvas, extra-terrestres, etc.
Différents termes sont apparus pour désigner certains aspects des relations des dieu-ou-démons entre eux, les fidèles et l’univers.
Le mot polythéisme désigne un système qui admet l’existence de plusieurs dieu-ou-démons. Monothéisme celui qui ne reconnaît qu’un dieu-ou-démiurge. La distinction entre les deux n’étant pas toujours évidente, comme dans le cas où les différents dieu-ou-démons sont des manifestations d’une divinité primordiale unique (l’hindouisme par exemple).
« De dhruadh, mu dhe tar gac nde », s’exclame l’Irlandais Mog Ruith lors du siège de Druim Damhghaire. Hénothéisme désigne un système polythéiste dans lequel une divinité occupe une place infiniment plus importante que les autres (cas d’Allah à La Mecque par exemple) ; monolâtrie la relation exclusive entre un dieu-ou-démon unique et un groupe particulier (ethnie, profession). Cas du Dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob par exemple. Dans les systèmes dualistes, deux dieu-ou-démons d’égale puissance, un « bon » et un « mauvais », s’opposent. Dans le cas du christianisme on parle de dualisme mitigé.
Le panthéisme considère l’univers lui-même comme une divinité. Les systèmes « religieux » athées, n’envisageant l’existence d’aucune divinité, sont très rares. La secte raëlienne et la scientologie en sont deux exemples, ainsi que certaines interprétations occidentales du bouddhisme, car le bouddhisme oriental originel, ainsi que ses formes asiatiques, admettent l’existence de dieu-ou-démons. Mais ne leur accordent qu’une influence marginale dans les affaires humaines. Un peu comme certains druides d’aujourd’hui d’ailleurs.
Le panenthéisme est une variante du panthéisme de John Toland. Tout n’est pas divin, mais tout baigne dans le divin sans qu’il y ait pour autant identité entre Dieu et le Monde.
Principe Nº 5. Liberté égalité.
La société des dieu-ou-démons celtes n’était pas aussi hiérarchisée que celle des Grecs, des Romains, ou des Hébreux (Dieu et les anges élohim). Il s’agissait d’ailleurs plus d’une république que d’une monarchie, la regia potestas chez les Celtes étant un pouvoir confiné dans l’exercice d’une magistrature à compétence, sinon restreinte, du moins limitée dans le temps. Comme pour les consuls romains.
L’allusion la plus intéressante, tout en étant imprécise, concerne Celtillos, le père de Vercingétorix. Elle montre la trace d’un système de royauté suprême « fédérale » et honorifique, analogue à celui qui a subsisté en Irlande jusqu’au Moyen-âge. « De la même manière Vercingétorix, fils de Celtillos, Arverne, jeune homme très puissant, dont le père avait obtenu le pouvoir et qui, pour cette raison, parce qu’il briguait la royauté, avait été assassiné par ses compatriotes, convoqua ses obligés ou ses vassaux et… »
Une autre allusion, B. G. VI, 31, se rapporte au suicide du roi des Éburons, à la fin d’une aventure sans espoir. « Catuvolcus, roi de la moitié des Éburons, qui s’était associé aux projets d’Ambiorix ; accablé par l’âge et ne pouvant supporter les fatigues de la guerre ou de la fuite, ayant maudit
85
Ambiorix de ses imprécations parce qu’il était le responsable du projet ; s’empoisonna donc avec de l’if… ».
Les Éburons avaient donc deux rois. Se partageaient-ils le territoire à la manière de ces roitelets irlandais qui ne régnaient que sur quelques cantons ? Ou bien y a-t-il chez César une imprécision terminologique, et ces deux rois se partageaient-ils, en régnant sur un même territoire, des attributions différentes ? Ou bien encore régnaient-ils alternativement chacun pendant une période déterminée ? L’Irlande mythique nous fournit un exemple de chacun des deux systèmes.
— Dans la légende de Macha la guerrière, trois rois (et non deux) règnent à leur tour chacun pendant sept ans sur l’Ulster : Aed Ruad, Dithorba, et Cimbaeth. Le bon fonctionnement de la rotation est assuré par un traité que garantissent sept druides, sept poètes et sept chefs.
— Dans la légende de Mongan, deux rois règnent en même temps sur l’Ulster, et leurs noms sont à la fois semblables et contraires : Fiacha Find « le Blanc » et Fiacha Dub « le Noir ».
On ne peut, dans le second cas, s’empêcher de penser, à une spécialisation fonctionnelle de chacun des deux rois. Mais l’Irlande a oblitéré l’archaïsme du système.
Le peuple des Éduens, l’un des plus puissants à l’époque de César, avait une organisation politique quelque peu différente, du moins à première vue.
B. G. I, 16 « César convoqua les principaux d’entre les Éduens, dont un grand nombre se trouvait dans le camp. Et parmi eux Diviciacus et Liscus, titulaire de la magistrature suprême, que les Éduens appelaient vergobretus, laquelle est annuelle, et donne le pouvoir de vie et de mort ».
B. G. VII, 32 « Les principaux des Éduens vinrent en députation vers lui, le priant de secourir leur cité en ce moment particulièrement difficile. La situation était très grave parce que leur ancienne coutume était de nommer un seul magistrat qui recevait le pouvoir royal pour un an, alors que, maintenant, deux hommes étaient revêtus de cette charge, chacun prétendant être nommé légalement ».
Mais un roi des dieu-ou-démons même détrôné continue à vivre et à exercer de l’influence, il continue à régner sur le cœur de ses dagolitoi (fidèles) quoiqu’assez démocratiquement à en croire le paradoxe mis en avant par le roi belge Ambiorix pour tenter de se justifier aux yeux des Romains.
« Son pouvoir était d’une telle nature que le peuple avait autant d’autorité sur lui que lui n’en avait sur le peuple » (César. B.G. Livre V. Chapitre XXVIII).
Transposé sur le plan spirituel cela impliquerait que les dieu-ou-démons sont un peu comme des égrégores, très dépendants du nombre et de l’ardeur de ceux qui croient en eux.
Principe Nº 6. Infinité des demeures divines.
Infinité des sides, infinité des mondes divins (Bouddha ksetra ou terre pure en Extrême-Orient).
Ci-dessous rappel pour mémoire de quelques noms de terres pures, puisque c’est ainsi que nos frères en paganisme de cette région du Monde appellent leurs univers parallèles.
La Terre de la Béatitude (Sukhavati) du bouddha Amitabha, la plus connue, décrite dans les soutras de la Terre pure, elle serait située à l’ouest de notre monde.
La Terre de la Joie (Abhirati) du bouddha Akshobhya, située à l’est de notre monde.
La Terre d’Émeraude du bouddha Bhaisajyagourou ; décrite dans le Soutra Bhaisajyagourou, elle serait située à l’est de notre monde.
La Terre de la grandeur secrète du bouddha Vairocana, décrite dans le Mitsugon kyo.
La Terre pure du Pic du Vautour, où règne l’enseignement du Bouddha Çakyamouni.
La Terre pure du Mont Potakala, du bodhisattva Avalokiteshvara.
Tout le monde connaît le tumulus de Newgrange appelé Brug na Boinne dans les légendes irlandaises. Mais outre ce Side, il existait aussi le Side de Bri Leith, le Side de Femen, le Side Nennta, le side de Cleitech, etc., etc. chacun de ces Sides étant le domaine d’un dieu-ou-démon. Medros/Midir à Bri Leith, par exemple. Il en existait beaucoup. Et si l’on ajoute ceux qui sont situés hors d’Irlande (exemple celui de Hochmichele en Allemagne où l’on a carrément trouvé sur place un sanctuaire de
86
type Viereckschanze) on peut parler d’une infinité de sidh dans la mythologie celtique. Chaque sid ou brug d’un de ces dieu-ou-démons ou entités divines apparentées, correspond à la terre ou royaume de ce dieu-ou-démon (side) parce qu’il représente la sphère d’influence de cette entité supra-humaine. De cette entité suprahumaine qui est donc responsable du développement physique ou spirituel de tous les êtres vivant dans son side. Exemple Mabon/Maponos/Oengus dans le Brug na Boinne.
Ne prenons pas ceci trop au pied de la lettre, disons simplement que ce sont des images poétiques pour désigner des univers parallèles ou plus précisément des portes d’entrée dans un univers parallèle. Mais la première chose que nous devons réaliser, que nous devons prendre en compte, nous autres hommes d’aujourd’hui, c’est que le druidisme traditionnel voyait l’espace comme étant infini. Et il voyait cet espace infini occupé par des mondes, des systèmes de mondes, infinis. Cela est évidemment à relier au fait que le druidisme reconnaît, non seulement une infinité de sides, mais aussi une infinité de dieu-ou-démons. Ou tout au moins, si cela semble par trop outrancier, une pluralité de dieu-ou-démons et de sides ou mondes parallèles.
Principe Nº 7.
Le don d’ubiquité des dieu-ou-démons………………………………………………………………………… N.D.L.R. La fin de cette note manque.
Principe Nº 8. Omniprésence divine.
Contrairement au bouddhisme, dans le druidisme il n’existe aucun carcan pour les dieu-ou-démons.
Ils peuvent résider dans des lieux réels ou hors du monde (mer, montagne, monde souterrain, ciel, bâtiment, objet, corps humain, autre univers). Ils peuvent rester continuellement dans le même lieu ou en changer, ou bien être doués d’ubiquité. Ils exercent leurs pouvoirs dans toutes sortes de domaines, depuis les phénomènes naturels jusqu’au fonctionnement social, et particulièrement dans les domaines purement conceptuels comme l’au-delà. On leur attribue parfois le rôle de créateur (d’une seule chose ou de l’univers entier) ou de héros civilisateur. Ils peuvent avoir des connaissances inaccessibles aux humains, comme celle de l’avenir ou des pensées d’autrui, voire être omniscients.
Ils sont de toute manière rarement visibles, sinon à travers les phénomènes interprétés comme étant leur manifestation.
Principe Nº 9. Polymorphisme.
Un même dieu-ou-démon, par exemple un kelpie, peut avoir plusieurs apparences ou représentations. On prête souvent aux dieu-ou-démons une apparence humaine ou animale. Leurs représentations sont en général codifiées, parfois réduites à un symbole, voire interdites.
On attribue le plus souvent aux dieu-ou-démons des pensées ainsi que des émotions humaines, et la conscience de l’existence des êtres humains avec lesquels ils traitent de supérieur à inférieur ; par l’intermédiaire de rites, voire souvent de personnes spécialisées à cet effet (prêtres, devins ou prophètes, médiums). Indépendamment de la personnification, il peut y avoir une différence radicale et irréductible entre le (s) dieu (x) et les hommes, ou au contraire un passage possible, voire une identité fondamentale, entre l’état humain et l’état divin. À la personnification peut se superposer ou se substituer l’identification du dieu-ou-démon, à un concept (unité, transcendance, etc.). Certains dieu-ou-démons sont considérés comme des émanations ou des avatars d’autres dieu-ou-démons, ou d’une divinité primordiale unique (le hésus Cuchulainn, avatar de Lug, Camulos, Belin/Belen/Barinthus dit Manannan mac Lir, avatar de Toran/Taran/Tuireann. Ou Belin/Belen/Belenos)
Principe Nº 10. Implication.
Les dieu-ou-démons du druidisme antique tels que les décrivent nos mythes, ne sont pas des « deus otiosus » ce sont des êtres actifs, intervenant volontiers dans les affaires humaines. Ils sont secourables ; anextlomaros, contrebus, iovantucaros, etc.
Il existe quatre grandes catégories de dieu ou démons.
Les dieu-ou-démons mono-fonctionnels, universels ou panceltiques (santé, chance, protection, etc.)
Les dieu-ou-démons strictement topiques ou locaux (montagnes, arbres, rivières…)
Les dieu-ou-démons polyvalents et un peu bons à tout. Tel est d’ailleurs le sens étymologique de l’irlandais Dagda (dagodevos = bon à tout… bon dans tout).
Les dieu-ou-démons spécialisés, par exemple le dieu-ou-démon des cordonniers, des militaires, et ainsi de suite.
Il existe bien entendu des entités à cheval sur toutes ou plusieurs de ces catégories. Une divinité très locale peut être aussi polyvalente… pour compliquer un peu plus les choses, les dieu-ou-démons peuvent avoir plusieurs noms (selon l’aspect de leur personnalité qui est envisagé).
87
Principe Nº 11. Le multi-enracinement.
Dès l’origine, les divinités majeures ont été une synthèse de dieu-ou-démons différents ; certains traits communs ayant permis d’assimiler les uns aux autres plusieurs personnages. Certains éléments aériens ou souterrains peuvent ainsi se fondre dans la personnalité d’un seul et même dieu-ou-démon (exemple Lug). Dans le domaine psychologique, on retrouve cette même opposition, le côté ouranien représentant la logique pure, la raison froide, et le côté chthonien les réactions plus sensuellement émotives ou plus sentimentales. Mais le tout d’un dieu-ou-démon est supérieur à la somme de ses parties (ouranienne et chtonienne) et pour un Celte d’esprit, moyen, ce dieu-ou-démon reste cohérent, et non pas fait de pièces ou de morceaux (synergie).
La confluence des diverses traditions s’explique aisément par l’aptitude qu’a chaque divinité à revêtir des formes multiples, auxquelles répond la variété des dénominations. Le même phénomène apparaît dans la Bible, où il est évident que le petit dieu tribal voire local du paganisme madianite, Yahwé ; s’est arrogé les attributs des baals cananéens, en pénétrant par la suite en Palestine.
Des dieu-ou-démons et des déesse-ou-démones ou fées, différents, ont été regroupés sous un même nom (tolérant néanmoins des appellations particulières), d’où une certaine polyvalence de maints dieu-ou-démons du druidisme.
Certains dieu-ou-démons personnifiant des forces de la nature à l’origine, se sont ainsi retrouvés patrons de diverses autres activités. Par exemple Lug devenu dieu-ou-démon des cordonniers, voire dieu-ou-démon du commerce et des voyages. Le lien entre voyage et commerce dans l’Antiquité semble évident, mais pourquoi les voyages ?? Les raisons n’en sont plus nettement perçues aujourd’hui. Parce qu’il faut beaucoup d’ingéniosité pour surmonter les difficultés d’un long voyage ?? Par contre le lien entre la parole et l’écriture, donc la magie, est plus évident dans le cas d’Ogmios, qui n’est au départ que le dieu-ou-démon patron de l’art de bien parler.
Une des tendances du druidisme a toujours été la tendance à l’universalisme vrai, c’est-à-dire à l’absorption des notions divines les plus diverses. Par l’intermédiaire des très-sachants, les dieu-ou-démons hérités de l’aryanisme ont rencontré les divinités chamaniques locales. Plutôt que de repousser celles-ci et d’en interdire le culte, les gnostiques d’Occident les ont adoptées en les faisant absorber par leurs propres dieu-ou-démons ; donnant ainsi naissance à des personnages porteurs de caractéristiques nouvelles, qui parfois les écartaient radicalement de celles qui étaient attribuées aux dieu-ou-démons traditionnels dont ils continuaient à porter le nom. Contrairement aux dieu-ou-démons gréco-romains, les dieu-ou-démons celtes ne sont pas des personnes bien distinctes, ayant chacune leur individualité ou leurs attributs propres : ce sont des aspects divers de la transcendance-immanence infinie.
Aussi la trinité peut-elle être adorée sous des appellations différentes : la principale caractéristique des dieu-ou-démons celtes est leur ambiguïté ainsi que leur polyvalence. Ce sont tous des Dagda (dago-devos = « dieu-ou-démon bon à tout »). Ogmios est le dieu-ou-démon de l’éloquence, mais aussi de l’écriture, voire de la sorcellerie à la basse époque ; et il n’y a pas plus de distinction à faire dans certains cas entre Maponos et Toutiorix qu’entre l’Enfant Jésus et le Christ-Roi. De même, toutes les divinités féminines sont un aspect de la Déesse-ou-démone-Mère (la Morrigan de la littérature irlandaise). Chaque dieu-ou-démon, voire déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, de telle ou telle force naturelle EN GÉNÉRAL (le vent, la terre, etc.) est bien sûr toujours localement vu, conçu, et honoré, d’une façon particulière. Exemple la terre mère. La déesse-ou-démone ou fée de la terre mère en général, est Litavis-Nerthus, mais localement on peut trouver Talantio/Tailtiu, Carman, Rosemartha, et bien d’autres.
Chaque touta celte a son « Teutatis » qu’elle qualifie de noms différents, tout comme aujourd’hui, on rend des cultes concurrents à Notre-Dame de Vie, de la Joie, du Bon-Secours, de la Clarté, ou à son saint patron, chez les catholiques romains… Si plus de 400 dieu-ou-démons au moins ont été recensés, plus des trois quarts n’apparaissent qu’une fois.
Notes manuscrites retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau.
Lorsqu’un dieu-ou-démon local du néolithique, initialement dieu-ou-démon de la fécondité, protecteur de la tribu, a « rencontré » un dieu-ou-démon indo-européen, plus « universel » et porté par les nouveaux maîtres du pays ; il a pu s’assimiler à lui, ou inversement assimiler certains de ses attributs.
Un dieu-ou-démon fonctionnel (dieu-ou-démon de la guerre, de la fécondité, de l’amour) est aussi nécessairement local. Autrement dit un dieu-ou-démon vers qui une micro-communauté se tourne en cas de problèmes, ou de toute autre difficulté de cet ordre. Un dieu-ou-démon local, c’est-à-dire unique en fait pour une micro-communauté humaine, est aussi nécessairement un dieu-ou-démon
88
fonctionnel ; puisqu’il se doit de répondre à toutes les attentes de ses dagolitoi, c’est-à-dire de ses fidèles. D’où le fait que, dans le druidisme, chaque dieu-ou-démon est local, parce que fonctionnel, et fonctionnel parce que local. Tous les dieu-ou-démons celtes ont le même caractère, la même puissance (c’est en cela que réside leur essence divine), mais ils n’ont pas le même aspect. On accentue telle caractéristique plutôt que telle autre. Tout dieu-ou-démon est un « dieu-ou-démon universel » en puissance, mais aussi un dieu-ou-démon « particulier », « local », du fait de sa manifestation. Chaque dieu-ou-démon a une fonction, mais n’est exclusif d’aucun autre qu’il priverait de la sienne. Néanmoins, possédant une ou même plusieurs fonctions, il ne saurait vraiment les avoir toutes.
Insistons bien sur ce point. Un dieu-ou-démon de la fécondité, pas plus d’ailleurs qu’un dieu-ou-démon de la guerre, ou de l’amour, ne saurait être fonctionnellement et fondamentalement rien que local, puisque fécondité, guerre, ou amour, concernent tout être humain, quel qu’il soit. Une fonction, bien qu’exercée à l’origine localement, est en soi universelle.
Par contre, un dieu-ou-démon local, et strictement local, se doit aussi d’être fonctionnel, et même aussi, pourrait-on dire, multifonctionnel, afin de répondre à tous les besoins de son groupe. Il n’existe pas, par exemple, de dieu-ou-démon unique de la médecine, dans le druidisme. Il en existe plusieurs. Des démone-ou-déesses de rivière comme la Boyne, la Tamise, ou la Seine, des dieu-ou-démons ou des déesse-ou-démones, des fées si l’on préfère ce terme, de sources ou de puits, des dieu-ou-démons associés aux sources thermales (Bormanus, ou Borvo ??) ; des dieu-ou-démons associés au pouvoir guérisseur du soleil (Grannos).
Tout dieu-ou-démon druidique est donc à la fois dieu-ou-démon local, autrement dit lié aux caractéristiques naturelles et diverses du lieu, et dieu-ou-démon fonctionnel. Une des particularités de l’ancien druidisme est le fait qu’au-delà de ce polythéisme apparent, les très-sachants honoraient un dieu-ou-démon principal (hénothéisme) qu’ils vénéraient, par l’intermédiaire d’une série de divinités secondaires, symbolisant toutes ce « Dieu ou Démiurge unique ». « De dhruadh, mu dhe tar gac nde », s’exclame l’Irlandais Mog Ruith lors du siège de Druim Damhghaire.
Principe Nº 12. Amoralisme en ce qui concerne la vie dans l’au-delà, déontologies en ce qui concerne ce monde.
Mal et péché ne sont pas des absolus comme dans le judéo-islamo-christianisme, mais sont une illusion, ou pour mieux dire une impression purement humaine nous séparant de la divinité. Le Dieu ou Démiurge impersonnel est au-dessus de cela ; il est le bien et le mal tout à la fois. Il est l’être, il est tout, et c’est notre point de vue d’être humain qui nous pousse à considérer les choses positivement ou non. La philosophie druidique a bien expliqué ce paradoxe et elle évite soigneusement de parler du Bien et du Mal, en nous exposant toujours les aspects complémentaires et nécessaires de l’existence. Mais tout cela reste des considérations philosophiques, et celui qui est coincé dans le malheur des misères humaines, a davantage besoin d’une figure de compassion, que d’un symbole universel, pour tenir le coup. Tout comme dans le christianisme, un Christ souffrant ou une Madone compréhensive, sont des baumes autrement efficaces et nécessaires, qu’un Dieu ou Démiurge tout-puissant et impersonnel. Les blessés dans une tranchée qui attendent l’assaut final ont plus besoin d’un aumônier un tant soit peu doué que d’un professeur de philosophie.
Les dieu-ou-démons du druidisme diffèrent également des bouddhas de la spiritualité extrême-orientale, en ce sens que dans le druidisme, une action n’est ni bonne ni mauvaise en elle-même ; mais qu’elle est favorable ou défavorable selon la motivation et l’état d’esprit qui la sous-tend. En conséquence, certains actes mauvais selon nos critères modernes peuvent se révéler aussi parfois très utiles. C’est pourquoi il existe des dieu-ou-démons de la colère, de la guerre, courroucés, ou au contraire paisibles, intercesseurs, et ainsi de suite. Il est donc indispensable en théologie de bien faire la distinction entre les forces évoquées ou leur version humaine, entre la guerre et la haine, entre l’attirance et l’amour ou l’amitié… Un certain nombre des dieu-ou-démons du druidisme sont en effet par nature ambivalents, voire dangereux, quand ils échappent à tout contrôle (les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, mais Fomore en Irlande par exemple).
Principe Nº 13. Anthropomorphisme.
Humainement parlant, ou d’un point de vue strictement humain (mais est-il possible d’en avoir un autre), l’Homme a besoin de figures personnalisées pour concevoir l’univers divin ; car l’essence divine est une chose, et son activité concrète et quotidienne (sa brigo, son brio) une autre. La
89
personnalisation d’un concept abstrait passe d’ailleurs très souvent par l’attribution d’un genre, masculin ou féminin.
Principe Nº 14. Fluidité.
«… Bien que les êtres célestes n’aient pas pour habitude de se montrer aux yeux des hommes, car la substance sans mélange et immatérielle de leur nature subtile échappe à notre vision émoussée, voire aveugle, à ce moment-là pourtant vos auxiliaires acceptèrent d’être vus et entendus, et n’échappèrent à la contamination apportée par la vue des mortels qu’après avoir attesté de votre valeur. Mais quelle ne fut pas leur apparence, la vigueur de leurs corps, la taille de leurs membres, l’ardeur de leurs volontés ? Leurs boucliers fulgurants flamboyaient d’un feu redoutable, leur armement céleste brûlait d’un terrible éclat ; car ils étaient venus sous cette forme afin que nul ne doute de l’appui qu’ils vous apportaient. Leur discours, et les propos qu’ils tenaient devant ceux qui les écoutaient pouvaient se résumer à ceci : « Nous cherchons après Constantin, nous allons aider Constantin ».
Même les êtres divins ont de l’amour propre, car la fierté anime aussi les êtres célestes : ces armées descendirent donc du ciel, et ces armées envoyées par les dieux exultaient, parce qu’elles combattaient pour vous.… » (Nazaire de Bordeaux. Panégyrique de Constantin 14).
Un peu comme certains bouddhas d’Extrême-Orient, le corps des dieu-ou-démons celtes est en réalité très différent de celui des simples humains, dont il n’a que l’apparence. L’Être supérieur illumine le corps qu’il prend comme la lumière illumine un corps transparent. Il s’imprime en lui comme une gravure s’imprime dans de la cire ; il se manifeste en lui comme ce qui est spirituel se manifeste en ce qui est corporel ; il se mêle au corps d’un homme comme le lait se mêle à l’eau. Il n’en connaît pas les contingences ou les limitations habituelles. Il peut, par exemple, passer à travers des murs ou franchir en quelques fractions de seconde d’incroyables distances.
Principe Nº 15. Les couples fonctionnels.
Ou les paires de dieu-ou-démons. Il peut exister des couples de dieu-ou-démons non sexuels, non composés d’un dieu-ou-démon et d’une déesse-ou-démone, ou fée, mais de deux entités divines vues traditionnellement comme étant du même sexe. Exemple Lug et Noadatus/Nuada/Nodons ou Mercure et Mars dans l’interpretatio romana.
Principe Nº 16. L’hétérosexualité ou la parité (homme/femme) en matière d’élections divines.
Nos ancêtres ne faisaient pas comme certains esprits contemporains et ne soutenaient pas simultanément et à la fois la parité en politique et le mariage homosexuel (ce qui est rigoureusement contradictoire). Ils ignoraient en effet le mariage homosexuel, mais encourageaient la parité hommes/femmes en matière de représentation divine. Dit autrement ils ne reculaient pas devant une altérité radicale, ils aimaient la différence, ils la recherchaient (jusque dans les points de vue à porter sur le monde) ; ils ne se contentaient pas du même ou du semblable (ce qu’implique le mariage homosexuel qui par définition tourne le dos à l’autre, à l’altérité, à la différence). Ils étaient hétérophiles, au moins au niveau de la société divine. Les hommes ne sont pas des femmes et les femmes ne sont pas des hommes, mutatis mutandis, hommes et femmes sont différents, n’ont donc pas le même point de vue sur les choses, et ils sont donc complémentaires bien qu’égaux en droits et en dignité bien entendu.
La parèdre était une compagne parée des mêmes attributs et chargée des mêmes fonctions. Ou une divinité inférieure, dont le culte était associé à celui d’une divinité plus puissante. On retrouve le même principe dans la Bible avec Ashéra et Yahwé.
Deuxième livre des Rois chapitre XXI.
Manassé avait douze ans à son avènement et il régna 55 ans à Jérusalem ; sa mère s’appelait Hephçiba. Il fit ce qui déplaît à Yahvé, en imitant les abominations des nations que Yahvé avait chassées.
Il rebâtit les hauts lieux qu’avait détruits Ezéchias, son père, il éleva des autels à Baal et fabriqua une statue d’Ashérah, comme avait fait Achab, roi d’Israël, il se prosterna devant l’armée du ciel et lui rendit un culte.
Il construisit des autels à toute l’armée du ciel dans les deux cours du Temple de Yahvé.
Il fit passer son fils par le feu. Il pratiqua les incantations et la divination, installa des nécromants et des devins, il multiplia les actions que Yahvé regarde comme mauvaises, provoquant ainsi sa colère.
Il plaça l’idole d’Ashéra, qu’il avait faite, dans le Temple.
La statuaire britto-romaine a tenté, elle aussi, d’humaniser la métaphysique, ou de faire un lien entre la transcendance et la réalité humaine. Ce lien, c’est la parèdre du dieu-ou-démon lui-même, à la fois dans sa dimension cosmique et dans sa dimension physique individuelle. Sa shakti diraient les
90
hindous (c’est-à-dire une compagne parée des mêmes attributs et chargée des mêmes fonctions avons-nous écrit plus haut). Son ashérah diraient les premiers Juifs en parlant de Yahwé.
Les divinités celtiques sont souvent, dans les dédicaces, groupées deux par deux, un dieu-ou-démon et une déesse-ou-démone, ou fée, si l’on préfère ce vocable. Exemple Suqellos et Nantosuelta. On trouve de plus dans les inscriptions britto-romaines ou gallo-romaines, Lug associé à Rosemartha, une déesse-ou-démone, ou fée, dont le nom est certainement celtique ; et Borvo, le dieu-ou-démon de Bourbonne-les-bains, de Bourbon-Lancy et d’Aix-les-Bains, en France, associé à Damona ; l’Apollon grec associé à Sirona, la nymphe des eaux ; le Mars latin associé à Nemetona, dont le nom rappelle celui de Nemon, la fée guerrière de l’épopée irlandaise, etc., etc.
La synthèse druidique (antique préromaine ou britto-gallo-romaine) a pourvu chaque dieu-ou-démon d’une ou plusieurs figures féminines, symbolisant la faculté créatrice du dieu-ou-démon (sa brigo ou son brio) ; sa capacité de relation avec le cosmos et les êtres (sa parèdre dans le monde occidental, sa shakti en Inde, son ashéra dans la Bible en parlant de Yahwé). Un même dieu-ou-démon peut avoir plusieurs parèdres. Et ces compagnes habituelles d’un dieu-ou-démon (du moins dans la statuaire britto-gallo-romaine) ne sont pas toujours ses épouses, il peut s’agir, dans certains cas, de sa mère adoptive. Exemple Lug et Rosemartha. Et quand ces déesse-ou-démones, ou fées si l’on veut, sont des épouses, elles ne sont pas nécessairement mères comme dans le cas des femmes humaines. Pour compliquer un peu plus les choses, certaines parèdres ont plusieurs noms (suivant l’aspect de leur personnalité, qui est envisagé).
Par contre, si pratiquement chaque dieu ou démon a une épouse attitrée, il existe des divinités féminines autonomes comme notre grande reine Épona Rigantona.
Principe Nº 17. Le triadisme.
Pourquoi toujours sept dieux ou démons comme les sabéens de Carrhes (Carrhae ou Harran) ? Ainsi que tous les Indo-Européens, les Celtes voient souvent la divinité comme tricéphale ou comme une trinité. Hesus-Teutates-Taranis, ou Ogmios-Cornunnos-Belenos, ou Suqellos-Nantosuelta-Maponos, et ainsi de suite. Beaucoup de déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, vont également par trois.
Principe Nº 18. Personnalisation et adaptation.
Le druidisme est monothéiste en ce qui concerne l’ontologie, et polythéiste pour ce qui est de la liturgie. Abstraitement, philosophiquement, il semble que même au niveau de la pensée populaire, on ne puisse penser Dieu ou le Démiurge autrement qu’Un. Mais quand il s’agit d’entrer en relation avec le divin à travers le rituel, cette image se décompose en une pluralité d’hypostases (vyuha dans l’hindouisme) qui facilite la projection des désirs humains et les contacts avec le numineux. Un autre facteur doit intervenir ici : un système religieux n’est jamais perçu, ou vécu, de façon uniforme, par tout le monde. Sous aucune latitude « l’homme de la rue » ne conçoit les choses de la même façon que le spécialiste, prêtre, théologien, comrunos, initié, ou sage. Face à toute forme de connaissance, il faut donc préciser le niveau où se situent ceux que l’on interroge. On aura une image différente des croyances d’un peuple, selon que l’on étudie la religion populaire, ou celle des cercles de réflexion qui parviennent à une vision plus précise des réalités ultimes.
Le cas de la divinité irlandaise appelée Manannan mac Lir, est exemplaire à cet égard. Il semble en effet n’être qu’un aspect du dieu-ou-démon Taran/Toran/Tuireann (ou Lug. D’autres disent Belin/Belen/Belenos).
Le véhicule de notre salut (éthique kission ou reda) ou le radeau de la Méduse sur lequel nous sommes embarqués doit donc être adapté à notre cas.
Selon les très-sachants appelés druides, les cinq formes (pempedulie ou trèfle à cinq feuilles) dans lesquelles réside toute divinité, sont par conséquent.
— La forme supérieure, invisible, inaccessible à l’œil humain, la forme prise par l’Englobant Universel personnel lors de son émanation du Procréateur ou du Pro-père supérieur.
— Les hypostases durables (vyuha dans l’hindouisme, et non avatar) de cette forme supérieure, vu notre incapacité foncière à concevoir la divinité dans sa totalité. Des variantes de cette forme. On appelle hypostase la personnification d’une de ces composantes (esprit, père, et fils sont par exemple les hypostases du Dieu ou Démiurge des chrétiens).
Mais pour les hindous, Jésus est plutôt vu comme un avatar, ce qui distingue l’avatar de l’hypostase étant que l’avatar a une durée de vie en principe limitée.
La notion d’hypostase n’oublie pas et ne méconnaît pas l’unité du dieu-ou-démon qui en est à l’origine. Il s’agit simplement de la personnification permanente, non éphémère, d’un des attributs de la divinité.
91
En ce sens, on peut donc dire que les dieu-ou-démons du druidisme sont tous peu ou prou des hypostases d’une entité supérieure, qui les engloberait tous. Bien que les deux idées soient nettement distinctes, leur complémentarité frappe autant que leur opposition. C’est pourquoi, tout en rendant un culte préférentiel à l’un des deux, un Celte de cœur ou d’esprit ne rejette pas l’autre. Dans la plupart des cas, du fait de l’universalisme sous-jacent au druidisme, la divinité majeure varie suivant les groupes, et le rapport des deux divinités reste interchangeable : l’une, Personne Supérieure et Englobante, l’autre, forme très souvent privilégiée, du dieu-ou-démon. Toujours soucieux d’universalisme, les grands druides relient ces divinités particulières aux figures majeures du panth-éon voire du plérôme. Mais pour les peuples, ce rattachement paraît secondaire, car la piété reste entièrement polarisée par la manifestation locale du dieu. Phénomène appelé istadevata dans l’hindouisme. Ce sont toujours les traits originaux de la forme divine élue, qui attirent la dévotion des fidèles (dagolitoi), même si, théoriquement, ils la considèrent comme une simple manifestation relative de l’Englobant Universel Personnel.
Vu la souplesse du druidisme, la divinité majeure peut varier suivant les groupes, mais le rapport des deux divinités, lui, restera interchangeable avons-nous dit.
L’une est l’Être supérieur, l’autre une forme moins haute, mais souvent privilégiée, du dieu-ou-démon.
Il suffira donc de subordonner l’une à l’autre pour lui assigner sa juste place dans le système et lui rendre les hommages qui lui sont dus. Il suffit par conséquent de placer cette forme particulière de la divinité un cran juste en dessous de l’autre pour lui trouver une place adéquate dans le système et lui rendre la vénération qui lui est due. Bref à côté d’une certaine divinité (Dieu-ou-Démon supérieur), on honore les autres en tant que formes partielles.
— Dans les milieux où prédominent des tendances plus affectives (taghout en arabe), ce rôle est dévolu à des incarnations occasionnelles sur terre, destinées à rétablir l’ordre cosmique lorsqu’il est perturbé ; une des plus célèbres est le Hésus/Cuchulainn, héros des légendes irlandaises. On peut y ajouter Vindos/Finn et autres Taranucnus (Manannan Mac Lir ?). Les druides des rives du Rhin par contre faisaient du Jupiter romain un avatar de Taran/Toran/Tuireann), une manifestation particulière, occasionnelle, répondant à un but bien précis, et moins durable que l’hypostase. Du moins était-ce leur interpretatio celtica de Jupiter.
— La présence invisible de cette divinité dans l’esprit ou dans l’âme de l’être humain.
Toute divinité a un certain nombre d’attributs, divins par définition (la puissance, la science, la bonté, l’ubiquité, etc.)
— La forme, enfin, sous laquelle on peut lui rendre hommage, c’est-à-dire en général le simulacrum ou l’archana (terme sanscrit désignant par un transport de sens ou métonymie analogue à celui qui a donné le vieux celtique cantalon, la statue qui sert de support ou de centre à la prière, voire à la méditation) ; dans lesquels une consécration a introduit comme un reflet de la divinité. Cette image divine (grec eidôlon, latin simulacrum) n’est pas une simple représentation (icône). La Réalité ultime déborde toujours aussi sur la forme qui l’évoque. Un peu comme dans les hosties consacrées des chrétiens catholiques. La statue participe de la divinité. Le soin apporté à la statue principale, dans la cella d’un fanum (temple) ou dans la partie centrale d’un sanctuaire, le prouve. Un desservant (ou des desservants), aeditus en latin, lui est souvent attaché.
Principe Nº 19. Allégorisation.
La personnification est le fait de prêter des gestes, des attitudes, des comportements, voire des parties du corps humain… À quelque chose qui n’est pas humain, un objet, un animal, ou une plante. Attribuer à l’englobant universel une barbe et des enfants ou des sentiments comme la colère ou la bonté par exemple.
Le mot allégorie a deux sens.
L’allégorie est tout d’abord une variante particulière de la personnification. Elle consiste à prêter des gestes, des attitudes, des comportements, voire des parties du corps humain… À une force invisible comme l’électricité (la fée électricité) ou une abstraction. Il y a par exemple allégorie quand un personnage incarne une entité morale ou une idée (la Liberté qui guide le peuple, la Justice poursuivant le crime…).
L’allégorie, c’est aussi le support visuel ou narratif imaginé par un artiste, comme celui qui a peint l’Hercule celte ayant tant étonné ou choqué Lucien de Samosate, pour mettre en scène une idée. Les divers éléments de la représentation (personnages, décors, situations, péripéties) renvoient au thème illustré de la sorte et recèlent un sens caché qui nécessite une interprétation.
92
Principe Nº 20. Immortalité des dieux.
Il va de soi qu’un dieu-ou-démon, comme un ange, ou un djinn, est par essence immortel (sauf pour lui à disparaître éventuellement, à la fin de ce monde ci). Tel est d’ailleurs le nom qu’on leur donnait jadis, pour les opposer aux simples mortels que nous sommes. Les dieu-ou-démons ne meurent jamais, du moins dans notre monde.
Or de nombreux textes en Irlande évoquent des dieu-ou-démons morts, tués ou assassinés. C’est évidemment une pure hérésie. L’incohérence de la mort et de la survie d’un dieu-ou-démon [dans les légendes irlandaises] ne s’explique que par l’aspect humain ou évhémérisé à rebours, de la narration. En soi, c’est un incident sans importance : les dieu-ou-démons, ou les anges, comme les djinns, ne peuvent mourir avant la fin du monde qu’ils gouvernent. Ils ne peuvent périr qu’avec le monde qu’ils gouvernent.
Principe Nº 21. Intemporalité des dieux.
Répétons-le encore une fois ! Aucune des généalogies que nous fournit l’hérésie (ou la déviation, par rapport au druidisme de référence) irlandaise, à propos des dieu-ou-démons… n’est pertinente ! Il en existe plusieurs et certaines sont incompatibles entre elles.
L’idée même de généalogie des dieu-ou-démons est d’ailleurs sans aucun doute due à une contamination de la notion de généalogie royale, ou seigneuriale ; et nous vient donc vraisemblablement du druidisme inférieur des bardes irlandais de type Iomarbhágh na bhFileadh.
Les druides de niveau intellectuel plus élevé (les druides druides) n’ont jamais dû concevoir les divers phénomènes regroupés sous l’appellation d’émanations divines (ou hypostases)… à la manière des généalogies humaines.
Vu les innombrables contradictions de l’hérésie ou déviation ou « originalité », irlandaise en matière de généalogie divine ; et ce, sans aucun doute à cause de la fertile imagination des bardes royaux ou seigneuriaux, désireux de flatter leurs maîtres, ou à cause des maladresses des moines copistes chrétiens ; il est maintenant devenu impossible d’arriver à mettre au point une filiation unique ou unifiée de ces différentes entités.
Il existe en effet trois grandes familles de généalogies possibles.
La première grande famille de généalogies est celle qui accorde une importance prééminente à la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), ou Anu/Ana.
La deuxième grande famille de généalogies possibles est celle qui accorde une importance prééminente à Ethniu et qui fait des sept principaux dieu-ou-démons irlandais, Dagda, Nuada, Diancecht, Goïbniu, Credne, Luchta, Lug : des enfants de cette Ethniu.
La troisième grande famille de généalogies possibles est donc celle qui fait des enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu(bia), et des Fomore (Andernas sur le Continent) des cousins issus d’une même origine : une entité ou un éon nommé Alldui.
Ainsi que nous l’avons déjà vu précédemment, le premier terme, all, oll, exprime la notion de totalité. Alldui ou Ollodeiwos est la divinité dans sa totalité, ou la divinité du tout. Cet ollodeiwos étant lui-même dit, ainsi que nous venons de le voir, fils de Tat, un terme qui signifie tout simplement « père ». En gaélique on aurait eu « atir ». Il doit par conséquent s’agir d’un terme brittonique (ivernien selon O’Rahilly). Tat (os) est une déité primordiale analogue au pro-père des gnostiques orientaux.
Et ce Tat (os) est lui-même considéré comme étant fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Iobath, fils de Beothach, fils de Iarbonel, fils enfin du Nemet Cornunnos.
Ce qui est peut-être là un raccord un peu forcé.
Les contradictions ou les incohérences de ces généalogies compliquées viennent essentiellement, de l’évhémérisation à rebours pratiquée par les annalistes irlandais ; qui ont voulu à tout prix faire de ces dieu-ou-démons des personnages historiques ayant vraiment existé dans leur pays. Et qui les ont pour cela rattachés plus ou moins arbitrairement, à des lignées de rois historiques.
Le seul problème est que les annalistes chrétiens les ayant ainsi « évhémérisés » ont presque toujours négligé de le faire en fonction de filiations ou de chronologies des générations suffisamment cohérentes. Malgré des lignes convergentes aisément discernables, il y a toujours de quoi perdre plusieurs fois son bon sens dans l’écheveau complexe de ces filiations ou de ces cousinages : ces
93
généalogies restent à l’état d’indéchiffrable imbroglio. On a quand même l’impression qu’il s’agit de deux séries différentes. Celle qui va du Nemet Cornunnos à Tabarn en étant une, et celle partant de Tatos pour aller à Neto, etc. via Indui et Alldui, en étant une autre (peut-être fir bolg).
Mais les dieu-ou-démons des textes qui vont suivre, ne l’oublions pas, ne naissent, vivent et meurent, que dans la mesure où ils ont été arbitrairement soumis à une perspective historique.
Les généalogies divines n’ont pas de valeur chronologique accessible à notre entendement, mais elles ont une signification de principe.
De toute façon, les généalogies de ces dieu-ou-démons, complexes et parfois contradictoires, sont uniquement un moyen de les expliquer, de telle sorte que le fait de leur naissance soit concevable à l’intelligence humaine. Nous renvoyons, pour comparaison, à l’explication que certains auteurs proposent de la Vierge Marie, mère de celui qui l’a faite, dans la théologie chrétienne.
Principe Nº 22.
Les Romains ont historicisé les grands thèmes de la mythologie indo-européenne. Ainsi, la guerre contre les Sabins. Cette dernière est très similaire au conflit typiquement celtique entre les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), et les Andernas ou Fomoire en Irlande, dieu-ou-démons de la fécondité ainsi que de la richesse. Les Romains, manquant de femmes, enlèvent les Sabines. C’est la guerre, puis les deux peuples se réconcilient, et les Sabins s’installent à Rome. Ce récit reflète sûrement aussi la fusion entre les autochtones et les conquérants indo-européens. La plus ancienne triade romaine (Jupiter, souveraineté magique et juridique, Mars, la force guerrière, Quirinus, fécondité ou prospérité sur le plan économique) exprime l’idéologie tripartie des peuples indo-européens. À Rome, cette tripartition a été disloquée assez tôt, mais les représentants divins des trois fonctions furent métamorphosés en « personnages historiques », et précisément dans la série des premiers rois.
Il en va de même dans le monde celtique. Tout chercheur en druidisme tombe très rapidement sur le fait que certains dieu-ou-démons du panth-éon druidique, en Irlande notamment, ont été transformés en simples mortels, du fait de l’interprétation chrétienne de leurs mythes. De simples mortels, mais gardant quand même souvent certaines des caractéristiques surhumaines de leur modèle initial.
Principe Nº 23. Polyvalence des dieux celtes.
Le Français Georges Dumézil a mis en lumière des structures identiques dans la mythologie et la religion des différents peuples indo-européens, de même que dans leur structure sociale. Il a pu montrer que l’on retrouvait, à Rome comme en Inde, une séparation en trois fonctions précises, et des relations particulières entre ces fonctions.
ADMINISTRATION À LA FOIS MYSTÉRIEUSE ET RÉGULIÈRE DU MONDE.
JEU DE LA VIGUEUR PHYSIQUE, DE LA FORCE, PRINCIPALEMENT, MAIS NON UNIQUEMENT GUERRIÈRE.
FÉCONDITÉ QUI APPORTE LA PROSPÉRITÉ, LA SANTÉ, LA VOLUPTÉ, COMPRENANT L’IDÉE DE BEAUTÉ, DE NOMBRE, DE RICHESSE.
Le modèle classique de la trifonctionnalité indo-européenne est le panth-éon védique. Cette structure se retrouve dans d’autres peuples indo-européens, plus ou moins bien conservée : les Iraniens, les Germains, les Grecs. Un classement pertinent serait donc celui par fonctions : dieu-ou-démons souverains, dieu-ou-démons guerriers, patrons de la fonction « économique » (agriculture, élevage, artisanat), mais ceci n’épuise qu’une petite partie des faits. En réalité, les attributions sont multiples. Et les besoins de la métrique aidant, notamment dans l’hérésie irlandaise (ah ces bardes !) on a doté la divinité que l’on célébrait, à un moment déterminé, de la totalité ou d’une partie seulement des fonctions afférentes aux autres dieu-ou-démons.
En sorte que la mythologie druidique est devenue rapidement une chose assez complexe (en Irlande notamment, encore une fois : ah ces bardes !) La trifonctionnalité a donc été très mal conservée par les très-sachants de la druidiaction (druidecht). Il n’existe pas, par exemple, de dieu-ou-démon unique de la médecine, mais plusieurs. Des déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère, des rivières, comme la Sequana, des dieu-ou-démons voire des déesse-ou-démones ou fées, des sources et des fontaines, des dieu-ou-démons associés aux sources thermales (Bormanus, Borvo), des dieu-ou-démons associés au pouvoir guérisseur du soleil (Grannos), etc. Mais cela, nous l’avons déjà dit.
Principe N° 24. Solidarité (communion disent les chrétiens) des dieux et des hommes devant le Destin.
À la base de la double pertinence de l’intercession, il y a l’idée de la solidarité générale entre les hommes et les dieux-ou-démons. Intercesseurs par excellence, les dieu-ou-démons, apaisants ou
94
paisibles, exacts opposés des dieux courroucés du bouddhisme, sont à la fois les serviteurs ou agents de l’Être supérieur qu’est le Destin et les amis des hommes.
Intercéder signifie intervenir en faveur de quelqu’un auprès d’un tiers, en l’occurrence le Destin (la Tocade) dans le cas de la théologie druidique, d’où quelques caractéristiques.
1) L’intercession suppose la présence de trois personnes, celui auprès de qui l’on intercède, celui qui intercède et celui en faveur de qui l’on intercède. Certains théologiens musulmans pensent par exemple que Mahomet pourra intervenir dans l’au-delà auprès d’Allah, en faveur de certains musulmans. Mais ce rôle intercesseur de Mahomet, un peu analogue à celui de la Vierge Marie dans le catholicisme est en général peu connu.
2) Une relation de médiation instaurée par l’intercesseur avec les deux parties en présence.
3) Une requête ou demande de quelque chose, non pas pour soi-même, mais pour quelqu’un d’autre.
L’intercession est une médiation ascendante : les hommes prient les dieux qu’ils viennent soutenir leurs requêtes ; ils prient les dieu-ou-démons apaisants ou paisibles et comptent sur leurs mérites et leur caractère anextlomaros, contrebis, iovantucaros, ou secourable, voisin, ami des jeunes, etc.
L’intercession est aussi une médiation descendante : une des forces de l’univers intercède en rendant l’homme capable de s’adresser à l’Être supérieur par l’intermédiaire des dieu-ou-démons apaisants ou paisibles.
Les dieu-ou-démons apaisants aident donc les hommes. S’adresser d’abord à eux pour les prier d’agir de la sorte, c’est respecter l’ordre hiérarchique du monde au sein duquel les réalités supérieures illuminent, mais aussi élèvent, les réalités inférieures. Le culte des dieu-ou-démons est évidemment une des caractéristiques de tout paganisme qui se respecte. De tout temps les hommes ont accordé à certaines entités des qualités extraordinaires qui leur valaient de siéger à la cour céleste [des élohim dans la Bible] et d’y jouer un rôle d’intercesseur auprès du Dieu-ou-Démiurge supérieur, en l’occurrence le Destin ou Tocade. Ce rôle d’intercesseur, des dieu-ou-démons auprès de leur supérieur, a contribué à tempérer sérieusement le caractère monothéiste du druidisme, si l’on compare ce dernier au judaïsme ou à l’islam. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le culte des dieux ou démons ait été l’objet de nombreuses critiques de la part des autres religions, à l’instar des autres dogmes druidiques difficilement compréhensibles par leurs fidèles. Comme le fait que l’enfer n’existe pas. Le culte de toutes ces divinités a néanmoins connu un large succès, car, un peu comme dans le cas du bouddhisme amidiste, il met le salut à la portée de tous (les dieu-ou-démons ne sont-ils pas contrebis, iovantucaros, anextlomaros, virotoutis, dunatis, etc.) ?
Principe N° 25.
Ci-dessous une esquisse de résumé par propositions se suivant logiquement.
1 ° Les dieu-ou-démons, même apparemment morts ou disparus, sont en réalité toujours vivants. À cet égard nous nous inscrivons en faux contre ce que suggère Ernest Renan dans sa trop nostalgique prière sur l’Acropole. Mabon/Maponos/Oengus par exemple, le dieu de l’amour saint patron des amoureux, joue toujours son rôle dans le cœur des hommes et des femmes, même si c’est à leur insu.
2 ° Ils sont auprès de l’Être supérieur et méritent la même gloire, la même observance ou le même accomplissement. Et réciproquement, ce que l’on oublie toujours.
3 ° Nous sommes d’une certaine manière reliés à eux (c’est particulièrement évident le jour de Samon-ios).
4 ° Ces dieu-ou-démons sont actifs et participent du Destin (Tokad). Ils en sont des auxiliaires ou des causes secondes.
5 ° Les prières bien faites ont des résultats et notamment pour commencer sur le psychisme ou le moral de l’orant.
Les litanies consacrées aux dieu-ou-démons voire aux défunts, sont autant de prières d’intercession qui caractérisent aussi la fête des trinouxtion samon (ios) consacrée à la commémoration des défunts.
Cette intercession se décline autour de quatre types de relations qui unissent : les vivants entre eux ; les morts entre eux ; les vivants aux morts (prière en faveur des défunts) ; les morts aux vivants.
Mais il y a aussi la vénération des tombeaux de héros ou des collections de leurs reliques (tête, etc.) ; la diffusion des images pour le culte de tel ou tel dieu-ou-démon, sa commémoration au jour anniversaire, les processions, les pèlerinages, les bratou decantem (les ex-voto), les récitations organisées de prières pour un défunt ; et ainsi de suite.
Le druidisme intègre donc cette forme de la piété typiquement païenne ; il réfléchit sur la signification des objets sacrés, statues, plantes, et autres, et canalise leur vénération en écartant les réactions superstitieuses de type isma en ce qui concerne la personne même de Mahomet, ou de type idolâtrie en ce qui concerne les livres reproduisant le texte du Coran. Le secours des dieu-ou-démons est une
95
aide et non une assurance de salut, seuls les sacrifices (de soi, de ses ambitions illégitimes, etc.) et les prières touchent les dieu-ou-démons, et non le contact physique avec leur statue ou leur symbole.
Principe N° 26. Congruité.
Divine Providence ou action occulte des dieux sont les fils au moyen desquels l’Être supérieur ou Destin anime tous les êtres vivants jusqu’à leur fin ultime. Les dieu-ou-démons constituent l’ensemble des causes secondes par l’intermédiaire desquelles l’Être supérieur gouverne le monde, sans jamais s’y mêler directement. Dit autrement, le Destin ou la Tocade a des raisons que la raison ne connaît pas, ne peut pas connaître.
Mais pour ce faire, pour sa réalisation, il se sert du concours de certaines de ses émanations. Ce qu’enseigne le polythéisme, c’est une représentation des puissances de la Nature, qui maintient simultanément qu’il y a aussi un Englobant sous-jacent, une unité sous la diversité. Ce sont les pouvoirs cosmiques délégués qui sont appelés dieu-ou-démons. Car Dieu ou le Démiurge ne donne pas seulement à ces émanations ou à ses enfants d’exister, il leur donne aussi la possibilité d’agir eux-mêmes, d’être causes et principes les uns des autres ; et de coopérer ainsi à ses lois pour l’Humanité, dont il est solidaire. Aux dieu-ou-démons, l’Être supérieur accorde de pouvoir participer à sa souveraineté en leur confiant la responsabilité de « régner sur la Terre » et de la gérer.
Transposé en termes de théologie judéo-islamo-chrétienne cela nous donnerait ceci.
Dieu ou le Démiurge donne aux dieu-ou-démons d’être ses causes intelligentes et libres dans ce monde afin de compléter son œuvre. Coopérateurs souvent inconscients de la volonté de leur procréateur, les dieu-ou-démons peuvent aussi entrer délibérément dans les vues de leur géniteur. Par leurs actions, voire par leurs souffrances pour ce qui est des demi-dieux, ils deviennent alors des « collaborateurs de Dieu ou du Démiurge » et de son œuvre. L’être des êtres est en tout « agir » de ses émanations ou de ses enfants. Il est la cause première qui opère dans et par les causes secondes.
Émanés du Grand Tout par la puissance, la sagesse et la congruité des lois de l’Univers, les dieu-ou-démons ne peuvent rien s’ils sont coupés de leur origine, car l’émanation sans son procréateur, s’évanouit ; encore moins peut-elle atteindre sa fin ultime sans l’aide de la souveraineté du Dieu ou du Démiurge supérieur.
Mais si les dieu-ou-démons, émanations intelligentes et libres, doivent cheminer eux-mêmes vers leur destinée ultime librement, ils peuvent aussi déchoir [comme Lugifer et Iblis]. L’Être supérieur les y autorise et, de façon incompréhensible (pour nous autres les hommes), sait en tirer un bien. Dieu ou le Démiurge, le Destin ou la Tocade disent les païens d’esprit celte, peut tirer un bien des conséquences d’un mal, même moral, causé par ses enfants ou ses émanations. L’Être supérieur ne permettrait pas le mal s’il ne faisait pas sortir le bien du mal même, par des voies que nous ne connaîtrons pleinement que dans d’autres mondes.
N.B. Certaines Écoles druidiques ont néanmoins toujours vigoureusement contesté cette Weltanschauung ou vision du monde, si l’on en croit Strabon : « Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière » (Géographie. Livre III. Chapitre IV).
96
DU SEXE DES ANGES (ET DES DIEUX).
Pour les judéo-islamo-chrétiens, les anges au sens strict du terme (malakh) sont toujours de sexe masculin ». Genèse 6, 2-4 : « Les fils de Dieu trouvèrent que les filles des hommes leur convenaient, ils prirent pour femmes toutes celles qu’il leur plut. Les Nephilim (géants) étaient sur la terre en ces jours-là (et aussi par la suite) quand les fils de Dieu s’unissaient aux filles des hommes, et qu’elles leur donnaient des enfants ; ce furent là les héros du temps jadis ».
Pour les très-sachants, les anges messager de l’autre monde divin sont presque toujours de sexe féminin. On les appelle bansid en gaélique, ou banshee. Voir le songe d’une nuit d’Été de Shakespeare, ou même certaines scènes de Mac Beth.
L’Irlande distingue deux sortes d’êtres de l’Autre Monde. La première est du genre de la jeune fille du side qui vient réveiller Cormac. « Adracht Cormac iarsin 7 ro chuir a mertin de co n-acca da laim deis oca ingen lucair laimghead ba caeime do mhnaib betha 7 faiteran firaluinn uimpe 7 lene orsnaith fria cnes ». « Cormac se leva et sa langueur le quitta quand il vit à sa droite une jeune fille. C’était une pure merveille aux mains fines et blanches, la plus belle femme qui fût au monde : une tunique splendide l’habillait ; elle portait une chemise brodée d’or » (Forbuis Droma Damhghaire).
Examinons quelques autres exemples types de femmes de l’Autre Monde.
La première, Li Ban, est sans conteste la plus classique des trois exemples qui suivent. Elle apparaît avec une compagne, sous la forme de deux cygnes reliés par une chaîne d’or. Elles se posent sur un lac et reprennent alors leur forme humaine. Li Ban est la messagère de Bronia Vinda Wanda/Fand dite Brangaine au Moyen-âge, l’épouse du dieu-ou-démon appelé Belinos Barinthus Manannan, et elle vient demander à Cuchulainn de se rendre dans le side. Elle provoque chez notre héros une maladie de langueur qui dure pendant un an, parce qu’il l’a blessée avec sa fronde lors de son arrivée. Elle ne joue aucun autre rôle que celui de messagère en compagnie d’une de ses servantes.
Les deux banshees apparaissent sous leurs traits les plus archaïques dans un récit dont l’ archaïsme est lui aussi évident.
— Elles arrivent sous l’aspect de cygnes attachés par une chaîne d’or, et qui se posent sur un lac ou une pièce d’eau. Elles saisissent pour cela l’occasion ou le prétexte d’une chasse aux oiseaux, passe-temps favori des Ulates.
— Elles ne viennent pas pour leur propre compte chercher un heureux mortel, mais elles sont envoyées en tant que messagères par une divinité supérieure, en l’occurrence Bronia Vinda/Wanda/Fand, épouse du dieu-ou-démon Belinos Barinthus Manannan.
— Elles ne sont pas anonymes : l’une d’elles au moins se fait connaître par son nom, Li Ban. Il semble que l’autre n’en soit qu’un doublet. En tout cas, son rôle est secondaire, sa présence n’étant rendue nécessaire que par la rigidité du motif des deux cygnes reliés par une chaîne d’or.
Il s’agit pour Li Ban d’attirer le hésus Cuchulainn dans l’Autre Monde. On a théoriquement besoin de lui pour aider le père de Bronia Vinda/Wanda/Fand, Aed Abrad (« Feu de l’œil », autre nom du Suqellos Dagda Gargant ?) à vaincre quelques ennemis ou rivaux. Mais dans un premier temps, le hésus Cuchulainn ne comprend pas que les oiseaux qu’il vise avec sa fronde ne sont pas des cygnes ordinaires. Il ne réussit qu’à en blesser un, et le châtiment sera immédiat : il est frappé cruellement avec une cravache, s’évanouit, et tombe gravement malade.
Le terme gaélique serg signifie diminution, perte d’énergie, rabougrissement, affaiblissement, et désigne la neurasthénie provoquée par l’apparition d’une jeune et jolie femme de l’Autre Monde. Une maladie que les druides-médecins ne savent jamais guérir et qui, sauf intervention d’un dieu-ou-démon ou d’une banshee, conduit en principe à la mort. Il ne s’agit pas ici de neurasthénie, parce qu’un guerrier comme Cuchulainn est incapable d’une telle faiblesse mentale, mais il y a par contre affaiblissement physique et privation de parole, ce qui n’est guère mieux. Cette maladie de Cuchulainn est la conséquence de son contact avec les femmes de l’Autre Monde, parce qu’il n’a pas compris au départ ce qu’elles venaient faire. Dès qu’il l’aura compris, sa maladie cessera comme par enchantement.
97
Tout s’arrange quand, d’une fête de Samon à l’autre, apparaît un mystérieux personnage qui n’est autre que le dieu-ou-démon Mabon/Maponos/Oengus, fils d’Aed Abrad. Il récite quelques couplets d’un poème exhortant le hésus Cuchulainn à venir dans l’Autre Monde. Celui-ci recouvre l’usage de la parole et peut raconter ce qui lui est arrivé. Sur le conseil du roi Conchobar, il retourne au menhir où il avait vu les deux jeunes femmes l’année précédente. Li Ban explique alors ce qu’elle veut ou, plutôt, ce qu’elle propose, de la part de Bronia Vinda/Wanda/Fand. Le hésus Cuchulainn peut difficilement refuser, il le fera d’autant moins que ce qu’on lui offre est à la fois l’amour d’une déesse-ou-démone, ou d’une fée si l’on préfère, et un combat aussi facile que glorieux. Mais notre héros se méfie quand même : il envoie son cocher Loeg en éclaireur. Ce qui nous vaut une brève description de la maison de Bronia Vinda/Wanda/Fand, dans une île où l’on accède par une barque de bronze.
La suite et la fin du récit ne nous concernent pas puisque les deux banshees n’y apparaissent plus. Mais on ne se tire pas sans dommage d’un contact avec l’Autre Monde, et Cuchulainn devient fou. Il faudra l’intervention des très-sachants de la druidiaction (druidecht) et l’emploi d’un élixir d’oubli, pour que le grand héros d’Ulster recouvre la raison.
La seconde messagère de l’autre monde de notre liste, anonyme cette fois, vient dans une barque de verre chercher un fils de roi. S’étant heurtée à la magie d’un druide, elle est contrainte de revenir à la charge une seconde fois. Elle triomphe cette fois-ci du druide, et le jeune homme la suit de son propre gré, après s’être nourri pendant un mois entier de la pomme qu’elle lui avait remise (les aventures de Condle le beau).
Les acteurs de cette scène, ou plutôt de ce scénario élémentaire, sont au nombre de quatre.
— La femme de l’Autre Monde, qui reste anonyme bien que ce soit elle qui mène le jeu et entretienne le mystère.
— Condle, le premier fils du roi et son héritier. À la différence de Cuchulainn dont nous avons vu la mésaventure, Condle est un homme ordinaire.
— Conn, le roi, son père, personnage bien connu de l’histoire mythique de l’Irlande.
— Corann, le druide du roi, lequel n’est pas autrement connu.
L’action se déroule en deux temps. La femme tentatrice est d’abord repoussée par l’incantation du druide, mais ce dernier n’est pas assez fort pour repousser définitivement sa magie ou conjurer la tentation féminine. La banshee s’en va, mais ce départ n’est que provisoire : elle laisse à Condle une pomme, nourriture de science et d’aiu (d’éternité), comme gage de retour proche. Elle revient effectivement au bout d’un mois et, cette fois-ci, Condle part avec elle dans son coracle de cristal. Il sera considéré comme mort ou, pire, comme s’il n’avait jamais existé. Il n’y a plus aucun moyen de savoir où il se trouve, et il n’est pas davantage possible de communiquer avec lui, vu la séparation normale et inévitable des vivants et des morts.
Il ne semble pas cependant que l’on ait remarqué un très intéressant détail. Il y a une contradiction, si ce n’est une incohérence, entre la localisation du siège royal à Uisnech, au centre théorique de l’Irlande ; c’est-à-dire à une assez grande distance de la côte occidentale de l’île ; et le départ de Condle dans une barque de verre. C’est bien là le signe, à la fois de l’ubiquité de l’Autre Monde, et de l’obligation du passage de l’eau pour y accéder.
Le très court alinéa spécifiant que « Conn aux Cent Batailles tu n’aimes guère la druiderie » ; affirmation en contradiction avec toute l’attitude et tous les propos prêtés à Conn dans le récit ; et l’allusion au « juste » qui « dissipera les fausses lois des druides » (saint Patrice ? ? ?) ; est la seule interpolation étrangère dans ce récit, qui est, par ailleurs, exempt de toute christianisation. C’est du reste ce qui fait son principal intérêt, outre un archaïsme qui se manifeste par l’extrême simplicité de la narration.
La troisième femme de l’Autre-Monde, Sin, a choisi pour cible un grand roi d’Irlande, Muirchertach mac Erca. Mais elle ne l’emmène pas dans l’Autre Monde : elle reste auprès de lui et s’incruste dans sa résidence dont elle chasse la femme légitime et les enfants. Elle lui fait consommer, à lui et à ses troupes, du vin et des porcs magiques, qui le font tomber en faiblesse. Puis elle suscite, toujours par magie, des bataillons de guerriers à partir de cailloux et de mottes de terre, et, peu à peu, conduit le roi tombé en son pouvoir, à la folie puis à une triple mort sacrificielle. Elle sera vaincue cependant par
98
la force de la volonté de saint Caimech, qui la contraint à se repentir et à demander pardon. La banshee classique est vaincue par le christianisme.
Il arrive aussi qu’un dieu-ou-démon prenne parfois la forme d’un oiseau, en l’occurrence un dieu dénommé Nemglan, pour venir aimer une reine et lui engendrer un fils. Voici le texte en gaélique *.
In tan didiu buí ann dadaig con-acca in n-én forsin forléss a d-dochum, & fácaib a énchendaich for lár in tigi & luid chuice & arda-gaib co n-epertsom fria : ‘Do-filter chucut ón ríg do choscrad do thige & dot brith chucai ar éigin, & bia torrach úaimsea & béra mac de & ní marba eónu in mac sin & bid Conaire a ainm (ar ba Mes Búachalla a h-ainmsi dano)’.
Essai de traduction (traduttore traditore).
« Quand elle fut là, elle aperçut un oiseau venir vers elle par l’ouverture du toit. Il laissa son vêtement d’oiseau tomber au milieu de la maison. Il alla vers elle et la posséda, en disant : ils viennent vers toi de la part du roi pour détruire ta maison et t’emmener à lui par la contrainte. Tu seras enceinte de moi et tu enfanteras un fils. Ce fils ne tuera pas d’oiseaux, son nom sera Conaire… »
Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle le grand roi que fut Conaire avait, parmi ses geasa personnelles, l’interdiction de tuer des oiseaux.
Note de la rédaction. Saint Augustin a évidemment assimilé à des démons appelés par lui duses, ces messagers ou anges ou créatures de l’autre monde.
LIVRE XV. Chapitre XXIII. Le mot grec aggelos, qui se dit en latin angelus, signifie messager. Mais que le Psalmiste parle de leurs corps quand il ajoute « et ses ministres brûlent d’une flamme ardente », ou veut dire par là que les ministres de Dieu doivent brûler d’un amour semblable à un grand feu spirituel, est une question qui n’est toujours pas résolue. Ce qui est certain par contre c’est que les Écritures les plus dignes de foi rapportent que des anges sont apparus aux hommes dans des corps tels que non seulement ils pouvaient être vus, mais même touchés.
Une rumeur très répandue, que beaucoup ont pu vérifier personnellement, ou dont des hommes dignes de foi corroborent les dires, veut également que les sylvains et les faunes que l’on appelle communément « incubes », ont souvent agressé sexuellement des femmes et satisfait leurs bas instincts avec elles ; et que certains démons, appelés duses par les Celtes, tentent voire effectuent quotidiennement, toutes ces impuretés ; est une chose si généralement affirmée, qu’il ne serait guère raisonnable de le nier de prime abord.
