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DES FÉNIANES AUX CULDÉES
OU
LA GRANDE SCIENCE QUI ÉCLAIRE.
TOME III.
LA VOIE DU GUERRIER.
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« Cia do chomainmsiu ? » ol Médb frisin n-in gin.
« Fedelm banfili, do Chonnachtaib, mo ainmsea » or ind ingen.
« Can dothéig ? » or Medb.
« hAlbain iar foglaim filidechta » or ind ingen.
« ln fil imbass forosna lat ? » or Medb.
« Fil cin » or ind ingen.
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…).
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit.
Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre.
Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées.
Des condamnations. Pour les coupables.
Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…
CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRÉ ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin.
S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges !
Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine !
Il n’y a aucun moyen terme…
Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité, car, où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand).
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goy, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I.L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des Nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
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I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais, comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques, pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PROLOGUE.
Cathbad drúi búi oc tabairt da daltaib fri hEmain anairtúaith. Cét fer n-déinmech dó oc foglaim druídechta úad. Is é lín doninchoisced Cathbad. Ocht n-dalta do aes in dána druidechta na farad (Tain Bo Cualnge).
Catubatuos le druide dispensait l’enseignement à ses élèves, au nord-est d’Emania. Cent hommes étourdis se trouvaient chez lui, apprenant le druidisme. Tel était le nombre de ceux que Catubatuos instruisait. Huit de ceux-ci [seulement] étaient capables de science druidique (Enlèvement des bœufs de Cooley).
Batar Tuathai De Danann i n-indsib tuascertachaib an domuin, aig foglaim fesa & fithnasachta & druidechtai & amaidechtai & amainsechta combtar fortilde for suthib cerd ngenntlichtae. Ceitri cathrachai ir-rabatar og fochlaim fhesai & eolais & diaboldanachtai. i. Falias & Goirias, Findias & Murias. A Falias tucad an Lia Fail bui a Temraig. Nogesed fo cech rig nogebad Erinn. A Gorias tucad an tsleg boi ac Lug. Ni gebtea cath fria no frisinti an bidh il-laimh. A Findias tucad claidiub Nuodon. Ni terládh nech dei o dobirthe asa idntiuch bodhuha, & ni gebtai fris. A Murias tucad coiri an Dagdai [Suqellos Gargant]. Ni tegedh dam dimdach uadh. Cetri druid isna cetri cathrachaib-sin. Morfesae bai a Falias. Esras boi hi nGorias. Uiscias boi a Findias. Semias bai a Murias. It iad sin na cetri filid ocar foglaindsit Tuata De fios & eolas.
Batar Tuathai De Danann i n-indsib tuascertachaib an domuin,
Les dieux de la déesse Danu (bia) étaient dans les Îles au nord du Monde,
aig foglaim fesa & fithnasachta & druidechtai & amaidechtai & amainsechta
Apprenant la science et la magie, et le druidisme, et la sagesse et l’art.
combtar fortilde for suthib cerd ngenntlichtae.
Ils surpassaient tous les sages des arts du paganisme.
Ceitri cathrachai ir-rabatar og fochlaim fhesai & eolais & diaboldanachtai.
Il y avait quatre villes dans lesquelles ils apprenaient la science, la connaissance et les arts diaboliques.
i. Falias & Goirias, Findias & Murias.
C’est-à-dire Thulé, Gorre, Abalum et Ogygie l’île verte,
A Falias tucad an Lia Fail.
C’est de Thulé que fut apportée la Pierre de Fal.
Nogesed fo cech rig nogebad Erinn.
Elle hurlait de joie sous chaque roi régnant sur la verte Érin.
A Gorias tucad an tsleg boi ac Lug.
C’est de Gorre que fut apportée la lance qu’avait Lug.
Ni gebtea cath fria no frisinti an bidh il-laimh.
Aucune bataille n’était gagnée contre elle ou contre qui l’avait dans la main.
À Findias tucad claidiub Nuodon.
C’est d’Abalum que fut apportée l’épée de Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd.
Ni terládh nech dei o dobirthe asa idntiuch bodhuha, & ni gebtai fris.
Personne ne lui échappait quand elle était tirée du fourreau de Bodua.
A Murias tucad coiri an Dagdai [Suqellos Gargant].
C’est d’Ogygie l’île verte que fut apporté le chaudron du Dagda [Suqellos Gargant]
Ni tegedh dam dimdach uadh.
Aucune compagnie ne le quittait insatisfaite.
Cetri druid isna cetri cathrachaib-sin.
Il y avait quatre druides dans ces quatre villes.
Morfesae bai a Falias.
Marovesos était à Thulé.
Esras boi hi nGorias.
Esras était à Gorre.
Uiscias boi a Findias.
Uiscias vivait sur Abalum.
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Semias bai a Murias.
Semias était dans Ogygie l’île verte.
It iad sin na cetri filid ocar foglaindsit Tuata De fios & eolas.
Ce sont là les quatre maîtres de qui les Tuatha Dé tenaient leur science et leur connaissance.
Mais attention, parler de druidisme au singulier (druidisme éternel, etc.) est une escroquerie intellectuelle. Il n’y a jamais eu UN druidisme ou de druidisme UNIFIÉ, il n’y a eu que DES druidismes, variables suivant les lieux, les époques, voire suivant les classes sociales ou les communautés. Il n’y a jamais eu UN druidisme, mais DES ÉCOLES druidiques. Diverses Écoles de pensée, aussi proches ou aussi différentes entre elles que ne le sont les catholiques, les Églises réformées ou les orthodoxes, à l’intérieur du cadre chrétien ; ou chiites et sunnites à l’intérieur du cadre musulman, ou vishnouïtes et shivaïtes à l’intérieur du cadre hindou.
Seules les grandes lignes permettent de savoir si l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre (druidique).
Chaque fois que nous parlerons de druidisme au singulier, nous désignerons donc simplement par là les grandes lignes ou les grandes tendances plus ou moins communes à tous les lieux et à toutes les époques, druidiques.
CETTE MÉTHODOLOGIE NOUS PERMETTRA D’AILLEURS DE DÉGAGER LES POINTS COMMUNS AVEC D’AUTRES SPIRITUALITÉS S’ÉTANT DÉVELOPPÉES A L’AUTRE BOUT DU MONDE (comme l’hindouisme le bouddhisme les arts martiaux, etc.)
Donc surtout pas un druidisme se voulant supérieur par rapport à d’autres formes de piété, une des thèses communes de toutes ces Écoles étant justement celle des différents niveaux de la vérité, CHACUN AYANT SA NÉCESSITÉ OU SON INTÉRÊT, EN BREF SA CORRESPONDANCE.
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PRÉCAUTION ORATOIRE.
Ce qui va suivre n’est pas la première fonction indo-européenne, mais la deuxième. La première fonction indo-européenne est celle que Dumézil associe au sacré et à la souveraineté.
Il est vrai aussi ambivalente que Mahomet d’après certains et donc susceptible de présenter deux faces : l’une paisible, rassurante, juridique, conservatrice ; l’autre violente, terrible, inquiétante, magique. Mais le nec plus ultra en la matière n’est-il pas est de cultiver ou montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir ?
Même les Germains l’avaient compris si l’on en croit certaines des aventures d’Odin et des berserkers « car dans tous les combats, les yeux sont les premiers à se laisser vaincre » (Tacite XLIII). Tacite qui mentionne aussi une autre technique : « Ils entonnent des hymnes, dont l’exécution, qu’ils appellent « bardit », enflamme les cœurs et présage l’issue du combat à livrer. En effet, selon l’intensité des sons, ils font ou prennent peur avant l’affrontement. Ces chants ressemblent moins à un ensemble vocal qu’à une expression collective du courage. Ils cherchent surtout à émettre des sons rauques dans un grondement syncopé en plaçant les boucliers devant la bouche. La résonance amplifie les voix en les rendant plus pleines et plus graves ».
Chez les Celtes cela nous a donné…
— Au niveau individuel les arts martiaux, mais toujours dans le même but, qu’une épigramme de Martial a ainsi rendu à propos d’un gladiateur celte appelé Hermès.
« Hermès fait les délices de son siècle et du peuple de Mars ; Hermès sait manier habilement toutes les armes ; Hermès est gladiateur et passé maître d’escrime ; Hermès est la terreur et l’effroi du Cirque ; Hermès, le seul Hermès, est redouté d’Hélius… Hermès sait vaincre, et vaincre sans frapper ».
— Au niveau collectif « le souci de la rem militarem » d’après Caton (Pleraque Gallia duas res industriosissime persequitur, rem militarem).
Grossièrement résumé par les Romains en « si vis pacem para bellum »).
— Au niveau des rois ou des chefs d’État : un bon service de renseignement. Voir à ce sujet ce que le grand spécialiste français de la question (Christian-Joseph Guyonvarc’h) a écrit sur le rôle respectif des rois et des druides (ambassadeurs conseillers puits de science, etc.). Et qu’Albert Bayet dans son histoire de la morale évoque en ces termes « étudier pour connaître le vrai des choses, encourager l’étude en honorant ceux qui s’y adonnent ».
Bref tout le contraire du culte de la force brute symbolisé par Thor chez les Germains, donc. Il s’agit d’un art ou d’une science qui pouvait passer pour de la magie autrefois ou après la chute intellectuelle provoquée par la christianisation en Irlande, mais que les druides actuels rapprocheraient plutôt de ce qu’a écrit le très sachant chinois Sun Tzu à ce sujet et qui peut se résumer comme suit.
L’espionnage est un procédé par lequel un chef de guerre peut avoir une vue d’ensemble de la situation et, le cas échéant, savoir à l’avance et sans craindre de se tromper qui gagnera et qui perdra la guerre. La connaissance de l’adversaire est donc le facteur clé de toute victoire militaire.
Il s’agit moins d’anéantir l’adversaire que de lui faire perdre l’envie de se battre. Ce deuxième point implique de faire un usage de la force qui soit justement proportionné à la nature de l’objectif politique poursuivi. Il est fondamental de s’économiser, de ruser, de déstabiliser, et de ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce asséné à un ennemi désemparé.
L’acmé de la stratégie militaire est d’obtenir la victoire sans effusion de sang vu le coût économique, moral et politique de la guerre. Il est contreproductif de détruire les ressources recherchées ou de tuer ceux qui peuvent être vos alliés ou vos sujets et ainsi accroître votre puissance.
Le « très sachant » chinois Sun Tzu donne à ce propos de nombreuses précisions utiles.
Exemples de druidiaction selon lui.
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites. »
Ce vers se retrouve sous une forme condensée dans un proverbe de la langue chinoise contemporaine : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, tu vaincras cent fois sans péril. »
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« Il faut essayer de subjuguer l’ennemi sans donner bataille : ce sera là le cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous approcherez de l’incomparable et de l’excellent. »
Ce vers est communément résumé ainsi : « L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat. »
« Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion : sa convoitise le lancera sur vous pour s’y briser. »
Ce vers est communément résumé ainsi : « Toute guerre est fondée sur la tromperie. »
N.D.L.R. Et là on retrouve totalement l’action de certains druides mythiques comme Mog Ruith lors de la bataille magique évidemment de Druim Damhgaire. Ce récit nous conserve le souvenir de bien des coutumes et des croyances de l’époque. O'Curry a d’ailleurs signalé à plus d’une reprise l’importance de ce texte si riche en détails curieux et inédits sur l’art druidique et les pratiques s’y rattachant.
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INTRODUCTION À LA VOIE DU GUERRIER.
On sait peu de choses sur les jeux et sports pratiqués par les anciens Celtes.
Les historiens rapportent qu’ils pratiquaient une sorte de boxe pieds-poings et que les dames elles-mêmes savaient jouer du poing ou donner des coups de pied. Ammien Marcellin (Histoires. Livre XV, chapitre XII, 1) : « Nec enim eorum quemquam adhibita uxore rixantem, multo fortiore et glauca, peregrinorum ferre poterit globus, tum maxime cum illa inflata cervice suffrendens ponderansque niveas ulnas et vastas admixtis calcibus emittere coeperit pugnos ut catapultas tortilibus nervis excussas ».
« Ils ont le teint blanc, la chevelure blonde, le regard farouche et effroyable. Leur humeur est querelleuse et arrogante à l’excès. Le premier venu d’entre eux, dans une rixe, va tenir tête à plusieurs étrangers à la fois, sans autre auxiliaire que sa femme, champion bien plus redoutable encore. Il faut voir ces viragos, les veines du cou gonflées par la rage, balancer leurs robustes bras d’une blancheur de neige, et lancer, des pieds ou des poings, des coups qui semblent partir de la détente d’une catapulte ».
Cette forme de pugilat celtique a donné son nom à certains lieux britanniques et français en Durn (« le poing » et ses dérivés), ce qui montre qu’on le pratiquait dans des enceintes publiques spécialisées. Elle s’associe à l’entraînement sportif et aux activités militaires comme les courses de chars.
Des scènes de combat rituel sont représentées sur des chaudrons, comme celui de Kaffern en Autriche. Les courses, bonds et sauts étaient pratiqués jusque sur les champs de bataille. Certaines tribus en tiraient leur nom, comme les Lingons. À l’occasion des funérailles avaient lieu des jeux funèbres avec des rondes qui passeront au Moyen-âge sous le nom de « caroles ».
La roue sert à un jeu obscur, représenté sur le chaudron de Gundestrup : les joueurs semblent chercher à la faire tourner dans leur direction.
Pour les petits jeux, on a retrouvé dans les tombes un certain nombre de dés avec des jetons ronds et des fiches numérotées.
D’autres jeux existent aussi : une sorte de jeu d’échecs dont le nom celtique (viducueslos) signifie « intelligence des bois ». Ils comportent roi, ou reine, et soldats, et se jouent sur un damier. C’est un jeu noble, distraction des dieu-ou-démons et des rois, un thème d’épreuve initiatique. Les enjeux peuvent en être la femme convoitée ou la puissance royale. Le jeu d’échecs ou plus exactement de tablut a une valeur mythique : l’échiquier représente l’univers parcouru par des forces contraires, la nuit ou la lumière. Le brandub ou corbeau noir devait être une variété de ces échecs celtes. Jeu d’échecs est d’ailleurs un terme impropre ainsi que nous l’avons dit puisque les règles de ce jeu devaient plutôt s’apparenter à celles du tablut scandinave.
Enfin, les jeux de balle ou de ballon, pratiqués par les enfants ou les adultes : ceux-ci, sur une verte pelouse, poussent des balles dans des trous. Du golf écossais peut-être. On peut également penser à une sorte de variante de la crosse.
On sait par ailleurs que les jeux de ballon actuels, empruntés à la Grande-Bretagne, ont leur source dans l’ouest de ce pays. L’invention du rugby par William Webb Ellis n’est pas évidente. Son origine est plutôt à rechercher dans les jeux médiévaux assez « virils » où des représentants de deux villages se disputaient une vessie de porc à force de charges féroces, parfois même mortelles. Sur le continent il y avait la choule ou soule armoricaine.
Quelques jeux ne nous ont laissé que leur nom, par exemple « le long coup ». Il s’agissait peut-être d’une sorte de jeu de boules.
La littérature celtique médiévale montre la persistance de ces distractions : pugilat, chasse, sauts et courses, dés, rondes rituelles ou caroles (comme celle de Méraugis de Portlesguez dont on ne peut plus sortir si l’on en croit Robert Mullaly), courses de chars, courses de chevaux (attribuées à Lug). Les femmes y participent activement, surtout dans le cas des caroles. Le jeu de la roue toujours aussi obscur persiste, lui aussi : le hésus Cuchulainn lance une roue à travers un trou et la poursuit à travers champs. Il joue au cerceau avec peut-être.
Au risque de peiner les (pseudo) écologistes d’aujourd’hui, les Celtes chassaient à courre pour le plaisir. Un peu comme les Anglais chassent encore le renard de nos jours. Ils avaient d’excellents chiens, traquaient habilement le petit gibier, le sanglier ainsi que le cerf. La chasse était leur sport favori et bénéficiait d’une technique très poussée, décrite dans « La cynégétique » du Grec Arrien. Toutes ces chasses se retrouvent dans la littérature ; elles constituent aussi une partie importante des rites initiatiques des romans arthuriens. La pêche ne venait qu’en deuxième.
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LA VOIE DU GUERRIER (FAICSEANAIOCHT).
À l’origine, Kingeto signifiait marche, et par extension, exercice d’entraînement militaire… analogue donc au grec askesis = exercice en son sens d’origine. D’où notre moderne « ascèse ». Voir l’exemple de Bodhidharma en Inde et en Chine.
Le sens, du physique s’est logiquement élargi au mental, du fait de l’interdépendance psychosomatique, afin de désigner tout effort et toute méthode pour atteindre au monde des dieu-ou-démons.
Le sens moderne du terme, Kingeto/Cingeto recouvre donc deux réalités légèrement différentes :
— La méthode (employée pour se perfectionner en ce qui concerne le physique, et le mental). Autrement dit l’ambividtu versonnions ou grande science qui éclaire, imbas forosnai en gaélique.
— La pratique même de ces exercices.
Les deux principales branches de cette Kingeto/Cingeto sont la voie du guerrier (comme Bodhidharma à l’autre bout du monde indo-européen) voire les riastrades ou mouvements du corps à la Cuchulainn en Irlande, et la méditation immobile, assis à la Cornunnos.
Dans l’usage commun, l’expression « arts martiaux » désigne les sports de combat traditionnels d’Extrême-Orient. Cette définition est réductrice pour au moins deux raisons.
D’une part, tous les arts martiaux ne sont pas nécessairement des sports, c’est-à-dire ne sont pas forcément attachés à une idée de compétition, exemple le Tai Chi Chuan, l’Aïkido.
Ensuite l’expression « art martial » existait avant que les techniques de combats orientales ne deviennent une mode en Occident.
Il existait des arts martiaux en Europe avant l’importation de ceux que nous connaissons aujourd’hui, et ce, depuis l’Antiquité au moins. Escrime, lutte et boxe n’ont pas surgi du néant, mais résultent de l’évolution d’un fond martial occidental commun.
Donc, contrairement à cet usage, il est aussi logique de considérer comme art martial : la boxe, la savate/boxe française, les diverses formes de lutte, la canne, le bâton, et l’escrime.
Les druides de type lucterios enseignaient toutes sortes d’exercices physiques destinés à mieux contrôler le corps. Et notamment pour les membres de la classe des guerriers (comme ce fut le cas pour Bodhidharma donc, à l’autre bout du monde aryen, lors de son arrivée dans le monastère chinois de la petite forêt appelé Chao-lin).
Les arts martiaux enseignés dans un grianon par le lucterios du pays essayaient donc d’équilibrer le corps et l’âme/esprit (anaon) par des exercices physiques, le contrôle de la respiration, et la recherche de la concentration mentale. Les entraînements de cette discipline furent évidemment, à l’origine, destinés à entretenir ou améliorer la santé physique des guerriers ; ainsi qu’à vider leur esprit afin de canaliser ou décupler leur force (vergio/ferg ou état de lon laith/luan laith) par l’union des énergies opposées. En résumé par l’union du corps avec l’âme/esprit (anaon).
Ainsi que l’a bien vu Michel Rouche ce qui importe le plus pour ce type d’homme c’est donc la croyance en l’immortalité de l’âme ou esprit. Les druides guerriers de type lucterios se doivent d’en faire le premier de leur enseignement et d’insister dessus.
« Nate memento beto to divo » criait saint Symphorien d’Autun sur le point de mourir, ou plus exactement sa mère Augusta qui assez curieusement portait le même nom que la ville en question : Augustodunum (Autun).
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LES DROITS DE L’HOMME (ARMÉ : FIR FER EN GAÉLIQUE).
Dáig níbá miad nó níba maiss leiss echrad nó fuidb nó airm do brith óna corpaib no marbad.
Car il [Cuchulainn] ne lui semblait pas honorable de prendre les chevaux les habits ou les armes des cadavres de ceux qu’il avait tués.
« Nád bia etir, ar ní gonaim aradu nó echlachu nó áes gan armu ».
« Je ne vous tuerai pas, je ne blesserai ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes sans arme » (Cuchulainn, Tain Bo Cualnge, Lebor Laignech).
Nous reviendrons plus longuement sur la notion de droits de l’homme armé en temps de guerre (droits des prisonniers, des combattants qui se rendent, etc.) dans notre leçon sur l’éthique des chevaliers de la Table Ronde (l’éthique celto-druidique), mais nous pouvons déjà en dire ceci en ce qui concerne le sport.
La lutte faisait partie des célèbres jeux de Tailtiu célébrés lors de la Lugnasade irlandaise (voir ceux de 557), mais on regardait souvent comme surnaturelles la force et l’habileté de certains lutteurs. Ci-dessous le point de vue chrétien sur le sujet (témoignage transmis par un de mes correspondants).
« Ces réunions sont des réunions diaboliques, le diable s’y montre sous toutes ses formes. Je vous le dis, en vérité, les personnes qui s’en iront aux luttes de saint Cadou ne seront que des voleurs, des débauchés ou de la canaille, ils grilleront en enfer pour l’éternité » (un recteur de Cornouaille, en 1831). Saint Cado était pourtant le saint patron (gallois) des lutteurs. Ah religion d’amour, toujours, quand tu nous tiens !
Le lutteur ayant accepté le défi se tournait vers l’adversaire qui venait de l’interpeller pour lui demander :
Emploies-tu sortilège, ou magie ?
Je n’emploie ni sortilège ni magie.
Es-tu sans haine contre moi ?
Je suis sans haine contre toi.
Alors, allons-y !
Ce qu’Émile Souvestre dans son livre intitulé « Les derniers Bretons » reprend prudemment comme suit :
Si vous luttez en vous servant uniquement de vos propres forces,
Arrêtez-vous,
Je suis votre homme.
Si vous avez des forces d’origine diabolique,
Éloignez-vous !
Cet exercice correspondait bien au caractère querelleur et à l’amour des défis des hommes de ce temps-là. Mais il s’agissait à chaque fois de luttes debout, habillées, où les coups, clés de bras ou brutalité, n’ont jamais été admis, des faits qui, additionnés les uns aux autres, sont exceptionnels dans le monde des luttes.
En Bretagne l’esprit des luttes est en effet rapidement devenu un esprit sportif avant l’heure. La lutte n’était plus considérée comme un exercice guerrier, mais davantage comme un divertissement, comme un jeu, viril certes, mais amical et loyal. Le lutteur respectait une règle morale d’honneur et de loyauté. L’esprit des luttes était proche de celui qui inspirait les joutes courtoises et les tournois de chevalerie du Moyen-âge.
Étaient considérées comme fautes les prises interdites, les défenses irrégulières comme la main ou le coude à terre pour éviter de perdre un point, le refus de combat, la déloyauté ainsi que la brutalité.
Alexandre Bouet, dans son livre intitulé « Breizh Izel » mentionne des juges du camp, lutteurs émérites, que l’âge a mis hors de combat, mais qui, reconnus comme les dépositaires des bonnes
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habitudes, donnent à leurs successeurs des conseils écoutés respectueusement ; et décident sans appel dans quel cas la lutte est loyale, et la victoire sans conteste.
Le désir du lutteur de s’enrichir, de faire fortune n’a pas vraiment marqué l’esprit de ces joutes paysannes, même si des prix de valeur importante ont souvent été mis en jeu : taureau, génisse, mouton. La fierté d’être le premier devant les siens, l’honneur d’être le meilleur, suffisait.
René Yves Creston, dans son ouvrage intitulé « la lutte bretonne à Scaër ». Le lutteur a toujours nettement conscience de ce qu’il représente aux yeux de ses concitoyens, mais rares sont les lutteurs qui en tirent vanité. Le lutteur breton n’est pas exposé à cette griserie, ses concitoyens ne le considèrent nullement comme un demi-dieu-ou-démon. Il est simplement pour eux l’incarnation de la force des hommes du village, des vertus ou de la supériorité de la paroisse voire du clan. Il n’est pas hors du clan, il en fait partie intégrante. Tous ces éléments se retrouvent en grande pompe dans la forme des anciens tournois où les hommes et jeunes gens, devant tous les habitants du village réunis, se défiaient pour l’obtention de prix.
Le lutteur qui voulait un prix se levait, il s’en saisissait puis faisait le tour de la lice. S’il en faisait un, deux, voire trois fois le tour, sans que le défi fût relevé (suivant les cantons) le prix lui appartenait. Mais si quelqu’un lui criait « arrête-toi » en lui touchant l’épaule, alors le défi était relevé, le combat pouvait commencer.
L’organisation des tournois permet aussi à tous de lutter, les très jeunes d’abord, qui combattent pour l’amusement, puis les adolescents et les anciens, qui luttent pour de petits prix. Pour les prix importants combattront ensuite les lutteurs aguerris et en pleine force de l’âge. L’esprit de compétition, de concours, se renforce par la rivalité qui oppose villages et paroisses. Être le champion de toute une communauté ne peut qu’exalter l’ardeur des concurrents.
L’oito ou serment du lutteur breton actuel en témoigne sans équivoque :
M’hen da c’houren gant lealded, hep trubarderez na taol fall ebet, evit ma enor ha hini ma bro, e testeni eus ma gwiriegez, hag evit heul kiz vad ma zud koz, kinnig a ran d’am c’henvreur ma dom ha ma jod.
Je jure de lutter en toute loyauté, sans traîtrise et sans brutalité, pour mon honneur et celui de mon pays (bro). En témoignage de ma bonne foi, et pour suivre la coutume de mes ancêtres, je tends la main à mon adversaire et je le prends dans mes bras.
Cet oito (serment) est prêté avant chaque compétition officielle par tous les lutteurs.
Précédés d’un arbitre, les lutteurs s’alignent en deux colonnes distantes de quatre pas, et se faisant face deux à deux, debout.
Les lutteurs sont en tenue réglementaire de gouren *.
Durant la prestation de l’oito (du serment), les lutteurs lèvent la main droite [les trois doigts tendus : le pouce l’index et le majeur, comme dans une main de justice **].
À la fin de l’oito (du serment), les lutteurs se donnent l’accolade et se serrent la main, puis repartent en bon ordre derrière l’arbitre.
NOTE DE LA RÉDACTION. IL VA DE SOI QUE CES GESSA ÉTHIQUES S’APPLIQUENT AUSSI À TOUTES LES AUTRES FORMES DE LUTTE ET MÊME À CELLES QUI SUIVENT.
* Une sorte de lutte cornique ou de Back Hold écossais pratiqué en France.
** Regalia que l’on retrouve encore aujourd’hui chez les francs-maçons du rite écossais installés dans le Vermont (capitale Montpelier).
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« Fírinne inár croidhedhaibh, 7 neart inár lámhaibh, 7 comall inár tengthaibh ».
« La vérité dans le cœur, la force dans le bras et l’art de bien parler ».
Cette triade consignée dans l’Acallam na Senorach et rapportée à saint Patrice par le dernier des Fianna, Caletios/Cailte, aurait pu être placée dans la bouche de Fergus.
« Fírinne inár croidhedhaibh, 7 neart inár lámhaibh, 7 comall inár tengthaibh ».
« La force dans les bras, mais aussi la vérité dans le cœur et l’art de bien parler ».
Argute loqui aurait pu dire aussi pour sa part Caton l’Ancien.
Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques se sont toujours efforcés de soigner les âmes ou les esprits aussi bien que les corps, et réciproquement. L’idéal pour eux en effet, c’était la santé physique, ils furent d’ailleurs de remarquables médecins, mais aussi la santé morale, autrement dit un esprit droit, sincère, et véridique.
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LE COMBAT MENÉ À MAIN NUE (GRASCAR LAMH).
LA LUTTE (GLEACAIOCHT).
Quand un jeune homme, une jeune femme, met pour la première fois le pied sur un tapis de lutte, ils perpétuent alors une tradition qui nous vient du plus lointain passé. À l’apogée de sa carrière olympique, en 1972, Alexandre Medved d’Union soviétique embrassa le tapis, un geste familier aux millions de lutteurs asiatiques qui demandent l’aide de la terre mère chaque fois qu’ils luttent.
La lutte a en effet différents visages trop souvent négligés, comme ses aspects mythologiques et religieux.
La lutte est le sport humain le plus complet. Mais avant d’être un sport, la lutte est un jeu. Défier ou jouer avec la force, l’agilité, le corps et les muscles de son adversaire est un plaisir de tous les temps.
Contrairement aux idées reçues, violence et brutalité en sont exclues. Les coups ainsi que toute prise visant à provoquer la douleur ou présentant un danger sont interdits.
Le but est de faire tomber son adversaire et de lui faire toucher terre des deux épaules puis de l’immobiliser ainsi. Dans ses multiples représentations, la lutte répond aussi aux divers besoins sportifs : habileté, beauté, rapidité, endurance, courage et art.
Dans ce monde de travail rude, où la mécanisation n’a pas encore pénétré, des valeurs comme la force physique, l’habileté ou l’endurance, étaient tenues en la plus haute considération. Il était toujours utile de connaître qui serait le premier faucheur au bout du champ le jour de la moisson ; qui tracerait le plus vite le sillon le plus profond et le plus droit ; qui monterait le plus haut la botte de paille sur la charrette.
Des bas-reliefs égyptiens et babyloniens représentent des lutteurs utilisant la plupart des prises connues du sport moderne. Dans la Grèce antique, la lutte occupait une place privilégiée dans les légendes et dans la littérature : les compétitions de lutte, brutales à de nombreux égards, étaient d’ailleurs le point culminant des premiers jeux Olympiques.
Au Moyen-âge, la lutte demeura populaire et bénéficia du patronage de nombreuses maisons royales, particulièrement celles d’Angleterre (et de France).
Lors de l’entrevue du « Camp du Drap d’Or » en 1520, le roi d’Angleterre Henri VIII emmena des lutteurs corniques et les fit se mesurer aux Français.
Les Anglais furent vainqueurs, car François 1er n’avait pas eu de Bretons à leur opposer, mais le roi de France fit plus que sauver l’honneur en battant lui-même Henri VIII.
Il existe trois grands styles de lutte, la lutte libre, la lutte gréco-romaine et la lutte celtique. Mais en dehors des différentes luttes régionales (le schwingen en Suisse, le gouren en Bretagne, la glima en Islande…), deux styles de lutte seulement sont pratiqués au niveau sportif international et olympique : la lutte libre et la lutte dite gréco-romaine. Ces luttes, expression d’un riche patrimoine, portent en elles une partie des racines de l’Europe. En 1455, lorsque le duc de Bretagne, Pierre II alla saluer le roi (à Bourges), il était accompagné d’un groupe de lutteurs réputés : Olivier de Rostrenen, Guion de Kerguivis, Olivier de Kenec’hriou. Les combats auxquels ils se livrèrent passionnèrent la cour qui s’enthousiasma devant les prouesses de ces champions.
À nous de leur redonner, ou de contribuer à leur redonner, une audience populaire.
LA LUTTE LIBRE.
En lutte libre, la victoire revient au lutteur ayant mis son adversaire au tapis en lui plaquant les épaules au sol. Cette discipline autorise une plus grande variété de prises qu’en lutte celtique ou gréco-romaine, les athlètes pouvant utiliser la totalité du corps. Dans la lutte libre, il est en effet permis de saisir les jambes de l’adversaire, d’effectuer des crocs-en-jambe, ou d’employer activement les jambes.
Les compétitions de lutte, d’une rare brutalité, véritables préparations à la guerre, étaient le point culminant des jeux Olympiques grecs antiques. La lutte apparaît au programme des dix-septièmes Jeux (sept cents ans avant notre ère). Au cours de l’épreuve, les lutteurs devaient parfois s’opposer à différents adversaires. Euribote en fut le premier champion olympique.
Dans l’ordre du programme des premiers Jeux, la lutte était classée en 4e position, derrière la course à chars, le pentathle et la course en armes.
Le Pugilat prit sa place dans le programme des 23es Jeux olympiques, et le Pancrace dans le programme des 33es. Le Pugilat était un combat mené à coups de poing. Le Pancrace était un combat tenant à la fois de la lutte et du pugilat.
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Les habitants des parties occidentales de l’Empire romain firent de nombreux emprunts à ce type de lutte, en atténuant plus ou moins sa brutalité, mais en n’ajoutant rien de nouveau. Ce qui donna une nouvelle forme de lutte n’ayant plus de gréco-romain que le nom.
LA LUTTE « GRÉCO-ROMAINE ».
Qui n’a en réalité de gréco-romain que le nom puisque les combats de l’Antiquité gréco-romaine s’apparentaient plutôt à de la lutte libre c’est-à-dire était beaucoup plus brutal. La lutte à mains plates ou loucho à bono man ou Loucho de la centuro en aut de Jean Exbrayat, lutte appelée ainsi en raison de la position de départ des lutteurs qui consistait à coller ses mains dans celles de son adversaire, interdisait les prises de jambes. Les lutteurs devaient se faire chuter en n’utilisant que la partie supérieure du corps. Le fait de ne pas comporter de prise au-dessous de la ceinture la distinguait aussi de la lutte libre issue en droite ligne de l’Antiquité grecque.
Par la suite cette lutte provençale fut appelée lutte française, puis lutte romaine, avant d’être enfin appelée lutte gréco-romaine, assez abusivement comme nous l’avons vu.
Dans cette nouvelle lutte gréco-romaine, il est formellement interdit de saisir l’adversaire en dessous de la ceinture, l’usage des jambes étant interdit, de faire des crocs-en-jambe ou des croche-pieds ; ou d’utiliser activement les jambes dans l’exécution de toute action. Les plaquages sont également interdits.
Les lutteurs commencent leur assaut en position debout, et ils essaient, soit d’envoyer leur adversaire au tapis, soit de recourir à diverses prises pour le faire tomber.
C’est un vétéran des guerres napoléoniennes appelé Exbrayat, qui, vers 1845, a diffusé une forme de lutte grascar lamh dite aussi « à mains plates », pour la distinguer des autres sports de combat (boxe, savate).
LA LUTTE CELTIQUE (CORAIOCHT).
Rappel préliminaire.
Si l’on en croit le texte en vieil irlandais du Livre de Leinster, la lutte faisait partie des jeux de Tailtiu célébrés lors de la Lugnasade irlandaise (selon certains auteurs de l’an 1829 avant notre ère à + 557). Peut-être en devons-nous l’introduction à Lug lui-même, vu certaines de ses positions favorites lors de la bataille de la plaine aux tumuli ou aux menhirs (sur un pied, etc.).
N.D.L.R. La date de – 1829 est évidemment fantaisiste, Lug étant un personnage au mieux méta-historique.
En tant que telle, en Irlande, cette forme de lutte n’existe plus. Elle a été remplacée par des sports comme la crosse ou le football gaélique.
La crosse se joue avec une petite balle en cuir appelée sliothar et une crosse en bois que l’on appelle hurley ou caman. Chaque équipe est composée de 15 joueurs : un gardien de but, six défenseurs, deux milieux de terrain et six attaquants. Le terrain est identique à celui du football gaélique : 137 mètres de long pour 82 mètres de large, avec des buts ressemblant à ceux du rugby, à l’exception de filets sous la barre. Les équipes marquent des points soit en envoyant la balle avec le hurley entre les poteaux et au-dessus de la barre (ce qui rapporte un point) ; soit en envoyant la balle avec le hurley entre les poteaux sous la barre et dans les filets (ce qui rapporte trois points). Les joueurs n’ont pas le droit de ramasser le sliothar à la main, ils doivent utiliser le bout du pied ou le hurley. Il est interdit de faire plus de quatre pas la balle dans la main. Par contre, la course en solo (le joueur court avec la balle au bout de sa crosse) est autorisée. Le hurling est un sport de contact : on peut se bousculer d’épaule à épaule, mais il est interdit d’utiliser le coude ou la hanche. Les passes se font au pied, au hurley ou à la main. Les joueurs doivent garder un pied à terre lorsqu’ils essaient d’intercepter une balle. La règle du hors-jeu n’existant pas, la capacité de lancer le sliothar sur de longues distances est un atout décisif. Sept arbitres font respecter les règles : un arbitre central, deux arbitres de touche et quatre arbitres de but. Le jeu est d’une rapidité affolante, il nécessite une très grande adresse technique et beaucoup de puissance physique !
Football gaélique. En gros du hurling, mais sans la crosse. Le jeu oppose deux équipes composées de 15 joueurs : un gardien de but, six défenseurs, deux milieux de terrain et six attaquants. Chaque équipe peut faire jusqu’à trois remplacements par rencontre. Les parties se jouent en deux mi-temps et durent 60 ou 70 minutes, selon la compétition. Le terrain est identique à celui du hurling : 137 mètres de long pour 82 mètres de large. Les buts ressemblent à ceux du rugby, à l’exception de filets
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sous la barre, là où se trouve le gardien. Le but du jeu est d’envoyer le ballon, soit entre les poteaux et sous la barre dans les filets (ce qui correspond à un but, soit trois points) ; soit entre les poteaux et au-dessus de la barre (un point). Les règles sont un peu complexes. Les grands principes : quand un joueur a le ballon, il ne peut le garder dans les mains que sur quatre pas consécutifs. Ensuite il doit faire un drible ou effectuer un toe-tap, qui consiste à faire rebondir le ballon sur son pied et le renvoyer dans ses propres mains. Il peut alors à nouveau effectuer quatre pas, et ainsi de suite. Évidemment, il peut aussi faire une passe, au pied ou à la main : dans ce dernier cas, le ballon ne doit pas être jeté, mais propulsé, un peu à la manière de la manchette au volley-ball. Lorsque le ballon est à terre, il est interdit de le ramasser avec les mains ; il faut effectuer un mouvement qui consiste à décoller le ballon du sol avec le pied. Pour déposséder un adversaire du ballon, on doit frapper le ballon et non pas l’arracher. Les contacts épaule contre épaule sont autorisés. Les coups de pied (speachoireacht/speachadh) également.
LA LUTTE CELTIQUE MODERNE.
Jeu de lutte avec prises, la lutte celtique oppose deux individus. Action dominante : pousser, tirer, chuter, soulever, maintenir. De la position debout, chaque lutteur essaie de faire tomber son adversaire sur le dos sans les fesses, ce qui donne immédiatement la victoire. Il n’y a donc pas de combat au sol. Toutefois, si la chute n’est pas parfaite et que le lutteur est tombé à genoux voire sur le côté, ou a lâché prise, etc. le résultat est pris en compte, mais il faut encore gagner deux autres manches. Le lutteur qui, le premier, touche le sol est donc le perdant. Après chaque chute, les lutteurs doivent se serrer la main. Toute action menée ou exécutée en dehors de l’aire de combat est interdite. Les coups et les brutalités sont prohibés.
Irlande. Le style « cou et coude » tire son nom de la position de départ des lutteurs. Debout tête contre tête, une main derrière le cou de l’adversaire et l’autre derrière son coude.
Cette position de départ rend par définition impossibles les charges frontales, mais laisse le champ libre à beaucoup de prises plus techniques.
Écosse (Cumberland et Westmorland). Dans ce type de lutte, la victoire est obtenue par un tombé particulier qui correspond au lamm du gouren breton. Le but étant de faire chuter son adversaire sur le dos, une prise dans le dos (« backhold ») vaut un point lorsqu’un lutteur est projeté à terre sur le dos, et sur trois ou quatre appuis (épaules, omoplates, etc.).
D’après la tradition, ce type de lutte aurait été importé d’Irlande. Ce qui est sûr en tout cas c’est que ce jeu est attesté au temps de Malcolm Canmore en 1054, et il y fut très prisé jusqu’à la bataille de Culloden.
Des tournois de ce genre se déroulèrent à Grassmere de 1656 à 1948.
Ce style de lutte, qui se pratique debout, requiert beaucoup de force. Les adversaires se ceinturent avec les bras, l’un par-dessus l’épaule, l’autre par-dessous, mains jointes. Si l’un des hommes lâche prise, sauf lorsqu’il fait chuter son adversaire, il perd un point. Chaque chute, même sur le genou, vaut un point.
Trois points font gagner la partie.
Cornouailles et Devon. En Angleterre les premières références à la lutte datent du XIIe siècle. Une anecdote rapporte que, lors des invasions normandes, il devint obligatoire pour les jeunes gens de la noblesse saxonne de s’adonner à cet exercice.
En Cornouailles même, de nombreux textes témoignent de la popularité de cette lutte.
Thomas Parkyns de la région de Nottingham consacra en 1714, tout un ouvrage à la lutte en Grande-Bretagne, dont une partie est réservée au style cornique. Ce passionné de lutte organisait des rencontres « professionnelles » entre les champions des différents comtés. Cette forme de tournois fut reprise plus tard, au début du XIXe siècle, pour les premières grandes compétitions de « boxing ».
En lutte cornique la victoire est obtenue par un « back » ce qui correspond au « backhold » écossais ainsi qu’au « lamm » breton, ou par des points.
Le but étant de faire chuter son adversaire sur le dos, il y a « back » lorsqu’un lutteur est projeté vers l’arrière et tombe sur trois ou quatre appuis (exemple : les deux fesses et une épaule), un appui vaut un point, deux appuis valent deux points.
Bretagne. Le gouren et la lutte cornique (de Grande-Bretagne) sont des styles très similaires.
Il s’agit d’une lutte debout et habillé, les coups et prises de jambes avec les mains sont interdits, la victoire est obtenue quand les deux épaules de l’adversaire touchent terre.
Les premières références à cette forme de lutte apparaissent au XIVe siècle. De multiples textes mentionnent l’existence de tournois. Voici la définition qu’en donne Louis Le Pelletier dans son
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dictionnaire de la langue bretonne de 1716. Gourenn ou gouren, lutte, combat, seul à seul, sans aucune arme et sans frapper… Les Bretons disent en provoquant quelqu’un à la lutte « deut d’a gouren », « venez lutter » ou « à la lutte »… Nos Bretons n’estiment point avoir vaincu leur adversaire s’ils ne l’ont pas enlevé en l’air et fait tomber sur le dos, en sorte que ses deux épaules touchent à terre.
L’organisation des tournois permet à tous de lutter. Pour l’amusement ou pour de petits prix, adolescents ou anciens combattent, en tout cas, pour le plaisir. Certains textes signalent également la participation de femmes à ces luttes.
N.D.L.R. La renaissance du gouren en Bretagne est liée au renouveau bardique breton. Au sein de ce mouvement militait en effet un certain Charles Cotonnec, chirurgien à Quimperlé. Lors de la Gorsedd (congrès druidique) de 1927 à Riec-sur-Belon, il rencontra un homologue cornique, William Tregonning Hooper, qui était secrétaire de la Cornwall County Wrestling Association. Les deux hommes, animés d’un même idéal et de la même passion, mirent sur pied l’année suivante, en 1928, au parc de Kerisole à Quimperlé, un grand tournoi interceltique opposant les lutteurs bretons aux lutteurs corniques.
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DRUIDISME BRETON.
Cette lignée néo-druidique est peut-être une dissidence de celle de John Toland (1717). Moins de philosophie ou de panthéisme, plus de poésie et de littérature. Elle remonte de toute façon assurément au Gallois Iolo Morgannwg et au congrès tenu à Primrose Hill en 1792. Les sources de lolo ne sont pas sûres [et c’est là en effet le moins que l’on puisse dire]. Il est certain en effet qu’il en a inventé un bon nombre (ce que nos amis anglais appellent des « forgeries »). Mais il n’en reste pas moins que le bardisme gallois était encore une réalité à l’époque, on en retrouve des traces au cours des siècles précédents, même s’il s’agit d’éléments revus et corrigés dans une optique chrétienne.
Hersart de la Villemarqué fut reçu dans la Gorsedd galloise en 1838, et de retour en France fonda une société de pensée tendant à constituer, en Bretagne, l’équivalent de ladite Gorsedd galloise. Une Breuriez ar Varzed, à laquelle l’Archidruide du Pays de Galles avait donné son approbation. Mais l’association n’eut pas une vie très longue, et la mort de la Villemarqué, en 1895, y mit fin.
En 1899, un barde gallois de Cardiff vint à Paris, demander à Yann ab Gwilherm d’assister aux cérémonies bardiques et à l’Eisteddfod qui devait se tenir dans sa ville. Trois personnes étaient à l’origine de cette démarche. Le R. P. Hayde, un jésuite d’origine irlandaise qui demeurait à Cardiff, le porteur de l’épée de la Gorsedd Gallois, Cochfarf, et un Breton, Edmond Fournier d’Albe, qui avait fondé à Dublin l’Association Celtique, et militait pour le Pan celtisme.
Les représentants de la Bretagne, au nombre de vingt-deux, furent donc reçus comme membres de la Gorsedd à titre honorifique. Un glaive partagé en deux morceaux fut fabriqué pour l’occasion : chaque pays devait en conserver une partie. La cérémonie fut organisée par le barde-héraut du Pays de Galles et par Yann ab Gwilherm.
À la fin de 1899 eut lieu à Vannes une réunion de l’Union Régionaliste bretonne, où les bardes réalisèrent pour la première fois l’union des deux moitiés de cette épée. Au mois de septembre de l’année 1900, ces bardes vinrent à Guingamp pour les fêtes du Congrès celtique. À l’issue des festivités, ils se rassemblèrent dans l’Hôtel de la veuve Le Falc’her, sur la route de Callao. La Gorsedd fut alors effectivement constituée ou structurée.
Furent nommés druides : Yann ab Gwilherm, Fanch Vallée, Abherve ainsi qu’Erwan Berthou (Alc’houeder Treger). Arouezvarz : Taldir. Porteur de la bannière : Mab an Argoat. Porteur de la Corne d’appel (Korn boud) : Abalor. Porteur de la corne à boire (Korn eva) : Karevro. Porteur du gui : ar Barz Melen.
De l’aveu même de Taldir, aucun d’entre eux alors ne savait exactement dans quel sens ils allaient œuvrer. Les décisions prises ce jour-là, cérémonie annuelle et port de la saie uniquement lors des rituels, se sont néanmoins perpétuées jusqu’à nos jours. Quant au chemin à suivre, Taldir met ici le doigt sur un sujet délicat, qui expliquera un certain nombre de problèmes dans la Gorsedd ultérieurement.
Le 26 septembre 1900, l’Archidruide Hwfa Mon signa la reconnaissance de la Gorsedd de Bretagne par la Gorsedd du Pays de Galles. La voici : « Gorsedd Beirdd Ynis Prydain at Gorsedd Beirdd Gorynys Llydaw. Y mae Gorsedd Beirdd Ynys Prydain yn addaw rhoddi ci nawddogaeth i Gorsedd beirdd Gorynys Llydaw, ar yr amrodd iddi ufuddhau in hall reolau. Hwfa Môn, Er Archderwydd. Cadvan, Dirprwyfardd yr Gorsedd. Llangollen, Medi, 20, 1900 ».
« La Gorsedd des bardes de l’île de Grande-Bretagne à la Gorsedd des bardes de la presqu’île de Bretagne. La Gorsedd des bardes de l’île de Grande-Bretagne accepte de donner son agrément à la Gorsedd des bardes de la presqu’île de Petite Bretagne, à condition qu’elle obéisse à tous ses règlements. Hwfa Môn, Archidruide. Cadvan, barde secrétaire de la Gorsedd. Llangollen, 20 septembre 1900 ».
Les bardes d’Armorique, sans très bien le savoir, recevaient ainsi un lourd héritage. Non seulement ils recevaient la tradition de la Gorsedd du Pays de Galles et du bardisme gallois, mais ils portaient aussi manifestement l’histoire du bardisme breton. Mais sur une question au moins rien n’était dit. Quel était le sens de ce druidisme, nouvellement reconstitué ? Fallait-il y voir la renaissance d’une croyance résolument non chrétienne, ou un appendice du christianisme ?
Les deux premiers grands druides, Lemenik et Kaledvoulc’h, voulurent manifestement retrouver la trace, venue jusqu’à nous, du druidisme antique et, en tout cas, se situèrent dans une optique non chrétienne, quoique tolérante à l’égard de la religion de ses membres. En revanche, Taldir fut chrétien et le montra dès le jour où il fut nommé adjoint du Grand-Druide en 1927. Le triomphalisme chrétien se manifesta dans la Gorsedd jusqu’à la guerre, et ces drôles de druides eurent même un aumônier, Dom Alexis, abbé de Boquen.
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Le 13 décembre 1928, le barde Erwan ar Stang, Barz Du, démissionna pour les raisons suivantes. Les séparatistes et les autonomistes nuisent aux bardes (?), le français (?) n’est pas admis dans le rituel, et pour cette raison le démissionnaire ne peut participer, parce qu’il ne connaît pas suffisamment le breton.
Eostig Sarzhaw fit quelque peu machine arrière, mais il conserva la messe et la prière de la Gorsedd. Sa pensée s’éloigna néanmoins peu à peu du christianisme, sans doute sous l’influence de Kalondan, qui était un non-chrétien résolu, et un partisan convaincu de l’ancienne philosophie druidique.
Tout changea vraiment avec Gwenc’hlan Le Scouezec (né à Plouescat le 11 novembre 1929).
La dernière messe fut dite à la Gorsedd de Douarnenez, et encore, par un prêtre de l’Église celtique à côté du prêtre romain. La Gorsedd fut entièrement laïcisée, la liberté de penser fut instaurée, le nom de Dieu supprimé des prières et remplacé par un temps de silence, afin de permettre à chacun de se situer par rapport à sa croyance.
Un autre problème se posait, celui de la tradition druidique. Il est évident qu’un certain nombre de membres de la Gorsedd ne savaient pas très bien ce que c’était qu’être très-sachant de la druidiaction (druidecht). Le plus souvent d’ailleurs, dans les premières décennies de la Gorsedd, on parle plutôt de bardes et de Collège des bardes. Ce n’est que peu à peu que les membres comprirent qu’ils étaient druides et porteurs d’une tradition très riche, qui était venue jusqu’à eux. Là encore, ce n’est guère qu’avec Gwenc’hlan Le Scouezec, et encore pas tout de suite, que la prise de conscience se fit.
Mais revenons au docteur Charles Cotonnec. Encouragé par son premier succès, il créa donc avec des amis, en 1929, la société des luttes et sports athlétiques de la Cornouaille. Cette initiative fut suivie le 30 mars 1930 par la création de la Fédération des amis des luttes et des sports athlétiques bretons (FALSAB).
La mort prématurée du docteur Cotonnec empêcha le ralliement de tous les comités de fête organisateurs de tournois. En 1963, se produira même une scission, celle du BRUG (BRetons unis pour le Gouren) qui adhérera ensuite à la Fédération française de lutte, pour y former le comité Bretagne, sous le nom de BAG (Bodadeg ar Gourenerien : fédération de lutteurs de gouren). FALSAB et BAG se réunifieront le 26 octobre 1980, sous le nom de Fédération de gouren.
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LE GOUREN.
Les nouvelles règles (inspirées de Pierre de Coubertin) furent les suivantes.
— Réglementation de la tenue du lutteur et de l’arbitrage.
— Instauration de quatre catégories de poids pour les adultes.
— Réglementation du combat : possibilité de gagner par points, comptabilisation des fautes, limitation du temps de combat (20 minutes).
La tenue du lutteur. Le lutteur est pieds nus, en culotte noire (bragou) et en chemise de lutte. Cette chemise est confectionnée en forte toile écrue ne portant ni inscription ni dessin. Elle est échancrée pour les deux sexes et porte au niveau de la taille (du nombril) une ceinture suffisamment large (trois ou quatre centimètres), épaisse, et cousue extérieurement, qui se noue sur les deux côtés.
Elle doit être portée près du corps, mais permettre une bonne prise, de même les manches, qui doivent être suffisamment larges, leur longueur arrivant à mi-biceps.
L’aire de combat. Par sa souplesse et son épaisseur, elle doit évidemment assurer la sécurité des lutteurs lors des chutes.
Le tapis carré (pallenn) a au moins 36 mètres carrés de surface. Il est délimité par une bande de protection d’un mètre de large au moins. Cette zone peut être de même consistance que le tapis, sans faire partie de l’aire de combat.
Sur un sol dur, la piste sera délimitée par une zone de protection d’un mètre de large au moins, et une sous-couche de terre meuble sera disposée sous la sciure. Toute action menée ou exécutée en dehors de l’aire de combat est interdite.
L’oito. N.D.L.R. Sur le serment (le rituel), voir le chapitre consacré à ce sujet.
Les catégories. Avant chaque compétition officielle, les lutteurs sont répartis suivant les catégories d’âge (poussin, benjamin, minime, cadet, junior, senior) et de poids (plume, léger, moyen, mi-lourd, lourd, super lourd).
Lors des championnats et des tournois en salle, les lutteurs sont appelés par catégories, afin de se disposer pour le serment.
Lors des tournois en plein air, les lutteurs sont appelés par catégories afin de se mettre en rang pour le défilé et se mettre en place également pour le serment (oito).
Le défilé consiste en un demi-tour ou un tour complet de l’aire délimitée par les spectateurs.
La durée des combats. La durée maximale du combat, voire éventuellement de la prolongation, est fonction de la catégorie d’âge des lutteurs. Elle est fixée comme suit.
Seniors : sept minutes.
Juniors : six minutes.
Cadets : cinq minutes.
Minimes : quatre minutes.
Benjamins : trois minutes.
Poussins : trois minutes.
La durée maximale de la prolongation est de la moitié de la durée du combat.
Dans tous les cas le combat se termine en cas de lamm, divrud (disqualification) ou dilez (abandon), prononcé par les arbitres.
Face à face, pieds nus, les lutteurs prêtent ensuite serment. Les deux adversaires se serrent la main et se donnent 3 fois l’accolade.
La lutte commence au signal de l’arbitre.
[Ligne supprimée puis rétablie, puis de nouveau supprimée, par les héritiers de Pierre de La Crau. Tumultus gallicus : ce signal de l’arbitre consiste en une sonnerie de carnyx ou de cor].
Le gouren se pratique debout et ne se continue à terre en aucun cas. Le but de toutes les attaques ou contre-attaques est d’obtenir le tombé particulier appelé « lamm », qui est la chute sur les deux omoplates.
Ou le kostin, qui est un résultat proche du lamm.
Les lutteurs s’accrochent à la chemise au-dessus de la ceinture avec les mains.
Ils s’accrochent aux jambes avec les jambes, le corps-à-corps, élément fondamental du combat, est favorisé par la chemise de toile portée près du corps.
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Pour favoriser une prise, un lutteur peut ceinturer son adversaire, à condition de ne pas serrer anormalement. Le crochet de jambe est également un élément fondamental du combat, il n’est pas cependant obligatoire.
L’accompagnement dans la chute du lutteur subissant la prise, est indispensable, le contrôle de la projection obligatoire. En guidant l’adversaire au sol pendant la chute, par l’action des bras, des jambes ou par le corps-à-corps, l’attaquant soigne le résultat tout en assurant la sécurité du lutteur projeté.
Le lutteur doit par conséquent attaquer, contre-attaquer, ou se laisser attaquer : le blocage prolongé du combat est pénalisé.
La victoire peut être obtenue par lamm, kostin, fazi, kein, diviz, kouezh, dilez, divrud.
Terminologie.
LAMM (tombé parfait). Le lamm est l’aboutissement parfait d’une prise ou contre-prise. C’est la chute sur le dos comportant le toucher au sol simultané des deux épaules avant toute autre partie du corps et du corps de l’adversaire. Le lamm est apprécié d’après les contacts réels au sol lors de la chute, et non d’après la beauté subjective de la prise. Il est important de regarder quelle partie du corps entre en contact en premier avec le sol. Chute sur le dos puis la nuque puis la tête égale lamm. Chute sur la tête, ou la nuque puis la tête égale, suivant le cas, netra ou fazi.
KOSTIN (point). Le kostin est un résultat proche du lamm.
— Chute sur le dos avec toucher d’une seule épaule.
— Chute sur le dos, avec toucher simultané des épaules et des fesses.
— Lamm refusé pour une main ou un bras de l’attaquant resté sous une épaule.
— Lamm refusé à l’attaquant pour chute simultanée avec l’attaqué.
Les kostin sont comptabilisés durant le combat.
FAZI (faute).
Les fazi sont comptabilisés durant le combat. L’addition de deux fazi donne l’équivalent d’un kostin à l’adversaire. Les fazi prévalent sur les kein.
KEIN (avantage). Le kein est un résultat proche du kostin, l’aboutissement (sur le dos) d’une prise.
— Chute sur les reins ou les reins plus les fesses.
— Kostin refusé à l’attaquant pour chute simultanée avec l’attaqué.
— Kostin refusé pour cause de pied touchant le sol en même temps que le dos.
La prise en compte des kein marqués n’intervient dans la décision qu’en cas d’égalité de kostin ou de fazi.
DIVIZ. S’il y a égalité de résultats parfaite après la prolongation, le vainqueur peut être désigné par diviz en fonction des critères suivants : maîtrise technique du combat, des prises, des contre prises, etc.
Le kouezh est soumis aux mêmes règles que le combat et la prolongation. C’est le dernier recours pour départager les lutteurs s’il n’y a pas unanimité pour le diviz.
DILEZ (abandon). Déterminé par le médecin ou les arbitres. En cas d’accident, si la responsabilité en est imputable à l’adversaire, celui-ci peut être disqualifié.
DIVRUD (disqualification). Le divrud sanctionne un manquement grave aux règles du gouren.
VARIANTE AVEC LES MAINS BLOQUÉES.
Déroulement : le combat est livré uniquement debout. Les lutteurs passent leur bras autour du tronc de leur adversaire d’une façon identique. Les mains sont verrouillées dans le dos en se tenant par les doigts comme deux crochets. La façon de mettre les bras est la suivante : chaque lutteur pose son menton sur l’épaule droite de son adversaire, puis passe son bras gauche sous le bras droit de l’autre lutteur. Le bras droit passe de l’autre côté de la tête de l’adversaire.
Les lutteurs se mettent donc dans cette position et doivent attendre, sans se déplacer, le signal de l’arbitre, pour commencer. Les jambes ne peuvent s’en prendre qu’aux jambes de l’adversaire. Une fois le combat commencé, les lutteurs ont le droit de tourner pour se mettre d’un côté ou de l’autre afin d’effectuer des prises, à partir du moment où ils maintiennent sans le défaire un seul instant le crochet formé par leurs mains.
Pour tout renseignement complémentaire, contacter le F. A. L. S. A. B.
12, rue de la Marne – 29260 LESNEVEN – BRETAGNE – FRANCE – MONDE – PLANÈTE TERRE.
Falsab.lesneven@wanadoo.fr.
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LA GLIMA ET L’AXLATOK.
L’arrivée de nombreux prisonniers captifs ou esclaves irlandais (voire écossais ?) en Islande, au Xe siècle, a introduit la lutte celtique dans l’île.
La Glima = joie et contentement (appelé aussi buxnatok : prise dans le pantalon).
La caractéristique la plus immédiatement perceptible de la glima moderne est que ses participants portent aujourd’hui des ceintures de cuir très spéciales. Ils ont une ceinture principale autour de la taille et portent des sangles à mi-cuisse, reliées verticalement à la ceinture principale par des harnais de cuir. La raison pour laquelle on porte ces ceintures aujourd’hui est qu’elles remplacent le port des lourds pantalons et vestes d’autrefois. La ceinture fournit aussi une prise, et elle va à tous les concurrents. Ces ceintures permettent donc des prises spécifiques. Rappelons également que la hanche gauche et la cuisse droite sont les deux endroits du corps où l’épée ainsi que la dague d’un adversaire se seraient trouvées jadis. Mettre la main gauche sur la cuisse droite de l’adversaire et la main droite sur sa hanche gauche permettait donc de les neutraliser.
Les quatre points clés sans lesquels il n’y a donc pas de vrai glima.
La main agrippe la sangle de l’adversaire située en haut de la cuisse.
La position debout des adversaires.
Le mouvement circulaire des lutteurs appelé stigandi (une sorte de valse).
Des projections à terre différentes faites avec les jambes les hanches ou les pieds.
Une variante plus libre de la Glima est appelée axlatok en Islande (= tombé sur le dos, lamm en breton) ou livtagsglima en Suède. C’est plus une épreuve de force qu’une maîtrise de certaines techniques. L’axlatok se pratique également debout, mais dans ce cas les lutteurs s’empoignent l’un l’autre au-dessus de la taille au lieu de saisir des ceintures spéciales. Les lutteurs serrent leurs bras dans le dos de l’adversaire à hauteur de l’épaule. Puis en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, ils essaient de mettre à terre l’adversaire en effectuant des prises et des feintes. Faire en sorte que son adversaire touche le sol, autrement qu’avec ses pieds bien entendu, est considéré comme étant une victoire.
Une troisième variante de la glima, la lausataksglima, est encore plus libre et plus violente. Elle est enseignée souvent comme une forme d’autodéfense dans les pays scandinaves, mais elle est plus rarement pratiquée en Islande…
Les deux lutteurs entrent sur l’aire de combat sous les applaudissements du public. Cette aire est généralement un plancher lisse. Chaque lutteur accroche alors sa main droite dans la ceinture de l’autre, et avec la gauche, saisit la sangle de la cuisse droite. Ils se tiennent ainsi au corps-à-corps, en regardant par-dessus l’épaule droite de l’autre. Les jambes sont un peu écartées, le pied droit est un peu plus en avant. Ayant pris leur position de garde, ils tournent dans le sens des aiguilles d’une montre et, au signal donné [Ligne supprimée puis rétablie, puis de nouveau supprimée, par les héritiers de Pierre de La Crau. Tumultus gallicus : le signal de l’arbitre consiste en une sonnerie de carnyx ou de cor] ; ils commencent à lutter pour essayer de faire tomber leur adversaire au sol.
Le but est de le faire chuter, soit sur une partie du corps au-dessus du genou, soit au-dessus du coude, ou encore en arrière sur les deux mains.
Ces chutes constituent le résultat (bylta). Chaque combat dure deux minutes. Il y a huit prises principales (brögd).
Chacune peut être exécutée de différentes manières, ce qui fait environ cinquante variantes en tout. Chaque prise a sa parade et sa riposte. Ces principales techniques sont donc les suivantes. 1. Leggjabragd. 2. Krækja. 3. Hnehnykkur. 4. Hælkrokur. 5. Snidglima. 6. Snidglíma a lofti. 7. Mjadmahnykkur. 8. Klofbragd.
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L’AUTODÉFENSE. FEINCHOSAINT.
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LA BOXE PIEDS-POINGS.
(Dornàlaiocht * et Speachoireacht/Speachadh).
La boxe pieds poings est connue depuis la plus haute antiquité, y compris des femmes, si l’on en croit ce témoignage déjà cité, mais il est toujours utile de le rappeler, d’Ammien Marcellin (Histoires. Livre XV, chapitre XII, 1).
« Nec enim eorum quemquam adhibita uxore rixantem, multo fortiore et glauca, peregrinorum ferre poterit globus, tum maxime cum illa inflata cervice suffrendens ponderansque niveas ulnas et vastas admixtis calcibus emittere coeperit pugnos ut catapultas tortilibus nervis excussas ».
« Ils sont d’une belle stature, élégants, et ont le teint vermeil ; ils sont effrayants à cause du caractère farouche de leur regard, très querelleurs, et d’une grande fierté, voire insolents. Une troupe entière d’étrangers ne serait pas capable de tenir tête à un seul de ces Celtes continentaux s’il appelle sa femme à la rescousse, car elle est généralement très forte quand elle est folle de rage, et spécialement quand, le cou gonflé, les dents serrées, ses énormes bras blanchâtres brandis en avant, elle commence d’asséner des coups, y compris avec les pieds, comme autant de traits envoyés par une catapulte ».
« Quand elle est folle de rage, et spécialement quand, le cou gonflé… » Il semble bien qu’il s’agisse là d’un cas de fureur guerrière… féminine !
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, au milieu du XVIIIe siècle, il y avait deux techniques de coups de pied : le « chausson », très à l’honneur dans le milieu de la pègre marseillaise, et la savate qui se pratiquait plus au Nord et notamment à Paris. Alors que, dans le chausson, seuls les pieds sont utilisés, en savate, il est possible de frapper avec les pieds, mais aussi avec les mains ouvertes (mains plates). La savate est surtout utilisée par les voyous parisiens, dont un certain Michel Chasseux, qui fixe les premières règles de ce sport et ouvre une salle vers 1820 dans le faubourg de La Courtille.
Vers 1830, Michel Lecour, après une cuisante défaite contre un boxeur « anglais », étudie de près les techniques de la boxe « anglaise » et, de retour à Paris, les associe aux coups de pied de la savate et du chausson. Il ouvre une salle où se précipitent les célébrités de l’époque ainsi que l’aristocratie (laquelle a toujours fait bon ménage avec les voyous…). Mais le véritable « père » de la boxe française est Joseph Charlemont (né en 1839) qui s’initie en 1860 à ce sport, et publie le premier livre technique en 1877. Il enseigne sa méthode notamment à son fils, Charles, lequel remporte, en 1899, la rencontre organisée contre Jerry Driscoll.
La boxe française connaît un grand succès au début du XXe siècle. Elle est enseignée dans l’armée, les écoles et les sociétés sportives. Georges Carpentier lui-même (qui deviendra champion d’Europe de boxe anglaise) commence sa carrière en 1907 par la boxe française. Mais face aux combats professionnels de boxe anglaise, la boxe française, avec son esprit trop amateur, sera vite délaissée. La guerre de 14-18 lui porte un coup fatal avec la disparition des professeurs et de nombreux pratiquants aussi, hélas ! Entre les deux guerres, elle ne parvient pas à résister à la vague déferlante de la boxe anglaise. En 1940, elle ne compte plus que 500 pratiquants. Après la Libération (1945), le comte Pierre Baruzy tentera de lui redonner vie.
Le 23 mars 1985 est fondée la Fédération internationale de Boxe française Savate, qui regroupe onze pays.
Ce renouveau et cette internationalisation de la « boxe française » coïncident bien sûr avec l’engouement pour les autres disciplines pieds poings. La boxe française Savate se pratique dans un esprit d’assaut semblable à celui de l’escrime. Les coups sont néanmoins réellement portés en compétition. Les combats se déroulent selon des règles proches de celles de la boxe anglaise pour le déroulement général du combat.
Technique.
Les coups de pied sont ceux de la Savate. Six catégories : le fouetté, le revers fouetté, le chassé, le coup de pied bas et ainsi de suite). Ils sont autorisés à la figure, au buste et aux jambes.
Les coups de poing sont empruntés à la boxe anglaise (direct, crochet, uppercut et swing) et ne peuvent être portés qu’au-dessus de la ceinture.
Tenue.
Le pratiquant de la boxe française porte un fuseau qui recouvre les jambes et le buste, mais découvre les bras. Il porte également des gants comme ceux de la boxe anglaise et des chaussures lacées derrière la cheville pour ne pas blesser.
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LE PUGILAT (Dornàlaiocht *).
Le pugilat est une des formes du combat d’homme à homme. Il se caractérise par l’usage principal des poings et un affrontement à distance, à la différence des sports de luttes où l’on s’empoigne.
On a retrouvé des représentations de combat mené à mains nues remontant à la civilisation sumérienne du IIIe millénaire avant notre ère. L’Iliade d’Homère mentionne un combat qui se serait déroulé vers – 1100, durant le siège de Troie. Le pugilat ne fait néanmoins son apparition dans les Jeux d’Olympie que lors de sa 23e édition, en 688 avant notre ère.
C’est le vainqueur de cette édition, Onomaste de Smyrne, qui aurait édicté les premières règles du combat. Ces épreuves étaient exclusivement réservées à la noblesse masculine de l’époque. Les combattants, parfois dans la nudité la plus complète, avaient les mains entourées d’une fine lanière de dix pieds, en cuir de bœuf enduit de graisse (myrmex), parfois lestée de boules de plomb (ceste).
Ce qui accentuait l’impact des coups et infligeait de cruelles blessures. Enroulée sur les poignets ainsi que sur les premières phalanges de la main, cette lanière n’interdisait pas de serrer les poings.
Sous cette forme, le pugilat sera l’une des plus anciennes disciplines des jeux du cirque, avant l’apparition des combats de gladiateurs. Il fut avec le pancrace et la lutte, l’un des trois arts martiaux pratiqués durant les Jeux olympiques antiques à partir de cette date.
Contrairement à la boxe moderne, le combat n’était pas séparé en parties ou périodes bien distinctes, il était lent et violent. De plus, les rencontres n’avaient pas de limite dans le temps et ne pouvaient s’achever que sur abandon, ou par la mort, d’un des adversaires. Si la rencontre était trop longue, on utilisait une procédure particulière pour départager les adversaires : à tour de rôle, chacun des deux combattants assénait un coup à son adversaire qui n’avait pas le droit de le parer, ni même de bouger.
Les Romains reprirent ce genre de combat, mais semblent avoir réservé cette pratique aux soldats et aux combats entre prisonniers (gladiateurs). Ils inventèrent le sac de sable, recouvrirent de lamelles de métal les courroies de cuir du gant, et affinèrent les techniques d’esquive.
Les Romains seront les premiers à faire une loi sur le sujet. Celui qui accepte de participer à un combat de pugilat prend alors en toute connaissance de cause le risque d’être blessé, en cas d’accidents inévitables liés au sport pratiqué, il ne peut donc réclamer aucun dédommagement.
Le pugilat fut interdit en 392 par l’empereur chrétien Théodose 1er, en même temps que les Jeux olympiques eux-mêmes d’ailleurs. Ces combats étant interdits, le pugilat se pratiquera désormais dans la clandestinité.
Il réapparaît en Angleterre au XVIIe siècle, ainsi que l’atteste un article du Protestant Mercury, daté de janvier 1681, et qui relate une « rencontre » entre le majordome et le boucher du duc d’Albermarle. La « boxe » moderne pointe le bout de son… poing. Les aristocrates, rendus oisifs, s’enflamment pour cette pratique très juteuse qui leur permet de vider leurs querelles par boxeurs interposés, ou de se divertir en pariant sur des « rencontres de pugilat » clandestines. La boxe anglaise apparaît au XVIIIe siècle, organisé par des parieurs, d’après le modèle du pugilat. Le premier boxeur reconnu comme champion poids lourd fut James Figg, en 1719.
Les règles du marquis de Queensberry, rédigées en 1857, ont mis l’accent sur l’agilité plutôt que sur la force. Ces nouvelles règles interdisaient le combat à mains nues, le corps-à-corps, l’étouffement, et les coups lorsque l’adversaire est à terre ou impuissant. Les rencontres sont divisées en reprises de trois minutes chacune, espacées d’un temps de repos d’une minute. Un participant perd s’il reste au sol plus de dix secondes, allongé ou sur un genou. Ces règles stipulent également que les rencontres doivent avoir lieu sur une estrade de 7,30 m de côté. Le dernier champion des combats menés à mains nues fut John Lawrence Sullivan, le huit juillet 1889 ; l’affrontement dura 2 heures. En combattant avec des gants selon les règles de Queensberry, Sullivan perdit son titre de champion du monde, le sept septembre 1892. Les combats deviennent alors plus rapides et moins brutaux, ce qui leur permet de sortir de la clandestinité. La boxe amateur fit son entrée aux jeux Olympiques en 1904. Les championnats d’Europe amateurs se tinrent pour la première fois en 1924, à Paris, et les premiers championnats du monde eurent lieu à La Havane en 1974.
En boxe amateur, les rencontres ne durent pas plus de trois reprises, de deux ou trois minutes chacune. Les adversaires portent des protections telles qu’un casque.
* N.D.L.R. Le terme gaélique Dornàlaiocht n’est peut-être pas exact. La boxe irlandaise inclut en effet aussi des coups de pied dans les tibias. Voir les exercices défensifs de Donald Walker en 1840.
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LA SAVATE DÉFENSE. SPEACHOIREACHT/SPEACHADH.
La savate est la seule forme de combat pied-poing dans laquelle les combattants portent des chaussures. Aussi loin que l’on puisse remonter, les origines de la savate demeurent obscures et pour le moins assez imprécises.
Le terme savate tire en tout cas son origine de l’importance des coups de pied, très privilégiés dans ce système de combat ; né des techniques militaires au Moyen-âge et développé dans la rue au fil des siècles ; très largement utilisés par les « bagarreurs ». Ces « bagarres » ne se limitaient pas, bien sûr, à de simples coups de pied, mais laissaient aussi libre cours aux fourches dans les yeux, et autres coups de tête… Malgré une tentative pour systématiser la savate par l’ouverture de la première salle officielle en 1825, sous la houlette de Michel Casseux (1794-1869), la savate restait considérée comme étant une discipline de rustres et de personnes peu recommandables.
À la même époque, un autre système privilégiant plus encore les techniques de pied se pratiquait aussi dans les ports de l’Italie du nord-ouest et du nord-est de l’Espagne : le « chausson » marseillais, appelé ainsi d’après le type de chaussures porté par les marins, dont l’origine est encore plus méconnue que celle de la savate, et qui a quasiment disparu de nos jours. Le « chausson » semblait privilégier des techniques plus hautes qu’en savate, ainsi qu’une utilisation plus fréquente des mains, mais en tant que support à terre pour un meilleur équilibre, à cause des surfaces humides et glissantes sur lesquelles il se pratiquait.
Il est difficile de retracer les origines de la savate et l’on ne saurait dire avec certitude si elle est le résultat d’un mélange de style comme la lutte parisienne et le chausson marseillais…
Néanmoins, on fait état de son utilisation et de son efficacité dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, notamment dans des écrits relatant les exploits pugilistiques du légendaire François Vidocq (1775-1857), ancien bagnard devenu policier aux méthodes aussi expéditives que redoutables. Plusieurs maîtres savateurs ont enseigné l’art de la savate aux grands personnages de l’époque : aristocrates ou écrivains. Notamment Théophile Gautier, qui fut l’élève assidu de Louis Leboucher ; ou encore Alexandre Dumas, qui pratiquait chez Maître Charles Lecour.
Dans les années 1830, Lecour, alors élève de Michel Casseux, essuya une cuisante défaite face au pugiliste britannique Owen Swift. La méthode de boxe se concentrant uniquement sur les coups de poing (sans protection alors) était considérée comme noble par les Anglais, qui méprisaient la façon indigne dont se battaient ces « roturiers de Français ». La savate utilisait en effet les membres inférieurs, ce qui entraînait un désavantage certain lors des corps-à-corps rapprochés.
Avec le développement de la Savate-Défense, on assista donc à un retour aux sources de l’art qui est à l’origine même de la Savate, la Savate historique. Contrairement à la Boxe française Savate actuelle, la savate originelle ne comptait pas tant de limitations techniques, mais prônait l’efficacité pour se sortir d’une altercation physique dans la rue. Fourches dans les yeux et autres « coups bas » étaient l’apanage de ce système d’autodéfense complet.
Un travail important sur la notion des « distances » est fait, par l’utilisation et la mise en pratique des coups de poing et de pied ou des techniques de percussion, sur six distances principales.
— Distance d’armes (bâton court ou bâton long, couteau).
— Distance de jambe (pieds, tibias, genoux).
— Distance de bras (poings, doigts, manchette, coude).
— Distance de corps (épaules, hanches).
— Distance de corps-à-corps (projections, torsions articulaires).
La savate défense moderne réutilise tout l’éventail technique de la savate boxe « classique » auquel vient se rajouter un ensemble de coups de pied ou de poing assez « oubliés » ; que l’on trouve chez les anciens auteurs du XIXe et des débuts du XXe siècle ; ou de techniques complètement nouvelles (par rapport à la savate classique de compétition). N.B. Des chaussures spéciales sont portées lors des exercices ou des combats.
Par exemple.
Le fouetté (coup de pied circulaire donné avec la pointe du pied), bas médian ou à la figure.
Le chassé. Coup de pied droit latéral ou frontal, à la figure, médian, ou bas, médian, ou à la figure.
Le revers (coup de pied circulaire frontal ou latéral, donné avec le dessous du pied) à la figure, médian ou bas.
Le coup de pied bas (coup de pied frontal ou latéral donné sur la jambe, en dessous du genou, avec le bord interne du pied, mais exécuté avec un net mouvement arrière du buste).
Le direct bras avant (un direct, du bras en avant).
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Le direct bras arrière (un direct, du bras resté en arrière).
Le crochet (bras fléchi).
Etc.
La savate défense moderne fait la part belle comme dans l’ancienne « lutte parisienne », aux tours de lutte et autres projections ou clés articulaires simples.
Elle innove aussi en bien des domaines en proposant des situations « hors cadre », ce qui oblige à faire appel à des techniques ou des principes non conventionnels en savate académique. On y étudie notamment la défense au sol ou à genoux, l’utilisation de la veste ou du manteau comme moyen de défense.
Dans une forme pédagogique délibérément dynamique et ludique, elle envisage la défense sur des attaques de face, de côté, depuis l’arrière… ou dans des situations particulières (assis, dans un couloir, face à plusieurs opposants, etc.).
Discipline moderne elle a ses racines dans la vieille savate des « bagarres de rue » parisiennes du début du XXe siècle, enrichie de concepts, de principes, et de techniques, adaptés à notre XXIe siècle… Une alliance de l’ancien et du moderne en somme !
En dépit de ses origines, la savate est un sport dont l’apprentissage est relativement sans danger. D’après la fédération américaine de Savate, « la savate est le sport qui compte le moins de blessures comparé au football américain au baseball et au hockey sur glace… ». La savate est aujourd’hui pratiquée partout dans le monde : de l’Australie aux USA et de la Finlande à la Grande-Bretagne. De nombreux pays (dont les USA) ont des fédérations nationales vouées à la promotion de la savate.
La savate moderne compte trois niveaux de compétition : l’assaut, le pré-combat et le combat. L’assaut requiert des compétiteurs qu’ils se concentrent sur la maîtrise de leur technique lorsqu’ils touchent leur adversaire, les arbitres imposant des pénalités pour usage excessif de la force. Le pré-combat autorise l’usage de toute sa force dans la mesure où les adversaires portent des protections comme un casque ou des protège-tibias, etc. le combat est le plus intense des trois niveaux, il s’agit de la même chose que le pré-combat mais sans équipement de protection autres qu’une coquille et un protège-dents.
De nombreux arts martiaux ont des signes extérieurs de hiérarchie comme la couleur des ceintures. La savate a recours à la couleur des gants pour indiquer le degré de maîtrise du combattant. Les débutants commencent avec des gants n’ayant aucune couleur.
www.savatekickboxing.ca club de Montréal. Canada.
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LES CLESSA (cliss en Irlande) OU LE MANIEMENT DES ARMES.
William Sayers de l’Université de Toronto a publié en 1983 dans la revue canadienne d’études irlandaises une très intéressante, mais hélas beaucoup trop courte étude sur les diverses techniques d’art martial pratiquées par le Hésus Cuchulainn.
Le terme gaélique pour désigner ces différentes techniques d’art martial est cles que l’on rend habituellement par « coup » « botte secrète » ou « feinte ».
Le problème est qu’en général il n’y a là en l’occurrence qu’un nom et aucune explication ni aucun détail nous permettant d’en savoir plus.
Torandchless cét, torandchles dá cét. Le tonnerre de cent, de deux cents, etc. On se perd en conjectures sur la signification exacte de ces expressions gaéliques par exemple. Le grand spécialiste français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, d’Arbois de Jubainville, pense que cela évoque le guerrier à char frappant son bouclier de sa lance afin de faire du bruit, de plus en plus fort, autant qu’une centaine d’hommes réunis, que deux cents, et ainsi de suite… avant de charger.
Le dictionnaire électronique de l’irlandais signale également que cleisín/clesán peut être le nom de l’arme avec laquelle on effectue ces feintes ou ces coups.
Ubullchless : le jeu des pommes. Peut-être s’agit-il tout simplement de jongler avec des pommes. À moins que « pomme » soit le nom donné à certaines armes (des balles de fronde ?)
Faeborcless : la frappe de taille.
Fáencless : le coup du bouclier tenu à l’horizontale.
Cless cletenach : le jeu du javelot (peut-être consiste-t-il à éviter des javelots arrivant dans sa direction. En sautant par dessus???)
Tétcless ; le jeu de la corde (à sauter?)
Corpchless : le jeu de tout le corps ?
Cless caitt : le jeu du chat (une technique genre kalari payat ?)
Ich n-erred : le saut du saumon (une autre technique genre kalari payat ?)
Cor ndeled : le jet du bâton.
Léim dar néib : le saut d’obstacle. Ou de haie.
Filliud erred nair : la flexion du vaillant héros.
Baí brasse : le jeu de la vitesse ?
Rothchless : le jeu de la roue.
Ochtacless : le coup des huit hommes (tuer huit hommes sur neuf d’un seul coup d’épée??? Une des nombreuses prouesses du Hésus Cuchulainn).
Cless for análaib : le coup de l’hyperventilation.
Bruud gine : le coup d’épée qui ne donne qu’une ecchymose (asséné avec le plat de la lame donc, un peu à la façon de Jeanne d’Arc).
Sian caurad : le cri de guerre du héros.
Beim co commus ; le coup bien mesuré.
Táithbéim : le coup en retour. Un coup donné avec le plat de l’épée juste pour assommer.
Il existe d’autres techniques mentionnées dans l’épisode du combat contre le fils de Scathache appelé Cuar ou ailleurs. Voici leurs noms en gaélique.
Foerclius. Inconnu au bataillon. À moins qu’il ne s’agisse de la corruption d’un autre mot gaélique (faeborcless ?).
Fáithbheím ? Peut–être une altération de taithbheim , qui signifierait alors en gros « coup en retour ».
Leím tar neimh : le saut de haie ou d’obstacle. Il s’agit sans doute d’une altération de léim dar néib.
Fuamchleas : le coup du bruit.
Cét-chaithchleas : le jeu des cent batailles.
Fotalbeim ou Foibhéim : le coup par en dessous.
Faebarbeim : le coup du fil de l’épée ?
Muadalbeim : le coup du milieu d’après Windisch.
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N.B. La botte secrète de Catt (cleas Cait) qui sera mentionnée plus loin à propos de Scathache n’est peut-être pas autre chose que le tour ou le jeu du chat déjà mentionné plus haut.
Le jeu du cercle ou cles cuair qui sera mentionné dans le festin de Bricriu (fled Bricrend) est peut-être également à mettre en rapport avec le fils de Scathache appelé Cuar (jeu de mots ??) Il semble en tout cas distingué du jeu de la roue = roth cles.
Est également mentionnée dans le festin de Bricriu (fled Bricrend) la technique suivante : le coup de l’esprit ou du fantôme (siaburcles). Ainsi que coup de l’oiseau fondant sur sa proie (forumcliss). Sans que l’on sache pour autant très exactement de quoi il s’agissait.
Le coup des huit eaux (cleas ocht uisgé) qui sera également mentionné plus loin fait aussi penser au coup des huit hommes déjà évoqué plus haut, mais…
Notons enfin que le Hésus Cuchulainn est capable de couper l’herbe (fotalbeim) sous les pieds d’Etarcumul puis de le frapper de taille en lui assénant un coup du fil de son épée (fáebarbeim), en lui coupant les cheveux de la nuque jusqu’au front et d’une oreille à l’autre, comme s’il l’avait tonsuré d’un seul coup de rasoir et sans verser une goutte de sang.
Peut-être faudrait-il regarder aussi ce qu’en dit Arrien dans son manuel d’entraînement de la cavalerie romaine (nous pensons ici au jet du bâton ou cor ndeled).
À noter enfin, figurent dans toutes ces listes deux noms d’armes et non de techniques, le gae bolga ou javelot-foudre (sans doute un javelot à la pointe barbelée) ainsi que le carbad serrdhai : un char muni de faux.
Sans oublier la prouesse appelée : « Fonaidm niadh for rinnib sleg » : le héros dansant autour des pointes de javelots. Sans doute des danses écossaises type danse de l’épée ou danse du bouclier (targe).
Et enfin : dréim fri fogaist co ndirgiud crette fora rind co fornadmaim niad náir. Le vaillant champion qui monte sur un javelot puis s’étend et se déploie sur sa pointe (Diarmat, dans le récit de ses aventures avec Grannia/Grainne, accomplit peut-être le même exploit).
On peut également déduire de l’épisode de la lutte entre Fraech et notre héros (Aided Fraích) relatée par la version de l’enlèvement des bovins de Cualnge, du Lebor na hUidre ou Livre de la vache brune (recension I), que le Hésus Cuchulainn était un spécialiste d’un type de lutte (imtrascrad) du genre de celle que l’on retrouve jusqu’en Bretagne sous le nom de Gourenn et jusqu’en Islande sous le nom de Glima.
Pour en revenir plus précisément à notre sujet, on se perd en conjectures sur la nature exacte de ces techniques d’entraînement, notamment la première. Même s’il s’agit de l’ancêtre de la cornemuse (ce qui est peu probable) il s’agit incontestablement d’un exercice destiné à maîtriser le souffle.
Le portrait qui nous est ensuite brossé de la fille de Domnall, Dornolla (ce qui signifie « ayant de gros poings ») est évidemment caractéristique des contes destinés à faire rire l’auditoire. Dornolla y ressemble plutôt à une créature à la Frankenstein et Aemer n’aurait vraiment eu aucune raison d’en être jalouse.
D’autres versions disent que… preuve s’il en fallait que tous ces récits sur notre jeune seigneur de Muirthemné (comme dirait Augusta Gregory) sont un amalgame de légendes diverses, opéré par certains bardes irlandais et cela se sent bien dans notre récit. Ah ces maudits bardes irlandais ! Encore que, en un sens, nous faisons bien la même chose qu’eux avec cet ouvrage.
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire à propos de Bodhidharma, mais il n’est pas inutile de le répéter, puisque repetere = ars docendi ; les arts martiaux druidiques sont un ensemble d’exercices, corporels et psychiques orientés vers l’obtention d’un « plus » spirituel. Ils sont aussi une
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alchimie, puisqu’ils se proposent de transmuer l’individu afin de lui permettre de sortir d’un monde toujours plus éphémère, et ceci pour atteindre l’essentiel : l’harmonie d’être soi-même, l’harmonie avec son destin.
Le but d’une telle pratique des clessa et des riastrades est de chasser les nuages de nos perceptions illusoires et d’y installer à leur place la pureté naturelle de notre être. Il ne s’agit pas de poursuivre un rêve éveillé en musardant dans un paradis enchanteur coupé de la réalité, comme dans la méditation, assis à la Cornunnos sous un chêne ; il s’agit de redécouvrir le cadre de notre être et du monde phénoménal qui nous entoure. Le but n’est pas d’échapper à la réalité, mais de la voir telle qu’elle est. Or cela ne consiste jamais à se couper des autres. D’où parfois les combats et l’affrontement.
Glaives et claymores ne sont que des outils dans une telle conception des arts martiaux. Les placer plus haut serait une erreur. Quoi qu’il en soit, entraîner ainsi son corps affûte la possibilité de croire en soi et dans le même temps, aide la recherche d’idéaux personnels plus élevés (quête du Graal).
Aujourd’hui, glaives et claymores sont au repos, mais leur âme ou leur esprit demeure vivace. Les clessa développent notre conscience d’être en action. Ce qui a pour résultat de révéler nos émotions les plus profondes, ainsi que nos insuffisances mentales… L’art de vider son mental et d’en faire une page blanche est un terrain glissant où chacun doit être vigilant. Les méthodes de méditation sont variées avons-nous dit. La « méditation » assis à la Cornunnos sous un chêne, les riastrades et les clessa, permettent au pratiquant l’introspection et la recherche à l’intérieur de lui-même, afin de découvrir le divin qui est en nous. Cela implique persévérance, et répétition des entraînements. Le cœur de cet art repose dans le respect d’autrui et le contrôle de soi face à ses émotions (« saya no uchi » le sabre dans la saya, dit-on au pays du soleil levant). C’est ce qu’avaient bien compris les Luctérios du Continent ou les Fénianes irlandais.
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BATAIREACHT. LE BÂTON (BATA EN GAÉLIQUE).
Le bâton est plus lourd que la canne de combat, il est tenu à deux mains. Les bâtons dont on fait usage doivent être à la fois souples et résistants, et avoir, au plus gros bout, un diamètre n’excédant pas deux centimètres et demi. La longueur du bâton doit être proportionnelle à la taille de l’élève, et telle que ce bâton, posé à terre et tenu verticalement, atteigne la pointe du nez. Dès que l’homme a ramassé ou brisé une branche d’arbre est né le bâton. Cet objet naturel a donc tout de suite prolongé le bras de l’homme dans ses usages primitifs et ses pratiques utilitaires (recherche de nourriture, aide à la marche) comme dans ses pratiques guerrières (chasse, défense).
Devenu arme, le bâton a rapidement connu des adaptations, voire des transformations donnant lieu à de véritables engins de guerre : gourdin, massue, lance, javelot, javeline… Pour des raisons évidentes d’économie et de sécurité, l’entraînement des hommes à l’attaque et à la défense ne se faisait jamais avec des armes véritables ; le maniement du bâton a donc toujours été considéré comme un préalable à l’usage des armes. Bien des gestes que nous pratiquons aujourd’hui en canne de combat et au bâton trouvent leur origine dans ces pratiques d’entraînement, lesquelles ont évolué au cours des siècles.
Le texte irlandais du XIIe siècle nous relatant la bataille de Ros na Rig (un combat qui faillit tourner au désastre pour le peuple de notre bon maître le Hésus Cuchulainn à cause de la bêtise de son roi) mentionne des combats au bâton et nous donne quelques détails, mais très peu.
Fin XIIe, le bestiaire d’Aberdeen montre un assaut entre un civil armé d’un fin bâton et d’un bouclier, face à une sorte de vouivre, tandis que, parallèlement, la Bible de Winchester nous montre un civil assaillant un ours. Au Moyen-âge, des duels judiciaires au bâton étaient autorisés pour tous ceux qui n’avaient pas d’épée, sans doute par imitation des duels qui opposaient de temps à autre certains seigneurs. On retrouve en tout cas des traces dans l’iconographie de tels combats, bien que ce soit relativement rare avant le XIVe siècle.
Mes correspondants parisiens me signalent également que dans le roman de Renart, le duel opposant le renard justement, au loup Ysengrin, se fait au gourdin et au bouclier. Or les deux sont de hauts barons à la cour du roi. On peut donc en tirer trois hypothèses :
Première hypothèse : l’auteur n’a pas voulu donner à ses protagonistes des épées, qui auraient été incongrues dans les mains d’animaux, et non de vrais chevaliers. En donnant une arme de roturier à Renart et à Ysengrin, l’auteur ménage peut-être la classe des nobles qui est déjà suffisamment égratignée comme cela.
Deuxième hypothèse : l’auteur a peut-être ajouté là un degré de plus dans les combats qui s’étaient, jusque-là, uniquement déroulés avec les armes naturelles des animaux.
Troisième hypothèse : il existait des duels au bâton entre nobles.
On retrouve en effet le gourdin dans les règlements de duels judiciaires à travers des textes comme celui de Brantôme en France à la fin du XVIe. Toutefois, Brantôme souligne l’étrangeté de ces armes tombées en désuétude pour mener un combat.
En matière de combat de canne et de bâton, peu de sources techniques existent avant le XIVe siècle. Les premiers traités datent de la fin du Moyen-âge, époque à partir de laquelle le bâton est souvent associé au maniement de l’épée (à deux mains). Le tout premier ouvrage à traiter du bâton est celui qui fut écrit par l’Allemand Hanko ou Hans Dobringer en 1389. Dobringer était un élève du grand lucterios (maître) Lichtenauer, et son ouvrage serait une transcription de ses préceptes. La plupart des lucterios (maîtres) allemands, jusqu’au XVIIe siècle, vont se présenter comme des héritiers de l’art de Lichtenauer.
Au XVe siècle, le Flos Duellatorum de l’italien Fiore de Liberi, le Gladiatoria (une œuvre anonyme) et le manuscrit d’Ambras attribué au lucterios (maître) Talhoffer (1459), présentent des gravures de combattants maniant le bâton (ou la lance).
Le deuxième grand traité de combat est un ouvrage ainsi intitulé (en vieux français), « la noble science des joueurs d’espée, imprimé en la ville d’Anvers par moy, Guillaume Boisterman, demourant à la Lycorne d’or. L’an mil cinq cent et XXXVIII ».
Autrement dit, traduit dans notre langue à nous aujourd’hui : « La noble science des escrimeurs, imprimé à Anvers par Guillaume Boisterman, maître imprimeur domicilié à la Licorne d’or, l’an 1538 ».
Dix pages sont consacrées au bâton, mais on peut noter une curieuse ressemblance entre les illustrations et le texte de cet ouvrage, et celui qui est intitulé (en allemand) « Der Alten Fechter ». La
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« Noble Science » est peut-être tout simplement une traduction de l’ouvrage d’un Autrichien dénommé André Pauernfeindt, qui aurait aussi parallèlement de son côté inspiré l’auteur du « Der Alten Fechter ».
Comme arme, la canne ou le bâton, habilement manié, demeure sans pareil ; un bon pratiquant du bâton se rit de l’épée, de la baïonnette, de la lance ; il n’a en fait à redouter que les armes à feu. Un homme habile peut distribuer, en quinze secondes, jusqu’à quatre-vingt-deux coups de canne.
Le XIXe siècle voit surgir les précurseurs qui ont posé les principes de l’enseignement de la canne de combat et du bâton. Les bases de ces pratiques sont en partie liées à celles de la savate et de l’escrime, car les lucterios (maîtres) enseignaient aussi ces disciplines dans les mêmes salles. Peu d’entre eux ont formalisé leur enseignement. Toutefois, deux auteurs peuvent être considérés comme les fondateurs des pratiques actuelles : Charlemont et Leboucher. Larribeau, quant à lui, est l’auteur d’une méthode d’enseignement qui eut un certain succès à l’époque : elle consistait à exercer l’élève contre un mannequin.
On estime généralement que l’étude du bâton doit précéder celle de la canne de combat ; le bâton, entraînant les deux bras avec une tige relativement lourde, faciliterait le maniement d’une tige plus légère avec un seul bras déjà exercé ; tandis que si l’on voulait commencer par pratiquer la canne de combat d’abord, puis le bâton, on aurait à faire l’éducation du bras non exercé et à familiariser l’autre au maniement d’un instrument plus lourd.
Ces considérations sont justes ; mais il importe de travailler la canne de combat d’une manière exclusive, après avoir terminé l’étude du bâton. Cette dernière est, en effet, peu de chose à côté de l’étude qu’exige la canne de combat, dont le maniement nécessite une finesse extrême, presque comparable au maniement de l’épée. En outre, quiconque sera de première force à la canne de combat, pourra battre facilement les pratiquants du bâton.
Cette activité, même si elle est restée longtemps confidentielle et peu connue du grand public, surtout à côté de sa sœur, l’escrime, est aussi une véritable science du combat. Elle est enseignée conjointement aux séances de savate, et en constitue ainsi « l’escrime au bois », complément armé de cette « escrime des pieds, mais aussi des poings », qu’est la Savate, sous toutes ses formes.
Fondamentalement, il s’agit de se mesurer avec un adversaire selon des règles d’assaut courtoises, d’où toute violence est exclue, même si la tactique et la technique utilisée y sont très dynamiques, et les mouvements très rapides.
Il s’agit d’apprendre à manipuler ou à utiliser avec la plus grande aisance, des bâtons de longueurs variées (95 cm, 140 cm…) dans une logique d’affrontement ; soit codifiée selon les règles de la compétition, soit de façon beaucoup plus libre, selon l’optique traditionnelle de cette pratique.
Il existe différentes variantes régionales du bâton. Le Pen Baz (Bretagne), le Makhila (Pays basque), le Pal y Basto, (Portugal), le bâton provençal, le bâton anglais (quarterstaff), le bâton irlandais (bata est le terme gaélique pour bâton). Puisque les buissons de prunellier sont très communs en Irlande, les batas y sont donc fréquemment faits à partir de prunellier, mais il en existe aussi en frêne, en bois de houx, et en chêne. Le gourdin est alors appelé shillelagh, du nom de la forêt de Shillelagh près d’Arklow, dans le comté de Wicklow. Une forêt très célèbre pour la qualité de ses chênes. Le bata est fait à partir d’une branche ou à partir du tronc d’un arbuste et de sa racine, dont le bulbe sert alors de pommeau, et qui peut être évidé puis rempli de plomb fondu. L’écorce est laissée en place, mais les branches sont coupées à ras et les « nœuds » correspondants soigneusement laissés en place : ils rendent le bata plus dangereux. La longueur de ces bata peut varier suivant la taille de son utilisateur. En gros la longueur correspondant à celle que l’on obtient en étendant les deux bras, augmentée d’une dizaine de centimètres.
Le shillelagh ou bata n’est pas tenu par une de ses extrémités, mais un peu en dessous du milieu de sa longueur, et manœuvré avec le poignet plutôt qu’asséné avec force comme un gourdin. La méthode la plus courante est de le tenir avec une seule main, mais on peut aussi le tenir avec les deux mains par le milieu. Le bâton tenu à bout de bras sert à parer les coups. On peut également se servir de deux bâtons plus courts (Troid De Bata) un des deux étant utilisé comme bouclier.
Au XVIIe siècle, en Irlande, des bandes rivales se formaient en fonction d’affinités familiales ou politiques diverses. Chaque bande ou parti avait un entraîneur appelé Maighistir Prionnsa ou Maître d’armes, qui la formait au maniement du bâton. Les combats opposaient parfois des centaines ou des milliers d’hommes et de femmes (à coups de pierres). La dernière grande bataille fut celle qui eut lieu dans le Comté de Tipperary en 1887.
Mais les combats menés à coups de bâton n’étaient pas toujours des agressions. Certains correspondaient plutôt à des règlements de comptes personnels. La majorité des combats n’étaient pas mortels et correspondaient alors à des défis d’esprit sportif, quoiqu’acharnés.
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John Barrington a noté en 1790 que les combats au shillelagh étaient comme des exercices d’escrime et nullement de la sauvagerie. Personne n’en sortait défiguré ou dans un état nécessitant l’intervention d’un médecin. Il ajoute qu’il n’y a jamais vu d’os brisés ou de contusion très dangereuse due aux volées de coups de bâton (ledit bâton n’étant jamais trop lourd).
Pour en savoir plus sur les Na Healaíonaí an Chogaidh Éireannach, voir le site internet Shillelagh university et pour pratiquer contacter Maxime Chouinard l’animateur du groupe Antrim Bata. Adresse courriel
MaxDChouinard@gmail.com
Le bâton provençal : il s’agit d’un bâton de bois relativement court, d’une longueur variant selon le combattant (allant généralement des pieds aux épaules). Son maniement est très particulier, car il se tient avec les deux mains verticalement, les pouces face à face. Les coups portés avec cette arme sont circulaires, voire semi-circulaires, mais le principal intérêt demeure la rapidité procurée par la légèreté du bois. C’est la première arme que l’on apprend à manier quand on débute, elle permet d’apprendre les bases des règles de sécurité, mais aussi de gagner en souplesse dans les mouvements. Pourtant, ne vous fiez pas aux apparences… un coup bien placé sur un centre nerveux, et vous n’aurez pas le temps de vous plaindre : bien qu’en bois, ce bâton n’en constitue pas moins une arme d’une efficacité redoutable. Une fois que l’écuyer a fait preuve de dextérité dans le maniement du bâton provençal, il peut commencer d’apprendre à manier une épée à deux mains. Et après avoir franchi victorieusement cette deuxième étape, le nouveau guerrier pourra donc apprendre à combattre avec l’arme qu’il désire : épée longue, épée courte, hache d’armes, masse d’armes, fléau d’armes, bouclier, dague, lance, hallebarde, etc. Mais attention, l’apprentissage de certaines de ces armes nécessite des protections supplémentaires (cotte de mailles, cuirasse…)
Le bâton français. Le bâton français a hérité sa technique de la pratique de l’épée à deux mains, ou des armes d’hast. Le morceau de bois est assez grand et doit être tenu à deux mains (taille, environ 1,40 mètre et pour le poids, entre 450 et 500 grammes).
Aux six coups de base de la canne de combat (donnés cette fois à deux mains sur les mêmes surfaces), s’ajoutent des coups « coulissés » ainsi que des coups « piqués ». D’autres coups sont possibles. On évite néanmoins de donner des coups avec des trajectoires obliques, ce sont des trajectoires dangereuses et difficiles à parer. Plusieurs pratiques revendiquent l’appellation « bâton français ». Il y a la pratique héritée de Charlemont « l’art de la Boxe française et de la canne » (1899) ; dans lequel il parle un peu du bâton en précisant que les techniques sont les mêmes que celles de la canne, mais à deux mains… Ensuite, il y a certainement la méthode la plus utilisée à l’époque : « L’école de Joinville ». Là, l’enseignement du bâton est institutionnalisé réellement, et constitue l’un des éléments d’enseignement de la « gymnastique ».
Le travail du poids « corps + bâton » est un élément essentiel. Les déplacements induits par le bâton et les distances de frappe sont également des points très importants dans une étude approfondie du maniement du bâton.
De la même façon, nous travaillons désormais des techniques de maniement de deux bâtons à la fois (troid de bata).
Note 1. Le bâton est un support permanent contre toutes les agressions, physiques ou spirituelles. Le bâton de pèlerin (burdo en latin) comporte deux pommeaux superposés, l’un à l’extrémité, un autre plus bas ; scindant ainsi la partie supérieure en deux éléments à l’utilisation différente. L’un sur lequel le pèlerin place sa main lorsqu’il marche, l’autre pour avoir un meilleur appui lorsqu’il veut s’immobiliser. Certains en possèdent une troisième. Les trois boules peuvent alors illustrer la Sainte-Trinité ou toute autre triade sacrée.
Le fût, le bâton proprement dit, est équipé, à son extrémité la plus basse, d’une petite pointe en acier. Muni d’une telle extrémité, il tient donc à la fois du bâton et de la lance.
Choix du matériau. Le chêne, qui représente la force, la sagesse, l’hospitalité, la justice. Le frêne, la puissance et l’immortalité. Etc.
Le burdo ou bourdon constitue donc à la fois une aide à la marche et une arme défensive, contre les animaux et les hommes hostiles ; mais il était à l’origine plus petit que le marcheur, et à un seul pommeau. Le sermon « Veneranda dies », intégré au premier livre du Codex Calixtinus définit ses deux principales fonctions : aider à la marche « comme un troisième pied », et défendre le pèlerin, concrètement, « contre le loup et le chien » ; mais aussi, au niveau symbolique, contre les pièges du démon, arme du salut par la pénitence, il devient le « bâton d’espérance – ferré de charité – revêtu de constance – d’amour et de chasteté » dans la Chanson du Devoir des Pèlerins.
Note 2. Pour le quarterstaff, voir l’enseignement du bâton dans le mouvement scout.
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LA CANNE DE COMBAT.
Quand on parle de canne, il s’agit d’une tige de 95 cm de long et d’un diamètre de 1,5 cm pour la pointe et 1,8 cm pour le talon. La canne est maniée d’une seule main.
Le choix du bois. Le cornouiller sanguin (bois dense, noueux, très résistant, et utilisé pour confectionner des manches d’outils) ; le frêne (clair, élastique et dur, utilisé pour les manches de pioche), le houx (blanchâtre, lourd et très dur), le noisetier (ou coudrier, souple et assez résistant), le châtaignier (bois résistant, souple, léger, absorbant très bien les chocs)…
Si l’on veut une canne avec un fût bien droit, il faut utiliser des rejets de châtaigniers. Dans les châtaigneraies entretenues, à la base des souches des arbres coupés, poussent des rejets rectilignes cherchant à retrouver la lumière au-dessus de la canopée.
Le bois doit être en sève, car la sève a un rôle primordial dans le formage et le maintien en forme de la canne. Sa récolte a donc lieu des premiers bourgeons à la fin de la chute des feuilles.
Étapes complémentaires. L’ajustement à la taille de son futur utilisateur. Pour couper la canne à la bonne hauteur, il faut mettre la canne, poignée en bas, posée par terre, et couper le fût au niveau de la ceinture de son futur propriétaire. Il vaut mieux couper la canne trop grande que trop petite. Il est plus facile de la raccourcir… que de la rallonger !
La pose d’une férule. Pour une canne souvent utilisée, il peut être utile de protéger l’embout. La façon la plus simple est d’utiliser un morceau de tube de cuivre, laiton, ou acier, de douze millimètres de long, et d’un diamètre correspondant au bout de la canne. Un trou percé à quatre millimètres d’un des deux bouts permettra de maintenir la férule en place avec une petite pointe à tête plate ou ronde. Ce cerclage est posé après avoir aminci le bout de la canne sur onze millimètres.
À partir du XVIIe siècle, on commença de porter en même temps l’épée ainsi que la canne. La canne est plus noble que le bâton ; on donne un coup de bâton à un valet, mais un coup de canne à un égal. Le bâton est un rustre, la canne est une raffinée.
Dans les rites du Compagnonnage, les différentes façons de tenir la canne sont riches de significations symboliques. Ainsi, la canne, fierté du Compagnon, est-elle tout à la fois soutien lors des voyages, arme de défense, instrument de mesure, symbole de savoir et de pouvoir.
Entre 1818 et 1841, de nombreuses batailles opposèrent entre eux les Compagnons effectuant leur « tour de France » et appartenant à des « devoirs » différents.
L’histoire de ce sport est intimement liée à la savate et à l’utilisation de la canne par les bourgeois du XIXe siècle qui savaient se défendre avec. Certains maîtrisaient le corps-à-corps (la lutte), la boxe française ou anglaise, avec son travail des pieds ou des bras, et enfin, pour des coups à plus grande distance, la canne à pommeau.
Entre 1830 et 1920, c’est l’âge d’or de la canne ; celle-ci demeure un objet vestimentaire, inséparable de la tenue du bourgeois et de l’aristocrate, mais elle devient aussi une arme de défense personnelle.
L’épée ne se porte plus, mais chacun se munit d’une canne ; le bourgeois la porte avec un pommeau d’or, le vieillard avec un bec-de-corbin, et le querelleur, le truand, avec une boule de plomb capable d’assommer un homme.
Paris abrite alors beaucoup d’académies de boxe, dans lesquelles les professeurs enseignaient la boxe française savate, mais aussi la canne de combat. Il est clair que, dans ces conditions, la moindre manipulation à base de moulinets devenait particulièrement dévastatrice. Non loin du célèbre Boulevard du Crime *, on retrouvait les prouesses sportives de combattants professionnels qui maîtrisaient lutte, savate et canne, selon la distance. Certains spécialistes étaient capables de donner 80 coups en moins de quinze secondes !
La canne est une arme permettant de pratiquer un sport de combat très riche en matière de déplacement et de mobilisation des muscles du corps.
Pour ce type d’exercice, il est préférable d’utiliser des cannes relativement légères (100 et 150 grammes).
— La canne est tenue d’une seule main, par le talon.
— Les mouvements sont exécutés avec une grande amplitude et surtout un développement complet du bras.
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— La position de départ d’un mouvement est toujours celle de la « garde » : la prise de main définit la garde (exemple : main droite au talon de la canne, pied droit légèrement avancé), le corps face à un adversaire imaginaire.
Ainsi, chaque mouvement de canne entraînera-t-il un transfert de poids, tantôt sur la jambe avant, tantôt sur la jambe arrière (rééquilibrage du poids du corps).
— Les zones de touche sont situées au niveau de la tête, des flancs et des tibias, dans ce cas, effectuer une fente avant ou arrière.
— Chacun des mouvements est réalisé sans violence et sans force à l’impact. Avant toute séance de manipulation, toujours prévoir une partie pour l’échauffement général du corps, avec une sollicitation globale des muscles, puis un échauffement de zones spécifiques (les poignets en faisant des moulinets avec la canne, passage de canne dans le dos…).
Lors d’une séance d’entraînement, il est conseillé d’utiliser un métronome dont on pourra maîtriser le nombre de battements par minute.
On commence avec des séries répétitives de mouvements afin de se familiariser avec l’arme. La progression naturelle se fera en mêlant les différents mouvements, les zones de frappes et en ajoutant des sauts, des voltes.…
En canne de combat il existe six mouvements : le brisé, le latéral extérieur, le latéral croisé, le croisé tête, le croisé jambe et l’enlevé.
Le « brisé » commence par un moulinet vertical. La zone de touche est située au-dessus de la tête. Le bras droit (pour une garde droite) effectue un piston de l’avant vers l’arrière puis vers l’avant pour réussir une touche. La canne tourne dans la main et fait trois quarts de tour. Il importe de s’assurer que la trajectoire du coup est bien verticale.
Le « latéral extérieur » est un coup exécuté avec un moulinet horizontal au-dessus de la tête. La zone de touche est formée un des côtés de la tête de l’adversaire. Le coup est armé quand la pointe de la canne est tournée en direction de l’adversaire. La canne est tenue au-dessus de la tête, la main droite derrière l’axe des épaules.
Pour le « latéral croisé », la pointe de la canne est toujours dirigée vers l’adversaire, mais le bras est croisé devant le visage. En ce qui concerne le « latéral extérieur » et le « latéral croisé », on peut toucher le côté gauche ou droit de la tête de l’adversaire, ses flancs ou ses tibias en se fendant.
Le « croisé tête » est donné bras tendu en effectuant un mouvement circulaire gauche vers la tête de son adversaire.
Le « croisé jambe » est le même coup, mais sur le tibia de l’adversaire.
Enfin « l’enlevé » est effectué par un moulinet inversé visant les tibias de l’adversaire.
Il est important de se fixer différentes séquences à enchaîner en conservant toujours le même rythme, et en veillant à respecter tous les points ci-dessus.
La première série comptera chacun des mouvements décrits plus haut, ils doivent être exécutés pendant au moins 30 à 45 secondes. La séance complète pourra durer entre 10 et 15 minutes.
On terminera la séance par des étirements des bras et des épaules avec un retour au calme de 5 à 10 minutes.
Ce type d’exercice, par son intensité ainsi que par la variété des mouvements, permet d’appréhender la manipulation de la canne au travers d’une rythmique sportive et cardiaque atypique.
Aujourd’hui, on distingue plusieurs pratiques de la canne de combat : la canne de combat de compétition, l’autodéfense (surtout la méthode « Lafond », et la canne « artistique »). Cette pratique, très codifiée, a trouvé sa place dans une société qui a évolué depuis le Fir Fer de Cuchulainn et les 4 règles de base de la Dli Sail-Eille. Respect de l’adversaire, de l’intégrité physique, coups contrôlés, parades sécurisantes, maîtrise de l’arme dans l’espace…
Sous sa forme destinée aux compétitions, il s’agit d’assauts, de deux fois 3 minutes au maximum, dans lesquels les deux « cannistes » doivent marquer le plus de points possibles. L’assaut se déroule dans un cercle de 9 m de diamètre. Les déplacements jouent un rôle très important.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, il n’existe que six coups qui doivent être, armés (main derrière la ligne des épaules) puis exécutés avec un développement complet du bras ; donnés avec le quart supérieur de la canne ; dirigés sur l’une des trois surfaces de frappe (tête, flancs et tibia).
Les coups sont donnés en garde droite ou gauche. La prise de la main définit la garde, car la canne n’est saisie que d’une main.
Les différents coups sont enchaînés bien sûr, et permettent de créer de nombreuses combinaisons (voltes, changement de garde, alternance des surfaces de frappe…)
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Leur caractéristique est qu’il y a une rotation de la canne systématiquement dans chaque cas.
Cela permet d’obtenir une grande vitesse d’impact. Le but n’étant pas de frapper fort, mais plutôt de toucher la surface de frappe. Ce sport est très complet, rapide d’apprentissage, et surtout, accessible aux enfants !
La canne de combat de compétition, et le bâton, sont en général des disciplines associées à la savate, mais peuvent être également enseignés par certaines associations sportives spécialisées.
*« Boulevard du Crime » est le surnom donné au XIXe siècle au boulevard du Temple à Paris, en raison des nombreux crimes qui étaient représentés chaque soir dans les mélodrames de ses théâtres.
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L’ESCRIME.
L’histoire de l’escrime se confond avec celle de la main et de l’outil. Physiquement inférieur aux animaux qui sont pratiquement tous dotés par la nature d’un moyen de défense naturel (corne, griffes, bec, mâchoires, pinces, défenses, sabots, venin, etc.) ; l’homme a été contraint, dès l’origine, de faire appel à son intelligence et à sa main ; afin d’inventer de quoi survivre.
C’est d’ailleurs probablement par analogie avec les avantages naturels des animaux que les premières armes inventées eurent pour objet de piquer, de trancher ou d’écraser.
Ces armes furent d’abord en bois, en pierre puis en métal.
Les premières armes fabriquées furent la hache et l’épieu, soit une arme qui taille et une autre qui perce. Le premier progrès consista ensuite à réunir en une seule arme les propriétés de la hache et de l’épieu. On eut ainsi le sabre, et plus tard l’épée, lorsque l’on s’aperçut que les coups de pointe ou d’estoc étaient plus meurtriers que les coups de taille. L’invention des armes amena tout naturellement l’homme à rechercher le parti le plus efficace à en tirer, soit au moyen d’une plus grande vigueur, soit au moyen d’une plus grande dextérité, ou encore au moyen d’une tactique plus élaborée. Ainsi naquit l’art de la défense et de l’attaque.
L’escrime existe donc depuis toujours, ou presque. Dès que l’homme a su travailler le bois, puis le fer, il a fabriqué des armes pour se défendre et survivre. Beaucoup de civilisations ont intégré l’apprentissage du maniement des armes et l’étude de l’escrime dans leurs principes fondamentaux.
La plus ancienne manifestation de cette pratique de l’escrime remonte à 1190 avant notre ère. Une compétition est représentée sur un bas-relief du temple de Médinet-Habou, construit en Haute-Égypte par Ramsès III. Tous les détails figurent sur ce bas-relief : les armes sont mouchetées, certains escrimeurs portent un masque.
En Inde existaient, plusieurs siècles avant notre ère, des lucterios ou maîtres d’armes enseignant le kalaripayat (voir annexe).
En Grèce aussi, l’escrime est l’une des sciences les plus anciennes et, bien sûr, à Rome puisque les gladiateurs en faisaient un spectacle.
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LA GLADIATURE.
Les historiens étudient désormais avec un œil nouveau la gladiature romaine dans une optique plus « sportive » tranchant ainsi nettement avec l’historiographie classique sous l’emprise totale des textes chrétiens hostiles à cette pratique.
La gladiature était une forme d’escrime riche, précise, et très rigoureuse. Loin de l’imagerie d’Épinal transmise par Hollywood, suite à la christianisation.
Contrairement aux idées reçues, les gladiateurs n’ont pas le droit de vie ou de mort sur leur adversaire ; seul l’édile, ou editor, (celui qui produit) peut ordonner l’exécution du vaincu, ce qu’il faisait rarement d’ailleurs, un bon combattant n’ayant pas de prix. Les gladiateurs de haut niveau, ceux du ludus julianus, du ludus neronianus, du ludus imperialis, pouvaient être revendus très chers, et ces transferts donner lieu à de juteuses spéculations.
On s’imagine généralement, idée renforcée par le cinéma hollywoodien, que l’arène n’était pas un choix, que l’on y finissait contraint et forcé, en esclave soumis à l’entier arbitraire d’un maître cruel. Or la contrainte fut loin d’être la règle et, pour beaucoup, la gladiature représenta une carrière, dangereuse, certes, mais riche en avantages qui compensaient le risque de mort. Il est impossible de transformer en gladiateur un homme qui n’a pas les qualités physiques et psychiques nécessaires ni celui qui ne veut pas jouer le jeu. Les gladiateurs trouvaient à l’exercice de ce métier des compensations personnelles, financières, amoureuses, et même la gloire.
À Pompéi, une caserne de gladiateurs qui occupait l’ancienne villa de M. Lucretius Fronto, a été dégagée lors des fouilles entreprises à la fin du XVIIIe siècle. De nombreux graffitis gravés par les gladiateurs en souvenir de leurs victoires, ou de leurs conquêtes amoureuses, figurent sur les murs de cette demeure jadis somptueuse.
Ces combats parfois mortels étaient donc très codifiés, ils ne ressemblent en rien aux caricatures présentées par les films notamment hollywoodiens comme nous l’avons déjà vu. La réalité des jeux du cirque n’est pas aussi sauvage que l’a montrée le cinéma. Soyons donc encore une fois complètement révisionnistes en ce domaine comme en tant d’autres (la réalité des persécutions anti-chrétiennes par exemple), car le révisionnisme ce n’est jamais que la vérité historique triomphant des mythes. La gladiature est une escrime très codifiée, les duels se font sous le contrôle d’un arbitre, souvent un ancien gladiateur lui-même. Vainqueurs à de nombreuses reprises, ou ayant fait preuve d’une adresse et d’un courage remarquables, les meilleurs d’entre eux reçoivent honneurs, récompenses… et l’admiration sans bornes des spectatrices. Les conditions de vie sont exceptionnelles pour les gladiateurs, qui ont porte ouverte à toutes les soirées mondaines données à Rome ou dans ses environs. L’entraînement est, il est vrai, très contraignant, et il fallait bien ménager à ces athlètes des moments de détente à la hauteur de leur réputation. Les novices n’avaient pas évidemment accès aux mêmes fins de soirée, mais cette notoriété faisait partie du rêve que poursuivait tout jeune gladiateur.
Les combats se déroulaient en fin de journée, ils donnaient lieu à de nombreux paris. Les vainqueurs recevaient des récompenses et après plusieurs victoires, ultime distinction, pouvaient obtenir ce que l’on appelle improprement un bâton d’affranchissement (rudis) les rendant à la vie civile. Nombre de gladiateurs collectionnaient ces « bâtons ». Pour les esclaves, minoritaires chez les gladiateurs, cette baguette ou vindicte signifiait bien effectivement un affranchissement ; tandis que pour les citoyens romains ayant dû renoncer à leur statut ou auctorati (c’était la règle pour être gladiateur) une épée de bois leur permettait de reprendre, dans l’honneur, leur vie normale d’avant.
HISTORIQUE.
« On pourrait dire que s’il ne craint vraiment rien, ni les tremblements de terre ni les flots, ainsi que le font les Celtes dit-on, alors c’est une sorte d’inconscient ou de fou, tandis que celui qui fait preuve d’une confiance excessive face à ce qui constitue réellement un danger sérieux peut être qualifié de téméraire » (Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 7,7).
« Ils souhaitent inculquer une de leurs croyances fondamentales, à savoir que les âmes/esprits ne s’éteignent point, mais passent après la mort d’un corps dans un autre ; et ils pensent que les
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hommes, grâce à cette croyance, sont portés à un plus grand courage, la peur de la mort étant alors oubliée » (Jules César, B. G. VI, 13-14).
« Les ombres des morts ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe ni les pâles royaumes de la mort ; une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres dans un autre monde [en latin orbe alio] et la mort n’est que le milieu d’une longue vie ; si vous savez bien ce que vous chantez. Heureux sont les peuples qui regardent la Grande Ourse à cause de cette erreur ; car ils ignorent cette peur suprême qui effraie tous les autres, de là cet esprit [en latin mens] enclin à se jeter sur le fer cette force de caractère [latin anima] capable d’affronter la mort, et ce peu de soin mis à épargner une vie qui doit vous être rendue ». (Lucain, La Guerre civile, I, 453-465).
« Nate memento beto to divo » aimait à répéter noïbo Symphorien d’Autun, ou plus exactement sa mère Augusta, ainsi que l’ont bien noté différents auteurs à propos de l’éthique des anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht).
Les combats de gladiateurs n’ont au départ aucun rapport avec ce que l’on connaît aujourd’hui sous ce nom, mais avec la religion. Ce sont à l’origine des jeux ou des sacrifices funèbres donnés en l’honneur de certains défunts.
Voir par exemple ceux donnés par Lug en l’honneur de sa mère adoptive la princesse gauloise Fir Bolg, Tailtiu (Talantio) sans doute Rosemartha sur le Continent.
Jointe à la pratique des combats singuliers, la coutume généralisée des jeux funèbres célébrés, soit lors des funérailles, soit en commémoration de la mort du héros, explique pourquoi l’institution des combats de gladiateurs a été en si grande faveur auprès du public romain.
