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DES FÉNIANES AUX CULDÉES
OU
LA GRANDE SCIENCE QUI ÉCLAIRE.
TOME II.
LES CULDÉES OU LE CHRISTIANISME CELTIQUE.
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« Cia do chomainmsiu ? » ol Médb frisin n-in gin.
« Fedelm banfili, do Chonnachtaib, mo ainmsea » or ind ingen.
« Can dothéig ? » or Medb.
« hAlbain iar foglaim filidechta » or ind ingen.
« ln fil imbass forosna lat ? » or Medb.
« Fil cin » or ind ingen.
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REGAIN, RÉSURGENCE ET RENAISSANCE, OUI ! RÉSURRECTION À L’IDENTIQUE, NON !
« C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin ».
La comparaison est un processus mental fondamental : regrouper certains faits dans des catégories communes, mais aussi observer les différences. De tels liens et relations sont à la base de la pensée et de la science. Sans cela il n’y a que des faits isolés sans liens entre eux. C’est donc sur la base de la comparaison que naissent les généralisations, les interprétations et les théories. La comparaison crée de nouvelles façons de voir et d’organiser le monde. Le comparatisme religieux est donc vieux comme le monde. Hérodote en faisait déjà. En ce qui concerne les religions antiques, cette démarche intellectuelle a produit de nombreux ouvrages rangés dans les rayonnages « mythologie comparée » depuis Max Muller (1823-1900). En ce qui concerne les religions non antiques il en va tout autrement. Chaque religion s’est bien entendu comparée à celles avec lesquelles elle était en concurrence, mais d’abord pour les dénigrer ou affirmer sa supériorité. Les premiers éléments d’un début de comparatisme religieux plus objectif se trouvent actuellement éparpillés sous l’étiquette « dialogue religieux » et proviennent généralement des religions se définissant elles-mêmes comme monothéistes vu leur extension de par le monde. Le tout dans un but apologétique ou missionnaire évidemment. D’où problème. Nous trouvons également des réflexions utiles dans les cercles relevant plus ou moins de l’athéisme, mais elles sont…
— Soit détaillées, mais focalisées sur une religion particulière.
— Soit plus générales, mais assez sommaires.
Et relèvent d’ailleurs aussi le plus souvent de l’histoire des religions, mais le tout dans une optique non croyante. De grands noms jalonnent cette histoire depuis William Robertson Smith (religion des Sémites) jusqu’à Mircea Eliade en passant par Émile Durkheim. D’autres auteurs ont ouvert de nombreuses pistes en ce domaine. Notre idée est D’EN PROLONGER UN CERTAIN NOMBRE EN ALLANT ENCORE PLUS LOIN DANS CE COMPARATISME RELIGIEUX (élargissement du champ des recherches anthropologiques, approfondissement des soubassements psychologiques, fin des survalorisations, décolonisation, antiracisme nouvelles hypothèses…) ET EN REPRENANT LE FIL INTERROMPU DE LEUR PASSIONNANTE QUÊTE DU GRAAL INACHEVÉE CAR, l’ancien druidisme est un peu comme le célèbre conte du Graal de Perceval et de Gauvain. C’est une histoire inachevée, qui s’interrompt brutalement après les 9000 premiers vers. Notre projet est d’en écrire la suite. Une continuation disait-on à l’époque. Ces petits cahiers destinés aux futurs très-sachants, se veulent à la fois une continuation et une mise en garde. Une continuation ou un ultime prolongement, car ils ont été composés à la manière des théologiens (chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans, etc.) du moins dans ce qu’ils avaient, tous, de meilleur (des éléments souvent d’origine païenne en fait). Une des fonctions de l’imitation a toujours été, en effet, dans les littératures orales populaires, de répondre à l’attente du public, frustré par l’interruption de la création originelle [en l’occurrence la philosophie druidique]. À cette attente a répondu au Moyen-âge, la technique narrative cyclique de la poésie épique des chansons de geste ou celle des Romans de la Table ronde. La voie du pastiche est celle qui consiste à enrichir l’original en le complétant par des touches successives, en développant des détails à peine esquissés, ou en interprétant ses ombres. Et ça, la pensée de nos ancêtres en avait bien besoin ! Mais cette compilation raisonnée, due à la plume de Pierre de La Crau, est aussi en un sens une mise en garde, car il ne fut jamais question, néanmoins, pour le maître d’œuvre de ce travail collectif, d’avaliser tel quel et sans réserve aucune, l’ensemble de ces doctrines. Il a au contraire souhaité, par toutes sortes de moyens littéraires (retournement des arguments, contre-pied, ou autres…) en faire ressortir les aspects souvent négatifs, néfastes, aliénants ou obscurantistes ; et si ce texte peut sembler parfois, rendre indirectement hommage à la capacité de réflexion des diverses Écoles théologiques actuelles, chrétiennes, musulmanes, juives, ou autres, c’est involontairement ; car son but est bien de tout faire, pour leur arracher, des mains, le monopole du discours sur le divin (voir à ce sujet les propos d’Albert Bayet), quitte à achever de les discréditer définitivement aux yeux du public. Sauf en ce qui concerne ce qu’elles ont emprunté de mieux au paganisme, évidemment, et qui est énorme ; car dans ce dernier cas, il s’agit, rappelons-le encore une fois, de la part du maître d’œuvre de cette compilation, d’une réadaptation à notre monde, des réflexions de ces apprentis théologiens (le dieu des philosophes, l’Ahoura Mazda, l’immortalité de l’âme, les hommes-dieux, les fils de dieu, le messie Saoshyant, la trinité, le taouaf, les sacrifices, la vie après la mort, sans compter les chérubins le paradis, etc.)En d’autres termes non pas de l’Histoire, mais une fiction historique, d’après les œuvres de… voir la bibliographie à la fin. En ce sens, notre « imitation » n’est qu’un retour aux sources. En bref un hommage.
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« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme.
Car ainsi que l’a très bien vu Carl Gustave Jung la religion n’est jamais que « l’observation attentive de forces tenues pour des ‘puissances’ : les esprits, les démons, les dieux, les lois, les idées, les idéaux, ou autres, suivant le nom qu’on leur a donné et que l’homme a considéré comme étant assez puissantes, dangereuses, ou utiles pour être soigneusement prises en compte ; ou assez grandes, belles et porteuses de sens pour être pieusement adorées voire aimées » (Psychologie et Religion 1937).
La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi : « Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
« Le Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même ! À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib, à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle)*, ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-Âge. Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible). Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite). Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie). L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque *, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
* Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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LE CHRISTIANISME CELTIQUE.
Sans avoir atteint le degré de romanisation du Continent, l’Angleterre (entendons par là la partie de la Grande-Bretagne située au sud du mur d’Hadrien de Carlisle à Newcastle sur le Tyne) fut assez profondément et durablement marquée par l’occupation romaine. Des villes comme Londres, York ou Lincoln, avaient forum, thermes, théâtre, tout comme Nîmes, Arles ou Autun sur le Continent. Un réseau de routes couvrait le pays ; toute une hiérarchie de fonctionnaires assurait l’administration, l’armée faisait régner l’ordre. On peut donc parler, sans abus de langage, d’une civilisation « britto-romaine » équivalente de la « gallo-romaine » du sud de la Manche.
L’apparition du christianisme en Grande-Bretagne fut une conséquence des invasions romaines et de leur occupation du pays. Partout où régnait la Loi romaine, il est probable qu’il y eut des chrétiens.
Il n’y a donc pas eu d’irruption massive du christianisme, mais une apparition progressive et graduelle, qui a suivi les voies romaines antiques ; et qui, comme l’islam aujourd’hui, n’a pas été considérée au début comme une menace par les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ou les bardes des tribus locales.
Il y a eu aussi des territoires soumis à la Loi de Rome pendant un certain temps dans le nord-est du pays. Entre le mur d’Antonin au nord et le mur d’Hadrien plus au sud.
Le mur d’Antonin est une muraille que l’empereur Antonin le pieux fit construire vers 140 en Bretagne (Grande-Bretagne) par Quintus Lollius Urbicus, entre le Firth de Forth et la Clyde ; et qui « doublait » au nord la fortification déjà édifiée par son père adoptif Hadrien. Il fut submergé par les invasions pictes (écossaises) à la fin du IIe siècle. L’empereur romain Septime Sévère préféra donc abandonner le mur d’Antonin et renforcer celui d’Hadrien, la pression des peuples du nord de l’île se faisant trop forte.
Le christianisme atteignit donc également les garnisons du sud de l’Écosse et notamment le sud du Galloway. Il s’est sans doute répandu dans les vallées de la Dee et du Don à partir de camps romains comme ceux de Normandykes, Raedykes, Kintore et Durno !
Tertullien, tout au début du troisième siècle (vers 200 ?) parle des « Britannorum inaccessa Romanis loca, Christo vero subdita », des localités bretonnes, hors de portée des Romains, mais vaincues par le vrai christ.
Origène, lui, vers 240, parle du christianisme comme d’une force capable d’unir les Bretons (quando enim terra Britanniae ante adventum Christi in unius dei consensit religionem).
Vu la nature essentiellement rurale du pays, la Grande-Bretagne ne possédait sans doute aucun des grands évêchés que l’on peut trouver sur le Continent, évêchés essentiellement centrés sur les villes et en pleine expansion. Les évêques brittons étaient donc vraisemblablement plus « régionaux » même s’il semble qu’au Pays de Galles il y ait eu plus de ressemblances avec le modèle continental (évêques diocésains avec siège fixe).
L’importance de cette Église brittonne peut se déduire du fait que ses évêques ont été invités à participer aux grands conciles continentaux de l’époque : les évêques de York, de Londres et de Colchester, au concile d’Arles en 314 ; dont un certain Eborius (Yvor, Ifor), mais il y en eut également à Nicée en 325, au concile de Rimini en 359 ; et a contrario du fait qu’une des grandes « hérésies » du temps, le Pélagianisme, naquit en Grande-Bretagne. Le Pélagianisme témoigne en effet, indirectement il est vrai, de la profondeur de la pensée théologique de cette Église.
Pélage (360 – 418) fut évidemment considéré comme hérétique par l’Église romaine.
On ne sait pas grand-chose de la biographie de Pélage, mais certains de ses écrits ou des témoignages de l’époque nous fournissent des indications. Pélage était surnommé Morgan, il s’agissait donc sans doute d’un Breton ayant latinisé son nom en Pelagius, suivant la mode régnant à l’époque (pour Augustin c’était un Britto, pour Marius Mercator un Britannus).
Il aurait été d’une tribu bretonne de ce que nous appelons maintenant le Pays de Galles. Comme saint Jérôme, dans son prologue du livre de Jérémie s’y réfère de façon ultra raciste en le qualifiant de « pultibus Scottorum praegravatus » (bourré du gruau d’avoine des Écossais : le fameux porridge) ; la chose a conduit certains auteurs à supposer qu’il était Scot, mais sous la plume de saint Jérôme, Scot est le plus souvent une injure comme une autre.
C’était un homme d’origine sociale modeste, mais d’une grande culture. Il eut un compagnon également Scot (Écossais ou Irlandais) appelé Celleagh, ou Kelly, qui lui aussi, pour suivre la mode de l’époque, prit un nom latin, Cœlestius.
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Morgan et Kelly, ou comme nous les appellerons dorénavant, Pelagius et Cœlestius, arrivèrent à Rome avant l’an 400.
Quoique Pélage ait donné son nom à l’hérésie, il n’en fut pas le plus ardent propagandiste. Ce rôle revint à son disciple Cœlestius.
Ainsi que nous l’avons vu, saint Jérôme combattit cette première tentative de Réforme de l’Église, avec énergie, c’est le moins que l’on puisse dire : il n’hésita pas à recourir à des insultes racistes pour cela ! Il assimila Pélage à Pluton et Cœlestius à son chien Cerbère, en en parlant par exemple en ces termes : « le chien » est meilleur que « le roi ».
Après le départ de Jérôme pour l’Orient, Pélage entreprit de prêcher à l’aristocratie romaine chrétienne. Il prêche une règle de vie assez dure afin de faire d’elle « une élite de la vertu ». Mais son message n’était pas pour autant limité à la seule aristocratie, celle-ci était juste mieux préparée à le recevoir. Sa vie ascétique, en qualité de Servus Dei ainsi que son enseignement, connurent un engouement considérable.
En 410, après la chute et le pillage de Rome, il part pour l’Afrique avec son disciple Célestius et débarque à Hippone pour y rencontrer Augustin, mais celui-ci étant absent, il le rencontrera finalement à Carthage. Il part ensuite dès 411 pour Jérusalem, Célestius restant, lui, en Afrique. La suite n’est que justification, expulsion et condamnation. On ignore la date de sa mort, même si elle est généralement située vers 420.
Voici l’essentiel de sa doctrine. Il n’y a pas de péché originel. Adam a été créé mortel et sujet à la concupiscence. Le baptême n’efface pas une tache originelle – qui n’existe pas – mais seulement les péchés actuels, pour ceux qui en ont commis (il ne faut pas oublier qu’au début du christianisme le baptême était réservé aux adultes). Le baptême est seulement nécessaire pour entrer dans la communauté des fidèles, et le Christ lui-même a subi cette épreuve (car c’est une épreuve, initiatique). Quant à la grâce, ce mot désigne seulement les biens naturels donnés par Dieu (ou le Démiurge évidemment) à l’Homme, notamment sa liberté, à laquelle s’ajoutent les enseignements que nous apportent la révélation et les prédications de Jésus-Christ.
Cette doctrine, qui allait très loin, fut reprise et développée par Celestius : « le péché ne naît point avec l’homme. C’est un acte de sa volonté auquel son imperfection individuelle peut le conduire, mais ce n’est pas un effet nécessaire de l’imperfection intrinsèque de l’Humanité ». Celestius ne voulait pas de baptême pour les enfants, de peur que l’administration de ce sacrement ne fît naître cette idée si fausse et injurieuse pour le Créateur : « L’Homme est méchant par nature même, avant d’avoir commis aucun mal »…
Saint Augustin (354-430). Manichéen converti au christianisme, ainsi que nous l’avons déjà vu.
Crétin et chrétien sont d’ailleurs deux termes ayant la même origine en français. En ce domaine, saint Augustin fut sinistrement l’un et l’autre.
[Une partie des hommes seulement est prédestinée à la vie éternelle, et le nombre en est rigoureusement fixé [comme pour les Témoins de Jéhovah si nous comprenons bien. Étrange petitesse de Dieu qui, apparemment, ne connaît pas l’infini. Note de la rédaction].
Saint Augustin renonce à faire dépendre la prédestination de la prescience ou de la prévision par Dieu ou le Démiurge des mérites de chacun. La prédestination est absolue et pleinement gratuite ; mais au sens strict, elle a pour objet les seuls sauvés… pour les autres, Augustin admet, non qu’ils soient prédestinés à la mort, mais qu’ils sont laissés, par un jugement de Dieu, dans la masse vouée à la perdition et à la destruction.
Le refus d’admettre la justesse du pélagianisme, au moins partiellement, va compliquer pendant des siècles le raisonnement (si l’on peut dire) de la théologie chrétienne, et en fera un véritable casse-tête (jansénisme et ainsi de suite…)
Trois conciles s’opposèrent au pélagianisme : ceux de Carthage, 415 et 417, et celui d’Antioche en 424. Le Concile œcuménique d’Éphèse, en 431, condamna, lui aussi, ce christianisme typiquement breton, en dépit des correctifs de Pélage. Le Pélagianisme subsista néanmoins jusqu’au VIe siècle. Il fut donc surtout combattu par saint Augustin qui, à partir de 412, se déchaîna littéralement contre son ancien ami, et qui a tout fait pour que Pélage soit excommunié. En 419, les empereurs Honorius et Théodose condamnèrent solennellement le pélagianisme. Heureusement à l’époque on n’avait pas encore inventé les bûchers de l’Inquisition. Mais Théodose par contre en 390 à Thessalonique… un effet de la religion d’amour sans doute. Amour quand tu nous tiens…
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Les doctrines pélagiennes furent en partie soutenues par saint Jean Cassien et Vincent de Lérins. Il y eut un léger désaccord entre l’Orient et l’Occident sur la manière de traiter ce problème. Plusieurs théologiens orthodoxes blâmeront Augustin et soutiendront au contraire Cassien.
L’axe central de la théologie de Pélage était le développement moral de l’Homme, comme les druides antiques l’enseignaient apparemment. Le pélagianisme n’aurait donc été que du druidisme habillé à la chrétienne. Voir ! L’idée centrale du pélagianisme était que le libre arbitre de l’Homme est intact et qu’il est parfaitement libre de choisir entre le bien et le mal. Or notre bon docteur, tout héritier des très-sachants de la druidiaction (druidecht) qu’il fut, se trompait. Nous savons maintenant (voir l’étude des rêves commencée par les vrais druides) que l’être humain est aussi déterminé par son inconscient, et ses instincts, car l’homme est aussi un animal.
Pélage ne conserve donc pas seulement, il amplifie la doctrine druidique de l’équilibre. Dieu ou le Démiurge n’est plus que la cause et la fin de l’Homme : dans l’intervalle, ce dernier marche seul. Le pélagianisme n’est pas le druidisme, loin de là. Mais on ne peut que reconnaître une tendance très nettement celtique dans cette doctrine basée sur la liberté… En rejetant la nécessité de la grâce divine, Pélage luttait contre la superstition latine, rétablissait l’idée de responsabilité humaine, et rehaussait sa dignité, que les premiers Pères de l’Église cherchaient, au contraire, à rabaisser, au nom d’une humilité évangélique fort mal comprise.
En 429, Agricola, le fils d’un évêque pélagien nommé Severianus, entraîna les églises bretonnes à sa suite. Bède ajoute que les autres évêques étaient incapables de réfuter les enseignements des pélagiens et qu’ils durent, pour cela, se faire aider par des évêques continentaux. Germain d’Auxerre et Loup de Troyes se rendirent en Grande-Bretagne pour participer à un grand débat contre les pélagiens.
Le christianisme officiel nous présente leur mission comme ayant été couronnée de succès, mais on peut en douter étant donné que saint Germain dut y retourner une seconde fois en 444, en compagnie d’un disciple de saint Loup appelé Severus ; toujours pour y combattre le pélagianisme.
Beaucoup de contestations ultérieures du christianisme dogmatique sont sorties de cette faille dans la doctrine chrétienne et n’ont donc été, dans le fond, que des variantes du pélagianisme.
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SAINT NINIAN.
Ainsi que nous l’avons déjà rappelé plus haut, le mur d’Antonin était une muraille que l’empereur Antonin le pieux avait fait construire vers 140 par Quintus Lollius Urbicus entre l’estuaire en forme de fjord du fleuve appelé Forth et celui de la Clyde. Il « doublait » au nord la fortification déjà édifiée par son père adoptif Hadrien. L’empereur romain Septime Sévère préféra l’abandonner pour renforcer celui d’Hadrien, la pression des peuples du nord de l’île se faisant trop forte.
Saint Ninian (Nenn, diminutif Nennan, ce qui en latin a donné Nennius ou Ninnianus) est né vers 360 dans le Nord-ouest de l’Angleterre (ou si l’on préfère au sud-ouest de l’Écosse). Dans ce qui était alors un territoire redevenu indépendant après le recul de l’armée romaine. C’était le fils du chef d’une tribu appelée les Novantae.
Le général romain Théodose dit l’Ancien put néanmoins reconquérir la zone située entre les deux Murs (l’Hadrien et l’Antonin) avant qu’il ait dix ans.
Le futur saint Ninian fut alors envoyé à Rome en tant qu’otage, pour y être élevé à la romaine. D’autres auteurs pensent qu’il ne fut jamais envoyé à Rome, mais instruit à la façon de Rome, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Il y avait là en effet, dans cette partie des Îles Britanniques, une Église déjà bien établie, et tout ce qu’il y avait de plus officielle depuis plusieurs décennies, puisque le père de Ninian lui-même, apparemment, était déjà chrétien.
Ninian est considéré comme le premier prédicateur chrétien majeur des peuples vivant au-delà du Mur d’Hadrien, c’est-à-dire en dehors du territoire autrefois sous domination romaine.
Ce qui est certain c’est qu’il devint évêque, mais décida de rentrer chez les siens après avoir fait la connaissance de saint Martin de Tours, et accompagné, peut-être, par des maçons et des artistes continentaux.
Il débarque à Whittern (Quhithern, Witerna), aujourd’hui, l’île de Whithorn (qui, en fait, n’en est pas une) au sud-ouest de la Calédonie, la future Écosse, dans le comté de Wigtonshire (ou Witgtownshire). En bref la région du Galloway, alors redevenue romaine pour quelques années, ainsi que nous avons pu le voir. C’est là qu’il fonde vers 385-397 le monastère de Candida Casa (traduction latine du picte « Hwit Aerne » : la « Maison Blanche » ou la « Maison Éclatante »), mais aussi Magnum Monasterium, Monasterium Rosnatense, Monasterium Alba ; bref, un monastère placé sous le patronage de saint Martin. C’est de là qu’il partira pour évangéliser les Bretons du nord et les Pictes du Sud, après le départ des Romains. Car en évacuant la zone, les soldats « romains » (les guillemets s’imposent, beaucoup étaient indigènes) laissèrent en effet derrière eux, dans la région du Solway, un évêque qui parvint à faire ce que les légions n’avaient jamais pu accomplir jusque-là.
Ninian ne resta pas en effet longtemps dans sa Candida Casa. Bède mentionne le travail de Ninian au-delà de l’ardua et horrentia montium juga, la longue arête de ligne de partage des eaux qu’est le Druim Albann, connu des Romains comme étant le Dorsum Britanniae. Bède parle de ces tribus comme étant des « Pictes du Sud », mais, quand sa célèbre carte est bien orientée, le sud y devient l’est. Ninian a, en fait, suivi l’itinéraire naturel partant de Whithorn et passant par Glasgow, Stirling, pour finir dans les Plaines du nord-est, où l’archéologie moderne a révélé de très nets restes de son passage.
L’influence de saint Ninian s’exerça même au-delà de la Calédonie, puisque beaucoup de grands saints irlandais furent formés là-bas. Notamment saint Tighernac et saint Kiaran, le fondateur de la grande école de Clonmacnois ; saint Finian et saint Kevin ; saint Finnbarr de Moville, le maître de Colum Cille (saint Columba d’Iona) fondateur supposé de la cathédrale de Dornoch ; et Caranoc, celui qui baptisa le futur saint Patrice.
Le corps de saint Ninian fut enterré dans l’église de Whithorn (Wigtownshire), mais il n’en existe aucune relique. La « Clogrinny », ou cloche de saint Ringan (Ninian), par contre, est conservée au musée national des antiquités d’Édimbourg.
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Au moment où Ninian mourut, en 432, l’Empire avait perdu l’Espagne, la Gaule, la Grande-Bretagne. La communauté de saint Ninian devint donc l’ultime refuge d’un certain nombre d’exilés, y compris, sans doute, de savants ayant fui le Continent.
Chez les premiers chrétiens, les communautés portaient généralement le nom de leur fondateur.
On trouve des sites d’église consacrée à saint Ninian y compris dans l’extrême nord de l’Écosse comme dans les îles Shetlands. Quelques-uns étaient si vieux qu’ils étaient déjà abandonnés au sixième siècle.
Certains historiens pensent néanmoins que l’on a beaucoup exagéré le nombre et l’étendue de ses conversions. Saint Patrice, dans sa lettre à Coroticus, qualifie les Pictes d’apostats, et des allusions à un possible abandon du christianisme de la part des convertis de saint Ninian se trouvent également sous la plume de saint Columba d’Iona, ou de saint Kentigern. Ce qui est certain néanmoins, c’est qu’un grand nombre d’églises portent son nom dans le sud de l’Écosse.
Après l’usurpation de Constantin III (407-411), les Bretons autochtones furent contraints d’assurer seuls la défense de leur pays contre les infiltrations de plus en plus fréquentes et de plus en plus dangereuses, des Jutes, des Angles, et des Saxons. On estime en effet généralement que les campagnes menées par l’usurpateur sur le Continent, tant pour repousser les Barbares que pour affirmer ses prétentions impériales ; opérèrent une telle ponction sur les effectifs militaires de la (Grande) Bretagne, qu’à partir de 411 le pays se trouva quasiment dépourvu de troupes « romaines ».
La résistance bretonne indigène fut efficace pendant à peu près quarante ans. Les incursions barbares restèrent limitées ou sporadiques. Mais en 449, il semble s’être passé « quelque chose » à cause d’un certain Vortigern. Celui-ci aurait, dit-on, imploré les Saxons d’intervenir en Bretagne, afin d’y défendre son autorité menacée par des ennemis intérieurs.
Vortigern en réalité a peut-être tout simplement essayé de dresser les Barbares les uns contre les autres (Saxons contre Pictes, Scots contre Pictes, Angles contre Scots, etc.) conformément à une tradition stratégique bien romaine certes, mais aussi universelle… Ce qui est certain en revanche, c’est que cette affaire a fini par mal tourner pour les Bretons : les Saxons appelés par Vortigern se plurent si bien en (Grande) Bretagne, qu’ils appelèrent leurs compatriotes à venir les rejoindre. Ensuite, ils s’allièrent aux Angles et aux Jutes, au lieu de les combattre, et ce fut le début de la fin de la civilisation britto-romaine dans ce qui allait devenir l’Angleterre…
La destruction des villes par les Anglo-Saxons repoussa le christianisme dans les terres pauvres de l’ouest où il prit alors un caractère rural et donc celtique… nouveau pour lui.
Isolés aux confins occidentaux du Continent par les invasions de Barbares demeurés païens (Angles, Saxons, Jutes, Frisons et autres Francs), les Celtes christianisés furent par conséquent coupés de Rome et de la doctrine officielle de l’Église durant plusieurs siècles. Ainsi se constitua progressivement, par le maintien de pratiques anciennes, autant que par l’apport d’éléments nouveaux issus du caractère celte, une chrétienté originale.
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PALLADIUS OU PLEDI.
La vie et l’œuvre de Palladius sont obscures. Le Pape de l’époque envoya ce diacre en mission pour contrer les progrès du pélagianisme dans les îles Britanniques. Chronique de Prospère d’Aquitaine, en 431 : « Palladius, ayant été ordonné par le pape Célestin, est envoyé comme premier évêque aux Scots croyant dans le Christ ». L’expression « In Christum credentes » implique l’existence, déjà sur place, de communautés chrétiennes, et cette mission souligne d’ailleurs la volonté de Rome de les faire entrer dans l’obédience pontificale.
Mais de quels Scots pouvait-il s’agir ? ? Ceux d’Irlande ou ceux d’Écosse justement ? ? Sans aucun doute l’Irlande. Il y avait déjà des chrétiens là-bas en ce temps-là. Sans doute grâce au commerce maritime reliant l’Espagne et la Gaule à l’Irlande.
Et comme le pélagianisme était en train d’y progresser, il est vraisemblable que Célestin y envoya Palladius pour le combattre aussi dans cette île. Les traditions irlandaises les plus anciennes désignent Wicklow comme étant le lieu où Palladius débarqua pour s’enfoncer vers l’intérieur.