La série des oiseaux de l’Autre-Monde, visibles par des êtres humains en état de veille, et non de rêve ou de sommeil normal, voire provoqué, pourra être close par le tragique destin des enfants de Lero (cf. le récit gaélique intitulé Oidhe Chloinne Lir. La mort des enfants de Lero). Quand Aoife les trouva dans le lac, elle les frappa d’une baguette de magie druidique, et les mit sous forme de quatre beaux cygnes tout blancs. Le remords saisit alors Aoife qui s’exclama : puisque je ne peux vous apporter d’autre soulagement, je vous accorderai de continuer à parler en gaélique * ; et vous pourrez chanter une douce, plaintive, et féerique mélodie, qui surpassera toutes les mélodies du monde, qui plongera dans un sommeil paisible tous ceux qui l’écouteront. En outre vous garderez raison humaine ; et vous ne serez pas peinés d’avoir la forme d’un cygne.
En les transformant de la sorte en cygnes, la marâtre fait que les quatre enfants reviennent à l’état primordial et supérieur qui est celui des dieu-ou-démons, quand ils passent de leur monde dans le monde humain. Du même coup, elle les fait, à la fois échapper à l’évolution, sortir de l’enfance (les quatre cygnes sont adultes) et quitter le temps humain pendant neuf cents ans. Mais au terme de cette période, l’Irlande est devenue chrétienne, quand ils rentrent chez leur père, ils ne trouvent plus que des ruines, et ils se réfugient, toujours sous la forme de cygnes, dans une île, chez un disciple de saint Patrice : Mochaomhog.
La musique émanant de l’Autre Monde est évidemment une musique primordiale ne dépendant pas d’un instrument particulier, même si la harpe est fréquemment citée en la circonstance. Il s’agit d’une musique unique, inimitable par des êtres humains, qui ne peuvent que l’entendre – parfois – sans jamais être à même de la reproduire ou de la noter, voire de la comprendre.
Cette musique de l’Autre Monde ne parvient d’ailleurs pas aux hommes par des voies ordinaires. Ou bien ce sont des messagères des dieu-ou-démons [des anges] qui l’apportent, ou bien, ce qui revient au même, ce sont des oiseaux, toujours des cygnes, qui chantent une musique douce et plaintive,
99
bien différente du cri réel de ces volatiles. C’est ainsi que les enfants de Lir, métamorphosés en cygnes par une marâtre, enchanteront les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu(bia). Parce que leur belle-mère, Aoife, prise de remords, leur accorde au dernier moment le don compensatoire de chanter la musique de l’Autre-Monde.
Conclusion.
Ces femmes de l’autre monde ne sont pas destinées à porter des enfants ou à devenir des courtisanes. Elles ne sont que des messagères du monde des dieu-ou-démons (des anges). Mais elles ne se montrent pas toujours de prime abord sous une apparence humaine : elles arrivent très souvent sous l’aspect d’animaux divers, comme l’a très bien noté Pomponius Mela, malgré son erreur de base à leur sujet. Morgane elle-même apparemment, peut se changer en oiseau, si l’on en croit le texte de Geoffroy de Monmouth. Quant à la célèbre Marie-Morgane du folklore breton concernant la ville d’Ys, son autre nom, Dahud, est tout aussi parlant. Répétons donc ici à propos de Dahud ou de la Marie-Morgane ce que nous avons déjà dit. À savoir que ce sont des femmes de l’Autre Monde, dans la droite ligne des Irlandaises venant, sous la forme d’oiseaux (des cygnes !) ; ou en tant que femmes surgies on ne sait d’où ; chercher l’heureux mortel de leur choix pour le conduire dans un Autre Monde au bonheur éternel.
Mais Dahud n’est pas une Mélusine, ce n’est pas non plus apparemment, une sirène, néanmoins c’est quand même une femme très « archaïque ». Mais elle n’est pas que cela. Elle correspond, dans la version celtique du mythe, à la gardienne de la fontaine, coupable de ne pas avoir veillé correctement à la fermeture des vannes.
L’inconvénient est que le sens du mythe ne nous apparaît plus très clairement, dès le stade irlandais le plus ancien d’ailleurs, à cause de la christianisation. Nous ne savons pas le pourquoi de la faute, car l’annexion chrétienne fausse l’interprétation du personnage.
Dahud a, sur son homologue irlandaise, un avantage sérieux : elle est dénuée de toute christianisation. Malheureusement, cette exemption l’a fait disparaître de l’hagiographie, elle ne survit donc plus que dans quelques bribes de folklore. C’est une messagère du royaume des dieu-ou-démons, peut-être un équivalent de l’ange de la mort. Par rapport au monde humain, elle est sans âge et sans origine.
Profitons de l’occasion pour bien insister sur un point. Aucune des généalogies que nous fournit l’hérésie irlandaise à propos des dieu-ou-démons… n’est pertinente ! Il en existe en effet plusieurs et elles sont incompatibles entre elles.
* Nous sommes rigoureusement contre le colonialisme linguistique de l’Anglais dans le monde. Gaélique et Navajo sont certes des langues difficiles, mais chaque fois qu’une langue comme le gaélique ou le navajo meurt, c’est un peu de l’âme de l’humanité ou du moins une de ses facettes, qui s’en va. Chaque langue est une façon de voir le monde. Les inconscients qui n’ont que les mots « biodiversité » ou « droit à la différence » à la bouche, sont hélas les premiers à alimenter ce rouleau compresseur linguistique et culturel tout en prétendant faire le contraire, car comme toujours dans l’espèce humaine, « leur main droite ignore ce que fait leur main gauche ». J’ai vraiment honte de mon pays aujourd’hui à cet égard et n’ai que mépris pour les lâches ou les courtisans opportunistes, les parvenus, qui renient servilement leur langue maternelle afin de faciliter leur promotion sociale, prendre du galon et gagner du fric, toujours plus de fric ! Je ne comprendrai jamais comment on peut accepter une telle humiliation, une telle bassesse ! Qui n’a d’égale que celle des collaborateurs celtes de jadis qui abandonnèrent leur langue maternelle au profit du latin afin de monter dans la nouvelle pyramide sociale mise en place par l’impérialisme romain (voir la ville de Colchester au Ve siècle par exemple). Car mieux vaut être pauvre et garder sa personnalité initiale, que de s’engraisser en vendant son âme. Éirinn go Brách ! Sinn Fein (Saint Colman) ! Chanter son pays ou prétendre l’illustrer dans une langue autre que sa langue maternelle constitue autant d’insultes à l’égard de ses ancêtres. Toute langue bien travaillée en effet (voir à cet égard le cas de l’hébreu moderne depuis Eliézer Ben Yehoudah) est apte à traduire la plus subtile ou la plus technique des pensées humaines. Sans compter qu’il faut bien reconnaître que l’Anglais que l’on peut qualifier « d’international » ou de « globish » constitue incontestablement un appauvrissement ou une régression intellectuelle par rapport à l’anglais original originel ou natif (sa saveur ses subtilités ainsi que ses idiotismes mêmes, en disparaissent).
100
LES FONDEMENTS DE LA TRIPARTITION MYTHOLOGIQUE DRUIDIQUE (théologie non varonnienne).
FONDEMENTS MYTHOLOGIQUES.
Tous les dieu-ou-démons du panth-éon druidique ont un rapport de parenté avec les entités qui suivent : des sortes de vouivres anguipèdes gigantesques que les Irlandais appellent Fomore (Andernas sur le Continent), ce qui montre bien leur enracinement dans le pays et qu’il est préférable en outre dans ce cas de parler de plérôme plutôt que simple panthéon à l’instar de l’Olympe grec. En Irlande le roi vouivre anguipède que l’on appelle Bregsos/Bres sera même provisoirement le roi de la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), juste après la déchéance de leur précédent souverain Noadatus/Nodens/Nuada.
Dans les diverses légendes que nous a léguées l’hérésie irlandaise ; (par hérésie, nous voulons seulement parler des écarts, sensibles, par rapport au druidisme de référence, qui ne peut être que le druidisme continental ANTIQUE) ; ces vouivres anguipèdes gigantesques dits Andernas sur le Continent, que nos textes appellent Fomóiri, Fomóraig, Fomori ou Fomore, etc. sont présentées comme une race de géants un peu analogues aux Titans grecs, ayant habité le pays avant la venue des dieu-ou-démons.
Une des Écoles druidiques actuelles, très proche des travaux du grand psychologue suisse appelé Carl Gustav Jung, en fait des forces à l’œuvre dans la psyché humaine de façon inconsciente.
La diabolisation consécutive à la christianisation en a fait des êtres systématiquement maléfiques, et Balor incarnera donc, dès lors, les forces négatives, dont le pouvoir est tenu en échec par la force de Lug, pourtant petit fils de Balor. Ils sont décrits comme étant extrêmement laids, avec un seul œil au milieu du visage, un seul bras, une seule jambe, et une tête d’animal (chèvre, cheval, ou taureau). Inhumains et démoniaques, ils sont dotés de pouvoirs magiques, et représentent le chaos ou la destruction.
N.B. Le Folklore irlandais ultérieur les assimilera aux envahisseurs scandinaves…
Certains de leurs princes étaient pourtant renommés pour leur séduction, exemple Elatha, le père de Bregsos, et Bregsos lui-même, qui était célèbre pour sa beauté ; ainsi que nous venons de le voir.
Il y a donc eu visiblement exagération en ce sens de la part des Irlandais qui, avant même la venue du christianisme, ou après, mais à cause du christianisme, ont diabolisé ces andedion.
Keating nous rapporte une tradition irlandaise en vertu de laquelle l’andedios (le dieu-ou-démon souterrain ?) Cicolluis serait arrivé sur place 200 ans avant Partholon. Lui et les siens auraient vécu de pêche et d’élevage, ou de chasse, mais Cicolluis aurait été vaincu par Partholon, lors de la bataille de Mag Itha. Ce qui ne leur aurait guère servi, puisque Partholon et les siens seraient morts peu après (de la peste ?)
Ensuite serait venu le tour des Némétiens. Ils auraient affronté ces vouivres anguipèdes gigantesques à plusieurs reprises, et auraient tué Gann et Sengann, leurs chefs.
Mais Gann et Sengann sont également les noms donnés à deux princes humains (Fir Bolg) par les légendes irlandaises.
Deux nouveaux chefs vouivres anguipèdes gigantesques leur auraient alors succédé. Conan fils de Fébar, qui habitait dans une tour située sur l’île de Tory, et Morc fils de Dela (pourtant, la première génération des Fir Bolg sera aussi considérée comme étant celle des fils de Dela par la documentation irlandaise ultérieure, alors ? ? ? ?) Après la mort du Nemet Cornunnos, Conan et Morc réduisent en esclavage son peuple et l’écrasent d’impôts.
Les Némétiens se révoltent sous la conduite d’un chef répondant au nom de Fergus, et détruisent la tour de Conan.
Mais leur victoire est de courte durée, car ils subiront après de lourdes pertes, face aux troupes de Morc, et devront abandonner l’île.
Assez curieusement, à en croire les légendes irlandaises elles-mêmes, l’invasion suivante, celle des Fir Bolg, n’aura pas à combattre les Andernas dit Fomore dans la verte Erin.
Andernas/Fomoire et enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), restent néanmoins étroitement apparentés. Les textes irlandais les plus anciens mentionnent diverses alliances ou divers mariages entre ces vouivres anguipèdes gigantesques, et les enfants de la
101
déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia). Mais les légendes irlandaises ultérieures nous donneront à la place, des contes beaucoup plus détaillés pour expliquer la naissance de Lug (Balor enferme sa fille Ethniu dans une tour de verre, Ceno ou Cian réussit à y pénétrer… En revanche, par la suite aura lieu une grande et gigantesque bataille entre les Andernas – Fomore et les hommes de la déesse-ou-démone, de la fée si l’on préfère, Danu (bia), la seconde bataille de la plaine aux tumuli ; exact équivalent du combat des dieu-ou-démons olympiens et des Titans dans la tradition grecque, ou du combat des Ases et des Vanes dans la tradition germanique, sans oublier les sagas des Indes sur le même thème.
Ainsi que l’a très bien vu le druide qui a renseigné Lucien de Samosate, quelles que soient les différences culturelles, les races, ou les religions, les hommes ont en réalité les mêmes dieu-ou-démons.
Telle était d’ailleurs déjà, en son temps, la position d’Hérodote vis-à-vis des dieux égyptiens (qu’il rapprochait des dieux grecs). Voir par exemple livre II.113.2, 122.3, 138.4, et 141.6.
Ce qui change d’un peuple à l’autre, c’est le nombre des dieu-ou-démons identifiés, ainsi que la forme que prend leur culte. Mais même si un dieu-ou-démon ou une entité divine, n’est pas clairement reconnu et identifié par telle ou telle communauté humaine, cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’existe pas. Il existe, mais sans être reconnu et sans être adoré. Le cas le plus flagrant étant celui des entités relevant clairement du surnaturel ou du préternaturel et dont l’existence n’est pas niée, mais qui sont simplement diabolisées par les tenants d’un culte se voulant hostile (meilleur ?)… lui ayant succédé.
102
LES ÉLÉMENTALS ET LES TEUTATÈS.
Les Elémentals.
La druiderie traditionnelle a toujours admis, admet, en plus des âme/esprits des ancêtres, si bien comprises par nos frères d’Afrique, d’autres êtres intermédiaires entre les hommes et Dieu ou le Démiurge, invisibles, mais doués de personnalité. Quand on parle « d’élémentals », on désigne par un terme assez inadéquat, faute de mieux, des êtres parfois anthropomorphes (corroï ou nains, cavaroï ou géants…) qui habitent la nature, ou des concrétisations de fonctions divines présidant aux mouvements cosmiques. Au-dessus de ces élémentals se situent les divinités, vénérées pour elles-mêmes, déléguées par Dieu ou le Démiurge auprès des hommes, intercédant pour les hommes auprès de Dieu ou du Démiurge, et rendant leurs sacrifices efficaces.
Les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht), pensaient qu’il existait aussi ce que l’on pourrait appeler une énergie mystérieuse pouvant se dégager de certains lieux (comme le disait l’immortel auteur de la colline inspirée, Sion, il existe en effet des lieux où souffle l’esprit) et que certains éléments pouvaient profondément nous influencer nous autres simples mortels. La lumière est par exemple une source naturelle d’énergie qui influence notre humeur et agit sur le biorythme de notre corps. Lorsque nous manquons de lumière, nous nous sentons souvent moins énergiques, nous perdons notre optimisme, et nous pouvons même connaître des troubles du sommeil ou de l’appétit. Il est scientifiquement prouvé que le nombre de personnes dépressives augmente considérablement à l’approche de l’hiver. Ne vous êtes-vous jamais senti plus maussade en hiver qu’en été ?
Une étude de l’université de Munich (Ludwig-Maximilians-Universität München) a trouvé une augmentation de 10 % des suicides et accidents lors des épisodes de foehn en Europe. La mythologie populaire associe également diverses affections allant de la migraine à la psychose, avec des vents de ce type, dont le Santa Ana ou Santana en Californie.
En Californie du Nord, le Santa Ana de Los Angeles est également connu comme vent du Diablo. Dans la région de Santa Barbara, ce vent est connu sous le nom de vent du crépuscule ou vent qui rend fou. Par contre, une balade en forêt peut nous détendre et nous faire un bien considérable (au point qu’il existe même une dendrothérapie ou sylvothérapie appelée shinri-yoku au Japon).
Bref, il existe ce que l’on appelle des élémentals de nos jours (un mot que mes correspondants francophones écrivent invariablement élémentaux évidemment !)
Les élémentals sont des êtres embryonnaires, à l’état latent dans la nature qui nous entoure. Ce serait par conséquent une erreur de les considérer comme doués d’une conscience semblable à la nôtre, ou même à celle d’un animal. Ils ne sont que des centres de forces. Par eux-mêmes ils sont sans intelligence, sans conscience ni caractère moral. Leur vie n’est pas suffisamment différenciée pour qu’ils aient de telles propriétés ou dispositions. Un élémental est seulement susceptible d’être dirigé, dans ses mouvements, par les pensées humaines qui peuvent, consciemment ou non, lui donner une forme quelconque, et jusqu’à un certain point de l’intelligence. Nous baignons dans un océan d’élémentals. Leur monde et le nôtre s’interpénètrent, et, par conséquent, le monde élémental est éternellement présent dans le système humain.
Cette incessante irruption en nous d’êtres rudimentaires, dont la conscience est entraînée par la nôtre, a pour nous d’énormes conséquences. En dehors des formes où ils résident parfois, les élémentals ont, bien sûr, une enveloppe matérielle qui leur est propre, car aucune entité ne saurait exister sans être pourvue d’un corps. Il n’y a pas dans l’univers de pure âme/esprit, c’est-à-dire d’être constitué seulement d’âme et de conscience.
Cela dit en passant, il est vrai que la remarque de Francisco Marco Simon vaut également pour l’Irlande. « Senchas na relec inso… Ar baí cretim in óenDé oc Cormac do réir rechta. Ar ro ráidseom na aidérad clocha ná crunnu acht no adérad intí dosroni & ropo chomsid ar cul na uli dúla.i. in t-óenDia nertchomsid ro crutaig na dúli is dó no chreitfed ». Essai de traduction (donné sous toutes réserves, car il est sans doute déjà influencé par le christianisme. Ou alors il s’agit d’un paganisme philosophique et réfléchi (mal compris).
103
« Cormac… disait qu’il n’adorait ni les pierres ni les arbres, mais qu’il adorait seulement celui qui les avait faits, le maître des éléments. Celui qui fait pousser les arbres… c’est-à-dire le Dieu Unique ». (Lebor na hUidre, Livre de la vache brune, fol. 50 b, page 127).
En d’autres termes.
— Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu, dit le Judéo-islamo-Christianisme. Vous sculptez un morceau de bois, et vous l’appelez dieu. Mais c’est toujours un morceau de bois.
— Oui, répond Cormac, c’est en effet toujours un morceau de bois. Mais l’arbre dont il provient a été créé par Dieu, de même en vérité que tous les dieux inférieurs. Mais, il les a créés pour être ses agents dans le monde, afin que nous puissions l’approcher à travers eux.
Objets inanimés avez-vous une âme ?? Pour les très-sachants, il n’y a pas de différence absolue entre le monde des êtres ayant une âme et le monde des choses inanimées. Monde des êtres ayant une âme et monde des choses inanimées sont unis dans une seule et même réalité qui est l’Existence. Ce qui a une âme EST, mais c’est le cas aussi de l’inanimé. Dans cette conception du monde (Weltanschauung), l’être, qu’il soit humain, végétal, animal, métal, ou pierre, qu’il vive ou qu’il meure, est toujours animé d’une force. Chaque force a sa place dans une hiérarchie qui va du grain de sable à l’Être supérieur, du visible à l’invisible, de l’audible à l’inaudible.
Autrement dit, une religion moniste fondamentalement axée sur la nature : pluie, vent, eau, animaux, plantes. L’initié peut communiquer avec les objets inanimés ou vice-versa, voire les animaux, surtout si l’ours n’est pas seulement le roi de la forêt, mais, par exemple, le totem de la famille Matugenus.
Tout cela rendait le monde plus facile à comprendre que s’il était régi par des forces impersonnelles et capricieuses, complètement indifférentes au sort des hommes. Avoir des dieu-ou-démons même cruels est préférable au chaos. Et des dieu-ou-démons personnels comme le christ le messie des Hébreux ou Mahomet, rendent le monde plus supportable, en valorisant la condition humaine.
Comme le christ ou le messie des judéo-chrétiens donc, ces forces de la nature peuvent revêtir une apparence humaine. Les dieu-ou-démons de l’ancien druidisme, tels que les décrivent nos mythes, sont des êtres actifs, intervenant volontiers dans les affaires humaines.
Ils sont protecteurs, défenseurs, pourvoyeurs, nourriciers, secourables et ainsi de suite. Voir la longue liste de leurs épithètes ou de leurs attributs, léguée par l’interpretatio romana. Iovantucarus, virotutis, anextiomarus, contrebis ou contrebus (qui habite avec nous, qui vit avec nous, un peu comme un voisin, etc. cf. gallois cantref, communauté locale) ; mais plusieurs d’entre eux sont souvent assez ambivalents, voire dangereux.
Les entités non humaines ou surhumaines nommées par les gnostiques d’Occident matres, ou matrone, sont réparties en quatre grandes catégories de fées.
Celles qui sont affectées à un détail de la nature, qui peut être une montagne ou une forêt, voire des arbres, mais surtout des sources. La terminaison nehae indique la nature aquatique des fées en question. Nous pouvons ainsi considérer comme fées de sources : les Matronae Cuchaeneae (C. I. L., XIII, 7923, 24), Rumanehae (C. I. L., XIII, 7869-8027, 28), Vesuniahenae (C. I. L., XIII, 7850, 54, 7925), Albiahenae (C. I. L., XIII, 7933-36) en pays rhénans ; les Matres Gerudatiae (C. I. L., XII, 505), Almahae (C. I. L., XII, 330), Ubelnae (C. I. L., XII, 333) en Narbonnaise ; les Matres Augustae Eburnicae, en Lyonnaise (Revue épigraphique, III, p. 49, n° 1220).
Celles qui protègent les lieux habités, villages ou villes. Leur universalité recouvre l’intégralité du monde celtique, voire indo-européen. C’est pour cette raison qu’elles sont régionalisées : Matres Treverae : pays des Trévires en Allemagne ; Matres Vediantia : pays des Vediantes de Nice. Elles ont été christianisées en Notre-Dame.
Celles qui constituent les génies de la famille, les fées de type matres mopates ou matres nedsamae (proxumae en latin) qui sont en quelque sorte des vierges à l’enfant, et dont le rapport avec la fertilité, la fécondité, ou la famille est évident (le mariage homosexuel ne s’était pas encore imposé). D’autres appellations, fréquentes en Narbonnaise, traduisent des qualités particulières ou bien des rapports affectifs entre les Mères (sic) et leurs adorateurs.
Les « Très Proches » (Nessamai en celte) ne sont-elles pas conçues par le croyant comme des protectrices de tous les instants ? Les matres lubicae ou matres nessamae sont de bonnes fées jouant un peu le rôle d’ange gardien des individus. Aux niveaux inférieurs, protection de la famille et protection du lieu habité (du foyer) se sont toujours rejointes.
Alisanos est probablement le dieu-ou-démon du « rocher », Ialonus celui de la clairière ou « du champ cultivé ». Il s’agit de dieu-ou-démons tutélaires, enracinés dans le lieu même, propres à une collectivité restreinte, un village ou même un hameau.
104
Enfin celles qui président à certains faits de la vie humaine. Originellement, d’ailleurs, il s’agissait d’une personnification, de la destinée, neutre, sous forme d’une triade « passé-présent-avenir », dont on retrouve trace presque partout. Mais la plénitude même de la grande loi cosmique dont elles sont issues (la Tokad ou Tocade, irlandais Toicthech), empêchera, par la suite, qu’on les identifie à l’Englobant Universel personnifié, des cultes populaires ; les fées de type matres étant une limitation par rapport à l’infini.
Les Égrégores.
Égrégore. Du latin gregs, gregis = le troupeau, la foule, avec préfixe ex = qui sort. L’égrégore est donc le fruit actif, ou né de l’action, d’une foule. C’est un être collectif.
L’Étymologie grecque signifiant veiller/veilleur a deux sens, il s’agit d’une part du nom d’un ange, et d’autre part d’un concept dont la définition approximative est celle d'« être collectif ».
Un égrégore est donc une puissante force psychique, suscitée puis maintenue en activité par les désirs et les émotions, de nombreux individus réunis dans un but commun. Exemple une meute de loups en chasse. Cette force vivante possède alors une certaine forme d’autonomie et de conscience.
Nous vivons dans un monde régi par les forces énergétiques. L’une d’elles nous concerne particulièrement tout au long de notre existence, celle des égrégores. Dès qu’un groupe animal ou humain se constitue, alors un égrégore se crée. Il est la somme des énergies psychiques émises par chacun des individus du groupe. L’ensemble de ces mouvements vibratoires exerce, en retour, une puissante influence sur ses membres.
Un égrégore est une masse psychique très proche de la matière où l’individu peut puiser une certaine force. Mais si l’égrégore est une « boule » d’énergie formée par un groupe d’individus, cette énergie, avec laquelle il est possible d’interagir, possède un caractère qui lui est propre. Il est un peu comme l’accumulateur d’une énergie possédant ses caractéristiques particulières. Il est donc aisé de comprendre qu’il existe des égrégores de toutes sortes.
Le Français Gustave le Bon a défini dans son ouvrage fondamental « Psychologie des foules », ce qu’il entend par égrégore humain.
Ci-dessous quelques extraits de son livre sur le sujet.
« Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d’individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent.
Du point de vue de la psychologie, l’expression foule prend une signification tout autre. Dans certaines circonstances données, mais seulement dans ces circonstances, une agglomération d’hommes possède des caractères nouveaux, fort différents de ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Il se forme une âme/esprit collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que, faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l’unité mentale des foules.
Le fait que beaucoup d’individus se trouvent accidentellement côte à côte ne leur confère pas les caractères d’une foule organisée. Mille individus réunis au hasard sur une place publique sans aucun but déterminé ne constituent nullement une foule psychologique. Pour en acquérir les caractères spéciaux, il faut l’influence de certains excitants dont nous aurons à déterminer la nature.
L’évanouissement de la personnalité consciente et l’orientation des sentiments et des pensées dans un même sens, premiers traits de la foule en voie de s’organiser, n’impliquent pas toujours la présence simultanée de plusieurs individus sur un seul point. Des milliers d’individus séparés peuvent à un moment donné, sous l’influence de certaines émotions violentes, un grand événement national, par exemple, acquérir les caractères d’une foule psychologique. Un hasard quelconque les réunissant suffira alors pour que leur conduite revête aussitôt la forme spéciale aux actes des foules. À certaines heures de l’histoire, une demi-douzaine d’hommes peuvent constituer une foule psychologique, tandis que des centaines d’individus réunis accidentellement pourront ne pas la constituer. D’autre part, un peuple entier, sans qu’il y ait agglomération visible, devient foule parfois sous l’action de telle ou telle influence.
105
Dès que la foule psychologique est formée, elle acquiert des caractères généraux provisoires, mais déterminables. À ces caractères généraux s’ajoutent des caractères particuliers, variables suivant les éléments dont la foule se compose et qui peuvent en modifier la structure mentale.
Les foules psychologiques sont donc susceptibles d’une classification. L’étude de cette classification nous montrera qu’une foule hétérogène, composée d’éléments dissemblables, présente avec les foules homogènes, composées d’éléments plus ou moins semblables (sectes, castes et classes), des caractères communs, et, à côté de ces caractères communs, des particularités qui permettent de les différencier.
Avant de nous occuper des diverses catégories de foules, examinons d’abord les caractères communs à toutes. Nous opérerons comme le naturaliste, commençant par déterminer les caractères généraux des individus d’une famille puis les caractères particuliers qui différencient les genres et les espèces que renferme cette famille.
L’âme des foules n’est pas facile à décrire, son organisation variant non seulement suivant la race et la composition des collectivités, mais encore suivant la nature et le degré des excitants qu’elles subissent.
Le fait le plus frappant présenté par une foule psychologique est le suivant : quels que soient les individus qui la composent, quelque semblables ou dissemblables que puissent être leur genre de vie, leurs occupations, leur caractère ou leur intelligence, le seul fait qu’ils sont transformés en foule les dote d’une sorte d’âme collective. Cette âme les fait sentir, penser et agir d’une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d’eux isolément. Certaines idées, certains sentiments ne surgissent ou ne se transforment en actes que chez les individus en foule. La foule psychologique est un être provisoire, composé d’éléments hétérogènes pour un instant soudés, absolument comme les cellules d’un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune de ces cellules possède.
Contrairement à une opinion, qu’on s’étonne de rencontrer sous la plume d’un philosophe aussi pénétrant qu’Herbert Spencer, dans l’agrégat constituant une foule, il n’y a nullement somme et moyenne des éléments, mais combinaison et création de nouveaux caractères. De même en chimie. Certains éléments mis en présence, les bases et les acides par exemple, se combinent pour former un corps nouveau doué de propriétés différentes de celles des corps ayant servi à le constituer.
On constate aisément combien l’individu en foule diffère de l’individu isolé ; mais d’une pareille différence, les causes sont moins faciles à découvrir.
Pour arriver à les entrevoir, il faut se rappeler d’abord cette observation de la psychologie moderne : que ce n’est pas seulement dans la vie, organique, mais encore dans le fonctionnement de l’intelligence que les phénomènes inconscients jouent un rôle prépondérant. La vie consciente de l’esprit ne représente qu’une très faible part auprès de sa vie inconsciente. L’analyste le plus subtil, l’observateur le plus pénétrant, n’arrive à découvrir qu’un bien petit nombre des mobiles inconscients qui le mènent. Nos actes conscients dérivent d’un substratum inconscient formé surtout d’influences héréditaires.
Dans l’âme collective, les aptitudes intellectuelles des hommes, et par conséquent leur individualité, s’effacent. L’hétérogène se noie dans l’homogène, et les qualités inconscientes dominent.
Cette mise en commun de qualités ordinaires nous explique pourquoi les foules ne sauraient accomplir d’actes exigeant une intelligence élevée. Les décisions d’intérêt général prises par une assemblée d’hommes distingués, mais de spécialités différentes, ne sont pas sensiblement supérieures aux décisions que prendrait une réunion d’imbéciles. Ils peuvent seulement associer en effet ces qualités médiocres que tout le monde possède. Les foules accumulent non l’intelligence, mais la médiocrité.
Diverses causes déterminent l’apparition des caractères spéciaux aux foules. La première est que l’individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance invincible lui permettant de céder à des instincts, que, seul, il eût forcément refrénés. Il y cédera d’autant plus volontiers que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement.
106
Une seconde cause, la contagion mentale, intervient également pour déterminer chez les foules la manifestation de caractères spéciaux et en même temps leur orientation. La contagion est un phénomène aisé à constater, mais non expliqué encore, et qu’il faut rattacher aux phénomènes d’ordre hypnotique que nous étudierons dans un instant. Chez une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux, et contagieux à ce point que l’individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l’intérêt collectif. C’est là une aptitude contraire à sa nature, et dont l’homme ne devient guère capable que lorsqu’il fait partie d’une foule.
Une troisième cause, et de beaucoup la plus importante, détermine dans les individus en foule des caractères spéciaux parfois fort opposés à ceux de l’individu isolé. Je veux parler de la suggestibilité, dont la contagion mentionnée plus haut n’est d’ailleurs qu’un effet.
Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs. Il s’en rapproche encore par sa facilité à se laisser impressionner par des mots, des images, et conduire à des actes lésant ses intérêts les plus évidents. L’individu en foule est un grain de sable au milieu d’autres grains de sable que le vent soulève à son gré.
Et c’est ainsi qu’on voit des jurys rendre des verdicts que désapprouverait chaque juré individuellement, des assemblées parlementaires adopter des lois et des mesures que réprouverait en particulier chacun des membres qui les composent. Pris séparément, les hommes de la Convention étaient des bourgeois, aux habitudes pacifiques. Réunis en foule, ils n’hésitèrent pas, sous l’influence de quelques meneurs, à envoyer à la guillotine les individus les plus manifestement innocents ; et contrairement à tous leurs intérêts, ils renoncèrent à leur inviolabilité et se décimèrent eux-mêmes.
Concluons des observations précédentes que la foule est toujours intellectuellement inférieure à l’homme isolé. Mais au point de vue des sentiments et des actes que ces sentiments provoquent, elle peut, suivant les circonstances, être meilleure ou pire. Tout dépend de la façon dont on la suggestionne. C’est là ce qu’ont méconnu les écrivains n’ayant étudié les foules qu’au point de vue criminel. Criminelles, les foules le sont souvent, certes, mais, souvent aussi, héroïques. On les amène aisément à se faire tuer pour le triomphe d’une croyance ou d’une idée, on les enthousiasme pour la gloire et l’honneur, on les entraîne presque sans pain et sans armes comme pendant les croisades, pour délivrer de l’infidèle le tombeau d’un Dieu, ou, comme en 93, pour défendre le sol de la patrie. Héroïsmes évidemment un peu inconscients, mais c’est avec de tels héroïsmes que se fait l’histoire. S’il ne fallait mettre à l’actif des peuples que les grandes actions froidement raisonnées, les annales du monde en enregistreraient bien peu.
La violence des sentiments des foules est encore exagérée, dans les foules hétérogènes surtout, par l’absence de responsabilité. La certitude de l’impunité, d’autant plus forte que la foule est plus nombreuse et la notion d’un pouvoir momentané considérable dû au nombre, rendent possibles à la collectivité des sentiments et des actes impossibles à l’individu isolé. Dans les foules, l’imbécile, l’ignorant et l’envieux sont libérés du sentiment de leur nullité et de leur impuissance, que remplace la notion d’une force brutale, passagère, mais immense.
Les rares psychologues qui les ont étudiées ne le firent qu’au point de vue de leurs actes criminels ; et voyant ces actes fréquents, ils ont assigné aux foules un niveau moral très bas.
Sans doute en font-elles preuve souvent ; mais pourquoi ? Simplement, parce que les instincts de férocité destructive sont des résidus des âges primitifs dormant au fond de chacun de nous. Pour l’individu isolé, il serait dangereux de les satisfaire, alors que son absorption dans une foule irresponsable, et où par conséquent, l’impunité est assurée, lui donne toute liberté pour les suivre. Ne pouvant exercer habituellement ces instincts destructifs sur nos semblables, nous nous bornons à les assouvir sur des animaux. C’est d’une même source que dérivent la passion pour la chasse et la férocité des foules. La foule écharpant lentement une victime sans défense fait preuve d’une cruauté très lâche ; mais, bien proche parente, pour le philosophe, de celle des chasseurs se réunissant par douzaines afin d’assister à l’hallali.
107
Si la foule est capable de meurtre, d’incendie et de toutes sortes de crimes, elle l’est également d’actes de sacrifice et de désintéressement beaucoup plus élevés que ceux dont est susceptible l’individu isolé. C’est surtout sur l’individu en foule qu’on agit, en invoquant des sentiments de gloire, d’honneur, de religion et de patrie. L’histoire fourmille d’exemples analogues à ceux des croisades et des volontaires de 93. Seules les collectivités sont capables de grands dévouements et de grands désintéressements. Que de foules se sont fait héroïquement massacrer pour des croyances et des idées qu’elles comprenaient à peine ! »
Note de la rédaction. Loi de Goodwin. On a évidemment beaucoup critiqué cet auteur en en faisant un précurseur d’Hitler et du nazisme (socialisme national du parti des travailleurs allemands). Il est, certes, vrai qu’il partageait les préjugés de son temps, et de beaucoup aujourd’hui encore, y compris dans les rangs de l’antiracisme, sur les races. Il est vrai aussi qu’il était apparemment également de l’avis de Churchill : la démocratie est la pire des formes de gouvernement… à l’exception de toutes les autres. Ses propos à ce sujet sont très clairs et sa condamnation des mœurs politiques de nos sociétés toujours d’actualité.
« Tout ce qui a dominé dans le monde, les idées ou les hommes, s’est imposé principalement par la force irrésistible qu’exprime le mot prestige. Nous saisissons tous le sens de ce terme, mais on l’applique de façons trop diverses pour qu’il soit facile de le définir. Le prestige peut comporter certains sentiments tels que l’admiration et la crainte qui parfois même en sont la base, mais il peut parfaitement exister sans eux. Des êtres morts, et par conséquent que nous ne saurions craindre, Alexandre, César, Mahomet, Bouddha, possèdent un prestige considérable. D’un autre côté, certaines fictions que nous n’admirons pas, les divinités monstrueuses des temples souterrains de l’Inde, par exemple, nous paraissent pourtant revêtues d’un grand prestige.
Le prestige est en réalité une sorte de fascination qu’exerce sur notre esprit un individu, une œuvre ou une doctrine. Cette fascination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d’étonnement et de respect. Les sentiments alors provoqués sont inexplicables, comme tous les sentiments, mais probablement du même ordre que la suggestion subie par un sujet magnétisé. Le prestige est le plus puissant ressort de toute domination. Les dieux, les rois et les femmes n’auraient jamais régné sans lui.
On peut ramener à deux formes principales les diverses variétés de prestige : le prestige acquis et le prestige personnel.
Le prestige acquis est celui que confèrent le nom, la fortune, la réputation. Il peut être indépendant du prestige personnel. Le prestige personnel constitue, au contraire, quelque chose d’individuel coexistant parfois avec la réputation, la gloire, la fortune, ou renforcé par elles, mais parfaitement susceptible d’exister d’une façon indépendante.
Le prestige acquis, ou artificiel, est de beaucoup le plus répandu. Par le fait seul qu’un individu occupe une certaine position, possède une certaine fortune, est affublé de certains titres, il est auréolé de prestige, si nulle que puisse être sa valeur personnelle. Un militaire en uniforme, un magistrat en robe rouge ont toujours du prestige. Pascal avait très justement noté la nécessité, pour les juges, des robes et des perruques. Sans elles, ils perdraient une grande partie de leur autorité. Le socialiste le plus farouche est émotionné par la vue d’un prince ou d’un marquis ; et de tels titres suffisent pour escroquer à un commerçant tout ce qu’on veut.
La première des qualités à posséder pour le candidat est le prestige. Le prestige personnel ne peut être remplacé que par celui de la fortune. Le talent, le génie même ne sont pas des éléments de succès.
Cette nécessité pour le candidat d’être revêtu de prestige, de pouvoir par conséquent s’imposer sans discussion est capitale.
Mais la possession du prestige ne suffit pas pour assurer le succès au candidat. L’électeur tient à voir flatter ses convoitises et ses vanités ; le candidat doit l’accabler d’extravagantes flagorneries, ne pas hésiter à lui faire les plus fantastiques promesses. Devant des ouvriers, on ne saurait trop injurier et
108
flétrir leurs patrons. Quant au candidat adverse, on tâchera de l’écraser en établissant par affirmation, répétition et contagion qu’il est le dernier des gredins, et que personne n’ignore qu’il a commis plusieurs crimes. Inutile, bien entendu, de chercher aucun semblant de preuve. Si l’adversaire connaît mal la psychologie des foules, il essaiera de se justifier par des arguments, au lieu de répondre simplement aux affirmations calomnieuses par d’autres affirmations également calomnieuses ; et n’aura dès lors aucune chance de triompher.
Le programme écrit du candidat ne doit pas être très catégorique, car ses adversaires pourraient le lui opposer plus tard ; mais son programme verbal ne saurait être excessif. Les réformes les plus considérables peuvent être promises sans crainte. Sur le moment, ces exagérations produisent beaucoup d’effet, et pour l’avenir n’engagent en rien. L’électeur ne se préoccupe nullement en effet par la suite de savoir si l’élu a suivi la profession de foi acclamée, et sur laquelle l’élection est supposée avoir eu lieu.
On reconnaît ici tous les facteurs de persuasion décrits plus haut. Nous allons les retrouver encore dans l’action des mots et des formules dont nous avons déjà montré le puissant empire, l’orateur qui sait les manier conduit les foules à son gré. Des expressions telles que : l’infâme capital, les vils exploiteurs, l’admirable ouvrier, la socialisation des richesses, etc. produisent toujours le même effet, bien qu’un peu usées déjà. Mais le candidat qui peut découvrir une formule neuve, bien dépourvue de sens précis, et par conséquent adaptable aux aspirations les plus diverses, obtient un succès infaillible.
La sanglante révolution espagnole de 1873 fut faite avec un de ces mots magiques, au sens complexe, que chacun peut interpréter suivant son espoir. Un écrivain contemporain en a raconté la genèse en termes qui méritent d’être rapportés.
Les radicaux avaient découvert qu’une république unitaire est une monarchie déguisée, et, pour leur faire plaisir, les Cortès avaient proclamé d’une seule voix la République fédérale sans qu’aucun des votants eût pu dire ce qui venait d’être voté. Mais cette formule enchantait tout le monde, c’était un délire, une ivresse. On venait d’inaugurer sur la terre le règne de la vertu et du bonheur. Un républicain, à qui son ennemi refusait le titre de fédéral, s’en offensait comme d’une mortelle injure. On s’abordait dans les rues en se disant : Salud y republica federal ! Après quoi on entonnait des hymnes à la sainte indiscipline et à l’autonomie du soldat. Qu’était-ce que la « République fédérale » ? Les uns entendaient par là l’émancipation des provinces, des institutions pareilles à celles des États-Unis ou la décentralisation administrative ; d’autres visaient à l’anéantissement de toute autorité, à l’ouverture prochaine de la grande liquidation sociale. Les socialistes de Barcelone et de l’Andalousie prêchaient la souveraineté absolue des communes, ils entendaient donner à l’Espagne dix mille municipes indépendants, ne recevant de lois que d’eux-mêmes, en supprimant du même coup et l’armée et la gendarmerie. On vit bientôt dans les provinces du Midi l’insurrection se propager de ville en ville, de village en village. Dès qu’une commune avait fait son pronunciamiento, son premier soin était de détruire le télégraphe et les chemins de fer pour couper toutes ses communications avec ses voisins et avec Madrid. Il n’était pas de méchant bourg qui n’entendît faire sa cuisine à part. Le fédéralisme avait fait place à un cantonalisme brutal, incendiaire et massacreur, et partout se célébraient de sanglantes saturnales ».
Cet excès de pessimisme (ou de lucidité, mais enfin qu’est-ce qu’un pessimiste si ce n’est un optimiste bien informé ?) ne l’a pas pour autant amené à condamner la démocratie, bien au contraire (sans doute faute de despotisme éclairé, car avoir un bon roi est encore le meilleur des gouvernements évidemment, mais qu’est-ce qu’un bon roi, et comment peut-on être sûr d’avoir toujours un bon roi ?).
Ci-dessous donc ses considérations à ce sujet.
« Telle est la psychologie des foules électorales. Elle est identique à celle des autres foules, ni meilleure ni pire.
Je ne tirerai donc de ce qui précède aucune conclusion contre le suffrage universel. Si j’avais à décider de son sort, je le conserverais tel qu’il est, pour des motifs pratiques découlant précisément de
109
notre étude sur la psychologie des foules, et que je vais exposer, après avoir d’abord rappelé ses inconvénients.
Les inconvénients du suffrage universel sont évidemment trop visibles pour être méconnus. On ne saurait contester que les civilisations furent l’œuvre d’une petite minorité d’esprits supérieurs constituant la pointe d’une pyramide, dont les étages, s’élargissant à mesure que décroît la valeur mentale, représentent les couches profondes d’une nation. La grandeur d’une civilisation ne peut assurément dépendre du suffrage d’éléments inférieurs, représentant uniquement le nombre. Sans doute encore les suffrages des foules sont souvent bien dangereux. Ils nous ont déjà amené plusieurs invasions ; et avec le triomphe du socialisme, les fantaisies de la souveraineté populaire nous coûteront sûrement beaucoup plus cher encore.
Mais ces objections, théoriquement excellentes, perdent pratiquement toute leur force, si l’on veut se souvenir de la puissance invincible des idées transformées en dogmes. Le dogme de la souveraineté des foules est, au point de vue philosophique, aussi peu défendable que les dogmes religieux du Moyen-âge, mais il en a aujourd’hui l’absolue puissance. Il est donc aussi inattaquable que le furent jadis nos idées religieuses. Supposez un libre penseur moderne transporté par un pouvoir magique en plein Moyen-âge. Croyez-vous qu’en face de la puissance souveraine des idées religieuses régnant alors il eût tenté de les combattre ? Tombé dans les mains d’un juge, voulant le faire brûler sous l’imputation d’avoir conclu un pacte avec le diable, ou fréquenté le sabbat, eût-il songé à contester l’existence du diable et du sabbat ? On ne discute pas plus avec les croyances des foules qu’avec les cyclones. Le dogme du suffrage universel possède aujourd’hui le pouvoir qu’eurent jadis les dogmes chrétiens. Orateurs et écrivains en parlent avec un respect et des adulations que ne connut pas Louis XIV. Il faut donc se conduire à son égard comme à l’égard de tous les dogmes religieux. Le temps seul agit sur eux.
Faut-il supposer maintenant qu’un suffrage restreint – restreint aux capacités, si l’on veut – améliorerait le vote des foules ? Je ne puis l’admettre un seul instant, et cela pour les motifs signalés plus haut de l’infériorité mentale de toutes les collectivités, quelle que puisse être leur composition. En foule, je le répète, les hommes s’égalisent toujours, et, sur des questions générales, le suffrage de quarante académiciens n’est pas meilleur que celui de quarante porteurs d’eau. Je ne crois pas qu’aucun des votes tant reprochés au suffrage universel, le rétablissement de l’Empire, par exemple, eût différé avec des votants recrutés exclusivement parmi des savants et des lettrés. Le fait, pour un individu, de savoir le grec ou les mathématiques, d’être architecte, vétérinaire, médecin ou avocat, ne le dote pas, sur les questions de sentiments, de clartés particulières. Tous nos économistes sont des gens instruits, professeurs et académiciens pour la plupart. Est-il une seule question générale, le protectionnisme, par exemple, qui les ait trouvés d’accord ? Devant des problèmes sociaux, pleins de multiples inconnues, et dominés par la logique mystique ou la logique affective, toutes les ignorances s’égalisent.
Si donc des gens bourrés de science composaient à eux seuls le corps électoral, leurs votes ne seraient pas meilleurs que ceux d’aujourd’hui. Ils se guideraient surtout d’après leurs sentiments et l’esprit de leur parti ».
110
LES GENII CUCULLATI (GENIUS CUCULLATUS, AU SINGULIER)
OU ANGES GARDIENS DU DRUIDISME.
Les matres nessamae or matres lubicae sont des anges gardiens de la famille, les matres suleviae ? ou cucullati ? des anges gardiens individuels.
Un égrégore est une forme pensée provoquée par les désirs, les aspirations, les rêves, les décisions, les engagements, les idées, la volonté, d’un ou de plusieurs êtres humains. En se focalisant sur un objectif et en agissant pour lui donner vie, une personne est en mesure de créer un égrégore susceptible de se développer pendant un temps indéterminé. Suivant l’intensité de l’idée en question et du nombre de personnes qui y adhéreront, ce temps peut durer de quelques jours à plusieurs millénaires.
Exemple : une association créée par un groupe d’amis, pendant une durée de deux mois autour du projet d’organiser un concert en vue de recueillir des fonds, va susciter un égrégore à durée de vie limitée.
Autre exemple d’égrégore : une église. Ces hommes et ces femmes qui se réunissent, qui prient, qui ont foi en leur dieu-ou-démiurge, développent inconsciemment une gigantesque énergie. Et les manifestations de cet égrégore peuvent être très nombreuses… On peut citer dans le même ordre d’idées un État, un parti, voire la communion des saints des chrétiens.
Mais il faut savoir que religion ou politique ne sont pas les seules à susciter des égrégores ! Un peu partout fleurissent au sein des hôpitaux des « groupes de prières », qui prient pour la guérison des malades qui le leur ont demandé. Or on s’est aperçu, que des malades atteints de maladies graves, et pour qui priaient ces groupes, se remettaient beaucoup plus rapidement, et avaient des chances de guérison beaucoup plus élevées, que des malades qui ne bénéficiaient pas des prières de ces groupes ! Pourquoi ? Tout simplement parce que le « groupe de prières », par sa dévotion, va canaliser une énergie placebo, que l’on pourrait appeler peut-être « énergie de guérison » ; et qui va se mêler à l’énergie du malade concerné, le rendant ainsi beaucoup plus fort, pour se battre contre la maladie ! Voilà un excellent exemple d’égrégore !
Pour le travail, c’est la même chose : vous travaillez dans une entreprise qui vous demande de constituer un groupe afin de réaliser un projet. Si, dans votre groupe, chacun est soudé, « sur la même longueur d’onde », votre projet sera bouclé en un temps record, et vous bénéficierez des honneurs de vos employeurs. Par contre, si dans le groupe il existe une ou plusieurs « brebis galeuses », l’énergie développée par votre groupe sera quasiment nulle, voire négative, les idées manqueront, votre travail n’avancera pas, et le moral de vos « troupes » sera au plus bas !
Vous essuierez ainsi un cuisant échec auprès de vos responsables. Que se sera-t-il passé ? L’énergie développée par ce groupe à la base « malsaine » sera inexistante, voire contreproductive. La meilleure solution aurait donc été que vous fassiez le travail seul, ce qui aurait été plus long, mais beaucoup moins difficile ; étant donné que vous n’auriez subi aucune entrave à sa réalisation, contrairement à ce qui se sera passé dans votre groupe négatif.
C’était d’ailleurs un peu ce que disait mon maître Pierre Lance, qui a toujours pensé que rien ne valait le travail d’un homme seul, en certaines circonstances. Et il est vrai, lorsque l’on regarde un peu ce qui se passe, ou s’est passé, dans certains groupes néo-druidiques français ; qu’on ne peut que se convaincre de la pertinence d’une telle remarque malgré son caractère désespérément « non démocratique » !
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, assimilaient certains de ces égrégores à des dieu-ou-démons appelés par eux cucullati. Ce que l’on peut retirer de cette interprétation métaphorique des très-sachants de l’Antiquité, c’est que l’égrégore a une vie propre capable d’influencer les humains et le cours de l’Histoire quand il s’agit des foules. Il tire son sa force de l’énergie psychique de chacun des membres de l’association qui le nourrit. Étant autonome, il perdure
111
tant qu’il est alimenté. La théorie de l’égrégore implique en effet qu’une émotion peut créer ou détruire selon son impact. Exemple : un jour vous vous souvenez d’un accident regrettable. Or, vous pouvez le revivre comme s’il se produisait réellement de nouveau à l’instant. Automatiquement, vous avez donc une réaction extérieure : froid, frisson, peur, etc. Conséquence ? Vous créez une image et vous pouvez lui donner un « pouvoir ». Ce pouvoir peut détruire ou reconstruire. Lebon a bien mis en évidence l’ambivalence du phénomène.
L’égrégore est partout présent, il flotte au-dessus des têtes, et dans les cœurs. Il suffit de s’y connecter par un simple état d’ouverture intellectuelle : une pensée, une méditation, un symbole, une émotion, une coïncidence, un élan de créativité… L’égrégore procure de la paix intérieure, une aide ou un support, la force et le courage, l’union et la solidarité.
Les actes, les émotions, les pensées et les idéaux de chaque entité constituant le groupe, fusionnent pour édifier un tout cohérent, dont les composants sont de nature énergétique, de nature métaphysique. Plus il est alimenté et plus son rayonnement s’étend.
Plus l’égrégore rayonne intensément et plus les possibilités du groupe vont s’en trouver accrues. L’égrégore attire à lui les personnes pouvant répondre à sa note vibratoire.
Si certains hommes (devins professionnels ou prêtres de tel ou tel Dieu ou Démiurge, voire grands hommes d’État sont plus clairvoyants que d’autres, c’est parce qu’ils sont en liaison avec l’égrégore en question, ils en font partie. La transmission de l’acquis collectif est enrichie, mémorisée puis véhiculée par l’égrégore. Le prêtre et l’homme politique de génie vivent avec cet égrégore, ils ne sont pas seuls, des énergies se concentrent sur eux.
En principe l’égrégore perdure, et on le dissout très difficilement. Exemple : la grande difficulté à vivre au quotidien dans un lieu où se réunissaient régulièrement plusieurs personnes animées de très mauvaises intentions.
Ausone (à propos de l’emploi du mot libra). « Aux choses divines, on peut comparer les choses humaines ».
Les mêmes lois régissent le domaine matériel et le domaine psychique. Ce qui vaut pour l’un vaut pour l’autre. Il n’y a aucune différence. Il en va bien évidemment de même pour tout ce qui touche au monde spirituel. Les égrégores sont tributaires de la qualité de conscience de leurs membres.
Si les objectifs et les orientations personnelles de ces derniers sont de nature matérielle, les égrégores, leur double subtil, manifestent des intérêts analogues. Si au contraire, les buts et les orientations des personnes constituant un groupe sur le plan physique sont inclusifs, son égrégore sera donc animé des mêmes intentions.
Tout rassemblement d’individus forme un égrégore donc, avons-nous dit. Qu’elle soit humaine ou non-humaine. Mais c’est une entité très difficile à voir. Voir un égrégore demande une grande capacité à visualiser… La visualisation peut se faire de deux manières différentes ; soit en groupe, ou bien seul. Si elle se fait à plusieurs, le groupe doit être très uni, tout le monde doit se connaître, et avoir parfaitement confiance en l’autre. Il doit y avoir des liens d’amitié assez forts entre les membres. L’entente est très importante dans la visualisation en groupe, il faut vraiment être sur « la même longueur d’onde » pour pouvoir arriver à quelque chose.
Les Grecs ont leurs héros guerriers fondateurs, dont la poésie a chanté les exploits, dont l’art a idéalisé les traits. Les genii cucullati des Celtes n’ont rien de ces allures anthropomorphiques ; ce sont le plus souvent des âme/esprits anonymes, qui n’ont fait que tard et par imitation des Gréco-Romains, l’objet de quelque représentation figurée.
Nous avons insisté à maintes reprises sur la place que fait la religion druidique aux divinités qui président à la vie et à la génération. On peut dire qu’il n’en est pas une parmi les grands dieu-ou-démons qui n’ait ce domaine dans ses attributions. Le genius cucullatus fait partie du groupe des divinités familiales, il résume en lui leurs influences particulières, il se substitua même à elles en quelque sorte au pied levé, lorsqu’une certaine évolution religieuse les fit dédaigner ou tomber en désuétude. Les Celtes comptaient donc aussi sur leurs anges gardiens à eux (les genii cucullati ou les bonnes fées appelées matres suleviae) pour être en bonne santé, mais aussi heureux en affaires.
112
Comme le Gdonios (l’Homme) a une triple nature : âme (anamone), esprit (menman), corps (kicos) ; le genius cucullatus, dans la religion druidique, a donc lui aussi une triple forme, car il est censé être en quelque sorte « l’ange gardien » de l’être humain, tant sur le plan spirituel que sur le plan physique.
Ce qui a contribué à populariser le culte du genius cucullatus dans toutes les parties du monde romain, c’est qu’il était une divinité vite trouvée pour les collectivités de tout ordre. Il n’y a pas de réunion d’hommes, pas d’agglomération politique, pas d’association professionnelle, pas de classe ni de communauté ; qui ne se soit placée sous la protection d’un genius cucullatus spécial, à défaut d’un dieu-ou-démon et même de préférence à un dieu-ou-démon. Car le genius cucullatus avait le grand avantage de s’adapter à tous les cas particuliers. Comme les anges dans le christianisme, dont il a été dit qu’ils sont répartis sur les nations et les cités : kata ta ethnê kai poleis, les genii cucullati ou matres du polythéisme druidique sont partout ; nous en avons pour les vici (villages), pour les pagi (terroirs), à plus forte raison pour les villes et pour les peuples.
Il faut mentionner ici le genius cucullatus de la ville de Lyon sur les monnaies d’Albinus, qui est en réalité le dieu-ou-démon appelé Lug (cette méprise est évidemment due aux Romains) ou celui de la terre de [Grande] Bretagne. Par contre le Musée du Louvre à Paris possède un vase des premiers temps de l’ère chrétienne, dédié au genius cucullatus des Tournaisiens (genio Turnacensium) en Belgique.
Outre ces genii cucullati ou matres des villes et des Tribus-États, il faut citer ceux qui étaient les protecteurs, soit d’une classe sociale comme les esclaves ou les affranchis, soit d’une entreprise commerciale ou d’un métier. Les recueils d’inscriptions sont particulièrement riches en témoignage de ce genre ; il est des genii cucullati qui sont préposés à la garde d’un grenier, d’un port ou d’un marché ; il y en a pour les écoles, les théâtres et les bains ; il y en a surtout pour les collèges et les associations de tout genre, servant à réunir, par des liens religieux, les gens d’un même métier. Il n’y a pas de recoin dans une ville, pas de place, pas de rue, pas de porte, il n’y a pas d’édifice public ni même de maison particulière, qui ne soit placé sous la garde du genius cucullatus ; où il ne soit fait appel à sa divinité pour prodiguer ses faveurs aux hommes ; pour écarter des lieux toute souillure et toute dégradation. Le poète Prudence le constate en raillant, sans s’aviser apparemment que la même chose existe dans le christianisme sous le nom d’anges gardiens. Illustration bien connue du vieux principe chrétien que l’on peut résumer ainsi : « deux poids, deux mesures ». On ridiculise certaines idées chez les autres, alors que l’on a les mêmes chez soi, mais attention, hein « dans notre cas ce n’est pas pareil ! ».
Une mention spéciale est due à la religion du genius cucullatus dans la vie des camps militaires ; nous y rencontrons le genius cucullatus de l’armée comme nous avons, dans la vie civile, celui du peuple ; le genius cucullatus du camp correspond à celui de la ville, la sainteté même des enseignes est incarnée dans un genius cucullatus.
En définitive, l’idée de genius cucullatus se résout dans celle du numineux, qui signifie l’action tutélaire de la divinité sur les hommes et les choses.
N.B. Les Romains avaient tendance à confondre cet ange gardien de l’individu avec d’autres entités qu’ils appelaient Mânes Lares ou Pénates. Pour plus de détails sur ces notions de la mythologie romaine consulter les ouvrages de nos frères en paganisme particulièrement intéressés par cette religion ce qui n’est pas notre cas.
AFIN DE BIEN COMPRENDRE CE QU’EST UN GENIUS, VOIR CE QUE NOUS DIT LE DICTIONNAIRE DES ANTIQUITÉS GRECQUES ET ROMAINES DE DAREMBERG ET SAGLIO À PROPOS DU TERME GENIUS.
Dans la vague notion de survivance de la personnalité humaine après la mort, le « genius » confine à des âme/esprits généralement considérées comme distinctes de lui, aux Mânes, aux Lares et aux Pénates ; qui ont sur lui l’avantage de représenter des personnifications plus précises. Servius nous apprend que ces divinités du foyer sont prises couramment les unes pour les autres ; que, par exemple, on attachait à chaque existence humaine, dès la naissance, deux Mânes, l’un bon et l’autre mauvais, qui survivaient, voire continuaient d’habiter la tombe. Varron confondait les Mânes avec les Lares et ces deux classes avec les Génies, les assimilant d’autre part aux héros des Grecs. [Un beau méli-mélo ! Les Celtes étaient plus logiques].
113
Les premiers témoignages relatifs au culte du genius dans la religion romaine ne remontent pas au-delà de la Seconde Guerre punique ; et il n’en est point où l’on ne sente l’influence des idées grecques sur le daemon et bientôt celle des doctrines stoïciennes. Il n’en est pas moins certain que le « genius » a fait partie, avec les Lares, les Pénates et les Mânes, des plus anciennes divinités du Latium. Souvent confondu avec ces âme/esprits d’essence latine et romaine, il semble désigner un genre dont ils sont les espèces, la notion générale dont ils détaillent les aspects divers. Étymologiquement, les anciens ont rattaché le nom de genius à gens, geno ou gigno quelquefois, par une erreur de linguistique qui n’est pas sans intérêt pour l’explication du rôle du genius, à gero. C’est la force qui engendre au point de départ et qui conserve dans leur individualité propre jusqu’à leur destruction, et l’être de l’homme et les êtres de raison que l’homme s’est forgés à sa propre image…
Le « genius » est avant tout la force divine qui engendre : genius nominatur qui me genuit ; il est l’auteur de la race des hommes, generis nostri parens. La première manifestation de son action date de l’union des sexes ; le lit nuptial est sous sa protection spéciale, c’est pour cela qu’il est appelé genialis. Toute atteinte portée à la sainteté du mariage est donc un crime contre le « génie » *…
Par cette identification du « genius » avec tout acte bon et agréable, on explique l’emploi du mot « genius » chez les auteurs comiques, qui en associent la mention à celle d’une rencontre heureuse ; d’un ami par exemple que l’on retrouve d’une façon imprévue. Il y a là comme un hommage à l’adresse de l’influence qui procure de la bonne humeur, à l’instant même où on l’éprouve ; dans ces cas-là en fait la notion de Genius est identique à celle de Fortuna.
Après s’être appliqué d’abord à la couche nuptiale, aux idées ainsi qu’aux personnes dont cette couche suggère l’idée ; l’adjectif genialis s’applique aux dieu-ou-démons qui signifient abondance, joie, prospérité ; à Bacchus, à Cérès, à Saturne, aux saisons où l’homme goûte en paix les fruits de son travail, à tout ce qui dans la vie est heureux, fécond. C’est par ce biais que dès l’Antiquité, « genius », tout comme l’adjectif genialis, et même, en certains cas, ingenium, en sont venus à signifier la plénitude des facultés intellectuelles, l’heureuse faculté de l’esprit à enfanter des conceptions belles et originales.
Le « genius », qui a présidé à l’acte de la génération, se manifeste surtout le jour de la naissance. C’est lui qui détermine le caractère individuel du nouvel être qui vient au monde ; qui va être à la fois le principe directeur de ses actes, le gardien de son existence, et l’explication idéale de ce qui lui est réservé d’heureux ou de malheureux.
À ces divers titres, le genius natalis rappelle, trait pour trait, le daemon des Grecs. Il est difficile de dire, dans le plus grand nombre des cas, si les auteurs qui le font intervenir puisent à la source des croyances purement romaines ; ou s’ils accommodent, suivant les idées grecques, une notion beaucoup plus vague de la vieille religion populaire. Il semble ; par l’emploi qu’en ont fait les auteurs comiques, et plus particulièrement Plaute, le plus latin d’entre eux, pour qui le « génie » est simple et un ; que la multiplication des génies individuels, variant d’un homme à l’autre, et double chez chacun d’eux, soit due à l’influence de la littérature et de la philosophie grecques.
Lucilius le premier, suivant donc en cela les idées d’Euclide le socratique, admit pour chaque homme deux génies, l’un bon, l’autre mauvais ; qui expliquent, chacun pour sa part, ce qu’il y a d’heureux ou de malheureux, de vertueux ou de coupable dans les existences.
À plus forte raison n’est-ce plus le même « genius » qui répand sur tous les hommes une influence égale ; le « genius » se fait individuel, et variant aussi en énergie ou en qualité morale ; il y a des génies plus puissants les uns que les autres et, dans la lutte des ambitions rivales, c’est leur force respective qui explique le résultat ; ainsi un prêtre égyptien apprend-il à Antoine que c’est son génie qui cède devant celui d’Octave. Les deux génies apparaissent à l’empereur Julien, l’un, expression de sa bonne fortune, avant son accession au trône ; l’autre, d’allure désespérée, voire à l’aspect terrifiant, après son expédition contre les Perses. Brutus et Cassius ont reçu tous les deux, avant leur chute, la visite du mauvais génie en qui s’incarnait leur funeste destinée.
* En quelque sorte donc un crime contre « l’esprit ». L’homosexualité n’était nullement pénalisée par le paganisme romain, mais par contre ce qui était saint pour lui, c’était l’union d’un homme et d’une
114
femme. L’union de deux hommes (ou de deux femmes) ne l’était en aucune façon. Sans toutefois être interdite ou réprimée. L’homosexualité ne relevait pas du pénal comme en terre d’islam (dar al islam).
Ci-dessous également quelques citations concernant également les Germains ou d’autres peuples nordiques (les Finnois ?? Les Baltes ?)
Commençons tout d’abord par quelques auteurs chrétiens.
Bardesane. Le livre des lois de chaque pays.
« Au nord, en pays germain, ainsi que chez leurs voisins, les garçons qui sont bien faits servent de femmes pour les hommes, et un banquet de mariage est alors organisé pour cela. La chose n’est pas considérée comme honteuse ni n’est tenue pour méprisable puisque la loi permet de telles unions. Il est pourtant impossible qu’en Celtique tous ceux qui se rendent coupables d’une telle infamie soient venus au monde alors que Mercure était en conjonction avec Vénus dans le signe de Saturne, tout comme dans le domaine de Mars, pour ce qui est des signes du Zodiaque d’Occident. Or les hommes qui sont nés sous cette étoile, est-il écrit, sont considérés comme devant de façon éhontée, servir de femmes.
Loi des [Grands] Bretons.
Chez les [Grands] Bretons, beaucoup d’hommes se partagent une seule femme.
Loi des Parthes.
Chez les Parthes…
Mais nos frères qui habitent en Celtique ne se marient pas avec des hommes, et ceux qui vivent chez les Parthes… »
Ces propos pas très clairs de Bardesane sont peut-être tirés d’Eusèbe de Césarée.
Préparation évangélique. Livre VI, chapitre X.
« Chez les Celtes les jeunes hommes se marient et ne considèrent pas la chose comme moralement condamnable, car chez eux c’est légal. Il n’est pourtant pas possible qu’en Celtique tous ceux qui s’adonnent à une telle honte soient nés avec l’étoile du matin (Vénus) en conjonction avec Mercure dans le signe de Saturne et dans le domaine de Mars. En [Grande] Bretagne, de nombreux hommes ont une femme en commun : mais en pays parthe… »
Répétons-le encore une fois, nous mettons fortement en doute le caractère religieux de telles unions. Sur ce point Celtes et Romains devaient avoir les mêmes sentiments : il devait sans doute s’agir de simples unions civiles en aucune façon placées sous le regard des dieux.
Les auteurs plus anciens comme Diodore de Sicile ne nous présentent aucunement ces relations comme entrant dans le cadre d’un mariage, mais comme une pratique acceptée dans des groupes masculins comme ceux constitués par des guerriers.
Diodore de Sicile. Livre V, 32, 7.
« Bien que leurs épouses soient avenantes, ils s’occupent très peu d’elles, mais s’adonnent avec passion à des amours contre nature entre mâles. Ils ont l’habitude de coucher à même le sol sur des peaux de bête sauvages et de dormir avec un giton de chaque côté. Le plus étonnant de tout est qu’ils ne se soucient aucunement de leur propre dignité, mais qu’ils prostituent ainsi sans aucune gêne la fleur de leur jeunesse ; et ne considèrent pas cela comme honteux ; ce qu’ils considèrent plutôt comme honteux c’est de refuser leurs avances quand ils s’offrent à quelqu’un ».
Strabon recopie sans doute Diodore à ce sujet (Livre IV, 4, 6).
« Et ce qui suit, aussi, est l’une des choses répétées maintes et maintes fois à leur sujet, à savoir que les Celtes sont tous des fous de guerre, mais qu’il n’est pas considéré comme honteux chez eux pour les jeunes hommes de prodiguer leurs charmes d’éphèbe ».