L’usage de recourir au duel pour résoudre les questions litigieuses est commun aux nations celtiques. Quand le philosophe grec Poseidonios fit en Celtique son voyage d’exploration au commencement du premier siècle avant notre ère, on lui raconta que dans les festins d’apparat l’usage existait jadis de donner au guerrier le plus brave le gigot ou le jambon de la bête qui était le morceau de résistance du repas ; et quand deux guerriers se disputaient ce signe de la prééminence, on recourait aux armes ; il y avait entre eux un combat singulier, et le vainqueur recevait en guise de couronne le morceau de viande qui avait été l’objet de l’ambition des deux rivaux.
Il était donc admis à l’époque que deux êtres humains veuillent régler leurs différends ou leurs contentieux en recourant au duel, surtout en matière d’honneur d’ailleurs.
Plus prosaïquement le demandeur irlandais du Moyen-âge avait trois manières de procéder pour obtenir justice : 1° la saisie mobilière, aithgabail ; 2° la saisie immobilière, tellach ; mais aussi 3° le duel, comrae.
Il est licite de provoquer en duel le débiteur qui résiste par la force à une saisie entreprise régulièrement, et avant le christianisme en Irlande aucune loi n’interdisait cet emploi de la force envers le débiteur. L’interdiction des violences ne s’applique pas au créancier qui recourt à la force, qui pratique la saisie à main armée et auquel le débiteur oppose la force et les armes. De la part de ce créancier, le duel est donc licite en droit canonique comme en droit civil.
Les deux parties peuvent aussi, de commun accord, convenir de se battre en duel pour donner une solution à un procès pendant. Dans ce cas, il faut que les deux adversaires, s’exprimant à haute et intelligible voix devant témoins, déterminent les conséquences qu’aura la défaite pour le vaincu, c’est-à-dire, par exemple, restitution d’un objet déterminé au demandeur s’il est vainqueur, ou abandon définitif de cet objet au défendeur, si ce dernier obtient la victoire ; plus généralement fixation de l’objet en litige et de la solution que donnera à la question controversée le résultat du combat. Ce duel, dont une convention préalable a précisé les conséquences, peut être appelé conventionnel. Son nom, en irlandais, a dû être comrac iar curaib bél, « duel après contrat oral » par opposition au « duel sans contrat oral » comrac cen curu bèl, qui n’est régulier que dans le cas spécifié plus haut, de résistance par la force à une saisie faite dans les formes prescrites par l’usage.
Dans le droit irlandais qui paraît ici remonter à une haute antiquité, le duel, en deux circonstances au moins, n’exposait pas le vainqueur à devoir payer la composition financière due pour meurtre et assurait son triomphe dans la contestation pendante ; c’est ce qui avait lieu :
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1° Quand le duel avait été précédé d’un contrat fait avec le consentement de la famille du vaincu et qui avait déterminé les effets juridiques de la victoire ; alors, quel que fût le vainqueur, que ce soit le demandeur ou le défendeur, il ne devait pas de composition pour le meurtre de son adversaire.
2° Quand le duel avait pour cause le refus par le défendeur de laisser procéder contre lui à une saisie dans les formes établies par la coutume ; en ce cas, le demandeur saisissant qui tuait son débiteur ne payait pas de composition s’il avait préalablement mis la famille du débiteur en demeure de lui faire justice.
D’Arbois de Jubainville a signalé l’épisode des Celtibères, nouveaux alliés, bon gré mal gré, des Romains qui, en 206 avant notre ère, fournissent gratuitement à Scipion, installé à Carthagène ; autant de combattants qu’il en faut pour célébrer des jeux funèbres en l’honneur de son père, conformément à l’usage étrusque qui suivait peut-être en cela l’exemple illustre d’Ajax et de Diomède sous les murs de Troie à l’occasion des funérailles de Patrocle.
P. Cornelius Scipio, qui dut plus tard à sa victoire contre Hannibal le surnom d’Africanus, était alors en Espagne, et il y avait obtenu contre les Carthaginois de nombreux succès. Il voulut, à Carthagène, s’acquitter d’un vœu qu’il avait fait pour honorer la mémoire de son père et de son oncle, tous deux tués six ans auparavant, en 212, à la tête d’armées romaines en luttant comme eux, en Espagne, contre les Carthaginois. C’étaient des combats de gladiateurs qu’il avait promis aux dieux. Les gladiateurs des Romains étaient ordinairement des esclaves qu’on achetait, et le plaisir que ces malheureux, se tuant les uns les autres, procuraient aux spectateurs romains, coûtait beaucoup d’argent à celui qui donnait les jeux. Mais Scipion n’eut aucune dépense à faire. Son habileté avait détaché les Celtibères du parti des Carthaginois et leur avait fait embrasser la cause des Romains. Parmi ses nouveaux amis, il trouva gratuitement autant qu’il voulut de guerriers qui lui procurèrent la satisfaction de s’entre-tuer sous ses yeux sans demander d’autre salaire que le plaisir et l’honneur de se battre les uns contre les autres.
Mais les gladiateurs fournis gratuitement par l’ardeur belliqueuse des Celtibères ne combattirent pas tous seulement pour le plaisir et l’honneur, dans quelques-unes des paires en question, le duel avait un intérêt pratique, la gloire du succès n’était pas le seul enjeu : les deux adversaires étaient en procès, et n’ayant voulu ni transiger ni s’en rapporter au jugement d’un arbitre (d’un druide) ils étaient convenus que l’objet en litige serait adjugé au vainqueur. À cette catégorie, aussi étrange que l’autre pour les spectateurs romains, appartenaient deux grands seigneurs espagnols : Corbis et Orsua, tous deux fils de rois. Leurs pères étaient frères et avaient régné l’un après l’autre par ordre de primogéniture : la question était de savoir qui des deux fils devait succéder au dernier mort des deux frères. Le père de Corbis, étant l’aîné, était monté le premier sur le trône ; le père d’Orsua était le second qui avait succédé sur le trône à son frère. Orsua prétendait que le trône était compris dans l’héritage que son père lui transmettait. Corbis, plus âgé qu’Orsua, voulait exercer le droit d’aînesse comme son père en avait donné l’exemple. Scipion fit, pour les réconcilier, d’inutiles efforts ; ils refusèrent d’accepter son arbitrage : « Nous ne voulons, » dirent-ils, « d’autre juge que le dieu de la guerre. » Corbis, grâce à la supériorité de son âge, était plus vigoureux que son cousin. Orsua, dominé par l’orgueil, qui est si souvent la passion principale des jeunes gens, ne se rendait pas compte des chances de succès qu’avait son cousin. Chacun d’eux préférait la mort à l’humiliation d’obéir à son parent. Corbis, plus exercé au maniement des armes, plus adroit et plus fort que son adversaire, n’eut pas de peine à le vaincre et à le tuer. Ce fut donc lui qui obtint la couronne.
Ce duel, si contraire aux mœurs des Romains, frappa vivement leur imagination. Plus de deux siècles après, Valère Maxime, qui écrivait, comme on sait, sous Tibère, en a parlé dans son recueil d’exemples mémorables, et pour rendre l’impiété de ce combat meurtrier plus choquante, il a fait des deux adversaires non pas deux cousins, mais deux frères qui se disputaient la succession paternelle ; l’aîné, suivant Valère Maxime, aurait volontiers suivi les conseils pacifiques de Scipion. Ce serait le jeune qui aurait refusé de les accepter, et sa mort aurait été le juste châtiment de sa perverse obstination.
La partie de l’ouvrage de Valère Maxime où se trouve cet arrangement du récit antique conservé par Tite-Live, date de l’an 32 de notre ère, ou lui est postérieur de peu. Cinquante ou soixante ans plus tard, Silius Italicus, qui écrivait sous Domitien (81-96), embellit plus encore cette anecdote tragique. Il ne se contente pas de faire des combattants deux frères comme Valère Maxime l’avait imaginé : pour rendre leur lutte encore plus horrible, il les fait se tuer l’un l’autre ; il dépeint les deux épées perçant chacune la poitrine qui lui est opposée ; il nous montre les deux frères étendus mourants sur le sol et s’accablant de réciproques injures, à leurs derniers soupirs sont mêlés des cris de haine. On voulut ensuite, dit Silius Italicus, réunir leurs cadavres sur le même bûcher, mais les flammes qui
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s’échappèrent de ces funèbres débris s’élevèrent en se divisant, et les cendres des deux frères refusèrent de reposer dans le même tombeau.
Malgré ce morceau de bravoure digne d’un journaliste ou d’un politicien d’aujourd’hui, Silius Italicus reconnaît cependant que ce duel était conforme aux usages nationaux des deux combattants : une partie des gladiateurs volontaires qui, en 206 avant notre ère, s’entre-tuèrent gratuitement aux jeux donnés par P. Cornelius Scipio à Carthagène étaient en effet des plaideurs qui recouraient au duel conventionnel pour mettre fin à des procès.
Mais ça les Romains étaient incapables de l’imaginer.
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Il va de soi aussi que les jeux funèbres étaient réservés à de grands personnages, puisqu’ils avaient pour conséquence le passage dans l’Autre Monde de la totalité ou d’une partie des antagonistes des combats singuliers ; qui avaient ainsi l’honneur (et cela explique la « gratuité » si appréciée des Romains) d’accompagner, ou de rejoindre, le défunt.
Cela était d’ailleurs le cas aussi à l’autre bout du monde aryen, puisque l’on peut lire dans le 7e livre de la Loi de Manou ; rédigé en 500 avant notre ère, quelque part dans le sud de l’Inde (Mânava-dharma-sastra) ; que les rois ou princes qui, dans les batailles, désireux de se vaincre l’un l’autre, combattent avec le plus grand courage et sans détourner la tête, vont directement au Ciel après leur mort.
L’originalité du druidisme était de ne pas réserver ce privilège aux seuls rois ou princes, mais de l’appliquer à tout guerrier mort au champ d’honneur.
La gladiature romaine classique est un plaisir pervers sans aucune justification que la volupté de voir souffrir et mourir.
Mais à quoi tendaient les jeux funèbres institués par Lug à Tailtiu/Talantio ? À honorer un défunt. Une défunte en l’occurrence. Par des combats durant du lever au coucher du soleil. Ceux-ci avaient peut-être lieu dans des arènes improvisées rapidement creusées puis entourées de gradins de bois (des théâtres).
La thèse de l’historien français Michel Rouche (L’HISTOIRE Nº 30 janvier 1981) est sans aucun doute excessive (« les druides apprenaient aux guerriers à combattre nus… le sang et la mort étaient leurs compagnons habituels »).
Mais que nous dit-il ?
« Cet art n’en restait pas au stade individuel. Il était cultivé jusqu’au stade du groupe. Les jeunes étaient rassemblées par classes d’âge, auxquelles les anciens apprenaient à se battre. Ils étaient complètement coupés de la société des adultes, tant qu’ils n’avaient pas terminé leur apprentissage militaire »…
César explique que les hommes n’admettaient pas d’être abordés dans un lieu public par leurs propres enfants, avant que ceux-ci ne soient en âge de porter les armes. « Ils diffèrent de presque toutes les autres nations en ce qu’ils ne permettent jamais à leurs enfants de les approcher en public tant qu’ils ne sont pas devenus grands au point d’être aptes à prendre les armes ; et ils regardent comme inconvenant pour un fils encore enfant de paraître aux yeux de tous avec son père » (B.G. VI, XVIII).
Ces collèges de jeunes, appelés apparemment hétairies par l’historien grec Polybe, devaient se terminer par un rite de passage qui les intégrait dans la société des guerriers adultes. [N. D L. R : voir l’apprentissage du Hésus = Cuchulainn chez la reine Scathache en Écosse.] Ces collèges, du reste, continuèrent d’exister sous l’autorité romaine, puisqu’en l’an 21, Sacrovir, un noble éduen révolté, parvint à faire se soulever les jeunes de la ville d’Autun, et à leur distribuer des armes qu’ils manièrent aussitôt avec dextérité. Autun avait d’ailleurs aussi des gladiateurs, appelés cruppellarii, qui se joignirent à la rébellion (Tacite. Annales III.43).
Une chose est sûre, et sur ce point Michel Rouche a raison. La facilité avec laquelle les combats de gladiateurs à la romaine s’étaient, en quelques années, répandus dans le pays (il devait y avoir des cruppellarii et donc un ludus à Autun bien avant l’an 21) prouve que cela devait correspondre à quelque chose de très profond.
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Quelque chose comme la gladiature a donc dû être connu des Celtes, puisque le mot irlandais « luchtaire » est glosé par le latin « lanista », ce qui veut exactement dire « propriétaire ou entraîneur d’une troupe de gladiateurs ».
On comprend mieux maintenant le destin du dernier compagnon de Vercingétorix, Luctérios, et celui des soldurs.
« Pendant que l’attention de nos hommes était toute entière engagée dans cette affaire, d’un autre côté parut Adcantuannus/Adiatuanos, qui exerçait le commandement suprême, avec 600 hommes dévoués de sa suite, de ceux qu’ils appellent soldurs (leur statut est le suivant : ils bénéficient de tous les avantages de la vie de ceux auxquels ils ont voué leur amitié. Si quelque malheur leur arrive, soit ils partagent le même sort, soit ils se suicident. Et jusqu’à présent, de mémoire d’homme, il n’est encore jamais arrivé qu’un de ceux qui se sont dévoués ainsi à quelqu’un par un semblable lien, celui-là étant mort, ait refusé de périr aussitôt) » (César. Livre III, 22).
La disparition d’un vrai chef entraîne souvent des réactions paroxystiques de la part de ses lieutenants ou de ses soldats. Les compagnons d’armes s’affrontaient alors autour de la tombe du défunt, les duels tournaient au suicide, mais ces duels celtes ne présentaient aucune originalité particulière. Les hommes combattaient vêtus et armés comme ils l’étaient en temps de guerre.
Chez les Celtibères il s’agissait de jeux impliquant mort d’hommes, mais pour les Étrusques, il s’agissait simplement de sacrifices humains. Ils honoraient la mémoire des morts en égorgeant des prisonniers ou des esclaves.
La première source des combats de gladiateurs « à la romaine » est donc à chercher en Étrurie ; car pour les Romains il ne fut jamais question de combat, terme noble qui ne saurait s’appliquer qu’à des soldats, ou à des hommes, libres, mais de cadeau, de don : munus.
À Rome, les combats de gladiateurs commencèrent donc comme un supplément ou un extra que l’on ajoutait aux célébrations funèbres aristocratiques ; les esclaves, ou parfois les prisonniers de guerre se battaient, sur ordre de leur maître, en l’honneur des morts.
La gladiature romaine primitive n’est qu’un spectacle exotique, bien qu’à connotation religieuse. Si l’on en croit Tite-Live et Valère Maxime (II, 4,7) ; les premiers combats de gladiateurs furent donnés à Rome, au Forum Boarium, un espace à caractère utilitaire et sans prestige, situé près de l’extrémité nord du Circus Maximus, sous le consulat d’Appius Claudius et de Quintus Fulvius [en 264 avant notre ère donc].
Decimus et Marcus, les fils de Brutus Pera, les organisèrent afin d’honorer la mémoire de leur père [le chef de la gens Junia]. Mais ce premier combat fut rapidement suivi par de nombreux autres.
À la différence de la gladiature de type celte, ces premiers gladiateurs romains (bustuari) étaient des prisonniers de guerre capturés en Sicile au début des hostilités contre Carthage.
Avec les années, les combats quitteront le domaine des funérailles pour s’étendre aux célébrations en général. D’abord privées, ces cérémonies devinrent publiques en 105 avant notre ère, avec Marius. À l’origine, un combat de gladiateurs ne présentait guère plus de deux ou trois paires de combattants, mais très vite, il prit des proportions démesurées, limitées par les seules ressources de l’organisateur. C’est pourquoi les plus spectaculaires furent toujours les jeux offerts par les empereurs. Ces munera perdirent progressivement le caractère funéraire et religieux qu’ils avaient à l’origine et devinrent comme les autres spectacles. Il fut interdit d’organiser un munus sans autorisation du Sénat ; d’en donner plus de deux fois par an ; ou de faire paraître plus de 120 gladiateurs au cours d’un même spectacle. Les munera privés passèrent sous le contrôle exclusif de l’État. Seul l’empereur put dépasser les limites fixées. Jules César les concevra comme un moyen de distraction du peuple, ayant pour but d’engranger des voix ou des soutiens politiques. Il avait d’ailleurs sa propre école en Campanie, et fit combattre un jour 700 fantassins, 300 cavaliers ainsi que 20 éléphants montés. Auguste, lui, donna six munera, mettant alors en scène 10 000 hommes, soit dix fois le maximum autorisé ; et des spectacles de chasse ou venatio se trouvèrent intégrés au munus de façon très étroite dès la fin de son règne. Les Romains assistèrent désormais à des spectacles complets, le munus legitimum (ou justum), qui comprenait des combats d’animaux dans la matinée, un intermède à la mi-journée, ainsi que des combats de gladiateurs l’après-midi. Dès lors, les magistrats rivalisèrent afin de donner les jeux les plus magnifiques. Les jeux étaient organisés par des personnalités influentes (outre l’empereur, des sénateurs, de riches marchands, de riches veuves…)
Les occasions étaient nombreuses et variées : dédicace d’un monument, anniversaire de l’empereur ou d’un riche notable, Action de grâce avant ou après une expédition militaire, etc. Si l’organisateur des jeux dépensait de véritables fortunes, il avait en revanche beaucoup à y gagner. Amuser le public lui permettait en effet d’obtenir des suffrages aux élections suivantes (panem et circenses). Mais aux yeux des autorités romaines, la gladiature était quand même plus qu’un simple amusement. Elles y voyaient une école de morale qui trempait le courage et développait le goût des exercices militaires.
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À contre-courant du règne de Tibère, Caligula (37-41) privilégie la gladiature qui, dès lors, fait figure de grand sport romain, à l’image de la boxe (du pugilat) et de la course de chars.
Dans la deuxième moitié du Ier siècle, il fut interdit aux particuliers d’avoir des troupes privées dans la capitale. Seul l’empereur pouvait en avoir. Le magistrat responsable de cette question confiait au propriétaire d’une troupe de gladiateurs (familia gladiatoria) le soin d’organiser les jeux. Celui-ci était désigné sous le nom de « lanista », dérivé de « lanius », mot qui signifiait « boucher ». C’est dire le peu d’estime que les Romains accordaient à sa profession. L’organisation des combats fut réglée par diverses mesures, car ils représentaient une très lourde charge pour la Ville et les magistrats. Les jeux en effet étaient offerts gratuitement au public, et l’on versait des fortunes pour en acheter les vedettes. Marc-Aurèle limita les excès : entre 1000 et 2000 sesterces pour un combattant ordinaire, entre 3 000 et 15 000 pour un combattant d’élite.
Les combattants pouvaient aussi bien être des professionnels aguerris que des novices, des condamnés (criminels, forçats, prisonniers de guerre, des chrétiens fanatiques…), des esclaves ou des hommes libres, sans distinction (ethnique ou sexuelle). Il y eut même des spectacles de gladiatrices improvisées, femmes de sénateur ou de chevalier.
Les combats de femmes, extrêmement rares, n’en étaient que plus recherchés.
Juvénal (VI, 246-260) dans une de ses satires assez misogyne ou sexiste nous montre des gladiatrices à l’entraînement : « Qui ne les a vues, portant de lourdes endromides *, athlètes frottés d’huile, et de sueur humides, un bouclier au poing, avec le dur épieu, dans les règles de l’art saper un large pieu ? Matrones, en effet, plus dignes que personne d’entrer aux jeux Floraux, quand la trompette sonne.
Qui sait ? déjà peut-être, ambitieux vainqueurs, la véritable arène appelle ces grands cœurs.
Quelle pudeur, hélas ! peut-elle avoir encore, la femme combattant sous le casque sonore ?
Mais de sexe avec nous voudrait-elle changer ?
Non ! Le plaisir de l’homme est fade et passager !
Quelle gloire pour toi, si ton épouse chère mettait son baudrier, son aigrette à l’enchère, et ses lourds gantelets, et le souple rempart qui de sa jambe gauche enveloppe une part !
Quand elle aura couru les palestres latines, quel bonheur ! tu verras adjuger ses bottines.
Voilà celle pourtant que brûle jusqu’aux os un léger vêtement de soie, aux fins réseaux ; celle que fait suer la cyclade flottante.
Vois comme elle gémit, robuste et palpitante, en assénant les coups qu’on lui montre à porter !
Oh ! comme sous le casque on l’entend haleter !
Vois sa gorge, et l’armure épaisse qui l’enferme ; comme, sur les jarrets, elle est assise et ferme !
Et ris, lorsqu’un besoin impérieux et bas la force à détacher l’appareil des combats…
Filles des Métellus, des Gurgès, des Lépides, parlez ! des mirmillons les femmes intrépides, l’épouse d’Asylus a-t-elle ce manteau ? Fait-elle sous l’épieu retentir un poteau ? »
Sous le règne de Néron, en 63, des gladiatrices parurent pour la première fois dans l’arène. « Il y eut la même année des spectacles de gladiateurs aussi magnifiques que les précédents. De nombreuses femmes distinguées ainsi que des sénateurs se déshonorèrent d’eux-mêmes en descendant dans l’arène » (Tacite, Annales, XV, 32).
Et un passage de Pétrone cite le cas d’une femme essédaire (Satyricon, XLV, 7 : une femme combattant sur un char).
Les paires de gladiatrices semblent avoir été particulièrement appréciées sous le règne de Domitien. Ces amazones bien en chair étaient aussi des femmes de caractère. Plusieurs se produisirent pendant les Jeux décennaux de Septime Sévère où elles combattirent avec ardeur, injuriant au passage l’aristocratie installée dans la loge. Devenues source de désordre et de troubles, l’empereur dut les proscrire de l’arène par un édit datant de l’an 200.
Les forçats et les prisonniers de guerre, particulièrement aguerris pour avoir survécu à des années de lutte et de souffrance, étaient les plus recherchés. Le plus souvent originaires de contrées lointaines (Germanie, Numidie, Thrace…) ils étaient volontaires pour suivre cette carrière.
Le gros des troupes était donc formé par des hommes de naissance servile et des prisonniers de guerre ayant opté pour la carrière mouvementée de l’arène, ou qui avaient été vendus contre leur gré au laniste (entraîneur d’une troupe de gladiateurs). Hadrien interdit la vente d’esclaves aux écoles de gladiateurs et Marc-Aurèle étendit cette mesure aux chasseurs (venatores).
Les hommes libres qui choisissaient la carrière de l’amphithéâtre étaient néanmoins plus nombreux que nous ne l’imaginons généralement.
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À la fin de la République, le personnage de « l’engagé », l’auctoratus, apparaît fréquemment dans les « atellanes », farces bouffonnes d’origine osque, très prisées à Rome. Au moment de son incorporation, l’homme libre passait avec le laniste ou maître des gladiateurs un contrat (auctoratio) pour une durée déterminée. L’origine de cette pratique remonte à la haute époque républicaine, au temps où les puissantes gentes qui dominaient Rome, avaient des armées privées. La formule du serment des gladiateurs nous a été conservée par plusieurs textes et en particulier par un passage de Pétrone : «… Nous jurâmes entre les mains d’Eumolpe de nous laisser brûler, emprisonner, bâtonner, massacrer, et de faire toutes les autres choses qu’il pourrait nous ordonner, comme des gladiateurs légalement engagés qui, par un serment sacré, se sont livrés corps et âme à leur maître » (Pétrone, Satyricon, 117).
Le nouveau gladiateur reconnaissait donc au laniste un droit d’emprisonnement voire de torture, en cas de désobéissance.
À côté de ces hommes que la pauvreté ou la ruine condamnaient aux jeux du glaive, il y avait aussi des gladiateurs d’exception. Dès 46 avant notre ère des chevaliers romains ont combattu dans l’arène. Octave, en – 29, offrit un munus où parut pour la première fois un sénateur, Q. Vitellius. En l’an 2, les chevaliers reçurent officiellement le droit de se faire gladiateurs, mais cette décision fut mal acceptée. Tibère refusa d’assister à un combat opposant deux d’entre eux. Néron favorisa la descente massive des aristocrates dans l’arène : 400 sénateurs et 600 chevaliers s’y affrontèrent en 57. Les fastes gladiatoriaux nous apprennent aussi que Titus lui-même livra un combat à Reate, lors d’une fête de la jeunesse locale. Quant à Commode, les sources convergent pour affirmer qu’il était plus gladiateur qu’empereur. Mais tous ces affrontements se déroulaient avec des armes inoffensives, différence essentielle qui les distinguait des véritables combats.
L’empereur – le plus important des munéraires (latin munerarius)— possédait un grand nombre de gladiateurs, à Rome, et partout là où s’organisaient des jeux en son nom. L’Empire était divisé en districts dirigés par des procurateurs équestres, chargés d’enrôler puis d’entraîner les futurs gladiateurs, pour 60 000 sesterces par an.
Les gladiateurs étaient soumis à un entraînement sévère dans des écoles spéciales (ludi gladiatori), privées d’abord, puis impériales à partir de Domitien.
Les Grecs adoptèrent également ce sport martial, mais la gladiature ne fut pas pratiquée partout dans l’Empire, en Égypte et au Moyen-Orient notamment, où l’on se contenta, au contraire des pays celtes, des courses de chars, le sport par excellence de l’Antiquité.
* Endromide. Le nom n’est pas celte, mais ce genre de manteau l’est assurément. Il s’agit du manteau porté après un exercice physique. Peut-être s’agissait-il d’une gladiatrice d’origine celte.
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NOTES SUR LE CAS DES CHRÉTIENS.
Première chose à garder en tête : les gladiateurs sont des volontaires ; leurs combats ne se confondent pas avec les supplices infligés dans l’arène. Les vrais gladiateurs ne sont ni des condamnés ni des combattants forcés. Ce qui contribue à brouiller nos idées sur le volontariat des gladiateurs est ce qu’on appelle la condamnation à l’arène : certains coupables qui avaient été condamnés à la peine capitale étaient déguisés en gladiateurs et contraints de se battre entre eux, ou encore ils étaient mis en face de vrais gladiateurs qui les tuaient à coup sûr.
Nous allons donc tenter de démêler ces contradictions, sans entrer dans le détail des faits, qui sont bien connus, quitte à en proposer parfois une autre interprétation, que nous qualifierons volontiers de révisionnisme païen ou laïciste.
La plupart des gladiateurs sont des hommes de naissance libre, qui se sont engagés par choix ; il y a aussi des esclaves, mais qui ne sont pas là par simple obéissance : il y faut une vocation. La raison en est simple : avec des combattants forcés, le spectacle aurait été médiocre. On peut épiloguer à l’infini sur leur liberté de choix, incriminer l’institution ou les spectateurs, mais, pour l’instant, répétons que, si les gladiateurs se battent, c’est, comme les toreros, parce qu’ils le veulent bien. Dans une lettre célèbre, le philosophe Sénèque raconte que, voulant se reposer de ses efforts pour agir en sage, il était allé se distraire à voir combattre des gladiateurs, distraction qui lui paraît tout à fait saine ; en revanche, sa haute conscience fut scandalisée de constater qu’il y avait foule pour se repaître aussi du spectacle des supplices dans l’arène. Entre les gladiateurs et les supplices, Sénèque fait la distinction qu’on peut faire entre la corrida et les abattoirs.
Seconde chose à garder présent à l’esprit : un combat de gladiateurs n’est pas un duel dont l’issue serait décidée par le sort des armes, un des duellistes finissant par être blessé, voire tué, c’est un match où celui des combattants qui est terrassé ou qui se déclare vaincu est soit gracié, soit délibérément et solennellement égorgé par son adversaire, sur la décision des spectateurs ; cette décision sur le sort d’un homme à terre est la vraie sanction du match. Le moment de l’égorgement est le sommet du suspense. Ce meurtre, qui à nos yeux d’hommes modernes signe le comble de l’étrangeté de l’institution, était entouré de tout un cérémonial : annonce solennelle, manifestations du public, attente, décision du mécène qui donne le spectacle, sonneries de trompettes. Le gladiateur vaincu mettait son point d’honneur, dit Cicéron, à mourir en beauté, sans broncher au moment de recevoir le coup mortel.
D’un autre côté l’image du chrétien jeté aux lions, abondamment développée par la littérature et le cinéma depuis le roman de Sienckiewickz, Quo Vadis ? laisse à croire que les peines infligées aux chrétiens, à l’occasion de leurs répressions sous l’Empire romain, les condamnaient massivement aux châtiments infamants que constituait, aux yeux des Romains, la condamnation aux bêtes ou aux jeux du cirque (damnatio ad bestias ou damnatio ad ludum).
Or, loin d’avoir fourni à ces jeux du cirque une masse considérable de victimes, et bien que n’admettant pas la taquiya * pour passer au travers des mailles du filet, les chrétiens semblent avoir en grande partie échappé à ce type de peine. Cela ne signifie nullement que les exécutions de leur condamnation à mort n’avaient pas lieu parfois dans les édifices de spectacle, dont on connaît les fonctions polyvalentes dans les cités antiques.
De fait, comme le rappelaient Christophe Hugoniot, historien spécialiste de l’époque romaine, et Paul-Albert Février dans leur exposé intitulé « Les chrétiens dans l’arène » (in Spectacula I. Gladiateurs et amphithéâtres, Actes du Colloque de Lattes, 1990, p. 265-273) les actes de martyrs dont l’authenticité ne fait pas de doute montrent le petit nombre de chrétiens condamnés aux arènes. Les victimes les plus illustres, Germanicus, exposé aux fauves lors du martyre de Polycarpe à Smyrne sous Trajan, les célèbres martyrs de Lyon en 177, Perpétue, Félicité **, Sature et Révocat en 203 à Carthage, ont certes laissé un souvenir vivace dans la mémoire et le calendrier martyriel des communautés chrétiennes, mais cette célébrité est d’autant plus trompeuse qu’elle s’inscrit dans un contexte différent de celui des vraies persécutions. Les chrétiens, avant l’édit de Dèce, étaient condamnés presque uniquement sur dénonciation, et les gouverneurs de province ne cherchaient pas à les poursuivre systématiquement, ce qui ne les empêchait pas, en cas de délation ou d’émeute publique, d’instruire leur procès et de prononcer la sentence en vertu de leur pouvoir de cognitio extra ordinem. Reconnus coupables de christianisme, ce qui était alors un forfait, ainsi que l’atteste la célèbre phrase de Pline le Jeune dans sa lettre à Trajan sur les chrétiens de Bithynie, ils étaient exécutés seulement s’ils refusaient de se rétracter en offrant un sacrifice, d’encens le plus souvent, devant l’image de l’empereur. Dans un christianisme minoritaire et élitiste où la recherche du martyre s’accompagnait de
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la croyance en la fin des temps, ces chrétiens héroïques laissaient un beau souvenir de leurs exploits dans la mémoire de leurs compagnons et leur fournissaient une référence exemplaire face au monde païen. Ils étaient peu nombreux, et de plus, tous n’avaient pas droit à une mort aussi spectaculaire, car beaucoup étaient exécutés plus sobrement, comme les martyrs africains de Scilli en 180, qui furent décapités tout simplement. La généralisation des mesures antichrétiennes à partir de Dèce (249-251), qu’explique la montée des crises dans l’Empire ne signifie pas pour autant que les chrétiens furent conduits ensuite massivement dans les arènes. Sur la masse des noms que livrent l’Histoire ecclésiastique et l'Histoire des martyrs de Palestine d’Eusèbe de Césarée se dégage un tout petit nombre de chrétiens condamnés aux bêtes, comme Prisque, Malch et Alexandre sous Valérien (257-258) ou les condamnés de Tyr et d’Émèse lors des persécutions consécutives aux édits de Dioclétien (303-304).
Cette faible contribution des chrétiens au nombre des victimes s’explique par la disparition progressive, du IIIe au IVe siècle, de la damnatio ad bestias et de la damnatio ad ludum au profit de la mort sur le bûcher (crematio). Il faut y voir en réalité une aggravation du système pénal au Bas-Empire, car, des peines infamantes réservées en théorie aux esclaves, aux affranchis et depuis très tôt aux citoyens romains de condition modeste (humiliores), et qui formaient le summum supplicium, celle du bûcher passait pour être la plus dure. C’est ce que dit le juriste sévérien Ulpien dans le De poenis. Alors que la condamnation aux bêtes, qui concernait brigands, transfuges, assassins, incendiaires, ravisseurs, faussaires et sacrilèges, était la plus fréquente, et cela à cause de sa relative modération, elle cède le pas à la crucifixion pendant l’époque tétrarchique, puis au bûcher à partir des années 340.
Esclaves et affranchis furent de plus désormais les seuls concernés par les arènes, les humiliores bénéficiant désormais d’une mort plus rapide par décapitation. Deux faits significatifs corroborent cette évolution : Polycarpe de Smyrne, martyrisé entre 155 et 170, avait été, au cours de l’exécution de la sentence, menacé par le proconsul d’être jeté aux bêtes s’il ne se rétractait pas ; devant son refus d’abjurer, le gouverneur alourdit la peine et le condamna au bûcher. Deuxième fait : en 353, des prisonniers isauriens furent encore jetés aux bêtes à Iconium de Pisidie, mais Ammien Marcellin avoue que c’était passé de mode (praeter morem). Les condamnés aux bêtes à cette date étaient en majorité des prisonniers capturés pendant les opérations militaires.
Or, il est frappant de constater que l’imaginaire chrétien subit le contrecoup de ces transformations pénales. Dans les actes des martyrs, ainsi que dans les premiers écrits patristiques, de nombreuses métaphores assimilaient la vie du chrétien, et plus encore ses souffrances face à l’hostilité des païens, au bon combat (agôn) mené pour la foi. Ces images avaient été forgées par l’apôtre Paul et s’inspiraient du monde des concours qu’il avait connu pendant son séjour à Corinthe et dans les cités d’Asie Mineure. Les chrétiens étaient assimilés dans ses lettres à des athlètes combattant ou courant pour obtenir de l’agonothète divin une palme et une couronne immortelles, à la différence des récompenses périssables qui étaient remises immédiatement aux vainqueurs des concours après leur victoire. Cet héritage paulinien a d’ailleurs laissé des marques dans la littérature chrétienne de langue latine, car ces métaphores sont aussi présentes dans l’œuvre de Tertullien… Le récit grec de la Passion de Perpétue montre que le songe de la pieuse martyre avant son exécution avait été inspiré par les épreuves des Jeux pythiques de Carthage, introduits peu de temps auparavant dans la capitale africaine avec la permission de Septime-Sévère et calqués sur son prestigieux modèle delphique (Karen E. Ros). Perpétue rêve en effet qu’elle affronte un lutteur égyptien géant champion de pancrace. Introduite dans le stade par un diacre, Pomponius, qualifié d’eisagogue, c’est-à-dire d’huissier, elle reçoit après sa victoire le prix d’un agonothète qui n’est autre que le Christ lui-même, et qui porte un habit de cérémonie avec bandes de pourpre, des chaussures brodées d’or et d’argent, et tient une baguette à la main : l’auteur du récit grec confond ici l’agonothète, qui organise les épreuves à ses frais, le brabeute, qui remet les prix, et le mastigophore, qui donne des coups de baguette aux athlètes en cas de faute grave. Elle reçoit de ses mains un rameau chargé de pommes d’or, récompense traditionnelle des Jeux pythiques. L’imaginaire des concours grecs imprègne donc les premiers récits de martyrs, même s’ils étaient exécutés dans le cadre de l’amphithéâtre, ce qu’on peut expliquer par l’influence de l’hellénisme culturel sur les premières communautés chrétiennes de l’Occident romain et aussi par le refus littéraire d’emprunter au monde des bourreaux leur vocabulaire ludique. La souffrance n’est pas un jeu.
Le vocabulaire de l’identité chrétienne venait d’un monde culturel différent de celui des jeux romains. La généralisation des répressions provoque le changement de ces métaphores chez les auteurs latins. L’évolution est surprenante à plus d’un titre. Alors que le nombre des victimes augmente (même si elles ne sont quasiment plus condamnées aux bêtes), les images agonistiques, sans vraiment
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disparaître, se banalisent dans les écrits patristiques postérieurs. On peut y voir, avec l’aggravation des peines encourues par les chrétiens que constituent la crucifixion et surtout le bûcher, la contamination de la métaphore agonistique par des images plus martiales, presque militaires, du martyre chrétien consécutif à l’absence de taquiya chez les montanistes. C’est le cas chez Cyprien de Carthage, témoin direct et plus tard victime lui aussi, après y avoir échappé dans un premier temps, du durcissement de la politique impériale au milieu du IIIe siècle. Dans son œuvre, la comparaison des souffrances des martyrs chrétiens avec l’agôn devient sobre, sans raffinement littéraire précis, et renoue avec l’imagerie paulinienne. Toutes les peines infligées aux chrétiens sont d’ailleurs comparées à un agôn, et Cyprien, s’inspirant là aussi de Paul, glisse souvent de la comparaison agonistique à la comparaison militaire, comme tous les autres pères, fidèles en cela à la mentalité antique qui mettait sur le même plan la valeur militaire et celle de l’athlète. L’extension du champ sémantique de l’agôn va toutefois chez Cyprien de pair avec son appauvrissement, car ces métaphores perdent le caractère technique et précis qu’elles avaient chez Tertullien. Est-ce le petit nombre des chrétiens jetés aux fauves au IIIe siècle, est-ce l’oubli progressif de la culture sportive chez les auteurs chrétiens de langue latine ? Toujours est-il que ces splendides métaphores perdent ensuite encore plus de leur vigueur. Deux auteurs chrétiens de la fin du ive siècle, Augustin d’Hippone et Ambroise de Milan, illustrent cette évolution.
Ambroise de Milan est des deux celui qui conserve le plus fidèlement l’image du combat agonistique au ive siècle. La disparition du martyre depuis l’édit de tolérance de Galère en 311 l’amène toutefois, fort logiquement, à faire de l’agôn chrétien une lutte athlétique ou une course qui concerne avant tout le chrétien engagé contre le Diable et voué à mener une vie sans tache. La polysémie de l’image se restreint donc. Le fidèle baptisé ou le catéchumène vivent en effet, en cette fin de siècle, dans un christianisme de masse où la tiédeur, c’est le moins qu’on puisse dire, domine les comportements. Le conservatisme littéraire chez Ambroise, cette réserve faite, est indéniable.et la précision technique reste chez lui très grande :
Augustin est par contre beaucoup plus vague. Dans ses sermons, les chrétiens mènent pendant leur vie sur terre un combat qui est certes emprunté à l’agôn paulinien, mais Augustin oublie la course et préfère parler seulement des épreuves de boxe (lutte, pancrace, pugilat) et il utilise le terme de certamen de préférence à agôn, parfois pugna, proelium, lucta, plus rarement pancratium ou pugillatus. Augustin fait de ce combat une lutte toute spirituelle : il insiste sur l’action même de la lutte, l’athlète encaisse et donne des coups (ferit, percutitur) sous le regard de l’agonothète divin.
Augustin recourt aussi au munus de l’amphithéâtre. Si Cyprien avait déjà utilisé ce terme dans un sens métaphorique ; il est le premier à le faire de façon aussi systématique. L’ambiguïté du terme, qui désigne à la fois un présent et un combat de gladiateurs (cadeau par excellence), dont le sens s’est enrichi avec les siècles et finit par désigner les spectacles offerts par un évergète, permet à Augustin de faire de ce munus un spectacle offert par Dieu, dont le chrétien est à la fois le combattant et le spectateur sous le regard divin, mais il s’agit d’un spectacle vidé de toute cruauté, non-sanglant et spirituel, dans lequel le fidèle lutte là encore contre le Diable pour mener une vie digne de ses engagements baptismaux. Dans son sermon 9, le chrétien est même comparé à un chasseur d’arène (venator ou bestiarus), qui joue avec sa cithare comme d’un arc pour abattre à la lecture des Dix Commandements ces bêtes fauves que sont les péchés humains ????????????????
Comment expliquer cet attiédissement de l’univers culturel agonistique et cette banalisation de l’arène, sinon des spectacles en général, dans le corpus des sermons augustiniens ? Plusieurs explications sont possibles. Pour ce qui est de l’oubli des concours grecs, on peut y voir une méconnaissance d’Augustin, liée à leur disparition progressive à la fin du ive siècle, mais ce serait oublier que l’évêque d’Hippone avait participé, dans sa jeunesse tourmentée, à un concours de tragédie à Carthage. Il y a fort à parier que cette épreuve faisait partie du concours pythique carthaginois, dont les épreuves semblent avoir été restaurées dans les années 380. On peut également penser, compte tenu de l’immense culture d’Augustin, une forme d’affèterie. Le choix restrictif du pugilat peut aussi s’expliquer, par le succès du récit de la passion de Perpétue dans la liturgie africaine ** et, in fine, par la popularité des combats de boxe, bien attestés au IVe siècle. Quant au recours au vocabulaire de l’amphithéâtre, relativement nouveau dans la patristique latine, il faut peut-être prendre en compte la disparition du martyre chrétien organisé dans le cadre de l’arène, qui n’avait à vrai dire jamais été très fréquent, pour justifier cette banalisation sémantique de l’amphithéâtre chez les pères latins (ce qui n’empêche pas Augustin, comme tous les autres auteurs chrétiens, d’en condamner vivement les spectacles au nom de la morale). Or, l’oubli du cadre des martyres est d’autant plus évident à cette époque que les condamnations aux bêtes disparaissent quasiment des arènes au IVe siècle, on l’a vu, pour laisser la place aux chasses fictives ; de plus, la gladiature disparaît également en Afrique très tôt – davantage
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pour des raisons financières, d’ailleurs, que morales. Les spectacles de l’amphithéâtre, s’ils sont toujours explicitement condamnés par les auteurs chrétiens, perdent donc de leur caractère sulfureux. Toutes ces raisons expliquent qu’il était dès lors plus acceptable de comparer la vie chrétienne aux combats de pugilistes africains et même aux combats de l’arène (munera), qui se résumaient en fait, dans les amphithéâtres africains à la fin du ive siècle, aux prouesses sportives des chasseurs ou à la mise à mort des fauves, et se rapprochaient donc des exploits des athlètes grecs. À vrai dire, le syncrétisme culturel au IVe siècle était tel dans l’Empire romain que la distinction entre esprit agonistique et esprit ludique, entre Romains et Grecs, n’avait plus guère de pertinence, dans un univers culturel où dominait la variété des plaisirs offerts par l’Empereur dans ses capitales ou les évergètes dans leurs cités.
Le combat du chrétien se transforme en tout cas à l’aube du Ve siècle et perd son caractère purement agonistique. De plus, la concurrence des fêtes chrétiennes et des spectacles païens amène Augustin à transformer ces images. Dans une société chrétienne massivement convertie ou en passe de l’être, qui a oublié les temps héroïques, les auditeurs d’Augustin ont bien besoin d’être retenus dans les églises (basiliques) lorsque par malchance un spectacle est organisé le même jour. En outre lors des fêtes des martyrs (natales martyrum), ces chrétiens « de Pâques » *** ne se comportent pas toujours comme des chrétiens exemplaires : une fois la cérémonie terminée, les repas organisés sur le tombe du pieux martyr (memoria) se transforment rapidement en beuveries et débauches. La vie chrétienne n’a plus rien du combat valeureux que Paul avait mené jadis.
Aussi, Augustin prend prétexte de la lecture des Actes des martyrs, qui avait lieu pendant leurs fêtes après celle de l’évangile, pour susciter l’intérêt de ses auditeurs et leur offrir dans ses homélies des spectacles spirituels, tel un évergète : cette particularité liturgique de l’Afrique romaine facilite le glissement sémantique qui transforme l’agôn chrétien traditionnel en un spectacle spirituel de type romain (munus ou spectaculum), qui doit se substituer aux spectacles païens et aux comportements indignes lors des fêtes chrétiennes. « Comparez, à ces saints spectacles les voluptés et les délices des théâtres. Là les regards sont souillés, ici le cœur est purifié ; ici, on peut louer le spectateur, s’il est imitateur, là, même le spectateur est ignoble, et l’imitateur infâme. J’aime les martyrs, je contemple les martyrs : quand on lit les passions des martyrs, je suis au spectacle » (Sermon 301 a).
L’évêque d’Hippone restreignait toutefois le champ de ses comparaisons et préférait limiter au théâtre ses artifices : l’exécution des martyrs dans le cadre de l’arène avait été de toute façon peu fréquente, on l’a vu, aussi cherchait-il à relever le niveau culturel de ces spectacles spirituels en commentant de façon dramatique, tel un coryphée, les Actes des martyrs, et même en usant de jeux de mots qui suscitaient rires et applaudissements de son auditoire, il compare par exemple la technique de l’opus quadratum au martyre de Quadratus, l’évêque martyr d’Utique exécuté dans des circonstances obscures avec ses compagnons de la Massa Candida . L’évêque, en quelque sorte, était resté de marbre pendant sa passion. Ou il rapproche la patience de ses auditeurs, qui étaient restés debout pendant la très longue lecture des actes du martyre de Vincent, de celle du martyr lui-même.
Note de l’auteur de cette compilation. Il est intéressant, à deux siècles d’intervalle (Augustin est mort en 430), d’observer le décalage entre la souffrance des victimes de ces répressions et l’expression de cette souffrance chez Augustin : au refus initial des communautés chrétiennes en Occident de relater la mort de leurs proches avec les mots du contexte culturel des païens et donc au recours à un univers culturel différent plus prestigieux pour le faire, succède finalement un discours déconnecté de la réalité , le combat des martyrs est devenu un spectacle (édifiant) pour le chrétien. Pour en savoir plus sur la réalité ou pas des persécutions anti-chrétiennes, voir nos essais 30, 31 et 32.
*Ces martyrs étaient en fait des fanatiques montanistes. Des Taliban chrétiens en quelque sorte. Des parabolani.
** Les Actes du martyre de Perpétue et Félicité nous sont connus par deux textes, un grec et un en latin, peut-être dû à Tertullien. Traduction Herbert Musurillo.
*** Analogues aux juifs de Kippour qui ne se comportent en juifs qu’à l’occasion de cette grande fête annuelle.
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LA GLADIATURE SUITE.
LA COMPOSITION DES PAIRES OU APPARIEMENT.
Car les gladiateurs vont toujours par deux et n’ont d’intérêt qu’apparié.
Offrir au public un spectacle de gladiateurs ayant fini par devenir le point d’orgue d’une carrière publique, les Romains diversifièrent leurs équipements.
Même l’éthique barbare (Fir Fer) exigeait d’ailleurs que tout combat singulier se fasse avec une certaine égalité d’armement et sans attaque par surprise (il devait être précédé par une déclaration en bonne et due forme).
Deux grandes règles présideront donc à l’appariement : opposer des hommes de force égale ou à peu près, afin de soutenir l’intérêt des spectateurs tout au long du duel ; et sauvegarder pourtant, autant que faire se peut, les meilleurs combattants, dont le sacrifice serait trop coûteux. Les collèges de magistrats, qui n’ont aucune raison, n’ayant aucun profit personnel à en retirer, de laisser égorger les gladiateurs loués pour le temps du spectacle, essaient donc toujours de réduire la casse, et les frais inhérents.
Sous la République, un gladiateur avait neuf chances sur dix de ne pas mourir dans l’arène.
Mais les caprices du sort et le hasard pouvaient à chaque instant déséquilibrer (ou rééquilibrer) les chances.
Le sommet de l’art la composition consiste évidemment à opposer savamment les contraires.
Certaines paires constituent des attractions classiques que l’on doit toujours produire. C’est le cas de la paire rétiaire-mirmillon, reconstituant l’affrontement primordial du pêcheur et du poisson, qui a succédé à l’association originelle : rétiaire-gaulois.
Mais à l’affrontement celtique primitif de deux hommes semblablement armés ou protégés, usant d’une technique identique, les Romains substituèrent des duels entre combattants ne possédant ni les mêmes armes ni la même tactique.
Il y eut donc une différenciation progressive de ces types de gladiateurs, désormais divisés en catégories n’utilisant plus les mêmes armes ni les mêmes techniques de combat.
Le principe était simple : opposer un gladiateur lourd à un gladiateur léger, le suréquipement de l’un, qui entravait ses mouvements et le ralentissait autant qu’il le protégeait, compensant la vulnérabilité de l’autre, découvert, mais plus véloce, donc plus difficile à toucher.
Ces deux catégories de base, qui purent ensuite se subdiviser, constituèrent le prototype de ce qui sera le grand spectacle classique de la gladiature romaine : l’affrontement du Samnite et du Gaulois.
L’engouement du public allant grandissant, les combats se firent plus nombreux, et se perfectionnèrent, les équipements évoluèrent afin d’atteindre le parfait équilibre entre gladiateurs lourds et légers. Le Samnite empruntait ses armes et ses techniques aux farouches montagnards du Samnium. C’était un gladiateur lourdement équipé (casque, épée, bouclier, jambières).
En face de lui [le gladiateur de type celte ou gésate] un homme nu, ou pratiquement, sans armure, sans jambière, sans casque, rendu effrayant par le port d’une barbe hirsute et d’une longue chevelure attachée par un bandeau ; n’ayant pour toute protection que son bouclier, son épée, mais aussi une capacité redoutable à s’en servir, à grand renfort de gestes amples, de moulinets du bras, et d’un jeu de jambes dont son adversaire alourdi était bien incapable.
Tel quel, il figurait de manière assez fidèle le guerrier celte habillé uniquement de ses armes et de ses bijoux [les gésates] que les Italiens épouvantés avaient vus, dans le courant du IVe siècle, avant notre ère, déferler sur la péninsule et notamment à Télamon, en 225. Les statues des Galates de Pergame nous présentent d’ailleurs aussi des combattants celtes complètement nus.
C’est donc une revanche sur la honte et la peur éprouvées jadis que Rome prend ainsi en exhibant dans l’arène, d’abord d’authentiques prisonniers de guerre celtes, puis des hommes de toutes origines, déguisés en guerriers celtes.
Ce qui fait un bon gladiateur, les lanistes ou lucterios le savent bien, ce sont, certes, les qualités physiques, l’entraînement que ces prisonniers possèdent. C’est éventuellement, un tempérament de tueur. Mais c’est avant tout une volonté acharnée de survivre, donc de vaincre. Ou paradoxalement, un désespoir qui fait mépriser le danger voire la mort. Qu’ils soient l’un ou l’autre, les guerriers barbares vaincus ont l’étoffe des héros de l’arène.
Ces hommes, exercés au maniement des armes, combattant avec des techniques et des panoplies étrangères, donc propres à piquer la curiosité du public, étaient plus aptes que d’autres à la gladiature. La plupart d’entre eux ont intérêt à suivre la formation de gladiateur. Ils le savent. S’ils
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survivent dans l’arène, ils ont une chance, sérieuse, de recouvrer un jour leur liberté. C’est pourquoi être vendu à un laniste ou lucterios n’est pas, du moins à leurs yeux, la pire chose qui puisse leur arriver.
L’escrime des gladiateurs était spectaculaire et très éloignée de la pratique militaire. Une partie de cette escrime relevait de techniques assez similaires à celles des catcheurs modernes, très impressionnants, mais qui, en principe, savent éviter de se blesser ou de blesser l’adversaire.
Un bon gladiateur ne blesse pas gravement son adversaire, à moins qu’il n’ait l’intention de l’achever à la fin du combat. Un gladiateur estropié à vie, ou qui mettra des mois entiers à se remettre, est une charge dont aucun laniste ou lucterios ne souhaite s’encombrer.
L’escrime gladiatorienne, quelles qu’en soient les armaturae, avait un but essentiel : distraire le public. Vaincre n’était, finalement, qu’accessoire. L’enseignement gladiatorien tendait donc à former des combattants aux techniques spectaculaires, impressionnantes, efficaces dans la mesure du possible, mais capables d’éviter les trois tares de la profession : estropier l’adversaire, le tuer accidentellement, ou gagner trop vite. Un combat expéditif, réglé en quelques minutes, n’avait aucun intérêt, aucun suspens ; il gâchait le plaisir des parieurs. Il fallait que ceux-ci aient le temps de vibrer, de s’enthousiasmer, d’espérer, d’avoir peur…
L’apparente disproportion des forces, corrigée dans la réalité, chaque combattant disposant d’avantages et de désavantages qui s’équilibraient, leur laissant donc en principe des chances égales, conférait au duel une certaine variété, une intensité dramatique. L’évolution était parvenue à son terme : le jeu sacré des origines s’était transformé en simple spectacle. Il n’était plus qu’un plaisir laïc, récupéré, utilisé par les vivants à des fins politiques.
N.D.L.R. Les combats en troupe dits catervatim. Les gladiateurs qui combattent en groupe sont appelés catervarii pugiles.
La mode, à la fin de la République, était d’organiser des reconstitutions historiques, des simulations de batailles célèbres à échelle réduite. L’abondance des prisonniers de guerre facilitait ces mises en scène.
Jusque sous le règne du très chrétien Théodose, Rome n’eut en effet aucun scrupule à liquider massivement des prisonniers de guerre dans des évocations réalistes des guerres puniques ou de l’écrasement des révoltes bretonnes (Boadicée). Enfin bref de tous les grands succès qui jalonnaient son histoire.
Dans ces spectacles, les armes celtes tiennent souvent la vedette. C’est que les Romains ont très tôt détourné le penchant belliqueux des Celtes (voir Michel Rouche) pour le mettre en scène dans les arènes. Les représentations de batailles données par les essédaires * (l’une des quatre spécialités celtes), des combattants montés sur un char, devaient susciter la curiosité, mais aussi déclencher de grandes émotions collectives, la femme celte étant associée aux activités guerrières, aux antipodes de la femme romaine si l’on en croit les satires de Juvénal.
Lors de la célébration de son triomphe en – 46, César donna des jeux éblouissants, et notamment donc des combats de gladiateurs.
Les chasses (venationes).
« Il existe une troisième espèce faite de ces animaux que l’on appelle auroch. Ils sont un peu plus petits que l’éléphant pour ce qui est de la taille, et ont l’apparence, la couleur ainsi que la forme, d’un taureau. Leur force et leur rapidité sont extraordinaires, ils n’épargnent ni l’homme ni la bête sauvage. On les capture non sans peine dans des fosses et on les tue. Les jeunes gens s’endurcissent et s’entraînent donc avec ce genre de chasse. Ceux qui ont tué le plus grand nombre de ces urus, après en avoir produit les cornes, en guise de preuves, reçoivent de grands éloges. Même capturés très jeunes on ne peut pas les domestiquer ni les apprivoiser. La taille, la forme, et l’apparence de leurs cornes diffèrent beaucoup de celles de nos bœufs. Elles sont très recherchées : serties d’argent sur les bords, elles servent de coupe lors de leurs plus somptueux festins » (César, B.G. Livre VI, XXVIII).
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Les dompteurs faisant s’affronter des animaux ou affrontant eux-mêmes des animaux, étaient appelés des bestiarii (singulier bestiarius).
* Les gladiateurs combattants sur des chars de guerre étaient appelés alors essédaires (du celto-latin essedum). Il s’agissait souvent de femmes d’ailleurs. Ceux qui participaient à des simulacres de chasse étaient appelés venatores. La venatio primitive se bornait à restituer des techniques de chasse classiques, au javelot, à l’épieu, à l’arc.
Les fouilles effectuées ont permis de mettre au jour les vestiges de cinquante amphithéâtres (Lyon, Autun, Grand, Senlis, Vienne, Orange, Arles, Néris, Sanxay, Avenches, Drevant, Chennevières…). Il en existait au moins quinze autres que l’on n’a pas retrouvés. Ce qui équivaut donc au quart de tous les amphithéâtres connus dans le monde romain. On est en droit de supposer que ces amphithéâtres furent d’abord réservés aux chasses, un spectacle qui exigeait des infrastructures particulières.
Les chasses demandaient en effet de l’espace si l’on ne voulait pas les transformer en massacres immédiats, cruels et sans intérêt. Il fallait que les hommes et les animaux puissent se déplacer, courir, se poursuivre, et que la traque dure et se complique, ce à quoi servaient, entre autres choses, les décors, dont le but n’était pas exclusivement ornemental. Il fallait aussi prévoir un système de protection, des murs, des clôtures, des fossés, afin de garantir la sécurité des spectateurs. Les petites cités, qui ne pouvaient s’offrir un pareil amphithéâtre, mais ne voulaient pas se contenter d’arènes de fortune, recoururent à un système pratique d’amphithéâtres hybrides ou « amphithéâtres à scène » comme à Lutèce (Paris) parce que ce bâtiment polyvalent pouvait se transformer en théâtre.
Quoique celles-ci soient réputées pour être beaucoup moins dangereuses que les combats d’homme à homme, les chasses ne sont pas sans risque. Si elles entraînent rarement la mort, les accidents sont cependant fréquents. Des bestiaires amateurs sont renversés, piétinés, par les animaux qu’ils affrontent, mordus gravement parfois. Il est probable que beaucoup de ces chasses se bornent à présenter des cerfs, des daims, des chevreuils, des biches, des sangliers, des aurochs, à la rigueur quelques ours, alors très nombreux dans les montagnes d’Europe de l’Ouest. Et des taureaux de combat, nés dans des élevages espagnols spécialisés… à cela s’ajoutent, pourvu qu’on en ait les moyens, les tigres des Indes, les rares lynx gaulois et des animaux marins comme les phoques, les morses, les otaries… Pour son deuxième duumvirat quinquennal, aux jeux d’Apollon, sur le forum de Pompéi, Aulus Clodius Flaccus offrit des taureaux, des toreros et leur équipe ; je n’ose parler de cuadrilla, comme dans la tauromachie moderne, ce serait pourtant le mot approprié. Le second jour, et à ses seuls frais, dans l’amphithéâtre, trente paires d’athlètes, quarante paires de gladiateurs, une chasse, des taureaux, des toreros, des sangliers, des ours… Pompée, pour sa part, choisit en – 55, lorsqu’il inaugure son théâtre et les monuments adjacents, le nombre et la magnificence. On y massacra en deux journées quatre cent dix panthères, des lions, un loup-cervier gaulois, un rhinocéros, des singes d’Éthiopie… sans compter les animaux européens, ours, aurochs, sangliers, cerfs, taureaux, bouquetins, chevreuils… Néron, qui recherche l’art jusque dans les massacres, privilégie les nouveautés : il fait amener à Rome des animaux originaires du Septentrion ou de l’Afrique noire dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Le lièvre arctique blanc, le bison d’Europe centrale, le renne et l’élan de Laponie, les phoques et les morses de la mer baltique, mais aussi le zébu… À la fin de la République, fournir les arènes était un métier qui employait nombre de spécialistes à travers les provinces. Chasseurs de grands fauves en Afrique ou en Asie Mineure, ursarii en Europe pour les ours…
À la venatio comme pour le combat de gladiateurs, les spectateurs veulent du sang, et pas uniquement celui des bêtes. Que le taureau, devenu méfiant après avoir survécu à une première « corrida », encorne l’homme, que le lion ou la panthère lui brisent la nuque, que l’ours l’éventre lentement, que le bison le piétine, donnera du sel à l’ensemble ! Le métier de bestiaire est, incontestablement, beaucoup moins dangereux que celui de gladiateur, ce qui n’empêche pas les accidents d’être très nombreux, les blessures innombrables, et les morts dans l’arène ou au sanitium, monnaie courante. Un bestiaire ne peut pratiquement pas combattre les bêtes sans recevoir un coup de griffes ou de crocs ! Mais quand ils entrent dans l’arène, revêtus de la tunique de cuir épais, censée les garantir un peu des griffes, bottés, armés du poignard et du fouet, tenant à la main la cape de couleur qui leur servira pour exciter les bêtes ; ils sont sensibles aux applaudissements et oublient tout le reste ! Les bas-reliefs restituent des scènes à la limite de ce qui paraît faisable. On y découvre
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des bestiaires sautant à la perche par-dessus des lions, ou des léopards qui attaquent, d’autres chevauchant des bisons, des aurochs, qu’ils poussent contre un ours.
Ailleurs, le venator combat à l’épieu une troupe de lions ou quelque autre fauve… Souvent la partie tourne mal. Terrassé sous le poids de l’ours, le bestiaire est dévoré vif. Ou le taureau lui déchire l’aine. Ou le bison le piétine.
La caserne où vivent les gladiateurs est appelée « ludus » (pluriel ludi).
À côté des établissements impériaux, des ludi privés s’étaient aussi multipliés. Néanmoins, à Rome, la préparation des jeux constituait un monopole impérial. Quatre grandes écoles étaient implantées à proximité du Colisée : le ludus magnus, le ludus matutinus, le ludus dacicus et le ludus gallicus. Leur plan était identique, simple et fonctionnel : des cellules d’habitation et de service s’élevaient autour d’une aire d’entraînement. La plus célèbre de ces écoles était le ludus magnus, la grande caserne. Son directeur était un personnage important, car, pour la plèbe romaine comme pour l’empereur, l’organisation des spectacles occupait une place de choix dans la vie quotidienne de la Cité. Cet office bien payé (200 000 sesterces) avait les faveurs de l’empereur : elle était propre à favoriser la carrière des chevaliers ambitieux. Mais nécessitait des hommes à poigne, car la discipline y était féroce.
Le ludus des chasseurs (ludus matutinus) existait sous les règnes de Claude ou Néron, mais Domitien le restaura et créa une procuratèle équestre pour s’en occuper. Avec seulement 60 000 sesterces par an, cet office était nettement moins bien payé que le précédent, moins prestigieux aussi.
Ces « ludus » avaient aussi des écuries abritant les montures des gladiateurs équestres, des bestiaires montés, ainsi que des essédaires (des combattantes, montées sur des chars de guerre).
Mais dans toutes les branches de la profession, les gladiateurs possédaient aussi un chien. Nécessité pour les spécialistes des chasses, qui travaillaient souvent avec une meute de dogues ou de griffons gaulois, réputés pour leurs qualités de veneurs, leur courage, leur pugnacité. Plaisir pour les autres, qui tenaient à faire figurer l’image de leur chien sur leur tombe.
Des écoles impériales existaient dans tout l’Empire. Dans la péninsule ibérique (en Bétique et en Tarraconaise), en Gaule, à Autun (Tacite, Annales, III, 43) et à Nîmes ou à Vienne ; comme l’attestent les épitaphes de juliani et de neroniani (c’est-à-dire de gladiateurs du ludus julianus et du ludus neronianus) retrouvées dans ces villes. On a en effet découvert deux épitaphes de tombes élevées par un médecin à la mémoire d’un gladiateur disparu, l’une à Nîmes, l’autre à Vienne. Il en existait aussi à Narbonne, Draguignan, et Die. Les écoles d’Aquilée ou de Capoue étaient renommées. Dans la moitié orientale de l’Empire, celles d’Ancyre, de Thessalonique, de Pergame, et d’Alexandrie, étaient également réputées.
L’ENTRAÎNEMENT.
Est-il possible de former des combattants redoutables en deux ou trois mois ? Un simple regard historique sur le mode de formation des gladiateurs romains nous montre que non… De la même manière, on ne forme pas un danseur étoile, ou un coureur de fond en trois mois…
Mais alors, comment former un bon gladiateur ? Les premiers pas se font sous la direction des « doctores », maîtres d’escrime spécialisés dans les différentes armes. Il y a ainsi un « doctor secutorum », un « doctor thraecum », etc. Les « doctores » sont d’anciens gladiateurs réputés pour leur faculté à survivre plusieurs années dans l’arène…
Au début de notre ère, la gladiature devint donc un sport de haut niveau à Rome, et les centres d’entraînement rivalisaient les uns avec les autres pour produire les meilleurs combattants. L’entraînement était encore plus poussé que celui qui était pratiqué dans les écoles militaires romaines.
Végèce explique comment chaque recrue plantait un pieu en terre, de telle façon qu’il ait six pieds de haut, et qu’il n’oscille pas. Contre ce pieu, les recrues s’entraînaient, pour s’aguerrir, avec un écu en osier ainsi qu’un bâton [du même poids qu’une véritable épée].
Les apprentis gladiateurs apprenaient les mouvements basiques en groupe, en utilisant une épée de bois recouverte de cuir (le rudis). Ils pratiquaient l’escrime, le maniement d’armes spécialisées, amélioraient leur condition physique. Les gladiateurs étaient bien mieux entraînés que le légionnaire moyen, c’est pourquoi leurs méthodes d’instruction finirent d’ailleurs par entrer dans l’armée.
L’entraînement se faisait dans une cour rectangulaire, sous les ordres brefs (dictada) des doctores.
Il s’agit d’avancer au moyen d’une gymnastique compliquée vers le « palus », un adversaire immobile représenté par un pieu fiché en terre et mesurant plus de deux mètres de haut. L’entraînement
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développe principalement le travail des jambes, et les modes de déplacement, puis l’assaut avec l’épée ou le bouclier alternativement porté vers l’avant. On utilise pour cette phase de l’entraînement des armes légères, et un bouclier en osier. Le futur gladiateur doit répéter inlassablement les gestes simples d’attaque et de défense. La séance devait ainsi ressembler, à peu de chose près, au travail dans les écoles de danse…
D’après Louis Robert, il existait une progression en quatre niveaux, et le terme « palus », qui désigne le poteau d’entraînement, a fini par s’appliquer aux « grades » définissant le niveau atteint par le gladiateur. Depuis le « tiro » (débutant) jusqu’au lucterios (maître) : primus palus, secundus palus, etc. Le premier combat victorieux est l’examen d’entrée au primus palus, mais combien fallait-il de combats pour les autres niveaux ? Si l’on s’en tient à l’hypothèse de la règle exponentielle : deux pour le deuxième, huit pour le troisième, et seize pour le quatrième.
Jules César avait confié l’entraînement de ses gladiateurs à des chevaliers réputés pour leur science de l’escrime. Il s’agissait très certainement d’une forme romanisée de « l’hoplomachie » grecque. L’utilisation d’armes plus lourdes que la normale, ainsi que l’art du duel avec armes réelles, étaient prônés par les doctores.
Le combat de gladiateurs est à la fois une épreuve d’endurance et une épreuve technique ; car les protections obligent les combattants à pratiquer une escrime savante et spectaculaire, tandis que la durée des combats dans la chaleur et la poussière nécessite de l’endurance et une forme physique parfaite… Il est évident que quelques mois d’entraînement ne suffisaient nullement à former des combattants redoutables, tout au plus un tiro capable de survivre à son premier duel… mais qu’il fallait des années ainsi que de la chance pour arriver au plus haut niveau… Certains textes antiques nous laissent penser que l’art du combat dans ces arènes avait atteint un stade très élaboré : « Hermès, nous dit Martial à propos d’un éminent gladiateur celte […] est habile à manier toutes les armes ; Hermès est gladiateur et maître d’escrime (notez la différence) ; Hermès est la terreur et l’effroi de toute son école ; Hermès sait vaincre sans frapper. Hermès ne peut être remplacé que par lui-même ».
Le nom même d’Hermès ; d’origine grecque, laisse supposer qu’il était initié au combat mené à mains nues (pancrace) et que sa qualité de maître d’armes, le rangeait dans la double catégorie des gladiateurs et des militaires d’élite… Ce qui explique l’effroi du jeune gladiateur qui se retrouvait face à face avec ce prince de la mort… Avec ses quelques mois d’entraînement, le tiro n’avait tout simplement aucune chance de survivre…
Bien qu’il soit difficile de définir avec précision ce type de combat, on peut en présumer qu’Hermès était capable de tuer un homme sans avoir recours à ses armes ; qu’il était capable de désarmer un adversaire à mains nues, et de le vaincre par ses techniques de lutte…
N.D.L.R. Il arrivait néanmoins que certains débutants sortent vainqueurs d’un combat contre un vétéran, comme le prouve cette inscription trouvée à Pompéi : « Spiculus, de l’école néronienne, débutant, vainqueur ; Aptonetus, affranchi, 16 victoires, tué » ; mais cela devait être exceptionnel (CIL 4, 1474).
LES SPÉCIALITÉS (ARMATURES).
Ainsi que nous l’avons déjà vu, il pouvait exister différents styles de gladiateurs, car à l’origine les prisonniers de guerre arrivaient dans l’arène avec les équipements de leur pays, les premiers étant des Samnites des Gaulois ou des Thraces.
Selon son origine géographique, ses aptitudes physiques ou les besoins du laniste, le nouveau choisissait donc son type d’arme. Les armes du gladiateur sont des reconstitutions ou des tentatives de reconstitution d’épées ou de lances celtes, thraces, germaniques, bretonnes, etc. Les Romains ont par exemple découvert l’épée longue ainsi que les avantages de la pointe pour l’estoc lors de leurs combats, en Espagne du temps de Pline l’Ancien, l’épée de l’essédaire par contre ne pouvait frapper que de taille.
Il existait donc différentes catégories de gladiateurs possédant protections, casques, boucliers, mais aussi épées, dissemblables.
La juxtaposition de parties armées ou non armées du corps dictait l’utilisation des armes, et créait les conditions pour un maniement recourant à la plus grande habileté possible.
L’équipement était censé protéger les parties du corps les plus vulnérables, et les plus aptes à entraîner un arrêt des combats sur blessure. Ainsi, la plupart des gladiateurs étaient-ils munis d’une jambière (ocrea) sur le côté le plus exposé, voire d’une épaulière et d’une chevillère. Il existait une
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vingtaine de types de gladiateurs, mais qui n’ont pas tous évolué en même temps. Ci-dessous les plus connus.
— Le samnite, du nom du peuple soumis par les Romains lors des guerres du même nom au IVe et au IIIe siècle avant notre ère, était le plus ancien type de gladiateurs. Il était lourdement armé : casque, bouclier, protection de la jambe. Son arme de prédilection était le glaive, il fut remplacé sous l’Empire par les hoplomaques, dotés d’une très longue et très lourde épée.
— Le thrace avait un casque, un petit bouclier, ainsi qu’une dague.
— Le gallus. Visiblement inspiré par les Gésates de la bataille de Télamon. Se caractérise par une totale absence d’armes défensives. Le Gallus est nu, habillé seulement du baudrier qui soutient son épée. Il porte la barbe longue, et la chevelure aussi, qu’il retient avec un bandeau.
L’armature gallica disparaîtra en même temps que l’armatura samnita, sa rivale traditionnelle. Mais, comme cette dernière, elle cède en fait simplement la place à une version remise au goût du jour, le mirmillon, ainsi que l’atteste la chansonnette dont le rétiaire scande son approche : « non te peto, piscem peto ! Quid me fugis, Galle ? » (Ce n’est pas toi que je cherche, je cherche un poisson ! Pourquoi me fuis-tu, gallus ?).
— Le mirmillon était un gladiateur qui portait sur son casque une figure d’animal marin (de mir mer et millo animal. Irlandais, gallois, breton : mil).
— L’andabate. Le nom des « andabates » ou « gladiateurs aveugles », confirme l’importance des croyances religieuses en ce domaine. Le terme s’applique à une sorte de gladiateur combattant à l’aveuglette et avec un casque dont la visière ne comportait aucune fente pour la vue. Le mot est composé d’un thème *anda – « aveugle », qui n’est retrouvé qu’en sanscrit, et d’un élément à base verbale – bata « frapper, tuer ».
Le mirmillon est gêné par son casque, mais beaucoup moins que l’andabate par le sien. Gladiateur lourd et cuirassé l’andabate paie cet avantage en étant aveuglé par un casque dépourvu de la moindre ouverture au niveau des yeux. Plongé dans le noir, l’andabate ne voit pas son adversaire. Réduit à deviner ses mouvements (certains pensent que son adversaire devait être muni de clochettes pour cela) il frappe au hasard [le Hasard, le grand dieu-ou-démon des Celtes…].
— Le cruppellarius, une spécialité celtique (école d’Autun), relève de la même recherche… bardé de fer comme les chevaliers du Moyen-âge, il n’offre aucune faille aux armes de son adversaire (Tacite. Annales. III. 43). Tant qu’il reste debout, le cruppellarius est invincible. Mais malheur à lui si, encombré par toutes ses protections, il tombe… N.D.L.R. Rappel. Les cruppellarii du ludus d’Autun se joignirent aux rebelles de l’an 21 dirigés par Sacrovir.
— Les rétiaires. Utilisaient un filet (rets) ainsi qu’un trident.
Tous ces hommes, qu’ils se divisent en gladiateurs lourds ou légers, combattent à pied.
Trois autres armaturae apportent de la variété au spectacle.
Les cavaliers (eques) qui combattent montés, les essédaires sur leur char (souvent des femmes) et les venatores (chasseurs).
L’essedarius (ou essedaria quand c’est une femme) combat sur un char. C’est une catégorie de gladiateurs créée par César. L’essédaire est armé de javelots qu’il décoche. Il porte aussi une épée à bout rond qui ne permet pas de frapper d’estoc l’adversaire, mais seulement de le frapper de taille. C’est en Belgique et en Grande-Bretagne que les légions de César ont découvert la force que représentait l’essedum, le redoutable char de guerre des Celtes. Comme tous les chars de combat, celui-ci exigeait deux hommes à son bord, l’aurige (cocher) qui le manœuvre, et le guerrier qu’il transporte derrière lui (exemple Cuchulainn en Irlande).
In tan iarom rigset a lama uili dia claidmib, tic Fiachna mac Fir Febe ina ndedhaid asin dunad. Focheirdd bedg asa charput in tan atcondairc a Ilàma uille i cind Con Culaind + benaid a nai righti fichit dib (TBC 2550-2554). Benaid Cu Chulaind omnae ara ciund i sudiu + scribais ogum ina taib. lss ed ro boi and : arnà dechsad nech sechai co ribuilsed err oencharpait. Focherdat a pupli i sudiu + dotiagat dia léimim ina carptib. Dofuit tricha ech oc sudiu + brisiter tricha carpat and (TBC 827-831).
Les venatores, que l’on doit clairement distinguer des bestiarii, simples dompteurs d’animaux, étaient des chasseurs professionnels entraînés comme des gladiateurs. Leur costume est très léger, pour ne pas gêner leurs mouvements. Ils sont reconnaissables à leurs courtes tuniques. Quelques chasseurs ont cependant, porté des collants décorés, ainsi que l’attestent des mosaïques africaines des IIe et IIIe siècles. Certains sont quasiment nus ; d’autres encore ont le torse et le bras gauche protégés par des plaques de cuir richement ornées. Les chasses étaient très populaires en Afrique, comme le montrent les pavements de nombreuses et luxueuses villas. La célèbre mosaïque de Smirat (Tunisie)
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constitue le véritable reportage épigraphique et iconographique d’une chasse mémorable, donnée à une date inconnue du IIIe siècle, par Magérius, un célèbre notable de la région.
Des femmes ont également pris part à certaines venationes. D’après plusieurs sources concordantes (Dion Cassius, Suétone, Martial), des femmes venatores participèrent en effet à l’inauguration du Colisée : « Le lion abattu dans la vaste vallée de Némée, illustre exploit réservé à Hercule, voilà ce que répétait jusqu’ici la Renommée. Mais que l’antique légende se taise, car dans les spectacles que tu as donnés, César, nous avons vu qu’une femme peut également accomplir semblable prouesse » (Martial, sur les spectacles publics donnés par Domitien, 6 b).
CARRIÈRE ET COMBINAISONS DE COMBATS.
Il existait plusieurs grades parmi les gladiateurs. Les primi pali (les premiers pieux) étaient des combattants chevronnés. Ce grade faisait référence au poteau de bois (palus) utilisé à l’entraînement. La distinction apparaît à Rome, à l’époque flavienne, sur l’épitaphe du secutor T. Flavius Incitatus, seize fois vainqueur. Cet échelon supérieur se retrouve fréquemment au IIe et au IIIe siècle, en Orient comme en Occident, avec d’autres grades. On connaît aussi les secundi pali et les pali tout court.
Tentative de reconstruction des grades de la gladiature.
Palus 0. 1 combat (une couronne). Tiro (débutant).
Palus I. 2 combats.
Palus II. 4 combats.
Palus III. 8 combats.
Palus IV.16 combats (seize couronnes).
Vedette. 20 combats et plus.
Classe I. Statuette en bronze.
Classe II. Monument (40 combats ?).
Classe III. Demi-dieu (?) + de 40 combats.
Sauf pour les tirones – qui ne combattaient généralement qu’entre eux –, il existait beaucoup de combinaisons possibles entre armaturae. C’est là qu’intervenait le savoir-faire du munéraire. La gladiature ne devait pas se limiter à une sordide boucherie : elle était un art d’escrimeur. Végèce se plaisait d’ailleurs à vanter l’habileté des gladiateurs aux soldats des légions romaines. Plusieurs principes guidaient le munéraire dans ses arrangements. Opposer des gladiateurs lourds entre eux favorisait le combat rapproché ainsi que la force physique. L’opposition entre combattants légers accordait la priorité à l’agilité ainsi qu’à la technique. Les combinaisons les plus savantes consistaient à mettre en présence armaturae lourdes et légères. Fondé sur l’attaque, l’esquive et la poursuite, ce type de combat était très en vogue au Ier siècle. Les combats les plus classiques mettaient aux prises les rétiaires contre les mirmillons ou les secutores. La première version privilégiait la poursuite ; la deuxième mettait l’accent sur l’opposition entre mouvement et immobilité.
Les rétiaires formant une catégorie assez méprisée, c’était surtout la confrontation entre porteurs de petits boucliers – parmae – (thraces, hoplomaques, provocatores), et porteur de boucliers longs – scuta – (samnites, mirmillons, secutores), qui passionnait les foules. Le public se divisait en parmularii ou en scutarii, et la fièvre gagnait les plus hautes sphères du pouvoir. Caligula et Titus étaient des partisans des petits boucliers, alors que Domitien était un inconditionnel des longs boucliers, à tel point qu’il fit jeter aux chiens une année, un spectateur trop parmularius à son gré.
Inscriptions et monuments figurés témoignent d’autres combinaisons : les essédaires et les equites combattaient toujours entre eux par exemple. On ne trouve en revanche jamais de rétiaires opposés à d’autres rétiaires. Les mirmillons, quant à eux, pouvaient s’affronter entre eux, mais ils se battaient le plus souvent contre les rétiaires, les provocatores ou les thraces.
Ces duels constituaient les moments forts du munus. Mais, pendant les entractes, des parodies de combat étaient aussi offertes au public : des démonstrations d’escrime effectuées par des paegniarii, parfois simplement armés de bâtons ; des affrontements d’andabates, des condamnés entièrement cuirassés dont la tête disparaissait sous un casque sans œilleton. Ils combattaient en aveugle et sans arme défensive. Cet affrontement se résumait donc à un terrible jeu de colin-maillard où chaque coup portait, lorsque l’adversaire était localisé.
Le summum pour un gladiateur était de se produire au Colisée à Rome. Avant d’en arriver là, il fallait plusieurs années d’entraînement ou de combats dans des tournois mineurs. Pas question ici de tuer
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son adversaire et pas de foule réclamant la tête d’un combattant. Ces combats se déroulaient un peu partout à Rome et ses environs dans de petits espaces tels des théâtres. Ces formes de combats étaient le quotidien des amateurs de ce sport, car le nombre de jours par an, réservés à Rome aux combats de gladiateurs, au Colisée, se comptait sur les doigts d’une seule main.
Des inscriptions détaillent souvent le palmarès des meilleurs gladiateurs. Maximus, du ludus impérial de Capoue, au début du Ier siècle, fut quarante fois vainqueur et obtint trente-six couronnes (CIL, VI, 33 952). Les combattants méritants pouvaient aussi être récompensés par un affranchissement : les gladiateurs libérés (liberati, on disait aussi rudiarii) étaient alors dégagés de leur obligation de combattre. Certains, devenus riches, se transformaient en notables, propriétaires d’une belle maison de campagne, tandis que leurs fils cherchaient à occuper au théâtre les places des chevaliers (Juvénal, III, 158). Mais ces carrières au dénouement heureux n’étaient pas la règle. Il existe quelques situations exceptionnelles : une stèle du musée d’Istamboul montre deux gladiateurs, réformés sans doute pour des raisons de santé (Hellenica, V, nº 320).
Les gladiateurs les plus talentueux jouissaient d’une immense popularité : un thrace surnommé « suspirium puellarum », « le soupir des jeunes filles » mettait en transe les femmes de Pompéi ! Les nombreux graffitis qui mettent en scène les acteurs de l’arène témoignent aussi de cet engouement. Dans l’une de ses Satires, Juvénal a raillé ces passions incontrôlables. Epia, une épouse de sénateur, abandonna son notable de mari pour suivre un aventurier, le célèbre Sergiolus, un gladiateur charismatique, malgré son bras tailladé, son nez cassé, son œil poché : elle l’accompagna jusqu’en Égypte (Juvénal, Satires, VI, 82-114).
ORGANISATION DES COMBATS.
Le combat se déroule en fin de journée. Le spectacle commence par la présentation des gladiateurs, qui font le tour de l’arène et s’arrêtent devant l’organisateur des jeux ou l’empereur, quand il est présent, pour le saluer. « Ave, Caesar, morituri te salutant » (Salut, César, ceux qui vont mourir te saluent). Cette formule fut exploitée à l’envi par Hollywood, mais il semble qu’elle ne fut peut-être utilisée qu’à l’occasion de reconstitutions de bataille, et non pour les combats de gladiateurs proprement dits.
Une fois dans l’arène, en guise d’introduction, les apprentis gladiateurs (tirones) pouvaient offrir une démonstration de masse avec leurs épées d’entraînement, et se faire valoir. « Gladiatorem in arena cepere consilium », écrit Sénèque (le gladiateur se révèle à lui-même seulement quand il arrive sur l’arène).
Les vrais gladiateurs montrent ensuite que leurs armes sont bien affûtées donc mortelles, et les jeux commencent au son des flûtes.
Ainsi que nous avons pu le voir, les combats opposent toujours des paires de gladiateurs différents. Chaque catégorie de gladiateurs a ses caractéristiques propres en matière d’équipement et de coups autorisés. Chacune possède des avantages et des inconvénients. Soucieux d’égaliser les chances de chaque combattant, les Romains les dosaient soigneusement. Les groupes de combat sont tirés au sort et le public fait des paris.
Les lois du combat (leges pugnandi) se ramènent finalement à ceci : le duel devait se poursuivre jusqu’à ce que l’un des deux, voire les deux, combattants, soi (en) t dans l’incapacité de continuer. Ce résultat s’atteignait de trois manières : la mort, la blessure grave, ou l’épuisement… les combattants ne s’arrêtaient pas au premier sang, ni d’ailleurs à la première entaille même sérieuse. Conscients qu’une fois tombés, ils risquaient d’être achevés, ils luttaient tant qu’ils en avaient la force, soutenus par la conviction qu’ils obtiendraient alors plus facilement leur grâce…
De toute façon, au lieu de laisser se poursuivre l’engagement, le public préfère quelquefois réclamer l’équivalent de l’ex æquo. Et renvoyer les duellistes tous deux stantes missi (debout) sans qu’il ait été nécessaire, ce qui est pourtant la fin normale, d’en envoyer un à terre. Sur un palmarès de gladiateur, avoir été stans missus à plusieurs reprises, est aussi flatteur qu’une victoire ! La décision d’interrompre le duel appartient néanmoins en dernier ressort à l’éditeur des jeux, et il peut fort bien estimer qu’ils doivent ramasser leurs armes et poursuivre l’engagement jusqu’au bout.
Le combat de ces gladiateurs, avec ou sans espoir de survie pour le perdant, se poursuit, quel que soit le cas de figure, ad digitum, ce qui signifie mot à mot « jusqu’au doigt ». Autrement dit jusqu’à ce que l’un des duellistes lève le doigt, ou la main, qui se voit mieux des gradins, le geste traditionnel demandant que l’on arrête l’engagement. Ce qui revient à reconnaître sa défaite, avec tous les inconvénients inhérents à cet aveu. Il peut aussi, ce qui revient au même, poser au sol son bouclier. Les spectateurs indiquaient leur choix d’un signe de la main, pouce levé : mitte (laisse-le) pouce
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baissé : jugula (tue-le), mais c’est l’empereur (ou celui qui organise les jeux) qui, de son pouce, édictait la sentence finale. Devant payer fort cher pour chaque gladiateur tué, l’organisateur, empereur inclus, n’était guère enclin à demander la mort. Les Romains étant férus de statistiques sportives, on a gardé trace de la carrière de certains gladiateurs indiquant qu’ils furent toujours « graciés ».
Les vainqueurs reçoivent une récompense honorifique et de l’argent : après quelques combats, ils peuvent acheter leur liberté.
DROITS DU GLADIATEUR (FIR FER).
Cette escrime était sujette à des règles précises inhérentes à la variété des catégories de gladiateurs, et qui resteront uniformes durant tout l’Empire, du Ier au IVe siècle. Il ne faut pas perdre de vue que le combat de gladiateurs n’est pas une guerre, mais un spectacle. Les combats jusqu’à la mort devaient être rares : la plupart du temps, il s’agissait de spectacles très calculés, voire chorégraphiques (cf. comme pour le cinéma aujourd’hui…). Les duels obéissaient à des règles très strictes.
Les cavaliers qui ouvrent traditionnellement les combats ne se battent jamais contre des fantassins et luttent entre eux. Tout comme les essédaires qui lancent leur char sur celui d’adversaires pareillement montés.
Des pauses étaient ménagées dans les affrontements, comme dans les rencontres de boxe. Cela permettait aux combattants de se rafraîchir, de recevoir des soins, de boire l’une de ces boissons reconstituantes dont les médecins de ludus et les soigneurs avaient le secret. C’était l’occasion de souffler, de rattacher une sandale qui menaçait de se dénouer, de vérifier la sangle d’un bouclier. Les soigneurs appartenaient au personnel de la caserne, où ils étaient les esclaves particuliers du gladiateur auquel ils étaient attachés.
Le champion qui tombe à terre vaincu pour la première fois est gracié.
Le gladiateur qui tombe accidentellement à terre conserve le droit de poursuivre le combat. Personne n’est obligé de se battre deux fois dans la même journée.
L’arrivée de l’empereur dans l’amphithéâtre gracie automatiquement le vaincu qui allait mourir.
Lors du combat, si un gladiateur est touché, il demandera grâce en tendant la main gauche vers l’estrade officielle ; selon les réactions de la foule, l’editor lèvera ou renversera le pouce pour soit gracier soit achever.
À l’origine, mourir au combat résultat donc plus d’un accident tragique que d’un choix du public.
S’il n’avait pas reçu un coup mortel donné par maladresse, s’il ne fait pas du refus de s’incliner un point d’honneur intangible, un gladiateur devant plus fort que lui trouvait en général judicieux de savoir s’arrêter. Une missio réclamée au terme d’un beau et bon combat n’était pas déshonorante, à condition de savoir la négocier… Les champions notoires coûtaient cher… et si, malgré ces précautions, ils se retrouvaient mis en difficulté, leurs chances d’être épargnés par conséquent étaient supérieures à la moyenne. Le munéraire graciait pour ne pas avoir à payer, le public pour revoir son champion…
Au début, la mise à mort du vaincu n’a sans doute été que la sanction (admise) d’un mauvais combat, d’une prestation de lâche qui n’avait mérité, ni son cachet ni la vie sauve. Puis, la professionnalisation aidant, et le mépris grandissant pour les gladiateurs, on n’a plus éprouvé de scrupule à les laisser s’entre-tuer pour de bon…
Un gladiateur ne se grandissait, ne se rachetait, qu’en donnant, par son attitude face à la mort, une leçon de courage…
La lâcheté se punissant de mort, implorer, au demeurant, était un choix dégradant, certes, mais surtout stupide. Peu avaient la sottise de s’y abaisser. En revanche, animés d’une indéniable fierté professionnelle, ou d’une indéniable dignité, beaucoup d’autres, superbement dédaigneux, estimaient déshonorant de demander leur missio et préféraient combattre jusqu’à la mort plutôt que réclamer une grâce qu’ils auraient obtenue.
Le vainqueur n’a plus le droit de frapper, le vaincu renonce à combattre encore, quand bien même sa grâce lui était refusée. L’arbitre, qui se tenait à distance, s’interpose entre les deux hommes. Sur les gradins, le public, qui attendait cet instant, retient son souffle : il tient une vie entre ses mains… En théorie ce droit n’appartient qu’à l’éditeur des jeux. Le vainqueur, qui suit le code de courtoisie de l’arène, s’est tourné vers lui puis lève son bouclier devant lui et brandit son épée en signe de victoire, mais se garde bien de décider de la suite… Le perdant attend, apparemment imperturbable, comme si
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cette affaire ne le concernait en rien. Ce fier dédain suffit, parfois, à lui sauver la vie. Sinon, il sauve l’honneur, et, curieusement, cette valeur aristocratique importe à ces esclaves, ces condamnés, ces déclassés. Bref, tout cela relevait d’une éthique pouvant se résumer ainsi : « Après avoir déchaîné les passions sportives de l’assistance, tuer sans état d’âme ou périr en professionnel, élégamment. Car si le combattant doit savoir vaincre, il doit aussi savoir perdre, et mourir. Stoïquement. Rien de plus honteux, en effet, qu’un gladiateur à terre qui gémit, pleure et supplie, incapable de se soumettre aux décrets de la Fortune * et de rester digne face à l’adversité.
En cela la gladiature, ce métier honteux et méprisable, est une ascèse ; une reconquête, dans la mort affrontée avec décence et courage, de la dignité humaine que ces hommes ont perdue. C’est là l’un des nombreux paradoxes de la profession ».
Dans ces ludi, plusieurs chirurgiens distingués se spécialisèrent dans le traitement des blessures par épée ou trident. Les médecins de gladiateurs font tout ce qu’ils peuvent pour soigner les blessés, les aider à se rétablir et apaiser leurs souffrances. Ce sont ces médecins qui, parfois, s’occupent de la sépulture d’un gladiateur tué dans l’arène, ou mort dans leur service, et qui était leur ami.
Une des raisons du succès de Galien auprès des grands prêtres munéraires de Pergame, tenait certainement à ses méthodes de soin novatrices. Qui réduisaient les pertes et remettaient sur pied, relativement vite, des hommes qui, avec ses confrères, seraient morts de complication, ou seraient restés infirmes.
RAPPEL SUR LE GALÉNISME.
Aelius Galenus ou Claudius Galenus, plus connu sous le nom de Galien de Pergame fut un célèbre médecin, chirurgien et philosophe grec de l’Empire romain. Probablement le plus accompli de tous les chercheurs en médecine de l’Antiquité, il a influencé le développement ultérieur de diverses disciplines scientifiques, notamment l’anatomie, la physiologie, la pathologie, la pharmacologie, et la neurologie, ainsi que la philosophie et la logique.
Né à Pergame (actuelle Turquie) Galien a beaucoup voyagé avant de s’installer à Rome, où il a servi de nombreuses personnalités de la société romaine.
Le père de Galien mourut en 148, en le laissant financièrement indépendant. En 157, à 28 ans, il revint à Pergame en tant que médecin des gladiateurs du grand prêtre d’Asie, un des hommes les plus influents et les plus riches de cette région du monde. Au cours de ses quatre années passées là-bas Galien apprit l’importance du régime alimentaire, de la santé physique, des mesures d’hygiène et de prévention, de l’anatomie et du traitement des fractures ou des traumatismes graves. Il n’y eut alors que cinq morts chez les gladiateurs, contre soixante à l’époque de son prédécesseur.
Il n’existe aucun recueil de son œuvre faisant autorité, et il subsiste des controverses quant à l’authenticité de plusieurs des œuvres attribuées à Galien. Les recherches sur l’œuvre de Galien sont donc problématiques.
Comme les œuvres de Galien n’ont pas été traduites en latin pendant l’Antiquité et en raison de l’effondrement de l’Empire romain d’Occident, la tradition médicale grecque dans son ensemble déclina en Europe occidentale au Moyen-âge, puisque très peu de savants savaient lire le grec. Galien et la tradition médicale grecque antique continuèrent néanmoins d’être étudiés et suivis au sein de l’Empire romain d’Orient, communément appelé empire byzantin. Les manuscrits grecs existants de Galien furent donc recopiés par des érudits byzantins. À l’époque abbasside (après 750), les musulmans arabes commencèrent à s’intéresser aux textes scientifiques et médicaux grecs. Certains textes de Galien furent par conséquent traduits en arabe, souvent par des érudits chrétiens syriens d’ailleurs. Certains textes de Galien n’existent donc que dans leur traduction arabe, tandis que d’autres n’existent que dans des traductions latines médiévales faites à partir de l’arabe.
Les vues de Galien quant à la médecine devinrent et restèrent donc influentes dans le monde islamique. Le premier grand traducteur de Galien en arabe fut l’Arabe chrétien Hounaïn ibn Ichaq. Il traduisit (vers 830–870) 129 œuvres de « Jalinos » en arabe. Une de ces traductions en arabe, le Kitab ila Aglouqan fi Chifa al Amrad, conservée par la bibliothèque de l’Académie de médecine et de sciences médiévales Ibn Sina, est d’ailleurs considérée comme étant le joyau des œuvres littéraires de Galien. Une partie de l’abrégé alexandrin des travaux de Galien, un manuscrit du 10e siècle, comprend deux parties incluant des détails concernant divers types de fièvres et différentes affections inflammatoires du corps. Ce livre nous donne un bon aperçu des traditions et des méthodes curatives de l’époque grecque et romaine.
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Comme l’indique bien le livre intitulé « Doutes sur Galien » d’Al-Rāzi, ainsi que les écrits de médecins tels que Ibn Zouhr et Ibn al-Nafis, les travaux de Galien ne furent pas acceptés sans réserve, mais l’accent qu’il mettait sur l’expérimentation et l’empirisme a conduit à de nouveaux résultats et à de nouvelles observations, qui ont été comparées et combinées à celles de Galien par des écrivains tels que al-Râzi, Ali ibn Abbas al-Majousi, Abou al-Qacim al-Zahraoui, Ibn Sina (Avicenne), Ibn Zouhr et Ibn al-Nafis.
L’influence des écrits de Galien, y compris son humorisme, reste très forte dans la médecine moderne Ounani ou Younani (galénisme), désormais étroitement identifiée à la culture islamique et largement pratiquée de l’Inde (où elle est officiellement reconnue) au Maroc en passant par l’Iran.
À partir du XIe siècle, les traductions latines de textes médicaux islamiques ont commencé d’apparaître en Occident, et ont été rapidement intégrées au programme des universités de Naples et de Montpellier. À partir de ce moment, le galénisme y acquit une autorité incontestée, et Galien a été appelé le « pape de la médecine du Moyen-âge » (cf. Galénisme).
LES DROITS DES ANIMAUX.
La légende veut que Galien ait littéralement ressuscité un singe pour être retenu comme médecin en chef des gladiateurs de Pergame.
Galien lui-même en effet prétend que le grand prêtre le choisit de préférence aux autres médecins après avoir éviscéré un singe et mis au défi les candidats de réparer les dommages. Après qu’ils eurent tous refusé, Galien procéda lui-même à l’opération, ce qui lui aurait valu d’être retenu par le grand prêtre.
Quoi qu’il en soit dans l’arène, les animaux peuvent, eux aussi, dans certains cas, être « graciés ». On voit fréquemment un fauve, un taureau, un aurochs, reparaître pendant plusieurs spectacles, parce qu’il a été systématiquement épargné.
Sur la notion de fir fer appliqué aux taureaux voir plus loin au chapitre corrida moderne.
* Le hasard, le dieu suprême par excellence des Celtes. La caractéristique principale de la vie du gladiateur est d’être en quelque sorte la parfaite illustration de la toute-puissance du Destin ou Tocade ou Tocad (Moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus » tonquedec en breton. Le labarum est son symbole). Car les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) avaient fait du « hasard » (sic) un Dieu si l’on en croit saint Columba d’Iona qui proteste contre dans une des loricae qu’on lui attribue. « Je n’adore ni le chant des oiseaux… ni un fils, ni le HASARD, ni la femme. Mon druide est fils de Dieu…, etc. »
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SPIRITUALITÉ.
À ses lointaines origines, le munus était lié au rituel funéraire et, bien que l’évolution se soit faite dans le sens d’une laïcisation, son caractère religieux n’a jamais complètement disparu pour autant. Dans la mesure où ils exigeaient du sang versé, les munera sont restés, plus encore que les autres jeux, attachés au culte des divinités « de l’autre monde ». Dans plusieurs amphithéâtres, on l’a vu, de petites chapelles ou sacella qui communiquaient avec l’arène servaient aux dévotions précédant les combats.
Quel pouvait donc être le dieu-ou-démon invoqué par les gladiateurs dans ces conditions ? ? Il devait varier suivant l’origine ethnique évidemment.
Très souvent, les sacella ou chapelles étaient consacrées à Némésis : c’est le cas à Mérida et à Tarragone, à Italica (Espagne), à Carnuntum (Autriche), où les deux amphithéâtres – civil et militaire – possédaient chacun une chapelle placée sous la protection de la déesse-ou-démone. Ou de sa bonne fée si l’on préfère !
Mais on pourrait tout aussi bien penser à Cathubodua, Cassibodua, Andarta, etc., car il faut prendre en compte le phénomène bien connu de l’interpretatio romana ou interprétation romaine des dieux indigènes.
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Peu importe néanmoins, car, bien plus encore que les dieu-ou-démons de la guerre, ces hommes, confiants dans leurs propres forces, mais enclins à se méfier des inconstances de la chance, devaient invoquer en priorité la divinité censée régir les aléas de l’existence. Sous un nom ou sous un autre, elle est la déesse-ou-démone aux impénétrables desseins, qui se joue sans pitié des espoirs des hommes, et qui après avoir élevé, abaisse et foule aux pieds. Ce que symbolise exactement l’image de sa roue. Et là on est dans l’universel !
Les stèles funéraires apportent aussi leur témoignage sur l’importance de ces cultes dans le monde de l’arène : le rétiaire Glaucus, mort à Vérone, au cours de son huitième combat, reproche à la déesse-ou-démone, ou à sa bonne fée si l’on préfère ce terme, de l’avoir trahi ; tandis que Leotes, primus palus, à Halicarnasse, lui offre bijoux et vêtements.
Hercule, dieu ou démon des combattants athlétiques et intrépides, était, lui aussi, souvent invoqué par les gladiateurs. Avant de se retirer à la campagne, le gladiateur libéré Veianus suspendit ses armes à un pilier du temple d’Hercule (Horace, Ep. I, 1, 4-5).
Nous savons par Tertullien que Mars et Diane présidaient aussi aux duels et aux chasses (De Spect., XII, 7).
Le dieu-ou-démon de la guerre veillait de même sur les gladiateurs dont le métier demeurait proche de celui des soldats, de même que Diane, déesse-ou-démone de la chasse, assurait sa protection aux chasseurs de l’amphithéâtre.
Les souterrains obscurs où l’on déposait les dépouilles des gladiateurs et des chasseurs étaient le lieu d’étranges pratiques. Dans les sous-sols de l’arène de Carthage ont été découverts les documents les plus significatifs : cinquante-cinq lamelles de plomb enroulées sur elles-mêmes avec des textes de malédiction gravés dessus (defixiones). Elles étaient déposées auprès des cadavres pour mieux déchaîner les divinités maléfiques contre les gladiateurs en activité. Contre Gallicus, par exemple, « pour qu’il ne puisse tuer ni l’ours ni le taureau, mais qu’il soit tué par eux… qu’il soit blessé, tué, exterminé ! »
Ou contre Marussus, afin « qu’il succombe aux morsures des fauves, sous les charges des taureaux, des sangliers ou des lions ! »
Si dans certains cas (en France à Chamalières par exemple) les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont cru devoir employer la langue celtique dans ce dessein ; c’est peut-être tout simplement parce qu’ils adressaient le message magique à des entités surnaturelles celtes, sur des sites druidiques.
Cette pratique des envoûtements (sorcellerie) par écriture sur une tablette de plomb, les Celtes ne l’ont néanmoins pas inventée. Ils l’ont empruntée seulement.
« Defixio » est un mot latin désignant à l’origine le fait d’enfoncer un clou, puis l’opération magique par laquelle on torture ainsi un substitut (par exemple une plaque de plomb) en espérant provoquer les mêmes désagréments chez l’ennemi auquel on pense. Cette procédure magique, telle que nous la percevons en Grèce et à Rome, inclut la mise par écrit, sur la tablette, du nom de l’ennemi visé. Le texte inscrit peut d’ailleurs être développé avec l’invocation de puissances surnaturelles, censées mettre en œuvre ce charme maléfique, et diverses stipulations portant sur les motifs de la condamnation ou les divers tourments qui serviront de punition. Il s’agit d’un type de procédure magique qui est attesté à travers tout le bassin méditerranéen, durant l’Antiquité.
On trouve aussi le nom d’Ogmios dans un certain nombre de défixions ainsi que celui de Nodens dans le temple de Mars à Lydney (dans le comté de Gloucester).
D M. NODONTI FLAVIVS BLANDINVS ARMATVRA V S L M.
Envers le dieu Mars Nodons, Flavius Blandinus s’est bien volontiers acquitté de son vœu.
Une solidarité incontestable règne au sein des ludi dès qu’il est question de donner une tombe aux camarades tombés dans l’arène. Lorsque le défunt n’a pas laissé derrière lui la somme nécessaire à ses obsèques, chacun se cotise. Le ludus magnus impérial pousse très loin cette solidarité, puisque l’on a retrouvé les vestiges de la sépulture élevée à ses frais en mémoire d’un pégnaire qui avait atteint le grand âge de cent ans. Le monde de l’arène n’abandonnait donc pas ses anciens. Il est vrai qu’ils n’étaient pas nombreux à vivre vieux.
Quant à Olympos, lui, tombé à son neuvième combat, il affirme qu’il lui est égal de n’avoir pas trouvé, chez son ultime adversaire, la compassion et la générosité dont lui-même avait toujours tenté de faire preuve. « Je me félicite, pour ma part, de ces vies que j’ai, en ce qui me concerne, épargnées ».
SURNOMS.
L’onomastique latine traditionnelle (prénom, nom, surnom) sert rarement pour désigner les gladiateurs : ils sont désignés, le plus souvent, par un sobriquet familier à tous les amateurs de
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munera. Ces noms d’arène font référence aux divinités ainsi qu’aux héros de la mythologie, ou mettent l’accent sur les qualités physiques : la force (Le Costaud), Ursius (Fort comme un Ours), la vivacité (La Foudre, Le Rapide). D’autres évoquent la chance (Le Veinard, L’Heureux, La Victoire) ; ou le souvenir d’anciens gladiateurs vedettes, tel le Columbus de Nemausus, qui portait le nom d’un héros de l’arène du règne de Caligula. D’autres, enfin, doivent leur sobriquet à leur prestance : Le Brillant, Le Bien Bâti.
Nemausus, Ier siècle.
MYR (MILLO)
COLVMBVS
SERENIANVS XXV
NAT (IONE) AEDVS
HIC ADQVIESCIT.
SPERATA CONIVX
Le mirmillon
Columbus
Serenianus, 25 couronnes,
D’origine éduenne,
Repose ici.
Tombeau élevé par Sperata, son épouse.
ALIPVS An XXX
HSESTTL
POSVIT AMAB ILIS DE SVO.
AMABILIS ANNO XXX NAT GALL
HSESTTL
Alipus annorum XXX
H (ic) s (itus) e (st). s (it) t (ibi) t (erra) I (evis).
Posuit Amabilis de suo.
Amabilis anno (rum) XXX, nat (ione) Gall (us),
H (ic) s (itus) e (st). s (it) t (erra) I (evis).
Alipus, âgé de trente ans
repose ici. Que la terre lui soit légère !
Amabilis a fait construire ce tombeau à ses frais.
Amabilis, âgé de trente ans, repose ici. Que la terre lui soit légère !
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VIE ET MORT DES GLADIATEURS.
LA VÉRITABLE HISTOIRE DE SPARTACUS.
Comme l’essai d’adaptation ou de reconstitution qui précède était un peu laborieux ; retrouvons un peu plus de naturel en nous penchant un peu sur le sort, tragique au demeurant, d’authentiques résistants combattants de la liberté, certainement plus authentiques que les « résistants syriens » du romain Fabius.
Vie et mort des gladiateurs.
Ainsi que nous avons pu le voir, les premiers gladiateurs furent des prisonniers de guerre samnites, gaulois (gésates) ou thraces, capturés avec leurs armes, d’où le nom de ces premières spécialités (armaturae).
La discipline et les ordres (dictata) des instructeurs, les conditions difficiles du ludus, et l’appréhension des combats, créaient un climat de violence mal contenu, qui dégénérait parfois en émeute. La révolte de Crixus et Spartacus fit trembler la Rome républicaine, mais cet épisode ne fut pas isolé dans l’histoire de la gladiature. En l’an 64, le soulèvement d’une centaine de gladiateurs à Préneste causa une vive inquiétude à Rome. Ce mouvement fut contenu grâce à la vigilance de la garnison qui en avait la surveillance, mais l’alerte fut chaude : « Et déjà, le peuple, dans ses conversations, se rappelait Spartacus et les malheurs qui s’ensuivirent… » (Tacite, Annales, XV, 46.) Au IIIe siècle, sous le règne de Probus, 80 gladiateurs s’évadèrent encore d’une école de Rome. Une fois de plus des soldats furent envoyés contre eux et, malgré leur supériorité numérique, ils n’en vinrent à bout qu’avec beaucoup de peine.
Les nombreuses inscriptions funéraires faisant référence aux gladiateurs permettent d’approcher leur entourage et le cadre de leur vie privée. Beaucoup de combattants vivaient avec une femme, épouse ou concubine. Elles sont souvent à l’origine des épitaphes. Plus rarement, c’est le gladiateur retraité qui offre une sépulture à sa femme. Le caractère itinérant de la profession interdisant toute vraie vie familiale, ce sont les amis qui rendaient aussi parfois les derniers honneurs au gladiateur mort au combat.
Certaines confréries de chasseurs ou de gladiateurs étaient unies par un culte commun. Ces confréries (sodalités) veillaient aux funérailles. Les liens de solidarité créés ainsi étaient plus forts que les simples rapports professionnels existants au sein des familiae (troupes de gladiateurs). On connaît l’existence de collèges de ce type en Narbonnaise (près de Die), mais aussi à Rome. Commode favorisa ces associations, notamment par ses rapports étroits avec le collège des Silvani Aureliani, qu’une inscription trouvée en 1755 près de Rome nous fait connaître (CIL, VI, 631). Cette confrérie comprenait 32 gladiateurs divisés en trois décuries, et un groupe de deux. La première rassemblait des vétérans de condition servile ; la deuxième mêlait à des débutants (tirones) un armurier, un vétéran et un masseur ; la troisième réunissait uniquement des tirones ; dans la quatrième, enfin, se trouvaient un paegniarius et un thrace.
Ces sodalitates auxquelles étaient attachés un emblème et un chiffre, se développèrent surtout parmi les venatores d’Afrique proconsulaire. Le croissant sur une hampe et le chiffre III étaient les signes distinctifs des Telegenii, dont quatre membres sont représentés sur la mosaïque de Smirat. On connaît aussi d’autres associations de venatores en Afrique romaine.
La véritable histoire de Spartacus.
Les événements qui se déroulèrent sur le territoire de la péninsule italienne dans le courant des années 73, 72 et 71, avant notre ère, sont généralement connus sous le nom de Révolte de Spartacus ou de Guerre des gladiateurs, dite aussi « Guerre servile ». Ni l’une ni l’autre de ces appellations ne correspond à leur véritable nature. Spartacus ne fut qu’un des chefs de cette guérilla (et pas le meilleur d’ailleurs, hélas !)
Ses hésitations firent perdre un temps précieux à la cause des insurgés, ensuite quand il se rallia enfin au plan révolutionnaire proposé par Crixus (marcher sur la capitale, Rome), il était déjà trop tard pour que cela réussisse ! Rome s’était ressaisie.
Certains ont supposé que Crixus avait été, même avant sa réduction en esclavage, un gladiateur volontaire de type andabate. Ce n’est pas prouvé.
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Mais revenons à l’Histoire, et à l’Histoire objective, car ce Spartacus indécis et velléitaire, tout juste bon au combat personnel bêtement héroïque (ce pour quoi il avait d’ailleurs été formé), semble incroyable.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, Spartacus en réalité ne fut qu’un des dirigeants du mouvement, et son action personnelle ne représente qu’une faible partie de l’action générale. Eutrope ne lui attribue aucun rôle prépondérant, et le place au même niveau que ses camarades, les Celtes Crixius et Oinomauos (Œnomaüs).
Un certain désaccord semblait prévaloir dans le camp des rebelles. Spartacus, considéré comme trop modéré, paraissait être handicapé par Crixius et Oinomauos (Œnomaüs), les chefs du parti celte et germanique, partisans de la lutte à outrance.
Sur la foi des fragments de Salluste, on peut en effet entrevoir deux tendances opposées.
Le groupe « européen » ; qui comprenait surtout les Celtes et les Germains, et dont le chef était le Celte Crixus ; semblait vouloir partir immédiatement à la rencontre des armées consulaires. Les battre, pousser jusqu’à Rome, prendre la Ville, la détruire, et organiser sur ses ruines un nouvel État promettant la liberté à tous, amis ou ennemis.
Le groupe oriental (balkanique et asiatique d’Anatolie) paraissait au contraire estimer qu’il fallait, se contentant du butin conquis et de la liberté recouvrée, rentrer chacun dans son pays respectif.
Le recoupement de divers auteurs antiques (Ampelius, Appien, Eutrope, Florus, Frontin, Orose, Salluste) nous éclaire quelque peu sur une vaste opération dont les buts nous échappent partiellement ; alors que ses préliminaires et son déroulement, avec des succès initiaux puis un échec final et une cruelle répression, sont bien connus.
Il n’y a pas lieu ici de narrer cette guerre de titans dans le détail. Notons seulement ceci.
Crixus, avec 30 000 hommes, se dirige à la rencontre de l’armée romaine, tandis que Spartacus et ses partisans se mettent en marche vers le nord.
Dès sa première rencontre avec Crixus, Gellius fut cruellement battu, mais, au lieu de parachever la défaite des troupes romaines, les Celtes de Crixus se livrèrent sur place à une formidable orgie en oubliant l’ennemi. Ce dernier, remis de sa panique, revint le lendemain, au moment où on l’attendait le moins. Les rebelles, pour la plupart complètement ivres, se laissèrent égorger sans opposer une quelconque résistance. Crixus lui-même y trouva la mort [sans doute crucifié après avoir été blessé ou capturé, puisque tel était le sort que les Romains réservaient aux esclaves alors. N.D.L.R.].
Spartacus, quant à lui, avance sans relâche dans la direction du Pô. Le voici au bord du fleuve, prêt à quitter pour toujours, semble-t-il, la terre italienne. Mais auparavant il tient à honorer, par une manifestation mémorable, la mémoire de son camarade (Crixus). Les trois cents citoyens romains faits prisonniers sont contraints à se battre entre eux, à l’issue d’une grandiose cérémonie funèbre « comme de vils gladiateurs ». Au lieu de franchir le Pô, Spartacus ordonne alors de faire demi-tour, annonçant qu’il a l’intention de marcher sur Rome lui aussi maintenant, et sans tarder il se met en route. Mais les jours passèrent et Spartacus n’arrivait pas. Les gens, de part et d’autre, s’interrogeaient, perplexes. L’historien moderne le demeure également. Il ne lui reste qu’à constater que le projet de prendre Rome fut encore, une fois de plus, abandonné (d’après Gérard Walter. Les origines du Communisme). La suite est bien connue. Spartacus et ses partisans ayant bêtement préféré retourner de nouveau dans le sud de l’Italie y furent cernés puis défaits par l’armée de Licinius Crassus, le plus riche des Romains.
DÉCLIN ET FIN DE LA GLADIATURE.
Au IIIe siècle, un gladiateur n’avait plus qu’une chance sur deux de ne pas finir dans l’arène. La gladiature a décliné progressivement dans le courant du IVe siècle, avant de disparaître définitivement. Alors que le goût qu’éprouvaient pour elle les hommes et les femmes de toutes les classes sociales, à Rome et dans tout l’Empire, avait été si vif et ne s’était guère affaibli durant cette si longue période ; alors que le dédain que suscitaient les jeux chez nombre de beaux esprits n’avait débouché sur aucune action concrète.
Ce « sport spectacle » romain est honni par les chrétiens qui ne parviennent toutefois pas à en interdire la pratique.
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Les spectacles – tous les spectacles – détournent de Dieu et souillent les âmes. Tel est le point de vue des chrétiens. L’Église condamne donc le cirque, le théâtre et, à plus forte raison, l’amphithéâtre, lieu de mort, d’autant plus vigoureusement que certains des siens en avaient parfois été victimes… Les spectacles sportifs, ceux du cirque – et du théâtre – ne réapparaîtront que bien des siècles plus tard, malgré l’opposition de l’Église pour certains, mais jamais les jeux de l’amphithéâtre.
De 313 à 404 (de Constantin à Valentinien II) les empereurs se contentèrent de supprimer la condamnation à la gladiature et d’en interdire l’accès aux chrétiens.
325. Constantin prohibe l’enrôlement de condamnés à mort dans les jeux du cirque, car ils sont trop vite tués (le spectacle y perd de son intérêt).
En 399, sous la pression chrétienne, fermeture des écoles de gladiateurs à Rome. En 404 enfin la gladiature fut interdite par Honorius. Momentanément d’abord, ensuite définitivement. En 439 soit plus d’un siècle après les premiers interdits de l’empereur Constantin, Valentinien III, le neveu d’Honorius, réitéra la mesure de son oncle. Pour la dernière fois.
L’Occident du Ve siècle était maintenant assez christianisé. Aux jeux sanglants il avait substitué les fêtes des saints et des martyrs, il s’était trouvé d’autres buts et d’autres héros. Plus de baptême pour les acteurs et les gens de théâtre, pour les auriges, les gladiateurs, les maîtres d’armes, les dompteurs, les bestiaires et les fonctionnaires en charge de l’organisation des spectacles. Concile espagnol d’Elvire, en 300, canon 62, concile d’Arles en 314.
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LES TOURNOIS.
Posidonios, dans le vingt-troisième livre de ses Histoires, écrit « les Celtes parfois s’entraînent en duels. Étant réunis en armes, ils vont jusqu’à s’en servir, mais en pratiquant l’art de l’esquive ; parfois néanmoins cela peut aller jusqu’à s’infliger les uns les autres de réelles blessures. Irrités alors par cela, si des spectateurs ne les arrêtent pas, ils peuvent aller très loin, jusqu’à se tuer mutuellement. Jadis » continue-t-il, « la coutume voulait que l’on mette sur la table un jambon de porc, il était pour le plus courageux ; mais si quelqu’un lui contestait ce morceau, alors les deux hommes se levaient pour s’affronter, jusqu’à ce que l’un des deux soit tué. D’autres, dans un théâtre *, ayant reçu en argent ou en or une certaine somme, voire des amphores de vin, s’étant d’abord assurés en prenant de solides garants que les dons promis par eux seraient bien remis à leurs légataires, puis les ayant répartis ensuite entre les plus proches de leurs relations, ils se couchent sur leurs boucliers, la face tournée vers le ciel, et demandent à quelqu’un dans l’assistance de leur couper la gorge avec une épée »… (Athénée. Citant Posidonios. Livre V, XL).
Ce penchant belliqueux notamment chez les jeunes gens était néanmoins beaucoup trop fort pour disparaître ainsi totalement comme par enchantement, suite au coup de baguette magique de la christianisation. Il importait seulement de le « canaliser ».
Au Moyen-âge on trouve donc encore des occurrences du terme latin tiro pour désigner les jeunes qui viennent de recevoir les armes et qui sont souvent encore au service d’un grand seigneur. Bien qu’il soit difficile de préciser davantage le sens de ce mot, il semblerait que les tirones étaient des jeunes adultes qui n’étaient plus de simples écuyers, mais pas encore des chevaliers confirmés.
Au-delà des différences qui existent d’un texte à l’autre, on peut dire que la formation au métier des armes des jeunes héros débute dès l’enfance. L’éducation de Perceval, de Lancelot ou de Tristan a fait l’objet de plusieurs travaux qui ont mis en évidence comment ces personnages ont reçu une formation aussi bien culturelle que physique et analysé, parfois en détail, les différents apprentissages auxquels ils ont été soumis. C’est ainsi que Lancelot commence à apprendre à se familiariser avec les techniques du tir à l’arc très tôt. Son maître fabrique d’abord un petit arc adapté à la force de l’enfant et par la suite des arcs de plus en plus puissants. Lancelot s’entraîne d’abord à viser une cible fixe, puis il apprend à chasser avec son arc des petits oiseaux et par la suite des lièvres, d’autres petites bêtes et des grands oiseaux. Lancelot aurait également reçu une petite épée qu’il portait sur lui, ce qui n’est pas invraisemblable, car l’existence de petites épées et armes destinées aux enfants est attestée également par d’autres sources et parfois par les fouilles archéologiques. Le Perceval de Chrétien de Troyes s’entraîne lui aussi au tir à l’arc, à se servir des javelots et à chasser. Le Tristan d’Eilhart von Oberg décrit toute une série d’exercices physiques et d’apprentissages techniques – lancer des pierres, courir, sauter, pratiquer la lutte, chevaucher en portant l’écu, frapper avec l’épée, etc. – qui permettent au futur chevalier d’acquérir le savoir-faire indispensable à l’exercice du métier des armes.
Il faut cependant reconnaître que nous connaissons encore assez mal les modalités précises selon lesquelles se faisait la préparation physique des enfants. Les principaux apprentissages propédeutiques au maniement des armes semblent avoir eu pour but de développer l’agilité, la force et l’adresse des jeunes. La course, le tir à l’arc, la lutte, le lancer du javelot, l’équitation et la chasse étaient sans aucun doute parmi les premiers exercices pratiqués par les jeunes. Quelques textes semblent suggérer que ces activités étaient considérées non pas comme une véritable préparation militaire, mais plutôt comme des jeux propres à la période de l’enfance.
Selon toute vraisemblance, les enfants apprenaient d’abord, à l’instar de Perceval, à tuer des petits animaux avec leur arc. Les plus jeunes accompagnaient sans doute aussi les adultes à la chasse, mais n’y participaient pas vraiment. Grâce à la chasse, les enfants apprenaient néanmoins à donner la mort à des animaux de plus en plus grands – jeune adolescent Perceval tue tout ce qu’il veut avec son javelot – et cela les habituait à la vue du sang.
Ce n’est sans doute qu’à partir de l’adolescence que les jeunes commençaient à recevoir une véritable formation au métier des armes. Une fois encore, il est difficile de connaître en détail comment les jeunes s’entraînaient au combat.
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Vraisemblablement, les jeunes étaient progressivement amenés à développer un certain nombre de qualités physiques – endurance, résistance à l’effort, à la douleur, au froid et au chaud, agilité, etc. – et de techniques – maniement des armes, de la lance et de l’épée notamment, utilisation de l’écu et de l’armure, conduite des chevaux de guerre, etc.
Le premier tirocinium connu est celui mentionné par Otto de Freising, et il renvoie en fait à un événement ayant eu lieu à Wurtzbourg en 1127. Ce passage ainsi que les références ultérieures montrent qu’il s’agissait d’un tournoi organisé uniquement pour les jeunes gens fraîchement adoubés ou faits chevaliers (tirones). Les chevaliers novices étaient souvent une proie facile pour leurs collègues plus anciens et plus expérimentés. Le tirocinium leur permettait d’acquérir de l’expérience en courant moins de danger. Ces tirocinia étaient souvent organisés après l’adoubement de membres des familles royales et princières, qui étaient habituellement faits chevaliers en compagnie de douzaines ou de vingtaines d’autres aspirants chevaliers.
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TOURNOIS JOUTES ET BEHOURDS (BUHURDICIUM EN LATIN).