Les Scots d’Irlande lui réservèrent un accueil assez froid. La mission de Palladius fut un échec et la même année qui vit son arrivée vit également son départ. Les Irlandais chrétiens se méfiaient de Rome et de tout ce qui en venait. Ses évêques, ils le savaient suivaient les traces de ses empereurs, et cherchaient à s’emparer du gouvernement universel de l’Église.
En outre le sacerdoce druidique était encore puissant en Irlande, les Romains n’ayant jamais réussi à s’y implanter (durablement). Les Irlandais païens ne s’y intéressèrent donc même pas.
D’après Daibhi O’Croinin les évêques Secundinus (Sechnall) Auxilius (Usaille) et Iserninus auraient néanmoins été trois de ses compagnons de voyage restés sur places. Quoi qu’il en soit ce qui est certain c’est que Palladius retraversa la mer et finit ses jours chez les Pictes d’Écosse (Muirchu).
L’endroit précis du territoire picte où l’infortuné légat du pape Célestin est mort, nous est indiqué par une autre biographie antique. La scholie sur l’Hymne de Fiacc, rapportée par Colgan, dans sa collection des Vies de saint Patrice ; nous dit en effet à propos de Palladius : « Il ne fut pas bien reçu et fut forcé de remonter le long des côtes d’Irlande vers le nord ; jusqu’à ce que, poussé par une grande tempête, il atteignît la partie extrême de Moidhaidh vers le sud, où il a fondé l’église de Fordun, et où il fut honoré sous le nom de Pledi ».
Une autre biographie datant des environs de l’an 900 précise que Célestin, quand il l’envoya en mission, lui remit les reliques de saint Pierre et de saint Paul ; qu’il a débarqué dans le Leinster, qu’un chef nommé Garrchon lui a résisté, que, néanmoins, il a fondé trois églises, et y a déposé les os des apôtres ainsi que certains livres que le Pape lui avait donnés ; mais que peu de temps après, il mourut dans la plaine de Girgin, en un lieu appelé Fordun. Girgin ou Maghgherginn est le nom irlandais désignant le Mearns. Un autre de ses biographes écrit qu’il reçut la couronne de martyr à Fordun. Ce qui est loin d’être assuré (un énième mensonge de plus de la part des chrétiens), car les Pictes du Sud étaient déjà chrétiens à l’époque et n’avaient par conséquent aucune raison de le traiter ainsi. Voir le cas de saint Ninian. L’histoire de Palladius ou Pledi est donc assez embrouillée.
C’est chez les Scots d’Irlande qu’il est envoyé, mais c’est chez les Pictes du Mearns que nous trouvons le premier monument attestant son action. Si Palladius avait directement fait voile sur Rome, il aurait dû débarquer au Pays de Galles ou dans le nord de la France. Au lieu de cela, nous le trouvons débarquant sur la côte orientale de l’Écosse. Il a dû y avoir eu quelque raison à cela. Palladius n’était en aucune façon pressé de rentrer à Rome y annoncer l’échec de sa mission, à savoir que les Scots chrétiens n’avaient pas voulu de lui comme évêque et que les Scots païens l’avaient complètement ignoré. Expulsé par le roi Garrchon, il a sans doute navigué vers le nord dans l’espoir de trouver dans une autre partie de l’Irlande une tribu plus favorable à son entreprise ; et dont la conversion au christianisme aurait pu compenser l’échec de sa première tentative. Mais une tempête en décida autrement !
Ce qui est certain c’est qu’après des années d’errance Palladius/Pledi a fini ses jours à Fordun dans le Mearns.
Le village de Fordun est situé sur un éperon des monts Grampians, dominant les plaines cultivées du Mearns. Dans son cimetière se trouve une petite maison à l’air très ancien. Ses murs épais, son toit très bas, et la petite fenêtre, par laquelle le soleil lutte sans grand succès pour dissiper l’obscurité de l’intérieur, en font plutôt une caverne qu’un sanctuaire. Cet édifice passe pour avoir été la chapelle de Palladius.
Quand Palladius/Pledi est arrivé en Écosse, on dit qu’il y trouva des individus « habentes fidei doctores et sacramentorum ministros presbiteros et monachos, primitivae ecclesiae solum modo sequentes ritum et consuetudinem ». Il existe des doutes sur cette visite de Palladius en Écosse, mais
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des documents comme le Bréviaire d’Aberdeen, bien que dénués de toute valeur historique, nous en ont néanmoins conservé des traces probables. Le Bréviaire d’Aberdeen nous rapporte en effet que saint Servan ou Serf vécut « sub forma et ritu primitivae ecclesiae ». Donc qu’il y avait des chrétiens avant saint Servan ou saint Serf lui-même, dans la région. L’œuvre de Ninian parmi les Pictes semble par conséquent avoir été poursuivie, non seulement par ses disciples, mais par saint Palladius/Pledi, qui mourut en laissant sa charge à ses élèves saint Ternan et saint Serf/Servan. Banchory-Ternan est le bangor ou école monastique de saint Ternan. Quant à saint Servan (saint Serf), lui, il poursuivit l’œuvre de saint Ninian dans le Sud-Ouest, mais sous le règne d’un autre roi que celui des Pictes. Il fut le maître de saint Kentigern à Culross.
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SAINT PATRICE.
Ainsi que le montrent bien les termes mêmes de la lettre de mission de Palladius, il y avait donc déjà des chrétiens en Irlande à son époque, des gens « in christum credentes ». Un des premiers saints irlandais connus semble avoir été par exemple l’évêque d’Ossory saint Ciaran l’ancien qui vécut dans la deuxième moitié du quatrième siècle (352-402 ?). On cite aussi régulièrement les dénommés Auxilius, Secundinus et Iserninus pour ce qui est du Munster et du Leinster.
Mais le premier vrai contact de l’Irlande avec Rome l’a été par l’intermédiaire du christianisme de saint Patrice qui fut donc une tête de pont de cette forme de religion dans l’île. On ne sait malheureusement rien de vraiment sûr à son sujet. L’histoire de la Bretagne romaine au Ve siècle est assez peu connue, et plus on avance dans ce siècle, plus les documents se font rares… jusqu’à disparaître complètement – ou peu s’en faut – après 450.
À en croire saint Patrice lui-même, il aurait été païen ou presque, jusqu’à l’âge de seize ans.
« Moi Patrice, humble pécheur, le plus simple des campagnards, le dernier des fidèles et le plus méprisable aux yeux de beaucoup, je suis le fils du diacre Calpurnius, fils de de feu Potitus, un prêtre de Bannaven Taburniae (vicus = village) ; il possédait non loin de là un petit domaine où je fus enlevé. J’avais alors environ seize ans. Et je ne connaissais pas le vrai Dieu alors ». (Extrait du document intitulé « la confession de saint Patrice ».)
Notons néanmoins, tout comme dans le cas de Mahomet par exemple, que rien ne prouve avec certitude que ce document est authentique. Il contient notamment beaucoup d’assertions (des récits de miracles notamment ou des contradictions) difficiles à croire.
Mais là encore, comme dans le cas de Mahomet, nous n’avons rien d’autre pour satisfaire notre curiosité, alors…
Issu d’une famille bretonne romanisée puis christianisée, Calpurnius et Conchessa – son père était un officier subalterne de l’armée romaine (un décurion) et son grand-père diacre – Patrice serait né vers 385-390 en Angleterre, dans la région de Dumbarton, ou au Pays de Galles. Son lieu de naissance le plus probable est un petit village le long de la côte occidentale de ce qui était alors la Grande-Bretagne romaine, près de l’embouchure de la Severn. Quel que soit exactement son lieu d’origine, ce qui est certain, c’est qu’il était celte. On lui donna le nom de Magonus Succatus, en gallois Maelwyn Succat. Il reconnaît lui-même ne pas avoir fait preuve d’un christianisme très évident jusqu’à ses seize ans. S’il avait été à l’époque arrêté sous l’inculpation d’être chrétien, il aurait sans doute été relâché, comme on dit un peu familièrement, « faute de preuves ».
Dans les premières années du Ve siècle (vers 401 ou 402), il est enlevé à l’occasion d’une expédition de pirates irlandais sur son village. Des centaines de personnes furent d’ailleurs capturées puis vendues comme esclaves avec lui. Pendant six ans il servit en tant que porcher dans les montagnes d’Irlande du Nord, pour le compte du roi local. Ce fut à cette époque (apparemment remplie de longues périodes de solitude au cœur de ces montagnes perdues, en la seule compagnie de ses troupeaux de porcs) que Maelwyn semble s’être vraiment converti au christianisme. Tout en apprenant le gaélique et des rudiments de druidisme auprès des conseillers de son maître, notamment le druide chargé de ses troupeaux de porcs, qui se nommait Miluc.
En 411, après avoir vu en rêve Dieu (ou le Diable ?) lui indiquant qu’un navire l’attendait à Westport, à 300 km de là, il se serait alors évadé, puis serait parvenu à rejoindre sa famille en Grande-Bretagne. Il devient prêtre et part pendant douze ans acquérir sur le Continent la formation religieuse qui lui manque. Là il est possible qu’il se soit fixé à Auxerre, comme l’affirme la vie de saint Patrice selon Muirchu, et même qu’il ait été ordonné évêque par saint Germain, avant d’être envoyé en Irlande par le pape Célestin. Il prend alors le nom de Patricius, Patrice en latin (en gaélique Padraig).
Entre-temps il avait fait toute une série de rêves étranges dans lesquels des habitants de l’île d’Irlande le suppliaient de revenir en lui disant : « Rogamus te, sancte puer, ut venias et adhuc ambules inter nos » « Nous te supplions d’être de nouveau parmi nous ». Dans un de ces rêves, un homme du nom de Victoricus lui délivra même un message intitulé « La Voix des Irlandais ».
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A.B.E. Hood pense que ce Victoricus est peut-être le saint Victricius évêque de Rouen qui fut le seul homme d’Église européen de l’époque à défendre voire à pratiquer la conversion des païens, et qui se rendit même officiellement à cet effet en Grande-Bretagne, en 396.
Ses supérieurs le trouvaient pourtant trop ignorant ou ne le jugeaient en aucune façon qualifié, en tant que théologien ou en tant qu’orateur, pour une telle mission. C’est du moins ce que l’on peut déduire en creux ou a contrario, des aveux de sa « confession ». Sur ce point elle doit être authentique.
Mais quand Palladius abandonna l’Irlande pour s’installer en Écosse, Patrice renouvela sa demande, et là ses supérieurs consentirent enfin, cette fois-ci, faute de mieux, à l’envoyer en mission officielle dans le pays afin d’y implanter le christianisme de type catholique romain.
D’après les Annales d’Ulster, Patrice serait arrivé dans l’île en 432, en débarquant à Saul, près de Downpatrick. Selon la tradition, c’est lui qui aurait converti l’Irlande en défiant les très-sachants de la druidiaction (druidecht) dans des joutes singulières, comme l’épreuve du feu. Et en expliquant le mystère de la Sainte-Trinité par la feuille trilobée du trèfle, qui deviendra donc, avec la harpe, un des symboles de l’Irlande.
Le symbole druidique du trèfle a été en effet repris par saint Patrice, afin d’expliquer le mystère de la sainte poly-unité réduite à trois personnes. Le fait qu’il y a une seule tige illustre bien qu’il n’y a pas trois dieu-ou-démons distincts, mais un seul, aboutissant à trois entités distinctes. La fête de la saint Patrice est d’ailleurs encore appelée aujourd’hui la « fête du Shamrock », c’est-à-dire du trèfle. Si des incertitudes planent sur la date exacte de sa mort, sans doute vers 461, il n’en demeure pas moins qu’à la fin du Ve siècle, l’Irlande païenne était en grande partie christianisée.
Isolée de la papauté romaine par les invasions barbares, l’Irlande, comme les autres pays celtiques, pendant près de deux siècles sera donc le dernier refuge du christianisme occidental face à un Continent retombé en grande partie dans la barbarie. Mais un foyer original que Rome ne tardera guère à vouloir reprendre en main. Elle fut alors un véritable phare dans la nuit qui s’était abattue sur l’Occident. Ses écoles rivalisaient avec les communautés monastiques du Continent et attiraient même à elles des disciples venus de Gaule. On y cultivait les lettres antiques, non seulement Virgile et Ovide, mais les auteurs grecs également. On est par exemple étonné de voir que Colomban de Bobbio composait aussi des poèmes acrostiches en se réclamant de la poétesse Sapho (dans une lettre adressée à son ami Fedolius).
Bien que ce mètre
Puisse vous sembler fort étrange
C’est pourtant le même
Que celui que la fameuse poétesse
Sapho de Grèce,
A jadis utilisé pour sa poésie.
C’est d’ailleurs dans ce culte de l’Antiquité pratiqué en Irlande à l’époque qu’il faut chercher les germes de ce qui sera la Renaissance carolingienne sur le Continent.
En attendant, pour ce qui est de l’Irlande, tout ce processus a donné dans l’Extrême Ouest de l’Europe du VIe au Xe siècle, l’hiberno-latin ou latin hispérique ; dont les œuvres les plus représentatives sont à la fois les prières de type litanie ou lorica (voir Gildas et son De excidio Britanniae par exemple) ainsi que les Hisperica famina. Des exercices scolaires dont le but était d’apprendre à des étudiants étrangers un latin aux antipodes du latin populaire (mots rares et savants, archaïsmes, ou au contraire néologismes, jeux de mots, etc.). Outre Gildas et sa fameuse lorica, les principaux auteurs ayant écrit en latin hispérique ou hiberno-latin, sont saint Colomban d’Iona (son hymne intitulé « altus prosator ») et saint Adamnan. Jean Scot Erigène sera sans doute le dernier à l’utiliser. À moins que l’on ne rattache aussi à ce courant certains des poèmes de sainte Hildegarde de Bingen. Le Finnegans Wake de James Joyce nous donne une idée de ce que ce genre de littérature pouvait donner.
Les Hisperica Famina ont sans doute été composés à Bangor et c’est sans doute également à Bangor que l’on doit les aventures de Bran fils de Fébal, et de Mongan, ainsi que le texte intitulé « l’enlèvement du bétail de Froech ». Le monastère de Bangor semble bien en être le principal foyer de diffusion.
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La question est : peut-on trouver des traces de pensée druidique dans ces textes écrits en un si étrange latin, au VIe siècle probablement à partir de 660 ? La réponse des spécialistes actuels est non, mais ce qui est certain c’est que la tonalité générale de ces textes n’est pas spécialement chrétienne.
Bède le vénérable et saint Aldhelm de Malmesbury confirment que les écoles irlandaises avaient aussi un enseignement purement laïc. Bède rapporte par exemple une anecdote, attribuée à un Anglais du nom de Willibrord, qui nous parle d’un étudiant irlandais, fin lettré, mais guère préoccupé par le salut de son âme (HE III, 13). Aldhelm lui, entre 673 et 706, a écrit une lettre à un Anglais du nom de Wihtfrith, qui avait l’intention d’aller poursuivre ses études en Irlande. Aldhelm le met en garde contre les tentations et l’encourage à éviter l’enseignement concernant les dieu-ou-démons de l’Antiquité, ainsi que leurs mythes.
Il est possible de séparer le « discours des litanies » des autres discours en prose ou en vers visant à louer ou à décrire. En mettant l’accent sur un message direct, et en utilisant les ressources maximales du vocabulaire sur un domaine précis, la litanie nous paraît frayer le chemin à ce qui sera notre véritable prose moderne. Mais la litanie repose aussi sur un autre postulat : un tout peut être parcouru, la peinture du monde est donc possible, même si pour l’heure l’accumulation prime.
Si nous leur ajoutons certains courts poèmes ressemblant à des prières et qui comportent un sens aigu de la beauté de la Nature ; ou ces « cuirasses » (« loricae ») qui servent à protéger celui qui les récite contre tous les maux de l’existence ; cela nous donne déjà une production savoureuse, d’un beau lyrisme, et digne de figurer dans des anthologies poétiques. « Et argute loqui » note Caton l’ancien à propos des Celtes.
« Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh ». « La vérité dans nos cœurs, la force dans nos bras et l’art de bien parler », répond Caletios/Cailte à saint Patrice, dans l’Acallamh na Senorach.
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PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU CHRISTIANISME CELTIQUE.
Nous laisserons ici volontairement de côté la controverse sur le fort romain du promontoire de Drumanagh (Loughshinny) situé à 24 km au nord de Dublin et la citation de Juvénal déclarant « nous avons porté nos armes au-delà des rives de l’Irlande » vu leur caractère anecdotique.
Tacite, Vie d’Agricola chapitre XXIV : « Un des petits rois de cette nation [l’Irlande] chassé par une faction adverse fut reçu par Agricola, qui le retint sous le prétexte de l’amitié afin de pouvoir s’en servir. Je l’ai souvent alors entendu dire qu’une seule légion et quelques auxiliaires pourraient conquérir et occuper l’Irlande. »
Les Romains peuvent donc parfaitement avoir aidé Túathal Techmar *, ou quelqu’un comme lui, à recouvrer son trône, afin d’avoir un voisin ami, capable d’empêcher les incursions irlandaises.
* Note de la rédaction. Ainsi que nous l’avons déjà dit, T. F. Ô’Rahilly pense que, comme dans le cas des nombreux récits de « retours d’exil », Túathal est, en fait, le chef d’une invasion d’étrangers, qui ont établi leur dynastie en Irlande. Les soutiens de cette dynastie lui ont ensuite fabriqué une origine irlandaise, afin de lui donner plus de légitimité. Leurs généalogistes incorporèrent toutes les dynasties, goïdélique et autres, ainsi que les dieu-ou-démons de leurs ancêtres, dans un arbre généalogique remontant, sur plus de mille ans, jusqu’au mythique Mil d’Espagne. Ce serait ces envahisseurs qui auraient introduit le gaélique ou langue celtique en – q au milieu de populations aborigènes diverses.
Mais enfin peu importe. Ce qui est certain c’est que l’Irlande, à la différence de la Grande-Bretagne, n’a pas été soumise à Rome ou à la Loi romaine, ainsi que nous le rappelle, non sans humour, ce célèbre quatrain du IXe siècle, sans doute composé par un pèlerin désabusé.
Techt do Rôim…
Se rendre à Rome
Peu de bénéfice, beaucoup de peine
Le maître que tu iras chercher à Rome
Tu le trouveras chez toi ou tu le chercheras en vain.
(Ces deux quatrains en irlandais se trouvent au folio 23 du codex Boernerianus de la bibliothèque royale de Dresde).
Sur le Continent la christianisation s’est coulée dans le mode romain d’organisation du territoire, et cela nous a donc donné des évêques et des diocèses fixes, centrés sur les grands centres urbains. En Irlande il en alla tout à fait différemment, car la conversion de l’île se fit par le haut (les rois, les chefs de clan) et non par le bas (les esclaves, les gens du peuple). Certains chefs de tribu ont donc concédé à des chrétiens, et notamment à des moines, de plus ou moins grandes parties de leur territoire, afin d’y bâtir des lieux de culte. En aucun cas des villes puisqu’il n’y en avait pas dans le pays à l’époque. C’est donc sous la forme de monastères que le christianisme va se développer en Irlande aux VIe et VIIe siècles, et non par la constitution de diocèses, à l’exception de celui d’Armagh. Peut-être.
Leurs saints fondateurs ne se réfèrent jamais à Palladius ou à Patrice, dont on semble même oublier le nom, ainsi que nous l’avons dit. En voici quelques-uns.
Ibar, Iberius, Ivor. Œuvra dans l’actuel Comté de Wexford de 425 à 450. Il aurait reconnu la suprématie de saint Patrice, et aurait été confirmé par lui dans son épiscopat. Vers 480 il s’installe à Begerin, où il construisit un oratoire et une cellule. Dans la « Vie de saint Abban » son neveu, il est indiqué que la retraite de saint Ibar fut vite remplie de nombreux disciples venant de toutes les parties de l’Irlande. Et la « Litanie d’Aengus » invoque les 3000 confesseurs qui se placèrent sous sa direction. Son neveu, saint Abban, un garçon de douze ans, vint à Begerin alors qu’il était déjà passablement âgé puis l’accompagna en pèlerinage à Rome. Sa mort est rapportée par une Chronique qui la date du 23 avril 500, jour où sa fête est observée.
Enda, Eanna, Endeus, Enna, né dans le Meath ; mort à Killeany, vers 530 ou 590. C’était un prince irlandais, fils de Conall Derg d’Oriel (Ergall) en Ulster. Il aurait appris les principes de la vie monastique à Rosnat/Rosnan, une fondation de saint David dans le Pembrokeshire au Pays de Galles, ou de saint Ninian dans le Galloway. Retourné en Irlande, il construisit des églises à Drogheda, et un monastère dans la vallée de la Boinne.
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Vers 484 il obtint de son beau-frère, le roi Oengus (Aengus) de Munster, l’île d’Aranmore, dans la baie de Galway. Il y fonda le monastère de Killeany, qui est considéré comme le premier vrai monastère irlandais au sens strict du terme.
Finian, Finden, Vennianus, Vinnianus, naquit dans le Leinster vers 470, au sein d’une famille noble de Myshall dans le comté de Carlow. Et c’est sans doute là qu’il devint chrétien puisque ses trois premières fondations se trouvent dans la région : Rossacurra, Drumfea, et Kilmaglush. Il passa ensuite plusieurs années au Pays de Galles auprès de saint Cadoc de Llancarfan, saint David de Menevia, et saint Gildas. Il vivait de pain, de légumes, et d’eau, et dormait à même le sol avec une pierre comme oreiller. Vers 520, il retourna en Irlande où il bâtit des églises et plusieurs monastères, dont Aghowle (Comté de Wicklow) et Mugna Sulcain. Sa fondation la plus remarquable fut Clonard, sur la Boinne, dans le Meath, qui sera la plus grande école de l’époque. Plus de 3000 disciples. Chacun d’entre eux quittait le monastère après sa formation en emportant avec lui un Livre des Évangiles, une crosse, et un reliquaire, sur lequel il pouvait bâtir une église ou un monastère.
Saint Comgall. Né en Ulster, vers 517 ; mort à Bangor, en Irlande, en 603. Les chroniqueurs nous décrivent Comgall comme un guerrier lorsqu’il était jeune homme ; mais nous disent aussi qu’il étudia sous saint Fintan au monastère de Cluain Eidnech, qu’il fut ordonné prêtre avant ses quarante ans, et qu’il partit fonder un ermitage avec quelques compagnons à Lough Erne. La règle qu’il imposa fut si sévère que sept d’entre eux en moururent. Il quitta l’île et fonda ensuite un monastère à Bangor (Bennchor), sur la rive sud du lac de Belfast, où il forma saint Colomban de Bobbio et nombre de moines qui évangélisèrent par la suite le centre de l’Europe. Deux autres de ses moines christianisèrent l’Écosse, saint Moluag de Lismore, à Argyll et saint Maelrubha d’Applecross à Ross. Bangor fut le monastère le plus célèbre de son époque en Irlande, et Comgall est réputé pour avoir dirigé jusqu’à 8000 moines, en ce lieu ou dans des établissements fondés par Bangor.
Bien que Comgall soit surtout connu pour son ascétisme (on rapporte qu’il ne prenait un repas complet qu’une fois par semaine, le dimanche), nombre de miracles le concernant ont justement trait à la nourriture. Un jour un paysan refusa de vendre du blé à ses moines, en disant qu’il préférait que sa belle-mère (appelée Luch) le mange, plutôt qu’eux. Or « Luch » en gaélique signifie également « souris ». Saint Comgall lui répondit donc : « Qu’il en soit ainsi, que Luch le mange ». Et cette nuit-là, une armée de souris vint dévorer tout le blé de l’homme en question, soit l’équivalent de 30 charrettes.
Un groupe de voleurs s’introduisit un jour sur les terres du monastère, afin de voler des légumes, mais les prières de Comgall les rendirent aveugles, jusqu’à ce qu’ils se repentent. Ensuite ils furent admis dans la communauté.
Une autre fois encore, alors que les moines étaient à court de vivres, et qu’ils attendaient pourtant des visiteurs, saint Comgall pria Dieu, et un banc de poissons vint miraculeusement s’échouer sur la rive. Les frères purent ainsi recevoir dignement leurs invités.
Comgall est dit être parti quelque temps aussi en Écosse, où il aurait vécu dans un monastère situé sur l’île de Tiree. Il aurait aussi accompagné saint Columba d’Iona dans son voyage missionnaire à Inverness, afin de christianiser les Pictes. Columba et Comgall auraient cheminé ensemble à travers le Grand Glen et prêché devant le roi Brude, puis fondé un monastère dans la région.
Selon l’usage en vigueur à l’époque, l’abbé ou l’abbesse devenait donc propriétaire des terres et de la fortune du monastère. Or le territoire couvert par ce genre d’établissement pouvait avoir la taille d’une principauté parfois, et les moines devaient obéissance à leur abbé ou à leur abbesse, comme les membres d’un clan à leur chef. Les chrétiens qui habitaient les villages environnants relevaient aussi de son autorité. Raison pour laquelle les chefs de clan réclamaient d’ailleurs souvent la dignité d’abbé pour eux-mêmes, ou un de leurs proches, et la transmettaient de génération en génération.
L’Église celte n’eut donc jamais au départ une organisation territoriale aussi nette que sur le Continent ni un nombre d’évêques fixe. Ceux-ci étaient le plus souvent des moines, élus à cette dignité. Ils restaient cloîtrés dans leur abbaye ou circulaient à travers le pays, sans avoir de siège épiscopal bien déterminé. Les prêtres, issus eux aussi des monastères, étaient également itinérants, et ne s’estimaient pas tenus de respecter des limites territoriales. En outre comme chaque tribu ou clan avait son propre monastère, chaque monastère avait donc ses propres coutumes, et ses propres fêtes religieuses.
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Le christianisme qui s’est développé en Irlande fut donc centré sur lesdits monastères. Il était orienté selon la vie qui avait cours dans ces institutions, et variait entre le cénobitisme et l’érémitisme. Une antique tradition païenne si l’on peut en croire le témoignage de Plutarque.
« … Démétrius dit que parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées, voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai] » (Plutarque. De defectu oraculorum 18).
Comme chaque tribu ou clan avait son monastère, chaque monastère avait ses propres coutumes et ses propres fêtes religieuses, donc sa propre règle, avons-nous dit ; mais celle-ci dépendait aussi évidemment du contour que voulait lui en donner celui qui dirigeait l’établissement. La plupart du temps néanmoins, l’abbé fondateur reprenait d’ailleurs celle du monastère dont il était issu.
Fondateur et vivant sur le chef-lieu de sa communauté, l’abbé donc était le personnage central de la population religieuse qui vivait là, il avait droit de regard sur toute sa juridiction. Chef spirituel, il rendait des visites, célébrait les offices, mais faisait aussi acte d’autorité temporelle en nommant, sanctionnant, ou déplaçant, les supérieurs locaux, en surveillant la gestion des biens, en désignant son remplaçant éventuel. L’abbé doublait d’ailleurs souvent son titre de celui d’évêque. Cela se faisait beaucoup en Irlande, en Grande-Bretagne, ou en Armorique. La charge d’évêque était très diversifiée alors et concernait aussi bien des abbés que de simples moines itinérants. Si une élection à une succession était nécessaire, on réunissait tous les adeptes de l’institution, qui choisissaient un membre de la famille du fondateur.