Ainsi qu’Athénée de Naucratis. Deipnosophistes. Livre XIII. 79.
Et les Celtes aussi, bien qu’ils aient les plus belles femmes de tous les Barbares, préfèrent de loin les garçons. De sorte que certains d’entre eux vont souvent dormir avec deux amants sur leur couche faite de peau de bête ».
Le cas d’Aristote est plus douteux, car il avait un peu tendance comme tout Grec qui se respecte, à considérer comme normaux les mariages homosexuels aussi son témoignage est-il sujet à caution.
Aristote. Politique. Livre II. Section 1269 b.
115
« De sorte que l’inévitable résultat est que dans une telle société la richesse est recherchée, surtout quand les hommes sont dominés par leurs femmes, comme c’est souvent le chez les peuples belliqueux guerriers, à l’exception des Celtes et de quelques autres peuples semblables qui tiennent en grande estime les amours entre mâles ».
Notons néanmoins que là encore il n’est toujours pas question de mariage homosexuel au sens strict du terme, mais seulement d’amours homosexuelles. Ce qui n’est pas la même chose !
La conception du mariage chez les Celtes antiques elle n’avait sans doute rien à voir avec la conception petite-bourgeoise de l’amour qui prévaut dans nos modernes sociétés (encore qu’aujourd’hui seuls les homosexuels et les prêtres veulent se marier), mais s’apparentait plutôt à une alliance entre deux familles. Les druides se sont contentés d’ajouter sagement la condition du libre consentement des époux, mieux même, que l’on tienne compte de leurs affinités, afin de rendre possible un véritable amour conjugal à la longue.
[PREMIER POINT DE CONTACT AVEC LA RELIGION DRUIDIQUE].
Au contraire, dans la vieille langue latine, le même génie servait à expliquer tous les accidents de la vie : on l’avait tour à tour bon ou mauvais, propitium, iratum, sinistrum habere. Il naissait avec chaque homme, il mourait avec lui, c’est-à-dire qu’il rentrait au sein de l’âme universelle dont il était l’émanation. C’est la doctrine qu’Horace exprime dans les vers ci-dessous…
Scit Genius, natale comes qui temperat astrum.
Naturae deus humanae, mortalis in unum
Quodque caput, voltu mutabilis, albus et ater.
[DEUXIÈME POINT DE CONTACT AVEC LA RELIGION DRUIDIQUE].
Le « genius » est une âme/esprit de nature mâle, il ne figure que dans l’existence des hommes, ce qui prouve une fois de plus qu’il fut originairement le principe divin de la génération : tutela generandi. Le rôle qu’il remplit vis-à-vis de l’homme, est exercé auprès de la femme par la Juno individuelle, laquelle doit être tenue pour la tutela pariendi ; ce n’est en somme qu’une application à tous les cas particuliers, de l’idée de Juno Lucina, qui préside à l’enfantement. Pour tout le reste, les Genii et les Junones sont semblables. La Juno était appelée natalis comme le « genius », et une femme expliquait les malheurs de son existence en se référant à sa Juno irritée (Junonem iratam habere).
Ce génie individuel était l’objet d’un culte très simple qui a laissé de nombreuses traces, grâce aux inscriptions votives érigées en son honneur. Il était d’usage de lui sacrifier, au jour anniversaire de la naissance ; les offrandes qui lui étaient destinées avaient un caractère de pieuse simplicité ; puisqu’elles ne comportaient aucune effusion de sang.
Elles consistaient surtout en vin, symbole de gaieté de joie et de vigueur, en fleurs, image de la beauté qui passe, en gâteaux ; le sacrifice était suivi de danses. Horace associe le culte du genius aux réjouissances champêtres par lesquelles les anciens laboureurs du Latium célébraient la fin des travaux ainsi que le repos hivernal ; tandis que Tellus reçoit le sacrifice d’un porc, et Silvanus celui du lait, « Genius », qui sait combien la vie est courte, est honoré par des fleurs. Ailleurs cependant, il est question du sacrifice d’un chevreau ou d’un porc, en son honneur : il est évident que ces deux victimes rappellent sa qualité de dieu-ou-démon de la génération.
On signale aussi le recours à de petites amphores de vin, symbolisant du sang, que l’on abandonnait en l’état, ou dont on versait le contenu en un lieu approprié, après les avoir débouchées, ou en avoir brisé rituellement le col. Peut-être par un geste analogue à celui qui consiste à « sabrer » une bouteille de champagne, de nos jours.
Dans la vie ordinaire, on jurait par le « génie », soit par le sien propre, soit par celui d’un ami ou d’une maîtresse. Le serment par le « genius » se faisait en se touchant le front, siège de la force intelligente qui préside à la vie………………
116
La Juno de la femme est peinte avec le Genius du mari sur l’autel domestique d’une maison de Pompéi. On signale aussi des inscriptions tombales où l’idée de Genius redouble celle des Mânes : Genio et Manibus. Aux Parentalia, on honorait le genius des ancêtres, tout comme Énée vénère celui de son père Anchise ; en leur offrant des guirlandes de fleurs, des graines infusées dans du vin, du sel et des violettes. Ovide, parlant des Larentinalia, dit que ces fêtes sont les bienvenues pour les génies : geniis accepta. Sur une lampe sépulcrale, un personnage voue son « génie » aux dieu-ou-démons souterrains : Helenius suom geniom dis in feris mandat. Dans les calendriers de la fin de l’Empire, les Feralia sont appelés Genialia, et les jeux célébrés en l’honneur des morts, genialici…
Au sein de la famille romaine, le lar demeure plus spécialement l’âme/esprit divine où s’incarne une lignée ; le « genius » est le gardien particulier des individus qui la renouvellent. Quant aux Pénates, il semble que ce mot ne soit qu’une simple épithète désignant tantôt les Lares, tantôt les Génies, dans leur fonction de pourvoyeurs du garde-manger. Les inscriptions en l’honneur du Genius domus, domus suae sont à l’intention même des Pénates. Il arrive cependant qu’on les distingue, comme dans le vers où Horace les prend à témoin : Quod te per Genium dextramque deosque Penates obsecro et obtestor.
Nous avons déjà dit que le « genius » des Latins a toute la variété des aspects du daemon des Grecs ; cette identité de nature contribua sans doute beaucoup à introduire dans la littérature, et par elle dans la pratique de la vie, des usages et des croyances qui n’étaient pas indigènes en Italie. Chose assez singulière ! Cicéron, à qui s’étaient offertes maintes occasions de parler du « genius », n’en prononce même pas le nom ; quand il doit traduire le mot grec daïmôn, il se sert du mot lar ; mais, après lui, c’est bien genius qui sert à cet usage. De même que daïmôn n’est pas seulement associé dans le langage à tychê, mais que, souvent, il se substitue à elle, ainsi Genius est-il parfois identique à Fortuna : on a pu dire que la tychè de chaque homme est son génie. Dans certaines inscriptions Genius joue auprès de Fortuna le rôle du dieu-ou-démon mâle auprès de la divinité femelle, comme le bon Daemon à côté d’Agathè Tychè.
Une particularité qui distingue le « genius » des Latins du daemon des Grecs, c’est qu’il est transposé par certains au cas des dieu-ou-démons personnels ; il en représente, par une sorte de raffinement, la divinité idéale, par opposition avec leur expression anthropomorphique. Cette forme du culte des génies est même assez ancienne en Italie, témoin l’inscription de l’an 38 avant notre ère du temple de Jupiter Liber, à Furfo ; le génie de Jupiter y est distingué de Jupiter lui-même. Arnobe nous cite le passage d’un ancien érudit, probablement Caecina, l’ami de Cicéron, où le génie de Jupiter, Genius Jovialis, est mentionné parmi les quatre Pénates d’Étrurie ; c’est là un des documents sur la foi desquels on a cru pertinent d’attribuer à la civilisation étrusque, la croyance aux génies chez les Latins ; pourtant le genius des dieu-ou-démons est d’un usage courant et vraiment populaire chez ces derniers. Des inscriptions et des textes mentionnent les génies de Jupiter, de Juno Sospita, d’Apollon, de Mars, d’Esculape, de Priape, du Sommeil et même de personnifications morales comme Fama, Virtus et Virtutes.
Cette distinction du genius d’un dieu-ou-démon et de sa personne était surtout commode pour les Romains en pays étranger ; elle leur servait à préparer l’identification des divinités exotiques avec celles de la religion nationale, à concilier, dans la pratique, le culte romain rendu au genius, avec l’hommage qu’ils tenaient à rendre aux dieu-ou-démons des vaincus. C’est ainsi que nous avons des inscriptions en l’honneur du génie de Mercurius Alaunus, ou de Jupiter Dolichenus, qui sont des divinités celtiques. Une inscription encore inédite, trouvée tout récemment dans le département français de l’Indre, et que l’on doit faire remonter au règne d’Auguste, est en l’honneur de la divinité impériale et du génie d’Apollon Atepomarus. NUM AU (g) ET GENIO APOLLINIS ATEPOMARI.
Cette inscription est intéressante à double titre ; en ce que l’épithète donnée au dieu-ou-démon romain est encore nouvelle ; et en ce que l’hommage, rendu à la fois à la divinité d’Auguste et au génie d’Apollon, rappelle la légende de l’empereur issu du serpent mystérieux qui aurait eu des relations avec Atia.
Il apparaît bien, par ces divers témoignages, que les génies des grands dieu-ou-démons, sont autre chose qu’une émanation affaiblie de leur divinité ; autre chose que des messagers ou des serviteurs, chargés d’exécuter parmi les simples mortels les œuvres où ne devait point se commettre leur majesté ; ce que sont les daimones propoloi des Grecs. Cette dernière opinion se heurte à ce fait caractéristique que, même dans le cas où les divinités personnifiées sont prises au pluriel, comme les
117
Forinae ou les Virtutes, le genius est toujours au singulier. On ne saurait admettre davantage, que le genius des dieu-ou-démons soit simplement leur numen localisé, grâce à une sorte d’extension de la notion de genius loci. Le genius des dieu-ou-démons a été conçu au contraire, absolument comme celui des hommes, pour exprimer, sous une forme plus liée à leur personnalité anthropomorphique que le numen, leur action morale ; il est leur ingenium. Tel est le sens du génie de Priape chez Pétrone, de celui de Fama chez Martial.
On ne saurait nier toutefois, que les procédés de localisation n’aient joué un certain rôle, lorsque la piété, toujours en quête d’aliments nouveaux, s’ingénia ensuite à séparer le genius du dieu-ou-démon lui-même…
Avant les temps mêmes du syncrétisme religieux, le genius en vint de la sorte à servir de trait d’union entre le monde des dieu-ou-démons, et la nature des humains. Aufustius, un archéologue contemporain de Cicéron, l’appelait : deorum filius et parens hominum. Mais c’est là un point de vue où la spéculation religieuse tombe dans la pure philosophie.
Cette dernière, du reste, ne pouvait manquer d’exploiter l’idée du genius, tout comme les Grecs se servaient du daemon, pour se donner un air d’orthodoxie, et soumettre à l’interprétation rationaliste les idées populaires sur les dieu-ou-démons. Varron, après avoir placé le genius parmi les dei selecti, entre Saturne et Mercure, fait de lui l’âme raisonnable de l’homme (l’esprit), par opposition avec les facultés inférieures et les passions…
Au-dessus de tous ces génies particuliers, souvent nommés avec eux, plane le génie des empereurs, associé depuis Auguste au culte des Lares publics. Lorsqu’il remit à honneur la fête des Compitalia, il fit placer dans chacune des chapelles de quartier (il y en avait 265), entre les deux Lares, l’image de son propre génie ; et le Sénat décréta que dans toutes les maisons, au début de chaque repas, on ferait des libations au génie de l’empereur, comme les Grecs en faisaient au bon daemon. Alors aussi commença l’usage de jurer par la divinité (numen) ou par le génie du monarque, ce que les Grecs traduisaient par sa tychè ; ce fut en vain que Tibère préféra résister à cette forme d’apothéose. La pratique de ce serment et l’hommage au génie impérial devinrent obligatoires ; ceux qui contrevenaient à cet usage étaient punis par une bastonnade. J. A. Hild.
Voici maintenant ce que nous dit ce même Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio du cucullatus, ou plus exactement de son équivalent gréco-romain, Télésphorus.
I MYTHOLOGIE. Divinité d’importance secondaire de l’entourage d’Asklépios et d’Hygie, n’apparaissant qu’à la fin de l’époque hellénistique. Les sources littéraires, épigraphiques, et les monuments figurés de Télesphore datent, dans leur ensemble, du temps de l’Empire romain. Les rares auteurs anciens qui parlent de Télesphore ne nous disent ni à quelle époque, ni dans quel pays, ni à la suite de quelles circonstances, s’est constitué le culte de Télesphore ; ni pour quelles raisons aussi on l’associa si étroitement à celui d’Asklépios et d’Hygie. Les savants modernes ne semblent pas avoir réussi à expliquer d’une manière satisfaisante le nom de Télesphore par l’étymologie grecque. Pour les uns, c’est le génie de la convalescence, conception que partagent encore plusieurs savants. Pour d’autres, c’est une divinité qui donne la santé ou qui la préserve des maladies qui la menacent. On le considère aussi comme un génie de la médecine magique, un démon des rêves guérisseurs, ou un dieu-ou-démon du sommeil, analogue à l’Hypnos gréco-romain [somnus]. Certains critiques, se référant à l’opinion d’Aristide le rhéteur, et de Pausanias, considèrent Télesphore comme un dieu-ou-démon de Pergame, ou comme l’Akésis d’Épidaure ; d’autres, comme originaire d’Asie Mineure ; d’autres encore le croient d’origine celtique. Salomon Reinach, se fondant sur le caractère trompeur de l’étymologie grecque de Télesphore, sur la provenance septentrionale de son costume, et sur une ingénieuse interprétation d’un texte de Pausanias ; qui indique, selon lui, l’adoption d’un culte étranger à Pergame, sur ordre d’un oracle ; estime que Télesphore est une divinité d’origine barbare qui, venue peut-être de la Thrace ou de l’Illyrie, s’est introduite à une époque récente dans le Panth-éon gréco-romain. Quoi qu’il en soit, c’est à Pergame que le culte de cette divinité prit, au IIIe siècle de notre ère, une importance considérable. C’est aussi de cette ville que provient le texte le plus ancien qui la mentionne. Le rhéteur Aelius Aristide, dans ses discours sacrés, considère Télesphore comme le collaborateur d’Asklépios. Il se révèle en songe aux malades, en compagnie du dieu-ou-démon de la médecine. L’intendant d’Aristide, Nérite, a vu deux fois, dit-il, Asklépios, accompagné de Télesphore, lui apparaître en songe. Il a reçu un baume avec des instructions sur la manière de l’employer. Télesphore ne se borne pas néanmoins à jouer ce rôle de collaborateur d’Asklépios ; il
118
exerce lui aussi en songe une influence personnelle sur les malades. Lors d’une autre vision, il apparaît seul audit Aristide lui-même, en projetant devant lui une lueur comparable à la lumière du soleil. Le philosophe Proclus a une apparition analogue. Ces diverses apparitions présentent les caractères principaux des visions de l’incubatio. Les divinités apparaissent aux malades sous une apparence belle et juvénile, entourées d’une lueur mystique, et disparaissent d’une manière subite…
III REPRÉSENTATIONS FIGURÉES. La plus ancienne représentation de Télesphore serait celle qui figure au revers d’une monnaie des Ségusiaves (58 à 27 avant notre ère) où l’on croit le reconnaître en compagnie d’Hercule, s’il était certain que ce soit là son image. Il s’agit d’un homme portant une longue tunique, mais sans capuchon, et les pieds nus.
Le revers d’une monnaie de Nicée (Bithynie), frappée sous Antonin le pieux, nous montre Télesphore sous l’aspect d’un petit personnage debout, vêtu d’un ample manteau à capuchon relevé sur la tête. Sa figure reste seule visible, ses bras sont dissimulés sous le manteau. Le revers d’un petit bronze d’Aegae en Cilicie, datant du règne de Philippe l’Arabe, d’Otacilie et de son fils, nous présente Télesphore entre Asklépios et Hygie, groupés sur la façade d’un temple hexastyle. On a proposé plusieurs hypothèses pour déterminer l’origine du manteau à capuchon de Télesphore. Les uns le croient venu d’Asie Mineure, d’autres de pays celtes ou thraces [cucullus]. Il passe aussi pour un vêtement de convalescent, ou un symbole des mystères de la médecine magiques, voire un vêtement de nuit.
Sur un diptyque d’ivoire du British Museum, on peut remarquer à gauche d’Asklépios un Télesphore lisant un rouleau développé. Le Télesphore du groupe de l’ancienne collection Strangford, au British Museum, porte à son cou une sorte de boîte pouvant contenir un charme ou une amulette. Sur une monnaie de bronze de Pergame, Télesphore tient une branche d’arbre. La belle statue de marbre de Télesphore de l’ancienne collection Foucault, ainsi que celle de marbre rouge du musée Torlonia (Rome) le montrent enveloppé dans son manteau jusqu’à mi-jambe ; le capuchon ne laisse découvrir que le visage. M. D. Vaglieri a découvert tout récemment, à Ostie, une statuette de terre cuite de Télesphore assis sur un socle. De chaque côté on remarque une sorte d’autel ; sur l’un est un cochon ; on croit distinguer sur l’autre des épis de blé, sans doute symboles du culte de Déméter, dont on constate les relations étroites avec les cultes d’Asklépios et de Télesphore. On désigne peut-être à tort sous le nom de Télesphore des statuettes gallo-romaines de bronze trouvées en diverses localités françaises. GASTON DARIER.
Ci-dessous ce que nous rappelle Dyfed Lloyd Evans à propos du Genius Cucullatus ou des Genii Cucullati (génies encapuchonnés).
On désigne sous ce nom toute une série d’images destinées à un culte connues dans les provinces celtes de la période romaine. Le nom vient d’une découverte effectuée dans un temple Celto-Romain situé à Wabelsdorf en Autriche, et fouillé par Rudolf Egger.
Deux grands autels y avaient été installés, qui représentaient une figurine portant un manteau à capuchon, avec une inscription latine « genio cucullato » (= au génie encapuchonné). Nom visiblement dérivé du vêtement porté par ce personnage (cucullus). De semblables représentations ont été trouvées dans les divers royaumes de Grande-Bretagne et ont donc été appelées ainsi.
Elles semblent figurer soit des géants (cavaroï) soit des nains (corroï) et quelques-unes exhibent parfois un phallus sortant de leur manteau ouvert.
En [Grande] Bretagne, les cucullati sont toujours de petite stature, et vont par trois. Ils sont tous pareillement recouverts d’un même manteau même si sa longueur varie. La plupart des représentations britanniques sont munies de symboles sexuels évidents : des œufs ou des bourses. Pour autant, de tels symboles ne sont pas inconnus du Continent, puisque l’on retrouve les œufs sur une sculpture en bois découverte à Genève en Suisse, et que les bourses figurent sur une représentation trouvée dans le temple des Xsulsigiae à Trèves en Allemagne.
Dans l’iconographie de Grande-Bretagne et du Continent, ces déités sont souvent représentées tenant des parchemins ou des livres en rouleau, sans doute pour évoquer la science médicale (voir l’exemplaire trouvé à Reculver dans le Kent) ou une quelconque comptabilité.
Ils ont en général une indéniable apparence phallique, bien que le genre exact de ces génies (masculin ou féminin) fasse toujours l’objet de diverses supputations. Certains commentaires affirment
119
qu’ils sont tous de sexe masculin, mais dans le cas des exemplaires trouvés à Housesteads, seule la figure centrale est indubitablement masculine. Les deux autres étant plus féminines.
Peut-être s’agit-il, comme dans les cas des triades de fées de type matres, de représenter les différents âges de la vie. La figure centrale représente un homme d’âge mûr et les deux autres figures de jeunes adolescents.
Une des différences entre Télesphore et le genius cucullatus, est le fait que, dans la plupart des cas, le télesphore n’a pas de chaussures. Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, l’origine celtique de ces triples représentations n’est guère douteuse. Malheureusement il n’en va pas de même sur le Continent où les genii cucullati, sous une triple forme, n’ont été trouvés que dans un seul cas : une tablette d’argile découverte à Kärlich en Allemagne.
Toutes les autres statuettes découvertes représentent, non des genii cucullati sous une triple forme, mais des individus isolés.
Waldemar Deonna dans son essai intitulé : De Télesphore au « moine bourru », suggère qu’il y a eu interpretatio romana et rapprochement donc entre un concept druidique et un dieu-ou-démon romain ou grec. Un bon exemple en est la figurine trouvée à Nîmes en France, qui semble bien avoir les pieds nus comme Télesphore, mais le reste de l’iconographie est clairement celte, et tout à fait comparable pour ce qui est de la forme aux cucullati trouvés à Netherby dans le Cumberland, le long du mur d’Hadrien.
Les dépôts de petits cucullati sculptés dans le mobilier des tombes signifient peut-être que ces déités avaient un rôle psychopompe, en plus de leurs liens avec la fertilité ou la santé. Et que c’était des protecteurs de l’être humain tout au long de sa vie, de la conception jusqu’à l’âge adulte en passant par la naissance. Jusque dans la mort et l’au-delà.
Le genius cucullatus est un ange gardien de nature mâle, il ne figure que dans l’existence des hommes, ce qui prouve une fois de plus qu’il fut originairement le principe divin de la génération. Le rôle qu’il remplit vis-à-vis de l’homme est exercé auprès de la femme par la Juno individuelle, fée ou ange gardien appelé matra sulevia ou sulevia juno dans les provinces celtes. Pour tout le reste, les genii cucullati et les suleviae junones ou matrae suleviae, sont semblables.
120
L’OCCULTATION DES DIEUX.
Atchiam cach for cach leth ocus ni-conn acci nech temel imorbais adaim do-don archéil ar araim (Tochmarc Etaine).
LES DIEUX SONT MORTS ! DIEU EST MORT ! LE GRAND PAN EST MORT ! COMME ARTHUR APRÈS LA BATAILLE DE CAMLANN *. CE QUI SUIT EST DONC LEUR TESTAMENT. LES DIEUX ONT DEMANDÉ QUE L’ON NE CROIE PLUS EN LEUR CONSTANTE ET PERMANENTE INTERVENTION EN CE MONDE.
*Équivalents irlandais les batailles de Sliab Mis et Drum Lighean. Ce sont bien évidemment des batailles métahistoriques destinées à expliquer pourquoi les dieux semblent apparemment s’être retirés du monde visible, qu’ils ont ainsi laissé comme désenchanté aurait pu dire Max Weber (plus de Dame du Lac). Sur le plan purement historique on pensera plutôt pour la Grande-Bretagne à la bataille d’Arturet/Arfderydd en 573 qui a vu la défaite du dernier prince païen d’Hen Ogledd (Gwenddoleu, le protecteur du Merlin historique) et pour l’Irlande à la bataille de Cul Dreimne vers 560 qui a donné l’assemblée de Druim Cetta en 575. La fin du 6e siècle a vraiment été la fin d’un monde pour l’extrême occident.
Différence entre Méta-histoire et Histoire. Un historien étudie d’habitude un fait historique à un moment précis. Mais selon Henri Corbin, l’étude de l’Histoire comme une suite de faits demeure réductrice, et ne prend pas en compte la perception de l’Histoire par les populations. La métahistoire parle donc d’un monde, qui n’est point perceptible par les sens, mais qui est celui où ont eu lieu des événements spirituels réels. Mais réels d’une réalité qui n’est pas celle du monde physique ni de celle qu’enregistre la chronique et avec laquelle on « fait de l’histoire », parce qu’ici l’événement transcende toute matérialisation historique. Il s’agit d’un monde qui ne peut être perçu par l’organe de la connaissance commune, ni prouvé ni récusé au moyen de l’argumentation commune. Un monde tellement autre qu’il ne peut être vu ni perçu que par l’organe d’une perception, disons « mystique » (Hûrqalyâ : terre céleste, terre des visions).
La révolte des anges ou Iblis contre Dieu ou le Démiurge et la chute de Lucifer, dans le judéo-islamo-christianisme, est un autre exemple de cette Métahistoire caractéristique de chaque religion. Autrement dit de ses mythes fondateurs.
La Bible nous présente les Élohim (terme traduit mensongèrement par Dieu ou par Seigneur au singulier) créant le Monde qui est le nôtre en organisant le Tohu-Bohu préexistant. Mais ce texte ne nous montre nulle part leur Dieu supérieur ou Démiurge créant les anges, à commencer par Lugifer (humour celte). Or cette notion (la révolte de certains anges contre Dieu) est pourtant indispensable à sa conception du Monde. On ne peut rien comprendre à la conception de l’Histoire vue par le judéo-islamo-christianisme, si l’on n’admet pas antérieurement à la création de ce monde, la création d’un monde angélique et donc purement spirituel ou presque (des traces infimes de matière), ayant vu la révolte contre Dieu d’un certain nombre d’entre eux, ainsi que la déchéance du premier homme perdant ses pouvoirs préternaturels. C’est ce que l’on appelle de la Métahistoire, pour ne pas dire de la mytho-histoire.
Une des meilleures illustrations de cette métahistoire judéo-islamo-chrétienne est encore celle que nous a fournie John Milton dans son poème sur le paradis perdu ; un poème relatant le péché originel, la guerre entre les anges « loyalistes » et les anges « rebelles », et présentant les différents protagonistes de façon fort bien renseignée.
Lucifer, l’ange déchu, vient d’être vaincu par les armées divines. Avec son armée, il s’apprête à relancer une attaque contre le Ciel lorsqu’il entend parler d’une prophétie : une nouvelle espèce de créatures doit être formée par le Ciel. Il décide alors de partir seul en expédition. Sorti de l’enfer, il s’aventure dans le paradis, et trouve le nouveau monde en train d’être créé par Dieu. Après avoir
121
facilement dupé un ange en changeant d’apparence, il s’introduit dans le paradis et découvre Adam et Ève. Dieu l’apprend, mais décide de ne rien faire : il a créé l’homme libre, et lui accordera sa grâce quoi qu’il arrive… si toutefois il respecte la loi divine. Son Fils, trouvant le jugement sévère, supplie son Père de prendre sur lui les péchés des hommes, ce à quoi celui-ci consent. Après quelques doutes, Satan élabore un plan pour nuire à Dieu et à l’Homme : ayant appris que Dieu interdisait aux humains de manger les fruits de l’Arbre de science, il essaie, en songe, de tenter Ève. Mais sans le vouloir, il réveille aussi Adam, qui le chasse. Dieu alors envoie un ange pour les mettre en garde, et les informer sur leur ennemi, afin qu’ils n’aient aucune excuse. Plus tard, Satan revient à la charge : il profite du fait qu’Ève s’est éloignée d’Adam pour la récolte, et, prenant la forme d’un serpent, il la tente à nouveau et lui propose le fruit de l’Arbre défendu, avec succès. Ève va ensuite raconter son aventure au malheureux Adam, et lui propose d’y goûter, lui aussi, ce à quoi celui-ci finit par céder, par amour. Sitôt Dieu informé, il envoie son Fils prononcer la sentence : ils seront chassés du Paradis, et Satan ainsi que ses compagnons, transformés en serpents. Le Fils, les prenant alors en pitié, les couvre de sa puissance. Néanmoins Adam prend conscience de ce qu’il a perdu, et sombre dans le désespoir. Dieu envoie donc de nouveau un ange pour montrer au premier homme (Adam) l’avenir de sa postérité jusqu’au déluge. Ce dernier, rassuré, se laisse alors conduire par l’archange Michel avec Ève hors du Paradis. L’épée flamboyante tombe derrière eux, et les chérubins y prennent place pour garder le lieu désormais interdit.
Note de Pierre de La Crau. Ce mythe judéo-chrétien est certes simpliste, mais il est doté d’un grand pouvoir explicatif. La métahistoire, autre nom du mythe, c’est ça ! Et de métahistoire les Celtes aussi en ont possédé une ainsi que nous allons le voir (face à l’obstination des hommes l’exil des dieux hors de ce monde. Leur retrait sous terre en Irlande). Il s’agit des batailles de Sliab Miss, Talantio (Tailtiu/Teltown) ; Druim Lighean (ou Druim Ligen aujourd’hui Drumleene près de Raphoe, dans le Comté du Donegal) ; Loch Feabhail Mhic-Lodain (ce qui signifie le lac de Féval, fils de Lodan aujourd’hui Lough Foyle) ou Glenn Faisi suivant les variantes.
On attribue parfois au Diable le nom de Lucifer ou de Samaël. Cela vient de l’époque où il ne s’était pas encore rebellé, avec l’aide des anges déchus, contre Dieu. Samaël est donc son nom d’ange et il signifie « Celui qui porte la lumière » nom étrange pour un Seigneur des Ténèbres. L’explication à cette tradition se trouve dans la Bible et plus précisément dans le livre d’Isaïe (XIV, 12-17).
Te voilà tombé du ciel,
Astre brillant, fils de l’aurore !
Tu t’es abattu à terre,
Toi, le vainqueur des nations !
Tu disais en ton cœur :
Je monterai au ciel,
J’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ;
Je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée,
À l’extrémité du septentrion ;
Je monterai sur le sommet des nues,
Je serai semblable au Très Haut.
Mais tu as été précipité dans le séjour des morts,
Dans les profondeurs de la fosse.
Ceux qui te voient fixent sur toi leurs regards,
Ils te considèrent attentivement :
Est-ce là cet homme qui faisait trembler la terre,
Qui ébranlait les royaumes,
Qui réduisait le monde en désert,
Qui ravageait les villes,
Et ne relâchait point ses prisonniers ?
Il est généralement admis que Lucifer s’est rebellé contre son créateur poussé par son arrogance et sa superbe. Mais les premiers théologiens n’étaient pas tous convaincus qu’il s’agissait d’orgueil. Selon la majorité d’entre eux, la chute de Lucifer serait plutôt due à sa jalousie envers l’Homme. Comme Iblis.
122
D’après saint Grégoire de Nysse, chacune des puissances angéliques avait reçu de l’autorité qui dirige toutes choses, sa propre part du gouvernement de l’univers. À l’une de ces puissances avait été confiée la charge de régir et de gouverner la sphère terrestre. Puis fut modelée, avec de la terre, une image qui reproduisait celle de la puissance supérieure, et cet être fut l’homme. Il avait en lui la divine beauté de la nature intelligible, mêlée à une certaine force secrète. Voilà pourquoi celui auquel avait été confié le gouvernement de la terre, trouva étrange et intolérable que, de la nature qui dépendait de lui, on ait tiré ou mis au monde un être fait à l’image de la dignité supérieure. Même chose dans la théologie musulmane avec Iblis.
Ce n’est qu’avec Origène que l’on voit poindre et se confirmer la théorie qui l’emporte aujourd’hui ; celle de l’orgueil, l’idée de la jalousie et de l’envie ne réapparaîtra qu’au XVIe siècle. Mais inutile de rappeler qu’un grand nombre d’écrivains chrétiens, sauf Tertullien, plaçaient dans la jalousie la vraie cause de cette rébellion.
La jalousie et l’envie sont des sentiments indignes d’une créature angélique ; chez Lucifer, ils deviennent tellement ardents et puissants qu’ils le poussèrent à se révolter contre le Créateur. Mais il faut dire que la jalousie de Lucifer envers l’homme est moins absurde et sacrilège que celle qu’il aurait alors éprouvée envers Dieu. Adam, bien que doté de grâces préternaturelles * insignes, était cependant une créature, un être que l’on pouvait considérer de la même race que les anges. Vouloir se rendre indépendant de Dieu, s’opposer à Dieu, était la marque d’une folie absurde, une preuve de démence, tandis que la jalousie envers une créature est plus naturelle et vraisemblable. La différence entre Dieu et ses fils [les anges] est incommensurable et non évaluable, tandis que la différence entre les anges [les dieux] et les hommes n’existe que dans le degré de leurs perfections respectives. La jalousie a conduit Satan à la rébellion, qui est une faute inexcusable, mais le premier moteur de cette rébellion est beaucoup moins grave que celui qu’enseigne notre intolérance.
Si l’on tient pour vraie l’hypothèse de Dante, Lucifer a péché deux fois : par orgueil et par impatience. Mais ce dernier péché se trouve être le premier, voire le plus grave, puisqu’il a suscité l’autre ; si Lucifer avait été capable d’attendre, il se serait avisé que son orgueil n’était que pure folie.
NON SERVIAM : On reproche à Lucifer et Iblis cette fameuse parole ! Mais cette parole fut-elle vraiment prononcée par le prince des anges ? Dieu n’a-t-il pas concédé à ses créatures et particulièrement aux anges, une libre volonté ? Dieu n’a-t-il pas dit aux hommes : « La vérité vous rendra libres ! »
Note de la rédaction : on se demande bien où le commentateur des mythes judéo-chrétiens à qui nous empruntons ces quelques lignes a pu trouver ça ? Pas dans le mythe sumérien à l’origine de toute cette métahistoire en tout cas !
Et Lucifer, déjà favorisé par la grâce de Dieu, n’était-il pas entièrement libre ? Car s’il n’était pas libre, comment aurait-il pu se révolter contre le Créateur ? Le désir de ne pas servir, c’est-à-dire la liberté, n’a-t-il pas toujours été l’une des marques des esprits fiers et généreux ?
Si Dieu sait tout, voit tout, prévoit toute chose, il devait donc savoir que Lucifer, en raison de sa supériorité même, était enclin à tomber, donc qu’il tomberait. Ce don de choisir librement devait donner à Lucifer la possibilité de pécher, donc de tomber. Sa supériorité fut ce qui déclencha l’orgueil, et la liberté fut ce qui rendit sa chute possible. Dieu a créé un monde où le péché demeure possible, la révolte possible, le mal possible, la perdition possible. S’il n’existait pas au monde la possibilité du mal, la liberté angélique et la liberté humaine auraient pu faire un choix entre les différentes sortes de bien, des bonnes œuvres, et des actions justes. Ce n’est pas Lucifer qui a créé le monde, il ne s’est pas créé tout seul, ce n’est donc pas sa faute si l’ordre du monde permet ou tolère le péché. Si Dieu est l’auteur et le législateur universel, si rien n’est possible ni concevable sans sa volonté ni sa loi, on peut en conclure qu’il a sa part de responsabilité dans ce qui est advenu à ses créatures. Il les a fabriquées de cette façon, placées dans une réalité qui est aussi sa création, et où tout est possible ! C’est donc en lui seul que toute chose admirable ou terrible a sa cause et son principe. C’est un démiurge !
Dieu désirait seulement élever ou exalter, faire monter les créatures jusqu’à la cime où le non-être peut atteindre l’être, et il dut assister aux abandons, aux révoltes, aux désertions, aux chutes. Il avait créé un ange plus parfait que les autres, plus proche de lui, plus semblable à lui, et cet ange tomba. Il avait créé un être miraculeux, modelé de ses mains, animé de son propre souffle, pourvu de conscience et de science, et l’homme aussi tomba. La plus divine des créatures célestes se leva contre Dieu. La plus divine des créatures terrestres désobéit à Dieu. Ni l’une ni l’autre n’ont pu refuser
123
les privilèges de la liberté. Le châtiment de Lucifer n’est-il pas également le châtiment de Dieu ou du Démiurge ?
…………
Il est bien connu que les Romains ont historicisé leurs mythes et même certains mythes des autres peuples. Un exemple entre mille de mythe transformé en histoire : l’histoire, shakespearienne avant la lettre, de la forêt qui marche (Birnam wood).
Tite-Live, XXIII.
Chapitre XXIV.
… Alors que ces sujets absorbaient toute l’attention, un nouveau revers fut annoncé, car la Fortune accumulait cette année-là désastre après désastre. Il fut rapporté que L. Postumius, le consul élu, ainsi que toute son armée, avaient été anéantis en Celtique. Il existait là-bas une vaste forêt appelée par les Celtes Litana et le consul devait y faire passer son armée. Les Celtes coupèrent les arbres de chaque côté de la route, de telle sorte qu’ils restent debout aussi longtemps que rien ne les ébranlait, mais qu’une très légère impulsion puisse les faire tomber. Postumius avait deux légions romaines avec lui, et il avait aussi levé à partir du pays qui borde la Mer Supérieure, des forces armées suffisamment importantes pour que le corps expéditionnaire à la tête duquel il entrait en territoire ennemi, s’élève à au moins 25 000 hommes. Les Celtes s’étaient postés à l’autre extrémité de la forêt ; dès que l’armée romaine y pénétra, ils poussèrent les arbres sciés à la base de ce côté-là, ces derniers tombèrent sur ceux qui les jouxtaient, qui étaient eux-mêmes chancelants et à peine capables de tenir debout ; jusqu’à ce que leur masse tout entière tombe ; en ensevelissant sous un même chaos les armes les hommes et les chevaux. C’est à peine si dix hommes en réchappèrent, car, alors que la plupart d’entre eux avaient péri écrasés sous les troncs ou les branches brisées, ceux qui restaient, paniqués par un désastre aussi peu attendu, furent tués par les Celtes qui cernaient la forêt. De tout ce grand nombre d’hommes seuls quelques-uns furent faits prisonniers ! Alors qu’ils essayaient d’atteindre un pont sur la rivière, ils furent interceptés par les Celtes qui s’en étaient rendus maîtres. C’est là que tomba Postumius, alors qu’il combattait avec l’énergie du désespoir pour éviter d’être capturé. Les Boïens dépouillèrent son cadavre et lui coupèrent la tête, ensuite ils les portèrent en triomphe dans le plus sacré de leurs temples. Conformément à leur coutume, ils évidèrent soigneusement le crâne et le recouvrirent d’or. Il fut ensuite utilisé comme vase sacré pour les libations et aussi comme coupe par les prêtres et les ministres du culte affectés à ce temple. Le butin que les Celtes firent ce jour-là fut aussi grand que leur victoire, car bien que la plupart des animaux aient été ensevelis sous les arbres tombés à terre, ce qui restait des bagages n’ayant pas été dispersé au cours d’une fuite éperdue fut retrouvé sans peine, disséminé tout au long du chemin où gisait l’armée.
Les Romains ont historicisé leurs mythes avons-nous dit. Les Celtes, eux, ont fait exactement le contraire. Ils n’ont même jamais nettement distingué Histoire et Fiction. Pour eux tout était récit (scèl). Ce que l’on appelle à proprement parler aujourd’hui le Mythe pour ne pas dire l’Histoire. Il suffit d’ailleurs de se pencher un peu sur la multitude des légendes irlandaises pour s’apercevoir que, en Irlande du moins, le monde divin est loin d’être immobile et immuable. Il est au contraire débordant de batailles, de révolutions, ou d’affrontements, ne serait-ce que celui des deux batailles de la plaine aux tumulus (Mag Tured), de Sliab Mis, de Druim Lighean, et de Tailtiu/Teltown. La vie des dieu-ou-démons celtes n’est pas un lit de roses ni un long fleuve tranquille, et elle est autrement plus mouvementée que celle des anges de Yahweh (qui n’ont jamais connu qu’une rébellion ; celle qui fut menée par l’archange déchu que les chrétiens appellent Lugifer et les musulmans Iblis). Il existe en effet des traces d’une autre révolte de dieu-ou-démons du druidisme, celle que l’on devine dans les écrits de Plutarque parlant de l’île du mystérieux Cronos celte. À en croire cet auteur en effet, le Destin ou Tokade (Kronos en interpretatio graeca) aurait été victime d’une sorte de révolution qui l’aurait transformé en un véritable deus otiosus ; relégué dans une des îles au large de la Grande-Bretagne. Ah cette maudite hérésie gaélique : une cinquième île fabuleuse au centre d’un carré formé par les îles des enfants de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia) au nord du monde, Falias, Findias, Gorias, et Murias ? Encore qu’un deus otiosus, ça puisse se réveiller de temps à autre, non ?
Ce qui suit est donc de la méta-histoire, pas plus illégitime que celle de la biblique révolte de Lucifer ; mais inspirée de quelques réflexions sur ce que l’on apprend des rivalités familiales entre dieu-ou-démons dans la légende irlandaise intitulée « le tragique destin des enfants de Tuireann ». Il est évident à lire ce texte en effet, qu’il existe deux branches antagonistes dans la tribu de la déesse-ou-
124
démone, ou fée si l’on préfère ce vocable, Danu (bia), les enfants de Cainte (Cu, Ceitheann et Cian, donc Lug) et les enfants de Tuireann, Brian, Iuchar, Iucharba, sans oublier leur sœur Eithne.
* Les dons préternaturels de l’être humain selon les mythes judéo-islamo-chrétiens : l’immortalité, l’absence de concupiscence, etc.
LA MÉTAHISTOIRE DRUIDIQUE.
Atchiam cach for cach leth ocus ni-conn acci nech temel imorbais adaim do-don archéil ar araim (Tochmarc Etaine).
La mytho – ou méta-histoire c’est l’ensemble des légendes étiologiques comme celles mises en en évidence dans la Bible par les Allemands Hermann Gunkel (1862-1932) et Martin Dibelius (1883-1947), ou des seules explications possibles (au moins schématiquement parlant) et formulées dans le langage conceptuel accessible aux hommes de ces temps reculés, à des situations dont la réalité est tenue pour vraie vu le faible développement des sciences de l’époque.
Dans la mythologie druidique, l’Homme (le Gdonios) est capable de vaincre les dieu-ou-démons.
Un des scénarios proposés par le druidisme, avec des variantes suivant les Écoles, est donc celui du retrait des dieu-ou-démons hors de ce monde : le monde (le chaos) ayant été organisé, (mis en ordre) les dieu-ou-démons cessent d’être actifs, et le laissent poursuivre son évolution selon ses propres lois.
Dans la mythologie druidique, l’Homme (le Gdonios) est capable de vaincre les dieu-ou-démons.
« Car les autres nations entreprennent des guerres pour défendre leurs sentiments religieux, alors qu’eux font la guerre à la religion des tous les autres peuples ; les autres nations quand elles font la guerre implorent l’autorisation ou le pardon des dieux immortels ; eux font la guerre aux dieux immortels eux-mêmes » (Cicéron. Pro M. Fonteio oratio, XIII-XIV, 30-31).
« Peu de temps après, comme si les dépouilles des mortels n’étaient point assez pour lui, alors il tourna ses pensées vers les temples des dieux immortels, et plaisanta de façon blasphématoire en disant que « les dieux, étant riches, doivent être généreux envers les hommes ». Ensuite et soudainement il dirigea sa marche sur Delphes, considérant plus les richesses que la religion, se préoccupant davantage de l’or que de la colère des dieux, « qui », disait-il, « n’ont pas besoin de richesses, accoutumés qu’ils sont à plutôt les prodiguer aux mortels »…» (Trogue Pompée, Histoires philippiques, XXIV, 4,6, d’après Justin, Epitoma historiarum philippicarum).
D’où la prophétie de Callimaque à ce sujet.
« Et un jour viendra où il te faudra mener un terrible combat commun à nos côtés,
Quand les Titans d’une autre époque lèveront contre les Hellènes l’épée barbare et l’Arès celte
Et de l’extrême occident se précipiteront comme des flocons de neige,
Aussi nombreux que les étoiles qui abondent dans le ciel.
Même les cités, ainsi que les forteresses des Locriens, les hauteurs de Delphes, et les plaines de Crissa
Cernées ou envahies de tous côtés par ces barbares
Verront une épaisse fumée monter de la maison de leur voisin dévastée par les flammes
Et n’entendront plus seulement une rumeur enfler au loin.
Alors on verra aussi au pied du temple grouiller l’ennemi en rangs serrés
Près de mes trépieds sacrés leurs épées, leurs baudriers maudits et leurs odieux boucliers,
Qui n’empêcheront pas tous ces fous de Galates de finir dans un bain de sang » (Hymnes, IV, 170-185).
Voici ce que cette importante notion druidique a donné dans les légendes irlandaises après historicisation du mythe originel. La première bataille entre humains et dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), se déroule à Sliab Miss, et se solde par une nette victoire des humains sur les troupes de la déesse-ou-démone, ou fée, Banuta/Banba/Banva. Finalement, après de nouveaux et sanglants combats, dans le dernier desquels intervient Belinos Barinthus Manannan, fils de Lir (Lero = Dieu-ou-démon de l’océan) ; pour la possession de la Talantio (Tailtiu/Teltown. La déesse-ou-démone ou fée en question a pour équivalent continental Rosemartha) ; la bataille de Druim Lighean (ou Druim Ligen aujourd’hui Drumleene près de Raphoe, dans le Comté du Donegal) ; Loch Feabhail Mhic-Lodain (ce qui signifie le lac de Féval, fils de Lodan aujourd’hui Lough Foyle) ou Glenn Faisi suivant les variantes ; un pacte de paix sera conclu.
125
Les antagonistes en présence conviennent de partager le pays en deux parts égales. Un dénommé Amarogenos/Amairgin (un nom inventé par les bardes irlandais) fit le partage : les gens de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), reçurent la moitié inférieure de la terre, le sous-sol ; les humains emmenés par Ariomanos (Eremon) reçurent la moitié supérieure, la surface.
Les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), cèdent donc la surface de la Terre aux nouveaux venus, et se retirent dans les régions de l’Au-delà, ou se réfugient sous les tertres ; en n’exigeant pour compensation qu’un culte et des sacrifices célébrés en leur souvenir. Lors de Samon (ios), les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone ou fée, Danu (bia), autorisent les mortels à en franchir le seuil. C’est ainsi que débutera la religion. Après une victoire des hommes sur les dieu-ou-démons, assez curieusement.
À chacun sa place. Les hommes sur terre et les dieu-ou-démons dans l’au-delà.
Certains des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), se sont retirés dans une contrée lointaine, « au-delà » des mers d’Occident, nommée Mag Meld (la plaine de la joie) ou Tir na n’Og (terre de la jeunesse). Là les siècles sont des minutes ; ceux qui habitent là ne vieillissent plus ; les prés sont couverts de fleurs éternelles ; de l’hydromel emplit le lit des fleuves. Festins et batailles sont les passe-temps favoris : les guerriers mangent et boivent mets et breuvages féeriques ; ils ont pour compagnes des femmes d’une beauté ravissante.
Le restant des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone Danu (bia) donc, a trouvé un refuge dans de magnifiques demeures souterraines, que des monticules signalent au regard des humains. À ces habitations nouvelles, les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), désormais invisibles, doivent leur nom irlandais, aes sidhe (gens des tertres).
C’est en effet par cette appellation, abrégée en sidhe ou shee, que le peuple irlandais continue de désigner le peuple des fées : les ban shees (littéralement : les femmes du tertre) des croyances populaires, dont l’apparition est parfois présage de mort.
LES SUPERPOUVOIRS PRETERNATURELS DES DIEUX.
Plus que les pouvoirs préternaturels accordés à Eve et Adam par le Dieu ou Démiurge des judéo-islamo-chrétiens évidemment !
LE DON D’INVISIBILITÉ.
Atchiam cach for cach leth ocus ni-conn acci nech temel imorbais adaim do-don archéil ar araim (Tochmarc Etaine).
« Bien que les êtres célestes n’aient pas pour habitude de se montrer aux yeux des hommes, car la substance sans mélange et immatérielle de leur nature subtile échappe à notre vision émoussée, voire aveugle, à ce moment-là pourtant vos auxiliaires acceptèrent d’être vus et entendus, et n’échappèrent à la contamination apportée par la vue des mortels qu’après avoir attesté de votre valeur » (Nazaire de Bordeaux. Panégyrique de Constantin 14).
Même chose en Irlande avec la notion de feth fiada. « Feth fiada » est une expression irlandaise difficilement traduisible, parce que chacun des deux mots qui la composent revêt cinq ou six sens différents. Il s’agit en fait du don d’invisibilité, c’est-à-dire ce qui fait la principale différence entre le monde des êtres humains (Mediomagos) et l’Autre Monde. Les gens de l’Autre Monde voient tout ce que font les hommes, mais les hommes, eux, en temps normal, ne peuvent le voir. Le sens le plus vraisemblable est « brouillard/brume », ou « voile de science ».
Ce vegtos vidtouos ou feth fiada a évidemment été institué afin que les hommes ne viennent pas indûment prendre part au festin des dieu-ou-démons ; et par là, acquérir une immortalité à laquelle ils n’ont pas droit, parce qu’ils ne la méritent pas.
Note de la rédaction. Les fils de Mil roi d’Espagne et les invasions milésiennes sont une véritable hérésie (une invention des bardes irlandais du Moyen-âge) ; mais les incertitudes nées de cette occultation des dieu-ou-démons (Talantio ou Litavis ?) c’est-à-dire de leur retrait hors de ce monde désenchanté ont au moins cet avantage ; nul ne sait plus exactement quel est l’actuel roi de l’autre monde des dieu-ou-démons. Aux dernières nouvelles, c’était une entité nommée Vindobarros, Finnbarr en Irlande… et Suqellos ou Taranis sur le continent. Donc du coup chacun peut faire ce qui
126
lui plaît, honorer le dieu-ou-démon qu’il veut par exemple. De toute façon, les grands dieu-ou-démons du druidisme sont tous peu ou prou multifonctionnels, alors…
OPINION INDIVIDUELLE DU DRUIDE JEAN-PIERRE MARTIN SUR L’OCCULTATION DES DIEUX (l’occultation majeure ou mineure).
La vision intérieure des hommes est aujourd’hui paralysée, autant par le fait que leur attention est exclusivement tournée vers le monde sensible, que par les habitudes sociales héritées du judéo-christianisme ou de l’islam.
Depuis 958 et le dernier druide de l’empereur (roi des rois) d’Irlande, Domnall mac Muirchertach Ua Néill (O’Neill) roi d’Ailech de 943 à 980 et Ard ri Érenn de 956 à 980 (mort chrétien) ; puisque si l’on en croit le texte irlandais attribué au grand poète irlandais Urard Mac Coisé et traitant de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, il y avait néanmoins encore des hommes ayant droit aux émoluments dus pour la pratique de l’imbas forosnai du teinm loida et du dichetal do chennaib dans le pays sous son règne ; les dieu-ou-démons se sont estompés de la conscience humaine moderne, où les entités psychiques d’un ésotérisme de pacotille, voire les extraterrestres de la science-fiction, les ont bien souvent supplantés. Cet affaiblissement des dieu-ou-démons en Occident est un élément important du processus de désacralisation de la pensée et de la vie, ce que certains de nos frères païens appellent « le désenchantement du monde » (Max Weber).
Cette disparition ou ce retrait hors du monde, des dieux, constitue donc une difficulté spirituelle de plus à surmonter, car, sans les dieu-ou-démons, tout s’écroule et se réduit. « Sans l’aide des dieux, rien ne réussit aux hommes » (Arrien. Cynégétique).
L’Être supérieur implose, se replie sur lui-même dans un vide indicible et un mystère insondable, dont l’Homme a tôt fait de se désintéresser. Sans cette notion des dieu-ou-démons, l’Homme perd de vue sa nature céleste, mutile sa personnalité, renonce à sa vocation la plus profonde. Les collectivités aussi renoncent à leur personnalité, à capter les énergies de l’univers, à se mettre en harmonie avec. La disparition des dieu-ou-démons de notre champ de perception marque l’incapacité ou le refus de notre regard à voir le plan métaphysique ; ainsi que le lien qui unit monde de l’âme et monde sensible, extérieur et intérieur. Cette perte de conscience entraîne l’abandon de l’Histoire aux vieux démons de la monolâtrie, aux vieux démons de l’idolâtrie métaphysique que celui-ci prétend éviter (culte de la personnalité, de Jésus ou de Mahomet – isma – superstitions diverses liées au texte imprimé du Coran) ; ainsi aux désordres issus d’une individualité qui n’est plus qu’empirique, et désormais repliée sur elle-même, dans l’ignorance de sa véritable personnalité.
Aujourd’hui les dieu-ou-démons ne « pêchent » donc plus les hommes sur la place publique, mais à l’écart de tout, dans des rivières cachées au fond des bois. Ils choisissent et appellent, individu par individu. C’est une véritable quête du Graal (voir le thème du roi pêcheur). Et les druides d’aujourd’hui sont seulement les représentants de ces dieu-ou-démons devenus cachés ou invisibles aux foules.
Mais vicissitudes et persécutions de toutes sortes (racisme et/ou antiracisme à la Orwell, etc.) pleuvent comme à Gravelotte sur « les hommes de dieux » pendant une période d’occultation aussi sombre, véritable Kâli Yuga façon indienne. Il importe donc de rester en communion avec tous ceux qui sont vraiment les amis des dieux, et de ne pas se laisser trop influencer par ceux qui leur sont hostiles.
Si les dieu-ou-démons n’appartiennent aucunement à un stade révolu de l’histoire de la conscience humaine, mais répondent bien à des attentes éternelles de l’être humain, correspondent bien à une structure fondamentale de l’esprit humain (l’inquiétante progression du nombre des conversions à l’islam semble l’indiquer *) alors il n’y a aucune raison que cette occultation sans précédent, des dieux, dure éternellement.
D’où le « messianisme » celtique du Français Pierre Lance, véritable parousie des dieu-ou-démons se levant à l’horizon après cette nuit du destin momentanée, qu’est la nuit de l’Humanité, en cette période d’occultation.
Dans un monde moderne trop souvent monolâtre et judéo-islamo-chrétien ; c’est-à-dire cloisonné, replié sur lui-même, ravagé par les méfaits de l’individualisme forcené, du matérialisme et de l’incommunicabilité, tout en scrutant le ciel dans l’espoir d’y rencontrer une vie extraterrestre ; il est grand temps que l’Homme reconnaisse que c’est en lui-même qu’il doit découvrir sa personnalité profonde, vecteur des connaissances les plus secrètes.
127
Le thème des dieu-ou-démons cachés constitue donc un des fondamentaux de la druiderie actuelle. Depuis 938, les dieu-ou-démons celtiques sont devenus invisibles à nos yeux, bien que toujours présents dans les cœurs de leurs dagolitoi (de leurs fidèles). En druidisme médiéval (druiderie), on appela occultation majeure ce phénomène.
Cachés comme Arthur en Avallon jusqu’au retour du Graal (Erdathe/Airtache) ils ne sont plus visibles qu’en songe, ou bien en des manifestations personnelles ayant le caractère d’événements visionnaires ne mettant pas fin au temps de l’occultation en cours.
Les dieu-ou-démons celtes n’apparaissent ou ne disparaissent plus comme durant l’Antiquité ; mais ils n’apparaissent ou ne disparaissent toujours pas selon les lois de l’historicisme matérialiste.
Voir les dieu-ou-démons dans le monde du side (sedodumnon) ou dans le monde de la lumière blanche (le vindobitos ou albiobitos) ; comme le font encore certains penseurs de la druidiaction (druidecht) aujourd’hui ; c’est de toute façon toujours les voir là où ils sont en vérité. Dans un monde à la fois concret, mais également suprasensible, et avec l’organe approprié que requiert la perception d’un tel monde (appelé Sidh en Irlande) si l’on en croit l’écossais Robert Kirk.
Il dépend des hommes que les dieu-ou-démons du druidisme jugent s’ils peuvent leur apparaître de nouveau ou non. Car ce sont les hommes qui se sont voilé à eux-mêmes tous ces dieu-ou-démons, en se rendant incapables de les voir, parce qu’ils ont perdu ou rendu atrophiés leurs organes de perception théophanique (leur sixième sens).
En Orient on les appelle péris et en extrême Orient (Japon) kappa, ce qui les rapproche des kelpies écossais.
Envisager la fin de cette occultation n’aura donc aucun sens tant que les hommes demeureront incapables de reconnaître leurs dieu-ou-démons.
Leur retour ne sera pas un événement pouvant surgir comme cela un beau jour. Ce sera quelque chose qui adviendra petit à petit au sein de la conscience de druidisants sincères ; et au fur et à mesure qu’ils seront de plus en plus nombreux.
Le temps de l’Occultation majeure est le temps des dieu-ou-démons incognito.
Les dieu-ou-démons ne reparaîtront pas, tant que l’on ne sera pas capable de comprendre leurs secrets.
Le retour, à venir, des dieu-ou-démons, présuppose donc la totale métamorphose des hommes actuels. Le retour, à venir, des dieu-ou-démons, présuppose une nouvelle révolution anthropologique plénière, faisant éclosion de l’intérieur même de l’Homme.
C’est donc aux femmes et aux hommes de bonne volonté d’aujourd’hui, que notre druidisme adresse son message, pas aux pseudo-intellectuels coupeurs de cheveux en quatre, mais incapables de voir plus loin que le bout de leur nez ou au-delà de l’arbre qui cache la forêt ; bref à ceux qui cherchent, et autre chose que l’islam pur et dur 1).
* Se convertir à l’islam n’a jamais été une preuve d’intelligence, sauf peut-être dans le cas où ce fut par opportunisme politique (voir le cas d’Abou Soufiane Ibn Harb et du calife Mouaouiya de Damas), mais en l’occurrence cela traduit le besoin d’avoir une explication du monde facile à mémoriser (voir le classement des sourates).
1) Ce qui caractérise l’intellectuel français d’aujourd’hui (le responsable politique ou l’homme de médias, voire le simple journaliste) ; c’est qu’il lui faut environ 30 ou 40 ans avant de découvrir une tendance lourde à l’œuvre sous son nez (plus c’est gros, plus il y est aveugle). Alors que l’homme du peuple, lui, le simple citoyen, s’en aperçoit tout au plus cinq ou dix ans après son apparition. N.B. Il va de soi que cette règle générale connaît des exceptions, mais quand on voit ce qui s’est passé lors de la guerre ayant éclaté en Syrie, en 2012, cet aveuglement des journalistes professionnels fait froid dans le dos.
NOTE DE PIERRE DE LA CRAU SUR L’OCCULTATION DES DIEU-OU-DÉMONS PRÉCÉDENTE
(leur occultation mineure).
Au début, en Hyperborée, dans les îles au nord du monde, les dieu-ou-démons (les énergies divines) étaient visiblement à l’œuvre sur terre. Et les habitants de ces contrées mythiques ne les voyaient
128
point à l’œuvre qu’en Hyperborée, mais aussi ailleurs dans le monde si l’on en croit les légendes grecques sur le culte d’Apollon à Délos…
Batar Tuathai De Danann i n-indsib tuascertachaib an domuin, aig foglaim fesa & fithnasachta & druidechtai & amaidechtai & amainsechta combtar fortilde for suthib cerd ngenntlichtae. Ceitri cathrachai ir-rabatar og fochlaim fhesai & eolais & diaboldanachtai. i. Falias & Goirias, Murias & Findias. A Falias tucad an Lia Fail bui a Temraig. Nogesed fo cech rig nogebad Erinn. A Gorias tucad an tsleg boi ac Lug. Ni gebtea cath fria no frisinti an bidh il-laimh. A Findias tucad claidiub Nuodon. Ni terládh nech dei o dobirthe asa idntiuch bodhuha, & ni gebtai fris. A Murias tucad coiri an Dagdai. Ni tegedh dam dimdach uadh. Cetri druid isna cetri cathrachaib-sin. Morfesae bai a Falias. Esras boi hi nGorias. Uiscias boi a Findias. Semias bai a Murias. It iad sin na cetri filid ocar' foglaindsit Tuata De fios & eolas.
Les druides de l’Humanité concernée ultérieure (les Fir Domnain et autres Belg ou Gallieoin du mythe irlandais) les percevaient comme autant d’aspects ou de degrés spirituels. Un long poème du Livre des Conquêtes (Lebor Gabala), dû à la plume de Flann Mainistrech, nous dépeint pourtant et en détail leurs morts successives.
Comme par définition les dieu-ou-démons sont immortels (ou du moins vivent aussi longtemps que le cycle cosmique dont ils sont consubstantiels) et que, pour eux aussi, et comme pour les êtres humains, la mort ne saurait être, au plus, que le milieu d’une longue vie ; les expressions de Flann Mainistrech du style : « il est mort… il est tombé devant… il a été tué par…, etc. » ne peuvent donc être qu’une tentative de traduction, en langage humain, de ce processus d’occultation.
L’artisan de cette première occultation a été Belinos/Barinthus Lerognatos (Manannan Mac Lir dans les apocryphes irlandais). C’est lui ; après leur dernière bataille livrée pour la Talantio (Tailtiu en irlandais) ou à Druim Lighean, actuellement Drumleene dans le Donegal, voire Loch Feabhail Mhic-Lodain (ce qui signifie le lac de Féval, fils de Lodan aujourd’hui Lough Foyle) ou Glenn Faisi suivant les variantes ; qui a donné aux dieu-ou-démons la possibilité de disparaître derrière un mur invisible (le feth fiada), afin que nul mortel ne puisse plus jamais les voir. La cape d’invisibilité de Belinos/Barinthus fils de Lero (le manteau de Manannan), tout comme la brume à laquelle il est souvent associé, symbolise le voile qui existe depuis entre les deux mondes, l’Autre-Monde et le nôtre.
Belinos Barinthus Manannan Mac Lir a le pouvoir de rendre les dieu-ou-démons invisibles, et il leur procure des aliments magiques. Il possède des cochons merveilleux qui nourrissent et régénèrent les dieu-ou-démons au cours du festin d’immortalité. Ajoutons enfin que c’est aussi lui qui a partagé l’Autre Monde du Sedodumnon (du Side en irlandais), entre les différents dieu-ou-démons. Son rôle, dans ce premier processus d’occultation, a donc été capital.
Conclusion sur la métahistoire celtique.
La disparition de l’Hyperborée ou des îles magiques au nord du monde, qui a entraîné la première opacité à la lumière du Graal, a rendu notre connaissance des dieu-ou-démons plus aléatoire. Voir les dieu-ou-démons ne fut plus désormais possible que par une perception intuitive de nature spirituelle, souvent réservée aux poètes en Irlande ou en Écosse, qui se traduisait en images psychiques et sensibles, car les hommes continuèrent cependant d’être à la fois de nature céleste et terrestre.
Il convient cependant de ne pas confondre cette vision des dieu-ou-démons, qu’avaient les Celtes antiques, ou ces entretiens visionnaires avec les dieu-ou-démons qu’ils considéraient comme leurs seuls rivaux maîtres modèles (d’où les visions chrétiennes ultérieures comme les aislingi d’Adomnan, Fursy et beaucoup d’autres) ; avec un quelconque développement de pouvoirs métapsychiques liés à certains organes de notre corps. Il s’agit là d’un autre problème.
L’imbas forosnai ou grande science qui illumine des druides du royaume de Domnall (Xe siècle), en permettant de voir les dieu-ou-démons à l’œuvre dans le monde ; était le fait de l’élite croyante et pratiquante des spécialistes d’un dieu-ou-démon, s’entretenant et communiquant avec lui comme saint Adoman ou saint Fursy dans leurs aislingi. Voir aussi à ce sujet ce que nous dit Plutarque à propos de ces mystérieuses îles situées à l’ouest du Monde.
La fin du monde hyperboréen des îles au nord du monde et de la conquête de la terre par les dieux est une allégorie symbolisant l’éloignement accru du principe divin, l’écartèlement de l’être humain entre son pôle céleste et son moi empirique. Cette « victoire à la Pyrrhus » des hommes (Fir Bolg, etc.) a également été rupture de la communion avec les dieu-ou-démons, et perte de vue de leur moi céleste (le genius cucullatus ou la matra sulevia).
Ce fut la première occultation des dieu-ou-démons, il y a 10000 ans ou 4000 ans comme à Knap of Howar ou Skara Brae au nord de l’Écosse, nul ne sait vraiment.
129
Les Grecs nous dépeignent dans leurs légendes sur l’Hyperborée une terre et un climat si fertiles que l’agriculture y est un jeu d’enfant. À croire que nous en sommes encore plutôt aux chasseurs-cueilleurs d’avant la révolution néolithique, quand l’homme n’avait pas encore commencé à forcer la nature. Ce qui est plausible en tout cas c’est que les hommes de l’époque devaient avoir des sens animaux beaucoup plus développés que ceux des hommes d’aujourd’hui (odorat, ouïe, capacité à sentir l’eau, à ressentir les vibrations du sol, etc.).
Après cette première occultation, les dieu-ou-démons pourtant, ont continué à hanter la Terre, mais transfigurés dans nos légendes, et revêtus de visages et de vêtements d’homme. Les dieux du paganisme restent néanmoins comme un reflet des pouvoirs préternaturels de l’homme avant sa chute dans l’agriculture : l’immortalité, la science infuse, etc.
Ce caractère lumineux des dieux, transfigurant leurs visages d’homme et leurs vêtements d’hommes dans nos mythes, nous donne comme un avant-goût cependant, de ce qui nous attend dans l’autre monde à venir, du château du Graal (Mag Meld et autres). Un avant-goût de ce qui nous attend après le passage dans l’autre monde parallèle appelé Vindomagos. La transmutation alchimique, en corps glorieux, de nos pauvres enveloppes corporelles.
La divinité d’un dieu-ou-démon c’est aussi l’égrégore constitué de toutes les formes d’énergie de ses dagolitoi (de ses fidèles). Ce que les Romains appelaient « genius », les chrétiens corpus mysticum Christi ou Corps du Christ, autrement dit son égrégore. Chaque dieu-ou-démon a son propre « egrégore » ainsi constitué.
Lorsque les dieu-ou-démons donc ont émigré de ce monde après le combat pour la Talantio (Tailtiu en irlandais, équivalent continental : la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Rosemartha), dite 3e bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumuli, ou après la bataille de Druim Lighean (Drumleene), etc. ; une partie de leur « génie » ainsi constitué s’en est allée avec eux dans le monde du Vindobitos ou Albiobitos, n’est resté sur terre que leur égrégore.
Tous ces dieux ensemble forment maintenant le Sedodumnon, ou plus exactement et en quelque sorte, les hauteurs du Vindobitos ou temple de lumière supérieure (plérôme sous la plume de saint Irénée). Les âme/esprits rassemblées dans cet état de l’être attendent elles aussi le retour au principe, au Bitos, que sera l’erdathe ou airtache clôturant ce cycle, pour en commencer un autre (Erdathe collective ou universelle = réintégration dans le Grand Tout).
Nota bene. Chaque accomplissement d’une occultation permet aux dieu-ou-démons de se rapprocher un peu plus (avec tous leurs dagolitoi) de leur rang originel dans l’Être du Pariollon (du Parinirvana pour les bouddhistes).
C’est ainsi que la succession des occultations et des désoccultations, et celle des milliards d’années rédiment le temps, cette éternité (aiu) retardée par la résistance à la lumière de l’Être (de l’action d’être). L’Histoire réelle, empirique et objective, a pour sens et pour fin ultime, d’en faire le moyen par lequel l’Humanité regagnera, son rang perdu.