Le béhourd ou behourd est une simulation de siège et pas seulement un nom propre. Le behours ou behourd en vieux français [nombreuses variantes orthographiques] est un mot qui vient du latin médiéval bohordicum utilisé pour désigner une simulation de combat livré pour défendre un château ou une forteresse. Il ressemble donc beaucoup au suivant, le pas d’armes. Le terme est aujourd’hui utilisé pour désigner des reconstitutions de combat médiéval dans un cadre historique comme celui de la bataille des nations ayant eu lieu en 2010 à Khotin (Ukraine, Russie, Biélorussie, Pologne).
La passe d’armes est une joute centrée sur la défense d’un passage et dotée d’un enjeu symbolique (prise d’un pont, libération d’une dame).
La joute est un duel à cheval, la lance abaissée en position d’arrêt. Les chevaliers s’affrontent en tentant de se désarçonner.
Le tournoi est une mêlée générale analogue au célèbre combat des trente, en réalité 64 hommes, livré en 1351 (l’odieux Bemborough y reçut ce qu’il avait mérité). Survient fréquemment après des joutes.
Au Moyen-âge, tout événement devient prétexte pour jouter. Les joutes (spectacle, prestige) sont différentes des tournois (entraînement, renommée). L’origine première des joutes ne semble pas moins ancienne que celle des tournois.
Les joutes guerrières stimulent les armées, soutiennent le moral des soldats, et encouragent, par une émulation guerrière, les prouesses des chevaliers. Lors de joutes, tous les chevaliers qui participent doivent être accompagnés d’une demoiselle.
Règles de l’AAMME (927 rue Dupont, Toronto, ON M6H 1Z1).
— La préparation.
En premier a lieu un défilé des protagonistes.
La coutume veut que l’on dispute d’abord le grand tournoi, puis les joutes individuelles. On envoie des émissaires partout pour les annonces et les invitations.
Ensuite, lors du tournoi proprement dit, arrivent les chevaliers : ils sont annoncés par le héraut.
Les juges (les nobles) les admettent ou non.
L’anonyme cache son écu sous un drap.
On touche de sa lance l’écu adverse accroché sur un poteau pour le défier.
— Les combats.
Joute : 1 contre 1, on tente de désarçonner l’adversaire.
Joute de l’anneau : il faut décrocher un anneau avec une lance au galop.
Joute à la quintaine : on frappe le bras ou la main d’un mannequin au galop avec sa lance, il tourne sur lui-même et risque d’assommer si l’on n’évite pas son coup.
Passe d’armes : il faut toucher de sa lance un écu fixe de l’autre côté d’un chemin gardé par un chevalier provocateur.
On confond souvent, depuis qu’ils ont cessé d’être pratiqués, les tournois et les joutes, mais il est facile de les distinguer : les tournois étaient faits à l’imitation des batailles, et les joutes, à l’imitation des duels.
Le tournoi commençait par une série de combats singuliers entre deux chevaliers, qui s’élançaient l’un contre l’autre au galop de leurs chevaux, et cherchaient à renverser leur adversaire d’un coup de lance ; il se terminait par le tournoi proprement dit (tournoiement), dans lequel la mêlée devenait générale. On distinguait encore les behourds, ou sièges simulés ; les combats dits « à la barrière », où deux partis luttaient à pied, avec la hache, l’épée et la masse d’armes, de chaque côté d’une barrière destinée à les empêcher de passer ; et les passes d’armes ou pas d’armes dans lesquelles un ou
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plusieurs chevaliers, après avoir choisi quelque étroit passage en rase campagne, y plantaient leur bannière et défiaient quiconque de le franchir.
Aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire, on trouve des combats singuliers ou des duels à mort ; et on s’amusa de bonne heure à les imiter en des combats pour le plaisir, comme on imitait les batailles dans les tournois. L’arme par excellence pour la joute était la lance : au début, l’ancienne arme tout unie de la guerre et donc des tournois primitifs. La lance était l’arme favorite de nos héros, l’arme des exploits. « La lance a toujours été arme de chevalier… »
Dans sa cruelle satire du monde chevaleresque, l’Espagnol Michel de Cervantès ne pouvait manquer d’armer son héros d’une lance, et c’est avec elle que Don Quichotte accomplit ses exploits, y compris contre les moulins à vent.
On s’en servait, en attendant, pour gagner ou perdre des batailles, et l’on se préparait, au Moyen-âge, par les joutes, aux exercices du temps de guerre.
Dans les commencements, vu le dédain des anciens tournoyeurs pour les « chicaneries d’avocat », le jeu ne comportait guère plus de règles que le tournoi. On fonçait sur l’adversaire, au grand galop, en s’efforçant de le frapper si droit et si fort que l’on puisse lui faire vider les arçons, et, s’il restait collé à son cheval, de culbuter les deux à la fois. On livre un tournoi, disait Dante, mais l’on court une joute : Ferir torneamenti e correr giostra.
Le poète avait souvent assisté à ces spectacles et en avait entendu, en Italie et ailleurs, l’étrange musique : trompettes, cloches et tambours.
La lance ayant à encaisser, au moment du choc, le poids énorme de cette masse vivante, homme et cheval, bardée de fer et entraînée à toute vitesse ; se brisait d’ordinaire sur le heaume ou sur l’écu que l’adversaire portait au bras gauche, et avec lequel il cherchait à se garantir. Ce bris évitait des morts et des blessures. Dans un heurt si violent, il fallait, de toute nécessité, que quelque partie s’effondre : l’homme renversé, le cheval culbuté, ou enfin (ce qui était le plus fréquent, et devint, dans les joutes courtoises et régulières, le coup normal) la lance brisée. Le chevalier qui ne réussissait ni à renverser l’adversaire ni à rompre sa propre lance, s’il n’était pas culbuté lui-même, avait nécessairement le bras retourné, faussé, voire parfois le poignet brisé.
De même que pour les tournois, où, en principe, on se servait de ses armes ordinaires, on modéra le jeu au cours des siècles ; on adopta l’usage des armes courtoises et une série de règles ou de précautions.
Dans la joute, l’exercice ne consistant nullement à tuer l’adversaire, mais à briser, ou à écraser une lance sur lui, on facilita le jeu en se servant de lances fragiles, en sapin au lieu de frêne, et à la hampe effilée. Léon de Rosmital, un seigneur de Bohème, qui visita le duc Philippe le Bon en 1466, note qu’on se servait alors, à la cour de Bourgogne, de « lances légères ». Dans le même temps, l’usage des lances courtoises (connues bien auparavant) était devenu général. Au lieu d’un fer aigu, ces armes portaient un rochet, une pièce de fer massive et courte, terminée par trois grosses pointes émoussées.
Un autre perfectionnement consista dans l’établissement d’une barrière de séparation, le long de laquelle galopaient, en sens inverse, les deux jouteurs, et qui couvrait le cheval ainsi, en partie, que le cavalier.
Tenant leur lance de la main droite, les jouteurs en faisaient passer le bout vers l’oreille gauche de leur monture, visant ainsi l’adversaire au côté gauche de son heaume, et en ayant la barrière à main gauche.
Ces barrières devinrent d’un usage commun au quinzième siècle. Les dangers ou désagréments que cette invention palliait heureusement étaient en effet considérables. Les cavaliers, auparavant, fonçant l’un sur l’autre en plein champ, risquaient de frapper dans le vide parce que leurs chevaux, rendus prudents par l’expérience, faisaient brusquement un bond de côté au dernier moment. C’était un cas très fréquent, prévu et réglé ; les jouteurs devaient alors, dit Froissart, faire semblant d’être « fort courroucés » puis recommencer aussitôt. D’autres fois, au contraire, les chevaux trop bien maintenus en ligne se heurtaient de plein fouet, d’où chutes simultanées, poussière, jurons, cliquetis de fer et désarroi général. De là également, il est vrai, un vif intérêt ou un grand amusement des spectateurs ; c’est pourquoi, même après l’invention des barrières, continua-t-on à fournir, de temps en temps, des courses à plein champ, pour éviter la monotonie.
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Monter à cheval, lourdement armé de toutes pièces, n’était pas mince affaire. Le roi Henri V, dans Shakespeare, se vante, pour conquérir l’amour de Catherine de France, de pouvoir sauter, en armure, de terre sur son cheval. Prouesse peu commune et plus rare encore dans la réalité qu’au théâtre, bien qu’on en connaisse quelques exemples, dont un notamment fourni par le maréchal Boucicaut. D’ordinaire on se servait d’un petit « escabeau », conçu pour la commodité des jouteurs.
L’usage de cette aide, transmis d’âge en âge, subsistait au dix-septième siècle. Il faut, dit Pluvinel, écuyer pratique, qui n’écrit pas uniquement pour des cavaliers prodiges, « un petit échafaud de la hauteur de l’étrier, sur lequel deux ou trois personnes peuvent tenir. C’est-à-dire l’homme d’armes (le jouteur), un armurier pour l’armer ainsi que quelqu’un d’autre pour l’aider ».
Perfectionnées d’âge en âge, demandant moins de frais que les tournois, risquant moins de vies à la fois, mettant bien en vue la force et le courage de batailleurs soucieux de se distinguer à tout prix et de n’être pas confondus avec d’autres ; les joutes obtinrent une faveur de plus en plus grande et survécurent aux tournois. Mariages, entrées solennelles dans une cité, fêtes diverses, tout était prétexte à joutes ; et même, fort souvent, on n’avait besoin d’aucun prétexte particulier ; on organisait des joutes pour se distraire, se détendre, égayer un voyage, fût-ce même un pèlerinage, faire la connaissance de champions étrangers, rompre la monotonie de guerres qui duraient cent ans, et atténuer par quelque intermède courtois, la fatigue des haines perpétuelles.
Sur ce point, Froissart est intarissable. La joute était alors en sa période intermédiaire : on y employait tantôt les armes courtoises et tantôt les armes de guerre ; les barrières n’étaient pas d’un usage habituel, comme au quinzième siècle, et les cavaliers, entraînés par leurs montures hors de la ligne droite, avaient souvent à se montrer « courroucés » avant de recommencer.
Le quatorzième siècle est l’époque de la prouesse individuelle, pittoresque, mais désastreuse. Dans le tournoi, du moins, surtout en sa forme primitive, un peu de tactique était nécessaire. Dans la joute, on ne compte que sur soi, et tout ce que l’on gagne d’honneur est pour soi. Ce jeu devient l’exercice favori, et d’autant plus que, comme on se sert à volonté des armes de combat, il continue d’offrir l’attrait si vif alors, du danger réel. On pourrait croire que les guerres interminables, les batailles et les sièges incessants auraient suffi à satisfaire ce goût ; mais il s’en fallait de beaucoup. On quittait sa province ou même son pays pour aller « rompre des lances » au loin, sur la renommée de tel ou tel jouteur fameux d’Allemagne, d’Italie, d’Angleterre ou d’Écosse. Piers of Courtenay, un Anglais, va en France, il rompt une lance avec Gui de la Trémouille, et le roi Charles VI déclare que c’est suffisant. Il félicite Courtenay, lui remet des présents et, lui donnant pour escorte le sire de Clary, par crainte de quelque mésaventure en pays ennemi, le renvoie sur Calais. En route, on s’arrête chez la comtesse de Saint-Pol, et Piers of Courtenay, en présence de la dame, exhale sa mauvaise humeur : il n’a eu aucun plaisir et n’a pas pu jouter autant qu’il aurait voulu. Clary est furieux, mais se tait pour ne pas causer d’esclandre en présence d’une dame, et parce qu’il est chargé d’escorter Piers of Courtenay. Arrivé en terre anglaise, il fait constater à Piers of Courtenay qu’il y est parvenu sans encombre, et que la mission courtoise que lui a confiée le roi est accomplie. Sur l’acquiescement de Courtenay, Clary lui rappelle le propos tenu devant la comtesse, et conclut comme suit. « Notre pays n’est pas si vide de chevalerie que cela, et je ne veux pas que, retourné en Angleterre, vous ne vous vantiez d’avoir, sans coup férir, déconfit ses chevaliers… »
Piers of Courtenay accepte avec plaisir et il y eut trois assauts. Clary s’en alla fort satisfait de l’aventure et rejoignit le roi, qui en fut, lui, très mécontent. Clary avait-il le droit de considérer sa mission comme finie, une fois la frontière franchie, et de « faire usage de ses armes » contre Courtenay, désavouant ainsi la décision royale qui avait mis fin à ses joutes ? Problème trop délicat, selon les idées du temps, pour être tranché à la légère. En attendant la solution, Clary fut emprisonné. Par bonheur, le seigneur de Coucy et le duc de Bourbon plaidèrent en sa faveur et purent lui annoncer sa grâce : « Grand merci, dit-il, je croyais pourtant avoir bien fait ».
Une des séries de joutes les plus célèbres du siècle fut donnée à Saint-Inglevert, en mai 1390. Quantité d’Anglais y vinrent ; et non seulement aucun incident international ne vint troubler la parfaite harmonie dans laquelle on s’asséna d’innombrables « horions », mais les Anglais remercièrent grandement les chevaliers français de leur empressement à leur « taper dessus ».
Il y eut au cours des siècles, deux sortes de tournois, très différentes. L’idée fondamentale, dans les deux cas, était la même : il s’agissait d’imiter une bataille.
Des multiples définitions du tournoi données par Du cange (Glossarium : « Tourneamentum ») la meilleure est encore celle de Roger de Hoveden qui décrit les tournois comme étant « des exercices militaires effectués non pas dans l’esprit d’hostilité chevaleresque (nullo interveniente odio), mais seulement dans le but de s’exercer et de faire une démonstration de ses prouesses (pro solo exercitio, atque ostentatione virium) ».
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Dans la période la plus ancienne, le tournoi était une guerre d’un jour, sans haine bien entendu, mais à champ immense, avec tous les incidents, charges, fuites, et retours offensifs, que suppose une vraie guerre.
Règles.
C’est un jeu à mêlée ouverte. Il se passe en plein air avec des kilomètres de terrains pleins de rivières, de bois, de vignes, et même de fermes. Il est possible de dresser des embuscades ou d’effectuer des percées en direction de l’ennemi.
Les seules zones délimitées avec précision sont celles qui sont dites « de refuge ». On les entourait de barrières et les chevaliers pouvaient y souffler un instant, ou fourbir leurs armes. Ils sont donc là en toute sécurité alors que le combat fait rage tout autour d’eux.
Celui-ci oppose parfois plusieurs compagnies de chaque côté. Tous les coups étaient permis, toutes les armes aussi, et il n’y avait aucun arbitre.
Seules différences avec les vrais combats : les refuges et la règle d’or qui veut que le but soit la capture de l’ennemi ou sa rançon, mais non sa mort.
Mais peu à peu le tournoi évolua et devint une bataille unique, à champ et temps limités. La transition de l’un à l’autre s’opéra au quatorzième siècle.
Ce genre de tournois est celui qui est généralement connu. Il a été peint par les enlumineurs, honoré de traités par les théoriciens de l’art des armes. Exemple celui qui fut écrit vers 1460 par René d’Anjou, roi de Jérusalem et de Sicile (traité de la forme et du déroulement d’un tournoi).
René d’Anjou, roi de Jérusalem et de Sicile, est aujourd’hui plus connu comme auteur et mécène que comme figure politique. Pourtant il était d’une famille de rois et de ducs, et fit une longue carrière en tant qu’un soldat, administrateur et homme d’État. Il avait des liens divers non seulement avec les maisons royales de France, mais aussi d’Angleterre et d’Espagne : sa sœur épousa Charles VII et sa fille Henri VI (d’Angleterre).
En plus de quelques poésies, trois ouvrages peuvent être attribués à René d’Anjou : une allégorie religieuse (1455) ; une allégorie romantique (1457) ; et un traité pratique sur la façon dont organiser un tournoi (1460).
Le tournoi décrit par René dans son livre des tournois est, très étonnamment, sensiblement différent des passes d’armes ayant eu lieu à Razilly et Saumur. Il n’a aucun thème allégorique ni littéraire : aucune fontaine des larmes, aucun tableau arthurien, aucun vœu ni défi raffiné. Au lieu de cela, René indique qu’il décrit un tournoi adapté en premier lieu des antiques coutumes d’Allemagne et de Flandre.
Le tournoi décrit par René consiste en une mêlée de combattant appartenant à deux partis différents ; les joutes individuelles ne sont que brièvement mentionnées en tant qu’épilogue du tournoi lui-même. Bien qu’il suppose que le lecteur est déjà au courant de la pratique des tournois, son texte est remarquablement complet et compréhensible. Bien qu’il n’y ait aucune raison de penser que le tournoi décrit dans ce livre a vraiment eu lieu réellement, le texte et les illustrations nous présentent un spectacle vivant, et fournissent presque toutes les informations nécessaires à l’organisation d’un tournoi comme celui décrit dans ses pages. René y dépeint soigneusement le cérémonial héraldique, la disposition des lices, le costume des hérauts et des juges, les armes et armures, les logements, ainsi que les prix.
Ce sont ces fêtes dont le souvenir vient à l’esprit d’ordinaire dès que le mot tournoi est prononcé ; dotées de règles fixes, limitées par des barrières, embellies par la présence de spectatrices élégantes ; des tournois très assagis que pouvaient fréquenter les dames et les demoiselles.
Les récompenses sont diverses : couronne, bourse, broderie, plus rarement un bijou, une armure ou un cheval. Ces joutes et ces tournois, où le vainqueur recevait le prix de la main des dames, dénotent bien le mélange de nobles instincts et de penchants grossiers qui dominaient dans cette société belliqueuse, dont ils étaient le divertissement le plus brillant. C’est de ces documents dont s’inspirent les cinéastes hollywoodiens pour mettre en scène les exploits des preux chevaliers de la Table Ronde Arthur, Lancelot, Gauvain… Ce qui est pourtant une complète erreur historique, le dux bellorum Arthur ayant vécu bien des siècles plus tôt.
Sur le témoignage d’historiens comme Raoul de Dicet ou Roger de Wendover qui les appellent conflictus gallicus, quelques auteurs modernes ont cru devoir proclamer Geoffroi de Preuilly premier législateur des tournois. Geoffroi de Preuilly, a en effet rédigé un code des tournois qui, dès son vivant, servit de règle en la matière.
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Cependant, quoique ce législateur eût prescrit l’emploi de lances et d’épées de bois, on ne se servit que de véritables armes de fer, pourvu qu’elles fussent sans pointe et sans tranchant ; on les appelait alors des armes courtoises ; mais souvent, à ces joutes, on perdait les membres ou la vie, comme à de vraies batailles.
Ce qui est certain c’est que le grand sport du Moyen-âge fut le tournoi. Comme étant le plus dangereux, c’était aussi le plus noble, celui auquel un guerrier se préparait avec le plus d’ardeur, pour lequel on faisait le plus de dépense ; et si violent que la plus furieuse des rencontres du sport le plus viril semble un jeu de fillettes en comparaison.
Le tournoi est un apprentissage du combat. C’est un véritable combat équestre, avec des armes réelles. Comme tel, aux XIe et XIIe siècles, il constitue encore une épreuve redoutable où les accidents mortels sont fréquents.
Les interdictions se multiplient. Les papes Eugène III, Innocent II, en 1130, au concile de Clermont, et Alexandre III, en 1179, au concile de Latran, ainsi que le concile de Lyon (1245) ; se prononcent énergiquement contre ces fêtes détestables, « quas vulgo torneamenta vocant, » où les chevaliers viennent faire étalage de leur force, « ad ostentationem virium suarum », risquant la mort et les feux de l’enfer.
Les rois d’Angleterre publient, à la même époque, des ordonnances non moins fréquentes, plus de quarante sous Édouard II, interdisant, dans le latin du temps, à tout homme d’armes de tournoyer, jouter ou chercher aventures : « Turneare, justes facere, aventuras quærere ».
Pendant des centaines et centaines d’années, l’Europe entière s’y livra pourtant avec ardeur ; c’était pour tous ces chevaliers un tel besoin qu’aucune défense ne pouvait les retenir, ni aucun châtiment spirituel ou temporel, si dures fussent les peines. Et elles étaient dures : au niveau spirituel, cela pouvait aller jusqu’à l’excommunication ; au temporel, jusqu’à la séquestration des biens. Les papes ordonnaient de refuser une sépulture religieuse aux hommes tués en tournois ; les rois défendaient périodiquement de vendre aux chevaliers tournoyeurs des armes et des chevaux, de leur accorder l’hospitalité ; prescrivaient de les empêcher par la force de se réunir, s’emparaient de leurs biens.
Il est certain que ces réunions ne présentaient pas toujours un spectacle très édifiant. En une occasion au moins, on avait vu les chevaliers se moquer de l’Église en passant sur leurs armures des robes de moines, et se battre ainsi déguisés, leur chef s’étant vêtu en abbé avec une mitre sur son casque (1394). En d’autres rencontres, sous prétexte de tournois, de véritables assassinats furent perpétrés : plusieurs chevaliers se donnant le mot pour s’acharner sur le même adversaire, et se débarrasser ainsi d’un ennemi ; ce que défendirent plus tard les règles. Les fêtes qui suivaient se terminaient plus d’une fois en orgies, et l’on passait vite, en ces soirs de folie, des gracieuses paroles aux actes les plus grossiers.
Briller en tournois était un bon moyen de plaire à une femme, le plus grand même. Aucune vertu ne tenait devant la gloire du vainqueur. Aussi les remontrances abondent-elles chez les chroniqueurs et les auteurs pieux. Dans une miniature du quatorzième siècle, un tournoi est représenté ; les chevaliers frappent à tour de bras de leurs grandes épées ; ils ne se doutent pas, mais le spectateur le voit, que des diables hideux dirigent leurs coups.
Les tournois cependant, continuaient. Partout en effet où il y avait foule de chevaliers, on était sûr d’entendre parler de tournois. Nos preux chevaliers organisèrent des tournois au cours de leurs voyages outre-mer et en vulgarisèrent même l’usage dans l’Empire byzantin.
Incessants malgré les défenses, en honneur dans tous les pays, préoccupation majeure de la jeunesse et aussi des hommes d’âge mûr (car on voit souvent des pères y rencontrer leurs fils) ; divertissement des grands et même des petits qui venaient en foule voir le spectacle et, de plus, y prenaient part comme aides ou valets ; les tournois tenaient réellement le premier rang parmi les exercices en faveur dans l’ancienne Europe.
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LES PAS OU PASSES D’ARMES.
Tournoi pour fantassin.
Ce type d’entraînement militaire ne date pas d’hier. Voici en effet ce que l’on trouve dans les biographies du hésus Cuchulainn en Irlande et notamment dans la partie de la légende traitant de son entraînement
« Ainsi était cette citadelle du soleil (grianan) : avec sept portes immenses, et sept fenêtres entre chacune de ces portes, trois fois cinquante filles dans chacune de ses pièces, avec des manteaux pourpres et bleus. Et il y avait trois fois cinquante garçons du même âge, trois fois cinquante garçons valeureux, trois fois cinquante champions, hardis et intrépides, à chacune de ces portes, à l’intérieur et à l’extérieur ; apprenant l’art martial et les prouesses chevaleresques chez Scathache ».
Au XIVe siècle on commence à limiter les risques en émoussant les lances et en remplaçant la brutalité du coup destiné à blesser par l’habileté du coup destiné à rompre la lance adverse avec un écu bien manié ; alors que la barrière longitudinale des lices évite les collisions frontales trop meurtrières ; le tournoi s’humanise au XVe siècle avec l’introduction de fictions courtoises et allégoriques. C’est le Pas ou Passe d’armes, qui a la faveur des cours princières dans les années 1470.
La Passe d’armes est le dernier avatar du tournoi, désormais truffé de références littéraires, très en vogue vers 1440-1470 dans les cours de Bourgogne et d’Anjou. Le propos général en est la défense, par un ou plusieurs chevaliers, d’un « pas » ou passage, que d’éventuels assaillants s’efforceront de franchir.
Le thème est d’ailleurs déjà présent dans le récit gaélique du cycle ossianique appelé « le château des sorbiers ». Les guerriers fénianes nommés Innsa et Fiancha y défendent l’entrée du château contre des guerriers vikings supérieurs en nombre.
La Passe ou Pas d’Armes diffère de la joute par un enjeu symbolique auquel on donne toutes les significations que suggère le répertoire littéraire – délivrance de la Dame, accomplissement d’un vœu, prouesse pour mériter l’amour de la Dame, etc. — ; et que souligne un décor complexe à l’ésotérisme codifié.
Chaque Passe d’Armes porte donc un nom, faisant allusion au thème historique ou allégorique retenu pour la circonstance. Outre celui du Manoir des sorbiers en Irlande, nous avons l’Arbre de Charlemagne (Dijon 1443), la Joyeuse Garde (Saumur 1446), la Gueule du Dragon (Chinon 1446), la Bergère (Tarascon 1449). Le vainqueur recevait des fleurs et un baiser de la femme en question.
L’argument du Pas d’Armes est formulé dans une lettre en vers, qui est un défi adressé en théorie à tous les chevaliers chrétiens, et en pratique à ceux que l’on veut inviter. Tout chevalier peut se présenter néanmoins et les chevaliers errants saisissent naturellement ces occasions de se mettre en valeur et de gagner des récompenses. C’est l’ancêtre du jeu de rôle.
Si l’on en croit Jennifer R. Goodman (Chevalerie et exploration de 1298 à 1630) et l’Aamme de Toronto, entre la joute et le tournoi, la passe d’armes consistait, comme le tournoi, en l’imitation d’une opération de guerre : la défense ou l’attaque d’une passe ou passage, d’un pont, d’une entrée de château, d’une porte de ville. « Tenir le pas » était le fait des défenseurs ou « tenants », qui repoussaient l’attaque des « venants », de « ceux qui sont du dehors ». En des temps où l’artillerie était, soit inconnue, soit peu efficace, et où le terrain était souvent hérissé de menues forteresses que l’on prenait ou reprenait sans cesse ; les gens de guerre avaient constamment, dans la vie réelle, à défendre ou attaquer des ouvrages d’art et des défilés naturels. On leur en donna de plus prestigieux à prendre dans les romans de la Table ronde : les chevaliers, se piquant au jeu, rivalisèrent avec leurs modèles imaginaires, et voulurent ressembler à leurs portraits. Ils cherchèrent à se hausser jusqu’aux prouesses de Roland défendant la passe de Roncevaux en Espagne.
La passe d’armes offrait l’agrément de pouvoir varier à l’infini, par le choix du lieu à défendre, des armes, des conditions du combat, enfin par l’imitation de quelque rencontre fameuse dans l’Histoire ou dans le Roman. Par là on donnait à ces exercices un caractère dramatique et romanesque qui en augmentait l’intérêt. Le thème de la reconstitution de telle ou telle « passe » fameuse revient constamment dans les fêtes du Moyen-âge : par exemple, la « passe de Saladin », où l’on reproduisait les exploits semi-légendaires de ce sultan kurde et de Richard Cœur de Lion. Tantôt,
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c’étaient de vrais combats (sans haine) ; tantôt, c’étaient de simples spectacles pour enchanter les yeux, mais où l’on donnait beaucoup et recevait encore plus, au hasard de la représentation, force horions très réels.
Dans son Livre du Courtisan, l’Italien Castiglione énumère les qualités qu’un homme de cour parfait devrait emprunter aux diverses nations. Et il décerne aux chevaliers d’au-delà des Alpes la palme pour les tournois, les passes d’armes et les combats menés à la barrière : « nel torneare, tener un passo, combattere una sbarra ».
Combattre à la barrière était en effet une autre forme du jeu. Les chevaliers y participant ayant mis pied à terre, séparés jusqu’à hauteur du nombril par une barrière de bois, échangeaient par-dessus les planches des coups de hache, d’épée voire de lance, selon des conditions arrêtées d’avance. Jusqu’à ce que les arbitres, suivant l’expression consacrée, y mettent « le holà ». Ils se frappaient à tour de bras, de toute leur force. Le chevalier Bayard, dans un de ces jeux, donne un tel coup de hache sur la tête de son adversaire que celui-ci tombe sur les genoux et baise la terre. Et les juges de crier : « Holà ! Holà ! C’est assez ; que l’on se retire ! »
Peu à peu tous les termes désignant ces jeux se confondirent, et cette confusion, continuée jusqu’à nos jours, a souvent fait perdre de vue le sens propre qu’avait à l’origine chaque mot, et quel jeu particulier il désignait. De bonne heure, et, en tout cas, dès le quatorzième siècle, une fête comprenant toute une série de jeux chevaleresques fut appelée un tournoi, même quand aucun des jeux ne consistait en « bataille courtoise ». Le nom restait glorieux et l’on aimait à s’en servir. Souvent, au quinzième siècle et depuis, on appela « pas d’armes » des fêtes comprenant, outre la défense du passage, des joutes ordinaires et d’autres exercices. On appela encore, un peu plus tard, « passe d’armes » des rencontres où il n’y avait ni passe ni place à protéger, où attaque et défense n’étaient plus guère que des figures de rhétorique.
Jamais le rôle des dames ne fut plus grand qu’à ces réunions : non seulement elles n’en étaient plus jamais absentes, mais on en discutait d’avance les termes et conditions avec elles. Messire Claude de Salins publie, en 1497, les clauses d’une passe d’armes. Elles lui ont été imposées par sa dame et, afin que nul ne l’ignore, le document débute ainsi : « En l’honneur de la Trinité, de la glorieuse Vierge Marie et de dame Sainte Anne… »
Les dames triomphaient, mais payaient parfois leur triomphe un peu cher ; les artistes les représentaient, assistant à ces fêtes en compagnie compromettante ; les moralistes gémissaient : « et lubrica facta sunt, » dit un chroniqueur à propos de joutes ayant eu lieu en 1389. Les joutes et les passes d’armes se terminaient, comme les tournois, par des danses, et les prudes censeurs trouvaient là beaucoup à redire.
Une des plus célèbres passes d’armes du Moyen-âge (le passo honroso) a eu lieu en 1434 sur le Camino Frances en Espagne à l’endroit où il traversait les terres de Suero de Quinones, sur le pont d’Orbigo. Il peut paraître paradoxal d’installer un pas d’armes, imposant un important arrêt, un combat et des risques, sur une route de pèlerinage. Pourtant sur les chemins qui conduisent aux sanctuaires de saints militaires, en particulier à Compostelle du XIV° au XVI° siècle, ce fut, pour la noblesse, une façon spectaculaire de se singulariser. En 1434, Suero de Quinones se posta en compagnie de 9 de ses hommes au sud-est de Compostelle, sur le « camino frances ». En fait, cela n’interdisait pas le pèlerinage au plus grand nombre. Le pas d’armes ne visait que la clientèle nobiliaire et faisait même dans cette classe sociale une propagande active en faveur du pèlerinage, démontrant que les nobles pouvaient avoir une façon propre de faire pèlerinage, différente de celle du commun des mortels. Le défi est lancé le premier janvier 1434, et s’ouvre le 10 juillet, en présence du roi de Castille et de la cour, par un défilé des défenseurs (tenants) et des armures dans un char précédé de hérauts et de musiciens. Le lendemain commencent les joutes, précédées d’une messe quotidienne. Il y eut 627 assauts en trente jours. Le roi de Castille en personne assista aussi à la clôture où Suero fut délivré de son collier de fer, puis fit une entrée triomphale en Léon et fut conduit au château de Quinones où il se remit de ses blessures. Guéri, il effectua le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle et offrit le collier d’argent doré qu’il avait porté jusque – là en l’honneur de sa dame.
N.B. Suero de Quinones appartient à la plus puissante famille du Léon. Il a 25 ans et cherche à faire un cadeau de rupture à la Dame de ses pensées. Aux combats s’ajoute le thème romanesque du pont, qui apparaît dans les légendes celtiques et arthuriennes comme un lieu hanté par les forces du Mal qui veulent empêcher la traversée. Suero veut affronter ces forces et ainsi se délivrer d’une “emprise”.
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Une des dernières passes d’armes fut celle organisée en 1493 à Sandricourt. 2000 personnes y assistèrent. Ce pas d’armes particulier a été critiqué comme étant trop courtois. Comme si l’on pouvait être trop courtois ! Trop mondain peut-être ?
Le trait le plus frappant du pas d’armes de Sandricourt est peut-être sa série de noms de lieu se référant aux romans de chevalerie. Les participants bataillèrent pour commencer devant le château « à la barrière périlleuse », à pied, armés de lances et d’épées mouchetées. Ils devaient refaire leur apparition le jour suivant « au carrefour ténébreux » pour un affrontement de masse, suivi par des combats singuliers après les joutes (qui s’avérèrent assez féroces). Une troisième rencontre en combats singuliers avec des lances mouchetées et des épées bien affûtées eut lieu au « champ de l’épine ». Finalement les chevaliers durent errer au loin dans la « forêt où l’on se perd ». Là les membres de la compagnie des tenants (défenseurs) devaient se tenir prêts à faire face à tous les « venants », ainsi que des chevaliers errants afin de « poursuivre leur quête d’aventures », exactement comme l’avaient fait les chevaliers de la Table Ronde jadis, tout en relatant plus tard leurs aventures sous la foi du serment.
Les chevaliers errants étaient suivis à tour de rôle par des arbitres, les spectateurs tant masculins que féminins, ainsi que par deux maîtres d’hôtel avec des serviteurs portant des rafraîchissements.
Le chroniqueur considère que la manifestation tout entière fut ce qui s’était fait de mieux en matière d’imitation de la Table Ronde.
« Il me semble que depuis le temps du roi Arthus, dont on se souvient encore aujourd’hui, qui fut le fondateur de la Table Ronde, dont il y a tant de si nobles chevaliers encore présents et qui le seront toujours, dans nos mémoires, tels messire Lancelot du Lac, messire Gauvin, Messire Tristan de Lyonnais, messire Palamèdes, qui tous jadis étaient de la Table Ronde, je peux bien dire qu’on n’a jamais vu ni lu dans une quelconque histoire que depuis ce temps-là on ait fait pour l’amour des dames des passes d’armes, des joutes, des tournois, ni des behours, s’en approchant autant que ne le fit le pas de Sandricourt. Et m’est avis que tous les nobles pleins de vertus ont dû être contrariés et bien marris de n’avoir pu assister aux faits d’armes qui se sont déroulés audit château de Sandricourt ».
L’auteur note aussi que le nombre inattendu de participants ayant relevé le défi avait mis la pression sur les tenants ou défenseurs de l’équipe locale.
Cette situation souligne d’autant l’admiration récurrente de l’auteur pour Arthur et sa Table Ronde en tant qu’aune de la chevalerie, dans la bouche de maints contemporains critiques quant à l’historicité de ce grand monarque britannique.
En réalité un petit chef de guerre (dux bellorum) breton ou romano-breton du VIe siècle (Arthwys mab Mar petit fils de Coel Hen?) qui avec quelques cavaliers a réussi un temps à contenir dans le nord de l’Angleterre (Hen Ogledd) différents envahisseurs, venus du nord de l’Écosse ou d’outre-mer du Nord, en tout cas après que la Grande-Bretagne soit devenue quasiment indépendante, en 410 avec le rescrit d’Honorius adressé aux cités pour abolir la loi romaine dite Lex Julia, et avant l’heptarchie chère à notre ami Bernard Cornwell.
Mais à Sandricourt en tout cas, si l’on en croit le chroniqueur, la vie a essayé de rivaliser avec la fiction, et fut plus près que jamais d’y réussir.
De belles miniatures mettent sous nos yeux chaque scène de ces combats. Nous sommes entre le Moyen-âge et la Renaissance ; on surenchérit en paroles sur les mœurs chevaleresques ; on se promet d’imiter les chevaliers errants que l’on ne connaît que par les livres ; un semblant de confort moderne donne un caractère bizarre et presque risible à des combats où l’on se flatte de surpasser les prouesses des anciens preux ; on assaisonne ses exploits de littérature. Nous nous éloignons de Roland ; peut-être nous rapprochons-nous de Don Quichotte.
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LE CODE DE LA TABLE RONDE.
Puisqu’il vient d’être si abondamment question des chevaliers de la Table Ronde, quelques mots maintenant sur leur code de l’honneur à eux, sur le Bushido d’extrême Occident.
Rappelons tout d’abord que ce nom vient de la forme de la table utilisée pour les banquets se déroulant dans un celicnon.
Tout comme les fénianes irlandais, les chevaliers avaient donc leur code d’honneur bien à eux, et les sanctions au manquement à ce code n’étaient pas toujours seulement symboliques. Les peines étaient graduées selon la faute ou l’opinion des juges et des officiers d’armes.
N.B. En héraldique, la gauche est appelée dextre et la droite sénestre (car ce qui est pris en compte dans la description, c’est le point de vue du porteur du bouclier, pas celui de l’homme qui le regarde de face).
Il arrivait donc que le héraut fît clouer au pilori l’écu renversé du fautif, avec un écriteau portant une brève mention de la condamnation. Le héraut y retranchait quelque pièce (charge), y ajoutait ou y substituait une marque d’infamie, la couleur marron par exemple, qui pouvait y remplacer une des couleurs de base. Selon les cas, le héraut rompait l’écu en plusieurs morceaux.
D’autres peines, certes, aussi infamantes, mais moins lourdes à supporter, pouvaient entacher l’écu d’armes.
Le chevalier qui avait manqué de parole voyait son écu enlaidi d’un carré rouge en son centre. Le chevalier couard voyait son écu déparé à droite d’une pièce d’armure servant à protéger les aisselles. Le chevalier convaincu de faux témoignage, d’adultère et d’ivrognerie invétérée voyait son écu entaché de deux pièces d’armure servant à protéger les aisselles, noires, sur les deux flancs. Le chevalier qui, lâchement et volontairement, avait tué un prisonnier de guerre désarmé voyait la pointe de son écu raccourcie et arrondie. Le chevalier téméraire ou imprudent, qui avait occasionné quelque désagrément à son parti, voyait la pointe de son écu échancrée. Le chevalier, convaincu de flagornerie, mensonge ou rapport erroné, voyait la pointe de son écu habillée de rouge, de telle sorte que les divers éléments pièces ou charges s’y trouvant disparaissent sous cette nouvelle couleur. Il arrivait ainsi que le chevalier vît, pour une peccadille, son écu amoindri de quelque pièce, ou que celle-ci fût diminuée. Les officiers d’armes procédaient à ces modifications et en tenaient des registres illustrés.
La peine de mort était aussi appliquée dans certains cas, et pour les crimes les plus graves bien entendu.
Après en avoir reçu l’ordre de leur seigneur ou du roi, les hérauts procèdent publiquement à la dégradation du chevalier jugé coupable de félonie.
Deux échafauds sont dressés : sur l’un siègent les juges et les officiers d’armes ; sur l’autre, le chevalier condamné, vêtu de pied en cap, avec son écu planté sur un pieu.
Vassaux, tenanciers, serfs et vilains assistent au rituel dans le plus grand silence.
La sentence des juges tombe, après consultation des hérauts, et l’un d’eux en lit, à haute et intelligible voix, le dispositif.
Le clergé chante les Vigiles des défunts. Après chaque psaume, une pause a lieu durant laquelle les officiers d’armes dépouillent peu à peu le chevalier félon, et crient : « Ceci est le heaume… le collier… l’épée… le haubert ! » La cotte d’armes est déchirée en lambeaux. Avec un marteau, l’écu est brisé en trois morceaux.
Et les prêtres continuent d’ânonner sur la tête de l’ex-chevalier différentes prières, dont le psaume 108 (Deus, laudem meam ne tacueris) et 109, qui contient maintes imprécations : « Que ses jours soient comptés, qu’un autre prenne sa place », etc., etc. Ah religion d’amour, toujours, quand tu nous tiens !
Le héraut demande par trois fois le nom du chevalier dégradé ; quelqu’un se tient derrière lui, et donne son nom, son surnom, voire le nom de sa seigneurie. Le héraut clame que celui que l’on vient de nommer ainsi est un félon ou un parjure, et se fait confirmer la chose par les juges. Le plus ancien répond à haute voix au nom des chevaliers ou écuyers présents sur place, que le ci-devant est effectivement indigne des titre et qualité de chevalier, qu’il en est dégradé voire condamné à mort.
On présente au héraut un bassin d’eau chaude que celui-ci renverse sur la tête du chevalier en question. Les officiers d’armes descendent de l’échafaud avec les juges. Le condamné est descendu par une corde passée sous les aisselles, couché sur une sorte de civière et couvert d’un drap mortuaire.
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Tous se rendent ensuite à l’église où les juges, endeuillés, assistent à l’office des morts.
Après la cérémonie, le chevalier indigne est livré au juge royal ou au prévôt, puis au bourreau, et généralement pendu, à moins que la sentence n’en ait décidé autrement.
Le héraut déclare alors ses enfants et tous ses descendants, ignobles et réduits à l’état de roturier, inaptes à porter les armes à la guerre comme au tournoi. « Sous peine d’être dépouillés puis battus de verges, comme des gens de rien, nés d’un père infâme ».
Pour plus de précisions sur la morale chevaleresque, voir notre opuscule sur l’éthique et les déontologies, notamment pour ce qui est des faits de guerre, expurgées de telles aberrations dues au christianisme (fir fer).
Devoir des rois
Compert Con Culainn : Am túalaing mo daltai. Am dín cech dochraite. Dogníu dochur cech tríuin, dogníu sochur cech lobair…… être le fléau des forts le défenseur des faibles (Fergus).
Devoir des chevaliers
Dáig níbá miad nó níba maiss leiss echrad nó fuidb nó airm do brith óna corpaib no marbad.
Car il [Cuchulainn] ne lui semblait pas honorable de prendre les chevaux les habits ou les armes des cadavres de ceux qu’il avait tués.
Devoir des soldats.
Nád bia etir, ar ní gonaim aradu nó echlachu nó áes gan armu.
Je ne vous tuerai pas, je ne blesserai ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes sans armes (Cuchulainn, Tain Bo Cualnge, Lebor Laignech).
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LES HIGHLANDERS.
Dans le cas des batailles rangées, la tactique de combat était sommaire. Sur les champs de bataille, les Highlanders avaient l’habitude de charger l’adversaire en suivant le modèle de la mêlée générale. Ils se lançaient à l’assaut, tête baissée, sans réfléchir, en faisant fi du danger. Ils fonçaient sur l’ennemi, omettant ainsi toute prudence. Ils étaient de très mauvais stratèges et pour cause (sic). Faute de tactique, cela leur a coûté de fort nombreuses batailles et notamment celle de Culloden. N’empêche que cette façon de procéder, si peu orthodoxe soit-elle, impressionnait tout de même les soldats qui devaient les affronter.
Il en était tout autrement par contre en matière de duel. De grands maîtres d’armes vivaient dans les pays celtes et l’Écosse ne faisait certainement pas exception à cette règle.
On retrouve dans la littérature héroïque certaines précisions relatives au déroulement des batailles. De chaque côté, il était possible de choisir un combattant, dont les qualités hors du commun n’étaient plus à démontrer, pour défendre l’honneur du groupe en affrontant un adversaire, et pour permettre au vainqueur de régler ainsi les litiges en cours. Dans ces textes, nous pouvons découvrir des indices intéressants nous permettant de comprendre que ces champions désignés avaient manifestement été soumis à une formation très poussée dans l’art du combat. Ces danses rituelles, ces démonstrations (ressemblants étrangement aux katas des arts martiaux asiatiques), avant combat, faisaient office d’échauffement avant l’assaut final. Ces exploits rapportés par les bardes faisant l’éloge des vainqueurs étaient mentionnés de manière à devenir facilement identifiables aux yeux de tous.
Cette idée se retrouve aussi dans d’autres récits, par exemple celui où le jeune Cuchulainn est envoyé d’Irlande en Écosse. Afin d’y suivre une formation guerrière transmise par une femme nommée Scathache et qui était à la tête d’un institut de formation sur l’île de Skye (côte ouest de l’Écosse).
L’utilisation des armes était enseignée aux Highlanders dès leur plus jeune âge. La formation débutait par le maniement et la manipulation du grand bâton. Ils s’entraînaient sur des cibles fixes afin de passer, par la suite, au corps-à-corps. Ils finissaient par atteindre un niveau si élevé (similaire à celui des arts martiaux), que le contrôle des compétences ainsi acquises leur permettait d’éviter de tuer à moins d’absolue nécessité. Les querelles ou duels prenaient fin au premier sang. Naturellement, ce n’était pas le cas sur le champ de bataille.
Lorsque le clan se rassemblait autour d’un feu, le barde (seanachaidh en gaélique) profitait de cette occasion pour faire l’éloge du chef ainsi que des guerriers s’étant fait remarquer lors de fameuses batailles. Le rappel de ces faits d’armes enflammait l’imagination et le cœur des jeunes Celtes. Le barde devait perpétuer la culture, la tradition et l’histoire guerrière du clan. Il en était le gardien, la mémoire, et ce, pour que les descendants à venir puissent, eux aussi, se souvenir et raconter. La tradition celte sur laquelle était fondée la société des Hautes-Terres a conservé sa place jusqu’à la défaite de Culloden en 1746.
Le costume traditionnel des Hautes-Terres est un plaid (plaide en gaélique) autrement dit un rectangle de tartan d’environ 4,50 m de long sur 1,50 m de large servant de couverture et de manteau. Jusqu’au XVIIIe siècle, le plaid constituait le seul vêtement de la plupart des Highlanders. Ce que l’on entend par tartan (breacan en gaélique) est en fait une grossière étoffe de laine multicolore à rayures croisées, formant des dessins caractéristiques que l’on teignait avec des plantes, et traditionnellement produite dans les Hautes-Terres pour les plaids. La nuit, le dormeur l’enroulait autour de lui ; le jour, il en passait la partie supérieure autour de ses épaules et le serrait à la taille par une ceinture de cuir, la partie inférieure formant une sorte de jupe. À la ceinture était toujours placé un poignard simple très peu coupant. Ils étaient habituellement armés d’arcs, de flèches, de sabres et d’une petite hallebarde, généralement connue sous le nom de hache du Lochaber, de même que d’une dague connue sous le nom de dague à couillettes ou couteau à balloches (durk, dirk). Ces armes faisaient partie de la tenue des Highlanders autant que le plaid.
Arcs, haches, épées, lances et couteaux étaient les armes utilisées le plus couramment à cette époque. La lance servait de javelot pour atteindre une cible donnée. La hache traditionnelle fut éclipsée des champs de bataille au profit du sabre plus léger, donc se maniant beaucoup plus facilement. La hache était une arme de choc pour s’opposer efficacement au premier assaut tandis que la qualité première que possédait le sabre était une plus grande facilité dans la manipulation, ainsi qu’une surface d’attaque non négligeable. L’utilisation de la hache traditionnelle ne se perdit pas pour autant, car les hommes de grandes tailles pouvaient employer sans peine des armes plus lourdes. Par contre, les hommes plus petits usaient d’un autre type d’arme qui, au fil du temps et de diverses
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modifications, est devenu quelque chose ressemblant à une petite hallebarde : la hache du Lochaber. Cette hache était une arme blanche ressemblant à un vouge dont le fer était emmanché par deux douilles au bout d’une longue hampe, à un manche en bois d’if de 1,50 m à 2 m. Elle servait surtout à jeter à bas de leur monture les cavaliers, le crochet fixé à la hampe facilitait en effet de beaucoup le travail pour désarçonner un ennemi et l’envoyer « ad patres ».
Ainsi que nous l’avons dit, la dague écossaise est un dérivé du couteau à « balloches ». Une épée brisée faisait souvent office de matière première pour la fabrication de ce genre de dague. Les archéologues appellent ces lames « rapières », car elles n’étaient pas très efficaces pour poignarder, à cause de la faiblesse inhérente de la fixation de la poignée à la lame. Elles étaient utilisées comme arme de protection en plus du sabre, employées de la main gauche tandis que la targe (sorte de bouclier en cuir) était portée simultanément au bras gauche, elle aussi. La targe était habituellement portée sur le dos, sauf lors des duels ou des combats. Par la suite, est venue s’ajouter sur la targe une pièce de métal placée sur le plastron central. Cette combinaison sabre, dague et targe, avait un rendement hautement performant, et conférait des avantages considérables à ces dangereux guerriers.
La dague occupait un rang inégalé dans la culture et l’histoire des Hautes-Terres. La majorité des Highlanders était trop démunie pour acheter une épée, mais pratiquement chaque homme possédait une dague. Si le kata était l’âme des Samouraïs, la dague, elle, était le cœur des Highlanders. Elle était portée en tout temps.
Dans cette culture guerrière, le serment était habituellement prêté sur une épée, pour les Gaëls on se servait de sa dague. Ne pas respecter ce serment valait pratiquement la damnation éternelle pour celui qui osait le violer.
Les Anglais d’alors ayant parfaitement compris cela, n’ont eu aucun scrupule à retourner ces croyances païennes contre les Highlanders après la défaite de Culloden.
Lorsque le costume traditionnel, les armes, la cornemuse furent proscrits en 1747, on demanda aux Highlanders sur leur dague de prêter le serment suivant « Je jure ne plus posséder ni fusil ni épée, ni pistolet ni aucune autre arme et de ne plus porter le tartan. Que je sois maudit dans tout ce que je pourrai entreprendre, moi, ma famille et mes biens. Que je sois tué à la bataille comme un lâche et un menteur, et laissé sans sépulture en terre étrangère, loin de la tombe de mes aïeux et de ma famille, si je ne respecte pas ce serment ! »
Chevaux et cavaliers avaient l’avantage sur les champs de bataille. Il fallut donc trouver un moyen pour contrer cette supériorité incontestable et pourvoir les fantassins d’une arme adéquate. C’est alors que fut inventée la claymore. Claymore (ou claiomhor) signifie en quelque sorte « super (mhor) – épée (claio) ». C’était une grande et lourde épée atteignant 1,65 m. Elle était utilisée pour décimer les escadrons de cavalerie. La claymore était employée pour faucher les pattes des chevaux et désarçonner ainsi son cavalier. Mais il fallait être très vigoureux pour la manipuler de façon efficace.
Cette longue épée à deux mains apparut au milieu des années 1400 ; la protection pour la main était de conception écossaise, tandis que la lame était fabriquée en Allemagne. Elle avait deux tranchants et elle était peu affûtée ; donc, pour que les coups puissent être efficaces, il fallait beaucoup de puissance.
La garde de la claymore était une garde cruciforme faite de deux quillons obliques pointant vers l’avant et dotés d’une extrémité quadrilobée. Ensuite une sorte de panier pouvant coincer la lame d’un adversaire, ce qui permettait de le désarmer grâce à une torsion du poignet : ou l’ennemi laissait tomber son épée, ou il avait les doigts brisés.
La principale fonction de la garde d’une claymore était de protéger la main. Lors des combats, la main était très exposée aux blessures. De plus, cette partie de l’épée pouvait être utilisée pour administrer un coup de poing déstabilisant autant que dévastateur, qui brisait souvent, la mâchoire de l’adversaire.
Le pommeau de l’épée servait à porter des coups à un adversaire qui voulait continuer le combat, même une fois tombé à terre. Le coup était asséné à la tête et devait assommer celui qui le recevait, ou pouvait lui défoncer le crâne.
Ce genre d’épée demeura longtemps utilisé en Écosse, alors qu’elle était délaissée partout ailleurs par les autres guerriers, qui se plaignaient de sa lourdeur. Les Highlanders, eux, la préféraient à toute autre.
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La culture des Hautes-Terres a survécu à l’influence romaine, de même qu’à la corruption du féodalisme anglo-saxon. Mais la répression militaire, politique, ainsi que les représailles économiques mises en place par les Anglais, eurent raison d’elle. Au cours de cette triste période, beaucoup de Highlanders moururent de faim. D’autres préférèrent émigrer dans les colonies, dont le Canada. Et d’autres, Highlanders comme Lowlanders, ayant penché du côté anglais, ont été vendus par leurs propres chefs de clan comme esclaves, ou presque.
C’est donc avec beaucoup de cynisme que les Anglais ont permis aux Highlanders de maintenir un semblant de culture : le port du tartan et des armes contre l’allégeance militaire à la Couronne. Cynisme parce que cette approche avait été envisagée ouvertement comme solution finale aux problèmes de rébellion chez les Highlanders. Voici une courte citation du général James Wolfe qui démontre son peu de respect envers ces hommes pourtant exceptionnels : « Ils sont hardis, intrépides, accoutumés à un pays rude, et ce n’est donc pas un grand mal s’ils tombent. Comment mieux utiliser un ennemi intime qu’en faisant que sa fin contribue au bien commun » ?
Il n’en reste pas moins que, même si l’esprit guerrier des Gaëls a aujourd’hui disparu, son fondement, lui, est demeuré intact ; devoir, loyauté, vaillance, honneur, droiture, indépendance, amour inconditionnel du clan et du pays. La nature même de ce peuple fier et rebelle est toujours aussi présente aujourd’hui qu’elle l’était hier, et qu’elle le sera demain.
Lorsque sur la lande le vent se lèvera, que le chant des cornemuses retentira, une voix s’élèvera et dira : « Je jure sur le fer sacré de ma dague que je n’oublierai jamais. SAORSA GU BRATH ! » (Liberté pour toujours !)
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L’ESCRIME MÉDIÉVALE ÉCOSSAISE.
Tuadoireacht ou Claiomhoireacht. Écrit aussi « Claiomhteoireacht », « Claiomhtheoireacht » et « Claiodoireacht ».
L’escrime médiévale a évidemment beaucoup à voir avec l’escrime des gladiateurs lourdement armés de type andabate ou cruppellarios, même si elle n’en descend pas directement, bien sûr.
Il est difficile de dissocier complètement le Moyen-âge des chevaliers, des sièges, et des batailles diverses (la bataille du pont de Stirling en 1297 par exemple et ainsi de suite). Toutefois, l’étude des techniques de combat de cette époque avance à tâtons, car très peu de traces précises nous en sont parvenues, et personne ne peut donc se dire de nos jours héritier direct des techniques médiévales, même l’Aamme de Toronto. Elles ont considérablement évolué à partir du 16e avec l’équipement, la mode et le besoin, rendant caducs les enseignements spécifiques des siècles précédents.
Il suffit de se pencher quelque peu sur le cas des techniques relatives au maniement de la claymore à garde « en panier » et de consulter le traité de William Hope publié en 1687. Les manuels d’escrime de l’époque détaillent en effet les diverses façons de se servir de la large épée à panier, dite (abusivement) claymore, de l’épée française (petite épée ou épée de cour), de l’épée anglaise et dans une moindre mesure de la targe de la dague et du bâton.
Il subsiste néanmoins des ouvrages écrits du Moyen-âge, traitant du sujet. L’Aamme se réfère beaucoup au Flos duellatorum de l’italien Fiori dei Liberi par exemple.
Mais, à deux exceptions près, ils ne sont pas antérieurs au XVe siècle. Et même pour ceux du XVe siècle, ces ouvrages ne sont nullement des modèles de pédagogie ou de limpidité. Certains sont illustrés, mais une image statique peut souvent induire en erreur au lieu d’aider à comprendre un mouvement. Ce sont plutôt des ensembles de techniques avancées s’adressant à un public averti. Plusieurs autres études sont néanmoins possibles à partir des sources historiques.
— Tests de coupes et de perforation pour connaître les capacités des armes.
— Étude des textes relatant des combats
— Étude d’enluminures et autres illustrations médiévales représentant des scènes de combat.
— Étude des squelettes de combattants pour mieux comprendre les zones visées ainsi que les zones atteintes.
Le plus important dans de telles études est de pouvoir recouper les informations, afin d’éviter de généraliser des cas particuliers, mais aussi d’avoir l’esprit large. Toutes ces études doivent faire face à des erreurs tant dans les sources que dans l’interprétation. Il est donc nécessaire de savoir prendre du recul et de poser des limites à son raisonnement.
L’équipement a beaucoup varié entre le XIIIe et le XVe siècle. On ne peut parler d’une technique commune. Il suffit de regarder l’évolution des techniques d’escrime entre la fin du XIXe et aujourd’hui pour voir à quel point les contraintes choisies et le matériel sont déterminants.
Avant le XIVe, les techniques utilisaient soit l’épée, ou la masse et le bouclier, soit la lance ou la lance et le bouclier, voire la hache seule (tuadoireacht). Par la suite, l’utilisation des épées maniées à deux mains (claiomhoireacht) des piques (bataille de Bannockburn 1314) ou marteaux d’armes, et des armes d’hast, diverses et variées augmente ; conjointement au port de la cuirasse qui va permettre de se passer de bouclier. Le combat va donc s’en trouver fortement changé.
On peut grosso modo dégager trois périodes de style différent : du VIe au Xe, du XIe au XIIIe, et enfin du XIVe au XVIe. Évidemment, cette classification est très grossière, et l’on y trouvera de nombreuses contradictions, surtout dans les périodes de transition.
Du VIe au Xe les combattants portent peu de protections (les cottes de mailles sont rares) et la cavalerie souffre de l’absence d’étriers. L’armement est constitué de scramasaxes (grands poignards ou petites épées à un tranchant), d’angons (lances porteuses de pointes très effilées), de grandes épées ou de haches. Le manque de protections corporelles efficaces donnait au moindre coup porté une grande importance.
Du XIe au XIIIe les protections corporelles ne cessent de progresser pour arriver à la couverture intégrale du combattant, ce qui devait lui permettre de recevoir des coups (faibles) sans conséquence. Retranché derrière son écu ou une rondache, le guerrier combattait en frappant de taille pour affaiblir l’adversaire. L’estoc était de mise avec les grandes lances, mais aussi les épées, car de telles attaques sont bien plus rapides et devaient sûrement être utilisées pour garder sa distance ou pour obtenir une ouverture en vue de frappes de taille ultérieures. Durant cette époque se développe aussi une escrime civile sur laquelle on ne dispose que de très peu d’informations.
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N.D.L.R. Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, la notion d’escrime structurée n’apparaît de façon certaine qu’à la fin du XIVe siècle. Le chevalier du Moyen-âge apprend à combattre avec, entre autres, une épée, mais son arme principale demeure la lance. Cette attitude générale souffre certainement des exceptions, mais la mentalité de cette époque reste celle des andabates et des cruppellaires : « je suis protégé par mon armure, je frappe fort et j’encaisse les coups ».
L’ESCRIME MÉDIÉVALE EN TANT QUE SPORT
Les stages de l’Aamme ont pour objectifs d’essayer de représenter le combat et les techniques qui ont probablement été utilisées dans la vieille Europe de l’époque (le combat celte, le combat viking, le combat mérovingien, etc.)
Les armes utilisées dans le combat médiéval sont les armes de taille ou d’estoc (épée, rapière, claymore, dague, sabre) ; les armes d’hast (hallebarde, vouge…) ; les armes contondantes comme la masse, le marteau et le fléau d’armes ; ainsi que les armes dites de défense, tels les boucliers, targes et rondaches. Et aussi l’épée à deux mains. Plusieurs types d’armes répondent à ces critères : la « bâtarde » ou épée à une main et demie, l’épée de guerre du XIIIe au XIVe siècle, la claymore.
Elle fut utilisée par les mercenaires d’Irlande et les Highlanders d’Écosse à partir de 1254. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle qu’est apparu le modèle le plus représenté.
Quel que soit le modèle, il existe une grande variété de pommeaux.
La claymore fut utilisée jusqu’en 1689. Après cette date, de nombreux exemplaires furent coupés ou reforgés pour en faire des épées larges. Cela explique que les véritables claymores sont à présent très rares.
La claymore pèse entre deux et trois kilogrammes, ce qui est beaucoup moins lourd que ce que l’on pourrait penser. Elle est aussi grande que les hommes qui les portaient, soit environ 1,60 m. Son maniement nécessitait un grand espace pour celui qui l’utilisait. La Claymore était portée au dos dans un fourreau, généralement de cuir.
Elle était utilisée aussi bien pour frapper de taille que d’estoc, trancher ou embrocher.
La claymore était capable de pourfendre un homme c’est-à-dire de le couper en deux verticalement. Un texte raconte qu’après une bataille gagnée contre les Anglais, des Écossais furent choqués ou écœurés par ce qu’ils virent. Le champ de bataille n’était plus que membres coupés, têtes fendues, corps découpés ; et ceci, par la seule force de leurs super-épées !
L’épée à deux mains n’était pas l’apanage des lansquenets ou des Suisses. D’après un de nos ambassadeurs du début du 20e siècle (prix Pulitzer d’Histoire en 1917), cette arme était aussi largement utilisée sur le Continent. En 1450, le maître d’armes, Guillaume de Montroy, enseignait à Paris le maniement de l’épée à deux mains.
Un matériel correctement reconstitué ne peut se prêter à une compétition sans aménagement sévère. La pratique d’une technique de combat utilisant armes, mais aussi équipements médiévaux, ne peut donc se faire qu’en acceptant des entorses au réalisme et à l’historicité. Il est en effet impensable de pratiquer une activité sportive avec du matériel réellement dangereux pour les pratiquants, quelle que soit la protection utilisée.
La plupart des associations pratiquant l’escrime gladiatorienne ou médiévale ont en général trois types différents d’activité.
— L’entraînement technique où les combattants apprennent les diverses techniques de combat (parade, esquive, attaques). Lors de ces entraînements, les coups ne sont pas portés.
— Les combats d’entraînement où les combattants s’affrontent suivant leur instinct. L’arme utilisée alors est l’épée en bois ou en métal, en fonction du degré de maîtrise du combat.
— Les démonstrations et les répétitions où les combattants utilisent des armes en métal.
Dans la conception médiévale de la lutte armée, la distance est une notion fondamentale. En conséquence, les différentes techniques sont classées puis abordées en fonction de la distance.
Quatre types de techniques sont à distinguer. Les techniques d’approche hors distance. Les techniques à longue distance. Les techniques à courte distance. Les techniques de corps-à-corps.
Les protections indispensables.
Le gambison (ou jaque) est un vêtement de cuir ou le plus souvent d’étoffe épaisse, de coton ou de soie, rembourrée de filasse, et matelassée. Il se portait sous la cotte de mailles : c’est lui véritablement qui absorbait les coups, la maille (là aussi peut-être une invention celtique, voir le guerrier d’Achères) ne faisant qu’empêcher la déchirure des coups de taille.
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La broigne ou brogne (le mot est peut-être d’origine celte : brunnia/bronia) est une défense corporelle protégeant la poitrine. Elle est constituée d’un vêtement de cuir sur lequel sont fixés des éléments rigides, plaques anneaux écailles ou clous, appelés mailles (vieux français mascle = maille de filet). La différence entre une broigne et une cotte de mailles, c’est que dans une cotte de mailles, les « mailles » sont reliées entre elles sans support. Le vêtement servant de support peut être constitué de tissu, de cuir, de feutre, etc. Les éléments rigides peuvent être fixés sur le vêtement, dessous, voire entre deux couches de vêtement. Leur forme est variable ainsi que nous l’avons dit (plaque, anneau, clou…) tout comme leur matière.
* À l’époque victorienne, la broigne a été malheureusement rebaptisée cotte de mailles suite à différents problèmes de traduction de la Bible (Goliath) ou d’interprétation de la tapisserie de Bayeux (ayant pollué la terminologie).
Entraînement technique.
— Les gants ou gantelets (obligatoire).
— Les grèves (protège-tibia) et les genouillères ou protège-genoux (facultatif).
— Le gambison ou la broigne (facultatif).
— Protection de tête (pour exercices à la tête).
Combats d’entraînement.
— Les gants ou gantelets (obligatoire).
— Les grèves (protège-tibia) et les genouillères ou protège-genoux (obligatoire).
— Le gambison ou la broigne (obligatoire).
— Le heaume (obligatoire).
— La cotte de mailles (facultatif).
Démonstrations et répétitions.
— Les gants ou gantelets (obligatoire).
— Les grèves (protège-tibia) et les genouillères ou protège-genoux (obligatoire).
— Le gambison ou la broigne (obligatoire).
— Le heaume (obligatoire).
— La cotte de mailles, en fonction des combats programmés.
— Les épaulières ou spalières (protège-épaules), en fonction des combats et des personnes (facultatif).
Sites internet traitant du sujet.
AAMME : École des arts martiaux médiévaux européens de Toronto.
DIE FREIFECHTER : Gesellschaft die historische Fechtkunst.
BROTHERHOOD OF EAGLES’ NEST (la section entraînement du site internet de nos frères polonais).
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NAISSANCE DE L’ESCRIME MODERNE.
Pionsoireacht en gaélique.
Dès le XVe siècle, sur les champs de bataille, les armes à feu remplacèrent l’épée à deux mains et la lance.
Chez les simples soldats, où les protections sont moindres, on commence à s’intéresser aux techniques permettant de se débarrasser rapidement de son ennemi en survivant au combat. Des individus expérimentés apparaissent, qui enseignent leurs « trucs » à leurs compagnons : ce sont les ancêtres des maîtres d’armes.
Développée au départ sur le champ de bataille, l’escrime va entrer dans le domaine civil avec les mêmes techniques. Au XVe siècle et au début du XVIe, les épées sont des armes essentiellement de taille. Dans les premières salles d’armes, on utilise des épées au tranchant neutralisé et mouchetées, dites « rabattues , on interdit les coups de pointe ou d’estoc, trop dangereux.
Les premiers traités, à propos de l’escrime militaire et du duel judiciaire, nous montrent que l’on utilisait la pointe pour frapper les défauts de l’armure [Flos Duellatorum, 1410, Talhoffer 1433, 1467]. Ces traités attestent de l’utilisation d’armes diverses, du marteau d’armes à l’épée seule en passant par la grande épée (à deux mains), l’épée accompagnée du bouclier, l’épée courte (dusack ou katzbalger en Allemagne), le poignard ou la lutte… Les maîtres d’armes de l’époque utilisent un grand nombre d’armes issues du domaine militaire.
Les seigneurs, quant à eux, s’affrontaient à l’épée ou à la dague (arme à lame courte, d’une trentaine de centimètres). En Espagne (à Séville et à Tolède), en Allemagne (à Cologne, Nuremberg et Augsbourg) en France (à Bordeaux et à Clermont) et en Italie (à Milan, Mantoue, Florence et Pise), il existait des forges renommées où l’on fabriquait des armes décorées artistiquement.
La Renaissance est l’âge d’or du duel. L’invention de l’imprimerie permet la diffusion de traités d’escrime plus nombreux. Des écoles renommées sont fondées à Rome, Naples, Vérone et Venise. Au XVIe siècle, la rapière, née en Italie, remplace l’épée à deux mains. Cette nouvelle arme de duel, longue et fine, est idéale pour les coups d’estoc. La force brute cède le pas en l’occurrence à la ruse et à l’astuce. Issue des armes de guerre, cette épée sera capable de frapper aussi bien de taille que d’estoc.
C’est aussi en Espagne au début du XVIe que l’escrime moderne est née, mais les Italiens furent les premiers à en codifier les principes.
Antonio Manciolino publie en 1531, un ouvrage qui répertorie diverses positions en garde (10) avec une sorte de petit bouclier ressemblant à une targe. Il y eut ensuite le traité d’escrime intitulé Opera nova dell’arte delle armi, publié en 1536, par Achille Marozzo, et celui de Camille Agrippa en 1553. Ce dernier auteur était un scientifique et non un maître d’armes. Il créa la terminologie encore en usage aujourd’hui (prime, seconde, tierce, quarte, etc.).
Du XVIe au début du XVIIe siècle, la référence en matière de technique fut l’Italie. Les maîtres d’armes viennent de ce pays, et il est de bon ton pour la noblesse d’aller y apprendre la science des armes.
Le juriste italien André Alciat est l’auteur du premier livre codifiant la pratique du duel. Il précise la notion de point d’honneur et prévoit les réparations selon la nature des offenses. Cela peut aller du duel au premier sang jusqu’au duel à mort.
Le duel était très répandu en France entre gentilshommes. Les raisons en étaient souvent futiles. Parfois, des seconds se battaient à la place des nobles.
En 1563, le Concile de Trente condamna la pratique du duel. Le duel devint la plaie du royaume. Entre 1588 et 1608, près de dix mille gentilshommes furent tués pour des questions d’honneur.
Le dix juillet 1547, le seigneur de Jarnac, s’estimant gravement offensé par son ami la Châtaigneraie, favori du roi Henri II, le blessa mortellement au cours d’un duel. Le coup qu’il porta au jarret gauche fut appelé « coup de Jarnac ». Il était tout à fait régulier, mais l’usage lui a donné un sens odieux (un coup dans le dos) vu la suite et le contexte.
L’École française d’escrime est née en 1567, année où Charles IX autorise la création de l’Académie des maîtres d’armes.
1936 : électrification de l’épée. 1955 : électrification du fleuret. 1989 : électrification du sabre.
Les comportements sociaux changent, on voit apparaître « la compétition » et son esprit.
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Malgré son ancienneté, ce sport mondialement pratiqué tire sans cesse parti du progrès technique, en connaissant de véritables mutations technologiques (apparition du masque transparent, de l’appareillage sans fil…). Pour autant, l’élégance, la loyauté, ainsi que le respect de l’autre, en sont restés les maîtres mots. On salue son adversaire avant et après chaque assaut, on respecte les décisions de l’arbitre et on se plie à la discipline du lucterios ou maître lors de la leçon, qu’elle soit individuelle ou collective. L’ambiance qui règne dans les salles d’armes est également très conviviale. Car l’escrime est un sport individuel qui favorise un véritable esprit d’équipe, et le cercle d’escrime un lieu propice à la diversité d’engagements – pratiquants, arbitres, entraîneurs, organisateurs – œuvrant dans le même but.
Accessible à tous, homme ou femme, enfant ou adulte, l’escrime est un sport complet où chacun progresse au rythme qui lui convient. Alliant tactique et effort physique, elle développe des qualités utiles à la vie de tous les jours : faculté de concentration, intelligence des situations, vivacité de jugement, esprit de décision, à propos et précision. Pratiquée avec passion, elle pourra influencer durablement, mais aussi positivement, votre mode de vie, car c’est un sport autant qu’un art de vivre.
L’assaut commence au signal de l’arbitre.
[Ligne supprimée puis rétablie puis de nouveau supprimée par les héritiers de Pierre de La Crau : Tumultus gallicus. Le signal de l’arbitre consiste en une sonnerie de carnyx ou de cor].
Fleuret.
Le fleuret demeure l’arme de référence de l’escrime. Au fleuret, on touche avec la pointe et sur le buste uniquement. Les règles sont un peu plus compliquées qu’à l’épée. Pour résumer, il faut faire certains mouvements pour avoir le droit de toucher l’adversaire, ce n’est pas nécessairement le premier qui touche qui gagne le point. La maîtrise technique que nécessite sa pratique est d’abord un handicap, mais à terme finit par être un atout.
Sabre.
C’est très rapide et assez spectaculaire, on peut toucher avec le tranchant (ça ne coupe pas) sur toute la partie du corps se trouvant au-dessus de la ceinture. Les règles de combat sont comparables à celles du fleuret. « Assaut » est certainement le mot qui correspond le mieux à la discipline. Le sabreur se trouve dans la nécessité de fondre sur son adversaire en ayant auparavant, par feinte et préparation interposées, préparé le geste final. Le sabreur doit établir une stratégie de combat capable, non seulement de déstabiliser l’autre, mais aussi d’imposer son jeu avec ses qualités ainsi que ses faiblesses. Adaptation et explosion, voilà ce qu’un épéiste spécialisé dans le sabre doit toujours avoir en tête quand il monte sur la piste.
Épée.
On peut toucher aussi avec la pointe, mais c’est beaucoup plus simple à comprendre : on peut toucher partout (le buste des filles est protégé par des protections de poitrine adaptées, et le premier qui touche gagne le point. À l’épée, la poignée orthopédique privilégie l’action du majeur, de l’annulaire, et de l’auriculaire. L’avantage de la poignée dite « à la française » est que tout le monde peut la tenir aisément.
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LA DANSE ÉCOSSAISE DES HAUTES-TERRES.
Il s’agit là aussi d’un « sport » qui ne date pas d’hier puisqu’il fait partie des nombreuses spécialités du hésus Cuchulainn. L’expression gaélique « Fonaidm niadh for rinnib sleg » peut en effet se traduire par « le héros dansant autour des pointes de javelots ». Désigne sans doute des danses type danse de l’épée ou danse du bouclier (targe).
Traité pratique et théorique de la danse, par Edmond Bourgeois.
Le goût du peuple écossais pour la danse est très prononcé, très vivace, et cela est d’autant plus extraordinaire qu’il a dû, pour triompher, résister à tous les efforts tentés pour le détruire, par l’Église presbytérienne. On peut de cela se faire facilement une idée, à la lecture des romans de Walter Scott.
Cette inclination pour la danse se fait surtout sentir dans les Hautes-Terres, parmi les populations de race celtique. Dans toutes les villes, voire même au fond des plus humbles campagnes, pendant les longues veillées hivernales, les Écossais se réunissent en de nombreuses assemblées où les jeunes garçons et les jeunes filles accourent « en foule » à de véritables écoles de danse.
Les vieilles danses du pays s’exécutent au son de la cornemuse, comme celle des Highland-Reels, dansée par deux couples à la fois.
La Danse des épées ou Gille Chaluim demeure un divertissement national. Deux claymores sont posées en croix sur le sol. Dans un cercle étroit, les danseurs se meuvent avec la plus grande rapidité, variant sans cesse leurs pas, sans effleurer les glaives.
La Danse des épées, qui s’est conservée dans les îles, est un peu plus compliquée. Six danseurs représentent les six saints : Georges, Jacques, Antoine, André, David, et Patrice. Ils se présentent d’abord isolément, l’épée nue à la main, et chantent quelques vers ; puis saint Georges ouvre la Danse. Tour à tour ses compagnons lui succèdent, chacun appelant celui qui suit en frappant son épée. Puis on forme le cercle, chacun tenant l’épée de sa main droite, et de la main gauche la pointe de l’épée de son voisin. Après avoir dansé une ronde, ils lèvent leurs épées, en formant une voûte sous laquelle ils passent rapidement ; puis ils sautent par-dessus les épées. Enfin, ils dansent une autre ronde.
La seconde série de figures est accomplie encore plus vivement. Les six danseurs exécutent une espèce de procession ; puis ils forment un tourbillon où chacun tourne sur lui-même, agitant l’épée autour de lui, tout en poussant des cris sauvages. Puis ils reprennent une allure plus calme au signal de saint Georges. Les danseurs dansent dos à dos ou face à face, en croisant leurs épées.
Danse Highland ou danse des Highlanders désigne aujourd’hui un mode de danse sportif en solo. Il s’agit d’une danse de compétition nécessitant des heures et des heures d’entraînement. Mais à l’origine il s’agissait d’un entraînement de guerrier. Des danses de combat rituelles imitant les exploits épiques, de tels arts martiaux faisaient en effet partie de la culture écossaise.
La danse était une préparation au maniement de la claymore utilisée pour démontrer sa dextérité. Cela impliquait par exemple de savoir danser sur deux épées nues disposées en croix sur le sol sans se blesser. Le folklore explique que c’était un heureux présage avant de livrer bataille, mais cela vient sans doute du mode d’entraînement et du travail sur le jeu de jambes qui était demandé. Il fallait apprendre à se déplacer en fonction de diverses figures géométriques tracées sur le sol (croix, carrés, triangles).
La Dannsadh Bhiodaig ou danse du poignard, dans laquelle le danseur brandit sa dague, est souvent associée à la danse de l’épée ou aux danses appelées Mac an Fhorsair (le fils du forestier) ou Bruicheath (danse de guerre). Elles sont mentionnées dans maintes sources, habituellement militaires, et elles étaient peut-être exécutées en solo ou avec un partenaire (comme en une sorte de duel). Cette danse écossaise n’était donc à l’origine qu’une série de mouvements ayant pour but d’apprendre l’usage du poignard ou de la dague, et elle ressemble beaucoup en cela au Penjak Silat indonésien.
Un certain nombre des danses aujourd’hui disparues devaient sans doute être exécutées avec d’autres armes traditionnelles écossaises, la hache dite du Lochaber, l’épée à double tranchant, le fléau d’armes, ainsi que le petit bouclier appelé targe et le poignard.
La plus ancienne référence à ces danses se trouve dans le Scotichronicon compilé par Walter Bower vers 1440 à propos d’Alexandre III et de son remariage avec Yolande de Dreux, à Jedburgh, le 14 octobre 1285. En tête du cortège, il y avait les musiciens avec toutes sortes de cornemuses et derrière eux d’autres, exécutant une magnifique danse guerrière, qui impressionna beaucoup les spectateurs.
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En 1573, des mercenaires exécutèrent une danse de ce genre devant le roi de Suède à Stockholm (il s’agissait d’ailleurs en fait d’un complot destiné à l’assassiner).
Danses de l’épée ainsi que danses des Highlands faisaient partie du programme des festivités données en l’honneur d’Anne du Danemark, à Édimbourg, en 1589. Et un mélange de danse de l’épée ou d’acrobaties fut exécuté en l’honneur de Jacques 1er en 1617. Idem pour Charles 1er en 1663.
La politique anglaise de répression des Écossais culmina en 1747, avec l’interdiction du port du kilt par les hommes. Cette mesure fut néanmoins rapportée en 1782, et au début du XIXe siècle, la culture, ou du moins ce qu’il en restait, des Hautes-Terres d’Écosse, revint à la mode en Grande-Bretagne. Mais beaucoup de danses traditionnelles avaient déjà disparu, et seules furent admises dans les concours celles qui étaient conformes au goût du jour.
Au départ ces danses n’étaient exécutées que par des hommes, les femmes n’étaient admises que dans les danses de société au sens moderne du terme, celles qui permettent aux deux sexes de se rencontrer et à des couples d’évoluer.
À la fin du XIXe siècle, une jeune femme appelée Jenny Douglas décida de s’inscrire à un concours de danse des Hautes-Terres. Et comme il ne lui fut pas formellement interdit d’y participer, cela fut le début de la conquête de cet art par la gent féminine (aujourd’hui 95 % des danseurs).
Jusqu’en 1986, il n’y avait que deux ou trois types de danses.
La Sean Triubhas. La Seann Triubhas (ou « vieux pantalon » en gaélique) est censée rappeler l’interdiction du vêtement traditionnel des Hautes-Terres par les Anglais après 1747. Les secousses des jambes symbolisent le fait de faire glisser ou d’enlever son pantalon, et la fin de cette danse symbolise la joie du retour au kilt. Enfin si l’on veut !
La Ruidhle Thulaichean (anglicisé en « Reel de Tulloch »). Tulloch est un village du nord-est de l’Écosse. Il semble que cette danse ait commencé par être une sanglante partie de ballon, jouée avec la tête d’un ennemi décapité.
Le Highland fling. Une autre version des danses de l’épée consiste à danser sur le petit bouclier rond écossais appelé targe. La théorie la plus répandue à son propos est que c’était une danse de triomphe après la victoire. Mais une autre, non moins romantique, veut que cette danse ait été exécutée avant la bataille (tout comme la danse de l’épée). La difficulté consiste en ce que le bouclier en question est muni d’une pointe en son milieu : le danseur doit donc faire très attention de ne pas s’y blesser les pieds en virevoltant tout autour.
D’autres enfin y voient une danse imitant avec les mains les bois d’un cerf.
NB. Toutes ces danses des Hautes-Terres d’Écosse, avec leurs bras levés, leur jeu de jambes, et leurs coups de pied, ressemblent beaucoup à certaines prises utilisées dans les différentes formes de lutte celtique ou islandaise (glima).
La plupart des manifestations d’aujourd’hui reconnaissent comme instance suprême le Comité officiel de la danse des Hautes-Terres d’Écosse, créé en 1950. C’est lui qui établit les règles, mais il existe des comités indépendants de ce dernier en Nouvelle-Zélande, en Australie, et bien sûr aussi en Écosse.
Les juges tiennent compte de trois critères principaux : synchronisation, technique, et interprétation artistique.
La synchronisation concerne la capacité du danseur à suivre le rythme de la musique.
La technique se rapporte à l’exécution (correcte) des différentes étapes dans la coordination avec les mouvements du reste du corps, y compris des mouvements de tête, de bras et de main. La capacité du danseur à sauter compte pour beaucoup dans la notation. La qualité de l’interprétation artistique par contre, est plus difficile à juger, car elle dépend de beaucoup de choses.
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LA CHASSE.
Il existe des bas-reliefs assyriens du premier millénaire avant notre ère nous montrant Assourbanipal chassant des lions du haut de son char.
De tout temps, la chasse a représenté pour les hommes un moyen de se nourrir et de se vêtir, ainsi qu’une façon de protéger les récoltes et le bétail contre les prédateurs. La chasse est un sport et un divertissement pratiqué par tous les groupes sociaux. Elle permet aux hommes de se maintenir en forme et constitue un entraînement au combat, en ces temps de guerre permanente où chacun était susceptible d’être amené à se battre.
Mais à côté de cette fonction utilitaire, la chasse est aussi riche de significations. Elle reflète les structures et les modes de penser de la société.
Le chien possède des qualités morales qui le distinguent des autres animaux et l’apparentent aux plus nobles. La fidélité des chiens, envers leurs maîtres, correspond à la loyauté des vassaux pour leur suzerain…
La noblesse celte était aussi férue de chasse à courre. Les monarques mérovingiens et carolingiens aussi qui considéraient un peu leur royaume comme une propriété privée à cet égard. La vie de saint Hubert (mort vers 727/728) nous montre bien à quel point chasser à courre pouvait devenir une obsession. Charlemagne a peut-être même chassé des aurochs dans les Ardennes belges en 802 (et le roi Philippe Auguste en aurait tué les derniers dans les Vosges au 12e siècle). La dernière vache fut en tout cas tuée en Pologne en 1627.
Après l’éclatement de l’empire carolingien, les seigneurs locaux se sont efforcés de monopoliser les réserves et la chasse au gros gibier dans les forêts ou la chasse au petit gibier dans les garennes. Ils y réussirent aussi en Angleterre après la conquête normande. La paysannerie locale ne pouvait y chasser sans s’exposer à des peines très sévères. Les classes inférieures durent se contenter de piéger des oiseaux ou du petit gibier en dehors des forêts ou des garennes réservées à la noblesse.
Une des choses qui frappe le plus en ce qui concerne la chasse médiévale est l’extraordinaire engouement de ses pratiquants pour la terminologie (grande vénerie et petite vénerie). Voir à ce sujet le glossaire de Théodore Roosevelt. Tous les différents éléments de la chasse – les divers animaux à chasser, chaque phase de leur développement, chaque partie de leur corps, chaque étape de la chasse, chaque caractéristique du comportement des chiens – avaient un terme spécifique. Connaître sur le bout des doigts la terminologie de la chasse à courre caractérisait le chevalier accompli.
L’écrivain anglais Thomas Malory a même attribué au chevalier Tristan de la Table Ronde l’invention des termes appropriés dans sa « Morte d’Arthur » écrite au XVe siècle (tome I, livre VIII, chapitre III : Comment sire Tristan apprit à jouer de la harpe chasser avec un faucon et à courre).
Dans la société médiévale où prévaut un fort esprit d’émulation, la chasse est le lieu d’une sévère compétition entre chasseurs. De ce fait, cette activité sera donc réglée par des codes très détaillés. Il existe un « droit de chasse » – droit de se livrer à cette pratique sur un territoire précis – et, par corrélation, un « délit de chasse ». Comme à la guerre, sonner du cor ne peut se faire qu’aux phases essentielles. Les veneurs, chargés de conduire la meute, doivent être habillés de vert pour mieux se fondre dans la forêt. Même l’écorchage et le découpage de l’animal obéissent à des règles strictes.
Les paysans pratiquent la chasse à l’aide de pièges et d’engins tels que collets, filets, fosses ou enceintes. Les nobles méprisent cette « chasse de vilains », car elle n’exige ni courage ni endurance de la part des chasseurs, qui n’affrontent pas directement les bêtes sauvages. La noblesse pratique la chasse au vol – au moyen d’oiseaux de proie préalablement dressés – la chasse à l’arc ou la chasse à courre (vénerie). Celles-ci se font à cheval et à l’aide d’une meute de chiens. Elles exigent de la part du chasseur lancé à la poursuite du gibier, non seulement de l’endurance et du courage, mais aussi de la réflexion pour pouvoir déjouer les ruses de l’animal, dont on admire l’adresse et les efforts (voir Arrien).
L’animal poursuivi utilise différentes tactiques pour échapper à ses poursuivants. Elles sont regroupées sous le terme générique de ruses.
Une fois que la chasse est commencée afin que les chiens perdent sa voie l’animal peut par exemple « changer » avec un autre de la même espèce, ce qu’il peut réussir à faire en levant ou mettant sur pied un de ses congénères et en obtenant qu’il prenne sa place dans la traque. Cela sème la confusion dans la meute. D’où l’importance d’avoir de bons chiens.
Le hourvari ou double voie correspond à la ruse de l’animal chassé qui revient sur ses propres traces et s’enfuit dans une autre direction après quelques centaines de mètres. Les chiens se voient ainsi
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offrir une voie avec un embranchement ou une fourche qui complique la traque et permet au gibier de gagner de l’avance.
L’animal peut aussi traverser de l’eau, une rivière ou un étang, et mettre ainsi un terme à sa voie (à sa trace olfactive).
Ou il peut se jeter à l’eau dans une rivière par exemple et nager, ce que l’on appelle en vieux français le « bat-l’eau ».
Mais n’oublions pas la tactique la plus simple évidemment qui consiste à semer ses poursuivants ou du moins à prendre une telle avance que son odeur disparaît. Il y a forlonge * quand l’animal traqué réussit à distancer ses poursuivants. La voie est presque perdue et c’est alors une question de temps. Si la journée n’est pas trop avancée, si les chiens ont bon nez, si le temps est beau, si, si… la fin de journée met souvent un terme à la chasse. La seule chose qui puisse arriver c’est que l’animal ne se sentant plus poursuivi se mette à ralentir.
En dernier ressort l’animal peut toujours bondir dans un impénétrable bosquet où les chiens sont incapables de le suivre.
* Également forloyne dans le glossaire de Théodore Roosevelt.
Ainsi que l’a bien vu Arrien, ce type de chasse valorise donc à la fois l’animal et le chasseur. On trouve encore à ce moment dans la chasse des restes de l’antique prévention illustrée par Arrien (et si bien disparue depuis) envers le fait de tuer la bête à distance. Même s’il s’agissait d’un simple lièvre, c’était une sorte de trahison que de le tirer l’arbalète ou à l’arquebuse ; il était plus honorable de le prendre à force de chiens, et même pas de chiens trop rapides comme les lévriers ; il fallait lui laisser des chances : et la partie étant ainsi égalisée, qu’il courût ! C’était son affaire, son métier. Sa vie, sans doute, était l’enjeu de la partie ; mais celle des chevaliers mêmes l’était aussi dans les tournois. Plus sévère que l’empereur Charles-Quint, le consciencieux Jacques VI d’Écosse (Jacques 1er d’Angleterre) interdit à son fils de tuer les lièvres de loin. Il n’autorise que « la chasse avec des chiens courants, qui est la plus honorable et la plus noble, car chasser avec des fusils ou des arcs est une chasse de voleurs, et chasser (à vue) avec des lévriers n’est pas un sport aussi martial ».
Les nobles qui pratiquent la chasse au vol (fauconnerie autourserie) ou à courre jouissent d’un immense prestige auprès des dames et des seigneurs. En effet, outre la gloire due au combat contre une bête parfois féroce (chasse au sanglier), elle exige d’énormes moyens financiers. Les meutes atteignent parfois plusieurs centaines de chiens dont il faut s’occuper en permanence. Il faut avoir du personnel (pages, valets de chiens, veneurs), mais aussi des armes, des loisirs, et de l’autorité, pour pouvoir briller dans cette activité. Le repas qui précède et celui qui suit la chasse sont l’occasion de faire preuve de courtoisie et de sociabilité envers les nombreux invités. Enfin, la chasse au cerf de plus de cinq ans (verdet) est considérée comme une chasse royale. La chasse fait donc partie des prérogatives de la noblesse, mais aussi de ses obligations : il lui faut tenir son rang.
La féodalité organise la chasse à courre qui trouve une première expression écrite avec le De arte venandi cum avibus de Frédéric II et surtout, plus complet, avec le Livre du roi Modus et de la reine Ratio, un ouvrage du XIVe siècle, sorte de catéchisme du veneur dû à Henri de Ferrières.
Tout cela autour de traditions royales et populaires pour lesquelles plus de 300 mots, caractérisés par l’obsession de la précision, sont utilisés. La vénerie use d’une terminologie précise : on y donne huit noms différents au sanglier suivant son âge et son sexe (du marcassin au grand vieux sanglier en passant par les bêtes rousses).
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LA CATEIA (LE BOOMERANG).
Voir le gallois castio (tour de passe-passe) le manx chyndaa (rotation) l’irlandais casadh (tourner) et cas (virage), le vieil irlandais caithid (il lance).
Isidore de Séville a consacré une courte notice à cette arme.
Clava est qualis fuit Herculis, dicta quod sit clavis ferreis invicem religata ; et est cubito semis facta in longitudine. Haec et cateia, quam Horatius caiam dicit. Est enim genus Gallici teli ex materia quam maxime tenta, quae iacta quidem non longe propter gravitatem evolat, sed quo pervenit, vi nimia perfringit ; quod si ab artifice mittatur, rursum redit ad eum qui misit. Huic meminit Vergilius dicens (Aen. 7,741) : Teutonico** ritu soliti torquere cateias (Étymologies XVIII, VII, 7).
La clava est comme le type de massue ayant appartenu à Hercule. Elle est appelée ainsi parce qu’elle est renforcée sur le côté par une rangée de clous et fait une demi-coudée de long (44 cm). C’est la même arme que la catéia qu’Horace appelle caia. C’est une sorte d’arme de jet faite du bois le plus résistant possible et qui n’a pas une très longue portée à cause de son poids, mais qui, quand elle a atteint la cible, la frappe avec une très grande force. Si elle est lancée comme il faut, elle revient à celui qui l’a envoyée ainsi que nous le rappelle Virgile quand il dit (Enéide 7, 741) : « Ils lancent la catéia comme le font les Teutons** » (Isidore. Étymologies XVIII, VII, 7).
À noter : la curieuse association de cette arme à Ogmios (l’Hercule celte, dieu-ou-démon de l’éloquence). Le terme est également mentionné par le grammairien latin nommé Servius (ad Aen. 7, 741) et il est traduit ainsi par lui : « Tela gallica reciprocas faciebant ».
À noter aussi. Le maniement de la catéia faisait aussi partie autrefois des clessa de tout guerrier celte qui se respectait.
BORDES Luc. Étude sur les bâtons de jet traditionnels et l’ajustement des boomerangs. Bulletin de technologie primitive, automne 2011 : N° 42.
Depuis son appropriation par les Européens, le terme « boomerang » a été utilisé pour désigner indifféremment toutes sortes de bâtons de jet. Cet abus de langage, provoqué par la fascination qu’exercent ces objets qui reviennent en vol, a conduit à oublier l’existence d’un groupe plus vaste et très divers d’objets apparentés.
En 2010, des fouilles archéologiques effectuées sur le site préromain d’Urville, à Nacqueville, en Normandie, commercialement relié par des bateaux traversant la Manche avec la région du Dorset en Angleterre, ont permis de mettre à jour un objet en bois inconnu. Il s’agissait d’un morceau de bois courbe de 54 cm d’envergure et de 1 cm d’épaisseur.
L’analyse du bois montre qu’il est fait d’une seule pièce tirée d’une branche de pommier. Le bâton d’Urville Nacqueville a été soigneusement conçu et poli afin d’éliminer toutes traces d’outils. Trois rainures longitudinales parallèles étroites ont été creusées le long des deux surfaces de l’objet, en son milieu. Cinq bandes de fer ont été fixées autour de ses extrémités, du coude et de la partie médiane de chacune de ses pales. Dans chaque cas leurs extrémités ses recouvraient et avaient été fixées avec un petit clou. Une de ces bandes avait disparu et une des pales fut donc retrouvée sans elle, mais la marque d’un clou atteste de sa présence.
Ce meuble archéologique en forme de boomerang, datant de 120 à 80 avant notre ère, a été retrouvé dans le fossé d’enceinte d’un village celte proche d’un dépôt rituel d’ossements de baleine. L’étude attentive de cet outil montre qu’il a vraisemblablement servi de bâton de jet pour chasser des oiseaux. Dans le but de valider cette hypothèse, des répliques ont été réalisées, afin d’obtenir plus d’informations sur sa destination, en fonction des différentes trajectoires obtenues.
Ce meuble archéologique a été mis au jour dans une zone rurale, dans une tranchée clôturée protégeant un habitat où se trouvaient trois bâtiments circulaires. Le bâton était en position verticale par rapport au mur externe oriental de cette structure. La base de l’objet se trouvait sur un petit canal construit quelque temps après le remplissage de la tranchée principale. Cette position particulière du meuble archéologique en question peut être interprétée comme résultant d’un dépôt effectué à dessein plus que d’un abandon.
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Le bâton de jet est un morceau de bois de forme incurvée variable, comportant plusieurs lames plus ou moins accentuées formant un angle. Cette pièce de bois est lancée à la main et tourne autour de son centre de gravité.
Certains bâtons sont capables d’atteindre une distance de 150 à 200 mètres et de casser les pattes d’un grand mammifère. Les Tamouls du sud de l’Inde utilisaient encore ce type d’armes au XIXe siècle pour chasser des lièvres, mais aussi des mammifères aussi gros qu’un cerf. Il était également connu en Amérique du Nord par les Indiens pueblos, sous le nom de « bâton à lapin », car principalement utilisé pour chasser le lapin justement.
Cette arme est également connue sous le nom de « lagobolon » dans la Grèce antique où elle est représentée sur plusieurs statues et vases figuratifs.
L’autre utilisation principale du bâton de jet s’avère être la chasse aux oiseaux. Bien attesté en Australie, ce type de chasse est également représenté sur les peintures funéraires représentant la vie quotidienne de l’élite de la société égyptienne antique. La scène se déroule généralement dans un marais où le chasseur sur un petit bateau en papyrus et son bâton de jet à la main est suivi par ses serviteurs. Le chasseur vise une volée d’oiseaux et en atteint souvent plusieurs à la fois. En Australie et sur d’autres continents, les bâtons de jet étaient aussi utilisés avec des filets pour chasser les oiseaux, mais parfois même également de gros mammifères. En ce qui concerne la chasse aux oiseaux, les bâtons de jet revenant vers leurs lanceurs servaient surtout à imiter l’attaque d’un oiseau de proie et faire en sorte que les oiseaux se jettent dans des filets fixes au sol. Comme il s’agissait en effet d’un bâton très léger pesant généralement moins de 200 grammes et doté d’une envergure d’environ 40 à 50 cm, les bâtons de lancer revenant vers l’arrière servent généralement uniquement à ce type de chasse aux oiseaux et sont spécialement conçus pour ce rôle.
Le plus ancien bâton de jet reconnu date de 23 000 ans. Cet objet en ivoire de mammouth a été trouvé dans la grotte d’Oblazowa en Pologne. Les bâtons de jet trouvés à Elbschottern près de Magdebourg en Allemagne et à Velsen aux Pays-Bas, datant respectivement de 800 à 400 avant notre ère et de 300 avant notre ère, sont les seuls exemplaires connus de l’âge du fer.
Le bâton de jet de Velsen a une envergure de 39 cm. Son épaisseur varie de 6 mm pour ce qui est de ses extrémités à 8 mm pour son coude. Sa masse est évaluée à 72 g et on estime son rapport masse/surface autour de 0,47 g / cm². Cet objet est en chêne, un bois favorable à la fabrication de bâtons de jet légers ou de boomerangs. Sa forme, arrondie avec une largeur constante et des extrémités tronquées, se rapproche de celle du bâton d’Urville Nacqueville, mais il s’agit d’un objet plus léger doté d’une meilleure finition. Ses caractéristiques sont donc celles de la classe ultra légère des bâtons de jet (rapport masse / surface <0,7 g / cm²).
Le bâton de jet avec retour trouvé à Elbschottern près de Magdebourg est une autre trouvaille archéologique s’en rapprochant beaucoup. Ce bâton de jet appartient à une période plus ancienne puisque sa datation le fait remonter à une période allant de 800 à 400 ans avant notre ère. Le bois utilisé est du bois de frêne. Sa lame, mieux conservée, a une longueur de 22,7 cm, une épaisseur comprise entre 0,7 et 1 cm et une largeur variant de 7,35 au coude à 4,25 à 4,4 cm à l’extrémité des pales. Son envergure est de 37 cm. En fonction de son dessin, on peut estimer sa surface à environ 182,6 cm² et situer son poids entre 76 et 109 g étant donné la densité moyenne du bois de frêne. Ce projectile appartient donc à la catégorie ultra légère des bâtons de jet. Comparé au bâton d’Urville Nacqueville, c’est un objet plus petit et plus léger. Semblable au boomerang aborigène australien, il a un coude élargi, alors que le bâton d’Urville, lui, a une largeur constante. Son profil rectangulaire est proche de celui d’Urville même si le profil du bord d’attaque de sa pale est légèrement différent avec un intrados concave. Cette particularité vise à augmenter notablement la portance aérodynamique du bord d’attaque de la pale afin d’accentuer la trajectoire de retour. Cette surface portante de type mixte se rencontre couramment sur des bâtons de jet australiens et caractérise le meuble archéologique d’Urville Nacqueville.
Les comparaisons ethnologiques sont éclairantes. L’objet trouvé à Urville Nacqueville a en effet des traits communs avec les fameux bâtons de jet indiens pueblos américains. Ces bâtons de jet spécialisés étaient utilisés pour la chasse aux lapins et avaient souvent une forme incurvée, une extrémité tronquée et un profil rectangulaire. Ces bâtons à lapin sont néanmoins conçus pour la chasse au sol et sont généralement plus épais, plus gros et plus lourds que le bâton d’Urville Nacqueville. La comparaison laisse à penser que l’objet d’Urville Nacqueville pourrait être trop fragile pour le gibier au sol et plutôt adapté à la chasse aux oiseaux. Mais le point commun le plus frappant
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entre notre meuble archéologique et les bâtons de jet du Sud-ouest américain est la présence de trois ou quatre rainures longitudinales creusées dans la partie centrale des pales, une caractéristique fréquemment rencontrée sur le bâton de jet Anasazi qui précède les bâtons à lapins pueblos.
Les bâtons de jet du sud-ouest des États-Unis sont en effet issus d’une très ancienne tradition d’Amérique centrale, car les Mayas s’en servaient comme bâton de combat et pour détourner les traits ennemis qui s’abattaient sur eux. Ils laissent souvent apparaître un jeu de rainures longitudinales au milieu des deux pales similaires à celles observées sur le meuble archéologique d’Urville Nacqueville. Ces jeux de rainures sont régulièrement interrompus par des espaces vides permettant d’enserrer le bâton avec un tendon ou un cordon en fibres végétales. Ce système de renforcement des bâtons de jet aurait pu être aussi utilisé avec le meuble archéologique celte, mais utiliser du fer pour mettre en place des bandes de cerclage était la technique la plus répandue à l’âge du fer.
Une autre comparaison ethnologique en ce qui concerne le renforcement et la réparation est celle que l’on peut faire avec les feuillards de fer utilisés pour les bâtons de jet tamouls (valari). Des feuillards de fer sont en effet utilisés pour les bâtons de jet du sud de l’Inde appelés valari datant du XIX et XX siècles, et utilisés pour la chasse ou la guerre. Il est à noter en outre que les valari cerclés avec des feuillards en fer ne servent plus de projectiles, mais jouent un rôle rituel et symbolique dans les temples ou sont échangés lors des mariages. Certains de ces bâtons comportent une sorte de large feuillard en fer soigneusement fixé à l’extrémité de leur pale la plus courte, la pale de suite, et ont une largeur d’environ 2,5 cm similaire donc à celle des feuillards de meuble archéologique celte, mais sont plus épais (environ 1 mm). Ce type de feuillard élaboré au moment de la fabrication du bâton de jet est encastré dans une encoche soigneusement taillée et soudé.
Un autre type de feuillard en fer sur bâtons de jet indiens de type valari est celui utilisé pour les réparer. D’autres valari montrent en effet un feuillard de fer plus étroit, à la largeur d’environ 8-9 mm et avec une épaisseur de 0,5-1 mm fixé par un petit anneau de fer sur le bord, visiblement destiné à la réparation. Les valari comportant ce type de feuillards sont en effet toujours endommagés ou ont leur bois fendu.
En résumé.
Le bâton de jet d’Urville Nacqueville, renforcé par une bande de fer, est unique en Europe pour la deuxième période de l’âge de fer. Ses différents états, marquant la transition entre un projectile de chasse réellement utilisé et un objet de prestige assumant une fonction plus symbolique, augmentent encore sa valeur archéologique. Ce bâton de jet utilisé probablement pour la chasse aux oiseaux témoigne d’une ancienne tradition de fabrication et d’utilisation du bâton de chasse léger dans le nord de l’Europe. Cette découverte atteste de la grande continuité de l’utilisation des bâtons de jet en Europe depuis le paléolithique, comme le prouve le bâton de jet en ivoire trouvé à Oblazowa, et jusqu’au néolithique, comme le prouvent ceux découverts à Egolzwil en Suisse. Malgré l’existence d’une arme plus moderne et plus efficace comme l’arc, les chasseurs continuent à utiliser des bâtons comme arme fiable pour chasser pendant l’âge du fer, et à la période celtique, améliorent ce projectile primitif en utilisant ce métal. Cette arme de chasse a été spécialement adaptée aux marais et aux zones côtières riches en oiseaux, comme en témoignent les découvertes d’objets similaires faites le long de l’Elbe et du boomerang de Velsen, similaires aux objets trouvés sur un site côtier des Pays-Bas.
Vu les ossements d’animaux trouvés lors des fouilles, où figuraient de nombreux restes d’oiseaux, nous savons que leur chasse était pratiquée sur ce site et qu’au cours du deuxième âge du fer elle était réservée à l’élite. Les bâtons de chasse aux oiseaux étaient en effet déjà dépassés en tant qu’armes de tous les jours lors du deuxième âge du fer, car ce n’étaient probablement plus des armes de chasse courantes depuis le néolithique, période au cours de laquelle ils semblent acquérir de nouvelles fonctions plus symboliques. Cette découverte montre néanmoins que son usage s’est perpétué jusqu’à l’époque celtique avec une valeur symbolique croissante. Le bâton de jet était-il utilisé à cette époque, comme il le fut par les nobles égyptiens du delta du Nil dans l’Égypte ancienne, afin de chasser les oiseaux ? Cette fonction d’arme de chasse de prestige pourrait expliquer à la fois la fabrication soignée de cet objet utilitaire et le soin porté à ses réparations, ainsi que sa conservation en tant qu’objet culturel important et pour finir son dépôt comme offrande dans le fossé où il a été retrouvé. (D’après Luc Bordes, spécialiste en Préhistoire, Paléoenvironnement et Sciences archéologiques.)
CONCLUSION.
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Le boomerang, cet objet de bois de forme étrange, à mi-chemin entre légende et histoire, et qui est censé revenir de façon quelque peu surprenante dans la main de son lanceur, reste pour beaucoup, sinon une légende, du moins une sorte de mystère. Seul le peuple aborigène d’Australie a pu garder cette tradition, probablement pour des raisons idéologiques.
C’était à l’origine une arme connue depuis plusieurs dizaines de millénaires, et qui, comme les tatouages sur les points d’acupuncture (voir le cas d’Otzi *) fait donc partie du patrimoine culturel commun de l’Humanité. Il était utilisé lors de tournois d’adresse entre les tribus de chasseurs.
Le boomerang redécouvert chez les aborigènes d’Australie en 1770 était donc connu sur toute la planète (Amérique, Europe…) durant la préhistoire.
On en a même trouvé toute une collection dans la tombe de Toutankhamon, grand chasseur de canards devant l’éternel (1350 avant notre ère. Tiens, c’est curieux, les chantres de la tradition primordiale n’en ont jamais parlé).
En fait, on pense que bon nombre de peuples maîtrisaient la catéia, mais celles-ci étant la plupart du temps faites en bois, ils se sont sans doute très mal conservés, raison pour laquelle on en a retrouvé très peu.
Jadis arme de chasse ou de guerre (cf. la catéia d’Isidore de Séville) le boomerang est aujourd’hui presque exclusivement lié à une pratique sportive ou un loisir. C’était d’ailleurs aussi le cas de l’exemplaire découvert à Urville Nacqueville si l’on en croit cette étude de Luc Bordes. Ce n’était plus un instrument de chasse courant et basique, mais une arme de sport ou d’entraînement réservée à l’élite guerrière locale et le tout en lien avec la noblesse de Grande-Bretagne. Enfin toujours du moins si nous comprenons bien l’auteur de cette étude du mobilier archéologique d’Urville Nacquevillle.
Le passage d’un outil primitif à un sport de compétition s’est accompagné d’une redécouverte de l’objet puis d’une adaptation progressive de ses caractéristiques en fonction des différentes disciplines sportives ainsi que des technologies disponibles. On est aujourd’hui parfois bien loin du morceau de bois utilisé, il y a plusieurs millénaires.
* Homme préhistorique découvert en 1991, dans un glacier à la frontière de l’Italie et de l’Autriche.
** Du celte touto tribu. Peuple ayant habité le Danemark antique.
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LE TIR A L’ARC. LES FONDEMENTS DE L’ARCHERIE.
Voilà une cinquantaine de milliers d’années environ, l’Homme s’est posé une question : comment lancer une pierre taillée en pointe de façon à ainsi abattre un animal d’aussi loin que possible ? La lance munie à son extrémité d’une pierre tranchante avait donné d’excellents résultats. Elle permettait de harponner des poissons et de tuer les petits animaux qui se cachent dans des terriers ou vivent dans les arbres. Projetée à distance par un bras puissant, elle pouvait atteindre un animal et le tuer. Néanmoins, quelles que fussent l’adresse de l’homme et sa force physique, la portée de cette arme demeurait assez limitée : une douzaine de mètres tout au plus.
Il fallait trouver autre chose, et ce fut l’invention du propulseur qui lançait des sagaies de trois mètres de long.
Mais ce n’était toujours pas suffisant.
L’ARC DROIT.
L’Homme alors remarqua que les branches de certains arbres pouvaient être courbées à la force du poignet, mais qu’elles reprenaient leur forme initiale, aussitôt relâchées. Cela lui inspira un autre moyen d’envoyer ses lances, un moyen bien plus efficace que les muscles de ses bras. Il imagina de réunir par une liane les deux extrémités d’une branche : l’arc était né ! Dès lors, il put viser avec précision et abattre un animal à une quarantaine de mètres.
Les plus vieilles pointes retrouvées jusqu’à présent datent de 50 000 ans.
Des arcs en orme de la longueur d’un homme ont été trouvés sur plusieurs sites de la civilisation d’Ertebölle au Danemark. Certains des arcs les plus anciens et les mieux préservés d’Europe ont été trouvés sur des sites de l’Âge de pierre à Holmegaards Mose à cinquante kilomètres au sud-ouest de Copenhague. Les restes de cinq arcs datant d’environ 7000 avant notre ère ont été découverts dans cette tourbière.
On a trouvé des pointes de flèches dans les plus anciennes tombes à char de Krivoe Ozero, un site faisant partie de la civilisation de Sintachta-Petrovka, qui date d’environ 2100 à1700 avant notre ère, mais l’arc qui les a tirées n’a pas été conservé. La civilisation d’Andronovo, héritière de la civilisation de Sintachta-Petrovka, a été la première à s’étendre des montagnes de l’Oural jusqu’aux monts Tian en Asie centrale, et les civilisations lui ayant succédé ont donné naissance aux migrations indo-européennes.
Les arcs monoblocs, faits d’une seule pièce de bois, sont appelés arcs droits, grands arcs, ou longbow en anglais, bien qu’il soit en fait d’origine galloise. C’était en effet l’arme « par excellence » des archers du Pays de Galles, ou des Flandres. C’est le plus primitif et le moins performant. Il pouvait avoir une longueur de plus de deux mètres.
LES MATÉRIAUX.
Un arc composite est un arc fait à partir de corne, de bois, et de tendon contrecollés ensemble. La corne est sur le ventre, faisant face à l’archer, et le tendon sur le dos d’un cœur en bois. Quand l’arc est bandé, le tendon (étiré à l’extérieur) et la corne (comprimée à l’intérieur) emmagasinent plus d’énergie que le bois pour la même longueur d’arc. La force peut être semblable à celle des arcs « monobloc » faits d’une seule pièce de bois, avec une allonge semblable et donc une même quantité d’énergie conférée à la flèche que dans le cas d’un arc beaucoup plus court. Un arc composite exige néanmoins plus de matériaux différents qu’un arc monobloc, sa construction prend beaucoup plus de temps, et le résultat final est plus sensible à l’humidité.
Les arcs composites sont connus en archéologie et en histoire de l’art depuis le deuxième millénaire avant notre ère, mais leur histoire n’est pas très bien documentée, car ils ont été mis au point par des cultures sans tradition écrite.
Les arcs composites ont peut-être été inventés d’abord par des nomades de la steppe asiatique, ayant pu s’inspirer des arcs stratifiés d’Asie du Nord, antérieurs (arcs monobloc renforcés par du tendon, utilisation de deux essences d’arbre différentes, etc.)
Tels qu’ils sont en tout cas ces arcs composites nous viennent des pasteurs asiatiques qui s’en servaient comme outils de la vie de tous les jours, par tradition pour les archers à cheval bien que l’on
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puisse également s’en servir au sol. De tels arcs se sont répandus chez les militaires (et les chasseurs) des civilisations entrées en contact avec ces tribus de nomades ; les arcs composites ont été utilisés à travers toute l’Asie de la Corée aux côtes atlantiques de l’Europe et en Afrique du Nord, et vers le sud dans la péninsule Arabe ainsi qu’en Inde.
Plusieurs arcs composites ont été trouvés dans la tombe de Toutankhamon, mort en 1324 avant notre ère. Les arcs composites (et les chars) sont connus en Chine au moins sous la dynastie Shang (1700-1100 avant notre ère). Mais à partir du IVe siècle avant notre ère, la charrerie cessa d’avoir de l’importance au point de vue militaire, et fut remplacée par la cavalerie un peu partout (sauf en Grande-Bretagne où les auriges ne sont pas signalés comme utilisant des arcs).
L’archer à cheval est alors devenu l’archétype du guerrier des steppes et l’arc composé on arme par excellence, utilisée pour protéger les troupeaux, dans les guerres de steppe, et lors des expéditions (notamment celles des Huns, des Magyars, des Mongols, et des Turcs) dans les zones habitées. La tactique classique des archers à cheval était le harcèlement ; ils s’approchaient, tiraient, et battaient en retraite avant qu’une riposte efficace ait pu être mise sur pied. L’expression « flèche du Parthe » est une allusion à la tactique fort répandue de ces archers à cheval, du tir vers l’arrière par-dessus la croupe de leurs chevaux quand ils battaient retraite. Les Parthes ont infligé plusieurs sévères défaites aux Romains, la première étant la bataille de Carrhae. Cependant, les archers à cheval ne rendaient pas une armée invincible ; le général chinois Ban Chao a mené des expéditions militaires réussies vers la fin du 1er siècle jusqu’en Asie centrale, et Alexandre le Grand a défait une armée d’archers montés à cheval lors de son premier contact avec.
Les archers d’infanterie de la Grèce classique et de l’Empire romain utilisaient des arcs composites. Les armées de la dynastie Han (220 avant notre ère-206 de notre ère) utilisaient des arbalètes composites dans leurs combats contre les Xiong-Nou. La bataille de Lépante (1571) a été le dernier cas d’utilisation majeure de l’arc composite par l’Empire ottoman.
LES DIFFÉRENTES FORMES D’ARC.
Si l’arc monobloc a été inventé à une époque que l’on situe entre 50 000 et 15 000 ans avant notre ère, la première description connue de l’arc à double courbure classique apparaît sur le fourreau d’une épée retrouvée dans une tombe scythe, datant du 7e ou 8e siècle avant notre ère. Dans des formes parfois élémentaires, ce profil semble avoir été utilisé depuis très longtemps par un grand nombre de tribus d’Amérindiens, tels que les Chinooks, Kwakiutls, Nootkas, Wintus, Hupas, Klamaths, Modocs, Karoks, par certains Cheyennes et par les Inuits. Mais les maîtres en la matière furent sans conteste les facteurs d’arc du Moyen et de l’Extrême orient. L’arc sino-mongol ou arc turc vient probablement des arcs égyptiens et assyriens. À partir de ces arcs composés de bois, de corne et de tendons, les facteurs d’arc orientaux conçurent un arc réflexe, aux extrémités rigides, et dont les matériaux étaient assemblés à l’aide de colle de poisson et de fils de soie. Ce modèle, avec ses variantes tant dans sa forme que dans sa composition, fut adopté au rythme des conquêtes par les Perses, les Hindous, les Mongols, les Chinois, les Coréens, les Parthes, les Scythes, les Huns et tous les peuples du Moyen-Orient. Il fut l’un des instruments majeurs de la domination des peuples des steppes qui se succédèrent sur le sol européen et il traîne derrière lui une longue histoire sanguinaire. C’est également l’arc celtique puisque les Celtes antiques l’avaient emprunté aux Scythes.
En archerie, la forme de l’arc est bien évidemment celle qu’offre tout plan latéral de l’objet. Elle résulte de la façon dont le facteur d’arcs a conçu les complexes relations pouvant exister entre les différentes contraintes matérielles. En ce qui concerne les branches, elle est conçue pour prendre en compte les matériaux de fabrication, les performances requises et l’utilisation envisagée pour l’arc en question.
Il existe de nombreux types de formes d’arc. La plupart se répartissent néanmoins en trois catégories principales : droites, à double courbure classiques et à poulie. Les arcs droits et à double courbure classiques sont considérés comme étant des arcs traditionnels.
Les matériaux doivent résister à ces contraintes, emmagasiner l’énergie et la restituer rapidement et sans rien perdre. De nombreux arcs, en particulier les arcs monoblocs traditionnels, offrent un profil à peu près droit vu latéralement. Un arc à double courbure classique a des extrémités qui pointent en sens inverse de l’archer lorsque l’arc est tendu. Par définition, la différence entre les arcs classiques à double courbure et les autres arcs tient au fait que la corde touche une partie de la branche lorsque l’arc est bandé.
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Si une branche est « droite », sa longueur effective reste la même quand l’arc est bandé. C’est-à-dire que la corde au repos n’est en contact avec la branche de l’arc qu’à ses extrémités après avoir été fixée dessus. S’il s’agit d’un arc à double courbure de la branche ((extrémités de la branche courbées vers l’avant de l’archer) la corde au repos est au contact de la branche avant d’atteindre l’encoche aménagée à son extrémité. La longueur effective de la branche, au début du tir, est donc plus courte ; mais au fur et à mesure que l’arc est armé, les courbures « se redressent », et la branche devient de fait plus longue, l’avantage mécanique augmente donc pour l’archer. De la tension s’accumule inversement dans les matériaux des branches. Le ventre de l’arc (la partie la plus proche de l’archer) est fortement comprimé, le dos (la partie la plus éloignée de l’archer) se tend et la partie entre les deux subit une forte contrainte de cisaillement.
Les matériaux doivent résister à ces contraintes, emmagasiner l’énergie et restituer rapidement, mais également sans rien en perdre cette énergie. La quantité d’énergie emmagasinée est déterminée par les contraintes supportées ainsi que par la forme de la branche, sans la corde ou avec la corde montrée sur l’arc, puis tendue à pleine allonge à mesure que les deux courbes se redressent. Ces principes pour emmagasiner plus efficacement de l’énergie et s’en servir afin d’accélérer la vélocité de la flèche, furent bien compris dès l’antiquité, ainsi que le montrent les exemples suivants.
Arcs droits.
De nombreux arcs, en particulier les arcs monoblocs traditionnels, ont un profil à peu près droit. Ils sont donc généralement dits droits, malgré les courbes mineures du bois naturel et la courbure qu’un arc en bois subit après utilisation. Lorsque l’archer commence d’armer son arc, l’avantage mécanique est à son maximum… Quand il décoche la flèche, l’inverse se produit, la flèche est accélérée au maximum et cette force diminue rapidement. La flèche doit donc être suffisamment solide pour résister à une telle accélération et, à mesure que la corde décélère, il peut arriver aussi que la flèche se détache de la corde prématurément, ce qui diminue son efficacité.
Et puisqu’il est impossible de parler d’arc et de flèches sans évoquer Robin des Bois quelques mots à son sujet. Certains font remonter sa légende à un très vieux fond celtique local (de type féniane). Le roi Jean d’Angleterre dit Sans Terre lui, par contre, a vraiment existé. C’est même lui qui a donné en 1203, avec son vassal Pierre de Préaux, l’île d’Écréhou, dans la Manche, aux moines cisterciens (en franche aumône). Droits résiduels sur cette île aujourd’hui entre les mains d’une famille française (depuis un acte sous seing privé de l’Ordre de Cîteaux en 1976).
Les grands arcs droits utilisés par les archers anglais du Moyen-âge lors des batailles de Crécy et Azincourt étaient des arcs à branche droite. Habituellement fabriqués en bois d’if, ces arcs afin d’avoir le maximum d’impact sur l’ennemi étaient utilisés par des archers en nombre décochant tous en masse des volées de flèches. Les flèches étaient longues et lourdes et dotées de pointes perforant les armures.
Mais à Crécy la victoire ne fut néanmoins acquise que parce que les premiers escadrons ne suivirent pas les ordres du roi et que les cordes des arbalètes génoises avaient été détendues par la pluie, alors que les cordes en chanvre rustique des arcs gallois furent au contraire endurcies par l’humidité ; et à Azincourt on se demande bien pourquoi, car le commandant des forces françaises (12 000 hommes selon Anne Curry dans son livre intitulé Azincourt une a nouvelle histoire) le maréchal Jean II Le Meingre dit Boucicaut, un vieux soldat expérimenté, avait tout fait pour éviter la répétition des désastres précédents (Crécy et Poitiers) et n’envisageait qu’un affrontement en terrain découvert pouvant permettre le déploiement de ses effectifs, pas le goulot d’étranglement dans lequel se retrouvèrent les troupes françaises à l’aube du 25 octobre 1415 après une nuit entière de manœuvres et de contre-manœuvres. Son plan de bataille initial a été retrouvé au début des années 1980 dans les archives de la British Library par Anne Curry.
Arcs classiques à double courbure.
Un arc classique à double courbure a des extrémités qui pointent vers l’avant de l’archer lorsque l’arc n’est pas monté. Par définition, la différence entre les arcs classiques à double courbure et les autres arcs tient au fait que la corde touche la partie de la branche située avant l’extrémité portant l’encoche lorsqu’elle est montée sur l’arc. Un arc à double courbure classique emmagasine plus d’énergie et restitue cette énergie de manière plus performante qu’un arc à branche droite équivalent, conférant
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ainsi plus d’énergie et de vitesse à la flèche. Un arc à double courbure classique permet d’avoir un arc plus court que le simple arc à branche droite pour une énergie de flèche donnée et cette forme a donc souvent été privilégiée par les archers dans les cas où des armes trop longues peuvent s’avérer encombrantes, comme dans les terrains couverts de broussailles et de forêts, ou à cheval.
Les branches recourbées sollicitent également davantage les matériaux utilisés pour la fabrication de l’arc et peuvent faire plus de bruit lors du tir. Les courbures situées aux extrémités rendent l’arc instable lorsque la corde est montée dessus. Un arc classique à double courbure sans la corde montée dessus peut avoir une forme déroutante et de nombreuses armes amérindiennes, lorsqu’elles sont isolées de leurs propriétaires et de leurs cultures d’origine, ont été montées à l’envers et brisées lorsque des essais de tir avec ont été faits.