LE CULTE.
Il n’y a jamais eu de liturgie celte au sens strict du terme, mais le rite gallican a dû être le noyau de la première liturgie. Les églises celtiques se distinguaient de l’Église de Rome, non par un dogme particulier, mais par la conservation de rites anciens, datant souvent des premiers temps du christianisme. Les conquêtes saxonnes ayant coupé le monde celtique du reste du Continent, et notamment de la Gaule, il eut ensuite évolution divergente. L’Église celtique et celle de Rome ont différé sur un certain nombre de points : messe tonsure et ordinations par exemple. On ne sait pas grand-chose des règles du culte à cette époque, sauf que le Jeudi saint les moines se lavaient les pieds mutuellement et que le jour de Pâques, on mettait solennellement le feu au bûcher pascal.
Une citation de Gildas assure que des leçons ne ressemblant à aucune autre étaient récitées lors des ordinations, et il fait peut-être allusion à l’imposition des mains au cours de ces dernières.
Aucun document historique précis n’existe sur une liturgie spécifiquement écossaise. Mais son existence est prouvée par un fragment du leabhar Dhèir (Livre de Deer), beaucoup d’allusions dans les travaux d’Adamnan et par la réaction de la reine sainte Marguerite au XIe siècle (elle essaya d’en supprimer les derniers vestiges).
Ce n’est qu’au temps de sainte Marguerite, la femme du roi Malcolm III (morte en 1093), en effet, que les pratiques celtiques ont fini par être éradiquées, même si cela prit beaucoup de temps. Les réformes concernaient les « usages » suivants :
1. Commencement du jeûne le lundi au lieu du mercredi des Cendres.
2. Pas d’eucharistie le jour de Pâques.
3. Travail le jour du Seigneur.
4. Des coutumes étrangères lors de la messe.
5. La tonsure transversale « à la hache » comme dans le cas de saint Patrice au lieu de la tonsure « à la romaine ». En d’autres termes la tonsure dite de Simon de Samarie au lieu de celle de son assassin, l’apôtre Pierre.
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NOTE SUR LA TONSURE.
La tonsure celtique, dite aussi « tonsure à la hache » ou « tonsure transversale », consistait à raser tous les cheveux poussant au-devant d’une ligne allant d’une oreille à l’autre ; dégageant ainsi entièrement le front et l’avant du crâne, mais laissant les cheveux longs derrière. Assez curieusement, c’était là ce que Lucien de Samosate avait noté à propos du portrait de l’Hercule celte découvert par lui dans la région de Marseille.
Ce problème de la tonsure fut l’occasion de vives controverses en Grande-Bretagne durant le septième siècle. Même chose en Normandie, où une colonie saxonne à Bayeux copia la tonsure celtique des Bretons avant 590 ; et en Espagne, où une tonsure comme la tonsure celtique fut condamnée par le quatrième Concile de Tolède.
Le rite celtique a continué à être employé par certains Culdées pendant plus de cent ans, en fait jusqu’à ce que leurs communautés soient complètement effacées de l’Histoire.
BAPTÊME.
Les Celtes avaient des coutumes différentes et ne se servaient pas d’huile consacrée pour l’onction. Le saint chrême y était en l’occurrence remplacé par différents autres liquides (une triple immersion ou onction dans de l’eau uniquement, ou du lait, voire de la bière, comme pour laver le nouveau-né de toute impureté…) Pour plus de détails, voir le synode de Cashel et les lettres de l’archevêque Lanfranc à ce sujet.
L’HABILLEMENT DE TOUS LES JOURS.
Les moines étaient peu vêtus, ils ne possédaient pas encore de robe de bure, mais une tunique (tunica) en laine sur laquelle on passait une coule (cuculla) en peau de chèvre à laquelle s’ajoutait, par temps pluvieux, une capuche. L’habit ordinaire d’un prêtre breton pour l’extérieur semble avoir été une longue pelisse appelée caracalla (un bardocucullus de laine peu ou prou imperméable). Les pieds de ces moines étaient couverts par des chaussures en cuir (calcei) ou des sandales (ficones).
VÊTEMENTS DE CÉRÉMONIE.
Un curieux petit traité en irlandais du IXe siècle sur les vêtements de cérémonie de la messe, donne huit couleurs liturgiques pour la chasuble : or (jaune), bleu, blanc, vert, brun, rouge, noir et pourpre (du tissu écossais donc ???).
Un bas-relief retrouvé dans une vieille chapelle ruinée de la vallée de Glendalough, dans le Comté de Wicklow, nous montre un évêque avec une couronne sur la tête. Les évêques celtiques portaient par conséquent des couronnes au lieu de mitres, et l’utilisation de telles couronnes, sous une forme plus ou moins modifiée, se prolongea sous la domination anglo-saxonne jusqu’au dixième siècle ; époque donc où les mitres commencèrent à se répandre.
Les évêques de cette époque-là n’avaient, bien sûr, aucun diocèse précis bien à eux, et ils exerçaient leur ministère là où ils se trouvaient. C’étaient des episcopi vagantes, des évêques gyrovagues. Quand ils vivaient dans des communautés, ils se soumettaient à l’autorité de l’abbé.
La tradition voulait sans doute qu’on remette à tout nouvel évêque une cloche et un bâton.
Le bâton pastoral ou cambutta, devait avoir la forme d’une canne qui, quand elle était endommagée ou usée outre mesure, était parfois couverte d’argent (ou d’or). La forme moderne est apparue au IXe ou Xe siècle. Sa fabrication fut une des industries de l’Irlande monastique. La plus ancienne mention d’un bâton (cambutta) est probablement celle qui concerne celui de saint Colomban de Bobbio qui, après sa mort, fut envoyé au monastère de Saint Gall.
Certains auteurs avancent l’hypothèse que, tout comme la tonsure « à la hache » de saint Patrice, ce bâton de pèlerin des premiers évêques chrétiens de cette région du monde serait d’origine druidique : il s’agirait du vouge avec lequel ils cueillaient le gui.
Le peigne de saint Kentigern, conservé en tant que relique à Glasgow, était probablement destiné à un usage liturgique, tout comme celui de saint Cuthbert, qui fut enterré avec lui, et fut dégagé de sa tombe en 1827.
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Une autre tradition du clergé celtique semble avoir été de porter une copie des Évangiles dans un sac de cuir muni d’une courroie jeté sur les épaules. Pour transporter châsses et livres liturgiques à une certaine distance, on se servait en effet de sacs de cuir appelés tiag lebair (cf. le fameux corrbolg de Camulos/Cumall le père de Vindos/Finn).
Le Musée National de Dublin conserve celui de la châsse de saint Moedoc, orné d’entrelacs et de spirales sur ses quatre côtés. En dehors de ce dernier, il n’en subsiste que deux autres, le tiag lebair (corrbolg) du missel du collège du Corpus Christi, à Cambridge, et le tiag lebair (corrbolg) du Livre d’Armagh, au Trinity College, de Dublin.
Les moines avaient aussi l’habitude de porter sur eux le Saint Sacrement, dans un petit réceptacle (chrismal), porté en bandoulière, ou dans un petit sac (perula), accroché autour du cou, sous les vêtements. Une magie sans doute destinée à se protéger des dangers les plus divers, ou à cause de son indéniable effet placebo.
Les premiers saints celtes furent donc des hommes portant un sac de cuir en bandoulière (tiag lebair), un bâton (cambutta ou bacall) une cloche (clocca) et un petit réceptacle pour les hosties.
LA COMMUNION.
La tradition était de dire la messe de très bonne heure le matin, voire même à l’aube. Nous pouvons déduire de sources diverses que l’eucharistie était donnée sous la forme du pain et du vin. Nous trouvons dans la règle de saint Colomban de Bobbio une sanction spéciale pour qui mordait le calice lors de la messe. Les femmes pouvaient recevoir la communion, mais devaient alors porter un voile sur la tête. Elles pouvaient aussi apparemment distribuer cette communion sous le nom de « conhospitae ».
LES CONHOSPITAE.
En 511 trois évêques continentaux, Licinius de Tours, Mélanius de Rennes, et Eustochius d’Angers, ont écrit à des prêtres bretons, Lovocatus et Catihernus ; une fort méchante lettre leur demandant de renoncer à la coutume de permettre à des femmes, lors de la communion, de tenir le calice, et de donner à boire du vin censé être le sang du Christ. Menaçant même de les excommunier s’ils ne le faisaient pas. Un graffiti de la région d’origine de ces trois évêques (Poitiers), mais d’une date inconnue, nous signale pourtant l’existence de femme participant également au service liturgique sur le Continent : « Martia presbyteria/ferit oblata Olebri/o par (iter) et Nepote ».
Mommsen et Diehl associent presbyteria et oblata, et traduisent par « offrandes presbytérales ». Il pouvait très bien s’agir, non de la femme du prêtre officiant, mais d’une femme prêtre appelée Martia, et faisant plus que porter le pain et le vin consacrés, tout comme les deux autres prêtres appelés Olibrius et Nepos.
LA CONFESSION AURICULAIRE.
Le principe « contraria contrarias sanantur », « les contraires sont guéris par leur contraire », popularisé par Jean Cassien, fut adopté d’abord par les Gallois, ensuite par les Irlandais.
Dans le Pénitentiel de Finnian, nous trouvons ce conseil : « Par le contraire… dépêchons-nous de guérir le contraire, d’effacer ces fautes de nos cœurs, et d’y substituer des vertus célestes à leur place ; la patience doit remplacer le fait d’être courroucé ; la bonté, ou l’amour de Dieu et de son prochain doit remplacer l’envie ; la médisance doit être remplacée par la discrétion du cœur et de la langue ; l’abattement doit être remplacé par la joie spirituelle ; l’avidité par la générosité ».
La confession était une pratique courante et fréquente, mais pas nécessairement pour se préparer à recevoir l’eucharistie. L’appellation irlandaise ordinaire du confesseur était anamchara ou « ami de l’âme/esprit » et tout le monde semble avoir eu le sien. La pratique druidique de l’anamchairdeas, la direction spirituelle, littéralement « l’amitié d’âme », exercée par un confident appelé anamchara ou « ami de l’âme » – valant aussi pour les laïcs – contribua donc à promouvoir la pénitence privée ainsi que la confession auriculaire.
« Colainn gan cheann duine gan anamchara » (une personne sans confident – littéralement sans ami de l’âme – est comme un corps sans tête) était une maxime commune à l’époque.
Trois points sont par conséquent à noter en ce qui concerne cette confession.
Elle était privée donc non publique.
Elle était facultative et non obligatoire.
L’absolution n’était donnée qu’après que les pénitences eussent été accomplies.
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CALCUL DE LA DATE DE PÂQUES.
Les Églises celtes n’avaient pas de date de Pâques particulière, elles en étaient simplement restées à l’ancien mode de calcul de l’Église de Rome, avant que celle-ci n’en change (pour différentes raisons, divines, astronomiques, ou autres). Saint Augustin de Cantorbéry trouva donc les Bretons célébrant Pâques entre le 14e et le 20e jour de la Lune, en fonction d’un mode de calcul abandonné depuis longtemps.
TOUSSAINT.
Voir article sur le sujet dans notre essai consacré à la religion chrétienne.
CONSÉCRATION DES ÉVÊQUES.
En terre celte, les évêques n’avaient aucun diocèse fixe, et il arrivait donc que l’on puisse trouver deux ou trois évêques à un moment donné dans une même communauté.
Il est dit par exemple que Colum Cille fut salué par un certain nombre d’évêques en abordant l’île d’Hy (lona) au large de l’Écosse, mais qu’ils essayèrent de le dissuader d’y débarquer !
L’Église celtique se contentait d’un seul évêque pour en consacrer un autre, au lieu des trois exigés par l’Église romaine. En Irlande cette tradition de la consécration simple existait toujours au onzième siècle, ce dont se plaignit saint Anselme, dans une lettre au roi irlandais Tirlagh, en 1074, et Lanfranc, dans une lettre au roi Muriardach, en 1100. On en trouve également trace dans la Vie de saint Kentigern où Jocelin note : « Rex et clericus Cambrensis (in Glasguo)… accito de Hibernia uno Episcopo, more Britonum et Scottorum, in Episcopum ipsum consecrari fecerunt ».
CONSÉCRATION D’ÉGLISES.
En règle générale, les églises et les monastères des communautés celtiques n’étaient pas désignés par des noms de saints décédés, mais par le nom de leur fondateur, même encore vivant. On en retrouve partout les traces, surtout en Écosse, malgré toutes les tentatives faites pour les remplacer par des noms de saints du calendrier romain. La consécration d’une église ou d’un monastère était précédée par un long jeûne. L’évêque Cedd jeûna ainsi pendant 40 jours. Ayant achevé son jeûne et sa prière ayant été dite, il construisit un monastère, qui est maintenant appelé Lastingham, et le dota des coutumes religieuses de Lindisfarne, où il avait été instruit.
LES CLOCHETTES.
Patrice, suivant le livre d’Armagh, aurait transporté au-delà du Shannon cinquante cloches. Ce texte fait allusion aux petites cloches portatives, hautes de 15, 20 ou 30 centimètres, qui étaient seules connues anciennement dans les chrétientés celtiques. D’un celtique « klokko », qui a donné par emprunt le bas latin clocca : anglais clock, allemand glockes ; breton kloc’h ; gallois clogh ; cornique clogh ; vieil irlandais clocc ; irlandais clog.
Les plus anciennes de ces cloches portatives sont d’une fabrication extrêmement simple et tout à fait dénuée de valeur artistique, faites de deux morceaux de tôle rivetés l’un sur l’autre, de manière à obtenir une forme quadrangulaire ; une poignée au sommet ; un battant de fer à l’intérieur ; le tout plongé dans un bain de bronze. Tels étaient les matériaux et le mode de fabrication employés.
L’usage des cloches ou plus exactement des clochettes est sans aucun doute d’origine druidique. Presque tous les pays évangélisés ou visités par les saints bretons et scots conservent encore quelques exemplaires de ces clochettes, auxquelles s’est attachée la vénération séculaire des fidèles. En Irlande, on voit un évêque recevoir, à son sacre, entre autres insignes, un bâton pastoral, et une clochette. Ces clochettes servaient à, en fait, appeler moines et fidèles à la messe. Elles étaient aussi employées, à l’occasion, comme instruments de malédiction. Le saint offensé par un chef de clan maudissait celui-ci en frappant sa cloche du bout de son bâton.
Usage à comparer avec les fragments de texte suivant :
« La nuit va être difficile » s’exclama Cunocavaros/Conchobar. Il frappa donc avec le sceptre d’argent qu’il avait à la main contre le montant de bronze de sa banquette et tout le monde se retrouva donc assis […] Une fois de plus la salle des fêtes devint une tour de Babel des mots, les femmes vantant leurs maris. Conall, Loégairé, ains que le Hésus Cuchlainn essayèrent d’attiser les dissensions. Alors Sencha le fils d’Ailill se leva et agita son sceptre. Les Ulates lui prêtèrent attention et ensuite afin de calmer quelque peu les dames il fit le discours suivant…, etc. » (Fled Bricrend. Le festin de Bricriu).
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LES CLOCHES.
Divers documents du Ve siècle témoignent de l’activité de moines fondeurs de cloches en Irlande. Mais c’est entre le VIIIe et le XIIe siècle que furent améliorés la forme et les procédés de fonte, et qu’apparurent les premières grosses cloches (quelques centaines de kilogrammes). Bien que la fonte ait été presque l’apanage des monastères à cette époque, il est question cependant, dès le VIIIe siècle, de fondeurs itinérants laïcs.
De nombreuses fouilles archéologiques ont permis, en effet, de retrouver les emplacements des premières coulées, au pied même des édifices auxquels étaient destinées les cloches : églises, monastères, cathédrales. Ces fondeurs de l’époque se déplaçaient pour effectuer le travail sur place, et ainsi éviter le fastidieux travail de l’acheminement. De grandes voitures amenaient personnel et matériaux. La construction du four à fusion, et le moulage des profils pouvaient durer plusieurs mois, selon l’importance de la commande. Des cloches ont été trouvées dans la plupart des zones connues pour avoir été visitées par des saints celtiques, et beaucoup y existent toujours, par exemple dans l’église d’Insch, près d’Aviemore.
LES TOURS RONDES.
En Écosse on appelle ces tours des « broch » et elles semblent avoir été d’abord préchrétiennes (Mousa Broch dans les îles Shetland, les Orcades et les Hautes-Terres d’Écosse), voire préhistoriques (des monuments mégalithiques ?) La plus belle se trouve à Brechin.
En Irlande la plupart ont été édifiées entre le IXe et le XIIe siècle, à proximité (mais non en tant que partie intégrante) d’une église ou d’un monastère. Leur porte est située à une certaine hauteur du sol et nécessite l’utilisation d’échelle pour y accéder (un peu comme dans le cas de la Kaaba mecquoise d’ailleurs) ; et s’ouvre en vis-à-vis de la porte d’entrée située à l’ouest.
Il y en a plus d’une centaine dont une vingtaine en assez bon état comme à Devenish en Irlande du Nord, à Glendalough, et à Clondalkin. Celle de Kilmacduagh est la plus haute d’Irlande.
Leur hauteur varie de 20 à 40 mètres et leur diamètre de 4 à 5 mètres.
Leur nom en gaélique (cloictheach) en fait des clochers ou des beffrois (pas pour de grosses cloches alors), mais il est possible également qu’elles aient pu servir de tour de guet lors des invasions vikings ; voire qu’elles aient symbolisé la puissance et de l’importance d’une communauté.
D’autres auteurs rapprochent ces monuments des lanternes des morts que l’on trouve sur le Continent, par exemple dans l’île Oléron. La lanterne des morts est une construction en forme de tour, en pierres maçonnées, le plus souvent creuse. Au sommet se trouve le lanternon (la « lanterne » elle-même), avec ses ouvertures pour laisser passer la lumière. À la tombée de la nuit, on y plaçait une lampe, la plupart du temps grâce à un système à poulie. Ces lanternes situées, alors, dans les cimetières qui entouraient les églises, étaient supposées protéger ou guider les morts. La coutume ne semble pas d’origine chrétienne.
LES BÂTIMENTS DU MONASTÈRE.
On a très peu de vestiges des monastères du haut Moyen-âge. Les guerres et l’usure du temps ou des hommes ont réduit ces témoignages du passé comme peau de chagrin. Seules restent quelques cryptes célèbres et relativement bien conservées. Il semble au regard de cet héritage architectural que les techniques et les styles différaient. Seul point commun : à l’intérieur des locaux du monastère, les moines devaient garder le silence.
Tout monastère celtique était alors constitué d’un groupe de cellules individuelles en forme de ruche, construites sans ordre précis autour d’une église centrale ; les autres constructions étant le réfectoire commun ou la cuisine, la bibliothèque ou le scriptorium, la maison de l’abbé, ainsi que la pension destinée aux visiteurs. La configuration des monastères variait selon leur importance ou selon la région où ils se trouvaient. En Irlande comme sur le Continent les logements des cénobites ainsi que ceux des anachorètes étaient faits de bois et d’argile ou de torchis (branchages recouverts de terre séchée).
Parfois, toute l’agglomération est entourée d’une palissade ou d’un mur de protection. Généralement, il y a également une tour, pourvue de cloches. Le cimetière est en dehors des murs, mais toujours entouré d’une palissade ou d’un mur. Le chemin y menant est entouré de croix de bois ou de pierre.
LES PRIÈRES DE TYPE LORICA (le terme lorica est un mot latin signifiant cuirasse).
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De curieux vestiges de la mentalité druidique se retrouvent dans les prières individuelles ou dans les dévotions privées du haut Moyen-âge, par exemple le livre de Cerne, de Nunnaminster ou le libellus precum de Fleury. On peut également retrouver certaines traces de prières ou de pensées druidiques dans l’Antiphonaire de Bangor, manuscrit en latin composé en Irlande du Nord à Bangor à la fin du VIIe siècle, et retrouvé à Bobbio en Italie. Mais aussi dans les hymnes métriques attribués à différents saints irlandais, la seconde aisling ou vision d’Adamnan (Leabhar Breac), le livre de Mulling (IXe siècle), le liber hymnorum irlandais, ainsi que bien d’autres.
Les prières privées druidiques étaient surtout des concentrations de réflexions ou de pensées (positives) centrées sur le corps. S’y expriment l’inquiétude et la fragilité humaines, mais aussi l’intervention du divin dans le quotidien. Une de leurs caractéristiques est la systématisation : en choisissant des couples d’opposés, en parcourant une totalité. En effet, si l’on évoque le noir, pourquoi ne pas évoquer le blanc, le mouvement ne va-t-il pas aussi avec l’arrêt, le nord et le sud avec l’est et l’ouest ? Tout cela suggère que rien n’a été oublié ni ne peut l’être, que tout est pris en compte. Et si un tout peut être parcouru, la peinture du monde est donc possible.
Cette énumération nominative ne va d’ailleurs pas sans une certaine logique. En partant du haut vers le bas pour ce qui est du corps humain par exemple.
Ces loricae n’avaient rien de commun avec les prières liturgiques en usage dans le reste de la chrétienté. Le point de départ en est une formule toute faite et apprise par cœur vraisemblablement, mais son développement est une authentique improvisation où l’imagination se donne libre cours. Nous connaissons certaines de ces loricae, elles sont assez surprenantes par leur tonalité, par leur sensibilité. L’âme/esprit de l’orant s’abandonne sans retenue à sa croyance, à son mysticisme, et cela dans un langage emphatique qui emprunte beaucoup à la poésie lyrique ou épique. La méthode semble calquée sur celle des bardes qui, à partir de quelques vers, brodaient sur un thème et racontaient de vastes épopées sur les grands héros de l’ancien temps. L’analogie est si frappante qu’il ne faut pas douter de l’influence exercée sur les moines chrétiens d’Irlande et de [Grande] Bretagne par la tradition épique ancestrale celtique.
Il y a aussi dans ces loricae quelque chose de la redoutable geis celtique, cette incantation magique qu’on lançait parfois sur quelqu’un, et dont le caractère était obligatoire sous peine de mort, de honte ou de rejet de la communauté. Mais avec la christianisation, le niveau de ces prières a été ravalé au rang de simples incantations plus ou moins magiques. Elles sont devenues des charmes destinés à fléchir la volonté de Dieu ou du Démiurge et lui faire accomplir les actions qu’on lui demande. Par certains aspects, ces loricae sont d’ailleurs en fait des prières contre Dieu. Encore une fois, nous retrouvons, à travers cette pratique, le souci des moines celtes d’être des héros capables, par le dépassement de soi et la force intérieure, de modifier leur destin. L’idée n’est pas chrétienne. C’est un thème qui est de toute évidence druidique, et que l’on retrouve dans la pensée d’un Pélage, pour qui seule la volonté permettait à l’Homme de se sauver (du moins d’après Jean Markale et sous toute réserve, car nous ne sommes pas toujours complètement d’accord avec cet historien français contemporain auteur de nombreux livres sur la femme celte).
Ci-dessous un extrait de la lorica de saint Fursa (Fursy ou Fursey), dont la langue date du neuvième siècle environ.
Puissent les bras de Dieu être autour de mes épaules
Le souffle de l’Esprit saint sur ma tête
Le signe de la croix du Christ sur mon front
La voix de l’Esprit saint dans mes oreilles
Le parfum de l’Esprit saint dans mes narines
La vision des habitants du ciel dans mes yeux
Le discours des habitants du ciel sur mes lèvres
L’œuvre de l’Église de dieu dans mes mains
Le service de Dieu et du prochain dans mes pieds
Que mon cœur soit une maison pour Dieu
Et que tout mon être appartienne à Dieu le père universel.
LA LORICA DE SAINT PATRICE.
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Il s’agit là aussi d’une très étrange prière, que la légende dit avoir été composée par saint Patrice lui-même, ce qui est plus que douteux évidemment (le texte a été couché par écrit en latin au VIIIe siècle par un moine irlandais anonyme). C’était une prière d’intercession et de bénédiction, quotidienne, avec certains éléments du credo ou des psaumes, que l’on récitait quand l’on estimait sa vie en danger.
En route pour aller retrouver le roi Loegaire, Laeghaire ou Leary, saint Patrice s’aperçoit qu’il va tomber dans une embuscade et improvise donc cette hymne (lorica), connue aujourd’hui sous le nom de « cri du daim ». Lui et les siens se transformèrent alors en cerfs aux yeux des soldats qui les attendaient, du moins toujours d’après cette légende digne du druidisme le plus échevelé. Mais enfin, ce n’est pas la première fois que le christianisme aura eu recours au mensonge pour asseoir son autorité sur les consciences.
LE CRI DU DAIM.
Puissé-je me lever aujourd’hui,
Soutenu par une force puissante,
L’invocation de la Trinité,
La Croyance en la Trinité,
La confession de l’unicité du Créateur du monde.
Puissé-je me lever aujourd’hui,
Par la force de la naissance du Christ et de Son Baptême,
La force de sa Crucifixion et de sa mise au tombeau,
La force de sa Résurrection et de Son Ascension,
La force de sa Venue le jour du Jugement dernier.
Puissé-je me lever aujourd’hui,
Par la force de l’amour des Chérubins,
Dans l’obéissance des Anges,
Dans le service des Archanges,
Dans l’espérance de la Résurrection qui me récompensera,
Dans les prières des Patriarches,
Dans les prédictions des Prophètes,
Dans la prédication des Apôtres,
Dans la fidélité aux Confesseurs,
Avec l’innocence des Saintes Vierges,
Et les actions du Juste.
Puissé-je me lever aujourd’hui,
Avec la force du Ciel,
La Lumière du Soleil,
L’Éclat de la Lune,
La Splendeur du Feu,
La Vitesse de l’Éclair,
La Rapidité du Vent,
La Profondeur de la Mer,
La solidité de la Terre,
La Fermeté d’un Roc.
Puissé-je me lever aujourd’hui,
Avec la force divine pour me guider,
La Puissance divine pour me soutenir,
L’Intelligence divine pour me guider,
L’Œil de Dieu pour regarder devant moi,
L’Oreille de Dieu pour m’entendre,
La parole de Dieu pour parler en mon nom,
La Main de Dieu pour me garder,
La voie de Dieu pour me frayer le chemin,
Le Bouclier de Dieu pour me protéger,
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L’Armée de Dieu pour me sauver :
Des pièges du démon,
Des séductions du vice,
Des inclinations de la nature,
De tous ceux qui me veulent du mal,
De près ou de loin,
Seuls ou en foule.
J’appelle aujourd’hui toutes ces puissances
À venir s’interposer entre moi et ces démons,
Contre toute puisse cruelle et sans merci
Qui pourrait s’en prendre à mon corps et à mon âme,
Contre les incantations des faux prophètes,
Contre les sombres lois du paganisme,
Contre les fausses lois des hérétiques,
Contre la puissance de l’idolâtrie,
Contre les charmes des sorcières et des forgerons ou des magiciens,
Contre toute science qui menace le corps et l’âme de l’Homme.
Que le Christ me protège aujourd’hui
Contre le poison, contre le feu
Contre la noyade, contre la blessure.