En druidisme, comme nous allons le voir, la cosmogonie et l’eschatologie sotériologique sont étroitement liées.
LE SCEAU DE L’ACTION DES DIEUX DANS LE MONDE.
AU-DELÀ DE LA VILLE D’YS : L’OCCULTATION (terminologie J. Markale) ET L’EXIL DES DIEU-OU-DÉMONS DANS LE SEDODUMNON.
130
L’allégorie ou la méta-histoire de ce retrait hors du monde des dieu-ou-démons celtes, a évidemment été totalement incompris des auteurs chrétiens ayant suivi. Voici par exemple comment le barde Flann Mainistrech a vu les choses à son époque. Repetere = ars docendi.
« Les falsificateurs de l’Histoire
Affirment que le peuple des barques et des tertres
Étant du Sidhe, y est retourné.
Ce n’est pas ce qu’un bon chrétien doit croire.
Ni maith la Crist in creideam.
Gebe creidis co n-anmain
A mbeadli a sidhaibh samlaigh,
Ni aitreabha neam na neart,
Domnai nadh fir nos-eisteadh.
Quiconque croit vraiment et en toute honnêteté
Qu’ils sont maintenant dans les sidhe
N’ira jamais au ciel
Car il n’y a rien de vrai dans tout cela.
Ces charlatans disent
Que le peuple des barques et des gobelets
Demeure aujourd’hui dans la terre de Promesse.
Mais la seule Terre Promise
À laquelle ont eu droit les Toutai Deuas
C’est l’enfer, oui ! »
Littéralement
Baile bith-sheang a mbi breth ;
Ai is e in t-ifearnn lchtarach.
Voilà au moins qui a le mérite d’être clair de la part de cet adepte de la religion d’amour.
Mais par un juste retour des choses, certains hommes peuvent pénétrer dans le side ou monde des dieux, et y livrer bataille, pour le compte des dieu-ou-démons, ou pour le leur. C’est ce que fait Cuchulainn, sur les routes de l’Autre Monde, quand il va chercher l’initiation guerrière avant d’épouser Aemer, ou dans les péripéties du Serglige. Et à la fin des aventures de Nera, le side des dieux lui-même est mis à mal, même s’il ne s’agit, sous cette appellation, que d’une colline où est censé résider un haut personnage de l’Autre Monde.
L’occultation actuelle des dieu-ou-démons devenus invisibles à nos yeux, et retirés dans un autre monde, est par conséquent un principe théologique fondamental dans notre Bible à nous, c’est-à-dire la mythologie.
Y a-t-il des dieu-ou-démons déjà de nouveau vivants, c’est-à-dire ayant déjà commencé à se dévoiler progressivement (les autres étant toujours « morts » c’est-à-dire toujours en sommeil) ?
Il existe en effet toute une École de pensée qui estime que certains dieu-ou-démons auraient déjà entamé leur désoccultation ; et qu’ils auraient, par exemple, recommencé d’apparaître à certains humains (des savants, des philosophes ou de grands esprits de ce genre) ; afin de faire de nouveau progresser la société par la révélation de certains secrets techniques ou scientifiques. Ci-dessous un cas (certains pensent que l’étranger inconnu en question était Gobannos, le dieu-ou-démon de la forge et du travail des métaux).
« Jean-Frédéric Schweitzer, dit Helvétius, violent adversaire de l’alchimie, rapporte que dans la matinée du 27 décembre 1666, un étranger se présenta chez lui. C’était un homme d’apparence honnête et grave, et de mine autoritaire, vêtu d’un simple manteau, comme un mennonite. Ayant demandé à Helvétius s’il croyait à la pierre philosophale (ce à quoi le fameux docteur répondit par la négative) ; l’étranger ouvrit une petite boîte d’ivoire contenant trois morceaux d’une substance ressemblant à du verre ou à de l’opale. Son propriétaire déclara que c’était la fameuse pierre et qu’avec une quantité si minime, il pouvait produire vingt tonnes d’or. Helvétius en prit un fragment
131
dans la main […] Prié de fournir la preuve de ses dires, en réalisant une transmutation, l’étranger répondit qu’il reviendrait trois semaines plus tard, et montrerait à Helvétius une chose susceptible de l’étonner. Il revint ponctuellement au jour dit, mais refusa d’opérer, affirmant qu’il lui était interdit de révéler le secret. Il condescendit pourtant à donner à Helvétius un petit fragment de la pierre pas plus gros qu’un grain de sénevé […] L’homme promit de revenir le lendemain matin, à neuf heures, et de réaliser le miracle, mais il ne vint pas, et le surlendemain non plus. Ce que voyant, la femme d’Helvétius le persuada de tenter lui-même la transmutation. Helvétius procéda conformément aux directives de l’étranger. Il fit fondre trois drachmes de plomb, entoura la pierre de cire, et la laissa tomber dans le métal liquide. Celui-ci se changea en or […] La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, Spinoza, que nous ne pouvons compter au nombre des naïfs, voulut avoir le fin mot de l’histoire. Il rendit visite à l’orfèvre qui avait alors expertisé l’or. Le rapport fut plus que favorable : au cours de la fusion, de l’argent incorporé au mélange s’était aussi transformé en or […] Spinoza se rendit ensuite chez Helvétius, qui lui montra l’or, et le creuset qui avait servi à l’opération. Des bribes du précieux métal adhéraient encore à l’intérieur du récipient » (Louis Pauwels Jacques Bergier Le Matin des magiciens).
Malgré ses recherches dans tout le nord de la Hollande Helvétius ne put réussir à retrouver l’homme en question ni à savoir son nom, et cet étranger ne revint jamais lui rendre visite.
Spinoza fut-il abusé ? L’étrange inconnu était-il Gobannos, le dieu-ou-démon des métaux ?
Et la pierre en question pourrait-elle être la mystérieuse pierre d’Arar des druides ?
Telles sont les premières questions qui viennent à l’esprit.
Les manifestations extérieures de ces mystérieux inconnus ont toujours été rares. En voici d’autres.
Elles se rattachent à la prodigieuse destinée de l’un des hommes les plus mystérieux de l’Occident : le pape Sylvestre II, connu aussi sous le nom de Gerbert d’Aurillac. « Né en Auvergne en 920 (mort en 1003). Gerbert fut moine bénédictin, professeur de l’Université de Reims, archevêque de Ravenne et finalement pape par la grâce de l’empereur Othon III […] Il possédait dans son palais une tête de bronze qui répondait par OUI ou PAR NON aux questions qu’il lui posait sur la politique et la situation générale de la chrétienté […] Il s’agirait d’un automate analogue à nos modernes machines binaires. Cette « tête » magique fut détruite à sa mort, et les connaissances rapportées par elle soigneusement dissimulées. […] Il fut évidemment dit que Gerbert n’avait été capable de fabriquer cette machine, que parce qu’il était en rapport avec le Diable, et lui avait juré une éternelle fidélité » (Louis Pauwels Jacques Bergier Le Matin des magiciens).
La question est : quel est donc le dieu-ou-démon caché derrière ce diabolisme de mauvais aloi ?
Le dieu-ou-démon de la médecine et des prothèses en tout genre ? (Deinocacectis dit Diancecht en Irlande ?)
Notre conclusion sera prudente.
Il y a eu, après la fin de la grande période mythologique des dieu-ou-démons, et après que leur occultation soit terminée, des apparitions de dieu-ou-démons « privées », « privées » c’est-à-dire sans archives fiables, sans témoins à l’esprit vraiment scientifiques et disposant d’appareils de mesures performants, ne reposant donc en définitive que sur des rumeurs ou le témoignage d’un seul homme.
Leur raison d’être n’était pas d’améliorer ou de compléter l’allégorie mythologique (qui a été définitivement scellée * avec l’occultation des dieu-ou-démons) ; mais d’inspirer certains individus, à certaines époques de l’Histoire ; notamment dans le domaine du progrès scientifique ou technique. Le caractère « privé » de ces apparitions divines incite donc à la plus grande prudence. Nous ne sommes pas en Écosse terre des fées des fantômes et du monstre du Loch Ness.
Lucain La Pharsale livre I 452 : « À vous seuls il appartient [druides] de connaître ou d’ignorer les dieux et les puissances célestes ». Il ne s’agissait peut-être en l’occurrence que du travail de l’inconscient de ces individus, en rêve ou à l’état de veille. Ou d’hallucinations collectives comme dans le cas de la danse du soleil de Fatima en 1917.
132
* La tendance athée du druidisme (voir Strabon) insiste évidemment sur cette notion de sceau de l’action des dieux dans le monde.
RAPPEL SUR LE SEDODUMNON.
L’Autre-Monde druidique (Vindobitus) était composé de deux parties distinctes : le Vindomagos (le « paradis ») appelé aussi Mag Meld, etc., etc. ; le Sedodumnon (le monde réservé aux dieu-ou-démons).
Rappelons pour mémoire que les sides sont un peu comme les alvéoles de la gigantesque ruche qu’est l’autre monde des dieux, constamment occupés à intervenir dans les affaires humaines.
Le mot side vient du vieux celtique « sedos » : siège ou palais des dieu-ou-démons, tertre ou demeure souterraine, voire sous-marine (en tant que localisation de l’Autre Monde). Par extension du sens « habitant de l’Autre Monde ». Il convient donc de retenir trois sens fondamentaux : « paix », « Autre Monde », « colline ».
En voici une description extraite de la troisième version de la Tochmarc Etaine « la cour faite à Etanna » ; car un tel texte constitue un très bon exemple de ce que les moines irlandais ont soigneusement éliminé de leurs imrama ; c’est-à-dire le but même de telles odyssées.
« Veux-tu venir avec moi
Dans le pays merveilleux où il y a de la musique
Les cheveux y sont comme la corolle des primevères
Et le corps lisse et blanc comme la neige.
Là il n’y a plus rien qui soit mien ou tien
Les dents sont blanches là-bas, et les sourcils bruns.
La foule des nôtres y est un délice pour les yeux
Les joues de tout le monde y sont de la couleur de la digitale.
Le cou de chacun est rouge comme la giroflée
Les œufs des merles y sont un délice pour les yeux
Bien qu’agréable soit la vue de la plaine de Fal (la terre ?)
Elle n’est que désolation à côté de la Grande Plaine.
Aussi bonne que puisse être la bière de l’île de Fal
Plus enivrante encore est la bière de la Grande Terre.
C’est un pays merveilleux que celui dont je te parle
La jeunesse ne s’y enfuit jamais devant la vieillesse.
Des cours d’eau tiède coulent à travers le pays
Il y a de l’hydromel et du vin de choix
Des gens majestueux et sans tare
Conception sans faute, sans concupiscence.
Nous voyons tout le monde partout
Et personne ne nous voit 1)
C’est l’ombre du péché d’Adam
Qui nous a empêchés d’être comptés ??
Nous voyons tout le monde partout
Et personne ne nous voit
C’est l’ombre du péché d’Adam 2)
Qui nous empêche d’être comptés ??
Si tu viens rejoindre mon noble peuple
133
Tu auras une couronne d’or sur la tête
Tu auras du miel, du vin, de la bière, du lait frais, de la boisson ».
1. Classique définition du don d’invisibilité caractérisant les dieu-ou-démons (feth fiada en gaélique).
2. Évidente interpolation chrétienne. Le moine ayant retranscrit ce texte n’a pu s’empêcher, ou a jugé préférable d’y insérer cette mention, qui n’a pourtant rien à faire dans un tel récit.
Le raisonnement de cet auteur très chrétien est pourtant resté typiquement druidique. Il y a eu un temps « T » dans l’Histoire (méta-histoire) avant lequel les dieux étaient visibles et après lequel ils ne le furent plus. Dit autrement un des dons préternaturels de ces premiers hommes (Adam + Eve) était de voir les dieux. La seule erreur de cet auteur est de ne pas avoir vu que cette occultation des dieux fut progressive, et non soudaine, et de l’avoir rattachée au mythe du premier homme ou à un quelconque péché originel ; concepts étrangers au druidisme.
Autre allusion au Sedodumnon.
« Dans la Mer Britannique, en face de la côte des Osismiens, l’île de Sena est vouée à une divinité celtique, et demeure fameuse pour son oracle, dont les prêtresses, consacrées par leur perpétuelle virginité, passent pour être au nombre de neuf. Ils appellent ces prêtresses Gallizènes et pensent que, comme elles sont dotées de certains pouvoirs, elles peuvent agiter les eaux et les vents au moyen de leurs charmes magiques, qu’elles peuvent se métamorphoser en l’animal qu’elles veulent, qu’elles soignent ce qui est considéré comme incurable par d’autres, qu’elles connaissent l’avenir et le prédisent, mais qu’elles ne le révèlent qu’à ceux qui vont sur les mers et qui plus est qui viennent tout exprès pour les consulter » (Pomponius Mela, III, 6, 48).
Bref, et si l’on en croit cet auteur, les habitantes de l’île en question…
1. Maîtrisent les éléments, puisqu’elles sont capables d’apaiser les vents ou les flots.
2. Maîtrisent les maladies.
3. Peuvent se métamorphoser en animaux divers (cygnes, corneilles ?)
4. Et enfin, maîtrisent le temps puisqu’elles sont capables de prédire.
Cela fait beaucoup pour de simples mortelles ! Il ne s’agit donc absolument pas de prêtresses celtes ayant réellement et historiquement vécu dans l’île de Sena ; mais de déesse-ou-démones, ou de fées si l’on préfère ce terme, ou de femmes de l’Autre Monde (localisé en l’occurrence dans une île à l’ouest), que Pomponius Méla, qui mélange tout, a cru bon de devoir localiser dans cette île bretonne en tant que vestales.
Ce que cet auteur nous rapporte n’est que l’ultime écho des mythes celtiques continentaux sur l’Autre Monde des dieu-ou-démons, voire des déesse-ou-démones ! Ou de fées si l’on préfère !
Cette terre de bonheur, de jeunesse, et d’immortalité, se trouve située, tantôt dans une ou plusieurs îles lointaines, vers l’occident, tantôt sous terre, dans le royaume des fées, tantôt sous les vagues de l’océan. Quelle que soit sa localisation, cette région reçoit les noms les plus riants : terre de jeunesse, terre des vivants, terre promise, grande plaine, plaine joyeuse. Les paysages y sont admirables, les arbres et les oiseaux merveilleux. On y entend une musique enchanteresse ; on s’y nourrit de mets succulents et inépuisables. L’esprit et les sens y sont pareillement rassasiés. Ce n’est pas là, comme certains le croient, un séjour pour les morts, comparable à l’Hadès des Grecs ou au lugubre musée de cire des âmes désincarnées, dans le christianisme. Pour ne rien dire du Shéol des juifs. C’est au contraire le pays des dieux, des fées, des immortels.
Confirmation nous en sera donnée par la comparaison avec Avallon (île des Pommes ou île fortunée de la Vie de Merlin, rédigée en latin, par Geoffroy de Monmouth).
« L’île des Pommes, qui est appelée Fortunée, tire son nom de ce qu’elle produit tout par elle-même. Il n’est pas nécessaire aux habitants d’y creuser des sillons. Il n’y a aucune culture, hormis celle dont la nature prend soin elle-même. Elle produit d’abondantes moissons, des raisins et des pommes dans ses forêts couvertes de fruits. La terre y engendre tout par elle-même, en surabondance, au lieu
134
d’herbe. On y vit cent ans et plus. Neuf sœurs, par une loi bien agréable, y donnent l’hospitalité à ceux qui vont à elles en provenance de nos régions. Celle d’entre elles qui est la première est devenue la plus savante dans l’art de guérir, et elle dépasse ses sœurs par sa remarquable beauté. Son nom est Morgane, et elle enseigne quelle est l’utilité des plantes pour guérir les corps malades. Un art qui lui est bien connu est celui de savoir changer de visage et, comme Dédale, de voler par les airs avec des plumes. Quand elle le veut, elle est de Bristus, de Carnotus ou de Papia ; quand elle le veut, elle glisse des airs sur nos rivages. On dit qu’elle a enseigné l’astrologie à ses sœurs Moronoe, Mazoe, Gliten, Glitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten, et enfin Thiton, très habile à la cithare [latin cithara]. C’est là que nous conduisîmes Arthur, grièvement blessé après la bataille de Camlann, sous la direction de Belin/Belen/Barinthus, à qui étaient connues les eaux et les étoiles du ciel. Conduits par ce navire, nous y arrivâmes avec le roi, et Morgane nous reçut avec les honneurs dus à son rang. Elle le fit porter dans sa chambre sur une couche d’or et, de sa main charmante, découvrit la blessure. Elle l’examina longuement et nous assura qu’elle pourrait lui rendre la santé s’il restait avec elle assez longtemps, et voulait bien prendre ses remèdes.
Nous nous en réjouîmes, nous lui confiâmes le roi, et nous fîmes voile pour le retour avec des vents favorables ».
Tout y est ! Cela n’a rien d’historique (tant pis pour Geoffroy de Monmouth) et nous avons là aussi ; malgré les déformations que la disparition des très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques a inévitablement pu entraîner ; une intéressante réminiscence de ce que fut la conception de l’Autre Monde des dieu-ou-démons, chez les Celtes antiques.
Grande plaine où jouent les ex-guerriers, vergers merveilleux qui produisent des pommes en toute saison, musiques célestes, temps éternellement serein, richesse et beauté, femmes féeriques, breuvages divins. Tout cela se trouve à côté des humains, à quelques encablures de leurs côtes, au-delà des apparences.
Ce séjour bienheureux se caractérise par une absence de temps qui a pour conséquence l’élimination de la vieillesse, de la maladie, de la guerre, et de la mort. La nourriture et la boisson sont inépuisables, symbolisées par la pomme et aussi par la bière ou l’hydromel.
Cet Autre Monde est un ailleurs concomitant à ce monde ci, mais avec possibilité d’interpénétration réciproque.
Les dieu-ou-démons ayant fini par être battus par les hommes (eh oui, la religion celtique est bien la seule qui ait jadis élaboré une telle notion) ils ont en effet abandonné la terre aux humains, après avoir fait la paix avec eux. Et ils se sont retirés dans un autre monde.
Mais les dieu-ou-démons qui, par définition, échappent au temps et à la dimension ne sont localisables qu’en vertu d’une convention, parce qu’il faut bien les réduire à des normes accessibles à l’entendement humain.
Cette réflexion a d’ailleurs dû constituer une grande partie de l’activité intellectuelle des très-sachants de la druidiaction (druidecht).
« Ils ont néanmoins leur propre art de bien parler ainsi que des maîtres en sagesse : les druides. Ces hommes prétendent connaître la taille et la forme de la Terre ainsi que de l’Univers, les mouvements du ciel et des étoiles, et ce que veulent les dieux » (Pomponius Mela. Livre III. Chapitre II).
« Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels ».
(César. B.G. Livre VI, 14).
Et dans ces conditions, les seules localisations possibles, sont celles des omphaloi : îles, pierres, forêts, cellae de temple, etc. dans la mesure où ils constituent des points de contact temporaires ou pérennes entre ce monde ci et l’autre.
Après leur christianisation par contre, les Irlandais ont localisé cet Autre Monde (des dieu-ou-démons) dans les collines et sous les lacs. Il porte en gaélique un nom spécifique dont l’emploi fréquent épargne bien des circonlocutions, sid (forme moderne sidh), pluriel side, mot qui signifie justement « paix », mais qui peut signifier aussi résidence (des dieu-ou-démons donc), par jeu de mots.
Il ne s’agit plus en effet d’une armée divine conquérante comme au début, mais d’une société de dieu-ou-démons en exil et littéralement occultés. Son nouveau chef, Belin/Belen/Barinthus (Manannan pour les Gaëls) est un dieu-ou-démon hors société, en position d’attente, prolongeant la vie et l’activité des
135
dieu-ou-démons en attendant le moment propice pour leur réapparition au grand jour (parousie) 1). C’est là le sens du don d’invisibilité, dont il a investi les dieu-ou-démons. Les dieu-ou-démons sont toujours là, mais on ne les voit plus. Les gens du side, comme ceux de l’île que Pomponius Méla crut bon d’appeler Sena, ou ceux de l’île d’Avallon décrite par Geoffroy de Monmouth ; ne sont pas soumis aux contingences de l’espace, de la distance ou de la matière. Quand le dieu-ou-démon Medros/Midir, vient par exemple enlever Etanna/Étain, alors reine et femme du roi Ivocatuos/Eochaid, il arrive sans être vu, en se jouant des murailles, des obstacles et des portes verrouillées.
« Je suis arrivé, quelle aventure ????? dans un pays merveilleux que je connaissais déjà… Il y a un arbre dans la cour du château à l’entrée à nul autre pareil pour ce qui est de l’harmonie ; un arbre d’argent sur lequel brille le soleil, son éclat est semblable à celui de l’or. [N.D.L.R. On a retrouvé la représentation d’un tel arbre lors des fouilles de l’oppidum de Manching en Allemagne. Il était en bois et en bronze plaqué or, et datait du IIIe ou du IIe siècle avant notre ère]. Il y a là trois vingtaines d’arbres dont les cimes se touchent ou ne se touchent plus, chacun de ces arbres nourrit trois centaines de ? avec des fruits divers bien mûrs. Il y a une cuve remplie du plus fort des hydromels à disposition de la maisonnée et la coutume veut qu’elle soit toujours pleine, chaque instant et à jamais ».
C’est vers une telle île merveilleuse que se dirigent les héros païens comme Bran fils de Fébal et Cuchulainn (in La maladie de langueur de Cuchulainn), ou des personnages à peine christianisés comme Maelduin et… [la fin de ce paragraphe n’a pas été retrouvée].
« … Démétrius dit que parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels ». Ils ajoutent en outre qu’il y a dans cette partie du monde une île où Cronos est tenu confiné, gardé pendant qu’il dort par Briarée ; car le sommeil est le lien qui le retient enchaîné en ce lieu, et que tout autour sont de nombreux démons qui lui servent de valets ou de serviteurs… » (Plutarque. Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé. 18).
« La nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or – le sommeil étant le seul moyen que Zeus a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos, ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves. Les passions et les émotions titanesques qui affectent son âme font qu’il est toujours sur le point de rompre ses liens, jusqu’à ce que le sommeil restaure ses forces et que sa nature royale et divine retrouve ainsi toute sa pureté originelle » (Plutarque. De facie in orbe lunae, 26).
136
Des citations de Plutarque, assez obscures, on peut néanmoins déduire le schéma suivant.
Il existe, loin à l’ouest du monde, une ou plusieurs îles, merveilleuses et paradisiaques.
Le premier roi de ce domaine, Kronos en interpretatio graeca, aurait été détrôné par le nouveau maître de cet archipel, un dieu-ou-démon celte assimilé à Jupiter/Zeus par Plutarque. Le cas étant clair en ce qui le concerne, il doit donc s’agir du dieu-ou-démon celte Taran/Toran/Tuireann. Par contre, qui est l’entité celto-druidique assimilée au géant grec Briarée, reste plus conjectural.
Bref !
Ainsi que nous venons de le voir, l’Autre Monde druidique 2) est le monde des dieu-ou-démons 3) en même temps que celui des défunts 4), mais à des degrés différents. Dans la conception irlandaise classique, il est situé vers l’ouest, par-delà l’océan et il n’est accessible que par bateau. Il porte un nom caractéristique, side, étymologiquement « la paix », qui sert aussi à désigner les résidences des dieu-ou-démons en Irlande même, sous des tertres ou des lacs.
Le side est presque toujours localisé dans des îles innombrables, très loin vers l’ouest, où les élus mènent une existence paradisiaque en compagnie de jeunes et jolies femmes. Le temps est aboli, et il n’y a plus ni maladie, ni mort, ni imperfection d’aucune sorte. Les festins sont somptueux et même éternels. De temps à autre, une femme de l’Autre Monde, une banshee, vient chercher un heureux mortel, toujours un personnage de haut rang, guerrier renommé ou fils de roi suprême, à qui elle promet une félicité sans fin. La particularité essentielle du side est que, étant parfait par définition, il n’a pas besoin d’être gouverné, il n’y a donc là ni druide, ni gouvernement d’aucune sorte. Les quelques êtres humains qui sont allés là-bas, soit par hasard, soit parce qu’ils y ont été formellement invités, n’en reviennent jamais, sauf par nostalgie du pays natal. Mais s’ils en reviennent, il leur faut quitter l’aiu (l’éternité) pour rentrer dans le temps humain. En général, ils ont cru rester quelques mois ou quelques années absents, alors que leur temps se mesure en siècles. Ils tombent en poussière en touchant à nouveau la terre, ou bien deviennent aussitôt des vieillards que personne ne reconnaît plus.
Ce thème, christianisé à partir du Ve siècle, a donné les immrama ou « navigations » de moines et de saints à la recherche du paradis. Mais les femmes sont exclues de ces récits hagiographiques merveilleux dont le prototype est le « la navigation de saint Brandan ». Les récits christianisés transforment le voyage maritime toujours très court, du thème original, en innombrables aventures, parsemées de dangers, de diables, et d’îles étranges, exotiques ou périlleuses… qui ne sont toujours pas le paradis classique du christianisme.
Les auteurs chrétiens…
a) Ne s’étendent guère sur le but de ces navigations (l’au-delà, l’autre monde, et leurs délices). Ils ne sont pas très prolixes à ce propos et l’on ne trouve, sous leur plume, aucune des merveilleuses descriptions qui faisaient l’enchantement de leurs prédécesseurs.
b) Ont éliminé l’élément féminin de ces récits. D’où d’ailleurs la pauvreté de ce qui reste de leur conception de l’Autre Monde.
c) Ont allongé démesurément la durée du voyage proprement dit. Ce dernier, qui était secondaire dans la spiritualité druidique au départ, devient au contraire, sous leur plume, le principal objet du récit.
d) Mais dans ce dessein, pour combler cette lacune et la meubler, ils ont eu quand même, fréquemment, recours à de nombreux autres thèmes de la mythologie celte, en rapport ou non avec le sujet.
1) Mais soyons clairs. À la différence des témoins de Jéhovah, les néo-druides sérieux ne prétendent pas savoir quand se produira cette parousie des dieux. C’est impossible à dire. Un homme prétendant savoir quand aura lieu la parousie des dieux ne peut être qu’un imposteur !
2) Plérôme c’est-à-dire Albiobitos + Anderodubno.
3) Albio-bitos + Sedodumnon.
4) Vindomagos, Mag Meld, etc.
137
RÉSUMÉ SUCCINCT DE CE QUE PENSE LE PROFESSEUR JAN DE VRIES
À PROPOS DE LA RELIGION DES CELTES.
Chez les Celtes, comme sans doute partout, les idées sur la vie après la mort étaient contradictoires. Le mort vit dans son tombeau, où l’on a déposé quelques-uns de ses biens ; mais il vit aussi dans un autre monde. On peut imaginer ce dernier de façon très diverse. Il est en général conçu comme un monde souterrain. On comprend que cela ait été déduit de l’usage d’enterrer les défunts.
On a trouvé en Champagne de nombreuses tombes datant du IVe siècle avant notre ère. Le char de guerre du défunt y a été enterré avec le mort, sans doute pour que ce dernier puisse s’en servir dans l’au-delà.
Les poèmes gaéliques évoquant le Chien de Culann s’élevant après sa mort au-dessus d’Emain Macha dans un char féerique (Siaburcharpat/Soïbrocarpanton) ne sont que le développement littéraire de cette idée celte sur la vie des morts dans l’au-delà.
En Irlande, on croyait que les morts demeuraient dans les tumulus appelés sidh. Mais ils n’étaient pas seuls à y habiter. En Irlande, il est souvent dit que les anciens dieu-ou-démons, la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), se sont, eux aussi, retirés dans les sid, après que le christianisme les eut détrônés.
Comme on pouvait s’y attendre, puisque le christianisme avait rabaissé toutes ces Puissances et tous ces personnages surnaturels au rang de larves inexistantes, on confondit alors sous le même nom des êtres très différents, qui constituèrent désormais une très inquiétante armée. Dans les pays celtes, les anciens dieu-ou-démons, les fées, les spectres, et les âme/esprits des morts s’équivalent presque : à eux tous, ils forment l’autre monde, et un autre monde fantastique. Le fait curieux est que cet autre monde demeure presque ouvert : on passe constamment du domaine des vivants à celui des âme/esprits et réciproquement ; il y a une porte entre les deux. En Irlande, cette tribu des aes side se retrouve composée d’êtres féminins et masculins qui vivent sous, mais aussi sur, la terre, sans appartenir à l’Humanité proprement dite. Mais ce n’est là qu’une définition minimale. Elle englobe de ce fait les espèces les plus variées d’êtres surnaturels. Et elle n’est valable que pour l’ère chrétienne, quand les distinctions entre ces êtres furent abolies.
Pour l’ère païenne, une telle définition du peuple des aes side serait sans doute inexacte……………
Les dieu-ou-démons vivaient alors dans les différentes parties du monde, dans le ciel et la mer. Les âme/esprits de la nature agissaient dans les phénomènes les plus divers : montagnes et collines, sources et fleuves. Les uns étaient bien disposés envers les hommes (les fées), les autres (démons) mal. Il y avait enfin les âme/esprits des morts qui habitaient les tumuli et qui, par conséquent, y jouaient aussi un grand rôle. La meilleure preuve de cette importance du culte des morts étant d’ailleurs que, pour finir, dieux et démons sont aussi allés habiter ces collines des morts.
Bien entendu, il y avait là aussi de grands trésors. Nous avons déjà dit combien magnifique était l’équipement des tombes des princes celtes de Hallstatt. Le souvenir s’en est conservé longtemps ; de nombreux pillages de tombes antiques sont d’ailleurs dus à de telles légendes. Le tumulus de Hochmichele en Allemagne a par exemple été victime des pilleurs de tombes quelques dizaines d’années à peine après sa construction.
Les légendes dépeignaient la vie dans l’au-delà sous les traits les plus brillants et nous ne pouvons citer tous les récits qui racontent comment des hommes ont pu arriver dans ce monde merveilleux, tantôt volontairement, tantôt enlevés par des âmes/esprits. Cette aventure a toujours été réservée aux plus grands héros. Comme Ulysse ou Hercule, de grands héros irlandais ont donc accompli leur nékuia ou visite au pays des morts. On connaît celles de Cuchulaïnn, de Loégaire, et d’Ossian. Mais il est dangereux de séjourner dans l’autre monde ; le rythme du temps n’y est pas le même, ou plutôt le temps y est presque immobile. Un jour passé là-bas est comme cent ans sur terre. Il peut donc arriver qu’à son retour au pays, notre héros, en mettant pied à terre ou en touchant le sol, tombe en poussière. C’est ce qui arrive par exemple à Loégaïre et à Ossian. L’autre monde est aussi une sorte
138
de Walhalla. Comment des guerriers enterrés avec leurs armes pourraient-ils ne pas désirer poursuivre leurs combats dans la tombe ? D’où toutes ces légendes dans lesquelles les morts continuent à se battre après la bataille. On dit que le lendemain, ils ressuscitent : par exemple lors de la grande bataille de la plaine aux tumulus (bataille de Mag Tured) ; qui est le pendant de la légende scandinave de la Hjathningavig.
Mais les morts ne vivent pas seulement sous terre dans leur tumulus. Procope a laissé une curieuse notice à ce sujet.
« Le long de la côte de l’océan qui s’étend juste en face de l’île de [Grande] Bretagne, il y a de nombreux villages. Ils sont habités par des hommes qui pêchent à l’aide de filets ou cultivent la terre voire font du commerce maritime avec cette île, et qui sont, en autre chose, sujets des Francs, bien que ne leur payant aucun tribut, ledit tribut ayant été supprimé pour eux depuis des temps immémoriaux en raison, disent-ils, d’un service qu’ils rendent et que je vais décrire ici. Les hommes de cet endroit disent que le transport des âmes/esprits [grec psyché] leur incombe à tour de rôle. Les hommes qui doivent accomplir ce travail lors de la nuit qui doit venir, en prenant la relève des autres, dès que l’obscurité tombe, se retirent dans leur maison et vont dormir, en attendant celui qui doit les rassembler pour effectuer cette tâche. À une heure de la nuit très avancée, ils réalisent que l’on frappe à leur porte et entendent une voix indistincte les appelant à venir faire leur travail. Alors ils se lèvent et se rendent sans hésiter sur la plage, sans comprendre la raison qui les pousse à cela, mais en en ressentant néanmoins la nécessité. En ce lieu, ils aperçoivent alors des embarcations prêtes à partir, mais sans personne à bord, non pas leurs propres esquifs cependant, mais une sorte de barques différente, à bord desquelles ils montent et dont ils prennent les rames. Ils réalisent alors que ces bateaux sont chargés à ras bord d’un grand nombre de passagers ? Puisqu’ils sont mouillés par les vagues qui atteignent presque le niveau du plat-bord et des dames de nage, et qu’ils ne dépassent le niveau de l’eau que de l’épaisseur d’un doigt, tout juste ; eux-mêmes cependant ne voient personne, mais après avoir ramé à peine une heure, ils arrivent en [Grande] Bretagne. Alors que, quand ils effectuent ce voyage sur leurs propres embarcations, sans se servir des voiles, mais à la rame, ils effectuent péniblement ladite traversée en une nuit et un jour. Puis quand ils ont atteint l’île et qu’ils ont été délivrés du poids de leurs passagers invisibles, ils repartent chez eux à toute vitesse, leurs bateaux étant soudainement redevenus si légers qu’ils ne font qu’effleurer les vagues, et qu’ils n’ont que la quille dans l’eau. En ce qui les concerne, ils ne voient jamais personne assis à côté d’eux à bord de leur navire ou en débarquant, mais ils disent qu’ils entendent une sorte de voix venant de cette île, et qui semble être une annonce destinée à ceux qui doivent prendre ces âmes/esprits [grec psyché] en charge, car on fait alors l’appel de tous les passagers arrivés avec eux, par leur nom et qualité dans la vie d’avant, le nom de leur père et le leur propre. Et s’il y a aussi des femmes parmi ceux qui ont été ainsi acheminés, on donne les noms des hommes à qui elles étaient mariées dans la vie d’avant » (Procope. De Bello Gothico IV, 20).
Comme il fallait s’y attendre, Procope est très mal renseigné sur cette étrange traversée. Sa « Brittie » est sans doute la (Grande-) Bretagne. Mais elle n’était pas le véritable but des âme/esprits de ces défunts. Celui-ci était plutôt une petite île ou un groupe d’îles que l’on croyait se trouver plus loin sur l’Océan. Les textes irlandais en parlent aussi. Les petites îles du sud-ouest de l’Irlande passaient d’ailleurs pour être des portes du séjour des âme/esprits des morts. L’une d’elles était appelée Tech Duinn, anciennement Donno Tegia (aujourd’hui le Rocher du taureau) ; il s’agit d’un îlot situé au large de l’île de Dursey, sur la côte sud-ouest d’Irlande (péninsule de Beara, comté de Cork).
Redonnons ci-dessous les références aux textes de base déjà soumis à la sagacité de nos lecteurs, vu leur importance.
Il est évident que, si les anciens dieu-ou-démons et les âme/esprits des morts cohabitent dans le side sur terre, ou plus exactement sous terre, tel est aussi le cas dans cette lointaine île des bienheureux. La croyance populaire ne fait pas ici de distinction très nette. De grands héros peuvent y être enlevés pour un temps, ou y demeurer définitivement après leur mort. Voir le cas de l’Avallon ou de l’Insula Pomorum de la Vie de Merlin (Vita Merlini), où le dux bellorum Arthur aurait été exfiltré. Il s’agit d’un véritable Mag Meld, où, sans être cultivé, le sol produit d’abondantes récoltes. Là vivent neuf sœurs sous la direction de Morgane ; elles peuvent se métamorphoser en oiseaux. Il y règne une paix ainsi qu’un printemps éternels. Les habitants ignorent l’âge, la maladie et les soucis. On reconnaît là sans conteste la Tir na mBan irlandaise.
Ces conceptions de l’autre monde reflètent les rêves de l’Humanité. On peut parler de paradis, voire de pays de Cocagne. Mais anciennes, ces idées le sont certainement ; ne trouvons-nous pas chez les Grecs eux-mêmes la croyance aux Îles des Bienheureux, les Hespérides, qu’ils cherchaient sur le
139
lointain rivage occidental de l’Océan ? Il n’est donné qu’à quelques privilégiés d’y parvenir et d’y vivre un aiu (une éternité) de béatitude. C’est le sujet du conte irlandais intitulé Echtra Condla Chaim meic Cuind Chétchathaig, qui peut remonter au VIIIe siècle. Ce Condla était le fils du célèbre roi Conn aux cent batailles. Un jour qu’il était avec son père sur la colline d’Uisnech, une femme à l’allure étrange leur apparut soudainement. Elle déclara qu’elle venait de Tir na m-Béo, du pays des vivants, où il n’y a ni mort, ni péché. Une joie perpétuelle y règne. Mais seul Connla pouvait voir cette femme ; elle restait invisible à son père par exemple. Celui-ci, entendant son fils parler comme à un interlocuteur imaginaire, lui demande ce qui se passe. La femme répond qu’elle aime son fils et qu’elle l’invite à venir à Mag Meld, où règne éternellement le roi Buadach (le victorieux). Conn demande à son druide appelé Corann, d’empêcher par ses formules magiques que son fils soit subjugué. La femme recule dans un premier temps devant le pouvoir du druide, mais elle jette une pomme à Connla. Il s’en nourrira pendant un mois, sans prendre aucune autre nourriture ni boisson. Pourtant, la pomme ne diminue pas. Mais il est pris d’une violente nostalgie pour l’inconnue.
Elle revient une seconde fois tandis que le père et le fils se trouvent à Mag Archommin. Le fils avoue à Conn qu’il ne peut renoncer à l’amour de cette femme, bien qu’il aime beaucoup sa famille. La femme renouvelle son invitation et Connla saute dans la barque de cristal de la fée. On le vit s’éloigner, depuis personne n’a revu Connla ni ne sait où il a pu aborder.
Quelques passages de ce texte trahissent la main d’un copiste chrétien. C’est ainsi que la femme dit au père, quand celui-ci, lors de leur deuxième rencontre, veut invoquer à nouveau le secours de son druide :
« Bientôt viendra
Afin de juger, sur notre grande plage
Un homme juste, avec de nombreux et merveilleux compagnons
Et sa loi s’appliquera bientôt à toi.
Conscéra brichta drúad tardechta
Ar bélaib demuin duib dolbthig.
Il anéantira les pouvoirs tardechta des druides
Devant le démon sorcier noir ».
Allusion sans doute après coup (c’est toujours plus facile) à la venue de saint Patrice.
C’est sans doute aussi ce même moine copiste chrétien qui a pris sur lui d’accentuer la ressemblance entre Mag MeId et le paradis céleste selon les chrétiens : le péché y est inconnu.
Repetere = ars docendi… La seule chose que l’on puisse en dire, c’est qu’une vie passée dans la volupté amoureuse et les festins n’y était pas effectivement considérée comme une vie de péché.
Conclusion. Par-delà l’Océan, il y a aussi un ou plusieurs autres pays que l’on situait loin à l’horizon, peut-être même au fond de l’eau. Car les vagues de la mer elles-mêmes recouvrent une province de ce monde caché, Tir-fo-Tuinn « le Pays sous les vagues » ; et qu’il vaut mieux comparer aux Champs Élysées grecs plutôt qu’à une île des morts. Elle porte dans nos textes de nombreux noms, entre autres ceux de Tir na nOg, « terre de jouvence », Tir na m-béo, « pays des vivants », Tir sorcha, « pays brillant », Mag Meld, « plaine des délices ». Mais on trouve aussi Tir Tairngire, « Terre promise ».
N.B. Ce nom est bien évidemment dû à l’influence du christianisme. Ces îles enchantées de l’Océan furent le but de nombreuses expéditions aventureuses, qui nous sont relatées dans les célèbres Imrama. La plus fameuse, celle de saint Brendan prouve que le thème a subsisté jusqu’à l’époque chrétienne, même si ce fut avec une intention tout autre. Les anachorètes irlandais, qui aimaient tant à se confier à la mer, dans leurs petits coracles, ne chérissaient-ils pas, eux aussi, le secret espoir d’aborder, guidés par la main de Dieu ou du Démiurge, à l’une de ces îles ?
Les visions ou aislingi du Moyen-âge continuèrent de broder sur le sujet. Cela rend d’autant plus difficile de dégager des textes conservés les idées fondamentalement païennes, car il s’y est sans doute mêlé, non seulement des idées chrétiennes sur le paradis, mais aussi des souvenirs de la légende classique (gréco-latine) des Hespérides.
Il faut donc reconnaître qu’il règne dans nos textes une relative incertitude quant à ce que l’on entend exactement par ce pays des bienheureux si agréables à fréquenter (Meldi). Une chose du moins est
140
très claire : il nous est interdit de parler d’un « Royaume des Morts » au sens propre, bien que cette idée puisse toujours s’y mêler quelque peu.
« La nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or – le sommeil étant le seul moyen que Zeus a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos, ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves » (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
« L’île des Pommes, qui est appelée Fortunée, tire son nom de ce qu’elle produit tout par elle-même. Il n’est pas nécessaire aux habitants d’y creuser des sillons. Il n’y a aucune culture, hormis celle dont la nature prend soin elle-même. Elle produit d’abondantes moissons, des raisins et des pommes dans ses forêts couvertes de fruits. La terre y engendre tout par elle-même, en surabondance, au lieu d’herbe. On y vit cent ans et plus. Neuf sœurs, par une loi bien agréable, y donnent l’hospitalité à ceux qui vont à elles en provenance de nos régions. Celle d’entre elles qui est la première est devenue la plus savante dans l’art de guérir, et elle dépasse ses sœurs par sa remarquable beauté. Son nom est Morgane, et elle enseigne quelle est l’utilité des plantes pour guérir les corps malades. Un art qui lui est bien connu est celui de savoir changer de visage et, comme Dédale, de voler par les airs avec des plumes. Quand elle le veut, elle est de Bristus, de Carnotus ou de Papia ; quand elle le veut, elle glisse des airs sur nos rivages. On dit qu’elle a enseigné l’astrologie à ses sœurs Moronoe, Mazoe, Gliten, Glitonea, Gliton, Tyronoe, Thiten, et enfin Thiton, très habile à la cithare. C’est là que nous conduisîmes Arthur, grièvement blessé après la bataille de Camlann, sous la direction de Belin/Belen/Barinthius, à qui étaient connues les eaux et les étoiles du ciel. Conduits par ce navire, nous y arrivâmes avec le roi, et Morgane nous reçut avec les honneurs dus à son rang. Elle le fit porter dans sa chambre sur une couche d’or et, de sa main charmante, découvrit la blessure. Elle l’examina longuement et nous assura qu’elle pourrait lui rendre la santé s’il restait avec elle assez longtemps, et voulait bien prendre ses remèdes.
Nous nous en réjouîmes, nous lui confiâmes le roi, et nous fîmes voile pour le retour avec des vents favorables ».
Il s’agit cette fois-ci d’un autre monde de troisième fonction, exactement comme en Irlande sous le règne du roi modèle Conn. Prospérité, abondance, richesse, santé et longévité.
Une île, c’est une terre, mais dans l’esprit des très-sachants de la druidiaction (druidecht), de telles îles appartenaient beaucoup plus au monde céleste qu’au monde purement terrestre. Ces îles lointaines étaient de toute façon des portes, ou des points de contact avec l’autre partie de l’univers. Les dieu-ou-démons peuvent venir sur la Terre. On peut passer des marchés avec eux. On a néanmoins l’impression que Mag Meld est une forme développée du monde des tumulus. L’eschatologie souterraine des sidhe, les tumuli funéraires où habite la race mythique du clan de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on veut, Danu (bia), renvoie aux paradigmes combinés de la religion agricole et du chamanisme d’élevage, repris et reformulés pendant l’âge du bronze. Mais même si ces conceptions sont issues d’une même source conceptuelle, elles ont tellement divergé qu’il faut radicalement les distinguer. Mag MeId n’est plus un pays des morts, mais un pays merveilleux dans l’Océan, où des êtres surnaturels jouissent d’une félicité sans fin. Il semble que cette conception soit parvenue à son plein développement au moment où le christianisme se répandit et apporta, lui aussi, sa nuance à une telle idée. Après l’avènement du christianisme, ces habitants de Tir na n-og, Mag Meld, etc. furent systématiquement confondus sous le nom de peuple des aes side ; mais il semble bien que, pour les païens, la distinction fût absolue.
On retrouve ici le même « confusionnisme » dont on parle si souvent à propos du panth-éon ou plérôme celte. Dans le cas qui nous intéresse, la raison en est l’effondrement des doctrines païennes après que le christianisme les eut stigmatisées comme inventions diaboliques.
141
Dans le conte intitulé en gaélique Echtra Condla Chaim meic Cuind Chétchathaig, déjà évoqué ci-dessus, on peut lire ceci. « Totchurethar bíi bithbi at gérat do daínib Tethrach ardotchiat cach dia i ndálaib t’athardai eter du gnathu inmaini ». « Les vrais vivants, les immortels, t’appellent ; ils t’invitent à venir rejoindre le peuple de Tethra, etc. ». Les hommes de Tethra sont sans doute les morts. Le récit de la bataille de la plaine aux tumuli mentionne un roi des Andernas ou Fomores portant ce nom ; et l’on croyait manifestement à l’époque que ce peuple vivait sous la mer. C’est d’ailleurs pourquoi l’expression « la plaine de Tethra » désigne la mer en gaélique. Puisque Tethra est assimilé, semble-t-il, au Seigneur de Mag MeId, dans ce récit, certains auteurs supposent que c’était lui le souverain du royaume des morts au sens druidique du terme ; très différent de son acception classique ou gréco-latine, voire moyen-orientale : des « Champs Élysées » que l’on situait loin sur l’Océan, peut-être même au fond de l’eau. (Fin de l’opinion de Jan De Vries sur le sujet).
142
LE MONDE PARALLÈLE PARADISIAQUE SELON LES DRUIDES MÉDIÉVAUX.
Le paradis selon les très-sachants est un autre monde parallèle ou plus exactement un état de l’être où l’âme (anamone) se débarrasse peu à peu de son esprit/conscience (menman ; cf. sanscrit manman = esprit).
Appelé Mag Meld ; mais aussi Tir na mBân, Tir na mBéo, Tir Tairngiri, Tir na nOg, Magh Ionganaidh, Magh Ildathach, Magh Imchiuin, Magh Argetnel, Magh Findargat, Magh Aircthech, Sen Magh, Caer Wydion, Caer Gwydion, Lly’s Don, Caer Arianrhod ou Gwynfa (au Pays de Galles), Vindomagos.
Un peu d’étymologie maintenant, car la langue celte était une des plus aptes à traduire ce genre de concept (tant pis pour les hellénistes, les latinistes, ou les hébraïstes) : Vindomagos est un terme celte signifiant à peu près « plaine blanche ».
À l’origine de cette appellation, vraisemblablement diffusée par les très-sachants ou gnostiques d’Occident appelés druides (on y revient toujours) il y eut peut-être des récits d’Expérience de Mort Imminente ; autrement dit des « presque morts » revenus à la vie après un décès apparent, même si tout le monde n’est pas d’accord sur le sujet.
Beaucoup de ces témoignages parlent en effet de lumière blanche au bout d’un tunnel ou d’un vortex.
L’autre monde appelé vindobitos est composé de trois univers bien distincts, celui des dieu-ou-démons (qui est triple : albiobitos sedodumnon et anderodubon, le tout est le plérôme), celui des défunts ordinaires et celui des grands initiés (anatiomaroi, semnothées).
Les Éditions en ligne Caracâra, du site utqueant. org, publient des travaux de recherche consacrés à diverses œuvres littéraires à partir de méthodes nouvelles. Une de ces études traite justement de l’autre monde parallèle de nature paradisiaque, selon les Celtes.
L’au-delà irlandais se situe aux antipodes de la modernité ou au mieux, s’y adapte, sans jamais l’annoncer ou le conceptualiser, se fabriquant ainsi après coup.
Il demeure davantage ancré dans la sphère des croyances anciennes, dont l’Humanité a du mal à se débarrasser, que dans une zone productrice et inventive pour nos jours.
Mais son appartenance aux croyances anciennes, mérite d’être étudiée de façon plus approfondie. En effet, à trop comparer ces textes irlandais avec les récits abondants et luxuriants des descentes en Enfer, des visites des cieux ; à trop comparer aussi la renaissance celtique ou l’ossianisme avec des courants littéraires comme le romantisme anglais ou allemand, ou à faire de même entre les Errances d’Ossian ; on ne peut que laisser pencher la balance en défaveur de l’imaginaire irlandais, dont le charme devient du coup limité, voire local.
Le sentiment de « passer à côté » d’un particularisme jusque-là mal défini l’emporte, et pousse à nous arrêter.
Une série de différences apparaît ; la première concerne le fait que l’au-delà irlandais n’est pas lié à une expérience de la mort, dans sa forme primitive légendaire. Tous ces héros qui ont accointance avec l’au-delà, Ossian, Bran, Cuchulainn, saint Brendan, etc., ne meurent pas, ne sont pas dans un état similaire à la mort, mais en pleine jeunesse et en pleine force. Reste à savoir si leur aventure est assimilable à une initiation où le héros apprend à mourir afin de vaincre sa peur. Mais dans leur voyage et relation de ce voyage, on ne voit jamais qu’ils subissent un quelconque dépouillement ascétique, qu’ils abandonnent leurs désirs et leurs représentations mentales, qu’ils se privent et souffrent. Bien au contraire, l’abondance et la joie les accompagnent, et leurs « épreuves » servent à magnifier leur individualité. L’au-delà irlandais des légendes et des mythes n’appartient pas au besoin humain de conclure la vie, de deviner ce qu’il y a « derrière », etc. Il est, rappelons-le, à côté de l’existence humaine, et non à sa suite. À quoi peut-il bien servir ? Telle est la véritable question.
Une autre différence réside dans la représentation spatiale de ces lieux. L’au-delà, en se compliquant par suite du progrès des civilisations, se hiérarchise, se précise, a des étages variés, possède une géographie souvent labyrinthique, où s’entrecroisent les niveaux et les formes.
143
Ici, l’au-delà est sans désordre ni violence, profondément continu, sans les conflits que nous avons rencontrés dans les autres récits. C’est donc de cette différence qu’il faut partir pour déterminer la fonction de l’au-delà en question.
Que dire de cette « Terre de Jeunesse » qui hante la littérature irlandaise, sinon qu’elle est aux antipodes de la modernité ? Non seulement, cette terre tient de l’au-delà fugitif, mais elle condamne littéralement ses auteurs à se réfugier dans une référence, un sens caché, total, central.
Il existerait un lieu conçu par l’imagination populaire qui permettrait d’immobiliser le Temps. Conceptuellement cela revient à proposer qu’il existe un point stable auquel il est possible de s’accrocher pour réduire la diversité changeante des phénomènes réels.
Que cela vienne à être contesté comme suprême illusion, d’un espoir aussi inutile que plat, et toute réflexion à ce sujet s’effondre. Le problème est insoluble, à moins que nous rejetions cette critique contemporaine et reprenions l’argumentation ancienne, ou à moins que, profitant des secousses que cette même critique provoque, nous revoyions la manière dont l’au-delà irlandais se présente.
Il n’est peut-être pas certain que ces caractéristiques puissent le rendre soit démodé soit à la mode.
Ce que nous voulons signifier par là, c’est le danger, si cette notion d’au-delà disparaît ; mais aussi qu’il est impossible de lui redonner la place qu’il occupait jadis parce que son évidence s’est estompée.
Ces navigations vers l’au-delà, et plus précisément les textes irlandais qui en parlent, ont au moins pour vertu de répondre à une question. Y a-t-il un moyen terme entre l’assurance de jadis fondée sur une référence ultime (recherchée, trouvée, quelle qu’elle soit) et l’affirmation contemporaine d’une liberté formelle infinie ?
Doit-on prendre parti pour une certitude dont les qualités d’ordre et de construction sont louables, ou pour un artifice aux qualités non moins grandes d’audace et de délivrance ?
Cette question, aussi naïve qu’elle paraisse en sa première formulation, orientera notre compréhension de ces différentes « Terres de Jeunesse ».
Leurs récits montrent une notion familière à la littérature orale de jadis : ils montrent clairement ce qui devra disparaître en fonction de la modernité d’alors : le christianisme.
Reste à supposer qu’ils délimitent aussi une problématique nouvelle, ou l’alliance des systèmes anciens et modernes.
Il ne s’agit pas d’appliquer une théorie à des faits littéraires ni même d’en tirer une conclusion. Car ce serait avilir les textes que de les vouloir la simple illustration d’un système de pensée, ou les étapes préliminaires et donc inférieures d’un exposé scientifique et philosophique limpide.
La navigation vers l’au-delà est une forme de pensée, un trajet intellectuel et un exposé, en soi ; et notre rôle est d’en suivre les méandres ou d’en poursuivre la logique.
Il s’agit de retirer ce thème de la « Terre de Jeunesse » de l’évidence et de l’aura facile, voire folklorique, qui l’entoure. Un questionnement replaçant cet espace fabuleux au sein d’efforts intellectuels contemporains ou universels s’avérait nécessaire.
Nous avons dit que la « Tir-na-n-Og » est un thème irlandais très fréquent dans la littérature de cette nation. Nous le montrerons, mais sans oublier notre recherche principale, qui est de savoir s’il n’existe pas de quoi construire sans nostalgie un au-delà plus actuel.
a) La tradition irlandaise de la « Tir-na-n-Og ».
La première apparition de la « Tir-na-n-Og » se trouve dans les textes mythologiques de l’Irlande médiévale, et plus particulièrement dans deux types de récits dont nous avons parlé, « l’echtra » ou enlèvement, et « l’imram » ou navigation. L’echtra est resté surtout païen, alors que l’Imram a été plus profondément christianisé. Dans le premier cas, un héros est invité à visiter l’au-delà, par une fée qui l’aime et le tient sous son charme ; dans le second, le héros, accompagné d’amis, traverse les océans pour se rendre dans cette Terre de Jeunesse tant désirée.
144
Mais s’il convient de voir maintenant quels aspects prennent ces terres merveilleuses, quand elles sont atteintes, nous le ferons seulement dans le but d’avoir un modèle à partir duquel des modifications vont progressivement s’élaborer. Ce changement d’aspect, pour nous capital, doit permettre une meilleure approximation, et affirmer la permanence du thème dans les lettres irlandaises.
Au départ, donc, l’au-delà, que l’on désigne sous plusieurs vocables, « Tir-na-m-Beo » (Terre des vivants), « Tir-na-m-Ban » (Terre des femmes), « Mag Mor » (Grande Plaine). Il est localisé soit sous les tertres, les collines et les lacs, soit sur des îles occidentales où règne Belin/Belen/Barinthus/Manannan le dieu-ou-démon des morts. Cette localisation est conventionnelle, et permet aux hommes d’appréhender le monde des dieu-ou-démons, qui échappent en principe au temps et à l’espace.
Les érudits ont raison de bien poser que ces lieux ne sont pas dus à des esprits naïfs. Et ils relèvent alors, comme traits marquants du paradis celtique (à partir de textes comme la Navigation de Bran, la Maladie de Cuchulainn et l’Unique jalousie d’Aemer, la Courtise d’Étain, la Bataille de la plaine aux tumulus) ; outre une ressemblance avec celui de l’islam (sic) ; d’abord le thème de la félicité éternelle (absence de maladies, de travail, de soucis quotidiens, de solitude) ; ensuite l’abolition du temps (une heure là-bas vaut un siècle ici) ; enfin le bonheur dû à l’amour, à la consommation de mets succulents et de boissons enivrantes, ou à l’audition de musique divine.
La musique est en effet l’une des premières manifestations terrestres de cet Autre Monde. Les oiseaux qui en viennent chantent tous une musique divine et quand les gens du side se montrent sous une apparence humaine, eux aussi sont maîtres de cet art des plus difficiles. Mais autant, sinon plus que le chant des cygnes, la musique divine par excellence est celle de la harpe. La musique est à la fois un divertissement, une magie, et une thérapeutique. La perfection musicale est du ressort de l’Autre Monde. L’univers parallèle de nature paradisiaque, selon les Celtes, est cependant le résultat d’une réflexion théologique de la part des très-sachants ; qui croyaient en l’immortalité de l’âme et peut-être à une rétribution des mérites [ce point de vue n’est pas nécessairement celui de la rédaction]. À moins que l’on inverse les données ou que l’on suppose que ce paradis soit nécessaire à l’édification d’une théorie sur les âmes et la justice, à l’expliquer en somme.
La conception irlandaise de l’âme ; malgré le peu de renseignements disponibles ; affecte cette notion d’une forte valeur individuelle, sans rapport avec la vie sociale du clan ; ne conduisant à aucune fusion avec la divinité [du moins dans un premier temps. N.D. LR.]. L’âme y est seule, et tout tourne autour de chacune d’elles.
Nous sommes loin des idées grecques ou hindoues sur l’âme/esprit ; ce souffle qui s’épuise (comme chez Homère) aux enfers ; ou qui affronte la réincarnation après contemplation du ciel (comme chez Platon) ; ou cette parcelle divine qui, chez les bouddhistes, doit rejoindre le Tout.
Ici l’âme/esprit est une affirmation souveraine du Moi, pouvant s’épanouir sans contrainte. Du moins, c’est ce que l’on pourrait théoriser au regard de la vie de nos héros dans cet au-delà, qui consacre et différencie ; alors que l’au-delà grec et hindou, par exemple, assimile et décompose. [Mais rien ne prouve qu’il ne peut pas en être ainsi dans un deuxième temps, après un plus ou moins long séjour dans cette Tir-na-n-Og, Tir-na-m-Beo, Mag Mor, etc. pour achever de s’y purifier. N.D.L.R.].
L’opinion des grands celtologues français Le Roux et Guyonvarc’h, d’estimer qu’une réflexion philosophique transperce sous ces simples descriptions du paradis, est à nos yeux convaincante, quel que soit le peu de preuves à mettre en avant. Si le Walhalla germanique est un paradis de guerriers, le « Side » irlandais constitue un havre de paix, de délices et de volupté. On y trouve, certes, à l’occasion, des descriptions de guerres et de batailles, mais c’est par transposition ou extension abusive d’habitudes humaines. Les morts et les blessés ne s’en formalisent pas, et continuent à festoyer. Side veut dire « paix », avec toutes les conséquences de la signification : inexistence de toute guerre et de toute querelle, de toute spéculation intellectuelle aussi : l’Autre Monde n’a ni druides ni guerriers.
On s’est demandé pourquoi tous ses aspects sont de « troisième fonction ». La raison en est claire ; le side étant, par principe et en fait, l’expression, l’accomplissement, d’une perfection, toutes les distinctions de classes et de fonctions s’en retrouvent abolies parce qu’elles ne sont plus nécessaires.
145
Ces descriptions illustrent les doctrines druidiques, elles orientent et déterminent ces mêmes doctrines. Peut-être estimera-t-on que toutes ces belles descriptions sont incomplètes, ou maladroites, parce qu’elles ne sont pas présentées en termes de théologie. Mais l’Irlande n’avait pas d’autre possibilité de rendre ou de traduire l’infini. Elle l’exprime en termes finis par un raccourcissement ou un allongement du temps humain, car c’est la seule mesure qu’une intelligence humaine soit capable de saisir. Tout cela n’est qu’un moyen de faire voir l’invisible. Mais si nous mettions ces récits au rang des mythes, momentanément certes, nous les définirions comme pouvant instaurer une réflexion qui n’a pu s’affirmer pour des raisons historiques, ou qui a été détruite pour d’autres motifs. Mais peut-on, à partir de ces textes, retrouver les théories émises, ou élaborer celles qui n’ont pu advenir ? Cela n’est pas sûr.
Demeure l’idée-force d’un monde où la jeunesse et la joie sont éternelles et partout présentes, sans que l’on se soucie de juger les hommes, d’établir des cloisonnements.
Note de la rédaction. La notion de jugement, de punition de ceux qui n’auraient pas ou qui auraient mal suivi les lois divines, autrement dit de justes et d’injustes (par rapport auxdits commandements divins) est typiquement islamo-chrétienne. Elle est totalement étrangère à la spiritualité druidique qui apparemment ignore l’idée d’enfer et dont le paradis accueille en règle générale tout le monde – les seules exceptions étant les bacuceus – un peu comme la Terre Pure du bouddha Amitabha. On ne saurait être plus ouvert indulgent ou compatissant, plus humain en quelque sorte, envers les pauvres pécheurs que nous sommes tous – ah cette fameuse faiblesse originelle qui affecte même les races de seigneurs comme les Ulates-).
La vision grecque, hindoue, et chrétienne, possède en comparaison une diversité qui surprend. Est-ce à dire que la notion d’âme/esprit était moins complexe chez les Irlandais ? De toute évidence, leur au-delà possédait une puissance d’organisation moindre, mais il a par contre une grande saveur poétique, qui provient sans doute de cette indifférenciation.
Toutefois, le caractère majeur de « l’au-delà » irlandais ne paraît pas avoir été remarqué : il semble n’avoir aucun rapport avec la mort. Son éloignement est d’autant plus souligné qu’il n’est pas nécessaire de trépasser pour le visiter. Aucune expérience de la mort ne l’affecte ! Aussi est-il difficile de le justifier, comme dans le cas des autres religions et croyances, par un besoin bien humain d’affirmer que notre existence a un prolongement, ne peut s’achever définitivement, doit aboutir à quelque chose. L’au-delà irlandais ne naît pas d’un désir, d’un manque, de préoccupations morbides ; il s’installe à côté de la vie, et non à sa suite.
Mais le critique est gêné, pour reconnaître ce fait, par un phénomène d’une autre ampleur, et que nous pouvons résumer ainsi. L’au-delà placé devant nous, après l’existence humaine, se métamorphose en un au-delà placé derrière nous, avant la présente époque, la nôtre. Devenu historique, antérieur, il ouvre les portes du rêve et de la nostalgie ; c’est à cette transformation que nous nous attacherons, laissant pour l’heure de côté le problème du « lieu » de cet au-delà comme indice d’une métaphysique.
Prenons comme point de départ le magnifique poème de Michael Comyn, « Le lai d’Ossian dans la Terre de Jeunesse » (Laoi Óisín ar Tír na nÓg), écrit vers 1750. C’est un long poème épique se présentant comme un dialogue imaginaire entre le vieux héros irlandais Ossian et Saint-Patrice. Ossian raconte au responsable de la christianisation de l’Irlande son séjour de trois cents ans dans les îles du monde des fées. Le poème commence par quelques mots de saint Patrice interrogeant Ossian sur sa vie après la défaite de Gabhra. Ossian répond en lui rapportant comment il rencontra un jour la fée Niamh, et l’épousa, puis revint en ce monde, mû par la nostalgie.
Versions de référence. Le dialogue d’Oisin et Patrice par John O’Daly, Société Ossianique Dublin 1859. La traduction de Tomas O’Flannghaile publiée en 1896 à Dublin par les Études irlandaises.
« Un jour de ceux où nous étions encore tous ensemble, nous les Fénianes
Le généreux Vindos/Finn et ceux qui dépendaient toujours de nous arrivèrent ».
Les arbres sont en fleurs, un daim court devant la meute, la scène a lieu près d’un lac. La seule ombre au tableau est le rappel de la mort de certains compagnons et d’Oscar, fils d’Ossian. Sinon, rien d’anormal ne semble affecter ces existences. La stabilité règne : un roi, des guerriers, une activité habituelle (la chasse). Rien d’autre ne pourrait être inventé comme mode de vie. Ce qui est, suffit !
146
Quand tout à coup surgit de l’ouest une cavalière au port majestueux, sur un magnifique coursier. Venue d’ailleurs, très belle, les cheveux blonds bouclés, les yeux bleus, richement vêtue, montant un cheval ferré d’or.
L’effet de surprise est immédiat.
Notons combien « l’appât » est banal, et correspond aux désirs les plus immédiats d’une société de guerriers ou chasseurs (indépendance, splendide monture, belle femme).
Et cette femme se présente : il s’agit de Niamh, fille du roi de la Jeunesse.
« ‘S mé inghean alainn Righ na n-Og », soit mot à mot : « Moi être la gente (alainn) fille du Roi de la Jeunesse ».
Elle désire épouser Ossian en raison des prouesses qu’il accomplit et dont elle a entendu parler. Ce brin de flatterie, même sincère, qui fait naître le sentiment d’être désiré ou attendu, ne peut qu’accroître la fascination d’Ossian. Un deuxième niveau de cette fascination apparaîtra d’ailleurs peu après ; grâce à la peinture du royaume de l’au-delà que retracent les quatrains 27 à 36. Chaque strophe débute par un « Tu auras » (« Do gheobhair… ») suivi des cadeaux et merveilles qui attendent Ossian là-bas. C’est à une véritable fête des sens qu’il est convié : printemps éternel, musique mélodieuse, or et argent, et ainsi de suite. Son goût de la possession de richesses adaptées à ses désirs est ainsi entretenu : Ossian aura une épée, une cotte de mailles, des centaines de vaches, une suite de domestiques et de compagnons de sa valeur. Tout cela constitue un ensemble bien conforme aux rêveries qu’un guerrier peut s’accorder. Aucun élément externe ne vient heurter cette douce harmonie promise.
Après le moment douloureux de la séparation, notre héros traverse donc la mer.
Strophe 48.
« La mer unie devint comme étale devant nous et recouvrit nos traces de ses flots ».
« Do thraigh an mhin mhuir romhainn, 's do lion ' na broinntibh in ar n-diaidh ».
Au milieu de spectacles étranges (des cités, des châteaux, un chien aux oreilles rouges poursuivant un faon, une jeune femme tenant à la main une pomme d’or, une autre vêtue d’un manteau de pourpre tenant une épée au pommeau d’or) ; qui demeurent pour Ossian dépourvus de sens, même s’il interroge Niamh à leur sujet.
C’est d’ailleurs un des passages les plus réussis du poème : ces brèves images aux couleurs chatoyantes ont un pouvoir évocateur manifeste (strophes 49 à 54).
Fascination du mystérieux : un événement a lieu dont on ne connaît ni la cause ni l’origine, mais on peut supposer qu’elles sont lointaines, antiques, ou d’une essence supérieure.
De même, en cours de route, Ossian et Niamh s’arrêtent dans un château dont la princesse, fille du Roi de la Vie, est prisonnière d’un géant du peuple des Andernas ou Fomoire qui lui interdit de rentrer chez elle.