Le profil d’arc classique à double courbure a été introduit et développé en Europe surtout par les Celtes, mais les arcs étaient alors surtout utilisés pour la chasse et jugés peu dignes de l’éthique militaire qui accordait le beau rôle ou du moins la priorité à la charge des chevaliers de type « charge de la brigade légère à Balaklava » ou au corps-à-corps. D’où l’explication peut-être d’un certain nombre des victoires anglaises de l’époque (Crécy Poitiers Azincourt, etc.). On retrouvera d’ailleurs le même problème en France bien des siècles plus tard (du fusil Chassepot aux chars et aux avions : de l’excellent matériel, mais mal utilisé).
Arc bourguignon.
Il semble que les arcs dits « bourguignons » ou « français » soient des arcs courts d’environ 1 m 60 (la taille approximative de l’homme de cette époque), donc avec une plus petite allonge que le grand arc droit gallois, mais une plus grande précision.
Les branches de l’arc bourguignon sont légèrement recourbées au niveau des poupées. En clair, l’arc français ou bourguignon était comme l’arc scythe un compromis un intermédiaire ou une synthèse entre le grand arc droit gallois et l’arc oriental asiatique mongol, turc, voire grec, antique.
Arcs réflexes.
Un arc réflexe est un arc qui lorsqu’il n’est pas encordé a des branches très fortement courbées voire est courbé sur toute sa longueur en pointant vers l’avant de l’archer et en ressemblant ainsi à un « C » ; ce qui différencie un arc réflexe d’un arc à double courbure classique dans lequel seules les extrémités des branches (dites poupées) pointent vers l’avant de l’archer. Du fait de ces courbes les matériaux de l’arc subissent une plus grande contrainte ce qui permet à un arc plutôt court d’avoir une tension d’allonge élevée ainsi qu’une grande longueur d’allonge. Cela permet à un arc nettement plus court qu’un arc à double courbure classique ou qu’un grand arc droit de tirer avec une vitesse et une puissance égales ou supérieures. Les arcs réflexes sont devenus l’arme favorite des archers à cheval qui ont maintes fois conquis une grande partie de l’Asie et de l’Europe. Leur profil assez court comparé aux arcs plus longs en faisait une arme idéale pour une utilisation à cheval. Les matériaux utilisés ainsi que la fabrication devaient néanmoins être de grande qualité.
Les arcs réalisés à l’aide de matériaux traditionnels ayant un réflexe important sont presque tous des arcs composites, composés des trois couches de matériau classiques que sont la corne, le bois et le tendon ; ils sont normalement dotés d’une double courbure. Les arcs composites fortement réflexes sont encore utilisés en Corée (gakgoung) et ils étaient courants dans le tir à l’arc traditionnel turc et indien. Il est plus difficile de monter la corde sur les arcs fortement réflexes qui peuvent brutalement revenir à leur position d’origine ; ils ont rarement été utilisés pour chasser ou faire la guerre.
Les arcs des anciens Grecs avaient deux formes différentes : les uns consistaient en deux cornes, jointes ensemble par une pièce droite au milieu de l’arme, les autres, quand ils étaient sans corde, avaient une forme circulaire, comme une baie maritime (sinus). Quand l’arc était monté, il se pliait en arrière dans le sens inverse de sa courbe ; ce qui devait lui donner une force terrible : ainsi s’explique le vrai sens de l’épithète homérique palintonon (Odyssée chant 21 l’épreuve de l’arc d’Ulysse).
Arc à poulies.
L’arc à poulie, à ne pas confondre avec un arc composite, est un arc moderne qui utilise un système de démultiplication des forces, généralement constitué de câbles et de poulies, pour armer l’arc. Les branches d’un arc à poulie sont beaucoup plus rigides que celles d’un arc classique à double courbure ou d’un grand arc droit. Cette rigidité des branches rend l’arc à poulies plus économe en énergie que
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les autres arcs. La corde de l’arc à poulies standard passe dans des poulies, et une des poulies ou les deux ont un ou plusieurs câbles fixés à la branche opposée. Quand on arme cet arc en tirant la corde en arrière, elle fait tourner les poulies. Une plus grande quantité d’énergie par rapport aux autres arcs est alors emmagasinée.
Arbalètes.
Lors des djihads entrepris par les peuples d’Europe afin de « délivrer » le tombeau du Christ à Jérusalem, les arcs et les flèches furent les armes favorites des adversaires en présence, mais c’est à cette époque qu’apparut aussi l’arbalète.
L’arbalète est une arme dont le principe est similaire à celui d’un arc. Elle consiste en un ensemble en forme d’arc, appelé arc, monté horizontalement sur un bâti principal appelé arbrier, qui est tenu à la main de la même manière que la crosse d’un fusil.
L’arbalétrier remonte son arme comme un ressort, vise et appuie sur une détente qui libère avec force des projectiles en forme de flèche appelés traits ou carreaux. L’arbalète européenne médiévale a été désignée par de nombreux noms, dont la plupart dérivés du mot balista, un engin de siège grec antique d’apparence similaire (mais en plus gros, beaucoup plus gros).
Bien qu’ayant le même principe de propulsion des projectiles, les arbalètes diffèrent des arcs en ce que, pour ce qui est de l’arc, l’allonge doit être maintenue manuellement : l’archer tire la corde de l’arc avec ses doigts, ses bras et les muscles de son dos et se maintient dans la même position pour viser (ce qui nécessite beaucoup de force physique et d’endurance), alors que dans le cas de l’arbalète on utilise un mécanisme de blocage pour maintenir l’allonge, l’effort du tireur se limitant à tirer sur la corde pour la placer dans l’encoche de verrouillage (ou noix) puis à la décocher en appuyant sur un levier ou une gâchette. Ce qui permet à un arbalétrier non seulement de tendre plus facilement la corde, mais aussi de tenir plus longtemps, donc d’être capable d’une plus grande précision.
Historiquement parlant l’arbalète a joué un rôle important dans les guerres de l’Extrême-Orient ou de l’Europe médiévale. Les premières arbalètes au monde ont été inventées en Chine et ont considérablement modifié le rôle des armes de trait. L’archerie traditionnelle fut longtemps une arme spécialisée qui nécessitait beaucoup d’entraînement, une force physique et une grande maîtrise pour fonctionner avec une certaine efficacité. Dans de nombreuses civilisations, les archers étaient considérés comme une caste de guerriers distincte et supérieure, bien qu’appartenant généralement à la classe des roturiers, car leurs compétences en tir à l’arc étaient essentiellement développées et cultivées dès leur naissance (comme dans de nombreuses civilisations de cavaliers) et qu’elles étaient impossibles à entretenir sans une tradition culturelle bien établie, ce dont manquaient de nombreuses nations. En revanche, l’arbalète a été la première arme à longue distance à être simple, peu coûteuse et assez peu exigeante physiquement pour être utilisée par un grand nombre de recrues non entraînées, permettant ainsi à pratiquement n’importe quel pays de déployer une puissante force d’arbalétriers sans trop dépenser en dehors du prix des armes elles-mêmes.
Notons toutefois que les arbalétriers génois n’empêchèrent pas les archers gallois de l’emporter lors des batailles de Crécy et Azincourt.
En 1346 à Crécy à cause de la pluie ce qui les contraignit à battre en retraite au grand dam des chevaliers français qui s’en vengèrent et en 1415 à Azincourt outre la pluie encore parce que les gentilshommes français ne voulurent pas s’appuyer sur leur force de frappe.
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BREF HISTORIQUE DE L’ARCHERIE ET DE SAINT-SÉBASTIEN.
Le grand arc droit anglais est une évolution de l’arc gallois. Il s’agit d’un arc très puissant, d’environ 2 mètres de long, très utilisé à la fois pour la chasse et la guerre.
L’étude des 137 arcs retrouvés dans l’épave du Marie Rose, coulé en 1545, a permis d’enrichir la connaissance de cette arme. Il s’agit d’un arc simple, façonné d’une seule pièce dans de l’if, un bois dont les qualités intrinsèques font qu’il se comporte comme un arc composite.
Son utilisation par l’armée anglaise vient de ses déconvenues lors des guerres menées au Pays de Galles et en Écosse. Les Anglais décident alors d’y recourir massivement, ce qui permet de vaincre les piquiers gallois, puis écossais.
L’arc s’est développé, non seulement au niveau de l’arc en lui-même, mais aussi dans l’armure de l’archer, puisque la force croissante des arcs a donné des flèches de plus en plus meurtrières.
De nombreuses solutions furent essayées par les Français pour neutraliser cette arme redoutée : mise à pied des combattants montés, augmentation de la surface protégée par des plaques dans les armures, protection des chevaux, neutralisation des archers ou création d’une armée permanente ainsi que de compagnies de francs-archers. Institués par l’ordonnance de Montil-lès-Tours du 28 avril 1448, qui prévoyait que, dans chaque paroisse, un archer devrait être choisi parmi les hommes les plus aptes à utiliser les armes ; il devait être exempté de la taille et de certaines corvées, s’exercer au tir à l’arc les dimanches et jours de fête, et se tenir prêt à se mettre en route entièrement équipé au premier signal. Sous Charles VII, les milices de francs-archers s’illustrèrent dans de nombreuses batailles contre les Anglais.
Comme quoi les niches fiscales ça ne date pas d’hier, car à l’époque, ne l’oublions pas, seuls les nobles, à l’instar des très riches d’aujourd’hui, ne payaient pas d’impôts.
Mais les Français durent pendant longtemps se résoudre purement et simplement à éviter d’affronter les Anglais en rase campagne et de réorienter leur stratégie vers une guerre de siège (Jeanne d’Arc à Orléans), en recourant à la tactique dite « de la terre déserte » qui a l’inconvénient évidemment de laisser les chevauchées anglaises libres de piller le pays.
La stratégie défensive qu’implique l’utilisation du grand arc droit fut seulement battue en brèche par l’apparition de l’artillerie de campagne : les archers anglais sont alors décimés à Formigny (1450, deux canons) et plus encore Castillon (1453) avec les 300 canons des frères Bureau. La guerre moderne était née !
Le développement des armes à feu a rendu l’arc obsolète dans l’art de la guerre. En dépit du statut social plus ou moins élevé (compagnie de francs-archers, samouraïs), de l’utilité, et du plaisir répandu du tir à l’arc en Arménie, Chine, Égypte, Angleterre, Amérique, Inde, Japon, Corée, Turquie et ailleurs, presque toutes les civilisations qui ont eu très tôt accès aux armes à feu les ont largement utilisées, et ont abandonné le tir à l’arc, à exception notable du Japon de l’ère Sakoku. Les premières armes à feu étaient très peu performantes pour ce qui est de la cadence de tir, et étaient très sensibles à la pluie. Elles avaient néanmoins une portée efficace plus grande et elles étaient tactiquement avantageuses pour des soldats tirant tout en étant abrités derrière quelque chose. Elles nécessitaient aussi de manière significative moins d’entraînement pour s’en servir correctement, notamment pour arriver à percer des armures en acier sans avoir à se doter d’une musculature conséquente. Les armées dotées de fusils pouvaient ainsi faire preuve d’une puissance de feu supérieure et même les archers surentraînés furent surclassés sur le champ de bataille.
La renaissance du tir à l’arc au dix-huitième siècle.
Le tir à l’arc classique existe néanmoins toujours en tant que sport, ou pour chasser, dans beaucoup de régions.
À la fin du dix-huitième siècle, le tir à l’arc est devenu très populaire dans la bonne société anglaise grâce à l’engouement d’alors pour le gothique et le médiéval. Renforcé par un patronage royal et, plus tard, par la diffusion des œuvres de Walter Scott, des compagnies d’archers se sont créées à travers tout le pays, chacune avec ses propres critères d’entrée plus ou moins stricts, ses costumes surannés ou ses compétitions aux noms étranges : tir au drapeau, papegai, beursault……
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Ce sport était aussi connu pour sa popularité auprès de la gent féminine. Les jeunes femmes pouvaient non seulement concourir, mais aussi garder voire exhiber leurs « formes » en agissant ainsi. Le tir à l’arc a ainsi fini par servir de lieu idéal pour être introduit, conter fleurette, et vivre une histoire d’amour romantique. La nature humaine n’est pas près de changer. Et dans le fond quoi de plus profond, de plus beau, de plus efficace pour la survie de l’espèce (si j’étais du dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob ou de Mahomet, je dirais même que cette pulsion irrésistible qui pousse garçons et filles, hommes et femmes, Katniss et Peeta, à se rapprocher, EST UN DON DE DIEU, EST CONFORME AUX PLANS POUR L’ÊTRE HUMAIN DU GRAND ARCHITECTE DE L’UNIVERS).
Aux États-Unis, le tir à l’arc de compétition et les facteurs d’arcs ont eu pendant longtemps recours aux grands arcs droits de modèle anglais. La redécouverte du tir à l’arc primitif remonte à Ishi, le dernier des Indiens Yahis, mort en 1916. Son médecin, Saxton Pope a appris nombre des techniques d’Ishi, et les a transmises. La trilogie de films Hunger Games et son héroïne Katniss ont aussi relancé la pratique de ce sport dans notre pays.
En Belgique et dans le nord de la France, il existe aussi de nombreuses compagnies d’archers s’adonnant à ce sport ancestral.
La Guilde de Saint-Sébastien à Bruges est une guilde d’archers qui existe depuis plus de 600 ans ce qui est sans précédent dans le monde. Les membres de cette guilde du grand arc droit sont exclusivement de sexe masculin, à deux exceptions notables près : la reine Mathilde de Belgique et la reine d’Angleterre. Depuis que le roi d’Angleterre Charles II s’est établi à Bruges au XVIIe siècle, la ville et la famille royale britannique y ont toujours été étroitement associées. La visite du siège comporte celle de la chambre royale sa chapelle et le jardin.
ET PUISQUE SÉBASTIEN EST LE SAINT PATRON D’ARCHERS,
D’OÙ TOUT UN FOLKLORE PLUTÔT MALSAIN À SON SUJET, RÉTABLISSONS LA VÉRITÉ À SON PROPOS.
Saint Ambroise en parle, dans ses commentaires du psaume 118, et saint Damase fit construire une église au-dessus de sa tombe. Cette basilique est d’ailleurs l’une des sept principales églises de Rome. Malgré cela, les détails que rapportent les « actes » de son martyre n’ont été rédigés qu’au Ve siècle.
Les détails de la légende de saint Sébastien font sérieusement douter de son historicité. Né en Narbonnaise d’un noble du pays et d’une dame de Milan, vers 250, il aurait été fait officier (centurion dans sa garde personnelle) par l’empereur Dioclétien. La foi de Sébastien lui permet de réaliser plusieurs guérisons miraculeuses : Chromace, préfet de Rome, souffrait de la maladie dite de la goutte ; Sébastien le guérit et le baptise, lui et toute sa famille. Environ 1400 soldats suivent son exemple. Aucune réaction de la part des autorités.
Bien qu’étant chrétien (en secret ?) Sébastien aurait néanmoins fait preuve d’une bien étrange et paradoxale efficacité dans l’arrestation de ses coreligionnaires. Bien loin d’user de ses prérogatives ou de sa faveur pour sauver les pauvres hères promis à une mort atroce, enfin du moins théoriquement ; il les exhortait au contraire à courir au-devant de leurs bourreaux afin de recevoir au plus vite les palmes du martyre pour la plus grande gloire de Dieu…
(Note de Pierre de La Crau. On ne dira jamais assez la bêtise des premiers chrétiens que ce soient dans leur modèle fanatique – les parabolans – ou dans leur version suicidaire, et de tous ceux qui ont cru ce genre de balivernes, elle n’a d’égale aujourd’hui que celle des musulmans pieux, que ce soient de doux rêveurs comme les soufis * ou des talibans partisans de la plus stricte charia).
Quoi qu’il en soit, si efficace fut la pieuse colère de Sébastien, si manifeste était la grâce divine qui émanait de lui, que non seulement, Marcellien et Marc, mais également leur père, leur mère, leurs épouses et leurs enfants, décidèrent à l’unisson de souffrir le martyre. Sébastien aurait pu longtemps s’employer à peupler ainsi le Ciel d’âmes sanctifiées par le martyre, s’il n’avait encouru la colère de l’empereur pour des motifs n’ayant aucun rapport avec la religion…
Il fut alors ; du moins si l’on en croit sa légende dorée (jamais une religion n’a autant menti ni cautionné de contrevérité que celle des chrétiens) ; attaché nu à un arbre et criblé de tant de flèches par ses propres soldats (des archers mauritaniens) que son corps en fut tout hérissé de dards et qu’il fut laissé pour mort. C’est alors qu’une femme du nom d’Irène, veuve du saint martyr Catule, venant
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pour donner une sépulture à saint Sébastien, s’aperçoit qu’il respire : il est vivant ! (Certains pensent que ses hommes avaient volontairement évité de toucher un organe vital). Transporté chez Irène, il guérit promptement et se rend devant l’empereur afin de lui reprocher sa conduite et son incroyance (un peu comme les musulmans du 7e siècle donc, mais est-ce vraisemblable ???) Dioclétien ordonna qu’on le flagelle jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Note de Pierre de La Crau. Nous reviendrons sur les persécutions attribuées à Dioclétien, car…
— Premièrement elles ont été beaucoup exagérées.
— Deuxièmement beaucoup de chrétiens par leur fanatisme (eux ne pratiquaient pas la taqqiya) l’avaient bien cherché.
Après que l’on eut vérifié qu’il était bien mort (ce que l’on avait oublié de faire apparemment la première fois), son corps fut jeté aux égouts. Mais Sébastien apparut à une jeune vierge nommée Lucine pour lui révéler où se trouvait son corps supplicié.
Pendant des siècles l’image de saint Sébastien demeura invariable. L’effigie hiératique et presque impersonnelle d’un martyr, âgé, barbu, vénérable puisque vénéré, comme l’indique son nom dérivé du grec (sebastos), en position frontale, la couronne, imposante – et non la palme, plus allusive – du martyre, à la main.
Mais à partir du XIVe siècle, la figure de Sébastien se transforme et rajeunit. On se ressouvient qu’il fut officier dans la garde de l’empereur Dioclétien. On lui donne donc l’apparence d’un élégant paladin, portant la lance et l’épée, plaisant et de belle mine, semblable au héros des contes et légendes. Subitement, vers le milieu du XVe siècle, cette tradition connaît un nouveau bouleversement que rien ne semblait annoncer. Sébastien est l’objet d’une étonnante métamorphose et devient donc un homme jeune, attaché à un arbre ou à une colonne ; exhibant une nudité triomphale que le supplice des flèches ne réussit en aucune façon à ternir et qui ressuscite dans sa chair la beauté de l’antique.
Cette image, qui est à nos yeux devenue emblématique de la légende du saint, n’est pourtant pas inconnue avant 1450 ; mais elle ne possède pas la valeur exemplaire qui est désormais la sienne, et n’est encore qu’un épisode parmi d’autres dans le cycle de sa légende. En outre, avant la fin du XIVe siècle, Sébastien n’est jamais représenté nu. Depuis le Quattrocento en revanche, l’image du jeune homme supplicié par les archers résume à elle seule toute l’histoire de Sébastien. Sa brusque apparition, dès la fin du XIVe siècle, et surtout son extraordinaire diffusion depuis le milieu du XVe, demeurent énigmatiques. La génération de ce corps offert à la cruauté des archers n’est pourtant spontanée qu’en apparence. Elle ne saurait être le fruit du hasard, et son entrée en scène répond à des raisons que l’on ne saisit pas encore.
De quel ancêtre méconnu cet Apollon Belenos chrétien est-il le descendant ? Comment expliquer l’apparition insolente de cette glorieuse nudité au beau milieu de la geste des saints, cette beauté païenne sur le théâtre chrétien, cet incongru compagnon des figures plus traditionnelles de saint Christophe, de saint Antoine ou de saint Roch ? Nous ignorons la généalogie de la radieuse créature. Nous connaissons en revanche la date et le lieu de sa naissance. Elle apparaît pour la première fois en Italie, dans la deuxième moitié du Trecento. Il est vrai que ces images sont encore timides, et qu’il faudra au moins attendre le quinzième siècle pour que la nudité de Sébastien s’illumine dans la pleine conscience de sa beauté. Les peintres du Nord n’y seront pas insensibles, mais l’invention en reste aux Italiens qui fixent les premiers ces nouveaux canons de l’iconographie. On peut suivre, jusqu’à la fin du siècle, la bonne fortune de ce gracieux jeune homme, par exemple sur le tableau que le Pérugin peignit vers 1473. Saint Sébastien s’y montre sous l’aspect d’un jeune page à la Verrocchio, vêtu à la dernière mode, et présentant, avec une grâce quelque peu désinvolte, l’unique flèche de son martyre ; en compagnie d’un saint franciscain qu’on ne sait identifier.
Mais laissons-là ce paganisme grec ou à la rigueur romain et revenons à nos moutons, ceux qui errent dans les landes d’Amadis, le dernier des romans arthuriens avant leur parodie par Cervantès (pour plus de détails, voir la traduction donnée en 1872 par Robert Southey).
* D’ailleurs brûlés vifs et même pire encore, comme hérétiques, par les premiers musulmans (voir le long martyre de Mansour al-Halladj à Bagdad en 922)
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ET AUSSI DE SAINT GEORGES !
Les Actes des Martyrs (latin : Acta Martyrum) sont des registres relatant les souffrances et la mort d’un martyr.
On les divise en trois catégories :
Les procès-verbaux du tribunal. Ceux qui existent encore sont très peu nombreux. Le plus parfait exemple en sont peut-être les Acta proconsularia de Cyprien de Carthage. Un autre exemple est celui des Actes de saint Justin.
Les Passions ou Martyres écrits par des chrétiens et basés sur les rapports de témoins oculaires. La Passion de Perpétue et Félicité en est la plus fameuse. Autres exemples : le Martyre de Polycarpe, celui d’Ignace d’Antioche celui des Martyrs de Lyon et la Passion de saint Irénée.
Les légendes, généralement destinées à légitimer un culte et souvent sans aucun fondement historique. À cette catégorie appartiennent les Actes de Catherine d’Alexandrie et de Saint Georges.
Sa légende est d’ailleurs mise au nombre des pièces apocryphes dans les actes du concile de Nicée, parce que l’histoire de son martyre n’est point authentique.
Victime des persécutions antichrétiennes de l’empereur Dioclétien (303), il aurait été livré dans la ville de Lydda (Lod en Israël) à de nombreux supplices (brûlé, ébouillanté, broyé sous une roue, etc.) auxquels il survécut miraculeusement avant d’être décapité. La légende de saint Georges a été adaptée par Jacques de Voragine dans La Légende dorée.
Nous reviendrons plus longuement sur les persécutions anti-chrétiennes de Dioclétien, mais il convient déjà de faire preuve du plus sévère des révisionnismes à leur égard.
LES FAITS.
Fin 302 – début 303, éclate soudainement ce qui fut incontestablement la plus brutale des persécutions anti-chrétiennes d’État. En fait, il s’agit là de la seule mesure (à peu près) historiquement avérée de répression générale prise par les Romains contre les tenants de cette religion.
Le pape Marcellin abjure la foi chrétienne, sacrifie aux dieux, et meurt dans son lit tandis que des centaines (des milliers peut-être) de ses coreligionnaires, plus courageux (ou plus fanatisés) que leur chef, préfèrent périr sur l’échafaud plutôt que d’accomplir ce geste : brûler quelques grains d’encens devant une statue des dieux de Rome ou de l’empereur.
De 303 à 304, Dioclétien promulgue en effet quatre grands édits, prévoyant la destruction des textes sacrés et des églises, la privation des charges et des droits pour les aristocrates chrétiens, l’arrestation du clergé, et l’obligation pour les chrétiens de sacrifier aux dieux (à noter que l’édit s’attaquait aussi aux juifs).
Les historiens se perdent en conjectures quant aux motifs de cette première vraie persécution, tant restent floues les motivations réelles de l’empereur et de son entourage. Ce prosaïque empereur était à mille lieues de tout fanatisme « païen ». En outre, son épouse Prisca ainsi que sa fille Valérie étaient sans doute chrétiennes… Jusqu’au pape saint Caius (283 – 296) qui faisait probablement partie de la famille impériale.
Selon l’explication couramment admise, Dioclétien se serait décidé à sévir contre les chrétiens d’abord par souci d’unification idéologique (« Un seul empire, une seule religion ! »), ensuite parce qu’à ses yeux, la présence de chrétiens dans l’administration et, surtout, dans l’armée, vu leurs engagements par ailleurs, constituait une dangereuse hypocrisie menaçant à terme de ruiner la morale publique voire la sécurité publique.
Notons que les chrétiens d’aujourd’hui avancent également cette explication pour les précédentes mesures, celles de Dèce et Valérien.
Cela étonnait déjà beaucoup Lord Bolingbroke d’après Voltaire (Examen important de Milord Bolingbroke, Londres 1767 chapitre XXVIII) et même Voltaire en personne si l’on en croit son dictionnaire philosophique, entrée « Dioclétien ».
Le premier édit de Dioclétien, sans menacer l’intégrité physique des personnes, ordonna la démolition des églises et la destruction des livres sacrés. Les chrétiens devaient également être privés de charge, dignité ou privilège.
Pour ceux qui trouveraient cette mesure choquante, je rappelle que, à notre époque, mutatis mutandis, nous n’agissons pas différemment quand nous interdisons (ou tentons d’interdire) aux mouvements terroristes fascistes et racistes de vomir leurs idées nauséabondes à la radio et à la télévision ou quand nous essayons d’interdire leurs réunions ou manifestations.
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L’empereur ordonna la démolition de la somptueuse église de Nicomédie, qui se dressait en face de son palais et fit afficher l’Édit, signé de sa main, sur la grand-place de la ville. Un parabolan ou chrétien fanatique mit en pièces et piétina publiquement ce document officiel, tandis que d’autres talibans chrétiens ou parabolans tentaient de mettre le feu au palais impérial. Deux fois en quinze jours, des incendies suspects éclatèrent dans la demeure de l’empereur, dont un dans la chambre même de Dioclétien.
Deux édits aggravèrent donc le premier : l’un ordonnait l’emprisonnement des clercs, l’autre prévoyait l’exécution de ceux qui refuseraient de sacrifier aux dieux de Rome. Enfin, suite à une rébellion armée des évêques de Syrie, un troisième édit publié en 304 ordonna à tous les sujets de l’Empire, sous peine de mort, de sacrifier aux dieux de Rome.
Après avoir pris ces mesures extrêmes, Dioclétien, écœuré par la bêtise humaine et les fanatiques de tout poil, renonça à la pourpre impériale et abdiqua. Il laissa cependant en place le système de la tétrarchie : deux empereurs (les « Augustes » Constance Chlore en Occident et Galère en Orient) associés à deux « Césars » (Sévère et Maximin Daïa) gouvernèrent l’Empire, appliquant avec plus ou moins de rigueur, et selon les nécessités politiques, les édits de persécution.
Dans la partie occidentale de l’Empire romain, Constance Chlore (qui mourut en 306) appliqua les édits avec une mollesse extrême, détruisant une église çà et là, mais protégeant les chrétiens de la fureur populaire. Quant à Constantin, fils de Constance Chlore et de la chrétienne Hélène, il désobéira carrément aux injonctions impériales en favorisant les chrétiens pour des raisons purement politiques : ceux-ci étaient ses alliés naturels dans sa lutte contre les autres « Césars persécuteurs ».
En Italie, et à Rome, la persécution fut de courte durée : tant que la péninsule fut gouvernée par Maximien et Sévère, les chrétiens furent inquiétés, leur situation s’adoucit quand Maxence, fils de Maximien s’empara du pouvoir. Néanmoins, après la mort du très controversé pape Marcellin, qui livra sans doute les Saintes Écritures à la police, la chaire de saint Pierre restera vacante pendant trois ans et demi.
Quoi qu’il en soit, on doit reconnaître que le nombre de victimes fut sans doute assez élevé… Mais ne parlons pas de centaines de milliers de morts. Ce ne fut pas la Shoah par balles des einsatzgruppen nazis allemands de 1939 en Russie, loin de là !
Certaines projections (calculs de Gibbon, Histoire du Déclin et de la chute de l’Empire romain) permettent d’estimer à deux mille, au maximum, le nombre total de ces victimes dans tout l’Empire romain de 303 à 313.
Dans le dernier chapitre du premier volume de son livre, Gibbon affirme que les chrétiens ont grandement exagéré l’ampleur des persécutions dont ils ont été victimes.
« Après que l’Église eut triomphé de tous ses ennemis, l’intérêt et la vanité des prisonniers les incitèrent à exalter le mérite de leurs souffrances respectives… et les cas prétendus de saints martyrs, dont les blessures avaient été guéries instantanément, dont les forces avaient été renouvelées ou dont les membres perdus avaient miraculeusement repoussé, étaient bien pratiques pour éliminer tous les problèmes et faire taire toutes les objections. Les légendes les plus invraisemblables, considérées comme faisant honneur à l’Église, étaient applaudies par la multitude incrédule, acceptées par le clergé et attestée par les preuves suspectes de l’histoire ecclésiastique ».
Disons que la vérité se situe peut-être entre ces deux extrêmes, entre 2000 et 200 000 authentiques martyrs, donc non combattants, et en aucune façon morts les armes à la main.
Dee toute façon la seule grande religion d’amour qui a été de tout temps la plus persécutée au monde c’est l’islam. Dès 615 des milliers de musulmans ont dû traverser la Mer Rouge en direction de l’Éthiopie afin de fuir les persécutions mecquoises et Mahomet lui-même est mort dans d’atroces souffrances crucifié par le poison d’une femme juive qui voulait l’éliminer. Mais peine perdue ! L’empire musulman du 8e siècle aura été le seul exemple d’empire uniquement fondé sur de la légitime défense.
Mais revenons à nos moutons !
Dès 308, alors même que les chrétiens d’Orient continuaient à être poursuivis par Maximin Daïa, ceux de Rome avaient repris leurs disputes dogmatiques.
Les renégats (les lapsi), ces chrétiens qui avaient obéi aux édits impériaux en brûlant quelques grains d’encens en l’honneur des dieux de Rome (thurificati) ou en faisant semblant (libellatici), étaient très nombreux, et ils voulaient évidemment continuer à faire partie de la communion des fidèles. Le pape Marcel, qui venait d’être élu en lieu et place du traître Marcellin, ne l’entendait pas de cette oreille néanmoins : selon lui, une pénitence était nécessaire. On ignore de quelle nature était cette sanction,
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mais certaines églises avaient quand même été détruites et devaient être reconstruites. De plus, il fallait aussi reconstituer le fonds de livres sacrés, et la retranscription des manuscrits coûtait cher à l’époque !
Le fait est que des milices épiscopales genre parabolani « sortirent alors comme par enchantement des catacombes » pour défendre les « survivants » ou « confesseurs de la Foi », mais les mous costauds (lapsi) s’en prirent alors aux purs et durs, toujours intransigeants, bien qu’à peine remis des tortures subies.
Les prêtres incitaient l’un ou l’autre camp, selon leurs préférences respectives, soit à châtier les traîtres, soit à éliminer ceux qui n’avaient aucune pitié, bien qu’officiellement chrétiens. Bref un vrai méli-mélo du genre « tuez-les tous Dieu reconnaîtra les siens ».
Des émeutes sanglantes ravagèrent donc Rome, le texte de l’épitaphe du pape Eusèbe parle d’ailleurs de seditio, cœdes, bellum, discordia, ou lites.
Au point que l’empereur Maxence qui n’avait pas du tout envie de choisir entre les deux se résolut à exiler et le pape Eusèbe et l’anti-pape Héraclius. Ces émeutes sanglantes avaient sans doute pour cause comme d’habitude le sort à réserver aux croyants ayant failli voire simplement rusé pendant les persécutions (les lapsi ou libellatici) et il y en eut bien sûr beaucoup plus que de martyrs authentiques (assez fous pour refuser de faire le petit geste que les autorités attendaient d’eux et ne pratiquant pas la taqiya). L’immense majorité des chrétiens directement concernés donc en fait. Ces émeutes se poursuivirent d’ailleurs à Rome jusqu’au règne des papes ou anti papes Damase et Ursin. On parle à ce sujet de schisme novatianiste (du nom d’un anti pape du temps de Dèce) ou donatiste en Afrique du Nord.
En 311, l’Empereur Galère, qui avait succédé à Dioclétien, promulgua un édit de tolérance en faveur des chrétiens, confirmé par Constantin et Licinius en 313 à Milan puis en 392, l’Empereur Théodose interdit le paganisme, faisant du christianisme la religion officielle de l’Empire.
Dès lors, les pratiquants des cultes païens furent persécutés à leur tour, et de nombreux lieux de cultes furent détruits. Cependant, certains de ces édifices, considérés comme des œuvres d’art, furent transformés en églises et échappèrent à la destruction.
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SPORT ET PHILOSOPHIE DU TIR À L’ARC.
Historiquement parlant le tir à l’arc a servi pour la chasse et la guerre, mais à l’époque moderne sa principale fonction est d’être une activité ludique.
L’Archerie (du latin arcus) est l’art de lancer des flèches à l’aide d’un arc. Un art avons-nous dit, car on ne répètera jamais assez (repetere = ars docendi) le tir à l’arc est un art (sans vouloir ici faire un mauvais jeu de mots) et une philosophie. Nos frères japonais parlent d’ailleurs à ce sujet de kyudo. Il faut savoir en effet que l’on peut être droitiers pour ce qui est des mains et gaucher pour ce qui est des yeux. Ou inversement. Il importe donc de déterminer ce que l’on appelle l’œil directeur ou dominant. Il existe un truc très simple pour cela. Il faut en effet tenir compte du paradoxe de l’archer. Des descriptions détaillées de ce phénomène apparaissent dans la littérature sur le tir à l’arc dès la publication d’Horace A. Ford de 1859 intitulée « Le tir à l’arc : théorie et pratique ». Et même avec un arc moderne à repose-flèche centré ce phénomène existe toujours, car il est causé par divers facteurs, notamment la manière dont la corde s’échappe des doigts lorsque la flèche est décochée. Bref, afin de planter une flèche au centre d’une cible avec un arc il est nécessaire de viser un point légèrement excentré.
Quelqu’un qui pratique le tir à l’arc est communément appelé « archer » ou « tireur à l’arc », et l’amateur ou l’expert en tir à l’arc un « toxophile ».
Les règles du tir à l’arc ont été mises au point au fur et à mesure de la pratique, au sein de ce que l’on appelait la « chevalerie de l’arc ». Cette « chevalerie » était une confrérie féodale et ses caractères militaires et religieux exigeaient que l’on prenne un habit particulier ou que l’on porte les armes contre les « infidèles ». Elle imposait des règles de bravoure, de courtoisie et de loyauté. Cette pratique du tir à l’arc allait de pair avec certains événements, la fête de saint Sébastien par exemple. Ou de saint George en Angleterre. À cette occasion ces « chevaliers » pratiquaient des jeux divers.
Pratiquer le tir au grand arc droit était bien entendu encouragé par les rois d’Angleterre pour des raisons politiques / stratégiques évidentes. Le roi Édouard III par exemple ordonna d’apprendre et de pratiquer l’art du tir à l’arc. Le roi Édouard IV prit une loi limitant le prix des grands arcs droits. Le roi Richard II promulgua une loi enjoignant aux domestiques de s’y exercer à chaque instant de leur temps libre et pendant leurs vacances (vive la démocratie !). Henri VII fit de même. Henri VIII signa une ordonnance destinée à l’entretien des archers et concernant l’importation d’un nombre suffisant de bois d’arcs dans le royaume.
Dès le début des années 1500, les Archers de la Confrérie de Saint George pratiquaient le tir au grand arc droit dans les champs de Finsbury, Moorfields et Spitalfields, juste au nord du mur de Londres. Au sud de la Tamise, ils pratiquaient le tir à l’arc dans les champs de Southwark. Ils organisaient régulièrement des tournois auxquels plusieurs milliers d’archers participaient.
En 1509, le roi Henri VIII commença de faire des versements annuels à cette confrérie. Ces paiements avaient lieu tous les 23 avril afin de les encourager à pratiquer le tir au grand arc droit. En 1537, le roi Henri VIII officialisa cet arrangement financier en signant une charte pour la Confrérie ou Guilde de Saint-Georges, connue plus tard sous le nom d’Honorable Compagnie d’Artillerie de Londres.
Les principales épreuves traditionnelles de tir à l’arc étaient alors le tir au drapeau, le tir au papegai (en écosse papingo), le tir beursault.
Sans oublier les compétitions primaires que sont le tir à grande distance (t’as vu c’est moi qui ai la plus grande, ou la plus grosse……) ainsi que le tir de vitesse, Speed shooting.
Et là ce ne sont pas les bouddhistes zen japonais adeptes de la voie de l’arc (kyudo) qui nous ont laissé leur tradition en la matière, mais les Anglais, experts par excellence en tir à l’arc basique, d’où la terminologie ad hoc en globish.
La chevalerie des francs-archers.
Gentilhomme de la Chambre, noble homme huissier, gentilshommes gardiens, gentilshommes de la Garde. La yeomanerie (généralement connue comme étant le troisième ordre de la classe des guerriers, situé entre écuyer et page) était une classe militaire ou ayant un statut militaire.
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Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer ont un vocabulaire de la fin du XIVe siècle. Dans « Le conte de l’assistant du chanoine », le yeoman y est « le valet » d’un ecclésiastique, jadis élégamment habillé, mais maintenant appauvri. Dans « Le Prologue général », le chevalier est accompagné d’un yeoman qui « connaissait la forêt comme sa poche… c’était un vrai chasseur en effet ». Ce yeoman a un arc, des flèches, un manteau, une capuche « vert forêt », comme le yeoman du « Conte du Frère », qui est un bailli des bois.
Dans les versions les plus anciennes de l’histoire de Robin des Bois, telles que la Geste de Robyn Hode, Robin des Bois est un yeoman, mais certains récits plus récents font de lui un chevalier. D’après l’Ivanhoé de Walter Scott, la joyeuse bande de Robin des Bois est en grande partie composé de yeomen.
Les yeomen étaient souvent les gendarmes de leur paroisse et parfois des officiers de gendarmerie du district, du canton voire d’un comté. Beaucoup de yeomen occupent les offices du comté ou du canton. Parmi les autres offices, mentionnons celui de marguillier, de gardien de pont et d’autres gardiennages. Les Yeomen, qu’ils soient au service d’un seigneur, du roi, d’un comté, ou d’un chevalier, servaient dans les forces de police locales ou municipales. Les yeomen disposaient aussi d’un pouvoir plus étatique, on le voit dans leurs statuts du règne d’Henri VIII.
Les yeomen de la Garde royale (des archers à l’origine) enrôlés en 1485 étaient vraisemblablement d’origine celte, galloise ou bretonne. Ils furent recrutés par le roi Henri VII, qui était lui-même d’origine galloise, et avait été exilé en Bretagne pendant la guerre des roses. Il avait rassemblé ses forces essentiellement au Pays de Galles et dans les Midlands de l’Ouest de l’Angleterre lors des préparatifs de sa victoire de Bosworth.
Le roi Henri VIII lors de la célèbre entrevue du camp du drap d’Or en 1520 prit sa revanche sur les Français au tir à l’arc (il faut dire qu’il avait été auparavant ridiculisé par François Ier à la lutte). Henri VIII tire à plusieurs reprises en plein centre de la cible à 220 mètres de distance. C’est à ce « bon » roi Henri anglais * que nous devons les 137 arcs retrouvés dans l’épave de la Marie-Rose ayant sombré en 1545.
Ainsi que nous l’avons dit, l’apparition des armes à feu a détrôné l’arc en tant qu’arme de chasse. Mais l’archerie ne va pas pour autant perdre son intérêt, puisqu’elle va s’engager dans une nouvelle ère. Elle va en effet permettre à l’Homme de développer son corps et son mental.
L’histoire d’Arjouna (Mahabharata) est encore le meilleur de ces exemples où entre en jeu la pratique de la méditation et de la concentration spirituelle, qui mène à la victoire. Le sage brahmane guerrier Drona un jour appela devant lui chacun de ses élèves afin de voir s’ils étaient capables d’envoyer une flèche dans la serrure d’une cage d’oiseau accrochée à un arbre. Tous échouèrent sauf Arjouna. Et ils échouèrent pour la simple raison qu’aucun, à part lui, n’avait développé ni travaillé la technique de l’ekagrata, c’est-à-dire du point unique de concentration. La sublime concentration où la serrure et le tir fusionnent, où le lâcher de flèche et l’impact ne forment qu’une seule et même réalité. Drona s’adressant de nouveau à trois de ses élèves, dont Arjouna, leur demanda de quelle façon ils voyaient leur nouvelle cible, c’est-à-dire cette fois-ci un aigle perché au sommet d’un arbre. Les deux premiers voyaient Drona, l’arbre et l’aigle, mais Arjouna, lui, n’arrivait à voir que l’oiseau, et encore, sa tête et pas son corps. Drona lui donna l’ordre de tirer aussitôt et la tête de l’oiseau, coupée par la flèche, tomba par terre.
On retrouve un peu la même histoire dans la légende de Guillaume Tell d’ailleurs, mais avec une pomme et une arbalète.
Le Kyūdō est l’art japonais du tir à l’arc. Il est basé sur le kyūjutsu (« art du tir à l’arc »), issu de la classe des samouraïs du Japon féodal. Selon la Fédération nipponne de Kyūdō, l’objectif suprême du kyūdō est l’état de shin-zen-bi, ce qui veut dire plus ou moins « vérité-bonté-perfection ». Quand un archer effectue un tir correct (c’est-à-dire vrai) avec un bon esprit et une bonne attitude par rapport aux personnes et aux choses qui se rapportent au kyūdo, le tir parfait se réalise naturellement. Dans certaines écoles, tirer correctement a inévitablement pour résultat qu’on touche la cible désirée. Seisha hitchū, « vrai tir = but atteint ». Ce n’est pas du zen, mais l’arc japonais peut être utilisé dans la pratique du zen ou du kyūdo par un maître zen.
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Les origines du tir à l’arc au Japon remontent à la préhistoire. Les premières représentations du grand arc droit asymétrique japonais datent de la période Yayoi (500 avant notre ère à 300 de notre ère).
L’évolution de la société et la conquête du pouvoir par la classe militaire (samouraïs) à la fin du premier millénaire ont suscité des attentes en matière d’éducation au tir à l’arc. D’où la naissance du premier kyujutsu ryūha (style), le Henmi-ryū, élaboré par Henmi Kiyomitsu au 12e siècle. Le Takeda-ryū et l’école de tir à l’arc monté à cheval Ogasawara-ryu furent élaborés par ses descendants.
Les Japonais ont très tôt commencé à fabriquer leur propre version des fusils à poudre noire appelée tanegashima et, finalement, lui et le yari (lance) devinrent les armes favorites supplantant les Yumi. Qui continuèrent néanmoins à être utilisés un certain temps en raison de leur plus longue portée, de leur précision et surtout parce qu’ils étaient 30 à 40 fois plus rapides. Les tanegashima par contre ne nécessitaient pas autant d’entraînement. Ce qui permit à l’armée du gouverneur Oda Nobunaga de mener des guerres traditionnelles contre ses ennemis.
Durant la période Edo (1603-1868), le Japon devint une société hiérarchisée en castes dont les samouraïs occupèrent le sommet. Il y eut alors une longue période de paix au cours de laquelle les samouraïs se déportèrent vers diverses tâches administratives, les compétences traditionnelles en matière de combat étant toujours valorisées. Durant cette période, le tir à l’arc devint une compétence “optionnelle”, mise à contribution sous sa forme cérémonielle. Le tir à l’arc se répandit également répandu hors de la classe des guerriers. Les samouraïs furent gagnés par la philosophie directe et la quête de la maîtrise de soi du bouddhisme zen introduit par les moines chinois.
Le Kyūdō connaît de nombreuses écoles, certaines issues du tir à l’arc militaire et d’autres issues de diverses pratiques cérémonielles ou contemplatives. L’accent qu’on y met est par conséquent différent. Certaines mettent l’accent sur l’esthétique et d’autres sur l’efficacité. Les écoles contemplatives enseignent la méditation en action de Bodhidharma.
La pratique du Kyūdō, comme dans tous les budō, inclut l’idée de perfectionnement moral et spirituel. Aujourd’hui, de nombreux archers pratiquent le kyūdo en tant que sport, l’adresse au tir étant primordiale. Cependant, le but le plus important du Kyūdo c’est le Seisha Seichū, « tirer correctement, c’est atteindre sa cible ». Lorsque la technique de tir est correcte, la flèche atteint la cible. Se donner corps et âme au tir est le but spirituel, et il est atteint par la perfection à la fois de l’esprit et de la technique de tir menant au munen muso, « pas de pensées, pas d’illusions ».
Comme dans la plupart des sports, l’état mental du tireur est donc un facteur majeur de réussite. Il s’agit, en quelques mots d’avoir confiance en soi, ou de ne pas douter de ses capacités quand on manque la cible.
Plus facile à dire qu’à faire !
Il ne s’agit pas d’être bêtement sûr de soi, envers et contre tout. S’il suffisait de cela pour être un champion, les imbéciles seraient tous des champions. Il s’agit simplement de ne pas douter de ses capacités en tant qu’individu, à progresser, à faire des erreurs certes, mais à savoir aussi en tirer des leçons.
Le geste d’un archer qui arme son arc pour décocher une flèche reste, depuis plus de dix mille ans, l’un des plus équilibrés ou des plus nobles qui soient. L’arc est indissociable de l’histoire de l’Homme. Arme de défense et de chasse, son invention a certainement aidé nos lointains ancêtres à surmonter les difficultés liées à leur survie.
Aujourd’hui, le tir à l’arc connaît un succès grandissant parce que c’est un loisir simple et peu onéreux, auquel tout le monde peut avoir accès, ainsi qu’un moyen rapide de s’adonner, toute l’année, à une détente tant physique que morale.
De nos jours, le tir à l’arc est une discipline olympique, et il subit l’influence de la modernisation, car les branches des arcs sont désormais en céramique carbone, les flèches en carbone, en aluminium, ou dans un mélange des deux. De plus, les systèmes de réglage actuels permettent un meilleur tir, et donc de meilleurs résultats.
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* C’est lui qui a inspiré le célèbre Barbe-Bleue de nos contes de fées. Il ne mettait pas une poule au pot sur la table tous les dimanches, mais faisait passer une épouse à la casserole tous les… Pour Ernst Lubitsch il y eut en tout et pour tout sept épouses avant la dernière. Historiquement parlant Henri VIII n’en fit exécuter que deux. Le compagnon d’armes de Jeanne d’Arc (Gilles de Rais) beaucoup plus.
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LE CHEVAL.
Au cours d’environ 60 millions d’années d’évolution, le cheval est devenu ce qu’il est aujourd’hui : une parfaite réalisation de notre Mère Nature.
Le cheval, animal grégaire des steppes…
1. Peut vivre dans des conditions climatiques très différentes.
2. A besoin d’espace et d’exercice.
3. A besoin d’air frais.
4. A le sens de la protection et du territoire.
5. A besoin d’une vie et d’un contact social.
6. Est un herbivore intermittent et persistant.
Il a développé en plus dix qualités qu’il est essentiel de connaître pour comprendre sa nature. Ces qualités lui ont permis de survivre à travers les siècles.
1. La perception. Il est extrêmement sensible à tout ce qui l’entoure. Il peut percevoir vos intentions et les moyens que vous allez mettre en œuvre pour les réaliser. L’œil du cheval peut détecter le moindre mouvement, son corps ressent la moindre modification d’attitude ou d’émotion. Il peut « sentir » la convoitise du prédateur, il anticipe les mouvements de colère, les manifestations de peur, de frustration ou d’impatience. C’est pour cela qu’il refuse de coopérer lorsque vous vous impatientez ou devenez nerveux. À ce moment-là, il a peur de ce qui va lui arriver. La patience est la seule clé de la réussite avec lui. Peu lui importe votre niveau de connaissance ou de savoir, ce qui est important pour lui, c’est l’attention que vous lui prodiguez.
2. La rapidité d’acquisition des techniques. Le cheval est très bon élève. Il apprend très vite. Il retient les leçons après trois ou quatre répétitions, à condition qu’il lui soit possible de les assimiler. La plupart du temps, les échecs viennent du fait qu’on lui demande trop, en trop peu de temps. Mais le cheval retient aussi vite les bonnes comme les mauvaises habitudes.
3. Une excellente mémoire. Les capacités de mémorisation du cheval sont très importantes, il est capable de réaliser des apprentissages très complexes. Le cheval n’oublie rien. Voir le célèbre exemple de la mule du pape Boniface d’Avignon du moins d’après Daudet. C’est pour cette raison que la punition n’est jamais une solution avec un animal comme le cheval. La seule chose qu’il retiendra est que l’Homme est vraiment aussi mauvais que son instinct le lui a enseigné, donc qu’il est préférable pour lui de fuir ou de se défendre. Au contraire, si vous êtes aussi gentil que possible et aussi ferme que nécessaire, sans perdre patience, alors pourra s’instaurer avec lui une relation d’amour et de confiance.
4. Un grand potentiel de désensibilisation.
Il est très facile de désactiver tous les stimuli de peur du cheval. Mais c’est à nous de faire le premier pas pour gagner sa confiance et nous placer en protecteurs plutôt qu’en prédateurs. Prenez un sac en plastique par exemple, le cheval en a peur. Vous avez deux possibilités qui s’offrent à vous : soit vous le laissez découvrir par lui-même que ce n’est pas dangereux (pour lui qui ne sera pas assez bête pour se mettre la tête dedans), soit vous lui expliquez qu’il n’a rien à craindre. Montrez-lui que vous êtes avec lui et non contre lui. Souvenez-vous de sa qualité de perception. Le cheval est un véritable paquet de nerfs qui est capable de libérer une fabuleuse énergie associée à un profond instinct de fuite ou de lutte pour sa survie.
5. Une réactivité instantanée. Le cheval réagit instantanément et il est considéré comme l’un des animaux les plus rapides de la planète. Mais c’est avant tout un animal social, et le groupe est pour lui synonyme de sécurité. Comme la vie en groupe répond à certaines règles, le cheval a donc développé diverses qualités pour s’y conformer.
6. La communication. L’essentiel de la communication chez le cheval passe par le langage corporel.
7. La notion de hiérarchie. Dans le groupe s’instaure un ordre social que chacun respecte.
8. La reconnaissance du « chef ». Au sein de la hiérarchie se détachent des instigateurs du mouvement du groupe. Chaque individu les reconnaît clairement et les accepte.
9. Un animal précoce. Pour finir l’énumération de toutes les qualités accumulées par le cheval au cours de son évolution, il faut évoquer sa précocité. À sa naissance, le cheval possède l’usage de tous ses sens et de toutes ses qualités. Le poulain est capable d’agir comme un cheval adulte. C’est pourquoi certaines méthodes d’imprégnation du jeune équidé fonctionnent si bien.
10. La fuite. C’est sa meilleure défense. Si la fuite est impossible, le cheval se battra pour sauver sa vie !
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L’ART ET LA PHILOSOPHIE DU CHEVAL (MANDUBIANISME), CAR PARLER DU CHEVAL C’EST PARLER DE L’HOMME FINALEMENT.
4 à 5 000 ans de vie commune avec l’homme par Bjarke Rink.
Au début du Quaternaire, l’image du cheval apparaît aux côtés de l’homme de Neandertal dans sa forme presque définitive. Mais si les peintures pariétales de chevaux comptent parmi les plus anciennes réalisations artistiques connues (jusqu’à 30 000 ans avant notre ère), il ne s’agit toutefois que de chevaux sauvages.
Les grands plateaux, les plaines herbeuses, les gras pâturages sont à l’origine de la concentration de grands troupeaux sur certaines parties du globe.
Ce n’est qu’entre 4000 et 3000 avant notre ère, bien après la domestication des bovins que, les premiers, des nomades d’Eurasie, au nord du Caucase, au Kazakhstan (culture de Botaï) domestiquent et élèvent des chevaux, vraisemblablement de type Prezwalski. De l’Equus prezwalski gracilis, poney primitif à poil touffu et large poitrail, descendent les poneys d’aujourd’hui ; de l’Equus prezwalski robustus, dont certaines sous-espèces mesuraient jusqu’à 1, 80 m (au garrot), descendent nos actuels chevaux à sang froid.
Capturé au lasso, il est gardé en réserve dans des parcs jusqu’à l’abattage. Il en sera de sorte jusqu’à l’âge des métaux. Dès lors, l’histoire de l’humanité sera liée à celle du cheval. L’emploi du cheval est d’abord domestique. Le cheval est comme l’âne et le bœuf, employé à la culture.
À l’âge de bronze, vers le IIIe millénaire avant notre ère, les Indo-européens nomades ayant vécu dans les grandes plaines de la Russie orientale, dans les montagnes du Caucase et sur les plateaux de l’Iran ; ont attelé le cheval, notamment à des chars de guerre ; mais ne semblent pas l’avoir couramment monté. Dès le IIe millénaire avant notre ère, le cheval pénètre en Mésopotamie, puis en Égypte. Vers 1800 ans avant notre ère, les Cassites dévalent des monts Zagros vers le Moyen-Orient. Vers -1650, les Égyptiens, à leur tour, adoptent le char de guerre attelé. Quatre siècles plus tard, les Achéens déferlent sur la Grèce et les Celtes s’imposent grâce à leurs chevaux.
Qu’aurait été l’humanité sans les chevaux et sans l’équitation ?
La réponse proposée par Bjarke Rink est la suivante : si les chevaux avaient disparu comme les mammouths, il n’y aurait pas eu d’automobile, pas d’avion, pas d’ordinateur, pas d’internet. Sans les chevaux et sans l’équitation, le monde en serait encore à l’époque de l’Ancien Testament (je cite de mémoire).
Dans la deuxième partie de son livre sur le mythe du centaure, l’auteur se pose en effet de nombreuses questions de base à propos de l’équitation. Pour en comprendre la complexité neurologique, il analyse ce phénomène du point de vue de la biologie, de la physiologie, de la neurophysiologie et de la biomécanique.
Qu’est vraiment l’équitation ?
Pourquoi un cheval permet-il à un humain de le monter ?
Comment est-il possible au cavalier de guider un cheval ?
Comment un humain et un cheval peuvent-ils former un être biomécanique adapté au travail ?
L’équitation dite sensible ou naturelle (mandubianisme) est le résultat de la combinaison des capacités de survie du cheval et de l’homme-cerveau, avec la vitesse. Cette alliance s’est formée en Asie centrale à la fin de l’Ère néolithique. Ceci est en fait le principe constitutif de l’équitation.
Pourquoi les biologistes ne se sont-ils pas rendu compte de l’impact profond que la symbiose homme-cheval a pu avoir sur la planète ?
Pourquoi les anthropologistes n’ont-ils pas identifié le rôle de l’équitation dans l’expansion de notre évolution technologique ?
Pourquoi les historiens n’ont-ils pas compris que les civilisations équestres de l’Asie centrale ont fondé l’histoire mondiale, de l’Antiquité jusqu’à la Renaissance ?
Pourquoi les sociologues ne se sont-ils pas aperçus qu’un nouvel ordre social s’est imposé avec l’ascension des civilisations équestres et de l’équitation ?
À cheval, l’être humain a pu rompre avec la dimension de son propre espace-temps et en Eurasie les moyens d’échange et d’expansion des civilisations ont atteint la vitesse des chevaux.
Mais qui a dit cela ? Einstein dans sa Théorie de la Relativité, rappelle Bjarke. Si à cheval, il est possible d’atteindre un endroit où à pied deux journées auraient été nécessaires, la valeur de la relation qui relie l’espace au temps a bien été modifiée, comme nous l’a démontré Einstein. Mais
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l’impact de la notion d’espace-temps n’a jamais été vraiment compris par les biologistes, les archéologues, les historiens et les sociologues.
C’est probablement parce que le fonctionnement du cerveau des hommes est coordonné à la vélocité originelle de ses jambes. L’accélération de l’Histoire a simplement été attribuée au génie humain et non à la vitesse du cheval.
Les scientifiques ont discrédité la théorie selon laquelle les Amérindiens étaient moins intelligents que leurs colonisateurs européens. C’est l’absence d’accélération du temps liée à l’équitation, qui explique ce retard de développement, la progression de ces civilisations était liée à la seule vélocité de leurs jambes. Les Incas et les Mayas, seulement séparés par 2 500 kilomètres (la distance qui sépare New York d’Austin) ignoraient leur existence réciproque *.
Ce que pointe aussi cet auteur dans son livre, c’est la perte de l’importance des chevaux et de l’équitation consécutivement au « bond » technologique du XIXE siècle. L’anthropocentrisme des personnes élevées en ville. La perte de la compréhension biologique du monde naturel par les urbains. L’arrogance de l’Homme civilisé pour le monde animal.
Dans la troisième partie de son livre, l’auteur décrit sa vision du futur de l’équitation. Et nous explique comment, avec l’augmentation de la compréhension de l’interaction entre le cheval et le cavalier, le futur de l’équitation semble garanti en tant qu’instrument d’enseignement de principes fondamentaux ; comme la discipline, le courage, l’autorité, la solidarité, l’esprit d’équipe, la patience et la ténacité. Le cheval teste les limites psychologiques et physiques des cavaliers.
Certaines formes d’équitation peuvent être pratiquées par des cavaliers de tous âges et même par des handicapés physiques et mentaux. Contrairement aux sports qui nécessitent un ballon ou des véhicules, l’équitation exige des capacités physiques et mentales dépassant la programmation génétique de l’Homme. Pour contrôler cette vitesse et cette force nouvellement acquises, le cavalier doit former de nouvelles connexions entre ses neurones, l’équitation est la technique biologique la plus complexe jamais mise au point.
Si aucune recherche scientifique n’a été menée sur la neurophysiologie de l’équitation (ou comment les systèmes nerveux des humains et des chevaux s’accordent ? Entrent en résonnance ?) c’est peut-être à cause de très piétonnières raisons.
Après l’invention de l’automobile, les chevaux ont été démodés, beaucoup ont alors vu les chevaux uniquement comme de simples moteurs. Ignorant ainsi la possibilité d’unifier les systèmes nerveux humains et équins pour n’en former plus qu’un seul, comme l’avaient fait leurs ancêtres. L’équitation naturelle (mandubianisme) a disparu.
Le XXe siècle a été le premier siècle non équestre. Et c’est pour cela que peu d’entre nous trouvent de l’intérêt à fouiller les ruines de l’Ancien Monde pour sauver les boîtes noires de l’équitation qui ont, en fait, fondé la société orientée vers la vitesse, dans laquelle nous vivons ; et qui a pour apogée l’internet.
Même si quelques scientifiques sont partisans des arguments de Bjarke Rink, beaucoup pensent qu’il exagère. Concevoir que des sabots aient pu être la raison fondatrice de nos sociétés industrielles est peut-être difficile à comprendre pour des urbains.
* N.B. Einstein nous a donné la solution à la question amérindienne : « Il est impossible de résoudre les problèmes avec le même cerveau que celui qui les a causés ». Ce qui veut aussi dire que les problèmes d’écologie, de développement durable, de santé publique ou de politique, des agglomérations – villes États – ne peuvent être résolus par ceux qui les ont produits. Ce qui veut dire aussi que la généralisation de la langue anglaise sous l’inévitable forme d’un globish universel fait baisser le niveau intellectuel de l’Humanité ou sa moyenne en ce domaine, car il va de soi que dans le cas de l’anglais pratiqué par des locuteurs dont ce n’est pas la langue maternelle (le globish) toutes les finesses de la langue (idiotismes) et donc de la pensée, tombent. Il y a appauvrissement de la langue et par conséquent de la pensée.
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LA DÉESSE DES CHEVAUX.
Le plus ancien renseignement sur cette déesse-ou-démone, ou fée, des chevaux, se trouve chez Juvénal (Satires, VIII, 155 sq.)
Épona fut, à l’époque de la Rome impériale surtout, une déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, de premier plan. Son nom contient une allusion au cheval : « epos » signifie en effet cheval, et le suffixe « -ona » veut simplement dire « relatif à ». La grande reine Épona est donc la déesse-ou-démone, ou fée, protectrice des juments et des poulains.
Juvénal écrit précisément : «… iurat/solam Eponam et facies olida ad praesepia pictas ». … Il ne jure par aucune autre divinité qu’Épona, et ses images peintes dans les écuries puantes”.
Le Grec Agesilaos, nous parle de sa naissance :
« Fulvius Stellus était misogyne et eut des relations avec une jument, celle-ci, arrivée à son terme, donna naissance à une belle petite fille qui fut appelée Épona. C’est elle la déesse responsable de la protection des chevaux ».
On y fait aussi allusion chez les racistes chrétiens de la décadence romaine comme Minucius Felix (Octavianus, XXVIII, 7) : « Nisi quod vos et totos asinos in stabulis cum vestro vel [sua] Epona consecratis ». « Vous qui adorez l’espèce des ânes tout entière dans vos écuries, en la personne d’Épona, etc. »
La grande reine Épona est une déesse, ou démone si vous voulez M. Minucius, ou une fée aussi, si l’on préfère ce terme, très populaire, à en juger d’après le nombre important de figurations que l’on en connaît, en particulier des figurines en terre cuite du département de l’Allier, dont on sait qu’elles étaient particulièrement répandues. Les représentations de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on veut, sont diverses. Tantôt une jument allaitant son poulain (musée de Beaune), que certains voient comme le prototype même de la déesse-ou-démone, ou de la fée si l’on préfère ; et d’autres, comme une simple contamination de l’art hellénistique ; tantôt une écuyère assise en amazone sur une jument ou parfois couchée, plus exceptionnellement debout près de la jument. Ce ne sont là que les grandes lignes de l’iconographie la concernant. Il y a de nombreuses variantes, que l’on peut tenter de regrouper selon divers ensembles géographiques. En Moselle et dans le Luxembourg, elle se tient à califourchon. Ailleurs (Rome, Bulgarie, Afrique du Nord), elle est assise et donne une pâture symbolique (des fruits) à un groupe de chevaux. En Bourgogne, la monture pose parfois le sabot sur un rocher. Ses attributs sont variés : corne d’abondance, patère, fouet, cravache, clé. Pour certains, le culte de la grande reine Épona aurait pris naissance dans les Balkans. Mais les trois régions qui nous livrent une grande abondance de documents sont la Bourgogne, la vallée de la Moselle, et la vallée du Rhin. Les interprétations de l’iconographie sont difficiles et, à vrai dire, contradictoires, d’autant plus que l’épigraphie n’apporte guère de précisions supplémentaires. Les auteurs latins voyaient dans notre rigantona Épona la déesse protectrice des chevaux et des écuries. De nos jours, une tendance en fait aussi une divinité protectrice du foyer, telles les fées de type Matres. En Bourgogne la jument allaite souvent un poulain, preuve qu’il s’agit d’une divinité nourricière. Pour d’autres, elle évoque plutôt le voyage de l’âme/esprit vers l’au-delà, et remplit une fonction de protection vis-à-vis des mortels. Ce caractère funéraire est attesté par l’attitude de la rigantona Épona dans divers bas-reliefs de Luxembourg ou de Luxeuil, faisant le geste de la bénédiction. Ou par des attributs comme le fouet (que l’on rencontre aux mains des Dioscures) ou la clé qui ouvre les portes de l’au-delà. Le poulain signifie la continuité de la vie par la descendance… Il serait sage en tout cas de parler de pluralité des Épona. Sur la stèle d’Hagondange (département de la Moselle), deux écuyères figurent aux côtés d’une déesse, ou démone oui M. Minucius, ou fée, centrale. Rien ne nous renseigne sur la part de confusion qui a pu se produire, avant même la conquête romaine, entre notre grande reine Épona et des divinités locales protectrices des chevaux. Ce qui tout de même la rend unique, c’est sa solitude et son célibat résolu, chose rare dans la société divine d’alors, ainsi que la présence du cheval. Ce caractère exceptionnel assurera le succès de notre rigantona Épona dans l’Empire romain, en dehors même des dédicaces effectuées par des Celtes engagés dans l’armée romaine.
En Italie un calendrier du Ier siècle (celui de Guidizzolo) fixe sa fête au XV Kalendas Januarias, au 15e jour des Calendes de janvier, donc aux environs du 24 décembre : honneur unique attribué à une divinité celte à Rome même.
* Qui bien entendu assimilent systématiquement les anges les saints ou les Vierge Marie des autres à des démons ou des démones (ces esprits impurs, donc ces démons, que font apparaître les « magi ». Octavianus XXVII).
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DE L’INSTINCT ET DE L’EXTRAORDINAIRE PRESCIENCE DU CHEVAL (HIPPOMANCIE).
Dès lors il n’est donc guère étonnant que différents peuples de l’Antiquité aient prêté au cheval des pouvoirs plus ou moins mystérieux. Des chevaux qui piaffent annoncent la pluie ou la présence d’une source sous leurs sabots. « Les quatre fils Aymon », poème de la fin du XIIe siècle édité par William Caxton, a rendu célèbre Bayard, un cheval de taille ordinaire, mais qui s’allongeait pour porter les quatre frères de ce nom, et qui était capable de se déplacer à une très grande vitesse. Bayard a laissé de nombreuses empreintes : celle d’un de ses sabots dans la forêt de Soignes au sud-est de Bruxelles et celle d’un de ses fers sur un rocher près de Dinant (Belgique). Il est surtout renommé pour les sources qu’il a fait jaillir, d’où le grand nombre de fontaines Bayard. On comprend d’ailleurs mieux pourquoi les auberges, notamment dans les anciennes régions celtes, se signalent par un cheval blanc, souvent dessiné sur la porte ou sur l’enseigne. Cette croyance que le cheval devine la présence des sources cachées, semble d’ailleurs commune à l’Europe et aux États-Unis, où l’on recommande de creuser à l’endroit où il renifle le sol, s’allonge et se roule.
Certaines attitudes chevalines sont en effet pleines d’enseignement. Le hennissement est de bon augure (sauf la nuit pour les Anglais) ; l’entendre à l’aube annonce une bonne nouvelle. Celui qui s’ébroue pendant un voyage annonce la bonne fortune, et s’il fait son crottin devant votre maison, vous recevrez de l’argent ; mais s’il s’arrête ou rue sans motif, c’est qu’il a dû sentir une présence démoniaque ou un fantôme (ses ruades peuvent aussi annoncer un temps froid et humide). Gare à la tempête et au mauvais temps lorsque les chevaux tournent leur croupe vers une haie ou courent dans les prés. Les cabrioles des chevaux en liberté sont signe de guerre.
Le cheval en bronze découvert le 27 mai 1861 à Neuvy-en-Sullias, à 28 km au sud-est d’Orléans, département français du Loiret (hauteur : 1,05 m, poids : 54 kg sans le socle) ; est sans doute à mettre en rapport avec cette vénération des Anciens pour le cheval. Quatre anneaux fixés sur le socle permettaient, grâce à des brancards, de le porter en procession. Majestueux, la tête dressée, il est à l’arrêt, son attitude (antérieur gauche relevé) peut être comparée à un certain nombre de statues romaines antiques. Ses proportions sont un peu ramassées, mais elles renforcent l’impression de puissance.
Sur le socle figure l’inscription ci-dessous.
AVG RVDIOBO SACRVM CVR CASSICIATE D S P D SER ESVMAG ? VS SACROVI ? SERIOMAGLIVS SEVERV FC
Certains restituent la lecture suivante.
AVG. RVDIOBO SACRVM
CVR. CASSICIATE D. S. P. D SER. ESVMAGIVS SACROVIR SERIOMAGLIVS SEVERVS.
F.C.
Autrement dit.
AVG (usto) RVDIOBO SACRVM
CVR (ia) CASSICIATE D (e) S (ua) P (ecunia) D (edit) SER (vius) ESVMAGIVS SACROVIR,
SER (vius) IOMAGLIVS SEVERVS
F (aciendum) C (uraverunt).
D’autres proposent la lecture ci-dessous.
AVG (ustis) RVDIOBO. SACRVM
CVR (ator) CASSICI ATE D (e) S (ua) P (ecunia) D (edit) SER (viens) ESV MAG (n) VS SACROVIB (is)
SER (viens) I (ovi) O (ptimo) MAGI (n) VS SEVERVS
F (aciendum) C (uraverunt).
D’après un de nos correspondants français nommé Jacques PONS, il s’agirait dans ce cas d’un mélange de latin et de celte (rudiobo cassiciate esu sacrovib) signifiant ce qui suit :
Aux augustes dieux supérieurs
L’administrateur de l’espace cultuel (curator) a fait cette offrande (dedit) à ses frais (de sua pecunia).
Le grand Desservant (serviens magnus) d’Esus SACROVIBIS
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Et le grand Desservant (serviens maginus) de Jupiter (lovi) Très Bienfaisant (Optimo) SEVERUS
Se sont chargés de la réalisation (faciendum curaverunt).
Il n’est donc plus question ici du dieu-ou-démon « Rudiobus » et l’assimilation au dieu-ou-démon Mars n’a plus lieu d’être. En revanche, le dieu-ou-démon druidique Esus fait son apparition, avant même Jupiter, et son desservant a un nom indigène (sacrovir). C’est le Romain (SEVERUS) qui est chargé d’honorer JUPITER.
Alors, qui croire ??
Il est absolument nécessaire à tout druidisant, à tout homme ayant l’esprit celte chevillé au corps, ou à toute personne s’intéressant un tant soit peu à cette Atlantide disparue à tout jamais ; d’avoir des notions de celtique commun ou de vieux celtique en p ou en q. Et il est d’ailleurs fortement conseillé à celui qui veut s’engager plus à fond dans cette voie d’avoir plus que des rudiments de vieux celtique ou de celtique commun, afin de mieux comprendre certains concepts de base ou certains mythes. Mais notre message a survécu à la disparition de l’idiome l’ayant porté originellement et il peut donc aujourd’hui être véhiculé par d’autres langues (tant pis pour Fénius Farsaid !)
En tout cas, l’inscription de Neuvy-en-Sullias nous fait deviner pas mal de choses sur la romanisation des peuples vaincus.
D’abord, que l’occupant favorisait les pratiques religieuses et sociales des populations soumises, comme leur goût pour le sport hippique et pour les festivités agrestes. Aucune once de persécution religieuse dans tout ça, les Romains étaient religieusement tolérants par définition puisque polythéistes. Les Romains n’ont fait qu’interdire certaines pratiques bien précises du culte et interdire d’être à la fois druide et citoyen romain (Auguste) ou d’être officiellement druides (sénatus-consulte de Tibère et Claude) ce qui eut pour résultat que chacun dès lors dut devenir à lui-même son propre druide. L’occupant voulait cependant insinuer la romanité dans ces habitudes locales : le curator du centre cultuel paye ainsi de sa poche un splendide cheval de bronze comparable à ceux de son pays.
Ensuite, que les dieu-ou-démons locaux étaient systématiquement assimilés à des dieu-ou-démons romains. On a parlé longtemps d’interpretatio romana des divinités. On admet plutôt maintenant qu’il y a eu interpretatio gallica des dieu-ou-démons importés d’Italie. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) honoraient des divinités plutôt abstraites. Ils les ont romanisées non sans quelques coups de pouce, et l’on doit même ajouter : non sans ironie ou, du moins, non sans humour.
Exemple, l’inscription suisse DEAE ARTIO (en réalité : artiom ou artion, la nasale finale étant souvent élidée). Traduction officielle (pour les Romains et leurs héritiers spirituels) : « à la déesse des arts », c’est-à-dire « à Minerve, Dea Artium ».
Sens pour les indigènes : « à la déesse ourse », car artiom/artion signifie « des ours » et la déesse-ou-démone est représentée avec un ours. À Neuvy-en-Sullias en tout cas, la résistance de la religion locale est affirmée avec véhémence : le dieu-ou-démon Esus est honoré comme Jupiter Optimus. Mais n’y aurait-il pas, malgré tout, une petite fissure entre les cultes respectifs de ces deux dieu-ou-démons ? On est bien obligé de constater en effet que le prêtre de la divinité celte a un nom « ad hoc », et que le prêtre du dieu-ou-démon importé a un nom romain. Sacrovibis est chargé d’honorer Esus et Severus d’honorer I (ovi). Ce qui implique qu’il y avait donc plutôt juxtaposition de deux coutumes religieuses que complète assimilation.
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L’HIPPOTHÉRAPIE OU ÉQUITHÉRAPIE.
Le grand rabbin nazaréen Jésus soignait par imposition des mains, c’était sa panacée ; nous autres Très Sachants du IIIe millénaire nous recommandons l’hippothérapie, c’est plus efficace, au moins dans certains cas.
Quel que soit son nom : Thérapie avec le Cheval, Rééducation par l’Équitation, Hippokinésithérapie, Équithérapie, Équitation thérapeutique, Thérapie équestre, il s’agit d’une technique utilisant le pas du cheval comme outil. Le cavalier n’agit pas sur le cheval. Il ne lui demande rien. Il « subit » les mouvements provoqués par le pas de l’animal.
Il va sans dire que dans ce cas le choix du cheval est primordial. Le gabarit, la hauteur, la symétrie, la longueur de la foulée, ainsi que le tempérament, sont à évaluer pour chaque cavalier selon ses objectifs.
Il n’y a pas de race particulièrement adaptée à l’hippothérapie. Mais, dans certains cas, il peut être intéressant d’utiliser des chevaux de type « mandus », c’est-à-dire de petite taille comme ceux des Mandubiens. Une nation de l’Antiquité spécialisée dans l’élevage de ce genre de chevaux et connu pour vivre en symbiose avec (Mandubii signifie homme-cheval dans le sens concret de cavalier ou dans le sens imagé de centaure aurait dit Bjarke Rink).
Diderot, en 1751, a écrit dans son Encyclopédie un traité intitulé : « De l’équitation et de ses conséquences pour maintenir en bonne santé ou pour la retrouver ». Dans ce Traité, il explique que, quelle que soit l’époque, les exercices corporels ont toujours été utilisés pour maintenir en bonne santé. Il précise également que l’équitation est au premier plan de ces exercices, et qu’elle peut non seulement guérir certaines maladies, mais aussi les prévenir.
En 1875, à Paris, un spécialiste suggérait que le contact avec le cheval était très bénéfique dans le traitement de l’hémiplégie, de la paraplégie, ou des troubles neurologiques. Il avait remarqué, de par son expérience personnelle de cavalier, que l’équitation améliorait le sens de l’équilibre, renforçait ou assouplissait les muscles des jambes, et redonnait le moral.
Ces auteurs ont tracé la voie de l’équitation à but thérapeutique. À notre époque, d’autres ont approfondi ces études et amélioré les techniques utilisées.
L’utilisation du cheval dans un dessein thérapeutique n’est pas l’apprentissage de l’équitation et encore moins de la compétition. L’hippothérapie est une thérapie d’approche corporelle. C’est une thérapie à médiation corporelle, elle utilise le cheval comme moyen d’aller bien, dans son corps et dans sa tête.
Sont essentiels les soins donnés au cheval ainsi que la compréhension de ses comportements. Outre le travail fondé sur l’aspect relationnel, le cheval peut être utilisé comme médiateur permettant de travailler sur des objectifs précis, portant généralement sur des améliorations ; sur le plan psychomoteur (schéma corporel, espace, coordination, dissociation, latéralité, tonus, équilibre…) ; en ce qui concerne le domaine psychique (relaxation, confiance en soi, découverte d’aspects cachés de soi, communication, relation à autrui…) ; dans le domaine cognitif (particulièrement dans les cas de blocages avec d’autres moyens didactiques) ; et au niveau social (le manège créant un espace de rencontre).
Marie-Claire de Selliers, un nom prédestiné, psychologue et ex-présidente de l’association belge « Les Rênes de la vie » définit l’Hippothérapie comme étant une thérapie à part entière et complémentaire à la fois, prenant toujours en considération l’être humain dans son entièreté aussi bien physique que psychologique, et utilisant le cheval comme partenaire.
L’Hippothérapie est donc une thérapie multidisciplinaire, une coopération entre divers professionnels de la santé afin d’apporter un plus à quelqu’un. Ceci nécessite une formation de la part du thérapeute concerné : on ne s’improvise pas hippo-thérapeute sans formation.
Selon Marie-Claire de Selliers, l’hippothérapie « utilise tous les aspects du cheval pour aider la personne à se développer sur les différents plans : émotionnel, physique, psychomoteur et relationnel ». Le besoin relationnel du cheval est réel et s’exprime au travers d’attitudes diverses : recherche du contact physique, plaisir de jouer. C’est un vecteur s’adressant à l’intégrité corporelle et psychique de l’individu.
Il faut permettre aux chevaux utilisés d’évacuer les tensions (en les laissant se rouler au sol en début ou fin de séance par exemple) : ils font souvent de gros efforts lorsqu’ils sont montés par des personnes handicapées.
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Le cheval, animal noble, puissant, mythique, légendaire, est aussi doux, chaud, vivant. Imaginez ce que l’on ressent lorsque l’on arrive à se faire obéir d’un animal pesant 500 kg.
La relation que nous établissons avec lui est plus sensorielle qu’intellectuelle. Elle existe au travers du toucher, de la sensation, du mouvement. Nul besoin d’user d’un langage humain pour entrer en communication avec le cheval.
Le cheval a une deuxième caractéristique essentielle par rapport à l’Homme : il est absolument non-jugeant. Rien dans son regard ou dans son attitude ne laisse entendre le rejet, le dégoût, l’incompréhension. Cela favorise beaucoup les choses.
Les buts de l’équithérapie sont multiples.
1. Sur le plan fonctionnel.
— Notion d’équilibre.
— Renforcement de la musculature utilisable.
— Correction de la position du buste.
— Travail sur le tonus musculaire.
2. Socialisation.
— Intégration dans un groupe.
— Adaptation du comportement.
— Facilitation des relations.
— Apprentissage de l’autonomie.
3. Dans le domaine psychomoteur.
— Équilibre.
— Schéma corporel et image du corps.
— Rythme.
— Latéralité.
— Orientation spatiale.
— Structuration temporelle.
— Coordination.
— Dissociation.
— Éveil sensoriel.
4. Communication.
— Communication archaïque.
— Communication sensorielle.
— Communication verbale.
— Communication non verbale.
Le mouvement du cheval est un outil thérapeutique précieux, il permet de stimuler ou d’améliorer l’équilibre. Il permet d’améliorer l’équilibre, la coordination et la mobilité articulaire. Il permet aussi d’augmenter le tonus et la force musculaire. En montant à cheval, on arrive à oublier un moment le poids de son propre corps (comme dans une piscine). Le cavalier s’assimile au mouvement du cheval. C’est une forme de kinésithérapie, mais qui se pratique en plein air et avec un outil plutôt imposant.
Pour certains, il est thérapeutique d’être en contact avec un animal noble, beau, grand et fort et qui, malgré son apparence robuste, est doux. Cela peut être une méthode des plus motivantes pour faire de l’exercice. De plus, le cheval nous transporte sans broncher, il nous accepte tels que nous sommes. On se sent ainsi valorisé. Il est agréable pour certaines personnes de former un couple (cheval-cavalier) ou de passer un bon moment avec son partenaire du monde animal.
L’hippothérapie combine différents aspects : physiques et psychologiques, mais aussi affectifs et relationnels. Le cavalier doit en effet apprendre à se positionner en selle, à mieux « habiter » son corps, et à l’utiliser pour faire se déplacer le cheval. Différents exercices sont proposés : psychomotricité, mise en selle, travail de confiance en soi, toujours dans le respect de la personne, de sa différence, et dans le respect du cheval.
Le cheval offre de nombreux avantages. Le centre de gravité d’une personne assise sur un cheval est similaire à celui qu’elle possède lorsqu’elle marche. En outre, le pas du cheval a un rythme très proche du rythme cardiaque, ce qui contribue inconsciemment à la mise en confiance de l’humain.
Pour monter à cheval, il faut d’abord oser l’aborder, apprendre à communiquer avec lui. Le cheval réagit davantage aux actes qu’à la voix, ce sont les mouvements du corps et les gestes qui vont permettre de communiquer avec lui, même si l’on souffre de problèmes d’expression verbale !
De plus, l’hippothérapie va contribuer à inculquer une notion d’effort prolongé, elle nécessite du temps et du travail.
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Il est aussi nécessaire de prendre des responsabilités : il faut « commander » le cheval, prendre des décisions et agir au lieu de se laisser aller.
En hippothérapie, le cheval exerce une influence sur le cavalier, et non l’inverse comme dans le cas des autres formes d’équitation. Le but est d’améliorer chez le patient la posture, l’équilibre, la mobilité, ainsi que les capacités fonctionnelles.
La marche chez l’être humain produit un mouvement tridimensionnel au niveau du bassin : bascule antérieure et postérieure, rotation et bascule latérale. Ce mouvement est transmis du cheval au cavalier. Le mouvement du dos et du bassin du cheval au pas, est un instrument important, voire indispensable, dans l’apprentissage du contrôle du tronc et du bassin, chez l’être humain.
Travailler dans un environnement stimulant, amusant et nouveau, quoi de mieux pour se dépasser ou pour améliorer sa qualité de vie ? À ce jour, aucun appareil n’est parvenu à reproduire le mouvement du cheval, d’où l’importance de l’hippothérapie.
C’est une méthode qui envisage l’Homme dans sa globalité, en exerçant son action sur le double plan physiologique et psychologique, de manière indissoluble. La séance d’hippothérapie représente donc essentiellement un moment relationnel privilégié. Le cheval est un excellent compagnon stimulant la motivation et la communication, améliorant les perceptions sensorielles, l’image de soi et l’expression.
En respectant la physiologie, le rythme et les appréhensions de chacun, l’hippothérapie a pour but le maintien, voire l’amélioration, des capacités fonctionnelles, physiques et psychiques (mentales ou physiques), dans des conditions de sécurité ou de confort optimales.
Le cheval est un animal puissant : le sentir, le toucher, lui parler, l’apprivoiser, pour enfin se laisser porter par lui, constitue une expérience en soi.
La relation avec le cheval est donc primordiale, la chaleur de l’animal, le rythme rassurant de son pas, la relation de confiance qui s’établit petit à petit, vont produire un bien-être visible.
L’animal participe au phénomène de socialisation ; ce n’est pas un objet, ce n’est pas un vélo, c’est un être vivant qui a ses réactions, et avec lequel un accord doit être obtenu. Par ailleurs, le cheval étant un être réactif et sensible, il reflète constamment, presque comme un miroir, le comportement de celui qui l’approche ou le monte.
Le cheval permet de ce fait la découverte de l’indépendance. Si on ne lui demande rien, le cheval ne fait rien ou bien suit son instinct, ce qui entraîne chez le cavalier des réactions de crainte ou de frustration. Celui-ci se voit dès lors contraint de réagir, d’agir, et tend ainsi peu à peu vers une meilleure autonomie dans le cadre d’un lien relationnel intense. Mais le cavalier doit aussi se différencier, se distinguer, clairement, de sa monture, pour pouvoir la guider. La distance entre sa volonté et celle du cheval fait alors apparaître sa propre spécificité. Le langage essentiellement corporel et gestuel permet de dialoguer ou de s’exprimer sans faire usage de mots.
Sur le plan psychomoteur, l’hippothérapie permet d’exercer de façon efficace sa coordination motrice, ses schémas corporels et son orientation dans l’espace. La chaleur du cheval, son pas rythmé, provoquent un véritable massage durant lequel on peut observer une régulation du tonus musculaire ainsi qu’une amélioration de la musculature dorso-lombaire.
Le thérapeute s’occupe toujours de la même personne, qui travaille toujours avec le même poney. Il s’entoure d’aides : un accompagnant adulte par couple cavalier /cheval.
Les allures employées. Le pas est l’allure employée par excellence, car c’est une allure rythmée symétrique. C’est un rythme qui favorise le relâchement. Ceci est d’autant plus efficace que le cavalier monte sans étrier. Il est sécurisant parce que décontractant.
Le trot est une allure rythmée, mais qui a un aspect à la fois stimulant et traumatisant. Il semble être une allure difficile en équithérapie et dont il faut se méfier.
Le galop pourrait être utilisé plus fréquemment, car il a un rythme relâchant, mais la grande difficulté réside alors dans le passage du pas au galop (qui devrait, dans l’idéal, se faire sans devoir recourir au trot). Le galop semble donc d’un emploi difficile.
Nous pouvons dès lors, nous rendre compte que les risques de chutes ou d’accidents sont minimes puisque 85 % de l’équithérapie se fait au pas.
Le poney Highland est originaire des Hautes-Terres d’Écosse, ainsi que des îles situées au large de la côte ouest.
Il y a 5 000 ans, trois types de chevaux furent domestiqués, dont l’ancêtre du poney Highland, qui était un cheval très résistant, provenant d’Asie septentrionale et d’Europe.
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Ses origines remonteraient à l’ère glaciaire, comme en témoignent les caractères archaïques fréquents de sa robe (robe gris souris, raie de mulet, zébrures aux membres, balzanes *) et sa ressemblance avec les chevaux des fresques de Lascaux en France.
Des mandus se sont probablement installés en Grande-Bretagne durant la préhistoire, alors que la Manche n’existait pas, et que la Grande-Bretagne était encore reliée à l’Europe par un « pont » naturel. Les ancêtres du poney Highland sont sans doute ce petit équidé migrateur.
Depuis toujours, la Nouvelle Forêt de Grande-Bretagne est réputée pour avoir hébergé des poneys. Les neuf catégories de poneys trouvées en Grande-Bretagne (dont les poneys Highlands) en seraient originaires. Les troupeaux se seraient séparés à mesure que les terres furent cultivées, donnant des caractéristiques différentes à chaque race, en fonction du nouvel habitat et de leur utilisation.
En ce qui concerne le poney Highland, il est prouvé que de petits chevaux étaient installés, au VIIIe siècle avant notre ère, sur les Hautes-Terres arides et balayées par les vents, du nord de l’Écosse.
* Mon père qui avait fait partie d’une compagnie de gendarmerie mobile vers 1938 (nos amis canadiens disent « police montée ») me répétait souvent : « balzane de un cheval de rien, balzane de deux cheval de gueux, balzane de trois cheval de roi, balzane de quatre… cheval à abattre ».
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L’ART ÉQUESTRE.
Il ne faut pas confondre l’hippothérapie ou équithérapie, qui relève de la physiologie et de médecine, avec l’équitation, qui relève d’un autre aspect du rôle du cheval (voir Arrien).
Tous les peuples se sont efforcés d’utiliser l’énergie du cheval, en tentant de capter au mieux sa force motrice. Sa silhouette s’affina, ses membres s’allongèrent, sa taille et sa vitesse augmentèrent.
En tant que troupe armée à cheval, la cavalerie a pris naissance en Asie et, pendant un grand nombre de siècles, a constitué la force principale des armées.
Les populations de ces contrées à forte densité en chevaux deviennent des peuples pasteurs et cavaliers. Leur richesse et leur fierté résident dans la possession du plus grand nombre possible de chevaux.
Les pasteurs devinrent guerriers, conquérants, et pillards, jusqu’au jour où les circonstances les fixent au sol qu’ils avaient envahi.
Les techniques équestres de l’Antiquité nous sont peu connues.
Le rôle majeur du cheval dans l’Antiquité, c’est la guerre. La conduite du cheval s’effectue principalement avec les jambes, les rênes restant sur l’encolure pour permettre l’emploi des armes, qui sont toujours des armes de jet.
Le plus ancien traité d’équitation du monde (l’art de soigner et d’entraîner les chevaux) est celui qu’il y a dix-huit siècles un certain Kikkouli rédigea sur des tablettes d’argile (voir la traduction qu’en a faite Anthony Dent).
Ce cavalier mitannien, qui était venu enseigner aux Hittites l’art équestre, nous fait découvrir qu’à cette époque, déjà, le cheval était utilisé tant pour le transport que pour les guerres. Notamment celles que ce peuple de cavaliers entama contre le pharaon Ramsès II. Ce texte hittite en caractères cunéiformes traite de l’entraînement progressif des chevaux utilisés à la traction des chars de combat.
Le second traité d’équitation connu à ce jour est grec. Xénophon nous parle d’une équitation sans selle, avec parfois un tapis grossier ou une couverture, mais jamais d’étriers. Jusqu’en 500 avant notre ère, les chevaux sont toujours montés à cru ou avec une simple couverture.
Du temps de Xénophon, les routes étaient surtout en caillasse, d’où l’importance d’avoir un pied solide. Xénophon recommande donc des écuries sèches et pavées, voire la marche sur des galets de rivière ! Dans un bassin, le cheval est amené à piétiner des galets ronds. D’après Xénophon la corne se durcit après un tel exercice.
Les Romains, peuple fantassin par excellence, ne furent jamais de grands cavaliers. Ils montent assis sur un simple tapis. Les chars et les chariots sont reliés au cheval par l’intermédiaire d’une lanière passée autour de l’encolure qui étrangle le cheval ; ils ne connaissent pas le collier qui prend appui sur les épaules ni la bricole qui prend appui sur le poitrail, ce qui explique la si faible efficacité de leurs transports terrestres. Ils protègent parfois les sabots par des hipposandales, protection en cuir qui tient avec des lanières, qu’ils substitueront au fer à cheval pourtant déjà inventé par les Celtes danubiens au IVe siècle avant notre ère.
La cavalerie romaine se recrutait presque exclusivement dans la classe riche, particulièrement parmi les chevaliers évidemment. Elle n’avait ni instruction ni solidité ; aussi fut-elle battue toutes les fois qu’elle eut affaire à des troupes disciplinées ou à des cavaliers comme les Celtibères. Hannibal dut ses victoires à l’emploi judicieux de sa cavalerie numide. Par la suite, les armées romaines se dotèrent de deux espèces de cavalerie : l’une, faible, qui comme la précédente, se composait de citoyens romains ; l’autre, excellente, formée de contingents fournis par les alliés ou les peuples vaincus (Celtes et Germains).
Les historiens grecs et romains se sont surtout penchés sur l’usage militaire de cet animal, mais on retrouve le cheval partout. Dans les tombes et les exploitations agricoles, sur les monnaies ; jusque dans le paysage lui-même, comme en témoigne le cheval long de 100 m creusé à même le sol à Uffington, dans le sud de l’Angleterre. À l’âge du Bronze final, les habitants de l’Europe centrale l’utilisaient comme animal de trait. Ils l’attelaient au moyen d’un joug et le harnachaient avec des brides et des mors de cuir, ainsi que des pièces latérales en bois, parfois en os.
À la fin de la période des champs d’urnes, les éléments de harnais en bronze se répandent. Au début de la période dite du Hallstatt C, l’Europe en est inondée.
La découverte d’un squelette datant de l’âge du bronze (vers 500 avant notre ère ??) pourvu d’un mors et d’œillères ; et la connaissance par les autochtones de mors aussi perfectionnés que ceux qui sont utilisés par les Grecs au IVe siècle ; attestent l’ancienneté des traditions équestres des Celtes.
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Dans leur armée, l’élément monté ou attelé domine, mais il faut néanmoins ne pas oublier que le cheval celte d’avant le IIe siècle avant notre ère était de type mandus autrement dit un poney. Ces chevaux velus l’hiver étaient en effet sobres, rustiques, rapides et infatigables, mais leur taille n’excédait pas généralement 1,40 m au garrot, et ils étaient dotés d’un « caractère difficile ». Il fallait donc pour cette raison être un excellent cavalier sur le champ de bataille.
Aux environs de – 700, l’emploi du cheval semble se généraliser rapidement : un afflux soudain de chevaux de type oriental semble se produire. Cela résulte de l’apparition d’un nouveau système d’échanges, consécutif à une migration de populations des steppes pontiques à la grande plaine hongroise. Pour les Celtes, le cheval devient alors un animal de prestige que les puissants cherchèrent à posséder.
Dans les riches sépultures du Hallstatt et de La Tène, on ensevelissait avec le mort le char funéraire qui l’avait transporté jusque dans sa dernière demeure ; mais pas les chevaux eux-mêmes, en raison de leur valeur marchande et plus encore de la coutume. Ces rites contrastent avec ceux qu’observaient les peuples cavaliers de l’est de la Hongrie.
Dans un certain nombre de tombes hallstattiennes, on a découvert des harnachements de chevaux de trait, mais aussi des chevaux montés par les chefs.
C’est la preuve de la généralisation de l’équitation. Au même moment se répand la longue épée tranchante, particulièrement adaptée au combat mené à cheval, preuve supplémentaire de l’importance de la cavalerie : la spatha, que les Romains ont donc empruntée aux Celtes (ce qui fait, si nous comprenons bien, que pour ce qui est de la terminologie en usage dans le monde de l’escrime, le mot épée – glaive – vient de la désignation d’une arme celte). La lance était aussi une des armes favorites de nos lointains ancêtres.
À la fin du VIIe siècle avant l’ère vulgaire, le combat mené à cheval faisait partie intégrante de la civilisation des Celtes. Le cheval servait en particulier à tirer les chars de guerre. Le char conduit par un Celte hirsute est l’un des motifs les plus fréquents figurant au revers des monnaies celtiques.
« À l’occasion de leurs déplacements et pour partir au combat, les Galates se servent de chars tirés par deux chevaux, transportant un cocher ainsi qu’un guerrier. Quand ils rencontrent de la cavalerie dans un combat, ils lancent d’abord leurs javelots sur cet ennemi et ensuite descendent de leur char puis poursuivent le combat en se servant de leur épée » (Diodore de Sicile, livre V, XXIX).
Rappelons également l’existence de la trimarcisia, une unité tactique composée d’un chef et de deux compagnons, comparables à celle qui était formée au Moyen-âge par un chevalier accompagné de son écuyer. Les deux membres de cette escorte étaient chargés de veiller sur leur chef et de lui fournir un nouveau cheval si cela s’avérait nécessaire.
Les sabots des animaux sont suffisamment résistants pour assurer une bonne protection de leurs pieds. Ils ont un pouvoir de réparation naturel, l’avalure, correspondant à une croissance du sabot d’environ un centimètre par mois, qui compense l’usure progressive de la corne au contact du sol. Mais l’animal attelé doit fournir un travail beaucoup plus important que lorsqu’il est libre, et l’usure du sabot devient plus rapide que sa croissance. Le fer à cheval évite cette usure. Les Celtes seront les premiers à ferrer les chevaux : ce sont d’excellents techniciens et ils possèdent une métallurgie du fer d’un niveau remarquable. Le fer à cheval permanent, fixé par des clous, fut inventé par les Celtes restés en zone danubienne à la fin du Ve siècle ou aux débuts du IIIe. Outre la protection du sabot, le fer améliore la circulation sur terrain rocheux, gravillons, etc. Le fer à cheval celte a ainsi amélioré radicalement l’utilisation pratique du cheval, qui est devenu par cette invention un élément déterminant dans leurs combats guerriers.
L’art martial équestre celte (charrerie et cavalerie) se décompose en deux phases ou deux disciplines très distinctes. 1. Les courses de chars. Les chevaux des Celtes étant alors plutôt de type poney, ils servaient surtout à tirer des chars.
Le seul qui ait vraiment compris les chevaux à Rome est Virgile (il est vrai que son arrière-grand-père était druide).
« Mais si tu aimes mieux élever des chevaux pour la guerre et pour les rudes exercices de la cavalerie, ou bien pour glisser sur de rapides roues aux bords des eaux Alphéennes de Pisa, ou pour faire voler un char dans les bois sacrés de Jupiter, accoutume de bonne heure ton élève à voir les armes, les guerriers pleins d’ardeur ; à entendre les clairons éclatants, et le roulement de la roue qui gémit, et le bruyant cliquetis des freins dans l’étable. Que de jour en jour il prenne plus de plaisir aux louanges de son maître, aux douces caresses de sa main qui le flatte. Commence à le former ainsi, à peine écarté de la mamelle de sa mère, et lorsque, faible, tout tremblant encore et sans expérience, il
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livre de lui-même sa bouche à un premier et léger bridon. Mais après trois ans, et quand déjà il atteint son quatrième été, qu’il commence dès lors à tourner en rond, à faire retentir la terre sous ses pas cadencés, à jeter et à ramener tour à tour ses jambes ; qu’il s’éprouve ainsi à la fatigue et au travail ; qu’ensuite il s’élance, provoque les vents à la course, et que volant libre de tout frein à travers la plaine, il imprime à peine sur la poussière la trace de ses pas. Tel le vent du nord, au souffle puissant, qui fond des régions hyperboréennes et disperse au loin les frimas et les secs nuages de Scythie. Alors les hautes moissons, ondulant sous son haleine, frémissent mollement agitées ; les forêts sur les monts jettent de grands murmures, et les flots accourent de loin et se pressent sur le rivage. Ainsi vole le vent du nord, balayant dans sa course rapide et la terre et les mers. Tu le verras, le coursier ainsi dressé, tourner la borne olympique dans les campagnes d’Élis ; tu le verras, couvert de sueur et d’une sanglante écume, parcourir la vaste carrière : ou bien, ployant son cou docile sous le char des Belges, il s’élancera au milieu des batailles. Ce n’est qu’après l’avoir ainsi dompté qu’on peut lui laisser prendre du corps par une nourriture plus abondante et plus forte : avant ce temps, sa fougue et sa fierté se révoltent contre le fouet, et il refuse d’obéir à la main qui lui fait sentir le frein.
Mais il n’est pas de plus sûr moyen de développer la vigueur, soit des taureaux, soit des chevaux, que d’écarter d’eux Vénus et les aiguillons de l’aveugle amour. C’est pour cela qu’on relègue les taureaux au loin, dans des pâtis solitaires, derrière une montagne, au-delà de quelque large fleuve qui les sépare du troupeau, ou qu’on les tient renfermés dans l’étable, auprès d’une ample pâture. Car la vue d’une génisse les mine, les consume d’amour et leur fait oublier les bois et les herbages. Souvent même celle-ci, par ses doux attraits, allume la guerre entre ses superbes amants, qui combattent pour elle à coups de cornes. Tandis qu’elle paît, belle et tranquille, dans les grands bois
de Sila, ces fiers rivaux se livrent d’horribles combats et se couvrent de blessures : un sang noir ruisselle de leurs flancs. La corne baissée, et luttant de leurs robustes fronts, ils s’entrechoquent avec d’affreux mugissements : les bois et les vastes cieux en retentissent. Désormais le même séjour ne saurait plus les rassembler : le vaincu s’en va ; il cherche un exil lointain sur des bords inconnus, déplorant sa défaite, etc., etc. » (Publius Vergilius Maro… Les Géorgiques. III).
N.B. Nous avons renoncé à traduire ce texte en vers, mission impossible. Mes sept ans de latin sont trop loin. Nous l’avons donc laissé sous forme d’un texte en prose. Idem avec l’extrait ci-dessous.
« C’est avec moins de rapidité, aux jeux du cirque, que les chars à deux chevaux, franchissant la barrière, se précipitent dans l’arène et dévorent l’espace ; avec moins d’ardeur que leurs auriges, laissant leurs chevaux s’emporter, secouent les rênes ondoyantes, et, penchés sur le timon, aiguillonnent leurs flancs poudreux. Alors éclatent de toutes parts les applaudissements de la foule, les frémissements de crainte ou d’espérance que se partagent les combattants. Le bruit confus des voix roule dans l’écho du rivage et les collines ébranlées retentissent de ces lointaines clameurs » (Publius Vergilius Maro… L’Énéide. V).
Les latinistes ne m’en voudront pas, je l’espère, de leur faire remarquer que cette course de chars sur une plage, me fait aussi beaucoup penser aux grandes plages de la mer du nord, à la Grande-Bretagne ou à l’ancienne Irlande. Encore une fois était-ce parce que le grand-père de Virgile était druide ?
Le char n’était pas inconnu en Europe. On en a retrouvé des représentations sur des tombes suédoises du Xe siècle avant notre ère, les Mycéniens aussi le connaissaient bien. Cependant, dans les mains des Celtes des IIIe et IIe siècles, il devint alors un élément redoutable de l’équipement militaire.
Au milieu du Ier siècle avant notre ère, au moment où César agressa la Celtique, de nouvelles méthodes de combat de cavalerie avaient néanmoins déjà remplacé les anciennes, à la suite de la familiarisation des Celtes avec le monde classique. Les Romains ne rencontrèrent en face d’eux que des fantassins et des cavaliers. Ce n’est qu’en mettant pied en Grande-Bretagne qu’ils eurent affaire à des chars de guerre. César nous décrit la tactique du combat de chars des Bretons. Ils parcourent en tous sens le champ de bataille, en lançant leurs javelots de manière à provoquer un désordre indescriptible.
« Ce combat, d’un genre si nouveau, livré sous les yeux de toute l’armée et devant le camp, fit comprendre que la pesanteur des armes de nos soldats, en les empêchant de suivre l’ennemi dans sa retraite et en leur faisant craindre de s’éloigner de leurs drapeaux, les rendait moins propres à une guerre de cette nature. La cavalerie combattait aussi avec désavantage, en ce que les Barbares,
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feignant souvent de se retirer, l’attiraient loin des légions, et, sautant alors de leurs chars, lui livraient à pied un combat inégal ; or, cette sorte d’engagement était pour nos cavaliers aussi dangereuse dans la retraite que dans l’attaque. En outre, les Bretons ne combattaient jamais en masse, mais par troupes séparées et à de grands intervalles, et disposaient des corps de réserve, destinés à les recueillir, et à remplacer par des troupes fraîches celles qui étaient fatiguées ».
Lorsque l’on sait que Cassivellaunos, le chef de la résistance bretonne, disposait de quatre mille chars semblables, on comprend mieux les difficultés rencontrées par les Romains.
Les chars intervinrent dans toutes les grandes batailles qui opposèrent les Bretons aux Romains. Lorsqu’en 83 ou 85, Agricola se bat dans le nord de l’Écosse, on trouve encore des récits évoquant le fracas des chars manœuvrant à toute allure entre les deux armées (bataille des monts Grampians).
Un char de luxe parisien a été découvert à Wetwang Slack (Yorkshire) en 1984, il s’agissait de celui d’une femme. La BBC en a même fait une reconstitution.
On a retrouvé des garnitures de char en bronze ou en fer dans des chambres funéraires et des dépôts votifs dans des marais (comme à Llyn Cerrig Bach au Pays de Galles). Tous ces éléments nous permettent de nous faire une idée précise du char celte. À deux roues, allégé au maximum, il constituait, entre des mains expertes, une arme mortelle.
2. La voltige équestre.
Des équidés plus grands que les races de types poney ou mandus ayant été introduits au premier siècle avant notre ère ; sauf, comme nous l’avons vu, chez les Bretons de Grande-Bretagne, où les chars continueront de prédominer ; les chevaux sont donc désormais montés par des combattants et la cavalerie remplace la charrerie ; d’où l’apparition de l’équitation dans ces contrées.
Les écoles d’équitation espagnole et portugaise ont été fortement influencées par l’art de la corrida, mais l’équitation de grandes écoles comme Saumur ou Vienne rend au cheval monté toute la grâce des attitudes et des mouvements qu’il a naturellement en liberté. Il s’agit donc de parfaire la nature par la subtilité de l’art. Un art particulièrement cultivé par les Mandubiens si l’on en croit leur nom, qui utilisaient certains mouvements pour impressionner l’ennemi sur le champ de bataille (voir Arrien).
Si l’on se réfère à l’Histoire, la voltige fut donc d’abord une formation de guerriers. Jeux d’adresse et d’audace, cette pratique servait à la chasse et à la guerre. Les Mandubiens mettaient au point ces figures pour se protéger, tenir des armes ou ramasser des objets.
Ces entraînements se faisaient sous la houlette de cavaliers confirmés tel Diviciacos.
Les Celtes, un peu comme les Cosaques plus tard, étaient extrêmement habiles dans tout ce que l’on pourrait appeler les acrobaties et les cascades. Acrobaties facilitées par la petite taille du cheval celte à l’origine (un cheval de type mandus) ; mais qui se maintint avec l’apparition du grand cheval de type oriental. Encore que pour certains auteurs le plus grand cheval du monde avait déjà été observé par César qui dans ses commentaires se réfère à de grands équidés noirs présents dans le nord de l’Angleterre que l’on appelle aujourd’hui « shire ». Mais le sujet reste controversé, car les chevaux tractant les chars étaient bien de type mandus ou poney. Alors, qui croire ? Mais que nos lecteurs se rassurent, ce point ne fait pas partie des grandes lignes du druidisme.
Le dressage du cheval était bien entendu extrêmement important, pour qu’il franchisse les gués, se couche, et ainsi de suite. Et l’art martial équestre des hommes comme Diviciacos comprenait sans doute ce que tout cavalier se devait de connaître. Maîtrise parfaite du cheval, entente avec lui (une spécialité des Mandubiens), saut d’obstacles, comportements dans les traversées de rivières, saut du haut de berges voire de falaises, musculation des reins pour résister à de longues heures passées à cheval ; et conserver une solide assise afin de combattre.
Enfin, pour résister aux hommes à pied : les mêmes armes que lui, des armes spéciales pour désarçonner les adversaires, et d’immenses sabres appelés spatha pour tailler en pièces les fantassins.
Lors des guerres césariennes en Celtique, la cavalerie romaine fut fréquemment laminée par les cavaliers celtes et les propos d’Arrien (Ars tactica) montrent qu’elle a repris ensuite pour son propre compte leurs manœuvres d’attaque.
Né du combat, l’art équestre est, comme la guerre selon le mot de Napoléon : « un art simple fait tout d’exécution ».
Les rôles respectifs du cavalier et du cheval, à la guerre, voulaient que le premier pût disposer du second avec maîtrise et sûreté, sous peine de mort.
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Un tel enjeu devait nécessairement conduire au plus grand perfectionnement possible, perfectionnement non académique, dont il reste quelque chose, de nos jours, dans l’équitation tauromachique.
La voltige équestre s’est donc d’abord développée en tant qu’art militaire. C’était une tactique de cavalerie à elle seule. La beauté de cet exercice résidait dans la complexité de la chorégraphie, qui demandait la parfaite obéissance du cheval aux plus légères indications du cavalier. Les Celtes effectuaient des charges et des jets de lances ou de sagaies dans toutes les positions imaginables.
Chapitre XXXVII.
… C’est donc là qu’il est particulièrement impératif d’exceller dans l’art de l’équitation, afin d’être simultanément capable de lancer une javeline sur ceux qui galopent après soi, mais aussi de se servir de son bouclier pour se protéger le flanc droit. Quand le cavalier chevauche dans le même sens que sa cible, il doit en effet se tourner vers la droite afin de lancer sa javeline. Tout en faisant volte-face, il doit par conséquent réussir ce qui est appelé le petrinos en langue celtique, autrement dit le plus difficile de tous les mouvements. Il doit pivoter sur sa droite au maximum jusqu’à faire face à la queue du cheval afin de pouvoir la lancer vers l’arrière aussi précisément que possible. Une fois que c’est fait, il doit se retourner de nouveau vers l’avant et se recouvrir aussitôt le dos avec son bouclier, car à chaque fois qu’il pivote sans cette protection, il s’expose évidemment aux traits de l’ennemi.
Note de l’éditeur. Pour visualiser ces très complexes manœuvres des cavaliers celtes (cantabres et autres), se référer aux trois illustrations du livre d’Anne Hyland, pages 120, 123 et 135. Le drapeau cantabre était d’ailleurs un labarum.
Chapitre XLII.
Quand cette démonstration de lancer de javelines est terminée, les officiers supérieurs commandant la compagnie procèdent à l’appel des noms de tous les cavaliers qui doivent participer à cet exercice, dans l’ordre. En premier le décurion et après lui le duplicaire et les sesquiplicaires, enfin les autres hommes de la turme, successivement. L’homme dont le nom est appelé doit répondre en criant « présent ! » et se mettre ensuite à galoper droit devant lui avec trois lances. La première de ces javelines doit être lancée sur la cible dès qu’il en approche, la seconde juste avant d’arriver devant la tribune et alors que son cheval galope toujours droit devant lui ; et, si le cavalier suit les règles établies par l’empereur, il doit lancer sa troisième javeline alors que son cheval tourne vers la droite pour éviter la tribune, en visant une autre cible qui a été placée là sur ordre de l’empereur, justement afin de recevoir la troisième javeline. C’est le plus difficile des trois lancers puisqu’il doit être effectué juste au moment où le cheval commence à tourner, mais avant qu’il ait achevé de le faire. Un semblable lancer de javeline est appelé xynema en langue celte, et l’homme qui l’a réussi est dit avoir accompli un xynema (en langue celte), car ce n’est pas du tout facile à faire avec une javeline, surtout dénuée de pointe (métallique).
Chapitre XLIII.
Les exercices ne s’arrêtent pas là. Certains galopent en tenant leurs lances pointées vers l’avant, comme s’ils poursuivaient un ennemi en fuite. D’autres, comme s’ils avaient à en combattre un autre, font faire demi-tour à leur cheval et font passer leur bouclier par-dessus leur tête afin de l’avoir dans leur dos, puis manœuvrent leur épieu comme s’ils faisaient face eux aussi à une attaque ennemie. Les Celtes appellent cette manœuvre toloutegon. En outre, ils tirent leur épée puis exécutent avec elle différentes sortes de mouvements, ce qu’il faut pour désarçonner un ennemi qui s’enfuit, ou tuer un homme à terre, ou n’importe quoi d’autre comme dans une attaque de flanc. De plus ils savent faire toutes sortes de sauts sur leurs chevaux, et connaissent les différentes façons ou méthodes au moyen desquelles on peut monter à cheval. Ils terminent par une démonstration de la manière dont un homme avec son armement au complet peut bondir sur son cheval au galop, l’exercice dit du « voyageur ».
Chapitre XLIV.
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Tous ces exercices ont été minutieusement copiés par la cavalerie romaine et sont pratiqués depuis longtemps dans ses rangs. L’empereur est en effet friand des méthodes étrangères suivant lesquelles il peut l’entraîner, par exemple, les manœuvres des archers à cheval parthes et arméniens, les voltes et les contre-voltes pratiquées par la cavalerie porte-lance des Sarmates et des Celtes quand ils chargent en formation, y compris les nombreuses et diverses façons de provoquer des escarmouches, qui sont fort utiles lors d’une bataille, sans oublier les cris de guerre propres à chaque race, notamment les cris de guerre celtes pour la cavalerie celtique, gètes pour la cavalerie gétique, et rhètes pour la cavalerie rhétique. En outre leur cavalerie pratique aussi les sauts par-dessus des fossés ou de petits murs. En résumé, de tous ces exercices bien connus chez eux, il n’y en a aucun que la cavalerie romaine ait omis ou bien oublié de pratiquer dès le début… » (Arrien, Ars tactica).
Le seul druide antique AUTHENTIQUE ET CERTAIN, l’Éduen Diviciacos, était d’ailleurs un spécialiste des chevaux. Tout en étant druide… Diviciacus commandait en effet un corps de cavalerie.
Du moins, c’est ce que nous pouvons comprendre à la lecture du passage du De Bello Gallico, livre II, 5, où César explique comment il a utilisé les troupes éduennes lors de la première campagne de Belgique en 57 avant notre ère.
« S’adressant lui-même [César] à Divitiacus l’Éduen, avec beaucoup d’insistance, il lui expose à quel point il importe à la République ainsi qu’à leur sécurité commune, que les forces ennemies soient divisées, de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire d’en combattre un grand nombre en même temps ; que c’est justement ce qui pourrait se produire si les Éduens conduisaient leurs forces en territoire bellovaque, puis commençaient à dévaster leur pays. Ensuite il le renvoya, muni de ces instructions ».
Avec ses grands chevaux, la cavalerie trévire aura beaucoup de succès, d’abord contre les Romains (César reconnaîtra que les chevaux trapus et massifs des Trévires – des chevaux ardennais – et le niveau de leurs cavaliers sont de loin supérieurs à ceux des légionnaires romains). Ensuite au sein des armées romaines, et même à Rome. Il est vrai que ces cavaliers celtes utilisaient déjà un tapis de dos et des lanières qui servaient d’étrier. Alors que les Romains, comme les Grecs, montaient sans selle ni étrier.
À Rome, on remporte d’abord des victoires grâce à l’infanterie, mais avec le rattachement de la Celtique à l’Empire, la cavalerie celte deviendra la cavalerie préférée de l’armée romaine.
Les troupes de cavalerie que les Romains vont déployer à la fin de l’Empire seront majoritairement d’origine celte. Et la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, druidique, des chevaux, s’attirera donc les bonnes grâces de l’armée romaine, qui fera même ériger des statues à son effigie. Le plus souvent, elle était représentée comme une femme chevauchant un rapide coursier, son manteau ondulant derrière elle.
Ce sont par conséquent des cavaliers d’origine celte qui ont vraisemblablement introduit l’art équestre à Rome.
Le tripudium pratiqué dans ces manèges, était un trépignement, ancêtre sans doute du piaffer d’aujourd’hui (Wladimir S. Littauer). Les allures les plus prisées à cette époque, et communes à tous les peuples de l’Antiquité occidentale jusqu’à l’invention de la selle et de l’étrier pour finir, étaient l’ambulatoria (l’amble) ainsi que le canterius (petit galop) ; deux allures de voyage les moins fatigantes pour le cavalier.
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HISTOIRE (CRITIQUE) DE LA CAVALERIE FRANÇAISE.
« Les chevaux de mes cuirassiers ne sont pas soutenus par le patriotisme, ils tombent le long des routes ». Général Nansouty au prince Murat (1812).
« L’étalon et la jument font le poulain, mais c’est l’éleveur qui fait le cheval. En d’autres termes, la question chevaline est une affaire de mœurs plus que d’argent ». Charles Mourain de Sourdeval (1800-1879), secrétaire de la commission Bethmont-Fould (1848).
« L’éleveur aujourd’hui ne peut faire des chevaux de selle, pour cette excellente raison que l’étalon de selle n’existe pas en France ». Maurice de Gaste (1859-1947), fondateur de la Société du cheval de guerre (1898).
« Pas d’équitation, pas de cavalerie ; trop d’équitation pas de cavalerie, non plus ». Lieutenant-général de Castries, inspecteur de cavalerie (1769).
Il est bien entendu que l’auteur pense, avec Wellington que la cavalerie française fut la meilleure d’Europe pour ce qui est du courage de ses cavaliers. Donc, les soldats et leur recrutement ne sont pas en cause dans cet ouvrage. C’est pourquoi cette étude ne concerne que les chevaux et la cavalerie française.
LA CAVALERIE ET LES MŒURS DES FRANÇAIS.
« Durant quatre siècles, la remonte de la cavalerie a posé un problème difficile à la société française. Les plus anciens spécialistes : du Bellay ou Tacquet au XVIe et au début du XVIIe siècle, nous ont renseignés sur ce fait fondamental, l’Europe occidentale, et singulièrement la France, ne fut jamais, dans le passé, pays d’élevage du cheval de selle ! (À l’exception de la péninsule ibérique que la Géographie et l’Histoire ont longtemps rattachée au Maghreb.)
La raison en est simple. Organisée à partir de la région parisienne, la France a toujours été un pays de sédentaires des plaines et des hauts plateaux. Ses habitants ont utilisé le cheval pour son énergie exploitée dans la traction, grâce à l’invention du « collier d’épaules ».
Ce fait est constaté dès le XIIe siècle dans la tapisserie de la reine Mathilde à Bayeux. La captation de cette énergie servit, d’abord pour les travaux des champs (labourage) ; ensuite pour le transport des fardeaux et des marchandises.
La réalité française c’est donc le cheval de trait, la question du cheval de selle en France s’est par conséquent posée, peu à peu, dès le bas Moyen-âge. On vérifie, une fois encore, qu’il faut toujours observer les faits ainsi que les choses sur le long terme. Au retour des guerres d’Italie, on appela les nouveaux cavaliers des « Chevau-légers » par opposition aux derniers chevaliers : les « gens d’armes » qui montaient des chevaux lourds. Dès ce moment la question de la création d’un cheval de selle fut posée dans le royaume de France.
Par qui ? Par les militaires, et seulement par eux !
Dans notre pays de cultivateurs sédentaires, la notion de cheval de selle est d’abord militaire. Cette perspective permet de poser la question d’une façon plus pertinente : comment la société rurale a-t-elle répondu à la demande de création d’une nouvelle catégorie de chevaux : les chevaux de selle ?
L’intervention de l’État.
AVANT 1789.
L’évolution de la guerre depuis du Bellay s’étant traduite par la primauté de l’infanterie *, la cavalerie ne fut plus, jusqu’à Rossbach (1757) qu’une force complémentaire, réussissant parfois seulement à être déterminante, comme à Rocroi voire à Fontenoy où la célèbre brigade irlandaise des oies sauvages** perdit des centaines d’hommes avant d’être secourue par la cavalerie française. En Belgique une croix celtique commémore d’ailleurs toujours cet exploit.
L’État qui, dans le même temps, avait opté pour l’armée permanente, eut fort à faire pour entretenir cette structure qui lui coûtait cher. Colbert n’a eu qu’un seul but : limiter globalement les importations de chevaux.
Quelques esthètes, dont Louis XIV, et quelques vieux soldats, dont Maurice de Saxe, s’intéressèrent néanmoins au cheval de selle. Ils firent des expériences dans leurs haras de Saint-Léger, ou de Chambord ; mais elles furent sans suite.
D’Auvergne en 1769, a théorisé la vérité fondamentale de toute cavalerie : « le cheval fait le cavalier ». Or, le cheval français de selle était mauvais. La qualité des chevaux (pour la selle) de notre pays était si médiocre, que ce maître de l’équitation militaire dut faire de cette médiocrité même la base de sa méthode. L’équitation des militaires sera une équitation réduite à sa plus simple expression.
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Les responsables du temps acceptèrent la chose, et firent porter tous leurs efforts sur la mise en ordre de la gestion des achats, et sur l’instruction des cavaliers, des capitaines, ou des colonels (le ministre Choiseul et l’inspecteur général de Castries).
APRÈS 1789.
Cette médiocrité avait une conséquence militaire grave. La cavalerie française devait, de ce fait, limiter ses interventions à l’action en masse sur le champ de bataille.
On retrouve encore de nos jours les traces de ce sentiment irrationnel qui a porté nos ancêtres vers la cavalerie lourde : le musée dit « de la cavalerie » à l’école de Saumur. Outre qu’on y présente Louis XIV comme le fondateur de la cavalerie française (ce qui est une erreur), on y voit d’abord et avant tout des souvenirs de cuirassiers… ce qui est un non-sens historique ! Alors que, confirmation de l’évolution au cours des âges, le parler populaire français montre peu de considération pour la « grosse cavalerie » devenue synonyme de grands moyens.
En effet, dans l’imaginaire du peuple, c’est « la cavalerie légère » qui emporte les suffrages. Ce sont les hussards et même les dragons, jamais les cuirassiers, qui font rêver le peuple. Certains lecteurs se souviendront même peut-être du chant de leurs grands-parents : « Le rêve passe… ».
Le dernier siècle de l’histoire de la cavalerie française fut glorieusement éclairé par les faits d’armes de la cavalerie d’Afrique.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le problème des troupes à cheval sera enfin résolu en Afrique du Nord. Les régiments de chasseurs d’Afrique et de spahis, convoqués par l’Empire et la République sur tous les théâtres d’opérations, donneront à la cavalerie française ses meilleures performances.
L’infanterie, la reine des batailles, eut enfin l’arme de mêlée complémentaire qui lui avait fait si souvent défaut. Ses efforts furent préparés, poursuivis puis exploités par la cavalerie, la reine des grands espaces. L’infanterie a eu enfin ses lignes d’opérations et de ravitaillement, ou ses itinéraires d’approche et de retraite… reconnus et protégés. En plus, comme à Sedan, cette cavalerie légère sut faire, sur le champ de bataille, le sacrifice des charges, sabre au clair, jusqu’alors réservées à la « grosse cavalerie ». Les circonstances l’exigeaient, les hommes surent le faire avec et grâce à leurs chevaux d’Afrique du Nord.
La fin de la cavalerie française.