Afin que puisse venir pour moi l’abondance de la récompense des justes.
Le Christ avec moi,
Le Christ devant moi,
Le Christ derrière moi,
Le Christ en moi,
Le Christ au-dessous de moi,
Le Christ au-dessus de moi,
Le Christ à ma droite,
Le Christ à ma gauche,
En largeur, en longueur, et en hauteur,
Que le Christ soit dans le cœur de tout homme qui pense à moi,
Que le Christ soit dans la bouche de tout homme qui parle de moi
Que le Christ soit dans tout œil qui me voit,
Que le Christ soit dans toute oreille qui m’écoute.
Puissé-je me lever aujourd’hui,
Soutenu par une force puissante,
L’invocation de la Trinité,
La croyance en la Trinité,
La confession de l’unicité du Créateur du monde.
Domini est salus.
Christi est salus.
Salus tua, Domine,
Semper vobiscum.
Amen ! Amen ! Amen !
Le salut vient du Seigneur,
Le Salut vient du Christ,
Que ton Salut ô Seigneur
Soit toujours avec nous.
MORTIFICATION DU CORPS ET PURIFICATION DE L’ESPRIT.
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L’Homme doit en effet être libre pour ouvrir son esprit à la vérité religieuse mystique supérieure qui surpasse tout autant la pensée mystique que la spéculation métaphysique, mais qui ne devient accessible que dans l’acte de la concentration. L’Homme ne s’ouvre à la vérité dernière, par-delà toute parole et toute pensée, vérité qui n’est manifeste que dans le vide de l’esprit, qu’en utilisant certains moyens. Le meilleur moyen trouvé alors pour y parvenir, était de commencer par passer des nuits entières à réciter, VOIRE IMPROVISER des litanies ou des loricas. 10 fois 50 fois ou 150 fois si nécessaire. Les loricas sont des sortes de litanies faites d’invocations répétées. Les loricas étaient à l’origine des exercices spirituels destinés à faire le vide dans le mental du sujet qui s’y adonne. Il vide son inconscient de toutes les pensées négatives qui peuvent s’y trouver refoulées : orgueil, jalousie, envie, craintes, peurs, etc. en commençant par les conceptualiser… afin de les épuiser d’elles-mêmes. Les démons ce sont les idées néfastes et négatives qui hantent souvent notre inconscient. Et en les formulant explicitement, autrement dit en les faisant passer de l’inconscient au conscient, on a des chances de réussir à s’en libérer. En quelque sorte, de l’auto psychanalyse avant la lettre, des siècles et des siècles avant Freud.
Dans ce genre de prière typiquement druidique, l’imagination se donne libre cours ; l’âme/esprit s’y abandonne sans retenue et elle exprime sa confiance en un langage emphatique. Ces prières ont l’allure d’incantations magiques ; et, de fait, elles se virent attribuer en Irlande des vertus particulières, devinrent extrêmement populaires, et passèrent dans les chrétientés celtiques. Il y a, dans la prolixité de ces prières, quelque chose qui rappelle l’exubérance des enluminures ou l’abondance des génuflexions et des signes de croix, qu’exécutaient les moines celtes.
La glose du Liber hymnorum concernant une des plus célèbres loricas de saint Patrice, est d’ailleurs fort claire à ce propos. Et en l’occurrence, le plus intéressant ce n’est pas le texte attribué au saint lui-même, mais son commentaire, car cette explication, malgré sa christianisation évidente, est encore complètement druidique pour ce qui est de son esprit, ou de son sens général. « C’est une cuirasse de foi pour la protection du corps et de l’âme contre les démons, les hommes, et les vices. Quiconque la récitera chaque jour en pensant pieusement à Dieu, les démons n’oseront pas l’affronter. Ce sera pour lui une protection contre tout poison et contre toute envie ». Autrement dit comme le disait la mère du futur saint Symphorien d’Autun en Bourgogne juste avant sa mort : « Nate, nate, mento beto to deuo ».
César. B. G. VI, 13. À propos des très-sachants de la druidiaction (druidecht) et de leurs élèves. « Magnum ibi numerum versuum ediscere dicuntur ». « On dit qu’ils apprennent là par cœur un grand nombre de vers ».
Comme ces litanies druidiques ne correspondaient pas aux prières officielles du christianisme (le Notre Père, etc.), loricas et litanies furent donc considérées comme des prières « PRIVÉES » par les chrétiens bon teint (ceux qui étaient d’obédience romaine). Mais, en réalité, répétons-le encore une fois, ces prières « privées » n’étaient au départ que des exercices spirituels destinés à purger l’inconscient de toutes ses scories, de tout ce bran, en les formulant ouvertement, et donc à y faire le vide nécessaire à la concentration intensive. N’en était pas exclu le risque d’hallucination, si l’on en croit le même commentaire de cette lorica de saint Patrice.
Liber Hymnorum. C’est Patrice qui a composé cet hymne. Il a été composé à l’époque de Loegaire, fils de Niall. La raison pour laquelle il a été composé alors est que Patrice voulait se protéger, lui et ses moines, contre les ennemis mortels qui avaient tendu alors une embuscade aux prêtres… Patrice le chanta lorsque l’embuscade fut dressée à son encontre par Loegaire, afin qu’il ne vienne pas semer la croyance dans Tara. Il sembla donc alors à ceux qui les attendaient en embuscade que c’étaient des cerfs sauvages suivis par un faon, à savoir Benen…
Soyons un peu monganiens, que diable, et permettons-nous un peu de douter de la réalité de ce miracle « patricien ».
Patrice et les siens ont eu la chance d’échapper à la vigilance des hommes d’armes du roi Loégaire ET ILS ONT CRU QUE C’ÉTAIT PARCE QU’ILS S’ÉTAIENT MÉTAMORPHOSÉS EN CERFS.
Nota Bene.
Rappelons de toute façon que ce texte date de l’époque où Rome commençait à vouloir aligner le christianisme irlandais sur ses conceptions à elle, et nullement de l’époque même de saint Patrice, ou des années qui suivirent immédiatement sa mort.
DE ARREIS.
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Latinisation d’un mot vieil irlandais signifiant « équivalent ». C’est Kuno Meyer qui a retenu ce titre pour désigner une table de commutation des peines en vieil irlandais (in Les pénitentiels irlandais de Ludwig Bieler).
Il s’agit donc initialement d’un ensemble de techniques d’origine druidique (bien que faisant du druidisme un péché à l’égal du brigandage) ayant pour but de canaliser les énergies de l’individu, et destinées à compenser justement (à brûler) le bran carmique (baco) pouvant retarder son accession au vrai monde.
INTRODUCTION.
Afin d’aguerrir les corps et les cœurs toute une série de pratiques d’autodiscipline ou mortifications, étaient recommandées.
Les plus célèbres étaient des bains dans de l’eau glacée, quel que soit l’époque ou le lieu. La récitation des psaumes dans de l’eau glaciale est en effet si souvent mentionnée que, comme Bieler l’a noté, il devait sans doute s’agir d’une pratique ascétique courante. On avait aussi fréquemment recours à des séances de flagellation ou d’autoflagellation. Ce châtiment pouvait être administré en public par une main étrangère ou de manière privée. Tous les vendredis de l’année, l’application de cette peine réunissait le monastère.
ARREUM N° 1 : LE VÉGÉTARISME OU LE VÉGÉTALISME, SÉLECTIF ET PROVISOIRE (voir le yoga yama en Inde).
La plupart des règles monastiques ou des pénitentiels prônent une incontestable réduction de la consommation de viande. Cette technique rejoignait en l’occurrence celle de la médecine par les plantes. Il s’agissait d’assimiler la force et la puissance de certains végétaux. Des cures d’épinard (elefleog, elefreog, ou elethreog, en gaélique) de fenouil (sistrameor) ou de cresson (berula) par exemple. C’est ainsi que Saint Fiacre est devenu le patron des jardiniers. Voir également à ce sujet le fameux plan de saint Gall.
N.B. La répugnance pour la viande de cheval est sans doute un interdit alimentaire propre à la classe des chevaliers du moins à l’origine. Les autres tabous sont des fantasmes chrétiens tout à fait comparables à ceux de l’islam.
ARREUM N° 2 : LE JEÛNE (voir également le yoga yama en Inde).
Plusieurs jours. Isolés ou consécutifs.
Deux jours et deux nuits (biduanae en latin).
Trois jours et trois nuits (triduanae en latin).
Et ainsi de suite.
À en croire Myles Dillon et Nora K. Chadwick, le christianisme celtique admettait aussi le « jeûne contre Dieu ». Lorsqu’un chrétien irlandais estime que Dieu s’est montré injuste à son égard, il a le droit d’entreprendre un jeûne pour obliger Dieu à reconnaître son erreur. Il s’agit en réalité à l’origine d’une coutume celte non chrétienne et donc druidique (droit celtique).
Dans certains cas où le défendeur était de rang socialement supérieur (nemed), le plaignant était amené à jeûner devant la maison du défendeur avant de faire procéder à la saisie de ses biens. Il plaçait ainsi le défendeur dans l’obligation de fournir la preuve qu’il accepterait un arbitrage (en lui donnant des gages). Le plaignant venait au coucher du soleil, et il jeûnait jusqu’au lever du soleil. Le défendeur était obligé de jeûner, lui aussi, et, s’il rompait le jeûne, on pouvait lui réclamer le double de la somme en cause. S’il désirait prendre de la nourriture, il devait d’abord en offrir au plaignant, et donner la garantie qu’il était disposé à s’acquitter de sa dette, ou à se soumettre à un arbitrage. S’il ne faisait rien de tout cela sous les trois jours, il pouvait être saisi tout comme un vulgaire roturier. Le défenseur, s’il venait à négliger le jeûne et à refuser de payer, perdait donc tout simplement son honneur. Il ne pouvait plus intenter aucune action par lui-même. L’usage a son équivalent dans la législation hindoue, la procédure porte le nom de prayopavesana. Un créancier peut s’asseoir à la porte de son débiteur et y jeûner jusqu’à ce que celui-ci, pour ne pas être responsable de sa mort, finisse par céder.
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ARREUM N° 3 : Par exemple l’immobilité absolue, dans de l’eau glacée, dans des arbres (voir les cas de Merlin Lailoken et Suibhne). Ou alors la position assise en tailleur qui est celle de Cornunnos. Etc.
La récitation des prières était en effet souvent accompagnée de gestes d’adoration comme les prostrations, génuflexions ou les bras en croix, allongé ou debout (crossfigill, crosfhigheall) pendant des heures. À ce propos, on ne peut résister à l’envie de rappeler les cas sans doute quelque peu exagérés de Colomb Mac Crimthann, disciple de saint Finian, en extase, les bras en croix, des oiseaux posés sur les bras ; ou de saint Kevin de Glendalough, qui aurait passé sept ans dans cette position, si bien que des oiseaux avaient fait leur nid sur ses bras toujours étendus. Ce qui est sans doute excessif, mais on peut en conclure que l’état mystique ne leur était pas inconnu.
Tous les ans, le dernier dimanche de juillet, des milliers de pèlerins gravissent, parfois pieds nus et même à genoux, les 763 mètres d’une « montagne sacrée » située dans le comté de Mayo.
Mais plus terrible encore que l’ascension de la Croagh Patrick est le pèlerinage du « Purgatoire de saint Patrice », sur Station Island dans le Lough Derg (comté du Donegal) ; où, entre le 1er juin et le 15 août, les pèlerins passent trois jours en prière. Pratiquement sans dormir, et en se soumettant à un jeûne très strict. Ce pèlerinage attire toujours beaucoup de pénitents. Mais en réalité, il s’agissait d’une grotte « druidique » censée être un passage vers l’autre monde.
LES PÉNITENTIELS.
Les moines celtes ont rédigé au Moyen-âge des listes de pénitences que les confesseurs devaient infliger.
Ces pénitentiels ou regula cœnobialis, légiféraient sur les violations des principes fondamentaux de la vie monastique : obéissance, chasteté, modération, pauvreté, silence. Ils étaient particulièrement sévères et oscillaient entre récitation de psaumes, jeûnes, isolements ou coups de fouet…
Les peines elles-mêmes variaient suivant l’importance de la faute, six coups de fouet pour avoir servi la messe sans s’être rasé, deux cents coups de fouet pour avoir parlé avec une femme sans témoin.
On peut reprocher à ce système son juridisme rigide et son ascétisme (les pénitences prévues n’étaient pas des plaisanteries). Mais il n’en constitua pas moins à l’époque un facteur de changement moral important, car les Pénitentiels étaient aussi faits pour les laïcs ; par exemple pour ce qui est des relations conjugales. Les moines celtes n’avaient pas pour vocation d’enrôler tous les hommes dans leur mode de vie, mais de les aider par leur exemple, à devenir meilleurs. Ces pénitentiels eurent une grande influence et sont à l’origine de la confession auriculaire privée, puisqu’après saint Colomban de Bobbio cette dernière devint la norme dans la chrétienté.
LE CÉNOBITISME.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, le mode d’enseignement traditionnel des anciens druides était l’internat : les élèves vivaient plusieurs années auprès du druide enseignant, un peu comme s’ils étaient ses enfants adoptifs. Les premiers moines chrétiens ont donc tout naturellement repris cette façon de faire et ont vécu en communauté, mais un peu en retrait de la société.
L’ÉRÉMITISME OU ANACHORÉTISME.
Une forme particulière de cette vie marginale qu’était le monachisme celtique était l’érémitisme. Certains moines se détachaient de la communauté pour vivre dans une retraite solitaire, un disert ou diseart en Irlande (il y en a 80 de recensés) ou en Écosse, un dysert au pays de Galles, un pénitii en Bretagne.
En Armorique, saint Ronan vivait comme un anachorète, et saint Gall, avant de se séparer de ses frères en Suisse, se fit construire une cellule où, retiré du monde, il put finir ses jours.
Il s’agissait d’une très ancienne tradition du monde celte païen à en croire Plutarque (De defectu oraculorum 18).
L’EXIL OU LE PÈLERINAGE.
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Les deux autres formes d’ascétisme les plus prisées furent l’exil et le pèlerinage perpétuel. N.B. Ce besoin de mortification a conduit les moines celtes dans toutes sortes d’îles lointaines, y compris les îles Féroé ou l’Islande. Là encore il s’agissait d’une tradition païenne : voir la navigation de Bran fils de Fébal.
Rien ne prouve en tout cas qu’en ce domaine les moines d’Irlande aient sciemment cherché à imiter saint Patrice. L’exil était souvent imposé à l’époque afin de punir quelqu’un, mais la raison que ces moines en fournissent est en général positive et personnelle : ils partent en exil pour Christ, pour la patrie céleste, et ainsi de suite. Saint Columba d’lona est l’exemple par excellence d’une telle quête du Graal, d’un tel exil positif (son biographe, Adamnan, nous en donne précisément le motif).
Saint Columba d’Iona (Colmcille, Columcille, Colum Cille, Columkill) est né le 7 décembre, vers l’an 521, à Gartan (Donegal), de Fedhlimidh et d’Eithne du clan Ui Neill (O’Donnell)
Il ne faut pas le confondre avec son célèbre homonyme, grand réformateur évangélisateur du continent, né vingt ans plus tard, saint Columban de Luxeuil, mort à Bobbio.
Jeune homme, ce premier Columba s’intéresse à l’Église, et rejoint le monastère de Moville où il est fait diacre par Finnian. Après avoir étudié avec un barde appelé Gemman, il est ordonné prêtre par Etchen, l’évêque de Clonfad.
Il entre alors au monastère de Mobhi Clarainech, mais vers 550 partira fonder le monastère de Derry plus au nord.
La tradition place le fameux incident du Cathach après la fondation, par lui, de ce monastère.
Le Cathach est le manuscrit enluminé le plus vieux que l’on connaisse. Cet ouvrage est traditionnellement attribué à saint Columba d’Iona. Il s’agirait de la copie d’un psautier prêté par saint Finnian de Moville, son maître. Copie effectuée à son insu. Finnian réclama la copie à Columba. Ce dernier refusa et c’est le roi de Meath, qui arbitra le différend. Il décida, de même que chaque veau appartient à la vache qui l’a mis bas, que toute copie d’un livre appartient au propriétaire de l’original (comme quoi l’interdiction des copies non autorisées ne date pas d’hier), en l’occurrence Finnian. Columba trouva la sentence injuste et le fit savoir.
Ce désaccord de Columba d’Iona avec le verdict entraîna, vers 561, la bataille de Culdreimhe (ou Cul Dremhne, dans le comté de Sligo). La famille de Columba en sortit victorieuse, et la fameuse copie resta entre les mains du clan de Columba, les O’Donnell. Le manuscrit fut dès lors appelé « Cathach » à cause de la coutume consistant à faire trois fois le tour d’un champ de bataille avec lui dans la main droite, pour obtenir la victoire. (NDLR il fut emporté en France en 1691, mais rendu en 1802).
La tradition veut que saint Molaise de Devenish, son père spirituel, lui ait alors ordonné de gagner au Christ autant d’hommes que ceux dont il avait causé la mort en guerroyant lors de ce fameux Cathach.
La critique moderne a des doutes sur l’attribution à Columba aussi bien que sur la datation de ce manuscrit. Et nous ne savons pas vraiment avec certitude si Columba est venu à lona pour expier sa responsabilité dans la bataille de Cuildreinhne (Culdremhne, comté de Sligo) deux ans auparavant ; ou, comme le dit sa « Vie » gaélique, tout simplement pour prêcher l’Évangile aux hommes d’Alba (les Écossais) ainsi qu’aux Bretons et aux Saxons.
Quoi qu’il en soit, en 563, rongé par le remords d’avoir causé une telle tuerie, ou pour d’autres raisons que nous ignorons, Columba partit pour Iona (Hy = île) avec quelques disciples, et y fonda un nouveau monastère.
Iona est une petite île du nord-ouest de l’Écosse, dans les Hébrides intérieures, séparée de l’île de Mull par le détroit d’Iona. Ce petit bout de terre, avec ses 4,8 km du nord au sud et ses 2,4 km d’est en ouest, s’étend sur environ 800 hectares. Le point le plus élevé, Dun I, culmine à 101 m. L’île avait, bien sûr, été habitée avant cela, puisqu’un fort de l’Âge du fer, Dun Cul Bhuirg, y a été occupé de – 100 avant notre ère à + 300.
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Avant l’arrivée de saint Columba, l’île était appelée en gaélique « Innis nam druidneach » ce qui signifie « l’île des druides ». Certains auteurs pensent même qu’il s’agissait peut-être de l’île évoquée par le fameux texte de Plutarque à propos de la disparition des oracles.
«… Démétrius dit que parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels » (Plutarque. De defectu oraculorum 18).
On peut penser par contre que l’île était peut-être abandonnée du temps de saint Columba, et connue seulement de quelques ermites celtes comme saint Otteran, Odran, Oran.
Si l’on en croit la tradition irlandaise en effet, saint Otteran, Odran, ou Oran, aurait été un abbé de Meath, et aurait fondé Lattreagh. Suivant les documents, il est tour à tour présenté comme compagnon, frère, ou oncle, de saints Columba d’Iona. Les légendes entourant sa mort, survenue très peu de temps après l’arrivée de saint Columba (sa tombe a été la première de toute l’île) sont pour le moins pas très chrétiennes. Tout cela ressemble beaucoup en effet à un sacrifice de fondation, comme dans la légende de Merlin (Merlin enfant a en failli être sacrifié pour assurer la fondation du château de Vortigern). Ou alors à une ordalie dans le style de celle du purgatoire de saint Patrice à Station Island.
Dans le cas de la légende de saint Otteran, Odhran, ou Oran, il se serait agi d’une chapelle. Comme saint Columba n’arrivait pas à la faire construire, une mystérieuse voix aurait expliqué qu’il en serait ainsi, tant que l’on n’aurait pas enterré vivant quelqu’un dans les fondations. Oran se serait alors proposé pour cela. Mais peu de temps après, son fantôme serait sorti d’un des murs pour dire que l’enfer n’existe pas, que le paradis n’est pas ce que l’on dit, et ainsi de suite.
Une autre légende assure que ce serait saint Columba, curieux, qui aurait fait rouvrir la tombe d’Otteran, Odhran, ou Oran, quelques jours plus tard, et que ce dernier, toujours vivant, lui aurait alors rapporté des choses horribles comme « l’enfer n’existe pas » et ainsi de suite…
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que, du coup, tous les grands de la région voulurent être enterrés à ses côtés dans la terre ainsi sanctifiée par sa tombe ; et que le cimetière autour de la chapelle fut appelé Reilig Odhráin, en son honneur.
Hy était la porte vers la Bretagne ex-romaine et le Continent, tout en étant suffisamment isolée pour que l’on puisse y vivre dans la paix ou la sérénité. Après avoir fondé encore plusieurs autres monastères en évinçant les druides locaux, Columba participera à une autre bataille, cette fois-ci contre saint Comgall, auquel il arrachera l’église de Colethem. Il mourut le 9 juin 597.
RÈGLES ET USAGES.
Parmi les nombreuses règles qui nous sont parvenues (on en dénombre vingt-quatre) se détachent évidemment celles mises en forme par les grands noms du christianisme celte. Ces règles étaient souvent présentées de manière versifiée. On connaît celle de saint Ailbe d’Emly, saint Kiaran de Clonmacnois, celle très courte de Columba d’lona, et celle de saint Comgall de Bangor. Elles sont rédigées en vieux ou moyen irlandais. Pour les règles adaptées au monde continental, et donc écrites en latin, on connaît celle qui fut rédigée par saint Colomban de Bobbio, et qui est sans doute une reprise de celle de Bangor, où il avait été formé.
S’y ajoute le pénitentiel compilé dans la Regula cujusdam patris ad monachos, qui comptait vingt-deux chapitres.
La règle rédigée pour les femmes sous la dénomination Regula cujusdam patris ad virgines, et qui comptait aussi vingt-quatre chapitres, fut rédigée sous l’influence bénédictine.
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De la règle irlandaise originale, on ne connaît plus rien à part ces quelques strophes d’un antiphonaire.
NB. À droite ma traduction, mais mes sept ans de latin sont quand même loin.
Benchuir bona regula… Bonne règle de Bangor
Recta atque divine… Droite et divine
Stricta, sancta, sedula… Stricte, sainte et zélée
Summa, justa ac mira… Suprême, juste et admirable.
Les moines irlandais ont développé une tradition d’ascétisme, s’appuyant sur une triple classification du martyre. Nous trouvons en effet l’idéal du martyre curieusement exprimé, dans différents textes tant latins qu’irlandais.
Rappelons qu’au départ un martyr était seulement un homme ou une femme préférant mourir plutôt que d’accomplir les petits gestes symboliques prouvant sa loyauté envers l’État, que lui demandaient de faire les autorités. Par exemple brûler quelques grains d’encens devant une statue de la déesse Rome ou un portrait de l’empereur.
Le martyre blanc impliquait seulement de se retirer de la société ou de partir en exil pour servir Dieu ou le Démiurge. En bref la vie ascétique ordinaire. L’exemple typique en est saint Colomba d’lona, que l’on appelle aussi Colomban l’Ancien.
Ainsi que nous l’avons vu plus haut, ce Columcille descendait d’une illustre famille, il était né en 521 et reçut, dès l’âge de quinze ans, une solide formation dans plusieurs monastères. Les chroniques le décrivent comme un homme de haute stature, de grande intelligence, mû par un fougueux enthousiasme, excellent poète et bon copiste de textes anciens (voir l’histoire du Cathach). Vers l’âge de trente ans, il quitta son abbaye avec sept compagnons pour fonder de nouveaux monastères en Irlande. À Durrow, il eut ensuite une idée audacieuse, qu’il mit aussitôt en pratique : en 563, il traverse la mer pour se retirer à Hy, sur la côte occidentale de l’Écosse.
Le martyre vert (ou bleu) semble avoir été un développement particulier à l’Irlande. Il correspondait aux mortifications liées au repentir et à la pénitence, à faire donc dans le remords et le travail. La gamme de nuances que désigne le terme gaélique glas, sans équivalent dans notre langue, correspondait peut-être à la couleur liturgique du deuil pour les druides. En bref l’ascétisme le plus sévère. Le martyre vert forgeait le caractère de l’homme par la pratique de la repentance et de la pénitence. Il lui faisait prendre conscience de la grandeur de l’esprit, capable de maîtriser les désirs matériels.
Le martyre rouge impliquait de verser son sang pour la cause. Quelques moines colombaniens du Continent, tels Germain de Granval (610-675), ont trouvé la mort en tentant de convertir des païens. Mais ces conflits ne durèrent guère. Les païens vivaient leur foi pour eux-mêmes, et ne cherchaient nullement à combattre le christianisme en développant des équivalents des croisades ou des « lunades » (du djihad). Ce sera uniquement avec l’expansion territoriale carolingienne, que le pouvoir royal commencera de soutenir activement, et à grande échelle, la christianisation.
Les règles qui régissaient les monastères de type luxovien doivent à saint Colomban, le recours fréquent au directeur de conscience (anamchara) et à la pénitence tarifée (pénitentiels) avec possibilité de commutation des peines (origine probable des indulgences). Voir à ce sujet la table de commutation des pénitences rédigées en vieil irlandais publiée par Kuno Meyer sous le titre De Arreis. Au départ hostiles, les évêques réunis en concile à Chalon-sur-Saône en 647 entérinèrent la procédure.
Les rapports sociaux étaient naturellement facilités par la discipline, l’obéissance, et la simplicité du mode de vie qui régnait à l’intérieur du monastère. L’idéal des moines égyptiens ne s’y est pourtant pas imposé d’emblée.
Au sein du christianisme celtique, les anachorètes ne constituaient qu’une minorité de marginaux, la plupart des moines perpétuaient plutôt la traditionnelle relation druide/élèves et vivaient donc en cénobites. Le célibat, par exemple, ne s’est imposé qu’après de longues disputes, vers la fin du VIIe siècle et encore, pas chez les Culdées. À partir de cette époque, les contraventions aux lois monacales seront punies de lourdes peines.
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On sait que le mépris des richesses matérielles était pour saint Colomban de Bobbio, la première des vertus. Bède le Vénérable dit de saint Colman de Lindisfarne et de l’abbaye du même nom, qu’en dehors des troupeaux, aucune richesse n’est leur, et que, lorsqu’ils reçoivent quelque argent, ils s’empressent de le donner aux pauvres.
On entre là vers seize ans. On y passe d’abord trois années de probation. Les moines prennent en charge l’éducation et l’enseignement. À l’intérieur du monastère tous, anciens (seniores), travailleurs (operarii), jeunes (juniores), vivaient donc dans la pauvreté, la continence et l’humilité. Le sommeil était réduit à quelques heures, six ou sept. On se couchait tout habillé, sur une paillasse (lectulus). Le sommeil était à l’égal de l’éveil, rude et entrecoupé de prières.
Dès que vous étiez admis dans la communauté, vous étiez ipso facto réduit au degré zéro de la personnalité : le frère devait à ses supérieurs une obéissance de tous les instants, passive et absolue. Excepté pour des motifs utiles et nécessaires, il devait s’ensevelir dans un silence perpétuel, interrompu seulement par les prières. Les psaumes formaient la majeure partie de ces oraisons, et chaque moine en récitait au moins trois cinquantaines par jour.