La scène a quelque chose de fantomatique et d’irréel, parce qu’Ossian se sent élu pour la délivrer de son oppression, et affronte le géant.
Cette jeune reine est « égale en splendeur au soleil », son désespoir appelle à une réparation de ses droits.
Tout en elle a l’air fin, diaphane, insaisissable, et s’oppose à la brutalité sauvage du géant.
C’est là une source de fascination non négligeable et nouvelle pour notre héros : la gloire d’une action valeureuse et juste. Le nouveau « piège » fonctionne à merveille pour l’amener à « s’enfoncer » davantage dans l’au-delà en question.
Après la victoire, la fête et un sommeil réparateur, Ossian et Niamh repartent, mais sans savoir si la jeune reine « s’en est retournée dans la Terre de Vie ». L’inconnu d’un destin laisse une impression d’inachevé propre à la rêverie.
Le séjour sur la Terre de Jeunesse fera aussi appel à un autre moyen de séduction : richesse, douceur de vivre, impression de bienvenue et de convivialité, abondance de couleurs et de bâtiments, sont couronnées par la naissance d’une descendance. Niamh donne à Ossian deux fils et une fille, qu’il appelle Finn, Oscar (en souvenir de son père ainsi que de son fils sur terre) et Plurnamban (« la fine fleur des femmes »). Ossian éprouve pour eux un grand attachement.
147
Tels sont donc les différents niveaux d’une stratégie de la séduction : beauté féminine, gloire, vie facile dans l’abondance des biens, affection paternelle.
À les regarder, on est partagé entre l’idée que ce sont là des attraits conformes à l’idéal commun d’une époque ; mais aussi que ce sont des tendances universelles en l’Homme, dont l’existence réelle n’est pas toujours aussi comblée ou généreuse.
Le premier rappel temporel surviendra lorsque notre héros sera saisi du désir de revoir Vindos/Finn et ses compagnons. Comme si seul ce désir l’amenait à prendre conscience du temps qui a passé.
Citons donc la strophe 109 que nous traduirons au plus près.
« J’ai passé une longue période qui a duré (Do chaitheas tréimse fada cian)
Trois cents ans et plus (Tri cheud bliadhan is doigh ‘s ni as mo)
Jusqu’à ce que je m’avise que mon désir serait (Gur smuain mé féin go mb’e mo mhian)
De revoir Vindos/Finn et les Fénianes vivants » (Fionn ‘s an Fhiann d’fheicsin beo).
Mais rien dans cette déclaration n’indique la raison secrète de ce désir. Sa soudaineté surprend, et provoque un malaise. Yeats, dans son poème sur Usheen, nous prépare davantage à cet instant fatidique, parce qu’avec lui Niamh ne réussit pas, malgré les trois îles qu’elle fait visiter à Usheen, à lui faire oublier ses compagnons de jadis. Chaque aventure dans une île est scandée par les regrets d’Usheen de ne plus être avec les Fénianes.
Ici, la coupure est plus sèche et semble se justifier, moins par la nostalgie que par l’intrépidité de notre héros, persuadé qu’il reviendra sans encombre.
Strophe 112.
« Creud as eagal dúinn, a ríogan bhláth
’S an t-each bán do bheith fá’m réir ? --
Múinfidh an t-eolus dam go sámh
As fillead slan tar m’ais chughad féin ! ».
« Que crains-tu qu’il nous arrive, O florissante reine,
L’étalon blanc sera placé sous mes ordres
Il m’indiquera aisément la route à prendre
Et je te reviendrai sain et sauf ».
Par ce désir, Ossian montre donc que la leçon essentielle d’une existence lui a échappé, c’est-à-dire la nécessité de choisir, et l’impossibilité de tout maintenir sur le même plan des virtualités offertes. À un espace unifié, non conflictuel, d’où les choix irréversibles semblent absents, succède la découverte finale d’une cassure. Niamh, par trois fois, lui recommande de « ne pas mettre pied à terre », « ne pas descendre de son blanc coursier », « ne pas quitter sa monture » (strophes 113-115), de crainte de vieillir sur-le-champ.
Le récit s’aventure vers la rencontre de ces deux régimes, et le passage de l’un dans l’autre modifiera celui qui le franchira. Nous n’en aurons pas ici une approche théorique, mais la logique ou la fonction de ces « au-delà » se découvre alors. À forte dose rationnelle ou imaginaire, ils décrivent un état de stabilité inconnu dans la vie, mais néanmoins espéré ; que la raison et l’imagination tentent de construire, par une optimisation de leurs données (combinaison et emboîtements des faits, de la façon la plus efficace possible). L’au-delà est une surface imaginaire lisse, a-temporelle, immortelle, que le penseur ou le poète bâtissent comme un support idéal à leurs projets, qui ne doivent rencontrer qu’une opposition et une contrainte minimales. Loin de nous éloigner, comme nous le supposions, immédiatement et par fascination, des stabilités imaginaires ou rationnelles, il sert au contraire en premier lieu, à renforcer ces dernières, à les augmenter à l’extrême.
La suite du récit aboutit immanquablement à la chute d’Ossian, qui supporte mal de voir l’Irlande devenue chrétienne. Strophe 120 de la version publiée en 1880 à Dublin par la Société pour la préservation de la langue gaélique. : « Si j’étais resté moi-même, O Patrice, comme j’étais jadis, je mettrais à mort tout ton clergé, Il n’y aurait plus une tête sur un cou derrière moi ».
Parce que la construction d’une stabilité parfaite est chose pénible, et qu’il est difficile de la voir détruite, dès que l’on a « le dos tourné », ou que l’on s’en abstrait. Ossian découvre qu’il est devenu
148
un objet de légende pour les Irlandais d’alors, qu’il trouve affaiblis et sans force. Il refuse l’intercession de saint Patrice, c’est-à-dire des prières pour ses compagnons poursuivis ou tourmentés par les démons en Enfer, ce qu’il estime impossible, vu qu’aucun ennemi n’a jamais pu vaincre Vindos/Finn.
Deux logiques s’affrontent et sont incompatibles dans leurs créations respectives, dans leur cohérence stabilisante, pourrait-on dire.
Le jugement dépréciatif d’Ossian sur le manque de vigueur des chrétiens, provient du fait que tout centre stable s’estime toujours certitude, et classe le reste dans l’incertain ou l’illusoire.
D’une main, il se saisit d’une dalle de marbre, mais la sangle casse sous son cheval et il tombe à terre. La prédiction de Niamh s’accomplit, et tandis que le coursier s’enfuit, le poids des ans s’abat soudainement sur Ossian et le terrasse.
Strophe 149.
Je perdis la vue (de mes yeux)
Ma prestance mon allure et mon éclat
Je fus un vieil homme pauvre et aveugle,
Sans force, sans mémoire, ignoré de tous.
On notera combien l’aspect « formel » est soigneusement exprimé par l’auteur.
Ainsi : « dhealbh : forme » ; « ghnuis : aspect, contenance » ; « sgail » : brio, éclat.
De même, on a l’impression qu’Ossian « se vide » de l’intérieur.
« Brigh » : énergie, force.
« Meabhair » : mémoire, raison, intelligence.
« Aird » : ouvertement, publiquement, direction.
Diverses remarques sont maintenant possibles concernant le rôle de l’au-delà druidique en général.
Le poème de Comyn n’a pas la luxuriance verbale ni l’imagination de l’œuvre de Yeats (les Errances d’Usheen) ; mais il présente pour nous une structure plus facile à saisir et une « structuration » plus évidente, moins cachée par le grand art de Yeats.
Il n’empêche que le résultat obtenu ici, s’applique aussi à cette seconde version du voyage d’Ossian, plus moderne et féconde. Les Errances d’Usheen sont un long poème épique, en trois livres, publié en 1889 par William Butler Yeats. Il s’agit d’un dialogue entre le vieux héros irlandais Ossian et Saint Patrice. Ossian raconte au responsable de la christianisation de l’Irlande son séjour de trois cents ans dans les îles du monde des fées.
La question maintenant est de savoir si cette interprétation peut être généralisée aux autres « au-delà » (celui du side, celui de l’ossianisme) que nous avons relevés dans la littérature irlandaise.
Or, replacé à l’intérieur de cette problématique (description d’un état de stabilité maximale et projection d’intentions rationnelles ou imaginaires, sur un espace indifférencié) ; l’au-delà druidique se comprend effectivement mieux qu’auparavant ; quand nous cherchions à savoir s’il était moderne ou non.
Le « side », première forme d’au-delà rencontrée, n’apportait ni une théorie de l’âme/esprit bien précise ni une vision très évoluée de l’expérience de la mort : ce n’était ni une idée actuelle ni une illustration heureuse des anciennes croyances.
Il apparaît maintenant comme un espace parallèle, à l’écart de tout lien avec une rupture (modernité oblige) ou avec un passage (de la vie à la mort, selon l’Antiquité). Parce que sa nature est d’établir une stabilité totale et donc d’éliminer tout élément d’instabilité ; comme une séparation de l’âme et du corps, un transfert d’un lieu à un autre, un passage de vie à trépas, du sommeil à l’éveil, etc.
L’au-delà se prête à nos désirs, il est le lieu de leur jonction, si bien qu’il suffit de se laisser porter pour l’atteindre selon un voyage lisse, facile, sans durée.
L’autre au-delà, celui de l’ossianisme, né d’un rapt et d’une supercherie, proposait un état de société originel sous une forme mythique, qui, fonctionnant comme référence ; à la manière de l’état de nature selon le Français Rousseau ; lui interdit la modernité.
Il illustrait mal le besoin de sens que donnent à l’Histoire les « au-delà » plus élaborés des religions anciennes, déjà en mesure de construire une eschatologie. Mais à l’étudier autrement, on s’aperçoit que cet espace neutre, décoloré, monotone, d’où de vrais repères temporels sont exclus ; est aussi la formulation d’une stabilité qui correspond clairement aux goûts de l’époque, à ses préoccupations
149
morales et philosophiques. Il allait dans le sens de l’attente d’un public amoureux d’un état primordial édénique, voué à l’expression des passions funestes, célébrant la joie d’être triste et la lamentation. Il ne pouvait alors être question de conflits aux causes détaillées, de changements de croyances, de conquêtes ou de révoltes, traduisant une quelconque instabilité.
Ces formes « d’au-delà » – car il en existe d’autres – ont donc une fonction précise : mettre en scène une stabilité parfaite. Reste à savoir les motifs, quels buts et quelles utilités, ils possèdent ?
L’articulation que nous proposons est la suivante. Puisqu’ils forment le prolongement continu des constructions imaginaires et rationnelles, ils offrent un espace parfait (car sans résistance) à leur développement total et infini. Mais cela finit par aboutir à la mise entre parenthèses de la réalité, à une réduction des différences, à une ataraxie mortelle.
Néanmoins ce travail n’est pas négatif. Il permet non seulement de s’arracher d’un domaine dont on découvre les limites ; mais aussi de construire les futurs états de tension, en provoquant destruction, confrontation, prise en compte de nouvelles contraintes, formation de nouveaux centres d’intérêt.
L’au-delà qui a réduit le monde aux désirs que l’Homme éprouve durant son existence suscite diverses réactions, dont celle de repeupler la réalité. C’est une étape nécessaire pour qu’intervienne le besoin de repenser les rapports entre les faits, de reconnaître « l’oublié ou l’exilé », ce qui n’avait pas de place en nous, en notre conscience.
La pensée au sens fort du terme, peut alors se mettre en marche, après avoir visité ces terres extrêmes, d’abord ennemies puis offrant l’occasion de dépasser les systèmes qu’elles illustrent, et d’en dynamiser les valeurs. L’au-delà est un premier espace géométrique, simplifié, proposé au regard critique pour une transmutation des « objets » qui sont plaqués sur lui. L’au-delà est comme un apprentissage nécessaire pour qu’elle exerce ses pouvoirs d’interrogation et de maîtresse insurpassable dans l’art de nouer de nouvelles problématiques. Le cheminement de la pensée devient alors une aventure.
Cette aventure n’est pas désordonnée, puisque les formes de l’au-delà ne sont pas illimitées, mais que nous en avons reconnu trois ici.
Élevons-les au rang de paradigmes ou d’archétypes. L’oubli du monde, l’intemporalité, l’illusion factice, soit trois périls qu’il nous incombe constamment de repousser ; mais qui, diffus, seraient invisibles, ou intraitables ; et qui, condensés, deviennent l’objet d’un entendement fructueux.
L’au-delà est moins en fait un signe alarmant, qu’une invitation au sursaut. Il expose ce qu’il y a de commun dans nos croyances d’un moment, dans nos réponses face à l’inconnu. Non pour que nous nous y mirions, mais afin de nous en saisir et d’amener à l’existence ce qui est refoulé ou étouffé.
Une époque qui se refuse à édifier un « au-delà » est une période qui craint le danger d’une saisie globale de ses idées-forces, laquelle commanderait une remise en cause et un effort de tension douloureux. Mais peut-être lui est-il difficile de procéder ainsi, parce qu’elle n’a pas encore résolu ses conflits antérieurs ?
L’au-delà est bien une terre commune, menant à une interrogation et à un renouvellement. S’il a disparu depuis des siècles en Occident, ne serait-ce pas en raison d’un refus, ou d’une incapacité, à entreprendre un renouveau ?
Bref, l’au-delà irlandais a suivi une évolution conceptuelle conforme au mouvement de l’Histoire. Et en soi, il est intéressant de le situer ainsi par rapport à un cours des choses universel. Il lui reste une dernière métamorphose à accomplir, celle où il s’enracinera dans le présent et le vécu, s’il veut continuer à exister (les Éditions en ligne Caracâra du site utqueant. org.)
150
L’AUTRE MONDE PARALLÈLE PARADISIAQUE DANS LA GRANDE-BRETAGNE MÉDIÉVALE.
La principale différence entre les légendes traitant de l’au-delà ou autre monde en Irlande et les légendes traitant de l’au-delà ou autre monde en Grande-Bretagne, et elle est frappante, est leur degré de christianisation. En Grande-Bretagne et à l’exception notable de l’île d’Avallon, la christianisation de ces récits est en effet infiniment plus profonde qu’en Irlande. Ce qui est somme toute assez logique. N’oublions pas qu’au moment même ou presque à un siècle près (11e 12e siècle) où le grand poète irlandais Urard Mac Coisé nous montrait à la fin de son récit intitulé « le pillage du château de Maelmilscothach » des druides payés pour cause d’imbas forosnai, teimn laegda, ou dichetal do chennaib, des spécialités pas très catholiques.
Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
Par contre dans la grande île voisine, le public lettré dévorait avec enthousiasme les histoires de chevaliers d’un certain Chrétien de Troyes.
On peut donc schématiser ainsi la situation. En Irlande beaucoup (mais pas tous néanmoins) de nos récits traitant de l’autre monde sont restés profondément païens et ne comportent que quelques interpolations chrétiennes superficielles ne mettant pas en cause le fond et facilement repérables.
En Grande-Bretagne c’est exactement le contraire.
Pour ce qui est du conte du Graal par exemple il n’y a que deux solutions possibles.
Soit il s’agit d’un au-delà complément christianisé.
Soit il s’agit de l’interpolation dans le récit à titre anecdotique des réminiscences d’un rituel païen se déroulant dans un temple inconnu.
Rappelons enfin pour conclure que la période historique du roi de [Grande] Bretagne connu sous le nom d’Arthur, est la période qui a suivi la fin de l’Empire romain, et certainement pas l’époque où sa légende a été couchée par écrit par divers auteurs français. C’est-à-dire le Ve siècle et pas le XIIe siècle, ce qui change tout ! À l’époque toute la moitié sud de l’Écosse, en gros tout ce qu’il y avait au sud d’une ligne Glasgow Édimbourg, était de langue brythonique ou galloise et on n’y parlait pas encore un seul mot de gaélique. Il s’agit de ce que l’on appelle en gallois Yr hen ogledd, à savoir le royaume du Strathclyde (premier roi Coroticus, première capitale Dumbarton) et le royaume de Manaw Gododdin (capitales Édimbourg et Stirling). Arthur et Merlin en étaient peut-être issus.
N’oublions pas en effet que les chrétiens de la ville d’York ont écrasé le dernier roi païen de la région (Gwenddoleu ap Ceidio) lors de la bataille d’Arthuret/Arfderydd
Et que cette défaite du dernier roi païen de la région en 574 a littéralement scellé la fin d’un monde (en finalisant le triomphe des moines chrétiens dans le pays).
Les romans de la Table Ronde en tout cas, sont issus de la christianisation profonde, mais alors très profonde, d’antiques fragments de mythologie celtique, où les dieu-ou-démons sont devenus de simples héros, l’autre monde un château (du Graal) merveilleux ou mystérieux, et ainsi de suite.
Et si Autre Monde il y a, le Conte du Graal exhibe ses malheurs plus qu’il n’en montre la supériorité sur le monde réel des hommes. En cela, le roman se range donc bien dans la tradition celtique qui imagine des dieu-ou-démons vaincus par les hommes et obligés de leur abandonner la surface de la Terre. Gauvain est un héros solaire, dont la force croît et décroît avec la course de l’astre du jour. C’est donc à midi qu’il est le plus puissant. Il présente ainsi des affinités avec le dieu ou démon Mabon/Maponos/Oengus, mais la christianisation du récit rend difficile une analyse plus poussée de ce personnage. Les écrivains comme Chrétien de Troyes ont oblitéré ou biaisé certains des traits marquants de la théologie celtique initiale, qu’ils ont rapprochée de la conception classique (gréco-latine) du monde des morts. Ce que les habitants de l’Autre Monde arthurien semblent envier à ce monde ci en effet, c’est la vie qui l’anime ; et c’est là une différence notable avec la conception irlandaise de l’autre monde (un dommage collatéral résultant de la christianisation sans doute). Dans les romans de la matière de [Grande] Bretagne, l’Autre Monde est mort. Il est frappé de stérilité (à
151
l’image de la blessure aux jambes du roi pêcheur) et le temps ne s’y écoule plus (comme dans le cas du château des reines). Le passage de l’eau symbolise d’ailleurs cette entrée dans le royaume des morts.
Dans Perceval ou le conte du Graal, cet Autre Monde est un univers marqué par la richesse. Les châteaux sont bien situés, sur des places fortes qu’enrichit la présence de l’eau. Ils ont été bâtis avec des matériaux précieux qui suscitent l’admiration du héros, et les richesses qu’ils contiennent sont encore plus étonnantes *.
« Au milieu de quatre colonnes, devant lui brûle un grand feu. Si grand que quatre cents hommes au moins auraient pu se chauffer autour sans que la place leur manquât. Les hautes et solides colonnes qui soutenaient la cheminée de cette pièce étaient faites d’airain massif ».
Tous les besoins des chevaliers de passage y sont satisfaits : les visiteurs se voient offrir de chauds et précieux manteaux.
« Deux valets ôtent son armure, un troisième prend son cheval, pour lui donner avoine et fourrage ; le dernier lui couvre les épaules d’un manteau d’écarlate flambant neuf ».
« Ce manteau était doublé d’une zibeline plus noire que mûre, et l’étoffe était d’écarlate rouge vermeil ».
« Le lendemain, à son réveil, on fit apprêter pour lui une robe d’hermine et de soie ».
Des repas d’un raffinement et d’une abondance extraordinaire y sont servis.
« Sur ces tréteaux, les valets ont posé une nappe. Que dire de cette nappe ? Jamais légat ni cardinal ni pape ne mangea sur une nappe plus blanche ! Le premier plat est une hanche de cerf, bien poivrée, cuite dans sa graisse. Ils boivent du vin clair et du vin râpeux servi dans des coupes en or. C’est sur un tailloir en argent que le valet tranche la hanche et en dispose les morceaux […] On lui sert à profusion viandes et vins de choix, ceux qui sont d’ordinaire sur la table des rois, des comtes, ou des empereurs.
Quand le repas fut terminé, l’homme retint son hôte à la veillée autour du feu, pendant que les valets apprêtaient les lits. Ils burent ensuite de plusieurs breuvages : vin au piment sans miel ni poivre, bon vin de mûres et clair sirop. Le jeune homme s’émerveilla de tant de bonnes choses qu’il n’avait jamais goûtées ».
« Les écuyers servirent aussi joyeusement ce repas […] deux d’entre eux se tenaient à genoux devant leur sire, l’un taillait les aliments, et l’autre servait à boire. Le repas ne fut pas court ; il dura plus que l’un des jours de la Trinité. La nuit dehors était laide et obscure, et beaucoup de torches furent brûlées avant la fin de ce repas. En mangeant, on parla beaucoup, et l’on dansa force rondes et caroles ».
Ces palais magnifiques ne sont pas fondamentalement différents des châteaux ordinaires, ceux d’Arthur ou celui de Gornemant. Tout y est simplement plus grand, plus précieux, plus beau, plus abondant. Ce sont également des lieux marqués par la merveille. Ainsi, la lumière dans laquelle baigne la grande salle du château du Roi pêcheur, et qui ne peut s’expliquer de façon naturelle, surtout lorsque survient le Graal. Sa blancheur éclatante est un signe celtique du merveilleux.
Deux valets s’en viennent alors, en portant des chandeliers d’or fin œuvré en nielle. Sur chaque chandelier brûlaient au moins dix chandelles. Une très belle demoiselle, mince et bien parée, qui venait avec eux, tenait un Graal entre ses mains. Quand elle pénétra dans la salle avec le Graal, une si grande lumière en sortit que les chandelles perdirent leur clarté, comme les étoiles quand se lève le soleil ou la lune ».
De mystérieuses défenses protègent ces demeures, exemple le château des reines où se rend Gauvain dans la deuxième partie du conte du Graal.
152
« Cinq cents arcs ou arbalètes sont toujours prêts à tirer. Si quelqu’un tentait l’escalade, ces armes ne cesseraient pas de tirer sur lui et elles n’en seraient jamais lasses, car elles sont installées dans ce but […] Un savant expert en astronomie, que la reine y amena un jour, a installé dans ce palais de si merveilleuses machines que jamais vous n’en vîtes de pareilles ».
« Dès que je fus assis, et soyez-assuré que je ne mens pas, les cordes du lit firent un grand bruit et toutes les clochettes se mirent à sonner, à travers le palais !! Aussitôt s’ouvrirent les fenêtres, et des carreaux d’arbalètes ainsi que des flèches en jaillirent ».
Plus de sept cents vinrent donc se ficher dans le bouclier de messire Gauvain sur son bouclier. Il ne savait qui le frappait, car l’enchantement était tel que personne ne pouvait voir de quel endroit venait le tir ni où se cachaient les archers.
Le château du Graal semble d’ailleurs lui-même même surgir assez mystérieusement.
« Il regarde au loin devant lui, mais ne voit rien que ciel et terre […] À peine eut-il ainsi parlé qu’il aperçoit dans un vallon la pointe d’une tour. De ce lieu-ci jusqu’à Beyrouth, on n’eût point trouvé une tour si bien plantée ! »
Enfin, le nautonier précise qu’autour du château des Reines s’étend un vaste espace indéfini, qui est, lui aussi, dans la dépendance du merveilleux.
« Il ne serait pas dans votre intérêt de rester sur ce rivage, car c’est une terre sauvage où se passent des choses étranges ».
La Joie de la Cour, Erec et Énide.
Brandigan le pays d’Evrain et de Mabonagrain, est évidemment l’Autre Monde (le royaume de Bran).
Un autre Monde qui ressemble à un sanctuaire druidique du Ier siècle, analogue à celui de Gournay-sur-Aronde en France. Voir le détail caractéristique des têtes coupées disposées sur sa palissade. Quant à celui qui est évoqué à la fin, il ressemble fort à celui du Val Sans Retour, domaine de Morgane La Fée.
« La cité s’appelle Brandigan… l’île sur laquelle cette ville se dresse s’étend sur plus de quatre lieues et à l’intérieur des murs pousse tout ce dont a besoin une riche cité : on y trouve des fruits du blé ainsi que du vin ; elle ne manque pas non plus de bois ni d’eau. Elle ne craint aucun assaut de quelque côté que ce soit, et rien ne pourrait l’affamer. Le roi Evrain qui l’a fortifiée l’a eue en sa possession toute sa vie paisiblement, et la possèdera ainsi toute sa vie. Mais ce n’est pas de peur de quoi que ce soit qu’il l’a ainsi fortifiée, mais parce que la ville est plus agréable ainsi… Il y a dans cette cité un passage maléfique. J’en ai plus d’une fois entendu parler, cela fait maintenant sept ans ou plus que l’on n’a jamais vu revenir de cette cité un de ceux qui ont tenté l’aventure. Et pourtant de maintes terres y sont venus des chevaliers hardis et courageux. Le nom de l’aventure est très beau à prononcer, mais elle est très difficile à accomplir, car personne ne peut en réchapper. Cette aventure, je vous l’assure, s’appelle la Joie de la Cour ».
Le chevalier qui désire entreprendre cette aventure sera l’invité du roi, et recevra tous les honneurs. Mais le roi lui fait bien comprendre que s’il accepte d’être ainsi hébergé, il devra tenter l’aventure en question, dès le lendemain à l’aube.
« Le roi les conduit hors de la cité fortifiée dans un verger tout proche. Autour du verger, il n’y avait ni mur ni palissade, mais de l’air seulement. Car c’est de l’air qui, de toutes parts, formait comme par magie la clôture de ce jardin, si bien que l’on ne pouvait y pénétrer, sauf en volant par-dessus, comme s’il avait été clos par une muraille de fer. Été comme hiver, il y avait là fleurs et fruits mûrs, mais ces fruits devaient être mangés sur place. Il était interdit de les emporter au-dehors, car qui aurait voulu en
153
sortir un seul jamais n’aurait pu ni revenir à l’entrée ni sortir du verger, sans avoir auparavant remis à sa place le fruit cueilli.
Erec chevauchait, la lance en arrêt, à travers le verger, tout en écoutant avec délice le ramage des oiseaux qui chantaient en ce lieu. Mais voici qu’il aperçut tout d’un coup une chose étonnante, qui aurait pu effrayer les plus hardis des combattants. Devant lui, sur des pieux aigus, étaient plantés des heaumes luisants et clairs, et sous la bordure inférieure de chaque heaume apparaissait une tête d’homme. Mais la rangée se terminait par un pieu où il n’y avait encore rien, si ce n’est un cor ».
Le roi s’adressa au chevalier :
« De ce cor, jamais personne n’a pu en sonner ; mais celui qui en serait capable verrait magnifier son renom et son honneur, et surpasserait ainsi tous les chevaliers de la contrée. Il parviendrait à une telle renommée que tous viendraient lui rendre hommage, et le considéreraient comme le plus valeureux des leurs ».
Le chevalier poursuivit alors le long du sentier, seul et sans aucune compagnie, jusqu’au moment où il découvrit un lit en argent, couvert d’un drap blanc à liséré d’or, à l’ombre d’un sycomore ; et sur le lit, une demoiselle au corps délicat et au visage empreint de toutes les grâces imaginables.
Erec s’en approche, car il veut la voir de plus près.
« Mais voici qu’arrive un chevalier revêtu d’une armure vermeille, un chevalier vraiment très grand, et s’il n’avait pas été d’une taille si inquiétante, il n’y aurait jamais eu sous le ciel plus bel homme que lui. Mais il était plus grand d’un pied, aux dires de tout le monde, que nul autre chevalier connu à ce jour ».
Le géant apostrophe donc le chevalier, en le traitant de fou pour vouloir ainsi approcher sa belle, et le provoque en duel.
Le combat est long et violent, et le géant est finalement vaincu. Mais par cette victoire, le chevalier le libère du charme dont il était prisonnier. Il avait en effet promis à sa bien-aimée de rester avec elle dans ce verger, jusqu’au jour où il serait vaincu par un chevalier assez courageux pour l’affronter. Les amants sont donc du coup libérés tous les deux de cet enchantement, et le chevalier reçoit tous les honneurs.
Le thème a été développé au-delà du raisonnable par les écrivains de la matière de [Grande] Bretagne.
Malgré ses richesses et ses merveilles, l’Autre Monde « gallois » y apparaît surtout comme un monde en attente que seule une quête spirituelle réussie pourrait sortir de sa torpeur. Le château du Graal et le château des reines sont comme symétriques l’un de l’autre. Le premier dirigé par des hommes (le sage roi Pêcheur, infirme, et son père, malade), le second par des femmes (une reine, sa fille, également reine, et la dernière, Clarissant). Les rois du château du Graal, infirmes ou malades, paraissent tout aussi impuissants que les reines, prisonnières de leur palais merveilleux. Tous ne sont entourés que de « valets », terme qui normalement désigne habituellement un jeune garçon, une sorte de page dans l’attente d’être adoubé. Mais quelque chose ne tourne plus rond dans cet Autre Monde, puisque, dans le château des reines notamment, il s’agit de vieillards. Ni dans le château du Graal, ni dans celui des reines, il n’y a de vrais chevaliers pouvant adouber quelqu’un. Les habitants du château des reines, comme ceux du château du Graal, attendent donc un vrai chevalier qui redonnera santé ou vigueur aux rois et à leurs terres, qui adoubera les valets ou mariera les pucelles.
« Tous ceux qui vont et viennent dans le palais attendent un grand miracle qui n’adviendra pas. Ils espèrent l’arrivée d’un chevalier qui les protégera, qui rendra aux dames les honneurs auxquels elles ont droit, donnera aux filles des maris et la chevalerie aux écuyers. Mais la mer sera prise par les glaces avant qu’arrive un chevalier qui serait ainsi : beau, sage et sans convoitise, preux et hardi, franc et loyal, sans vilenie ni aucun mal. S’il nous en arrivait un comme ceci, il pourrait tenir ce château, il rendrait aux dames leurs terres, et mettrait fin à d’interminables guerres. Il marierait les jeunes filles, et adouberait les garçons. Bref, il lèverait définitivement le sort qui a été jeté sur ce palais ».
Ce héros est donc chaque fois attendu comme un sauveur : ce sera en vain pour Perceval, mais avec succès pour Gauvain.
* Les traductions sont données sous toutes réserves, le vieux français n’est pas une langue facile. Le français d’aujourd’hui non plus d’ailleurs. Et en ce qui me concerne, j’avoue bien humblement ne pas maîtriser la langue de Molière aussi bien que je le voudrais. Mon français laisse par moment à désirer, je m’en aperçois surtout quand j’interviens sur certains sites internet.
154
RÉSUMÉ SUCCINCT DE CE QUE PENSE LE DRUIDE CORIN BRAGA
AU SUJET DE LA RELIGION DES CELTES.
Le très-sachant Corin BRAGA est né en 1961 à Baia-Mare (Roumanie), et a soutenu une thèse de doctorat en lettres à l’Université Babes-Bolyai de Cluj en 1997.
L’eschatologie maritime des îles, à l’ouest du monde, renvoie au paradigme du chamanisme de chasse et de pêche (druide Corin Braga toujours). Il s’agit d’une eschatologie remontant au paléolithique et elle met en scène des îles d’éternels vivants placées sous le patronage de la figure divine de Belinos Barinthus Lerigenos (Manannan Mac Lir). Cet autre monde que les Gaëls appelaient Mag Meld (plaine des délices), Tir-na-mBéo (Terre des Vivants), Tir na n-Óg (Terre de jouvence), Tir n-Aill (l’autre terre) ou Tir na mBán (Terre des femmes) ; renvoie au royaume du Roi de la Nature du chamanisme de chasse et de pêche. Le héros qui part en mer pour rejoindre la Dame de l’autre monde rentre dans la typologie du chaman qui épouse la fille du Roi de la Forêt ou du Roi des Eaux. Sa traversée sera construite sur le modèle du voyage initiatique de l’âme/esprit du chaman dans l’au-delà.
Les Indo-Européens de l’âge du bronze par contre, ont apporté l’idée d’un monde construit sur la verticale ; et ont réinterprété les impressionnants tumulus qu’ils trouvaient sur place comme des entrées vers un au-delà situé sous la terre des hommes (sous le Mediomagos).
Destinée toujours à quelques élus, aux héros à pouvoirs magiques, cette quête ne suit plus un parcours horizontal, vers le bout du monde, mais un parcours vertical, vers un autre étage du monde. Le Mag Meld n’est plus situé sur le même plan géographique que la terre des êtres humains (Mediomagos), mais sur un plan parallèle, impliquant la tripartition métaphysique de l’univers en cieux, terre, et monde souterrain.
Les inhumations collectives dans les cairns et les sidhe suggèrent que ces grands monuments funéraires furent initialement conçus comme des villages pour les morts. Les sidhe et les cairns sont alors devenus des nécropoles, reproduisant comme dans un miroir inversé, le monde des vivants de la surface. Les rois tribaux, consorts de la Grande Déesse-ou-Démone, y régnaient en tant que souverains démoniques, c’est-à-dire situés entre les dieu-ou-démons et les hommes, dispensateurs aussi bien de l’ordre dans la société des morts que de la fertilité dans la société des vivants.
Très rapidement, dès l’époque de Hallstatt, a été introduite une importante innovation ; l’idée que les tombes ne sont pas des villages collectifs pour les morts, mais des palais pour des chefs bien particuliers, accompagnés de serviteurs et de femmes, éventuellement. Cette transformation est suggérée par le passage, à la fin de l’âge du bronze, des enterrements collectifs à des enterrements individuels, destinés aux roitelets ainsi qu’aux chefs militaires. Elle témoigne de la constitution d’une structure sociale fortement hiérarchisée, où les rois « intermédiaires entre les dieu-ou-démons et les hommes » de la civilisation d’agriculteurs néolithique, ont été assimilés aux figures des ancêtres des Indo-Européens éleveurs de bétail.
À l’instar des kourganes des peuples des steppes asiatiques, ces nouvelles tombes sont des micro-univers clos, qui reçoivent les héros tutélaires des clans. De « villages pour les morts » recevant tous les défunts, les tertres funéraires sont devenus comme une sorte de « sein d’Abraham » abritant les fondateurs des tribus ou des clans. Une institution héroïque similaire se retrouve dans la Celtica du premier Âge du fer. La civilisation « princière » dite de Hallstatt a fourni aux archéologues de très riches monuments funéraires, destinés aux chefs militaires locaux. Ces tombes n’avaient plus le même faste architectural que les constructions mégalithiques, mais elles témoignent néanmoins, par le mobilier qui accompagnait les défunts, de la croyance en une forme de survie après la mort. C’est probablement à cette époque que l’eschatologie des sidhe et la figure des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), ont pris la forme qu’elles garderont dans les légendes irlandaises. Si les personnalités qui avaient accès aux îles des éternels vivants de Belinos/Barinthus Lerigenos (Manannan Mac Lir) étaient des sortes de héros-chamans, ceux qui entrent dans les sidhe sont les héros ancêtres des clans, les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia). La fête des morts, célébrée le 31 octobre, le jour de Samon, est une survivance de cette eschatologie de l’âge du bronze, qui supposait que les morts, surtout leurs rois intermédiaires entre les hommes et les dieu-ou-démons, restaient en contact avec les vivants. La mythologie irlandaise place à Samon
155
tous les récits qui impliquent une réunion ou un banquet royal ; qui décrivent un conflit avec les puissances de l’autre monde, l’intervention dans les affaires humaines des puissances venues de l’autre monde, ou inversement l’intervention des hommes dans le sidh ; qui mettent en scène, le plus souvent concurremment, avec un banquet, une mort de roi ou de héros, toujours pour les mêmes raisons : ruptures ou violations d’interdits (gessa), mauvaise conduite ou guerre injuste. Cette interaction, parfois violente, entre les morts et les vivants, est pleinement illustrée par la légende connue sous le titre d’« Echtra Nerai » : l’Aventure de Nera. Lors de la fête de Samon, notre héros pénètre dans le sidh de Cruachan, il épouse une femme de l’autre monde et apprend de celle-ci que, dans un an, le peuple du sidh ravagera le Connaught. Nera revient donc prévenir ses compagnons d’armes et, à la Samon suivante, ce sont les vivants au contraire qui ravagent le sidh et pillent ses richesses, inversant ainsi le sens de l’interférence dramatique entre les deux mondes.
La conception classique de l’autre monde : l’Hadès des Grecs, le Shéol de la Bible.
Dans la Grèce des âges sombres ayant suivi la destruction de la civilisation mycénienne par les Doriens, les enterrements majestueux des souverains achéens dans des tombes à « dromos », ont été remplacés par des incinérations suivies de l’inhumation du squelette dans des urnes. Selon le témoignage (bien que tardif de quelques siècles) des épopées homériques, ce changement de rite a été accompagné, sur le plan du mythe, de l’apparition du concept d’Hadès. En comparaison avec les eschatologies précédentes, l’Hadès homérique suppose plusieurs innovations. D’un côté, il est toujours un espace souterrain, au même titre que les demeures tombales des souverains achéens. Cependant, à la différence de ces derniers, il n’est plus un espace isolé, mais un espace général et commun, qui double par-dessous la terre, le monde de la surface. Les tertres funéraires des ancêtres du clan constituaient des alvéoles de l’autre monde isolées entre elles, alors que, dans la vision de type Hadès, ces alvéoles communiquent, et forment un réseau souterrain global.
Une mutation encore plus importante, introduite par le nouveau concept d’Hadès, concerne la condition des morts. Les chefs et les rois tribaux de la civilisation agricole néolithique, aussi bien que les chamans et les grands héros fondateurs des tribus de pasteurs, étaient censés mener, après la mort, une existence intermédiaire entre celle des hommes et des dieu-ou-démons. Leurs tombes étaient des palais dans l’au-delà d’où ils continuaient à influencer la vie des vivants ou celle de la nature en général. La mort supposait une divinisation, une apothéose, le héros accédant à une condition supérieure, presque divine. Cette vision optimiste paraît s’effondrer dramatiquement avec la notion d’Hadès.
L’Hadès homérique n’est plus désormais une demeure de demi-dieu-ou-démons, mais une prison pour ombres menant une vie larvaire. Les morts invoqués par Ulysse, Achille en premier lieu, affirment que l’existence dans l’au-delà n’est en rien enviable par rapport à la vie terrestre, qu’elle implique une déchéance ontologique irréversible.
Ce n’est pas l’idée d’une punition ou torture quelconque qui caractérise cette nouvelle condition des morts, mais tout simplement l’oubli, l’effacement, la disparition. Une fois entrées dans l’Hadès, les âme/esprits perdent la mémoire et la conscience, et ne peuvent plus garder le contact avec les vivants, elles n’arrivent plus à influencer la vie terrestre, ni même à contrôler leur propre existence. Elles sombrent inéluctablement dans une espèce de sommeil et d’oubli de soi. Les portes du royaume des ténèbres se referment à jamais sur les défunts, et aucun espoir de résurrection ou de retour à la vie ne leur est permis. Autant les vivants que les dieu-ou-démons du ciel se détournent des morts, et les abandonnent à l’aiu (éternité) du néant.
Pour étrange que cela puisse paraître, à la même époque une mutation eschatologique homologue affecte aussi le Proche-Orient, avec l’apparition chez les Hébreux du concept de Shéol. Les prêtres de Yahvé enseignent que les morts tombent dans l’oubli des ténèbres, qu’ils disparaissent autant de la face de Dieu (qui est un Dieu des vivants uniquement) que de la face du monde. Le culte des morts, surtout les sacrifices et la nécromancie, est désormais interdit, comme si une censure métaphysique avait forclos le monde d’après la mort. L’eschatologie pessimiste, ou plutôt négative, en creux, du Shéol, caractérisera la religion juive pendant la première moitié du dernier millénaire avant Jésus-Christ (avant l’exil à Babylone).
Dans les croyances sur l’au-delà de tous ces peuples, un silence théologique presque total recouvre le sort des défunts. Les modestes rituels funéraires dont témoignent les fouilles archéologiques suggèrent que les âme/esprits n’avaient plus un grand rôle à jouer, ni dans le monde des vivants ni dans l’autre monde. Le voile d’une eschatologie négative paraît être tombé sur l’imaginaire mortuaire exubérant des civilisations antérieures, mettant ainsi une sourdine aux espérances en l’au-delà.
Corin BRAGA est né en 1961 à Baia-Mare (Roumanie), et a soutenu une thèse de doctorat en lettres à l’Université Babes-Bolyai de Cluj en 1997.
156
Notes.
Le chamanisme de chasse.
Né chez les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, le chamanisme de chasse avait pour but de répondre aux besoins essentiels de cette époque : trouver du gibier. On croit que les animaux sont animés par des esprits. Le chaman les rejoint dans le monde non sensible de la « surnature ». Dans ce dessein il doit lui-même se transformer en animal et épouser la fille de l’esprit « donneur de gibier » (le roi de la forêt), qui lui servira de guide. Cet esprit a souvent la forme d’un cerf.
Le chamanisme de la pêche.
Même chose. Né chez les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, le chamanisme de la pêche avait pour but de répondre aux besoins essentiels de cette époque : trouver du poisson en quantité suffisante. On croit que les animaux sont animés par des esprits. Le chaman les rejoint dans le monde non sensible de la « surnature ». Dans ce dessein il doit lui-même se transformer en animal et épouser la fille de l’esprit « donneur de poisson » (le roi des eaux), qui lui servira de guide.
Les chasseurs-cueilleurs du paléolithique percevaient les saumons comme des êtres immortels qui se sacrifiaient volontairement au profit des êtres humains. Il était important de ne pas les offenser sinon ils pouvaient ne pas revenir l’année suivante. Les chamans de la pêche encourageaient le saumon par des chants et des cérémonies lorsque les migrations de frai tardaient à se manifester.
Le chamanisme d’élevage.
Le passage au néolithique, avec l’introduction de l’élevage et l’invention de l’agriculture, provoque une importante mutation du chamanisme. La survie de la communauté ne dépend alors plus des esprits des animaux, mais d’esprits à caractère humain, notamment de ceux des ancêtres. Le monde des esprits, auparavant cantonné à la forêt, s’étire vers le haut et le bas, vers ce qui deviendra le Ciel et l’Enfer. Ce monde non phénoménal est souvent perçu comme étant une échelle à barreaux ou encore parfois un arbre, avec ses branches et ses racines. Le chaman est celui qui a la capacité de monter et descendre le long de ces différents niveaux de réalité, vers le Ciel ou les Enfers, de rencontrer des entités des mondes supérieurs et inférieurs (des esprits, par exemple) et de ramener de son voyage : conseils, soins et pouvoirs « magiques », extension de conscience, etc.
157
REMARQUES DIVERSES SUR L’AUTRE MONDE.
L’au-delà druidique est donc un séjour des morts, mais aussi un séjour des dieux (sedodumnon). Un peu comme le paradis chrétien où l’on peut voir Dieu les anges et les âmes des justes ou bienheureux. À une énorme différence près : il n’y a ni enfer ni purgatoire. On se demande donc bien d’où peuvent venir ceux que l’on trouve abondamment décrits dans les aislingi ou visions chrétiennes comme celle d’Adomnan, la plus célèbre.
L’Autre Monde irlandais tel qu’il nous est décrit reste celui d’une aristocratie guerrière. Il n’a pas de « producteurs » et il n’a pas davantage de druides parce qu’il n’en a pas besoin pour se gouverner correctement. Il n’y a ni hiérarchie ni subordination d’aucune sorte, il n’y a aucun service public. L’état de perfection théorique ne nécessite l’existence d’aucune industrie, d’aucun élevage du bétail, ni d’aucune agriculture ; et le druide lui-même est un inutile dans la société idéale du side.
La messagère qui en parle est toujours « jeune et belle ». Elle a aussi des « vêtements étranges », mais il n’est rien dit de plus sur elle, sauf sur ses origines qui sont celles de l’Autre Monde, appelé par elle « Plaine des Plaisirs » (Mag Meld). Elle définit d’ailleurs très simplement cet Autre Monde comme un lieu de paix – ce qui est du reste le sens du mot side – et de festins éternels (leur nature n’est pas précisée). Les gens qui vivent là ne sont sujets ni à la mort, ni à la maladie, ni à la décrépitude de la vieillesse, et ils ne savent pas ce que c’est que le péché. Tel est le sort qu’elle promet par exemple à Condle le fils du roi Conn, dans la légende gaélique relatant ses aventures : il gardera éternellement la jeunesse et la beauté physique qui sont les siennes. L’ange nomme incidemment le roi de ce pays merveilleux, Boadach le « Victorieux ». Mais par ailleurs, il est spécifié que les habitants de ce pays sont toujours des femmes, et nous avons vu plus haut pourquoi elles ne viennent chercher que des jeunes hommes d’un rang social élevé, rois, fils de roi ou guerriers… L’univers parallèle de nature paradisiaque selon les très-sachants de la druidiaction (druidecht) est à l’image de l’épopée guerrière. À l’en croire, cet Autre Monde n’est peuplé que de reines et de jolies filles expressément destinées à faire le bonheur simple, mais voluptueux de quelques êtres humains (rois ou guerriers de haut rang, dignes d’avoir été choisis). On se croirait au paradis selon l’islam !
Force nous est donc de conclure que la description qui nous en est ainsi proposée n’est pas complète et ne peut en aucun cas correspondre à une théologie druidique élaborée. Car il faut se poser la question du destin posthume des druides et des artisans. Ils ont besoin, eux aussi, logiquement, d’une destination pour leur ultime voyage, ou d’un devenir post mortem. D’autres croyances du même ordre devaient donc concerner les druides, les paysans, ou certains artisans. Chacune de ces catégories d’hommes, suivant son appartenance sociale, étant appelée à un destin funéraire particulier, celui qu’exigeait le salut de son âme.
Sur le destin posthume des autres êtres humains, ceux n’appartenant nullement à la classe guerrière ou royale, il existe le témoignage de Plutarque. Car s’il n’y a pas de druides dans les navigations irlandaises christianisées, il ne manque pas de sages et de philosophes chez cet auteur (les Hyperboréens de la tradition littéraire grecque ne peuvent avoir été que des Celtes).
La terre de Mag Meld est une île lointaine de la mer vers l’ouest. Trois autres îles, aussi éloignées de cette île qu’elles le sont entre elles, sont situées en avant, tout à fait au nord-ouest.
« À cinq jours au large de la [Grande] Bretagne en naviguant vers l’ouest, il y a aussi une île. Et trois autres, à égale distance de cette dernière, mais aussi de chacune des autres, sont situées au-delà en allant dans la direction du couchant d’été. Dans l’une d’entre elles, d’après les histoires racontées par les barbares du pays, Cronos (sic) est retenu prisonnier par Zeus (resic), mais, flanqué d’un fils [Briarée ?] comme geôlier, on lui a laissé la souveraineté sur ces îles et de cette mer, qu’ils appellent golfe cronien [et que l’on appelle donc Morimarusa en celte. N.D.L.R.]
Ils ajoutent que le grand continent, par lequel cet océan est entouré, bien que situé un peu moins loin des autres îles, est à environ cinq mille stades d’Ogygie ; le voyage devant se faire à la rame, car la mer est difficile à traverser
[Il s’agit donc de la fameuse Morimarusa de l’ancien druidisme. Certains y voient la Mer des sargasses et font de ce mystérieux continent : l’Amérique ! N.D.L.R.] Quand après avoir accompli une révolution de trente ans, l’étoile de Cronos que nous appelons Phénon, mais eux, dit notre auteur,
158
Nycturus, entre dans le signe du Taureau ; après s’être longuement préparés à ce sacrifice et à cette traversée, ils choisissent par tirage au sort [les victimes de ce sacrifice humain sans aucun doute ou plus exactement leurs âme/esprits. N.D.L.R.] et font partir là-bas un nombre suffisant d’envoyés, sur la quantité de navires qu’il faut, en prenant à bord tous les compagnons et toutes les provisions nécessaires à des hommes qui vont traverser tant de mer à la rame, et vivre si longtemps sur une terre étrangère […] ceux qui survivent à cette traversée abordent en premier les îles opposées […] le soleil y disparaît pendant moins d’une heure, et ce pendant trente jours, telle est la durée de leur nuit là-bas ; mais il y règne une obscurité peu profonde, comme une sorte de crépuscule miroitant à l’ouest. Là ils passent quatre-vingt-dix jours considérés avec honneur et amitié comme des saints, et bien traités ; ensuite les vents les ramènent dans leur île [ramènent ceux qui doivent se réincarner sur terre, vu le poids de leur bran, autrement dit les bacucei. N.D.L.R. Les bacucei ou les seibaroi = fantômes (siabair/siabhradh en irlandais) sortis tout droit du royaume de Tethra voire de Donn. Cf au Pays de Galles les contes populaires nous parlant d’Andumno, Anwn en gallois, et de ses deux souverains, Arawn et Gwynn. Mais tout cela est peu vraisemblable et quelque peu contradictoire, comme beaucoup des récits de Plutarque d’ailleurs].
La plupart d’entre eux choisissent habituellement de rester, certains à cause des habitudes qu’ils y ont contractées, d’autres parce qu’ils ont tout en abondance, sans labeur ni contrariété, alors qu’ils emploient toutes leurs journées en sacrifices et en célébrations, ou à discourir sur divers sujets ainsi qu’à philosopher [donc parachèvent leur purification ? ? ?] ; car la nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité [le bouddha régnant sur cette île ??], qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [les dieux sans aucun doute. N.D.L.R.] se manifester. Cronos lui-même dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or [le Graal ??? Souvent comparé à une émeraude aux facettes chatoyantes. N.D.L.R.] – le sommeil étant le seul moyen que Zeus a trouvé pour lui servir de lien – et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie [des anges ou des femmes oiseau messagères de l’autre monde sans doute. N.D.L.R.]. Toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos, ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps où il régnait sur les dieux et les hommes [donc du temps de l’Hyperborée dans ce cas. N.D.L.R.]. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles, mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves (Plutarque. De facie in orbe Lunae, 26).
Que les Grecs n’aient pas tout compris, ou qu’ils aient interprété parfois, si ce n’est le plus souvent, au pied de la lettre, ce qu’ils entendaient, cela ne change rien à notre constatation, car le principe est identique. Toutes ces îles sont à l’ouest (voir la Terre pure appelée Sukhavati dans le bouddhisme amidiste) et au nord du monde, ce qui, dans l’orientation celtique, nous donne toujours la même direction.
Mais les dieu-ou-démons et les maîtres, dans les récits, se chargeaient de traits mystérieux et mythiques. Leur insularité déjà en était une raison suffisante. Les Grecs, eux, ont pris tout le fantastique pour argent comptant, sans qu’aucun, chose curieuse, ne semble avoir pensé à le comparer au thème mythologique des Îles Fortunées de la légende grecque elle-même. Le dieu-ou-démon qui gouverne ces îles ou y réside, est de toute façon un personnage redoutable, même endormi : Kronos, en interprétation grecque, Saturne pour les Romains, est le dieu-ou-démon des morts, le père de tous les vivants.
Les filid irlandais s’avéraient prodigues, plus encore que les conteurs bretons, de telles descriptions de l’Autre Monde, durant les longues veillées royales ou princières de la saison d’hiver. Elles jettent une lumière nette sur des conceptions originales, dont les éléments essentiels invariables se retrouvent dans toutes les sources.
Ce témoignage de Plutarque bien que de seconde main est néanmoins intéressant à plus d’un titre, car il est très révélateur des différentes conceptions druidiques sur la nature métaphysique réelle selon eux, de l’Au-delà.
159
Il est difficile de dire quels sont les dieu-ou-démons celtiques cachés sous les noms de Zeus (Jupiter) et de Kronos (Saturne), « dont les prophéties portent sur les plus grands sujets ».
Quant aux « daïmones » en grec (mot à mot « esprits »), qui sont improprement traduits par « démons », il faut probablement y voir des dieux subalternes, vassoi casses, tenant lieu de cour au dieu-ou-démon majeur ainsi captif de son « fils ».
« Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels » (Plutarque. De Defectu oraculorum 18).
L’image de la flamme de lampe qui s’éteint, a été utilisée par les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ; pour nous faire comprendre que le mode d’être de celui qui est parvenu, par la mort, à la délivrance définitive est un état insondable, insaisissable ; même si l’on peut néanmoins le supposer ou qualifier quand même de meldus (bienheureux ou délicieux, à vivre).
L’image de la flamme qui s’éteint est en elle-même parlante. Voir la conception brahmanique du feu qui ne disparaît pas dans le néant quand il s’éteint, mais qui devient simplement insaisissable, en montant au ciel sous forme de fumée.
Certains très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont poussé à l’extrême leur raisonnement en insistant sur le fait que cet autre monde parallèle de nature paradisiaque, n’est pas matériel (trésors, végétation luxuriante) ; mais plutôt composé de justice et de paix puisque telle est la signification du terme gaélique sidh (cf. le gallois heddwch) que je ne peux pour ma part m’empêcher de rapprocher du terme d’origine latine « sédatif ».
Un lieu possédant une longueur, une largeur et une hauteur, ce que l’âme ne possède pas, ne saurait en effet renfermer des âmes. Mais il ne faut pas oublier que les âme/esprits des défunts possèdent quand même toujours un corps, analogue au xvarnah des Perses (vieux celtique bellissama/bellissamos), après leur réincarnation en cet autre monde.
160
LA RÉSURRECTION-IDÉALISATION DES CORPS (vieux celtique bellissama/bellisamos).
Le texte capital en ce domaine est celui de Lucain (Pharsale 1, 454-458).
« Umbrae non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi pallida regna petunt : regit idem spiritus artus orbe alio ; longae (canitis si cognita) vitae mors media est ».
« Les ombres des morts ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe ni les pâles royaumes de la mort ; une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres dans un autre monde [en latin orbe alio] et la mort n’est que le milieu d’une longue vie, si vous savez ce que vous chantez ».
Le sens exact du mot utilisé par Lucain pour évoquer cet autre monde (orbis, orbe alio) et le phénomène en question (regit idem spiritus artus) ; excluent formellement toute notion de vie uniquement spirituelle ou totalement désincarnée, après la mort (comme chez les chrétiens par exemple).
Le mot orbis (orbe alio) dans le latin de cette époque, a un sens très terrestre et très matériel même. Il s’agit d’ailleurs seulement, selon Salomon Reinach, d’un prolongement de la vie terrestre et sublunaire, dans une autre partie du monde.
Conclusion. Il y a…
— Ni absence de corps (pas d’ombre, ou de pâle royaume de Dis, écrit explicitement Lucain). « Regit idem spiritus artus »… On voit mal comment cela ferait allusion à une existence incorporelle. L’âme/esprit réapparaît dans un autre monde ou une autre partie du monde, mais toujours unie à un corps.
— Mais ni corps exactement identique au corps défunt non plus.
— un autre corps. Sans doute quelque peu analogue à celui des dieu-ou-démons, doté d’immortalité, d’éternelle jeunesse, etc. En bref un corps sublimé, régénéré, glorieux, lumineux (xvarnah dans le zoroastrisme, vieux celtique bellissama/bellissamos), mais un corps tout de même !
Préternaturel diraient les chrétiens.
N.B. L’idée que la réalisation spirituelle immédiate ou eschatologique implique, non la négation, mais la résurrection de la chair, est également partagée en effet, avec des nuances diverses, par la tradition zoroastrienne. Le refus du corps, du manichéisme * ou du christianisme, apparaît en fait comme le refus inconscient d’admettre cette supériorité de l’Homme sur les dieu-ou-démons, pourtant indiscutable à certains points de vue. Voir la défaite des dieu-ou-démons devant les hommes, lors de la bataille pour la Talantio – Tailtiu en gaélique, déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, de la campagne cultivée, personnifiée par Rosemartha sur le Continent – une guerre dite aussi 3e bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli.
Si l’on en croit les différentes légendes à ce sujet, la réincarnation dans l’autre monde a lieu peu de temps après le décès. Sans doute après un plus ou moins long séjour dans l’antichambre de la mort définitive.
* Le manichéisme est d’ailleurs une variante du christianisme originel, Mani ayant commencé par être chrétien.
!------ --------------- ----------------------------- !
Pausanias. Description de l’Hellade. X. Phociques. XXI, 6 -7.
«… Après cette bataille aux Thermopyles les Hellènes enterrèrent leurs propres morts et dépouillèrent les cadavres des Barbares, mais les Galates, eux, n’envoyèrent aucun héraut pour demander qu’on les laisse enlever leurs corps, et ils ne se préoccupèrent guère que la terre les reçoive, ou qu’ils soient dévorés par les bêtes sauvages, voire les oiseaux charognards. Il y avait à mon avis deux raisons qui faisaient qu’ils étaient indifférents à la sépulture de leurs morts : ils désiraient semer la terreur chez
161
leurs ennemis, mais également suivre leur coutume de n’avoir aucun sentiment pour ceux qui s’en étaient allés. Lors de cette bataille, quarante des Hellènes tombèrent. Les pertes des Barbares, elles, sont impossibles à estimer, car le nombre de ceux qui disparurent dans la boue fut très élevé ».
Pausanias n’a évidemment rien compris à l’attitude des Celtes face à la mort de leurs guerriers sur le champ de bataille et à leurs idées similaires à celle de xvarnah (vieux celtique bellissama/bellisamos) en ce qui concerne le devenir du corps de tels défunts. Car il est manifeste en l’occurrence que les druides [dikastes] avaient chez ces Galates déplacé le souci du corps, mort ou vif, de ce monde à celui de son devenir dans l’au-delà.
« Nos ennemis doivent d’autant moins nous insulter au sujet des corps des guerriers [galates ou celtibères] laissés sans sépulture, écrit Jean-Pierre Martin, que les chairs et les membres de ces corps seront reconstitués intégralement. Non seulement avec les restes qui seront dans la terre, mais encore avec les éléments qui auront été dispersés dans les replis les plus retirés d’autres organismes ; et que cette reconstitution se fera en un clin d’œil, comme les très-sachants de la druidiaction (druidecht) nous l’ont promis par le truchement de leurs mythes à ce sujet, dès l’arrivée de l’âme/esprit (anaon) à Mag Meld. Après la mort, chacun retrouvera l’exacte intégrité de son corps – chaque cheveu de notre tête sera compté – restauré s’il fut blessé ou amputé, harmonisé s’il fut difforme ».
Harmonisé s’il fut difforme… Nous sommes là très proches de l’idée de xvarnah du Zoroastrisme. En voici d’ailleurs la définition. La religion de la Perse ancienne parle d’une Lumière de gloire, la Xvarnah (vieux celtique bellissama/bellissamos), qui est une énergie à l’œuvre depuis l’instant initial de la Création selon cette conception du monde et qui perdurera jusqu’à l’acte final de la transfiguration du monde. Cette lumière est d’ailleurs la substance qui constitue Ahoura Mazda, l’être suprême. L’iconographie la représente comme un nimbe lumineux, une aura glorieuse. Cette gloire est la Terre idéale, la mère du monde, Spenta Armaiti. Elle intervient dans la relation entre l’âme et le Divin, qui s’opère dans un monde intermédiaire entre le monde de la matière et celui du pur esprit : le mundus imaginalis (ou monde imaginal des soufis). Ce monde est celui où les formes sensibles s’immatérialisent et où les intelligences pures prennent une corporéité spirituelle. Sur ce plan imaginal, la Terre est d’ailleurs perçue elle aussi comme un ange ou une déesse, Spenta Armaiti.
Mais cette notion existe aussi dans le néoplatonisme, chez Proclus, qui parle de l’okhêma supérieur, un corps lumineux qui est le corps dans lequel Dieu-ou-Diable a placé l’âme à son origine, et qu’elle conservera au-delà de la mort ; contrairement à l’okhêma inférieur, l’okhêma pneumatikon, un véhicule pneumatique (de pneuma souffle), qui disparaît peu après la mort (appelé périsprit par le druide Allan Kardec).
Car il va de soi que les corps de ces bienheureux habitant la terre pure de l’autre monde parallèle et paradisiaque de la tradition druidique ne sont plus comme ceux d’ici-bas. C’est le moins que l’on puisse déduire de toutes ces légendes concernant l’au-delà celtique. Les corps des bienheureux habitant la terre pure de l’autre monde parallèle et paradisiaque de la tradition druidique… ne sont plus comme ceux d’ici-bas.
Ces corps continuent d’exister, mais d’une autre façon, sur un mode différent. Très ancienne conception métaphysique aryenne, que l’on retrouve bien exprimée encore, par exemple, dans l’œuvre du grand penseur musulman Sohraouardi. Sohraouardi affirme que toute âme qui le veut, peut s’élever jusqu’à cette Lumière.
Nous ne nous étendrons pas ici sur le mouvement des ishraqiyoun fondé par Sohraouardi si ce n’est pour dire qu’il nous semble correspondre à celui des awenyddion au Pays de Galles. Les awenyddion ce sont en quelque sorte les ishraqiyoun de l’extrême Occident. Et nous en viendrons directement au concept de mundus imaginalis cher à Sohraouardi en soulignant bien que, vu l’influence qu’a exercé sur lui le monde perse antique (Sohrawardi fut exécuté pour hérésie par Saladin en 1191 à Alep) NOUS SOMMES LÀ TRÈS LOIN DE L’ISLAM AU SENS STRICT ET CLASSIQUE DU TERME (LE SUNNISME).
Ce mundus imaginalis est désigné comme étant le huitième climat, la Hûrqalyâ. Il est situé au-dessus des sept climats ou mondes, perceptibles par nos sens. Dans cette perspective, l’acquisition du corps de gloire revêt de xvarnah est présentée comme une participation à l’éclosion de la Terre céleste,
162
c’est-à-dire à la transfiguration de la Création. Dans un tel processus, l’âme/esprit conserve un corps après la mort, une chair spirituelle, son corps de résurrection (un corps idéal), qui est participation à la vie d’Ahoura Mazda, la Lumière de gloire (xvarnah).
Cette notion de Xvarnah ou de corps glorieux (vieux celtique bellissama/bellissamos) a eu des prolongements étonnants. Certains chercheurs ont rapproché ses formes de manifestation d’avec celles du Saint-Graal dans les traditions occidentales. Le motif du Graal, ou coupe mystique miroir du monde, figure donc dans la geste héroïque de l’ancien Iran, et il est présent dans l’œuvre de Sohraouardi, où il symbolise le passage de la geste héroïque à l’épopée mystique.
Ainsi que nous avons pu le voir, c’est uniquement l’être central (l’âme) qui selon Sohraouardi, se réincarne dans l’autre monde, non sa personnalité extérieure (l’esprit), qui est seulement un moule provisoire. Contrairement au druidisme pour qui c’est le binôme (anaon) formé par les deux toujours étroitement unis (âme et esprit) qui se réincarne dans l’autre monde.
Il s’agit, bien entendu, dans ce cas, d’une corporéité subtile, dégagée de toutes ténèbres, mais telle cependant qu’elle caractérise une Terre de lumière, correspondant à notre cosmos enténébré. Cette idée de Terre de lumière était déjà présente dans la théologie zoroastrienne, mais Sohraouardi la transforme, puisqu’il fait du mundus imaginalis le degré inférieur du monde de l’âme. Dès lors, toute la philosophie mystique iranienne sera déterminée par cette ouverture sur une corporéité spirituelle, qui permettra, tout à la fois, de justifier l’arrachement à ce monde ci, et la célébration de la beauté physique, de l’amour ainsi que du désir. Le mundus imaginalis n’est pas seulement le monde des formes de lumière, il est aussi celui de la résurrection ou idéalisation des corps. Le plus grand commentateur de Sohraouardi, Molla Sadra Shirazi (XVIIe siècle), précisera aussi que chacun d’entre nous, sa vie durant, façonne par ses actes son corps de résurrection. C’est lui, fait de beauté ou de laideur selon nos désirs, qui sera, dans le mundus imaginalis, notre paradis ou notre enfer. Telle était du moins l’opinion de Molla Sadra sur la question (il était lui aussi probablement trop influencé par l’islam).
Mais afin qu’aucun doute ne subsiste sur le sujet, profitons de l’occasion pour rappeler que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques ne croyaient pas en l’existence d’un quelconque enfer. Ils ne croyaient pas qu’une âme/esprit puisse un jour vivre et pour l’éternité comme une larve dans un univers lugubre et malheureux, analogue à celui des mânes de la religion romaine, à l’Hadès des Grecs ou au Shéol de la Bible.
Les scholies bernoises commentant le livre de Lucain ayant pour titre la Pharsale ou « la guerre civile » sont en effet fort claires à ce sujet.
COMMENTA BERNENSIA AD LUCANUM.
Vers 451.
Driadae negant interire animas aut contagione inferorum adfici.
Les druides nient que les âmes puissent mourir ou aller en enfer ou en être affectées.
Le point N° 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743 sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer cette idée) va d’ailleurs clairement dans ce sens. Il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
Et en 851, Jean Scot Érigène a aussi noté dans son « De la prédestination divine » : Dieu n’a prévu ni peines ni péchés, ce sont des fictions. Pour Érigène également, par conséquent, l’enfer n’existe pas, ou alors il l’appelle le remords.
Mais cela nous l’avons déjà dit !
Insistons par contre sur le fait que cet état (âme/esprit et corps idéal) est lui-même provisoire, et nullement destiné à durer éternellement ; mais que le retour de l’âme au Grand Tout (Pariollon) se fait en général après un plus ou moins long séjour dans l’autre monde paradisiaque des morts et des dieu-ou-démons.
163
DE QUELQUES AUTRES MONDES PARALLÈLES DANS LE DRUIDISME OU
LES DIFFÉRENTES ANTICHAMBRES DU PARADIS.
L’autre monde est en réalité composé de quatre types de mondes différents. Celui des dieu-ou-démons, celui des défunts ordinaires, celui des grands initiés, celui des âme/esprits qui, à cause de leur poids de bran dans les soutes, et du fait qu’elles n’ont pas su reconnaître à temps les divinités psychopompes comme Épona venues les aider, n’ont rencontré que des divinités celtiques courroucées, donc n’ont pu atteindre une vitesse de libération suffisante, et le résultat de cette impitoyable loi (méta) physique (de la bacuceaction), qui est une loi d’airain auxiliaire du Destin, a fait qu’ils se sont réincarnés sur terre (très très peu de personnes sont d’ailleurs concernées par un tel phénomène de ratage, d’où la compassion infinie des vrais très-sachants de la druidiaction envers les faiblesses humaines). Mais au fil du temps et si l’on se rapporte à notre Humanité tout entière, cela peut finir par concerner beaucoup d’individus.
Ainsi que nous avons pu le voir, il existe, selon les très-sachants appelés druides, une infinité de mondes parallèles dans l’univers, et la porte de certains d’entre eux, du moins des plus connus, était située en Irlande.