La mise en pratique de l’étrange loi de 1874 a eu pour résultat, le « non-sens » d’une cavalerie faite de chevaux de trait, inaptes à faire la guerre sous un cavalier. Un expert a noté un jour : « Depuis 1870, l’impulsion donnée à l’élevage (du cheval) n’a pas été dans le sens des besoins de l’armée » (Bonie, Les remontes françaises, Paris).
Cet état de choses fut le fait d’une société rurale, de cultivateurs sédentaires, encadrée par des groupes d’intérêts agro-commerciaux. Ce qui fit écrire au même auteur (op. cit.) que la question complexe de l’élevage et des haras était traitée presque exclusivement par « l’élément civil » de la société française.
Plus tard, pendant la Première Guerre mondiale, ces paysans, citoyens de base de la République, qui étaient majoritaires dans le pays, le furent aussi dans les armes dites de « mêlées » ou du « champ de bataille ». Ce seront donc aussi les principales victimes de cette politique de défense contestable. En effet, après la victoire (non exploitée) de l’infanterie, et l’échec de la cavalerie sur la Marne, où la première invasion fut enrayée (1914) ; ce seront les paysans, véritables martyrs de la guerre des « tranchées » qui, avec leurs poitrines, arrêteront définitivement la seconde invasion, à Verdun (1916). La cavalerie n’y aura aucune part !
Cet ensemble de phénomènes de société que nous venons de décrire défie l’analyse rationnelle… Les pesanteurs historiques d’une nation ont rarement été illustrées de façons aussi terribles ».
* Évolution déclenchée en Angleterre après la bataille de Bannockburn qui eut pour conséquence 400 ans d’indépendance pour l’Écosse.
* * Les régiments de Clare, Lally, Dillon, Berwick, Roth, et Buckle, sous les ordres d’O’Brien de Clare.
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L’ÉCOLE IBÉRIQUE D’ÉQUITATION.
« J’ai vu dans le regard des chevaux un monde d’avant le passage des hommes » (Bartabas).
Bartabas est un écuyer un peu particulier. C’est le chef d’orchestre de la troupe équestre du cirque Zingaro. Avec les chevaux de l’Académie des spectacles équestres de Versailles, il a conçu et mis en scène, sous le titre « Voyages aux Indes Galantes », un prodigieux spectacle nous contant les aventures d’un petit mousse du XVIIIe siècle.
L’École espagnole d’équitation (Allemand : Spanische Hofreitschule) connue également sous le nom École espagnole de Vienne, est une école d’équitation internationalement reconnue. Les chevaux qui y sont dressés sont uniquement des étalons lipizzans et dont les spectacles se jouent dans le manège d’hiver (Winterreitschule) situé près du palais impérial du Hofburg.
Les méthodes de dressage employées par l’école remontent aux écrits de Robichon de la Guérinière, publiés à Paris en 1729-1730.
Cheval ibérique est le nom donné aux races de chevaux et de poneys originaires de la péninsule ibérique. Ces races ont une longue histoire remontant aux premiers temps d’une domestication du cheval peut-être indépendante, et se sont répandues dans les Amériques du XVIe siècle au XVIIe siècle. En 1518 en effet, les conquistadors de Cortés amenèrent avec eux en effet onze chevaux et six juments dont deux avaient une robe pie et cinq autres une robe appaloosa. La légende veut que certains d’entre eux se soient échappés ou aient été capturés par les Indiens. Ce seraient donc là les ancêtres de nos fameux mustangs.
Pour en revenir au Portugal, le sorraia est un lointain descendant du tarpan. La robe très particulière du Sorraia l’apparente un peu à un zèbre, quant au Lusitanien c’est, comme le Pure race espagnole, un cheval d’origine celte qui fut marqué très tôt par l’influence du Barbe venu d’Afrique du Nord. C’est le plus ancien cheval de selle du monde.
Il existe deux types principaux de corrida, la corrida pédestre, la plus connue, surtout espagnole, avec un matador à pied et des picadors à cheval pour l’aider, et la corrida équestre, plus rare en Espagne (corrida « de rejon ») où c’est un peu le contraire : le matador est à cheval, mais ses assistants les péones sont à pied. La corrida équestre est par contre omniprésente au Portugal sous le nom de tourada.
Quant au costume des cavaliers notons que pour ce qui est des toreros à cheval, ceux-ci sont vêtus de « trajes cortos o camperos » andalous – généralement pour les Espagnols – alors que les Portugais se présentent dans un costume « à la Frédéric de Prusse » ou « à la française » ; inspiré des habits qui se portaient à la cour de Louis XV, plus précisément de l’époque de François Robichon de la Guérinière, avec un tricorne inspiré du XVIIIe siècle.
La haute équitation ne serait qu’un sport ou un savoir-faire si elle résultait seulement de l’application scrupuleuse de techniques éprouvées. En haute équitation, le cheval n’est pas dressé, il est instruit. En outre il faut qu’il soit doué. L’art équestre se distingue par là du dressage, simple tissu de procédés.
L’art équestre implique l’élaboration d’une technique consommée, soutenue par une étude approfondie.
La technique du dressage des chevaux de grande école réside d’abord dans l’établissement, par association contiguë, de réflexes et d’habitudes. À partir de ce langage conventionnel, il est possible d’indiquer, sans aucun effet de force, les départs, les arrêts, les changements de direction, et les « reculers ».
C’est souvent à pied, afin de ménager sa susceptibilité au maximum et de le mettre dans les dispositions les plus favorables, que ces premiers contacts doivent être établis.
La voix, les touchers de la gaule ou de la main, les indications douces données par les rênes, les caresses et les friandises ; contribuent à créer un réseau de communications qui ; en dehors de toute contrainte ou de tout affolement ; permettra de faire comprendre au cheval les désirs du cavalier.
Le conditionnement mental du cheval ne doit jamais aller au-delà de cet objectif, faute de quoi on s’éloigne de l’équitation vraie, qui est fort peu dressage et beaucoup gymnastique.
Les chevaux choisis pour l’art équestre doivent bénéficier d’heureuses proportions, être bien équilibrés sur leurs aplombs, doués d’allures régulières et aussi élastiques, et surtout jouir d’un tempérament fin et généreux.
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Cette dernière condition prime toutes les autres, car un cheval sans ardeur exige des efforts d’impulsion permanents qui entravent toute expression artistique. Mais le cheval idéal n’existe pas. Chaque cheval a son style, que le cavalier a pour rôle de révéler. L’artiste, c’est le cheval. Le cavalier n’est que son metteur en scène. L’équitation est un art par le talent, le sentiment et le goût dans l’élaboration qu’elle exige de l’écuyer, ainsi que par la beauté du spectacle équestre.
Le dressage d’un cheval consiste, par une méthodologie précise, à le mettre dans diverses positions qui le conduisent à réagir et à produire les allures et les figures attendues (la qualité des variations dans l’exécution définit la grande école).
Les modifications du bon équilibre du cheval, à toutes les allures, dans toutes les figures de dressage et dans toutes les utilisations, sont innombrables.
Le corps de l’écuyer doit constamment les épouser ou ne s’en dissocier délicatement que dans la mesure où il cherche, par variation de l’équilibre, à varier l’allure, la figure ou la cadence, ou à en changer.
L’immense difficulté de l’équitation d’école tient au très petit nombre de moyens dont dispose le cavalier ainsi qu’à leur simplicité. Il s’agit de touches, de nuances rendues possibles par la communication quasi indescriptible qui doit s’instaurer entre l’homme et sa monture, sous peine d’échec radical.
L’art, ici, ne consiste pas en invention d’allures et de figures de dressage jamais vues, la conformation du cheval n’en permet qu’un nombre limité. Il naît, comme la danse, d’une grâce gestuelle, d’une harmonie inquantifiable.
La caractéristique singulière de l’art équestre est qu’il exige deux acteurs, et que tous deux parviennent à ne former qu’un seul et même être.
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QUALITÉS REQUISES POUR PRATIQUER L’ÉQUITATION.
Personne ne peut être un bon homme de cheval s’il ne connaît pas l’usage de ses aides, et s’il ne sait pas mettre à profit les moyens physiques du cheval, s’il ignore les éléments de la psychologie et de la physiologie animales. Il faut que l’esprit les conçoive en même temps que le corps s’y habitue.
La théorie et la pratique s’assistent mutuellement et continuellement.
Être cavalier ne demande certes pas la condition physique d’un marathonien, mais le cavalier n’en est pas moins un sportif qui s’ignore. L’équitation n’est plus le luxe réservé d’une élite qu’elle était encore, il y a quelques années ; c’est devenu un sport à la portée de tous d’où l’intérêt de connaître l’aptitude médicale des cavaliers à la pratique de leur sport favori.
1° Le cavalier doit tout d’abord savoir s’il est médicalement apte à pratiquer un sport en général. Cet examen s’applique au cavalier comme à tous les sportifs. Il doit subir un examen complet avec une anamnèse fouillée, afin d’éliminer une pathologie, infectieuse, ostéo-articulaire ou métabolique, pouvant compromettre son sport favori. Dans l’idéal il doit subir un examen clinique complet, ainsi qu’un électrocardiogramme, afin de ne pas méconnaître une pathologie sous-jacente.
En plus des contre-indications générales classiques à la pratique des sports en général, une attention particulière doit être portée sur l’examen ostéo-articulaire ; afin de s’assurer qu’il n’y a pas de déviation vertébrale importante (cyphose ou scoliose *).
2° Quelles sont les qualités physiques requises pour pratiquer l’équitation ?
a) Tout d’abord, le cavalier doit posséder une maîtrise optimale de ses émotions. Les réactions du cheval sont parfois imprévisibles.
b) Les filières énergétiques utilisées pour l’équitation sont d’une part la filière énergétique aérobie et occasionnellement la filière énergétique anaérobie alactique pour les sauts. Le cavalier doit donc posséder une excellente endurance et une bonne explosivité.
c) L’équilibre est essentiel, de même que la coordination sensori-motrice au niveau des membres inférieurs.
d) La force musculaire des membres inférieurs doit être développée, tant au niveau des quadriceps et des ischio-jambiers que des adducteurs.
e) La souplesse du rachis et des articulations périphériques n’est pas négligeable.
f) Enfin, la passion des chevaux est nécessaire, de même que les connaissances techniques de l’équitation, qui ne s’improvisent pas.
3° L’entraînement.
Pour réaliser de bonnes performances, le cavalier doit bien sûr pratiquer un entraînement régulier.
Celui-ci concerne essentiellement ce qui suit.
a) Le travail de la condition physique générale et de l’endurance en particulier.
b) Une musculation pour travailler la force des membres inférieurs est utile. Les quadriceps et les ischio-jambiers ainsi que les adducteurs sont concernés.
c) La filière anaérobie alactique peut également être travaillée, afin d’optimaliser la préparation du cavalier en travaillant l’explosivité.
d) La musculation du rachis est essentielle également ainsi qu’un travail proprioceptif avec notamment un rééquilibrage permanent du bassin et un travail des abdominaux.
e) Enfin, comme dans tout sport de haut niveau, un bon échauffement est essentiel avant la pratique, mais un assouplissement adapté avec étirements de tous les groupes musculaires est aussi nécessaire après l’effort.
* Il paraît que j’avais une scoliose étant jeune (découverte lors de mon admission à l’École militaire, en 1963 ? De toute façon mystérieusement envolée au bout de trois ou six mois de gymnastique corrective.
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ANNEXE N° 1.
Trois versions de la prière du cheval.
Première version.
À mon maître.
Je t’ai fait don de ma liberté,
N’oublie jamais ce cadeau consenti de tout cœur.
Ne sois pas brutal, car j’ai de la mémoire
Sois toujours ferme, mais juste,
Et j’oublierai mon esprit d’indépendance.
Accepte en échange ma docilité, ma force,
Mon courage et ma fidélité.
Tu dis que je suis ta plus belle conquête,
Moi ce que je désire c’est être ton meilleur ami.
Deuxième version.
À toi mon maître.
Ne vois pas en moi
Que prestige et noblesse.
Confie-moi de lourdes charges,
J’ai toute ma force à partager.
Parle-moi aussi avec tendresse
Je comprendrai tellement mieux.
Fais de tes gestes les plus doux,
La brutalité ne t’apportera rien.
Guide-moi aussi avec fermeté,
Où tu veux je t’emmènerai.
Puisqu’ensemble nous devrons
Parcourir la route de la vie,
Alors plus qu’un compagnon
Je voudrais être ton ami.
Troisième version.
Mon maître, mon ami,
Bien plus que ta plus noble conquête,
Je suis ton plus fidèle compagnon.
Aux ordres donnés avec douceur
J’obéirai sans restriction.
Jamais je n’aurai
Une attitude rétive à ton encontre.
Accorde-moi ta confiance
Et je resterai loyal.
Confie-moi les tâches pénibles
Je te donnerai ma force et ma bravoure.
Et pour prix de ma liberté
Je veux seulement rester ton meilleur ami.
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NOUVELLES CONSIDÉRATIONS SUR LA CHASSE.
La chasse a toujours été, dès la préhistoire, une activité vitale pour l’Homme, lui apportant des protéines animales et des lipides que la cueillette des baies, des fruits, des légumes, et des racines, ne pouvait pas lui fournir. Mais la chasse, comme la pêche, suppose ensuite le transport et le partage du gibier, au sein du groupe, ce qui nécessite un dépeçage préalable.
Les Australopithèques étaient essentiellement végétariens, mais ils pouvaient se comporter aussi en charognards.
Homo habilis, il y a deux millions d’années, fut aussi principalement végétarien, mais il chassait de petites proies et il exploitait des carcasses de grands herbivores, qu’il débitait grâce à des outils de pierre rudimentaires.
Homo Ergaster fut le premier véritable chasseur, capable de traquer puis d’abattre de gros gibiers au moyen de gourdins et d’épieux pourvus de bifaces, soigneusement façonnés.
Mais ce sont surtout les Néandertaliens nos très lointains et très partiels ancêtres (30 % de nos gènes mis bout à bout) qui furent de très bons chasseurs, n’hésitant pas en l’occurrence à s’attaquer à l’ours des cavernes. Ils partageaient la viande et la moelle osseuse provenant des os qu’ils brisaient. Ils s’habillaient de peaux et de fourrures qu’ils préparaient avec soin.
Les hommes de Cro-Magnon enfin, vers – 50 000 à – 25 000, perfectionnèrent encore leurs outils de pierre, et fabriquèrent des pointes de sagaie ainsi que des harpons barbelés, avec les os et les bois du renne. Ils ont inventé le propulseur, qui augmenta la portée des armes de jet, ainsi que la catéia ou le boomerang.
L’ancêtre celte, lui, élevait des chiens excellents, très recherchés dans le monde antique, et chassait un taureau sauvage, agressif et dangereux, appelé urus (aurochs), décrit par Jules César. Il l’a si bien chassé d’ailleurs qu’il n’en reste aucun et qu’on n’en retrouve plus qu’à l’état de squelette fossile.
Et l’ancêtre germain chassait avec une ardeur telle que, dans sa courte loi salique, plusieurs paragraphes traitent de ce passe-temps. Éginhard, célébrant les mérites sportifs de son maître Charlemagne (natation, équitation, etc.) note : « Conformément à la coutume nationale, il s’adonnait assidûment aux exercices du cheval et de la chasse ; car à peine trouverait-on dans toute la terre une nation qui pût égaler les Francs. Il aimait beaucoup les bains d’eaux naturellement chaudes, et s’exerçait fréquemment à nager, en quoi il était si habile que nul ne l’y surpassait ».
Un seigneur qui n’avait, pour occuper son temps, ni guerre publique ni guerre privée, ni croisade, ni tournoi, ni joute, pouvait encore se distraire en faisant la guerre aux animaux. La chasse lui offrait ces plaisirs dont il était si friand : le plein air, l’exercice violent, le maniement des armes. Aucun pays n’a produit plus de chasseurs ni plus de traités de la chasse, et c’est encore une matière sur laquelle ses gens et ses livres faisaient autorité.
Comme le tournoi et la joute, la chasse inspirait des passions, effaçant même le sens du devoir. Des moines, des abbés, des évêques, s’y livraient, en dépit des prohibitions réitérées de l’autorité religieuse. On les caricaturait, raillait dans des chansons, condamnait ; l’abus persistait ! De tous les démons tentateurs, le démon de la chasse était un des plus insidieux.
Comme le tournoi et la joute, la chasse était un plaisir qui venait s’ajouter au plus grand plaisir de l’époque, c’est-à-dire la vraie guerre. Jusqu’à la Renaissance et au-delà, guerre et chasse vont de pair. Le premier soin de Guillaume de Normandie, lorsqu’il eut conquis l’Angleterre, fut de promulguer des lois de chasse tellement rigoureuses, que ses nouveaux sujets en furent stupéfaits. L’un d’eux, qui a croqué d’après nature le portrait du maître, note qu’il « aimait les grands cerfs comme s’il avait été lui-même leur père ». Ce qui veut dire qu’il se réservait le plaisir de les tuer, un père à la façon de Saturne dévorant ses propres enfants donc (Chronique anglo-saxonne de Peterborough rimes du roi Guillaume).
Les animaux courus ont été ou sont : l’aurochs (disparu), le loup et l’ours (pratiquement disparus), le sanglier, le chevreuil, le daim, le lièvre, le renard, et bien sûr le cerf. Les rois, partant en guerre, emmenaient à leur suite des troupes de soldats et des meutes de chiens. Édouard III était accompagné, quand il envahit la France, de « soixante couples de molosses et d’autant de lévriers », sans parler de « trente fauconniers à cheval, chargés d’oiseaux » ; et de valets portant des engins de pêche, de quoi ils eurent grande utilité tout le temps et spécialement durant le carême, du moins les seigneurs, ajoute Froissart ; car, pour les gens du commun, carême ou non, « ils mangeaient ce qu’ils trouvaient » ; le salut de leur âme ayant moins d’importance apparemment.
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Des occasions de chasse s’offraient à tous les habitants du territoire lorsque, sur réclamation périodique des États généraux, le roi décidait de restreindre les anciennes garennes, et de supprimer les nouvelles, dont la pullulante population mangeait en herbe le blé du royaume. Ordonnances de 1355, de 1356, grande ordonnance cabochienne de 1413, etc. : « Nous donnons licence à chacun de chasser sans aucune amende… ». La chasse au loup, au renard, au blaireau, à la loutre, était, de plus, accessible à tous, en toute saison. C’était une chasse utile au bien du pays, recommandée aux bons citoyens, et rendue même parfois obligatoire.
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LE LIVRE DE CHASSE DE GASTON PHÉBUS.
Gaston III dit Phébus, comte de Foix, vicomte du Béarn, né le 30 avril 1331 à Orthez, mort en 1391, à la suite d’une partie de chasse. Fin diplomate, chef de guerre redoutable et stratège avisé, il saura profiter de la guerre pour s’enrichir. À Launac, le 3 décembre 1362, il écrase son voisin le comte d’Armagnac, et le fait prisonnier. L’énorme rançon qu’il recevra ensuite pour sa libération lui permettra d’entretenir pendant des années une cour fastueuse.
La vie de Gaston se passera dans des guerres continuelles. Il fait ses premières armes en 1345 contre les Anglais. Part en 1356 en Prusse, pour combattre les Infidèles, dans les rangs des Chevaliers teutoniques.
Il s’est illustré par sa valeur et sa magnificence, mais ses contemporains lui ont reproché son caractère violent et on l’a même accusé d’avoir causé la mort de son propre fils. Le jeune prince, accusé d’avoir voulu empoisonner son père, fut en effet emprisonné puis cruellement maltraité par Gaston. Il se laissa mourir de faim dans sa prison en 1382.
Gaston Phébus rédigea ensuite un livre étonnant, le premier du genre dû à un laïc, et intitulé le Livre des oraisons d’un chasseur. Il s’y adresse directement à Dieu en raisonnant comme un philosophe sophiste, en argumentant au moyen de trente-sept prières autour d’un thème central : Dieu doit sauver ses créatures, car il est responsable de leurs méfaits comme de leurs bienfaits.
Gaston Phébus est considéré comme un des plus grands chasseurs de son temps et a écrit un livre qui fit longtemps référence (Buffon l’utilisera encore à la fin du XVIIIe siècle) : le « Livre de Chasse », un des meilleurs traités médiévaux consacrés au sujet. L’ouvrage fut dicté à un copiste de 1387 à 1389.
Autant que l’on puisse en juger par la traduction qui en a été faite au début du 15e siècle par Édouard de Norwich second duc d’York préfacée par Roosevelt en 1904 sous le titre « le maître du gibier », il se compose d’un prologue et d’un épilogue encadrant plusieurs chapitres traitant de la nature des bêtes, des chiens, qui constituent en fait un embryon d’histoire naturelle descriptive. N.B. Nous ne recommandons pas la lecture de cet ouvrage parce que nous sommes américains, mais parce que Roosevelt y a inséré à la fin (p.282) un excellent glossaire, car vieil anglois et vieux françois ne sont plus à la portée de tout le monde.
Ce traité très personnel et très original se veut une entreprise de salut qui trouve en elle-même sa propre justification. Celui qui chasse assure son salut : d’une part parce que la chasse procure des plaisirs qui, contrairement à d’autres, ne sont pas des péchés, donc ne mettent pas l’âme en péril ; d’autre part parce que la chasse est un remède souverain contre l’oisiveté, mère de tous les vices. L’action empêche les mauvaises pensées, et constitue donc un antidote au Mal.
Fusion en quelque sorte métamorphique de deux conceptions druidiques originelles. 1) Mourir au champ d’honneur donne aux guerriers un accès direct à l’autre monde parallèle au nôtre que l’on appelle le paradis. 2) Le cerf est un messager ou un guide de l’autre monde.
L’Europe centrale a connu un mythe analogue dont nous possédons une représentation : le char de bronze de Strettweg, découvert en Autriche, représente en effet une divinité féminine géante, tenant au-dessus de sa tête, horizontalement, un disque. Autour d’elle un cavalier ainsi qu’une troupe de piétons armés poursuivant un cerf. Une tête de cerf est placée à côté de l’animal poursuivi… La chasse peut également poursuivre un sanglier, le char solaire de Mérida, représente en effet peut-être, lui aussi, du moins d’après José Maria Blazquez (héroïsation équestre), une chevauchée fantastique comme la chasse du roi Arthus. On y voit un cavalier tenant un épieu dans la main droite, et qui poursuit, accompagné d’un chien de chasse, un sanglier. Le cheval porte une cloche à son cou, et l’arrière du char est muni de plusieurs clochettes. Ce char pourrait à la fois représenter un cavalier solaire pourchassant les ténèbres, ou une chasse sauvage.
Avec l’avènement du christianisme, ces chevauchées passèrent pour être un cortège de damnés. Suivant la contrée on parle de la chasse Arthus (de la chasse au sanglier magique d’Arthus, Tourch Trouyth) ou de Pwyll et de ses chiens blancs aux oreilles rouges, mais ailleurs cette chasse sauvage et maudite peut être menée par un autre seigneur comme dans le cas de la Mesnie Hellequin en Normandie. Comme les Roi-tchaeggaette et les Silversterklausen suisses, les gens d’Hellequin s’entouraient de sonneries et de cloches. Les innombrables traditions locales relatives au Chasseur
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sauvage, etc., etc. sont inexplicables, si l’on ignore cette étroite association entre les chasseurs et un certain autre monde. (MYTHOLOGIE DE LA SUISSE ANCIENNE. Raymond Christinger et Willy Borgeaud).
BÉNÉFICES PHYSIQUES ET MORAUX DE LA CHASSE À COURRE.
Jacqueline Stuhmiller, de l’Université du Wisconsin – Milwaukee, en fait un instrument du salut des âmes dans son essai de 2012 publié dans le cadre de la revue d’étude de l’espace rural au Moyen-âge).
Le Maître du gibier.
Chapitre I le prologue [Traduction supervisée par Théodore Roosevelt].
……… De même que celui qui a fui les sept péchés mortels auxquels nous croyons sera sauvé, de même le bon veneur sera lui aussi sauvé, et en plus il en éprouvera beaucoup de joie, de gaieté ainsi que de plaisir, en ce monde, dans la mesure où il se gardera bien de deux choses.
L’une, qu’à cause de la chasse, il ne délaisse la connaissance et le service de Dieu, de qui vient tout souverain bien ; l’autre, qu’il ne néglige le service de son maître ou celui de ses propres affaires.
Je vais maintenant démontrer qu’un bon veneur ne saurait être oisif et par conséquent avoir de mauvaises pensées même en rêve ni par conséquent commettre de mauvaises actions. La veille du jour où il devra officier déjà il aura dû se coucher de bonne heure dans son lit afin de ne penser qu’à dormir et bien accomplir sa tâche avec zèle le lendemain comme tout bon veneur qui se respecte. Il n’aura donc que faire de penser à autre chose qu’à ce qu’on attend de lui, car il faudra qu’il soit levé à l’aurore pour partir avec zèle en quête du gibier.
Et quand il aura rejoint l’assemblée des chasseurs, il aura encore plus à faire, car il lui faudra alors disposer les valets de limier ainsi que les relais *, pour débusquer le cerf ; il n’aura donc guère le temps de bayer aux corneilles ni de se préoccuper d’autre chose que d’accomplir sa tâche et quand il aura découplé ses chiens, sa pensée vagabondera encore moins pour songer à quelque péché ; tant il sera occupé à bien les suivre à cheval ou à pied et à rester près d’eux, à bien crier ou débusquer l’animal et sonner du cor assez fort, à faire très attention à l’animal qu’il traque, quels sont les chiens à mettre dans le premier relai ou dans la troisième et dernier *, ou à les remettre sur la bonne voie quand ils sont pris en défaut et se fourvoient, voire courent après du menu fretin.
Ensuite, quand le cerf est mort, il sera encore moins livré à l’oisiveté, car il aura d’autant plus à faire pour servir le cerf, prélever ce qui lui revient et bien s’occuper de la curée, puis vérifier avec attention qu’il ne manque aucun des chiens venus le matin avec lui dans les bois ; sous peine de devoir promptement partir à leur recherche.
Le bon veneur devra prendre ensuite soin de son cheval ; et seulement après revenir chez lui où il n’aura guère le loisir de rêvasser, tout occupé qu’il sera dès lors à préparer son souper, se mettre à l’aise lui et son cheval, se sécher de la rosée du bois ou d’une pluie éventuelle, puis finalement, bien fatigué s’apprêter à dormir.
Voilà pourquoi je dis qu’un bon veneur ne saurait être oisif, ni avoir de mauvaises pensées, ni commettre de mauvaises actions, car ainsi que je l’ai déjà dit l’oisiveté est mère de tous les vices et de tous les péchés. Or le bon veneur ne saurait être oisif s’il veut remplir son office comme il faut, c’est pourquoi il va tout droit au Paradis.
Il est en outre évident que le veneur vit plus joyeusement que tout autre homme en ce bas monde, car, en se levant ainsi de bon matin, il peut jouir d’une douce et belle aurore ainsi que d’un temps clair et serein. Il entend les oiselets qui chantent doucement, mélodieusement, amoureusement, chacun dans son langage, et à qui mieux mieux en fonction de ce que la nature de son espèce lui a enseigné.
Puis, quand le soleil sera levé, la rosée sur les petites branches et sur les herbes réfléchira l’ardeur de ses rayons, ce qui mettra un grand plaisir et une grande joie dans son cœur.
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Ensuite, quand il sera parti en quête du gibier, qu’il verra ou tombera sur un grand cerf, sans grande recherche de ses limiers, et bouclera rapidement le tour du canton où il s’est embusqué (Gaston de Foix : destournera et en court tour), il en éprouvera une grande joie et un grand contentement. Puis quand il sera revenu à l’assemblée des chasseurs afin de rendre compte au maître et à ses compagnons de ce qu’il aura vu de ses yeux et compris grâce à (la mesure de) la voie laissée par le gibier ou de par les fumées (excréments) qu’il aura rapportées, alors chacun s’exclamera : « Voilà un grand cerf, etc. »…
Alors commencera la chasse ; il entendra ou verra le cerf bondir devant lui, et saura que c’est son cerf que l’on chasse, ses chiens qui sauront que ce sont eux les limiers aujourd’hui accourront là où se trouve la reposée (couche) du cerf, ou sa voie (trace), il faudra donc tous les découpler en ce lieu sans en oublier un seul afin que la meute entière le coure comme il faut, ce dont le veneur éprouvera une grande joie et un grand plaisir. Ensuite il bondira sur son cheval s’il est de condition noble ou sinon sur ses pieds, en toute hâte, afin de suivre les chiens.
Je dirai enfin que les veneurs vivent plus longtemps que les autres hommes, car Hippocrate a écrit : « manger trop de viande tue plus d’hommes que les épées ou les poignards ».
Or les veneurs boivent et mangent moins que tout autre homme en ce monde, car le matin, à l’assemblée, ils mangent très peu, et si le soir ils mangent bien, ils corrigent cette erreur le lendemain matin, car ils mangent peu alors à ce moment-là et leur corps n’est donc pas empêché de finir naturellement sa digestion, ce qui, sinon, occasionne de mauvaises et trop abondantes humeurs. On met bien un homme malade à la diète en ne lui donnant que des tisanes sucrées ou des choses semblables durant deux ou trois jours, et ce, afin de le purger de ses humeurs malsaines ou superflues ; avec en plus un lavement (une autre purge). Mais il n’est pas nécessaire d’agir ainsi avec un veneur, car il ne mange guère à sa faim vu le peu de viande qu’il ramène et le travaille ** qu’il doit fournir. Il ne peut donc secréter de mauvaises humeurs puisqu’il s’est beaucoup fatigué.
Cela suffit, je pense, à prouver ce que j’avance. Afin de les guérir, les médecins donnent très peu de viande aux malades, et les font transpirer abondamment pour parachever la guérison de tous leurs maux ; or comme les veneurs mangent peu et transpirent toujours, ils doivent donc vivre longtemps et en bonne santé.
En ce monde les hommes veulent toujours vivre longtemps heureux et en bonne santé, et après leur mort le salut de leur âme. Or les veneurs ont tout cela. Soyez donc tous de bons veneurs et vous agirez sagement. C’est pourquoi je conseille à tout le monde, quelle que soit sa condition, d’être veneur, d’aimer les chiens et la chasse, ainsi que le plaisir de courir des bêtes de toutes sortes, ou de pratiquer la chasse au vol. Car être oisif et ne trouver aucun plaisir dans les chiens ou les oiseaux de proie n’est pas de bon augure. On n’a jamais vu personne de bien, ne trouver aucun plaisir à une de ces choses, si grand et riche fût-il.
Un vieux dicton affirme « qu’un seigneur ne vaut que ce que vaut sa terre » ***. Et on dit dans le livre susmentionné qu’on n’a jamais vu d’homme aimant le travail et les plaisirs du soin des chiens ou des oiseaux, qui ne soit pas doté de nombreuses qualités, car il lui vient alors une grande noblesse et une grande gentillesse de cœur, quelle que soit sa condition, qu’il soit grand ou petit seigneur, riche ou pauvre.
Note de la Rédaction. Le raisonnement de Gaston Phoebus est un peu curieux, mais il est néanmoins certain que qui chasse ainsi doit brûler pas mal de calories dans sa journée, cela est incontestable !
* Glossaire de Roosevelt. Il y avait plusieurs relais de prévus pour les chiens qui se fatiguaient vite dans ce genre de chasse évidemment. Les premiers chiens constituaient la vieille meute, les chiens lâchés en troisième et dernier lieu constituaient la meute « des six chiens » (en fait dix ou douze).
** Trauaille travayle = travail ou labeur
*** Gaston de Foix écrit précisément : « Tant vaut seigneur tant valent ses gens et sa terre ».
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LA CHASSE À COURRE.
Les animaux pouvaient être chassés de deux façons au Moyen-âge : avec des chevaux et des chiens (ce que nos amis anglais appellent encore par force voire par force de chiens) ou toujours avec des chevaux et des chiens, mais aussi avec un arc et des rabatteurs. Ce qui est nettement moins glorieux (l’animal n’a aucune chance dans ce cas).
C’est avec la domestication du cheval pour le loisir qu’est née la discipline de chasse à courre. La chasse à courre, c’est la quête, la poursuite d’un animal, jusqu’à son encerclement. Destinée à chasser les animaux rapides, la chasse à courre est devenue un sport. La chasse à courre a aussi été développée en Amérique par les Anglais qui importèrent, avec les chevaux, les renards roux d’Europe.
La vénerie, c’est tout ce qui a un rapport avec la chasse à courre (le groupe de chasseurs que l’on appelle équipage, mais aussi les chevaux, les fanfares, etc.). La vénerie est donc l’art de forcer des bêtes sauvages en mettant des chiens sur les traces laissées par leur odeur.
Exercice aussi vieux que l’Humanité, dit-on souvent. Le chien (canis familiaris) paraît être le premier compagnon domestique de l’Homme. Le chien est attentif, cordial, docile ; sa mémoire est fidèle, son odorat très sélectif. Omnivore par éducation, il est carnassier de nature, et son instinct le porte à poursuivre des proies pour les dévorer ; un instinct que l’Homme primitif mit à profit pour débusquer un animal, le poursuivre, l’encercler, et, dès lors, s’en approcher à portée d’arme blanche pour l’achever. Nécessité d’abord, ce mode de chasse devint un art, et l’art s’attacha au comportement de la meute suivie par des cavaliers. La vénerie était née.
L’histoire de la vénerie peut se ramener à l’histoire du progrès du chien, sous l’effet d’une patiente sélection recherchant l’hérédité des caractères acquis : nez, vitesse, obéissance, robustesse et voix.
Depuis les temps les plus anciens, la vénerie, particulièrement picturale, a fourni un de ses thèmes de prédilection à l’art. Les dessins retrouvés sur les parois des cavernes préhistoriques représentent des scènes de chasse : c’est donc le premier sujet qui a tenté l’Homme en tant qu’artiste.
On peut ajouter que le sujet a également tenté maints écrivains, il y a en effet de nombreuses scènes de chasse à courre dans Gauvain et le chevalier vert. Presque autant que de dialogues amoureux.
La vénerie est donc un art si l’on en croit Guillaume Twiti, l’art de prendre un animal avec la seule aide des chevaux et des chiens que l’on doit sélectionner, dresser, conduire sans les gêner, voire aider si l’on peut.
Classification des animaux à chasser.
Le plus ancien de nos traités sur la question, celui de Guillaume Twiti, Twici, ou Twich, écrit vers 1320 (l’Art de la vénerie, ou l’Art de la chasse à courre) n’est pas très clair malgré sa volonté affichée.
« Ici comence le art de venerie le quel mestre Guyllame Twici, venour le roi d’Engleterre, fist en son temps pur aprendre autres ».
Ce qui, traduit dans notre langue d’aujourd’hui, nous donnerait :
« Ici commence l’art de la vénerie que maître Guillaume Twici, veneur du roi d’Angleterre, a fait en son temps afin de l’apprendre aux autres ».
Outre les grands cerfs les loups les sangliers ainsi que les lièvres qui constituent le gibier par excellence de toute chasse à courre, Twici semble distinguer ce qu’il appelle :
— Les bêtes « à la fuite odorante » qui sont des « bêtes rouges » herbivores dépourvues d’agressivité : cerfs, biches, daims et chevreuils.
— Les « bêtes puantes » qui sont des « bêtes noires » carnivores : renards, loutres, chats sauvages, blaireaux.
Notes.
On appelle grande vénerie, la chasse à courre traquant : les dix-corps (cerfs), les daims, les loups, et les sangliers.
On appelle petite vénerie la chasse à courre traquant : chevreuils, lièvres, blaireaux et autres animaux de petite taille.
Races de chiens. La fréquentation assidue des chiens permet au chasseur de les connaître, de les apprécier aussi, et donc de chasser avec eux en parfaite harmonie.
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Terminologie.
Les chiens d’une chasse à courre sont bien évidemment tous fondamentalement des chiens courants dont le but est de poursuivre ou d’attraper le gibier.
Il existe des chiens qui chassent à vue, ce sont des chiens très rapides du genre lévrier, et des chiens qui chassent à l’odeur dont la spécialité n’est pas la vitesse, mais l’odorat (il en existe également qui se contentent d’indiquer au chasseur la présence de gibier, les chiens d’arrêt, et d’autres de rapporter à leur maître ledit gibier, les chiens de rapport).
Le sentiment * (l’odeur laissée par l’animal lorsqu’il se déplace) est loin d’être une trace indélébile que les chiens n’auraient qu’à suivre, tout est subtilité, voire difficultés : cette odeur rémanente est changeante, discontinue, volatile, plus ou moins forte selon l’animal, le territoire, ainsi que les conditions atmosphériques ; c’est le paramètre fondamental de la vénerie, car tout repose sur la perception olfactive des chiens.
En vénerie le chien qui chasse à l’odeur est aussi un chien d’ordre qui chasse en meute et se comporte comme un animal unique, COMME UN ÉGRÉGORE**. La meute tout entière est attentive et aux ordres de celui qui la dirige pendant la chasse. Cette mise aux ordres des chiens résulte autant de leur origine que du dressage effectué par l’homme, quotidiennement au chenil et régulièrement à la chasse. C’est ce qui explique que les chiens, en dépit de leur instinct de « forcer » un animal sauvage ne soient nullement agressifs.
Un équipage n’aurait aucune chance de le prendre si les chiens ne chassaient pas en meute en utilisant les talents et les personnalités de chacun des composants du groupe ou s’ils chassaient plusieurs animaux au cours d’un même laisser-courre (lâcher de chiens) et encore moins s’ils n’étaient pas déjà créancés sur une espèce animale précise.
Dit autrement, en vénerie, les chiens courants qui chassent en suivant du nez le sentiment (piste olfactive) de l’animal, rivalisant avec lui de ruse et d’endurance, jusqu’à le forcer ; au terme d’une poursuite longue de plusieurs heures ; à leur faire face et à se rendre (c’est l’hallali, en vieux français la mort), doivent aussi être des chiens d’ordre.
Avant tout, il faut d’abord déterminer l’endroit où l’animal a passé la nuit, l’isoler des autres animaux sans le faire fuir prématurément. On l’observe, on détermine son âge, son sexe et sa force, d’après son attitude, son pied, ainsi que les dégâts qu’il a occasionnés à la végétation. C’est au limier conduit en laisse par un valet qu’incombe cette tâche délicate, ils recherchent et rembûchent (localisent) l’animal avant la chasse.
Étant très jeune, en tant que page ce valet a commencé par apprendre avec un maître à repérer puis à identifier les traces (la voie) des animaux laissées sur le sol ou sur les arbres : fumées (excréments), empreintes de sabot, branches cassées, feuillage écrasé… Lorsqu’il devient valet de chiens ***, il part seul, avec son limier, en quête des marques qui vont trahir le gibier. Puis, au lieu-dit de l’assemblée, là où se tiennent les chasseurs avant le commencement de la chasse proprement dite, il devra rapporter à son maître de ce qu’il a vu.
À l’âge de vingt ans, après avoir été successivement page et valet, l’apprenti veneur sera promu aide. Maintenant qu’il a donc acquis une parfaite connaissance des chiens et du gibier, il peut monter à cheval. Un équipage de chasse à courre est constitué d’hommes à cheval accompagnés de chiens courants et d’hommes à pied tenant les chiens de quête (appelés limiers) en laisse.
Le déroulement d’une chasse à courre est marqué par une fanfare signalant chaque phase. Ainsi, le matin, est-ce la fanfare du « réveil », un peu comme on sonne la diane chez les militaires, qui accompagne le début de la quête du gibier par les limiers tenus en laisse par un « valet de chiens » qui repère un animal, tâche de l’isoler, puis de le jauger, sans le faire fuir.
Le valet revient alors faire son rapport au point de rendez-vous des chasseurs (l’assemblée).
Le cor signale le « départ » et les veneurs, à cheval, partent accompagnés des chiens courants. Les hommes et les chiens se guident mutuellement, les premiers utilisant leur connaissance du terrain, les autres leur flair. L’animal traqué de la sorte est contraint de fuir. On dit que le gibier alors est lancé. Il rusera, parfois involontairement, pour échapper à ses poursuivants. Chacune de ses ruses fait l’objet d’une sonnerie de cor différente, signalant à tous la configuration de chasse.
Seule une chasse sur trois ou quatre ramène un animal, car celui-ci peut réussir à s’échapper en changeant de forêt ou en quittant le périmètre délimité de la chasse.
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* Du vieux français sentir ou percevoir une piste olfactive.
* * Sur la notion d’égrégore dans le nouveau druidisme, succédant à celle de “dieu” dans l’ancien druidisme, voir nos prochaines leçons. Pour faire court, disons qu’elle n’est que l’application du principe bien connu de la synergie : le tout fait plus que la simple somme des parties.
*** Personne chargée d’un chien. C’était le premier grade dans lequel un garçon intéressé par la chasse pouvait commencer sa carrière. Il se chargeait des chiens pour le compte d’un piqueur.
DU CERF ET DE SA NATURE.
«… Le vieux cerf déploie une incroyable habileté pour sauver sa vie et garder l’avantage, car quand il est pourchassé après qu’on a découplé les chiens limiers après lui, ou que d’autres chiens l’ont trouvé sans l’aide des limiers, et qu’ un autre cerf est avec lui, il le donne aux chiens afin de pouvoir se sauver lui-même en laissant les chiens courir après cet autre cerf tout en se tenant bien coi en ce qui le concerne.
S’il est seul et que les chiens le trouvent, il rejoindra très habilement et malignement le repère de sa harde afin de donner le change avec un autre cerf ou biche en le livrant aux chiens et voir s’il peut y demeurer tranquillement.
Mais s’il ne le peut pas, il fuit le repère de sa harde et accourt là où il sait qu’il peut donner le change avec d’autres cerfs ou biches puis, quand il y est, arrivé demeure avec eux voire s’enfuit avec eux. Ensuite il s’en écarte et se tapit quelque part afin que les chiens continuent à poursuivre les nouvelles bêtes plus fraîches que lui et ainsi donner le change afin de demeurer bien caché à l’abri.
Mais s’il y a des chiens plus expérimentés à qui on ne peut pas donner le change et qu’il voit que cela ne lui réussit pas, il use alors d’un autre stratagème et revient sur ses traces pour que les chiens perdent sa piste, soient déroutés, et donc se sauver.
Il fuit également parfois dans le sens du vent, et ce pour trois raisons, la première est que, s’il fuit contre le vent, ledit vent lui entre dans la bouche et lui dessèche la gorge, ce qui le gêne considérablement ; la deuxième raison qu’il a pour fuir dans le sens du vent est qu’il peut ainsi entendre les chiens derrière lui, la troisième raison c’est pour que les chiens ne puissent pas le sentir et donc le repérer puisqu’ils auront alors la queue et non le nez au vent. Et s’ils se rapprochent, il pourra les semer en accélérant. Par contre s’il entend à leurs aboiements qu’ils sont de plus en plus loin il peut ralentir.
Quand il est chaud-bouillant et fatigué il va se rafraîchir dans une grosse rivière où il se laisse porter par le courant parfois sur une demi-lieue ou plus avant de regagner quelque rive que ce soit. Et ce pour deux raisons. La première pour se rafraîchir de son coup de chaud, la deuxième afin que les chiens et les veneurs ne puissent pas le suivre et que les chiens ne puissent pas suivre sa trace comme ils ont pu le faire sur terre.
S’il n’y a pas dans de grandes rivières dans le pays, alors il saute dans une plus petite et bat l’eau en amont ou en aval sur une demi-lieue voire plus sans regagner quelque rive que ce soit, et en se gardant bien de ne toucher aucune branche ni aucun rameau, mais en restant au milieu, afin que les chiens ne sentent rien. Et ce pour les deux raisons que nous venons de voir.
Quand il ne trouve pas de rivières alors il se dirige vers des étangs ou d’autres mares et marais de ce genre. Il forlonge les chiens c’est-à-dire les distance, il entre dans l’étang et en ressort à l’endroit même où il y est entré puis ruse en rebroussant chemin sur la longueur d’un jet de flèche avant de s’en écartera afin de s’arrêter pour se tapir quelque part et reposer. Et ce parce qu’il sait bien que les chiens suivront sa trace jusqu’à l’étang dans lequel il est entré, mais que, quand ils sentiront qu’il n’est pas allé plus loin, jamais ils ne chercheront en arrière, sachant bien qu’ils sont déjà passés par là ».
BREF. AUTREMENT DIT ET EN RÉSUMÉ.
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Nous avons déjà effleuré le sujet avec quelques termes techniques essentiellement empruntés au vieux français : le change, le hourvari ou double voie, le bat-l’eau, la forlonge. Pour plus d’information, voir le glossaire de Théodore Roosevelt.
Rappelons tout d’abord que le veneur doit parfaitement connaître son territoire, les chiens et les chevaux, afin de leur apporter les meilleurs soins. Il n’est pas sans intérêt d’y revenir néanmoins, car il s’agit là d’un vrai duel entre les chiens et le gibier, du moins avec les équipages respectant le code l’honneur du chasseur.
La vénerie est une chasse cruellement écologique, car les chiens prélèvent toujours sur la nature les animaux les plus faibles, malades ou blessés c’est pourquoi le veneur doit aussi les soumettre à une certaine éthique.
Pour le cerf par exemple, on ne chasse pas les biches, on ne chasse pas plusieurs animaux en une journée, et si une dame ou quelqu’un d’autre demande à ce que l’on « gracie » un cerf, on le fait.
Ainsi que nous l’avons vu plus haut dans le célèbre livre de chasse que nous avons essayé de décrypter l’animal traqué peut « donner le change » en mêlant sa voie avec celle d’un autre cerf (change en vieux français) et en lui faisant prendre sa place dans la chasse. Une autre ruse du cerf traqué peut consister pour lui à revenir sur sa voie et à s’en écarter ensuite brusquement d’un bond pour partir dans une tout autre direction, ce qu’on appelle « le hourvari », ou il peut se jeter à l’eau et nager, ce que l’on appelle « le bat-l’eau » afin qu’il y ait là encore « hourvari ». Quand la meute principale est trompée par de telles ruses, les valets de limiers et leurs chiens de quête sont appelés à démêler la voie et à la remettre sur la bonne voie. En dernier ressort le cerf peut, dit-on, effectuer un puissant bond dans un fourré impénétrable, où les chiens sont incapables de le suivre.
La poursuite peut ainsi durer plusieurs heures jusqu’à ce que le gibier poursuivi soit contraint de faire face ou de capituler, acculé par les chiens et complètement épuisé. On dit alors que l’animal est aux abois et les veneurs sonnent « l’hallali » (vieux françois la mort du cerf).
L’animal coincé de toutes parts est tué par les chiens ou par l’homme intervenant au couteau. Ce qui n’est pas sans danger quand il s’agit d’un magnifique dix-cors ; c’est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous conseillons plutôt d’achever l’animal avec une arme à feu dans ce cas.
On retire les meilleurs morceaux que l’on distribue généralement aux amis ou aux voisins sur les terres desquels on est passé. Les bas morceaux sont rassemblés sur la peau de l’animal comme sur une nappe, que l’on donne aux chiens. On sonne « la curée ».
Aucune arme à feu n’est donc utilisée dans la chasse à courre, à part éventuellement pour achever l’animal (coup de grâce), et seule une chasse sur trois ou quatre ramène du gibier. La chasse à courre est un mode de chasse sélectif, à la différence de la chasse au fusil.
La vénerie du cerf assure par exemple, de façon naturelle, le maintien des populations de grands cervidés, gardant leurs qualités originelles de vigueur et de ruse, qui seules ont permis à l’espèce de subsister pendant des millénaires. Sa pratique est un art nécessitant des équipages importants, chassant sur de vastes territoires.
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LA VÉNERIE ANTIQUE.
Flavius Arrianus est un historien et philosophe grec né à Nicomédie en Bithynie vers 95 de notre ère. Consul puis gouverneur de Cappadoce avant de se retirer dans la ville d’Athènes, il rédigea et publia divers livres sur l’enseignement d’Epictète, un livre sur l’expédition d’Alexandre (Anabase) et enfin un traité sur la chasse intitulé la Cynégétique.
À quelques exceptions près, ce livre est inspiré des us et coutumes celtes (chasse à courre au lièvre, élevage des chiens, etc.).
Arrien le reconnaît d’ailleurs en XXXIV.1 « Moi et mes compagnons de chasse nous suivons la coutume des Celtes ».
Et il s’agit bien de chasse à courre si l’on en croit les paragraphes III 1. « Les Celtes chassent sans faire usage de filet. J’entends par là ceux qui ne vivent pas du gibier qu’ils prennent, mais cherchent dans la chasse un plaisir noble » et XIX 1 : « Parmi les Celtes, ceux-là chassent qui sont riches et se donnent du bon temps. Dès l’aurore, ils envoient explorer les lieux où ils soupçonnent la présence d’un lièvre au repos. On vient ensuite leur annoncer si l’on en a vu et combien il y en a. Alors, ils arrivent et lancent leurs chiens, après avoir fait lever la bête. Quant à eux, ils suivent à cheval ».
Le traité de Xénophon, lui, ne parle pas des qualités des chasseurs ou des veneurs eux-mêmes, mais de ceux qui les aident dans leur traque (rabatteurs et autres…). La différence est significative et vient sans doute des Celtes mentionnés plus loin par Arrien.
Les Celtes attendaient en effet des maîtres-chiens eux-mêmes, fussent les plus grands des guerriers, les mêmes qualités personnelles. Endurance, flair, acuité visuelle, un peu comme celles que l’on exigeait encore des fénianes en Irlande au Moyen-âge, des fénianes qui eux aussi se faisaient aider par de véritables molosses dans leurs expéditions guerrières.
« Les prêtres, en voyant surgir Cailté/Caletios et les siens, furent saisis de stupeur et d’effroi devant ces guerriers d’un autre âge, accompagnés de leurs molosses…
— Mon ami, dit Patrice à Cailté/Caletios, comment t’appelles-tu
— Je m’appelle Cailté, fils de Ronan.
Les prêtres étaient muets de stupeur en contemplant ces guerriers, car le plus grand d’entre eux arrivait tout juste à la taille ou à la hauteur des épaules de ces géants, même assis par terre.
— Il y a quelque chose que je voudrais te demander, Cailté/Caletios, ajouta Patrice.
Cailté/Caletios répondit : si c’est en mon pouvoir, et si j’en ai la force, cela te sera aussitôt accordé. Dis-moi ce que tu veux.
Patrice répondit : pourrais-tu nous dire où nous pouvons trouver de l’eau pure et fraîche dans les environs, afin que je puisse baptiser les gens de Brega, de Meath et d’Usnagh.
— Bien sûr, noble et saint homme, répondit Cailté/Caletios.
Il prit Patrice par la main lui fit traverser les circonvallations de la forteresse et ils trouvèrent juste devant eux une source d’eau claire et cristalline, avec d’épaisses touffes de cresson et de véroniques tout autour » (Acallam na Senorach. Dialogue des Anciens).
Dans le domaine celtique, le chien est associé au monde des guerriers. Contrairement à ce qui se passe chez les Gréco-romains, le chien est, chez les Celtes, l’objet de comparaisons ou de métaphores flatteuses. Notre plus grand héros, Cuchulainn, est le chien de Culann, et nous savons que tous les Celtes, tant insulaires que continentaux, ont eu des chiens dressés pour le combat et la chasse. Comparer un héros à un chien était lui faire honneur, ou rendre hommage à sa valeur guerrière. Toute idée péjorative était absente.
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ARRIEN : DE LA CHASSE.
On doit chasser le cerf ou tout autre animal de cette taille en envoyant de très bons chiens contre lui, car la bête est grosse et peut courir longtemps, ce qui fait que ce n’est pas sans risque. Et un bon chien peut très facilement être tué lors d’une chasse à courre au cerf.
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Là où il y a des plaines offrant beaucoup de champ libre aux cavaliers, par exemple chez les Mésiens et les Gètes, en Scythie et dans toute l’Illyrie, on poursuit le cerf monté sur des chevaux scythes ou illyriens.
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Contre-lai (commentaire) Nº 1.
Toutes ces régions ont été plus ou moins celtisées. La Mésie (Moesia) était une province romaine conquise sous Auguste. Elle était divisée en deux : la Mésie supérieure (= la Serbie) et la Mésie inférieure (= en gros la Bulgarie) ou Ripa Thracia (rive thrace), qui allait jusqu’à la mer Noire. Singidunum (Belgrade) était la capitale de la Mésie supérieure. Du côté des Gètes (aujourd’hui la Roumanie et la Ruthénie subcarpatique : l’Ukraine), les Bastarnes étaient plus ou moins celtes, tout comme un certain nombre de peuples installés en Illyrie, les Scordisques (aujourd’hui la Serbie et la Croatie).
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À première vue ces chevaux ne sont pas faits pour cela, mais même s’ils font piètre figure à côté des chevaux thessaliens, siciliens, ou péloponnésiens, ils sont par contre d’une exceptionnelle endurance. Il faut voir ces galeux ou ces pelés remonter peu à peu les grands et fiers coursiers, en les laissant finalement loin derrière eux, tout en poursuivant sans relâche l’animal dans le lointain. Et ce, jusqu’à ce qu’il abandonne. Quand le cerf est aux abois et se rend, il reste immobile, la gueule grande ouverte, incapable de faire quoi que ce soit. On peut alors soit lui décocher une javeline à bout portant, comme s’il était attaché, soit lui passer un lien autour du cou afin de le ramener vivant.
En Afrique, montés sur des chevaux libyens – on appelle ces cavaliers des Numides – ils ne chassent pas que des cerfs ou des gazelles, car ces animaux sont trop faciles à capturer ; et les chevaux qui servent à chasser de tels animaux n’ont rien de particulier apparemment ; mais aussi des ânes sauvages, qui sont extrêmement rapides et capables de courir sur de très longues distances. Quand les Grecs au service de Cyrus, le fils de Darius, partirent en guerre contre le Grand Roi, lors de l’expédition à laquelle prit part Xénophon ; Xénophon raconte qu’ils rencontrèrent des troupeaux d’ânes sauvages en traversant le Nord du désert arabe, mais qu’aucun cavalier ne pouvait les rattraper. Ils devaient se poster à différents endroits et se relayer ensuite pour rabattre l’animal les uns sur les autres, et ces ânes, bien qu’ayant résisté à maints et maints chasseurs, finissaient par tomber d’épuisement devant l’un d’entre eux.
Il n’y avait pas de chevaux faits pour la chasse à courre dans l’entourage de Cyrus le fils du Grand Roi, ni dans celui du frère du Grand Roi. Les Libyens, eux, certains à peine âgés de huit ans, d’autres guère plus vieux, montés sur des chevaux à cru, et se servant de bâtons au lieu de brides comme le font les Grecs ; arrivent à serrer de si près ces ânes sauvages qu’ils finissent par les attraper rien qu’en leur passant un nœud coulant autour du cou. L’âne accepte alors sa défaite et les suit. Il en va de même pour ceux qui ont de bons chiens et de bons chevaux. Ils n’attrapent pas la bête avec des pièges, des filets, des collets, des stratagèmes de toutes sortes, ni de la ruse, mais à la loyale.
Les deux méthodes ne sont pas du tout comparables, à mon avis. Ceux qui se servent de la ruse se comportent avec le gibier comme des voleurs ou des bandits de grand chemin, les autres comme lors d’un combat à la loyale. Les uns se comportent avec le gibier comme des pirates s’approchant de leur malheureuse victime en cachette, les autres comme les Athéniens triomphant des Perses lors de la bataille navale d’Artémisium, de Salamine et de Psyttalée, ou au large de Chypre : ils triomphent de leur adversaire en combat régulier (ARRIEN). Dans le plus grand respect du fir fer aurait dit Cuchulainn.
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LE CERF DANS LA TRADITION DRUIDIQUE.
Les Celtes attribuaient aux animaux des propriétés imaginaires, souvent merveilleuses, qui permettaient de situer chaque animal dans l’univers et de le charger d’une valeur symbolique et fabuleuse. Le symbolisme du cerf est très vaste et il a trait certainement aux états primordiaux de l’être. Les légendes celtiques racontent que Sadv, la mère d’Ossian fut transformée en biche par un druide. Car en Irlande, le fils de notre grand héros du cycle ossianique, Finn, s’appelle d’un nom (Ossian) qui signifie « faon », tandis que saint Patrice se métamorphose et métamorphose ses compagnons en cerfs (ou en « daims ») pour échapper à une embuscade tendue par les hommes du roi Loegaire. Faute d’une étude d’ensemble, on doit provisoirement se borner à relever le symbolisme de longévité et d’abondance. L’animal est porteur d’une forêt de symboles, tous apparentés au domaine obscur de la force vitale. Et d’abord ses bois, par lesquels la nature « parle ». Ces deux perches hérissées d’andouillers, cette ramure dont le nom, la forme et la couleur semblent sortir des arbres et que chaque année donc élague comme du bois mort. Chaque année les refait pour donner la preuve visible que tout renaît, que tout reprend vie. Par la chute et la repousse de ces os branchus qui croissent avec une rapidité toute végétale, la nature affirme que sa force intense n’est qu’une perpétuelle résurrection, que tout doit mourir en elle et que pourtant rien ne peut cesser.
Aussi a-t-elle lié les cornes caduques du cerf à l’élan vital dont elle est la manifestation pérenne. La profusion de la sève qui les nourrit rejoint en lui la richesse de la semence, de sorte qu’il représente l’immémoriale vigueur fécondante, la puissance d’une inlassable sexualité. Son brâme les met en scène d’une façon qui frappe l’imagination des hommes. Aussi a-t-on pris l’animal comme l’expression de la virilité même, et par là de la puissance, puis de la suprématie. Pendant des siècles, cerf et seigneur ont été voués l’un à l’autre, il a été fait « noble », un interdit frappait sa viande, son braconnage était passible de la peine de mort. Seuls les rois des hommes pouvaient chasser le roi des forêts.
Le cerf dans les fables.
S’inspirant de la tradition druidique antique, les auteurs de fables au Moyen-âge placent leurs récits dans le monde animal, ce qui a largement contribué au succès de ce genre littéraire.
Attribuant aux animaux des comportements humains, tout en mettant l’accent sur des propriétés spécifiques de chaque animal, comme la ruse, la force, la malice, les fables en tirent une morale utile. Si les fables mettent en valeur la beauté du cerf et de ses cornes, ce dernier y est souvent la victime par excellence.
Les chapitres dédiés au cerf se retrouvent dans de nombreux bestiaires et compilations encyclopédiques du Moyen-âge. Comme le renne, le chevreuil, le cerf semble avoir joué un rôle de psychopompe (qui conduit les âme/esprit des morts) dans certaines traditions. Le Morholt d’Irlande, oncle d’Yseult, occis en combat singulier par Tristan, est dépeint gisant mort, cousu dans une peau de cerf.
Si, en effet, dans la culture chrétienne, le cerf blanc symbolise le Christ ; dans la mythologie celtique, il incarne souvent un messager de l’autre monde, le passeur ou le conducteur des âme/esprits vers le monde des morts, le pays divin ou encore le « pays des fées ». On retrouve ce schéma dans le conte gallois intitulé « Pwyll Prince de Dyved », dans les quatre branches du Mabinogi, où Pwyll chasse un cerf à la lisière d’une clairière dans un bois, et rencontre ainsi Arawn, roi d’Annwyn (ou Annwfn = l’Autre Monde). On pourrait ajouter à ces exemples la biche du lai de Guigemar chez Marie de France. Enfin, dans la légende arthurienne, la chasse au cerf blanc entraîne les chevaliers au-devant de leur destin ; comme celui vainement poursuivi par Gauvain dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes ; qui est aussi un signe de frontières entre l’Autre Monde et la « réalité » de la Cour ; encore qu’il se double là d’une certaine symbolique sexuelle.
Dans Erec et Énide, le Blanc Cerf garde de par sa couleur la fonction que l’imaginaire précédent lui avait assignée. C’est-à-dire celle de « guide merveilleux » vers l’Autre Monde et ses aventures (c’est la même fonction que remplit la Biche Blanche dans le lai de Guigemar, de Marie de France).
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Mais certains auteurs y voient aussi un symbole de la nécessité de l’exogamie. Le Cerf blanc était un animal quasi légendaire à cause de sa rareté ; qui le tuait en tirait beaucoup d’honneur. La coutume voulait que celui qui pouvait le tuer dût, en toute légitimité, sans que quiconque puisse s’y oppose, donner un baiser à la plus belle des jeunes filles de la cour. Si le baiser en lui-même n’était un affront pour personne, de nombreuses querelles naissaient au moment de choisir la plus belle : chaque chevalier voulait que cette qualité soit reconnue à sa dame.
« Un beau jour de Pâques, au printemps, le roi Arthur tint sa cour en son château de Caradigan, son château. Jamais on n’avait vu cour aussi splendide. Il y avait là beaucoup de preux chevaliers ardents, courageux et fiers, de hautes dames et des demoiselles, filles de rois, nobles et belles. Avant de donner congé à sa cour, le roi fit savoir qu’il voulait chasser le cerf blanc pour remettre cette coutume à l’honneur. Cette nouvelle inquiéta monseigneur Gauvain.: Sire, dit-il, on ne vous saura aucun gré de cette chasse. Depuis longtemps, nous connaissons tous cette coutume : celui qui tue le cerf blanc est tenu de donner un baiser à la plus belle des demoiselles de votre cour, quelles qu’en soient les conséquences. De grands malheurs peuvent alors en résulter, car il y a ici cinq cents demoiselles de haut lignage, filles de rois, toutes nobles et sages. Il n’y en a pas une seule qui n’ait pour ami un chevalier courageux et ardent. À tort ou à raison, chacun d’eux voudra soutenir que celle qui lui plaît est la plus belle et la plus noble.
Je le sais bien, répondit le roi, mais je ne saurais renoncer à mon dessein, car parole de roi oblige.
Demain matin, nous irons donc tous de bon cœur chasser le cerf blanc dans la forêt des aventures : ce sera une chasse merveilleuse.
Et c’est ainsi qu’eut lieu la chasse. Le lendemain, à la pointe du jour, le roi se leva, revêtit une courte cotte et s’équipa pour aller dans la forêt. Il fit préparer les chevaux de chasse et réveiller les chevaliers qui prirent leurs arcs et leurs flèches pour l’accompagner dans la forêt ».
Michèle VOICU et Anne-Marie BUBOLEA de l’Université de Bucarest résument ainsi la suite.
« Erec est frappé par un nain, alors qu’il répondait à une requête de Guenièvre. L’offense doit être vengée, le chevalier part donc à la poursuite du fourbe, qui s’avère être un serviteur d’Ydier. À la cour d’Arthur, le baiser du blanc cerf est remis à plus tard, il faut attendre le retour d’Erec et le dénouement de cette affaire. Erec poursuit le nain jusqu’à Laluth, le village d’Ydier. Il y est reçu par un vavasseur qui lui apprend qu’une fête aura lieu le lendemain : le prix, un épervier, reviendra au chevalier qui aura la plus belle amie. Erec s’éprend de la fille de son hôte, Énide, et lors de la fête, il triomphe d’Ydier en combat singulier et remporte, pour sa belle, l’épervier. Le soir venu, Ydier arrive au château de Caradigan, avec sa demoiselle et son nain, pour se constituer prisonnier. La reine leur rend la liberté. À Laluth, c’est une soirée de liesse chez le vavasseur, autour d’Erec et d’Énide. Le lendemain, Erec arrive à Caradigan, où il présente Énide, sa fiancée, au roi et à la cour. Guenièvre donne à Énide une robe somptueuse et Arthur, suivant la coutume du blanc cerf, donne le baiser à Énide devant toute l’assemblée des chevaliers de la Table Ronde.
À la Pentecôte, le mariage d’Erec et d’Énide est célébré à Caradigan, et donne lieu à de luxueuses réjouissances. Les fêtes durent un mois, et s’achèvent par un grand tournoi où Erec s’illustre plus qu’aucun autre chevalier. Après le tournoi, Erec retourne en compagnie de sa femme dans le royaume de son père. Les époux y connaissent un parfait bonheur… » (Michèle VOICU et Anne-Marie BUBOLEA, Université de Bucarest).
Écrit en 1165, Erec et Enide est le premier exemple connu de légende arthurienne en langue romane. Chrétien de Troyes y fait l’apologie de l’amour courtois dans le mariage. La traduction anglaise est de W.W. Comfort (1874-1955).
Il ne faut pas oublier que les contes associent la chasse au rituel d’accès à la Souveraineté. Ce sera la destinée finale d’Érec. Avant de régner et afin d’en être digne, le héros devra conquérir une épouse. La Souveraineté ainsi est rattachée non seulement à la possession de la femme qui, selon la mythologie druidique en est la dispensatrice, mais à l’amour et au mariage. D’ailleurs, ce lien nouveau entre chasse et conquête amoureuse, se révèle dans la personnalité de « héros chasseurs » tels Tristan ou Guigemar.
Bref, le mystère du cerf dépasse, aux yeux du chasseur, les péripéties de la chasse.
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LE CERF DANS LA TRADITION CHRÉTIENNE.
Le cerf, et particulièrement le cerf blanc, est donc devenu dans l’iconographie médiévale le symbole du Christ ou son envoyé. Un cerf indique au jeune Dagobert l’emplacement des tombes de saint Denis et de ses compagnons ; un cerf ou une biche accompagne les saints réfugiés dans le désert ou dans les ermitages (saint Gilles). Notons également qu’en Armorique ou en Bretagne, saint Edern est représenté chevauchant un cerf.
On dénombre peu de saints ayant bénéficié d’une apparition de cerf crucifère : parmi eux, nous citerons saint Eustache (au IIe siècle), saint Julien l’Hospitalier (au IVe siècle), puis saint Hubert (à la fin du VIIe siècle).
Placidius était un général de l’armée de Trajan au début du IIe siècle. Il était chasseur, et un jour qu’il poursuivait un cerf, l’animal fit volte-face : une croix lumineuse apparut entre ses bois et une voix demanda aussitôt à Placidius : « Pourquoi me traques-tu ? Je suis le dieu que tu honores sans le savoir ». Placidius se convertit et fut baptisé sous le nom d’Eustache (fécondité, en grec).
Sa vie ne fut plus dès lors qu’une succession d’épreuves terribles et de miracles. Un jour de l’an 117, il fut invité à une cérémonie religieuse pour célébrer la victoire sur les Parthes.
Son refus d’y assister causa sa perte : lui sa femme et ses enfants furent enfermés dans un taureau de bronze que l’on chauffa aussitôt à blanc. Trois jours plus tard, les corps en furent extraits : ils étaient intacts.
(Le christianisme n’a jamais été à un mensonge près en ce qui concerne ses saints.)
La vie de saint Eustache étant la preuve que celle de saint Hubert n’est qu’un plagiat, tout chasseur qui se respecte doit se faire un malin plaisir de l’honorer ! Fête le 20 septembre.
Saint Hubert. Premier évêque de Liège mort en 727. Tout comme Eustache, Hubert chassait ; mais c’est Hubert qui est resté le patron des chasseurs. La légende de saint Hubert se développa au Moyen-âge quand vinrent se greffer sur son histoire des épisodes appartenant à la vie de saint Eustache, notamment celui de sa rencontre avec un cerf.
Étant parti chasser durant la semaine sainte, Hubert poursuit un cerf blanc durant cinq jours, sans jamais pouvoir l’atteindre. Le vendredi à quinze heures (heure de la crucifixion selon la tradition) le cerf le renverse avec ses bois, des bois en forme de croix, et Saint-Hubert entend une voix qui lui crie : « Hubert, Hubert, pourquoi me poursuis-tu ? Jusqu’à quand la passion de la chasse te fera-t-elle oublier le salut de ton âme ? »
Hubert changea de vie, se retira dans la forêt des Ardennes, et succéda, sur le siège épiscopal de Maastricht vers l’an 705, à saint Lambert. En 722, il transféra son siège à Liège, dont il devint le premier évêque. Saint Hubert est considéré comme l’évangélisateur des Ardennes. Son culte est surtout répandu aux Pays-Bas et dans la vallée du Rhin. Il est le patron des chasseurs et le protecteur des chiens de chasse. Il est invoqué contre la rage et les morsures de serpent. Fête : le trois novembre.
Note de la rédaction.
Quelle est la part de vrai dans cette légende ? Difficile de le savoir, le christianisme ayant toujours eu un problème avec la vérité. (Voir la réponse de Pilate à Jésus.) Il s’agit vraisemblablement de la part du christianisme naissant dans cette région d’une récupération de la légende de Cornunnos. L’Église a eu longtemps bien des difficultés pour obliger les petits seigneurs à rentrer dans le rang, ou plutôt dans les églises. Chassant à tout moment, quand ils daignaient rentrer dans les églises, ce n’était qu’en compagnie de leur meute. La passion de la chasse n’était d’ailleurs pas l’apanage de la noblesse : les papes, jusqu’à la fin du Moyen-âge, ont dû édicter des bulles pour l’interdire aux gens d’Église ! Il est donc bien possible que la légende de saint Hubert doive son succès à la nécessité de christianiser des coutumes cynégétiques. En tout cas, le chien dit de saint Hubert est l’héritier des fameux chiens ségusiens celtes, dont Arrien avait déjà remarqué l’expression mélancolique.
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Julien l’Hospitalier. On sait peu de choses sur Julien l’Hospitalier. Julien était un jeune noble qui, lors d’une chasse au cerf, fut prévenu par sa proie elle-même qu’un jour il tuerait père et mère. Afin d’éviter ce funeste destin, Julien quitta aussitôt son pays natal. Il parvint dans une cour étrangère, se mit au service du roi, fut fait chevalier, se maria à une riche veuve et reçut en guise de dot un magnifique château. Mais pendant ce temps-là, ses parents le recherchaient sans relâche. Un jour que Julien était absent, ils arrivèrent chez leur fils. La femme de ce dernier les reconnut et leur donna sa chambre. Au retour de Julien, sa femme étant allée à l’église, il entra dans la chambre et aperçut les corps d’un homme et d’une femme dans le lit. Croyant qu’il s’agissait de son épouse avec son amant, il poignarda sauvagement les deux formes étendues, puis, sortant du château, rencontra sa femme et découvrit alors sa terrible erreur.
Rongé par le remords, Julien donna tous ses biens et promit d’accomplir une pénitence adaptée. Il s’installa, avec sa femme, à un gué, construisit un hospice pour les pauvres et les voyageurs et, à l’instar de saint Christophe, aida au passage de la rivière. Une nuit d’hiver, il répondit à un appel à l’aide, trouva un voyageur malade et presque mort de froid. Il ramena l’homme, un lépreux, dans sa maison et lui donna son propre lit, mais ne put le sauver. Alors que l’homme se mourait, Julien eut la vision de son âme/esprit qui partait. Il prit cette apparition comme le signe que Dieu (ou le Démiurge) avait accepté sa pénitence, et mourut peu après avec sa femme. Fête : le 12 février.
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LA PETITE VÉNERIE.
Par Arrien.
I.
Xénophon, fils de Gryllos, a écrit un livre sur les bienfaits que la chasse procure aux hommes, et comment ceux qui furent formés à cette discipline par Chiron, furent aimés des dieu-ou-démons et honorés à travers la Grèce tout entière. Il y expose que pour ce qui est du respect, la chasse est comme la guerre, à quel âge on peut commencer à pratiquer, mais aussi quelle attitude physique ou mentale doit avoir un bon veneur pour diriger les chiens.
Il donne également des renseignements sur les divers types de rets ou de filets (pour capturer, arrêter, ou rabattre) que l’on doit préparer pour cela, et comment installer les collets pour les animaux que l’on doit prendre ainsi.
Après il traite des lièvres, de leurs caractéristiques, de leurs habitudes alimentaires, des lieux où ils gîtent, et comment les trouver. Il traite également des chiens, ceux qui ont un flair leur permettant d’être de bons limiers ou les autres, et comment on peut les ranger dans telle ou telle catégorie, suivant leur apparence ou la façon dont ils se comportent.
Il donne également des renseignements sur la façon de chasser le sanglier, le cerf, l’ours ou le lion, et il explique comment on peut les capturer en usant d’adresse et d’ingéniosité.
Ayant le même nom que lui, habitant la même cité, ayant comme lui, depuis mon enfance, partagé le même intérêt pour la chasse, le commandement militaire et la philosophie, je vais donc combler les lacunes de son traité. Dues principalement, me semble-t-il, non à son manque d’intelligence, mais au fait qu’il ne connaissait pas les chiens celtes, ni les chevaux scythes ou libyens.
Comme il a souvent fait comme moi, je pense qu’il aurait lui aussi complété ce que Simon a écrit sur l’équitation, s’il avait pu, non afin de sembler plus fort, mais afin d’être utile aux lecteurs.
II.
Il n’est pas nécessaire de prouver que Xénophon ne connaissait pas les différentes races de chiens celtes, car ces peuples, qui vivent aujourd’hui de ce côté-ci de la Méditerranée, demeuraient encore inconnus à l’époque. À l’exception de ceux que l’on trouvait dans la partie de l’Italie colonisée par les Grecs, ou des tribus avec lesquelles des relations commerciales maritimes avaient pu être établies.
Que Xénophon ne connaissait aucune race de chiens aussi rapides que ceux des Celtes, est prouvé par cela même qu’il affirme que les lièvres qui sont pris par les chiens le sont contrairement à leur nature, ou alors par accident.
S’il avait connu les chiens celtes, je pense qu’il aurait plutôt écrit que c’est ne pas réussir à rattraper un lièvre, qui est contraire à leur nature, ou est dû à un accident. Car un lièvre ne peut pas échapper à ceux d’entre eux qui sont fougueux et bien faits. Sauf si le terrain est difficile, s’il y a un bosquet pour abriter le lièvre, ou un creux assez profond dans le sol pour le dérober aux regards, voire un fossé lui permettant de s’échapper comme en terrain couvert.
Après cela, si je ne m’abuse, il expose, dans son traité, comment on doit rabattre le lièvre sur les filets destinés à le prendre. Et s’il passe au travers ou à côté, comment on doit courir après ou le suivre à la trace jusqu’à épuisement, afin de l’avoir.
Xénophon ne dit nulle part qu’un homme qui a de bons chiens n’a pas besoin de filet pour attraper sa proie et n’a pas non plus besoin de courir s’il réussit à s’échapper ; car il ne parle que du genre de chasse que pratiquent les Cariens et les Crétois.
III.
Les Celtes chassent sans faire usage de filet, j’entends par là ceux qui ne vivent pas du gibier qu’ils prennent, mais cherchent dans la chasse un plaisir noble. Il y a chez eux une race de chiens qui ne sont pas moins bons chiens de quête que ceux de Carie ou de Crète, mais d’un aspect maussade et farouche.
Ils cherchent avec des cris et des gémissements, comme ceux de Carie en poursuivant la bête ; mais ils sont encore plus fous quand ils ont senti la piste. Parfois même ils éclatent sur des odeurs rémanentes de la veille.
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Au point que le plus souvent j’ai maudit leurs cris et ce qui peut y ressembler, sur toute piste olfactive tant de course que de gîte. S’agit-il de courir après la bête ou de la découvrir quand elle s’est jetée hors de sa voie ??
Ils ne valent pas moins que les chiens de Carie ou de Crète, si ce n’est pour la vitesse. Tuer un seul lièvre leur suffit en hiver, ils lui laissent même le temps qu’il faut pour se reposer, à moins bien sûr qu’il ne soit pris de panique et affolé par les aboiements de la meute. Ces chiens sont appelés ségusiens, et ce nom leur vient d’un peuple celtique chez qui cette race a pris naissance et acquis du renom.
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Contre-lai (commentaire) Nº 2.
Écologistes responsables avant la lettre, les Celtes ne chassaient donc pas l’été afin de laisser les lièvres se reproduire. Même genre de préoccupation sans doute en Grande-Bretagne si l’on en croit cette citation de César : « Les lièvres, la poule et l’oie sont à leurs yeux nourriture interdite, ils en élèvent cependant pour le plaisir » (César. B. G. Livre V. 12).
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Mais dans tout ce que l’on pourrait en dire, on ne ferait que répéter ce qui a été déjà écrit par Xénophon l’ancien. Ils ne présentent, en effet, aucune qualité qui leur soit propre ni qui les distingue, soit dans la quête, soit dans la traque quand le gibier s’est lancé dans la fuite. À moins qu’on ne veuille parler de leur conformation, ce qui ne me paraît pas en valoir pas la peine, si ce n’est pour dire qu’ils ont le poil touffu et un vilain aspect, que ceux qui sont les plus généreux ont aussi la figure la plus laide. Aussi l’expression a-t-elle fait fortune chez les Celtes, qui les comparent à des mendiants. C’est qu’en vérité, avec leur voix gémissante et lamentable, quand sur la trace olfactive du gibier ils crient après la bête, ils n’ont pas l’air d’y aller de bon cœur, mais de se plaindre et de geindre.
Il ne me semble pas que l’on ait pu écrire sur ces chiens quoi que ce soit qui mérite d’être cité. Les chiens celtiques aux pieds agiles sont appelés vertragi, d’un mot de la langue des Celtes, et ce nom ne vient pas de celui d’un peuple, comme pour ceux de Carie, de Laconie ou de Crète. Ils sont appelés ainsi d’après une de leurs qualités, comme en Crète ceux que l’on appelle ai diaponoi… (les durs à la tâche), parce que la peine ne leur fait pas peur ; itamai (les braves), à cause de leur entrain ; et ai mixtai (les mixtes), parce qu’ils réunissent ces deux qualités. Leur nom, de même, leur vient donc de leur vitesse.
Quant à leur aspect, celui des plus généreux d’entre eux est très beau, tant pour ce qui est des yeux que de l’ensemble du corps, et pour le poil, et pour la couleur. Chez ceux qui sont tachetés, ces taches sont comme des fleurs ; chez ceux qui sont d’une seule couleur, cette couleur aussi a tout son éclat, et elle offre au chasseur un spectacle plein de charme.
IV.
Je vais vous parler maintenant des critères permettant de trouver quels sont les chiens rapides et bien racés, à quoi l’on doit prêter attention pour déterminer ceux qui sont plus lents et moins doués.
Leur longueur (mesurée de la tête à la queue) doit être tout d’abord suffisamment longue.
Quelle que soit la race de lévriers, vous ne trouverez pas d’indice plus sûr que la longueur du corps. Et vice-versa, si le corps est court et ramassé, cela veut dire lenteur et piètre qualité. Ces chiens peuvent avoir beaucoup d’autres défauts, mais ceux qui sont fins et qui sont élancés, se révèlent aux moins rapides et fougueux. Bien plus, même des chiens plus grands, bien que semblables pour le reste, peuvent se révéler meilleurs que les petits, justement à cause de leur longueur (toujours mesurée de la tête à la queue). La seule exception, ce sont les gros chiens ayant malheureusement eu un membre accidenté ou blessé, de telle sorte que, dans cet état, ils peuvent se révéler moins bons que les petits s’ils ont les mêmes défauts qu’eux.
Vos chiens courants doivent avoir la tête fine et bien détachée. Qu’ils aient un très long museau ou la truffe arrondie par contre, ne fait pas grande différence, tout comme le fait que la partie située en dessous de leur front soit fine et musclée ou pas. Les mauvais chiens sont évidemment ceux qui ont, au contraire, une tête massive et trop épaisse, une truffe épaisse ne se terminant pas comme une truffe normale, mais comme une truffe épatée. Que les yeux soient larges et effilés, situés très en hauteur, clairs et splendides. Les plus perçants d’entre eux sont ceux qui sont brillants et ardents comme ceux des léopards des lions ou des lynx.
Ensuite viennent les yeux noirs à l’air féroce quand ils sont grands ouverts. En troisième viennent les yeux gris. Encore que les chiens qui ont les yeux gris ne soient pas mauvais non plus, car avoir les yeux gris ne prouve en aucune façon qu’il s’agit de chiens de moindre qualité, pourvu qu’ils soient clairs et qu’ils aient l’air féroces.
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V.
J’ai eu moi-même une chienne aux yeux les plus gris du monde, elle était très rapide, dure à la tâche, et si fougueuse et agile qu’elle a une fois, étant toute petite, couru après quatre lièvres en une seule journée.
À part cela, c’était la plus affectueuse (je l’ai d’ailleurs toujours au moment où j’écris ces lignes) et la plus gentille des chiennes avec les humains. Jamais auparavant, un chien n’était resté aussi longtemps avec moi et Megillos mon compagnon de chasse. Bien qu’elle ne puisse plus chasser maintenant, elle ne nous a jamais quittés, sauf pour suivre l’un d’entre nous évidemment.
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Contre-lai (commentaire) Nº 3.
Megillos était sans doute un veneur ou un maître-chien galate embauché par Arrien. C’est vraisemblablement de lui que viennent toutes ces connaissances d’Arrien en matière de chasse à courre y compris d’ailleurs les plus contestables ou les plus folkloriques (la recette du foie de bœuf cuit sous la cendre, etc.).
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Si je suis à l’intérieur, elle reste avec moi, et si je vais quelque part, elle m’accompagne.
Elle m’escorte au gymnase et s’assied en attendant que j’aie fini mes exercices. Ensuite elle passe devant moi quand je rentre à la maison tout en se retournant de temps en temps comme pour vérifier que je ne me suis pas perdu. Elle sourit en me voyant toujours derrière elle et continue alors à trottiner.
Mais si je sors en ville à cause de mon travail pour le gouvernement, elle reste avec mon ami et se comporte de la même façon avec lui. Si l’un d’entre nous est malade, elle reste avec lui. Chaque fois qu’elle nous revoit, même après une très courte absence, elle bondit de joie comme pour nous souhaiter la bienvenue, et elle aboie en nous voyant arriver pour nous témoigner son affection.
Quand elle est avec l’un d’entre nous au moment du repas, elle le sollicite avec l’une ou l’autre de ses pattes, afin de lui rappeler qu’à elle aussi on doit donner à manger quelque chose.
Et bien sûr elle accompagne son geste de jappements divers, plus que n’importe quel autre chien, je pense, du moins à ma connaissance, et elle fait savoir ainsi ce qu’elle veut.
Comme elle a été une fois punie de plusieurs coups des fouets alors qu’elle était toute petite ; si quelqu’un aujourd’hui encore évoque le mot fouet devant elle, elle fonce sur lui, et d’un air pitoyable s’accroupit à ses pieds comme pour implorer sa pitié. Elle colle ses lèvres sur les siennes comme si elle voulait l’embrasser, elle se dresse sur ses pattes arrière, se pend à son cou, et ne le lâche plus tant qu’il n’a pas renoncé à sa menace.
Voilà pourquoi je n’hésiterai pas un instant à mentionner ici le nom de ce chien, afin qu’il passe à la postérité dès lors, et que tout le monde sache que le nouveau Xénophon athénien avait un chien extraordinaire appelé Hormé, rapide et intelligent.
Ces chiens doivent avoir des oreilles larges et à la peau très fine, de telle sorte qu’elle fasse des plis. C’est le mieux pour cette race de chiens. Mais il n’y a rien d’inquiétant si elles sont droites, pourvu qu’elles ne soient ni petites ni raides.
Le cou doit être long, rond et souple : si vous retenez le chien en le tirant en arrière par son collier, le cou doit être comme plié en deux. Ceux qui ont le poitrail élancé sont meilleurs que ceux qui ont le poitrail court, ils doivent avoir les omoplates bien détachées, pas collées l’une à l’autre, mais pouvant au contraire bouger sans problème. Les pattes doivent être rondes, bien droites, fermes, aux côtés très élégants ; les côtes larges et fortes, pas bien en chair, mais plutôt maigres, tout en étant bien musclées ; les flancs détendus, la croupe bien détachée, le ventre creux, la queue fine et longue, le poil dru, doux et flexible, l’extrémité de la queue assez poilue ; et enfin le bas des cuisses long et ferme. S’il a des pattes arrière plus grosses que les pattes avant, il montera plus facilement les collines. Si les pattes avant sont plus grosses que les pattes arrière, alors il les descendra plus facilement, si elles sont de même grosseur le chien sera excellent en terrain plat.
Bien qu’il soit très difficile d’attraper un lièvre montant une colline, puisque les lièvres eux aussi vont plus vite en montant, les chiens qui ont des pattes arrière plus grosses que les pattes avant semblent les meilleurs pour cela. Le mieux aussi est qu’ils aient le bout des pattes rond et dur.
VI.
La couleur n’a aucune importance, qu’ils soient tout noirs, tout rouges ou tout blancs, même si le gibier a souvent lui aussi un pelage d’une seule couleur. Ce qui compte c’est que le poil soit vif et clair. La robe, que les chiens soient des chiens à toison épaisse ou à poil ras, doit être belle, drue, et douce.
Les meilleurs chiens de chasse mâles sont ceux qui sont larges et forts, mais pour ce qui est de la souplesse, semblables aux femelles ; les meilleures femelles sont celles qui, pour ce qui est des qualités ainsi que de la musculature du corps, sont semblables aux mâles. Je pense que l’on peut
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objectivement considérer toutes ces caractéristiques comme les indices d’un excellent physique pour son chenil, et les caractéristiques inverses évidemment comme indiquant tout le contraire.
VII.
Le tempérament des chiens peut également fournir à celui qui les observe des informations très sûres.
Disons tout de suite pour commencer que ne sont pas bons ceux qui regardent tout le monde d’une manière hostile ou agressive. Mais bien sûr, si vous en avez qui se montrent inamicaux envers ceux qu’ils ne connaissent pas, mais par contre amicaux envers ceux qui les nourrissent, alors c’est bon signe. J’ai connu personnellement une chienne qui avait l’air lugubre à la maison et n’aimait pas que l’on s’approche d’elle. Mais quand on la sortait pour aller à la chasse, elle débordait de joie, souriait ou faisait la fête à tous ceux qui l’approchaient, montrant ainsi clairement que pour elle rester à la maison était une corvée. Cela est aussi évidemment bon signe pour un chien.
Les meilleurs toutefois sont ceux qui aiment la compagnie des hommes, et ne se comportent pas comme si la vue du moindre humain était un danger pour eux.
Mais quant à ceux qui ont peur des hommes, ont peur du moindre bruit, qui les plonge alors dans la confusion, ou sont dérangés par la moindre chose, il s’agit là de caractéristiques indiquant assurément des animaux malades ou fous. Et tout comme les hommes qui sont couards ou fous, les chiens de ce genre ne peuvent pas être de bonne race.
Mauvais aussi sont les chiens qui, une fois découplés quelque part, ne reviennent pas immédiatement vers celui qui les tenait en laisse quand il les rappelle, mais vont au contraire batifoler encore plus loin ; qui, si on les rappelle gentiment, vous ignorent, mais ont peur évidemment si on les rappelle en haussant le ton.
L’idéal, c’est qu’un chien qui a été détaché de sa laisse et gambade tout autour retourne de lui-même vers son maître, même s’il ne l’a pas rappelé ; montrant par là qu’il serait capable de venir « au pied » immédiatement si on le souhaite ; mais si son maître ne le désire pas, retourne batifoler de nouveau ; pour revenir encore une fois auprès de lui, et ainsi de suite. Le chien qui a été bien dressé revient se coucher au pied de son maître quand celui-ci le rappelle, non par peur, mais par affection et respect pour qui le nourrit ; en se comportant ainsi un peu comme les courtisans qui se prosternent devant le grand roi. Il n’est pas bon qu’un chien découplé en terrain découvert préfère rester sur place, à moins qu’il ne soit déjà vieux, car cela dénote en général un certain manque de caractère. Les meilleurs sont ceux qui ont l’air fier ou renfrogné, dont le pas est léger, rapide et délicat, qui balancent leur corps des deux côtés en marchant, et qui secouent leur tête de haut en bas comme le font les chevaux.
VIII.
Certains chiens mangent goulûment, d’autres avec retenue. La modération est préférable, car cela dénote un chien de bonne race. Ceux qui ne sont pas difficiles en ce qui concerne la nourriture, et se contentent de pain de blé ou d’orge, sont bons ; car c’est la meilleure des nourritures pour un chien de chasse, et il n’y a pas de risque qu’il en mange trop.
Il vaut mieux qu’ils préfèrent la nourriture solide, mais s’ils aiment quand vous la trempez dans de l’eau, alors c’est également bien.
Si un chien est tombé malade, ajoutez-lui de la sauce de viande bien grasse. Ou alors du rôti de foie de bœuf cuit sous la cendre chaude, que vous râperez puis que vous répandrez sur sa nourriture comme du gruau d’orge.
C’est très bon pour donner de la force aux membres des chiots qui viennent juste d’être sevrés, mais jusqu’à neuf mois et même au-delà, le lait demeure ce qui leur convient le mieux. S’il a été malade ou s’il est délicat, lui donner des deux est bien, mais quand il est malade, il vaut mieux le mettre à la diète.
IX.
Il n’y a rien de mieux pour eux qu’un bon lit bien chaud. L’idéal étant qu’ils y dorment avec quelqu’un, car ils se familiarisent ainsi avec les humains, trouvent du plaisir à être au contact de la peau humaine ; et ils éprouvent ainsi autant d’affection pour celui avec lequel ils dorment que pour celui qui leur donne à manger. L’homme peut ainsi voir ce qui ne va pas chez l’animal, par exemple s’il a besoin de boire dans la nuit ou s’il a un besoin pressant à satisfaire. Il sait aussi combien de temps il a dormi évidemment. Il n’est pas bon d’abandonner au veneur ou au valet de chiens le soin de décider si l’animal peut rester éveillé, s’il peut baver abondamment, ou s’il faut lui apporter un peu de nourriture. C’est l’homme qui dort avec le chien qui est le mieux placé pour cela.
Le pire pour des chiens est de dormir avec d’autres chiens, surtout s’ils dorment au contact les uns des autres, car la peau d’un homme dormant à côté n’a pas l’inconfort de la leur ; alors que quand des chiens dorment ensemble, les inconvénients de la peau de chacun se renforcent au contraire à cause du contact et de la chaleur. La conséquence en est qu’ils attrapent généralement la gale dans ce cas. La raison en est évidente dès que l’on pénètre dans un endroit [un chenil] où dorment beaucoup de chiens ensemble : l’odeur qui vous prend au nez alors est désagréable au possible.
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X.
Masser le corps tout entier dans le sens du poil est très bon pour un chien courant, autant que pour un cheval. Car cela raffermit et fortifie les membres, adoucit la robe du chien, fait briller la couleur de sa peau, et en élimine tous les défauts. Masser le dos et les côtes de la main droite en mettant la gauche sous le flanc afin d’empêcher toute sensation de gêne chez le chien qui est ainsi tiré de haut en bas tandis qu’il est accroupi.
Caresser les flancs avec les deux mains, de la croupe jusqu’à l’extrémité des pattes en descendant, et les omoplates de la même façon. Quand le massage semble suffisant, faites-le relever en vous saisissant de sa queue tout en l’étirant, et laissez-le libre de ses mouvements ; il s’ébrouera aussitôt et vous montrera ainsi clairement qu’il a bien apprécié.
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Contre-lai (commentaire) Nº 4.
La technique des massages est évidemment vieille comme le monde et devait également s’appliquer aux chasseurs, voire aux chasseurs d’hommes, les guerriers, mutatis mutandis.
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XI.
Il est nécessaire pour les chiens courants d’être attaché durant la journée. S’ils ne le sont pas, ils deviennent désobéissants, et quand on a besoin de les attacher, ils se plaignent, gémissent, ou mordent leur laisse, de telle sorte que l’on doit les enchaîner alors, comme des criminels. Un chien en liberté mange tout ce qu’il trouve et tourner en rond toute la journée, nuit à sa rapidité. On doit donc les sortir régulièrement et les laisser se reposer le reste du temps.
XII.
Sortez vos chiens au moins quatre fois par jour en terrain plat et dégagé. Là, découplez-les, à la fois pour qu’ils accomplissent leurs besoins naturels, mais aussi pour qu’ils puissent se dégourdir en sautant et en courant tout autour. S’ils ne doivent pas chasser, faites cela plus souvent et lâchez même une paire de chiens à la fois au même endroit ; de telle sorte qu’en jouant et en rivalisant d’adresse ou de vitesse, ils prennent à la fois du plaisir et de l’exercice. Par contre, ne détachez jamais trop de chiens à la fois dans le même endroit, car ils peuvent alors se faire du mal en courant les uns sur les autres. Ne lâchez pas non plus un gros chien robuste et endurci avec un jeune, car le premier jouera trop durement et de façon agressive. Il gagnera ou le distancera toujours, de sorte que le chiot finira inévitablement par se décourager, étant toujours deuxième en tout. Les chiens qui ne s’aiment pas ne doivent pas être lâchés ensemble, afin d’éviter qu’ils se mordent. Car il y a des chiens qui se détestent et des chiens qui sont plus amicaux, tout comme chez les humains, entre mâles ou entre femelles notamment, par jalousie le plus souvent. Il faut faire aussi attention à ces choses-là.
XIII.
En hiver, nourrissez les chiens une fois par jour, un peu avant le lever du soleil, car la journée sera courte et les lévriers doivent s’habituer à jeûner quand ils chassent jusqu’à tard dans la soirée.
En été par contre, il est bon de leur donner un peu à manger tôt le matin, de telle sorte qu’ils ne soient pas épuisés par une journée trop longue. Et s’ils ont soif, ils boiront en mettant moins leur santé en danger, s’ils ont déjà mangé auparavant. Donner à son chien de la graisse en conserve est une bonne chose.
Si la chaleur doit être accablante, prenez un œuf dans votre main, ouvrez la gueule du chien, écrasez l’œuf et faites-lui avaler tout ce qu’il contient. Cela constituera pour lui une nourriture suffisante, apaisera son halètement, et cela étanchera sa soif.
XIV.
Emmenez-les fréquemment à la chasse au printemps et à l’automne. Mais en été moins souvent, et seulement s’il ne fait pas très chaud, car les lévriers ne supportent pas la chaleur, certains en sont même morts après une chasse trop dure pour eux. Voilà pourquoi un bon chasseur doit toujours avoir des œufs avec lui, afin de les faire gober au chien si celui-ci semble étouffer : il n’y a rien de mieux pour les rafraîchir et apaiser leur halètement. Si un chien boit trop alors qu’il est complètement épuisé, c’est mauvais. Voilà pourquoi on doit faire très attention quand on les fait sortir en pleine chaleur. Et de même en hiver, il ne faut pas les sortir s’il gèle trop, notamment si le sol est gelé. Car les chiens ne sont pas très à l’aise sur la glace, et certains peuvent en perdre leurs griffes, ou y abîmer les coussinets de leurs pattes. S’ils sont encore d’un âge à être fougueux, ils peuvent même se casser une patte en courant comme des fous sur la glace. Le lièvre, lui, est léger, en outre il a des pattes poilues très souples, de telle sorte qu’il peut courir sans danger sur un sol gelé.
XV.
Un chasseur à courre qui a des lévriers ne doit ni les lâchers trop près du lièvre, ni en lâcher plus d’une paire à la fois. Car même s’il est très rapide et qu’il a déjà réussi à leur échapper souvent, chaque fois que le lièvre détale de son gîte, salué par des clameurs et des aboiements, et avec les
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chiens sur les talons ; il est inévitablement pris de panique et a le cœur battant à tout rompre. De bons lièvres ont souvent ainsi péri sans gloire, sans avoir eu le temps de faire ou de montrer quoi que ce soit méritant que l’on s’en souvienne.
C’est pourquoi on devrait au moins lui laisser le temps de fuir de son gîte, afin qu’il reprenne ses esprits. Si c’est un bon coureur, il redressera immédiatement les oreilles et fera de grands bonds pour s’en éloigner à toute vitesse. Les autres lévriers, eux, après s’être dégourdi les pattes comme ils le font quand ils s’amusent en tournant un peu en rond, fileront eux aussi ensuite tout droit derrière lui. Donner un tel spectacle est la tâche qui sera confiée aux chiens courants si la vue est bien dégagée.
XVI.
Les meilleurs lièvres sont ceux qui ont leur gîte en terrain clair et découvert, car ça prouve qu’ils ont confiance en eux. Ils n’essaient pas de se dérober à la vue des chiens, mais, du moins, me semble-t-il, essaient de les battre de vitesse. Ces lièvres, quand ils sont chassés, ne courent pas se dissimuler aussitôt dans des vallons boisés ou des bosquets, même s’ils ont la chance d’en avoir juste à côté, ce qui leur permettrait d’échapper facilement à tout danger ; mais se précipitent sur du terrain plat pour distancer les chiens. Si les chiens lancés à leur trousse sont lents, ils courent aussi longtemps que l’on veut faire durer la chasse ; s’ils sont rapides, aussi vite qu’ils en sont capables. Il est arrivé souvent qu’après avoir réussi à débouler dans la plaine, s’ils sentent qu’un chien de course les talonne toujours, et qu’ils sont sur le point d’être rattrapés, qu’ils zigzaguent ou bifurquent brusquement pour le faire trébucher ; puis qu’ils foncent ensuite dans les vallons boisés ou dans les lieux où ils connaissent un endroit pouvant les dissimuler. On doit considérer cela comme la preuve que le chien était plus rapide que le lièvre à la course. Les vrais chasseurs ne sortent pas leurs chiens en rase campagne pour attraper des animaux, mais pour y courir ou s’y entraîner, ils ne sont pas mécontents si le lièvre arrive à trouver quelque chose lui permettant de leur échapper.
Si le lièvre se réfugie, par exemple dans des chardons, terrorisé, mort de fatigue, et que les chasseurs s’en aperçoivent, alors souvent ils rappellent leurs chiens, notamment si le lièvre s’est bien battu, en courant de toutes ses forces.
En arrivant après sur les lieux à cheval en compagnie des autres chasseurs, et alors que le lièvre avait donc été ainsi cerné j’ai souvent pu l’attraper moi-même vivant. Mais après m’en être ainsi emparé puis avoir fait attacher les chiens, je le laissais fuir en lieu sûr. Je m’en voulais même si j’arrivais trop tard pour lui sauver la vie et si les chiens avaient déjà mis en charpie un si valeureux adversaire.
C’est le seul cas en effet où je suis en désaccord avec mon homonyme. J’admets que la vue d’une bête ayant été débusquée, pourchassée, attrapée, peut faire oublier toute idée galante à un amoureux, mais je dis moi que c’est parce qu’une telle scène n’est ni plaisante ni excitante. C’est plutôt un spectacle qui vous retourne et je ne pense pas qu’un amoureux en délaisserait sa bien-aimée pour cela.
Mais on doit excuser l’autre Xénophon qui ne connaissait pas les lévriers, si voir un lièvre capturé ainsi était pour lui tout un spectacle. Je n’ai jamais demandé que l’on crie quand un chien talonne le gibier, mais je reconnais que c’est presque inévitable. Même un muet en retrouverait l’usage de la parole, tout comme le fils du roi Crésus de la fable.
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Contre-lai (commentaire) Nº 5.
Les Celtes chassant ainsi à courre se comportaient donc plus en sportifs qu’en marchands (de viande) ou en bouchers.
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XVII.
Il est bon d’encourager des lévriers, car ils sont toujours heureux d’entendre la voix de leur maître. Savoir qu’il les observe et découvre ainsi à quel point ils travaillent bien est comme une récompense pour eux.
Je ne vois aucune objection à ce que les veneurs crient autant qu’ils le veulent lors de la première traque, mais pendant la seconde ou la troisième, alors que les chiens ont déjà, selon toute vraisemblance, énormément couru, il ne faut pas trop les appeler. Dans leur hâte à faire plaisir à leur maître, ils pourraient aller au-delà de leurs forces et finir victimes d’une hémorragie interne. Beaucoup de lévriers parmi les mieux dressés sont morts ainsi. Laissez-les donc finir la course comme ils le veulent. Car la compétition entre lièvre et chien n’est pas égale. Le premier va où il veut, l’autre est obligé de suivre.
Le premier, après être revenu sur ses pas et avoir fourvoyé le chien en doublant sa voie, file droit devant lui ; l’autre, s’il a été ainsi retardé par ce hourvari, doit reprendre la course, courir après pour le rattraper de nouveau, et refaire le terrain perdu.
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Un sol difficile, rugueux et pierreux, accidenté, qui monte et qui descend, avantage aussi le lièvre, car il est léger, en outre comme les extrémités de ses pattes sont poilues, elles ne sont pas déchirées par les aspérités du terrain. Que ce soit pour lui une question de vie ou de mort lui fait aussi évidemment oublier sa douleur.
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Contre-lai (commentaire) Nº 6. Phénomène bien connu des médecins actuels : il s’agit de la production par l’organisme d’endorphine, une substance qui anesthésie en quelque sorte la douleur.
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XVIII.
Quand le chien d’ordre a rattrapé le lièvre ou l’a surpassé d’une autre façon à la course ; il faut mettre pied à terre, le caresser, le flatter, avec des mots élogieux, l’embrasser sur la tête et lui murmurer dans le creux de l’oreille des choses comme : Bien joué Kirrha ! Bien joué Bonna ! Bravo mon bon Hormé !
Et ainsi de suite ! N’hésitez jamais en effet à les appeler par leur nom. Tout comme les humains à l’esprit fier, ils aiment être flattés. Le chien, s’il n’est pas épuisé, vous sourit et vous témoigne alors son affection. À ce stade, se rouler par terre, comme le font également parfois les chevaux, est une bonne chose pour les chiens, car cela prouve qu’ils n’ont pas été totalement épuisés, en outre cela les délasse.
XIX.
Les Celtes riches et fortunés chassent de la façon suivante. Dès que le soleil s’est levé, ils envoient des valets examiner les lieux où ils pensent qu’il y a des lièvres afin de repérer leurs gîtes, ensuite ils rentrent leur dire s’ils en ont vu et combien. S’il y en a, ils y vont, lâchent leurs chiens après avoir fait lever l’animal, et suivent à cheval.
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Contre-lai (commentaire) N° 7.
Les choses n’avaient visiblement pas changé du temps du comte de Foix Gaston Phébus, même dans le cas des cerfs dix-cors.
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XX.
Ceux qui n’ont pas les moyens d’envoyer des valets pour repérer le gîte de l’animal réunissent quelques amis ou compagnons et se rendent à cheval sur les lieux où ils pensent qu’il peut y avoir un lièvre. Chaque fois qu’ils en font lever un, ils lâchent leurs chiens.
Quant à ceux qui sont plutôt du genre à faire les choses eux-mêmes, ils y vont à pied, mais avec des hommes à cheval afin de courir après le lièvre avec les chiens, dès que l’animal sera repéré.
Ils forment un cercle autour de la zone qu’ils ont choisi de battre et, après avoir marché droit devant eux sur une distance donnée, ils font demi-tour pour parcourir de nouveau la même bande de terrain en sens inverse. Tout en ne s’éloignant pas trop néanmoins de leur précédent passage ; afin qu’aucun endroit où il peut y avoir un lièvre ne puisse échapper à leur ratissage.
Si l’on a pris avec soi beaucoup de chiens, ils ne doivent pas être lancés, n’importe comment, car si un lièvre est levé de son gîte, personne ne sera capable de l’avoir seulement en lâchant son chien. Certains d’ailleurs voudraient aussi à tout prix voir également leur propre chien courir, d’autres seraient gênés par les cris ou énervés. Le lièvre serait ainsi capturé sans qu’il y ait de vraie traque, à cause de la confusion chez les chiens, et le plaisir de cette chasse en serait gâché.
Un valet de chiens doit donc être désigné pour associer les chiens deux par deux, et afin que tout le monde ne lâche pas ses chiens en même temps, il doit donner des instructions. « Si le lièvre détale dans cette direction-ci, vous et vous, vous lâchez vos chiens, et personne d’autre. S’il détale dans cette direction-là, ce sera vous et vous, etc. ».
Et tout le monde doit suivre ces ordres à la lettre.
XXI.
Les Celtes chassent en mêlant à leurs chiens de quête des chiens d’ordre du genre lévrier. Les limiers cherchent la trace olfactive, et les chasseurs se tiennent à distance avec leurs lévriers, ils les mènent en laisse là où l’on peut raisonnablement penser que le lièvre dirigera sa course, de façon à lancer les chiens juste à point pour devancer la bête débûchée. Ces chiens remplissent ainsi l’office des filets de l’autre Xénophon.
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Et quoique la chasse se fasse alors dans le désordre, le lièvre, même s’il est très bon, est généralement pris de panique en entendant l’aboiement des chiens. S’il n’a pas réussi à détaler à temps assez loin pour retrouver ses esprits après avoir forlongé, alors il est facilement attrapé, car il perd la tête. Voilà pourquoi le bon valet de chien qui sait lâcher les chiens d’ordre quand il faut, ne doit pas les lancer à la poursuite d’un lièvre encore sous le coup de la surprise, mais doit au contraire lui accorder le temps d’atteindre sa pleine vitesse. Et lâcher les chiens d’ordre seulement après, s’il ne veut pas gâcher le spectacle.
XXII.
Il n’est pas bien de lâcher un chien contre un levraut ou un lièvre trop jeune ; d’après mon homonyme, on doit le laisser à la déesse.
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Contre-lai (commentaire) Nº 8.
Quelle déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ? Vraisemblablement pour Megillos et les autres compagnons de chasse d’Arrien, une déesse ou fée, celte, du type Artio, Arduinna, ou autre.
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Dans ce cas-là, on doit donc si possible rappeler les chiens limiers, mais il est toujours difficile de les faire revenir, et comme ils ont faim, ils n’obéissent pas facilement. Ils ont plutôt tendance à dévorer n’importe quelle proie qu’ils ont attrapée, au point que l’on a du mal alors à leur faire lâcher prise, même en tapant dessus avec un bâton.
XXV.
Un chien est fait pour courir. N’emmenez pas les femelles à la chasse avant l’âge de 11 mois. Mais, plus tôt, même à partir du 10e mois, si elle est déjà solidement bâtie, quoique pas assez déliée ; mettez-lui un lièvre juste à côté d’elle en terrain découvert, et lâchez-la sur lui aussitôt après, afin qu’elle puisse jouer avec et, le voyant ainsi, puisse ensuite en courir de semblables en toute confiance.
Lâchez aussi tout de suite après un chien adulte afin d’empêcher que la jeune chienne ne s’épuise, si cela dure trop longtemps, ou abandonne à cause de la fatigue.
Le deuxième chien, en se jouant du lièvre et en faisant de nombreux tours avec pour s’amuser, constituera un excellent entraînement pour le jeune chien. Quand elle aura fini par attraper le lièvre, laissez-la le mordre à pleines dents, jusqu’à ce qu’il meure.
Le jour où elle sera suffisamment âgée pour sortir plus longuement, emmenez-la d’abord se promener sur des parcours escarpés ou difficiles, cela endurcit les pattes des chiens.
Ensuite, laissez le valet de chiens qui est avec elle attendre en terrain découvert. Si le lièvre bouge le premier en détalant, ne la lancez pas tout de suite à sa poursuite. C’est ce que conseille l’autre Xénophon en ce qui concerne les chiens limiers que l’on doit entraîner à suivre une piste olfactive.
Par contre si vous détachez une jeune chienne faite pour la course, à un moment elle ne peut déjà plus voir la proie, elle partira dans tous les sens en sautant sous l’effet de l’excitation.
Et bien sûr, plus tard, devenue adulte, si un lièvre lui échappe, elle ne se tiendra pas tranquille en attendant, ne reviendra pas vers son maître, ni ne prêtera aucune attention à ses appels. Ayant été habituée à courir n’importe où, elle errera comme une pauvre folle.
C’est pourquoi l’homme qui est avec le chiot doit d’abord aller avec lui se poster dans un des endroits évoqués par moi plus haut, et où l’on peut raisonnablement penser que le lièvre débûché va courir se réfugier.
Quand le lièvre arrivera, faites-lui lâcher le jeune chien courant de très près, mais pas juste devant ou derrière ; car le lièvre, effrayé, pourrait alors changer brusquement sa trajectoire, et les chiens arrivant dessus perdre le contact : le lièvre en profiterait pour s’échapper. Le chiot serait alors distancé, il aurait les plus grandes difficultés à revenir, tout comme une trirème qui navigue en ligne droite peut difficilement virer de bord si certains de ses rameurs n’arrêtent pas de tirer sur les avirons pendant que les autres continuent.
Il faut donc laisser passer le lièvre et lâcher le jeune chien courant de flanc. Dès que le lièvre est pris, envoyez vite quelqu’un l’attraper avant que les chiens ne se repaissent de son sang. Non pas parce que quelqu’un qui chasse pour le plaisir accorde du prix au fait de manger du lièvre qu’il a pris lui-même, mais parce que manger de la viande de lièvre est une mauvaise habitude pour un chien. Beaucoup de chiens en sont morts. Ils ont trop mangé de leur proie et trop vite et, alors qu’ils étaient pourtant exténués par une longue course, et en sont morts étouffés.
XXVI.
N’envoyez pas un jeune chien mâle à la chasse avant deux ans. Les membres des mâles s’affermissent en effet bien plus tard que ceux des femelles. Ce danger n’est pas à négliger. Beaucoup de chiens ayant chassé à courre avant d’avoir fini leur croissance, sont morts précocement, notamment les mieux dressés, vu leur fougue naturelle, ils courent évidemment jusqu’à la limite de
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leurs forces. Suivez aussi à leur sujet les instructions que j’ai déjà données à propos des jeunes femelles.
Faites également attention, si vous devez les laisser monter des femelles avant cet âge-là, car leur sperme n’est pas assez prégnant, il est le plus souvent trop faible et trop clair, comme l’est le sperme des tout jeunes gens. Cela ne donnerait pas de bons chiens, et rien ne pourrait ensuite corriger cette tare. Le mieux est donc encore d’accoupler un mâle dès sa troisième année, avec une femelle du même âge.
XXVII.
La meilleure méthode pour accoupler les chiens est celle-ci. On commence par observer la femelle afin de voir si ses saignements sont bien terminés. Si elle reçoit du sperme avant, souvent cela ne prend pas, car ça part avec le sang des menstrues comme chez les femmes. Faites très attention à cela, car la période où elle n’a plus de saignements, mais où elle est toujours en chaleur, est très courte. L’âge idéal pour cela chez les femelles est de 2 à 7 ans.
XXVIII.
Le mieux est d’enfermer le mâle avec la femelle sans que les autres chiens puissent les voir, car les accouplements réalisés en public sont stériles, du moins si nous en croyons les vieux chasseurs. Ils pensent en effet que seules les saillies accomplies à l’écart des autres par les chiens aboutissent.
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Contre-lai (commentaire) Nº 9.
Du folklore d’éleveur de chiens celte vraisemblablement, tout comme la période de 60 jours mentionnée plus loin, ou le rôle déterminant de l’haleine des mères dans la croissance des chiots.
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Ensuite, emmenez les femelles à la chasse, car sortir et se promener sont des activités qui font toujours du bien aux chiens. Mais ne les laissez quand même pas trop longtemps derrière le lièvre, car il y aurait alors des risques de fausse couche due à la fatigue ou à la violence des efforts.
Il ne faut pas non plus lancer un chien mâle sur un lièvre avant qu’il se soit remis des fatigues de l’accouplement, et que toutes ses forces lui soient revenues, c’est-à-dire pas avant 60 jours. Après il n’y a plus aucun risque à le faire entrer de nouveau en lice.
XXIX.
La meilleure saison pour la reproduction est le printemps, car on y a une température idéalement moyenne entre le froid et le chaud. Le froid n’est pas bon pour la croissance des chiots, surtout à cause du manque de lait ; en outre la chaleur est aussi difficile à supporter pour les mères qui les élèvent. L’automne est de même moins bon que le printemps, car l’hiver surprend toujours les chiots avant qu’ils ne soient devenus assez grands.
XXX.
Une fois que les petits sont nés, si vous souhaitez que la mère retrouve au plus vite toute sa vitesse, ne la laissez pas s’occuper des chiots, sauf pour en avoir le maximum de lait ; dès que c’est fait, enlevez-les-lui, et donnez-les à d’autres femelles, tout en prenant bien soin de choisir les meilleures, car le lait des chiens dégénérés n’est pas de la même qualité que celui des chiens de race. Mais si la femelle ne semble pas prête à courir de nouveau avant un certain temps, le mieux alors est encore de lui laisser les petits, et de ne pas les confier à une autre. Car, ainsi que l’a bien dit l’autre Xénophon, que d’autres femelles s’en occupent n’est pas bon pour leur croissance, le lait ainsi que l’haleine des vraies mères étant meilleurs pour eux.
XXXI.
Quand les chiots commencent à se tenir sur leurs pattes et à marcher tout seuls, d’après Xénophon il faut alors seulement leur donner du lait, car de la nourriture plus lourde leur ferait avoir les jambes tordues, ou les rendrait malades. Que l’on doit en outre donner aux chiens des noms courts et faciles à crier très fort est aussi une autre chose dont nous sommes convaincus. Les noms dont il dresse une liste, qu’il les ait simplement notés ou inventés, sont d’ailleurs très bien. Si vous ne voulez pas en avoir des chiots tout de suite, faites très attention aux femelles quand elles sont en chaleur. À la fin leurs mamelles sont gonflées, car pleines de lait ainsi que les parties sous le ventre tendues.
Il n’est pas bon de lâcher une chienne dans cet état sur un lièvre, car elle se blessera les flancs à coup sûr. On ne doit même pas la détacher pour lui permettre de se dégourdir les pattes, car, en voulant courir avec les autres chiens, ou en travaillant au-delà de ses forces, elle risquera la même chose. Il est donc mieux d’attendre que les mamelles se relâchent un peu. La chute en abondance des poils, par exemple si on les caresse, indique le moment où l’on peut le faire en toute sécurité. Car elles sont alors, du moins autant que l’on puisse le voir, définitivement sorties de cet état, et donc de nouveau prêtes à courir.
XXXII.
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La femelle est plus rapide que le mâle, mais le chien est plus dur à la tâche que la chienne, il a donc, d’une certaine façon, plus de valeurs, car il peut courir toute l’année. Plus de valeur aussi en ce sens que s’il y a beaucoup de bonnes femelles, il n’est pas facile par contre de tomber sur un très bon mâle. Et aussi parce qu’il est bien rare qu’une femelle puisse encore courir aussi vite, passé 4 ou 5 ans, alors que les mâles, eux, peuvent continuer à courir aussi vite même au-delà de leur dixième année. Avoir un très bon chien de chasse mâle me semble donc être une chance et cela ne peut arriver que si un dieu l’a voulu.
XXXIII.
On doit donc offrir à la déesse de la chasse Artémis des sacrifices d’Action de grâce pour la remercier d’une telle bénédiction ; et l’on doit aussi lui offrir quelque chose si la chasse a été bonne, en lui abandonnant par exemple les prémices des captures. Et purifier les chiens ainsi que les chasseurs, suivant les us et coutumes du pays.
XXXIV.
Offrir à la déesse Artémis chaque année un sacrifice est une coutume de certains Celtes. Ils lui offrent un trésor [constitué ainsi] : pour un lièvre qu’ils ont attrapé, ils versent au pot commun deux oboles ; pour un renard, une drachme (le renard est un être rusé, toujours en embuscade, c’est le fléau des lièvres, voilà pourquoi on donne davantage : c’est comme si l’on avait pris un ennemi) ; pour un chevreuil, quatre drachmes, parce que c’est un animal plus gros, un gibier plus estimé.
L’année terminée, quand revient l’anniversaire d’Artémis, on ouvre le trésor, et avec la somme recueillie, on achète, qui une brebis, qui une chèvre, qui un veau, s’il y a suffisamment d’argent.
Le sacrifice achevé, les prémices avant été offertes à la [divine] chasseresse, selon la loi de chacun, ils se régalent, eux et leurs chiens. Les chiens sont même ce jour-là couronnés de fleurs, afin de bien montrer que la fête se donne en leur honneur.
XXXV.
Moi et mes compagnons nous suivons cette coutume celte, car sans l’aide des dieu-ou-démons, rien ne réussit aux hommes.
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Contre-lai (commentaire) Nº 10.
Si cette coutume sacrificielle est bien celtique, il ne peut évidemment alors dans ce cas, s’agir d’Artémis, mais d’une déesse-ou-démone celte de la chasse, de type Arduinna ou Artio. D’après Strabon, c’était pourtant du gibier sauvage que certains offraient en sacrifice, et non des chèvres, des brebis, ou des veaux. Les Celtes étaient en effet de grands coureurs de gibiers : s’ils ont adopté souvent Diane et Silvain, ils n’en ont pas moins continué d’honorer leurs divinités de la chasse et des bois. C’était d’ailleurs une de leurs particularités de sacrifier des bêtes sauvages (theria) aux dieu-ou-démons, en plus des animaux domestiques et des hommes. (Strabon IV, 4,5.)
------------------ -------------------------------------------- ---------------------------------------------------------------- -------Les gens qui vont sur les mers commencent leur voyage par une prière aux dieu-ou-démons, du moins ceux qui craignent pour leur vie. Mais quand ils sont de retour, sains et saufs, ils offrent un sacrifice d’Action de grâce aux divinités de la mer, Poséidon, Amphitrite et les Néréides. Les paysans sacrifient à Déméter, à sa fille et à Dionysos, les artisans à Héphaïstos et Athéna, ceux qui sont dans l’enseignement aux Muses et au dieu Apollon Musagète leur prince, à Mnémosyne et à Hermès. Ceux qui sont préoccupés par quelque affaire amoureuse à la déesse Aphrodite, Éros, Pitho et les Grâces.
De la même façon, ceux qui sont amateurs de chasse, ne doivent oublier ni Artémis la chasseresse, ni Apollon, ni Pan, ni les Nymphes, ni l’Hermès qui veille sur les routes ou qui guide les voyageurs ; ni aucun autre des dieu-ou-démons de la montagne.
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Contre-lai (commentaire) Nº 11.
Il s’agit sans doute de dieu-ou-démons topiques : toute hauteur étant un point du sol soulevé par une puissance interne. Garra est le dieu-ou-démon éponyme du pic pyrénéen appelé aujourd’hui Le Gar, Poeninus celui du Grand-Saint-Bernard en Suisse, Baeserta est la déesse-ou-démone, ou bien fée si l’on préfère, des montagnes pyrénéennes de Basert, d’où Notre Dame de Basert, Alambrina celle du mont d’Alambre ou de la montagne d’Alambre en France, et ainsi de suite.
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S’ils n’agissent pas ainsi, leur entreprise échouera inévitablement, leurs chiens seront blessés, leurs chevaux se mettront à boiter, les hommes trébucheront ou tomberont.
XXXVI.
Homère le dit bien dans ses poèmes, car il raconte que Teucer, le meilleur archer des Grecs, rata un jour la cible du jeu en n’atteignant que le fil à la patte l’attachant au poteau, car il n’avait pas prié Apollon. Alors que Merion, lui, qui n’était pourtant pas particulièrement bon archer, mais qui l’avait prié, atteignit l’oiseau déjà en train de s’envoler.
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Que les fils de ceux qui étaient partis en guerre contre Thèbes avec Polynice prirent la cité « en suivant les présages des dieu-ou-démons et avec l’aide de Zeus ». Alors que leurs pères, qui n’étaient pas moins bons guerriers qu’eux, avaient échoué à le faire, car ils n’avaient pas fait attention aux signes envoyés par les dieux.
Et qu’Hector, qui n’avait pas voulu écouter Polydamas lui demandant instamment de renoncer à prendre d’assaut les navires grecs, à cause du serpent que l’aigle avait laissé tomber du ciel ; en arguant du fait que les Grecs s’apprêtaient à rentrer chez eux dans le plus grand désordre ; apprit à ses dépens, un peu plus tard, qu’il n’est pas bon de ne pas obéir aux signes qui viennent d’un dieu.
Ces exemples nous montrent qu’il faut, à la chasse de même que dans toute autre entreprise ; commencer par une prière aux dieux, finir par un sacrifice d’Action de grâce en leur honneur si elle a été bonne ; verser des libations, observer un profond silence, offrir des guirlandes, chanter des hymnes, et offrir aux dieu-ou-démons les prémices du gibier capturé. De la même façon qu’à la guerre [on consacre à Nicé, la déesse de la victoire], les premières dépouilles prises à l’ennemi.