Le régime alimentaire était très austère. Seuls quelques plats salés de légumes formaient la base des repas d’alors, à laquelle s’ajoutait un pain monastique. Le pain est en effet la principale nourriture, et l’eau fraîche ou du lait coupé d’eau, y seront au début les seules boissons tolérées. Ce n’est qu’après de longues décennies de querelles que des règles nouvelles accepteront la bière et (plus rarement) le vin. Comme le faisaient vraisemblablement les druides d’ailleurs. On s’abstenait souvent de viande et de poisson. Pendant les périodes de jeûne, la nourriture était encore plus chiche. Le rejet de toute consommation de viande de cheval ne s’explique néanmoins que par un usage propre à la classe des chevaliers ou des guerriers à char : il était interdit de manger de sa monture.
Aux Colombaniens, quel que soit leur état de santé, il n’était accordé que du poisson, des légumes, du gruau ou de la bouillie de céréale, un morceau de pain. Deux fois par jour (le matin et le soir).
Saint Colomban de Bobbio, au cours de son unique repas, se contentait d’un peu de pain, d’un œuf de poule, et de lait coupé. Il répétait souvent : c’est chaque jour qu’il faut jeûner comme c’est chaque jour qu’il faut prier. Cette coutume ascétique était si florissante en Irlande, que mercredi se disait « cet ain » (premier jeûne) et vendredi « ain didin » (ou dernier jeûne).
La journée devait donc être consacrée au jeûne, à la prière, à l’étude, à la lecture, à la calligraphie.
Dans les îles comme sur le Continent, de nombreux moines recopiaient inlassablement les ouvrages des Pères ou les textes sacrés que certains illustraient avec un admirable talent. Leur personnalité se révèle par les quelques mots qu’ils laissaient parfois dans les marges des manuscrits.
Moi et Pangur Ban mon chat
Sommes attelés à la même tâche
Courir après les souris fait ses délices
À courir après les mots je suis assis toute la nuit.
Le travail intellectuel qui s’effectuait dans les monastères irlandais consistait en un approfondissement des éléments de la croyance chrétienne ; mais aussi et surtout à transmettre le savoir de l’Antiquité classique, à partir des manuscrits disponibles, ainsi qu’à transcrire l’héritage oral des Celtes. Dans les enluminures, qui sont parmi les plus belles du monde, nous retrouvons des symboles de la vieille Irlande et de l’Orient. Dans les arts plastiques, ces symboles sont également très présents (grandes croix irlandaises ou celtiques). Le latin est la langue de l’Église, de la Science et de l’Écriture ; mais la langue quotidienne, le gaélique, ne sera pas éradiquée.
À ces travaux intellectuels s’ajoutaient les travaux des champs, le labourage, le soin des bêtes, et toute la somme des travaux quotidiens d’entretien, de réparation des bâtiments, ou des ustensiles…
Les moines, y compris leur abbé, doivent être autonomes et produire eux-mêmes leur subsistance. Ils doivent donc travailler la terre, élever du bétail, filer ou tisser, confectionner leurs vêtements, fabriquer des meubles et des outils.
On doit donc à ces moines l’introduction ou le développement des hospices, des moulins, de la pisciculture, des basses-cours, des haras, des porcheries (et même des stades si l’on en croit le grand
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spécialiste français de la question, Georges BRICHE) sans oublier les jardins. On y cultivait la menthe, le romarin, le lis blanc, la sauge, le glaïeul, le pouliot, le sainfoin, la rose, le cresson, le cumin, la livèche, le fenouil, la tanaisie, la sarriette.
Saint Fiacre (mort vers 670. Fêté le 30 août) n’est-il toujours pas d’ailleurs le patron des jardiniers ? Né au début du VIIe siècle dans une noble famille irlandaise, il passa sur le Continent à la suite du grand mouvement religieux qui entraînait nombre de ses compatriotes là-bas.
Il s’arrête près de Paris (Meaux) où il est accueilli par l’évêque, saint Faron, frère de sainte Fare, qui lui donne l’autorisation de s’établir comme ermite dans la forêt de Breuil. Beaucoup de miséreux affluant à son ermitage, Fiacre demande alors à son évêque un terrain qu’il pourra cultiver afin de nourrir les indigents. L’évêque lui octroya la propriété de l’espace de terre qu’il pourrait entourer d’un fossé en une journée.
Fiacre, laissant traîner son bâton derrière lui, aurait vu le sol se creuser de lui-même et les arbres déracinés tomber à droite et à gauche. Ses légumes plantés, Fiacre pense même aux plantes médicinales pour les malades et aux fleurs, « ces sourires de la terre », pour orner son oratoire. Il construit aussi un hospice pour les malades de plus en plus nombreux qu’on lui amène de tous les coins du pays. Il partage son temps quotidien entre la prière, le travail manuel, ou le soin des pauvres, et meurt vers 670 au Breuil, où se construit un monastère, autour duquel se forme un village qui portera son nom. Les pèlerins afflueront sur son tombeau pour demander la guérison de toutes sortes de maladies. On venait même autrefois l’invoquer contre les hémorroïdes, le « mal de saint Fiacre », la tradition affirmant qu’il suffisait de s’asseoir sur la pierre sur laquelle le saint avait l’habitude de se reposer, pour être guéri.
Remarques. Beaucoup de mensonges ou de contrevérités comme d’habitude dans cette pieuse mythologie chrétienne. Le Breuil en question était peut-être un ancien bosquet sacré druidique.
Qu’il nous suffise néanmoins de rappeler que les très-sachants de la druidiaction (druidecht) avaient développé maintes connaissances en plantes médicinales. Et que le dieu-ou-démon de la médecine, assisté de sa fille (Diancecht et Airmed dans le récit irlandais intitulé en gaélique Cath Maighe Tuireadh = la bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus, Mag Tured) ; est censé avoir découvert, mais aussitôt dissimulé, 365 plantes médicinales différentes.
« Médecin Medocios, guéris-toi toi-même encore une fois, puisque tu es si fort, s’écria-t-il alors. De toute façon, il me reste encore comme enfants Armeditrina et Octorigillos ! »
Et il l’enterra, mais des plantes et des herbes poussèrent sur sa tombe, une par jour de l’année, c’est-à-dire 365, ce qui correspondait très précisément au nombre de ses ligaments ou de ses nerfs.
Armeditrina vint alors cueillir ces herbes sur la tombe de son frère, et les ramena dans son manteau.
Mais Diancecht l’ayant surprise en train de procéder à cette récolte, il mélangea les plantes, si bien qu’on ne peut plus depuis en connaître les vertus, sans l’aide du Saint-Esprit » [ajouta le moine-copiste ayant transcrit cette antique légende].
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DE L’EXTINCTION PROGRESSIVE DE L’ÉGLISE CELTIQUE.
(Son absorption dans l’Église romaine incarnée par les Anglo-Saxons).
— Angleterre Centrale.
L’Église celtique du centre de l’Angleterre s’est éteinte vers la fin du cinquième siècle ; ses membres ayant été tués ou ayant dû se réfugier dans des secteurs plus éloignés afin de se protéger des invasions germaniques venues du Jutland ou du Schleswig-Holstein. Ils continuèrent néanmoins à vivre leur foi dans ces régions, longtemps après la conversion des Anglo-Saxons, obtenue par Augustin de Cantorbéry.
— Pays de Galles.
Les Bretons du nord du Pays de Galles ne se sont pas alignés sur les usages de l’Église anglo-saxonne avant l’an 768, ceux du sud du Pays de Galles avant 777. Ce ne fut d’ailleurs pas sans résistance. La Chronique de Brat-y-Tywysog rapporte qu’en 809, surgit un grand tumulte sur la question de Pâques, et que les évêques de Llandaff et Menevia, évêques des évêchés les plus anciens, avaient refusé le changement dicté par l’Église de Rome. La suprématie du siège de Cantorbéry ne fut définitivement établie qu’au douzième siècle.
— Angleterre du Sud.
L’Église celtique du Somerset et du Devon (c’est-à-dire des Bretons vaincus par les Saxons de l’Ouest) a été ralliée à l’Église de Rome au début du huitième siècle. Grâce à l’influence d’Aldhelm qui, selon Bède, devint abbé de Malmesbury en 671, et à celle, ensuite, de l’évêque de Sherborne, en 705.
— Cornouailles.
Les évêques de l’Église bretonne ne furent pas soumis au siège de Cantorbéry avant Athelstan (925-940), la soumission de l’évêque Kenstec à l’archevêque Ceolnoth (833-870) étant la seule exception.
La région ayant été ensuite conquise par les Saxons, l’évêque Conan s’est soumis à l’archevêque Wulfhelm, et a été reconnu par le roi Athelstan, qui l’a formellement confirmé sur le siège de Bodmin en 936.
— Northumbrie.
L’Église celtique, établie dans le Northumberland par le roi Oswald en 634-635, resta florissante sous l’évêque « écossais » Aidan, mais Finan et Colman de Lindisfarne se rallièrent à la pratique romaine au Synode de Whitby (664). Cela ne se fit pas sans mal néanmoins, car Colman préféra quitter la Northumbrie, avec tous les siens (ils se retirèrent à Iona en Écosse puis en Irlande à Inishbofin).
— Strathclyde.
Les Bretons du Strathclyde se conformèrent à l’usage romain en 688, un an après la mort de saint Cuthbert, à l’occasion d’une visite d’Adamnan, abbé d’lona ; qui s’était rallié à l’usage romain, bien que ses moines n’y aient pas été favorables. Sedulius fut sans doute le premier évêque du Strathclyde à s’être conformé à cet usage.
— Dalriada.
Quand Adamnan retrouva sa communauté à lona, il essaya de la convertir aux usages romains, mais en vain. À sa mort en 704, la communauté monastique était toujours divisée à ce propos, et ce n’est qu’en 710 que le problème commença de se résoudre, en faveur de Rome d’ailleurs, grâce à l’intervention de Nechtan fils de Derelei, le roi des Pictes. Ce n’est qu’en 772 cependant, sous l’abbé Suibhne, que le problème fut définitivement tranché.
— Pays picte d’Écosse.
Quand Marguerite, une princesse saxonne, épousa le roi Malcolm III, en 1069, elle trouva beaucoup « d’anomalies » dans l’Église, notamment dans ce qui avait été le pays picte. L’extinction finale de l’Église celtique de ces territoires fut néanmoins autant due à sa propre décadence qu’aux efforts de Marguerite et de ses fils. Cette église mit néanmoins beaucoup de temps à disparaître définitivement, car bien des années plus tard nous trouverons encore des communautés de culdées côte à côte avec des moines d’obédience romaine, dans des localités comme Saint Andrew et Monymusk.
— Irlande.
La papauté entreprit de reprendre en main les chrétientés celtiques dès la fin du VIIe siècle : c’est alors que l’on commença de présenter saint Patrice comme étant le fondateur de l’Église irlandaise, ce qu’il n’était pas vraiment. Tout en se soumettant à Rome sur le plan liturgique, l’Irlande réussit à garder son organisation.
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L’Église celtique du sud de l’Irlande a commencé à se conformer aux usages romains durant le pontificat d’Honorius en 626-638. La lettre de Cummain, abbé de Durrow, écrite en 634, à un certain Ségéne, cinquième abbé d’lona, et annonçant la détermination de l’Irlande du Sud à suivre la pratique romaine, existe d’ailleurs toujours. L’Église d’Irlande du Nord, malgré les efforts de Colman et à cause de l’influence d’Adamnan, se décida aussi à suivre la même voie lors du Synode de Tara, en 692. Comme dans le pays picte d’Écosse, les derniers vestiges de l’Église celtique mirent longtemps à disparaître dans cette région.
Au XIIe siècle, l’implantation dans l’île des Ordres monastiques continentaux – les Bénédictins vers 1135 et les Cisterciens, en 1142 – puis la conquête normande, sonnèrent le glas du monachisme irlandais traditionnel. Mais ce fut seulement avec saint Malachie, évêque d’Armagh (1134-1148), un des premiers prélats irlandais à obtenir les pleins pouvoirs du pape, que l’Église d’Irlande est devenue définitivement romaine. Au synode tenu à Kells, sous la présidence de Johannes Paparo, de nouveaux pas furent franchis en ce sens. En 1172, au synode de Cashel, présidé par Christian, évêque de Lismore et légat du Pape, il fut décidé que la version « anglaise » du missel romain serait désormais utilisée partout en Irlande.
— Le Continent.
Ainsi que nous avons pu le voir, des églises celtiques furent fondées sur le continent par des missionnaires irlandais ou bretons, durant les Ve, VIe et VIIe siècles, en Espage en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Italie, et en Suisse. Sans oublier l’Islande et les îles Féroé, voire le Groenland, qui furent d’abord habités par des missionnaires celtiques, si nous devons croire certaines interprétations de la légende de saint Brendan.
Cette Église celtique continentale commença néanmoins de décliner de 680 à 755.
N.B. Il existait en Espagne un diocèse « breton » (Santa Maria de Bretona) en Galice. Un évêque portant un nom indubitablement breton, Mailoc ou Maeloc (Maclou/Malo en France : il s’agit d’un anthroponyme breton très connu) a d’ailleurs participé aux conciles de Lugo et de Braga en 569 et en 572.
Les coutumes celtes furent interdites par le Quatrième Concile de Tolède en 633.
En Armorique, les usages bretons tinrent plus longtemps, jusqu’en 818, année où ils furent supprimés par Louis le débonnaire, après sa victoire sur les Bretons * et où la règle de saint Benoît remplaça partout celle de saint Colomban de Bobbio, à une exception près néanmoins. Par un audacieux défi, l’abbaye de Redon, fondée 14 ans après cette transformation générale, se donna justement pour règle, avec le soutien de Nominoë, celle de saint Colomban de Bobbio. Pour peu de temps néanmoins. La règle bénédictine y fut introduite par un moine de Glanfeuil nommé Gherfred. Elle y entra, dit-il, suite à un songe (le monastère était, en fait, menacé de fermeture par l’empereur).
* L’empereur Louis le pieux ou Louis le débonnaire, fils et successeur de Charlemagne, était venu en Bretagne en 818 pour combattre les Bretons et leur chef. Louis le débonnaire avait fixé son camp sur l’Elle, près de Priziac. L’origine du conflit nous est donnée par l’astronome biographe de Louis le pieux. « On annonça à l’empereur l’insolente rébellion des Bretons, qui en étaient venus au point d’appeler roi un des leurs, nommé Morvan, et de refuser tout service. Pour châtier ces téméraires, Louis assemble des troupes de toutes parts et marche contre la Bretagne ». Morvan mourut dans la bataille. Les Francs imposèrent à nouveau leur loi aux Bretons ainsi que le devoir de fidélité. Mais Louis le débonnaire, comprenant qu’il ne viendrait pas vraiment à pacifier toute la Bretagne, nomma un chef Breton, Nominoë, duc du pays, c’est-à-dire « envoyé de l’empereur en Bretagne ». Après la mort de Louis le débonnaire, ne se sentant plus lié aux Francs, Nominoë infligera ensuite à Charles le chauve une sévère défaite, à Ballon, près de Redon, en 845.
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LES MOINES CULDÉES.
Les culdées sont les descendants des premiers chrétiens d’Irlande, pas nécessairement ceux de saints Patrice d’ailleurs, puisqu’il y eut des chrétiens en Irlande avant ce dernier, ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir. Leurs principales caractéristiques sont les suivantes : ils ne vivaient pas totalement à l’écart du monde, et seulement à titre partiel en communauté (maison commune, table commune, et oratoire commun). Ils pouvaient être mariés, donc avoir des enfants. Ils n’avaient pas fait vœu de pauvreté, donc pouvaient posséder des biens. C’étaient des prêtres disant la messe, mais aussi souvent des artistes (des poètes, des chanteurs…) ou des artisans, dont l’association (10 à 20 personnes) faisait vivre l’église du lieu. On ne sait pas grand-chose des règles du culte chrétien à cette époque, sauf que le Jeudi saint, les moines se lavaient mutuellement les pieds ou que le jour de Pâques, on pratiquait le vieux rite du bûcher pascal.
La question est la suivante : les Culdées irlandais étaient-ils ainsi à l’origine, ou s’est-il agi du relâchement d’une discipline ecclésiastique initiale beaucoup plus sévère ?
Réponse. Vers le milieu du septième siècle est apparu un nom pour désigner cette situation en Irlande, celui de culdée. Un des premiers à en avoir parlé fut d’ailleurs John Toland. D’après Toland (Nazarenus), les Culdées apparurent en Irlande et en Écosse au VIIIe siècle. Il s’agissait d’une spiritualité très égalitariste, non hiérarchisée, sans évêque diocésain, et sans pape, reconnaissant à chacun une totale liberté de conscience. D’après lui, les culdées disparurent au XIe siècle et c’est une bulle du pape Hadrien IV qui aurait décidé le roi d’Angleterre Henri II, en 1154, à entreprendre la conquête de l’Irlande, pour mettre fin à ce christianisme original.
NDLR. Avertissement au lecteur. Dans ce qui suit l’adjectif « régulier » doit être compris, pour simplifier, comme équivalant à « catholique romain », car les Culdées aussi devaient bien avoir une règle. Précision utile pour bien comprendre l’ampleur des règlements de comptes ayant eu lieu alors entre tous ces doux rêveurs adeptes du dieu d’amour et dont le comportement, que ce soit celui des uns ou des autres, est assez minable (idolâtre adoration de reliques volées, dénigrement systématique des concurrents, etc.)
Notons également que séculier signifie « qui ne vit pas reclus à l’écart de la société dans un couvent ». En ce sens s’oppose à « conventuel » (qui vit dans un couvent). Un curé ou un pasteur sont des prêtres séculiers, un moine ou une religieuse sont « conventuels ».
Un chanoine est un membre du clergé attaché au service d’une église. Au haut Moyen-Âge, le mot pouvait désigner certains membres du personnel laïc des églises.
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Les Culdées des îles Britanniques tels qu’ils apparaissent dans l’Histoire avec les documents qui le prouvent en annexe par William Reeves Dublin 1864.
La dévotion et l’abnégation caractérisant la vie monastique lors de son apparition en Irlande valurent à ceux qui l’adoptaient, l’appellation de « Servus Dei » qui devint, avec le temps, un quasi-synonyme du terme latin monachus. Ancilla Dei prit le sens de « moniale » (religieuse) et « servire Deo » celui de « mener une vie monastique ». L’expression Servus Dei étant devenue familière dans leur culture, il était fatal que les Irlandais cherchent à lui trouver un équivalent dans la langue de leur peuple.
Célé = compagnon ?
Mais le terme célé, ainsi que les mots « puer » et « comes » en latin, ou gilla en irlandais, admettent aussi comme signification secondaire la soumission ou la relation pouvant exister de maître à
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domestique. Pour des esprits imbus de déclarations du genre : « Dorénavant je ne vous appellerai plus des domestiques, mais des amis » ; l’adoption de l’expression servus Dei au sens de frères, compagnons, ou camarades, a peut-être suggéré un équivalent comme celui de Célé-dé en gaélique. Il importe de rappeler que le mot célé entre dans la composition de certains noms propres ou communs, de la même manière que gilla et mael, avec le sens plus ou moins explicite de compagnon, de serviteur, ou de consécration/dévotion à Dieu.
Nous pouvons donc sans risque attribuer à cette origine la création du composé gaélique Célé-Dé, qui, dans son utilisation, recouvrit tous les sens de son modèle original, mais au fil du temps subit toutes les modifications ou pertes de sens que les changements d’époque et de circonstances, ou d’usage local, suscitèrent dans la classe sociale où ce terme était utilisé.
Nous en avons un exemple intéressant dans les annales irlandaises de 1595, année où les Annales des Quatre Maîtres appliquent le terme CéilenDé aux Frères dominicains de Sligo, membres d’un Ordre qui ne fut fondé qu’en 1215. Le Livre de Fenagh, une compilation du seizième siècle par contre, anticipe sur l’usage du terme en appliquant le mot Cele-dei à saint Jean l’évangéliste, en un sens général de personnage saint, pieux, et vivant probablement dans la pauvreté.
Deux manuscrits plus anciens, le Livre de Leinster et le Livre de Lismore contiennent une variante de la légende de saint Moling, le fondateur de Tech-Moling, dans laquelle cet ecclésiastique se considère lui-même comme membre des Cele-nDé. Saint Moling, que l’on connaît maintenant sous le nom de saint Mullins, dans le comté de Carlow, était un contemporain de saint Adamnan et il est mort en 697. C’était non seulement un abbé, mais aussi un évêque, le successeur de saint Moedoc sur le siège épiscopal de Ferns.
En Écosse, où le terme fut importé avec la langue et les institutions des immigrants scots, nous trouvons, vers le milieu du treizième siècle, certains ecclésiastiques désignés sous l’appellation « Keledei sive Canonici ». Au fil des siècles, le mot a été appliqué sans les sens les plus divers. Il fut tantôt porté par des ermites, tantôt par des moines conventuels ; parfois dans un état impliquant le célibat, parfois dans une situation impliquant qu’il s’agissait d’hommes mariés ; désignant ici des prêtres séculiers, là des moines réguliers, certains liés par le vœu de pauvreté, d’autres libres d’accumuler des biens ; très estimés pour leur abnégation à une certaine époque, considérés avec mépris comme relâchés ou trop mondains à d’autres.
Ceux qui pensent que les Céli-dé furent les membres d’un seul et même ordre expliquent cette contradiction par l’existence de deux classes distinctes de culdées, une classe à la discipline plus stricte et une à la discipline plus lâche. Mais rien dans nos archives n’appuie cette hypothèse. Et quand Célé-dé devint peu à peu un terme distinctif, ce fut seulement pour opposer ceux qui s’accrochaient aux antiques obédiences monastiques du pays, à ceux qui avaient adopté les institutions mieux organisées, plus systématiques, de l’Église romaine du Moyen-âge. Par exemple pour singulariser un moine scot. La fréquence des noms de famille comme Mac Anaspie, Mac Nab, Mac Prior, Mac Intaggart, Mac Pherson, Mac Vicar, Mac Clery ; dénote en effet un état social plus tout à fait en phase avec l’idée que l’on pouvait se faire de la discipline ecclésiastique chrétienne à l’époque.
Le premier cas, dans lequel on observe l’adoption du concept par un auteur irlandais, se trouve dans les mémoires de Tirechan à propos de saint Patrice. Un texte écrit dans la première moitié du huitième siècle, où l’évêque ayant donné son nom à Killespugbrone (dans le comté de Sligo) est appelé Bronus filius Icni, servus Dei, socius Patricii. Si la Vie tripartite l’avait traduit en irlandais, comme dans la plus grande partie du récit de Tirechan, nous aurions eu selon toute probabilité un témoignage important quant à l’origine de notre Célé-dé vernaculaire ; mais malheureusement, elle reproduit la phrase latine telle quelle, directement dans le corps du texte.
Nous avons, cependant, dans une autre partie de cette antique et précieuse compilation, un exemple d’emploi du terme irlandais, le plus ancien cas que nous ayons pu trouver. Le propos de saint Patrice parlant d’un jeune garçon qui venait de mourir et qui finit de la sorte : « Il ordonna ensuite à un célé dé de sa famille, c’est-à-dire, Malach le Breton, de le ramener à la vie ». Colgan rend inexactement le terme en question par « cuidam advenoe », au lieu de « monacho » ou « servo Dei », qui serait la traduction la plus raisonnable.
Ayant examiné la forme primitive du nom, venons-en maintenant à ses deux éléments constitutifs, céle et Dé.
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Le terme célé apparaît fréquemment dans les anciens manuscrits irlandais où il glose habituellement les mots socius et maritus, exemple dans la copie de Wurtzbourg des épîtres de saint Paul. Cela fournira même à Zeuss le paradigme de l’ancienne déclinaison des noms de la première série.
De la même manière, « célé ingine » (c’est-à-dire socius filiae) glose « gener » et coceilfine »societas ». De là, il passe au sens pronominal d’alius, autre, et au sens adverbial de seorsum. Le mot apparenté gallois, cilid (gelyd par la suite et enfin maintenant gilydd), le cornique gele ainsi que le Breton gile, ne sont utilisés qu’en ce sens (dérivé).
Le mot célé a plus rarement le sens de servus. Les Épîtres de Wurtzbourg glosent libertus par roirmug, roirchéle ; ce qui signifie « libéré de l’esclavage ». Dans le Glossaire d’O’Davoren chéle nous est expliqué par gilla, qui signifie « domestique » et on le trouve avec ce sens dans les dictionnaires irlandais ou gaéliques modernes. Nous trouvons aussi le terme dans la composition de quelques noms propres, combinés communément de la même façon que les mots mael et gilla, c’est-à-dire celecleirech, celeclamh, celecrist, celedabhaill, celedulaisi, celeisa, celepetair, celetighernaigh.
L’autre composant, Dé, constitue le génitif de Dia, « Dieu » et il est de temps en temps utilisé comme une sorte d’intensif religieux entrant ainsi en combinaison avec certains termes monastiques, comme ancor Dé, anchorita Dei ; caillech Dé, monialis Dei ; deoraidh Dé, peregrinus Dei. On disait par exemple d’un homme qui avait renoncé au monde qu’il l’avait fait « ap Dia » : « pour Dieu ».
Considérant donc la vraie forme du terme, on peut annoncer sans risque que la charte écossaise du douzième siècle, qui le transcrit chélédé, Jocelin, qui le latinise en calledeus, ainsi que la plupart des archives écossaises qui le reprennent sous la forme keledeus ; sont plus dans le vrai que le cartulaire de York, Giraud de Cambrie et les archives d’Armagh ; qui supposent une affinité entre l’irlandais célé ainsi que le latin colo, quand ils transcrivent le terme par colideus et cœlicola ; faisant ainsi de céledé l’équivalent celtique de leur familier deicola.
Voilà pourquoi Colgan, qui était pourtant un spécialiste du gaélique, a pu écrire à propos des Kele De, « quae vox latine reddita Deicolam, seu Amadeum designat ».
En Écosse, Hector Boece, suivi par George Buchanan, a vulgarisé le terme culdeus, d’où est sortie la forme de mauvais goût « culdee », qui est ensuite passée dans l’anglais courant et a donné lieu à beaucoup de mystifications.
Les Culdées étrangers.
Les Irlandais n’ont jamais pensé que la catégorie de personnes désignées chez eux sous le nom de Céli-dé devait être propre à leur pays. Nous en avons la preuve non seulement dans le passage de la Vie tripartite de saint Patrice cité ci-dessus, qui présente Malach, un Breton, comme étant un Célé-dé faisant partie des compagnons du saint ; mais aussi dans deux très curieuses entrées des Annales des Quatre Maîtres. Quoique la source d’où elles ont été tirées soit assez incertaine. En l’an 806 (811 de l’ère vulgaire) ces rubriques relatent le fait suivant : « Cette année-là, un Céile-dé a traversé la mer à pied sec, sans l’aide d’un navire ; un écrit du Ciel lui avait été donné pour en prêcher le contenu aux Irlandais, mais il fut de nouveau emporté dans les airs une fois son discours fini. Cet ecclésiastique avait l’habitude de partir vers le sud sur la mer chaque jour quand ses prêches étaient finis ».