Tout le monde connaît le tumulus de Newgrange appelé Brug na Boinne dans la mythologie gaélique. Mais outre ce side, il existait aussi le side de Bri Leith, le side de Femen, le side Nennta, Cleitech, etc., etc. chacun étant le domaine d’un dieu-ou-démon particulier. Medros/Midir à Bri Leith, par exemple. Il en existait beaucoup ! Et si l’on ajoute ceux qui sont situés hors d’Irlande (exemple celui de Hochmichele, en Allemagne, où l’on a carrément trouvé sur place un sanctuaire de type Viereckschanze) ; on peut presque parler d’une infinité de sidhe dans la mythologie celtique.
Chaque sid ou brug d’un de ces dieu-ou-démons ou entités divines apparentées, correspond à un univers parallèle, et il est dit terre ou royaume de ce dieu-ou-démon parce qu’il représente la sphère d’influence de cette entité supra-humaine ; qui est donc responsable du développement de tous les êtres vivants qu’il abrite. Ne prenons pas ceci trop au pied de la lettre ! Disons simplement que ce sont des images poétiques, mais la première chose que nous devons réaliser, que nous devons prendre en compte, nous autres hommes d’aujourd’hui, c’est que le druidisme traditionnel voit l’espace comme étant infini. Et il voit cet espace infini occupé par des mondes, ou des systèmes de mondes, eux-mêmes infinis. Ceci évidemment est à relier au fait que le druidisme reconnaît non seulement une infinité de sides, mais aussi une infinité de dieu-ou-démons. Ou tout au moins, si cela semble par trop outrancier, disons une pluralité de dieu-ou-démons, et de sides, ou mondes parallèles, encore que…
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau.
VIEUX PROVERBE DRUIDIQUE : LES VOIES D’ACCÈS À L’AUTRE MONDE DE TYPE PARADISIAQUE SONT INNOMBRABLES (AUTANT QUE DE LIEUX OÙ L’ON MEURT), MAIS LES PORTES DE SORTIE EN SONT RARISSIMES ET SE COMPTENT PRESQUE SUR LES DOIGTS D’UNE MAIN.
ABLACH (EMAIN ABLACH). Emain est un terme irlandais signifiant « île » dans ce contexte. Ablach vient de pommes pommiers. Cet autre monde parallèle de nature paradisiaque est évoqué dans le récit gaélique irlandais intitulé immram Brain Maic Febail ocus a echtra andso sis (La navigation de Bran, fils de Febal et ses aventures ci-après). Il est appelé Ynis Afallach en gallois, autrement dit la pommeraie. C’est le nom d’un séjour mythique, où reposent les rois ainsi que les grands héros défunts. Il s’agit peut-être d’un équivalent de l’île d’Avallon. À moins qu’il ne s’agisse d’une des îles de l’ambre.
Cette île, appelée Abalon ou Abalcia, reçut en effet des Romains le nom de Glessaria, précisément à cause de l’ambre qu’ils y récoltèrent.
164
Pline, Histoire naturelle, livre XXXVII, 11. « Sotacus pense que l’ambre en [Grande] Bretagne exsude de certaines pierres, auxquelles il donne le nom « d’électrides ». Pythéas dit que les Gutons, un peuple de Germanie, habitent les rivages d’un estuaire de l’Océan appelé Mentonomon, que leur territoire s’étend sur une distance de six mille stades et que, à une journée de navigation il y a l’île d’Abalum, sur les côtes de laquelle l’ambre est rejeté par les vagues au printemps, cet ambre étant une excrétion de la mer sous forme solide ; que les habitants se servent de cet ambre comme bois de chauffage, et le vendent à leurs voisins les Teutons. Timée est aussi de cet avis, mais a donné à cette île le nom de Basiléa ».
La célèbre inscription trouvée à Autun en 1844,
Licnos Contextos ieuru Anvalonnacu canecosedlon (Licnos Contextos a consacré ce trône à Anvalonnacos)
est peut-être à mettre en rapport avec le maître de cette mystérieuse île. Mais rien n’est moins sûr, certains linguistes décomposant le nom du dieu en question en an-valos = sans maître.
Ce qui est certain, en tout cas c’est que cet Abellio/Abelio ou Afallac peut-être Anvalonnacos, est un dieu-ou-démon solitaire : on ne lui connaît ni compagne ni compagnon. César n’a pas connu son nom. Nombreuses inscriptions le concernant néanmoins, trouvées dans la haute vallée de la Garonne dans les Pyrénées. Avec assez de vraisemblance, Dyfed Lloyd Evans suggère que le nom d’Abello se trouve en relation avec la pomme, et qu’il s’agirait d’un dieu-ou-démon du type « Seigneur de l’été », associé à la maturité des fruits. Abalo signifiant « la pomme » et aballo « le pommier ». Il est donc possible de le considérer comme le Seigneur de l’île d’Avallon, dont on sait que le nom signifie « la pommeraie », par conséquent d’en faire un des nombreux rois de l’autre monde des dieu-ou-démons celtes. Abellio, dieu-ou-démon des pommeraies, serait un dieu-ou-démon de l’harmonie au sens large et apollinien du terme, apparenté avec Afallach (le père de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, galloise, appelée Modron, selon les légendes de ce pays).
Plus inquiétant maintenant, ou moins drôle…
LE ROYAUME DE TETHRA.
Il s’agit là d’un cas qui nous laisse très perplexes. Il y a en effet une totale contradiction entre certaines légendes irlandaises, qui en font un univers parallèle incontestablement et sans aucune hésitation, de nature paradisiaque (à l’instar de Mag Meld) ; et la personnalité de son souverain, qui nous est présenté comme un être diabolique par de nombreux autres récits, toujours en provenance d’Irlande. Mais c’est sans doute là un effet de la christianisation.
Dans le conte intitulé en gaélique Echtra Condla Chaim meic Cuind Chétchathaig, on peut lire en effet la phrase suivante. « Totchurethar bíi bithbi at gérat do daínib Tethrach ardotchiat cach dia i ndálaib t’athardai eter du gnathu inmaini » : « Les vivants, les immortels, t’appellent et t’invitent parmi les hommes de Tethra, etc. ».
Les hommes de Tethra sont sans doute les morts. Mais le récit de la bataille de la plaine aux tumuli mentionne aussi un roi des Andernas ou Fomores portant ce nom ; et l’on croyait bien à l’époque que ce peuple vivait sous la mer. C’est d’ailleurs pourquoi l’expression « la maison de Tethra » désigne aussi la mer en gaélique. Or puisque Tethra est assimilé au Seigneur de Mag MeId dans ce récit, certains auteurs supposent que ce fut lui le véritable souverain du royaume des morts au sens druidique du terme, très différent de son acception classique ou gréco-latine, voire moyen-orientale. Des « Champs Élysées » que l’on situait loin par delà les mers, peut-être même au fond de l’Océan. Ce qui est en complète contradiction avec son rôle en tant que prince des Andernas ou Fomores.
! ----------------------------------------------------------- !
165
Il faut rajouter aussi à cette liste des différentes façons d’être, un plan d’existence bien particulier, qui est une sorte de purgatoire ou d’enfer glacé temporaire.
Cet autre « monde » a aussi son « divin » : les différentes entités ou forces souterraines appelées diables ou démons dans les autres religions comme le judéo-christianisme ; mais que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) préféraient tout simplement appeler sous-dieux ou dieux inférieurs (an-dee par exemple, en gaélique).
Il existe en effet dans la littérature celtique quelques autres royaumes au-delà de la mort, moins connus, et qui semblent n’être que des lieux de passage transitoires avant une éventuelle réincarnation sur la terre. Les âmes/esprits désincarnées peuvent donc aussi séjourner un certain temps dans l’antichambre du royaume des morts où règne un autre dieu-ou-démon. La légende précise, par exemple, que ceux qui meurent à Donno Tegia (Tech Duinn) se retrouvent de nouveau dans notre monde. Le premier d’entre ces royaumes des morts, moins connu, est incontestablement l’andubno appelé Annwn, Annwfn ou Annwyn, autrement dit l’abîme en gallois.
L’ANDUMNO/ANNWN.
Au Pays de Galles, cet autre monde est associé au thème de la chasse sauvage, et il existe de nombreuses légendes évoquant les chiens d’Annwn (Cwn Annwn) ou chiens des mères (Cwn Mamau). On les entend passer, en aboyant dans l’air, à la poursuite de leur proie.
L’Annwn, dans les contes médiévaux, est présenté comme un royaume des âme/esprits des trépassés. Selon certaines versions de la légende, il se situe très loin à l’ouest, si loin que Manawyddan Fab Llyr ne l’a pas trouvé, donc que l’on ne peut l’atteindre que par la mort. D’autres sources prétendent que l’entrée se situe sur l’île de Lundy, dans l’estuaire de la Severn ou, un peu plus au sud, vers Glastonbury.
Mais il va de soi qu’il existe autant de sorties de l’antichambre du Paradis que de traditions ou de peuples, et que leurs localisations ne sont que des conventions humaines, propres à telle ou telle époque.
Dans le Livre de Taliesin, le poème intitulé Preiddeu Annwfn décrit le roi Arthur et ses chevaliers traversant l’Anwvyn à la recherche d’un chaudron magique appartenant à neuf magiciennes ; thème celtique que l’on retrouve aussi notamment dans les légendes relatives aux Gallisenae de l’île de Sein (au large du département français du Finistère).
Il est aussi question de l’Anwn dans le premier des quatre contes des Mabinogion : Pwyll, prince de Dyfed (c’est le mythe fondateur de la dynastie des princes de Dyfed).
Arawn/Ariomanos parcourt les forêts, avec une meute de chiens aux oreilles rouges, poursuivant un cerf. Il a un rival nommé Hafgan, qui possède un domaine voisin, et a les mêmes pouvoirs que lui. Un matin, il rencontre Pwyll et lui propose d’échanger leurs royaumes pendant un an et un jour. Cependant, il y a une condition : Pwyll devra battre (mais sans l’achever) Hafgan, lors d’un duel. Pwyll réussit dans sa quête et, en outre, respecte l’épouse d’Arawn/Ariomanos.
Il doit s’agir de l’équivalent du dieu-ou-démon hindou Aryaman. Dans le Rig-Veda, des dieu-ou-démons mineurs accompagnent Varuna et Mitra. Ce sont les Aditya, les fils de la déesse-ou-démone Aditi. En nombre variable selon les sources, les plus fréquemment nommés sont Aryaman et Bhaga, du côté de Mitra. Le dieu-ou-démon Aryaman protège l’ensemble des hommes qui se reconnaissent « arya », par opposition aux barbares. Il les protège non pas tellement comme individus, mais en tant qu’élément de l’ensemble « arya ». Bhaga, lui, s’occupe fondamentalement de distribution des richesses.
Et à ce propos voici un étrange passage d’Athénée qui nous a tout l’air d’être du mythe déguisé en histoire. Dans son troisième livre, le même Phylarque écrit « qu’Ariamnès le Galate, étant excessivement riche, annonça un jour qu’il organiserait chaque année un banquet pour tous les Galates, ce qu’il fit en procédant de la manière suivante. Il quadrilla le pays d’installations bien adaptées le long des routes, et en tous ces lieux, il fit monter des tentes entourées de palissades, de joncs et d’osier, chacun d’entre eux pouvant accueillir quatre cents hommes ou même plus, selon ce que nécessitait le secteur, et en fonction du nombre de personnes que l’on pouvait s’attendre à voir affluer des villages et des villes proches de ces installations. Ensuite il fit placer en ces lieux d’immenses chaudrons, remplis de toutes sortes de viandes, chaudrons qu’il avait fait fabriquer
166
l’année précédente en faisant venir des artisans des autres cités. Il fit abattre chaque jour beaucoup de bétail, de bœufs, de porcs, de moutons, ainsi que d’autres animaux ; et fit mettre en place du vin dans des tonneaux ainsi qu’une grande quantité de farine de froment. Et non seulement il fit en sorte, continue notre auteur, que tous les Galates des villages et des villes environnantes puissent en profiter, mais même les étrangers de passage furent, eux aussi, fermement invités par les esclaves qui se tenaient devant, à venir y manger de ce qui avait été préparé » (Athénée, Les Deipnosophistes, IV, 34.)
Arawn/Ariomanos est le chef ou le conducteur d’une chasse sauvage traversant le royaume des hommes, chaque veille de 1er novembre ou de 1er mai ; avec une meute de chiens fantômes, au poil blanc, mais avec le bout des oreilles rouge sang, appelés les Cwn Annwn. Les aboiements de ces chiens ressemblent au sifflement ou au cacardage des oies sauvages, et les proies qu’ils traquent sont les âme/esprits des défunts n’ayant pu accéder au Paradis ; qu’il veut rabattre vers les labyrinthes souterrains d’Annwn.
Gwynn ap Nudd est aussi un des souverains de cet autre monde, à en croire certaines légendes.
Il est le fils de Nudd et le frère d’Yder. Son nom provient du celtique vindos qui signifie « blanc, beau, éclatant ». Il est parfois assimilé à l’Irlandais Finn Mac Cumaill.
Dans le conte arthurien intitulé Koulhouch et Olwen, Cordélia, dite aussi selon les variantes des légendes ou des contes : Creiddylad/Creidylad/Creudylad/Creuddylad/Crieddlad/Kreiddylat ; fille de Lludd Llaw Ereint, la plus belle fille de toutes les Bretagnes, s’enfuit avec Gwythyr, fils de Greidawl. Mais avant qu’ils n’aient pu consommer leur union, Gwynn enlève la jeune fille. L’amant lève une armée, mais le ravisseur est victorieux et fait prisonnier de nombreux guerriers. Ces nobles seigneurs ne seront libérés que sur l’intervention du roi Arthur, qui décide que Creiddylad demeurera chez son père. Depuis, tous les ans, aux calendes de mai, Gwynn et Gwythyr se battent pour elle, et à en croire les conteurs gallois, cela durera jusqu’au Jugement dernier. L’allégorie est exemplaire et illustre bien le rôle de purgatoire ou de combat entre le bien et le mal attribué à cette histoire. L’âme/esprit, personnifiée par Creiddylad, est déchirée entre le bien et le mal, et ne peut accéder directement à l’autre monde parallèle de nature paradisiaque.
Gwynn ap Nudd participe aussi à la chasse mythique d’Arthur destinée à capturer le sanglier appelé Trouyth. Il a un rôle psychopompe correspondant aux divinités courroucées du bouddhisme puisque l’une de ses fonctions est aussi de rabattre les âme/esprits des morts vers l’Anwyn, accompagné par sa meute de chiens fantastiques : les Cwn Annwn. Cette chasse sauvage est connue dans tout l’Occident, et fait partie de la mémoire archaïque européenne. On se la représente généralement sous la forme d’une armée de morts, ou un cortège de revenants, à la tête desquels se trouvent différents personnages mythiques comme Arawn, Gwyn, Herne le chasseur, Arthur (ou Hellequin en France). Et malheur à celui qui les croise !
On ne revoyait plus jamais l’imprudent ou on le retrouvait le lendemain, pendu à proximité de l’endroit où son chemin avait croisé celui de cette troupe maudite.
Dans un manuscrit du XIIe siècle, on décrit ainsi ce redoutable équipage : « Un grand nombre de personnes ont vu et entendu les chasseurs. Ils étaient noirs, grands et répugnants, leurs chiens étaient sales et tout noirs avec de grands yeux. Ils chevauchaient des chevaux noirs… Des hommes dignes de confiance les ont vus la nuit et ont affirmé qu’il y avait bien là vingt ou trente personnes soufflant dans des cors de chasse ».
Gwynn a d’ailleurs été rapidement expédié en enfer par les prêtres chrétiens, et son nom est devenu synonyme de démon. Dafydd ab Gwilym, au lieu de dire : « Que le diable m’emporte ! » écrit : « que Gwynn, fils de Nudd, m’emporte ! » D’après un manuscrit en latin du XIVe siècle s’élevant contre la divination, les devins gallois devaient répéter la formule suivante : « ad regem Eumenidium et reginam eius : Gwynn ap Nwdd qui es ultra in silvis pro amore concubine tue permitte nos venire domum » ce qui peut se traduire grosso modo ainsi :
« Au roi des esprits et à sa reine, Gwyn ap Nudd, toi qui es là-bas dans la forêt par amour de ta concubine, permet nous d’accéder à ta demeure ».
Mais la légende de saint Collen, qui a donné son nom à Llan-gollen, dans le Denbigshire, montre que ce n’est pas sans peine qu’ils ont réussi à diaboliser cet ancien dieu, dans l’esprit des Gallois.
Après une vie brillante et vaillante à l’étranger, Collen était devenu abbé de Glastonbury. Il voulut fuir les honneurs et se retira dans une cellule sur une montagne. Un jour, il entendit deux hommes célébrer le pouvoir et la richesse de Gwynn, fils de Nudd, roi d’Annwn. Collen ne put se contenir, et sortit sa tête hors de la cellule en leur criant : « Gwynn et ses sujets ne sont que des diables ! »
167
« Tais-toi ! » répondirent les deux hommes, « et crains plutôt sa colère ». Le lendemain en effet, il reçut de Gwynn une invitation à venir le rencontrer. Collen la déclina. Le jour suivant, même invitation, même résultat. Mais la troisième fois, effrayé par les menaces de Gwynn, et prudemment muni d’un flacon d’eau bénite (si ce n’est pas de la magie ça !), Collen se résolut à s’y rendre. Il fut introduit dans un magnifique château. Gwynn était assis sur un trône en or, entouré de jeunes gens et de jeunes filles richement parés. Les habits des gens de Gwynn étaient rouges et bleus. Gwynn reçut très correctement Collen, et mit tout à sa disposition. Après une courte conversation, après avoir dit au roi qui lui demandait son impression sur la livrée de ses gens, que le rouge signifiait chaleur brillante, et le bleu, froid ; il l’aspergea d’eau bénite lui et ses gens, et tous disparurent d’un seul coup.
Il existe néanmoins de nombreux poèmes où Gwynn n’a pas encore ce caractère diabolique, et où il est seulement un héros comme tant d’autres (évhémérisme à rebours).
Dans le Livre noir de Carmarthen, il apparaît comme étant l’amant de Cordélia/Creiddylad, fille de Lludd ; ayant assisté à beaucoup de batailles, ainsi qu’à la mort de beaucoup de héros.
Le Mabinogi concilie légende chrétienne et païenne. Ne pouvant l’arracher de l’enfer, où saint Collen et ses amis l’ont irrévocablement installé, l’auteur explique en effet que c’est uniquement afin de mater les démons et les empêcher de nuire aux mortels, qu’on l’y a envoyé.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire déjà, plutôt brièvement, on appelle chiens d’Annwn ou Cwn Annwn dans le folklore gallois, les chiens fantômes participant à la chasse sauvage menée par Gwynn (ou Arawn ?) et donc considérés par les chrétiens comme étant les chiens de chasse du maître des enfers. Ils étaient associés aux migrations des oies sauvages dont le cacardage nocturne était censé être leurs aboiements. Certains récits nous les décrivent convoyant les âme/esprits des défunts dans leur voyage vers l’au-delà.
Ces chasses sauvages n’avaient lieu que certaines nuits de l’année. La veille de la saint Jean, de la saint Martin, de la saint Michel archange, de la Toussaint, de Noël, du Nouvel An, de la sainte Agnès, de la saint David, et du Vendredi saint. Ou seulement en Automne et en Hiver, et pendant les gourdeziou (les douze jours allant de Noël à l’Épiphanie). Ces chiens étaient à l’occasion accompagnés par une horrible sorcière appelée Mallt-y-Nos (Mathilda de la Nuit).
Arawn est également dit, dans certaines variantes, roi d’Uffern, mot gallois généralement traduit par enfer, notamment dans les écrits de Taliesin. Ce qui en ferait donc un synonyme chrétien d’Annwn. Il est néanmoins difficile de dire si cette assimilation de l’Annwn à une sorte d’enfer, est due à l’influence chrétienne ; ou si la conception païenne originelle allait déjà en ce sens. Un Mag Meld, mais aussi Tir na mBân, Tir na mBéo, Tir Tairngiri, Tir na nOg, Magh Ionganaidh, Magh Ildathach, Magh Imchiuin, Magh Argetnel, Magh Findargat, Magh Aircthech, Sen Magh, Caer Wydion, Caer Gwydion, Lly’s Don, Caer Arianrod ou Gwynfa (au Pays de Galles) ou Vindomagos… de seconde zone !
Un Mag Meld de seconde zone, mais pas un enfer néanmoins puisque les gnostiques d’Occident appelés druides ne croyaient pas qu’une telle chose puisse exister. Ceci est indubitable et nous ne nous lasserons jamais de le répéter.
Scolies bernoises commentant la Pharsale de Lucain.
Hermann Usener. Scholia in Lucani bellum civile/Commenta Bernensia. Liber I (1869).
451.« Les druides nient que les âmes puissent périr [Driadae negant interire animas]
OU ALLER EN ENFER
[aut contagione inferorum adfici] et
454.« Ils ne disent pas que les Mânes existent » (manes esse, non dicunt).
Le point N° 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743 sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer cette idée) va d’ailleurs clairement dans ce sens. Il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
Et en 851, Jean Scot Érigène a aussi noté dans son « De la prédestination » : Dieu ne prévoit ni peines ni péchés, ce sont des fictions. Pour Érigène également, par conséquent, l’enfer n’existe pas, ou alors il l’appelle le remords.
168
Repetere = ars docendi.
Alors, disons peut-être un autre monde de type… Purgatoire ?…… Ces âme/esprits des défunts pourchassées par les Cwn Annwn ou chiens de l’Annwn, me font en effet beaucoup penser aux possédés appelés bacuceos, bacucea (réincarné, réincarnée) ; cités sous une forme latinisée, à l’accusatif pluriel, par Jean Cassien (Conlationes, 7,32, 2) au début du Ve siècle.
« Quos etiam Bacuceos vulgus appellat, ut semetipsos ultra proceritatem corporis erigentes, nunc quidem se in quosdam fastus gestusque sustollerent, nunc velut acclines ad quemdam se tranquillitatis et affabilitatis statum communes blandosque submitterent, seseque velut illustres et circumspectabiles omnibus aestimantes, nunc quidem adorare se potestates sublimiores corporis inflexione monstrarent nunc vero ab aliis se crederent adorari, et omnes motus quibus vera officia aut superbe aut humiliter peraguntur, explerent ».
« Il en existe d’autres qui affectent l’esprit de ceux qui sont possédés par un orgueil insensé (ils sont communément appelés bacuceos) ; ils s’étirent au-delà de leur taille normale et parfois se gonflent d’arrogance avec des manières pompeuses, d’autres fois par contre ils reviennent à des manières plus ordinaires et plus habituelles en affectant d’être calmes et courtois : comme s’ils étaient de grands personnages cible de tous les regards, d’autres fois encore ils s’inclinent profondément comme s’ils adoraient des puissances supérieures, alors qu’à d’autres moments ils s’imaginent adorés par autrui ».
Les propos de Cassien sont assez vagues ou plutôt ils sont très précis, mais contradictoires. Car si nous les comprenons bien, le bacuceos, cela peut être un peu tout et n’importe quoi (aimable ou plein de morgue, prostré ou exalté, adoré ou adorant, etc.).
N.B. Les désordres et les troubles du comportement décrits par Cassien sont le signe des difficultés d’adaptation de l’âme/esprit à son nouveau corps, même quinze ans après (corps trop petit ou trop grand, et ainsi de suite).
En fait, d’un point de vue scientifique, tout se passe comme si le patient avait une deuxième personnalité.
On définit le trouble dit de la personnalité multiple, par « la coexistence, chez un même individu, de deux ou plusieurs états de personnalité distincts ; qu’ils aient une mémoire propre, des modalités comportementales spécifiques et leurs propres styles de relation sociale, ou qu’ils partagent une partie de ces différents comportements. Les deux esprits se combattent dans un même champ qui est le corps, et l’âme est comme partagée. Ce type de trouble commence à s’installer dès l’enfance, mais n’est, le plus souvent, remarqué par les cliniciens, que beaucoup plus tard ; il s’agit d’ailleurs presque toujours de filles (60 à 90 %).
Le passage d’une personnalité à une autre est généralement brusque (quelques minutes). La transition est sous la dépendance du contexte relationnel. Les transitions peuvent survenir également lorsqu’il y a conflit entre les différentes personnalités, ou lorsque ces dernières ont élaboré un plan commun. Les personnalités peuvent être diamétralement opposées dans leurs caractéristiques, et différer même quant aux tests psychologiques ou physiologiques : elles peuvent nécessiter par exemple des verres correcteurs différents, répondre de manière différente au même traitement, et avoir des quotients intellectuels différents ». La schizophrénie peut évidemment, elle aussi, aboutir aux mêmes symptômes.
La communication avec l’Au-delà pouvait être établie par de telles possessions « spirites », mais il ne faut pas oublier néanmoins que tout ceci n’est que l’interprétation, par Jean Cassien, d’un fait de civilisation. Sur certains points, il est certainement dans l’erreur : il s’imagine par exemple que les tumeurs bénignes sont les points de passage de ces âme/esprits, dans les corps en question. Or il s’agit là d’une aberration digne des pires « chasses aux sorcières » du Moyen-âge.
Certains pseudo-druides, comme il en existe tant aujourd’hui, hélas, se fondant sur ce témoignage de Cassien (nostalgie de la chute, et ainsi de suite) affirment qu’il est possible de se souvenir de ses vies antérieures. Mais les cas isolés avancés à l’appui de cette thèse posent toujours le problème de la vérification.
De toute façon, le druidisme bien compris est le moyen par excellence de se libérer de la nécessité de se réincarner en bacuceos, mais dans le cas du bacuceos ce n’est pas seulement la pure âme qui
169
transmigre de corps en corps, c’est, disons plutôt un continuum de conscience. Un processus progressif d’apprentissage et d’accomplissement individuel, autrement dit le couple âme + esprit (anamone + menman) = anaon.
Notons également le cas des demi-réincarnations ou des réincarnations partielles en seibaros (irlandais siabair/siabhradh, fantôme). Il s’agit des âme/esprits qui ont fui des glaces de l’avant-paradis (andumno ou anwn), abondamment dépeintes, et avec beaucoup d’imagination, par les légendes populaires relatives aux royaumes de Donn (Donnotegia) ou de Tethra en Irlande ; ou par les contes folkloriques relatifs aux royaumes d’Arawn et de Gwynn au Pays de Galles.
Un rite funéraire correctement effectué (le nom bien gravé sur la pierre tombale, les signes adéquats en arrivant dans l’autre monde également selon Procope, etc.) fait que celui qui meurt renaît à l’immortalité dans Mag Meld, revêtu d’un véritable corps de gloire (xvarnah en Avestique, bellissama/bellissamos en vieux celtique, d’où l’importance des funérailles) ; mais une infime minorité renaît en ce bas monde pour y mourir à nouveau, et ceci, jusqu’à ce qu’ils aient purgé leurs fautes. Certains témoignages impliquent que, parmi les druides, c’était surtout les vates qui s’occupaient de faire passer l’âme/esprit des défunts dans l’autre monde parallèle de nature paradisiaque, appelé Mag Meld ou de tout autre nom de ce genre. Lucain évoque notamment les bardes ou les vates « dont les poèmes guerriers jadis conduisaient dans l’éternité les puissantes âmes/esprits [en latin animas] de ceux qui étaient morts à la guerre » « Uos quoque, qui fortes animas belloque peremptas laudibus in longum uates dimittitis aeuum, plurima securi fudistis carmina, Bardi » (Lucain, la Pharsale, I, 444 à 462).
DONNO TEGIA/TECH DUINN.
Un cas tout aussi douteux est l’autre monde parallèle appelé Donno Tegia, ou plus exactement Tech Duinn en Irlande. Nous écrivons douteux, car il est rattaché à un personnage, Donnos/Donn, n’appartenant en aucun cas à la tradition celtique la plus authentique, mais plutôt à des légendes relevant de la fertile imagination des bardes irlandais. La légende milésienne du Lebor Gabala Erenn ou livre des conquêtes de l’Irlande par exemple. Et nous avons vu tout ce qu’il fallait penser de ce bric-à-brac.
Le nom gaélique de Donn remonte à une forme * dhus-no, apparentée au latin fuscus, et signifie « noir » ou à tout le moins « sombre » (couleur traditionnelle pour le royaume des morts). Certains textes irlandais le disent capable de se métamorphoser en cerf (d’après Roger Sherman Loomis, mythes celtiques, p. 134) ce qui le rapprocherait donc encore plus de Cornunnos.
Note sur feuille volante retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
Le nemet Cornunnos a été en son temps une sorte de bouddha hyperboréen d’Extrême-Occident. Un grand chaman appelé anatiomaros par les Celtes et semnothée par les Grecs. Un peu comme dans le cas d’un roi se taillant un fief en territoire hostile ; le résultat des innombrables actions méritoires accomplies par ce grand chaman a été la découverte d’une terre meilleure, et il a fait vœu d’y conduire les âme/esprits.
Chaque anatiomaros pleinement réalisé possède ainsi sa terre où il enseigne. Les caractéristiques propres à chacune de ces Terres meilleures dépendent des vœux que chaque semnothée a énoncés au début de sa carrière. Dans le cas du Nemet Cornunnos, cette terre meilleure n’est en fait qu’une antichambre du paradis, un état transitoire servant de passage vers l’autre monde paradisiaque au sens strict du terme. Un monde de saha dirait en quelque sorte nos amis bouddhistes, uniquement destiné à faire progresser ses habitants dans leur prise de conscience de la vérité.
Un anatiomaros évolué en effet peut s’avérer capable d’édifier un autre monde à lui tout seul, un peu comme un magicien, mais quelle en est l’utilité ? Il peut susciter une terre meilleure, il peut en donner un aperçu aux âme/esprits des défunts, il peut même les garder dedans un petit moment, mais il ne peut les y garder indéfiniment.
170
À en croire le poète du IXe siècle nommé Mael Muru d’Othan, Donno Tegia (Tech Duinn) est le lieu de rassemblement des morts (Cu cum dom thig tissaid uili iar bir n-écail) ; et ce, de par la propre volonté de ce dieu-ou-démon.
Un cairn de pierre a été construit en mer pour abriter son peuple.
Une très antique demeure appelée justement la maison de Donn.
Son testament stipulait à l’intention de ses descendants jusqu’à la centième génération :
« Vous viendrez tous à moi, dans ma demeure, après votre mort ».
(Kuno Meyer, Der irische Totengott, und die Toteninsel page 538.)
Dindsenchas métrique, tome IV, poème 113. Donn apparaît dans ce récit comme un roi s’étant librement offert en sacrifice pour les siens, mais aussi comme un ancêtre primordial. Sa tombe sera donc, du coup, inévitablement associée aux naufrages et aux tempêtes, dans le folklore populaire irlandais.
Tech Duinn (Donno Tegia), d’où vient ce nom ? Ce n’est pas difficile ! Quand les fils de Mil arrivèrent de l’ouest pour débarquer en Irlande, leur druide leur déclara la chose suivante. Si l’un d’entre vous grimpe au mât et récite des incantations contre les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (contre les Tuatha Dé Danan donc) avant qu’ils puissent faire de même de leur côté, la bataille qui sera livrée contre eux nous livrera le pays ; mais celui qui leur jettera cette malédiction mourra.
Ils tirèrent au sort et ce fut à Donn de grimper au mât. Aussitôt dit aussitôt fait. Donn monta au sommet du mât, récita des incantations contre les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone ou fée Danu (bia), puis redescendit. Ensuite il leur déclara : je jure par le dieu ou démons que, désormais, on ne leur fera pas de quartier, et qu’on ne leur accordera aucune grâce.
Les hommes du clan de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia) lancèrent à leur tour des incantations contre les fils de Mil à partir de leur pays en guise de réponse. Après qu’ils eurent maudit Donn, une fièvre maligne s’abattit sur le navire. Donn mourra, dit alors Amorgen, et garder son corps ne nous portera pas bonheur, car nous attraperons aussi sa maladie. Mais si Donn est porté en terre, la maladie passera en Irlande.
Alors, transportez mon corps sur une de ces îles, décida Donn, et mon peuple me bénira ensuite à jamais.
Aussitôt après, grâce aux incantations des druides, une violente tempête se leva, et le bateau sur lequel se trouvait Donn se brisa. Faisons transporter son corps sur cette roche élevée, dit Amorgen, et ses gens viendront désormais ici. D’où le nom de ce lieu après cela : Tech Duinn, la demeure de Donn. Et c’est la raison pour laquelle, à en croire les païens, les âme/esprits des pécheurs passent par DonnoTegia (Tech Duinn) avant d’aller en enfer, afin de remercier Donn et rendre un dernier hommage à l’âme de Donn avant de disparaître. Mais les âmes des justes qui ont fait pénitence, elles, peuvent apercevoir de loin cet endroit et, donc, l’éviter à temps. Voilà ce que croient les païens.
Les portes de Donno Tegia ou Tech Duinn étaient gardées par deux chiens des plus féroces : un noir et l’autre blanc.
Ce récit situe implicitement le royaume de Donn sous la mer, le cairn en question n’en étant qu’une entrée ; cela ferait donc de Donnotegia (tech Duinn) un pays sous les vagues un peu analogue à Tir fo thuinn ou à la ville d’Ys en France.
Il existe néanmoins deux autres localisations possibles de cette mystérieuse Donnotegia ou demeure de Donn.
Outre l’endroit où Donn est tombé à la mer ; (le rocher du taureau… pourquoi le taureau et pas le cerf d’ailleurs, à moins de rapprocher le personnage de Donn du taureau ou termagant brun de Cooley mis en scène par la Tain Bo Cualnge) ; deux autres lieux se disputent cet honneur : le petit fort de Dunbeg sur la côte ouest de l’Irlande, et Cnoc Firinne ou Knockfierna dans le comté de Limerick. Une cavité
171
non loin du sommet passe pour être une des entrées du palais souterrain de Donn, et les morts y étaient jadis transportés « afin d’être avec Donn ».
Donn serait donc un dieu-ou-démon régnant sur les morts en transit vers l’autre monde druidique, quel que soit son nom : Mag Meld, Vindomagos, Tir na Nog et ainsi de suite.
Assez curieusement, il fait la paire avec un autre de ses frères appelé, lui, Eber Finn (Eber le blanc). Ce qui semble attester un certain dualisme à ce niveau de la légende, contrairement à tout ce que l’on peut savoir de la pensée druidique authentique.
Donn est également connu dans le comté de Fermanagh comme ancêtre des Maguire, pouvant intervenir en leur faveur dans certaines batailles. Sa légende ressemble beaucoup à celle des chasses sauvages ou maudites : il est censé galoper sur un cheval blanc durant les nuits d’orage.
Les morts déshonorés ne passent nullement dans l’autre monde parallèle de type paradisiaque (Vindomagos, Mag Meld, etc.), mais retournent sur terre sous le nom de Sluagh. Du moins dans les croyances populaires et dans le folklore. En Irlande et en Écosse, sluagh était le nom donné aux âme/esprits errantes et sans repos. Sous l’influence du christianisme, ces sluagh furent considérés comme des pécheurs n’ayant leur place ni au paradis ni en enfer, et rejetés par les dieu-ou-démons, ainsi que par la terre elle-même. Ils étaient presque toujours décrits comme dangereux ou destructeurs et volant dans les airs en bandes, sous l’apparence d’oiseaux venant de l’ouest, pour s’introduire dans les maisons des mourants, afin d’essayer d’emporter avec eux leurs âme/esprits. Mais nous sommes là plus dans un folklore fortement influencé par la sous-culture chrétienne, que dans la pure théologie druidique. Les très-sachants appelés druides pensent tous qu’il y a différentes étapes à l’après-vie.
Donno Tegia ouTech Duinn était peut-être un royaume sous-marin où les âme/esprits des morts se réunissaient avant de passer à une autre étape de leur voyage. De là, les morts ordinaires pourrions-nous dire, entreprenaient un voyage vers l’ouest, vers Tir na Nog, la Terre de la Jeunesse ; où ils achevaient le reste de leur existence avec les dieu-ou-démons comme Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan, avant de passer à un stade supérieur et de se fondre dans le Grand Tout (Pariollon). D’autres se réincarnaient afin d’apprendre les leçons d’une autre vie. La réincarnation comme animal totem, ou dans une lignée suivante, est un évènement courant dans certaines civilisations, mais beaucoup plus exceptionnel dans le monde druidique. Là aussi et encore une fois, cela nous fait beaucoup penser à la notion de possédé ou de bacuceos sur le Continent. Pour mémoire : « Il en existe d’autres qui affectent l’esprit de ceux qui sont possédés par un orgueil insensé (ils sont communément appelés bacuceos) ; ils s’étirent au-delà de leur taille normale et parfois se gonflent d’arrogance avec des manières pompeuses […] comme s’ils étaient de grands personnages cible de tous les regards, d’autres fois encore ils s’inclinent profondément comme s’ils adoraient des puissances supérieures (sublimiores), alors qu’à d’autres moments ils s’imaginent adorés par autrui » (Jean Cassien. Conlationes, 7,32,2).
Certains auteurs, en raison de cet aspect quelque peu « chasse sauvage » entourant le mythe irlandais de Donn le sombre ; se demandent si ce personnage ne serait pas en fait à rapprocher d’Herne le chasseur, le cavalier fantôme à la tête ornée de bois de cerf, qui emmène la chasse sauvage au travers du ciel anglais ; voire même de l’entité appelée Cornunnos sur le Continent.
YS.
L’autre monde peut aussi, dans les légendes populaires, être sous-marin tout en étant parfaitement similaire au monde humain quant à son aspect, et entièrement libre de tout contact avec l’eau. La ville engloutie ou sous-marine appelée Ys, en France, est une localisation alternative de cet autre monde dans l’imaginaire celte. Les puits ou les fontaines sont des moyens d’y accéder…
Le roi Gradlon régnait jadis sur la Cornouaille, entouré de deux saints hommes qui le conseillaient, le moine Guénolé ainsi que l’ermite Corentin, dont il avait fait son évêque en lui donnant son château de Quimper. Le souverain avait une fille, Dahut, très belle bien entendu, et pour laquelle il avait fait construire une ville magnifique : la ville d’Ys. Cette ville, située sur la baie de Douarnenez, était protégée de la mer par des digues et des écluses dont le roi gardait précieusement la clé. Dahut y menait une vie de douceurs et de plaisirs. Un jour, sur la digue, elle rencontre un séduisant chevalier qui la convainc de dérober les clés que son père conserve autour du cou. Profitant du sommeil du roi,
172
elle s’en empare donc, et les remet au chevalier rouge… qui n’est autre que le Diable… Celui-ci ouvre alors les écluses et la ville est envahie par les flots. Seul Gradlon monté sur son cheval Morvac’h, et Guénolé réussissent à s’échapper, après que Saint Guénolé l’eut convaincu d’abandonner Dahut à la mer. Noyée, celle-ci se changea, dit-on, en une sirène, Morgane, qui s’acharne à perdre les marins…
C’est ainsi que Dahut est devenue, dans nos légendes, une grande prostituée entraînant toute une ville (Ys) dans le châtiment, très chrétien, de ses crimes, et que le saint, la frôlant de sa crosse, condamne et maudit. Dans cette affaire le roi Gradlon devient presque un personnage secondaire, un nigaud, victime désignée d’une affection coupable, et qu’un grand saint sauve in extremis.
Note de la rédaction. Le roi Gradlon n’a dû être qu’un petit chef de clan ou de village, à la tête d’une maigre troupe d’immigrés fuyant leur pays (la Grande-Bretagne du IVe ou Ve siècle) dans le plus complet dénuement ; et plutôt mal accueillis par des Gallo-romains ruraux restés majoritairement païens. Ou par des citadins devenus chrétiens, mais se méfiant de ces étrangers comme de la peste. Marie-Morgane ou Dahud, comme beaucoup de dieu-ou-démons et de déesse-ou-démones, ou fées si l’on préfère ce vocable, celtes, n’a pas de véritable généalogie. Gradlon n’en est que le père putatif. Ce n’est qu’une femme ou une messagère des dieu-ou-démons, venue entraîner le roi dans l’Autre Monde, la ville d’Ys, qui durera jusqu’à sa submersion sous les eaux de l’Océan.
CONCLUSION EN FORME D’HYPOTHÈSE.
Les voies d’accès à l’autre monde parallèle de nature paradisiaque sont innombrables, mais ses portes de sortie sont infiniment plus rares et plus difficilement praticables y compris pour ce qui est de leur calendrier avons-nous dit et leur liste est vite bouclée.
Les quelques cas d’autre monde parallèle que nous venons de passer en revue sont loin d’être aussi nettement paradisiaques que celui sur lequel nous avons longuement disserté dans le chapitre précédent. Et qui est appelé suivant les manuscrits Mag Meld, Tir na mBân, Tir na mBéo, Tir Tairngiri, Tir na nOg, Magh Ionganaidh, Magh Ildathach, Magh Imchiuin, Magh Argetnel, Magh Findargat, Magh Aircthech, Sen Magh, Caer Gwydion, Lly’s Don, Caer Arianrod ou Gwynfa (au Pays de Galles)…
Ces autres mondes parallèles moins éminemment paradisiaques, Annwn, Tech Duinn, Ys, ne sont peut-être que des lieux de passage très transitoires. Une sorte d’antichambre du monde paradisiaque de type Mag Meld ou Vindomagos, un sas de décompression avant la réincarnation sur terre pour les défunts ayant mérité une telle punition, et que l’on appelle bacuceos ou seibaros (fantôme). Un monde sombre et souterrain ressemblant, non à un enfer, puisque les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ne pensaient pas que cela puisse exister.
Ressemblant donc plutôt, disons à une sorte de purgatoire (Andumno ou Anderodubno) avant d’entrer enfin au Paradis. Mais, encore une fois, rappelons-le, il ne peut s’agir que d’un état différent de l’être, et non d’un lieu vraiment géographique.
173
LE ROYAUME OU LA RÉPUBLIQUE DES SIDES UNIS.
Une des lois fondamentales de la mécanique quantique est que les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets, c’est l’indéterminisme. Dans certaines expériences de physique quantique, une particule (exemple électron, photon) peut « décider » d’aller à gauche ou à droite. Or, même si les conditions initiales sont absolument identiques, il est impossible de prédire de quel côté elle va se diriger, ce choix dépend du hasard. C’est ce qui a été appelé la « réduction du paquet d’ondes » et plusieurs physiciens ont avancé des théories pour tenter d’expliquer ou d’éliminer cet élément de hasard.
En 1957, le physicien Hugues Everett affirme qu’il n’y a pas de hasard, car la particule a pris les deux directions. Dans « notre » univers, elle est allée vers la gauche et dans un « autre » univers vers la droite. Il y aurait donc une multiplication d’univers parallèles, formant de nouvelles branches à l’infini, à chaque fois qu’une particule quantique doit choisir entre différentes options.
Selon la théorie classique de l’explosion initiale, l’univers est né d’un point (ou singularité) où tout ce qu’il contient était condensé dans un volume nul : le point ogham de l’espace-temps appelé éabadh. Mais qu’y avait-il donc avant cette explosion initiale ? Selon l’explication classique, il n’y avait rien : que le vide. Même l’espace et le temps n’existaient pas. Ils sont apparus en même temps que l’univers. Dans ces conditions, la question de savoir dans quoi se gonfle l’univers ne se pose même pas.
Certains astrophysiciens ont formulé l’hypothèse que l’explosion initiale serait peut-être celle d’une « bulle » née dans une sorte de « mousse cosmique ». Notre Univers ne serait donc pas unique. D’autres univers, où les lois de la physique sont peut-être très différentes des nôtres, ont pu également surgir de cette mousse.
La Science et les scientifiques affirment qu’il est totalement impossible de détecter ou d’obtenir quelque information que ce soit sur ces présumés univers parallèles.
Mais certains grands initiés, qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui, affirment eux avoir ou détecter des informations sur certains de ces univers parallèles (autre monde, paradis, royaume des morts, des dieu-ou-démons, etc.).
Bouddhakshetra, terre de bouddha ou champ de bouddha, est un terme bouddhiste qui désigne un domaine de l’univers dans lequel un bouddha donné exerce son activité ou son influence. Si l’on en croit le Mahavastu, il y a trois sortes de Bouddha-khetta, ou sphère de Bouddhas.
Le Jatikkheta : type d’univers dans lequel un Bouddha peut apparaître. Il ne peut y apparaître qu’un seul bouddha à la fois. Aucun Bouddha ne peut y surgir tant que n’a pas complètement disparu de ce monde l’ordre instauré par le Bouddha précédent. Quand un Boddhisattva est conçu dans le sein de sa mère pour une dernière réincarnation, après avoir quitté une demeure divine (divya loka), une merveilleuse lumière illumine alors tous ces mondes, et les dix mille univers en sont ébranlés.
L’Anakkheta : la sphère d’influence dominante du Bouddha.
Le Visayakkhetta : la sphère jusqu’où peuvent s’étendre la sagesse et le pouvoir du Bouddha. En principe illimitée.
Les deux derniers domaines sont des terres pures résultant de ses réalisations et manifestant ses qualités ; ceux qui ont des affinités avec y renaissent après leur mort. Toujours selon le Mahavamsa, un Bouddhakshetra équivaut à 61 milliards d’univers. Le concept est particulièrement développé dans le mahayana, dans les soutras du Lotus et de Vimalakirti ainsi que dans ceux qui sont consacrés à certains bouddhas comme Amitabha, dont la terre pure est de loin la plus connue. Elle est en effet au cœur des croyances et pratiques du courant de la Terre pure, l’un des plus importants du bouddhisme.
Bien que certains textes décrivent les terres pures comme des domaines éloignés de notre monde, le Lotus et le Vimalakirti affirment qu’elles naissent dans le monde impur, mais autour d’un bodhisattva, en vertu de la pureté de son esprit ; elles sont composées des êtres qui s’élèvent spirituellement grâce à son enseignement. Selon ces soutras, il existe une différence de qualité entre les terres pures des différents bouddhas. La terre pure d’Amitabha elle-même cède le pas selon certains à celle de Bhaisajyagourou. Les courants Tiantai et Tendai, fortement influencés par le Soutra du Lotus, envisagent quatre terres pures auxquelles on accède selon son degré de conscience : la terre de la Résidence commune, accessible à tous ; la terre des Moyens habiles et des Résidus, accessible aux auditeurs, aux pratyekabouddhas et aux bodhisattvas de rang inférieur ; la terre de la Rétribution vraie
174
où vivent les bodhisattvas les plus avancés ; la terre de la Lumière paisible éternelle accessible aux dharmakayas.
Alors pourquoi pas la Terre pure (au-delà celtique) du bouddha Cornunnos ?
N.B. Nous ne sommes pas racistes comme les judéo-islamo-chrétiens, nous n’avons aucun problème à reconnaître du beau du bon et du bien dans les autres religions (voir la parabole d’Ogmios racontée par Lucien de Samosate), mais revenons quand même à nos moutons.
175
MONDES PARALLÈLES
ET BOUDDHAKSHETRAS DRUIDIQUES, SUITE.
Résumé succinct de ce que pensait le professeur Jan De Vries à propos de la religion des Celtes (d’après ma propre traduction, car j’ai toujours été très mauvais en allemand, et de toute façon ces quatre années d’allemand sont loin).
En Irlande, on croyait que les morts habitaient dans les tumulus appelés sides. Mais ils n’étaient pas seuls à y habiter. Les légendes rapportent que les anciens dieu-ou-démons, les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu (bia), s’étaient, eux aussi, retirés dans les sides, après avoir été vaincus par les hommes. Ainsi que l’a très bien dit Marie-Louise Sjœstedt elle-même en commentant ce que cette notion a donné en Irlande. Après les célèbres batailles livrées pour la possession de la plaine de Talantio (gaélique Tailtiu, autre personnification : la déesse-ou-démone, ou fée si l’on veut, Rosemartha, sur le Continent) ou à Druim Lighean (voir notre fascicule sur les grandes batailles de la métahistoire selon les druides), il fut convenu de partager le pays en deux parts égales. Les Tuatha Dé Danu (bia) reçurent la moitié inférieure, c’est-à-dire le sous-sol. C’est donc ainsi que les dieu-ou-démons jusque-là aériens ou célestes *, en rentrant sous terre, prirent possession des tertres, tumulus préhistoriques ou monticules naturels (en lesquels le paysan irlandais reconnaît encore aujourd’hui la résidence des fées) ; que le roi des dieux d’alors, avait partagés entre les siens, en adjugeant telle résidence, tel side, à Lug, telle autre à Ogmios, et ainsi de suite ! Non seulement les terres et les grottes, mais aussi les eaux des profondeurs, revinrent aux dieu-ou-démons : le Lac de l’Oiseau, dans le Connaught, abrite par exemple lui aussi un side.
Du moins d’après les bardes irlandais qui confondirent ainsi les trois niveaux de tout plérôme païen qui se respecte : aérien, « céleste » ou humain, chtonien.
C’était fatal ; puisque le christianisme avait rabaissé tous ces personnages surnaturels au rang de fantômes ou de démons ; les Irlandais confondirent donc sous l’appellation d’aes side, des êtres très différents ; qui constituèrent désormais pour eux une inquiétante armée d’esprits plus ou moins maléfiques. Au Moyen-âge, dans les pays celtes, les anciens dieu-ou-démons, les fées, les spectres, et les âme/esprits des morts, s’équivalent presque ; à eux tous, ils forment le monde fantastique des aes side.
En Irlande le peuple des aes side en question est composé d’êtres féminins ou masculins vivant sous, mais aussi sur, la terre, sans appartenir pourtant à l’Humanité proprement dite. Mais ce n’est là qu’une définition minimale. Elle englobe les genres d’êtres surnaturels les plus variés. Les uns (fées) sont bien disposés envers les hommes, les autres (démons) plutôt mal.
Mais cette vision de la spiritualité païenne n’est valable que pour l’ère chrétienne, quand les distinctions entre tous ces êtres (aériens célestes ou chtoniens) furent abolies. Pour l’ère païenne, une telle définition du peuple des aes side néanmoins, est inexacte. Les dieu-ou-démons vivaient alors dans les différentes parties du monde, dans le ciel et la mer. Les esprits de la nature étaient présents dans les phénomènes les plus divers : montagnes et collines, sources et fleuves. Il y avait enfin, mais dans un monde à part, les âme/esprits des morts, qui habitaient les tumuli.
N.B. La meilleure preuve de l’importance du culte des morts chez les Celtes est d’ailleurs peut-être que, pour finir, dieux et démons en Irlande sont aussi allés habiter sous leurs collines.
Les légendes y dépeignaient la vie sous les couleurs les plus chatoyantes. Bien entendu, il y avait là aussi de grands trésors. Nous avons dit combien magnifique était l’équipement des tombes de La Tène. Le souvenir s’en est donc conservé longtemps dans les légendes.
On a l’impression aujourd’hui que Mag Meld est une forme développée du monde des tumuli. Mais, même si ces conceptions sont issues d’une même source conceptuelle, elles ont tellement divergé qu’il faut radicalement les distinguer.
Mag MeId n’est pas au départ un pays des morts, mais un pays merveilleux dans l’Océan, où des êtres surnaturels jouissent d’une éternelle félicité. Cette vision du monde des dieu-ou-démons était
176
sans doute parvenue à son apogée quand le christianisme se répandit, et il lui apporta donc, lui aussi, sa nuance.
Essayons d’y voir plus clair.
Les anciens druides ou très-sachants d’Occident considéraient la multiplicité des mondes et des phénomènes comme procédant du Pariollon (ou Parinirvana chez les bouddhistes) : une application concrète de la célèbre doctrine des états multiples de l’Être.
Durant le premier âge du bronze, les sides ont donc été très probablement conçus comme des sortes de « poches » ou d’enclaves dans l’au-delà. Il s’agissait d’unités isolées, n’ayant pas de relations entre elles, c’est-à-dire n’ayant pas encore été fondues ou réunifiées dans l’image d’un autre monde inférieur unique et général ; s’étendant sous la terre des vivants. Autrement dit, chaque dieu-ou-démon avait son domaine bien particulier, totalement séparé de celui des autres dieu-ou-démons.
En Irlande au Moyen-âge sous l’influence du christianisme, une évolution des idées a fait que les sides ne furent plus compris seulement comme des résidences locales de défunts, de héros divinisés, voire de dieu-ou-démons souterrains ; mais comme des portes d’entrée vers un empire souterrain plus ou moins fédéral : les sides-unis en quelque sorte. Si au début de l’âge du bronze, les tombes héritées de la civilisation néolithique étaient, selon toute probabilité, vues comme des mondes ou des enclaves isolés ; à la fin du Moyen-âge en Irlande, sous l’influence des idées chrétiennes, elles finissent par se rejoindre et tisser un véritable espace « infernal » situé sous la surface de la Terre. Le grand royaume des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), est un miroir ou un double souterrain du royaume des hommes.
Il n’en demeure pas moins que la plupart des légendes évoquant ces sides ou demeures des dieu-ou-démons irlandais, témoignent de leur totale autonomie les uns envers les autres.
Il en va d’ailleurs de même des terres de bouddhas en Extrême-Orient, les fameux Bouddhakshetra. Selon les soutras, cette Terre de la béatitude parfaite est souvent appelée « Terre pure » ou « Paradis occidental ». Le Soutra Muryoju la décrit en détail. Sur cette terre-là, on n’éprouve aucune souffrance, mais seulement de la joie, d’où son nom. On nous dit que tout y est très beau. Sans entrer dans les détails, Soukhavati, la terre heureuse, la terre de la félicité du bouddha Amitabha, nous est décrite comme entièrement faite de joyaux étincelants, de lumière, de fleurs de lotus, de musique et de parfum. On peut trouver plus de détails dans les trois soûtras de la « Terre pure ». Le bouddha que l’on appelle Amitabha, entouré de ses deux bodhisattvas principaux, y est assis sur un trône magnifique.
cf. pour rappel comment la vision (aisling) d’Adamnan et le texte irlandais appelé « la langue toujours renouvelée » nous décrivent cet autre monde.
« Un monde sans orgueil, sans vanité, sans fausseté, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans outrage, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans grêle, sans neige, sans vent, sans pluie, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froidure » (Finit Fis Adamnain).
Qu’y a-t-il de plus merveilleux en effet pour un homme que ce royaume…
104. Où l’on n’entend ni cri de colère ni de jalousie ni de chagrin ni de peine.
105. Heureux donc sont ceux qui ont leur place dans ce royaume… qui n’a besoin ni de la lumière du soleil, ni de celle de la lune, ni de celle des étoiles… un lieu où il n’y aura personne ayant besoin de nourriture ou de vêtement (Tenga Bithnua recension 2, manuscrit de Rennes).
En ce qui nous concerne nous préférons la description que nous en donne l’echtra Condla du 8e siècle.
Là où tout est beau, attirant et pur
Là où n’existent ni faute, ni maladie, ni temps
Ni frontière, ni guerre, ni souffrance, ni peine, ni esclavage.
La musique y est merveilleuse,
Il y coule des ruisseaux d’hydromel
Et la paix y est partout éternelle.
Ci-dessous quelques autres noms de terres pures, puisque c’est ainsi que nos frères en paganisme de cette région du Monde appellent leurs univers parallèles.
La Terre de la Joie (Abhirati) du bouddha Akshobhya, située à l’est de notre monde.
177
La Terre d’Émeraude du bouddha Bhaisajyagourou ; décrite dans le Soutra Bhaisajyagourou, elle serait située à l’est de notre monde.
La Terre de la grandeur secrète du bouddha Vairocana, décrite dans le Mitsugon kyo.
La Terre pure du Pic du Vautour, où règne l’enseignement du Bouddha Çakyamouni.
La Terre pure du Mont Potakala, du bodhisattva Avalokiteshvara.
Notes.
* Les dieux ou démons aériens des légendes celtes sont des personnifications des forces atmosphériques comme le vent (le Santa Ana, le Circius dans la vieille Europe, la Galerne en France, etc.) les éclairs le tonnerre.
Les dieux célestes ne sont « aériens » que par convention, mais ils sont surtout actifs dans le monde des hommes (le mythe druidique originel les localise d’ailleurs souvent sur le même plan que les humains, mais dans des îles lointaines).
Et il y a bien sûr le cas des dieux ou démons comme le dieu de la foudre ou du tonnerre (Taran/Toran/Tuireann) qui sont à la fois aériens et célestes.
Dieux-ou démons aériens, célestes, et chtoniens, forment un gigantesque panthéon, plus qu’un panthéon ordinaire à la grecque, un plérôme.
! --- -------------------- ------------------------------ !
SORTIES (OU ENTRÉES) DE MONDES PARALLÈLES EN IRLANDE.
Ci-dessous par contre, une première liste de quelques-uns des mondes parallèles connus des Irlandais sous le nom de Side.
Brugh na Boinne, dans le Comté de Meath, aujourd’hui Newgrange. C’est évidemment le plus connu de ces mondes parallèles ou de ces sorties/entrées de monde parallèle. Il est censé avoir abrité Lug, le Suqellos Dagda Gargant, et Mabon/Maponos/Oengus.
Brí Léith dans le comté de Westmeath. Medros/Midir en était le seigneur. Vocusmnaca/Fuamnach et Etanna/Etain y vécurent.
Slieve Gullion, près d’Armagh (la demeure de Cuillen ou Culann le forgeron. Son chien fut tué par le hésus Cuchulainn).
Rath Cruachan, (appelé aussi Cruachain, ou Rathcroghan). Comté de Roscommon, dans le Connaught. C’est de ce side que vint la prophétesse Videlma pour mettre en garde la reine Medb contre les risques encourus par l’expédition qu’elle projetait de lancer pour s’emparer du taureau de Cooley. D’après les légendes locales, le passage vers l’autre monde serait situé dans la grotte des chats.
Sidhe Finnachaidh (aujourd’hui Sliabh Fuaid) près de Tara, dans le Comté de Meath. Le dieu ou démon appelé Aillen Mac Midhna, selon diverses légendes, avait l’habitude de sortir de cet endroit, chaque année, lors de la fête de Samon, afin de semer le trouble à Tara, en incendiant les maisons, ou en jetant des sorts. Il faudra la lance magique de Finn pour arriver à s’en débarrasser. Lero/Lir aurait aussi un moment séjourné dans ce side selon certaines légendes.
Sidh-ar-Femhin, dans la plaine de Cashel. Le dieu-ou-démon qui en devint le seigneur était Bob le rouge (Bodb Derg). Le harpiste nommé Cliach pouvait faire s’ouvrir sa porte, rien qu’en jouant de la musique devant.
La colline d’Allen, la colline de Grange et Rathangan dans le comté de Kildare. Ces collines forment un chemin ou une ligne magique qui porte malheur si on l’emprunte la nuit. C’est sur cette colline d’Allen qu’Ossian commença par s’arrêter lors de son retour de la terre d’éternelle jeunesse (Tír na nÓg). De nombreuses légendes sont attachées à ces trois hauteurs.
Cnoc Firinn ou Knockfierna, dans le comté de Limerick. Est la demeure du dieu-ou-démon appelé Donn.
Síd Uamuin, dans le Connaught. Ethal Anbuail, père de Caer Ibormeith, était le seigneur de ce side. Sa fille (Caer Ibormeith) épousera Mabon/Maponos/Oengus. cf. le récit intitulé en gaélique Aislinge Oengusso : le rêve d’Oengus.
Sidhe Findabrach, au nord du Brugh na Boinne (Newgrange). Domaine de la tribu de Derc. Les fils de Derc ayant un jour enlevé Enghi, la fille d’Elcmar, le lieu fut dès lors appelé Cnoguba (aujourd’hui Knowth) ce qui signifie « la lamentation des noisettes ».
Cleitech, près du Brugh na Boinne (Newgrange) où se sont installés la damona Bovinda/Boand et Elcmar après avoir quitté le Brugh.
178
Mullachshee, près de Ballyshannon, dans le comté du Donegall, connu également sous le nom d’Ess Ruadh. Domaine d’Ilbhreac, fils de Bélénos Barinthus (Manannan Mac Lir).
Druim Nemed, à Luigne, dans le Connaught. Caoilte et Cascorach s’y arrêtèrent en allant à Ess Ruadh.
Cnoc Meadha (Knockmaa) près de Tuam, dans le comté de Galway. Domaine de Finnbheara, roi des fées de la région ou dernier roi des aes side selon nos homologues irlandais (quelle hérésie !)
Beaucoup d’autres existent. Pour plus de détails, voir l’Onomasticon Goedelicum ; locorum et tribuum Hiberniae et Scotiae du Père Edmond Hogan.
Une évolution analogue a dû se produire pour ce qui est des dieu-ou-démons aériens. À cette importante différence près qu’il ne fut nullement question pour les transcripteurs chrétiens de laisser croire un seul instant que ces demeures célestes des dieu-ou-démons ; dont nous avons pourtant la trace dans la mythologie galloise (caer Arianrod = la constellation Corona Borealis, caer Gwyddion = la Voie lactée, etc.) ; pouvaient constituer un royaume céleste au sens de « paradisiaque ».
Voici par exemple comment le barde Flann Mainistrech a vu les choses à son époque.
« Les falsificateurs de l’Histoire
Affirment que le peuple des barques et des tertres
Étant du Sidhe, y est retourné.
Ce n’est pas ce qu’un bon chrétien doit croire.
Ni maith la Crist in creideam.
Gebe creidis co n-anmain
A mbeadli a sidhaibh samlaigh,
Ni aitreabha neam na neart,
Domnai nadh fir nos-eisteadh.
Quiconque croit vraiment et en toute honnêteté
Qu’ils sont maintenant dans les sidhe
N’ira jamais au ciel
Car il n’y a rien de vrai dans tout cela.
Ces charlatans disent
Que le peuple des barques et des gobelets
Demeure aujourd’hui dans la terre de Promesse.
Mais la seule Terre Promise
À laquelle ont eu droit les Toutai Deuas
C’est l’enfer, oui ! »
Littéralement
Baile bith-sheang a mbi breth ;
Ai is e in t-ifearnn lchtarach.
Voilà au moins qui a le mérite d’être clair de la part de cet adepte de la religion d’amour.
L’évolution générale des idées fut d’abord de localiser toutes ces divinités célestes dans des îles lointaines au nord ou à l’ouest du monde, puis sous l’influence du christianisme de les rejeter aussi sous terre finalement. Le cas irlandais est particulièrement flagrant à cet égard.
Il est fastidieux de citer toutes les légendes qui nous content comment des hommes sont allés dans un autre monde merveilleux, tantôt volontairement, tantôt enlevés par des âmes/esprits. Cette aventure a toujours été réservée aux plus grands héros ; on connaît celles de Cuchulaïnn, de Loégaïre mac Crimthan, et d’Ossian. Mais il est dangereux de séjourner dans ces autres mondes ; le rythme du temps n’y est pas le même, ou plutôt le temps y est presque immobile. Un jour passé là-bas est comme cent ans sur terre. Il peut donc arriver qu’à son retour au pays, notre héros, quand il met pied à terre ou touche le sol, tombe en poussière. C’est ce qui arrive à Loégaïre et à Ossian. L’autre monde est aussi une sorte de Walhalla. Comment des guerriers enterrés en armes pourraient-ils ne pas désirer poursuivre le combat dans ce monde parallèle ?
D’où les vives critiques adressées à saint Patrice par Ossian dans le célèbre dialogue édité en 1859 à Dublin pour le compte de la Société Ossianique par John O’Daly et finalement son refus du christianisme.
179
Ô, Patrice, si je n’avais pas encore toute ma tête
Je couperais celle de tes clercs
Il n’y aurait plus un livre une crosse d’évêque,
Ni une cloche de matines dans ton église.
… Mon histoire est douloureuse !
Le son de tes lèvres n’est pas doux à mes oreilles ;
Je pleurerai à satiété, mais pas pour Dieu,
Parce que Finn et les Fénianes ne sont plus en vie !
Par-delà l’Océan, il y a aussi un ou plusieurs autres pays que l’on situait loin derrière l’horizon, peut-être même au fond des eaux. Car les vagues de la mer elles-mêmes couvrent une province de ce monde caché, Tir-fo-Tuinn « le Pays sous les vagues » ; et qu’il vaut mieux comparer aux Champs Élysées grecs plutôt qu’à une île des morts. Elle porte dans nos textes de nombreux noms, entre autres ceux de Tir na n-ôg, « pays des jeunes gens », Tir na m-béo, « pays des vivants », Tir na sorcha, « pays brillant », Mag Mell, « plaine de la joie ». Mais on trouve aussi Tir Tairngire, « Terre promise ». Ce dernier nom est bien évidemment dû à l’influence du christianisme. De telles îles enchanteresses de l’Océan furent le but de nombreuses expéditions aventureuses qui nous sont relatées dans les célèbres Imrama. La plus fameuse, celle de saint Brendan prouve que le thème a subsisté jusqu’à l’époque chrétienne, même si ce fut avec une intention tout autre. Les anachorètes irlandais, qui aimaient tant à se confier à la mer, dans leurs petits coracles, ne chérissaient-ils pas, eux aussi, l’espoir secret d’aborder, guidés par la main de Dieu ou du Démiurge, à l’une de ces îles ?
Les visions du Moyen-âge continuèrent de broder sur le sujet. Cela rend d’autant plus difficile de dégager des textes conservés les idées fondamentalement païennes, car il s’y est sans doute mêlé, non seulement des idées chrétiennes sur le paradis, mais aussi des souvenirs de la légende classique (gréco-latine) des Hespérides. Le cas le plus complexe étant sans doute celui du texte du 9e siècle intitulé en gaélique « tenga Bithnua » et qui assaisonne allégrement un schéma judéo-chrétien de type apocalypse de détails typiquement irlandais, ou du moins de phénomènes naturels reflétant la culture des Îles britanniques des 7e et 8e siècles.
Il faut donc reconnaître qu’il règne dans nos textes une relative incertitude quant à ce que l’on entend exactement par ce pays des bienheureux agréables à fréquenter (Meldi). Une chose du moins est très claire : il nous est interdit de parler d’un « Royaume des Morts » au sens propre, bien que cette idée puisse toujours s’y mêler quelque peu.
Le roi des Andernas ou Fomore nommé Tethra, est dit seigneur de Mag MeId dans le récit ayant pour titre Echtra Condla Chaim meic Cuind Chétchathaig. Mention qui ne manque pas de laisser perplexe.
Il ressort donc de toutes ces légendes que les habitants de Tir na n-og sont systématiquement confondus avec le peuple des aes side ; or il semble que, du temps du paganisme, il y ait eu alors une nette distinction entre les deux mondes. On retrouve là le « confusionnisme » dont on parle si souvent à propos du panth-éon ou plérôme celte. Dans le cas qui nous intéresse, la raison en est l’effondrement des doctrines druidiques, après que le christianisme les eut stigmatisées comme inventions diaboliques (fin de notre citation entrecoupée de commentaires, du livre de Jan De Vries sur la religion des Celtes).