-------------------------------------------------------------ARRIEN. ------------------------------------------ -------------------
Contre-lai (commentaire) Nº 12.
À l’exception de l’allusion à la déesse-ou-démone, ou fée, si l’on préfère, grecque, des victoires, Nicé ou Nikaïa (et encore, une telle coutume existait aussi chez les Celtes, comme l’ont montré les fouilles de Gournay-sur-Aronde ou de Ribemont-sur-Ancre) ; ce dernier point semble être un simple développement des chapitres 33 et 34 sur la façon dont les Celtes honorent la déesse-ou-démone de la chasse.
Fleurs pour décorer, par exemple sous forme de guirlandes.
Prière aux dieu-ou-démons.
Sacrifice d’action de grâce, libations.
Recueillements.
Chants.
Offrandes au dieu-ou-démon des premiers résultats ou des premiers fruits du travail (les prémices au sens religieux du terme).
Purification des personnes présentes ou des participants au sacrifice.
Repas, fête, et détente.
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LA CHASSE À COURRE AU RENARD.
Nos amis anglais ayant commis la triple erreur d’abolir la chasse au renard, en cédant à la pression d’écologistes INCONSÉQUENTS (ce que mes correspondants parisiens appellent des bobos *, contraction de bourgeois et de bohèmes), quelques mots maintenant sur ce qui se fait chez nous en ce domaine puisqu’il n’y a plus que dans notre beau pays que subsiste cette liberté.
Course rapide et semée d’obstacles, la chasse à courre au renard constitue au premier chef une performance hippique de grande classe, exigeant des cavaliers hardis et des chevaux de toute sûreté au saut. Sous l’angle de la vénerie, précisons qu’on emploiera des chiens rapides, allant de l’avant et ne craignant pas la rêche et piquante végétation des landes. Un nez fin n’est pas ici nécessaire : la voie du renard est si forte que même l’homme la perçoit. En revanche, elle est fugace.
On attaque à la billebaude, après que le renard ait été préalablement repéré par un valet de chiens, en bordure ou en boqueteaux, avec toute la meute (12 ou 18 chiens). Lancé à vue à travers champ, l’animal n’arrivera guère à mettre les chiens en défaut en les fourvoyant ni à se forlonger (glossaire de Roosevelt : forlogner). On admet le change ** à vue, et on appuie alors délibérément les chiens, tout au moins au début du laisser-courre (quand les chiens sont découplés). L’animal qui ne peut plus courir cherchera un abri dans une garenne ou un terrier de blaireau, dans le conduit d’un pont rustique ou en haut d’un saule têtard, etc.
Pas de curée chaude sur place. Les chiens foulent l’animal, mais ne touchent pas à sa chair. Le trophée est la queue (cf. David Crockett, le plus célèbre descendant américain de l’Irlandais Monsieur de Croquetagne. Étant âgé d’environ 9 ans ma mère m’avait alors confectionné un habit de David Crockett, mais réflexion faite je me demande bien comment elle avait fait puisqu’on ne disposait que de peaux de lapin à la maison).
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De toute façon ce qui est sûr c’est que ce n’est pas David Crockett qui a introduit la chasse au renard en Amérique, mais un certain colonel Robert Brooke, qui s’était installé avec sa famille dans ce qui est maintenant le Maryland, avec des chiens venus de Grande-Bretagne, vers 1650. Il passe pour avoir eu la première meute de chiens de chasse en Amérique du Nord.
Au début du XVIIIe siècle, la chasse à courre au renard se développa au Maryland, en Virginie, et dans d’autres colonies situées au centre de la côte Atlantique. Les plus anciennes traces de moderne chasse au renard en Amérique, c’est-à-dire de chasse à courre organisée par un groupe de chasseurs de renard, plutôt que par un seul grand propriétaire comme en Angleterre, remontent à la meute formée par Thomas, sixième seigneur de Fairfax, vers 1747 en Virginie du Nord. L’Équipage des Montagnes Bleues d’aujourd’hui chasse encore sur la plus grande partie de son ancien territoire. Le peu que l’on sait sur cette chasse primitive nous vient des lettres écrites par Messire Fairfax et du journal intime de Georges Washington.
Le premier Président des États-Unis fut en effet un ardent chasseur de renard qui possédait sa propre meute de chiens d’ordre.
Le journal intime de Washington est truffé de fréquentes références à la chasse au renard dans les environs de la capitale. Un jour, lors d’une session du Congrès, des chiens coururent dans les environs de la capitale. De nombreux congressistes se précipitèrent dehors pour observer les chiens et certains sautèrent même sur leurs chevaux pour se joindre à la chasse.
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Au fil des ans, la chasse au renard en Amérique a développé ses propres caractéristiques qui diffèrent sensiblement de celle de la chasse au renard en Grande-Bretagne. La différence la plus manifeste est qu’en Amérique on met l’accent sur la chasse en elle-même plutôt que sur la mort du renard. En outre, un grand nombre d’équipages chassent le coyote plutôt que le renard. La population de coyotes a considérablement augmenté partout aux États-Unis et au Canada. Le coyote est plus gros plus fort et plus rapide que le renard. En Grande-Bretagne le but est de tuer le renard. Du fait que la rage n’existe pas dans les îles britanniques, la population de renards y est très importante et le renard y est considéré comme un animal nuisible. Les éleveurs qui ont des moutons veulent que cette population de renards soit régulée. En Amérique, ce n’est pas en principe le cas. La chasse au renard prend fin dès qu’il s’est lui-même mis hors-jeu en rentrant dans un trou creusé dans la terre appelé terrier » justement.
Alors là les chiens sont récompensés par des compliments de la part des chasseurs.
Le renard prend du champ et sera chassé un autre jour.
Quand les chiens ne mettent pas le renard hors de combat en le contraignant à rentrer dans un terrier, la plupart du temps les chiens perdent sa trace et la chasse finit ainsi. Dans de nombreux cas en effet l’odeur du renard ne suffit nullement à faire partir les chiens. Ils ne peuvent pas courir, car ils ne sentent pas. Mais même ces journées qui traînent un peu en longueur sont agréables, car le paysage est toujours magnifique, et les compagnons de chasse profitent de la camaraderie que procure le spectacle des chiens essayant de retrouver le renard. Ce qui ne veut pas dire que les chiens de chasse au renard en Amérique ne tuent jamais leur proie, mais que c’est toujours une exception.
Un vieil adage nous dit « certains montent à cheval pour chasser, d’autres chassent pour pouvoir monter à cheval ». Et au XXIe c’est plus vrai que jamais.
Personne ne reste insensible à ce galop à travers la campagne sur un magnifique cheval qui saute bien les clôtures et le spectacle de la meute de chiens qui se récrient, est toujours à couper le souffle. Mais les chasseurs à courre d’aujourd’hui ont aussi une autre récompense : l’autorisation de chevaucher sur les terres publiques ou privées qui forment les terrains découverts. Aucune corporation n’est plus consciente qu’eux de ce privilège, aucune société n’est plus soucieuse de protéger le gibier ou de préserver l’environnement, que celle les chasseurs de renards.
N.B. L’association des maîtres de chasse au renard est une association à but non lucratif ayant pour but d’améliorer l’élevage des chiens de chasse au renard, de promouvoir la chasse au renard, d’approuver ou d’enregistrer les terrains de chasse sur des cartes officielles, de promouvoir les concours (où les chiens de chasse de divers équipages sont rassemblés afin que l’on puisse juger de leurs aptitudes à la chasse), et enfin de mener des chasses au renard.
On se sert de la voix humaine pour les chiens de chasse et uniquement pour les chiens de chasse. Mais le chasseur a aussi un cor de chasse. Ce dernier signale à la fois aux chiens et aux participants ce qui se passe et où se trouve la meute. Il recourt pour cela aux fanfares de circonstances suivantes.
« Le départ pour la chasse » : un bref coup de trompe annonçant aux chiens et aux cavaliers de l’équipage que la chasse a commencé.
« La vue » : habituellement de brefs coups de trompe intermittents destinés à faire savoir aux chiens et aux cavaliers où se trouve le renard.
« L’appel » : de brefs coups de trompe destiné à faire savoir aux chiens où se trouve le piqueur (n’est pas utilisée par tous les chasseurs).
« Le lancer » : une série de courtes et rapides notes bien détachées (staccatos) quand certains chiens ont commencé d’attaquer (afin d’encourager le reste de la meute à les rejoindre).
« Le débûché » : une série de trémolos rapides utilisée afin d’inciter les chiens à rejoindre ceux qui ont trouvé le renard qui a été débusqué et pour signaler sur quel terrain se déroule désormais la chasse.
« L’hallali » : une longue sonnerie effectuée au-dessus du terrier dans lequel le renard s’est échappé, afin d’exciter les chiens et les récompenser d’avoir traqué le renard jusqu’à ce qu’il soit rentré sous terre…
« La mort » : très semblable à l’hallali, mais joué plus haut et avec plus de trémolos.
« Le rappel des piqueurs » : une note musicale dont se sert le maître d’équipage pour rappeler à lui ses piqueurs.
« Le hourvari » : une longue note aigrelette pour signaler que les chiens ne suivent pas la bonne piste et donc pour annuler la poursuite.
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« Le retour au chenil » : une très longue et très belle sonnerie du cor pour signifier la fin de la journée et pour rappeler les chiens encore dehors.
En conclusion, la chasse au renard « c’est l’union de l’homme et de l’animal dans toute la beauté de l’ordre naturel. Cavaliers et cavalières ont le privilège de suivre et d’assister au drame immémorial du chasseur et de sa proie. Le renard ou le coyote manœuvre, fait des cercles, court et ruse, en essayant d’échapper à la meute. Les chiens le poursuivent à travers les plaines ou dans les bois, à travers les champs ou les criques, dans les marais, par-delà les falaises ou les barrières rocheuses. À chaque instant la voix des chiens qui se récrient ainsi que le vibrant appel du cor résonnent sur le parcours. C’est un crescendo de sons et de scènes qui font frissonner au-delà de tout ce que l’on peut imaginer.
La chasse à courre au renard est le grand opéra de la chasse. Mère nature en est le metteur en scène, les chiens qui donnent de la voix et les chasseurs sonnant du cor en sont l’orchestre, la meute et la proie en sont les acteurs. Chasseurs et chevaux – tout au premier rang – forment le public. Au fur et à mesure qu’ils regardent, l’intrigue se dénoue progressivement sous leurs yeux jusqu’à ce que la proie ait finalement disparu, soit tuée ou se réfugie sous terre. Chacune de ces parties de chasse est unique ; aucun de ces spectacles n’est jamais reproduit à l’identique » (Dennis J. Foster, Directeur exécutif de l’Association des maîtres de chasse au renard).
N.B. En France il n’existe que 44 équipages de chasse au renard. La chasse est très réglementée (consulter les fédérations de chasse locales). On peut le chasser à courre comme aux États-Unis. Mais le renard étant classé « nuisible » on peut le chasser aussi au fusil (nécessite alors un permis de chasse). Le renard peut aussi être déterré. Cette pratique consiste à acculer l’animal dans son « terrier » avec de petits chiens comme les chiens terriers justement.
S’il a été décidé de creuser et de tuer le renard, tous les trous, sauf un, sont bloqués et un chien terrier sera lâché dans l’entrée restée libre. Avant de lâcher le chien terrier sous terre, il est équipé d’un collier de localisation muni d’un émetteur. Il enverra un signal qui sera capté par un récepteur confié à un chasseur afin que celui-ci puisse être localisé. Quand le chien terrier a trouvé le renard, il l’attaque ou le réduit aux abois. Le chasseur creuse alors jusqu’au renard et, après avoir fait sortir le chien terrier, le renard sera tué (un type de chasse appelé déterrage) en principe par un chasseur armé d’un fusil. On peut aussi placer des filets au-dessus des autres trous afin que le renard soit pris dans l’un des filets puis dépêché c’est-à-dire tué. On peut également le faire sortir de son terrier par l’intervention de chiens de terrier avant de le tirer au fusil à sa sortie. Le renard étant classé nuisible, cette pratique est autorisée toute l’année.
En ce qui nous concerne, nous préférons nettement la chasse à courre qui laisse toutes ses chances au gibier et qui est donc plus noble.
* Moi je préfère « écologistes inconséquents ».
** Ruse de l’animal ainsi définie par le glossaire de Dennis J. Foster, de l’Association des maîtres de chasse au renard (AMCCR) : il y a change quand les chiens ont délaissé le renard qu’il chassait pour un autre.
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LA CHASSE AU FAUCON ET L’AUTOURSERIE.
Spécialité arabe par excellence, étant intrinsèquement liée à la chasse et par conséquent, au désir de se nourrir, la fauconnerie doit remonter à la nuit des temps (au paléolithique ?).
Elle semble trouver son origine sur les hauts plateaux d’Asie Centrale, dans des régions où, maintenant encore, se rencontre la plus grande concentration naturelle d’oiseaux de proie aptes à être dressés. Les Kirghizes, nomades et chasseurs, pourraient avoir été jadis les premiers fauconniers.
Les premières traces écrites sur la chasse au vol apparaissent au 7e siècle avant notre ère dans un livre japonais relatant les chasses d’un empereur chinois nommé Wen-Wang ; il a donné naissance à l’art de chasse au vol du Japon : le takagari. Rapidement adopté par la cour qui se l’est même approprié en l’interdisant au commun des mortels, il devient particulièrement populaire parmi les samouraïs au 13e siècle : ils utilisaient les combats de faucons pour régler les problèmes de propriétés foncières.
Les temples bouddhistes, en tant que propriétaires de terrain, s’opposaient à ces pratiques. Par réaction les seigneurs fauconniers trouvèrent une justification théorique à leur art dans la religion Shinto ; et c’est donc sur des principes shintoïstes que plusieurs écoles de fauconnerie furent fondées.
La fauconnerie japonaise est basée sur des méthodes sino-coréennes, et pour se l’approprier, les nobles ont publié leur premier manuel de fauconnerie en 818, leur permettant ainsi d’établir leur autorité en la matière.
Plus à l’ouest, il est dit qu’Ulysse, après Troie, rapporta ce type de chasse en Grèce ; que les Turcs ont appris aux Perses, puis les Perses aux Arabes, cette tradition.
N.B. Le monde antique grec et latin a connaissance de cet art sans le pratiquer, mais l’historien grec Ctésias mentionne l’utilisation de l’aigle au nord de l’Inde.
L’apparition de cette chasse en Europe est sans doute due aux grandes invasions et aux échanges entre populations qui ont suivi.
D’un côté en empruntant la route du nord : Asie, Eurasie, Germanie, Europe occidentale. Une boucle-plaque de ceinturon gallo-romain évoque d’ailleurs la chasse au vol.
D’un autre côté en empruntant la route du sud : Asie, Eurasie, Perse, golfe Persique, Bassin Méditerranéen, Afrique du Nord, péninsule Ibérique, Europe.
Selon les périodes et les régions, elle fut largement pratiquée par tous, ou, au contraire, l’expression jalouse de la noblesse, voire une prérogative royale.
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LE LIVRE DE FAUCONNERIE DE MOAMIN ET GHATRIF.
Si belle que fût la part des chiens dans la chasse, celle des faucons n’était pas médiocre non plus. Cette chasse s’honorait d’une consécration qui en valait bien d’autres. Les traités de chasse les plus autorisés faisaient la part belle aux faucons ; il y en avait d’anciens et de modernes, en vers et en prose, pratiques ou allégorisés. Les traités de cette dernière espèce enseignaient la vertu sous prétexte d’expliquer les mœurs des faucons : c’était un grand compliment.
Le livre de fauconnerie de Moamin est Premier traité médiéval sur l’autourserie et la fauconnerie. Le texte en remonte à un original arabe (il n’y a que la traduction française pour le faire venir d’un original en Hébreu).
Gathrif était le grand fauconnier du dixième calife de la dynastie omeyyade de Damas (724/743) et il aurait en fait adapté un ouvrage vétérinaire écrit initialement en grec. Le grand apport de l’empire arabo musulman a la civilisation universelle aura été en effet de faire circuler les idées ainsi que les inventions d’un bout à l’autre du monde ancien.
La version en latin fut l’œuvre d’un certain Théodore le philosophe ; médecin de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250), d’après cet ouvrage en arabe intitulé alors vraisemblablement kitab al-moutaouakkil. L’ouvrage fut ensuite traduit du latin en langue vernaculaire, dans le globish de l’époque en quelque sorte, par l’Italien Daniel Deloc de Crémone.
Le bien curieux italien de la préface affirme également qu’il aurait été revu et corrigé par le fils de l’empereur Frédéric II en personne à Bologne et avant sa mort (après ce qe je ai, la merci nostre seignor, fini le livre de Monayn fauchonier) ce qui nous donnerait alors une date de composition comprise entre 1249 et 1272, mais il subsiste de nombreuses contradictions dans tout cela.
« Livres de Moamyn fauconnier… translatiez de latin en françois par Daniel de Cremone, servenz et hom lige du noble roi Henri de Sardaigne, et coreit par le roi meeme en la cité de Bologne ».
Transposé en termes modernes cela nous donnerait « Les livres de Mouamin le fauconnier… traduit du latin par Daniel de Crémone, servant et homme lige du noble roi Henri de Sardaigne, et corrigé par le roi même en la cité de Bologne ».
Malgré son erreur sur la langue originelle (hébreu au lieu d’arabe), la version de Daniel de Crémone semble néanmoins assez fidèle au texte arabe que l’on a pu reconstituer tout comme le nom de son auteur d’ailleurs : Hounaïn.
Tel est du moins ce que nous pouvons conclure de la thèse soutenue en 1945 à Stockholm par Hakan Tjerneld.
N.B. Les chapitres sur les chiens de chasse laissent à penser que, comme pour les Mille et une nuits, l’œuvre fut sans doute à l’origine composée par un érudit persan.
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C’est par l’Espagne que la fauconnerie a été introduite comme un art des plus raffinés, dès le VIIIe siècle les Maures y apportent avec eux en effet les connaissances persanes et arabes en matière de fauconnerie.
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On pense généralement que cette passion s’est ancrée en Europe sous Clovis, mais c’est Charlemagne (748-814) un souverain pourtant soucieux de l’émancipation de ses sujets qui a interdit ce type de chasse sur la presque la totalité de son royaume pour la réserver aux plus nobles de ses sujets.
Nous sommes au IXe siècle et dès lors la chasse au vol va devenir avec le temps un privilège de plus en plus convoité. Les seigneurs de toutes les provinces vont s’adonner à cette chasse, certains deviendront de grands fauconniers ou comme les plus riches emploieront des gens fort bien payés pour aller quérir des rapaces dans les pays du nord ou en Écosse. Les hautes terres d’Écosse ont toujours été en effet un terrain de chasse idéal pour les rapaces, Marie Stuart (paix à son âme) saura s’en souvenir.
Ces connaissances seront accrues par les croisades ou les djihads au cours desquels les chevaliers chrétiens découvriront ces autres passionnés de fauconnerie que sont les musulmans de la région.
Les ordres de chevalerie chrétienne fondés à partir du XIIe siècle eurent une approche différente de la pratique de la chasse au vol.
Au sein de l’ordre du Temple, la fauconnerie était interdite.
Par contre c’était la seule méthode de chasse autorisée au sein de l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, alors que les chevaliers teutoniques avaient droit à toutes formes de chasse.
C’est avec le retour de croisade de ces ordres monastiques guerriers que cette science nous reviendra plus précisément et avec des oiseaux d’orient : le faucon sacre de Jérusalem fort employé par les Arabes (le terme sacre vient de l’arabe saqr), les laniers aussi tout comme les pèlerins.
Les Gallois ont la réputation d’être de grands fauconniers et leurs pèlerins sont très recherchés dans toute l’Europe.
Les autours nordiques et germaniques, pour leurs tailles et leur force, font l’objet d’âpres négociations.
Les gerfauts surtout s’ils sont blancs ont beaucoup de valeur et sont réservés aux plus grands de ce monde.
On est allé jusque dans les pays nordiques pour acquérir des oiseaux de fortes tailles.
On les choyait et grande était la responsabilité des maîtres d’équipage, car les oiseaux devaient être en mesure d’aller en chasse sur ordre du seigneur.
Ils font l’objet de joutes et de défis (voir l’épisode de l’épervier qui suit l’épisode de la chasse au blanc cerf dans Erec et Énide de Chrétien de Troyes ou le mabinogi gallois de Gereint ac Enid) ; ils sont source de prestige.
La réputation de tel ou tel équipage fait que l’on est fier de les inviter à une chasse organisée.
Leur savoir-faire au même titre que ceux des chevaliers est preuve de noblesse sinon d’argent au moins de cœur et d’âme si bien qu’en vieux français seront appelés hobereaux du nom de leurs faucons (hobés) les gens de basse noblesse n’ayant pas les moyens d’avoir un équipage de prestige.
Les chasses sont prévues à l’avance et font l’objet de joutes oratoires sur le courage de tel oiseau ou l’exploit de tel équipage ; ils font aussi l’objet de concours de beauté. Toute une économie entoure la fauconnerie, on emploie des piégeurs pour entraîner sur des proies vivantes les oiseaux d’équipage, etc.
Les oiseaux sont pris au nid puis choyés et affaités, les meilleurs font l’objet d’enchères et procurent prestige et argent à leur fauconnier.
Des oiseaux différents sont employés pour chaque spécialité, en outre chaque journée de chasse organisée est un moyen de montrer son rang et le faste qui va avec ; c’est aussi l’occasion de fêtes et de rencontres galantes où l’on se rencontre et où l’on prend contact de nobles familles à nobles familles. Un peu comme dans le cas de l’archerie plus tard à l’ère victorienne (c’est-à-dire dans l’Angleterre du 19e siècle).
Certains seigneurs exigent d’avoir leurs plus beaux oiseaux avec eux au lit comme au banquet. Toute la société médiévale vit au travers de l’art de la chasse au vol.
À chacun son oiseau. Un texte du XIIe siècle nous décrit ce que doit être l’oiseau et son fauconnier.
Le Gerfaut pour le roi.
Le sacre pour le duc.
L Éléonore pour la dame.
Le Crécerelle pour la demoiselle.
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En 1486 le livre de Saint Albans développera cette hiérarchie, non sans quelques erreurs d’ailleurs, commises par son éditeur, Wynkyn de Worde, lorsqu’il a plagié les chroniques d’Angleterre publiées en 1473. Les vautours par exemple ne sont pas des oiseaux utilisés en chasse au vol (est-ce une erreur due à la proximité phonétique avec le français « autour » ??? Nul ne sait vraiment, mais ce qui est certain c’est que les quatre premiers livres du maître imprimeur le furent en français).
Pendant ce temps-là sur le Continent, et en Bourgogne plus précisément, quiconque était accusé de vol d’un faucon devait payer de sa propre chair 6 onces (184 gr pris sur lui et donnés en pâture aux oiseaux). Quelle charia !
Alu fur et à mesure que la tradition grandissait, les privilèges également, si bien que lors de la 2e croisade/djihad (1147) le roi et ses chevaliers avaient des faucons aux poings pour leur départ.
En Europe la technique s’affine peu à peu, grâce en particulier à l’usage du leurre et du chaperon rapportés d’Orient par les djihadistes chrétiens en 1247.
Le haut vol devient peu à peu réservé aux rois et à la noblesse qui le pratiquent comme passe-temps, avec des faucons gerfauts, sacres et laniers comme principaux oiseaux.
Le bas vol lui est pratiqué par des chasseurs plus défavorisés, voire pauvres et permet à certains d’améliorer leur maigre repas quotidien.
Au quinzième siècle, la querelle était des plus vives. Avoir un équipage qui vous suit partout est un privilège que seuls les grands seigneurs peuvent entretenir ; faire cadeau d’un oiseau est un signe soit de respect soit de grande allégeance. Même à l’église, on amène ses oiseaux pour les vêpres et la prière et les ecclésiastiques eux aussi entretenaient des équipages de chasse. Il n’était pas rare qu’un curé ou évêque ait un perchoir derrière l’autel.
Le célèbre poète Guillaume Crétin a résumé la querelle dans son charmant Débat entre deux dames sur les mérites respectifs de la chasse avec des chiens et de la chasse avec des oiseaux. L’intérêt vient de ce que les dames, au lieu de se contenter de généralités, peignent sur le vif des scènes qui leur étaient familières. Quel amusement, dit la « Dame à l’épervier », de voir les fauconniers entrer dans l’eau et battre les joncs pour faire partir le gibier ; on lève les yeux ; la proie et son ennemi se perdent dans le bleu du ciel.
Les faucons tout comme les chiens étaient, aux yeux de l’ancienne noblesse, des animaux privilégiés comme elle, et quasiment sacrés, d’où le jeu de mots avec le mot arabe saqr, nous y reviendrons un peu plus loin.
Nos ancêtres ne s’en séparaient en aucune circonstance. Ils entretenaient de longues conversations avec leurs oiseaux, leur frottaient le dos ou leur caressait le buffet (les plumes de leur poitrine), leur prodiguaient toutes sortes d’attentions, allant parfois jusqu’à les rafraîchir comme ils pouvaient avec de l’eau. Et, afin de les habituer à n’avoir peur de rien dans leur société, ils les portaient aux endroits où se trouvaient le plus de foule et de bruit. Ils les menaient entendre les plaidoiries au palais de justice, voir les attroupements dans les rues, et même assister aux offices solennels dans les églises.
Cette constante familiarité avec l’oiseau de proie s’explique : c’était presque une nécessité. Le faucon fournit un service d’autant meilleur qu’il connaît bien son maître ; l’animal est, par nature, difficile et rebelle ; ce n’est que par un habile mélange de privations, de soins, de prévenances, de caresses, que l’on peut le dompter ; ce n’est qu’en vivant avec lui d’une vie commune, que l’on peut s’en faire un ami. Aussi nos ancêtres ne s’en séparaient en aucune circonstance.
Avec la renaissance et la monarchie absolue, l’art de la chasse au vol devient privilège et seuls les nobles vont entretenir des équipages. Le peuple lui n’a plus accès à ce type de chasse. Raffinements et subtilités permettent des prouesses. Les oiseaux volent de compagnie (en équipe), chacun jouant un rôle distinct !
La belle et si malheureuse reine d’Écosse et d’Angleterre (de France aussi d’ailleurs, pendant un an) Marie Stuart, enfin, raffolait de chasse au faucon, et Shakespeare en a lui-même beaucoup parlé dans ses œuvres.
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En France Charles VII (1403 – 1461) séparera les charges de grand veneur et de grand fauconnier, en 1616 la fauconnerie du roi comptera 300 oiseaux subdivisés en six équipages spécialisés.
SOINS ENTRAÎNEMENT ET ÉQUIPEMENT.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, l’anglais Thomas Malory attribue l’invention de la chasse à courre, mais aussi de la chasse au vol à Tristan de lyonesse ou de Léonois en vieux français (le Tristan de la célèbre Iseult).
« Tristan allait chasser tous les jours, car il était le plus grand des chasseurs devant l’Éternel et le découvreur des meilleures pratiques en matière de chasse à courre ou de chasse au vol. Les nobles chasseurs l’en remercient encore et prient toujours pour le salut de son âme » (Morte d’Arthur chapitre 53 Tristan rencontre messire Palamède).
La réalité est quelque peu différente et renvoie au rôle prépondérant des Arabes dans cet art.
Le Coran est clair, et déclare explicitement halal les animaux capturés à l’aide d’autres animaux spécialement dressés pour cela (chapitre 5, verset 4) : « …… bêtes et oiseaux de proie que vous avez dressés comme les chiens de chasse sont dressés… mangez donc de ce qu’ils attrapent pour vous et mentionnez le nom de Dieu dessus ».
Voici ce que l’on peut déduire des traités arabes de fauconnerie… On ne commence pas par « dresser » un oiseau de proie, comme on dresse un cheval, on commence par l’habituer à l’homme, à la vie avec les hommes et tout ce qui va avec eux. C’est ce que l’on appelle affaiter un oiseau. L’entraînement à la chasse proprement dite ne vient qu’après.
Les fauconniers préfèrent donc capturer de jeunes oiseaux, car ils sont évidemment d’un affaitage plus facile que les adultes. Une fois pris, les oiseaux sont mis dans un bâtiment, sorte de tour appelée encore « mue » ou « fauconnerie ». Dans cette bâtisse construite à l’écart a été aménagée une aire artificielle dans une chambre ouverte de trois côtés, pourvue de bassins d’eau et de perchoirs. C’est là que les jeunes faucons « désairés » (sorti de son nid), « en état de voler », vont et viennent, apprennent le contact avec l’homme.
Avant de débuter le dressage proprement dit, l’oiseau doit être pourvu de jets, fixés aux pattes, qui permettront au fauconnier de mieux tenir l’oiseau sur son poing. Avec « l’affaitage », une relation particulière s’instaure entre le rapace et son maître. Tout en respectant le mode de vie de l’oiseau, le fauconnier lui fait abandonner son agressivité naturelle et renforce son courage afin de l’inciter à chasser des gibiers plus grands qu’il ne le ferait en liberté.
Tous les traités de chasse insistent sur l’affaitage qui requiert de la part du fauconnier amour des oiseaux et attention continue. Car celui-ci va partager nécessairement une grande partie des fatigues auxquelles il soumet l’oiseau, le portant continuellement jour et nuit, sans lui permettre un seul instant de repos. Il s’agit de vaincre la résistance de l’oiseau. La méthode peut paraître « dure » : mais c’est seulement par l’épuisement, en jouant sur la faim et la fatigue, que le fauconnier peut réussir à obtenir un début de soumission.
Pour aider à cet affaitage, le calmer, l’habituer plus rapidement à la présence de l’homme et à lui faire accepter sa compagnie, l’oiseau est « cillé ». Le procédé consiste à faire passer un fil au travers des paupières inférieures et le nouer au-dessus de la tête de l’oiseau, afin de les maintenir levées, privant ainsi le faucon de la vue. Desserré peu à peu, le fil les rouvre progressivement à la pleine lumière : le faucon est alors « décillé ».
Un autre procédé, le chaperon burqa en arabe) est mentionné par Frédéric II dans son traité. Le chaperon est une petite coiffe en cuir souple qui empêche le faucon (ou les autres oiseaux de proie) de voir afin de le calmer durant l’affaitage, pour contrôler l’agressivité de l’oiseau lors des déplacements, pour également le préparer à la chasse. Le chaperon sur la tête, le faucon est plongé dans l’obscurité et demeure tranquille ; cette coiffe une fois enlevée, l’oiseau voit immédiatement la proie et vole mieux. Dès que l’oiseau se laisse couvrir et découvrir la tête du chaperon sans problème, le dressage pour la chasse peut commencer.
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Dans les premiers temps de l’affaitage, le fauconnier doit manipuler l’oiseau avec précaution et douceur, celui-ci s’effarouchant vite. Il peut arriver qu’il soit nécessaire « d’éclisser » le faucon pour le « mettre en confiance » : le fauconnier s’emplit la bouche d’eau fraîche qu’il pulvérise sur les plumes de la poitrine (que l’on appelle « buffet » en fauconnerie) de l’oiseau afin de le calmer lorsqu’il s’agite ou se défend trop.
Dès que le faucon montre des signes de docilité, le fauconnier l’incite à « sauter sur le poing » pour y chercher une « beccade », de petits morceaux de viande. Ce faisant le fauconnier ne fait qu’appliquer avant la lettre, le principe du conditionnement et des réflexes conditionnés décrits par Pavlov, en « stimulant » l’oiseau.
Cette première étape de l’affaitage est achevée quand l’oiseau s’est habitué à son dresseur : prenant son « pât » c’est-à-dire sa nourriture, tranquillement, à la main du fauconnier. Le faucon est alors prêt pour vivre au contact des hommes et des bêtes dans des lieux les plus divers.
Le fauconnier commence par des exercices simulant la chasse proprement dite. L’oiseau apprend à revenir sans hésiter à son rappel, un cri particulier lancé par le fauconnier qui déclenchera le réflexe du retour immédiat du faucon vers son maître.
L’entraînement se poursuit sur des leurres vivants (pigeon, grue…) aux mouvements handicapés (un héron aux pattes préalablement brisées par exemple) * pour que le rapace s’enhardisse à les saisir dans toutes les positions. Le fauconnier choisit généralement le type d’oiseau à chasser plus tard : le faucon est ainsi spécialisé dans le vol d’un gibier déterminé. Il s’agit là d’ailleurs d’un processus identique à celui que l’on trouve en vénerie pour les chiens, qui peuvent être spécialisés dans un type déterminé de gibier.
L’affaitage s’achève en habituant l’oiseau à la compagnie des chevaux et des chiens. Au Moyen-âge en effet, les chiens sont utilisés en fauconnerie pour repérer et lever le gibier, pour aussi porter secours au faucon et l’aider à immobiliser sa proie lorsque celle-ci est importante.
Une fois le faucon « assuré », c’est-à-dire volant librement et revenant sans hésitation au rappel du fauconnier, vient alors le premier vol « pour de bon », moment toujours critique et déterminant.
Les oiseaux de fauconnerie sont poussés à revenir pour la nourriture. Une fois relâchés pour la chasse, ils sont libres de retourner à l’état sauvage, mais la plupart reviennent à leur maître à chaque fois, l’oiseau se rendant bien compte que le fauconnier leur fournit une nourriture de bonne qualité, un habitat sûr, et la sécurité. Ces oiseaux reviennent à leur maître parce qu’ils ont choisi de continuer cette relation.
Les oiseaux ne sont pas laissés en liberté dans la fauconnerie, mais installés sur des perchoirs ou « juchoirs » en bois auxquels ils sont attachés. Il en existe de plusieurs types.
Il peut même s’agir d’un « bloc » de pierre ou de bois, voire un piédestal surmonté d’un plateau rond revêtu de cuir ou de feutre, car les faucons ont besoin pour se reposer d’étendre leurs serres. Il est complété d’un pieu à anneau pour attacher la longe.
Le bloc peut être déplacé à l’extérieur du bâtiment de la fauconnerie, dans la cour pour faire prendre le soleil à l’oiseau.
La longe est la seconde pièce essentielle de l’équipement d’un faucon. Nouée aux anneaux des jets, elle est solidement liée aussi à la perche ou au bloc où l’oiseau est posé.
S’ajoutent également à tout cela les sonnettes, des grelots attachés aux tarses de l’oiseau par une lanière de cuir. Grâce à leur son, le fauconnier peut suivre plus facilement les allées et venues de son oiseau et le localiser lors des parties de chasse.
Le gant ou gantelet protège la main et l’avant-bras gauche du fauconnier qui, de l’autre, tient une aile ou une patte d’oiseau peu charnue où le faucon peut mordiller, le faisant ainsi tenir tranquille lors des transports ou des manipulations.
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L’équipement du fauconnier se complète d’un sac appelé encore « gibecière » ou « fauconnière », pendu à sa ceinture, lui permettant d’emporter les morceaux de viande dont il récompensera l’oiseau. Assez large, elle doit être maniable d’une seule main.
Pour être aisément transporté, le faucon est immobilisé dans un « maillotet » (latin maleolus), une sorte de sac de lin maintenant les ailes et les pieds et ne laissant passer que la tête et l’extrémité de la queue.
Chaque jour le fauconnier sort les oiseaux dans la cour de la fauconnerie pour qu’ils prennent un bain de soleil en attendant leur pât, leur nourriture habituelle. Et rien de tel qu’un bain pour lutter contre les parasites (poux, vers, teignes) et les maladies (notamment la « goutte » ou rhumatisme, qui affecte les pieds ou mains – pattes – de l’oiseau).
Les faucons nécessitent un régime alimentaire adapté pour être maintenu dans une condition de chasse adéquate : des volailles, notamment du poulet, plutôt que de la viande rouge, des œufs, du lait, du fromage le cas échéant. Le régime varie dans l’année et selon les activités. Ainsi le faucon est-il davantage nourri en temps de mue, de même qu’en hiver. En revanche la veille de parties de chasse, il doit être légèrement sous-alimenté : sa ration est réduite, il est mis à la diète.
Une fois par an, les faucons renouvellent leur plumage. Cette « mue » a lieu au printemps et en été. Pendant cette période, l’oiseau ne peut pas voler, il est mis dans une pièce réservée à cet effet : là, le fauconnier veille attentivement sur l’oiseau, sur sa nourriture, sur la repousse des plumes. C’est effectivement un moment délicat : toute plume froissée, cassée ou mal venue aura des incidences fâcheuses sur le vol de l’oiseau. Un plumage parfait est une des conditions essentielles pour une bonne chasse.
Bien dresser un faucon était jadis un art de première importance. On recherchait à l’étranger les faucons ainsi éduqués. Maints livres perpétuaient les méthodes, indiquaient le genre de privations qui devaient assouplir le caractère de l’oiseau, traitaient de ses maladies. L’art différait selon que le faucon avait été pris au nid ou pris adulte. Dans le premier cas, l’éducation était plus facile, mais l’animal capturé tout petit restait d’ordinaire moins entreprenant et audacieux : c’est ce que l’on appelait un faucon « tombé du nid », d’où l’ancien français « niais », anglais « eyass » ; mais ce n’est qu’en français, du moins d’après l’auteur que nous avons consulté pour compiler cette rubrique, que cette épithète a gardé quelque chose de son sens originel. Nous lui laissons l’entière responsabilité du propos.
Dans l’autre cas, l’oiseau donnait d’abord un mal terrible à ses maîtres et semblait « désespéré », tant la privation de liberté lui était dure ; on appelait ce dernier d’un mot qui est également passé dans le langage soutenu : hagard.
Mais ce n’est que dans le lexique anglais de la fauconnerie que le terme a gardé son sens originel (sauvage, non apprivoisé). On armait le faucon de bracelets de cuir passés autour de ses pattes.
Ces bracelets portaient des grelots qui permettaient de suivre son travail quand il disparaissait dans les fourrés, ainsi qu’un anneau où pouvait s’attacher la longe retenant l’animal sur sa perche, voire sur le poing du chasseur. Le fauconnier portait l’oiseau sur son poing gauche et s’enveloppait la main d’un gant de cuir de grande épaisseur afin de protéger ses doigts de la puissante étreinte des serres. Sa main droite tenait le leurre, formé de deux ailes de pigeon, que le chasseur agitait pour faire revenir l’oiseau ; et afin de lui en donner l’habitude et l’envie, on le dressait à prendre sa nourriture entre ces deux ailes. Un chaperon souvent fort élégant, surmonté d’une huppe de plumes colorées ou d’un flot de rubans, couvrait la tête du faucon : il était enlevé au moment où il devait voler.
Tels étaient les principaux usages pour les oiseaux de haute volée (faucons proprement dits en leurs diverses variétés : faucon pèlerin, faucon gerfaut, faucon sacre, etc.). On avait moins de difficulté avec les oiseaux de basse volée (autours, émerillons, éperviers), moins difficiles de caractère, qui étaient employés plus spécialement aux chasses utiles, c’est-à-dire à la capture de proies comestibles.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, dans la plupart des civilisations anciennes, la pratique de la fauconnerie révélait un certain statut et certaines espèces d’oiseaux portés au poing, comme les faucons étaient le symbole d’une position sociale élevée. Dans l’ancienne Égypte, par exemple, le faucon était l’incarnation du dieu Horus, l’ancêtre de tous les pharaons. On se souvient aussi de Cléopâtre et ses deux faucons. Ibn Khaldoun mentionne d’ailleurs des faucons dans ses prolégomènes (Mouqaddimah) et en rapporte également l’existence chez les califes abbassides.
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Les rapaces les plus couramment utilisés demeurent le faucon sacré et le faucon pèlerin. Ceux-ci étaient jadis attrapés le long de la côte pendant la migration d’automne, puis dressés à la chasse avant d’être libérés au printemps. Mais souvent aussi, lorsque l’oiseau était de qualité exceptionnelle, le fauconnier le gardait avec lui.
Une fois que le fauconnier avait réussi à prendre un de ces oiseaux très recherchés, il disposait alors de deux ou trois semaines seulement pour le préparer à la chasse aux outardes houbara qui arrivaient en migration.
Le fauconnier procédait en cultivant un véritable sentiment de confiance chez le rapace, ce qui demandait beaucoup de savoir-faire et donc explique que ces personnages étaient très respectés dans le monde entier. Il fallait que le dressage soit terminé dès l’arrivée des premières outardes et la chasse durait tout l’hiver.
Bien que les outardes fussent la proie préférée des Bédouins, les Arabes se servaient également des faucons pour attraper des courlis de terre ainsi que des lièvres.
Passion des Émirs et des princes d’antan, l’art de la fauconnerie, ou la chasse au vol a disparu d’Algérie et a peine à résister en Tunisie, mais c’est une pratique qui connaît un renouveau exceptionnel dans tout le golfe arabo-persique ; les randonnées de chasse des rois, princes et émirs de la région sont impressionnantes ; elles impliquent le déplacement dans des zones désertiques de plusieurs centaines de personnes munies de tout l’équipement moderne : véhicules et caravanes climatisées, mais la technique de chasse est toujours la même, depuis 3000 ans. Deux cliniques vétérinaires spécialisées, le centre hospitalier de recherche sur les faucons d’Abou Dhabi et le centre hospitalier pour faucons de Dubai, ont même été construites pour soigner ces oiseaux de proie.
Avoir de la voix se révèle souvent nécessaire pour se faire entendre des oiseaux. Entraîné au loin, l’oiseau peut être perdu de vue et il s’agit alors de le retrouver. Par ailleurs, il n’est pas rare que le faucon « prenne le change » c’est-à-dire qu’il soit distrait de son gibier par la poursuite d’une autre proie plus facile. Le même phénomène se retrouve dans la chasse à courre. Il faut donc réagir très vite. La chasse au vol tournant souvent à la chasse en rivière, savoir nager est obligatoire pour rechercher les faucons égarés.
Être fauconnier exige des qualités physiques et morales variées. Certaines sont communes à tout chasseur : posséder une bonne santé, être adroit, avoir des sens bien exercés (la vue perçante, et l’ouïe très fine par exemple). D’autres sont particulières au fauconnier : la sobriété d’un chameau, la patience, sentir bon (hygiène) et bonne mémoire. Être de taille moyenne, et habillé de façon neutre.
Pour finir ci-dessous un magnifique petit poème traduit de l’arabe et consacré à la fauconnerie.
Quand tu sauras choisir ton oiseau de haut vol, lui prodiguer les soins réservés aux seuls princes et faire de lui un athlète puissant, fier et redoutable.
Quand tu auras par ton calme, ton adresse et mille petits gestes, gagné sa confiance.
Quand grâce à la souplesse de ton bras, ton compagnon considérera ton gant comme un aimable reposoir et que tu sauras courir ou sauter sans faire tinter les sonnettes.
Quand tu feras, se placer l’oiseau convenablement sur le poing, d’un geste habile du poignet, sans t’aider de ta main.
Quand jamais rien ne manquera dans la volière.
Quand pour la première fois, tu le contempleras, ému et libre, s’élever dans le ciel et se griser de vitesse…, etc., etc.
* Aux États-Unis, la fauconnerie est légale dans tous les états excepté Hawaï et à Washington (District de Columbia. Un fauconnier doit avoir les permis nécessaires pour pratiquer ce sport.
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DU CARACTÈRE PROFONDÉMENT ÉCOLOGISTE DE CES CHASSES.
La nature n’est pas moins cruelle qui voit quotidiennement les loups égorger Bambi et les requins dévorer les baigneurs. Et bien évidemment dans ce cas c’est toujours la plus faible la plus malade ou la plus vieille des proies qui succombe. La nature est mal faite, Dieu n’aurait pas dû créer les carnivores. Il aurait été mieux inspiré en ne créant que des herbivores. Les carnivores et les prédateurs comme les chats et les chiens ne devraient pas avoir le droit de vivre, car les prédateurs se moquent des lois et des bobos (petits bourgeois urbains), ils jouent leur rôle un point c’est tout et la terre continue de tourner.
La vénerie, ou chasse à courre est, avec la fauconnerie et l’autourserie, le mode de chasse le plus naturel, le plus écologique et le plus authentique, qui puisse exister, car il est basé sur la relation proie/prédateur entre l’animal et le chien ou le rapace. L’homme n’intervient qu’en qualité de superviseur ou d’arbitre.
Les chiens courants chassent en suivant l’odeur que laisse l’animal lors de sa fuite ou d’autres traces. Ce que l’on appelle en termes de vénerie une voie. Tous les chiens procèdent ainsi, d’instinct, comme le font les loups et les renards.
Autour de ce schéma, les hommes ont construit des règles, afin que la chasse soit en conformité avec le respect des animaux et de l’environnement naturel. Le plaisir de chasser n’est pas le plaisir de tuer, mais l’équilibre écologique passe inévitablement par la régulation de la faune sauvage, car la surpopulation animale n’est jamais une bonne chose.
Les chasseurs de l’Antiquité se comportaient d’ailleurs plus en sportifs qu’en mercantis *trafiquants de viande ou en bouchers, si l’on en croit le Grec Arrien.
« Un chasseur à courre qui a des lévriers ne doit ni les lâchers trop près du lièvre, ni en lâcher plus d’une paire à la fois. Car même s’il est très rapide et qu’il a déjà réussi à leur échapper souvent, chaque fois que le lièvre détale de son gîte, salué par des clameurs et des aboiements, et avec les chiens sur les talons ; il est inévitablement pris de panique et a le cœur battant à tout rompre. De bons lièvres ont souvent ainsi péri sans gloire, sans avoir eu le temps de faire ou de montrer quoi que ce soit méritant que l’on s’en souvienne…
Les vrais chasseurs ne sortent pas leurs chiens en rase campagne pour attraper des animaux, mais pour y courir ou s’y entraîner, ils ne sont pas mécontents si le lièvre arrive à trouver quelque chose lui permettant de leur échapper.
Si le lièvre se réfugie, par exemple dans des chardons, terrorisé, mort de fatigue, et que les chasseurs s’en aperçoivent, alors souvent ils rappellent leurs chiens, notamment si le lièvre s’est bien battu, en courant de toutes ses forces.
En arrivant après sur les lieux à cheval en compagnie des autres chasseurs, et alors que le lièvre avait donc été ainsi cerné de toute part, j’ai souvent pu l’attraper moi-même vivant. Mais après m’en être ainsi emparé puis avoir fait attacher les chiens, je le laissais fuir en lieu sûr. Je m’en voulais même si j’arrivais trop tard pour lui sauver la vie et si les chiens avaient déjà mis en charpie un si valeureux adversaire (Arrien, Cynégétique 15-16).
Et le grand maître du gibier qu’était Gaston Phébus mettait même déjà en garde contre la disparition de certaines espèces animales au 14e siècle puisqu’il nous écrit dans son célèbre livre de la chasse « car je ne devrais enseigner à prendre les bêtes qu’avec noblesse et pour la beauté du geste – vieux français biaux déduits-, afin qu’il y ait plus de bêtes et qu’on ne les tue pas lâchement, mais qu’on en trouve toujours à chasser ».
« Les chasses qui utilisent des techniques aussi viles ne conviennent qu’aux « vilains » * justement (61 : 11, 63 : 9), c’est-à-dire à des hommes qui sont eux-mêmes presque des bêtes.
En fin de compte, le noble gentilhomme chasseur ne recourt jamais à des engins ou stratagèmes élaborés, mais, comme un preux chevalier, affronte ses ennemis ouvertement et honnêtement. Il
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chasse tout animal capable de courir vite et loin « en force » : c’est-à-dire à cheval, accompagné d’une meute de chiens conduits par des aides-chasseurs à pied.
Il porte une épée et un poignard et peut utiliser un épieu, mais il dédaigne généralement les armes qui lui permettent d’éviter tout danger physique, du moins jusqu’à la confrontation finale avec la proie, moment où de telles armes peuvent s’avérer nécessaires. La caractéristique principale du vrai chasseur est la maistrise, la maîtrise "(La Chasse à courre comme salut, Jacquelin Stuhmiller, Université du Wisconsin – Milwaukee).
*Vieux français paysans.
Voici ce que disait un autre célèbre chasseur (Jean-Paul Harroy), il y a plusieurs dizaines d’années déjà. Mais ces propos gardent toute leur valeur et montrent que la prise de conscience du nécessaire besoin de protection de la nature a depuis longtemps touché, au sein même du monde de la chasse, nombre de ses adeptes, fervents, mais responsables. Ils démontrent ainsi que pour aimer, défendre et protéger la nature, il faut tout d’abord communier avec elle, la vivre, et la pratiquer, avant de pouvoir enfin en parler.
« Il est bon que le chasseur digne de ce nom sache que ceux qui s’intitulent les protecteurs de la nature constituent pour lui des alliés bien plus que des adversaires. Ce sont, en effet, les appauvrissements causés par la récente extension des occupations humaines, qui rendent un peu partout la recherche du gibier plus malaisée qu’il y a seulement un siècle.
Or, précisément, ces appauvrissements sont dénoncés, voire combattus par les protecteurs de la nature. Ce faisant, ils agissent donc en amis du chasseur.
Pour subvenir à ses besoins, l’homme a toujours prélevé dans la nature les matières premières, bases de son économie. Ces prélèvements s’exercent aux dépens de substances irremplaçables, comme les minéraux, ou de substances qui ne se renouvellent que lorsque certaines conditions d’exploitation sont respectées : produits végétaux, dépouilles d’animaux. L’avenir de l’Humanité, en vertigineuse augmentation numérique, repose donc sur la gestion plus ou moins sage du capital biologique que la nature laisse à sa disposition : sols – avec leur réseau hydrographique – couvert végétal, faune..
Depuis que l’Homme a domestiqué plantes et bêtes, les végétaux et les animaux sauvages ne cessent de reculer, pour faire place aux espèces, plus riches en produits utiles ; qui font l’objet de culture et d’élevage.
Le comportement de l’Homme moderne à l’égard de la faune sauvage est désormais conditionné par quatre considérations principales, que l’on peut sommairement définir comme suit.
1. L’Homme écarte par tous moyens, de ses cultures et de ses pâturages, les animaux sauvages qui s’y présentent comme destructeurs des espèces cultivées ou élevées.
2. II mène des campagnes d’extermination contre les espèces animales qu’il juge « nuisible » à ses intérêts. Ses fatouas, souvent fondées sur des impressions plus que sur des constatations scientifiquement contrôlées, visent des mammifères, des oiseaux, des reptiles, et beaucoup d’insectes.
3. Il s’empare, parfois sans se préoccuper beaucoup d’assurer la pérennité de son entreprise, des animaux sauvages dont les dépouilles offrent une valeur marchande * appréciable : viande, graisse, peau, fourrure, plumes, ivoire *, etc.
4. Il se distrait en donnant la chasse à des espèces dont l’abattage offre certaines difficultés, ce qui constitue le charme du sport cynégétique.
Les protecteurs de la nature se préoccupent de ces quatre formes d’attaque que l’Homme moderne, avec bien plus d’intensité que jadis, et au moyen d’armes beaucoup plus puissantes, dirige contre les animaux sauvages qui subsistent encore. Il n’y a guère de salut à espérer pour les bêtes sauvages dans l’habitat desquelles le cultivateur ou le pasteur est venu s’installer. Il y a deux cents ans, l’Afrique était le domaine incontesté des animaux sauvages, domaine seulement parsemé, de-ci de-là, de quelques minimes occupations humaines, dont les habitants ne s’écartaient qu’armés ou l’œil aux aguets. Aujourd’hui, les rôles sont inversés. L’Afrique est le domaine de l’Homme, et la faune n’est plus en sécurité véritablement que dans des réserves naturelles, ainsi que dans quelques secteurs écartés, chaque année plus restreints et plus rares.
Ce qui, au début du XXe siècle, était un immense paradis des chasseurs perd sans cesse cette qualité, devant l’avance ininterrompue des cultures et des élevages. Car il est hors de question de demander aux autorités, encore moins aux agriculteurs, de faire grâce aux animaux prédateurs surpris en train de dévaster une récolte ou de porter préjudice à un troupeau domestique.
La position des espèces aujourd’hui réputées nuisibles, est moins désespérée. Les faits se sont déjà souvent chargés de démontrer que tel oiseau « rapace », tel mammifère carnivore, tel reptile, dont la tête était mise à prix, constituait en fin de compte un précieux auxiliaire de l’agriculture, dont il était
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déraisonnable d’interrompre les services. On peut espérer que les progrès de l’écologie établiront que rares, très rares, sont les espèces qui n’ont pas à jouer, indirectement au moins, dans le grand équilibre de la nature, un rôle utile à l’homme. Et qu’il est dès lors imprudent d’entreprendre l’élimination systématique de l’une d’entre elles. De même, le développement des recherches scientifiques incite à user avec plus de mesure qu’hier, de cette arme de destruction massive puissante, aveugle, et encore mal connue, que constituent les grands insecticides modernes. Stimulée par la rareté des albuminoïdes, les hauts prix de la viande, le perfectionnement des armements, la chasse commerciale * porte, pour une large part, la responsabilité de la diminution constante des réserves de gibier du monde.
Dans les pays à forte densité de population, le phénomène a aujourd’hui pris fin. En Europe, il a été entravé par l’appropriation rapide des domaines de chasse, dont la réduction, qui n’a cessé de s’accentuer, a été la conséquence du développement de l’agriculture. En Amérique du Nord, il a connu son apogée au début du XIXe siècle, avec les hécatombes de bisons. En Afrique, il est malheureusement déjà entré dans sa dernière phase, les marchands de viande, encouragés par l’indifférence des autorités en cette matière, finissant actuellement de vider de leur gros gibier les derniers territoires jusqu’ici épargnés par l’agriculture.
Seule une réglementation sévèrement appliquée – réclamée avec véhémence par les protecteurs de la nature – pourrait mettre fin à un abus d’exploitation injustement toléré, au profit de quelques-uns et au détriment de l’intérêt général. Le chasseur qui lit ces lignes ne s’est assurément pas encore retrouvé dans les rubriques précédentes. Il aura les honneurs de ce dernier paragraphe ; mais, auparavant, il lui sera rappelé encore que les conditions dans lesquelles il pratique son sport sont notoirement compromises par les phénomènes qui viennent d’être décrits, et que s’efforcent de combattre les protecteurs de la nature. Dans beaucoup de régions du monde, en Europe et en Amérique du Nord notamment, le gibier ne survit plus aujourd’hui que dans la mesure où les chasseurs ont voulu, ont pu, et ont su, agir pour qu’il subsiste. Par endroits, ce gibier sauvage est même pratiquement l’objet d’un élevage. De puissantes sociétés de chasse veillent à sa protection. Le comportement du chasseur sportif envers son gibier n’est plus, dès lors, conditionné par l’hostilité, comme lorsque l’on traque un prédateur, ou par la convoitise, comme à l’égard d’une proie que l’on souhaite consommer ou vendre. Un code d’honneur a spontanément pris naissance, qui consacre l’estime, sinon la sympathie, que le chasseur professe envers l’animal qu’il poursuit. Le sport bien compris se double d’une science, voire d’un art. La connaissance approfondie des mœurs du gibier y est requise. Et, progressivement, la seule recherche du beau trophée se substitue au plaisir du vaste tableau de chasse, avec, comme aboutissement, dans certaines chasses difficiles, le remplacement du fusil par une caméra ultra moderne. Arrivés à l’âge mûr, beaucoup de grands chasseurs, surtout sous les tropiques, connaissent cette évolution. Sans rien perdre de leur ferveur cynégétique, ils sont, souvent inconsciemment, venus se ranger aux côtés des protecteurs désintéressés de la nature.
* Le trafic de l’ivoire notamment est une vraie catastrophe vu le braconnage qu’il entraîne. Le mercantilisme qui caractérise nos modernes sociétés bourgeoises où tout est prétexte à faire du fric (si l’inventeur du feu de l’eau tiède ou de la roue avait eu l’idée de déposer une demande un brevet, on en serait encore à payer des droits d’auteur à ses descendants) sera étudié dans notre essai sur l’éthique. Mais comment a pu faire Homère pour composer l’Iliade et l’Odyssée sans droit d’auteur ? Comment diable Dieu a-t-il fait pour écrire la Bible et le Coran sans droits d’auteur ??? Dans nos modernes sociétés tout se vend même la vie ou l’honneur, et les intellectuels ainsi que les journalistes sans oublier la plupart des politiciens… nous expliquent
a) qu’il en a toujours été ainsi dans l’histoire de l’humanité depuis des millions d’années, que terres bois rivières et montagnes ont toujours été des propriétés privées sur terre
b) que c’est ce qui explique les progrès moraux fulgurants de l’humanité
c) qu’il n’a jamais été possible de vivre autrement
d) qu’il faut donc être fou pour ne point adorer l’argent
e) que Dieu est pour l’argent
f) que seuls le diable Cuba et l’hitléro-trotskisme sont contre fric à tout prix
g) et ainsi de suite…
Le mercanti est la pire espèce d’hommes qui puisse exister. Gagner honnêtement sa vie, y compris en travaillant dur, parfait ! Mais faire du fric à tout prix avec tout et n’importe quoi, faire du fric pour le fric, ne doit ni être encensé par les médias ni défendu ni même excusé ! Une éthique responsable doit
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déterminer les limites que toute légitime aspiration à vivre de façon décente en gagnant bien sa vie ne doit pas dépasser.
LA CHASSE À L’ARC MODERNE.
Les animaux pouvaient être chassés de deux façons au Moyen-âge : avec des chevaux et des chiens (ce que nos amis anglais appellent encore en force voire par force de chiens) ou avec un arc et des flèches. Il faut beaucoup de temps pour chasser à l’arc. C’est une arme qui demande un entraînement constant, parce qu’elle exige un effort physique supplémentaire. Essentiellement solitaire à la différence de la chasse « en force » ou « par force », c’est une chasse d’affût ou d’approche. Elle demande beaucoup de patience, de persévérance et d’autodiscipline.
L’invention des armes à feu a rendu obsolète la chasse à l’arc. Si l’on veut manger (ou tout simplement ramener du gibier), il vaut mieux partir à la chasse avec un fusil qu’avec un arc.
On peut sans doute faire remonter les origines de la chasse à l’arc moderne à deux événements bien distincts.
Le premier est la fin de la guerre de Sécession qui, répétons-le, n’a pas été déclenchée pour mettre fin à l’esclavage, mais pour mettre fin à la sécession des États du Sud n’ayant pas voulu reconnaître Abraham Lincoln comme président, dès 1860 pour ce qui concerne la Caroline du Sud, avec premiers bombardements en avril 1861 à Charleston sur ordre de Jefferson Davis (anti président depuis le 9 février 1861).
Les sudistes vaincus n’ayant plus le droit de posséder des armes à feu ils réutilisèrent donc l’arc pour chasser.
Le deuxième événement à l’origine du renouveau de la chasse à l’arc est la reddition aux autorités d’Ishi, le dernier survivant des Indiens Yahi de Californie qui avaient été exterminés par l’Homme Blanc. En 1911, lshi se rendit et fut confié à l’anthropologue Alfred Kroeber ; il vécut à l’université de Californie, où il s’était fait quelques amis sincères, à qui il transmit un peu de son savoir. Parmi eux, citons Art Young et Saxton Pope, qui furent les premiers Américains du XXe siècle adeptes de la chasse à l’arc.
N’oublions pas non plus Fred Bear, né le 5 mars 1902 dans une ferme en Pennsylvanie. En 1929, Fred Bear alla chasser à l’arc pour la première fois, mais il mit six ans pour tuer ses premiers cerfs.
S’inspirant des anciens arcs mongols à double courbure, et des arcs indiens également à double courbure, renforcés de tendons pour accroître leur rendement, Fred Bear a « inventé » l’arc à double courbure renforcé de fibre de verre. Tout ce qui appartient à la panoplie de l’archer moderne est dû au génie de cet homme. Il a inventé l’arc démontable et la pointe de flèche amovible, dont la première pointe de chasse, affûtée comme un rasoir.
Dès lors, la chasse à l’arc a connu un engouement croissant (voir le cas de la très ambigüe héroïne de la série de films Hunger Games, car il est bien évident que Peeta – comme le pain – est le seul à aimer vraiment) et elle compte actuellement des millions de pratiquants dans le monde.
Loin de toute polémique, la chasse à l’arc est certainement la plus difficile des pratiques cynégétiques…
Difficile par les contraintes qu’elle impose en matière d’entraînement mental et physique, de tir d’approche. C’est un engagement physique et moral total dicté par une éthique irréprochable dont feraient bien de s’inspirer ses nombreux détracteurs, qui, en France, par mauvaise foi ou ignorance, considèrent l’arc comme un procédé de braconnier.
Certains chasseurs affirment, et c’est exact, qu’il faut au moins 3 ans d’entraînement journalier au tir, de tentatives d’approche et d’exploration de son territoire, pour commencer à chasser. Au bout de ces années d’expérience, le chasseur connaît l’animal qu’il va prélever. Une complicité, dans la plus pure
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tradition indienne, s’est établie entre le gibier et le chasseur (le vrai druidisme d’aujourd’hui c’est ça aussi : connaître la nature).
Les conditions pour un tir idéal sont rarement réunies et, de ce fait, les échecs sont beaucoup plus nombreux que les réussites. Approcher un brocard à 15 mètres n’est pas une chose facile et il faut souvent réitérer l’expérience. D’où l’acquisition permanente de connaissances des animaux et du milieu naturel dans lequel ils évoluent.
Quels gibiers peut-on chasser à l’arc ?
Tout ! Du plus petit au plus gros : les souris, les rats, les serpents, les oiseaux, les renards, les sangliers, les cervidés…
La règle est simple : plus l’animal est gros, plus l’arc doit être puissant. Mais la distance de tir doit être la plus faible possible.
10-20 mètres semblent être le meilleur choix. Au-delà, il est difficile d’être certain de toucher sa cible. Évidemment, plus l’animal est gros, plus on pense pouvoir le tirer de loin. Mais n’oublions pas que la flèche doit impérativement percer les poumons (ou le cœur) pour tuer l’animal rapidement, et sans le faire souffrir. Cela restreint donc d’autant la zone à atteindre. 20 mètres, pour un lapin, c’est déjà trop !
La flèche doit pouvoir pénétrer la peau, éventuellement briser une côte, puis traverser poumons et cœur. C’est le minimum pour tuer une bête sans la faire souffrir.
La chasse à l’arc datant de l’époque du magdalénien, est paradoxalement un des systèmes les plus modernes de chasse, qui s’imposera dans ce que doit être la chasse du futur (Hunger games). De nos jours, la chasse a deux buts : c’est un loisir de plein air, et elle doit contribuer à réguler la faune de façon sélective. Elle doit donc fournir un maximum de jours de sortie avec une pression moindre sur la faune. La chasse à l’arc correspond exactement à cette définition de la chasse de demain.
On a le choix entre trois grands types d’arcs : le grand arc droit traditionnel, modernisé dans la mesure où il n’est plus en if, mais en bois renforcé de fibre de verre ; l’arc à double courbure ; l’arc à poulie.
L’arc à poulie a été inventé dans les années 1960 par Holless Wilbur Allen. Les arcs à poulie sont en aluminium ou en matériaux composites. Au bout de chaque branche se trouve une poulie où passent des câbles. L’avantage consiste dans le fait que, environ à la moitié de l’armement, la force nécessaire diminue de 40 % à 60 %, voire plus, ce qui permet à l’archer de tenir longtemps à plein armement sans fatigue, tandis qu’un arc traditionnel, une fois mis sous tension, doit être lâché rapidement, sinon le bras de l’archer fatigue, tremble et la précision du tir diminue. La corde accélère la flèche après le lâcher ce qui lui donne plus de force. La vitesse au lâcher peut atteindre 90 m/s. Le vol a très peu de paraboles, ce qui accroît la précision du tir.
De nombreux archers estiment que ce modèle ne peut pas transmettre les sensations physiques ressenties avec un arc recourbé ou un grand arc droit, primordiales en matière de chasse au moment où seul l’instinct du chasseur indique l’instant précis du tir.
Pour couper court à toute polémique stérile, notons que tous ces arcs sont efficaces, lorsqu’il s’agit d’un matériel fiable et d’excellente qualité, et que seule la préférence du chasseur dicte son choix. L’archer porte une attention particulière à la flèche destinée à tuer. Celle-ci doit être adaptée à la puissance de l’arme, de façon à redresser le vol de la flèche le plus tôt possible. Les Japonais affirment que, pour bien décocher, on ne doit pas avoir conscience d’ouvrir la main, mais sentir la corde traverser les doigts. Ils n’ont pas tort !
L’arc à poulie est le type d’arc qui réunit le plus de qualités pour pouvoir être utilisé à la chasse du grand gibier. À vingt mètres, distance limite pour le tir de chasse, les versions récentes et performantes d’arcs à poulie envoient une flèche de quarante grammes à une vitesse avoisinant les 350 kilomètres à l’heure. Si on sait que pareil projectile est muni d’une pointe dont les lames en acier coupent comme des lames de rasoir, n’importe quel animal recevant une telle flèche dans la cage thoracique succombe très rapidement à l’hémorragie interne due au travail de coupe des lames dans le réseau de vaisseaux sanguins.
L’arbalète a été interdite par le deuxième concile du Latran tenu en 1139. Sans aller jusque là, on peut quand même se demander si l’utilisation de l’arc à poulie ne devrait pas être réservée au cas où la chasse est devenue nécessaire, soit pour réguler la population de tel ou tel grand gibier, soit en cas de manque ou simplement de raréfaction, de la nourriture. Il est quand même plus sportif et même
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plus risqué (mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire), d’affronter un sanglier uniquement armé d’un épieu, ou d’un arc traditionnel.
LE RODÉO.
Les conquistadors espagnols et les vaqueros (bouviers) ont joué un rôle essentiel dans le développement des rodéos. Les chevaux sont au Mexique en 1519 avec Fernand Cortes et le bétail suivit de près, en 1521, importé par le vice-roi de la Nouvelle Espagne Grégoire de Villalobos, via Saint-Domingue.
Au XVIe siècle, ces vaqueros, ou bouviers mexicains, utilisaient déjà la reata (lasso), mettaient des chaperajos (protections des jambes en cuir faites d’immenses jambières à ceinture), portaient des sombreros et, sur leur fougueuse monture originaire d’Afrique du Nord, gardaient donc les robustes bovins à longues cornes espagnols venus quelques années plus tôt de Saint-Domingue sous forme de veaux.
Le mot rodéo provient par conséquent vraisemblablement de l’espagnol rodear qui signifie encercler, tourner autour consistait à l’origine à rassembler le bétail afin de le marquer (ferrade mise en œuvre par les gardians en Provence), de le soigner ou de le vendre. Cet événement saisonnier était bien évidemment l’occasion de se lancer divers défis de rouler les muscles et de parader.
Certaines régions, notamment dans l’extrême sud du Texas, avaient un environnement propice à la prolifération des bovins et des chevaux en liberté. Vers les années 1600 et 1700, des colonies et des haciendas hispano-mexicaines virent le jour dans des régions telles que le Bas Rio Grande. Au fur et à mesure que les missions montaient vers le nord pour y introduire du bétail et des chevaux, l’homme qui s’occupait du bétail ou vaquero en espagnol, devint le cavalier qui contribua le plus à l’élaboration des techniques et de la terminologie utilisées par les cow-boys américains d’aujourd’hui en ce qui concerne le matériel et les rodéos. L’équitation, la capture au lasso et le ferrage, ainsi que les lassos eux-mêmes, les selles, les éperons, les jambières et même le mot rodéo lui-même, font partie de ces contributions.
Les journaux de voyage d’un officier irlandais, le capitaine Mayne Reid, daté de 1847, constituent probablement les premiers documents décrivant la prise au lasso et le lâchage du bétail dans les rues de Santa Fe (Nouveau-Mexique) par les vaqueros.
Le XIXe siècle sera donc une période charnière pour le rodéo, l’ère du cow-boy américain commence. Au début des années 1820, les premiers colons anglo-américains s’installèrent au Texas et il y eut mélange des cultures anglo-saxonne et hispano-mexicaine. Les connaissances hispano-mexicaines sur l’équitation, les captures au lasso, l’élevage et le marquage au fer rouge du bétail, existant toujours dans la région, des concours eurent lieu qui culminèrent avec l’industrie du bétail.
L’affrontement des taureaux faisait partie d’une tradition ancestrale dans tout l’Ancien Monde méditerranéen, y compris l’Espagne. Les anciens Minoens de Crète s’adonnaient aux jeux tauromachiques, aux bonds sur les taureaux à la chevauchée des taureaux ainsi qu’à la lutte à mains nues contre eux, qui a peut-être été l’un des événements sportifs olympiques de la Grèce antique.
Ces concours se répandirent dans la Nouvelle-Espagne et prirent place sur les champs de foire, les hippodromes, les théâtres de fêtes ou de festivités diverses au XIXe siècle. Néanmoins, contrairement aux épreuves de capture au lasso, d’équitation et de course, ce type de concours n’a jamais attiré les foules parmi les cow-boys ou dans le public anglo-saxon. Cela reste toutefois les concours de prédilection de la charreria, le style de rodéo né dans l’état mexicain de Jalisco après la disparition des haciendas.
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La chevauchée des taureaux des rodéos américains vient néanmoins de ces concours équestres mexicains appelés charrerias où les vaqueros terrassaient les bouvillons en galopant derrière pour attraper leur queue ou leurs cornes et les faire tomber.
BREF RAPPEL SUR HISTOIRE DU TEXAS.
En 1821-1822, Moses Austin puis son fils Stephen Fuller Austin, des Américains devenus citoyens espagnols puis par conséquent mexicains, en tant qu’empresarios légaux officiellement reconnus par l’Espagne puis par le Mexique devenu indépendant, firent venir 300 familles anglo-saxonnes dans la région quasi désertique située le long du fleuve Brazos au Texas. La petite colonie avait pour chef-lieu San Felipe (futur comté d’Austin, à l’ouest de Houston). Premier alcade (maire en espagnol) James (Jack) Cummins, lorsque Stephen Austin mit en place une justice et une milice, ancêtre des fameux Texas Rangers. Au total 23 autres empresarios (non reconnus par le Mexique cette fois-ci) vinrent ajouter à l’accroissement démographique de la région, à sa mise en valeur et à sa défense contre les lndiens. Beaucoup de ces immigrants anglo-saxons possédaient des esclaves. Le gouvernement mexicain se rendit compte que les Anglo-américains refusaient de s’assimiler, cherchaient à vivre séparément et ne respectaient pas les lois relatives à l’esclavage, officiellement aboli au Mexique depuis 1829. Le président mexicain Anastasio Bustamante menaça les colons d’une intervention militaire, prit des mesures pour décourager la colonisation anglo-saxonne et finit par interdire les nouvelles installations d’Américains au Texas. Afin d’empêcher l’immigration américaine, des forts furent construits le long de la frontière avec les États-Unis. Mais ces mesures n’empêchèrent pas l’afflux d’Américains au Texas : de 7 000 vers 1830 leur nombre passa à 30 000 vers 1834 contre seulement 7 800 Mexicains.
En 1827 et 1829, les présidents américains John Quincy Adams et Andrew Jackson tentèrent d’acheter la région au gouvernement mexicain, sans résultat. En 1832, des colons américains attaquèrent la garnison d’Anahuac et le 26 juin, ils perdirent la bataille de Velasco. En octobre, 55 délégués formèrent la convention de 1832 à San Felipe et rédigèrent des pétitions adressées au congrès du Mexique. Ils réclamaient l’abrogation des lois interdisant la colonisation américaine et la reconnaissance du Texas comme État à part entière, mais toujours dans le cadre mexicain. Une seconde convention se tint l’année suivante en vue d’écrire une constitution pour le Texas. Elle fut portée au président Antonio Lopez de Santa Anna à Mexico par Stephen Fuller Austin qui fut arrêté le 21 novembre 1833 pour crime de haute trahison.
Le gouvernement mexicain fit des concessions : l’article 11 des lois de colonisation fut abrogé, ce qui permit à de nouveaux immigrants américains de s’installer sur le territoire. Le Texas fut divisé en trois départements : San Antonio-Bexar, Brazos et Nacogdoches. L’anglais fut reconnu comme deuxième langue. La capitale fut transférée à Monclova en mars 1833. Mais lorsque le gouvernement mexicain voulut supprimer le système fédéraliste pour instaurer plus de centralisation administrative, la guerre civile recommença en octobre 1835 avec la bataille de Gonzales qui opposa les troupes texanes anglo-américaines aux troupes mexicaines. L’automne fut marqué par plusieurs escarmouches et affrontements. Le 7 novembre 1835, les représentants des diverses colonies texanes se réunirent à San Felipe et déclarèrent vouloir défendre la Constitution fédéraliste mexicaine de 1824. Ils mirent en place un gouvernement provisoire et élurent un parlement. En 1835-1836, Samuel Houston fut nommé à la tête de l’armée texane pour mener la guerre d’indépendance. Le général mexicain Santa Anna décida de mener une expédition destinée à anéantir la rébellion. Du 26 février au 6 mars, il fit le siège de Fort Alamo, une ancienne mission de San Antonio occupée par les rebelles. Les 5 000 soldats mexicains finirent par venir à bout des insurgés et entrèrent dans le fort. La bataille fit environ 200 morts du côté des Texans, dont le célèbre Davy Crockett (le plus célèbre descendant de M. de Croquetaigne). Les survivants furent exécutés. La répression s’abattit et l’armée mexicaine se livra à divers pillages qui ne firent que souder les colons américains. Les hommes tombés à Fort Alamo devinrent rapidement des héros pour les colons texans qui souhaitaient ardemment prendre leur revanche. Pendant ce temps, le 2 mars à Washington-sur-Brazos, les 59 délégués texans de la Convention de 1836 signèrent cette fois-ci une déclaration d’indépendance vis-à-vis du Mexique.
L’affrontement final eut lieu le 21 avril 1836, à la bataille de San Jacinto (avec l’aide en hommes, argent, armes de Washington) : Sam Houston conduisit l’armée du Texas (environ 900 hommes) à la victoire contre une partie de l’armée mexicaine du général Santa Anna qui fut capturé peu après la bataille. Celui-ci dut signer le traité de Velasco le 14 mai 1836 qui reconnaissait l’indépendance du Texas. Qui fut également officiellement reconnue par les États-Unis en mars 1837.
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En 1837, Samuel Houston installa la capitale de la république dans une ville nouvelle qui porta son nom, avant qu’elle ne soit transférée à Austin en 1839. Le nouvel État eut du mal à délimiter ses frontières et demanda donc son rattachement aux États-Unis.
La plupart des Texans étaient favorables à l’union de leur République à celle des États-Unis. L’urgence du rattachement au puissant voisin se fit sentir lorsque les troupes mexicaines prirent San Antonio le 11 septembre 1842. Une milice dirigée par Mathew Caldwell délivra finalement la ville, mais les abolitionnistes américains voyaient d’un mauvais œil l’entrée du Texas, un État esclavagiste, dans l’Union. Ces réticences furent levées lorsque James K. Polk devint président des États-Unis en 1844.
Washington ne cacha pas ses intentions de fixer la frontière du Texas sur le Rio Grande (et non sur le Rio Nueces) et d’annexer aussi la Californie mexicaine.
Le 8 mai 1846, les forces du général américain Zachary Taylor se dirigèrent vers le Rio Grande en réaction à la prise de Fort Brown par le Mexicain Mariano Arista ; elles remportèrent la bataille de Palo Alto près de l’actuelle Brownsville. Les Américains finirent par envahir le Mexique et par prendre sa capitale le 14 septembre 1847. Le traité de Guadeloupe Hidalgo, signé le 2 février 1848, livra ce qu’on appelle la Cession mexicaine, soit 1,36 million de kilomètres carrés, à savoir les territoires de Haute-Californie et de Santa Fe du Nouveau-Mexique, avec le sud-ouest du Wyoming (le reste faisant partie de l’ex Louisiane française), ainsi que le Colorado et le reste de l’ouest du Texas, aux États-Unis.
LE SPECTACLE TEXAN.
Le rodéo est, tout à la fois, un spectacle et un événement sportif composé de différentes épreuves illustrant le travail des bouviers. En tant que spectacle, le rodéo débute par une cérémonie d’ouverture (Grand Entry en anglais des États-Unis) durant laquelle organisateurs et concurrents défilent à cheval avec des drapeaux.
Lasso (capture des veaux avec un lasso).
Il s’agit pour le compétiteur de passer son lasso autour du cou d’un veau, de le faire tomber et de le ligoter en un minimum de temps. Cette épreuve du rodéo est inspirée par le travail des vachers lorsqu’ils devaient rattraper des veaux qui se perdaient ou qui s’enfuyaient en pleine nature.
La monte du cheval sauvage est une épreuve de rodéo dans laquelle le cavalier doit tenir huit secondes ou dix si le cheval porte une selle, sur le dos d’un cheval complètement sauvage.
La monte du taureau est une épreuve du rodéo dans laquelle le cavalier doit monter un taureau de race brahma et se tenir en selle avec une seule main pendant huit secondes.
Descendons maintenant un peu plus vers le sud, car le rodéo tout le monde connaît chez nous depuis qu’Hollywood en a fait des films.
Par contre ses épreuves mettant en jeu des taureaux ou des bouvillons ne doivent surtout pas être confondues avec la corrida mexicaine qui en est très différente
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LA CORRIDA MEXICAINE
(à ne pas confondre non plus avec la charreria qui s’apparente au rodéo).
La corrida mexicaine est bien entendu d’origine espagnole, mais elle a rapidement développé quelques spécificités.
La première course de taureaux à Mexico, ordonnée par Fernand Cortés a eu lieu le 13 août 1529, jour de la Saint-Hippolyte et commémoration de la reddition de Tenochtitlán (nom aztèque de Mexico) avec des taureaux importés d’Espagne. Interdite au Mexique une seule fois, de 1867jusqu’à 1887, la corrida y dispose aujourd’hui de la plus grande arène du monde avec 50 000 places.
Quelques généralités sur la tauromachie maintenant.
Le taureau est un animal dont la puissance physique (et sexuelle) a fortement impressionné les hommes de la Préhistoire ou de l’Antiquité. Le domptage des animaux est souvent une activité dangereuse, que diverses civilisations ont parfois sublimée en rites collectifs ou initiatiques. Il ne semble pas que le taureau ait été pour eux le partenaire d’un jeu, si l’on exclut de ce dernier mot toute idée de lutte et d’affrontement.
Trois points sont à considérer pour notre propos.
Il y a d’abord la chasse et la capture du taureau pour les sacrifices rituels, avant que l’on use, pour ces cérémonies, d’animaux domestiqués.
Le second point concerne le côté sacrificiel et symbolique ; il serait fastidieux de l’aborder ici.
Enfin, dans l’arène et devant un large public, l’affrontement de l’homme et du taureau, forme initiale de la tauromachie. Le terme latin venatio qui signifie chasse, et qui était quasiment synonyme de tauromachie, dans les jeux du cirque et la gladiature, définit parfaitement cet aspect des choses.
Durant le paléolithique, l’Homme a chassé l’aurochs appelé bos primigenius ou bœuf primitif. L’Homme a représenté l’aurochs sur les parois des grottes ; puis, au néolithique, l’a domestiqué. Ces animaux puissants et farouches vivaient en petites troupes dans les régions de forêt claire ainsi que le long des cours d’eau. Ils se rencontraient au début de notre ère dans les parties les plus tempérées du Proche-Orient et du Moyen-Orient ; ainsi qu’en Afrique du Nord, en Égypte, en Iran et en Inde.
Pour ce qui est de l’Europe de l’Ouest ce qui est indéniable, c’est que des reproductions de taureaux décorent la paroi des grottes où se réfugièrent les premiers habitants du Sud de ce qui est actuellement la France. On peut donc affirmer qu’un taureau, morphologiquement semblable à celui que nous connaissons actuellement, impressionnait déjà nos ancêtres, aux tout premiers balbutiements de la civilisation. Car bien peu d’animaux, en effet, ont eu le privilège d’être représentés dans les peintures rupestres de notre âge. Le cheval et le taureau font partie des premières œuvres artistiques exécutées par l’Homme.
Essayons d’imaginer comment l’Homme de ce temps intégrait le taureau dans son existence. À l’évidence, ce ruminant fut d’abord pourvoyeur de nourriture. Le squelette d’un aurochs, trouvé au Danemark, et datant d’une période allant de 10 000 à 8 000 ans avant notre ère, présente trois têtes de flèches en silex au niveau de la poitrine.
Mais, très vite, la fougue, la force, les cornes de ce qui n’était qu’un gibier en firent un animal mythique, symbolisant la vie généreuse et puissante (cf. le légendaire tervagan, autrement dit le tarvos trigaranos des Celtes antiques, et le non moins légendaire taureau ou termagant brun de
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Cooley, en Irlande). Il y a, bien sûr, aux origines de la tauromachie, une part de culte rendu à l’animal, mais attachons-nous plutôt à voir comment la chasse détermina aussi les rapports entre l’homme et le taureau. L’affrontement et la lutte contre un animal extrêmement dangereux eurent sans doute rapidement une tout autre portée ainsi qu’une tout autre signification que celle d’une simple chasse destinée à pourvoir à la survie d’une famille ou d’une tribu. Les exploits des plus hardis chasseurs firent figure d’exemples, et l’émulation dut vite présider à certains tête-à-tête avec la bête aux cornes meurtrières. Peut-être cela prit-il un caractère rituel… La corrida était une spécialité de la tribu celte des Volques Tectosages ainsi que nous avons pu le voir dans l’essai de Fernand Lequenne intitulé « Les Galates, Évreux 1959). Plus précisément les courses de taureaux et de buffles sauvages.
« Le Galate, comme tout seigneur des hauts plateaux, avait toujours aimé poursuivre les fauves pour les mettre à mort avec l’épieu sacré que l’on plante en pleine course dans la nuque au point précis dit nœud de vie : le geste de Mithra, fils de la lumière » (page 183). Repetere = ars docendi. La répétition étant la plus forte des figures de rhétorique n’hésitons pas ici à reprendre cette citation.
« Les contrées les plus fertiles au voisinage de la forêt hercynienne… furent occupées par les Volques Tectosages. Ce peuple habite toujours le pays et il a la plus grande réputation de justice et de valeur militaire… Les urus sont des animaux dont la taille est un peu au-dessous de celle de l’éléphant, et qui ont l’aspect général, la couleur, et la forme du taureau. On s’applique à les prendre à l’aide de pièges à fosse, et on les tue. Cette chasse fatigante est, pour les jeunes gens, un moyen de s’endurcir, et ils s’y entraînent. Ceux qui ont tué le plus grand nombre de ces animaux en rapportent les cornes pour les produire publiquement à titre de preuve, et cela leur vaut de grands éloges. Les cornes, par leur ampleur, leur forme, leur aspect, sont très différentes de celles de nos bœufs. Elles sont fort recherchées : on en garnit les bords d’un cercle d’argent, et l’on s’en sert comme de coupes dans les grands festins » (César. B. G. VI, 28).
Le spectacle ainsi décrit évoque évidemment celui des chasses (venationes) que les Romains donnaient dans les arènes : des gladiateurs bestiaires combattant des taureaux, des aurochs, des ours, des bisons, des cerfs.
Dans les Ardennes belges, du temps de Charlemagne, on chassait encore l’aurochs à cheval et le roi Philippe Auguste passe pour avoir tué les derniers d’entre eux.
Comme tous les grands mammifères du Quaternaire, l’aurochs a disparu pour des raisons encore mal connues.
Le dernier aurochs sauvage fut une vieille femelle, tuée en 1627, dans les forêts de Pologne (dans la région de Jaktorowska au sud-ouest de Varsovie). On a tenté de reconstituer l’espèce en croisant des géniteurs appartenant aux races qui paraissent les plus primitives : des « aurochs » ainsi obtenus existent actuellement dans certains parcs, mais il ne s’agit pas bien sûr de l’espèce fossile, Bos primigenius. Ils ressemblent aux anciennes descriptions, mais leur patrimoine génétique est différent. Ils sont actuellement utilisés pour débroussailler certains terrains et leur viande est aussi commercialisée.
On pense communément que le taureau des gardians de Camargue est un descendant direct de l’aurochs, mais rien n’est moins sûr.
Ce qui est certain, par contre, c’est que du mythe celte du termagant ou tervagan (cf. le Tarvos Trigaranos trouvé à Saint-Rémy-de-Provence jusqu’au Moyen-âge et même jusqu’à aujourd’hui, les taureaux ont toujours été présents dans le Sud. Et il existe une multitude de jeux organisés autour de lui, comme la ferrade 7) en Camargue), l’abrivade ou la course dans les rues (bandido en provençal, encierro ou lâcher de taureaux en Espagne), la course à la cocarde camarguaise ou landaise.
En 1564, les annales de la ville d’Arles relatent, à la date du 16 novembre : « Charles IX et la reine, sa mère, furent reçus dans Arles… il y eut, sur la lice, une belle course de chevaux, et une de taureaux, sur la place du Marché ».
On notera que chevaux et taureaux étaient déjà des éléments importants des festivités.
En février 1596, un jeune étudiant suisse allemand, Thomas Platter le jeune, visite Arles et la Camargue. Il écrit : « Elle est peuplée de troupeaux de bœufs, de taureaux et de vaches, auxquels on ne donne aucun soin, et que l’on se borne à marquer avec un fer rouge avant de les lâcher en toute liberté. C’est, dit-on, un spectacle intéressant qui attire les curieux de tous les environs, et qui a lieu dans un espace retranché formé de charrettes ».
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On ne peut être plus explicite ! Les enclos délimités avec des charrettes existaient donc déjà vers la fin du XVIe siècle, même si le spectacle qui s’y déroulait ne consistait pas encore à crocheter des attributs (cocardes, etc.) attachés aux cornes de l’animal. Mais revenons au récit de Platter.
« À Aigues-Mortes du reste, et ailleurs, mais principalement dans la Camargue, les bouchers ont leur façon à eux de dompter les bœufs. Ils leur donnent la chasse sur de petits chevaux très légers en les poursuivant dans la campagne. Jusqu’à ce qu’ils tombent épuisés de fatigue. Alors, ils les marquent au fer rouge puis les réunissent à leurs troupeaux, qui comptent plusieurs centaines de têtes, et se tiennent dans des petits bois. Ils ont aussi de longues perches terminées par trois pointes de fer qu’ils enfoncent dans le mufle du bœuf quand celui-ci veut les attaquer. Mais, parfois ils se font renverser les quatre fers en l’air, ce qui les amuse beaucoup moins que les spectateurs ».
Une sorte de rodéo en plein cœur de la vieille Europe en quelque sorte, avec des garçons vachers appelés gardians dans la langue du pays (la Camargue). En Camargue comme au Texas en tout cas le taureau est incontournable puisque beaucoup de choses dépendent de lui.
Son élevage est l’unique moyen de tirer parti de certaines terres. Autour du taureau se sont forgées des traditions indéracinables, lesquelles ont suscité des manifestations dont les retombées sont très importantes pour le pays.
Se mesurer au taureau (appelé biou) est un défi qui fait partie intégrante de la culture provençale, comme le montre le succès de la course camarguaise et de « l’abrivade » 2) ; cette course de taureaux dans la rue, certes encadrés par les gardians (des bouviers, dans la langue du coin), qui permet à monsieur tout le monde de le défier. Rien à voir avec les lâchers de taureaux dans les rues pratiqués en Espagne à Pampelune pour les fêtes de la saint Firmin (voir Hemingway), même si ses afeciounados (aficionados en espagnol) sont souvent les mêmes. De tout temps, l’homme a joué avec le taureau.
Différentes sortes de tauromachies ont donc subsisté. La course landaise. Le marquage des bêtes (ferrade en Provence 7). La course camarguaise. L’abrivade 2). L’encierro en Espagne. La course des taureaux dans la rue (la bandide en Provence). La corrida équestre (appelée tourada au Portugal, rejoneada en Espagne). La corrida pédestre.
Les critères permettant de juger de la qualité d’un spectacle sont les suivants.
— Bravoure de l’homme : l’homme prend des risques significatifs (même si les accidents restent peu nombreux) et doit donc affronter sans faiblir un animal dont la force est considérable.
— Bravoure de l’animal : le taureau est élevé pour être spécialement agressif ; sa charge, sa volonté de combattre, sont appréciées.
— Autorité de l’homme sur l’animal. Les connaisseurs apprécient la capacité à imposer sa volonté au taureau (en l’obligeant à suivre des trajectoires de charge précises ou en le conduisant ici et là, un taureau ayant tendance à se placer toujours au même endroit de l’arène).
— Élégance : en particulier pour les passes de cape qui sont des mouvements très codifiés.
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RÉFLEXION SUR LA COURSE À LA COCARDE ET LE SPORT.
L’histoire de la course camarguaise s’inscrit dans la tradition festive de ce pays à cheval sur la Provence et le Languedoc. Les premières traces de jeux approchants se trouvent dans les divertissements spontanés où les valets de ferme, dans une cour close ou dans l’espace délimité d’un plan de charrettes 1), jouaient à prouver leur bravoure en provoquant un taureau. Le propriétaire du mas, pour corser le jeu, attachait quelques fois une récompense aux cornes de l’animal (saucisson, etc.). Le jeu était fait de surenchères et de défis. Le divertissement festif s’est ensuite déplacé dans les fêtes de villages, et tous ceux qui le voulaient pouvaient participer à la course. La prise de la cocarde s’effectuait à mains nues, dans une certaine cohue.
L’engagement violent et désordonné du public a pendant longtemps posé des problèmes aux forces de l’ordre. La course était l’occasion de rassemblements importants, voire une occasion de troubles.
Progressivement, cette participation libre des roturiers, cette indifférenciation du lieu de la fête et du lieu de la course, se sont transformées. La course s’est spécialisée puis a trouvé sa place comme composante de la fête, mais dans une construction spécifique : les arènes. Les participants ont été limités : tenue particulière, autorisation, nombre restreint. Les us et coutumes d’une époque donnée se sont en quelque sorte imposés, ou plus exactement sont en train de s’imposer. Les variations concernant le nombre de raseteurs sont encore fréquentes. Au total la course camarguaise s’instaure comme un sport. Cependant, sa transformation est encore inachevée. Elle garde une complexité proche du jeu traditionnel des origines. Comme au Texas elle a toujours pour centre la communauté de travail et de culture, tout comme les fêtes traditionnelles ; et ne tourne pas autour du schéma théorique du sport et de la seule société sportive. Les effets du travail du marquis de Baroncelli-Javon, pour instaurer une tradition, une nation gardiane (une nation de bouviers camarguais), freinent peut-être le complet alignement sur le sport, de ce type de course.
L’analyse des rituels de la course à la cocarde montre en effet qu’elle est plus un jeu traditionnel qu’un sport. En effet, ce n’est pas un modèle épuré de la compétition qui est mis en scène – modèle où les compétiteurs sont hiérarchisés dans le monde clos de la spécialité sportive — ; mais un schéma complexe où est valorisé le travail des éleveurs et en cela la course camarguaise est l’exact équivalent des rodéos de notre enfance.
Tout comme le rodéo texan, la course camarguaise est l’occasion d’échanges interactifs avec l’ensemble de la société.
Les grands événements sportifs sont précédés de cérémonies (d’ouverture), occasion de fêtes rassemblant de nombreux spectateurs. Celles-ci peuvent, dans un premier temps, être rapprochées de ce qu’est l’abrivade 2) dans le cadre de la course camarguaise. Cependant, une analyse plus attentive du contenu de ces manifestations préliminaires montre une différence notable, dans l’objet même du spectacle.
Dans le cas des manifestations sportives, les cérémonies d’ouverture mettent en scène les sportifs eux-mêmes, à qui l’on offre un spectacle en guise d’accueil. Ce spectacle est ouvert aux spectateurs payants de l’épreuve. Ce spectacle est, dans le cadre des Jeux olympiques, selon les vœux de Coubertin, une œuvre culturelle au sens large. Il en est de même dans les autres cérémonies d’ouverture, défilés pour les sportifs, défilés incluant les sportifs. Ces spectacles sont toujours renouvelés, ils sont à chaque fois originaux et propres à chaque manifestation.
Dans le cas de la course camarguaise, le spectacle est donné à l’ensemble des habitants des villages. Il ne présente pas les sportifs, en l’occurrence les raseteurs 3), mais les taureaux qui sont le prétexte à la mise en scène du travail agricole, l’expérience équestre des gardians (bouviers) à cheval, celle de
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la manade 4). Et, fait marquant, il est toujours identique. En cela la course camarguaise ressemble beaucoup aux rodéos chers à Hollywood.
On peut interpréter les choses ainsi.
Les rituels de la compétition sportive sont tournés vers les athlètes, les spectacles leur sont offerts, et la possibilité festive de se mélanger à eux est un hommage.
Les rituels de la course camarguaise sont tournés vers les activités paysannes traditionnelles qui constituent l’âme du pays. Ce que le rituel met en scène c’est le travail des champs, des vachers ou des bouviers (gardians) : abrivade 2), bandide 5).
Le rituel est attentif à l’excellence du travail des hommes et des bêtes, à la qualité des tenues et des harnachements. Cette excellence du travail est poussée à l’extrême, puisque le rituel tolère que la foule puisse désorganiser le convoi (l’abrivade). Les « attrapaïres » 6) cherchent à faire échapper les taureaux du cercle constitué par les garçons vachers (gardians). La qualité des bouviers à cheval s’apprécie à leur maîtrise de ces éléments perturbateurs.
À la lumière des différences constatées sur le plan des rituels, on peut donc constater que la course à la cocarde est plus un jeu traditionnel qu’un sport. Le schéma des actions ritualisées de la course camarguaise est bien moins rationnel que le schéma que l’on trouve en sport ; et qui met en scène les valeurs fondamentales de l’égalité de chances pour l’inégalité des résultats, qui valorise les grands héros (les champions), l’institution (les notables) et la fratrie (les spectateurs). La course camarguaise, elle, met en scène à la façon d’un rituel un schéma de vie du village. Le travail bien fait du garçon vacher (du gardian), l’audace nécessaire pour approcher les taureaux (le travail des raseteurs).
La récompense du meilleur est payée comme un travail, par des primes. La récompense sportive, le trophée ou la médaille, est surajoutée. De plus, le héros de la course camarguaise est accessoire, la vraie vedette, c’est le taureau, c’est lui qui reçoit les honneurs de la musique, c’est lui qui est parfois représenté sur les places de villages.
Deux compétitions se superposent en fait : celle des raseteurs, celle des taureaux. Ces deux compétitions ne sont pas étanches. Les propriétaires de manade (de troupeau) ont intérêt à ce que leur taureau gagne. Ils ont intérêt aussi à ce que le raseteur mette en valeur le taureau. Il ne s’agit pas seulement d’enlever les cocardes et de marquer des points, il faut que la communauté soit satisfaite, que le spectacle tourne rond, que l’organisateur draine les foules, qu’il y ait de l’émotion, que l’homme prenne des risques. Cet équilibre délicat éloigne le raseteur d’une attitude seulement performante, seulement efficace. Il lui faut mettre en valeur la combativité du taureau et, du coup, renchérir, lui aussi, sur la prestation risquée de ses concurrents. C’est l’enchère du risque qui compte le plus.
On trouve là un reste du jeu traditionnel : montrer sa valeur, sa connaissance des taureaux, en prenant plus de risques que les autres jeunes du village. La complexité de la course ne s’arrête pas aux deux compétitions superposées (hommes/taureaux) et aux deux façons d’exceller (les points et le style), il faut inclure le rôle des « tourneurs » 8) Les raseteurs sont en effet aidés par des « tourneurs » 8), mais les « tourneurs » 8), dont le rôle est de placer puis de faire partir le taureau sur une trajectoire qui sera coupée par un raseteur, ne sont pas liés à des raseteurs particuliers. Ils peuvent, par leur jeu, faire réussir ou faire échouer les raseteurs. Ce que la course camarguaise met en place ce sont donc des réseaux de relations complexes et ambivalentes. Or l’ambivalence ne fait pas partie en effet des schémas de relation du sport. De ce fait, la course camarguaise reste un jeu traditionnel.
Notes.
1. Un plan de charrettes est un cercle ou un carré clos formé par des charrettes, des madriers ainsi que des planches.
2. L’abrivade est l’accompagnement des taureaux, des prés aux arènes. Ce « convoyage » se fait sur un rythme accéléré. Aujourd’hui l’abrivade fait partie du spectacle donné en ouverture. Les animaux employés à cette occasion sont des animaux spécialisés dans cette tâche, et ne sont pas les taureaux qui vont réellement combattre dans l’arène. L’accompagnement se déroule de l’entrée du village aux arènes.
3. Raseteur. Nom donné à l’homme, habillé de blanc, qui frôle la tête du taureau pour attraper les attributs fixés à ses cornes (cocarde, etc.) à l’aide d’un crochet.
4. Manade. Manade désigne à la fois le troupeau de bovins ou de chevaux, et le lieu où il pâture sur de vastes espaces. Par extension, le terme manade désigne l’ensemble de l’élevage avec son personnel, ses afeciounados (amateurs), ses terres. On dit « ganaderia » en Espagne et dans le Sud-Ouest. Ranch aux États-Unis
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5. La bandide est le retour des taureaux dans les prés. Le ranch victorieux, pardon, la manade victorieuse reconduit les taureaux. C’est aujourd’hui une occasion de défilé haut en couleur. Les animaux utilisés à cette occasion sont également des animaux spécialisés, ce ne sont pas les taureaux ayant vraiment couru dans l’arène.
6. Attrapaïre. Nom donné à ceux qui tentent d’attraper les taureaux lors d’une abrivade ou d’une bandide, pour les faire s’échapper. (Ça s’apprend – vaut mieux – en face les taureaux eux ils savent, d’instinct !).
7. La ferrade (provençal ferrado) n’est pas, à l’origine un jeu taurin. Elle consiste à marquer au fer rouge les taurillons chaque printemps. Bien avant notre ère, des artistes ont reproduit les mêmes scènes. Des jeunes gens montés sur des chevaux de petite taille y poursuivent des taureaux morphologiquement proches du taureau camarguais. L’un d’eux saute de sa monture sur le bovidé, en s’agrippant à ses cornes. Un autre maîtrise un taureau à terre… Cette antique tradition donne lieu aujourd’hui à une véritable fête, où les spectateurs encouragent le bouvier ou le gardian, qui doit saisir le taurillon, l’immobiliser puis le marquer au sigle de son propriétaire.
De tous les actes tauromachiques, la ferrade ou marquage au fer rouge dans les ranches américains est sans doute celui qui reste de nos jours le plus proche de son déroulement initial. Elle paraît être aussi le trait d’union entre les diverses formes de tauromachie.
8) Tornaire. Provençal Tournaïré. Qui fait tourner le taureau, ou qui place le taureau en position propice au raseteur. Concrètement le tourneur attire l’attention du taureau afin de provoquer sa charge. Le raseteur coupe alors la route de l’animal pour tenter d’arracher d’un geste un des attributs fixés entre ses cornes.
Mais revenons à nos moutons, ou plus exactement à nos taureaux.
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L’ABRIVADE (ENCIERRO EN ESPAGNE).
La famille de mots « brivos » est bien implantée dans le sud de l’Europe. Espagnol, français, portugais, et italien, brio, sont empruntés à l’occitan. Les langues d’oïl (vieux français) ont surtout repris le verbe « abriver, embruer = lancer, mettre en train ». Dérivé du celte * brivos = « force, courage, vivacité », attesté dans les langues celtiques et en ancien occitan briu « impétuosité, empressement ». Le verbe ancien occitan abriva, ou s’abriva « (se) hâter, (s') élancer » signifie au début du XVIIIe siècle « attraper quelqu’un ». En provençal de Barcelonnette, le sens s’est spécialisé : s’abrivar = « se jeter brusquement sur quelque chose, par exemple sur des aliments ».
L’abrivade, tout comme la ferrade (marquage au fer rouge), n’est pas un jeu taurin à l’origine. L’abrivade est une tradition qui remonte à l’époque où les propriétaires d’élevages bovins conduisaient leurs taureaux cocardiers aux arènes, en les entourant de garçons vachers montés à cheval (provençal gardians). À l’origine, ce terme désignait donc tout simplement l’arrivée dans les villages des taureaux sélectionnés pour la course à la cocarde.
Aujourd’hui, le but est de réussir à faire s’échapper un taureau du cercle de bouviers à cheval qui accompagnent le troupeau.
Tôt dans la matinée, les bouviers ou les vachers rassemblent les taureaux dans un parc ou un enclos, pour effectuer le tri.
Les cavaliers écartent, en douceur, les mâles dominants du troupeau (les simbéus ou cimbéous en provençal) pour travailler plus facilement et sortir en douceur les animaux choisis pour la course.
Ils forment alors la pointe d’un triangle dans laquelle ils enserrent les taureaux. Quand il s’agit des taureaux de combat, ils sont généralement accompagnés de bœufs bien dressés (cabestros) ou de vaches, qui servent à les guider.
Le plus souvent, il s’agit de jeunes taureaux qu’il est fréquent de voir affolés par un public en mal de frissons.
La première difficulté consiste ensuite à sortir de ce parc ou de cet enclos (bouvaou en provençal).
L’abrivade parcourt ainsi un chemin défini à l’avance, jusqu’aux arènes, à travers les rues du village. Là, des jeunes font tout ce qu’ils peuvent pour écarter les chevaux, afin de faire s’échapper les taureaux ; tout ou presque est permis : jet de farine, pétards, banderoles sortant de nulle part pour essayer d’effrayer les chevaux. Mais en général, les cavaliers tout comme leurs montures tiennent bon et déjouent les obstacles. L’abrivado arrive à bon port, aux arènes, pour y commencer le spectacle, la « course libre », « course provençale » ou « course à la cocarde », que l’on appelle aujourd’hui plutôt bouvine en français ou course camarguaise.
De quoi s’agit-il ?
On fixe trois « attributs » au front du taureau (ou de la vache ou du bœuf) : une cocarde rouge et deux glands de laine blanche. Les trois objets sont maintenus en place par des « ficelles » enroulées à la base des cornes. Des jeunes gens vêtus de blanc et tenant à la main un quadruple crochet métallique – le raset – tentent d’arracher les « attributs » du bovin qui se défend comme il peut en chargeant tous ceux qui s’approchent de lui. Pour échapper à l’animal, les « raseteurs » sont souvent obligés de franchir d’un bond la barrière de bois qui délimite l’arène. La bête, emportée par son élan, heurte la barrière plus ou moins violemment. Ce choc, dit « coup de barrière », prouve, selon les connaisseurs ou afeciounados, la combativité ainsi que la valeur de l’animal. Au bout d’un quart d’heure, le bovin, qu’il ait ou non perdu ses « attributs », est ramené dans le toril et l’on fait sortir dans l’arène la bête suivante.
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LA COURSE DU « BIOU » (DU TAUREAU).
1. Première sonnerie de trompette (longue) : annonce la sortie du taureau du toril.
2. Le taureau (biou) sort du toril et cherche son « camp », un endroit dans l’arène où il pourra se défendre (généralement un angle).
La Présidence annonce le nom du taureau (s’il en a un), le nom de la manade (du ranch en Amérique), et les primes correspondant aux attributs (cocarde-glands).
3. 2e sonnerie de trompette (courte) qui invite les raseteurs à provoquer le biou (le taureau).
4. Le « raset » ou rencontre se déroule en quatre temps.
1er temps : le tourneur, un ancien raseteur, par la voix et par des gestes, attire l’attention du taureau pour le « placer » comme il faut, et préparer une bonne course au raseteur (préparation du raset), le raseteur se met en position.
2e temps : le raseteur commence à courir et déclenche ainsi la charge du taureau.
3e temps : le taureau et le raseteur se croisent, c’est la rencontre, le « raset ». Avec son crochet, le raseteur essaie d’enlever un attribut : la cocarde d’abord, puis les glands, et enfin, la 1re et la 2e ficelle.
4e temps : fuite de l’homme par-dessus des barrières.
Le bon taureau (bœuf ou vache, à la différence du Portugal et de l’Espagne) le poursuit jusqu’à heurter l’obstacle : c’est le fameux « coup de barrière », souvent salué par un extrait de CARMEN, l’opéra-comique (en fait une tragédie) en quatre actes de Georges Bizet, composé en 1875 d’après la nouvelle éponyme de Prosper Mérimée.
5. Le taureau reste au maximum 15 minutes en piste.
Une 3e sonnerie indique le retour du taureau dans le toril dès qu’il a été dépouillé (ou non) de tous ses attributs (cocarde glands ficelles), ou dès qu’il a « couru son quart d’heure ».
Parfois, le taureau peut refuser de revenir dans le toril : on fait alors sortir le simbeù (bœuf conducteur de la manade ou du troupeau ayant une cloche au cou), et en général le taureau cocardier le rejoint.
Si le taureau ne suit pas le cimbeou, un gardian ou bouvier à cheval vient le menacer avec un aiguillon ferré (très précisément un trident) pour l’inciter à rentrer. Les trophées gagnés par les raseteurs sont remis par les notables accompagnés de jeunes femmes en tenues traditionnelles.
Succédant à la course, un retour des bêtes au pré peut alors être organisé : la libération des taureaux (provençal bandido). Les gardians raccompagnent les taureaux selon le même principe que celui de l’abrivade.
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LA COURSE LANDAISE.
Les principales figures de la course landaise sont l’écart, le saut, l’écart sur saut et l’écart-feinte.
L’écart. L’écarteur doit donc avoir le courage d’attendre la charge de la bête. Au dernier moment, il esquive les cornes de la vache en tournant sur place et en creusant les reins.
La deuxième figure est le saut. Le sauteur peut prendre de l’élan. Il peut aussi attendre la vache et sauter par-dessus lorsqu’elle baisse la tête pour donner le coup de corne : c’est le saut à pieds joints, parfois effectué les pieds emprisonnés dans le béret, les jambes liées par la cravate. Il y a aussi le saut de l’ange, le saut périlleux, le saut périlleux vrillé.
L’écart sur saut. L’écarteur attend l’animal les bras levés ; lorsque la bête est à quelques mètres, il effectue un saut vertical, retombe au ras du mufle de la vache et pivote à sa retombée au sol, la vache glissant dans le creux de ses reins.
L’écart sur feinte. L’écart-feinte s’effectue sans saut. L’écarteur attend, immobile, les bras croisés. Par une légère inclinaison du tronc, il fait croire à la vache qu’il va tourner d’un côté, mais au moment où l’animal s’apprête à donner de la corne, tourne de l’autre.
La course landaise est pratiquée depuis toujours dans le sud-ouest de la France. Le document authentique le plus ancien, conservé dans les archives, fait état, en 1457, d’une coutume immémoriale consistant à faire courir vaches et bœufs dans les rues de Saint-Sever à l’occasion des fêtes de la Saint-Jean.
C’est au cours du XIXe siècle que la course landaise devint ce qu’elle est aujourd’hui. Deux événements majeurs la firent rentrer dans la modernité. Tout d’abord, ce fut l’obligation de pratiquer les courses dans des lieux clos entourés de gradins, et non librement dans la rue comme c’était le cas jusque-là. C’est dans cet espace limité de l’arène que naquirent d’abord l’écart, puis le saut, les deux figures artistiques de la course landaise.
Comme tous les jeux de l’arène, la course landaise relève d’un principe fondamental simple : l’opposition de l’adresse intelligente de l’homme et de la force agressive de la bête sauvage.
Les vaches landaises sont utilisées dans ce jeu depuis de nombreuses années. D’autres races de vaches et taureaux ont été envisagées, mais aucune n’a pu égaler la vache landaise en ce qui concerne l’agilité ainsi que le spectacle. C’est d’ailleurs pourquoi ce sport est appelé « courses de vaches landaises ».
Explication du mot « vaches » pour ceux qui ne sont pas experts en Occitan de Gascogne.
Mais au fait tout d’abord pourquoi des vaches et pas des taureaux comme en Camargue ??
Cela s’explique par le poids. Une vache pèse environ 250 kg, est très rapide et agile, alors qu’un taureau, pèse environ 600 kg, et n’est pas aussi vif. Mais lorsqu’il charge, il est comparable à un char de guerre : impossible à arrêter.
Ces « vaches » n’ont rien à voir avec les vaches de ferme. Ne croyez donc pas qu’il y peut y avoir dans le sud-ouest de la France des troupeaux de vaches à lourdes mamelles chargeant des êtres humains dans des arènes, ce n’est pas le cas. Pour éviter toute équivoque, les amateurs parlent d’ailleurs de vachettes et non de vaches tout court.
C’était à l’origine des vaches sauvages des prairies, de la même race que les taureaux de corrida. Elles sont maintenant élevées spécialement à cet usage. Elles ne sont pas destinées à la consommation et ne produisent pas de lait.
Ces bêtes, sœurs des taureaux combattus en corrida, appartiennent à des éleveurs appelés ganaderos (manadiers en Camargue, rancheros en Amérique) et vivent dans la forêt.
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Contrairement aux taureaux en Espagne, ces vaches NE SONT PAS MISES À MORT et participent aux courses durant plusieurs années (aucune lance, épée… n’est utilisée). La Course landaise est uniquement une succession d’exercices d’acrobatie, de gymnastique et d’adresse, entre l’homme et la bête.
Le sport consiste à provoquer l’animal et à l’esquiver adroitement. D’où le nom d’écart donné à l’exercice et celui d’écarteur (escartur en gascon) attribué aux pratiquants.
Le jeu oppose une vache à une équipe, appelée « cuadrilla ». La vache est un animal sauvage qui commence sa carrière à 3 ou 4 ans, et la poursuit jusqu’à 13 ou 14 ans. La cuadrilla est composée de sept écarteurs (en boléro) et de quatre hommes en blanc (le sauteur, les deux entraîneurs – entrenaires en gascon-, le cordier – courdayre en gascon-).
Le principe est très simple. Il consiste à mettre la vache dans une arène, à se placer au centre de la piste, à provoquer sa charge, et à l’esquiver au tout dernier moment. Soit par la technique de l’écart, soit en sautant par-dessus. Mais pour organiser cela, il faut quatre hommes en piste en même temps. L’écarteur ou le sauteur au centre ; le second qui attire la vache vers lui après qu’elle a été évitée par le premier (l’écarteur ou le sauteur) ; l’entraîneur (gascon entrenaire) qui place la vache près d’une barrière de protection ou d’un refuge permettant de se protéger ; et le cordier (gascon courdayre).
Lorsque l’écarteur (gascon escartur) esquive la vache, on dit qu’il fait un écart. Les principales figures de la course landaise sont en effet l’écart, le saut, l’écart sur saut et l’écart-feinte.
C’est à la fin du XIXe siècle que les toreros landais adoptèrent la tenue qu’ils portent encore aujourd’hui : le pantalon blanc et le boléro de couleur agrémenté de paillettes d’or ou d’argent. La corde et le teneur de corde (cordier en français ou cordaïre/courdayre en gascon) apparurent à la même époque, ainsi que les tampons au bout des cornes des vaches les plus dangereuses. Sport traditionnel des Gascons la course landaise reste aujourd’hui encore l’événement principal des fêtes de village. Elle a lieu dans une arène de type traditionnel (rectangulaire et fermée par une demi-lune à une des extrémités) ou de type espagnol moderne (circulaire).
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L’ENCIERRO OU LÂCHER DE TAUREAUX DANS LES RUES.
L’encierro est une sorte d’abrivade, mais à une différence près : il n’y a personne à cheval pour escorter les taureaux. La plus connue est l’encierro de Pampelune qui se déroule lors des fêtes de saint Firmin, patron de la ville (la Feria de la San-Fermin ou sanfermines) du 6 au 14 juillet. Cette pratique semble être dérivée de celle qui consiste à lâcher les animaux sélectionnés pour leur faire traverser la ville quelques heures (ou quelques jours) avant la course officielle. C’est dans une atmosphère d’immense liesse populaire, d’orgie libératrice, que se déroulent ces lâchers de taureaux dans les rues de la ville dès huit heures du matin. Les taureaux qui combattront le soir même sont lâchés dans les rues suivant un itinéraire précis, long de 800 m, qui les mène aux arènes en quelques minutes. Les jeunes gens vêtus de blanc avec béret, foulard et ceinture rouges, et brandissant un journal roulé, vont à la rencontre des taureaux qui foncent toutes cornes en avant, et se mettent à courir devant eux.
Pour plus de détails, voir Hemingway qui en a bien rendu l’atmosphère dans son roman intitulé « le soleil se lève aussi ». Donc inutile d’insister plus longtemps sur la question. Il suffit d’acheter le livre.
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RÉFLEXIONS SUR LA TAUROCTONIE.
Aucune discussion concernant la corrida ne peut être complète sans mention de la controverse qui entoure les propos d’Hemingway en ce domaine : « tout ce qui est susceptible de susciter de la passion en sa faveur déchaînera sûrement autant de passion à son encontre ».
Statistiquement parlant il existe de grandes probabilités que la première corrida à laquelle assistent des spectateurs n’en soit pas une belle du point de vue artistique : pour que cela soit le cas, il faut de bons toreros et de bons taureaux ; les toreros artistes en la matière et les piètres taureaux ne livrent pas de combats intéressants, car le torero qui a la capacité de faire des choses extraordinaires avec le taureau capable de procurer les plus intenses émotions chez le spectateur n’essaiera pas d’y arriver avec un taureau dont il n’est pas assuré des charges : c’est pourquoi, si les taureaux sont de mauvais taureaux, c’est-à-dire des taureaux plus vicieux que courageux, sur lesquels on ne peut pas compter pour ce qui est des charges, réservés et imprévisibles dans leurs attaques, il vaut mieux qu’ils soient combattus par des toreros connaissant bien leur métier, honnêtes, blanchis sous le harnais, plutôt qu’ayant un tempérament d’artiste
En fait je ne suis pas tout à fait d’accord avec Hemingway pour ce qui est de la corrida pédestre espagnole et je lui préfère nettement la tauromachie du sud de la France voire du Portugal, où il n’y a pas de mise à mort publique de l’animal.
Ceci dit Hemingway n’a pas complètement tort non plus, car il est bien vrai que « La corrida (espagnole) est le seul art dans lequel l’artiste est en danger de mort " (Ernest Hemingway, Mort dans l’après-midi)…
Mort dans l’après-midi a été publié le 23 septembre 1932 par les éditions Scribner avec un premier tirage d’environ 10 000 exemplaires.
Hemingway était devenu un aficionado de la corrida après avoir assisté à la fiesta de Pampelune dans les années 1920, dont il a parlé dans Le soleil se lève aussi. Dans Mort dans l’après-midi, une histoire de la tauromachie, Hemingway s’essaie à la métaphysique de la corrida qu’il considérait comme un art.
Mort dans l’après-midi est un essai sur la cérémonie et les traditions de la corrida espagnole. Il propose un regard sur l’histoire et sur ce que Hemingway considère comme la magnificence de la corrida. Il contient également une réflexion personnelle d’Hemingway sur la nature de la peur et du courage.
Gribouillons à notre tour quelques mots sur le sujet, histoire de ne pas en laisser le monopole à Hemingway.
Une des images centrales du culte de Mithra est la « tauroctonie », qui représente avec des caractéristiques iconographiques constantes le sacrifice rituel du taureau sacré par Mithra : Mithra apparaît coiffé du bonnet phrygien et regarde sa victime avec compassion ; penché sur le taureau, il l’égorge avec un couteau sacrificiel ; de la blessure du taureau sort du grain ; près du taureau figurent quelques animaux : un scorpion menace de ses pinces les testicules du taureau ; un serpent ; un chien qui se nourrit du grain sortant de la blessure. Parfois apparaissent aussi un lion et une coupe. L’image est encadrée de deux porteurs de torches, nommés Cautès et Cautopatès. La scène paraît
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située dans une espèce de grotte, qui peut être la représentation du mithraeum lui-même ou selon d’autres interprétations figurer la représentation du cosmos.
On s’est beaucoup mépris à ce sujet. Le culte de Mithra n’a jamais été la grossière et fruste barbarie dont les racistes chrétiens (y avait-il des chrétiens non racistes d’ailleurs à l’époque ?) nous ont rebattu les oreilles. Bien évidemment à cause de leur proximité avec le rite central de cette religion, le sacrifice du taureau dont le sang comme celui de l’agneau pascal chez les juifs était répandu pour notre salut (on a retrouvé une inscription qui dit de Mithra : il nous a sauvés par son sang répandu).
Le sacré est le domaine des forces redoutables de la vie et de la mort, de la sexualité et de la violence, que l’homme doit maîtriser mais qui sont dangereuses. Pour entrer en contact avec ces énergies sacrées, l’homme de jadis mettait en œuvre des rites par lesquels il espérait capter et dominer ces énergies.
Toute action sacrée s’inscrit dans un espace sacral précis, dans le cas de la corrida espagnole c’est le « ruedo », dans un temps délimité « a la cinco de la tarde » en espagnol et dans un temps imparti pour chaque combat, surtout dans un rituel qui permet de s’assurer de la maîtrise sur les forces obscures.
La ritualité sacrale a une séquence d’ouverture clairement marquée et une séquence de fermeture. Les Jeux olympiques par exemple. Pour la corrida : les clarines, le paseo, et d’autre part la sortie des cuadrilles délimitent ce temps particulier…
Un sacrifice se compose de trois personnages essentiels : d’une victime, d’un sacrifiant et d’un offrant. Celui qui sacrifie, le druide par exemple, n’est pas nécessairement l’offrant ; l’offrant est celui qui donne la victime.
Il fallait que la victime soit consentante ou du moins semblât consentir !
Quand on voit le torero régler le port de tête du taureau à « l’heure de vérité » et qu’il lui fait lever et baisser la tête, je ne peux m’empêcher de penser au prêtre de l’Antiquité, au « druide » de l’antiquité (un vate sans doute) qui devait faire faire au bovidé devant la fosse sacrificielle un signe de tête par lequel, symboliquement cette victime consentait à sa propre mort. Il y a des gestes qui dépassent leur propre technicité.
Car il y avait alors une sorte de complicité entre le druide et la victime. Le druide antique n’était pas un assassin, un sanguinaire. Il aimait la victime. Il en prenait soin, il l’honorait. Car ainsi que nous l’avons dit, d’une certaine manière la victime était toujours divinisée.
Toutes les religions du monde insistent sur la qualité de la victime. Les victimes humaines dans les sacrifices celtes de jadis étaient soigneusement préparées et bien nourries. Lorsque la victime de substitution est un animal, on veille à son intégrité physique. Dans le sacrifice pascal juif, la victime doit être un agneau sans défauts, d’un an, premier-né, etc.… On ne sacrifie pas une bête malade ou infirme. Même chose encore dans l’islam d’aujourd’hui.
La victime des sacrifices de l’antiquité avait-elle de la chance ? Oui, elle avait la chance d’avoir été choisie comme victime. La victime était divinisée, adulée, couvée du regard et accomplissait une fonction essentielle. Elle ne pouvait rêver d’un plus grand destin. La question de la chance que peut avoir un taureau de recevoir l’indulto (d’être épargné) n’est donc pas une question qui se pose pour un aficionado. On ne va pas à la corrida en espérant que le taureau sera gracié. Plus fondamentalement, le taureau est aimé, regardé, admiré et, risquons même le mot, « divinisé » ; mais il finit sa vie dans des arènes.
La fonction sacrale du taureau.
Le torero dans l’arène, et normalement les participants sur les gradins quand ils sont aficionados, respectent le taureau. Il ne faut pas se méprendre a priori, aurait pu dire Hemingway, sur le sens des applaudissements de arrastre (attelage de mules) venant sortir de l’arène le cadavre d’un taureau qui s’est montré très brave ; ils ne sont en fait que des applaudissements symboliques de la victime.