Laissons de côté le merveilleux de cette déclaration, qui cadre mal avec le sujet des entrées factuelles dans lesquelles les compilateurs l’ont insérée. On peut facilement comprendre que ce texte évoque l’arrivée d’un moine étranger, dont la mission était de susciter quelque réforme morale, ou un changement dans la discipline ; et dont les exhortations prétendaient ou avaient assez de force pour sembler être un message envoyé du ciel.
Idem en 919. Les mêmes annalistes rapportent que « Maenach, un Célé-dé, traversa la mer en direction de l’ouest pour établir des lois en Irlande ». La forme celtique du nom de cet homme fait penser qu’il venait du nord de la Grande-Bretagne, car l’ancien irlandais considérait de façon traditionnelle l’Écosse comme étant un pays « oriental ». Ou alors nous pouvons supposer qu’il s’agissait d’un moine irlandais installé sur le Continent qui rentrait au pays chargé d’une quelconque mission temporaire concernant la discipline ecclésiastique.
IRLANDE.
La fin du huitième siècle nous fournit des exemples d’emploi du terme Célé-dé en un sens très défini et en relation, du moins sur le plan local, avec une certaine catégorie institution de religieux.
Saint Maelruain, l’abbé, mais aussi évêque fondateur de l’église de Tamhlacht, appelé maintenant Tallaght, près de Dublin, réunit autour de lui une fraternité pour laquelle, vu la corruption ambiante en matière de religion et le relâchement de la discipline monastique ; il prescrivit certaines règles plus strictes, consistant pour partie en préceptes devant servir de guide pour des communautés monastiques ou sacerdotales. De l’histoire de Maelruain nous ne savons rien, à part quelques
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généralités. Une règle monastique qu’on lui attribue nous a été conservée par le Leabhar Breac, sous le titre de Riagail na Celed-nDe, oMoelruain cecinit, ce qui signifie « la Règle des Cêle-ndé [tirée du poème] qu’O’Moelruain a composé ».
Ce texte est écrit en gaélique. L’orthographe et la structure grammaticale du texte prouvent qu’il ne remonte pas au-delà du douzième ou treizième siècle. Il peut être considéré comme la version partiellement modernisée, voire sans doute également augmentée [les strophes ou paragraphes 59 à 65] d’un document beaucoup plus ancien. La longueur de ce traité rend possible une grande variété de sujets, mais son plan est très déficient, et il y a beaucoup d’éléments passablement obscurs. En dépit de son importance pour illustrer notre sujet, son insertion à cet endroit romprait la continuité de ce mémoire, et soulèverait immédiatement des polémiques étrangères à notre sujet immédiat. Il sera donc étudié en annexe seulement.
Qu’il nous suffise ici d’observer que ceux à qui ces préceptes sont destinés sont en divers endroits désignés sous le nom de Célé-nDé. Ce qui peut s’appliquer à un ordre particulier appelé ainsi ou, ce qui est plus probable, simplement à des « ascètes » ou à des ecclésiastiques « menant une vie très stricte ».
Nous avons en outre un poème religieux en douze strophes, conservé dans un autre manuscrit tout aussi vénérable, sous le titre Do Cheliu De inro rir, « du Céli-Dé ci-dessous » ou « du Céli-Dé suivant » ; et principalement consacré à des préceptes sur l’adoration divine, selon qu’il s’agit d’ecclésiastiques, de lecteurs, ou de laïcs.
Ce poème constitue la septième section d’un texte versifié de 145 strophes, attribuée à saint Carthach ou Mochuda de Lismore, et succède immédiatement à une section contenant dix-neuf strophes sur les devoirs du moine. S’il s’agit d’une composition d’origine, ou d’une copie simplement modernisée, il s’ensuit alors que les Céli-dé formaient bien une catégorie de religieux distincte des autres dès avant 636, date de la mort de saint Carthach. Et qu’ils n’étaient pas considérés comme des moines au sens strict du terme.
Saint Maelruain mourut le 7 juillet 792 ; sa mort est ainsi enregistrée, dans les Annales d’Ulster : « Maelruain Tamlachta episcopus et miles Christi in pace dormivit ».
Dans sa fraternité a vécu un ecclésiastique, de quelques années son cadet, appelé Oengus, surnommé ainsi d’après son père, Mac Oengobann et d’après son grand-père, Ua Oïblen, dont les compositions poétiques ont joui d’une grande célébrité en Irlande. Cet auteur distingué a passé la première partie de sa vie monastique à Cluain-Eidhnech, maintenant Clonenagh, et a fondé ensuite un ermitage dans les environs, appelé d’après son nom, Disert-Oenguis, aujourd’hui Disertenos ; il a été ensuite amené par la célébrité de l’institution de Maelruain, et sans doute plus encore par son goût pour sa discipline et ses habitudes particulières, à se rattacher à la congrégation de Tamhlacht. Il passe pour avoir composé ici son Felire ou calendrier en vers, et avoir participé à la compilation du martyrologe de Tamhlacht. En plus de ces travaux, on lui attribue aussi diverses poésies religieuses ainsi que différents traités liturgiques ou historiques. Le titre par lequel il est désigné invariablement est celui de Célé-dé ; de sorte que Oengussius Keledeus en latin, « Oengus le culdée » en langue vernaculaire, est un nom familier à tout spécialiste de l’histoire d’Irlande.
Il a peut-être été appelé ainsi par référence à l’ordre auquel il appartenait, en tant que membre d’une communauté à qui le titre de Célé-dé alors était particulièrement décerné, plutôt que par allusion à ses qualités personnelles. Ou alors, comme le suppose Colgan, c’est sa sainteté personnelle qui lui a valu par excellence le titre de Célé-dé au sens « d’amant ou dévot de Dieu ». Un peu comme un surnom propre à lui-même, ajoute le docteur Lanigan.
Dans le cas d’Oengus, il vaut peut-être mieux considérer que c’était une désignation dénotant l’observation d’une discipline monastique rigide, notamment pour ce qui est du service divin. Et qu’elle lui a été appliquée comme à quelqu’un ayant écrit beaucoup des compositions religieuses de cette Église, ou ayant vécu aussi selon les plus stricts principes de sa secte religieuse.
Vu la façon dont le terme est mentionné dans les Annales et les Règles, il ne fait aucun doute que c’était un nom commun et nous le trouvons même, dans un cas au moins, associé au nom d’un illustre inconnu : Comgan céle – dé, « Comgan le Culdée ». Il est commémoré dans les calendriers de Tamhlacht, de Marianus Gorman et du Donegal, le 2 août, mais sans aucune précision sur le lieu ou l’année de sa mort. Il peut paraître étrange que ce titre ne soit pas plus souvent appliqué aux saints ayant appartenu à des ordres monastiques de caractère conventuel, malgré l’énorme quantité de noms entassés dans le calendrier irlandais ; mais il faut se rappeler que ce terme n’est entré en usage et sans signification particulière que vers la fin du huitième siècle, alors que le calendrier irlandais approchait de sa fin.
L’église de Tamhlacht a été fondée vingt-quatre ans après l’institution, par Chrodegang, de l’ordre des chanoines, à qui l’on a donné ensuite le titre de Fratres Dominici, puis de canonici.
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C’était une catégorie intermédiaire entre les moines et les prêtres séculiers, adoptant une grande partie de la discipline du système monastique, mais sans prononcer de vœux, et servant de ministres du culte dans diverses églises. Lors du Concile d’Aix-la-Chapelle en 817, une nouvelle règle ainsi que des normes supplémentaires leur furent données. L’institution de Maelruain a pu emprunter quelques particularités, si elle ne les avait pas déjà en commun avec eux, à cet ordre de chanoines.
Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’au bout d’un certain temps, les Keledei d’Écosse et les Colidei d’Irlande finirent par faire preuve dans leur discipline des mêmes principales caractéristiques que ces chanoines séculiers.
Armagh.
L’autre église ayant eu aussi une fraternité de Céli-dé qui lui était associée, fut celle d’Armagh ; et, dans ce cas, ce fut pendant une très longue période de temps, c’est-à-dire du commencement du dixième siècle jusqu’à la Réforme.
En 920, ou 921 de l’ère vulgaire, les Annales d’Ulster rapportent ce qui suit. « Ardmacha, le samedi d’avant la saint Martin, c’est-à-dire le 10 novembre, a été pillée par Gofrith, le petit-fils d’Ivar et son armée. Ils ont épargné les maisons de prière avec leurs hommes de Dieu, c’est-à-dire les Céli-dé ainsi que leurs malades, et toute la ville ecclésiale. À l’exception de quelques maisons qui ont été brûlées par négligence ».
Ce qui est remarquable dans ce passage, c’est qu’il ne mentionne ni abbé, ni subalternes, ni aucun moine, d’Armagh, bien qu’elle ait eu plusieurs églises et qu’elle ait été très tôt amplement pourvue de toutes les catégories de ministres du culte conventuels possibles.
Il semble n’y avoir eu ni secnab, ni prieur, ni évêque, ni ferleghinn, ni lecteur, ni anachorète, ni aucun des habituels titulaires d’office d’un grand monastère de l’époque.
Les pillages vikings et les incendies des années 830, 889, 850, 867, 879, 890, 893 et 914, ainsi que l’ont noté les Quatre Maîtres, avaient si durement touché l’ancien établissement, que nous pouvons le supposer presque déserté. Sauf par les ministres du culte faisant preuve d’abnégation et les plus dévoués à ses églises ainsi qu’à ses hôpitaux. Voilà sans doute pourquoi l’annaliste évoque tous les religieux de la place sous l’expression « les gens de Dieu ». Ou, plus précisément de Céli-dé, qui sembleraient avoir été les officiants préposés au chœur et à l’autel, en relation étroite avec ceux qui accueillaient les malades et les pauvres. Les Céli-dé d’Armagh, dans cette optique, auraient état les ministres du culte de l’antique l’ancien couvent.
C’est la première et dernière fois que les annales irlandaises nous parlent des Céli-dé d’Armagh ; et ce n’est qu’en 1366, qu’ils réapparaîtront dans l’Histoire. Dans l’intervalle, les Vikings ayant cessé leurs déprédations, et Armagh ayant retrouvé sa condition normale, le clan local dominant l’emporta. Aussi bien sur le plan religieux que sur le plan séculier : il y eut six abbés laïcs héréditaires ainsi que tout un ensemble d’autres abus nés de l’épuisement du système monastique conventuel. On peut supposer que, durant cette période, alors que la partie plus riche de la communauté se sécularisait, les prêtres officiants ont continué d’accomplir les devoirs de leur sacerdoce, comme jadis, vivant toujours en communauté ; mais peut-être, comme les Céli-Dé de Clonmacnois, ou les Keledei d’Écosse, en contractant occasionnellement mariage.
Le relâchement de leur discipline a sans doute été la cause qui a rendu souhaitable l’introduction, pour Armagh, de chanoines réguliers. Et l’on peut sans peine imaginer que la reconnaissance officielle de cet Ordre, en 1126, n’a pas peu contribué à précipiter le déclin de l’influence et de l’importance de cette corporation séculière qui, dans le diocèse, a désormais cédé le pas aux moines réguliers ; bien qu’ayant longtemps constitué le clergé original du lieu.
La date exacte de réorganisation de l’économie de la cathédrale n’a pas été notée, mais elle a probablement eu lieu entre le départ de Malachie O’Morgair et la conquête de l’Irlande, durant l’épiscopat de Gélase. Le personnel d’une cathédrale normale, doyen, chancelier, trésorier, archidiacre et chanoines, jusqu’ici inconnu en Irlande, mais emprunté à l’Angleterre ou au Continent, y fut alors installé.
Dans d’autres diocèses, il y eut un processus différent ! Comme à Down où Malachie O’Morgair a fondé en 1138, un prieuré de chanoines réguliers ; abandonnant la cathédrale à sa vieille corporation de chanoines séculiers, qui, je présume, étaient apparentés aux Céli-dé, et qui continuèrent à s’en occuper jusqu’en 1183. Date à laquelle Jean de Courcy les en expulsa en anglicisant cette église et en y faisant venir des moines bénédictins de Saint-Werburgh (Chester). Dans le comté de Meath par contre, comme il n’y avait pas de cathédrale, les Céli-dé qui desservaient l’église à Clonard intégrèrent, avec tous leurs privilèges, le clergé paroissial du diocèse.
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NDLR.
Malachie (Irlande vers 1094 – France 1148) a été le pionnier de la réforme grégorienne en Irlande.
Fils d’un maître d’école, Malachie devint moine auprès de l’abbé Imar et fut ordonné prêtre par saint Celse en 1119. Il continua d’étudier pendant quelque temps, sous la direction de Malchus de Lismore. Quand Cellagh (Celse), archevêque d’Armagh, partit pour Dublin, Malachie dirigea son diocèse en tant que vicaire.
En 1123, Malachie se vit confier le rétablissement de l’abbaye désertée de Bangor et, l’année suivante, il devint évêque de Connor. Avec une poignée de moines, il construisit une église en bois. Il disposait de peu de prêtres et de peu de ressources (la dîme ne rapportait guère), et l’autorité de la tradition l’emportait sur celle de l’Église. Sa persévérance et son habileté eurent néanmoins des résultats. Mais il fut obligé de partir en raison de la guerre. Il s’enfuit à Lismore où il fonda un monastère à lveragh.
En 1129, il fut nommé archevêque d’Armagh par Cellagh, mourant. Pendant plusieurs années, la puissante famille qui, par tradition, donnait les titulaires de ce siège l’empêcha d’exercer ce ministère. Malachie, désireux d’éviter les affrontements, attendit l’intervention du légat du pape, Gilbert de Limerick, pour assurer la juridiction du diocèse. À la mort de Muirchertach, son rival, Malachie demanda le siège d’Armagh à son successeur, Niall, qui garda cependant une grande influence dans le Nord.
Malachie démissionna en 1137, et un compromis fut trouvé par toutes les parties, en la personne de l’abbé Gilla de Derry (Gélase).
Retournant à Connor, Malachie divisa le diocèse en deux sièges, Connor et Down. Il partit pour Rome en 1139, rendit visite à Bernard de Clairvaux en chemin, et lui laissa quelques moines à former. Sa demande concernant le pallium fut rejetée, mais le pape Innocent II le nomma légat pour l’Irlande. À son retour, Malachie fonda le monastère de Mellifont. Ensuite il repartit pour Rome, s’arrêta de nouveau à Clairvaux, et mourut dans les bras de saint Bernard qui écrivit sa Vie.
La Prophétie sur les papes. En 1595, le moine Arnold de Wyon publia un document de quelques pages qu’il attribua faussement à cet archevêque d’Armagh. Il s’agit d’une suite de cent devises qui devaient s’appliquer à tous les papes depuis Célestin II (1113-1114). On s’aperçoit que certaines devises s’adaptent bien aux règnes des papes qu’elles désignent. Des commentaires succincts en renforcent l’accord. Mais, à partir d’Urbain VII qui mourut en 1590, il n’y a plus ni commentaire ni concordances évidentes. Il semble donc bien que la véritable prophétie ne commence qu’avec cette devise et sa réalisation en devient du coup plus douteuse. Après la devise de Paul VI, les trois dernières devises sont les suivantes : De mediatate Lunae ; centre ou moitié de la lune ? (Jean-Paul 1er, pape d’août à septembre 1978) ; De labore solis, le soleil au travail ? (Jean-Paul II, pape en octobre 1978) ; puis De gloria Olivae, la gloire de l’olivier…
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Mais, laissons là cette digression, l’ancien système ne fut pas totalement remplacé, comme ailleurs, et la vieille sodalité des Céli-dé, qui commencèrent alors à être désignés par le nom latin de Colidei, a continué de jouir de ses biens et d’exercer ses fonctions, mais de façon plus discrète. Leur ministère dans la « grande église » continua comme avant, et leur supérieur ou prieur (titre honorifique sans réelle autorité) tomba au rang, quoique n’en portant pas le nom, de premier chanteur ordinaire ; tandis que sa fraternité de Colidei continuait de s’occuper de l’office des vicaires pour ce qui est du chœur. Ils continuèrent d’être une corporation à part et de constituer un corps distinct n’ayant pas fusionné dans le chapitre, leur prieur y ayant seulement une place et une voix lors des réunions. D’où les appellations archiépiscopales libellées de la façon suivante : « Decano, Priori Colideorum… », ou « Decano, Priori Colideorum omnibusque et singulis Canonicis et Colideis ecclesiam nostrae Ardmachanae ».
Le premier endroit où le nom apparaît dans les archives d’Armagh, est le Registre du Primat Sweteman, en 1367. Ce prélat s’en prend à un dénommé Ohandeloyn [O’Hanlon] pour les blessures infligées au « Decanus et omnes alii Canonici et Colidei ». La même année, Cristinus, un Colideus, fut le porteur d’une lettre du primat au doyen. Odo M’dynim, ou M’doynym, prieur des Colidei, fut envoyé à Rome, en 1366, en tant que représentant du primat dans une affaire devant y être examinée ; il est aussi appelé « Prior communitatis nostri capituli Ardmachani ». En son absence il fut élu au poste de chancelier de la cathédrale, un poste qui avait la préséance et qui était mieux doté.
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Les Colidei et leur prieur sont encore mentionnés dans les registres d’archives au cours des siècles qui suivirent, et de ces diverses remarques incidentes nous pouvons extraire les détails suivants, quant à leur constitution ou à leur office.
1. Le corps était composé d’un prieur et de cinq frères. 2. La célébration de l’office divin était assurée par eux ; et la compétence en matière de musique ainsi que l’éloquence dans les prêches étaient des qualifications requises pour le poste de prieur qui était soumis à leur vote. 3. L’office de Colideus était accepté comme titre pour les saints ordres. 4. La réparation des structures de l’église était de leur ressort ; et on trouvait fréquemment parmi eux l’office de « Magister Operis Majoris Ecclesiam » ou d’Appariteur. 5. Ils avaient le droit de nommer un confesseur, un droit concédé par le primat sous certaines conditions. 6. Leur consentement n’était pas exigé pour la ratification des actes officiels du primat. 7. Ils n’avaient pas voix au chapitre dans l’élection du diocésain, sauf dans la mesure où leur prieur, qui, en vertu de sa fonction de premier chanteur, avait le droit de vote dans le chapitre. 8. Ils ne prenaient aucune part à l’administration des affaires religieuses du diocèse quand son siège était vacant. 9. Dans l’ordre de préséance, en tant que corps constitué, ils étaient en troisième position dans le diocèse ; le doyen et le chapitre étant les premiers, le monastère des chanoines réguliers de Saint-Pierre et Saint-Paul second, eux troisièmes, et le reste du clergé quatrième. 10. L’infériorité de leur rang est impliquée par le titre de canonici majores, qui était appliqué aux membres non éminents du chapitre, tandis que le caractère séculier distinguait leur supérieur du prieur claustral, titulaire d’un office chez les chanoines réguliers. 11. Leur prieur dans la cathédrale venait juste après le chancelier. 12. Les postes de recteurs ou de vicaires ayant charge d’âmes pouvaient être occupés par les prieurs voire par de simples membres. Comme dans le cas des presbytères d’Achlunga [Aghaloo], Carnsegyll [Carnteel] ou comme dans le cas des vicaires de Twyna [Tynan], Onellan [Kilmore] et Drumcrygh [Drumcree]. 13. En 1427, ils possédaient le presbytère et certains quartiers des paroisses de Derenoysse [Derrynoose]. 14. Lors de leur dissolution, ils étaient en possession de sept quartiers de l’actuelle paroisse de Lisnadill, ce qui faisait en tout 600 hectares ; des presbytères de sept paroisses, des vicairies de trois ; et de quelques autres petites propriétés toutes situées dans le comté d’Armagh. 15. L’archevêque avait une résidence chez eux, car en 1462, le primat nommé Bole parle de son domicile habituel « in loco Collideorum vulgariter nuncupato ». Cette situation était probablement un vestige de leurs liens passés, quand le « Successeur de Patrice » était abbé donc, et que leurs prédécesseurs constituaient sa fraternité.
Dans le registre des archives du primat Mey est inséré un long compte rendu détaillé de certaines des mesures qui furent prises quant au titre de propriété d’une des vicairies mentionnées ci-dessus. Comme cela entraîna un examen de la nature de l’office de Colideus, nous avons donc dans ces archives beaucoup d’éléments d’époque, très importants pour la discussion de cette question.
En 1430, David McGilladé, prieur des Colidei d’Armagh, mourut, et Donald O’Kellachan, un chanoine de cette église, fut élu à l’unanimité par le collège des Colidei pour lui succéder. Il fut aussitôt dûment installé. Le 17 mai, il se présenta au primat Swayne, à sa résidence de Drogheda, pour se faire confirmer cette fonction. Ce qui lui fut accordé sans peine, attendu qu’il était, selon les propres mots de ce prélat, « in expositione verbi Dei et aliorum exponendorum plurimurn facundus » et aussi qualifié pour conduire l’office divin étant « cantilena peritus ». Le primat, fort de l’approbation du doyen et du chapitre, lui accorda en outre une dispense afin de tenir la vicairie perpétuelle de Tynan, en possession de laquelle il se retrouva dès lors.
Mais vers la fin de l’année 1442, Donald McKassaid, un prêtre du diocèse de Clogher, attaqua cette décision à Rome en déclarant que l’office de prieur était incompatible avec un bénéfice ayant charge d’âmes. Il obtint un décret comme quoi la vicairie de Tynan, que Donald O’Kellachan possédait depuis douze ans, et qui était alors évaluée à cinq marcs sterling de revenu annuel, était occupée illégalement donc vacante ; et en vertu d’un canon du Concile de Latran devant être attribuée d’office au Saint-Siège de Rome. Il obtint une bulle du pape Eugène IV, datée du 28 février 1443, et adressée au doyen ainsi qu’à Jean et Arthur McCathmayll, chanoines d’Armagh, qui les autorisa donc à faire expulser Donald O’Kellachan de son bénéfice afin d’y installer à sa place McKassaid ; à qui, « propter defectum natalium, urpote de soluto et soluta natus » une dispense fut accordée. Ainsi que le droit de tenir deux vicairies, ou plus, ou deux prébendes ou chanoineries, avec la possibilité de les échanger, et aussi la faculté expresse de tenir le presbytère de Teachtalan [Tehallan], dans le diocèse de Clogher.
Arthur McKathmayll fit exécuter ce mandat, déclara sans occupant légal le presbytère, et le prieur Donald révoqué, mais aussi condamné à être expulsé, en tant qu’occupant sans titre. Donald McKassaid reçut à genoux cette investiture et entra matériellement donc en possession du presbytère. La sentence de censure canonique fut prononcée contre tout contrevenant, y compris le diocésain.
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N’ayant pas de sceau en propre, le commissaire emprunta celui d’Eugène, abbé de Saints Pierre et Paul de Cluaineysse (aujourd’hui Clones).
Le prieur fit directement appel auprès de la cour de Rome, mais aussi auprès de celle d’Armagh, et envoya John White pour le représenter, mais il mourut à Rome le 13 octobre 1445, avant d’avoir pu exécuter sa mission. D’où un délai supplémentaire dans la poursuite de la procédure et, à cause de la pauvreté du prieur et de l’accaparement des revenus de ce bénéfice ecclésiastique par les amis de Donald McKassaid (Patrick McKassaid, un de ses parents, était avoué héréditaire de Tynan) le prieur fut dans l’incapacité de faire appel à un nouvel avocat avant la fin de l’année suivante, où Thomas O’Kellachan, un clerc d’Armagh, fut dépêché par lui et les Colidei. Il fut attaqué par des malandrins près de Carryk, dans le comté de Meath, et on lui vola son argent ainsi que ses lettres de créance.
Il put néanmoins faire appel et la décision fut suspendue. Le primat, pendant ce temps-là, siégea en sa cour de la cathédrale d’Armagh, le 24 juillet 1445, afin d’examiner les arguments des deux parties. Et donc de se prononcer judiciairement sur la question de savoir si le prieuré du Colidei était « un office ou une dignité entraînant charge d’âmes ».
Les parties suivantes furent entendues sous serment : Charles O’Meflan, le doyen ; Salomon McCreanayr, le chancelier ; Arthur McCathmayll, le responsable de Tullaghog ; Thomas Mcgillicrany, Nicolas McGillamura, Donatus O’Hallian et Jean McGeerun, Colidei ; Philipe McKewyn ; Guillaume O’Moryssa ; Jean O’Goddane, chanoines réguliers, O’Coffy, O’Martanan et McGillamura, chefs de clan.
Le primat jugea donc séance tenante que le prieuré n’était pas incompatible avec un bénéfice emportant charge d’âmes. L’appel du prieur fut aussi pendant ce temps-là, examiné à Rome, et une bulle de Nicolas V, datée de 1447, fut rendue publique. Cette bulle déclarait recevable la requête de Donald O’Kellachan, vicaire de Tynan, exposant que le « Prioratus collegii secularium presbyterorum, Colideorum vulgo nuncupatorum » était un office simple et demandant humblement que le retard accidentel ayant infligé son appel n’affecte pas sa défense. Le rescrit autorisait conjointement le primat et l’abbé de Saints Pierre et Paul d’Armagh, ou l’un des deux, à examiner l’appel et confirmer ou annuler la décision précédente, afin que justice soit rendue. Ceci fut fait par le primat le 23 mars 1448, par Thomas O’Kellachan, l’avocat du prieur ; et après quelques audiences préliminaires diverses, l’archevêque siégea, le 7 novembre, dans la maison des Frères mineurs d’Armagh, à l’extérieur de la ville, par mesure de sécurité, car la peste sévissait à l’intérieur. Après divers ajournements, l’appelant produisit devant la cour un « liber notabilis de antiquis cronicis » et procéda donc à l’audition des témoins, parmi lesquels Guillaume O’Moryssa, un chanoine régulier ayant la charge de prieur claustral. Il jura qu’être prieur n’était pas une dignité, mais seulement une préséance chez les colidei, et qu’à l’époque où il « intravit religionem », David McGilladé, prieur des Colidei et vicaire d’Onellan, était son maître dévoué, mais qu’il avait encouru sa désapprobation en entrant dans un ordre régulier au lieu de devenir colideus.
Nicolas O’Hernaid jura que le prieur était seulement « inceptor in executione divinorum ». Le 16 novembre 1448, le primat rendit sa sentence définitive en déclarant le titre de McKassaid nul et non avenu et en décrétant ledit prieuré simple office compatible avec un bénéfice ecclésiastique impliquant soin des âmes ; condamnant du même coup McKassaid à rembourser les dépens et les frais de la cour, pour cause d’abus de procédure. Le 16 décembre des lettres de réfutation furent envoyées au pape, rejetant le nouvel appel de McKassaid, pour cause de frivolité. C’est ainsi que le plus sérieux tribunal ecclésiastique du pays fut amené à donner une définition faisant autorité pour ce qui est de l’office et des fonctions de culdée en Irlande, dans le courant du quinzième siècle.