Ce qui est certain du point de vue du druidisme par contre, c’est qu’une vie entière passée dans la volupté amoureuse et les festins n’était pas considérée comme une vie de péché.
Dit autrement, il y a plus qu’une simple participation du monde et de toutes les créatures à la nature de Dieu ou du Démiurge (comme dans les variantes les plus éclairées du judéo-islamo-christianisme). Il y a identité entre Dieu ou le Démiurge, et le Monde. Ou plus exactement entre Dieu ou le Démiurge et les Mondes, car l’Être supérieur a suscité non seulement notre terre, notre soleil, notre lune, et nos étoiles, mais aussi d’innombrables mondes parallèles. Ces mondes flottent dans l’espace comme des feuilles de chêne flottant dans la brise. Comme des feuilles de chêne, ils s’ouvrent et se ferment, naissent et meurent. Et leurs dieu-ou-démons également, car les dieu-ou-démons naissent et disparaissent avec ces feuilles. L’équivalent druidique du Ragnarok germanique ne nous est pas néanmoins parvenu, hormis sous forme symbolique dans le décor de certaines monnaies celtiques, notamment celles des Unelles du Cotentin représentant un loup géant s’apprêtant à dévorer une roue solaire (sur un statère d’or) ou dévorant la lune et rejetant ce qui semble être des végétaux.
180
LE PARADOXE MORAL.
La sanction morale n’apparaît donc pas dans la conception païenne de l’Élysée celtique. Et ce n’est pas là, comme certains le croient, un séjour pour les morts comparables à l’Hadès des Grecs. Il importe à ce sujet, pour bien comprendre à quel point les conceptions grecques et druidiques différaient, de reprendre ici ce que nous avons déjà eu l’occasion de souligner à propos de la notion d’Hadès ou de Shéol.
La conception classique de l’autre monde c’est l’Hadès des Grecs, le Shéol de la Bible. Mais pour les druides, l’Hadès ou le Shéol n’existait pas ! Les conceptions druidiques à ce sujet ont d’ailleurs beaucoup choqué dans l’Antiquité (la vraie bonne nouvelle, la vraie suscetla, c’était pourtant bien ceci : l’enfer n’existe pas !).
Lucain : La Pharsale ou la guerre civile.
À en croire vos maîtres les ombres des morts
Ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe,
Ni les pâles royaumes de la mort ;
Une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres
Dans un autre monde [en latin orbe alio]
Et la mort n’est que le milieu d’une longue vie.
Les scholies commentant les vers 451 ou 454 sont également fort claires.
COMMENTA BERNENSIA AD LUCANUM.
Vers 451.
Driadae negant interire animas aut contagione inferorum adfici.
Les druides nient que les âmes puissent mourir ou aller en enfer ou en être affectées.
Vers 454.
Manes esse non dicunt sed animas in revolutione credunt posse constare.
Ils ne disent pas que les mânes existent, mais croient que les âmes peuvent indéfiniment accomplir des révolutions (revenir à leur point de départ pour recommencer une nouvelle vie).
ADNOTATIONES SUPER LUCANUM.
Vers 454.
Hoc enim disputant animas ad inferos non ire, sed in alio orbe nasci.
Ils contestent en effet que les âmes puissent aller en enfer, car ils pensent qu’elles naissent alors dans un autre monde.
GLOSULE SUPER LUCANUM.
Vers 454.
Id est sicut uos dicitis anime ad inferos non descendunt, sed in orbe alterius hemisperii incorporantur iterum uel in aliqua parte orbis a uobis remota.
C’est-à-dire que selon vous les âmes ne descendent pas dans les enfers, mais vont s’incorporer une autre fois dans une partie du monde située dans l’autre hémisphère ou dans quelque partie d’un monde qui vous est inconnu.
Le point Nº 25 de la petite liste annexée au concile de Leptines en 743, sous le titre latin d’indiculus superstitionum et paganiarum (évidemment, il s’agit de condamner ou dénigrer cette idée), va d’ailleurs aussi très clairement dans ce sens. Il évoque le fait d’imaginer que tout défunt est saint.
Mais cette participation des humains à la vie immortelle des dieu-ou-démons n’apparaît pas, nous le répétons encore une fois, comme la récompense d’une vie terrestre remplie de bonnes œuvres.
Aucun texte, quel qu’il soit, ne sous-entend une dualité céleste et infernale, où les âmes se répartiraient suivant un sort posthume déterminé par les mérites ou les fautes de leur existence terrestre. La notion de péché, avec son cortège de récompenses, de châtiments, de pardons et de repentirs, de paradis et d’enfer, est entièrement inconnue des druides à qui l’on pourrait attribuer ces
181
propos du grand mystique japonais nommé Hônen « Même les mauvais vont renaître dans la Terre Pure, à plus forte raison les bons ».
Et dans cette Terre de félicité, ce ne sont plus alors que plaisir, joie et jeunesse sans l’ombre d’une restriction.
Il n’y a pas non plus de purgatoire : le péché véniel n’existe pas plus que l’impiété ou le crime.
L’eschatologie irlandaise est dénuée de toute signification éthique. La mort n’était pas, pour les druides, la délivrance d’une vie de souffrances ou la punition d’une multitude de mauvaises actions. C’était, pour reprendre l’expression de Lucain, le milieu d’une longue vie. Cette croyance justifie l’evocatio de Fergus, apparaissant revêtu de sa tenue militaire et récitant l’intégralité de la Tain Bo Cualnge. Elle justifie encore l’inhumation des morts avec leurs armes, quelquefois avec leur bétail et leurs serviteurs. Dans sa forme et son expression, cette croyance est donc bien différente de celle qu’a propagée le christianisme.
Certains très-sachants de la druidiaction (druidecht) poussent à l’extrême en insistant sur le fait que cet autre monde parallèle de nature paradisiaque n’est pas matériel (trésors, végétation luxuriante), mais il ne faut pas oublier que les âme/esprits des défunts possèdent quand même toujours un corps, analogue au Xvarnah des Perses (bellissama/bellissamos en vieux celtique), après leur réincarnation en cet autre monde.
Il importe en effet de comprendre que, de toute façon, ce mystérieux royaume des morts n’est pas un lieu, mais un état. Le domaine des morts n’est pas localisable puisqu’il s’agit d’un état de l’être.
Apparemment cependant, ces deux mondes communiquent : on passe du domaine des morts à celui des dieu-ou-démons et vice-versa sans grande difficulté : il y a toujours une porte ouverte entre les deux univers.
Pour les vrais très-sachants de la druidiaction (druidecht), la mort n’a jamais été dramatique comme chez les chrétiens. Il s’agit surtout, pour l’âme/esprit qui arrive dans l’univers parallèle de nature paradisiaque, des druides, d’un épanouissement, voire d’une illumination soudaine. Mag Meld est un monde lumineux, comme l’indique son autre nom vieux celtique : « Vindomagos ».
En réalité, contrairement aux ambiguïtés de la formulation des récits, nous ne recevons pas une nouvelle âme avec la régénération qui suit l’accession à l’univers parallèle paradisiaque, celtique, du Mag Meld ou du Vindomagos, mais un nouveau corps… Ce corps est spirituel, plus subtil que l’air, semblable aux rayons du soleil qui produit tous les corps, aussi différent de l’ancien que le soleil resplendissant peut l’être de la nuit. Il correspond au xvarnah de la religion zoroastrienne, bellissama/bellissamos en vieux celtique.
Lucain. Pharsale. I, 454-458 : « À en croire vos maîtres les ombres des morts
Ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe,
Ni les pâles royaumes de la mort ;
Une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres
Dans un autre monde [en latin orbe alio]
Et la mort n’est que le milieu d’une longue vie ;
Si vous savez bien ce que vous chantez.
Heureux sont les peuples qui regardent la Grande Ourse
À cause de cette erreur ; car ils ignorent
Cette peur suprême qui effraie tous les autres,
De là cet esprit [en latin mens] enclin à se jeter sur le fer
Cette force de caractère [latin anima] capable d’affronter la mort,
Et ce peu de soin mis à épargner une vie qui doit vous être rendue, etc. ».
Scolies commentant la Pharsale de Lucain. Commenta ad versum I, 454-458. « Le mort en effet ils le brûlent avec ses serviteurs et ses chevaux, et une partie de son mobilier pour qu’il puisse s’en servir ; c’est pourquoi ils marchent courageusement au combat, et ne ménagent pas leur vie, comme s’ils allaient la recouvrer dans une autre partie du monde. [Qui enim defunctis equos servosque et multam suppellectilem comburant quibus uti possint, inde animosi in proelia exeunt ne vitae suae parcunt, tamquam eamdem reperituri in alio naturae secessu] ».
182
Lucain s’est, certes, trompé en localisant cet univers parallèle de nature paradisiaque comme on le faisait à l’époque ; mais ce qu’il a bien vu par contre, c’est que la vie post mortem, d’après les très-sachants de la druidiaction (druidecht), est parfaitement concrète ; et qu’elle n’a rien à voir avec la conception grecque (l’Hadès) ou la conception romaine (le royaume de Dis) des formes évanescentes. L’Au-delà celtique est concret. Rien de comparable avec les sombres séjours gréco-romains, les paysages y sont baignés du même soleil, on y respire le même air, on y élève les mêmes troupeaux, on y vit la même vie que dans le monde des mortels. Mais cela nous avons déjà eu l’occasion de le dire.
Différentes Écoles druidiques ont développé l’idée que tout croyant, quelles qu’aient pu être ses fautes, passera par là, lui aussi.
L’univers parallèle de nature paradisiaque des druides est composé d’un nombre infini de niveaux (à ne pas confondre avec des étages l’un au-dessus de l’autre selon les mérites de chacun). On ne peut pas imaginer quelqu’un qui a sacrifié toute sa vie à œuvrer pour le bien de l’Humanité ; partager le même niveau paradisiaque avec quelqu’un qui, certes, n’a jamais fait de mal, mais aussi ne s’est jamais soucié de faire du bien. Au paradis comme sur terre, certains méritent mieux que d’autres. Ces différents « niveaux » correspondent à une plus ou moins grande proximité avec le Grand Tout, symbolisée ou représentée de façon diverse selon les traditions. Dieu ou le Démiurge ou une de ses hypostases (vyuha dans l’hindouisme), ou par un objet. Voir par exemple ce que nous rapporte Plutarque de l’île de Kronos ou Saturne.
Plutarque (46-126) est un des plus grands penseurs du paganisme GREC finissant et il a peut-être pressenti sa disparition devant le christianisme. Les spéculations de Plutarque sur la divination s’ancrent dans l’expérience et le savoir de ritualiste du prêtre de Delphes qu’il était.
Une de ses œuvres majeures est sans aucun doute les trois dialogues dits pythiques : Sur l’E de Delphes, Sur les oracles de la Pythie, Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé (œuvres morales, dialogues 24 à 26).
« Quant à la mort des êtres de cette sorte (les démons), voici ce que j’ai entendu dire à un homme qui n’était ni un sot ni un hâbleur. Le rhéteur Émilien, dont certains d’entre vous ont suivi les leçons, avait pour père Épithersès, mon compatriote et mon professeur de lettres. Celui-ci racontait qu’un jour, se rendant en Italie par mer, il s’était embarqué sur un navire qui transportait des marchandises et de nombreux passagers. Le soir, comme on se trouvait près des îles Échinades, le vent soudain tomba et le navire fut entraîné par les flots dans les parages de Paxos. La plupart des gens à bord étaient éveillés et beaucoup continuaient à boire après le repas. Soudain, une voix se fit entendre qui, de l’île de Paxos, appelait à grands cris Thamous. On s’étonna. Ce Thamous était un pilote égyptien et peu de passagers le connaissaient par son nom. Il s’entendit nommer ainsi deux fois sans rien dire, puis, la troisième fois, il répondit à celui qui l’appelait, et celui-ci, alors, enflant la voix, lui dit : « Quand tu seras parvenu à la hauteur de Palodès, annonce que le grand Pan est mort ».
En entendant cela, continuait Épithersès, tous furent glacés d’effroi. Comme ils se consultaient entre eux pour savoir s’il valait mieux obéir à cet ordre ou ne pas s’en inquiéter et le négliger, Thamous décida que, si le vent soufflait, il passerait le long du rivage sans rien dire, mais que, s’il n’y avait pas de vent et si le calme régnait à l’endroit indiqué, il répéterait ce qu’il avait entendu. Or, lorsqu’on arriva à la hauteur de Palodès, il n’y avait pas un souffle d’air, pas une vague. Alors Thamous, placé à la poupe et tourné vers la terre, dit, suivant les paroles entendues : « Le grand Pan est mort ». À peine avait-il fini qu’un grand sanglot s’éleva, poussé non pas par une, mais par beaucoup de personnes, et mêlé de cris de surprise.
Comme cette scène avait eu un grand nombre de témoins, le bruit s’en répandit bientôt à Rome, et Thamous fut mandé par Tibère César. Tibère ajouta foi à son récit, au point de s’informer et de faire des recherches au sujet de ce Pan. Les philologues de son entourage, qui étaient nombreux, portèrent leurs conjectures sur le fils d’Hermès et de Pénélope ».
Telle fut la narration de Philippe, confirmée par le témoignage de quelques assistants qui l’avaient entendue de la bouche d’Emilianus dans sa vieillesse.
En ce qui concerne Démétrius, il nous conta que les îles semées aux environs de la [Grande] Bretagne sont pour la plupart désertes, et que quelques-unes portent des noms de démons et de demi-dieux. Il ajouta qu’envoyé lui-même par l’empereur vers ces parages pour s’enquérir et voir ce qui en était, il avait abordé dans celle de ces îles désertes qui était la plus proche. Elle n’abritait que peu d’habitants, qui… »
183
Le « De facie in orbe lunae » (De la face qui paraît sur la lune), qui est en connexion étroite avec le « De defectu oraculorum » (Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé), semble avoir été composé à la même époque.
On notera que dans les deux dialogues un dénommé Lamprias (frère de Plutarque) fait le récit et se présente comme un des protagonistes de ces dialogues. Il met en scène un voyageur étranger anonyme [un druide hyperboréen ?] ayant pendant trente ans été prêtre de Kronos dans une île de l’Atlantique.
Les interlocuteurs de La Disparition des oracles proposent différentes explications de la raréfaction des oracles à l’époque de Plutarque. Traitant tous trois de la divination, qui était un élément fondamental de la religion d’alors, ces dialogues promeuvent et défendent une certaine conception de la divinité et de la providence [les prédictions sont le fait de djinns ou de démons]. À jamais associés à la fin du paganisme antique par le récit de la mort du grand Pan, ils touchent autant à la philosophie et à la théologie qu’à la cosmologie, à l’anthropologie, à la physique, à l’arithmétique et à la théorie de l’âme/esprit. Plutarque, philosophe et prêtre d’Apollon, y indique les limites du savoir et de la justification rationnelle sans pourtant cesser de les pratiquer.
En ce début du IIe siècle, le culte du dieu ou démon de Delphes, Apollon, décline, et son oracle, la fameuse Pythie, était peu à peu réduit au silence, faute de questions et de visiteurs. C’est dans ce contexte de décadence quelque peu mélancolique que Plutarque écrivit ses trois dialogues dits « pythiques », traitant de l’oracle de Delphes. Le premier « À propos du E de Delphes » sur les offrandes, le deuxième, « pourquoi la Pythie ne rend plus ses oracles en vers » traite de l’inspiration de la pythie, et le dernier s’interroge enfin sur « La disparition des oracles ». Les trois textes furent probablement écrits par Plutarque à la fin de sa vie, lorsqu’il était lui-même prêtre à Delphes et voyait le sanctuaire, malgré ses efforts (parfois payés de succès), se vider inexorablement.
Les dialogues de Plutarque sont une réflexion sur les dieu-ou-démons. Dans le De defectu oraculorum (Sur les sanctuaires dont les oracles ont cessé), Plutarque fait par exemple appel à l’hypothèse des démons ou djinns, en tant que race intermédiaire, pour tenter d’expliquer les mécanismes oraculaires.
Dans le cas de Kronos, il s’agit bien entendu de l’interpretatio graeca d’un mythe celte auquel Plutarque n’a rien compris. Les démons sont sans doute des humains arrivés à un très haut degré d’élévation spirituelle et de félicité. Quant au dieu-ou-démon endormi ou « otiosus » dont le nom a été traduit en Kronos par notre auteur, on peut se demander s’il ne s’agit pas de Taran/Toran/Tuireann. Puisque, à en croire les Irlandais, il a été détrôné par la famille de Lug. (Quelle hérésie ! Du moins quelle innovation révolutionnaire c’est le cas de dire, par rapport au druidisme de référence qui est, qu’on le veuille ou non, le druidisme antique quelque part en Europe centrale).
Les strates inférieures du paradis selon les druides sont encore celles du désir, d’où toute l’imagerie qui les entoure, et surtout destinée aux guerriers d’ailleurs *. Les âme/esprits des défunts y poursuivent leur purification. Au-dessus se trouvent les cieux où il n’y a plus que de pures âmes ou presque. Les dieu-ou-démons qui les habitent sont affranchis des désirs, mais ont encore des formes, ou sont encore visibles sous des formes. Ce sont les dieu-ou-démons qui ne sont pas des forces de la nature, mais les dieux idées ou allégories pouvant servir de support à nos prières et à notre méditation (Bélénos, etc.). Les âme/esprits des défunts qui séjournent là sont caractérisées par des états de l’être de plus en plus dégagés des mouvements psychiques du bas monde.
Au-dessus se trouvent des cieux où il n’y a même plus d’apparence. Ce domaine, comme son nom même l’indique, exclut toute localisation et disposition matérielle, et implique donc la cessation de tout ressenti.
Au-delà, c’est le retour au Grand tout (Pariollon). La liquidation de tout acquis est achevée pour l’âme, même son esprit s’en est allé, la fin définitive de cette âme individuelle résulte donc fort logiquement de l’épuisement de la construction phénoménale qui entretenait sa vie.
« Prépare ton immortalité, à ta mort tu feras partie des mondes en formation » (Henri Lizeray).
184
ECCLESIAE METROPOLITANEAE COLONIENSIS CODICES MANUSCRIPTI.
Vers 457.
ORBE ALIO : apud antipodas. Hi de metapsihei (sic) senserunt, et euntem ad corpus in tribus elementis purgari dixerunt. In igne in perusta, in aere in temperata, in aqua in frigida. Vel alium orbem vocat alia corpora digniora vel indigne apud nos. Fuit enim sentencia, animas in comparibus stellis positas. Et descensus per cancrum. In planetis vero pro diversitate eorum hauriebant diversa. In corporibus tandem pro merito quedam cicius celum
petebant, quedam de corpore in corpus transeunt, donec firmamento consecuti resipiscant.
ORBE ALIO : aux antipodes. Voilà ce qu’ils pensaient à propos de la métempsychose, et ils disaient que l’on doit être triplement purifié avant d’entrer dans un (nouveau) corps. Quant à son ardeur par la combustion, quant à son air par une chaleur tempérée, quant à son eau par le froid. Ou alors ils appellent autre monde le fait d’entrer dans des corps plus dignes ou moins dignes que les nôtres ici-bas.
Cette sentence impliquait peut-être que les âmes se reposaient alors dans des étoiles de même nature qu’elles. Puis redescendaient par le Signe du Cancer. En s’enrichissant par l’intermédiaire de ces planètes de divers éléments suivant leurs besoins et leur nature. À la fin après être entrées dans de nouveaux corps certaines accédaient plus rapidement au ciel en fonction de leurs mérites tandis que d’autres continuaient de passer de corps en corps jusqu’à ce qu’elles atteignent elles aussi le firmament.
Le commentateur de ces vers de Lucain n’a visiblement rien compris à la mythologie druidique d’alors. La vérité de leurs spéculations à propos du destin posthume de l’âme est en effet beaucoup plus simple en ce qui concerne la dernière étape de sa vie.
Le soleil était alors perçu comme une des étapes qu’empruntaient les âmes lorsqu’elles voyageaient vers les cieux de l’au-delà. L’âme jaillissait dans le ciel (comètes ainsi qu’étoiles filantes étaient considérées comme des âmes d’êtres exceptionnels, en route vers les astres, montant au paradis dirait-on aujourd’hui) et passait au travers du soleil. Mais le soleil n’était pas le terme ultime de ce voyage des âmes. L’âme passait à travers lui pour atteindre une sphère encore plus élevée, située en définitive au fin fond du ciel et des étoiles. Le soleil était donc dans ces conditions un lieu de passage à sens unique. Au-delà, l’âme délestée de son esprit (l’anamone délestée de son menman) ne peut plus régresser.
La constellation appelée « la Voie lactée » (Caer Gwydion en gallois) était perçue comme étant l’ultime étape mythique qu’empruntait l’âme arrivée au terme de ce fantastique jeu de marelle cosmique. C’est une des plus anciennes constellations connues.
Son nom actuel provient de la légende grecque parlant d’Hercule. En effet, un jour, alors qu’il était enfant, il fut placé sur le sein d’Héra endormie. Malheureusement, Héraclès ne maîtrisant pas encore sa force voulut se nourrir au sein de la déesse-ou-démone, mais il téta si fort que le lait gicla et se répandit en une grande traînée laiteuse dans le ciel : la Voie lactée.
Bien évidemment, les interprétations mythologiques des autres civilisations étaient radicalement différentes. Plusieurs peuples de l’Est asiatique ont par exemple associé la Voie lactée à une représentation du Paradis. De même, les étoiles Altaïr et Véga sont-elles parfois représentées comme des amants, pour lesquels la rencontre n’est permise qu’une fois dans l’année, le septième jour du septième mois. Ce jour s’appelle Qixi en chinois, Tanabata en japonais, Chilseok en coréen.
Le Retour au Grand Tout (erdathe individuelle ou erdathe universelle) est donc le point culminant de cette vision panthéiste du druidisme si bien défendue par John Toland. Face ou au-dessus de ce monde, régi par la causalité, il y a justement le royaume sur lequel la causalité ne règne pas. Le Grand Tout n’est pas un paradis. L’autre monde parallèle de nature paradisiaque est le fruit d’un mérite, même infime (en l’occurrence, pour les bouddhistes, il suffit de croire en Amida), le Grand
185
Tout, lui, suppose l’absence de mérite et de démérite. Du reste, il n’y a pas nécessairement un lien entre la mort et ce Grand tout. Le grand tout peut être atteint ou plus exactement approché dès que l’âme humaine perd son esprit ou menman. Le Pariollon (Parinirvana dans le bouddhisme) était l’éclaboussement de lumière produit par la fusion ensemble de ces myriades de grandes âmes, si l’on en croit Robert Graves (cf. sa Déesse Blanche **), le lieu même de la fusion des êtres et du monde. Disons plus simplement qu’il peut être atteint par une extase de type chamanique ou panthéiste (cf. les awenyddion gallois).
Fuit enim sentencia…… Notre commentaire à nous de ce vers de la Pharsale de Lucain.
Le Meldus ou bienheureux si délicieux à fréquenter, habitant du monde parallèle de nature paradisiaque selon les très-sachants (Plaine des délices, Mag Meld, Vindomagos, Sukhavati, etc.) peut accéder, lui aussi ; après son départ de ce paradis (sa deuxième mort en quelque sorte), la purification de son âme ayant été ainsi achevée ; à ce grand Tout, qui est au-delà du séjour des dieu-ou-démons ; ou si l’on préfère le séjour des dieu-ou-démons achevé (le sedodumno à la puissance 10). Le paradis druidique (le monde parallèle appelé le paradis) n’est que l’état de l’être où l’âme se débarrasse de son esprit/conscience individuel (menman).
N.B. L’anatiomaros ou grand initié (semnothée en grec), est celui qui est libéré de toute espèce de désir, de toute espèce de peine, libéré de tout par la méditation, et qui a conquis lui aussi la grande science qui illumine (imbas forosnai). Il sait tout et peut tout, il a déjà un pied dans l’autre monde des dieu-ou-démons (Sedodumnon). Il s’agit donc dans ce cas, d’un état mental atteint sur cette terre, par un être humain de son vivant. Il peut continuer à se mouvoir parmi les hommes, mais il n’appartient plus au monde de l’illusion ou du relatif symbolisé au Moyen-âge par la fata Morgana (La Fée Morgane) : il a déjà un pied dans l’immuable, dans l’éternité. À sa mort, il entre dans le Grand tout, directement sans passer par la case « paradis » de cette marelle cosmique. Dernière forme ou phase d’épanouissement instantané de l’âme, appelé moksha ou grande illumination par les druides, un peu déviants, indo-bouddhistes.
* Forcément, comme ils sont devenus la classe dominante après la disparition du druidisme, ce sont les récits les concernant qui nous sont parvenus en plus grand nombre. Mais il y a dû avoir aussi des mythes concernant le sort après la mort du corps, de l’âme/esprit des défunts appartenant à la troisième fonction, celle des producteurs.
** Auteur ayant néanmoins beaucoup « erré ».
186
LES AU-DELÀ PERSAN HINDOU JAPONAIS BOUDDHISTE.
Au-delà des ressemblances purement extérieures, entre Soukhavati et Mag Meld, le plus intéressant dans cette conception du paradis situé à l’ouest du monde, selon les bouddhistes, ce sont les conditions pour y accéder : on y devine très nettement une influence persane.
Le philosophe iranien du XIIe siècle, dont la pensée puise aux sources mêmes du mazdéisme ancestral, Sohraouardi, en parle comme du monde que rencontre le pèlerin de l’esprit dans ses expériences mystiques. Pour décrire le processus d’élévation de l’âme vers ce plan de conscience, la symbolique iranienne parle de l’ascension de la montagne de Qâf. Il s’agit d’une montagne cosmique dont le sommet n’est autre que le centre le plus élevé de la psyché de l’homme. Sur ce sommet se trouve le rocher d’émeraude [le Graal ?] qui colore la voûte céleste en vert. C’est là où réside l’Esprit-Saint, l’Ange de l’Humanité. Pour les soufis, l’émeraude est d’ailleurs toujours le symbole de l’âme cosmique.
Sohraouardi présente ce monde (âlam al-mithâl), comme étant une dimension située entre les sphères purement « animiques » et matérielles. Désigné théosophiquement comme le Malakoût (le monde de l’âme individuelle et des âme/esprits donc), il joue le rôle de médiateur entre le monde des formes et celui des pures essences. Il est désigné comme étant le « Huitième Climat », la « Terre aux Cités d’Émeraude », Hurqalya.
Hurqalya est le lieu en lequel se situent tous les évènements réels, mais surnaturels. Là est le monde des archétypes de la création cosmique et humaine, le monde de nos origines et de notre aboutissement, là est la patrie de l’âme/esprit humaine. Hurqalya est le lieu en lequel l’âme/esprit accède après s’être détachée du corps physique. Le lieu en lequel l’âme/esprit franchit le pont appelé Chinvat, ce mince fil tendu entre les deux plateaux de la balance du bien et du mal *.
Le lieu en lequel, l’âme/esprit, après le passage du pont, rencontre sa Daena (sa composante « âme pure », symbolisée par une magnifique jeune fille, ou par une horrible sorcière suivant les cas) ; dont la splendeur lumineuse est proportionnée à la spiritualisation et à l’éclat conquis par l’âme au cours de sa vie terrestre en association avec l’esprit.
En Hurqalya sont les divines entités affectées à toutes les formes de la vie et de la mort physiques ; affectées à l’Humanité ainsi qu’à son évolution naturelle ou surnaturelle, sur Terre et en Hurqalya.
L’âme/esprit peut accéder à ce plan avant la mort, en usant d’une faculté purement spirituelle et totalement indépendante du corps, l’imagination active. Hurqalya est le lieu des grandes expériences visionnaires, des extases mystiques, des initiations. C’est à partir de cette Terre céleste que l’âme/esprit nourrit son corps glorieux à venir, son corps de lumière, son corps bellissamos.
L’imagination active est la puissance formatrice du corps subtil de l’Homme, à jamais inséparable de l’âme, parce que constituant son individualité spirituelle.
Sur Terre, les actions des hommes. En Hurqalya, le fruit de ces actions.
Sur Terre, le corps physique. En Hurqalya, le corps de lumière ou de gloire. Le corps bellissimos.
« Voir les choses en Hurqalya », c’est découvrir leur sens caché, l’Histoire spirituelle transparaissant sous l’Histoire évènementielle. Ce monde intérieur, visionnaire, n’a jamais sans doute été aussi bien décrit que dans les récits mystiques de Sohraouardi.
C’est le monde où s’accomplissent les événements de notre hiéro-histoire, les théophanies, les manifestations du Xvarnah – la lumière de Gloire de la théosophie zoroastrienne – vieux celtique bellissama/bellissamos, si proche des manifestations de notre Saint Graal.
L’histoire spirituelle de Sohraouardi est le récit de l’initiation de l’âme humaine, l’histoire de son retour vers la porte céleste, cosmique, ou le « rocher d’émeraude », situé au sommet de la montagne appelée Qâf – le sommet de la hiérarchie spirituelle –. C’est le paradis terrestre de l’Hyperborée, la terre qui n’a pas été atteinte par la Chute, la « terre des âme/esprits » dont parle aussi le poète persan Abdol-Karim Gili.
L’AU-DELÀ HINDOU.
187
Le paradis d’Indra (Indraloka) est une idée hindoue ; l’excellence du carma y fait aller ; mais on n’y reste jamais à perpétuité, c’est là la différence avec certaines autres conceptions de cet autre monde parallèle de nature paradisiaque. Indra, dans la religion hindoue, est le dieu-ou-démon du ciel et du jour, le roi des bons génies, le maître des nuages, de la foudre, et de la pluie. On le compare souvent au Taran/Toran/Tuireann des très-sachants ou gnostiques d’Occident. Indra est souvent représenté assis sur l’éléphant Airavat, avec quatre bras, et tenant d’une main une fleur de lotus [N. D L. R. Taran/Toran/Tuireann, lui, plus modestement, est alors représenté sur un cheval, des foudres à la main].
La cour d’Indra était située à Svarga, son ciel ou son royaume dans les nuages, entourant le plus haut sommet du mont Mérou. Ce ciel pouvait se déplacer n’importe où, selon le bon plaisir de son seigneur.
Cet autre monde lumineux était là pour accueillir ceux qui n’avaient pas démérité de renaître auprès des dieu-ou-démons. Les guerriers tués y allaient après la mort. Indra et la belle Indrani présidaient aux destinées de ce paradis. Aucune douleur, aucune souffrance ou crainte, n’y étaient possibles. Apsaras et Gandharvas y dansaient souvent et divertissaient ainsi ceux qui se présentaient à la cour. On y organisait aussi des jeux et des concours sportifs. Mais le paradis hindou (Svarga) n’est qu’un épisode dans le long voyage de l’être qui transmigre. Un peu comme dans le druidisme d’ailleurs, pour qui ce séjour bienheureux n’est qu’une étape, une ultime étape avant de rejoindre les étoiles, avant le retour au grand tout.
Voir plus haut notre commentaire à nous du vers 457 de la Pharsale de Lucain : fuit enim sententia, etc.
* On retrouve d’ailleurs ce symbolisme persan du pont dans certaines visions ou aislingi médiévales irlandaises, celle de Saint Adamnan par exemple.
LES MULTIPLES AU-DELÀ DE LA RELIGION SHINTO.
Passons sur les mondes parallèles maléfiques et venons-en directement aux différents mondes parallèles bénéfiques de cette fascinante culture.
La Grande Plaine Céleste appelée Takamagahara.
Le Kojiki (Livre des choses anciennes) est la première œuvre historique japonaise, en même temps que le plus ancien monument littéraire japonais qui nous soit parvenu.
Or ce Kojiki rapporte qu’au commencement du monde, les kamis naquirent dans la Haute Plaine Céleste (Takama no hara ou Takamagahara). Les mythes japonais fourmillent de références à ce pays céleste et à des descentes sur terre des dieu-ou-démons qui demeurent en ce lieu. Ainsi, après qu’Izanagi eut confié le gouvernement de la Haute Plaine Céleste à la déesse-ou-démone Amaterasu et celui de la mer à Susanoo, ce dernier monte au ciel pour voir sa sœur. Il répand le chaos dans la plaine céleste et, banni, descend sur terre. Ce mythe met en scène deux divinités majeures du panth-éon japonais : la déesse-ou-démone solaire Amaterasu Omikami et son frère Haya Susanoo no Mikoto. Cet épisode nous fournit plusieurs informations sur la Haute Plaine Céleste. On apprend notamment que le domaine d’Amaterasu a une géographie, une faune, une flore et une organisation, comparables à celles du pays des hommes.
Mais le ciel n’abrite pas que les dieu-ou-démons. C’est aussi la destination de l’âme/esprit de certains morts. C’est du moins ce que laissent supposer plusieurs textes. On y trouve deux sortes de références au ciel : les mots utilisés dans le sens de « mourir », et la présence d’oiseaux dans plusieurs textes.
Dans les textes anciens, on trouve rarement la mort désignée telle quelle, surtout la mort de personnages importants. Le Kojiki ou le Nihonshoki ne disent pas « mourir », mais « se cacher dans le roc », ou « partir divinement » (kamu saru), « se cacher dans les nuées » (kumo kakuru) voir monter divinement » (kamu agaru). Ces deux dernières expressions, utilisées pour décrire la mort de personnages importants, les empereurs ou leurs proches, laissent bien penser que l’âme/esprit du mort monte au ciel. De même, plusieurs récits décrivant la mort de personnages illustres font mention d’oiseaux. Le Kojiki indique : « Là-dessus le prince défunt se métamorphosa en un immense pluvier blanc et, en montant jusqu’au ciel, s’envola vers le rivage […] L’oiseau quitta ainsi le pays et arriva ainsi à Shiki dans la province de Kafuchi. Ils y construisirent un célèbre mausolée, Yamato-take y reposa. C’est pourquoi cet auguste mausolée fut appelé du nom de “tombe impériale de l’oiseau blanc” : Misazaki Shiratori. Mais l’oiseau s’envola néanmoins encore une fois au loin ».
188
Ce passage est clair : après un court séjour dans sa tombe, l’âme/esprit du mort quitte la terre et se rend au ciel sous la forme d’un oiseau. D’autres textes suggèrent cette ascension de l’âme/esprit jusqu’au ciel. Que des membres de la lignée impériale, descendants des kamis célestes, aillent, après la mort, rejoindre le pays des dieu-ou-démons, pays de leurs ancêtres, n’est donc pas vraiment illogique. Mais qu’en est-il de l’âme/esprit des gens du peuple ? Peut-on imaginer un système de croyances établissant différents mondes des morts, selon le statut social du défunt ?
Quoi qu’il en soit, la Haute Plaine Céleste était apparemment considérée comme le pays des kamis, et la destination de l’âme/esprit des empereurs morts. Quant aux plus humbles, le Nihon-shoki ou le Kojiki ne s’attardant pas à décrire leur mort, il serait bien téméraire d’être catégorique sur leur sort.
Le Pays outre-mer.
Il semble que le Tokoyo no kuni (le pays du Tokoyo) soit une des plus anciennes croyances des habitants de l’archipel japonais. Mais le concept de toko-yo a connu de nombreuses transformations. Toko signifierait « ce qui ne change pas », c’est-à-dire la permanence. Mais le sens de yo semble avoir beaucoup varié au cours du temps. Signifiant à l’origine « céréale », il en vint, par association d’idées, à désigner la récolte du riz, puis la maturité, la fertilité, jusqu’à symboliser le pays de l’abondance. Étymologiquement, l’expression toko-yo no kuni désignerait donc un pays d’abondance éternelle. À partir de l’époque du Manyoshu, « yo » prend un sens supplémentaire, celui de désir ou de rapport sexuel. On a donc aussi fait du Toko-yo no kuni le paradis éternel de l’amour. Mais, au-delà de cette notion de pays de Cocagne, le Toko-yo est aussi le séjour des morts, celui des âme/esprits des ancêtres, voire le pays de la nuit éternelle ; bien que ce dernier sens soit peut-être uniquement dérivé d’une homophonie (toko-ya, la nuit éternelle, se prononce également toko-yo).
Le Kojiki fait référence à ce pays paradisiaque, fait d’abondance et d’amour, où séjournent les âme/esprits bienveillantes des ancêtres, dans le mythe d’Okuninushi.
Ce passage ne nous apprend rien de très précis sur le Toko-yo, si ce n’est que ce pays est situé au-delà de la mer. Le fait que Sukunabikona s’y rende, laisse toutefois supposer qu’il en venait justement, et que ce pays est le lieu de résidence de kamis bienfaisants. Mais la suite du texte du Kojiki comporte, quelques lignes après, un passage dont le sens est assez obscur, à la suite du récit de la visite de Sukunabikona. Ces deux passages du même mythe feraient donc du Toko-yo le pays des kamis et des tamas bénéfiques.
La seconde partie du Kojiki ou Livre des choses anciennes, qui couvre les règnes des premiers empereurs japonais, fait aussi référence au Tokoyo, dans le chapitre consacré à l’empereur Suinin.
Cette anecdote laisse penser que le Toko-yo était alors considéré comme un pays exotique, recelant des trésors, mais aussi comme un pays dans lequel le temps s’écoule différemment.
Le Toko-yo est également, ainsi que nous l’avons vu, le pays des ancêtres, d’où ils reviennent parfois visiter leurs descendants. Ces personnages sont des marebitogami, des divinités qui viennent parfois de l’au-delà pour apporter aux hommes les bienfaits du Tokoyo. Leur visite a généralement lieu au début de l’année. Ils apportent l’assurance d’une vie heureuse et d’une récolte abondante, ils chassent les calamités ainsi que les maladies. Peut-être faut-il alors rapprocher ce concept des croyances des îles Ryukyu, en particulier du Nirai-Kanai, pays situé au-delà de la mer, et d’où viennent des ancêtres bienfaisants.
On peut donc résumer ainsi les caractéristiques du pays du Toko-yo.
Il est situé au-delà de la mer.
Le temps s’y écoule différemment : c’est le pays de la permanence, de la jeunesse sans déchéance.
C’est un pays exotique où l’abondance n’est jamais confrontée aux rigueurs de l’hiver, comme en témoignent les « fruits toujours parfumés ».
Ce pays abrite des entités bienfaisantes qui sont des kamis et des ancêtres, qui viennent chaque année chasser les malheurs ou apporter leurs bienfaits aux hommes.
Le Ne no kuni, ou pays des racines. Cette expression est parfois synonyme de « pays de Yomi », mais il arrive qu’elle renvoie aussi à une image moins repoussante. Le pays souterrain ne doit pas être uniquement cette ignoble contrée que nous décrit le mythe de la quête souterraine d’Izanagi.
Un autre passage du Kojiki nous fournit d’ailleurs plus de détail sur ce pays souterrain. Il s’agit de la fuite d’Okuninushi au Ne no kuni.
Ce mythe nous propose une vision du Ne no kuni très différente de celle que nous offrait le récit de la visite d’Izanagi au pays de Yomi. Ce serait pourtant, d’après le Kojiki, le même pays. Mais les divergences sont notables.
189
Le voyage d’Ôkuninushi ressemble à un voyage initiatique, un rite de passage. Après avoir subi des épreuves, il revient plus fort. De son séjour chez Susanoo, il ramène une épouse et des armes qui lui donnent la force, la victoire et le pouvoir dans son pays.
Le Ne no kuni n’est donc pas un pays maléfique. C’est tout d’abord, pour Susanoo, le « pays de sa mère » (Haha ga kuni). Pour Okuninushi, c’est un au-delà faste, pays d’amour et de puissance.
Le Pays sous la mer. Un autre pays faste nous est présenté dans le mythe d’Umi no Sachi et Yama no Sachi. Hoderi no Mikoto et Hikohohodemi no Mikoto, sont deux kamis frères, nés de Ninigi no Mikoto, un kami céleste, et de Konohana no Sakuya Hime, fille du kami des montagnes Oyamatsumi no Mikoto.
Ce récit est très semblable au mythe de la visite d’Okuninushi au Ne no kuni : un kami confronté à sa fratrie va chercher l’aide d’une divinité régnant sur un « autre monde ». Il trouve dans ce pays une épouse, des objets magiques, et des conseils sur la façon de se défendre. De retour dans son pays le kami suit les conseils reçus, et sort vainqueur de l’affrontement.
L’autre monde visité se révèle être un pays faste, source d’amour, de force et de pouvoir. Mais dans le cas de Yama no Sachi en l’occurrence, il ne s’agit pas d’un pays souterrain, mais d’un pays sous-marin. Bien que le texte du Kojiki ne situe pas explicitement le palais du kami des océans sous la mer, une indication nous permet de l’y placer. Au moment du départ de Yama no Sachi, le kami des océans dit qu’il va partir « pour le Pays-d’en-Haut », et le fait raccompagner par un requin.
Une autre histoire fait allusion à un monde faste situé sous la mer. C’est celle d’Urashima Taro : un jeune homme aide une tortue de mer en difficulté. Pour le remercier, cette dernière le conduit jusqu’au Palais du Dragon (ryugu) situé sous la mer. Dans ce palais, résidence du kami des océans, Taro est reçu avec faste. Il épouse la fille du kami, et passe trois ans dans le luxueux palais. Mais il a laissé sur la terre ferme sa mère, et désire la rejoindre. Son épouse le laisse partir à contrecœur, et lui confie une boîte, à n’ouvrir sous aucun prétexte. De retour chez lui, Taro ne retrouve ni sa mère ni sa maison. Perdu, il ne reconnaît personne. Il en oublie les conseils de la fille du kami, et ouvre la boîte. Il s’en échappe une mince fumée blanche et, alors qu’il la regarde s’élever dans l’air, le jeune homme se change très vite en vieillard et meurt. Bien qu’il ne se soit écoulé que trois ans sous la mer, Taro était resté bien plus longtemps absent de chez lui. En ouvrant la boîte, il avait permis au temps de le rattraper.
Cette histoire rajoute une autre caractéristique au pays sous-marin : le temps s’y écoule très lentement. C’est non seulement le pays de l’abondance et de l’amour, mais aussi celui de la jeunesse éternelle. Ce qui nous ramène à la plus ancienne des conceptions de l’autre monde, traitées ici : le pays du Toko-yo, si bien chanté par les poètes de l’ère meiji.
Note à l’intention des lecteurs. Il va de soi, même s’il y a eu de lointaines et indirectes influences indo-européennes sur l’histoire du Japon, que nous ne prétendons nullement que toutes ces ressemblances sont la preuve de l’existence d’une tradition primordiale unique, commune. Lesdites ressemblances s’expliquent uniquement par notre commune nature humaine, c’est cette nature humaine commune qui explique la similitude de nos rêves ou de nos aspirations d’être humain.
Les plus anciens vestiges humains au Japon appartiennent au Paléolithique. Il semble que des populations venues à la fois de Sibérie, via la Corée, mais aussi de Chine et même d’Asie du Sud-Est, se soient dès cette période retrouvées sur les îles de l’archipel nippon.
Les Aïnous sont, certes, des blancs, mais pas des blancs de type européen. Ils sont pour la première fois mentionnés par les Japonais dans le Kojiki comme étant les descendants d’un peuple ancien : les « Emishi » (littéralement, les « barbares qui ne sont pas sous l’autorité politique du Japon »). Ils occupent la moitié nord de l’archipel japonais, mais seront peu à peu refoulés dans l’île d’Hokkaido. Leur quasi-absence de résistance s’explique sans doute par leur croyance selon laquelle la terre n’appartient à personne. Ils ont par contre beaucoup influencé la civilisation japonaise naissante. Le terme japonais de kami vient sans doute de l’aïnou kamui.
Chez les Aïnous, il est un rituel qui a particulièrement frappé les ethnologues, c’est leur rituel de l’ours. En effet, on est là en présence d’un rituel religieux, sans la moindre utilité économique, mais clairement apparenté à l’élevage, alors que ce peuple ne le pratique pas. Le même rituel, appliqué à un loup (pas encore un chien), ou à un bovin (encore sauvage) ou un autre animal susceptible d’être domestiqué, aurait donné à la longue des effets faciles à imaginer : la domestication, et l’intérêt pratique non prévu, mais s’imposant, aurait recouvert l’intention rituelle qu’on ne remarquait plus. Mais comme l’ours n’est, semble-t-il, pas domesticable, le rituel a pu être conservé sans trop de variations,
190
et apparaît comme un précieux fossile civilisationnel, qui peut nous aider à imaginer le processus à l’origine de l’élevage.
LES MULTIPLES AU-DELÀ DE LA RELIGION BOUDDHISTE.
Ainsi que nous avons pu le voir brièvement plus haut, on distingue, dans le bouddhisme, entre terre de bouddha impure, et terre de bouddha pure. Dans les terres de bouddha impures, il est difficile d’obtenir vêtements et nourriture. Il est difficile d’y entendre le dharma (la loi des mondes ou le destin), difficile d’y rencontrer les bouddhas et bodhisattvas. En bref, une terre de bouddha impure est un monde où les conditions, dans l’ensemble, ne sont guère favorables au développement spirituel. Un monde dans lequel il est difficile aux êtres humains d’évoluer, où il leur est difficile de suivre la voie vers la prise de conscience. Notre propre Terre, sur laquelle le Çakyamouni atteignit l’éveil, est donc, et cela ne surprendra personne, une terre de bouddha impure. Les soûtras mahayanas la décrivent d’ailleurs comme étant un endroit sale, désagréable et dangereux. Ce en quoi évidemment ils exagèrent, notre terre est aussi dotée de grandes beautés, de la plus petite des fleurs au plus majestueux des sommets (c’est donc là un des nombreux points qui séparent – sans les opposer – druidisme et bouddhisme).
Une terre de bouddha pure ou bouddha-kshetra, par contre, est son exact opposé. Mis à part les bouddhas et bodhisattvas, elle n’abrite que des dieux et des hommes. Nourriture et vêtements y apparaissent spontanément, sans que qui que ce soit doive travailler pour les produire. Il est très facile d’y entendre le dharma, très facile d’y rencontrer des bouddhas et bodhisattvas. Bref, une terre de bouddha pure ou bouddha-kshetra, est un monde où les conditions sont hautement favorables au développement spirituel, où il est facile pour les êtres d’évoluer, facile de suivre la voie vers une prise de conscience salutaire.
Terre de Bouddha (bouddha-kshetra) est donc le terme générique désignant la sphère d’influence d’un bouddha. Le mot « terre » fait bien référence ici au monde des phénomènes visibles. Un bouddha kshetra est la zone à l’intérieur de laquelle opère l’influence d’un bouddha particulier, le pouvoir spirituel d’un bouddha particulier. « Kshetra » signifie champ, et un champ bien sûr, est quelque chose qui est cultivé, quelque chose dans lequel on sème des graines. L’utilisation du mot « kshetra » – ou champ – dans ce contexte, suggère que les êtres sensibles, les habitants du « bouddha-kshetra », sont comme des plantes, et le bouddha est, pour ainsi dire, le grand jardinier cosmique. Les textes mahayanas décrivent souvent les bouddhas et bodhisattvas comme « amenant à la maturité les êtres » ou « faisant mûrir les êtres » ; en d’autres termes, les conduisant graduellement, pas à pas, petit à petit, à la perfection spirituelle. On trouve ce genre d’image – celle du champ, de la plante, de la croissance – très tôt dans l’histoire du bouddhisme.
Ce rêve d’une société idéale se retrouve par exemple dans la conception – ou la vision – que se font certains bouddhistes de Sukhavati, « la terre de la béatitude » en sanscrit ; autre nom de la Terre Pure située à l’ouest, du Bouddha nommé Amida ou Amitabha, telle qu’elle est décrite dans certains des grands soutras du Mahayana. Telle qu’elle est en particulier enseignée par les écoles Shin du bouddhisme japonais. Une Terre Pure du type représenté par Sukhavati, la « Terre du bonheur », est un endroit, un monde, une dimension d’existence, où il n’y a ni douleur, ni souffrance, ni misère, ni séparation, ni deuil, ni perte d’aucune sorte. C’est un endroit où, comme à Mag Meld, il n’y a ni vieillesse, ni maladie, ni mort. C’est un endroit de paix parfaite où il n’y a ni conflit, ni guerre, ni bataille *, ni même aucune incompréhension – la perfection et le bonheur y vont jusque-là ! Les grands soûtras du Mahayana nous apprennent aussi que la Terre Pure, ou Terre de la béatitude, est un endroit où il n’y a pas de distinction de sexe, et où personne n’a besoin de travailler. La nourriture et les vêtements apparaissent d’eux-mêmes, à chaque fois que l’on en a besoin. Dans cette Terre Pure, personne n’a rien à faire, excepté rester assis sur son lotus doré, pourpre ou bleu, au pied du Bouddha, et l’écouter * enseigner le Dharma (la loi des mondes ou le destin). Pour couronner le tout, dans cette terre de félicité à l’ouest du monde, le temps est toujours au beau fixe.
Les êtres naissent à Sukhavati – ainsi que dans les autres terres pures – par apparition, et pas comme résultant d’une union sexuelle. Étant ainsi apparus dans le bouddha-ksetra, ils voient le bouddha et ses bodhisattvas, Mahasthamaprapta et Avalokitesvara, devant eux ; et n’ont rien d’autre à faire que d’écouter les enseignements d’Amitabha, rien d’autre à faire que de croître, rien d’autre à faire que d’évoluer spirituellement *.
191
Rappelons ici pour comparaison ce que nous avons cité plus haut de la vision (aisling) d’Adamnan et du texte irlandais du 10e siècle appelé « la langue toujours renouvelée » à propos de leur autre monde à eux.
« Un monde sans orgueil, sans vanité, sans fausseté, sans blasphème, sans fraude, sans prétexte, sans honte, sans gêne, sans déshonneur, sans outrage, sans envieux, sans arrogance, sans épidémie, sans maladie, sans pauvreté, sans dénuement, sans destruction, sans décès, sans grêle, sans neige, sans vent, sans pluie, sans bruit, sans tonnerre, sans obscurité, sans froidure » (Finit Fis Adamnain).
Qu’y a-t-il de plus merveilleux en effet pour un homme que ce royaume…
104. Où l’on n’entend ni cri de colère ni de jalousie ni de chagrin ni de peine.
105. Heureux donc sont ceux qui ont leur place dans ce royaume… qui n’a besoin ni de la lumière du soleil, ni de celle de la lune, ni de celle des étoiles… un lieu où il n’y aura personne ayant besoin de nourriture ou de vêtement (Tenga Bithnua recension 2, manuscrit de Rennes).
Mais attention, il va de soi que nous ne prétendons nullement que ces visions d’un autre monde à venir sont empruntées au bouddhisme, mais comme elles ne sauraient par définition venir des conceptions hébraïques ou bibliques du Shéol malgré leur biblisme forcené, surtout pour ce qui est du traité du 10e en gaélique intitulé « la langue toujours renouvelée », les très-sachants que nous sommes se demandent bien d’où viennent ces vues de l’autre monde.
* La différence avec la Terre de la joie bouddhiste et la plaine de la joie irlandaise, dans les versions destinées à la classe guerrière, c’est que dans ces dernières il y a de nombreuses batailles où tous ces braves s’en donnent à cœur joie en cognant de toutes leurs forces, mais qu’à la fin TOUT LE MONDE RESSUSCITE POUR RECOMMENCER. Un peu comme dans les films d’antan avec la scène de la bagarre générale. Quant aux versions de cette terre de la joie destinée aux druides, voir les récits de Plutarque.
!------------------ --------------------------------- !
Brouillon retrouvé par les héritiers de Pierre de La Crau et qu’ils ont cru bon d’insérer à cet emplacement dans l’édition de ses œuvres.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, l’exemple le plus connu d’une terre de Bouddha pure, est bien sûr, Sukhavati, la terre du bouddha de la lumière infinie (Amitabha). Située nous dit-on, dans une région de l’univers à dix milliards de terres de Bouddha vers l’ouest. Sa localisation occidentale, où le soleil se couche, fait donc référence à la mort. Arrivé à ce point de notre exposé, il importe de rappeler ou souligner qu’on ne se réincarne pas en Sukhavati par ses propres mérites, mais que c’est Amida ou Amitabha, qui nous transfère les siens. C’est d’ailleurs un peu la même chose dans le druidisme. Les dieux qui règnent sur ces îles paradisiaques à l’ouest du monde NOUS TRANSFÈRENT LEURS MÉRITES (après la mort des corps. Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan par exemple).
Il n’y a donc nullement à se faire de souci à ce propos. Selon Shinran, un célèbre mystique japonais du XIIIe siècle, le seul fait d’y croire entraîne la réincarnation en Sukhavati, la récitation du nom d’Amida ou Amitabha n’étant qu’une façon de le remercier de nous faire renaître en son royaume.
Dans certaines versions du grand soutra, Amida ou Amitabha exclut de cette possibilité les êtres humains ayant commis les crimes suivants : tuer son père ou sa mère (parricide), un saint homme, blesser un bouddha, ou diviser la communauté.
Mais pour Shinran, ceci n’est qu’une mise en garde. Et ceux qui ont commis ces crimes renaissent aussi dans la terre pure de Sukhavati. Car les en exclure s’opposerait au principe de compassion infinie qui doit nous guider : accueillir sans distinction tous les êtres vivants.
Shinran va plus loin que son maître Hônen en amenant ainsi ce concept à son potentiel druidique maximum. Là où d’aucuns (dont Hônen) disent : « Même les mauvais vont renaître dans la Terre Pure, à plus forte raison les bons », Shinran inverse la proposition : « Même les bons vont renaître dans la Terre Pure, à plus forte raison les mauvais ! ».
192
Sur ce point, le bouddhisme de la Terre pure est resté fidèle à une idée-force du Mahâbhârata. Loin de tout manichéisme, le Mahâbhârata nous offre en effet une leçon magistrale sur le caractère indissociable du Bien et du Mal. Les deux derniers chants du poème relatent l’ascension au Paradis, au-delà de l’Himalaya, des Pândava, des « bons » par conséquent, longtemps après qu’ils ont gagné la guerre et tué tous les méchants Kaurava. Cette ascension des « vainqueurs » est une sorte d’ultime épreuve, à laquelle ils sont soumis. Au départ de la longue marche conduisant au paradis, chaque survivant du clan des Pândava est châtié pour ses manquements au Dharma, ou à la loi des mondes (le destin).
À la fin, il ne reste que Yudhisthira. Les dieu-ou-démons veulent bien le laisser entrer, mais refusent cette faveur au chien qui l’a suivi depuis qu’il a quitté sa capitale. Il faut toute la perspicacité du dernier des Pândava pour deviner qu’il s’agit d’un ultime examen de passage, et que ce chien mystérieux n’est autre que le Dharma lui-même (la loi des mondes), son véritable père. Quand Yudhisthira entre enfin avec son père au Paradis, que voit-il ? Duryodhana, le méchant cousin, l’adversaire envieux, le fauteur de guerre, jouissant déjà des félicités du Paradis avec tous les autres Kaurava morts au combat ! Tandis que la famille Pândava, celle des « bons », subit les pires tortures…
[NDLR. La différence avec le paradis de type druidique c’est que dans le paradis de type druidique les « bons » ne sont quand même pas torturés]. La colère et le dépit de Yudhisthira, écœuré par ce qui lui paraît le comble de l’iniquité, préludent à un heureux dénouement où tous, amis comme ennemis, se réconcilient. Ce que Yudhisthira donc, avait vu en entrant au Paradis, n’était que la dernière illusion cauchemardesque, la dernière épreuve, infligée à l’orgueil du juste.
Bien que paradoxale en apparence, cette proposition va jusqu’au bout de la logique de la Terre Pure : les bons contrecarrent la puissance du vœu d’Amida par leurs « calculs », par leur confiance dans leur propre force ; mais telle est la puissance de ce vœu qu’il peut surmonter leur orientation faussée. A fortiori, le vœu fera renaître dans la Terre Pure (d’Amida) les mauvais, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent compter que sur le pouvoir d’Amida, étant complètement dépourvus de force pour se tirer d’affaire par eux-mêmes.
Shinran résumait ainsi la chose : « Moi Shinran, je crois seulement aux paroles de mon bon maître, il n’y a qu’à prononcer le Nemboutsou (le nom du bouddha) et l’on est sauvé par Amida » (nom japonais du bouddha).
La renaissance en Sukhavati est assurée, quelles que soient les fautes de celui qui place sa foi dans le Bouddha de la lumière infinie, car il ne fait pas de discrimination entre les bons et les méchants [ce qui est typiquement druidique d’ailleurs !].
Il n’y a pas non plus de nombre minimal pour la récitation du nom d’Amida ou Amitabha ; réciter le nom du Bouddha n’étant qu’une façon de lui dire merci de nous y faire renaître.
Tout cela est évidemment bien difficile à croire, car on a du mal à imaginer que l’on puisse se réincarner dans cet autre monde paradisiaque rien qu’en ayant la foi. Le bouddha Çakyamouni l’a d’ailleurs reconnu lui-même dans le petit soutra. Croire en cela est vraiment difficile, car cela demande de renoncer à toute idée de mérite personnel, et de comprendre que ce ne sont pas nos actions qui nous font renaître dans cette terre de félicité ; mais les mérites du bouddha qui nous a transféré les siens ; tout comme dans le cas de la plaine de la terre pure druidique qu’est Mag Meld ce ne sont pas nos propres mérites ou nos propres bonnes actions qui nous font renaître là-bas, mais la grâce souveraine du dieu présidant à cet état de l’être, Belin/Belen/Belenos/Barinthus/Manannan.
Le terme de « sarana », que l’on traduit généralement par « refuge », n’est pas à comprendre comme un endroit où l’on se réfugie pour fuir ou échapper au malheur. Étymologiquement, « sarana » signifie simplement « point d’appui », ou « source de lumière ». C’est cette « prise de refuge » qui fait toute la différence entre bouddhistes et non-bouddhistes. Il n’est même pas nécessaire de prendre refuge à la suite d’une cérémonie avec un maître bouddhiste, mais cela peut aider à faire votre choix en toute connaissance de cause et à se rappeler de cet engagement.
La prise de refuge est le point de départ de l’engagement spirituel du bouddhiste, son baptême en quelque sorte. Et il y a, certes, une cérémonie dite « de prise de refuge » dans l’École jodo shinshu ; mais ce n’est en aucune façon un sacrement, car ceux qui n’ont pas été les objets (ou les sujets) d’une telle cérémonie, mais ont néanmoins foi en Amida ou Amitabha, peuvent renaître ou se réincarner en Sukhavati. La foi seule suffit ! Pas de sacrements, de cérémonie spéciale ou de pratique secrète donc, dans le bouddhisme ! [NDLR. On peut en dire autant du druidisme !]
Point n’est besoin de réciter des soutras, des mantras, de pratiquer la méditation… Amitabha nous y fait renaître par le seul fait de croire en lui, et il n’est donc nul besoin de telles choses pour renaître dans ce paradis situé à l’ouest du monde. Non que ces pratiques soient mauvaises en elles-mêmes,
193
mais pour ce qui est de la renaissance dans cette Terre Pure, il n’est nécessaire que d’y croire et de prononcer son nom.
Shinran disait d’ailleurs aux disciples qui venaient de toute part pour le consulter : « vous avez traversé plus de dix provinces pour venir me voir. Vous l’avez fait uniquement pour m’interroger sur le meilleur moyen d’aller se réincarner en Sukhavati. Mais si vous vous imaginez que je connais autre chose que le nom du bouddha pour cela, ou que je suis très versé dans ses écritures sacrées, vous vous trompez grossièrement ! Le vœu originel d’Amida ne fait aucune distinction entre les jeunes et les vieux, ou entre les bons et les méchants. Seule compte la foi en lui, car Amida nous a promis de libérer tout le monde, y compris ceux qui ont commis les plus lourdes fautes ou ont succombé toute leur vie aux passions les plus diverses.
Donc si nous croyons dur comme fer en sa volonté de nous sauver, alors nous n’avons besoin de rien d’autre, et il n’y a rien de mieux que le nemboutsou (nom du bouddha en japonais) pour l’exprimer.
Chacun est assuré de se réincarner dans cet autre monde parallèle paradisiaque si nous y croyons assez pour murmurer le nom d’Amitabha, quelles que soient nos fautes. Car ce n’est pas grâce à nos mérites personnels, dérisoires, que l’on peut y renaître, mais grâce à ceux du bouddha nommé Amitabha, qui nous y fait renaître, en nous transférant les siens. Un Bouddha émérite comme Amida est doté d’une compassion infinie envers tous les êtres ».
Remarque de l’auteur. On peut en dire autant de tous les dieux de l’autre monde celto-druidique. Tout un chacun peut se réincarner dans cet autre monde parallèle paradisiaque si nous y croyons assez pour murmurer le nom d’un ou de plusieurs de ces dieux qui règnent sur l’autre monde, quelles que soient nos fautes. Car ce n’est pas grâce à nos mérites personnels, dérisoires, que l’on peut y renaître, mais grâce à ceux des tous ces dieux, qui nous y fait renaître, en nous transférant les leurs. Les dieux du druidisme sont dotés d’une compassion infinie envers tous les êtres humains même envers les plus pécheurs.
Note de Pierre de La Crau retrouvée par ses héritiers.
À plusieurs reprises, le Vimalakirti Nirdesa a proclamé l’absolue et totale vacuité de tous ces Bouddhaksetra. C’est uniquement pour faire mûrir les âmes que les Bouddhas suscitent des Bouddhaksetras de tout genre. Le Bouddhaksetra n’est qu’une simple construction mentale dans la pensée des hommes à purifier.
La question fondamentale est bien de déterminer si cette voie de la Terre Pure (Mag Meld ou Vindomagos dans la tradition druidique) ressort de la voie transitoire ou de la voie « vraie ». Transitoire, elle signifie que la Terre Pure n’est qu’une terre de transformation, qui relève du Triple Monde de la Samsara [qui le nôtre]. L’être humain ne sort donc pas du Triple Monde de la Samsara, et il devra y renaître encore plusieurs fois. « Vraie », elle signifie que cette Terre Pure (bouddhaksetra) relève de la rétribution, sinon du Dharma [ou Destin] lui-même, et ne ressort pas du Triple Monde, elle est « hors du cycle des réincarnations sans fin ». Ce monde-ci, le monde Saha, n’est pas différent de la Terre Pure du Bouddha Çakyamouni, dit le Vimalakirti Nirdesa. Les habitants du monde Saha qui est le nôtre, aveuglés qu’ils sont par leurs passions, voient une terre remplie d’immondices, couverte de crevasses et de montagnes, là où se tient, en fait, une grande plaine faite de joyaux. Le Bouddha Çakyamouni fait apparaître le monde d’ici-bas comme impur afin d’aider ses habitants à progresser.
Après avoir dévoilé pendant un instant à Sharipoutra la pureté du monde Saha qui est le nôtre, le Bouddha Çakyamouni a en effet déclaré : « Ô, Sharipoutra, un champ de Bouddha est toujours aussi pur, mais le Tathâgata [Bouddha] fait qu’il apparaît souillé par une multitude de maux, afin de faire parvenir à maturité les êtres vivants inférieurs ».
Il ne s’agit donc que d’un moyen ! En réalité, il n’existe pas deux lieux, l’un pur et l’autre impur. Celui qui traverse la rivière pour aller sur l’autre rive découvre qu’en fait, il est en train de rêver, qu’il n’y a pas de rivière à traverser.
194
L’École Vijnânavâda de la Conscience, et plus tard l’école Zen soutiennent que la Terre Pure est, en fait, le cœur du pratiquant. Si la renaissance dans ce bouddhakshetra nommé Terre Pure (mais que les druides appellent Mag Meld, Vindomagos et ainsi de suite) est un exercice de samadhi (d’éveil), alors cette renaissance est un pur événement mental. Personne n’a rencontré personne, et personne n’est allé quelque part. Il n’y a pas de face-à-face entre le pratiquant et le maître de ce bouddhakshetra. Si l’on en croit ces différents soutras, la renaissance dans cet autre monde ne résulterait donc pas d’un déplacement spatial qui surviendrait à la mort, mais d’une transformation de l’esprit du croyant ici et maintenant – elle serait un pur événement mental.
Les Écoles traditionnelles du Grand Véhicule maintiennent que seuls les Bodhisattvas peuvent voir les Bouddhas de rétribution (et leur terre de rétribution). Les hommes ordinaires, accablés par toutes sortes de faiblesses bien humaines, ou en proie aux passions les plus diverses, ne peuvent qu’aller après la mort dans des terres de transformation (nirmana ksetra) ; suscitées « magiquement » par les Bodhisattvas, en tant que moyen transitoire pour achever de les purifier.
Répondant à une question sur la renaissance dans le bouddhaksetra d’Amida, le Traité de la Grande Vertu de Sagesse (Mahâprajñâpâramitâsastra) traditionnellement attribué à Nagarjouna répond ceci. « Après être sorti de sa méditation, le Bodhisattva fit la réflexion suivante : « Les Bouddhas d’où viennent-ils, alors que moi-même je ne suis allé nulle part ? »
Il avait en effet compris que les Bouddhas ne viennent de nulle part, et que lui-même donc n’était allé nulle part.
La Terre Pure de la foi sereine du Bouddha nommé Amida n’est rien d’autre que cette terre-ci, et le Bouddha que l’on appelle Amitabha est votre propre esprit.
À la différence du bouddhisme, le druidisme reconnaît toutes les voies pouvant aider l’être humain à retourner au Grand Tout (Pariollon), et n’en rejette aucune a priori. Tout au plus pense-t-il que certaines sont évidemment plus rapides que d’autres, et peuvent en quelque sorte constituer des raccourcis.
Son enseignement s’intéresse aussi bien à l’ascétisme le plus rigoureux qu’à l’hédonisme le plus passionné.
Le but de l’âme humaine est de s’élever jusqu’au principe premier, jusqu’au Un. Nous devons tendre à le connaître, à nous fondre en lui. Pour atteindre l’extase, où l’individu ne fait plus qu’un avec le divin ou l’âme cosmique. Mais pour atteindre ce monde divin, il n’est pas nécessaire de rejeter ce monde-ci (la vie dans les existences conditionnées de ce monde). L’autre monde et celui-ci sont des modes de perception opposés, d’une même réalité, selon que l’on est dominé par l’ignorance, ou que l’on est conscient de la vraie connaissance. L’autre monde et celui-ci ne sont que les deux faces d’une même médaille. Il n’y a pas de perception impure, mais seulement le déploiement sans limites du corps, de la parole, de l’esprit et de la sagesse (xvarnah en avestique, bellissama/bellissamos en vieux celtique).