Dans les sacrifices grecs, la victime ne devait pas voir l’arme avant le moment fatal. On la cachait sous des grains de blé. La coutume qui consiste à ne pas toréer avec l’épée de mort a sans doute quelque chose à voir avec ce vieux rituel sacré. Là encore on peut donner des raisons techniques :
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l’épée de mort est lourde. Mais de toute façon, le torero garde toujours son épée dans la main droite en la cachant dans les plis de la muleta. Les raisons techniques sont justes, mais non exclusives des autres.
N’oublions pas néanmoins que le torero dans l’arène est un substitut. Il combat à notre place. Il nous offre d’ailleurs souvent le combat avant de le livrer. Quand il le réussit, c’est donc nous qui réussissons par son intermédiaire. Nous nous identifions au torero qui combat dans l’arène. Nous aimons bien qu’il soit bon, car c’est bon pour nous !
FIR FER EN MATIÈRE DE CORRIDAS, « FIR FER » OU PLUS EXACTEMENT DROIT DES ANIMAUX.
Depuis les fameux Volques Tectosages de César, la corrida a toujours eu pour objet de montrer un taureau sauvage et de le faire combattre par l’homme. Mais le taureau qui arrive dans l’arène doit être en parfaite santé, et présentant bien, c’est-à-dire ayant une belle prestance, « bien armé » avec des cornes intactes, dotées de belle forme. S’il boite, s’il a un défaut de vision ou quelque autre handicap de ce genre, on ne doit pas hésiter à le renvoyer, la crédibilité du combat repose sur un tel respect.
Des lois très strictes réglementent le poids minimum du taureau et son âge, selon la catégorie de l’arène. Pour une arène de première catégorie comme la Plaza de toros de Madrid, il doit être de 469 kg minimum (2e catégorie, 435 kg ; 3e, 410 kg) et doit au moins avoir cinq ans.
Illégalités commises avant le combat. Les tricheries consistent à combattre un animal plus jeune qu’il ne l’a été annoncé (en dépit du marquage au fer rouge de l’année de naissance et de certificats de naissance, souvent falsifiés par les éleveurs) ; à le droguer pour le rendre plus docile, à scier ses cornes. D’autres pratiques existent, comme la purgation, l’étourdissement du taureau mis dans une cage que l’on fait tourner, des sacs de sable sur la colonne vertébrale pour la lui écraser quelques heures avant la corrida, etc.
Ceci ne fait pas partie des conditions de vie des taureaux à l’état de nature, et fausse le duel en mettant le taureau en position de faiblesse.
La réglementation sur les blessures que l’on a le droit d’infliger au taureau pendant la corrida est très stricte.
Les illégalités volontairement pratiquées durant le combat consistent, par exemple, à piquer le museau avec la pointe du bâton de la muleta, ou à planter les banderilles dans la blessure de la pique ; le temps imparti pour porter l’estocade ne doit pas non plus être dépassé. Toutes ces fraudes tendent à mettre en vedette l’homme et à lui faire combattre une apparence de taureau, ce qui est contraire au principe de l’affrontement loyal qui requiert l’égalité des chances.
Les carcasses des animaux morts sont d’ailleurs souvent auscultées pour voir s’il y a eu, ou pas, illégalité des coups.
N.D.L.R. On a interdit vers 1860 l’usage des chiens à la fin de la corrida, puis vers 1880 l’usage de la media luna (une pique avec un tranchant en forme de demi-lune fixé au bout, pour couper les jarrets du taureau).
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LA TOURADA PORTUGAISE.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR.
Il n’y a pas de mise à mort publique dans la corrida portugaise (tourada, de touros = taureaux).
Signalons honnêtement qu’il semble bien néanmoins que l’animal soit abattu (achevé ?) en coulisse.
Il va de soi que nous préconisons plutôt…
a) un meilleur traitement du taureau dans l’arène, rapprochant le spectacle de celui donné dans les courses camarguaises ou landaises
b) des soins vétérinaires pour remettre sur pied le taureau et lui accorder une retraite bien méritée.
Le combat de taureaux à cheval, spécialité du Portugal, est donc appelé tourada ou corrida de touros (corrida = course, touros = taureaux). La tourada met en valeur des qualités appréciées des Portugais : l’adresse, le courage. La performance du cheval et son habileté à contrecarrer les mouvements du taureau dans l’arène sont des facteurs très importants dans sa sélection. Ce qui explique l’allure du cheval, qui possède un cou très puissant et des épaules massives. Cette forme de tauromachie montée s’avère, en général, une démonstration équestre authentifiant la maîtrise du cheval et de son cavalier. L’accent est mis sur le raffinement de l’étalon, sa beauté ainsi que son habileté. Les charges dévastatrices du taureau, que dot esquiver à la toute dernière minute le cheval, demandent une série de manœuvres démontrant par le fait même la grande agilité ainsi que la richesse du répertoire comportemental de ce dernier. De telles épreuves demandent un contrôle quasi parfait de la part du cavalier tout comme un entraînement très strict de la monture.
La tourada portugaise proprement dite se déroule en quatre temps faisant au total une dizaine de minutes.
Il y a d’abord le défilé des participants : les cortesias.
Ensuite commence le premier tiers-temps, celui de la pose des farpas. Le cavalier tient une farpa, sorte de lance avec un harpon fixé au bout. À la sortie du taureau, le cavalier provoque l’animal et plante dans son corps ce harpon qui en se détachant du manche, libère un petit drapeau enroulé autour. Cela permet au cavalier de faire suivre le taureau, en étudiant ainsi son comportement. Le cavalier a droit à trois farpas.
Le deuxième tiers-temps est celui de la pose des banderilles par le cavalier (6 à 9 selon la capacité du taureau).au niveau des muscles du cou de l’animal, qui essaie de les faire tomber. On le comprend facilement, le taureau devient alors de plus en plus agressif, et charge le cheval.
NOTE DE L’AUTEUR : CES BANDERILLES POURRAIENT ÊTRE REMPLACÉES PAR DES DÉCHARGES ÉLECTRIQUES.
Les Portugais ont du respect pour l’animal et honorent son courage ainsi que sa bravoure. Ils considèrent cela comme un combat, mais excluent l’humiliation publique dans la souffrance, du perdant. Ce respect de l’animal va jusqu’à l’affronter d’égal à égal. Il n’y a donc pas non plus de « picador » pour poser des banderilles du haut de sa monture. Le cavalier provoque la charge du taureau en galopant à sa rencontre, esquive les cornes, plante une banderille au passage, et s’enfuit, poursuivi par le taureau. Mais le cheval étant plus rapide, le poursuivant ne tarde guère à cesser la poursuite. Le cavalier empoigne une nouvelle banderille, provoque de nouveau son adversaire, l’esquive, plante la banderille, et s’enfuit.
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Le dernier tiers temps est celui dit de la pega effectuée par 8 jeunes gens appelés forcados (car autrefois ils avaient des fourches à mousquets).
La présence des forcados dans les arènes portugaises est une survivance des anciennes compagnies de mousquetaires chargés autrefois d’assurer la sécurité de la loge royale et du public en encerclant la piste. La pique à deux dents que l’on fichait en terre pour tirer au mousquet était appelée forca, fourche. Elle est parfois portée à titre purement décoratif par les forcados lors des cortesias, cérémonie d’apparat ouvrant le spectacle.
Lorsque l’animal, s’approchant de l’assistance, rendait l’usage des armes à feu trop dangereux, il était nécessaire de le saisir à mains nues pour le remettre sur la piste. Ce fut ainsi que fut créée et codifiée la pega. Elle devint une phase séparée du spectacle quand les premières arènes fermées rendirent inutile la présence d’hommes armés.
Autres restes de ce passé militaire : le chef de l’équipe s’appelle encore aujourd’hui cabo (caporal en portugais). De même, le bonnet de laine n’est autre que la pièce de tissu que les anciens soldats enfilaient avant le casque pour ne pas se blesser le cuir chevelu avec ses aspérités métalliques.
Déroulement de ce troisième et dernier tiers-temps.
Puis vient la partie comique de la tourada : l’arrojado. Cette seconde partie de la course consiste à immobiliser le taureau à mains nues.
Cet exploit serait bien difficile à réaliser avec un animal en pleine possession de ses moyens. C’est pourquoi les forcados n’interviennent qu’à la fin de la « tourada », une fois que le taureau a été bien épuisé par le cavalier.
Les forcados (dits aussi mozos de forcado ou pegadores) agissent en équipe, sous la conduite d’un chef. Leur rôle est d’immobiliser le taureau selon des règles précises, la plus connue étant la « pega de cara ». Le responsable des forcados portant un bonnet de couleur verte, provoque le taureau dont la charge est devenue plus courte, en se présentant devant lui face à face. Il a son béret de bouvier à la main et invective le taureau.
Lorsque l’animal baisse la tête pour charger, l’homme se jette entre les cornes et s’accroche vigoureusement à elles. Les autres membres de l’équipe s’élancent à leur tour, empoignent le taureau (le garrot, la queue, etc.) et joignent leurs forces pour l’immobiliser. Les chocs sont assez violents. Dans ce que l’on peut considérer comme l’acte final, tous les forcados se retirent, sauf un qui retient la queue de l’animal. Le taureau tourne alors en rond en tentant d’atteindre la chose qui lui tire la queue, mais sans jamais y arriver.
L’éthique des forcados exige que l’équipe s’y reprenne autant de fois que nécessaire en cas d’échec.
En portugais, cette manœuvre souvent spectaculaire se nomme a pega (de pegar : attraper). Les violents chocs frontaux qu’elle suscite peuvent occasionner de graves traumatismes crâniens ou thoraciques et mener parfois jusqu’à la mort.
Les différents types de pegas.
Il existe plusieurs types de pegas selon la physionomie et l’attitude du taureau. Dans tous les cas, le rôle du forcado de tête (pegador) est capital, car il est chargé d’attirer l’animal tout en maîtrisant sa charge. La réussite complète de l’opération exige une coordination parfaite avec ses partenaires.
Après la pega, le taureau est ramené au toril puis, en principe, conduit à l’abattoir.
N.B. Il peut aussi en effet être gracié ce qui est toujours un bon geste, la tranche de viande dans votre assiette quotidienne pourra bien attendre, pour une fois.
Le taureau est « emboulé » (c’est-à-dire qu’il a les cornes neutralisées par une boule ou un étui en cuir souvent terminé par un petit bout de bois rond et/ou épointé.
Ce qui est inconcevable pour certains aficionados de la corrida espagnole, mais diminue évidemment les risques de blessures mortelles pour le cavalier ou sa monture.
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Le cheval porte aussi une sorte de couverture rembourrée (un caparaçon) afin de ne pas subir de coups trop sévères en cas de charge du taureau. Malgré cela, les blessures et les fractures ne sont pas rares.
Les démonstrations étant données dans une arène de dimension assez réduite, la rapidité du cheval ne lui sert pas vraiment à grand-chose, il convient par conséquent d’effectuer des manœuvres précises. C’est donc l’art de l’esquive qui se révélera important pour le cheval et son cavalier, qui sont constamment suivis, de quelques centimètres, par la bête. Les défilés d’ouverture précédant les combats ont une grande importance. Elles mettent en valeur les costumes des participants, qui sont dits à la Louis XV ou « la mode française » du XVIIIe siècle (pour quelle raison ? On se demande bien) pour les cavaliers (cavaleiros), l’élégance des chevaux, les figures équestres… Ce qui fait dire à certains que la tourada ou corrida de touros est un art tauromachique élevé à son plus haut niveau, car ces combats de taureaux ne sont pas centrés sur l’effusion du sang ou la domination. Le but est davantage de démontrer les talents et l’entraînement de la monture, plutôt que la capacité à tuer un animal.
Le travail de dressage est impressionnant : le cheval est un animal que l’instinct pousse à fuir devant le danger, mais son dressage l’amène à devenir un participant actif de la tourada. Le cheval est attentif, donne l’impression de se servir naturellement de sa queue pour conduire la charge du taureau, cherche à capter l’attention du taureau. Les feintes face à celui-ci sont spectaculaires.
Il existe également d’autres manifestations plus singulières de la tauromachie, entre autres dans de petits villages du Ribatejo (Nord du pays). Des batailles entre deux énormes taureaux, généralement de race barrosa (ce qui n’est pas sans évoquer le fameux termagant brun de Cooley des légendes irlandaises).
Aux Açores les combats de taureaux sont un peu différents. Les cavaliers (ou dans ce cas les picadors) utilisent parfois des puyas (d’énormes lances à la pointe acérée) comme ceux qui sont utilisés dans les arènes espagnoles.
Sur l’île de Terceira (la troisième île des Açores), une longue corde est attachée au cou de la bête, qui est par la suite relâchée dans les rues de la ville ; et poursuivie par des participants parfois frénétiques, tirant et relâchant sans cesse la corde. Le bruit fait par l’explosion d’un pétard avertit les habitants qu’un taureau est dans la rue, et que le « jeu » va commencer. Le but est de venir le plus près possible du taureau sans se faire toucher.
La tourada portugaise n’a donc rien à voir avec la corrida espagnole. L’affrontement principal au Portugal se fait à cheval, alors qu’il se fait plutôt à pied en Espagne. La particularité ici est que le héros du spectacle est le cavalier, appelé cavaleiro en portugais, non le torero comme c’est le cas en Espagne, et qu’il y a un final comique effectué par des toreros à pied affrontant le taureau à mains nues.
La tourada est bien plus qu’un combat. C’est une démonstration d’adresse, de courage, mais aussi un vrai spectacle digne des plus grands films d’émotion, d’action, et, bizarrement, parfois même d’humour.
Il émane d’une tourada une sorte de féerie. Le spectacle se passe aussi bien dans l’arène que sur les gradins. Tout y est spécial et unique. L’atmosphère, l’émotion, les images étincelantes, les sensations ressenties, l’odeur âcre de la terre rouge recouvrant le sol…
Qu’on en soit partisan ou adversaire, le fait d’assister à une tourada au moins une fois dans sa vie est assurément un moment marquant.
Contrairement aux « corridas » espagnoles, dans les « touradas » il n’y a pas de mise à mort en public du taureau (pas de matador donc).
On fait sortir le taureau épuisé en l’attirant hors de l’arène avec des vaches ou des bœufs et il est simplement conduit le lendemain à l’abattoir ou soigné puis ramené dans les verts pâturages de son enfance après s’être défendu bravement.
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COURRIER DES LECTEURS.
« Je suis anti corrida, je n’admets absolument pas que l’Homme abuse des animaux pour son plaisir !!!
Mais dans la course landaise, je n’ai jamais vu de geste choquant à l’encontre des coursières (les vachettes), elles sont au contraire adulées ou aimées à un tel point que j’ai eu du mal à le comprendre au début ! Les plus grandes ont des noms qui font vibrer les coursaïres (les passionnés). FEDERALE, ESTAGNITA, MARCIACAISE, ARMAGNACAISE… « La Corne d’Or » qui a lieu à Nogaro dans le Gers récompense la meilleure vachette de l’année. Les coursaïres ont une grande admiration pour ces bêtes, tout autant qu’ils en ont pour les autres acteurs de la course !
Lutter contre la maltraitance des animaux, je suis tout à fait d’accord. Mais je considère que si vous êtes contre la course landaise, vous devriez être aussi contre l’équitation par exemple !
À ce compte-là, plus aucun sport ne devrait se pratiquer avec des animaux, cela est complètement ridicule !!!
Nous aimons les animaux et les faisons participer de différentes manières à notre vie, il n’y a aucune maltraitance là-dedans !!! Voilà ce que je pense ! »
Michelle 974. Le 14 décembre 2004.
« L’exemple ou la formation que vous osez proposer aux jeunes est épouvantable, même les jeux de rôles pour garçons hyperactifs ou un peu demeurés sont meilleurs. Vous êtes un bien piètre éducateur ».
Renée 713. Le 12 janvier 2005.
* Coursière. Vache participant à la course. En Gascogne (sud de Bordeaux).
** Coursaïre. Être humain amateur ou connaisseur de ce genre de spectacle. En gascon.
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RÉPONSE : LA VIE N’EST PAS UN JEU VIDÉO.
On reproche en gros à l’auteur de ce survol de différents sports sortis de mode d’avoir, dans sa fort maladroite défense d’Hemingway, fait le rapprochement entre les druides du folklore bobo actuel et les prêtres officiant lors d’une tauroctonie ou d’un suovetaurile antique.
Mais la vraie druidiaction ce n’est pas celle des jeux vidéo de type jeux de rôle ou jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs pour adolescents comme donjons et dragons ou les autres du même genre, où le druide est un archétype proche du sorcier, une classe de personnages proches du sorcier.
CONSTRUISONS NÉANMOINS L’HOMME NOUVEAU AVEC LE MEILLEUR DE L’ANCIEN.
L’homme nouveau d’aujourd’hui doit d’abord et avant tout être un « très sachant » et ensuite seulement un esprit sain dans un corps sain analogue à celui des arts martiaux, mais surtout pas un superhéros (qui correspondent plutôt aux dieux de l’antiquité).
Par contre ceux qui ont un tant soit peu creusé la question savent aussi que le druidisme n’a jamais été contre la biodiversité animale. Ni même contre la biodiversité humaine, ce qui n’est peut-être pas le cas de la plupart des défenseurs de l’actuelle mondialisation tous azimuts du capitalisme (disparition des langues et des cultures dans un gloubi-boulga universel pour Casimirs).
À vrai dire il n’y a rien de plus vraiment écologique que la druidiaction, mais d’une écologie bien comprise, cohérente, sans hypocrisie, et non schizophrène ou au cerveau aveuglé par une grosse tache de Mariotte.
Je parle en connaissance de cause, la preuve : je joins en annexe plus de 10 documents prouvant ce que je dis même si certains sont surtout des contre-exemples de ce qu’il faut éviter, ou des points de départ pour la discussion. En tout cas ce sont des exemples couvrant un peu tous les domaines AFIN DE BÂTIR UN HOMME NOUVEAU AVEC LE MEILLEUR DE L’ANCIEN.
Quant à la première lettre, celle de Michelle, voici ce que je peux en dire.
Ma petite Michelle, ce que tu dis est à la fois très juste, mais aussi un peu léger. Naïf et dépourvu de recul, sans profondeur. Un peu comme les écrits de nos modernes philosophes ou journalistes d’ailleurs, mais toi tu as une bonne excuse, tu es très jeune. Ce qui n’est pas leur cas.
Permets-moi de commencer de très loin pour répondre à ton objection. Nous autres très sachants de la druidiaction d’aujourd’hui ne sommes nullement contre l’équitation, qui peut faire beaucoup de bien à certains jeunes malades (hippothérapie). Faire du cheval et jardiner ou élever des animaux (utiles), personnellement, devrait faire partie des activités de tout responsable politique qui se respecte, il aurait ainsi les pieds sur terre. Passer la moitié de leur temps (pour le reste ils ont de quoi se payer des secrétaires et des ministres à la tête bien pleine) à travailler la terre de leurs propres mains ou élever des animaux utiles les rendrait plus sages. Moins cons !
RÈGLES DU GRAND JEU DE RÔLE DE LA VIE,
Classe des druides ou trans-classe là je fais ce que je veux puisque le créateur du jeu c’est moi, et pour ce qui est des druides je m’appuie sur mes connaissances personnelles en ce domaine et pas forcément sur leurs rôles habituels ou traditionnels dans les jeux connus à ce jour, qui varient
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beaucoup d’ailleurs, en ce qui me concerne mon modèle est Catubatuos l’irlandais, un druide-guerrier).
Rappelons pour commencer que la philosophie religieuse la spiritualité ainsi que la pratique des principaux personnages de cette classe, de cette première classe qui regroupe les grands acteurs du jeu politique, ne sont pas issues d’une prétendue révélation faite aux hommes à grands coups de trompette de Jéricho ou des vaticinations de soi-disant prophètes, mais font appel à la raison et à la réflexion, sur douze livres comme les Fénianes, sur toute une bibliothèque d’Alexandrie, et non sur un seul livre. Par définition elles ne peuvent par conséquent qu’évoluer, à l’intérieur d’un triangle dont les pointes sont l’athéisme le panthéisme et l’agnosticisme. Ce qui importe donc dans ce cas c’est l’esprit, ou les grandes lignes, pas la lettre. D’où la première règle du jeu ci-après, enfin toujours selon moi et ma conception du rôle de cette classe d’individus.
Règle N° 1.
La grande aventure humaine ne peut être possible que par une expérience vécue au prix d’un apprentissage intensif. Plus l’apprentissage est dur, plus l’expérience acquise et l’efficacité seront grandes. Le secret ne peut être transmis d’un homme à un autre, il doit être conquis. Ce que vous aurez appris en écoutant les paroles des autres vous l’oublierez vite, ce que vous aurez expérimenté avec la totalité de votre corps, vous vous en souviendrez toute votre vie.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, ce druidisme des très sachants reconnaît toutes les voies pouvant aider à retourner au Grand Tout dans de bonnes conditions (après séjour plus ou moins long dans un monde meilleur évidemment, tout comme la tradition bouddhiste de la terre pure occidentale) et n’en rejette aucune a priori, même la tauroctonie de Mithra, qui fait aussi partie du patrimoine universel de l’humanité. Tout au plus pense-t-il que certaines sont plus rapides que d’autres, et peuvent donc en quelque sorte constituer des raccourcis.
Son enseignement transcende aussi bien l’ascétisme le plus rigoureux que l’hédonisme le plus sensuel.
Au cours des siècles ce druidisme de première classe a recensé, et permis, une ouverture à différents plans de conscience. Grâce à diverses techniques, quelquefois même à l’aide d’artifices extérieurs, souvent des procédés physiques. Méditation immobile à la Cornunnos, assis sous un chêne dans la forêt, dans le cas des druides de type aventieticos au Pays de Galles (Merlin) ; ou pratiques dynamiques externes, mais aussi extatiques, dans le cas des druides guerriers (Catubatuos en Irlande).
La vraie vie n’est pas un jeu vidéo avons-nous dit. Les jeux de rôle vidéo ou les jeux de rôle massivement multijoueurs en ligne constituent néanmoins un incontestable embryon de spiritualité si l’on en croit Véronique Donard et Éric Simar dans leur article « Les dieux vidéo. De la dimension spirituelle adolescente dans les jeux vidéo » de la revue trimestrielle de psychanalyse « Adolescence » (Éditions GREUPP) publiée en 2013. »
« La spiritualité, des travaux récentsl’ont amplement démontré, est un processus dynamique indispensable à la structuration psychique de l’individu. Elle se met en place dès la naissance, mue par l’impératif besoin de sens de l’être humain…… Nonobstant, si cette dynamique spirituelle propre à la psyché humaine peut exister indépendamment de tout sentiment explicitement religieux, seule la sublimation lui permet de s’ouvrir à une instance supérieure détentrice de sens identifiée comme telle. Or, qui dit sublimation dit également idéalisation, son dangereux et aliénant pendant, qui comme la première prend racine sur le sol des valeurs et se met en place lorsqu’un danger vient menacer les repères objectaux et identitaires du sujet…… Comme l’a expliqué Ph. Gutton, le processus de croyance en tant qu’« acte de penser sur lequel s’édifie le sentiment d’exister »joue un rôle primordial dans la séparation entre le monde interne et les objets externes… il existe une certaine catégorie de jeux vidéo qui favorise et sollicite autant sur le fond que sur la forme les processus de croyance de l’adolescence. Ce type de jeu appartient à la catégorie des jeux de rôle ainsi qu’à leur extension multijoueur en ligne, les Jeux de rôle massivement multijoueur en ligne.
De façon générale, les RPG et les MMORPG proposent des univers construits autour d’éléments graphiques et narratifs qui découlent de la lignée du Médiéval-Fantastique et de l’Heroic-Fantasy. Ils permettent au joueur de s’immerger dans un monde imaginaire, centré autour de la période du Moyen-âge et peuplé par des personnages fantastiques qui relèvent des domaines mythiques et légendaires. Chevaliers, nains, orcs, trolls, ogres, licornes, vampires… Cette configuration particulière de l’univers du jeu le fait regorger d’éléments riches en symbolique spirituelle et religieuse.
Dans les scenarii, tout d’abord, nous retrouvons des points communs tels qu’une approche pré ou post apocalyptique dans laquelle le monde se trouve menacé d’être déchiré, divisé ou en voie d’extinction, faisant appel à un héros à la destinée messianique qui, par son courage et sa bravoure, lui apporterait le salut. Héros destiné, bien entendu, à être incarné par le joueur… Nous ne pouvons ici
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faire l’impasse sur la très forte dimension initiatique sous-jacente à la progression du personnage incarné par le joueur. Pour mener à bien sa mission, ce dernier devra affronter des épreuves appelées quêtes qui, une fois accomplies, apporteront à son personnage compétences, puissance et reconnaissance. Or il se trouve que, si, parmi ces quêtes, certaines sont assez classiques, d’autres font clairement allusion aux sphères spirituelles ou religieuses ».
NB. Il va de soi que les personnages de type « voleur » ou « nain » ou « magicien » ou « vampire », etc. de ces jeux ne sauraient être des éléments structurants d’une vraie spiritualité en voie de formation.
Et que pour cette spiritualité adolescente cesse d’être par trop manichéenne ou mûrisse et convienne à des adultes dignes de ce nom il y aurait lieu de de réhabiliter quelque peu la troisième classe de personnages de ces jeux de rôle modernes, celle des producteurs paysans artisans ouvriers, etc.
Voire d’y insérer une quatrième classe d’individus que, faute de terminologie indo-européenne adaptée, nous pourrions appeler atectai ou choudras.
On distinguera donc dans notre druidisme à nous 4 voies principales selon la technique mise au premier plan.
— La voie de la première fonction ou voie de la connaissance, qui vise à l’indépendance de l’esprit par la prise de conscience de la relativité des choses et l’interrogation sur le « que suis-je ? ». Comme tout se tient en ce bas monde (Mediomagos le monde des hommes), il s’agit de distinguer ce qui est faux de ce qui est vrai (la notion de vérité a toujours été très importante pour les très sachants de la druidiaction antique), ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, et ce qui est éternel ou immortel de ce qui ne l’est pas. « À vous seuls il est donné de connaître comme de les ignorer, les dieu-ou-démons et les puissances célestes » (Lucain la Pharsale, Livre I). Récitation par cœur de textes et de diverses autres formules (lorica, etc.) caractérise ce druidisme de première fonction.
Une variante de ce druidisme ou méditation psychophysique, le druidisme de type aventieticos (raja yoga dans l’hindouisme), se pratique dans une totale immobilité du corps et de l’âme/esprit, à travers les techniques méditatives, utilisées pour se rendre compte de sa vraie nature. Voir Cornunnos ou Merlin assis en tailleur sous un chêne dans la forêt.
— La voie de la deuxième fonction. Celle de l’action et de la discipline du corps, à travers différentes positions, mais aussi le contrôle de son souffle ainsi que le travail sur l’énergie mentale. C’est la voie du druide de type lucterios ou du guerrier de type Catubatuos, ou Ambicatus, dite aussi voie du Setanta. Bodhidharma en Extrême-Orient. C’est un type de personnage très connu dans les jeux de rôles actuels.
— La voie de la troisième fonction ou voie de l’action désintéressée (le karma yoga dans l’hindouisme) où l’on accomplit son devoir sans chercher à en recueillir à tout prix les fruits.
Ainsi que l’ont bien remarqué en 2013 Véronique Donard et Éric Simar dans leur article « Les dieux vidéo. De la dimension spirituelle adolescente dans les jeux vidéo » de la revue trimestrielle de psychanalyse « Adolescence » (Éditions GREUPP) la troisième fonction productrice est la grande perdante pour ne pas dire la grande absente des jeux vidéo. Et ne parlons pas de la classe des peuples vaincus, les Atectai ou Choudras en Inde.
« Si les personnages des jeux vidéo de type RPG ou MMORPG sont de toute évidence calqués sur le modèle des fonctions tripartites indo-européennes mis à jour par G. Dumézil – fonction sacerdotale, guerrière et productrice –, le choix des classes destinées à être incarnées par les joueurs délaisse la fonction productrice au profit de la guerrière et de la sacerdotale, la fonction productive intervenant plutôt comme complément du personnage, qu’il soit prêtre ou guerrier ».
Mais ce n’est pas parce que les jeux vidéo pour adolescents font l’impasse sur cette troisième fonction productrice que nous autres très sachants du vrai monde devons faire de même. Il importe donc dans l’intérêt de nos sociétés de réparer cette injustice enracinée dans nos esprits dès l’adolescence vu l’importance du travail manuel dans l’équilibre général de l’individu voire pour notre survie à tous dans un proche avenir si l’on en croit les collapsologues (nos auteurs parlent de monde post apocalyptique).
Dit autrement (de façon sublimée), cette voie consiste à remplir ses obligations, sans désirer ou attendre de récompense pour cela. C’est une sorte de sacrifice perpétuel, une incitation à œuvrer en permanence pour le Bien supérieur de l’Humanité voire du monde. Y compris en se consacrant à une profession donnée ou à toutes sortes de services communs, à effectuer sans se préoccuper d’un
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quelconque gain personnel. Il y a également utilisation de l’énergie sexuelle dans ce druidisme de troisième fonction (fécondité) ce qui apparente aussi cette voie druidique au tantra yoga indien.
Mais la spiritualité du nouveau monde (bâti avec le meilleur de l’ancien) à venir doit également se pencher sur le sort des vaincus de la mondialisation, des Atectai irlandais aux Choudras indiens et pour eux la plus grande indulgence s’impose.
Il ne s’agit pas de « trahir » la règle de la Tripartition aryenne chère à Dumézil, MAIS DE L’ACCOMPLIR. Un peu comme le grand rabbin nazoréen Yehoshoua Bar Youssef l’a fait pour la Loi de Moïse (Matthieu 5, 17).
Nombreux d’ailleurs sont les penseurs comme le professeur Pierre Sauzeau qui pensent que le meilleur moyen de conforter une loi sociologique est de contribuer à son évolution en l’élargissant.
Avec son frère André propose d’ajouter une quatrième fonction aux trois qui ont été repérées par Georges Dumézil dans les mythologies indo-européennes, une quatrième fonction regroupant ce qui est marginal, étrange et étranger, ce qui échappe à l’Ordre cosmique ; et qui complèterait de façon économique, sans la dénaturer, la trifonctionnalité dumézilienne.
Car la trifonctionnalité dumézilienne n’explique pas tout. Les limites de la théorie apparaissent clairement quand on considère l’importance des données qu’elle doit renoncer à expliquer ou les complications qu’elle entraîne. Dionysos, Apollon, Artémis, Hécate – liés entre eux – peuvent illustrer d’une façon ou d’une autre la trifonctionnalité, mais ne se laissent pas situer dans une analyse strictement trifonctionnelle du panthéon, comme le reconnaît Dumézil lui-même d’ailleurs.
Cette quatrième fonction regrouperait par exemple le dieu védique Rudra, le scandinave Loki, ou encore le grec Apollon, qui ne trouvent pas leur place dans les trois fonctions duméziliennes, ou encore des personnages mythiques ou légendaires tels que Robin des Bois (un féniane ?) ou Ulysse.
N.B. L’hypothèse d’une quatrième fonction a été émise en 1961 par Alwyn et Brinley Rees à partir de la tradition celtique, et notamment de la géographie traditionnelle de l’Irlande : 4 provinces plus un centre. G. Dumézil ne l’avait pas condamnée, mais pensait qu’il s’agissait d’une innovation locale.
Ce en quoi il avait tort puisqu’on la retrouve chez les Galates d’Asie mineure avec leur tétrarchie et leur drunemeton. Mettons qu’il s’agit d’une particularité propre au monde celtique et n’en parlons plus.
La théorie quadrifonctionnelle des Rees voit dans le système des varnas indiens une application d’un modèle conceptuel quaternaire pan-indo-européen. Et peu importe l’origine des choudras : qu’ils aient été éventuellement non indo-européens n’exclut nullement qu’on leur ait assigné une place fonctionnelle dans l’idéologie indoeuropéenne. Le varna des choudras constitue bien le quatrième terme d’une série quadrifonctionnelle, à la fois homologue aux autres (comme varna à sa place, la dernière, dans la hiérarchie des varnas) mais aussi hétérogène aux autres (comme varna écarté des sacrifices).
D’où notre…
— Voie des maudits ou des damnés de la terre, la voie de la quatrième fonction, celle des peuples vaincus et devenus « dhimmis » ou voie de la dévotion totale aux dieux (ou démons *) : le vaincu s’en remet à leur grâce (bhakti yoga dans l’hindouisme). Cette dernière voie s’est rapidement confondue avec la précédente, celle du petit peuple des hommes libres. Elle peut se résumer en l’adoration des différentes divinités celtiques, on dirait aujourd’hui « à trouver le salut dans la foi » (en Jéhovah, Jésus, ou Allah, peu importe !).
N’oublions pas néanmoins que tous ces chemins mènent théoriquement au même but, l’accès au Grand Tout, le Grand Englobant Universel, car la connaissance métaphysique ou l’abandon à sa destinée, ne sont pas les seules voies pouvant conduire à cette réintégration (après ultime amélioration dans l’Autre Monde).
Alors que dans la druidiaction de première fonction, la voie permettant de réintégrer le Grand Tout, le Pariollon (via un plus ou moins long séjour dans un monde meilleur avons-nous dit), est celle de la connaissance, et très secondairement la méditation ; le druidisme de la deuxième fonction, lui, accorde moins d’importance à la connaissance et beaucoup plus à la concentration mentale, au sens fort du terme.
Le salut peut aussi, pour ainsi dire, être conquis de haute lutte, au moyen d’une technique pouvant conduire à une profonde maîtrise du corps et de l’âme/esprit. Le but de cette technique est de remplacer la conscience normale par une autre, qualitativement supérieure. C’est peut-être d’ailleurs
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ce qu’Ammien Marcellin a caricaturé en écrivant « De nombreux individus de rang inférieur, ayant perdu tout sens commun à cause d’une perpétuelle ivresse, ce que l’apophtegme de Caton définit comme une sorte de folie volontaire, courent un peu au hasard presque dans toutes les directions ». Nous autres, très sachant de la druidiaction d’aujourd’hui cela nous fait plutôt penser aux awenyddion de la tradition galloise. In vino veritas. Enfin, bref poursuivons !
Règle du jeu N°2.
Ce qui est certain en tout cas c’est que pour pouvoir se concentrer, il faut arrêter le tourbillon des états de conscience inférieurs, ne plus être en colère par exemple, car la colère est mauvaise conseillère ; et pour cela il faut donc d’abord expérimenter de tels états de conscience. Loin donc de l’agitation et des tourbillons de la vie.
Ces états de conscience sont en nombre illimité certes, mais on peut en gros les classer en deux catégories : les erreurs de raisonnement et les illusions.
Cette élimination de la conscience ordinaire des erreurs de perception, des erreurs de raisonnement, des confusions…
Bref, de la quasi-totalité des expériences psychologiques ordinaires quotidiennes (tout ce que l’on sent pense, tout ce qui traverse l’esprit de l’homme ordinaire)…
N’est néanmoins pas si facile à obtenir. Outre le savoir, elle implique aussi une pratique, et une certaine forme d’ascèse : la voie de la deuxième fonction, celle de la force et du physique.
Pour cela, le vercinget celte ou berserk des jeux de rôle doit maîtriser les techniques conseillées par son luctérios (son maître) ; respecter le Kission c’est-à-dire l’ensemble des interdits éthiques et religieux tripartites ou mieux, quadripartites, de son état (ses gessa) ; pratiquer la concentration ou fixation du mental qui mène à l’illumination de type auentieticos (awen en gallois). Laquelle idéalement s’accomplit dans un état de fusion métamorphique du corps et de l’âme/esprit, qui n’est pas « sortie de soi », mais au contraire « retour au soi », et à la véritable nature de l’âme. Car il y a unité indissoluble de l’être humain, qui n’est pas seulement un corps + une âme, mais qui est « corps + âme + esprit » (cicos + anamone + menman). Du moins si l’on en croit ce que l’on peut savoir de l’anthropologie druidique ancienne (et pas de la druiderie d’aujourd’hui).
Le but des arts martiaux celtiques enseignés dans les grianon par les lucterios (druides guerriers) est de mettre en relation l’anamone ou âme individuelle, avec l’âme cosmique éternelle (awentia ou awenyddia). Le guerrier celte évolue en effet dans une compréhension holistique du monde : il connaît l’énergie vitale et la manière dont elle se diffuse dans le Bitos ou univers.
Par le contrôle de son mental, il sait détendre son corps, lâcher prise, et circonscrire ses émotions négatives, afin de devenir plus efficace. Le tout est obtenu par la pratique de différentes positions tant dans la lutte celtique que dans le maniement du bâton ou de l’épée (les asanas dans l’hindouisme) ; du contrôle de la respiration (les pranayamas dans l’hindouisme) ; et bien sûr de la concentration.
Le chasseur-chaman-guerrier ainsi libéré reçoit ce que la volonté divine lui apporte, il est devenu maître de sa nature terrestre, et a conquis son être spirituel.
Il utilise son imagination et le pouvoir de sa vision intérieure pour aiguiser ses perceptions, pour transformer son intuition naturelle en sixième sens voire en clairvoyance. Il découvre la transcendance-immanence dans les manifestations de la nature qui l’entoure. Il s’en imprègne naturellement… et la nature lui répond, en lui offrant des « pouvoirs ». Naturels ou surnaturels ou préternaturels ? Là n’est pas la question ! Le surnaturel n’est que du naturel non mesurable…
Le druidisme de type guerrier, de type lucterios ou catubatuos, est donc une manière d’être, d’aiguiser ses perceptions afin de se mettre au service de la communauté, tout en restant libre.
Il place la vraie compassion (non hypocrite) au centre de ses valeurs, c’est-à-dire qu’il souffre des souffrances de l’autre sans tomber dans la sensiblerie ou la mièvrerie, car il préfère l’éthique de responsabilité wébérienne à l’éthique de conviction, apprendre à pêcher que donner un poisson, et vit selon un principe de parole mûrement pesée,
« La vérité dans nos cœurs, la force dans les bras et l’art de bien parler ». « Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh », qui apporte une véritable sérénité à son message, à son enseignement, et à ceux qui les suivent.
Même si le guerrier féniane aime rire, car vivre en harmonie avec les forces de la nature rend naturellement gai ; il prendra garde de ne jamais plaisanter en humiliant qui que ce soit. Car la
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moquerie (comme la colère ou la rancune) souille celui qui s’y laisse aller, le privant ainsi de ses pouvoirs.
Voir les conseils en quelque sorte « déontologiques » que donne à son fils adoptif, Lugaid aux raies rouges, le futur roi des rois d’Irlande, Cuchulainn de Muirthemné. Cuchulainn qui, rappelons-le, en cas de guerre, ne tuait jamais « ni les cochers, ni les messagers, ni les hommes désarmés ».
« Ne provoque pas (taerrechtach) de querelles véhémentes et meurtrières ! Ne sois pas arrogant (díscir), inaccessible, hautain. Ne sois pas intraitable, orgueilleux, emporté, impulsif. Ne te laisse pas pervertir par l’ivresse d’avoir beaucoup de richesse. Ne sois pas comme une mouche tombée dans de la bière lors de ta visite du château d’un roi de province ?? », etc.
Le druide guerrier donc est un guerrier sans autre arme que la puissance de son heureux rayonnement : par sa simple présence, par ses prises de position, il contribue à l’affaiblissement des forces négatives et au développement de la société dans laquelle il vit. Le meilleur exemple en est encore le Lug/Hermès mentionné par Martial, et qui n’avait même plus à combattre pour vaincre, tant était grande la force morale (la magie diraient certains) émanant de sa personne. « Hermès est habile à manier toutes les armes ; Hermès est gladiateur et maître d’escrime ; Hermès est la terreur et l’effroi de ses concurrents ; Hermès sait vaincre, et vaincre sans frapper. Hermès ne peut être remplacé que par lui-même ».
Mais s’il devient nécessaire de se battre physiquement (afin de protéger des innocents, par exemple), le très-sachants de la druidiaction (druidecht) se mue alors en maître ès arts martiaux. Dans leurs expressions les plus pures, les arts martiaux enseignés dans les grianon par les lucterios comme Scathache étaient en effet des disciplines utilisant le contrôle maximum de soi-même, corps, âme, et même esprit, qui permet de désarmer l’ennemi… afin de pouvoir l’épargner. Ayons foi en la puissance de l’Esprit qui peut nous guider individuellement ou collectivement dans notre marche vers l’idéal. Mais la confiance en soi du guerrier ne doit pas être celle de l’homme ordinaire.
Ce dernier cherche à se conforter dans les yeux des passants et appelle cela confiance en soi. Le vrai guerrier cherche l’impeccabilité à ses propres yeux et appelle cela : humilité. L’homme ordinaire s’accroche à ses semblables, tandis que le guerrier ne vit que pour l’infini.
Ce qui caractérise le lucterios ou druide guerrier, c’est cette descente orphique au cœur de soi-même. Car en l’Homme vit toute une multiplicité d’univers et d’humanités, dont il n’a guère conscience, mais dont quelques éléments fragmentaires resurgissent parfois dans ses rêves, ou dans ses visions (aislingi). À moins qu’il ne les contacte délibérément, ce que font les druides guerriers comme Catubatuos. Pour eux, le concept d’imaginaire n’existe pas, ce que l’on imagine est une réalité pour l’esprit, d’ailleurs tout ce que l’Homme a inventé a été imaginé (mis en images) auparavant, et rêvé. Et si c’étaient nos esprits qui construisaient le monde ? L’imagination étant justement le premier des Pouvoirs, le pouvoir de l’Âme/Esprit.
Catubatuos 1° prophétisa un jour que la belle Deirdre provoquerait la destruction de l’Ulster, et que son petit-fils Cuchulainn aurait une existence glorieuse, mais brève. Et ce fut ce qui arriva !
La vocation première des arts martiaux celtiques ne concerne qu’indirectement le combat. Son but originel est d’unifier les différents niveaux, physique, psychique et spirituel, d’un être humain, en vue de le rapprocher du Grand Tout ou Pariollon (après un plus ou moins court séjour dans l’au-delà pour une ultime purification évidemment). Les arts martiaux celtiques visent donc à libérer l’être (humain) de la condition humaine.
Leurs techniques ont pour but d’aider l’homme à s’affranchir de ses limites et à transcender sa condition. Sur le plan mental, la vie de l’être humain est une constante décharge d’états de conscience divers, toujours sources d’erreurs et d’illusions. Un pas dans la voie de la libération des limites humaines est obtenu par la suppression de ces états de conscience divers (la colère, le fait d’être trompé, etc.), le sujet pouvant ainsi retrouver sa véritable essence.
Il existe diverses méthodes en rapport avec les différents tempéraments et selon les besoins de chacun pour arriver à ce résultat. Les arts martiaux celtiques sont cet ensemble de méthodes et de techniques physiques et mentales, ayant pour finalité d’atteler ensemble les facultés ainsi que les énergies du corps et du couple de forces âme/esprit (anamone/menman) 2°.Ce que la druidiaction prône c’est la maîtrise de soi, la domination des instincts ; non la suppression sans distinction de tous les désirs de l’être humain, englobant dans une même réprobation les tendances naturelles comme la
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sexualité la plus saine et les déviations de ce sentiment quand on n’est pas libre (que l’on vit comme des animaux dans un zoo). Les vrais très-sachants de la druidiaction (druidecht) soignent guérissent et perfectionnent, ils purifient par diverses techniques cathartiques et redressent, ils ne détruisent pas. Leur but n’est pas la suppression de la vie même.
Ce qu’enseignent les très-sachants de la druidiaction (druidecht) c’est que l’épreuve peut constituer un chemin menant au bonheur dans l’autre monde… plus court que les autres. Le druidisme ne supprime pas la souffrance, il l’ennoblit, la rend féconde, en fait l’instrument de tout progrès, le gage de notre grandeur future ; car c’est aussi par le sacrifice que l’on peut sauver ou être sauvé. Alors le féniane ou berserkr celte de type Vercinget, est libéré, aussi bien de la souffrance que de la peur, et dépasse les illusions ou les afflictions de ce monde. L’homme ainsi libéré reçoit ce que la volonté des dieux a voulu lui apporter, il est devenu maître de sa nature terrestre, et a conquis son être spirituel.
Celui qui est parvenu à ce but écarte avec rire et dédain la sphère tourbillonnante de la Terre. Mais la valeur de la souffrance dépend évidemment de l’usage que l’on en fait, des vertus dont elle est l’occasion : humilité, détachement de soi, etc. autrement elle aigrit. C’est pourquoi nul n’a le droit de se désintéresser des maux d’autrui (l’hospitalité par exemple est un devoir de tout Celte bien né). L’accomplissement réalisé par le maître druide guerrier (lucterios) lui donne des pouvoirs peu communs qui, évidemment, peuvent être recherchés pour eux-mêmes, au détriment du dépouillement de la volonté requis par la voie spirituelle. D’où son danger ainsi que la nécessité d’un Kission, d’un code éthique tripartite ou quadripartite très strict du moins si l’on en croit Seathrún Céitinn (Geoffroy Keating) à propos des fénianes dans sa Foras Feasa ar Éirinn (Histoire d’Irlande). À noter, Keating appelle ce Kission « fiach » dans son texte en gaélique, et non « geis » comme on aurait pu s’y attendre. Autrement dit la notion de devoir ou d’injonction éthique.
Autres règles du jeu donc.
Il y avait quatre obligations pour ceux qui étaient admis dans les rangs des Fénianes (des berserkr celtes de type vercinget).
La première obligation était de ne pas accepter de dot lorsqu’ils se mariaient, mais de ne prendre une épouse que pour sa bonne éducation et ses qualités, le deuxième commandement était de ne jamais forcer une femme (cf. Coran chapitre 4, verset 34 : «… Celles dont vous craignez l’insoumission, faites-leur la morale, désertez leur couche, administrez leur une correction physique… » **) la troisième obligation de ne jamais refuser de donner à un homme demandant quelque objet de valeur ou de la nourriture ; la quatrième règle était qu’aucun d’entre eux ne devait fuir devant moins de dix guerriers.
Les autres règles étaient les suivantes.
1) Nul n’était admis dans les fénianes 3° tant que son père sa mère son clan et ses parents, n’avaient pas garanti qu’ils n’exigeraient aucun dédommagement pour sa mort, afin qu’il ne puisse compter sur personne pour le venger, à part lui-même.
2) Nul n’était admis dans le fénianes tant qu’il n’était pas devenu vellède et n’avait pas lu les douze *** livres des vellèdes (fili 4°).
3) Nul n’était admis dans le Fénianes tant qu’il n’avait pas été enterré dans un trou jusqu’aux genoux, avec son bouclier ainsi qu’un bâton de coudrier long comme un bras, en main, afin d’affronter neuf guerriers armés chacun d’un javelot et pouvant s’approcher de lui jusqu’à une distance de 9 immaire ? et tant qu’ils n’avaient pas lancé leurs neuf javelots sur lui à la fois. S’il était blessé malgré son bouclier ou son bâton de coudrier, alors il n’était pas reçu dans les fénianes.
4) Nul n’était admis dans les fénianes tant que, après avoir eu les cheveux tressés, il n’avait pas été envoyé dans diverses forêts, avec tous les fénianes lancés à ses trousses afin de lui infliger quelque blessure, lui-même n’ayant que la seule ramure des arbres pour se défendre.
5) Nul n’était admis dans les fénianes si les armes tremblaient dans sa main.
6) Nul n’était admis parmi les fénianes si la branche d’un arbre dans les bois abîmait une seule des tresses de ses cheveux. ****
7) Nul n’était admis chez eux s’il brisait la moindre branche morte sous ses pieds. *****
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8) Nul n’était admis parmi eux à moins d’avoir sauté par-dessus un arbre presque aussi haut que lui, et à moins d’être passé sous un arbre pas plus haut que son genou, grâce à la seule souplesse de ses articulations.
9) Nul n’était reçu dans les fénianes à moins d’avoir pu se retirer une épine du pied avec la main sans s’arrêter de courir pour cela.
10) Nul n’était admis parmi eux sans avoir juré fidélité ainsi qu’obéissance au roi 5° des fénianes.
Dernier point maintenant, les arts martiaux celtes ne sauraient être matérialistes athées. D’après Strabon, certains Celtes et notamment les Galiciens d’Espagne étaient athées. Est-ce possible ou s’agit-il plutôt d’un manque de nuance de la pensée de Strabon, incapable de comprendre les subtilités de certaines Écoles druidiques ? En tout cas voici sa citation. « Certains auteurs affirment que les Gallaeci sont athées, tandis que les Celtibères et leurs voisins au nord sacrifient à un dieu-ou-démon sans nom, la nuit, à chaque retour de la pleine lune, devant les portes de leurs bourgades ; se livrant alors avec toute leur maisonnée, durant toute la nuit, à des rites divers agrémentés de danses ». (Strabon, Géographie, III, 4, 16).
En tout cas, les arts martiaux celtes postulent l’existence d’un Être supérieur, qui n’est certes pas un dieu-ou-démiurge personnel créateur anthropomorphe, comme dans le judaïsme, le christianisme ou l’islam (car pourquoi diable Dieu, s’il existe, aurait créé le monde, pour ensuite le détruire un jour qui plus est), mais qui peut faire l’objet de méditation. Ils admettent également l’existence d’une pluralité de dieu-ou-démons, représentant d’autres niveaux de vérité, pouvant être personnellement ressentis (vus, et entendus) par des êtres humains.
* Nous écrivons ici « démons » parce qu’en règle générale, dans toute religion, les dieux des autres sont assimilés à des « démons ». Il suffit de voir un peu ce que pensaient les premiers chrétiens des dieux des autres. Même notre malheureux Belin/Belen/Belenos a été assimilé au démon hébraïque Abaddon dans l’apocalypse de Jean (9, 11). En la personne de son interprétation grecque Apollon, il est vrai. Voir aussi Tertullien et les autres racistes chrétiens de cette espèce (tous les premiers auteurs chrétiens en fait).
** Les menteurs professionnels déjà bien à l’œuvre à propos du mot djihad (journalistes politiques ou intellectuels taqqiyistes de leur état), prétendent évidemment que le verbe arabe zaraba ne signifie en aucune façon correction physique dans ce cas, mais une simple remise dans le droit chemin du fait même de la séparation. Ces gros malins qui veulent nous faire prendre des vessies musulmanes pour des lanternes chrétiennes ont tout simplement oublié… que la réciproque n’est pas prévue par Dieu dans le Coran (la femme « corrigeant » son mari, etc.) Mais comme il n’a jamais manqué de cons chez les journalistes pour gober une telle taqqiya, pourquoi se gêner ?
Toute la question est : « comment le musulman moyen, le musulman de la rue, a-t-il compris ce verset au cours des siècles ». Pour ce qui est des juristes de l’islam, on sait : ils appellent ça « un droit de correction légère pour le mari ». Le Coran est certes une œuvre parfaite, mais force est de constater que sur ce point il aurait dû être plus clair.
*** Pourquoi douze ? Il s’agit évidemment d’un chiffre symbolique signifiant surtout que les fénianes ne devaient pas être les gens d’un livre et d’un seul (comme les juifs les chrétiens et les musulmans). Ils devaient avoir lu de nombreux livres et si possible sur les sujets les plus divers quoique fondamentaux.
**** Étrange image qui n’est là peut-être que pour signifier qu’ils devaient être experts dans l’art de se déplacer en forêt.
***** Note de la Rédaction. Keating nous décrit là un Kission ou un idéal que tous s’efforçaient d’atteindre certes, mais que bien peu devaient approcher.
1° Cathbad. Catubatuos. Prophète et premier druide d’Ulster, époux de la reine Ness et père du roi Conchobar. Il est chargé d’instruire les jeunes héros à la divination, et à l’art de déterminer quels jours sont favorables ou non à des exercices ou activités précises. Il est à la fois druide et guerrier. Son nom signifie « qui tue en combat » et « qui menace ». Conseiller du roi Conchobar, il le maudira, lui et sa forteresse d’Emain Macha, lorsque le roi se montrera cruel. Ce fut également lui qui prophétisa que Deirdré, dotée d’une grande beauté, entraînerait la destruction de l’Ulster. Il prédira aussi que la vie de Cùchulainn serait glorieuse, mais brève.
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2° Anaon. L’anaon, c’est l’âme et l’esprit, l’anamon et le menman (cf. justement le sanscrit manman qui signifie « esprit »). Ce qui survit après la mort, ce qui passe dans un autre monde après la mort, ce n’est pas seulement l’âme, mais le duo, le couple, l’attelage en quelque sorte, « âme + esprit ».
3° Fenianes. Sorte de vercingets ou berserkr celtes ainsi appelés en gaélique.
4° Fili. Druide de type vellède.
5° Prince ou roi des fénianes. Le plus célèbre en fut donc Vindos/Finn dont l’entraînement physique était hors pair et presque « animal », mais qui avait aussi le don de tout savoir rien qu’en mettant son pouce sous sa dent de sagesse.
DOCUMENTS DE TRAVAIL.
Être un bon druide confident de type anamocaros, n’est pas évident et ne va pas de soi. Même si le druidisant est honnête, qu’il ne cherche en aucune façon à exploiter la crédulité ou la misère humaine, et qu’il a souvent des intuitions par rapport à autrui. Le druide confident de type anamocaros ne doit pas projeter ses propres insatisfactions sur la problématique des autres, et doit savoir résister à la tentation, toujours grande, d’exercer un pouvoir sur eux. Un bon druide anamocaros est celui qui sait ne pas créer de dépendance psychologique chez qui se confie à lui, mais juste lui donner la poussée ou le coup de pouce nécessaire (à son évolution) afin de le laisser ensuite vivre sa vie de manière autonome. De toute façon, il ne s’agit pas de soumettre tout le monde au mode de vie évoqué précédemment (celui des fénianes par exemple, ou celui des berserker celtes de type vercinget), mais d’aider, par l’exemple, ceux qui le veulent, à devenir meilleurs et plus forts.
Rien ne remplace la méditation personnelle, y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles de certains textes. Ces feuillets ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Comme vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie !
« Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec. Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux pour deux raisons : la première… et parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser » (César, B.G. livre VI, 14).
Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle, car c’est en cheminant que l’on trouve le chemin (Setanta). Ne comptez donc que sur vos propres forces dans cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à cultiver dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction. Il s’agit donc seulement de documents de travail, de bases de départ pour une réflexion, le résultat final sera celui que vous retiendrez.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 1.
LE REJET DE LA FAMILLE NUCLÉAIRE
OU
SUR L’ÉDUCATION DES ENFANTS CHEZ LES CELTES.
« Ils diffèrent de presque toutes les autres nations en ce qu’ils ne permettent jamais à leurs enfants de les approcher en public tant qu’ils ne sont pas devenus grands au point d’être aptes à prendre les armes ; et ils regardent comme inconvenant pour un fils encore enfant de paraître aux yeux de tous avec son père ».
Cette remarque de César (livre VI, 18) a fait couler beaucoup d’encre. Ainsi que l’a magistralement expliqué Alix MacAnTsaoir, il s’agissait en fait de la coutume consistant à mettre systématiquement les enfants en pension.
Le très beau texte irlandais intitulé « la nourriture de la maison des deux seaux à lait » nous montre d’ailleurs que cette pratique de la mise en pension des enfants chez de lointains parents était aussi très répandue en Irlande.
Les Celtes de l’époque en effet ne se contentaient nullement de la famille nucléaire au sens étroit du terme (père mère enfants). Ils avaient une conception plus large de la famille, élargie pour eux à toute la communauté. Il s’agissait donc en quelque sorte de leur part d’une révolte avant la lettre contre la famille au sens étroit du terme (nucléaire) et d’une pratique systématique de la mise en pension (voir la notion française de pensionnat pour ce qui est de la scolarité des enfants) chez des membres éloignés de ladite famille nucléaire, pratique qui offrait de nombreux avantages ainsi que nous allons le voir, à commencer par celui de fournir une sorte de parrain et de marraine à l’enfant, toujours utiles pour le cas où……
Chez les Celtes de race ou d’esprit, la famille a toujours été très importante (derbfine). Mais elle concernait les quatre générations issues d’un même grand-père. La terre n’appartenait pas aux individus, mais à cette famille élargie qui pouvait aussi parfois payer pour ses membres (à tout point de vue).
Étant donné le haut degré de solidarité régnant dans ces familles élargies, l’adoption était toujours une affaire très sérieuse qui n’était pas prise à la légère. On pouvait se faire adopter par une famille entière, littéralement se mettre sous sa protection, moyennant paiement d’un tribut appelé log foesman, ou sur simple décision d’un des membres du groupe (thacair fin). Les adoptions devaient être approuvées par le chef de ces familles élargies et faisaient l’objet d’un contrat détaillé en ce qui concerne l’usage ou la propriété des terres de la famille.
On se demande bien (si ce n’est pas à cause d’une vulgaire histoire de sexe et de désir adultère, de coucherie, de Mahomet) pourquoi Dieu dans le Coran a interdit l’adoption aux musulmans.
En tout cas chez les Celtes la mise en pension (pensionnat) des enfants était une coutume très ancienne qui a longtemps persisté.
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Daniel O’Connell lui-même (1775-1847) fut élevé de cette façon en Irlande. Certains des enfants de la famille restaient à la maison, mais d’aucuns pouvaient être envoyés dans d’autres familles pour différentes raisons, jusqu’à quatorze ans pour les filles, et dix-sept pour les garçons. Il y avait plusieurs types de mise en pension (pensionnat).
L’un était le pensionnat pour raison affective (altramm serce). Aucune pension n’était alors versée. Il existait aussi des pensionnats payants ou contre paiement de certains frais.
Le troisième type de mise en pension était une sorte d’apprentissage où les relations entre élève et maître ressemblaient un peu à celles qui peuvent exister entre un pupille et son tuteur 1).
Cette pratique de la mise en pension allant jusqu’à l’adoption partielle était tellement répandue qu’en ancien irlandais on utilisait parfois les mêmes mots pour désigner les parents « adoptifs » au lieu des parents biologiques. Et la loi reconnaissait même ce genre de lien (notamment pour déterminer le montant des dommages et intérêts en cas de meurtre).
Ces parents par adoption partielle étaient tenus de traiter les enfants selon leur rang, et de leur enseigner ce que l’on attendrait d’eux, une fois parvenus à l’âge adulte. Équitation ou jeu de tablut (une sorte de jeu d’échecs) pour les fils de famille nobles, l’élevage des bêtes et les travaux de la ferme pour les garçons issus du peuple. Couture et broderie pour les filles de bonne famille, la cuisine et le ménage pour les filles de condition plus modeste. [N.D.L.R : on n’est plus obligé d’accepter une telle discrimination sociale].
Dans les pensions de type apprentissage, le tuteur était censé enseigner à son pupille tous les secrets de son art, que ce soit la médecine, la poésie, ou autre chose.
Ce type de mise en pension était aussi très encadré par la loi, c’était un véritable contrat, et des indemnités ou des compensations étaient prévues en cas de rupture injustifiée par l’une ou l’autre des parties. Par exemple si le père biologique reprenait l’enfant, ou si celui-ci était maltraité. Les liens entre les tuteurs et l’enfant ou les enfants biologiques des tuteurs (leurs frères de lait) n’étaient pas totalement rompus à l’issue de cette période de formation, la loi en maintenait un certain nombre. Mais les parents par adoption partielle d’un enfant n’ayant plus de parents biologiques vivants devenaient totalement responsables de lui.
1) C’était d’ailleurs le mode de fonctionnement normal de l’enseignement chez les Celtes. On n’allait pas à l’école pour en revenir à midi ou le soir : on restait en pension chez un maître qui vous traitait un peu comme son enfant. Ce qui impliquait automatiquement un nombre d’élèves assez limité par enseignant, mais aussi, au moins pour commencer, des pédagogues du type instituteur généraliste plutôt que professeurs spécialisés.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 2.
LES GRIANONS.
Cette institution (la druidiaction de type « guerrier », les vercingets ou les fénianes en Irlande, les berserkr dans le monde germanique, ainsi que les pensionnats pour enfants) n’a pas pour vocation d’enrôler tous les êtres humains dans son mode de vie, mais de les aider, par leur exemple, à devenir meilleurs. Afin d’atteindre la sérénité puis accéder un jour à l’infini d’un autre monde meilleur, avant la réintégration finale dans le Grand Tout du Pariollon via un plus ou moins séjour au paradis celtique (différent de la terre pure occidentale du bouddhisme amidiste).
On appelle « martyre » vert le fait de vivre une vie plus naturelle et de ne plus se contenter par exemple que de nourriture bio venant de son propre jardin. Cas des adeptes actuels de la décroissance et de la simplicité volontaire de la vie. Le martyre vert endurcit les corps et fait prendre conscience aux élèves (en pension dans les grianons), de la grandeur de l’âme/esprit, capable de maîtriser les désirs matériels.
Il faut dire qu’on ne plaisantait pas autrefois en effet avec ce genre de préoccupation. À propos de l’Écosse de la reine guerrière Scathache, Dion Cassius nous a par exemple rapporté ce qui suit.
« Il y a deux principales races de [Grands] Bretons : les Calédoniens et les Méates. Les appellations des autres ont fini par être réduites à ces deux-là. Les Méates vivent près de la muraille qui coupe l’île en deux, et les Calédoniens derrière eux. Les deux peuples habitent des montagnes sauvages et arides, des plaines désolées ou marécageuses, n’ayant ni murailles, ni cités, ni champs cultivés, mais vivant de l’élevage de la chasse et de quelques fruits des arbres de la forêt. Les poissons qui abondent en quantité innombrable, ils n’y goûtent jamais. Ils vivent sans manteau et pieds nus sous des tentes, possèdent leurs femmes en commun, et en commun élèvent tous leurs enfants. Ils ont des gouvernements des plus démocratiques, mais s’adonnent volontiers aux pillages.
Ils choisissent en conséquence leurs chefs parmi les esprits les plus audacieux. Ils vont à la guerre sur des chars tirés par de petits et rapides chevaux (des poneys ?) ils ont également une infanterie très prompte à la course et très solide pour ce qui est de l’occupation du terrain. Leurs armes sont des boucliers ainsi que de courtes lances avec une pomme (grelot ?) de bronze attachée à l’extrémité de l’extrémité inférieure de sorte que quand cet instrument est agité il peut faire du bruit et inspirer de la terreur à l’ennemi. Ils ont aussi des dagues. Ils peuvent supporter la faim et le froid ainsi que toutes sortes de misères. Ils s’immergent dans des marais et survivent là des jours entiers avec seulement la tête hors de l’eau. Dans les forêts ils se nourrissent d’écorces et de racines et se préparent à tout hasard une sorte de nourriture dont un morceau de la taille d’une fève les empêche d’avoir faim ou soif quand ils en ont mangé. Telle est l’île de [Grande] Bretagne et tels sont les habitants de ce pays ennemi » (Dion Cassius, Histoire de Rome, livre LXXVI section 12. Conservé en résumé – épitome – par Jean Xiphilin – dernière moitié du XIe siècle-. Un moine byzantin neveu du patriarche de Constantinople. Note de la rédaction. Cassius Dion doit confondre l’habitant ordinaire de ces hautes terres d’Écosse avant la lettre, avec l’entraînement à la survie de leurs guerriers d’élite, dont les commandos d’aujourd’hui n’auraient pas à rougir).
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Les futurs berserkr de type vercinget ou féniane s’engagent à suivre les principes qui sauvent les corps en élevant les âme/esprits. Cela nécessite un état d’esprit exigeant une haute valeur morale.
Notons pour commencer que les grianons au point de vue architectural doivent des bâtiments bénéficiant d’un maximum d’ensoleillement, et ce dans l’intérêt des enfants (presque des solarium). Voir nos commentaires sur celui de la reine Scathache et du hésus Cuchulainn.
Au centre du complexe architectural qui les abrite, il doit toujours y avoir un sanctuaire ou temple. Autour de celui-ci les chambres des élèves (cellules disaient les moines culdées) ainsi que les autres habitations. À quelques exceptions près (le temple, etc.), les logements doivent être écologiques…
Ce qui voulait dire autrefois faits de bois et d’argile (des branchages recouverts de terre séchée) ou de torchis et de colombages, sur des fondations de pierres. Avec un toit en chaume, un excellent matériau qui peut durer cent ans.
Néanmoins on peut faire encore beaucoup mieux aujourd’hui (chaume plus ou moins remplacé par des panneaux solaires, etc. Ne refusons pas bêtement le progrès technique !)
Le tout doit être entouré d’une palissade ou d’un mur de protection. Le cimetière – ou le columbarium destiné recueillir les urnes funéraires en cas d’incinération – est toujours à proximité du temple et délimité par une barrière une haie ou un muret de pierres sèches. Généralement, il y a également une tour ronde évoquant un menhir ou une pierre levée, pourvue d’une lanterne pour les morts.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, mais repetere = ars docendi, tout homme qui entrait dans l’ordre des fénianes (des vercingets) était soumis à quatre obligations ou règles.
La première obligation était de ne pas accepter, etc., etc. Fidélité ainsi qu’obéissance au roi des Fénianes.
Un tel parcours du combattant n’est bien sûr en aucune façon à prendre au pied de la lettre et seul son esprit doit être repris.
On entre en pension dans ces écoles à l’âge de sept ans, l’âge de raison. Les jeunes qui désirent entrer dans la confrérie des berserkr de type vercinget ou des fénianes, sont alors consacrés par un premier rituel (voir chapitre consacré à ce sujet). On y passe ensuite sept ans afin de faire ses preuves. Le grianon prend alors en charge l’éducation et l’enseignement.
Les Celtes de race ou de cœur étaient connus, non pour leur volonté de thésauriser comme des avares, mais pour leur propension à donner. C’était pour eux la première des qualités d’un vrai chef. Bède le Vénérable le dit d’ailleurs expressément de noïbo Colman de Lindisfarne, et de l’abbaye du même nom. L’hospitalité doit être la règle, même s’il ne faut pas en abuser.
La vie à mener dans ces grianons doit donc être aussi très simple. « Noblesse oblige », disait-on autrefois. Mais ce qu’il faut dire aujourd’hui c’est « Décroissance oblige ! » Que ce soit les maîtres et les enseignants (y compris le lucterios) le personnel de service (operarii dans le jargon de saint Colomban de Bobbio), les élèves (juniores/gillacht) ou les anciens (seniores/séndacht).
Que tous vivent sous la discipline d’un seul homme et en communauté avec plusieurs, afin d’apprendre de l’un l’humilité, de l’autre la patience, d’un troisième la douceur. Dans les locaux les élèves devront garder le plus grand silence. Ils devront au directeur de leur grianon ou de leur réseau de grianons, l’obéissance due au chef de leur clan. Qu’ils acceptent comme unique salaire tout ce qui leur sera donné de bon cœur et se contentent de peu.
Les neuf valeurs de base sont les suivantes.
La discipline.
La pauvreté.
La modération alimentaire.
Le respect.
La patience.
L’endurcissement des corps.
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La culture des esprits.
Le calme et le silence.
La récitation (la récitation de textes divers est essentielle pour entretenir et fortifier la mémoire).
La prière. Car la prière a toujours été une expérience humaine double : un processus psychologique associé à une technique spirituelle. Ces deux fonctions de la prière ne peuvent jamais être entièrement séparées.
Outre la prière, les journées seront aussi occupées par l’étude, le travail et l’entraînement.
Ainsi que nous avons pu le voir, il existait deux méthodes principales.
a) La méditation immobile, assis à la Cornunnos, sous un chêne (en tailleur) dans la forêt.
b) La concentration lors des exercices physiques dynamiques développés à cette intention.
Positions et mouvements.
Respiration.
Contrôle des sensations.
C’est cette dernière catégorie qui est privilégiée dans ce genre d’établissement, mais la première (la méditation à la Cornunnos, immobile, assis sous un chêne) ne doit pas être oubliée.
L’Établissement doit être autosuffisant et produire lui-même sa nourriture (bio). À tout cela doivent donc s’ajouter les travaux des champs, le labourage, le soin des bêtes, et toute la somme des travaux quotidiens d’entretien ou de réparation des bâtiments. Les élèves doivent également travailler la terre, élever du bétail, filer, tisser, confectionner leurs vêtements, réparer les outils, les machines, ou les ustensiles.
Enfin que tous ne se mettent au lit qu’épuisés ou dormant presque debout déjà. Le sommeil doit être profond, mais réparateur.
Le jeune, au terme de ces sept années de formation, sera donc adoubé (sur ce rite de passage, voir le chapitre consacré aux rituels) après avoir passé un bref examen. Et s’engagera par conséquent à respecter les gessas (fiach d’après Keating) suivantes : toujours dire la vérité ou ne pas mentir (sauf pour protéger sa vie ou celle des siens), être propre (hygiène), ne pas se maquiller ou accorder trop d’importance à la beauté, ne jamais accepter d’argent sans fournir en échange une réelle et sérieuse contrepartie.
Ensuite il sera libre de partir à tout moment ou de rester pour continuer dans cette voie.
Ainsi que nous le démontre le cas des culdées, maîtres ou élèves devenus grands peuvent être mariés.
N.B. Le martyre blanc est le fait de ne même plus vivre dans le cadre d’un grianon sous la houlette d’un lucterios, mais en ermite à proximité, tout en acceptant les principes qui sauvent le corps et qui élèvent l’âme/esprit. Cette discipline ne peut pas en effet uniquement être fondée sur l’application mécanique d’une règle, elle doit être acceptée pleinement, et non subie. Les jeunes devenus grands seront, dans ce cas, dotés d’un sac de cuir muni d’une sangle et appelé taig lebair, afin de transporter le matériel indispensable à leur spiritualité.
Ces sacs en cuir portés en bandoulière pourront être ornés d’entrelacs et de spirales sur les quatre côtés.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº3.
HORAIRES (à essayer puis adapter).
Il n’est ni revigorant ni bon de trop dormir
Cela ne fait qu’ajouter du manque de nerf au manque de combativité
Trop dormir [c’est comme] trop boire
C’est presque la mort (Serglige Conculaind).
Note à l’intention des responsables. Tout le monde n’est pas un demi-dieu comme le hésus Cuchulainn. Le sommeil doit donc être suffisamment réparateur.
3 h à 7 h suivant les cas (saison, âge, etc.).
Au signal donné par le responsable de la chambrée, tout le monde se lève, fait sa toilette, s’habille, et va prendre un solide petit-déjeuner au réfectoire.
Chacun ayant pris ce qu’il lui fallait, toujours dans la limite de ce qui lui est permis, au signal donné par le responsable des tables et choisie par lui, une prière est récitée ; avant de s’asseoir, toujours au signal donné par le responsable des tables.
Tout le monde doit garder le silence en mangeant.
La seule parole permise est celle que réclament les besoins d’autrui (règle de noïbo Colomban de Bobbio). Le petit-déjeuner achevé chacun rapporte son couvert.
4 h à 8 h suivant les cas (saison, âge, etc.).
Office matinal pour saluer le lever du soleil (matines dans la règle de noïbo Colomban).
5 h à 9 h suivant les cas (saison, âge, etc.).
Instruction, travail ou exercices physiques, entraînement psychophysique.
Instruction (praeceptum dans la règle de noïbo Colomban).
Les élèves se rendent en cours suivant leur niveau. On ne s’assoit qu’au signal donné par le maître, ceux qui ont été punis restent debout.
Lors de leurs déplacements à l’intérieur du grianon (de l’établissement), les élèves ne doivent pas oublier les règles de politesse élémentaire. À chaque rencontre, s’incliner devant les maîtres. On n’entre pas dans une salle la tête couverte (règle de noïbo Colomban) même pour les filles.
Travail. Il arrive que les élèves « sortent en petits groupes, voire en groupes importants, pour travailler. Si ce travail commun à l’extérieur est fatigant : moisson, débardage 1), clos à réparer, etc. le supérieur peut décider d’un casse-croûte ». Sans commentaire.
Exercices physiques.
Même chose. Jeunes et moins jeunes peuvent être autorisés à prendre une collation. Ensuite reprise immédiate du travail ou de l’exercice, car on ne mange vraiment que le soir.
Entraînement psychophysique. Enseignement des arts martiaux (règle de noïbo Bodhidharma du grianon de Shao Lin). Ne soyons pas bêtement européocentristes !
16 h – 20 h suivant les cas (saison, etc.).
REPAS DU SOIR.
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Chacun ayant pris ce qu’il lui fallait, toujours dans la limite de ce qui lui est permis ; au signal donné par le responsable des tables et choisie par lui, une prière est récitée, avant de s’asseoir, toujours au signal donné par le responsable des tables. Tout le monde doit garder le silence en mangeant.
La seule parole permise est celle que réclament les besoins d’autrui (règle de noïbo Colomban).
Des passages de littérature orale (ou écrite) sont récités (ou lus) par « l’Étranger de service » pendant ce temps-là. Le repas terminé, chacun ramène son couvert.
16 h 30 – 20 h 30 suivant les cas (saison, etc.).
Les disciples se rendent en salle d’étude pour y être interrogés sur ce qu’ils ont entendu dire ou réciter par « l’Étranger de service » lors du repas.
21 ou 22 h suivant les cas (âges, saison, etc.).
Après s’être lavés puis avoir changé de vêtement pour la nuit ; au signal donné par le responsable de chambre, et choisie par lui, une prière est récitée, avant le coucher ; toujours au signal donné par le responsable de chambrée (ensuite extinction des feux).
À partir de là, toute parole est interdite sauf cas exceptionnel. Le bruit lui-même doit être sanctionné.
N.B. À tour de rôle suivant leur ancienneté, y compris durant la mauvaise saison, chacun devra s’en aller réciter une prière dans le lieu prévu à cet effet. Afin qu’à aucun moment de la nuit ne s’interrompe la chaîne d’ambre jaune unissant les hommes aux dieu-ou-démons 2).
Les jours d’atenoux et divertomu, avant l’office bimensuel 3) tous, sauf besoins déterminés, se rassembleront, de façon qu’il ne manque personne à ce saint sacrifice ; excepté les cuisiniers ainsi que les portiers, qui toutefois s’efforceront, eux aussi, autant que possible, d’y participer.
1° Et pour avoir accompagné mon père étant jeune, lorsqu’il lui arrivait de débarder des grumes avec son vieux G.M.C, je peux vous confirmer que ça peut même faire peur (j’avais alors 8-10 ans).
2° Ogmios dans l’édition de 2006.
3° « Quand le tonnerre du message divin se fera entendre », précise la règle de noïbo Colomban de Bobbio, ce qui est quand même un peu fort.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 4.
RÈGLE COMPLÉMENTAIRE.
Les repas sont pris de la façon suivante.
1 Les maîtres (luctérios, etc.) et leurs assistants sont assis sur des fauteuils de cuir ou d’osier, ou sur des tabourets, garnis de peaux de bêtes, loups, chiens, moutons…
2 Autour d’une table ronde a).
3 Les élèves sont assis en un ou plusieurs cercles par terre.
4 Ou sur des bottes de foin voire de paille,
5 autour d’une ou plusieurs tables rondes en bois plus basses.
6 On se sert d’un couteau (autrefois un couteau personnel placé dans une gaine spéciale le long du fourreau des épées),
7 d’une cuillère (en bois ou en métal),
8 d’une fourchette (évidente concession à la modernité),
9 d’un bol pour les soupes ou les bouillons,
10 d’une assiette creuse en terre ou en bois.
11 Pas de verre individuel. On boit donc à petites gorgées dans une grande coupe en terre cuite ou en métal, que du personnel ou des élèves de service, ou le maître de tablée (suivant les grianons) font circuler de gauche à droite ou posent au milieu de la table.
12 La boisson à servir est placée, dans le réfectoire, dans de grands vases en terre cuite à deux anses ou dans un chaudron, muni d’une louche pour remplir les coupes à boire.
13 Les soupes ou les bouillons dans des chaudrons.
14 Pour le pain ou les fruits des corbeilles de bois ou de vannerie (osier).
15 Celui qui doit faire la lecture au réfectoire (l’Étranger de service) doit se mettre debout à la place d’honneur de la table principale.
16 Celui qui dirige l’Établissement (le lucterios) assis à côté de lui à sa droite.
17 Puis de chaque côté les enseignants ou les autres membres éminents de la communauté éducative, suivant leur grade et leur ancienneté (le plus ancien dans le grade le plus élevé d’abord).
18 Ensuite les élèves suivant leur classe et leur âge (les plus âgés dans les classes les plus élevées d’abord).
19 Quand le service est prêt pour ce qui est de la nourriture et lorsque l’on présente une pièce de viande, le lucterios, ou le maître de tablée, décide à qui attribuer le meilleur morceau (le cuissot par exemple).
20 Si un spectacle (lutte, escrime) doit être donné pendant le repas, ce morceau devra être gardé pour le vainqueur.
21 Ensuite chacun choisit un morceau de l’animal, le saisit à deux mains, ou le coupe avec son couteau, puis le mange proprement.
22 Pour s’essuyer les doigts on ne se sert plus de la nappe, mais d’une serviette de table (autre concession à la modernité).
23 S’il n’y a qu’une seule table, le personnel ou les élèves de service (suivant les grianons) passent derrière,
24 font le service des plats de gauche à droite
25 et présentent la coupe de boisson de gauche à droite après l’avoir remplie.
26 S’il y a plusieurs tables, c’est le maître de tablée qui doit s’en occuper.
27 La Table d’honneur (celle du lucterios et de l’Étranger du jour) reste servie dans la mesure du possible par du personnel ou des élèves préposés à cet effet.
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a) Dans un celicnon la table du banquet fraternel ou confraternel était ronde. Chez les riches Brito – ou Gallo-Romains, des stèles nous montrent des participants assis sur des fauteuils de cuir ou d’osier, ou sur des tabourets.
DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 5.
Suggestion de Règle pour les élèves des grianons par le très sachant de la druidiaction Hesunertus (base de travail à moduler ou adapter, il s’agit donc d’une première tentative de reconstitution du mode de fonctionnement d’un collège druidique antique local. Signalez-nous les erreurs SVP.).
PRÉAMBULE.
Les périodes de grand jeûne sont les suivantes : 30 jours avant Samon (1er novembre), 30 jours avant Ambolc (1er février), 30 jours avant Beltène (1er mai), 30 jours avant Lugnasade (1er août). Divertomu : pleine lune. Atenoux : nouvelle lune.
1. Les leçons ou les textes sacrés à savoir sont lus par un récitant appelé l’Étranger. Cet Étranger de service lit les textes debout après avoir pris avant tout le monde un repas qu’il aura eu la faculté de manger tranquillement et copieusement. Les prières ou les autres textes à réciter au réfectoire, sont psalmodiés en position debout.
2. Il est d’usage de faire un brouet de lait avec du miel rajouté dedans, la veille des principales fêtes, c’est-à-dire Samon, Ambolc, Beltène et Lugnasade. Il est plus permis de faire la fête ou de boire de la bière voire du vin, ce jour-là, la fête devant avoir lieu.
3. Lors des atenoux ou divertomu survenant lors des périodes de grand jeûne, ceux qui font pénitence n’auront pas droit d’avoir du beurre, seul un peu de lait leur sera autorisé. Jusqu’à une demi-mesure dans la soirée.
Les jours d’atenoux ou de divertomu ainsi que les jours de fête ne survenant pas un jour de jeûne, une plus grande quantité de lait (une demi-mesure) pourra être prise. Les élèves et les enseignants devront néanmoins toujours avoir la même quantité de pain, même les jours de fête. Ils pourront seulement avoir plus de boisson, de condiments, ou d’autres aliments de ce genre ces jours-là.
4. S’il y a du chou frisé fermenté, non dans du beurre, mais dans du lait [de la choucroute ?] la quantité de pain restera la même, car le chou frisé préparé ainsi est comme un condiment. Poisson, colostrum, fromage, œuf dur ou pommes, aucun de ces aliments ne doit entraîner une diminution de la quantité de pain dans la mesure où ils sont seulement pris en petite quantité. Cinq ou six pommes avec du pain suffiront si elles sont grosses, si elles sont petites, chacun pourra en prendre une douzaine.
5. Les poireaux (trois ou quatre têtes par personne) sont autorisés. Lait caillé ainsi que mègue (petit-lait) ne devront pas être consommés tels quels, mais sous forme d’aliments solides. La raison pour laquelle lait caillé ou mègue (petit-lait, mesgus en vieux celtique) ne doivent pas être consommés tels quels, est qu’ils équivalent à du pain. Lait caillé ainsi que mègue (petit-lait) doivent être pris comme boisson. Ils ne devront pas être bus purs, mais coupés d’eau (ou utilisés pour faire du fromage). La crème, par contre, n’est pas interdite, pourvu qu’aucune présure n’y figure.
6. Pour la fête de Beltène (caisc na ngenti) des œufs, du saindoux, et de la viande de sanglier ou de cerf, seront autorisés.
7. Il est d’usage d’infliger une pénitence aux cuisiniers, aux laitiers, et à ceux qui remplissent les assiettes et les gobelets ou les coupes, s’ils renversent des aliments, tant lait que grain ou autres.
8. On peut consommer de la viande les jours de grand jeûne si l’on n’a rien d’autre, mais il est quand même mieux de jeûner, sauf si sa vie en dépend (si son état de santé le nécessite vraiment).
9. Les principaux jours de fête, c’est-à-dire Samon, Ambolc, Beltène et Lugnasade, un quart de mesure (un gobelet) de bière, de vin, ou de mègue (petit-lait) est autorisé. Si l’on ne peut pas donner du mègue (du petit-lait), de la bière, ou du vin, alors on donnera une petite portion de gruau à la place, un quart de ration. Si on peut donner un gobelet de bière, celle-ci ne devra pas être bue à grandes gorgées, même si l’on a soif, mais à toutes petites gorgées, parce que cela désaltère et qu’on n’en a pas moins de plaisir.
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10. Pas de ration de beurre, mais à la place une gorgée de mègue (petit-lait) un soir sur deux (sauf s’il s’agit d’un jour de fête) ainsi que les lendemains de grande fête, même en dehors des périodes de jeûne.
11. À une gorgée de lait frais, s’il n’y a pas d’autre lait mélangé dedans, un quart d’eau est ajouté.
12. En ce qui concerne les élèves, on ne s’inflige pas une punition soi-même, la punition est infligée par quelqu’un d’autre.
13. Les élèves de première année doivent aider un tant soit peu à l’organisation de la fête de Samon. Les élèves de deuxième année doivent participer de même aux fêtes de Samon et Ambolc. Les élèves de troisième année doivent participer aux fêtes de Samon, Ambolc et Beltène. Les élèves de quatrième année doivent participer aux quatre grandes fêtes, c’est-à-dire Samon, Ambolc, Beltène et Lugnasade. Les élèves de cinquième année doivent participer à toutes les grandes fêtes, ainsi qu’aux offices de solstice et d’équinoxe, les élèves de sixième année doivent participer à l’office de divertomu. Les élèves de septième année doivent participer aux offices de chaque fin de quinzaine (atenoux et divertomu).
14. Les prières du matin sont récitées face à l’est, les deux mains levées au ciel, ensuite de la même façon en direction de chaque point cardinal. On appelle cela une dextratio (deisil). Mais l’on passe d’abord une heure ou deux en prières avant, et l’on appelle cela une cuirasse (lorica) de prières.
15. Si quelqu’un manque à la cérémonie d’atenoux ou divertomu, trois jours après il offrira lui-même un sacrifice dans la partie de l’établissement réservé au culte. Parce qu’attendre jusqu’à la divertomu, voire atenoux, suivante, serait un trop long délai pour qui est très adonné aux rites (dagolitus) : dans ce cas-là, il y aura pour lui deux jours de préparation à observer avant d’assister à l’office divin de la prochaine atenoux ou divertomu.
16. Les fautes mineures genre mauvaises pensées, paresse, mots amers, accès de colère, et ainsi de suite, doivent être confiées à son directeur de conscience immédiatement après avoir été commises, et non pour l’atenoux ou divertomu qui suit.
17. Celui qui se confie à un directeur de conscience, s’il fait ce que ce dernier lui a demandé, n’a pas besoin de s’adresser ensuite à un autre anmchara, sauf pour les fautes qu’il aura commises après.
18. Se confier fréquemment à un directeur de conscience n’est cependant d’aucun profit, si les transgressions de ses conseils sont également tout aussi fréquentes.
19. Le jour suivant la fête de Beltène (Caisc na ngenti) rien, à part une gorgée de lait ou un gobelet de bière, voire de vin, éventuellement une cuillerée de miel. Car manger ou boire plus est réservé aux veilles de grands jours et aux grandes fêtes sans veillée ou punition imposée. Du mègue (petit-lait) et du pain, constituent le régime ordinaire de ce jour-là : un sermon sur la nécessité d’être aussi physiquement propre est également fait, ensuite dîner.
20. Lors de la toilette matinale de ce jour-là, les prières appropriées sont récitées tant que cela dure. Après cela deuxième sermon sur la nécessité d’être aussi moralement propre.
21. Quand on intercède pour quelqu’un lors de la célébration d’un office, on se sert de son nom initiatique, et pas du nom indiqué dans son état civil.
22. Quand les leçons ou les textes sacrés à savoir par cœur, sont récités, une partie est dite debout, et la suivante assis, parce que rester assis engendre le sommeil, et que rester trop longtemps debout fatigue.
23. La récitation de douze textes sacrés vaut 50 prières.
24. Une ration de gruau est accordée à ceux qui font pénitence les jours de fête et d’atenoux ou de divertomu, mais ils ne sont en aucune façon exemptés des veilles, sauf pour les très grandes fêtes, Samon, Ambolc et Beltène.
25. Celui qui s’abstient régulièrement de viande toute l’année, en prend un petit peu pour Beltène (Caisc na ngenti) afin de se prémunir contre la survenue d’une disette ou d’une famine dans l’année. Car qui ne fait pas relâche ce jour-là, n’aura plus aucune occasion de le faire jusqu’à la Beltène suivante.
26. Tout druide ayant trahi la Sodalité sera éludé, c’est-à-dire privé de sacrifices, même s’il fait pénitence après, car il est inadmissible qu’un homme sans foi ni honneur, puisse servir d’intermédiaire entre les dieu-ou-démons et les hommes.
27. Manquer à la veille, devant précéder un jour de grande fête (Samon, Ambolc, Beltène, Lugnasade) pourra être excusé dans certains cas.
28. La tâche des directeurs de conscience est délicate. S’ils prescrivent à l’élève le remède adéquat, il sera plus souvent oublié ou négligé que suivi, mais si le directeur de conscience ne prescrit rien, la responsabilité en retombera sur lui. C’est pourquoi beaucoup considèrent comme déjà suffisant de se confier à eux, sans même qu’il y ait pénitence. Le mieux pour un directeur de conscience est donc d’indiquer spontanément à tout un chacun ce qu’il serait bon de faire dans son cas, sans attendre autre chose.
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29. Recours peut être fait, si nécessaire, à un autre directeur de conscience, mais après accord du premier.
30. Il est interdit de dormir dans la partie de l’établissement réservée au culte. La pratique est d’y rester toute la nuit à réciter des textes sacrés, en s’y relayant deux par deux.
31. La pratique veut que, pendant que les élèves dînent, l’un d’entre eux lise à haute voix un texte approprié (ladite Règle, un fragment de mythologie, un commentaire philosophique, etc.). Afin que leur esprit se concentre sur le divin (« Nate nate mento beto to devo » répétait sans cesse sa mère Augusta au futur noïbo Symphorien d’Autun) et non sur leur repas. Celui qui lit (l’Étranger de service) devra donc avoir pris son repas du soir auparavant, et le lendemain ils seront tous interrogés solidairement à propos de la récitation en question, afin de voir s’ils y ont pensé la nuit ou non.
32. Celui qui n’a pas suivi l’office d’atenoux ou divertomu devra réciter un ou plusieurs des textes devant être appris par cœur, debout dans une cellule ou une pièce fermée : tel est le prix qu’il devra payer pour son absence.
33. Quelle que soit la soif dont il puisse souffrir, il devra être privé de boisson jusqu’à minuit.
34. Si tu t’es fâché contre un membre du personnel, mais qu’il n’y a eu ni malédiction ni abus, tu recevras des coups de règle sur les doigts, et tu passeras ensuite la nuit au pain sec et à l’eau.
35. II n’est pas admis qu’un élève boive quoi que ce soit juste après s’être couché, s’il souffre d’incontinence urinaire.
36. Toute la communauté doit jeûner une fois par mois, elle prendra des demi-rations de pain et des demi-rations de mègue (petit-lait).
37. Il est approprié de refuser les confidences de qui ne suit pas les conseils donnés par son directeur de conscience. Si quelqu’un n’arrive pas à trouver un directeur de conscience pouvant lui convenir (c’est-à-dire un anamchara ayant réfléchi sur les règles de conduite à tenir, ou les exemples à suivre, etc.) ; et si les préceptes qu’il a reçus de son premier directeur de conscience sont bien observés par lui ; s’il y a en outre sur place quelqu’un auquel il peut se confier, si la réparation peut ensuite être accomplie en accord avec l’usage pour les fautes mineures ; alors peu importe à qui, en fait, il se confiera, que ce soit un très-sachant de la druidiaction (druidecht) ou un élève plus âgé.
38. Il y a deux choses pour lesquelles aucune pénitence ne saurait être accomplie sur terre. La trahison des confidences ou des secrets, c’est-à-dire le fait de dire ou d’écrire « voici ce qu’a fait cet homme » ; et faire quelque chose de bas quand on a été investi des plus hautes responsabilités (quand on a par exemple été intronisé druide).
39. Certains disent qu’un petit régime tout en douceur est plus sûr voire pour l’âme/esprit qu’un régime pur et dur.
Lors des grandes fêtes ou lors des atenoux et des divertomu, un adoucissement du régime (c’est – à-dire une consommation de quelque chose de plus délicat que l’ordinaire) vaut mieux qu’un durcissement.
40. En outre, quand on a soif, un demi-litre de mègue (petit-lait) ou de babeurre, avec de l’eau, peut par exemple être pris, mais à petites gorgées.
41. Qui mange avant l’heure, ou prend de la nourriture non prévue pour lui, devra passer, pour cela, deux jours au pain sec et à l’eau.
42. Toilettes et urinoirs devront toujours être des lieux d’une propreté impeccable.
43. Les aliments trouvés dans la maison de quelqu’un qui vient juste de décéder, doivent être distribués à ceux qui en ont besoin. Les manger sur place serait un comportement indigne, ce mort fût-il un héros.
44. Qui abandonne son pays sauf pour le parcourir en allant d’est en ouest ou du nord au sud (cf. les Rogations, breton tro minih = troménie) renie nos dieux ou démiurges, tant dans le ciel que sur la terre.
45. Voici ce que Maelruain a entendu de personnes dignes de foi. Ce que fait quelqu’un pour l’âme/esprit d’un mourant sert toujours à quelque chose. Les enfants doivent prier pour le repos de l’âme/esprit de leurs parents décédés. Maedoc de Ferns et toute sa communauté ont passé une année entière au pain sec et à l’eau, afin d’accélérer la sortie, hors de l’endroit où elle était momentanément tombée, de l’âme/esprit de Brandub mac Echach.
46. Si quelqu’un désire jeûner, mais s’il n’a jamais eu l’habitude de se contenter de rations plus petites, qu’il commence par en enlever seulement un huitième pendant six mois. Et qu’il reste fidèle jusqu’à sa mort à ce qu’il peut supporter d’abstinence ou de privation de sommeil. S’il désire franchir une nouvelle étape dans son abstinence, alors qu’il enlève un autre huitième à ses rations de la même façon, voire jusqu’à trois, quatre ou cinq huitièmes. On peut tout supporter pourvu que cela soit fait graduellement. Et de la même façon, ce qu’il soustraira petit à petit à son sommeil, ne lui fera aucun mal. Celui qui suit déjà une discipline très sévère, et qui est affecté par la maladie, ou un quelconque handicap durant son abstinence, ne doit plus continuer à s’en imposer qu’à toute petite
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dose, comme un enfant. S’il supporte cela pendant six mois, il sera capable de subir alors ce surcroît de sévérité jusqu’à sa mort.
47. Il ne faut pas prendre de bain en se servant d’une eau polluée, qui fera sa toilette en se servant de cette eau, sera souillé. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) devront veiller à s’en laver soigneusement.
48. Vouer sa ration aux dieu-ou-démons, et en consommer la moitié seulement, équivaut à jeûner.
49. Quand la maladie attaquera une femme enceinte au point de mettre ses jours en danger, un druide médecin (vate) devra faire prendre des médicaments à la mère pour qu’ils soignent aussi l’enfant. Le nom de Flann ou de Cellachis devra ensuite être donné à l’enfant (chacun de ces noms étant aussi bien masculin que féminin), s’il survit.
50. Lors de leurs menstruations, les femmes seront dispensées de veilles, matin et soir, tant qu’elles dureront, et l’on préparera du gruau pour elles, quel que soit le moment où cela se produira. Parce qu’il est normal de prêter attention à toute manifestation de la vie.
51. On ne doit pas manger de ce qui est apporté de loin en tant qu’ateberta ou offrande aux dieu-ou-démons, mais on doit le distribuer aux pauvres.
52. La punition des soirs d’atenoux ou divertomu sera infligée le lendemain.
53. La tonsure druidique sera renouvelée régulièrement une fois par mois.
54. Legs et dons faits à l’établissement sont laissés à la discrétion des donateurs.
55. Il y a trois choses de profitables le jour : la prière, l’entraînement, et l’étude ; ou encore la prière, l’enseignement, et le travail manuel, ou tout autre travail profitable possible ; afin que personne ne reste oisif. Car l’oisiveté dit-on, est la mère de tous les vices.
56. Ne mangez jamais avant d’avoir faim, ne dormez jamais avant d’y être prêt, ne parlez à personne sans raison.
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57. L’Établissement devra être le plus indépendant possible par rapport à la société civile. Ses seules obligations en échange seront : cérémonie du nom pour les élèves, adoubement, prières, sacrifices, des garçons pour aider au sacrifice divin sur chaque autel ; en particulier en l’honneur du dieu-ou-démon ou de la déesse-ou-démone des combats, honorés en ce lieu. Scotia, Scota, Scatha, ou Scathache dite Buanan, Andarta ou la déesse-ou-démone Artio, Mabon/Maponos/Oengus, etc. L’établissement n’aura droit à aucun legs ni don, ni à la vache de mainmorte, ni aux atebertas ou offrandes destinées au dieu-ou-démon local ; s’il n’assure pas comme il convient à qui en a besoin, les cérémonies du nom, l’initiation des jeunes, et les prières, si on n’y célèbre pas les sacrifices divins les jours d’atenoux ni de divertomu ; et si les autels ne sont pas munis de tout ce qu’il leur faut. L’établissement qui n’a pas ce qui est nécessaire pour cela (en équipement ou en services) ne mérite pas les compensations dues au fait d’être un grianon.
58. Tout druide du grianon ou détaché par lui à l’extérieur, devra être entretenu par l’Établissement. Qui devra notamment lui fournir un logement, un jardin, un lit, de la nourriture, et un habit par an, ainsi que toute autre demande raisonnable, autant que faire se pourra. De sa part, en échange, et outre son enseignement ; il devra y avoir : les rituels de la cérémonie du nom, de l’adoubement des jeunes, les prières d’intercession pour les vivants ainsi que pour les morts éventuellement, l’office divin chaque jour d’atenoux et divertomu ainsi que chaque jour de grande fête. Sauf empêchement pour cause d’enseignement ou de soin des âme/esprits. Le très-sachant de la druidiaction (druidecht) n’ayant ni titre légal, ni compétence suffisante, pour accomplir les devoirs de sa charge, et donc être habilités à célébrer les sacrifices divins en présence de tous ; que ce soit des rois ou de simples soldats, des reines ou de simples bergères ; n’aura aucun droit aux privilèges réservés aux vrais druides dans l’Établissement.
59. Si un chef druide intronise druide quelqu’un qui n’est ni digne, ni capable, d’exercer les devoirs de sa charge, tant pour ce qui est de la moralité que du savoir ou de l’attention à porter aux autres ; alors ce chef druide sera coupable devant le dieu-ou-démon des druides et devant les hommes ; car ce qu’il aura fait sera comme une insulte au vrai druidisme, celui de nos ancêtres spirituels. Il devra faire pénitence pendant six ans et payer une amende (plusieurs dizaines d’onces d’argent, de quoi en fait acheter tout un troupeau de vaches).
60. Qu’il y ait un druide en chef pour s’occuper du soin des âme/esprits dans chacune des principales provinces du pays, est une nécessité. Afin d’ordonner de nouveaux druides, consacrer des lieux de culte, conseiller les rois et les autres druides, bénir leurs enfants, veiller à l’entretien des lieux de culte, et enseigner aux jeunes gens notre philosophie religieuse. Car s’il n’y a pas en toute saison des garçons et des filles aptes à transmettre ce savoir, l’Ollotouta druidique mourra, et le paganisme d’esprit celte disparaîtra définitivement du pays.
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61. Quand quelqu’un consacre aux dieu-ou-démons la dîme du fruit de ses entrailles, afin d’en faire quelqu’un d’instruit dans notre spiritualité, cela équivaut à rénover les temples du pays ou de la nation, et à réveiller son âme/esprit endormie. Tandis que si quelqu’un retire son fils de ces études après l’avoir consacré aux dieu-ou-démons, cela équivaut à les outrager.
62. Celui auprès de qui les garçons que l’on a ainsi voués aux dieu-ou-démons, étudient ; a droit par là-même à des indemnités ou des honoraires pour le fait d’avoir enseigné, jusqu’à ce que l’étudiant soit digne de la devise des berserkr celtes appelés vercingets. « La vérité dans nos cœurs, la force dans les bras et l’art de bien parler ». « Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh ». Mais cette vache à lait sera retirée dès que l’étudiant aura publiquement démontré l’étendue de ses connaissances ; le docteur ou l’expert devant qui la preuve de cette maîtrise aura été administrée, aura droit également au montant de la pension, que cela soit en bière ou en aliments divers, pouvant suffire à cinq personnes, une journée durant.
63. Le meilleur de tous labeurs est de travailler à la piété, car le royaume des dieu-ou-démons appartient à ceux qui en assurent l’étude, à ceux qui étudient, et à ceux qui soutiennent les élèves dans leur scolarité. Il est donc du devoir de chacun des membres de l’Établissement, auprès de qui ces garçons étudient, de bien les punir, de les corriger, de les presser, afin d’obtenir d’eux les meilleurs résultats. [N.D.L.R. enfin, il ne faut tout de même pas exagérer non plus !]
64. Il est du devoir de chacun des très-sachants de la druidiaction (druidecht) à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Établissement, d’écouter les problèmes des hommes, garçons, femmes ou filles, le fréquentant, afin de les conseiller ; en revanche, toute personne refusant de suivre les conseils de son conseiller spirituel, montrant ainsi qu’elle ne se soumet ni aux dieu-ou-démons ni aux hommes, sera interdite de sacrifices (éludée). Car il est normal en effet de manifester de la déférence envers les très-sachants de la druidiaction (druidecht) et de les suivre en tant qu’interprètes des volontés divines. Car c’est seulement grâce à eux que l’autre monde peut être gagné, grâce à la cérémonie du nom, à l’initiation des jeunes, à leur intercession, aux sacrifices, à leur enseignement, à leur défense de l’Ollotouta druidique, etc.
65. Tout individu donc, qui s’en prend à l’Ollotouta druidique, c’est-à-dire qui qui viole et ridiculise les dieu-ou-démons, concrètement qui viole ainsi l’Ollotouta druidique, qui achète ou vend ses biens mû par l’avidité la jalousie et la haine ; vend également avec… le repos de son âme/minute dans l’autre-monde. S’il avait pu jamais en espérer un. Ceci est en effet la plus mauvaise affaire qu’un homme puisse faire dans ce monde, vendre sa place dans l’autre-monde et vendre son âme.
Pour cette raison il ne devra plus rien avoir en propre, que ce soit corps, ou âme/esprit, ou terre, parce qu’il devra être éludé (exclu des sacrifices). À cause de lui, le paganisme d’esprit celtique pourra s’éteindra et le malheur s’abattra sur terre. Les dieu-ou-démons apaiseront leur vengeance sur les gens stupides ou les mauvais princes qui nous gouvernent. Ainsi que sur leurs suppôts, qui bafouent la volonté des dieu-ou-démons, en ne respectant pas l’Ollotouta druidique, en détruisant saisissant ou vendant ses biens.
De sorte que leur récompense dans l’au-delà ne se trouvera que dans les solitudes glacées de l’autre-monde. Mais qui protège ou défend l’Ollotouta druidique, avec modestie et fidélité, en sera récompensé au centuple dès ce bas monde, et il héritera un jour de la place qui lui lest réservée dans l’autre monde éternel des dieu-ou-démons ! Puissions-nous y demeurer dans les siècles des siècles. Que la force soit avec nous, Sunartiu !
Commentaire de Pierre de La Crau. FIN DE CETTE PREMIÈRE TENTATIVE DE RECONSTITUTION DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR D’UN ÉTABLISSEMENT DRUIDIQUE LOCAL.
Mais le mieux est peut-être néanmoins en un sens de passer sur ces derniers points (sur ces neuf derniers points) rapidement.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 6.
LISTE DES PUNITIONS POUR NON-RESPECT DE CES RÈGLES.
Ceux qui ont la charge de soigner les blessures des autres, doivent soigneusement tenir compte de l’âge et du sexe de celui qui a failli. Quelle instruction il a reçue, quelle est sa force, quel est le trouble qui l’a conduit à fauter, de quelles sortes de passions il est tourmenté, combien de temps il a vécu dans l’erreur ; à quel point il est détaché des choses de ce monde.
Les druides responsables, en modulant les châtiments, doivent veiller à ne pas faire corriger par de simples coups de canne un crime méritant l’épée ou de punir de l’épée un péché ne méritant qu’une simple bastonnade.
Les peines doivent varier suivant l’importance de la faute.
Même l’hérétique répondant au nom de Colomban de Bobbio l’a reconnu lui-même : « la diversité des offenses implique la diversité des pénitences. Les docteurs de l’âme doivent soigner de différentes façons les blessures de l’esprit ».
Le bavardage doit donc avoir comme punition le silence, l’orgueil la mise au secret, l’absentéisme l’exclusion, la gloutonnerie le jeûne, et ainsi de suite.
La sanction principale pour tout manquement à ces règles est en général la privation de nourriture, totale ou partielle.
Le responsable de l’Établissement peut, par exemple, choisir le jeûne total pour une durée variable (sauf pour ce qui est de la boisson : toujours de l’eau pure à volonté).
Par exemple pour le souper.
La sanction la plus courante est néanmoins la mise au pain sec et à l’eau, pour une durée variable.
Ou bien au pain sec et à l’eau, mais avec du sel et des légumes du jardin, selon le pénitentiel de Colomban. Voire simplement, une privation de viande et de vin, selon le pénitentiel de Finnian.
Le responsable de l’établissement pourra également retenir une privation partielle de souper (une moitié seulement chez Gildas le sage).
Une paillasse très chichement garnie de foin pour passer la nuit (Gildas le Sage). Mettons un lit pas très confortable. Des récitations de prière ou de texte sacré.
Du travail supplémentaire (Gildas le Sage).
Des épreuves physiques : agenouillement simple, agenouillement couché face contre terre ensuite. On dirait aujourd’hui : une série de flexions des deux genoux, les bras tendus à l’horizontale.
L’isolement dans une chambre. Et enfin l’exclusion.
À ces peines peuvent être substituées des peines plus dures, mais plus courtes, si celui qui est puni en fait la demande au responsable, et si ce dernier accepte de commuer ainsi la punition. Notamment des coups de règle, de bâton (pénitentiel de Finnian) ou de fouet (pénitentiel de Colomban de Bobbio).
Le nombre des coups remplaçant ces punitions (plusieurs jours au pain sec et à l’eau ou un jeûne complet plus ou moins long, etc.) varie, mais peut aller jusqu’à 50, 150, 200. Le maximum étant de 365, ce qui correspond à une punition s’étendant sur toutes les parties du corps, 365 étant approximativement le nombre d’articulations et de tendons du corps humain.
Citons également comme peines de substitution pouvant être accordées à la demande du « fautif » : réciter des prières les bras levés au ciel sans que les coudes touchent le corps ; ou couché sur le sol, face contre terre les deux bras étendus le long du corps.
Trois jours et trois nuits debout à vaquer à ses occupations habituelles, mais sans s’asseoir, sans s’allonger, sans dormir (sauf un bref instant dans le courant de la nuit).
Passer une nuit entière debout sans appui ou sans support pour s’appuyer, à réciter les textes sacrés.
La même chose, mais avec les bras levés au ciel sans que les coudes touchent le corps, en se concentrant sur le divin avec ferveur. « Nate, nate, mento beto to devo » lui répétait sans cesse sa mère (Augusta) au futur noïbo Symphorien d’Autun, du haut des murailles de la ville.
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Réciter chaque jour et pendant X jours, 50,100, 150,200, ou 365 textes sacrés, debout sans appui ou sans support pour s’appuyer, sans possibilité de s’allonger… mais seulement de s’asseoir.
Trois jours et trois nuits dans le noir sans aucune distraction possible et sans la moindre nourriture habituelle ; mais seulement du pain sec et trois gorgées d’eau, par jour ; correspondent à un jeûne total de trois jours.
Trois jours et trois nuits sans boire ni manger ni dormir, la première nuit passée dans de l’eau glacée, la deuxième sur un lit d’orties, la troisième sur un lit de coquilles de noix.
Trois jours et trois nuits sans boire, ni manger, ni dormir, dans une tombe, allongé nu, dans une crypte ou un tombeau à réciter des prières a).
Trois jours et trois nuits sans boire, ni manger, ni dormir, dans une grotte. La méthode favorite de saint Patrice (entre le 1er juin et le 15 août sur l’îlot de Station Island au milieu du Lac Derg). Car saint Patrice n’a fait que reprendre là une pratique bien antérieure, évidemment.
Des nuits en un lieu glacial ou dans sa cellule, à veiller ainsi qu’à prier, sans s’asseoir, ni s’allonger, ni dormir.
Des mois reclus au pain sec et l’eau, sans lit pour dormir.
La marche peut également servir de punition. C’est une méthode bien connue des militaires d’aujourd’hui.
Elle doit dans ce cas se faire pieds nus (comme celle qui a lieu sur la montagne sacrée d’Irlande située dans le comté de Mayo, le dernier dimanche de juillet).
Ces rites remontent évidemment à la nuit des temps et Patrice n’a fait que les récupérer.
a) Certains pénitentiels chrétiens *disent « à côté d’un cadavre », mais c’est un peu excessif, cela fait même quelque peu lugiférien voire sataniste !
*Commutation 32 A de la table des commutations rédigée en vieil irlandais.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 7.
LA MÉDECINE PSYCHOSOMATIQUE DRUIDIQUE.
La lorica ou prière attribuée (à tort d’ailleurs) à Gildas le sage. La lorica de Gildas également connue sous le nom de lorica de Loding ou Laidcend se trouve dans le livre de Cerne, un livre de prière anglais du IXe siècle (c’est la 4e prière). Nous en devons probablement le texte à Loding ou Laidcenn un moine irlandais de Clonfert Mulloe mort en 661, car il s’agit d’hiberno-latin : Hanc loricam Loding cantavit ter in omni die…… glosé en vieil anglais.
On retrouve d’ailleurs le même genre d’idée (d’énumération des différentes parties du corps) dans la lorica de l’abbé Mugron d’Iona à la fin du Xe siècle (ou de Colomban lui-même).
LORICA DE LAIDCEND.
Sois le plus sûr des boucliers pour mes membres et mes entrailles,
Afin de repousser loin de moi l’atteinte des piques que fabrique notre invisible ennemi !
Sois un casque salutaire pour ma tête, mon front, mes yeux, les lobes de mon cerveau, mon nez, mes lèvres, ma face, mes tempes, mon menton, mes joues, mes mâchoires, mes dents, ma langue, ma bouche, ma gorge, ma luette, ma trachée, le dessous de ma langue, ma nuque, et son cartilage.
De la plus solide des cuirasses
Protège-moi le bras et les avant-bras ainsi que les épaules.
Protège-moi les coudes et les articulations du coude ainsi que les mains les poings, les paumes, les doigts et les ongles.
Protège-moi l’épine dorsale, les côtes et leurs articulations,
Ainsi que l’arrière, le dos, les nerfs et les os.
Protège-moi la peau, le sang, les reins,
Mais aussi les hanches, les fesses et les cuisses,
Protège-moi les jambes, les mollets, les cuisses ainsi que les rotules, les jarrets ou les genoux.
Protège-moi les chevilles, les tibias, et les talons,
Ainsi que les jambes, les pieds, la plante des pieds.
Protège-moi les décuples rameaux qui poussent ensemble (les doigts)
Ainsi que les orteils et mes deux fois dix ongles.
Protège-moi la poitrine, son articulation, le sternum
Ainsi que les mamelons, l’estomac, le nombril.
Protège-moi le ventre, les reins, les parties génitales
Ainsi que l’estomac et les parties vitales du cœur.
Protège-moi le triangle du foie et sa graisse,
Ainsi que la rate, les aisselles et leurs nerfs.
Protège-moi la chair, l’aine et ses parties intérieures,
Ainsi que la rate et les intestins,
Protège-moi la vessie, la graisse
Ainsi que mes innombrables articulations.
Protège-mes cheveux,
Ainsi que les autres parties du corps
Dont j’ai omis le nom.
Protège-moi,
Protège mes cinq sens, ainsi que les dix ouvertures de mon corps.
De sorte que de la plante des pieds au sommet de la tête
Aucun de mes membres ne puisse être atteint, que ce soit du dedans ou de dehors.
Et que de mon corps la vie ne puisse être expulsée.
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Le petit côté en quelque sorte pédagogique et minutieux, voire tatillon, de cette lorica, distinguant soigneusement les différentes parties du corps humain (des rudiments de médecine) ou de l’espace (au-dessus, en dessous, devant, derrière, à droite, à gauche, etc.) ; est évidemment d’origine druidique.
Voici ce qu’a écrit à ce sujet l’excellent site internet Druid Network (je cite de mémoire et d’après mes notes).
Il est impossible de comprendre ce qu’est la médecine druidique sans comprendre ce qu’est le druidisme lui-même. Cette conception du monde (Weltanschauung diraient nos amis allemands) venue du fond des âges ne dissocie pas l’être humain de son passé, de son présent, de son futur, ne le coupe pas de ses ancêtres, de ses enfants. Le très-sachant de la druidiaction (druidecht) a les pieds profondément plantés dans le sol de sa Mère, la Terre, la tête bien en face de l’horizon du présent, et les bras lancés vers le Ciel, comme les branches d’un arbre… Il n’est pas coupé des autres règnes, végétal, minéral, animal. Il considère que l’ensemble des éléments composant le cosmos, comme l’ensemble des entités l’habitant, font partie d’un ensemble indissociable, le Bitos. « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines » a jadis écrit Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra). Tout est interdépendant au sein d’une spirale cyclique qui relie en une sorte de pesanteur ou d’attraction universelles, en un extraordinaire geste d’amour diraient les poètes, l’Homme à la Terre, au Ciel et aux cinq éléments que sont la Terre, l’Air, l’Eau, le Feu et la Brume. Qu’une seule de ces parties soit donc atteinte, et les autres périclitent. Qu’un seul règne souffre, et les autres souffrent aussi… Le très-sachant de la druidiaction (druidecht) simultanément fils de la Terre et du Ciel, assume en même temps sa face solaire et sa face lunaire, son côté lumineux et son côté obscur. Il y a ce qui est visible (le corps, la matière) et ce qui est invisible (l’anaon, autrement dit le couple de forces âme/esprit) le tout constituant la Vie. Il s’ensuit donc que l’être humain lui-même est un ensemble. Cet ensemble fait du corps physique, mental et spirituel, est non seulement indissociable, mais interdépendant. Il ne sera donc pas possible de concevoir pour lui une médecine dissociant son corps ou les différentes parties du corps. La qualité des échanges entre ses différentes composantes va définir l’état de santé de l’être humain, l’héritage physique, mais aussi mental, émotionnel et spirituel, tant par la lignée familiale que par son éventuelle réincarnation [Note de la Rédaction. « Éventuelle » est le terme qui convient, car rien ne prouve, de façon irréfutable, que la réincarnation, SUR TERRE, était une théorie druidique]. Les échanges entre ces différentes composantes et les éléments venant de l’environnement, l’état du sol, la qualité de l’eau bue, etc. vont avoir tout autant d’influence. Si cette approche fait du druidisant un adepte des médecines douces, il n’en sera pas pour autant fermé aux cas de force majeure ou aux urgences impliquant de recourir aux traitements chimiques dispensés par la médecine occidentale officielle d’aujourd’hui. La différence réside dans la manière de gérer cette approche et de l’utiliser. Il est des cas, rares, mais réels, où il faut utiliser des antibiotiques (qui à l’origine ne sont d’ailleurs que des champignons comme la pénicilline !) des urgences thérapeutiques légitimant l’utilisation de la chimiothérapie (peut-on d’ailleurs imaginer se faire opérer de l’appendice sans être endormi ?). Ce qui caractérise le druidisant, c’est qu’il ne recourt qu’avec parcimonie à de telles pratiques, uniquement dans les cas extrêmes et urgents, quand la maladie est déjà parvenue à un stade avancé, très dangereux, et qu’il utilise autant que possible des thérapies alternatives pour compenser ou apporter à son organisme les compléments nécessaires.
Quel que soit l’acte à pratiquer médicalement, le très-sachant de la druidiaction (druidecht) ne perd jamais de vue l’appel premier à la Nature elle-même, l’interdépendance des choses, leur globalité.
Qu’en était-il des très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques ? D’excellents ouvrages sur la médecine druidique nous décrivent parfaitement les différentes médecines druidiques, magiques ou chirurgicales, de l’époque. C’est une médecine de pointe puisqu’elle sait utiliser les techniques de son temps. Les textes, mythes et autres sources, évoquent une certaine utilisation de plantes, et surtout de plantes dites « magiques », c’est-à-dire dangereuses si mal utilisées… La médecine druidique est aussi capable de faire appel aux forces inconscientes. C’est une médecine respectueuse de l’Homme et de son environnement puisqu’elle agit toujours dans le sens des Lois naturelles et avec des techniques naturelles.
Tout acte médical est dans le druidisme un acte sacré, puisqu’il s’adresse à un être humain lui-même sacré, vivant de plus en totale interdépendance dans un univers naturel lui aussi sacré. Le but de cette médecine est de remettre dans le droit chemin de l’harmonie universelle ceux qui se sont égarés, perdus, ou coupés du Monde, et qui par là même en souffrent…
Si l’homme n’est pas dissociable de son environnement, si son corps n’est pas dissociable de son âme/esprit, les techniques médicales ne sont pas non plus dissociables, le druide médecin agira donc
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sur tous les plans, du plus subtil au plus physique. Cette méthode curative abolit les frontières entre les univers intérieur et extérieur, et ne distingue pas les souffrances mentales des autres tourments.
Nous l’avons déjà dit, les anciens très-sachants de la druidiaction (druidecht) n’hésitaient guère à utiliser la chirurgie réparatrice c’est-à-dire à intervenir physiquement et scientifiquement sur le corps (trépanation, opération, chirurgie des yeux…). Mais cela ne pouvait toutefois se faire indépendamment d’une intervention parallèle sur les plans plus subtils que sont l’esprit, l’âme, et les autres mondes.
Qu’est-ce qu’une médecine magique, sinon une technique qui recourt à ce que certains appelleront les autres mondes et d’autres les forces inconscientes ?
Il est plus que jamais question de « touchers thérapeutiques », de « naturopathie holistique » et d’autres nouveaux termes de ce genre par lesquels la médecine reconnaît ou traite autant l’âme/esprit que le corps, l’esprit du malade que l’esprit du mal, voire l’esprit du médicament.
Est-ce si différent des techniques ancestrales qui « chassaient » l’esprit des maladies ? Lorsque l’on fait appel aux forces subconscientes reliées à l’inconscient collectif, est-on vraiment loin des demandes de guérison miraculeuse par intervention divine, de nos ancêtres (bratou decantem ou ex-voto jetés dans les sources de la Seine) ?
Le respect de la vie en toutes choses, l’approche animiste, panthéiste, font que la druidiaction s’attache plus à prévenir qu’à guérir. Elle préconise donc avant tout une hygiène de vie digne de ce nom : respect de soi tant sur le plan spirituel que moral ou physique.
Lorsque la maladie et la souffrance apparaissent, les outils thérapeutiques sont essentiellement naturels.
La technique la plus connue (tant chez les Anciens qu’aujourd’hui) est la phytothérapie.
Il est tentant de dire qu’il n’existe pas une, mais des médecines druidiques, comme il n’existe pas un Druidisme, mais des Spiritualités celtiques que chacun peut vivre à sa façon. Pourtant il est facile de constater que tout ce qui concerne cette approche, tant spirituelle que médicale, tourne autour d’un seul et même axe ; la connaissance et le respect du Vivant, du Cycle des Vies et des Morts, le respect des lois de la Nature. Si une intervention doit être pratiquée, quelle que soit cette intervention, chirurgicale, magique, incantatoire, elle ira dans le sens des lois naturelles. Cela implique une acceptation de la mort comme mouvement descendant d’un cycle, dont la partie active ou la vie ne serait pas maintenue à tout prix, encore moins générée à tout prix. Les clones et autres manipulations du vivant sont à l’opposé de la pensée druidique, qui s’attache toujours à servir la Vie là où l’Énergie ne demande qu’à éclore ! (Syd).
Nous sommes évidemment d’accord tout au moins globalement, avec une telle analyse, mais cette approche demande à être nuancée par d’autres points de vue.
Syd évoque dans son article une intervention sur les plans plus subtils que sont l’esprit, l’âme, et les autres mondes… L’intervention sur les autres mondes se fait par la pratique d’actes dits magiques et autres incantations de ce genre. Or qu’est-ce qu’une médecine magique sinon une technique qui fait appel à ce que certains appelleront les autres mondes et d’aucuns « les forces inconscientes ».
On ne saurait mieux dire, et il existe effectivement de nombreux exemples validant son étude sur ce point.
La médecine druidique est issue du chamanisme préhistorique, ou du moins remonte à la plus haute antiquité.
Liaig est, en irlandais ancien, un mot traditionnel désignant un haut personnage estimé ou respecté. Or il est certain que ce mot n’est pas un substitut ou un qualificatif récent forgé, par les Irlandais. Il remonte à l’Antiquité, nécessairement préchrétienne. Le brittonique l’a d’ailleurs remplacé par le latin medicus (gallois meddyg, breton mezeg).
Le médecin celte, le leigis (vieil irlandais liaig) se servait donc essentiellement de trois types de médecine.
— La médecine psychosomatique (hypnose, autosuggestion).
— La médecine chirurgicale. On a retrouvé en Allemagne, dans une tombe découverte à Obermenzing en Bavière, le corps d’un homme qui fut vraisemblablement un druide chirurgien vers l’an 200 avant notre ère. Il avait été enterré avec une épée, une lance et un bouclier. Mais c’était avant tout un médecin et non un guerrier ; puisque l’on a trouvé dans sa tombe un trépan (permettant de retirer du crâne de petites sections d’os afin d’alléger la pression exercée par la boîte crânienne sur
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le cerveau), une sonde, et un écarteur (Cf. José Maria de Navarro et son étude sur la tombe d’un docteur de La Tène Moyenne, publiée en 1955 par la Société préhistorique).
— La médecine médicamenteuse (par les plantes : phytothérapie).
Exemple de médecine psychosomatique et médicamenteuse.