Nous avons aussi des mentions occasionnelles parlant de Colidei dans les archives d’Armagh, durant le siècle suivant, après quoi elles deviennent muettes à ce sujet. L’Antiphonaire d’Armagh, qui appartint à l’archevêque Ussher, conservé avec ses autres manuscrits à la bibliothèque du collège de la Trinité, à Dublin ; contient aussi quelques rubriques nécrologiques, ayant de l’importance, car elles confirment ce qui vient d’être avancé.
Ces rubriques nécrologiques sont toutes postérieures à la suppression des Maisons Religieuses et semblent indiquer que, nonobstant l’enquête qui avait été diligentée en 1541, sur le prieuré des Colidei d’Armagh, on avait quand même trouvé le moyen de surseoir à sa suppression. Ce fut en grande partie grâce au fait que l’office de prieur fut rattaché à celui de doyen, gommant ainsi l’apparente propriété privée qui avait été celle de la sodalité jadis, et que ses revenus furent soumis au contrôle direct du primat.
À la mort d’Edmond McCamyl, qui était à la fois doyen et prieur, Terence Danyell lui succéda donc à la charge de doyen ; et, le 31 mai 1550, il obtint du primat Dowdall la mission d’exercer la direction et le gouvernement des colidei, ainsi que des autres ministres du culte du collège « sub nomine Magistri aut Rectoris collegii et non Prioris ». Mais il lui fut en même temps interdit d’aliéner ou de disposer, des terres, des loyers, des dîmes, ou autres émoluments appartenant auxdits colidei, sans son
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consentement ni le leur. Les divers bouleversements religieux qui suivirent peu après portèrent un coup mortel à la sodalité, la succession des colidei fut interrompue, de sorte que l’on n’en trouve plus trace avant 1600. La Couronne pourtant ne confisqua jamais leurs biens ni ne les attribua non plus à des tiers, et ils continuèrent à être affermés par les primats ainsi que d’autres pour le service de la cathédrale jusqu’en 1625 ; quand Charles Ier ordonna un inventaire de leurs biens dissimulés ou illégalement détenus par eux. Sur quoi il fut trouvé qu’antérieurement à 1541, il y avait eu un prieuré ou une maison religieuse incorporé au diocèse d’Armagh sous le nom de « Prior et collodei », « le prieur et les vicaires de la chorale d’Armagh ». Deux ans après que le roi eut accordé une charte créant une corporation comptant un prieur et cinq vicaires de chorale, sous l’appellation de « Collège du roi Charles dans la cathédrale d’Armagh ». Par ce moyen il leur confirma donc tous les biens originels des colidei, à l’exception des presbytères et des vicairies de paroisse qui avaient donc été annexés sous Jacques Ier.
Curiosité historique remarquable, le titre antique a échappé à la Réforme et a subsisté au moins jusqu’en 1628, date à laquelle fut passé un acte dans lequel le bailleur était un certain « Édouard Burton, prieur de la cathédrale d’Armagh ; agissant pour le compte des vicaires de la chorale et des colidéens du même lieu ». La corporation passa bientôt et huit membres, mais l’office de prieur fut supprimé, puisqu’il y avait là maintenant un premier chanteur dans le corps capitulaire. Leurs dotations furent aussi augmentées, sans que cela diminue en quoi que ce soit leurs biens d’origine ; qui continuent d’être possédés par eux jusqu’à ce jour, et contribuent à faire subsister un corps qui, à l’intérieur des mêmes murs, assure en personne ou par délégation, les mêmes charges que celles des colidei d’il y a six cents ans.
On mentionne également des culdées à :
— Clonmacnois (en 1031).
— Clondalkin (en 1076).
— Monahincha (en 1143).
— Et enfin Devenish.
L’île de Daimh-inis, sur le Lac Erne est célèbre pour le monastère que saint Molaise y fonda au sixième siècle, et dont il reste un saisissant témoin de son importance primitive, la grande tour ronde qui est toujours là et dans ses dimensions d’origine.
[NDLR Ces tours rondes qui s’élèvent comme des lanternes des morts (cf. celle de Saint-Pierre d’Oléron), à proximité des églises culdées, sont une spécificité du christianisme celtique.]
Au cours du douzième ou du treizième siècle, un corps de chanoines réguliers y remplaça l’antique communauté de l’île et entra en possession de son église et de ses dotations. Tout en y laissant cependant subsister une petite sodalité de chanoines séculiers, représentant probablement les occupants originaux. Les notices sur Devenish dans les Annales des Quatre Maîtres contiennent les noms et les offices des différents individus en relation avec son monastère. Mais il n’y en a qu’une, qui fait expressément allusion à la fraternité en question. Celle dans laquelle est notée, pour l’année 1479, la mort de Piarus (ou Pierre), le fils de Nicolas O’Flanagan, chanoine choriste, pasteur et prieur des Célé-ndé, sacristain à Devenish, et titulaire d’un office ecclésiastique à Loch Erne. Comme dans le cas d’Armagh, on peut remarquer ici les qualifications musicales du prieur des Céli-ndé. Il était chanoine du chœur de la cathédrale de Clogher.
Les O’Flanagan étaient la famille dominante de Tooraa, un canton situé sur la rive ouest du Lac Erne, et pendant plusieurs générations ils fournirent des titulaires aux paroisses de Devenish et d’Inismacsaint. Nicolas, le père du Pierre mentionné ci-dessus, était le pasteur de Devenish, et il mourut en 1450. Un fils de Pierre, également appelé Nicolas, mort en 1520, fut aussi pasteur de Devenish. Nous pouvons donc constater une fois de plus que l’office de Célé-dé n’impliquait pas automatiquement le célibat ; sauf à considérer comme des exceptions le cas des Pierre O’Flanagan et des O’Neachtain de Clonmacnois, du fait qu’il s’agissait de prieurs ayant droit aux mêmes dérogations que les chefs de maison à l’université d’Oxford ou de Cambridge.
Lors de la dissolution des monastères, il y avait deux sociétés conventuelles dans l’île. Un prieuré de chanoines réguliers ; et un autre décrit comme étant « le dernier prieuré ou la dernière maison de prêtres séculiers Collidea, dans ladite île, avec un verger leur appartenant et quelques tates (100 hectares) de terre possédés par Rory Ballogh O’Corcon, en tant que patron de l’église ; sa dîme étant possédée par le prieur de l’abbaye nommé O’Flanagan ».
Dans une patente de Jacques Ier, les bâtiments sont décrits comme étant « une cellule ou chapelle appelée callidea alias colldea, dans la même île, proche de ladite abbaye et lui appartenant ».
La maison de ces prêtres séculiers semble avoir été un reste de l’antique établissement de saint Molaise, qui avait été remplacé par des chanoines réguliers ; avec qui donc ils se sont retrouvés dans la même situation que les colidei d’Armagh, dans le chapitre de la cathédrale.
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Inis-Cathaigh est située près de l’embouchure du Shannon. Une église y a été fondée par saint Senan, fils de Gerrcind, aux environs de l’an 540. « Cette fondation prit fin le jour où le siège d’Inis-Cathay fut rattaché à celui de Killaloe, vers la fin du douzième siècle, et les terres transférées à l’évêché. En 1599 fut signé par Maurice, évêque de Killaloe, un acte en faveur de Teige M’Gillahanna, ou Gillchanna, prieur d’Inis-Cathay, le représentant de cette antique sodalité, qui était marié lui aussi et dont le fils et la fille vivaient toujours en 1667. L’évêque Worth, dans le rentier de Killaloe, établi cette année-là, récapitule les enquêtes et ajoute à propos des 33 moines, « ceux-ci en Ulster sont appelés Culdées, c’est-à-dire Dei Cultores ».
REMARQUES.
Ayant examiné l’origine du nom de Célé-dé, ainsi que l’application qu’on en a faite dans le pays où il a pris naissance, nous continuerons maintenant à suivre sa trace dans les documents britanniques en traitant, que ce soient des ramifications directes de l’Église irlandaise ; ou en grande partie influencée par elle. Il s’agira surtout de l’Écosse et pour ce qui est de l’Angleterre et du pays de Galles des cas isolés de York et Bardsey, respectivement.
L’histoire primitive de l’Église d’Écosse est essentiellement irlandaise au début, et pendant longtemps ce seront les annales irlandaises qui fourniront les matériaux les plus dignes de confiance en ce qui concerne la chronologie de ce pays.
Situé à l’ouest, le grand monastère de Hy (Iona) exercera une grande religieuse qui sera ressentie partout en Écosse.
À l’extrême nord, les îles Orkneys furent transformées par saint Colomba d’Iona en havre pour les pèlerins. À l’extrême sud, Melrose atteignit sa plus grande célébrité sous Eata, un des douze disciples de saint Aidan. Et à l’extrémité orientale du pays des Pictes, Drostan, fils de Cosgreg, accompagna l’infatigable Colomba d’Iona, quand il fonda les églises d’Aberdour et Aberlour ; devenant ainsi leur saint patron commun, et laissant dans la région de Buchan le souvenir de leur attachement fraternel. Une église dont le nom de Deir, c’est-à-dire « larme », rappelle leur séparation. Et dont l’histoire ultérieure, conservée dans le plus vieux livre d’Écosse, unique reste de sa première littérature, prouve que la promesse qui leur avait été faite de « semer dans les larmes » ne fut pas un vain mot.
Le couvent des Coludi, ou Coldingham, est même utilisé par le père de l’histoire anglaise pour illustrer son histoire d’un Adamnan, Scot d’Irlande.
Il y avait, c’est vrai, deux établissements ecclésiastiques dans le Sud-ouest, qui n’étaient pas d’origine Colombanite. Rosnat, le Whithorn des Saxons et la Candida Casa de l’histoire latine, qui a été fondée par saint Ninian, avant l’époque de Colomban d’Iona ; ainsi que le siège épiscopal de Glasgow qui doit son origine à saint Kentigern, un Breton du Strathclyde. Mais Ninian, quoique Breton de nationalité et Romain d’éducation, a été intimement associé à nombre d’ecclésiastiques irlandais de son époque. Et, si nous en croyons sa biographie en Irlande, telle que la cite l’archevêque Ussher, il a fini ses jours dans un monastère fondé par lui à Cluayn-Coner dans le moderne comté de Kildare. Saint Kentigern, ou Mungo, comme il a été familièrement appelé, a été consacré, à la façon irlandaise, par un seul évêque, venu d’Irlande spécialement pour cela ; et Rhydderch Hael, son royal patron, avait été baptisé par des disciples de saint Patrice en Irlande.
Nous trouvons les plus anciennes traces en Écosse du nom et de la discipline des Celi-dé dans l’histoire de saint Kentigern, compilée par Jocelin. Bien que ce fragment de biographie n’ait pas été écrit avant la fin du douzième siècle, il a été tiré de sources autorisées bien plus anciennes.
Cela nous montre que les Céli-dé (latin Calledei) étaient considérés par les Écossais du douzième siècle comme un ordre de clercs vivant donc en communautés. Sous la direction d’un supérieur, à l’intérieur d’une même enceinte, mais dans des cellules isolées. Associés en une sorte de collège plutôt qu’en une fraternité cénobitique. Individuels pour ce qui est de la vie privée quoiqu’unis dans les communes observances, tant religieuses que séculières, d’une étroite sodalité. Tel fut le noyau initial de la grande cité de Glasgow. À la mort de saint Kentigern, son église et son monastère disparaissent de l’Histoire et n’y refont surface qu’en 1116. Quand David, prince de Cumbrie, et frère du roi d’Écosse Alexandre Ier, fait rechercher par une enquête auprès des anciens et des sages quelles étaient les anciennes possessions et juridictions de ce siège ; et probablement, met fin à l’hérédité de ces bénéfices, ce qui fit que son précepteur, Jean, dut être consacré sous le titre antique d’évêque de Glasgow. Ceci se passait juste au moment où Malachie O’Morgair (en Irlande) trouvait la jadis célèbre abbaye de Bangor, une institution analogue, tenue par des laïcs et avec une église en ruines. Un malheureux résultat dû au fait que dans ces deux pays avait prévalu un système monastique distinct de celui du diocèse. La structuration du pays en diocèses et paroisses fut pratiquement inconnue de
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l’Église écossaise jusqu’au début du douzième siècle. Toute la structure ecclésiastique fut construite autour des fondations monastiques, et son économie tout entière était régie par la vie conventuelle. Ce système plaça pendant très longtemps l’épiscopat dans une position subalterne, portant au pinacle l’office d’abbé au contraire et soumettant toutes les autres relations à son poids social. Jusqu’à ce que, au bout d’un certain temps, il ait beaucoup perdu de son caractère, et devienne compatible avec une vie séculière.
L’abbé faisait donc parfois partie des ordres, parfois non ; et l’état monastique était toujours placé au-dessus de la vocation de ministre du culte.
Voilà pourquoi le ferleghinn, ou lecteur, et l’anachorète contemplatif, ont souvent eu dans nos annales, priorité sur l’évêque. Le plus important titulaire d’office était l’abbé, la présence de l’évêque étant un accident. Ledit office était d’ailleurs au mieux si intermittent qu’en certains lieux, il disparut complètement, et avec lui en Écosse, dans de nombreux cas, le caractère strictement religieux de certains monastères, sauf à titre nominal. Une forme de propriété appelée abthein, ou abbatiat, apparut en effet au douzième siècle, s’appliquant au site d’anciennes abbayes, dotées peut-être d’un cimetière et d’une fontaine sainte, des ressources annuelles d’une partie du pays ; et tenue par prescription immémoriale en vertu de la simple possession d’une cloche ou d’une crosse (bachall).
Là où la sécularisation fut seulement partielle, des vestiges de la vieille sodalité continuèrent d’exister. Ses représentants furent connus sous le nom de Kele-dei, un titre qui, avec diverses parties du domaine de l’Église, finit par se transmettre de père en fils dans certains cas, ou fut en pratique lié à certaines familles dans d’autres. Dans les zones où l’influence laïque aboutit à la constitution d’un diocèse organisé, le monastère principal devint le siège épiscopal. Et le droit de désigner l’évêque fut exercé comme jadis par le corps monastique qui avait été jusque-là le clergé officiant du lieu. C’est ainsi que le diocèse de Dunblane coïncida dès sa création, avec le comté de Stratherne, son noyau originel étant l’antique monastère de Dun-Blaan, ainsi nommé du nom de son fondateur, un ecclésiastique irlandais du sixième siècle. Bien que Dunblane ait donc été fondé très anciennement, son premier évêque connu le fut en 1160, après la restauration du siège épiscopal sous David Ier, quand on fit apparemment plus que défendre ses biens ou définir les limites de sa juridiction.
Des sièges épiscopaux furent aussi installés, comme dans le cas de celui d’Aberdeen, dans des villes naissantes où il n’y avait jamais eu de fondation monastique connue. Comme on pouvait s’y attendre, on ne trouve alors dans ce cas aucune trace de Kele-dei.
Nous trouvons aussi des églises qui avaient des Keledei, mais n’ayant jamais été jadis élevées à la dignité de siège épiscopal, à cause d’influences laïques ou de la particularité de leur position. Ils conservèrent leur caractère conventuel, mais furent relégués au second rang, car rattachés à la juridiction d’églises plus favorisées, jusqu’à ce qu’un jour leur sodalité soit dissoute, ou meure de mort naturelle. De la même façon, en Irlande, des églises comme Bangor, Moville et Lusk ; quoique très célèbres en tant que lieux d’étude et de sanctification dotés d’une longue liste d’abbés, d’évêques, ou d’autres titulaires d’office ecclésiastique ; n’ont jamais dépassé le stade de monastère. Alors que des églises de rang très inférieur, comme Kilkenny, Kilfenora, Kilaloe et Aghadoe, ou d’origine récente, comme Dublin, Limerick et Waterford, sont devenues des sièges épiscopaux et des centres de juridiction ecclésiastique.
De fait au début du douzième siècle, la plupart des monastères, en Écosse comme en Irlande, étaient tombés dans un état de décadence avancée. Et ceux qui ont survécu encore quelque temps le doivent soit à la superposition d’un évêque et d’un chapitre, soit à leur reconstruction sur un nouveau modèle. La plupart des anciennes communautés religieuses étaient des Keledei jusqu’à ce que les changements dont nous venons de parler se produisent.
Le grand changement de structure de l’Église écossaise eut lieu sous le règne de David 1er (1124-1153). Son biographe déclare qu’il trouva trois évêchés en Écosse en prenant ses fonctions, mais en laissa neuf. D’où nous pouvons déduire qu’il a relancé et perpétué la succession des évêques dans six des communautés où elle s’était éteinte, en leur assurant des provisions de bouche, ou en leur assignant respectivement un diocèse bien défini.
À Brechin, Dunblane, Ross et Caithness, le souverain a simplement donné un évêque aux sodalités déjà existantes ; tandis que pour ce qui est des sièges plus anciens de Saint-André et de Dunkeld, il a remplacé les Keledei en instituant à leur place des chapitres de chanoines réguliers. Son éducation anglaise et ses relations avaient sans doute miné son attachement aux institutions de son pays natal ; et Robert, l’évêque de Saint-André, Anglais d’origine, semble avoir accéléré son rejet des Keledei démodés. Encourager leur système laxiste et inefficace, s’accordait mal avec la vitalité ou l’esprit de réforme qui imprégnait toutes ses mesures ; d’ailleurs, en tant que représentants du clergé celtique, ils
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n’avaient aucune chance avec un prince qui voulait infuser des éléments saxons dans l’Église écossaise.
NDLR. Comme quoi les effets pervers de l’anti racisme et de la mondialisation ne datent pas d’hier ! À quand l’indépendance de l’Écosse ?
On trouve parmi les manuscrits de la collection Cotton, conservés au British Museum, un catalogue des maisons religieuses d’Angleterre et du Pays de Galles ; à la fin duquel il y a une liste de sièges épiscopaux écossais, ainsi que leurs ordres et communautés respectives. Il est annexé à la Chronique d’Henri de Silgrave ; et comme cette compilation s’arrête à l’année 1272 et qu’elle est de la même écriture que le catalogue, ce dernier ne peut donc en aucune façon avoir été terminé avant cette date. Ussher, Lloyd et Tanner, considèrent ce catalogue comme dû à Silgrave lui-même. En voici quelques noms afin d’illustrer mon propos.
Episcopatus S. Andree : Canonici nigri – Keledei.
Episcopatus Dunkeidre, S. Columkille : Canonici nigri – Keledei.
Episcopatus de Brechin : Keledei.
Episcopatus de Ros Keledei.
Episcopatus de Dublin : Keledei.
Episcopatus de Katenesio : Keledei.
Episcopatus d’Argiul : Keledei.
Abbatia in Insula (Iona) : Keledei.
Il s’agit des seuls cas où le terme Keldei, ou Keledei, apparaît dans les archives. Les Canonici nigri sont les chanoines réguliers de saint Augustin, et sont donc catalogués comme existant à Saint-André et Saint Colomba de Dunkeld, conjointement avec des Keledei. Les sociétés qui existaient à Mureve (Moray) ainsi que Glascu, sont désignées sous le nom de Canonici seculares.
À ceux-là on peut aussi ajouter, d’après diverses chartes, un certain nombre de monastères non associés à une cathédrale.
L’église de Lochlevin (Kinross).
L’église d’Abernethy dans le Perthshire.
L’église de Monymusk dans l’Aberdeenshire.
L’église de Muthill dans le Perthshire.
L’église de Monifeith dans le Forfarbshire.
Cette liste pourrait être considérablement agrandie, si des églises comme celles de Scone, Melrose, Montrose, Abirlot, Dull, Ecclesgirg et d’autres, qui sont présumées avoir été comme les précédentes, y étaient rajoutées ; mais mon propos est de traiter seulement de celles dans lesquelles les archives prouvent qu’il y a eu des Keledei. Ces cas cependant, sont deux fois plus nombreux que les sodalités analogues mentionnées dans les archives d’Irlande. Une anomalie qui tend à prouver que le terme de Célé-dé n’était pas d’un usage si général que cela en Irlande.
Nous n’essaierons pas de classer ces maisons culdées d’Écosse par ordre d’ancienneté, ce qui serait une tâche désespérée, nous les étudierons donc brièvement.
— lona.
Le catalogue de Silgrave qualifie le monastère d’lona d’Abbatia in Insula, et sa communauté des Keledei.
Iona est le nom moderne de l’loua d’Adamnan. Dans Bède, c’est Hii. La forme gaélique est toujours I ou Y, qui devient Hy par antéposition d’un h euphonique. Cette rude île balayée de tempêtes a cinq kilomètres de long et deux kilomètres de largeur en moyenne, elle fut l’antique monastère de Colomba ou Colomban ou Columkill ou Colomkille ou Colum(b) Cille en gaélique irlandais (c’est-à-dire « Colombe de l’église »), né en 521 mort en 597 ; « une île primatiale » lumière de tout le nord de l’Europe. En relation étroite avec l’Irlande pendant au moins six cents ans, Iona peut être considérée comme une île irlandaise en mer écossaise. Colomban y débarqua un jour en compagnie de douze de ses moines à l’extrémité sud de l’île – appelée depuis Porta Churraich, ou Baie de l’Île – le 12 mai 563.
Il avait obtenu cette terre de son parent Conall, roi du Dalriada, une donation confirmée par Brude, roi des Pictes, quand ce dernier fut converti au christianisme. Il se mit au travail immédiatement afin de construire son monastère, qui fut au début seulement constitué de diverses structures de branchages recouverts de terre glaise. De là vient qu’il n’en reste plus aucune trace maintenant, les ruines actuelles datant du Moyen-âge.
Adamnan, le plus célèbre ornement de l’École d’lona, juste après Colomban lui-même, dans sa « Vie » du fondateur, se réfère explicitement aux tabulae (tablettes) en cire pour écrire ; aux calami
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(plumes) et à la cornicula atramenti (corne contenant de l’encre) que l’on pouvait trouver dans le scriptorium. Colomban fut certainement un copiste et un enlumineur accompli si le Livre de Kells peut lui être attribué. Il était d’ailleurs en train de recopier un psaume quand, rattrapé par une maladie mortelle, il mourut après avoir ordonné à son neveu Baithen de finir le travail. Baithen durant sa brève succession de trois ans à la suite de Colomban, est dit, lui aussi, comme son maître, avoir été engagé « dans l’écriture, la prière et l’enseignement, jusqu’à l’heure de sa mort ». Interrogé à propos de Baithen, Fintan, un de ses moines, répondit un jour ce qui suit. « Soyez certain qu’il n’avait pas d’égal de ce côté-ci des Alpes pour ce qui est de la connaissance des Saintes Écritures ou de la profondeur de sa science ». Comme c’était un ancien élève et professeur de l’École d’lona, on pourrait considérer cela comme exagéré si nous n’avions pas aussi les écrits d’Adamnan, le neuvième abbé d’lona, un illustre savant, pour le confirmer.
Adomnan/Adamnan, autrement dit Eunan, originaire du Comté de Donegal, et membre du même clan que Columba, fut instruit dans l’île, et en un sens son savoir fut celui d’lona. Sa « Vie de saint Colomban », écrite à la demande de la communauté, en latin, et pas en gaélique, constitue certainement une des œuvres les plus intéressantes de l’Église occidentale au septième siècle. Elle nous fournit plus d’informations précises et authentiques sur les Églises gaéliques d’Irlande et d’Écosse que tout autre auteur, même Bède le Vénérable. Nous savons grâce à ses écrits qu’Adamnan était un latiniste accompli, et qu’il connaissait très bien aussi le grec, voire des rudiments d’hébreu.
Il était, de plus, minutieux, judicieux, et prudent dans sa citation de ces autorités. Ce lettré hors pair était un vrai moine et comme Colomban lui-même il prenait part au travail manuel du monastère. Il a aidé à débarder de ses propres mains de nombreux chênes d’une des îles voisines – peut-être Erraid – assez pour en charger douze bateaux en tout cas. Et il a sans doute pris part à la construction des cellules monastiques, comme dans le cas de celle de Colomban, qui était, nous dit-il, tabulis suffulta, faite de planches et harundine tecta, couverte de chaume de roseaux. Colomban et ses moines avaient converti tout le pays des Pictes ainsi que ses dirigeants. lona rayonna de toute sa gloire au cours du siècle qui se termina par la mort d’Adamnan/Adomnan. Elle a donné trois célèbres prélats. Finan, Aidan, et Colman furent des hommes de mérite, même aux yeux de Bède le Vénérable. Les malheureuses controverses à propos de la tonsure et du calcul de la date de Pâques, ont beaucoup troublé au septième siècle, tant lona que ses maisons filles. Quand l’Irlande et l’Angleterre y renoncèrent, les moines d’lona, par respect pour les traditions de leur saint fondateur, s’accrochèrent avec ténacité à leurs Pâques à eux. Après 716, quand lona elle-même finit par se conformer à l’usage romain, certaines maisons filles du pays des Pictes s’obstinèrent. Cette obstination conduisit d’ailleurs quelques années plus tard à l’expulsion des moines Colombanites du pays par le roi Nechtan, celui-ci s’étant rallié à la mode romaine.
Le neuvième siècle apporta chagrin et désastre tant à lona qu’à Lindisfarne. En 793, des Vikings détruisirent l’église de Lindisfarne, et la mirent à sac. En 795 ils s’en prirent une première fois aussi à lona, mais les moines semblent alors y avoir survécu. En 806 par contre, soixante-huit membres de leur communauté furent tués, à Port na Mairtir sur le rivage oriental de l’île. En 825 il y eut un nouveau massacre de moines à lona. Celui de saint Blathmac, qui avait refusé d’abandonner ce saint lieu et ses compagnons (les poésies de Blathmac en l’honneur de la sainte Vierge, montrent une grande tendresse et beaucoup d’humanité). Sa mort héroïque a été célébrée en vers latin par Walafried Strabon, l’abbé de Reichenau, dans le sud de l’Allemagne.
Nonobstant tout ce qui fut écrit à propos du fait que les Culdées seraient venus d’lona, et de leur caractère essentiellement Colombanite, on n’y trouve qu’un seul autre témoignage de leur existence, et qui plus est à une date relativement récente. Les Annales d’Ulster rapportent qu’en 1164, une délégation des chefs de la famille d’Ia ; composée de l’archiprêtre Augustin, du lecteur appelé Dubsidhe, du reclus nommé MacGilladuff, du principal des Ceili-ndé appelé MacForcellaigh, et de tous ceux qui comptaient dans l’île ; attendit l’abbé de Derry et lui suggéra d’accepter l’abbatiat de leur église. Nous pouvons en déduire que les Celi-dé de Hy étaient seulement une partie de cette communauté. Leur supérieur était appelé « principal » et non « prieur », et avait un rang assez secondaire parmi les notables du lieu. Il occupait probablement une position semblable à celle qui correspondait à premier chanteur ailleurs, et ses subordonnés devaient constituer le corps ecclésiastique exécutant le service ordinaire de l’église.
Au début du treizième siècle (1204), l’antique monastère celte avait définitivement disparu, et des moines bénédictins s’y étaient installés. Mais le cimetière originel – le Reilig Odhrain – est toujours considéré comme la plus sainte terre d’Écosse, les pierres tombales des rois, des chefs et des prélats, s’y entassent.
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N.B. Les culdées d’lona représentent donc vraisemblablement les occupants primitifs de cette île, une forme plus ancienne de christianisme celtique, évincée par une nouvelle, le catholicisme romain. Comme dans le cas de Monahincha, de Devenish et d’Armagh.