Cette École druidique ne fait pas du corps le seul moteur ou la seule force de son enseignement, mais préconise seulement, pour ceux qui en ont la capacité, l’utilisation de tout leur potentiel. Il s’agit de découvrir le Un divin en soi-même et non en dehors de soi. On retrouve donc là exactement le même principe que dans le cas du… [le texte s’interrompt en cet endroit].
195
ANNEXE N° 1
SUR UNE CITATION DE DION CHRYSOSTOME
OU
LES ROI-CHAMANS PRIMORDIAUX
SELON LE DRUIDE LEONORIOS.
« En outre, puisqu’ils ne peuvent pas toujours être commandés par des rois philosophes, les plus puissantes nations ont très officiellement pris des philosophes comme ministres et officiers pour leurs rois… les Celtes ceux qu’ils appelaient druides, eux aussi versés dans l’art de la divination ainsi que dans toute science en général. Les rois n’étaient pas autorisés à faire ou décider quoi que ce soit sans l’assistance d’un de ces sages, de telle sorte qu’en réalité ce sont eux qui gouvernaient le pays, et que les rois n’étaient que leurs ministres ou les serviteurs de leur volonté, bien qu’assis sur des trônes en or, habitant dans de grandes maisons, et faisant de somptueux festins (Dion Chrysostome, Discours, 49, 7).
Il y a là le souvenir d’un état lointain de la société où le roi était aussi un prêtre chargé d’être l’intermédiaire entre son peuple et les dieux ou démons. Il y a là peut-être le souvenir d’une indistinction primordiale où tout un chacun pouvait être la fois druide roi-guerrier et chasseur-cueilleur.
On retrouve d’ailleurs un très bon exemple de cette indistinction primordiale de la société celtique primitive en la personne du grand chaman chef de clan appelé Cornunnos, en Irlande, sous le nom de Nemed < Nemetos : le sacré. Car c’est avec lui que le sens du sacré apparaît pour la première fois sur Terre d’après la métahistoire celte. Cornunnos le nemet, le chef ou le père spirituel du premier vrai peuplement humain du monde ; est la première « créature » en ce monde ayant pris conscience de la dualité de l’Homme, de cette coupure initiale entre les deux faces de la réalité, l’âme et la matière. En Irlande ce chaman primordial est appelé Nemed, ce qui signifie « personne privilégiée, noble ». Le nom irlandais venant du celtique commun Nemetos qui signifie « sacré », la traduction de Nemed par « privilégié » doit évidemment être prise au sens fort dans son cas. Le grand sorcier chef de clan, Cornunnos, est le premier Nemed de l’Histoire ou plus exactement de la Métahistoire des Celtes.
Sur ce point, nous nous séparons pour une fois du maître actuel en civilisation et culture celtiques, C. J. Guyonvarc’h, déjà si abondamment cité. Nous pensons en effet que ce Nemet Cornunnos est, lui aussi, un homme primordial, un roi-chaman, puisqu’il symbolise par excellence la métempsychose. C’est lui sans doute que Jules César désigne sous le nom de Dis Pater l’ancêtre de toute lignée humaine selon les très-sachants de la druidiaction. La preuve : il est toujours associé au torque qui est en quelque sorte le signe distinctif par excellence des Celtes. Mais il s’agit surtout d’un Père spirituel de tous les vrais hommes (en fait initialement les hommes du clan) plus que d’un père biologique pour notre espèce.
Pas vraiment le premier homme au sens biologique du terme, mais le premier homme, le premier grand homme, au sens moral : le premier humain ayant pris conscience de la dualité fondamentale de l’univers : le monde des hommes le monde des esprits ou des dieux..
Michel Perrin définit le chamanisme comme l’un des grands systèmes imaginés par l’esprit humain dans diverses régions du monde afin de donner sens aux événements et pour agir sur eux. Selon lui, le chamanisme implique une représentation bipolaire ou dualiste de la personne et du monde. L’être humain est fait d’un corps et d’une (ou plusieurs) composante (s) invisible (s), souvent qualifiée (s) d’âme (s), et survivant à la mort. Le monde est également double. Il y a ce monde-ci, visible, quotidien, profane, et un monde autre. C’est le monde des dieux ou démons et de leurs émissaires, des esprits de toutes sortes, des maîtres des animaux ou des végétaux, des ancêtres, des morts… C’est le monde que décrivent les mythes. Le chamanisme suppose aussi que certains humains savent établir à volonté une communication avec le monde autre. Ils peuvent le voir et le connaître, à la
196
différence du commun des mortels, qui ne fait que le subir ou le pressentir. Ce sont les chamans. Ils sont désignés ou élus par le monde autre.
Le grand sorcier Cornunnos a donc été comme un Père spirituel pour tous ceux qui, du coup, et à cause de lui, auront aussi conscience de cette dualité corps/âme. Le commun des mortels en fit un véritable ancêtre, au sens biologique du terme, autrement dit le père de la race celte. Mais pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), rappelons-le, ce n’était que le Père spirituel de la véritable Humanité.
D’où le double symbolisme suivant : Cornunnos = maîtrise des esprits ou instincts animaux, mais par la loi, l’ordre et la justice, et non par la force. La phénoménologie de l’esprit de Hegel montre comment la conscience progresse petit à petit depuis les formes élémentaires de la sensation animale jusqu’à la connaissance complète et totale de l’âme/esprit absolue et immanente ; en passant par le droit et l’éthique justement, sans oublier la philosophie, etc. Choses visiblement ébauchées par ce premier peuplement humain dont le chef et père spirituel (le roi chaman) était le nemet Cornunnos puisque les fils du Nemet Cornunnos partirent en exil dans des îles au nord du Monde, où ils apprirent le druidisme.
Cornunnos = donc abondance, car l’abondance découle de l’ordre cosmique et de la justice. La preuve, en cas d’injustice du roi : son royaume devient stérile (devient une terre gaste). Du moins si l’on en croit les légendes et notamment celles de la Table ronde.
Le grand chaman Cornunnos est le premier qui ait eu le sens du sacré disions-nous, d’où son nom en Irlande (Nemed > Nemetos). Les Gallioin et les Fir Bolg ou autres, en sont issus, biologiquement pour les Celtes de base, moralement pour les très-sachants de la druidiaction).
Le Nemet Cornunnos est le premier bipède ayant eu le sens du rapport corps/âme avons-nous dit. Cette révolte du nemet Cornunnos, ce mouvement de retour à l’importance de l’âme, c’est le moteur de l’évolution humaine, le moteur de toute histoire, c’est la synthèse selon Hegel. Nous sommes là en présence d’une authentique triade druidique fondamentale, que l’on peut d’ailleurs encore deviner en filigrane dans les triades galloises (qui insistent si lourdement sur la Connaissance).
— La thèse (âme-feu).
— L’antithèse (matière eau).
— La synthèse (le roi chaman Cornunnos). Du premier peuplement humain à la surhumanité, de l’homme primordial à Hesus.
Quand les hommes seront devenus comme des dieu-ou-démons, seront devenus des hommes-dieux, auront réintégré l’âme universelle (awenyddio), et se seront ainsi rapprochés du Dieu-Par, la synthèse sera terminée.
Il y aura fusion métamorphique de l’âme et de la matière, et accouchement d’un nouveau monde, par retour à l’origine (un jour seuls le feu et l’eau régneront, prophétisaient les druides selon Strabon). Tel est le seul sens possible de la souffrance et de l’Histoire : le point ogham (Éabhadh) de l’espace-temps visé par cette flèche.
La révolte « lugienne » du grand sorcier Cornunnos, père spirituel du premier peuplement humain, notre ancêtre puisque les Fir Gallioin, Bolg, etc. descendent de lui, aura atteint son but.
Au Moyen-âge, le grand sorcier Cornunnos est devenu saint Cornély, le patron des bêtes à cornes (en Grande-Bretagne à Saint-Cornelly en Cornouailles, en Petite-Bretagne, à Carnac, à La Chapelle-des-Marais, à Pluméliau et à Plouhinec). Ou alors carrément le diable, vu ses cornes.
La tradition irlandaise compte plusieurs hommes primordiaux jouant le rôle de Père spirituel de la tribu. La tradition continentale, elle, semble n’en connaître qu’un seul, le grand chaman Cornunnos, dont l’image dans la statuaire gallo-romaine est toujours associée au symbolisme de la mort (face large et aplatie, tournée vers le soleil couchant). Le symbole est clair : la vie vient de la mort.
En tout cas, voici ce que dit la tradition continentale de son côté à propos de ce roi-chaman primordial.
Le dieu-ou-démon aux cornes de cerf nous introduit dans une catégorie nouvelle, celle des dieu-ou-démons qui participent de la nature animale. Pourquoi ? Au moment du passage à la forme humaine, l’animal aurait laissé à la divinité quelques-unes de ses particularités physiques. La célèbre image du « sorcier » de la grotte des Trois Frères, à Montesquieu-Avantès (département de l’Ariège) réunit les yeux de la chouette (acuité visuelle), la queue du cheval (rapidité à la course) et la double ramure du cerf, qui doit comporter une signification précise. L’intérêt attaché à ce prince de la forêt remonte à la préhistoire.
197
La plus ancienne image comparable, à ce que l’on croit, se rencontre sous forme de gravure rupestre, dans le Val Camonica, en Italie. Ce dessin, datable du IVe siècle avant notre ère, représente un dieu-ou-démon aux bois de cerf, qui brandit, du bras droit, le collier celtique dit torque, et soutient du bras gauche un serpent cornu, assez peu distinct. À côté de cette grande figure se tient un homme nu, sensiblement plus petit, aux bras levés, peut-être un adorateur ; les organes sexuels de ce deuxième personnage sont accentués avec insistance, ce qui pourrait constituer une allusion à la fécondité humaine. Sur le bassin de Gundestrup, le même personnage est assis en tailleur, et tient d’une main ostensiblement un collier celtique ou torque, de l’autre un grand serpent à tête de bélier ; des animaux l’entourent, dont un magnifique cerf ; il paraît commander au monde des bêtes sauvages.
Enfin le bas-relief parisien qui mentionne le nom du dieu-ou-démon Cornunnos, le montre avec des oreilles et des bois de cerf, assis comme le précédent, portant des torques au cou et dans ses andouillers. Il a l’air d’un homme âgé, peut-être chauve.
À Reims Cornunnos est pourvu d’un attribut nouveau : le sac plein de monnaies (non de grains), qu’il déverse en présence d’un cerf et d’un taureau ; ailleurs, ce sera un gâteau ou un panier de victuailles.
Aux Bolards (Nuits-Saint-Georges, département français de la Côte-d’Or) un bas-relief représente le dieu-ou-démon, tricéphale, une bourse sur les genoux, une autre à ses pieds ; trônant aux côtés de deux déesse-ou-démones à la corne d’abondance, dont l’une, coiffée d’une couronne tourelée, a un sexe masculin ; au registre inférieur, un arbre, un taureau, un chien, un lièvre (?) un sanglier, un cerf [des élémentals et des teutatès ou des égrégores – esprits – animaux servant cet homme primordial ?] Accompagné parfois d’une déesse-ou-démone, ou d’une fée si l’on veut, à la corne d’abondance (à Sommerécourt, département français de la Haute-Marne) ; il se présente donc de façon de plus en plus nette comme un dieu-ou-démon de la fécondité terrienne, ami des quadrupèdes les plus puissants et de ce monstre des plus forts, le serpent cornu, qu’il nourrit ; un dieu-ou-démon « souterrain », s’il en est.
Il a la force du roi des forêts ainsi que la puissance de l’homme capable de travailler la terre et de faire de l’argent : à lui les biens de la Nature envisagée sous ses deux aspects, sauvage et cultivée.
L’iconographie gallo-romaine n’hésite pas là non plus, à tripler encore sa puissance, en lui prêtant trois visages, sinon trois têtes : une statuette d’Autun en Bourgogne le représente ainsi, avec les serpents.
Il y a là un phénomène bien connu, dit « répétition d’intensité ». Il est plus significatif que l’attribut distinctif du dieu-ou-démon, cette ramure de cerf, symbole de puissance et de renouveau, soit donné aussi à une déesse-ou-démone, ou fée, dont on connaît plusieurs statuettes.
Sur l’une d’elles, conservée au British Museum, elle est assise « en tailleur », et porte d’une main une assiette ou une patère, de l’autre une corne d’abondance pleine de fruits et de feuilles ; alliance de l’élevage et de l’agriculture, autrement dit toute la prospérité terrienne. Les images à la coupe vers laquelle se tendent deux serpents relèvent sans doute d’un symbolisme de même nature.
Animaux du monde inférieur, les serpents disposent des trésors souterrains, on peut penser qu’ils les font monter avec eux et les crachent dans la coupe, qui devient par là un récipient d’abondance ou d’immortalité.
198
ANNEXE N° 2.
Comme nous ne devons pas être les hommes d’un seul livre comme les judéo-islamo-chrétiens, mais les hommes de 12 (ou 33) livres au moins comme les Fénianes, ci-dessous précision de la rédaction.
CHAMANISME ET NÉO-CHAMANISME.
Le terme « chaman » a été emprunté au toungouse (Sibérie) par l’archiprêtre russe orthodoxe nommé Avvakoum Petrov Kondratiev au XVIIe siècle. Si l’on prend le mot « chamanisme » stricto sensu, en son sens toungouse, son champ d’application ne concerne alors que cette société. Tout au plus pourrait-on l’étendre à une partie de la Sibérie. Les Bouriates se définissaient eux-mêmes comme peuples à chamans, par opposition aux peuples à Dieu ou Démiurge pour se différencier des Russes lors de leur colonisation. Toutefois, si l’on en considère les traits principaux, on peut alors utiliser le terme de « chamanisme » en un sens plus large, celui de modèle. Car ce que l’on peut comparer ce sont les modèles tirés de ces sociétés bien sûr, et non les sociétés elles-mêmes ni leurs rituels.
Le chamanisme est une spiritualité centrée sur la médiation entre les êtres humains et les esprits du surnaturel (les esprits du gibier, les morts du clan, les âmes des enfants à naître, les âme/esprits des malades à ramener à la vie, etc.). C’est le chaman qui incarne cette fonction, dans le cadre d’une interdépendance étroite avec la communauté qui le reconnaît comme tel. Le rituel du chaman n’est pas figé, il existe une personnalisation de sa pratique. Chaque chaman fait différemment des autres, il n’y a pas de liturgie et il possède un talent personnel pour exercer cette fonction héréditaire. En ce sens, ce n’est donc pas une religion, du moins au sens habituel du terme. L’expression du chaman lorsqu’il est en contact avec les esprits, lui donne l’apparence d’un fou ; mais le chaman est normal en dehors des séances. Son comportement pendant le rituel n’affecte ni son autorité ni son sens des responsabilités. Des fonctions capitales pour la vie de sa communauté peuvent lui être confiées. L’accession au statut de chaman passe par une mort symbolique dans le monde des humains et par une renaissance dans le monde des esprits. Mais cette relation symbiotique avec les esprits entraîne le plus souvent une double vie matrimoniale pour les chamans, en ce sens qu’ils ont une famille humaine et une famille (une femme ?) dans le monde des esprits.
À partir de la fin du XIXe siècle, le contact avec les esprits fut considéré comme le phénomène religieux de base. Au XXe siècle, Mircea Eliade, influencé par le mysticisme du christianisme russe orthodoxe, rattacha le complexe chamaniste (croyances, rites et mythes) à la religion ; et ce fut alors surtout l’expérience extatique, qui fut définie comme l’expérience religieuse de base. Mais cette dernière notion est aussi très controversée, d’autres lui préférant le terme de transe, le seul à impliquer un élément musical.
D’après l’ethnologue Jeanne Favret-Saada, l’Europe aurait eu, jusqu’au Moyen-âge des pratiques également « chamaniques » connues sous le nom de sorcellerie.
Horst Kirchner a tenté d’expliquer l’art pariétal européen par une sorte de chamanisme paléolithique dès 1952. Cette thèse a été reprise, pour l’art paléolithique eurasiatique, par le préhistorien D. Lewis-Williams dans son livre sur les chamans de la préhistoire, paru en 1996. Mais elle reste controversée chez les préhistoriens.
Le chamanisme de chasse a pour but de répondre à un besoin essentiel : trouver du gibier. Certains peuples de Sibérie ou d’Amérique du Nord vivant de la chasse ont conservé ses fonctions primitives. On croit que les animaux sont animés par des esprits. Le chaman les rejoint dans le monde non sensible du « surnaturel ». Afin de réaliser ce projet, il doit lui-même se transformer en animal et ensuite épouser la fille de l’esprit donneur de gibier (l’esprit de la forêt), qui lui servira de guide. Cet esprit a souvent la forme d’un cerf. Les gesticulations du chaman, que les Européens ont parfois prises pour de la folie, ne sont rien d’autre que la manifestation de sa nature animale.
Le chamanisme d’élevage. Ce chamanisme est affecté par divers changements et même par de profondes mutations lorsque la chasse cède le pas aux activités d’élevage ou à l’agriculture.
En ce qui concerne l’élevage, il convient de noter que la motivation initiale de la domestication fut peut-être de se constituer une réserve en animaux totems à sacrifier, comme peut nous le laisser
199
supposer le cas du rituel de l’ours chez les Aïnous du Japon. On se trouve en effet en présence d’un rituel religieux, sans la moindre utilité économique, mais clairement apparenté à l’élevage, alors que ce peuple ne le pratique pas. Le même rituel, appliqué à un loup (pas encore un chien), ou à un bovin (encore sauvage) ou un autre animal domesticable, aurait donné à la longue des effets faciles à imaginer : la domestication. Et l’intérêt pratique non prévu, mais s’imposant, aurait recouvert l’intention rituelle qu’on ne remarquerait plus. Mais comme l’ours n’est, semble-t-il, pas domesticable, le rituel a pu être conservé sans trop de variations, et apparaît comme un précieux fossile civilisationnel, qui peut nous aider à imaginer le processus à l’origine de l’élevage.
C’est donc la nécessité d’acclimater les animaux pour en faire des victimes propres au sacrifice rituel, qui aurait donné naissance, comme conséquence imprévue, à la domestication ; une pratique qui nous apparaît naïvement comme ayant été anticipée pour sa rentabilité économique, alors qu’elle est coûteuse, et même très coûteuse. Seule l’exigence rituelle permet de justifier les efforts déployés pour conserver près de soi et nourrir un animal qui ne s’y prête pas, et ceci sur une longue période. Il faut considérer les difficultés (trouver de quoi le nourrir, lui éviter les maladies, souffrir ses parasites, ses déjections, son comportement mal contrôlable, etc.) alors que la même viande pourrait être trouvée en une journée de chasse. L’élevage apparaît donc comme une conséquence fortuite de la nécessité de se constituer une réserve de victimes à sacrifier, chez un peuple qui a eu la chance, au contraire des Aïnous, d’avoir à sa portée une espèce domesticable.
Dans le cas du chamanisme d’élevage ou agricole, la survie de la communauté ne dépend plus alors des esprits des animaux, mais d’esprits à caractère humain, notamment de ceux des ancêtres. Le monde des esprits, auparavant confiné à la forêt, s’étire vers le haut et le bas, vers ce qui deviendra le Ciel et les Enfers. Ce monde non phénoménal est souvent perçu comme étant une échelle à barreaux, ou encore parfois un arbre, avec ses branches et ses racines. Le chaman est celui qui a la capacité de monter et descendre le long de ces différents niveaux de réalité, vers le Ciel ou les Enfers, de rencontrer des entités des mondes supérieurs et inférieurs (des esprits, par exemple) et de ramener de son voyage, conseils, soins et pouvoirs « magiques », extension de conscience, etc. Mais cela nous l’avons déjà dit.
On appelle « esprits auxiliaires » dans le chamanisme, les esprits d’ancêtres morts, de grandes figures mythiques, des esprits maîtres d’espèces animales ou des entités anthropomorphes de la nature. Les esprits auxiliaires extraient le chaman, de son environnement humain pour l’intégrer dans celui des esprits.
Les esprits auxiliaires sont en général soumis à l’esprit électeur : c’est ce dernier qui les transmet au chaman (chamanisme de Sibérie). Pour obtenir leurs services, le chaman doit les nourrir de son propre corps : leur exigence est alimentaire. Ils donnent au chaman les moyens de la chasse dans l’au-delà. Chacun est spécialisé dans un service déterminé. Un chaman peut en avoir plusieurs. La plupart du temps, ils ont la forme d’un animal donné : ours, loup, cerf, lièvre, mais aussi oie, aigle, hibou, corneille… Ils peuvent également être des esprits de la nature : esprit des bois, de la terre, d’une plante, du foyer, fantôme… Le chaman prend possession de l’esprit auxiliaire au cours de la séance chamanique. Cette dernière est bien plus qu’une imitation, le chaman s’identifie alors littéralement à cet esprit et se métamorphose en lui. L’esprit auxiliaire joue alors le rôle de psychopompe, c’est-à-dire qu’il accompagne le chaman dans l’au-delà.
Les voyages de l’âme/esprit. Le folklore universel est très prolixe sur les voyages de l’âme/esprit. Les variantes et les techniques sont foisonnantes, et il est impossible d’en embrasser l’ensemble des conceptions. Les données en sont même parfois carrément contradictoires, suivant les points de vue des auteurs. Ceux qui sont décrits ci-dessous forment un schéma général.
L’âme/esprit a la faculté de quitter son corps, chez les gens ordinaires, comme chez le chaman et le héros épique.
Chez les gens ordinaires, elle le quitte à certains moments particuliers : pendant le rêve, l’ivresse et la maladie. Ces processus ne sont pas contrôlés.
Chez le chaman par contre, le départ de l’âme/esprit s’observe au cours de la maladie dite initiatique (absence de l’âme/esprit), durant la furie caractéristique de la séance chamanique (ensauvagement selon Roberte Hamayon), au cours de son voyage dans le monde des esprits (l’extase de Mircea Eliade). Il réalise ici-bas et autant de fois qu’il le désire des « sorties du corps ».
200
Il existe une similarité entre les récits des extases chamaniques et certains thèmes épiques de la littérature orale : l’aventure héroïque s’apparente au voyage du chaman dans le monde surnaturel. Souvent il s’effectue sous la forme et l’apparence d’animaux. Il s’agit de franchir des espaces dont la forme humaine interdit l’accès.
Le support concret, mais naturel des voyages de l’âme/esprit est représenté par certains oiseaux, notamment les cygnes qui sont les porteurs d’âme/esprits par excellence : ils apportent de l’âme pour les enfants et les animaux à naître, témoignant ainsi de l’animation et du renouvellement de la vie, conformément à la pratique des grands rituels de printemps et d’automne. Il est d’ailleurs instructif de savoir que l’âme prend l’apparence d’un oiseau, tant chez l’enfant et ce avant l’acquisition de la parole, que chez le vieillard, lors de la perte des dents et l’apparition de la confusion verbale.
L’âme/esprit ne reste dans le corps qu’à condition d’y être bien nourrie. Tout affaiblissement augmente la vulnérabilité du corps et il devient alors la proie des esprits dont la stratégie est d’expulser l’âme/esprit et de la maintenir à l’écart de celui-là. D’une façon schématique, le voyage du chaman fait suite à l’accès de furie survenu pendant la séance chamanique. Cette folie est l’ensauvagement qui correspond à l’union avec un esprit. Pour Roberte Hamayon, cet ensauvagement est la condition même de la réalisation du voyage et traduit l’éloignement du monde des hommes. Pour Mircea Eliade, l’incorporation et la possession par des esprits sont des phénomènes universellement répandus qui n’appartiennent pas stricto sensu au chamanisme.
À sa suite, le chaman s’effondre, en général en un lieu réservé. Il est inanimé. C’est un état de transe que la médecine qualifiera de cataleptique. Son âme/esprit est dans l’au-delà, et avec les esprits. De retour dans ce monde, le chaman raconte ce qu’il a vu, ce qu’il a fait. Il peut le mimer également, le chanter, le danser, l’accompagner de cris et d’exclamations. Pour Mircea Eliade, la danse peut faire partie intégrante de l’extase, de même que l’imitation chorégraphique d’un animal. Lorsqu’il répond aux questions de l’assistance, c’est parfois l’esprit qui habite le chaman qui parle. Il s’agit alors d’une transe dramatique.
Le vol magique du chaman est largement tributaire de la cosmologie du monde. Celui-ci est divisé en trois parties : le Ciel, monde des divinités, la Terre, monde des hommes, et les Enfers, monde des ancêtres. Le vol traduit la transcendance du chaman par rapport à la condition humaine, et l’autonomie de son âme/esprit. En l’occurrence, il traduit également l’intelligence et la compréhension des choses secrètes et des vérités métaphysiques. Parce qu’ils sont capables de monter et de descendre dans les sphères, les esprits peuvent descendre et s’incorporer au chaman. Mais le vol magique déborde aussi le cadre du chamanisme puisque c’est une idéologie de la magie universelle.
Le vol s’effectue donc vers le haut et vers le bas.
Vers le haut, c’est l’ascension, la montée vers les puissances célestes. Le Chaman peut passer par l’orifice de l’étoile Polaire, le clou du ciel, ou le nombril du ciel.
Vers le bas, c’est la descente dans le royaume des ombres, ou au fond de la mer, là où se trouvent les divinités des animaux marins (cas des Inuits).
La cosmologie indo-européenne ressemble à celle du chamanisme néolithique : l’univers est constitué de trois mondes, le Ciel, la Terre et les Enfers, qui sont reliés par un arbre, l’arbre du monde (Irminsul chez les Saxons, Bilios chez les Celtes).
Le chamanisme scandinave. Il y a des exemples très nets de chamanisme dans le monde nordique, surtout dans sa mythologie. Ainsi, le dieu-ou-démon Odin des Scandinaves peut-il quitter son corps, qui gît alors comme endormi, sous une forme animale, et voyager là où il le désire. Il possède un cheval à huit pattes, très rapide, qui est aussi identifié à un arbre cosmique (Yggdrasill) semblable à celui qui est utilisé par les chamans lors de leurs voyages. Par ailleurs, Odin est aussi un grand magicien, et il peut forcer les morts à livrer les secrets de l’Au-delà, ce qui est une prérogative du chaman.
Le chamanisme celtique. Il est difficile de ne pas voir en des personnages comme Mog Ruith et son ami Gadhra, dans le récit intitulé Forbhais Droma Damhghaire (le siège de Druim Damhgaire) des chamans irlandais. « Il [Gadhra] était rude et piquant comme un pin et sa tête était aussi grosse qu’un château. Ses yeux étaient aussi gros que des chaudrons de roi ; ses genoux étaient derrière lui et ses talons étaient devant lui. Il avait à la main une grande fourche de fer. Il portait sur lui un manteau brun-gris qui était plein de serres d’oiseau, d’os et de cornes. Un bouc et un bélier le suivaient, qui le voyait ainsi habillé en était terrorisé ».
201
Et il y avait de quoi ! Hypnotisme ?? Exagération de barde irlandais doté d’une grande imagination (ah ces bardes !) ?
La voyance, la divination ou la magie sont en tout cas plus l’affaire des femmes que des hommes (d’où les croyances aux sorcières). Le chamanisme masculin se voit relégué dans la mythologie tandis que les fonctions sacerdotales sont exercées par une classe de prêtres. Les cas de fureur sacrée du guerrier (vergio) sont des transes extatiques analogues au phénomène de possession par un esprit auxiliaire.
Le chamanisme grec antique : les Hyperboréens.
Karl Meuli, Scythica (Hermès 1935). Les principales thèses de l’article de Meuli sont : 1) que le chamanisme existait chez les Scythes ; 2) que ce chamanisme scythe fut adopté par les Grecs.
Les Grecs ont été en contact avec des chamans scythes dès 630 avant notre ère, quand ils ont colonisé la région de la mer Noire, limitrophe du pays scythe (par exemple Olbia Tanais, etc.).
Du moins si j’ai bien compris les 50 pages en allemand de l’éminent philologue suisse, mes quatre ans de langue de Luther et Goethe réunis étant loin, et en plus je n’étais pas très doué pour cet idiome.
On qualifie aussi d' « hyperboréens » le groupe de penseurs, de mages ou de chamans, antérieurs à Socrate et même au premier des philosophes présocratiques (Thalès) : Aristéas de Proconnèse (vers – 600), Épiménide de Crète (vers – 595), Phérécyde de Syros (vers – 550), Abarix (vers – 570), Hermotime de Clazomènes (vers – 500).
Les Grecs en faisaient une École anticipant le pythagorisme. Pythagore a en effet des aspects chamaniques, sans être un chaman lui-même au sens strict du terme. Il distingue nettement l’âme/esprit du corps, il utilise des guérisons magiques, il croit en une sorte de solidarité entre humains et animaux, etc.
Clément d’Alexandrie met ensemble (Strômates, I, chapitre XXI) Pythagore, Abarix, Aristéas, Épiménide, Zoroastre, Empédocle, Phormion.
Pline regroupe Hermotime, Aristéas, Épiménide, Empédocle.
Plus près de nous, Walter Burkert énumère comme « faiseurs de miracles » : Aristéas, Abarix, Épiménide, Hermotime, Phormion, Léonymos, Stésichoros, Zalmoxis, Empédocle. Empédocle (vers 460 avant notre ère) pouvait, dit-on, retenir le vent, détourner la peste, délivrer les terres de la stérilité, guérir par la musique, et même faire revenir à la vie.
Ces personnages sont à la fois des chamans et des penseurs ou même des philosophes. Avec Abarix et Aristéas, écrit Giorgio Colli, voici le délire d’Apollon à l’œuvre. L’extase apollinienne est une sortie hors de soi : l’âme/esprit abandonne le corps et, libérée, se transporte au-dehors. Cela est attesté par Aristéas. Aristéas de Proconnèse était transporté au loin lors de ses « délires apolliniens ». Il abandonnait son corps, qui gisait comme mort. Sur son île, une statue le représentait à côté d’Apollon (Hérodote, IV, 13-15). Pline l’Ancien rapporte qu’elle représentait son âme/esprit quittant son corps sous la forme d’un corbeau, donc qu’elle volait.
Au mystérieux Abarix, en revanche, on attribue la flèche, symbole transparent d’Apollon, et Platon fait allusion à ses sortilèges. Il est permis de conjecturer qu’ils (Abarix et Aristéas), ont réellement vécu […] Ce que relate Hérodote à propos de la transformation d’Aristéas en corbeau est aussi digne d’intérêt : le vol est un symbole apollinien […]. D’autres renseignements sur Épiménide en donnent une représentation chamanique qui est à mettre en relation avec Apollon Hyperboréen. Dans ce cadre prennent place sa vie ascétique, son régime végétarien, voire son fabuleux détachement vis-à-vis de la nécessité de se nourrir. […] C’est, en effet chez Épiménide que l’on peut saisir pour la première fois les deux aspects de la sagesse individuelle archaïque de source apollinienne : l’extase divinatoire et l’interprétation directe de la parole oraculaire du dieu-ou-démon. Le premier aspect peut être déjà repéré chez Abarix et Aristéas.
202
N.B. Le chamanisme est également signalé en Chine. Il a été repris par le taoïsme. Selon un ouvrage du IIIe siècle, le Baopuzi, le prêtre connaît des voyages extatiques qui l’emmènent au ciel, où il peut rencontrer des dieu-ou-démons, des ancêtres, voire trouver des remèdes médicaux. Il est aidé pour cela par des animaux, dragons, tigres ou cerfs.
Bien qu’il puisse encore servir à rendre représentable l’émotion religieuse et conserver ainsi à l’individu la possibilité d’une communion avec le divin ; le néo-chamanisme (tout comme le néo-druidisme d’ailleurs) a néanmoins perdu tout caractère spécifiquement religieux.
203
ANNEXE N° 3.
LE RETOUR DE DIEU OU DES DIEUX.
En Grande-Bretagne, cette période de rémission avant l’erdathe ou fin du Monde devant durer mille ans était associée au retour du roi de [Grande] Bretagne Arthur. Un roi caché ou en dormition depuis la désastreuse bataille de Camlann.
Arthur est le type même du chef de guerre, sage et surtout élu des dieu-ou-démons (la dame du Lac). Son lieu de convalescence est l’île des Fruits ou île fortunée (Insula Pomorum quae Fortunata vocatur). C’est une sorte d’autre monde parallèle de nature paradisiaque, demeure de fécondité, mais aussi de longévité, gouverné par neuf sœurs, dont l’aînée, la reine Morg (Morgain ou Morgane), est une fée qui connaît les secrets de l’art de guérir. Le nom d’« insula pomorum » semble une traduction latine du mot d’origine celtique Avallach ou Avallon, qui signifiait « pommeraie ». Selon d’autres traditions, galloises, anglaises et italiennes aussi, le séjour d’Arthur serait une grotte introuvable, où il dort entouré de ses derniers preux, échappant ainsi à l’attention des vivants.
En Allemagne, cette période de rémission avant l’Erdathe ou fin du Monde devant durer mille ans, était associée au retour de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen. Du IXe siècle au XVe, et plus particulièrement à partir du XIIe siècle, s’est en effet développée en Allemagne la légende de l’empereur endormi : Charlemagne, Frédéric Barberousse ou Frédéric II selon l’époque ou l’humeur des conteurs. Et c’était visiblement une transposition germanique du mythe du roi perdu […] L’empereur Frédéric n’est pas mort. Il dort dans une grotte des montagnes de Thuringe, assis devant une table de pierre, tandis que sa barbe a fait déjà plusieurs fois le tour du pied de la table. Parfois, il se lève pour demander : « Les corbeaux volent-ils toujours autour de la montagne ? » Et le berger qui veille sur lui répond tristement : « Oui, messire ! ». L’empereur reprend alors son rêve séculaire, en attendant le jour où il portera l’Allemagne à la tête des autres peuples.
En Bohème, dans une grotte […] reposait le roi Venceslas II, mort en 1305, un prince sage et puissant qui avait réuni sous son gouvernement la Bohème, la Pologne et la Hongrie. Dans une montagne du Monténégro attendait le roi de Serbie Marko (1371-1394) qui, bien que déjà soumis à la tutelle ottomane, représenta pour les générations suivantes un vague souvenir des libertés médiévales d’antan. L’épée du roi Marko était enfoncée jusqu’à la garde dans un rocher. Ce roi de Serbie reviendrait lorsque le rocher serait tellement usé par le temps que l’épée se libérerait d’elle-même. Notons les correspondances évidentes avec Excalibur, l’épée d’Arthur.
Au Portugal cette période de rémission avant l’Erdathe ou fin du Monde devant durer mille ans, était associée au retour du roi Sébastien Ier (Dom Sebastião). Il montera sur le trône en 1568, à l’âge de quatorze ans. Le personnage est un peu particulier. Selon les points de vue, il est soit admiré, soit haï ; on voit en lui un messie, ou un maladroit (c’est un euphémisme). Pas étonnant ! On a quand même à faire, avec lui, à un très jeune adulte, de santé fragile qui plus est.
Nul ne sait avec certitude ce qu’est devenu son corps, mais ce qui est certain c’est que le peuple refusa cette disparition.
Il entre alors dans la légende et depuis porte divers surnoms : O Adormecido (L’Endormi, le roi en dormition) ou bien O Encoberto ([le Roi] Secret). Diverses légendes nous le montrent, toujours attendu, et l’imaginent revenant à la tête de la nation, afin de lui redonner sa gloire et sa puissance de jadis. Certains textes nous précisent même que cela se fera un jour de brouillard.
Le sébastianisme est un mouvement messianique alliant culture, histoire et spiritualité. Plus précisément, le sébastianisme est la continuation d’un messianisme portugais qui existait déjà depuis plusieurs siècles ; et situé à la confluence de trois grandes lignes historiques : la tradition messianique judéo-chrétienne empruntée aux Perses ; les théories millénaristes du moine cistercien Joachim de Flore ; et enfin les récits de chevalerie des mythes celtiques traitant du roi breton Arthur. Dans la noblesse portugaise (comme dans d’autres d’ailleurs), la tradition des romans de chevalerie s’est en effet longtemps perpétuée.
Au nord des Pyrénées, il s’agit du grand monarque. Les prophéties à son sujet commencent à se répandre à peu près à la même époque que celle du roi de [Grande] Bretagne appelé Arthur. L’époque médiévale a été en effet particulièrement fertile en faux prophètes de toutes sortes. Outre les prédictions attribuées à Merlin l’enchanteur, il y a eu également d’autres faux prophètes, dont les
204
vaticinations allaient toutes dans le même sens ; et annonçaient la venue d’un Grand Monarque de type messianique, venant pour sauver le monde de la destruction. La prophétie tirée du Mirabilis Liber et attribuée à Césaire, en accord avec la plupart des prophéties sur le Grand Monarque, annonce pour la fin des temps, la venue du prince en question.
Il existe peu de commentateurs parlant clairement du Grand Monarque qui, plus qu’un personnage, est l’incarnation d’une fonction eschatologique suprahumaine. Éric Muraise s’y hasarde pourtant, quitte à donner à sa description une connotation digne de la littérature d’anticipation ou de science-fiction. Le Grand Monarque est un prince capétien oublié nommé Henri, né à Blois et vivant depuis en Irlande (tiens ?). Il se révèle au moment où l’Europe, secouée par de très graves désordres internes, subit l’invasion simultanée ou concertée de troupes provenant d’Afrique du Nord et de l’est de l’Elbe. Un vrai scénario de politique-fiction visiblement et bêtement marqué par une « Guerre froide » dépassée. Les Russes seraient plutôt sur le même bateau que nous avec leurs Tchétchènes, ce que n’ont toujours pas compris les Européens. Voir la stupidité des réactions des intellectuels et des médias européens en août 2008 lors du conflit avec la Géorgie. Difficile d’être moins lucide et moins objectif ! Difficile d’être plus stupide ! À croire que les élites européennes (les hommes politiques et leurs amis journalistes) vivent encore comme en 1950.
Muraise extrapole à partir d’un grand nombre de prophéties et de prédictions connues. Pour un historien, affirme cet auteur français, la question n’est pas de savoir si les prophéties sont croyables ni si les rapprochements de ces prophéties avec les réalités sont légitimes, mais d’estimer leur potentiel suggestif sur les masses (cf. Gustave Le Bon et son étude sur la psychologie des foules).
Certains auteurs pensent que la « prophétie du Grand Monarque » n’a jamais existé. En introduisant ce thème dans la prophétie, on a fait apparaître le Grand Monarque comme un refondateur de la monarchie, qui ramène son peuple à la jouvence originelle, in illo tempore dirait Mircea Eliade. Mais, subrepticement, on procède alors à un glissement du thème du roi perdu à celui du roi immortel caché.
Certes, le Grand Monarque n’est pas le malheureux Arthur transporté par les fées dans l’île d’Avallon ni Frédéric Barberousse endormi sous la montagne ; veillant au long des siècles dans l’attente du besoin de leurs peuples. Ce rôle est transposé à son lignage occulté. Mais ce qui est certain, c’est que cette trame prophétique s’appuie sur des mythèmes puissants ; le roi perdu, l’île bienheureuse, le roi du monde, le cataclysme suivi du retour à l’Âge d’or ; présents dans l’imaginaire occidental depuis des millénaires.
Même les trois fondateurs de la première alliance des cantons suisses originels en 1291 étaient réputés dormir sous le pré du Grütli *, où ils avaient prêté leur serment, au bord du lac des Quatre Cantons.
On décèle surtout dans toutes ces légendes les traits caractéristiques d’un véritable « complexe de Pénélope » : l’espoir dans le retour d’un monarque bien-aimé trop tôt disparu, un endormissement conservateur dans un endroit reculé ou protégé, un triomphe inévitable et définitif. Ce chiliasme politique semble résulter d’une laïcisation d’un millénarisme de type parousie, d’autant plus que la légende assigne au « sauveur dormant » qu’il s’éveillera lorsque son pays aura besoin de lui. [Grande] Bretagne, Bohème, Serbie ou Allemagne, mises en danger appelleront le roi disparu. Ces souverains, historiques ou archétypaux, échapperaient à l’emprise de la mort, soit afin de revenir un jour témoigner pour l’édification d’autres générations, soit pour enfin accéder à la vie éternelle. Leur sommeil ne serait qu’une longue phase protégée, qui conserverait leurs virtualités, qui réserverait leurs mérites pour un plus grand accomplissement. Ils attendraient ainsi un instant privilégié du futur où leur éveil viendrait alors émerveiller, enseigner ou secourir, les témoins de ce prodige.
Fondamentalement, le thème du roi perdu ou du roi occulté, comme de l’imam caché, symbolise l’essence sacrée de la royauté, par opposition à ses réalisations temporelles. Il assure la régénération archétypale de la fonction royale. Son occultation temporaire le soustrait à l’usure, aux forces dissolvantes qui éloignent son lignage du modèle idéal.
Chez les Celtes cette idée millénariste n’a été conservée que par les Bretons et le cycle arthurien.
Alors est-ce une hérésie, un particularisme local, ou l’ultime écho d’un mythe druidique panceltique plus ancien ? Une hérésie ou une réminiscence ?? À chacun de voir.
* Sans doute un ancien sanctuaire (nemeton) celte.
205
ANNEXE N° 4
VIE ET ŒUVRE DU GÉNIAL FAUSSAIRE
QUE FUT ÉDOUARD WILLIAMS
DIT IOLO MORGANWG (1747-1826).
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, le druidisme étant un paganisme celte il ne saurait y avoir d’hérésie au sens judéo-islamo-chrétien du terme, mais il y a des enseignements qui s’éloignent vraiment beaucoup des grandes lignes communes. L’enfer n’existant pas aucun de ces hérétiques ne s’y retrouvera jamais, tout au plus il lui faudra plus de temps pour que son âme s’épanouisse dans le grand tout (Pariollon) après avoir passé plus ou moins de temps unie à son esprit au paradis selon les druides (un autre monde qui est un état de l’être et non un lieu dans l’espace, évidemment).
Par hérésie nous voulons donc simplement évoquer des supercheries forgées de toutes pièces, n’ayant rien à voir avec le druidisme de référence, qui ne peut être que le druidisme continental antique né quelque part en Europe centrale il y a plus de 3000 ans.
C’est donc au barde gallois Edward Williams (Iolo Morganwg) que revient le très contestable honneur d’avoir le premier publié la collection des écrits, prétendument opérée au XVIe siècle, par un certain Llewelyn Sion, sous le titre de Llyfr Barddas. Un pasteur, le révérend John Williams Ab Ithel, la diffusa ensuite sous le titre de Barddas, pour le compte de la société des manuscrits gallois, en 1861, et en 1862, pour ce qui est du premier volume.
Le deuxième volume, édité en 1874, est plus court, et se présente comme « un livre inachevé… trouvé dans les réserves de feu Monsieur Rees de Llandovery, après avoir été acheté par Bernard Quaritch, demeurant 15 Piccadilly street, à Londres ». Les sources ne sont pas autrement mentionnées, mais il s’agit probablement là aussi d’une contrefaçon de Iolo. Cet ouvrage reprend une grande partie du premier volume, mais en plus détaillé : nombreuses histoires contant comment Prydain ab Aedd institua le bardisme après avoir conquis l’île, et ainsi de suite.
Le Barddas est une œuvre en deux volumes. Le premier, celui de 1862, se veut la simple publication de manuscrits prouvant la persistance de la pensée bardique de l’Antiquité jusqu’à ce jour. Voici comme il se présente.
Y GWIR YN ERBYN Y BYD.
LE BARDDAS.
UN RECUEIL DE DOCUMENTS ORIGINAUX ILLUSTRANT LA THÉOLOGIE LA SAGESSE ET LES USAGES DU
Système bardo-druidique
DE L’ISLE DE GRANDE BRETAGNE
avec
TRADUCTION ET NOTES.
PAR
Le révérend J. WILLIAMS AB ITHEL
RECTEUR DE LLANYMOWDDWY, MERIONETHSHIRE.
AUTEUR DES « ANTIQUITÉS ECCLÉSIASTIQUES DES CYMRI » & c., & c.
PUBLIÉ POUR
La société des manuscrits gallois.
206
« Excepté pour doter ce texte de certains titres, aucune liberté n’a été prise avec. Même des erreurs évidentes et flagrantes que ce soit dans l’orthographe ou la ponctuation, ont été maintenues comme elles figuraient dans le manuscrit. La traduction a été rendue aussi littéralement que possible, sauf à devenir obscur. Ceci a été jugé préférable, non seulement afin de rendre le style et la langue de l’original, mais afin d’éviter les contresens qu’une traduction trop libre aurait pu être susceptible de générer ».
Note de Pierre de La Crau.
Il n’en était rien évidemment ! Bien que J. WILLIAMS AB ITHEL y soit mentionné comme en étant l’auteur ; le livre, qui prétend donc être une publication de manuscrits ayant appartenu à un certain Llewelyn Sion du Glamorgan (1560), ou à quelques autres bardes gallois du même genre ; a en fait été composé par Iolo Morganwg lui-même. De toute façon, à supposer que de tels manuscrits aient vraiment existé, ils n’auraient pu que refléter les idées en vogue au XVIe siècle à ce propos et n’auraient pu contenir que d’infimes traces du druidisme antique. Ces manuscrits prétendument étudiés par Iolo Morganwg, ne sont plus évidemment consultables puisqu’ils ont, comme par hasard, disparu. Mais, s’ils l’étaient, ils ne nous révéleraient certainement pas autre chose que des textes d’inspiration chrétienne pour ce qui est du fond, et contenant seulement quelques détails de la tradition druidique antique. Ce genre de document ne justifie donc en rien une authentique filiation de pensée avec celle des gnostiques d’Occident (druidecht) de l’Antiquité.
Mais cela nous l’avons déjà dit.
On y trouve une sorte de christianisme mystique fondé sur une théologie n’ayant rien à voir avec la druidiaction (druidecht) officielle dont les dernières attestations (imbas forosnai, etc.) remontent au Xe siècle, si l’on en croit le conte d’Urard Mac Coisé intitulé « le pillage du château de Maelmilscothach ». Le livre de notre bon révérend évoque à la fois des héros gallois du Moyen-âge et Jésus-Christ, et se fonde sur une mystique (chrétienne) n’ayant rien à voir avec ce que l’on sait de source sûre du druidisme antique. L’univers est fondé sur deux forces opposées, Dieu (l’énergie de la vie) et Cythrawl, une énergie négative tendant à le détruire, émanant d’Annwn, l’abîme. Rien à voir avec la matière et l’esprit (l’eau et le feu) de Strabon (Géographie IV, 1, 13).
On ne donc peut pas considérer les deux livres du Barddas comme représentant vraiment la doctrine des très-sachants ou gnostiques d’Occident. Elle est bien plutôt celle des bardes tardifs dont Llewelyn Sion a collecté les écrits, vers 1560. Et notamment des manuscrits (aujourd’hui disparus ainsi que nous l’avons souligné) d’Einion le Prêtre, de Dafydd Ddu (David le Noir), de Rhys Goch (Rhys le Roux), etc. Le tout prétendument conservé dans la bibliothèque du château de Rhaglan, dans le Pembrokeshire.
« Ceci est le livre du Bardisme c’est à dire du Druidisme des Bardes de l’île de Bretagne que moi, Llewelyn Sion de Llangewydd, j’ai tiré de livres anciens, à savoir les livres d’Einion le Prêtre, de Taliesin, chef des Bardes, de Dafydd Ddu de Hiraddug, de Cwtta Cyvarwydd, de Jonas de Menevie (Mynyw), d’Edyr à la langue d’or (Dafod Aur), de Sion Cent, de Rhys Goch et d’autres ; dans la bibliothèque de Rhaglan. Avec l’autorisation de Monsieur William Herbert, comte de Pembroke, à qui Dieu me permette d’en être reconnaissant aussi longtemps que je vivrai » (Llewelyn Sion).
Mais à l’époque de Llewelyn Sion, il y avait déjà plus de treize cents ans que la doctrine chrétienne l’avait emporté avec la défaite du dernier des rois païens qui protégeait Merlin, Gwendoleu ou Gwenddolau, lors de la bataille d’Arthuret (Ardderyd Arfderydd) en 574.
D’où d’ailleurs l’étrange affirmation, en forme de synthèse que l’on peut y trouver : « Les trois enseignements particuliers qu’a obtenu la nation [des Kymris] : le premier celui des Gwyddoniaid qui vient du fond des âges. Le second celui des bardes du temps de de Prydain, fils d’Aedd le grand. Le troisième la foi dans le Christ. De ces trois enseignements sont sorties toutes les sciences de la nation des Kymris ».
N.B. Gwyddon est un terme gallois en rapport avec le nom du bois en vieux celtique (vidu) et signifiant quelque chose comme « très sachant » (druide).
207
Au XVIIIe siècle, l’Eisteddfod (pluriel : eisteddfodau – assemblée des bardes gallois) fut relancée sous l’impulsion de Goronwy Owen ; la dernière réunion remontait à 1450. L’Eisteddfod deviendra annuelle au XIXe siècle. Ce mouvement gallois celtomane entraîna la redécouverte et l’édition du patrimoine poétique, mais aussi la contrefaçon et la fabrication de faux textes anciens comme nous l’avons vu, et Morganwg sera le principal instigateur de cette entreprise, avec Owen Pughe.
Après toutes ces outrances, l’étude de la poésie galloise redeviendra plus rigoureuse, et en 1877, une chaire de celtique sera créée à l’université d’Oxford, dont John Rhys fut le premier titulaire. En 1893, l’université du Pays de Galles sera créée puis, en 1907, la Bibliothèque nationale. Saluons au passage ce courageux et utile effort de tout un peuple pour s’affranchir du joug anglais (Plaid Cymru).
Répétons-le encore une fois : s’il est exact qu’au cours du Moyen-âge, divers rites païens ont été notés ici ou là, le véritable fondateur de ce néo-druidisme est, comme nous l’avons dit, Iolo Morganwg. C’est lui qui en a élaboré la doctrine et inventé les rites. L’Église primitive dans la région avait bien sûr emprunté au druidisme quelques-uns de ses symboles, mais ce qui survivait du druidisme s’était vite imprégné de culture chrétienne. La théologie développée par Iolo Morganwg appartient donc au contexte chrétien, et demeure sans rapport avec le druidisme antique des très sachants (Gwyddoniaid) ou gnostiques d’Occident.
De toute façon, les mégalithes n’ont rien de celtique et ils ne sont surtout pas des symboles ou des monuments druidiques. Peuple de l’Europe centrale, passé maître dans le travail du bois et du métal, les Celtes n’ont pas commencé par utiliser la pierre pour leur architecture ou leur sculpture, et encore moins pour y graver des inscriptions. Ils n’y sont venus que sur le tard. Le concept fondamental chez eux n’a jamais été le monument mégalithique censé baliser un courant tellurique ni une quelconque aire d’atterrissage pour ovni, soucoupes volantes, ou extraterrestres ; mais l’arbre et la forêt (l’hercynia silva) ce qui est d’ailleurs plus écologiste.
La plupart des spécialistes du domaine celtique récusent donc une quelconque filiation entre ce mouvement néo-druidique et la civilisation celtique. Il n’existe pas, en tout cas, pas plus au Pays de Galles qu’en Bretagne armoricaine, ou, a fortiori « en Gaule » (France), d’organisation ou de groupe, ouvert ou fermé, qui ait une filiation traditionnelle ininterrompue remontant aux druides de l’Antiquité.
BIOGRAPHIE D’ÉDOUARD WILLIAMS DIT IOLO MORGANWG (1747-1826).
Sa mère était une femme cultivée appartenant à la famille des Mathews (la bonne société de Llandaf et de Radyr).
En 1773, il partit chercher du travail à Londres où il assista aux réunions de la société galloise des Gwyneddigion. Après avoir travaillé dans diverses régions d’Angleterre, il revint dans son Glamorgan natal en 1777 ; et en 1781 y épousa Margaret Roberts. En 1786-1787, il fut emprisonné pour dettes à Cardiff. Certains spécialistes pensent d’ailleurs que le Cyfrinach Beirdd Ynys Prydain (« le secret des bardes de l’île de la Grande-Bretagne »), une de ses contrefaçons les plus connues, fut écrit durant cette période.
En 1791, il revint à Londres proclamer, dans différents cercles gallois ou cercles littéraires anglais, qu’il avait découvert les mystères du druidisme antique des Gwyddoniaid).
En 1792, sur la colline de Primrose, il organisa une cérémonie appelée Gorsedd Beirdd Ynys Prydain : le siège des bardes de l’île de Grande-Bretagne.
Iolo revint au Pays de Galles en 1795, et commença d’y rassembler les matériaux du grand livre sur les bardes britanniques qu’il envisageait de publier.
De 1801 à 1807, un grand nombre de ces contrefaçons furent publiées dans la Myvyrian Archaiology, Iolo ayant réussi à persuader les responsables de cette publication savante qu’il s’agissait de textes authentiques tirés de vieux manuscrits consultés par lui. Ce que fera d’ailleurs quelque temps plus tard le très érudit et scrupuleux Eugène O’Curry de son côté en Irlande, avec ses notes de lectures sur l’histoire ou les mœurs irlandaises ; sans être jamais démenti par la suite.
Quant à lui Iolo est mort en 1826, en laissant ces manuscrits inachevés.
Cette collection se trouve maintenant à la bibliothèque nationale du Pays de Galles. La non-authenticité de ces textes a définitivement été démontrée par le professeur Griffith John WILLIAMS en 1956, mais elles ont quand même fait dévier les études sérieuses sur la littérature galloise médiévale pendant au moins un siècle.
Il n’y a pas 36 méthodes pour arriver à reconstituer le druidisme, le vrai, celui qui a vraiment existé dans la tête des Celtes antiques 1) et qui a guidé leur action pendant des siècles.
208
La première de ces trois voies, c’est l’étude (le recueil la confrontation et la critique), des notions explicitement ou implicitement, mais toujours à juste titre évidemment, données comme druidiques par ces auteurs antiques que nous venons d’évoquer.
La seconde de ces voies est constituée par tout ce que l’on peut déduire des actions ou des réactions (acceptation tacite, condamnation explicite) des gwyddoniai (gnostiques d’Occident) ou de leurs successeurs ainsi définis. En bref leur druidiaction.
La troisième de ces trois voies, c’est l’étude (le recueil et la confrontation ou la critique) des propos explicitement ou implicitement, mais toujours à juste titre évidemment, attribués à des Gwyddoniaid ou très-sachants (gnostiques d’Occident). Ou à des successeurs légitimes desdits druides antiques (c’est-à-dire de façon non interrompue par une quelconque invasion ou acculturation, romanisation, christianisation, etc.). Exemple en Irlande les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill qui en plein Xe siècle ou Xe siècle continuaient d’avoir à leur répertoire les
Dichetal do chennaib teimn laegda et autres imbas forosnai interdits par Saint Patrice.
Du moins si l’on en croit la conclusion du conte en gaélique intitulé « l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach » d’Urard Mac Coisé, consulté par Eugène O’Curry (cf. la publication de la 6e de ses lectures page 135 du tome 2).
Car quand il est question des druides, les hagiographes irlandais font comme tous les hagiographes du monde. La conséquence en est que nous pouvons aussi utiliser l’hagiographie irlandaise pour montrer la persistance, dans la mentalité, irlandaise (et celtique) de concepts et d’habitudes qui ne s’expliquent pas par le christianisme : ce que l’on appelle la druidiaction. C’est là un service éminent que les hagiographes insulaires ne pensaient pas nous rendre.
John Minahane dans son livre de 2008 sur les druides chrétiens ne tarit pas d’éloges à propos d’Eugène O’Curry (un génie) et de son œuvre.
Il en ressort néanmoins que les druides druides ne se sont pas convertis au christianisme, que seuls les druides de rang inférieur, les filid, l’ont fait.
« Jusqu’à l’introduction du Christianisme en l’an de grâce 437 l’instruction de la jeunesse était entièrement dans les mains de deux classes d’hommes, les fileadh ou poètes et les druides ».
Par contre Minahane a bien déduit de l’œuvre d’O’Curry que les fileadh en question avaient hérité des druides druides leur philosophie.
Il y a donc lieu de remettre un peu d’ordre dans toute cette terminologie.
File (vellède). Étymologiquement le file est un « voyant » qui a l’écriture (voir les runes lépontiques ou cisalpines) dans ses attributions. C’est pourquoi ce nom de file a subsisté après la christianisation, car l’usage de l’écriture, quoique différent puisqu’il était devenu didactique et plus seulement magique, ne le gênait pas. En Irlande presque tous les noms de fonctions apparaîtront dès lors comme des spécialisations du file ou « poète », un terme qui deviendra synonyme de druide dans ce pays.
Faith. Le vate ou devin (vieux celtique vatis, passé en latin sous la même forme. Et surtout pas ovate qui est une cacographie). C’est à lui qu’il appartient d’interpréter les songes et les signes signifiants pour l’avenir du roi et de son royaume.
Bard (celte bardos, cf. gallois bardd, breton barzh, français barde)… Mais en Irlande le barde a été supplanté par le filé (vellède ou poète).
Liaig ou médecin, spécialiste des trois médecines, psychologique, chirurgicale, ou par les plantes.
À noter : on a retrouvé en Allemagne dans une tombe exhumée à Munich-Obermenzing en Bavière, le corps d’un homme qui fut vraisemblablement un druide chirurgien, vers l’an 200 avant notre ère. Il avait été enterré avec une épée, une lance et un bouclier, mais c’était avant tout un médecin et non un guerrier. Puisque l’on a trouvé aussi dans sa tombe un trépan (permettant de retirer du crâne de petites sections d’os afin d’alléger la pression exercée par la boîte crânienne sur le cerveau), une sonde, et un écarteur (Cf José Maria de Navarro et son étude sur la tombe d’un docteur de La Tène Moyenne, publiée en 1955 par la Société préhistorique).
Cruitire ou harpiste, spécialiste des trois musiques fondamentales des Celtes, celle qui endort, celle qui fait rire, et celle qui fait pleurer, ou même parfois mourir.
Deogbaire ou échanson, chargé de la préparation des boissons fermentées, bière ou hydromel, dans les festins royaux. Voir l’haoma ou soma des Indo-iraniens.
Sencha ou historien, antiquaire. Sa principale fonction est d’informer, aussi loin que possible, sur la généalogie du roi et tous les événements qui concernent la dynastie.
Scelaige ou conteur : c’est lui qui, lors des longues veillées d’hiver, raconte au roi (et à sa cour) des histoires.
Brithem ou juriste : c’est lui qui dit « le droit » dans les contestations. Le roi ne fait que suivre ses conclusions.
Dorsaid ou portier : il lui appartient de renseigner le roi sur l’identité des personnes qui arrivent dans sa résidence.
209
Muccido ou « porcher » : il garde les troupeaux de porcs ou de sangliers, animaux symboliques et sacrés de la première fonction sacerdotale. C’est par exemple au service d’un tel personnage que le futur saint Patrice est censé avoir passé sa jeunesse.
Cela fait beaucoup de druidiaction !
Nous nous intéresserons principalement dans ce livre à leur rôle en tant que prêtres philosophes ou moralistes, en bref à leur spiritualité. Mais la tâche sera très ardue, car ; ainsi que l’a très bien vu John Toland notre grand maître à tous ; à partir du Ve siècle, saint Patrice et ses successeurs immédiats ont fait disparaître des lois ou des coutumes tout ce qui était contraire à la lettre et à l’esprit du judéo-christianisme. Et notamment donc les fameux Dichetal do chennaib teimn laegda et autres imbas forosnai.
De tout ce qui nous aurait si vivement intéressés, il ne reste plus que des traces ou des bribes fortuites, conservées ou déformées au hasard d’une transcription, parce que les scribes ne les comprenaient plus.
La documentation irlandaise est, certes, indispensable à qui veut étudier le druidisme d’un pays n’ayant jamais été colonisé par Rome, mais l’expansion du christianisme dans cette île a néanmoins précipité le déclin et la décadence du druidisme autochtone. Il est donc nécessaire d’utiliser ces documents, bien sûr, mais avec la plus grande précaution.
Exemples d’erreurs figurant dans la tradition irlandaise médiévale.
— La diabolisation de la deuxième (ou première ?) famille de dieux ou déesses du panth-éon ou plérôme * druidique originel, les dieux souterrains, des sortes de vouivres anguipèdes gigantesques (que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande). Voir notamment le cas du dieu-ou-démon guerrier Cicolluis, devenu Cicholl Gri-Cenchos dans l’histoire de Partholon. Dans les textes médiévaux irlandais, la difformité ainsi que l’anomalie physique (unicité de l’œil, de la jambe et du bras) sont des signes ou des marques du monde infernal de ces entités ; lesquelles sont l’équivalent celtique des Titans grecs et des Vanes germaniques. C’est la christianisation qui les a rejetés dans les ténèbres infernales. L’unicité en question est simplement au départ le signe du caractère primordial des êtres de l’autre monde souterrain, comme le montrent bien [en particulier à Mayence en Allemagne] les colonnes représentant un Taranis/Jupiter cavalier terrassant un anguipède géant (primitivement sans doute des arbres).
— L’historicisation ou évhémérisme à rebours d’un certain nombre de dieu-ou-démons, ainsi transformés en rois ou en héros ayant réellement existé : évhémérisme à rebours. Ou alors l’attribution à un certain nombre de personnages ayant réellement existé, de traits qui avaient auparavant caractérisé tel ou tel dieu ou démon.
Exemple Finn, Conchobar, Cuchulainn, voire noïba Brigitte, etc. même s’il s’agit là, d’ailleurs, d’une hérésie plus chrétienne que druidique.
— L’attribution aux dieu-ou-démons d’une naissance, d’une mort, et donc d’une généalogie. Or aucune généalogie divine, à l’instar de celles des humains, n’est possible évidemment, dans le cas des vrais dieux ou démons, qui sont des forces (négatives pour les uns, donc positives pour les autres). C’est d’ailleurs pourquoi les généalogies du Christ diffèrent toutes les unes des autres, et ne parlons même pas de celle de Mahomet (les musulmans pieux osent le faire remonter à Adam et Ève par Abraham !)
— La transformation d’un avatar de Toran/Taran/Tuireann ou de Belin/Belen/Belenos, particulièrement honoré dans l’île de Man (Belinos) en une divinité indépendante (Barinthus Manannan mac Lir).
— L’allongement ou la modification de la liste des rois de l’autre monde des dieu-ou-démons…
— Sans oublier l’incroyable légende milésienne. Tout ce qui concerne l’origine des Gaëls et leur débarquement dans l’île est en effet faux et archi faux (emprunté aux Grecs et à l’Ancien Testament).
— Etc., etc.
* Nous utilisons le terme plérôme qui signifie en grec « plein » afin de bien montrer ici que nous ne nous contentons pas des seules entités surhumaines célestes et lumineuses, mais que nous incluons également dans ce que nous entendons signifier… les entités surhumaines chtoniennes souterraines sombres et inconscientes.
210
1) La notion de Celte antique est très claire, elle s’appuie essentiellement sur la langue. Était celte dans l’Antiquité toute personne ayant comme langue maternelle une langue celtique. On peut certes, y rattacher des populations plus ou moins celtisées, ou ayant plus ou moins subi l’influence de la civilisation celtique (les Germains, les Cimbres, les Teutons, les Italiens du Nord, les Galates de Turquie) ; mais certainement pas les Égyptiens les Galiléens… ou les Atlantes.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) étaient les intellectuels de ces peuples, ils étaient juristes médecins architectes professeurs musiciens…
211
POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction. (Jean-Pierre Martin.)
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme, seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?)
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
212
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui
213
seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
214
BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
— Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
— Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
— Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
— Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
— Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Introduction
Mise au point préliminaire : les différents niveaux de vérité.
Les mille et une façons de voir ou concevoir le divin
Les mille et une façons de voir ou concevoir le divin (développement)
La parabole d’Ogmios
L’apogée du druidisme antique
Les cinq petits ruisseaux qui font la grande rivière
Éléments de cosmogonie druidique
Le réservoir psychique ou animique universel
La Grande déesse mère cosmique (la matière)
La partie supérieure de l’Hypermonde appelée Albiobitos
Le premier des éons de la Pimpetia originelle : le Temps
Le deuxième des éons de la Pimpetia originelle : l’Ago ou Guerre des opposés
Le troisième des éons de la Pimpetia originelle : l’Oxymore
Le quatrième des éons de la Pimpetia originelle : la Vie
Le cinquième des éons de la Pimpetia originelle : la Brio ou la Brigo
Résumé
Dyades et triades
Angélologie et démonologie : les êtres intermédiaires dans les religions de masse
De la lumière de l’Albitos aux ténèbres du non-monde
Le Sedodumnon ou Monde des dieux
Le point de vue dissident du néo-druide Allan Kardec
Notre livre des esprits à nous
Du sexe des anges (et des dieux)
Les fondements mythologiques non varonniens du druidisme
Les élémentals et les égrégores ou teutatès
Les genii cucullati ou les anges gardiens du druidisme
Le grand Pan est mort (l’occultation des dieux)
Rappel sur le Sedodumnon
Résumé de ce que pense le professeur Jan De Vries à propos de la mythologie des Celtes
Le monde parallèle paradisiaque selon les druides médiévaux
L’autre monde parallèle paradisiaque dans la Grande-Bretagne médiévale
Résumé de ce que pense le druide Corin Braga au sujet de la mythologie des Celtes
Remarques diverses sur l’autre monde
La résurrection idéalisation des corps
Autres mondes parallèles dans le druidisme (les différentes antichambres du paradis)
Page 004
Page 007
Page 009
Page 012
Page 016
Page 022
Page 024
Page 026
Page 031
Page 034
Page 036
Page 039
Page 042
Page 047
Page 049
Page 051
Page 055
Page 059
Page 062
Page 066
Page 071
Page 073
Page 081
Page 096
Page 100
Page 102
Page 110
Page 120
Page 132
Page 137
Page 142
Page 150
Page 154
Page 157
Page 160
Page 163
215
Le royaume ou la république des sides
Mondes parallèles et bouddhakshetras druidiques, suite
Le paradoxe moral
Les au-delà persan, hindou, japonais, bouddhiste
Annexe N°1 : Sur une citation de Dion Chrysostome
Annexe N°2 : Chamanisme et néo-chamanisme
Annexe N°3 : Le retour de Dieu ou des Dieux
Annexe N°4 : Vie et œuvre du génial faussaire que fut Edouard Williams dit Iolo Morganwg
Postface à la John Toland.
Bibliographie des grandes lignes
Page 173
Page 175
Page 180
Page 186
Page 195
Page 198
Page 203
Page 205
Page 211
Page 214
DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « la Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « la Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
216