« Le Hésus Cuchulainn dormit alors d’un profond sommeil sur le tertre funéraire de Lerga pendant trois jours et trois nuits. Il était nécessaire que la durée de son sommeil corresponde à la grandeur de son épuisement, car [on lúan re samain sainriuth cossin cétaín iar n-imbulc] du jour de la lune après Samon (ios) exactement au mercredi après Ambolc, le Hésus Cuchulainn n’avait pas dormi une seule nuit, sauf quand il somnolait un petit instant appuyé contre son javelot après midi, la tête sur son poing fermé, son poing serré autour de son javelot et son javelot sur les genoux, car il n’avait pas cessé de frapper, d’abattre, de pourfendre et d’exterminer, les quatre grandes provinces d’Irlande, durant tout ce temps-là. Ensuite le guerrier mit des plantes du sidh et des herbes médicinales (lubi ícci & slánsén i cnedaib) dans les blessures, les coupures les entailles et les nombreuses autres plaies du Hésus Cuchulainn de sorte qu’il puisse recouvrer toute sa santé sans même s’en apercevoir durant son sommeil ».
Le texte de l’injonction divine récitée par Lug, nous a été conservé par le Lebor na hUidre ou livre de la vache brune. Le voici en gaélique : Canaid a chéle ferdord dó, contuli friss co n-accae nách crecht and ropo glan.
Le ferdord est une sorte de fredonnement ou de chant ayant la capacité d’endormir les patients. De fer « homme » et dord « chant, plainte, bourdonnement ». Chez les fénianes par contre il s’agissait d’une sorte de chant ou de refrain s’accompagnant parfois du choc de leurs hampes de lances sur les boucliers. Dans le récit intitulé Longes Mac nUislenn, le mot andord semble désigner le chant d’une voix de ténor.
Exemple de médecine chirurgicale. Dans son livre de chirurgie, le livre VII de son traité, Celse fait une remarque particulièrement intéressante sur le traitement de certaines maladies des yeux. En 7, 15 I, il traite du flux d’une pituite peu épaisse qui altère l’état des yeux.
Celse distingue soigneusement les cas (incurables qu’il ne faut pas toucher) des cas curables pour lesquels il faut agir vite. Le traitement est dicté par l’idée que cette chassie vient du cerveau, par des vaisseaux superficiels. D’où la méthode des Grecs, une méthode africaine, et la méthode celte. « Il n’y a pas de méthode meilleure que celle pratiquée en Transapine, là-bas ils choisissent des vaisseaux situés sur les tempes et sur le sommet de la tête » (et les cautérisent).
Cette remarque est certainement à rapprocher de l’irritant problème de la pratique des médecins oculistes et de leurs fameux cachets. Autre exemple de l’habileté chirurgicale des médecins irlandais, le cas du médecin de Conchobar, Fingen. Cunocavaros/Conchobar ayant été mortellement blessé à la tête par une pierre de fronde, on lui amena son médecin.
« Bien ! », dit Fingen, « si la pierre t’est enlevée de la tête, tu mourras aussitôt. Si elle n’est pas enlevée, je te guérirai, mais tu resteras infirme ».
« Mieux vaut pour nous son infirmité que sa mort », dirent les Ulates.
La tête fut donc guérie et la blessure recousue avec du fil d’or, car telle était la couleur des cheveux de Conchobar. Le médecin recommanda ensuite au roi d’avoir soin de ne pas se mettre en colère, de ne pas monter à cheval, de n’avoir aucune relation passionnelle avec une femme, de ne pas manger trop goulûment et de ne pas courir.
Exemples de traitement médicamenteux de base (très simples).
Au premier siècle, Pline et Arétée rapportent que les Celtes connaissent une espèce de savon que l’on peut utiliser dans le traitement de certaines maladies de peau. Arétée, au chapitre du traitement de l’éléphantiasis (traitement des maladies chroniques, II, 13), écrit. « Il y a de nombreux autres remèdes…… ceux des Celtes… ces substances alcalines moulées en forme de boule, avec lesquelles ils font la lessive de leurs habits, appelées savon, et avec lesquelles il est très efficace de nettoyer le corps lors d’un bain. Le pourpier ainsi que la joubarbe dans du vinaigre… sont aussi très bons ». Pline signale que l’on peut l’utiliser dans le traitement des écrouelles : «… Les écrouelles sont
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guéries par une application de fiel de sanglier ou de bœuf, réchauffé à cet effet… le savon également est beaucoup utilisé dans ce dessein, c’est une invention des Celtes du Continent pour donner une couleur plus rouge à leurs cheveux. Il est préparé avec du suif et de la cendre, les meilleures cendres pour cela étant celles du hêtre et le meilleur suif celui de chèvre ; il y en a deux sortes, le dur et le liquide, les deux sont très utilisés par les Germains, les hommes en particulier plus que les femmes » (H. N. 28, 191).
Mais si le druide médecin fait appel à ses connaissances scientifiques et « magiques », il laisse aussi les dieu-ou-démons comme Belin/Belen/Bélénos, l’inspirer, sans doute après une longue prière.
Bélénos est en effet le dieu-ou-démon de la médecine, et il a de nombreuses épithètes.
Le néo-druide canadien Michel-Gérald Boutet (Boutios) insiste aussi sur le rôle de noïba Brigitte en Irlande.
La médecine des très-sachants de la druidiaction (druidecht) est donc un système médical cohérent et complet, tout comme la médecine ayurvédique. Le druide médecin cherche à guérir le malade en l’aidant à retrouver l’équilibre perdu, ce qui, selon cette école, constitue la véritable cause de la maladie. Le principe fondamental de la médecine druidique est qu’un être en harmonie avec son environnement, et dont le mode de vie est équilibré, sera naturellement heureux et en bonne santé. C’est lorsque cet équilibre est rompu qu’apparaît la maladie. Le druide médecin utilise alors diverses techniques pour comprendre à quel type d’homme appartient son patient, identifier les déséquilibres particuliers qui causent sa maladie, et l’aider à retrouver son état naturel de bonheur et de santé.
Les tenants de cette médecine druidique considèrent que la personne est un microcosme du Bitos ou de l’Univers, « Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ». Ausone (églogue sur l’emploi du mot libra).
Ainsi que l’a bien vu Syd, dans ce type de médecine antique c’est le malade qui est soigné, non la maladie. Des patients souffrant de la « même » migraine peuvent être traités de façons fort différentes, selon leur constitution, l’origine de leur mal, ainsi que les caractéristiques spécifiques de leur migraine.
Tout est interdépendant au sein d’une gigantesque spirale cyclique, et notamment les cinq éléments que sont la Terre, l’Air, l’Eau, le Feu et le Brouillard. Qu’une seule de ces parties soit donc atteinte, et les autres périclitent. Qu’un seul règne souffre, et les autres souffrent aussi…
Mais passons donc sur ces cinq éléments qui sont peut-être un peu trop beaux pour être vrai.
Si l’on en croit Strabon, pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, les deux éléments fondamentaux constitutifs du Bitos ou de l’Univers, étaient seulement le feu et l’eau. « Un jour régneront le feu et l’eau » (Strabon IV, 4). Donc pas la terre, l’air ou le brouillard !
Les diagnostics.
Qu’elles soient au nombre de deux ou de cinq pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), la maladie résulte d’un déséquilibre entre ces différentes forces fondamentales constitutives de l’être humain. L’excès ou la carence de l’une ou de l’autre causera une perturbation métabolique, et la maladie alors fera son apparition. Dans le tissu musculaire par exemple, un surplus de feu causera de l’infection, alors que trop d’eau le fera enfler. Les causes d’une maladie sont par conséquent à rechercher dans ce qui, sur le plan du mode de vie, des habitudes et de l’environnement de la personne en question, a causé le déséquilibre entre ces forces fondamentales.
Plus concrètement, le druide médecin prend d’abord le pouls du malade, une technique qui, dans la médecine druidique, va bien au-delà du nombre de pulsations à la minute. Il examine les caractéristiques physiques du patient, la nature de sa peau, de ses cheveux, de son appétit, l’état de ses yeux, de ses ongles, de sa langue, de son urine, et de ses selles.
L’étude attentive de tous ces signes le renseigne sur la nature du mal-être qui affecte son patient. Un druide médecin expérimenté peut même percevoir les signes d’un déséquilibre susceptible de causer une maladie, alors qu’elle ne s’est pas encore manifestée.
Exemple le druide ou vate médecin (faith-liaig) du roi d’Ulster Cunocavaros/Conchobar, Fingen, déjà mentionné. Mais il n’est pas inutile de revenir sur ce personnage, car son cas illustre bien ce que la population attendait alors des médecins.
Fingen était en effet d’une surprenante habileté.
Fingen pouvait deviner rien qu’à la fumée s’élevant d’une maison combien il y avait de malades à l’intérieur et de quelles maladies également il s’agissait.
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Dans son examen des blessures infligées à Cethern (cf. la saga de l’enlèvement des vaches de Cooley) il se montrera le plus fort de tous les médecins légistes, encore plus fort que ceux de nos modernes séries télévisées. Ce qui ne lui vaudra guère le respect dudit Cethern néanmoins apparemment. Mais ce passage du récit est sans doute destiné à faire rire ou sourire du personnage (Cethern) qui, bien que du « bon côté » a tout du malotru.
La saga de l’enlèvement du bétail de Cooley s’avère explicite à cet égard.
Ticedh cach d’fechain a cnedh agus a creacht, a n-gon agus a n-galar cuici-siomh agus no innisedh a galar da cach aón agus do beredh freapaidh íca dá cach aón, agus isedh tic fri cach aon an galar indisios doibh. As nert liaig-gaoisi, as slanugudh cnedh, as díchur euga, as esbaidh cach enirt in fer sin, ar Fergus,.i. Fingin fathliaigh liaig Concobair co leaghaibh Uladh uime. As é sin do ber aithne ar galar in duine tre diaig in tigi imbí d’faicsin no tre na cnet do closs(tin). A coimeta leghis, as iat na ferbolga do connarcais aca.
« Cet homme est la puissance même de l’art de guérir ; la guérison des blessures ; un trompe-la-mort, la bonne santé personnifiée, répondit Fergus, c’est Fingen, le vate médecin, le docteur de Cunocavaros/Conchobar, avec tous les guérisseurs d’Ulidia. Il trouve la maladie de quelqu’un rien qu’à la fumée qui sort de la maison où il est couché, ou rien qu’en écoutant ses gémissements. Et leur sacoche médicale ce sont les sacs que tu as vus sur eux ».
Cette extraordinaire capacité à diagnostiquer une maladie est, bien entendu, mythique ; et nous n’avons pas la preuve que les druides médecins de l’époque étaient vraiment capables d’une telle prescience. Mais le fait à retenir est que la légende celte estimait ses druides-médecins capables de tels exploits.
Le druide médecin peut ainsi aider son patient à corriger le déséquilibre, ou à prévenir l’apparition de la maladie. Cet aspect préventif est d’ailleurs crucial dans la médecine druidique : on essaie d’éveiller l’intelligence innée du corps et de l’esprit, de leur restituer leur faculté naturelle à combattre la maladie, et à entretenir la joie la vivre et la sérénité. On veille à renforcer les défenses naturelles de l’organisme, et à stimuler les processus d’élimination des toxines ou des impuretés dans le but de préserver la santé.
Les stratégies de traitement.
Pour rétablir l’équilibre perdu, la médecine druidique dispose d’une foule de techniques visant à transformer le corps et l’âme/esprit. Par exemple un régime alimentaire adapté, des préparations d’herboristerie, des bains, du thermalisme, des massages, des exercices physiques divers, bref, tout un programme destiné à modifier le mode de vie du patient, fût-il un grand roi comme Cunocavaros. Il existe même une chirurgie druidique ainsi que nous avons pu le voir dans les fouilles de certaines tombes de La Tène. Le druide médecin est une sorte de conseiller qui guide le malade sur la voie de la guérison.
La diététique occupe une place privilégiée. Chaque aliment et chaque plante médicinale sont constitués, en proportion variable, des mêmes éléments qui forment le corps et l’âme-esprit. Que ce soit la Terre, l’Air, l’Eau, le Feu et le Brouillard, ou simplement le Feu et l’Eau du système dualiste de Strabon.
Les propriétés ainsi conférées aux aliments et aux plantes par les éléments qui les composent, sont mises à contribution pour aider le patient à rééquilibrer ses forces fondamentales. Par exemple, les légumes verts, les crudités, les légumineuses et la viande, stimulent la force qui régit les mouvements biologiques et rythme le métabolisme : respiration, élimination, rythme cardiaque, échanges intracellulaires, système nerveux sympathique ; alors que les produits laitiers, les noix, les poissons, et les fruits de mer, la calment.
Le choix, la combinaison et la préparation des aliments, font partie du programme thérapeutique élaboré par le druide médecin.
PHARMACOPÉE.
Plusieurs plantes de la pharmacopée druidique sont encore connues de nos jours. Quelques exemples, entre mille.
L’adarca = « efflorescence de roseau » (chez Pine).
L’agranio = « prunelle ».
L’albolon = « menthe pouliot ».
L’alus = « consoude ».
L’anepsa = « hellébore ».
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Le baditis = « nénuphar ».
La belenountia = « jusquiame », plante qui, à haute dose, est un stupéfiant provoquant des hallucinations.
Le beliocandos = (irlandais bile, « arbre [sacré] » ainsi que cand-, « cent »).
La berula = « cresson ».
La betidolen = « bardane ».
La blutthagio = une herbe qui guérit les maux d’oreille. Herbam quae Gallice dicitur blutthagio, nascitur lotis humidis, eam teres, succumque eius auribus instillabis (Marcellus 26-41).
Le bolusseron = « lierre ».
La bricumus = « armoise commune ».
Le calliomarcus = « tussilage », littéralement « testicule de cheval » ; appelé aussi ebulcalium d’après le Corpus Glossariorum Latinorum 3, 582, 35 (gallois ebol, breton ebeul, « poulain ») voire epocalium 3, 586, 63 (gaulois epo – « cheval »).
Le calocatanos = « pavot, coquelicot ».
Le corna = « une espèce de pavot argémone » d’après le pseudo Dioscoride.
Le cremo = « ail ».
La drageno = « épine ». Vieil irlandais draigen.
Le douconé = « sureau hièble ». D’après le pseudo Dioscoride.
L’ercinon = « germandrée ».
L’exagon = « petite centaurée ».
La gelasonen = « linaigrette ou herbe-à-coton »).
Le gigarus = « serpentaire ».
Le gilarus = « serpolet ».
Le lagonon ou laginon = « varaire, vératre ou ellébore blanc ».
Le limeon = un poison ??
La mentasone ou mentadione = « menthe ».
La merioitoimorion = « mélisse ».
Le mulicandos = « millefeuille ».
L’odocos = « sureau hièble ». cf. le douconé ci-dessus ?
L’oualoida = « camomille ».
L’ousoubem = « lauréole, fragon ? ».
La pempedula = « quintefeuille ».
La ponem = « armoise commune ».
La ratis = « fougère ».
Le rhodora ou rodarum = « spirée ulmaire ou reine-des-prés ».
Le sapana = « mouron rouge ».
Le sistrameor = « fenouil sauvage ».
Le scobies = « sureau ».
Le scubulum ou scobilo = « morelle noire ».
La sparno = « aubépine ».
Le suibitis = « lierre ».
Le tarbelodathion = « plantain » d’après Holder, littéralement « langue de taurillon ».
Le tauruk = « glaïeul ».
La thona = « grande chélidoine ».
Le titumen = « armoise ».
La vela = « vélar ou herbe aux chantres ».
Le vernetos = une plante pour soigner les oreilles d’après Marcellus de Bordeaux ???
La vettonica = « bétoine ».
La viridis (?) Marcellus de Bordeaux XXXV, 15, herba britannice viridis, cum radicibus, suis contusa et expresse.
Le visumarus = « trèfle ».
La uroica > bruca = « bruyère ».
Jusquiame avons-nous dit. Mais existait, bien entendu, quantité d’autres herbes ou plantes à utiliser suivant les cas. Le Psilocybe semilanceata, semble par exemple, un champignon sacré relativement commun. Il pousse en groupe dans les herbages, de septembre à novembre. La manducation du gland de chêne est également signalée par le scholiaste bernois de Lucain qui écrit, à propos du vers 451 : « dryadae glandibus comestis divinare fuerant consueti ».
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De toute façon, le druide médecin ne faisait pas toujours appel, uniquement à une seule de ces plantes. Il employait aussi des mélanges complexes dont l’effet global était synergique (les fameuses potions magiques appelées philtres au Moyen-âge).
La Fontaine de Santé alliant pouvoir des eaux lustrales et vertus des plantes, la plus connue dans l’Antiquité, depuis le VIe siècle avant notre ère au moins, était située en Narbonnaise, à Glanum (Saint-Rémy-de-Provence).
Une source guérisseuse connue dès la Préhistoire y était en effet la demeure d’un dieu-ou-démon druidique, Glanis, et de ses bienfaisantes compagnes, les Mères glaniques. Malgré la chute de la puissance salyenne, la ville, désormais appelée Glanum, continuera de prospérer grâce à la réputation de ses eaux guérisseuses ; ses anciens dieu-ou-démons druidiques cohabitant avec Apollon ou Hercule, voire se maquillant peut-être en divinité latine, telle cette Valetudo, déesse-ou-démone, ou fée, romaine, de la santé, qui semble bien être la réincarnation de l’une des Mères glaniques.
L’Irlande médiévale a, elle aussi, tout comme dans le cas de Glanum, synthétisé en une seule et même technique médicale la cure thermale et la guérison par les plantes.
À plusieurs reprises, des variantes de ses textes nous relatent en effet une utilisation conjointe des deux techniques autour de ladite fontaine.
« Les Gaulois Fir Bolgs eux aussi étaient venus avec leur médecins. Ils cueillirent des herbes médicinales, les broyèrent et les répandirent à la surface de l’eau de la fontaine, jusqu’à ce que la précieuse eau guérisseuse épaississe et devienne toute verte. Leurs blessés furent plongés dans la fontaine, et ils en ressortirent complètement guéris » (Première bataille de Mag Tured).
« Ensuite voici ce qu’ils faisaient pour ranimer les guerriers qui avaient été tués, de sorte qu’ils étaient encore plus dynamiques le lendemain.
Diancecht et ses deux fils Octorevillos et Medocios ainsi que sa fille Armeditrina récitaient des prières (dicetul) sur la fontaine appelée « Guérison » (Slaine). Leurs hommes blessés mortellement étaient jetés dans son eau après avoir été tués. Ils en ressortaient vivants. Leurs blessés à mort redevenaient sains et saufs grâce au pouvoir des prières (dicetail) des quatre médecins qui se tenaient au-dessus de la fontaine » (Deuxième bataille de Mag Tured).
« De Lusmag, Diancecht apporta toutes ses herbes de guérison, et il les hacha menu dans la fontaine de Slainge à Achad Abla, au nord-ouest de la plaine aux tumuli ; lorsque fut livrée la grande bataille entre les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia) ; et les vouivres anguipèdes gigantesques (Andernas sur le Continent, Fomore en Irlande). Chacun des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), qu’ils étendaient sous cette eau où ces herbes avaient infusé, se relevait totalement guéri de ses blessures » (cf. le Dindshenchas de Rennes).
Ce n’est pas une fontaine de résurrection miraculeuse, puisque ce ne sont pas des morts qui sont plongés dedans. Mais tous les blessés par contre, quelle que soit la gravité de leurs blessures apparemment, sont guéris par l’eau sur laquelle les médecins divins ont prononcé, ou plutôt chanté, des incantations. Nous ne savons pas trop à quelle médecine nous avons exactement affaire, si ce n’est à une alliance de la médecine incantatoire de première fonction indo-européenne et de la médecine végétale de troisième fonction dans le cas où la fontaine contient des plantes. Notons néanmoins que les incantations n’ont d’effet qu’en liaison avec l’eau d’une source ou d’une fontaine sacrée.
C’est à cette même fontaine de santé que se rendra le dieu-ou-démon-forgeron Gobannos/Goïbniu, après avoir été blessé par un traître. Il se rendit à la fontaine et fut guéri. Ne soyons donc pas étonnés si les vouivres anguipèdes gigantesques (que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique) cherchent ensuite à tarir ou à combler une telle source.
« Il y avait chez les vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Fomors un célèbre guerrier, à savoir Octorigillacos, fils d’Indicios fils de la déesse Domnu, fils du roi des vouivres anguipèdes. Il leur expliqua que chacun d’entre eux devait apporter une pierre des galets de la rivière Drovesa pour la jeter dans la fontaine de Guérison située dans Acate Aballion à l’ouest de la plaine de menhirs et à l’est de Loccos Alixias. Ce qu’ils firent, chaque homme jeta une pierre dans la fontaine. D’où le nom de carn d’Octorigillacos pour désigner le cairn ainsi formé. Mais un autre nom pour désigner cette
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fontaine est « lac des plantes médicinales », car Diancecht avait l’habitude d’y mettre un peu de chacune des herbes médicinales qui poussaient dans le pays ».
Voir également l’exemple suivant (il s’agit d’un extrait de l’enlèvement des bœufs de Cooley, la grande épopée irlandaise par excellence : la scène a lieu après un violent combat entre Cuchulainn et son ancien frère d’armes Ferdiad).
« Vinrent alors à l’aide et au secours du Hésus Cuchulainn quelques Ulates, à savoir Senall Uathach, les deux fils de Gegg, c’est-à-dire Muridach et Cotreb. Ils l’amenèrent aux ruisseaux et aux rivières de Conaille en Muirthemne pour soigner en les lavant d’abord ses blessures et ses coupures, ses entailles et ses plaies, dans le courant de ces ruisseaux et rivières. Car « dabertis Tuatha De Danand lubi 7 lossa icce 7 slansen for glassib 7 aibnib crichi Conailli Murthemne, do fhortacht 7 do fhorithin Conculaind, comtis brecca barruani na srotha dib ».
Car les dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) donc, avaient pris l’habitude de mettre des plantes médicinales dans les ruisseaux et les rivières de Conaille en Muirthemne ainsi que de faire des signes sacrés dessus (slansen) afin d’aider ou de secourir le Hésus Cuchulainn, tellement que les cours d’eau en devenaient couverts de taches de couleur verte ».
L’exagération est littéraire, mais prouve à tout le moins l’utilisation combinée des eaux et des plantes.
MASSAGES DRUIDIQUES.
La technique des massages est évidemment vieille comme le monde puisque même Arrien en parle, à propos des chiens, mais le principe demeure le même.
Arrien, Cynégétique, 10. Masser le corps tout entier dans le sens du poil est très bon… autant que pour un cheval, car cela raffermit et fortifie les membres. Masser le dos et les côtes… Caresser les flancs avec les deux mains en descendant, les hanches et les omoplates de la même façon.
Ceci devait aussi s’appliquer aux chasseurs, voire aux chasseurs d’hommes – les guerriers – mutatis mutandis naturellement.
Ces massages druidiques s’appuient sur les connaissances élaborées en Extrême Occident depuis des millénaires autour d’un développement harmonieux du corps et de l’âme/esprit.
Les tatouages arborés par Ötzi (petits groupes de traits parallèles sur les lombaires et sur les jambes) sont comparables à d’autres pratiques thérapeutiques analogues attestées par l’ethnographie et les sources anciennes. Une équipe autrichienne a d’ailleurs remarqué que, parmi les 15 groupes de traits dont était tatoué Ötzi, neuf étaient proches de points de l’acupuncture chinoise 1).
Ces massages druidiques sont donc issus d’une longue tradition, celle des chamanes. Ils allient les savoirs du guerrier comrunos ou initié, à ceux du thérapeute expert en médecine.
Tout en amenant et causant relaxation et détente, leur effet principal est de tonifier l’ensemble du corps : ils rehaussent le niveau énergétique de l’individu par un rééquilibrage global.
Ces massages éveillent des muscles profonds qui ne sont jamais ou rarement sollicités. Ils contribuent à ainsi améliorer ou affiner la conscience ainsi que la sensibilité physique de chacun.
Ces massages procurent une sensation de bien-être global, et diminuent les effets de la tension quotidienne. Ils sont bénéfiques pour la circulation veineuse, et ont pour effet un drainage lymphatique profond. Ils favorisent également la relaxation musculaire.
L’accent est mis sur la qualité du geste, la précision des centrages, la fluidité du mouvement, et la justesse des pressions exercées.
L’enseignement de techniques de respiration et d’assouplissement, des exercices d’ergonomie, et des rites de méditation immobile « assis à la Cornunnos sous un chêne dans la forêt » pour restaurer la paix intérieure de l’individu, sont à la base de cette médecine réparatrice ou d’entretien. Le massage druidique est pratiqué de préférence au sol avec une application d’onguents divers. Le massage druidique stimule nos différents points énergétiques et parallèlement les différents éléments de notre corps. Quelques recettes sont parvenues jusqu’à nos jours. La plus connue est l’utilisation du savon pour le traitement et le massage des cheveux, donc du crâne.
Durée des études.
César nous rapporte que les études duraient vingt ans. C’était sans doute la durée minimale du cursus nécessaire pour parvenir au degré le plus élevé. Mais les premiers grades, avec la qualité sacerdotale pour ceux qui devaient aller jusqu’au bout, pouvaient certainement être acquis bien avant.
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Le cas de l’Irlandais Nédé est typique, pour les besoins d’une joute académique, il doit se mettre une fausse barbe au menton. Nous ne savons pas où le grand spécialiste français du XIXe siècle qu’était d’Arbois de Jubainville a pris que le système druidique s’est imposé (comment ?) au clergé chrétien, avec des prêtres de vingt-cinq ans.
Cela nous laisse néanmoins à l’intérieur de ces 21 années d’enseignement depuis l’école primaire, cinq à sept ans pour former quelqu’un à la pratique de la médecine druidique ; les premières années de ces vingt et un ans étant consacrées à la culture générale, voire aux rudiments (apprendre à bien s’exprimer, à compter, à écrire même, en runes lépontiques ou en caractères grecs, etc.).
1. Ötzi est le nom donné à un corps congelé puis momifié découvert fortuitement le 19 septembre 1991 à 3200 mètres d’altitude ; à la frontière entre l’Italie et l’Autriche, dans le massif alpin des Dolomites italiennes (Alpes d’Ötz, d’où son nom). Cette momie est celle d’un homme d’environ quarante-cinq ans, de 1,59 mètre et de 40 kilogrammes. On a retrouvé à ses côtés un arc, des flèches, une hache, un couteau dans un fourreau en tissu d’ortie, et quelques champignons enfilés sur une lanière de cuir, probablement à usage médicinal. Le corps était encore enveloppé dans une partie de ses vêtements, formant trois couches successives : un pagne, une veste en peau de cerf, une cape en fibres végétales. Il portait un petit sac comprenant un nécessaire à feu (amadou, silex…). Après datation au carbone 14, il en résulte que ce chasseur a vécu à une période comprise entre 3350 et 3100 avant notre ère.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 8.
L’ALIMENTATION.
Depuis Arrien n’importe quel éleveur peut vous le dire, la manière dont un animal est nourri influence son comportement et, bien que nous préférions souvent l’oublier, il en va de même pour l’Homme, car l’Homme EST AUSSI UN ANIMAL. Il n’est pas qu’un animal, mais il est aussi un animal !
Notre régime alimentaire influence donc profondément notre bien-être physique, mental et spirituel.
Les aliments bénéfiques ce sont ceux qui apaisent l’esprit et sont donc bons pour le développement spirituel. Ces aliments sont « frais, mais aussi agréables » et comprennent la plupart des fruits et des légumes, les céréales, le miel, l’eau de source et le lait, certains poissons (le saumon par exemple) et certaines viandes (le porc) bien préparés. Au vu des techniques modernes d’agriculture intensive, qui utilisent de grandes quantités de pesticides et d’engrais chimiques, seuls les produits de l’agriculture biologique peuvent être encore considérés comme relevant de cette catégorie.
Les aliments partiellement bénéfiques. Ce sont ceux qui nourrissent le corps, mais qui excitent également l’esprit. Les nourritures épicées, les produits stimulants, l’alcool à dose excessive, etc., etc. Ces aliments doivent être évités par ceux qui recherchent la paix intérieure, mais peuvent être consommés par les personnes ayant un mode de vie actif. Voir les recommandations du druide médecin Fingen au roi irlandais Conchobar.
Les produits dangereux.
Les aliments qui engendrent l’apathie du corps et de l’esprit et ne profitent ni à l’un, ni à l’autre. Ils comprennent l’alcool et les drogues, ainsi que la nourriture avariée ou toxique. Manger trop est dangereux. Les très-sachants de la druidiaction (druidecht) recommandent de ne jamais se remplir complètement l’estomac et de quitter une table en ayant encore un peu faim. Noïbo Colomban disait : c’est chaque jour qu’il faut jeûner comme c’est chaque jour qu’il faut prier.
L’abus de ces aliments est donc à éviter. Un ou deux verres de vin par exemple et par jour, suffisent pour profiter de ses effets bénéfiques.
N.B. 1° La nature d’un aliment peut évidemment changer. La cuisson, par exemple, rend le miel toxique. Les céréales s’améliorent avec le temps, mais certains fruits, évidemment, pourrissent et deviennent dangereux.
Bien manger, c’est également manger au bon moment. Il est recommandé de dîner au moins trois heures avant le coucher, pour avoir fini de digérer avant de dormir. Et la manière de manger aussi est très importante.
Finalement, les aliments doivent avoir bon goût, car s’il faut manger avec modération, il est important également de manger avec plaisir. Il faut manger avec plaisir, mais ce plaisir doit être simple !
N.B. 2° À hautes doses les principes actifs de certaines plantes peuvent constituer des médicaments et plus des condiments ou des aliments. Voire des éléments de rituel. Exemples : la homa ou soma des Aryens, voire même tout simplement de la bière ou de l’hydromel (ébriété sacrée). Sans oublier les divers philtres plus ou moins magiques (cf.la jusquiame). Le Psilocybe par exemple, est un champignon hallucinogène connu y compris au Mexique.
Commençons par quelques remarques de Strabon citant Éphore au IVe siècle avant notre ère. En IV, 4, 6, il écrit en effet : « Les Celtes s’exercent à ne jamais engraisser, notamment du ventre, et l’on punit le jeune homme dont le tour de taille excède la mesure fixée ».
Passons ensuite à Posidonios cité par Athénée (les Deipnosophistes, livre IV).
« Les Celtes servent ainsi la nourriture de leurs invités, ils s’asseyent sur de l’herbe, et la disposent sur des tables basses en bois, il s’agit de quelques miches de pain, et d’une grande quantité de viande cuites à l’eau, ou rôties sur de la braise voire à la broche. Ils consomment leur viande proprement, mais un peu à la manière des lions, en prenant des morceaux entiers des deux mains et en les mangeant de la sorte, s’il y en a qu’ils peuvent difficilement déchiqueter avec les dents, alors ils
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la découpent en se servant d’une petite épée qu’ils portent dans une gaine spéciale fixée au fourreau de leur épée de combat. Ceux qui vivent non loin des rivières consomment également du poisson, ainsi que ceux qui vivent au bord de la Mer intérieure ou de la Mer extérieure. Ils le mangent rôti avec du sel, du vinaigre et du cumin. Ils mettent aussi du cumin dans leur vin. Par contre ils ne se servent guère d’huile, à cause de sa rareté ; en outre comme ils n’y sont guère habitués, ils ne la trouvent pas très agréable. Quand il y a beaucoup de monde, ils s’asseyent en rond, les plus braves à la place d’honneur, comme le coryphée d’un chœur au milieu de la scène, parce qu’ils sont supérieurs aux autres par la force guerrière, la naissance ou la richesse ; l’homme qui les reçoit s’assoit juste à côté, et ensuite de part et d’autre, le reste des invités, suivant qu’ils excellent ou se distinguent dans tel ou tel domaine. Les écuyers avec leur armement, portant leurs grands boucliers oblongs appelés thureos, se tiennent derrière, et leurs porteurs de lance s’assoient en cercle eux aussi, à l’opposé, mais ils mangent en même temps qu’eux. Ceux qui font le service des coupes de boisson et sont chargés de faire circuler le vin, le font dans des jarres de terre cuite ou d’argent, qui ressemblent à des tonneaux pour ce qui est de la forme, et le nom qu’ils leur donnent est alambic [grec ambikos]. Les plats sur lesquels ils servent la viande sont faits de la même façon ; mais certains sont en bronze, chez d’autres ce sont des corbeilles en bois ou en osier tressé. Pour ce qui est de la boisson, chez les riches, il s’agit de vin d’Italie ou de la région de Marseille, non coupé d’eau, à quelques exceptions près. Chez les plus pauvres, ce que l’on boit c’est de la bière, faite à partir de blé additionné de miel, le plus souvent même sans miel ; ils l’appellent korma. Ils boivent tous à la même coupe, par petites gorgées, en ne buvant jamais plus d’un cyathus à la fois [un cyathus = 0,045 litre], mais ils recommencent souvent. Un esclave fait circuler la boisson en cercle, en allant de gauche à droite en commençant par la droite ; c’est ainsi d’ailleurs que l’on fait le service et que l’on adore les dieux : toujours en tournant de la gauche vers la droite ».
Si l’on en croit le fameux pénitentiel de Gildas le Sage, le régime par excellence était le suivant.
Du pain avec un repas très peu gras, des légumes du jardin (« bio » dirait-on aujourd’hui) quelques œufs, du fromage breton (ce que l’on appelle aujourd’hui de la crème anglaise ? ?), un quart de litre de lait, un setier (un demi-litre) de mègue (petit-lait), ou de babeurre, pour ce qui est de la boisson.
Note de Pierre de La Crau. Pline rapporte que le blé de trois mois était connu dans toutes les Alpes, et que le vatusicus des Ceutrons était un fromage apprécié jusqu’à Rome (de la tomme ?). À la suite de la chute de l’Empire romain et des invasions barbares, les monastères bénédictins et cisterciens devinrent d’importants centres de production de fromages tout au long du Moyen-âge. Plusieurs fromages français portent des noms évoquant une telle origine (saint-paulin, pont-l’évêque, munster…).
Le mègue (petit-lait) ou lactosérum, est la partie liquide issue de la coagulation du lait (la partie solide étant le caillé). Le babeurre est un liquide au goût aigrelet qui se sépare de la crème lors de la formation du beurre. On peut le consommer cru, mais cuit aussi et il prend alors une consistance crémeuse. Aujourd’hui, on obtient le babeurre en ajoutant une culture bactérienne à du lait. C’est un émulsifiant naturel utilisé en boulangerie, en pâtisserie, et dans la confection de crème glacée. Il est excellent pour préparer des sauces fraîches additionnées d’herbes aromatiques et de jus de citron. Il peut arriver que l’on remplace le babeurre par du lait frais (250 ml), auquel on ajoute dix ml de vinaigre.
Ajoutons à cela de l’eau en quantité suffisante pour étancher sa soif et tous les trois jours un petit extra selon les besoins. Plus une fois par semaine du pain à volonté ainsi que du beurre.
Pain (avec de la mousse de bière en guise de levain). Pain de campagne, éventuellement complet, pain de seigle ou de froment, ou de diverses céréales (épeautre et ainsi de suite). Müesli, pain aux noix, aux olives, aux lardons, aux raisins secs *, aux anchois, dans certaines régions, etc. de 200 grammes environ (paximacia).
Gruau ou galettes de blé, de millet, ou d’épeautre. Bouillie de céréales (porridge).
Fromages (tomme, et ainsi de suite.).
Laitages, colostrum, petit lait mélangé avec du lait caillé, babeurre.
Volailles.
Cuisses de grenouilles.
Escargots (ne soyons pas stupides, on peut manger de tout, et en cas de besoin certainement, ce n’est pas Dieu qui va dire le contraire, quelle puérilité, serait, il n’y a que quelques règles élémentaires à respecter dans la préparation de ces mets, ce qui qui compte surtout d’ailleurs c’est la sauce. Le porc bien cuit n’offre aucune espèce de danger, et le poisson globe préparé comme il faut par des
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spécialistes qui s’y connaissent (il y en a au Japon) non plus ! Là-bas on appelle ça du fugu ! Les Japonais ne sont pas idiots même s’ils ne sont ni juifs ni musulmans.
Œufs (éventuellement gobés).
Fruits divers. Pommes, noix, fruits des bois (exemple myrtilles, noisettes…). On peut même faire de l’huile avec des faînes, alors…
La chasse représente moins de 5 % de la nourriture carnée, en outre elle ne concerne que l’aristocratie (sanglier, cerf).
Pour les autres, on parle de bœuf, de mouton, de chèvre, mais aussi de chien d’élevage (voir les tabous de Cuchulainn). Les Chinois n’ont rien inventé en la matière.
Poisson grillé aussi, avec du sel, du vinaigre, du cumin ou du garum (une sorte de nuoc-mâm ???).
La pêche est une activité nécessairement variée dans un pays qui compte de longues bandes côtières, des cours d’eau, des lacs et des étangs, offrant des ressources en abondance. Quelques apartés d’Ausone nous renseignent sur les techniques adoptées.
Nos ancêtres appréciaient tout particulièrement le saumon, le thon et le muge ou mulet qu’ils pêchaient au trident. Une liste que l’on peut compléter par le turbot, l’esturgeon, le trygon pastenague, la plie ou le carrelet, la lotte, le chabot, la perche, l’alose, l’espadon, l’anchois, la sardine, le rouget… Ils utilisaient bien sûr tout un attirail de pêche constitué de filets, de lignes, de nasses et d’amorces. Le poisson était séché ou salé.
La pêche à pied offrait de nombreux coquillages et crustacés à marée basse : berniques, praires, coques, moules, palourdes, pétoncles, coquilles Saint-Jacques, crabes… Les huîtres sont connues et appréciées. Parfois salées, elles sont acheminées dans des vases remplis d’eau de mer ou sur la paille. Elles circulaient ainsi jusqu’à Rome, mais aussi en Suisse et en Germanie, où l’on a découvert de nombreux gisements de coquilles.
On n’ignorait pas non plus les techniques piscicoles et de pêche en eau douce, au filet ou à la ligne.
Cela dit, pas de viande ou de poisson tous les jours, mais quand il y en a, les viandes (et notamment le porc) sont toujours cuites dans du jus, ou grillées sur de la braise, voire rôties à la broche. On les consomme également séchées, fumées ou salées.
Des plats salés de légumes doivent plutôt former le quotidien et l’ordinaire. Le tout servi proprement, dans des plats de terre ou de bois. Légumes verts ou secs du jardin : chou, poireau, concombre, carotte, salades (de cresson par exemple), navet ou raves, raifort, betterave, pois, vesces, gesses, lentilles, fèves, pois chiches, oignons, sans oublier les produits de la cueillette (champignons, et autres.).
Condiments : beurre, plus ou moins salé (les jours d’atenoux ou divertomu) crème, saindoux, sel, vinaigre, cumin, garum. Mais aussi chou frisé (ayant fermenté dans du lait = choucroute ?) menthe, menthe pouliot, romarin, sauge, fenouil, sarriette, livèche, tanaisie.
Le sucré salé semble être la règle.
Les épices sont utilisées pour relever le goût des mets, voire des boissons. La cuisine à l’huile d’olive a sa place dans le Sud.
Boissons : eau fraîche, lait, plus ou moins coupé d’eau (avec ou sans cumin, avec ou sans miel) colostrum, petit lait mélangé avec du lait caillé, babeurre. Éventuellement bière d’orge ou de blé (cervesia-cervoise, curmi – coirm en gaélique?) et hydromel les jours de fête (parfois un peu d’embrecton, de vin pur ou légèrement coupé).
Fréquence et horaires : deux fois par jour. « En hiver nourriture un peu avant le lever du soleil, car la journée alors est courte et on ne doit pas penser à manger quand on travaille » (Arrien). Et le soir.
On ne doit pas manger entre les repas, la journée doit être consacrée à l’entraînement, au travail, à la lecture, au culte, et ainsi de suite.
Certains jours évidemment l’ordinaire peut et même doit, être amélioré (repas normaux avec viandes, bière, dessert genre crème anglaise **, etc.)
* L’introduction de la vigne est bien antérieure à l’arrivée des Romains. On a trouvé des pépins de lambrusque datant de 12 000 avant notre ère en Suisse sur les rives du lac Léman. On a également trouvé des traces d’oléastre datant de la même époque dans les Pyrénées. Des traces d’huileries antérieures au premier siècle avant notre ère ont été trouvées à Glanum et ailleurs.
** Crème anglaise. N’a bien entendu rien de spécifiquement anglais. Les propriétés liantes de l’œuf sont connues depuis la nuit des temps (voir le cas des omelettes par exemple)
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 9.
HYGIÈNE ET HABILLEMENT.
HYGIÈNE.
Pour faire sa toilette quotidienne, se servir d’un savon, ou pour les filles d’écume de bière pour le visage (afin d’entretenir la peau). Prendre un bain au moins une fois par semaine.
Si besoin est (si le travail a été très salissant ou s’il y a eu des exercices physiques importants) : douche ou sauna. Mais on ne se douche pas sans permission et on ne se lave pas seul, mais avec d’autres, en groupe. Même chose pour le sauna.
Les cabanes de sudation étaient connues des hommes préhistoriques des régions tempérées ou froides de l’hémisphère nord. En témoignent les peuplades de Sibérie et les tribus indiennes des actuels États-Unis ou du Canada, dont beaucoup utilisaient des huttes de transpiration lors de l’arrivée des Européens. C’étaient des édifices en branchage dans lesquels on amenait des pierres chauffées à blanc. Le malade ou le guerrier voulant se purifier s’isolait dans cette construction sommaire que d’autres membres de la tribu fermaient de façon hermétique.
Dans un premier temps, les huttes de transpirations furent améliorées en sauna enterré puis, la maîtrise du travail du bois aidant, les cahutes devinrent des maisonnettes en bois empilé, à la manière des fustes, dans une bonne partie de l’Europe. Ce sont les saunas dits « à fumée » ou savusauna en finnois, bref des étuves.
Au Moyen-âge, l’Église catholique consacra beaucoup d’énergie à éradiquer cette pratique de l’étuve et des bains publics.
Mais cette pratique survécut en Russie et dans les pays nordiques, plus tardivement christianisés, où les églises orthodoxes et luthériennes surent en percevoir les bienfaits hygiéniques. La Suède (sous le nom de bastu) et la Finlande, ont élevé au plus haut point la technique du bain de vapeur sèche. Au début du XXe siècle, les athlètes finlandais aux Jeux olympiques, puis les soldats de la Guerre d’hiver en 1939, ont fait connaître au monde entier le sauna, et ont associé ses qualités à leurs exploits. Ci-après les principales raisons de la pratique du sauna.
— L’hygiène : cela reste un moyen radical d’éliminer poux, puces, et autres morpions, aussi bien de la personne (entièrement nue) que de ses vêtements (suspendus aussi longtemps que nécessaire « dans l’étuve »).
— Calmer les nerfs : ce que procurent les phases de détente et de repos.
— Éliminer la tension par l’égalité d’humeur qui suit un sauna.
— Chasser la fatigue.
— Stimuler la circulation sanguine, ce qui a pour conséquence une plus grande oxygénation du corps.
— Renforcer le système immunitaire contre les rhumes et les refroidissements.
— Dégager les voies respiratoires par de profondes inhalations (favorisé par l’emploi d’huiles essentielles).
— Éliminer les toxines de l’organisme.
— Accélérer la sudation et ainsi nettoyer puis améliorer l’élasticité de la peau.
— Assouplir les muscles voire éliminer les tensions musculaires.
Le sauna originel est sec : entre 3 et 20 % d’humidité. C’est pourquoi les températures y sont bien plus élevées que dans le hammam : 80 à 90 °C en moyenne. Il n’est cependant pas rare pour les Finlandais, de prendre des saunas à 100 °C, le record du monde étant détenu par un Finlandais ayant passé environ quinze minutes dans un sauna chauffé à 120 °C.
Dans le sauna, la nudité est la norme, pour les femmes comme pour les hommes. Le port d’un maillot de bain est considéré comme antihygiénique, la chaleur et l’humidité y favorisant le développement de germes. Une serviette est posée entre le banc et la peau, pour absorber la sueur et pour protéger la peau de la chaleur du bois.
Dans les mökki, les maisons de campagne finlandaises, il est courant, et en toute saison, de se baigner dans le lac (järvi) ou la rivière (joki), situés à proximité, plutôt que de prendre une douche
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classique après le sauna. En plein hiver la pratique du sauna commence donc par l’entretien du trou dans la glace prévu à cet effet. À la campagne, durant le bain de chaleur, on peut également en profiter pour se flageller légèrement à l’aide de jeunes rameaux de bouleau (rauduskoivu) formant une sorte de martinet semi-rigide appelé vihta ou bien vasta, afin de stimuler encore plus la circulation sanguine
Les traditions populaires russes associent le « bannik » aux maisons à bains : il s’agit d’un petit esprit domestique, parfois farceur, parfois cruel, qui hante ce lieu appelé « bania ». Là on comprend que l’Église n’ait guère tenu en odeur de sainteté une telle pratique *. Certains journaux russes spécialisés comme Zdorovie (La santé) conseillent des ablutions matinales quotidiennes à l’eau glacée pour avoir une meilleure santé, mais aussi une peau douce et ferme. Parmi les propositions de « remèdes par le froid », sont également conseillées la marche pieds nus dans la neige – pour tonifier le corps et fortifier l’organisme – une dizaine de minutes par jour ; et le quart d’heure de gymnastique sur le balcon (ou dans le jardin). Quelle que soit la température extérieure !
La pratique sans doute l’une des plus surprenantes est celle des « morjs » – littéralement « morses » –, ces hommes et femmes qui, l’hiver venu, se baignent dans l’eau gelée après avoir au préalable creusé un trou dans la glace… on associait au départ cette pratique à celle du bania, car ceux-ci étaient le plus souvent construits au bord d’un fleuve ou d’un lac ; il arrive encore de nos jours que des groupes se « baignent » – et ce, sans passer au préalable par l’étuve pour se réchauffer – ; le sept janvier (jour de Noël chez les Orthodoxes), et fassent célébrer le baptême des enfants par immersion dans l’eau glacée. Ces enfants seront alors vigoureux et en bonne santé, pour de nombreuses années…
Bref, c’est le principe du sauna finlandais, mais sans sa première partie,
Pendant des bains froids, les vaisseaux sanguins se referment, le rythme cardiaque et la pression artérielle augmentent, ce qui explique l’effet vivifiant ressenti alors.
En réaction au choc physique – on passe par des conditions environnementales opposées – le corps sécrète de l’endorphine. Les bains nettoient la peau, car la chaleur favorise l’ouverture des pores cutanés, alors que le froid les referme. La technique est vieille comme le monde. Chez les Romains on appelait frigidarium la partie des thermes antiques où l’on prenait des bains froids (opposé : caldarium).
Coupe de cheveux pour les maîtres et les enseignants. Le devant du crâne complètement dégagé d’une oreille à l’autre. À l’arrière de cette ligne, les cheveux peuvent rester longs. cf. la tête en pierre trouvée à Msecke Zehrovice en Tchéquie. C’est la coupe de cheveux d’Ogmios ou de Scot Erigène.
Coupe de cheveux pour les élèves ou les jeunes. En brosse avec des cheveux raides roussis à l’aide d’un savon ad hoc, et fixés avec de l’eau de plâtre ou de la chaux. Raides au point qu’on puisse y planter des pommes (humour) ! Ou bien alors se laver les cheveux avec de l’eau de chaux, voire avec du savon, puis se coiffer en tirant la chevelure vers l’arrière du front, vers les tempes et la nuque, avec un peigne.
La barbe est autorisée, mais il est aussi admis de se raser (laisser pousser alors une solide moustache).
Les miroirs ne sont pas interdits et les brosses à dents non plus évidemment, même si cette invention ne remonte pas à la plus haute Antiquité, à la différence du cure-dents !
HABILLEMENT.
Étoffes : lin, laine, soie, cuir et fourrure… Couleurs : le bleu indigo, le pourpre, le jaune, le noir… sans oublier le blanc, le vert, le brun, etc. (en bref des tissus écossais). Des bijoux et ornements comme les torques ou chevalières.* * Une tunique en laine ou en lin, courte, sans manche, ou une chemise, longue, à manches (la camisia est une tunique plus courte et plus fine que la tunica). Un caleçon. Un pantalon (bracca ou braga) large, flottant et à plis multiples ***, tenu par une ceinture glissée à travers des passants et attaché aux chevilles. Par-dessus un manteau à capuchon ou chaperon, long (bardocucullus, casule monastique, coule) ou court (caracalla). La caracalle est une espèce de tunique à capuchon, formée de plusieurs bandes d’étoffe cousues ensemble. Elle doit être courte et ample, de manière à ne gêner ni les mouvements du corps ni la marche. Certains les remplacent par une couverture de grosse laine (une saie) jetée sur les épaules et s’attachant sous le menton avec une agrafe en métal (bref, un plaid écossais). Par temps pluvieux si pas de capuche, éventuellement un bonnet d’étoffe ou de feutre (donc un béret). Des chaussures en cuir (galoches). En fait, n’importe quelle paire de chaussures montantes en cuir souple, à condition d’avoir une semelle cloutée. La calige (pluriel caligae) est une espèce de sandale attachée aux pieds par des courroies, munie parfois de ferrets plus ou moins ouvragées. Même modèle que celui qui a été repris par saint Benoît pour ses moines.
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Pour plus de détails sur la fabrication et la vente, voir le site de Mara Riley, une spécialiste du costume gallois. Depuis la fabrication des étoffes et leur traitement avec des teintures naturelles (la guède pour le glasson ou bleu indigo, le murex – un mollusque – pour le pourpre, le millepertuis pour le jaune, le sureau pour le noir…) ; jusqu’à la confection des vêtements (tunique, braies…).
* En fait de prédiction il devait sans doute de déductions ou d’idées inspirées soudainement par une telle relaxation de l’organisme : le cerveau fonctionnait mieux.
* *Plus ou moins discrets bien sûr.
***Ou étroit et collant dans certains cas.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 10.
NOTES À PROPOS DES GÉNUFLEXIONS INFLIGÉES EN GUISE DE PUNITION
DANS LES ABBAYES MÉDIÉVALES.
En culture physique, les exercices s’adressent à tous les groupes musculaires. Chaque mouvement doit être répété trois ou quatre fois, avec huit à dix mouvements par série.
Si vous êtes débutant, vous ressentirez rapidement une brûlure dans le muscle sollicité (en particulier dans les muscles abdominaux, qui souffrent le plus). C’est normal, mais néanmoins essayez de continuer le plus longtemps possible, malgré la douleur. Vous observerez qu’après quelques semaines, à condition de vous entraîner régulièrement, vous aurez fait des progrès sensibles.
Pensez à respirer, sur un rythme rapide. À chaque mouvement doit correspondre une inspiration ou une expiration. Une suite d’expirations contrôlées comme il faut et successives, facilite l’effort musculaire.
Il n’est pas question ici bien sûr de détailler de façon exhaustive tous ces mouvements de gymnastique, mais en voici quelques exemples.
Les génuflexions (nécessitent de pouvoir monter sur quelque chose, un banc par exemple).
Génuflexion sur une jambe.
Muscles mis en jeu : droit antérieur, muscles vastes au niveau interne, externe (ischions, fessiers).
Sollicitations importantes de la musculature antérieure de la cuisse. Excellent exercice de proprioception qui ne nécessite pas de charge, mais un ajustement moteur rendant l’intensité de la tâche élevée.
Conseillé : cinq génuflexions sur chaque jambe.
Le mouvement de gymnastique appelé crossfigill (abduction des bras, en irlandais).
Crossfigill debout, les pieds bien écartés, les jambes légèrement fléchies. Le reste du corps doit demeurer stable tout au long du mouvement et les bras ne doivent pas dépasser la hauteur des épaules.
Bras étendus, légèrement fléchis, vous les levez à l’horizontale, à la hauteur des épaules, puis vous les abaissez. Vous répétez le mouvement une dizaine de fois.
Bras tendus à l’horizontale, faites de petites flexions élévations, très rapides, pendant une minute. Alternez avec le mouvement précédent. Recommencez toute la série avec des poids dans chaque main.
Prenez un bâton. En position debout, les deux jambes légèrement pliées, prenez le bâton sur les épaules, derrière la nuque. Étendez les bras, puis redescendez doucement le bâton au niveau des épaules, dix fois et avec une grande amplitude, puis avec une série de petits mouvements brefs au niveau des épaules.
On peut également exécuter ce crossfigill avec des haltères.
Crossfigill couché.
Couché à plat ventre, les bras en croix, soulevez les bras sans qu’ils dépassent la hauteur du corps. Redescendez-les ensuite à la position de départ.
On peut également exécuter ce crossfigill avec des haltères.
Les prostrations.
Correspondant à la fameuse triade de Cailté : « La vérité dans nos cœurs, la force dans les bras et l’art de bien parler ». « Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr lamhaibh, 7 comall inàr tengthaibh ».
L’exercice de base est la flexion-extension des bras en position couchée… très connue des militaires. Pour réaliser correctement cet exercice, étendez les bras au maximum, puis fléchissez-les jusqu’à ce que votre nez touche le sol. Les pieds doivent être en demi-pointe *, jambes tendues. Expirez à fond pendant la descente. Faites-en une série rapide de dix, et recommencez deux à trois fois. Cet exercice, difficile, s’adresse essentiellement aux hommes. Si vous l’effectuez tous les jours, vous constaterez rapidement une augmentation de la force de vos bras.
N.D.L.R. N’oublions pas non plus la position de repos à la Cuchulainn. A chend ar a dorn, a dorn imm a gai, a gai ar a glùn. La tête sur les poings, les poings sur un bâton, le bâton entre les genoux.
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*Terminologie usuelle des ballets. C’est-à-dire avec le poids du corps reposant sur la pointe des pieds, les talons ne touchant pas le sol.
Il va de soi que nous n’avons rien contre la danse classique et que nous ne saurions trop la recommander pour les filles qui ne sont pas emballées par le combat médiéval en armures dont raffolent leurs gros balourds de frères. Et ce malgré l’étrangeté de son vocabulaire, souvenir du temps où la France était une grande nation (le 15 mai1685 le doge de Gênes viendra même à Versailles pour ça). Mais c’est néanmoins la Russie qui a élevé cet art à la perfection avec Marius Petitpas à partir de la fin du 19e siècle. Ne négligeons pas pour autant les danses indiennes classiques certes moins sportives, mais tout aussi chorégraphiques que le lac des cygnes **. Ses styles les plus connus sont Bharata natyam, le Kathak, le Kathakali et l’Odissi. Le Bharata natyam était d’ailleurs à l’origine un art martial ce qui nous ramène à notre point de départ. En conséquence de quoi ce type de danse est également ouvert aux hommes. Ouf ! Le politiquement correct est sauf ! Par contre en Thaïlande le lakhon n’est pratiqué que par des femmes et nécessite une santé à toute épreuve vu ses performances physiques. Qui n’entache en rien leur grâce et leur beauté d’ailleurs.
**La version celte (Aislinge Oenguso) a une fin heureuse : Caer Ibormaith et Mabon/Maponos/Oengus se marient.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 11.
Le carnyx est un des instruments musicaux les plus élaborés du monde. Ce type d’instrument apparaît avec le bronze, métal qui a bouleversé le paysage sonore antique. Le carnyx est une grande trompette verticale, dotée d’un pavillon en forme de tête d’animal, souvent, mais pas toujours, celle d’un sanglier, animal reconnu et vénéré pour sa combativité.
La puissance de ses sonorités fait du carnyx un instrument encore plus adapté à la guerre que la cornemuse écossaise. Certains archéologues ou anthropologues pensent que le carnyx ne servait pas qu’à faire le plus de bruit possible lors des attaques (un peu comme les cornemuses). Ils pensent qu’il servait aussi à communiquer à distance comme le cor des Alpes (connu de la Suisse à l’Ukraine) ou lors de certaines cérémonies. Pour annoncer par exemple l’arrivée du roi ou attirer l’attention des dieu-ou-démons.
Comme il est tenu verticalement, le bruit qu’il fait résonne à presque quatre mètres de hauteur et plane donc au-dessus du bruit de la bataille. On peut reconstituer le carnyx à partir des représentations iconographiques des découvertes archéologiques et des textes antiques qui décrivent ainsi le son qu’il émet : « Car il y avait parmi eux un nombre incalculable de cors et de trompettes, dans lesquels ils soufflaient simultanément et de toutes parts dans leur armée. Leurs cris étaient si forts et perçants, que le bruit ne semblait pas venir seulement des trompettes et des voix humaines, mais aussi de toute la campagne environnante à la fois ». Faire un bruit d’enfer aussi bien de nuit que de jour, fut d’ailleurs une technique de guerre psychologique employée par les Écossais jusqu’au XIVe siècle (bataille d’Otterburn), à en croire Froissart.
« Les Escots ont un usage que, quand ils sont ainsi ensemble, les hommes de pied sont tous parés de porter à leurs cols un grand cor de corne à manière d’un veneur, et quand ils sonnent tous d’une fois et montent l’un grand, l’autre gros, le tiers sur le moyen et les autres sur le délié, ils font si grand'noise, avec grands tabours qu’ils ont aussi, que on l’ouït bien bondir largement de quatre lieues angloises par jour, et six de nuit ; et est un grand ébaudissement entre eux et un grand effroi et ébahissement entre leurs ennemis ».
Ce qui, « traduit » dans la langue d’aujourd’hui, nous donne : « Les Écossais ont pour habitude, quand ils sont ainsi réunis sous les armes, que leurs fantassins portent autour du cou de grands cors un peu à la manière des chasseurs, et quand ils soufflent dedans tous ensemble à la fois, ils font un tel bruit qu’on peut l’entendre à quatre lieues à la ronde [quatre ou cinq kilomètres], ce qui fait peur à leurs ennemis et les réjouis, eux ».
Le dernier à recourir à cette technique fut John Macpherson en 1884, à Glendale dans l’île de Skye (afin de mobiliser les petits fermiers contre les grands propriétaires fonciers qui les expulsaient).
Le carnyx reconstitué à Édimbourg est l’œuvre d’une équipe pluridisciplinaire regroupant artisans, archéologues et musiciens. Le pavillon en forme de tête de sanglier, de ce carnyx, est la très exacte reproduction d’une pièce authentique retrouvée à Deskford, dans le nord-est de l’Écosse, vers 1816.
John Kenny est le premier musicien contemporain à vraiment avoir de nouveau utilisé le carnyx comme instrument musical. Il considère d’ailleurs ce cor comme le plus fantastique de tous les instruments à vent. Il faut dire que le son du carnyx est assez envoûtant.
L’iconographie montre que l’instrument devait être tenu bien droit, et avec un pavillon dépassant de très loin la tête du joueur. Le carnyx est évidemment conçu pour être utilisé en extérieur, et sa musique porte très loin. Il en va de même pour le cor des Alpes.
Carnyx & Co, c/o John Kenny, Spottiswood Street 69. Edinburgh EI-19 1 DL. Scotland. Royaume-Uni.
Sonner du carnyx nécessite une grande maîtrise de la respiration. Plus encore, cela requiert l’utilisation d’une technique nommée souffle continu, ou respiration circulaire. La meilleure méthode pour jouer du carnyx est en effet celle qui est utilisée pour jouer du cor des Alpes.
Des instruments semblables au Cor des Alpes (le didgeridoo en Australie par exemple) existent depuis presque 100 000 ans. Ces instruments primitifs étaient utilisés pour envoyer des messages, sonores, souvent à des fins militaires d’ailleurs ; mais dans les montagnes alpines ils servaient plus communément à signaler les activités quotidiennes. Notre documentation archéologique en ce qui
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concerne le cor des Alpes en Suisse remonte aux tribus celtes vivant sur le versant nord des Alpes il y a plus de 2000 ans.
Le cor des Alpes a une forme qui varie selon la localité, il se recourbe par exemple près du pavillon dans le Pays Bernois. Il est creusé dans un tronc de bois tendre, généralement de l’épicéa, mais aussi du pin. Les anciens ébénistes se servaient pour cela de tronc d’arbre déjà tordu à la base, mais les modernes fabriquant de cor des alpes se contentent d’assembler une autre pièce en bois dur pour faire le pavillon et terminer ainsi l’instrument.
Comme le carnyx le cor des alpes n’a aucune ouverture latérale et ne produit donc que la pure série des harmoniques qui peuvent naturellement sortir d’un tube (ouvert). Ces harmoniques sont plus ou moins facilement obtenues en fonction du petit diamètre de l’alésage par rapport à la longueur. Les notes de la série harmonique normale correspondent, mais sans les recouvrir exactement, aux notes figurant dans l’échelle chromatique usuelle du tempérament égal occidental standard. Les plus remarquables dans la gamme dont est capable le cor des alpes sont les 7e et 11e harmoniques, car elles tombent juste entre les notes adjacentes de l’échelle chromatique.
Entre les mains d’un compositeur ou d’un arrangeur de talent, ces harmoniques normales peuvent susciter des effets sonores mélancoliques et envoûtant ou au contraire conférer une délicieuse saveur pastorale, comme dans le cas du trépidant « ranz des vaches * » ou dans certaines œuvres de Brahms, Rossini, et Britten.
* Le ranz des vaches est une mélodie suisse traditionnelle qui raconte la montée dans les alpages des vaches à l’occasion de la saison de production du fromage. Rossini a inséré le « Ranz des vaches » dans son Guillaume Tell avec beaucoup d’autres mélodies faites pour le cor des Alpes et Brahms dans sa symphonie numéro 1 en do mineur.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 12.
SUGGESTIONS POUR RESPONSABLES DE GRIANON (LES LUCTERIOS OU DRUIDES GUERRIERS, UNE CLASSE DE PERSONNAGES FONDAMENTALE DANS NOTRE JEU DE RÔLE POLITIQUE AU SENS NOBLE DU TERME).
Surtout ne pas céder au chants des sirènes de l’agôn grec antique hélas redevenu consubstantiel au système politico-économique en vigueur depuis le triomphe universel de la bourgeoisie et la révolution industrielle (Blanqui 1837) qui ont ruiné notre planète et sa biodiversité, tombées sous les coups de la main (invisible) d’Adam Smith ; et qui n’est donc que le polemos de tous contre tous (la loi de la jungle la loi du plus fort) remis au goût du jour ; mais faire sienne la devise de Pierre de Coubertin : « l’important dans la vie n’est pas le triomphe, mais le combat ; l’essentiel n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu » (l’important n’est pas de vaincre, mais de participer). Car l’heure est aujourd’hui à la croissance SELECTIVE couplée à une décroissance TOUT AUSSI SELECTIVE. Bref à la construction d’un homme nouveau fait à partir du meilleur de l’ancien.
Notes manuscrites de Pierre de la Crau.
Avant toute chose, avant tout combat, tout entraînement, faire systématiquement exécuter les deux premiers volets du triptyque de la grande science qui illumine (ambividtu, imbas forosnai en gaélique).
1. Une ateberta ou offrande aux divinités (les élèves doivent leur apporter en sacrifice, à l’endroit prévu pour cela, de la menue monnaie, des fleurs, des fruits de la terre ou de la chasse, etc.). Voire même une petite amphore de vin, symbolisant du sang, que l’on abandonne en l’état ou dont on verse le contenu, après l’avoir débouchée, ou en avoir brisé rituellement le col. C’est le fameux « dadami se dehi me » sanscrit : je te donne afin que tu me donnes (la divinité ensuite est en quelque sorte obligée de rendre la pareille), formule grossièrement traduite par les Romains avec leur « do ut des ».
Le rite solennel le plus court est l’offrande au feu, où des ateberta sont brûlées par les élèves. Par exemple en l’honneur de Mabon/Maponos/Oengus, d’Artio, ou d’Andarta. Ou de Scotia, Scota, Scatha, Scathache, dite aussi Buanan. Son nom signifie « l’immortelle ». Déesse-ou-démone de la guerre et déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, adorée en Écosse (c’est d’ailleurs d’elle que l’Écosse tire son nom, avant le pays s’appelait Calédonie) probablement dans l’île de Skye (Hébrides). Apparaît dans la légende du Hésus/Cuchulainn et dans les aventures de Vindos/Finn, où elle qualifiée de « mère des fénianes ». Elle initie les guerriers aux arts martiaux les plus divers, mais leur apprend aussi à se soigner ou plus généralement à survivre.
2. Une prière, « Nate, nate, mento beto to devo » répétait sans cesse sa mère (Augusta) au futur saint Symphorien d’Autun, du haut des murailles de la ville.
La lutte commence au signal de l’arbitre. Le signal de l’arbitre consiste en une sonnerie de carnyx ou de cor (tumultus gallicus).
A) PHILOSOPHIE DE LA LUTTE.
Avec la course, la lutte est certainement la plus universelle et la plus ancienne des activités liées à la survie de l’homme. En se référant à ses différentes formes à travers l’Histoire, à ses finalités ainsi qu’à la nature même de sa logique interne, cette activité peut faire appel à des connaissances variées. D’autres disciplines de notre enseignement (l’histoire des jeux de Tailtiu jusqu’en 1170, etc.) permettront de mieux aborder la dimension culturelle et le mode de fonctionnement des techniques, ainsi que de leurs conséquences sur le corps humain.
L’affrontement représente l’enjeu central de la pratique de la lutte. Cependant, pour être porteur de valeurs éducatives, le niveau d’opposition doit être adapté aux élèves, à leurs capacités technico-tactiques, à leur aptitude à mobiliser leurs ressources. L’éthique et la symbolique du combat permettent à l’élève de comprendre que l’affrontement physique n’est qu’un prétexte à la gestion de l’adversité au sens étymologique du terme (c’est à-dire le fait d’avoir un adversaire), et qu’il contribue à la formation de la personnalité.
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En matière de lutte, la performance réalisée correspond à l’exécution d’une prestation, pour laquelle le résultat attendu vise à la fois l’efficacité et la maîtrise technique.
Initialement, le choix d’un partenaire permet à l’élève de limiter la charge affective, et l’autorise à définir lui-même le niveau de difficulté à résoudre. Complémentaire à la recherche d’une forme de performance évaluée en fonction du code de la lutte, cette activité permet à l’élève d’exprimer sa maîtrise des gestes techniques dans une situation de coopération où le partenaire joue le rôle d’adversaire. L’efficacité demeure étroitement liée à cette maîtrise technique, également facteur de sécurité puisqu’elle dépend de la justesse des mises en place et de la pertinence des actions produites. Plus que la victoire, le druide guerrier (lucterios) doit privilégier la qualité de l’affrontement. Pour les élèves peu enclins au combat, les démonstrations formelles et personnalisées peuvent constituer une modalité intermédiaire de pratique leur permettant de réussir dans cette activité. À cet égard, l’épreuve de démonstration représente un moyen supplémentaire, pour l’élève comme pour le druide guerrier (lucterios), de vérifier les acquis.
Conformément à l’esprit du gouren breton, respect de l’adversaire et contrôle de soi favorisent l’expression de la volonté de vaincre, dans un cadre délimité par des règles partagées. Ils renforcent l’importance accordée aux valeurs d’effort, de courage, et de discipline. C’est à ce titre que l’éthique inhérente à la lutte, comme à toute autre activité de combat, doit être préservée, et ainsi que sa traduction en un rituel à forte connotation, mise en application.
En fonction du contexte et du projet de l’élève, le druide guerrier (lucterios) peut envisager l’apprentissage de la lutte ou d’autres activités de combat, selon des modalités distinctes, en privilégiant ce qui suit.
— Une dimension compétitive définie par la production d’une performance dans le cadre d’un règlement connu et accepté.
— Une dimension liée à la maîtrise d’exécution : la complexité ou la diversité des éléments techniques et tactiques, ainsi que le contrôle de soi, sont alors au centre des apprentissages et des connaissances devant être acquises.
— Ou encore une dimension liée à la culture : la découverte de différentes formes de luttes traditionnelles (islandaise, cornique, bretonne…) sensibilise les élèves à l’environnement, ainsi qu’au respect de règles spécifiques, et au respect d’autrui.
Comme toute activité de combat, plus qu’une pratique individuelle, la lutte est d’abord une pratique de groupe qui, par l’affrontement, attache une importance particulière aux comportements sociaux.
En veillant à la variété des partenaires et adversaires, du même sexe et de la même tranche d’âge néanmoins, le druide guerrier (lucterios) permet à l’élève d’accepter les différences individuelles. Se dépasser face à plus fort que soi, se maîtriser face à plus faible, prêter son corps pour amener le partenaire à progresser, donnent à chacun les moyens d’expérimenter activement, tolérance et respect d’autrui.
L’Histoire et la culture propres aux activités de combat montrent l’interdépendance de ces modalités de pratique. Par conséquent, et bien que l’évolution sportive renforce les différences entre activités, il importe que ces pratiques soient quand même abordées de manière complémentaire.
Bien qu’il soit central en cas de conflit, le combat ne doit pas être premier. Il ne doit être proposé à l’élève que lorsqu’il a suffisamment acquis d’expérience pratique pour s’exprimer ou tirer profit d’un affrontement dont le lucterios ou druide guerrier aura préalablement défini des niveaux d’opposition et d’intensité accessibles. Les situations doivent être adaptées aux connaissances techniques, et à l’aptitude de chacun à maîtriser ses réactions émotionnelles.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire plus haut à propos des jeux de Tailtiu en Irlande, l’Histoire et la Géographie peuvent aussi rendre compte de la dimension culturelle des activités de combat. L’anatomie, associée à la physiologie d’une part, à la physique et à la mécanique d’autre part, explique en quoi la connaissance du corps humain est un facteur d’efficacité des techniques dans la lutte. La philosophie permet de mieux comprendre la dimension symbolique et le rituel, qui fondent l’éthique (Fir Fer) des activités de combat, et privilégient les valeurs d’effort, de courage, de confiance en soi, mais aussi de respect d’autrui.
Comme toute autre activité physique de combat, la pratique de la lutte permet de développer les notions d’autonomie à partir d’une acquisition d’informations, de prise de décisions, et de gestion de l’adversité au sens strict du terme (le fait d’affronter un adversaire).
L’acquisition d’habiletés spécifiques liées aux activités de combat de préhension (lutte libre, gréco-romaine, gouren…) ou de percussion (avec armes : escrime, bâton canne… ou non : boxes anglaise et française) ; favorise la maîtrise des facteurs émotionnels, comme la connaissance de soi et le
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respect d’autrui. L’apprentissage de ces activités valorise l’éthique, conférant ainsi au respect des lieux et des personnes une position centrale, par opposition aux comportements violents sous différentes formes. L’expérience vécue du corps-à-corps permet d’exprimer sa volonté de vaincre dans le respect de règles et de codes communs qui garantissent l’équité et la sécurité de chacun. Associant l’affirmation de soi au respect mutuel, la spécificité de ces pratiques réside dans les situations d’opposition qu’elles organisent tout en sollicitant des ressources bio informationnelles, cognitives, bio énergétiques, bio mécaniques et socio affectives.
Notes manuscrites de Pierre de La Crau.
B) PROPRIOCEPTION NEGATIVE.
Méthode Gildas. Vérifier que l’on ne sent rien donc que tout fonctionne en se concentrant successivement sur) :
Le crâne, la tête, les cheveux et les yeux,
Le front, la langue, les dents et l’émail,
Le cou, la poitrine, les flancs, les reins,
La taille, la graisse autour des reins et les deux mains.
Réciter la formule suivante.
« Sois un casque salutaire pour ma tête, O Sunartion, sois un bouclier pour mon cou »
Se concentrer ensuite successivement : sur le sommet de son crâne et ses cheveux, son front, ses yeux, les trois lobes de son cerveau, son nez, ses lèvres, sa face, ses tempes, son menton, sa barbe, ses sourcils, ses oreilles, ses pommettes, ses joues, sa cloison nasale, ses narines, ses pupilles, ses iris, ses cils, ses paupières.
De nouveau son menton, puis son haleine, ses joues, ses mâchoires, ses dents, sa langue, sa bouche, sa gorge, sa luette, son gosier, le dessous de sa langue, sa nuque.
A. Le principe de base pur une meilleure proprioception est celui de la nudité guerrière des Gésates (ou des Grecs du gymnase).
B. Contrairement au cas des Gésates (torques, etc.), il faut veiller à faire enlever les bijoux. Sécurité avant tout !
C. Les élèves s’entraînent donc plus ou moins nus suivant les cas.
D. Complètement nus pour certaines formes de lutte.
E. À demi nus (culotte courte et broigne de cuir souple) pour ce qui est de la boxe anglaise ou française.
F. Bardés de cuir ou de métal pour ce qui est de l’escrime médiévale.
G. Etc.
H. En cas de nudité importante, les combats ne pourront être mixtes.
I. Que ce soit en ce qui concerne les élèves, les combattants, les spectateurs, les enseignants, ou les lucterios (les maîtres).
J. Il faut veiller à la propreté corporelle des adversaires.
K. Et à la longueur de leurs ongles (il faut des ongles courts).
L. Il faut éviter un écart de poids de plus de cinq kg entre les lutteurs.
M. Il faut veiller, par mesure de sécurité, à ce que le projeteur accompagne le projeté dans sa chute, et lâche ses mains au moment de ladite chute.
C) LA LUTTE.
Démonstration libre.
L’élève montre sa maîtrise de diverses techniques suivant les occasions d’attaques ou d’assauts (gardes, prises, déplacements variés, situations de combat…). Il montre les formes d’attaques directes, voire combinées (debout et au sol), et les formes de défense qu’il connaît.
La partie imposée doit permettre au druide guerrier de fixer des exigences minimales d’acquisition des connaissances, la partie libre permet à l’élève de s’exprimer. La démonstration doit donc avoir une durée minimale suffisante (deux ou trois minutes).
Contexte de réalisation.
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Dans l’hypothèse d’une approche compétitive, l’accent peut être mis par le lucterios (le druide guerrier) sur le niveau d’efficacité au regard de la performance réalisée, dans le cadre d’une réglementation adaptée à l’âge et au niveau des élèves.
Dans le cas où la maîtrise de l’exécution est privilégiée ; le druide guerrier (lucterios) peut accorder une importance supplémentaire aux critères d’appréciation de la performance technique, à la précision et à la qualité des contrôles, à la variété des actions et des combinaisons.
Exemples de combat libre avec opposition modérée.
Dans le cas des luttes à thème, la forme de combat libre permet d’apprécier la valeur et la sincérité des actions offensives et défensives de l’élève, ses capacités techniques et tactiques ; ainsi que ses qualités morales de combattant (confiance en soi, volonté de vaincre, maîtrise de ses émotions, lucidité).
En déterminant lui-même, ou après concertation avec l’élève, le degré de difficulté de l’attaque ou de l’assaut, le lucterios druide guerrier choisit de faire réaliser une épreuve orientée.
— Soit vers la recherche d’une efficacité personnelle (fort degré d’opposition).
— Soit vers une maîtrise plus conventionnelle des techniques et schémas tactiques, maîtrise favorable au développement de l’équilibre personnel (degré d’opposition choisi par l’élève en fonction de ses capacités ou de ses aspirations, évaluation de la maîtrise d’exécution).
Dans chaque cas, le druide de type lucterios (guerrier) doit faire preuve d’une grande exigence quant au respect de la règle d’or (ne pas faire mal), du contrôle des émotions, et des techniques réalisées.
Dans le grianon, la recherche de performance ne peut être que relative. La démonstration de techniques doit par ailleurs demeurer un moyen de développer la maîtrise de soi.
Exemples de combats libres.
— Debout : affrontement « dans la durée » (deux minutes minimum). L’accent est mis sur l’attaque, non sur la défense, les combattants ne devant pas prendre le risque de se blesser en refusant la chute. L’évaluation peut porter sur le nombre de points marqués ainsi que sur la qualité et la complémentarité des attaques, des enchaînements, des contre-attaques (pertinence, précision, maîtrise des actions offensives et défensives).
— Au sol : affrontement « dans la durée » (deux minutes minimum) démarrant d’une position de mise en danger. Le tomber n’arrête pas le combat. Ponts et actions sur la nuque de l’adversaire sont interdits, sauf décision de l’enseignant qui peut considérer que le niveau de maîtrise des deux combattants leur permet d’exécuter ces actions sans danger.
CYCLES DÉBUTANTS.
Dans le cas où l’élève débute, l’enseignant doit prioritairement lever les craintes qui peuvent résulter de son appréhension des chutes et du contact physique.
Au regard des situations de combat préparées par le lucterios ou druide guerrier, selon des consignes rigoureuses (sécurité, acceptation des chutes, etc.) ; l’hétérogénéité des morphologies et des niveaux d’expertise des élèves représente une richesse sur le plan technique, comme du point de vue des échanges interindividuels liant les élèves plus expérimentés aux débutants.
Le druide de type lucterios (guerrier) peut ainsi proposer à ses élèves des thèmes de démonstration (différents types de contrôles, de finales…) et les laisser libres de leurs démonstrations par des techniques au choix. Pour des raisons de sécurité, le lucterios (druide guerrier) appréciera s’il est préférable ou non de faire combattre ces élèves uniquement au sol, selon leur niveau d’acquisition des techniques.
Exemple de mise en relation des connaissances.
— Compétence visée : « Construire des actions offensives et défensives ».
L’enchaînement des actions est la conséquence directe du comportement de l’adversaire. Pour qu’il poursuive efficacement son action, l’élève qui lutte doit être capable de ce qui suit.
— Maintenir le déséquilibre de l’adversaire en évitant toute rupture du contrôle.
— Transmettre des forces à son adversaire et percevoir les réactions de ce dernier, des saisies jusqu’aux contrôles.
— Se déplacer ou s’orienter pour exécuter l’enchaînement offensif (attaque directe, combinaison simple) ou défensif (esquive, parade) jusqu’à une finale au sol.
— Connaissances retenues (exemples).
— Informations : principes d’efficacité d’un contrôle, éléments de terminologie…
— Techniques et tactique : se défendre en bloquant l’attaque adverse, enchaîner deux attaques dans le même sens ou en sens opposés, se dégager d’une position de mise en danger…
— Connaissance de soi : définir et mettre en œuvre un projet individuel en fonction de ses capacités techniques et morphologiques, en fonction de l’adversaire…
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— Savoir-faire sociaux : utiliser ou reconnaître en situation de combat les termes « action », « prise de grande amplitude », « zone », etc.
— Exemples de mise en œuvre : « Construire des actions offensives et défensives ».
— Dans des zones délimitées ou selon des axes fixant les aires de chute, l’attaquant utilise les tirades ou poussées du défenseur.
Le défenseur réagit et l’attaquant par contre enchaîne.
— Répétition d’enchaînements avec un (ou plusieurs) adversaires (s), associés ou non à une chute (sur tapis de réception).
CYCLES TERMINAUX.
Les pratiques précédemment évoquées, dépendent des projets de l’enseignant et des élèves (compétition, maîtrise de soi et approche culturelle). L’épreuve de démonstration et celle des combats sont conservées, selon le niveau d’exigence du druide lucterios (guerrier) qui évoluera, en fonction des progrès techniques et tactiques des élèves.
Niveau 1.
— Compétence visée : « Utiliser ses ressources pour combattre un adversaire selon un projet tactique ».
L’élève crée les conditions favorables à l’attaque selon la séquence « pré-action/occasion/technique » Connaissances retenues (exemples).
— Informations : principes d’utilisation de l’opportunité, de la pré-action, éléments de terminologie…
— Techniques et tactiques : debout, renverser l’adversaire dans au moins deux directions différentes après une pré-action et après la réaction de l’adversaire…
— Savoir-faire sociaux : appliquer ou faire appliquer la règle de la mise en danger, de la passivité, etc.
— Exemples de mise en œuvre.
— Séquences d’opposition entre deux adversaires en variant la garde, le contrôle initial, les réactions du défenseur, etc.
Apprentissage par situations globales visant à privilégier la vitesse d’exécution et l’engagement corporel.
Niveau 2.
— Compétence visée : « Gérer ses ressources en fonction des caractéristiques de l’adversaire pour mener le combat de façon individualisée ».
L’élaboration d’un complexe technico-tactique simple ou plus élaboré intègre notamment le choix d’une technique favorite issue d’opportunités préférentielles (pré-action, réaction adverse, exploitation de la réaction, provocation de la réaction…).
— Connaissances retenues (exemples).
— Informations : enchaînement debout/sol, contre-attaque, combinaison technico-tactique.
— Technique et tactique : organiser son combat dans le temps et l’espace pour renverser son adversaire vers l’avant et le bas après une feinte d’attaque.
— Connaissance de soi : imposer sa garde, ses saisies, ses déplacements, à l’adversaire.
— Exemples de mise en œuvre.
— Élaboration et application d’un complexe technico-tactique préférentiel et choix des occasions les plus favorables, compte tenu des aptitudes, du rapport de force, des réactions possibles de l’adversaire, etc.
— Apprentissage des enchaînements suivant les réactions de l’adversaire.
Éléments de progressivité. Les éléments de progressivité organisant les précédents exemples prennent en compte divers éléments dont le premier concerne la démarche pédagogique, qui privilégie le travail des deux combattants, et qui vise, par une émulation commune, à faire progresser chacun des élèves en interaction. En privilégiant alternativement attaque et défense, le lucterios (druide guerrier) prépare l’élève à gérer le rapport de force, tout en augmentant progressivement le degré d’opposition, pour aller de situations faciles (travail avec partenaire) à d’autres plus difficiles (combat contre un adversaire). L’apprentissage de l’opposition passe par l’expérience de situations globales et analytiques, qui permettent successivement de se confronter, de découvrir, de comprendre, de répéter des solutions techniques pour acquérir ces dernières, et de les expérimenter en fonction de chaque adversaire. Comme pour le degré de difficulté, le druide guerrier ou lucterios doit veiller à bien ajuster la complexité des tâches proposées au niveau de ses élèves. Dans ses mises en œuvre, l’enseignant sera très attentif au degré d’engagement individuel de chacun, autant qu’à son attitude avec adversaires et partenaires.
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 13.
Vocabulaire : venant = les visiteurs en vieux français. Tenant = équipe locale en vieux français, les défenseurs.
QU’EST-CE QU’UN PAS D’ARMES ?
Conformément à la vraisemblance historique les chevaliers de la Table ronde ont commencé par être une troupe de bucellaires (cavaliers) au service d’une chef de guerre Romano-Breton du 5e siècle, en tout cas de la période ayant suivi le fameux rescrit d’Honorius en 410 (qui répond aux cités romains de Grande-Bretagne de s’occuper elle-même de leur propre défense, autrement dit qui accepte tacitement qu’elles soient désormais indépendantes). Une des hypothèses serait que ce dux bellorum initial soit le chef d’une partie de ce qui restait de l’armée romaine sur le territoire, cantonné à York (Ambroise Aurélien ?). La cavalerie (lourde) ne devint néanmoins la reine des batailles qu’à partir du 8e siècle.
Afin de réussir leur charge la masse des chevaliers devaient coordonner ses efforts, et cela nécessitait de la pratique. Les tournois étaient un instrument idéal pour cela. Ces premières rencontres étaient à peine moins que des guerres – des villages et des cultures étaient souvent ravagés, des hommes faits prisonniers voire tués. C’était surtout une guerre pour le plaisir et pour le profit. L’Église commença par interdire de tels tournois, mais ils devinrent rapidement, populaires en France, en Espagne, dans les pays bas, en Europe de l’Est et de parfois en Angleterre.
Notre ambassadeur à Washington au début du 20e siècle a beaucoup creusé la question dans son livre sur le sujet (Les Sports et jeux d’exercice) en 1901.
Au 14e siècle, cette domination fut remise en cause non sans succès par les fantassins et les archers. Le rôle du tournoi changea également progressivement, en devenant moins un entraînement à la guerre qu’une cause de renommée pour certains individus ou de petits groupes de chevaliers (connus en Allemagne sous le nom de sociétés de tournois). De plus en plus de règles furent élaborées et l’accent fut mis sur les joutes individuelles et les compétitions. La table ronde, les passes d’armes, jeux de lance et prises comme celle du château de la Joyeuse Garde à Saumur en 1446 sous le règne de René d’Anjou, devinrent populaires.
Les pas d’armes sont probablement issus de la tradition chevaleresque populaire du défi individuel. Les histoires de chevaliers se jetant tête la première dans un grand fracas de lances rompues et de boucliers pourfendus occupaient une grande place dans l’iconographie et la culture chevaleresque, telle qu’elle s’est développée et a évolué du 9e siècle au 16e siècle. C’était une image à laquelle la chevalerie s’accrochait alors même que la réalité militaire changeait complètement.
Les tournois devinrent progressivement plus chers et plus spécialisés. Les bonnes pages d’Enguerrand de Monstrelet, chroniqueur populaire du début du XVe siècle ou des chroniques qui parlent de René d’Anjou sont parsemées de comptes rendus de ces exploits.
Les seigneurs organisateurs devaient d’abord faire part de leur intention, soit lors d’un festin, ou lors de la cérémonie d’adoubement d’un nouveau chevalier puis s’efforçaient de faire circuler l’information afin que d’autres chevaliers et d’autres seigneurs puissent y assister. Ils pouvaient monter un simple pavillon ou financer une grande fête pouvant durer jusqu’à un mois. Ils tenaient ensuite des boucliers, des lances, des armes et parfois des armures à la disposition de leurs anciens adversaires. Des rafraîchissements et des cadeaux d’une extrême générosité étaient souvent offerts – c’était une occasion de faire preuve d’hospitalité et de générosité. Plus un chevalier se montrait généreux, au point même de se ruiner, plus sa vertu était grande. Le prouve cette citation du roman du 13e siècle de Chrétien de Troyes, Cligès. Qui nous donne en « anglais » du 13e siècle…
« Biax filz, fet il, de ce me croi que largesce est dame et reïne qui totes vertuz anlumine, ne n’est mie grief a prover.
À quel bien cil se puet torner, ja tant ne soit puissanz ne riches, ne soit honiz se il est chiches ? Qui a tant d’autre bien sanz grace que largesce loer ne face ? Par soi fet prodome largesce, ce que ne puet feire hautesce ne corteisie ne savoir ne gentillesce ne avoir ne force ne chevalerie ne proesce ne seignorie ne biautez ne nule autre chose ; mes tot ausi come la rose est plus que nule autre flors bele, qant ele neist fresche et novele, einsi la ou largesce avient, desor totes vertuz se tient et les bontez
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que ele trueve an prodome qui bien se prueve et a.V.C. dobles monter. Tant a en largesce a conter que n’an diroie la mitié. »
Ce qui nous donne dans notre jargon d’aujourd’hui…
« Mon cher fils, dit-il, crois-moi quand je te dis que les largesses sont la reine et la dame qui illumine toutes les vertus et que ce n’est pas difficile à prouver… seule la largesse en fait un prodome (un homme exemplaire), pas la haute naissance, la courtoisie, le savoir, la noblesse, les avoirs, la force, la chevalerie, les prouesses, la seigneurie, la beauté ou tout autre don, mais de la même façon que la rose est plus belle que n’importe quelle autre fleur quand elle est fraîche et nouvelle, là où la largesse survient elle domine toutes les autres vertus…… il y a tant à dire en matière de largesses que je ne saurais vous en dire la moitié ».
Essentiellement, le pas d’armes est un défi à plaisance, c’est-à-dire relevé avec des armes non affûtées. Un ou plusieurs défenseurs, connus communément sous le nom de « tenants », font savoir qu’ils occuperont un lieu particulier un jour donné « tel lieu tel jour… ». Ces défis étaient conçus pour mettre en valeur les prouesses, la courtoisie et, en général, pour célébrer la chevalerie par une démonstration d’art martial. Ce n’était pas un jeu – c’était plus sérieux qu’une table ronde (plus théâtrale que les combats), mais moins meurtrier et plus amical qu’une emprise (où des chevaliers de différentes nations se mettaient généralement au défi d’accepter des joutes brutales et souvent sanglantes avec affrontements à l’arme de guerre).
Ces trois styles de combat étaient populaires à la fin des XIVe et XVe siècles.
Les « tenants » se mobilisaient pour l’heure, le jour voire même le mois du défi, et attendraient leurs adversaires. Ces derniers étaient, dans le cas des passes d’armes, affrontés amicalement. Dans le cas des « emprises » ils étaient affrontés avec plus de prudence, en ennemis que l’on respectés mais qui doivent être vaincus. Il n’en allait pas de même avec les passes d’armes. Les attaquants, les « venants », se présentaient comme bon leur semblait, souvent incognito, costumés et même revêtus de leurs plus beaux atours. Ils pourraient avoir des ménestrels ou des dames avec eux – voire même des nains (une coutume médiévale). Les tenants occupaient parfois les abords en jouant divers personnages ; Édouard III par exemple a un jour assisté à un pas d’armes habillé en pape, accompagné de ses douze cardinaux. Cela faisait partie de l’esprit des passes d’armes, où il s’agissait moins de se battre que d’intéresser ou amuser la galerie tout en faisant des prouesses.
Deux « prouesses » – compétences dans le maniement des armes – et courtoisie, avaient de l’importance. Il existe de nombreux récits rendant compte de la violence des combattants, mais à côté de ça il y autant de lignes consacrées à la générosité et à la courtoisie des adversaires les plus féroces. Les pas d’armes étaient l’occasion de célébrer toutes les vertus chevaleresques, pas seulement les prouesses guerrières ou la courtoisie. Et bien qu’il y ait fréquemment une « galerie » de spectateurs présents, le plus souvent, il n’y avait pas de spectateurs – les affrontements avaient lieu pour le plaisir ainsi que pour la gloire et la renommée à gagner dans un combat si honorable.
Saluons donc également à cet égard les efforts de notre ami Brian R. Price, professeur d’histoire à l’université d’Hawaï et fondateur en 1996 de la Société d’anachronismes créateurs, un groupe voué au Moyen-âge « comme ils auraient dû être, en choisissant les éléments de sa culture qui nous intéressent et nous plaisent ».
Autrement dit « comment construire un homme nouveau avec le meilleur de l’ancien ». Ce qui est notre devise à nous autres très sachants de la druidiaction.
Au sein de la SAC, la Compagnie de Saint Georges s’efforce de présenter les passes d’armes sous la forme de divers tournois. Nous pensons que ce format est un outil utile pour explorer toutes les facettes du personnage du chevalier chevaleresque que nous attendons de tous les combattants, qu’ils soient en tenue de guerrier ou non. Dans les passes d’armes, les combattants se défient pour le plaisir du combat et non pour la victoire. Ils parlent de leurs motivations, de leurs compagnons, des vertus de leurs adversaires, et des autres vertus chevaleresques – loyauté, courage, générosité, humilité, fidélité, foi (en nos idéaux), sens de la justice et devoir de défendre (les victimes, les siens). C’est tout ce dont les gens se souviendront, car c’est à cette aune que l’on mesure les participants à ces tournois lorsqu’ils se battent sur le terrain, la scène, où l’âme est plus ou moins mise à nue par les tensions du combat. La « galerie » et votre adversaire peuvent toujours voir qui vous êtes vraiment. il est difficile de faire illusion quant à vos motivations et à votre sincérité dans ces compétitions………
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pour cette raison, nous offrons donc librement notre savoir-faire dans la mise sur pied des telles lices. Depuis juillet 1996 nous avons organisé plus de dix pas d’armes, constituant ainsi une vaste base d’informations que nous sommes heureux de partager.
N.D.L.R. La Société d’Anachronismes créateurs (SAC B.P 360789 Milpitas CA 95036-0789) est un organisme international à but non lucratif voué à l’étude, à la recherche, à l’enseignement, à la préservation et à la reconstitution de la culture européenne antérieure au XVIIe siècle. Moyen Age et Renaissance. La SAC est comme beaucoup de groupes visant à la reconstitution des batailles de la guerre de Sécession, mais couvre simplement une période différente (et plus large) et un plus grand nombre de pays.
La SAC est une organisation d’histoire vivante, car elle adopte ns une approche différente de celle de nombreux autres groupes d’étude. Plutôt que de simplement lire des livres d’'histoire ou simplement de visiter des musées, nous étudions certains aspects de cette histoire et essayons de reproduire les éléments associés à cette recherche. Par exemple, après avoir trouvé une armure, nous réalisons ensuite de fidèles répliques de celle-ci, que nous utilisons pour des reconstitutions de combats.
ORGANISATION D’UNE PASSE D’ARMES.
Le déroulement d’une passe d’armes organisée par l’AAMME (Rue Dupont, Toronto, ON M6H 1Z1 Canada) ne met en scène que des combats menés « à pied » donc et comprend nombre d’usages de la fin du XIVe siècle et du début du XVe, projetés dans le contexte du XXIe siècle afin répondre aux attentes des spectateurs d’aujourd’hui en leur permettant d’assister à d’extraordinaires combats singuliers improvisés en armure, tout en préservant leur cachet historique et en fournissant aux combattants des occasions d’accomplir des prouesses ou de démontrer leur savoir-faire par le biais de nombreux défis lancés au cours de ces joutes par les défenseurs ou tenants (l’équipe locale). Ainsi qu’il est rapporté dans les archives des passes d’armes, si le venant c’est-à-dire le visiteur n’a pas d’armes ni de cheval, les tenants pourront lui en fournir. À l’AAMME l’Académie fournit toutes les armes qui seront nécessaires lors de la rencontre. Ce qui améliore les conditions de sécurité en réduisant d’autant le risque qu’un défaut des armes utilisées n’en vienne à blesser quelque spectateur.
Calendrier des passes d’armes.
Les passes d’armes sont prévues et programmées sur la base d’une rencontre par an ou tous les six mois, avec invitations de deux (ou plus) équipes extérieures, dont les membres sont désignés sous le nom de venants (bref, les visiteurs). Les membres de l’équipe locale sont appelés défenseurs ou tenants. En principe l’équipe des venants est composée de représentants des autres écoles ou académies similaires. Mais on peut y associer d’autres groupes afin d’équilibrer le nombre des combattants.
Dès qu’une date pour la tenue de cette passe d’armes a été arrêtée par les défenseurs (l’association qui reçoit) et que le lieu où doit se dérouler la passe d’armes a été agréé par les hôtes, une invitation proposant un accord détaillant les règles les règlements et les conditions de combat, est lancée aux venants par l’intermédiaire de leurs organisations respectives. L’invitation et l’accord précisent les divers types de combat qui pourront avoir lieu ainsi que les règles concernant les équipements et les armes. La date et le lieu sont fixés par les défenseurs, néanmoins, en coordination avec les venants, dans certains cas, date et lieu convenant aux deux parties peuvent être déterminés d’un commun accord. Venants et défenseurs peuvent, s’ils en sont d’accord, décider de partager les frais de la passe d’armes. Un droit d’entrée à déterminer pourra néanmoins être acquitté par chacun des participants à cette passe d’armes
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DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 14.
Venons-en maintenant à un autre type d’armure que celui évoqué par nos amis de la SAC dans leur autoprésentation, une armure plus spirituelle ou psychologique cette fois-ci : les loricae.
LORICAS UTILES À LA PRATIQUE DES ARTS MARTIAUX.
Note de la rédaction.
Ce genre de texte a toujours beaucoup intrigué les chercheurs. Nous avons eu l’occasion de voir néanmoins que l’hypothèse de la proprioception, au sens positif du terme, n’avait qu’une valeur explicative assez faible en ce qui les concernait.
Une autre hypothèse voit en eux des restes ou des réminiscences de leçons d’anatomie apprises par cœur. Mais là aussi la force explicative d’une telle hypothèse est assez faible eu égard à la croyance généralisée en leur efficacité.
Pierre-Yves Lambert dans son étude publiée en 2005 à Saragosse par Francisco Marco Simon sous le titre « conférence internationale sur les pratiques magiques dans l’Occident latin », en fait tantôt des charmes magiques tantôt des sortes de confessions (préventives).
Mais le mieux en ce qui concerne ces longues litanies est peut-être encore en définitive d’adopter à leur sujet une définition de la prière nouvelle par rapport à ce que l’on comprend habituellement sous ce terme de nos jours, plus psychosomatique, moins naïve, et donc plus rationnelle ; ou du moins rentrant dans le cadre des analyses ou comportements rationnels de dernière chance de l’individu en situation difficile, voire désespérée. Car la prière a toujours été ou sera toujours, une expérience humaine double : une technique psychologique associée à un processus spirituel. Ces deux fonctions de la prière ne peuvent jamais être entièrement séparées.
« Nate, nate, mento beto to devo » répétait sans cesse sa mère au futur noïbo Symphorien d’Autun.
La prière éclairée doit reconnaître que l’Être supérieur est englobant et impersonnel*. Mais dans de nombreux cas, une technique plus efficace consistera en fait à considérer que la divinité à laquelle on s’adresse est une sorte d’interlocuteur, exactement comme le mental primitif avait l’habitude de le faire. Par exemple Cassibodua et son animal favori la corneille, ou Andarta/Andrasta, voire Ogmios ou Mabon/Maponos/Oengus. Le divin est aussi dans l’Homme (Gdonios), de sorte que l’Homme peut parler, pour ainsi dire, face à face, avec le divin qui l’habite.
La prière effectue très souvent des changements importants et durables chez celui qui prie. La lorica engendre souvent beaucoup de soulagement, de paix mentale, de calme, de courage, de maîtrise de soi, voire d’allégresse. En tout cas chez ceux qui sont spirituellement Celtes et ne redoutent pas les glaces de l’enfer ou la punition d’un dieu-ou-démon vengeur comme Allah ou Jéhovah.
La prière est un geste subjectif, mais elle établit le contact avec de puissantes réalités objectives de l’expérience humaine ; elle est un essai significatif pour atteindre des valeurs supra humaines. Elle est le plus puissant stimulant de la croissance spirituelle.
Les mots n’ont guère d’importance dans la prière ; ils sont simplement le canal intellectuel que la rivière de nos supplications emprunte. La valeur verbale d’une prière est sociosuggestive dans les dévotions collectives, mais purement auto suggestive dans les dévotions individuelles. Elle peut entraîner dans ces cas-là (Cassibodua, Andarta, Ogmios…) des productions d’adrénaline ou d’endorphine importantes dans notre organisme, pouvant même dans les cas extrêmes aboutir à une véritable folie meurtrière (vergio/ferg des berserkers).
L’adrénaline est à la fois une hormone et un neurotransmetteur. Elle fait partie du réflexe combat/fuite. Elle accélère la vitesse de la respiration, dilate les pupilles, et augmente le rythme cardiaque. Une forte dose porte le corps à l’état d’alerte le plus élevé. L’adrénaline joue aussi un rôle important dans la réaction enthousiaste à un défi ; mais un excès d’adrénaline dans la vie normale entraîne nervosité, voire paranoïa.
Les endorphines sont des morphines endogènes, qui exercent la fonction de neurotransmetteur. Leur rôle essentiel est celui d’antidouleur, mais elles entraînent aussi un sentiment de bonheur ou d’euphorie. L’état d’ivresse qui peut se produire après un effort physique important est provoqué en partie par l’émission d’endorphines.
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* Bien que pouvant être personnellement ressenti sous une forme personnelle.
L’ORAISON DE NOÏBO BRENDAN RECONSTITUÉE.
Uediiu-mi !
Puissiez-vous être la cuirasse de mon âme/esprit, et de mon corps
Avec tous ses tendons,
Tant chez moi qu’à l’étranger,
De la plante des pieds au sommet du crâne,
De ma vue, de mon ouïe, de mon odorat, du goût et du toucher ;
Ainsi que de ma chair et de mon sang, de mes os
De mes nerfs et de mes entrailles, de mes veines
De la moelle de mes os et de mes membres.
Une protection contre la mort.
Grâce à toi mon dieu
Tous mes membres sont animés, respirent et guérissent.
Protège-moi mon dieu, à droite, à gauche
Devant, derrière, en dessous et au-dessus,
Dans les airs, sur terre, sur les eaux, sur mer,
Quand je suis en train de me baisser ou de me relever,
En train de marcher ou encore à l’arrêt,
Dans chaque situation et tous les jours,
À toute heure et en tout lieu,
Chaque nuit et chaque jour de ma vie.
Que la force soit avec moi
Sunartiu !
LA PRIÈRE DE NOÏBO FURSA, FURSY ou FURSEY RECONSTITUÉE.
Uediiu-mi !
Puisse le bras des dieux reposer sur mes épaules,
Le souffle de l’esprit sacré venir sur ma tête,
Le signe du labarum sur mon front
Le chant de l’Esprit sacré dans mes oreilles,
Le parfum de l’Esprit sacré dans mon nez,
La vision des dieux dans mes yeux,
Le dialogue avec les dieux sur mes lèvres,
Le travail pour l’Ollotouta druidique dans mes mains,
Le dévouement pour les dieux et pour autrui dans mes pieds.
Puissent les dieux habiter dans ce cœur
Et mon être tout entier appartenir un jour à notre père céleste
Tout comme il a naguère appartenu à notre père souterrain.
Que la force soit avec moi !
Sunartiu !
LA PRIÈRE DE NOÏBO COLUMCILLE RECONSTITUÉE.
Uediiu-mi !
Je suis seul dans la montagne
Ô soleil impérial, sois-moi favorable.
Je n’ai plus peur de personne
Comme s’il y avait six mille hommes avec moi pour me défendre.
Mais même s’il y avait six mille hommes avec moi
Afin de protéger mon corps
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Lorsque l’heure de ma mort aura sonné,
Aucune forteresse ne pourra s’y opposer.
Ceux dont c’est le destin peuvent être tués même en plein milieu d’un sanctuaire
Même sur une île au beau milieu d’un lac.
Et ceux dont l’heure n’a pas encore sonné restent en vie
Même en étant aux premiers rangs d’une sanglante bataille.
Celui à qui un dieu destine quelque chose
Ne quittera pas ce monde avant que cela ne se soit produit
Et même si un prince cherchait à obtenir le moindre délai supplémentaire
Il n’obtiendrait pas une miette de plus.
Ô Soleil royal, véritable Dieu Vivant
Honni soit qui fait le mal, quelle qu’en soit la raison.
Ce que tu ne vois pas vient à toi
Ce que tu vois s’enfuit de tes mains.
Notre sort ne dépend pas d’un éternuement
Ni d’un oiseau sur une branche,
Ni du tronc d’un arbre tordu.
Celui dont nous dépendons est plus grand que cela.
Je ne m’intéresse pas aux cris des oiseaux,
Ni à un éternuement ni à aucun charme de ce vaste monde,
Ni à un enfant du hasard,
Hésus, le fils de Dieu, est mon seul druide.
Que la force soit avec moi ! Sunartiu !
LA LORICA RECONSTITUÉE DE MUGRON ABBÉ D’IONA COARB DE COLOMBAN.
La lorica de Mugron demande la bénédiction de la sunertio ou de la pierre levée (Clochafarmore) du Hesus Cuchulainn sur toutes les parties du corps. L’idée étant que la divinité occupant tout notre corps, il n’y a pas lieu d’avoir peur. Dans un des manuscrits, cette lorica est appelée « Lorica de Columkille » (ou Colomban).
La Sunertio sur ce visage,
Et sur cette oreille,
La Sunertio sur cet œil.
La Sunertio sur ce nez.
La Sunertio sur cette bouche.
La Sunertio sur cette langue.
La Sunertio sur cette gorge.
La Sunertio sur ce dos.
La Sunertio de ce flanc.
La Sunertio sur ce ventre…
La Sunertio sur mes mains,
De mes épaules à mes paumes.
La Sunertio sur mes jambes,
La Sunertio avec moi devant moi,
La Sunertio avec moi derrière moi,
La Sunertio face à tous les problèmes
Dans la vallée ou sur la colline.
La Sunertio quand je regarde à l’est.
La Sunertio là où le soleil se couche.
La Sunertio du nord au sud sans arrêt,
La Sunertio toujours.
La Sunertio sur mes dents,
Pour me protéger contre le mal et les dangers.
La Sunertio sur mon ventre.
La Sunertio sur mon cœur.
La Sunertio au plus haut des cieux.
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La Sunertio ici-bas.
Ni mal ni souffrance n’affligeront
Mon corps ou à mon âme.
La Sunertio quand je m’assois.
La Sunertio quand je me couche.
La Sunertio sur ma communauté.
La Sunertio dans le monde à venir.
La Sunertio en tout cela.
Du haut de ma tête
À la plante des pieds,
O Hesus Cuchulainn,
J’ai foi en la protection de ta pierre
La Clochan Fhir Mhor.
Il y a trois sortes de morts. La première c’est lorsque le corps cesse de vivre. La seconde c’est lorsque le corps est descendu dans la tombe. La troisième est le moment où votre nom est prononcé pour la dernière fois.
LA PRIÈRE RECONSTITUÉE DE GILDAS LE SAGE OU DE LAIDCEND (un moine irlandais de Clonfert Mulloe mort en 661).
Uediiu-mi !
Aide-moi, Unité de la Triade,
Aie pitié, Trinité de l’Unité
Aide-moi, je t’en prie, moi qui suis placé
Comme au péril de la mer,
Afin que la peste de l’année ne m’entraîne point avec elle
Ni la vanité du monde.
Et cette demande je l’adresse aux plus hautes puissances de l’armée des dieux
Afin qu’ils ne laissent pas mes ennemis me tourmenter
Mais me défendent de leur solide armure
Afin que leurs puissantes armées me précèdent au combat…
…………………
Sois le plus sûr des boucliers pour mes membres et mes entrailles,
Afin de repousser loin de moi l’atteinte des piques que fabrique notre invisible ennemi !
Sois un casque salutaire pour ma tête, mon front, mes yeux, les lobes de mon cerveau, mon nez, mes lèvres, ma face, mes tempes, mon menton, mes joues, mes mâchoires, mes dents, ma langue, ma bouche, ma gorge, ma luette, ma trachée, le dessous de ma langue, ma nuque, et son cartilage.
De la plus solide des cuirasses
Protège-moi le bras et les avant-bras ainsi que les épaules.
Protège-moi les coudes et les articulations du coude ainsi que les mains les poings, les paumes, les doigts et les ongles.
Protège-moi l’épine dorsale, les côtes et leurs articulations,
Ainsi que l’arrière, le dos, les nerfs et les os.
Protège-moi la peau, le sang, les reins,
Mais aussi les hanches, les fesses et les cuisses,
Protège-moi les jambes, les mollets, les cuisses ainsi que les rotules, les jarrets ou les genoux.
Protège-moi les chevilles, les tibias, et les talons,
Ainsi que les jambes, les pieds, la plante des pieds.
Protège-moi les décuples rameaux qui poussent ensemble (les doigts)
Ainsi que les orteils et mes deux fois dix ongles.
Protège-moi la poitrine, son articulation, le sternum
Ainsi que les mamelons, l’estomac, le nombril.
Protège-moi le ventre, les reins, les parties génitales
Ainsi que l’estomac et les parties vitales du cœur.
Protège-moi le triangle du foie et sa graisse,
Ainsi que la rate, les aisselles et leurs nerfs.
Protège-moi la chair, l’aine et ses parties intérieures,
Ainsi que la rate et les intestins,
249
Protège-moi la vessie, la graisse
Ainsi que mes innombrables articulations.
Protège mes cheveux,
Ainsi que les autres parties du corps
Dont j’ai omis le nom.
Protège-moi,
Protège mes cinq sens, ainsi que les dix ouvertures de mon corps.
De sorte que de la plante des pieds au sommet de la tête
Aucun de mes membres ne puisse être atteint, que ce soit du dedans ou de dehors.
Et que de mon corps la vie ne puisse être expulsée.
Que la force soit avec moi
Sunartiu !
LA CUIRASSE (lorica) DE NOÏBO PATRICE RECONSTITUÉE.
LE CRI DU CERF.
Je me lève aujourd’hui,
Mû par une force puissante,
L’invocation des Triades,
La croyance en la Triade,
La confession de l’unité de l’Être supérieur.
Je me lève aujourd’hui,
Avec la force du Ciel,
La lumière du Ciel,
La Lumière du Soleil,
L’Éclat de la Lune,
La Splendeur du Feu,
La Vitesse de l’Éclair,
La Rapidité du Vent,
La Profondeur de la Mer,
La Fermeté de la Terre,
La Solidité de la Pierre.
Que leur force soit avec moi !
Sunartiu !
Puissè-je me lever aujourd’hui,
Avec la force des dieux pour me guider,
La puissance divine pour me soutenir,
L’intelligence divine pour me conduire,
L’œil de Dieu pour regarder devant moi,
L’oreille de Dieu pour m’entendre,
La langue des dieux pour parler en mon nom,
La main des Dieux pour me garder,
La trace du Dieu pour me précéder 1)
Le Bouclier du Dieu pour me protéger,
L’Armée des Dieux pour me sauver :
De tous ceux qui me veulent du mal,
De loin et de près,
Seuls ou en masse.
Que les dieux me protègent aujourd’hui
Du poison, du feu, de la noyade, des blessures.
J’appelle aujourd’hui toutes ces forces
À venir s’interposer entre moi et l’adversité,
250
Contre toute force ennemie
S’en prenant à mon corps et à mon âme/esprit,
Contre les incantations des faux prophètes,
Contre les noires lois du judéo-christianisme,
Contre toute science qui souille le corps et l’âme/esprit de l’Homme.
LA CAMBITA.
Uediiu-mi !
Hésus avec moi,
Hésus devant moi,
Hésus derrière moi,
Hésus en moi,
Hésus au-dessous de moi,
Hésus au-dessus de moi,
Hésus à ma droite,
Hésus à ma gauche,
Hésus avec moi quand je suis allongé,
Hésus avec moi quand je suis assis,
Hésus avec moi quand je me lève,
Que Hésus soit dans le cœur de tout homme qui pense à moi,
Que Hésus soit dans toute bouche qui parle de moi,
Que Hésus soit dans tout œil qui me voit,
Que Hésus soit dans toute oreille qui m’écoute.
Que sa force soit avec moi ! Sunartiu !
Je me lève aujourd’hui,
Mû par une force puissante,
L’invocation des Triades,
La croyance en la Triade,
La confession de l’unité de l’Être supérieur
En Hésus est le salut,
En Sétanta est le chemin,
Que Ta force Seigneur soit toujours avec moi.
Sunartiu ! Sunartiu ! Sunartiu !
1) Il s’agit là peut-être à l’origine d’une allusion au HESUS/CUCHULAINN dont le nom initial, SETANTA, signifie le cheminant (surtout vu ce qui suit : les notions de devant, derrière, etc.).
251
DOCUMENT DE TRAVAIL Nº 15.
ÉLOGE DES CHEVALIERS DU TEMPLE PAR NOÏBO BERNARD DE CLAIRVAUX.
ADAPTATION ET TRANSPOSITION PAR PIERRE DE LA CRAU
AFIN DE VOIR CE QUE CELA DONNERAIT EN MODE PAÏEN.
(Brouillon retrouvé barré dans une corbeille par les héritiers de Pierre de La Crau.)
Un nouveau genre de chevalerie est né, dit-on, sur la terre, et précisément dans cette partie que le soleil levant est venu visiter incarné en homme du haut des cieux ; en sorte que là même où il a dispersé, de son bras puissant, les princes des ténèbres ; il en exterminera bientôt les satellites ; je veux dire les enfants de l’infidélité. Il rachète de nouveau son peuple et fera repousser pour nous la corne du salut, dans la maison même des enfants de David.
Oui, c’est une milice d’un nouveau genre, inconnue aux siècles passés, destinée à mener sans relâche un double combat contre la chair et le sang, contre l’esprit du mal qui flotte dans l’air du temps.
Il n’est pas rare de voir des hommes combattre un ennemi physique avec les seules forces de leur corps pour que je m’en étonne ; d’un autre côté, faire la guerre au vice et au mal avec les seules forces de l’esprit n’est pas non plus quelque chose extraordinaire, aussi louable que cela soit, le monde est empli d’hommes [et de femmes] qui livrent ce combat ; mais ce qui, pour moi, est aussi admirable qu’inconnu jusqu’à ce jour, c’est de voir les deux choses réunies, un même homme pendre sa double épée à son côté avec courage et ceindre noblement ses flancs de son baudrier.
Le soldat (latin miles) qui revêt en même temps son âme/esprit de la cuirasse de la foi, et son corps d’une cuirasse de fer, ne peut qu’être sans peur et en parfaite sécurité ; car, sous sa double armure, il ne craint ni les dieux ni les démons ni les hommes.
Loin de redouter la mort, il la désire. Pourquoi craindrait-il de vivre ou de mourir puisque dans la mort il serait gagnant ? Son existence, il la vit avec confiance et de bon cœur pour son dieu, mais ce qu’il préférerait, c’est être dégagé des liens du corps et être avec lui ; voilà ce qui lui semble meilleur.
« La mort est le milieu d’une longue vie… pourquoi ménager une vie qui de toute façon doit revenir ? » (Lucain. Pharsale. I).
Marchez donc au combat en toute quiétude, repoussez les ennemis du labarum (voix ou verbe du destin) de la vraie foi, le tout avec courage et intrépidité. Sachez que ni la mort ni la vie ne pourront vous séparer de votre dieu. Et répétez-vous ces paroles au milieu des périls : « Nate memento beto to divo. Soit que nous vivions ou que nous mourions, nous appartenons au Seigneur ».
Quelle gloire pour ceux qui reviennent victorieux d’un tel combat, mais quelle bénédiction pour ceux qui trouvent aussi le martyre sur le champ de bataille !
Réjouissez-vous, braves athlètes des dieux, si vous demeurez en vie et triomphez dans le Seigneur, mais réjouissez-vous aussi et soyez même encore plus heureux si la mort vous permet d’aller le rejoindre : la vie est utile et la victoire glorieuse ; mais une sainte mort est préférable à toute autre chose ; car s’il est vrai que ceux qui meurent dans le Seigneur sont bienheureux, combien plus heureux encore sont ceux qui meurent pour le Seigneur ?
Les soldats (latin milites) des dieux mènent en toute sécurité les combats de leurs seigneurs, car ils n’ont pas à craindre de les offenser en frappant (latin caede) un ennemi. Et ils ne courent aucun danger, s’ils sont tués eux-mêmes, puisque faire mourir ou mourir soi-même pour les dieux n’est point pécher, mais plutôt un grand titre de gloire. Dans le premier cas, on gagne pour les dieux et dans le deuxième on gagne les dieux en personne. Les dieux acceptent en effet volontiers la mort des ennemis qui les ont offensés, et ils accordent encore plus volontiers leur consolation au soldat tombé pour eux.
Le soldat des dieux, disais-je, peut frapper en toute confiance et mourir avec encore plus de confiance, car il sert les dieux quand il frappe, et se rend service à lui-même quand il tombe.
252
Ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée ; il est le ministre de son dieu, et il l’a reçue afin de punir ceux qui agissent mal ou pour exalter le bien. Quand on tue un malfaiteur, on n’est point homicide, mais malicide, si je puis m’exprimer de la sorte ; il ne fait alors qu’exercer la justice du dieu des druides sur ceux qui font le mal, et c’est donc à juste titre qu’on peut le considérer comme un défenseur des croyants. Vient-il à succomber lui-même, on ne peut dire qu’il a péri, puisqu’au contraire, il est arrivé à bon port. Quand il donne la mort, c’est pour le plus grand profit (latin lucrum) des dieux, et quand il la trouve pour le sien.
S’il est absolument défendu à un druide de frapper de l’épée, d’où vient que l’on voit ici ou là dans les textes sacrés, des druides en porter ? Diviciacus par exemple. Même si ce n’est pas un très bon exemple il est vrai (il a objectivement servi le parti de l’étranger).
Il convient assurément que soient dispersées les nations qui ne respirent que la guerre, que ceux qui sèment le désordre parmi nous soient taillés en pièce, et repoussés des murs de la cité ceux qui commettent injustice sur injustice, qui font tout pour s’emparer de nos sanctuaires.
Que la double (a) épée d’Ambicatus soit tirée sur la tête de nos ennemis, pour détruire tout ce qui s’élève contre la connaissance du divin, c’est-à-dire contre…, etc.
a) Cf aussi Ambicatus = « qui combat des deux côtés »
Le brouillon retrouvé et barré s’arrête là et reprend comme suit d’après nous…
Certaines hérésies druidiques contemporaines (et par hérésie nous voulons dire n’ayant rien à voir, ou presque, avec le druidisme antique, authentique et avéré) font de Bernard de Clairvaux un comrunos ou initié druidique. D’autres font des chevaliers du Temple des gardiens du Graal. Tout cela est bien entendu complètement… faux !
Le texte original de saint Bernard de Clairvaux est typique d’un certain christianisme*, c’est-à-dire consternant (il s’agit d’un autre monde culturel que celui qui est le nôtre aujourd’hui : logorrhée, incohérence, idées fixes, idées reçues, hypocrisie, manque total d’originalité de personnalité voire de fierté, servilité envers les dogmes et l’idéologie dominante de l’époque, absence totale de recul de profondeur et de philosophie, etc.)
Il y a également dans ce texte de saint Bernard une évidente justification des croisades djihads ou ver sacrum. Reconnaissons néanmoins bien volontiers que l’islam justifie pareillement les violences de ce type ; tant il est vrai qu’il est dans la nature humaine de vouloir se défendre ou défendre les siens. L’important est donc de canaliser ou encadrer cette violence inhérente à la nature humaine au moins jusqu’à la violence symbolique ou catharsis.
Toute la question est de savoir…
— Premièrement à partir de quand on peut considérer qu’une guerre est juste ?
— Dans quelles conditions cette guerre juste doit être menée (à ce sujet voir notre prochain essai sur l’éthique du guerrier ou en temps de guerre) ?
P.S. Désolé pour la qualité ou la fidélité de la traduction, mes 7 ans de latin sont loin.
* De tous les vrais christianismes d’ailleurs.
253
POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin.)
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
254
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?).
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
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IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevik ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails, voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir entre ancien druidisme et néo-druidisme.
— Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
— Base de l’Église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
— Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
— Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
— Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Prologue
Précaution oratoire
Introduction à la voie du guerrier
La voie du guerrier (faicseanaiocht)
Les droits de l’adversaire (fir fer)
Le combat mené à mains nues (grascar lamh)
Le druidisme breton
Le gouren
La glima et l’axlatok
L’autodéfense (feinchosaint)
La boxe pieds-poings
Le pugilat (dornalaiocht)
La savate défense (speachoireacht/speachadh)
Les clessa ou le maniement des armes
Le bâton (bataireacht)
La canne
L’escrime
La gladiature
Le cas des chrétiens
La gladiature suite
Vie et mort des gladiateurs (Crixus Spartacus)
Les tournois
Les tournois les joutes et les behours
Les pas ou passes d’armes
Le code de la Table ronde
Les Highlanders
L’escrime médiévale écossaise
L’escrime moderne (pionsoireacht)
La danse écossaise des Hautes-Terres
La chasse
La catéia ou boomerang
Le tir à l’arc
Bref historique de l’archerie et de saint Sébastien
Et de saint Georges
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L’art et la philosophie de l’archerie
Le cheval
L’art et la philosophie du cheval (mandubianisme) Épona
Hippomancie
Hippothérapie
L’art équestre
Histoire critique de la cavalerie française
L’École espagnole d’équitation
Qualités requises pour pratiquer l’équitation
Annexe : la prière du cheval
Nouvelles considérations sur la chasse
Le Livre du maître du gibier
La chasse à courre
La grande vénerie antique
Le cerf dans la tradition druidique
Le cerf dans la tradition chrétienne
La petite vénerie (Arrien)
La chasse à courre du renard aux USA
La chasse au faucon
Le livre de fauconnerie de Moamin et Ghatrif
Du caractère profondément écologiste de notre chasse
De la chasse à l’arc moderne
Le rodéo
La corrida mexicaine
Réflexion sur la course à la cocarde
L’abrivado
La course du « biou »
Les courses landaises
L’encierro de Pampelune en Espagne
Réflexion sur la tauroctonie chez Hemingway
La tourada portugaise
Courrier des lecteurs
Réponse
Document de travail N°1
Document de travail N°2
Document de travail N°3
Document de travail N°4
Document de travail N°5
Document de travail N°6
Document de travail N°7
Document de travail N°8
Document de travail N°9
Document de travail N°10
Document de travail N°11
Document de travail N°12
Document de travail N°13
Document de travail N°14
Document de travail N°15
Postface à la John Toland
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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