— Saint-André.
Cette église, dont le nom celtique était Cill Righmonaigh, semble, comme la plupart des premières fondations écossaises, avoir été d’origine irlandaise. Saint Cainnech, le patron de Kilkenny et du diocèse d’Ossory, dont les œuvres en Écosse lui valurent une large célébrité dans le pays, est mort en l’an 600 et il est fêté dans les calendriers irlandais aussi bien qu’écossais le 11 octobre. Deux églises seulement sont associées à sa mémoire, Achadh-bo, maintenant Aghabo, en Irlande et Cill Righmonaigh (en Écosse).
Ce qui est probable, c’est que l’antique, mais insignifiante église qui existait là depuis les temps les plus anciens ; et dont nous trouvons mention dans les Annales irlandaises, à l’année 747 ; fut, vers le début du neuvième siècle, agrandie et enrichie par le souverain picte, sous le nom de saint André l’apôtre. Et que, pour donner du lustre à cette opération, on fit circuler l’histoire que des reliques du saint, trois doigts du côté droit, l’humérus et la rotule du même côté, ainsi qu’une dent ; avaient été volées à Patrae puis apportées par saint Regulus en ce lieu. Grâce à leur importance supposée, elles contribuèrent à procurer à l’église qui les possédait un degré de distinction tel que cela lui valut de devenir le siège de la primatie d’Écosse. La non-historicité de cette légende est prouvée par le fait qu’elle nous présente l’empereur Constance comme contemporain d’Athelstan, d’Oengus et Regulus ; un anachronisme de presque cinq siècles, qui fait donc de l’histoire tout entière des origines de Saint-André un faux grossier de facture relativement moderne. Pour ce qui est de Saint-André l’histoire authentique ne prétend pas remonter plus loin qu’un évêque nommé Cellach, ou Fothadh, au dixième siècle.
La condition première du siège semble avoir été semblable à celle des principaux monastères d’Irlande, où l’évêque était incorporé à la fraternité, d’abord dans une position subalterne en ce qui concerne la juridiction locale ; mais prenant graduellement une importance de plus en plus notable. Avant d’apparaître, au final, comme le véritable chef de cette sodalité puis d’en éclipser l’influence.
Le nom des douze premiers évêques de Saint-André est de forme celtique, et démontre une possession ininterrompue de ce siège par des ecclésiastiques indigènes sur au moins deux siècles.
Du fait des relations avec les Saxons instituées par la reine Marguerite, fut introduit dans cette sodalité un élément nouveau qui fraya le chemin à son extinction. Ce qui n’est guère douteux en effet, c’est que l’évêque Turgot mit un frein aux aliénations de biens d’Église par les Culdées à Saint-André. Eadmer, un moine de Cantorbéry, fut envoyé là-bas par le roi, et fut, à cette occasion, élu successeur de Turgot, mais ne fut pas consacré. Robert, un Anglais chanoine de saint Oswald dans le Yorkshire, fut envoyé en Écosse avec cinq autres pour promulguer la règle de saint Augustin, et fut fait abbé de Scone ; office qu’il quitta pour être promu au siège de Saint-André, en 1124, tout en n’étant consacré qu’en 1128.
Il poursuivit avec beaucoup de zèle la tâche commencée par son prédécesseur, et trouva dans le roi David un prince dont les vues, quant à la discipline monastique, coïncidaient avec les siennes. Il fonda et dota donc à Saint-André un prieuré de chanoines réguliers, auquel fut transféré l’hôpital appartenant autrefois aux Culdées. La cohabitation qui s’ensuivit entraîna le déclin de la communauté primitive, qui sombra dans l’oubli.
Du fait qu’ils suivaient toujours leurs vieilles règles et leurs anciennes observances, les représentants de l’établissement primitif gardèrent l’appellation de Keledei. Et quand ils réapparaissent en plein jour après le long silence dans lequel les avait plongés leur histoire, c’est pour céder le pas en fait à l’ordre de réguliers nouvellement introduit ; qui avait pris en main la réforme de la discipline ecclésiastique de l’Église et entrepris de réveiller l’apathie religieuse du diocèse. Le prieuré des chanoines réguliers de saint Augustin fut formellement reconnu à Saint-André en 1144. Et peu de temps après, un des membres de la fraternité entreprit de rédiger une brève histoire de son église, d’une part afin de s’approprier sa gloire passée, mais aussi d’autre part afin de justifier la nouvelle réforme de son économie. Son auteur, probablement l’évêque Robert, ou le prieur du même nom, condamne fermement la dégénérescence des Keledei ; et quoique le trait soit peut-être quelque peu exagéré, car visiblement dû à une main leur voulant peu de bien, et de temps en temps assez imprécise dans ses descriptions, cela constitue toujours un document ayant une grande importance historique. Ayant averti ses lecteurs de la décadence de la religion à Saint-André, conséquence de la mort de saint Regulus et de ses disciples, il poursuit en décrivant les détails les plus récents de sa condition ecclésiastique dans les termes suivants.
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« Il subsistait pourtant dans l’église de Saint-André, à la façon d’alors, c’est-à-dire héréditairement, une communauté de treize personnes, communément appelée Keledei ; dont la façon de vivre était plus conforme à leur fantaisie et à une longue tradition des hommes, qu’avec les préceptes des Saints-Pères. Ils persévèrent d’ailleurs dans cette voie même jusqu’à aujourd’hui. Et bien qu’ils aient des choses en commun, elles sont moins nombreuses et de moindre valeur ; alors que ce dont ils jouissent à titre individuel est plus important et meilleur. Par exemple, quand il leur arrive de recevoir des cadeaux, de la part d’amis qui leur sont unis selon quelque lien privé, en tant que parent ou relations. Ou de la part d’amis de l’âme, c’est-à-dire de conseillers spirituels ; ou de toute autre source. Après être devenus Keledei, on ne leur permet plus d’avoir leurs femmes dans leurs logements ni d’autres femmes, ce qui pourrait prêter à soupçon injurieux. Il y avait en outre sept bénéficiaires, qui se partageaient les offrandes faites à l’autel en sept parts, dont une seule revenait à l’évêque, une autre à l’hospice ; les cinq restantes étant données aux cinq autres membres ; qui ne faisaient rien, que ce soit à l’autel ou à l’église, et dont la seule obligation était de fournir, d’après leur tradition, logement et distractions aux pèlerins ou aux étrangers de passage. Quand il arrivait qu’il y en ait plus de 6, ils tiraient au sort ceux qui devaient les recevoir et comment. L’hospice était en effet conçu, il faut le noter, pour accueillir six personnes et pas plus, mais à partir du moment où, par la grâce de Dieu, il vint en la possession des chanoines, il fut ouvert à tout le monde.
Les bénéficiaires mentionnés ci-dessus avaient aussi des propriétés ainsi que des revenus privés, dont héritaient à leur mort les femmes avec lesquelles ils avaient ouvertement vécu, et leurs fils ou leurs filles, leurs parents, voire des gendres. Ils se partageaient même les offrandes faites à l’autel dont ils ne s’occupaient jamais, une profanation dont on rougirait de parler s’ils ne l’avaient pas eux-mêmes pratiquée. Cet abus monstrueux ne put être corrigé avant le temps d’Alexandre d’heureuse mémoire, un souverain à la dévotion exemplaire pour la sainte Église de Dieu. Qui a richement doté l’église du saint Apôtre André de biens et de revenus divers, lui a fait beaucoup de cadeaux de valeur, et l’a investie de libertés privilèges ou redevances relevant des donations royales.
Les terres aussi appelées « chasses à sanglier » que le roi Oengus mentionné ci-dessus avait consacrées à Dieu et à l’Apôtre saint André lors de l’arrivée des reliques de ce saint dans le pays ; mais qui avaient été par la suite usurpées ; leur furent redonnées dans le même but. Car il pensait qu’une société religieuse devait être établie à demeure dans cette église pour y maintenir le culte divin. Car aucune disposition pour le service à l’autel du saint Apôtre n’avait jamais été prise, et la messe n’y était célébrée qu’en de rares occasions, lors des visites du roi ou de l’évêque. Les Keledei avaient l’habitude de dire la messe à leur façon dans un petit recoin de l’église. De cette donation royale, il y a beaucoup de témoins encore vivants à ce jour. Elle fut confirmée par son frère le comte David, que le souverain avait institué son héritier ainsi que son successeur ».
Cette laborieuse et indigeste déclaration nous apprend donc que, à une date antérieure à 1107, la communauté ecclésiastique de Cill Righmonaigh a été scindée en deux groupes, et que chacun s’était vu attribuer une partie des attributions religieuses ainsi que des biens temporels allant avec que l’on peut raisonnablement penser avoir été communs auparavant.
Un de ces deux groupes était les Keledei, et il était composé d’un prieur et de douze frères. Ils représentaient numériquement l’antique fondation et, en tant que vicaires religieux ils exécutaient le service divin, avaient des logements de fonction, et bénéficiaient de certaines propriétés aussi bien que de redevances mineures attachées à l’exécution de l’office sacerdotal. Leur appartenait aussi, en tant que partie religieuse de la communauté, l’élection de l’évêque en cas de vacance du siège épiscopal.
L’autre groupe comprenait l’évêque, l’établissement de bienfaisance et les représentants de l’abbé ou des autres grands titulaires d’offices devenus séculiers, jouissant aussi en vertu d’un droit immémorial d’une autre partie des propriétés ou des grandes redevances ecclésiastiques.
En 1144, l’hospice, avec son presbytère et le bénéfice ecclésiastique y afférent, fut transféré aux chanoines réguliers, ils furent confirmés dans la possession de deux autres presbytères en plus de ceux qui leur avaient déjà été assignés. L’évêque retint pour lui le septième des offrandes, laissant ainsi trois de ces sinécures dans leur ancienne situation. Cette situation dura jusqu’en 1156, car cette année-là le pape Adrien IV ne fit que confirmer aux chanoines réguliers la possession de l’hospice et de leurs deux septièmes (des offrandes). Mais cette année-là ou une des deux suivantes, les anciens bénéficiaires d’icelles ayant probablement disparu suite à décès démission ou confiscation, l’évêque Robert accorda aux chanoines toutes les parts des offrandes, en ne se réservant que la sienne. En 1162-1163, l’évêque Arnold rendit aussi son septième et les chanoines se retrouvèrent donc ainsi en possession du tout. Les sept parts furent alors réunies en un même fond commun.
Les chanoines semblent par conséquent avoir été financés par une réversion des propriétés sécularisées de l’antique fondation.
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Il y avait donc désormais deux corps ecclésiastiques rivaux à Saint-André, d’une part la vieille sodalité de prêtres séculiers rejetée dans l’ombre, et dépouillée de beaucoup de ses privilèges ou de ses biens ; et d’autre part celle des chanoines réguliers. Mais cette rivalité ou cette coexistence déplut fortement aux autorités supérieures, tant laïques qu’ecclésiastiques, dès qu’elle devint manifeste. Immédiatement après la fondation de la dernière maison, le roi David, comme il le fit dans le cas de Lochlevin, ordonna que le prieur et les chanoines de Saint-André admettent dans leurs rangs les Keledei de Kilrimont, qui devaient devenir chanoines ; avec tous leurs biens et leurs revenus. Dans la mesure où ils acceptaient de se conformer à la règle propre aux chanoines.
Dans le cas où ils refuseraient, ils devaient recevoir toute leur vie les intérêts de leurs biens ; et, au fur et à mesure qu’ils disparaissaient, être remplacés par des chanoines réguliers de la nouvelle fondation. Les fermes, terres et offrandes des Keledei, devaient être mises à la disposition des chanoines de Saint-André en franche et pure aumône. En 1147, le pape Eugène III décréta qu’à dater de ce jour, les offices des Keledei, dans la mesure où ils étaient devenus vacants, devaient être assurés par des chanoines réguliers. Mais les Keledei furent capables de résister aux efforts combinés du roi, du pape et des évêques, car les pontifes romains durent réitérer ces dispositions jusqu’en 1248, année où nous trouvons encore des Keledei en possession de leurs terres.
En 1160, le roi Malcolm les confirma dans une partie de leurs biens. En 1199, nous les trouvons engagés dans une controverse avec le prieur de l’autre communauté. Une controverse qui se termina par un compromis, en vertu duquel les dîmes de leurs propres terres leur furent garanties, en échange d’un abandon de leurs revendications sur les redevances paroissiales et les offrandes. Et ce n’est qu’en 1273 qu’ils furent exclus de leur droit immémorial de participer à l’élection de l’évêque. En 1279, ils subirent le même traitement, et de nouveau en 1297, quand Guillaume Comyn, le responsable des Keledei, se rendit à Rome pour y contester l’élection à laquelle on avait procédé après leur exclusion : Boniface VIII la rejeta. Il fit appel de nouveau en 1328, mais sans plus de succès.
Le nom de Keledei n’apparaît plus ensuite dans les archives, bien que cette corporation ait continué à jouir de ses privilèges et de ses biens. Les siècles suivants il est fréquemment fait mention de cette institution sous le nom de « Praepositura ecclesiae beatae Mariae civitatis Sancti Andreae », « Ecclesia beatae Mariae de Rupe », « Prévôté de Kirkheugh » (la corporation est dite avoir alors été constituée d’un préposé responsable et de dix prébendiers). Leur supérieur était appelé de différentes façons : « Praepositus Sancti Andreae », « Praepositus capellae sanctae Mariae », « Praepositus capellae regiaa ». Après la Réforme, cette fonction de responsable préposé aux Keledei revint entre les mains de la Couronne, et fut annexée, avec les bénéfices y afférant au siège de Saint-André, en 1616.
— Dunkeld.
On mentionne également des Culdées à Dunkeld (une église fondée en 840).
Le doyen Mylne, qui était chanoine à Dunkeld, vers 1485, nous a laissé, dans son histoire des évêques de Dunkeld, cette description de leur antique chapitre. « Dans ce monastère, Constantin, le roi des Pictes, avait installé des religieux, communément appelés Kelledei, autrement Colidei, c’est-à-dire ministres de Dieu. Ces religieux, à la façon de l’Église d’Orient, avaient des femmes (dont ils se séparaient quand venait leur tour d’assurer l’office divin). Mais quand cela sembla bon au gardien suprême de la religion chrétienne, et quand la dévotion et la piété dans la région eurent augmenté ; saint David, le plus jeune fils du roi Malcolm Canmor et de la reine sainte Marguerite, ayant changé la constitution du monastère, l’érigea en cathédrale ; puis, ayant remplacé les Kelledei, y installa, aux environs de l’année 1127, un évêque et des chanoines, et prescrivit qu’il y ait ici à l’avenir un collège séculier. Le premier évêque de cette nouvelle fondation fut d’abord l’abbé du monastère et par la suite un conseiller du roi ».
Dans sa conclusion, l’auteur semble donc indiquer que les Kelledei, qui occupaient le monastère rattaché à l’église mère, furent rétrogradés puis transformés en collège de prêtres séculiers. Que leur ancienne fonction fut assignée à une société de chanoines réguliers, avec l’évêque, fait maintenant diocésain au lieu d’abbé, à leur tête. Ces deux corps coexistèrent pendant presque deux siècles ; et comme à Saint-André, comme à Dunkeld, le catalogue de Silgrave distingue les sociétés de Canonici nigri et de Keldei.
— Rosemarkie. Le catalogue de Silgrave en désigne les desservants attitrés comme étant des Keledei, c’est-à-dire des représentants du vieux collège séculier. Tout au début du treizième siècle, le corps s’occupant de cette cathédrale fut cependant réorganisé, car en 1224, nous trouvons un doyen de Rosmarkyn, un chanteur, un chancelier, un trésorier, un archidiacre, un adjoint du diacre, un second chanteur et des chanoines.
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— Brechin (1180 et 1222).
— Dunblane (1238).
— Dornoch (1222).
— Lismore. Le diocèse d’Argyle, ou Argiul, comme ce nom est écrit dans le catalogue de Silgrave, avait pour cathédrale l’église de saint Moluoc, dans l’île de Lismore. Elle avait été fondée par saint Lughaidh, familièrement appelé Moluoc, un Irlandais, mort en 592. On le trouve dans les principales chroniques irlandaises et dans tous les calendriers irlandais à la date du 25 juin ; jour où il est aussi fêté dans les calendriers d’Écosse, sous le nom de Molocus, dans le Bréviaire d’Aberdeen il est honoré du titre d’évêque. Sa cloche et son bâton pastoral ont été longtemps conservés dans cette église.
Le monastère fondé par saint Moluoc a sans doute continué à exister au cours des âges, jusqu’à ce que sa communauté, conformément à l’évolution du mouvement monastique local, finisse par se retrouver dans l’état qui leur valut le nom de Keledei. Durant cette longue période, l’office d’évêque, s’il fut maintenu dans cette église, s’avéra selon toute probabilité, intermittent, et d’un caractère plus conventuel que diocésain. Après ces balbutiements de l’organisation diocésaine, Dunkeld obtint la juridiction territoriale. Lismore y fut inclus et continua de constituer une partie de ce grand diocèse jusqu’aux environs de l’année 1200, quand il en fut détaché par le pape Innocent III, et avec le territoire d’Argyle érigé en diocèse, parfois nommé Lismorensis, mais plus généralement Ergadiensis. Le catalogue de Silgrave l’appelle Argiul et honore son chapitre du titre de Keledei. Mais cette sodalité ne conserva pas longtemps sa position dans la cathédrale, car des chartes prouvent qu’avant 1251 apparemment un doyen et un chapitre y avaient été institués ; puis qu’en 1249, le pape Innocent IV reconnut le droit d’élire l’évêque comme appartenant seulement aux chanoines de cette église.
— Lochlevin.
Le destin des Keledei de ce lieu fut scellé vers 1145, quand le roi David, sous l’influence des penchants que j’ai déjà évoqués, déclara « qu’il avait donné et accordé aux chanoines de Saint-André, l’île de Lochlevene. Qu’ils pourraient donc établir leur Ordre de chanoines là-bas ; mais que l’on permettrait aux Keledei trouvés sur place, s’ils consentaient à vivre comme des réguliers, de rester dans la société, avec et en soumission aux autres. Mais que sa volonté ainsi que son bon plaisir, étaient que ceux d’entre eux qui opposeraient une quelconque résistance, soient expulsés de l’île. Robert, l’évêque anglais de Saint-André, qui inspira ce sévère édit, ne tarda guère à faire exécuter ses dispositions. Immédiatement après il soumit ces Keledei aux chanoines réguliers de Saint-André, et transforma leurs antiques biens communautaires en dotation pour son prieuré nouvellement créé. Il fit même transférer les vêtements de cérémonie que ces Chélédé possédaient, ainsi que leur petite bibliothèque, faite pour la plupart de livres de rituel ou de patristique, dont les titres sont énumérés dans ce document.
Ainsi s’acheva l’existence distincte et indépendante d’une des plus anciennes fondations religieuses d’Écosse. Qui devait probablement son origine à saint Serf/Servan lui-même, au tout début de la christianisation du pays. Et qui fut étroitement associée au siège de Saint-André avant le milieu du onzième siècle. Grâce à l’influence d’un des premiers évêques connus, probablement Céle-dé lui-même. Ce qui lui permit d’exercer une sorte de direction épiscopale sur sa propre communauté de Saint-André et les monastères voisins. Préfigurant ainsi une fonction qui s’est ensuite développée dans la juridiction diocésaine, et fut finalement investie de la prééminence métropolitaine.
— Monymusk. En 1211, une plainte fut déposée devant le Pape, par Guillaume, l’évêque de Saint-André. Il y affirmait que certains Keledei qui prétendaient être des chanoines et d’autres du diocèse d’Aberdeen, dans la ville de Monymusc qui lui appartenait, tentaient de s’ériger en corps de chanoines réguliers, illégalement et contrairement à son désir. Sur quoi une commission fut confiée aux abbés de Melrose et de Dryburg et à l’archidiacre de Glasgow, les autorisant à examiner le cas et à le juger. Ils siégèrent donc pour délibérer de cette affaire et leur sentence fut que les Keledei, à l’avenir, devraient avoir un réfectoire et un dortoir en commun, ainsi qu’un oratoire sans cimetière. Que les corps des Keledei et des clercs ou des laïcs qui mourraient chez eux devraient faire l’objet d’une cérémonie funèbre dans l’église de la paroisse de Monymusc. Que les Keledei devraient être douze et que Bricius le treizième, que les Keledei devraient présenter pour confirmation à l’évêque de Saint-André, serait leur maître ou prieur. Qu’à sa retraite ou à sa mort, les Keledei devraient désigner trois de leurs membres, parmi lesquels l’évêque devrait choisir celui qu’il considérerait comme le plus indiqué pour être leur prieur ou leur maître. Qu’il leur serait interdit à l’avenir de faire vœu de vie canoniale ou monastique, sans le consentement de l’évêque, ni de dépasser la limitation prescrite pour leur nombre. Que lorsqu’un Keledeus serait mort ou se serait retiré, ceux qui resteraient devraient le
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remplacer et que le membre nouvellement élu devrait, dès son admission, jurer devant l’évêque ou son représentant d’observer les termes de cet accord.
Cette sodalité, qui était composée de 13 prêtres séculiers, représentait vraisemblablement une antique fondation monastique antérieure.
ANGLETERRE.
Il a existé à York, jusqu’à la dissolution des monastères, un hospice appelé Saint-Léonard, dont le cartulaire (un volume très bien écrit, rédigé sous le règne d’Henri V) a fini dans la collection Cotton. Un résumé en a été fait par Dugdale, dans son Monasticon, qui nous fournit les précisions suivantes.
Quand le roi Athelstan partit en guerre contre les Écossais, en 936, il fit halte à York ; et là demanda aussi à des ministres du culte de l’église Saint-Pierre, appelés Colidei, d’offrir à Dieu leurs prières de sa part et de la part de son expédition. En leur promettant, s’il revenait victorieux, qu’il honorerait comme il convient l’église et ses ministres. Sa campagne ayant été couronnée de succès, il revint visiter cette église et la remercia publiquement de la faveur que le Ciel lui avait accordée. Et voyant dans cette même église des saints hommes à la conversation honnête, désignés alors sous le nom de Colidei ; qui entretenaient un certain nombre de pauvres et avaient pourtant peu de moyens pour vivre ; il leur accorda donc, à eux et à leurs successeurs, pour toujours, afin de leur permettre de mieux aider les indigents qui affluaient là, de pratiquer l’hospitalité ou d’accomplir d’autres bonnes œuvres, 24 gerbes du blé de chaque terre labourable du diocèse de York. Une donation dont ils continuèrent de bénéficier jusqu’à une date tardive, sous le nom de « blé de Saint-Pierre ».
Le rapport poursuit en déclarant que ces colidei ont continué à recevoir de nouveaux accroissements de leurs dotations, et tout particulièrement de Thomas, que Guillaume le Conquérant plaça sur le siège de York en 1069. Ce prélat reconstruisit l’église cathédrale et augmenta les revenus de ses ecclésiastiques. Les colidei, peu après, fondèrent ou érigèrent dans la même ville, sur un site qui avait jadis appartenu à la Couronne, un hospice, ou une halte pour les pauvres qui venaient là ; un établissement auquel furent transférées les dotations que lesdits colidei ou ecclésiastiques avaient reçues jusque-là. Guillaume le Roux installa l’hospice dans une autre partie de la ville ; et le roi Étienne, en augmentant par la suite ses ressources, changea son nom de Saint-Pierre en celui d’hôpital Saint-Léonard. Il y avait là un maître ou gardien et 13 frères, 4 prêtres séculiers, 8 sœurs, 30 choristes, 2 maîtres d’école, 206 égreneurs de chapelet ainsi que 6 domestiques.
Il semble que ces colidei aient été le clergé officiant de la cathédrale de Saint-Pierre à York en 936, et qu’ils assumaient la double fonction d’assurer le service divin et de faire l’aumône ; combinant ainsi les deux principales caractéristiques du vieux système monastique, communes à la fois aux usages irlandais, mais aussi à la règle bénédictine. Mais quand les choses commencèrent à changer, qu’un archevêque normand fut nommé, une nouvelle cathédrale construite ; un service divin assuré à plus grande échelle dans cette église métropolitaine, les colidei, ou le vieil ordre ecclésiastique officiant jusque-là, furent remplacés. Tout en étant exclus de leurs fonctions dans la cathédrale, ils reçurent d’autres revenus supplémentaires destinés aux aumônes. Et, pour bien marquer leur différence, ils furent installés dans un autre quartier de la ville, où ils transférèrent leurs dotations. Et où ils subsistèrent ainsi pendant plusieurs siècles, sous un autre titre et avec une autre organisation. Avant que tout souvenir de leur origine ne finisse par disparaître, à l’exception de ce qui a été enregistré dans le préambule de leur chartrier.
L’existence du nom de colidei à York, au début du dixième siècle, est sans doute une trace de l’influence en ce lieu de l’École celtique de discipline ecclésiastique. Car le nom est indubitablement technique et une forme Céli-dé convenait aux oreilles des gens qui ignoraient le Gaélique, mais qui étaient familiarisés avec le latin ; et comme l’étymologie de colideus allait si bien avec le rôle des Céli-dé, l’adaptation que l’oreille suggérait fut sanctionnée par l’usage d’un terme apparemment très proche. Quand cette transformation du nom eut-elle lieu ? Il est difficile de le dire ; mais les mémorandums dont le chartrier fait sa première page semblent indiquer qu’en 936 le processus était achevé.
Autre trace de la présence des culdées plus au sud. Dans la collection Cotton est conservé le texte d’un Privilège que le roi Ethelred est censé avoir accordé à l’église de Cantorbéry. Il est écrit en saxon, avec une contrepartie en latin. Dans la première il y a un passage qui stipule : « J’observe et je perçois clairement que cette discipline est largement corrompue à cause du relâchement et de la négligence des prêtres ». Ce que la contrepartie latine traduit ainsi « Dei servitium passim nostra in gente a cultoribus clericus defleo extinctum et tepefactum ». Dans ces chartes, les prébendiers sont donc appelés cultores clerici, une expression singulière, qui semble indiquer que ce clergé collégial était alors désigné par le titre de culdées, cultores Dei, dans le sud de l’Angleterre, tout aussi bien que dans le Nord.
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PAYS DE GALLES. Bardsey.
Dans un rapport de Carnarvon datant de 1252, les ecclésiastiques du lieu sont appelés canonici, vraisemblablement réguliers, car, contrairement à eux, les occupants de la maison voisine d’Aberdaron étaient, eux, appelés canonici seculares. Ces derniers dépendaient de Bardsey, qui a probablement adopté à ce moment-là la discipline régulière selon saint Augustin [de Cantorbéry].
Dans la seule institution galloise où l’existence de colidei est enregistrée, nous trouvons donc des chanoines réguliers comme représentants de l’Ordre antique. Maintenant, comme l’Ordre des chanoines représentait une catégorie d’ecclésiastiques occupant une place intermédiaire entre les moines et le clergé séculier ; nous pouvons donc considérer ces colidei, dont sont sortis les chanoines bretons, comme ayant été d’une nature quelque peu semblable. Au début tous séculiers, c’est-à-dire non liés par des vœux, et différant seulement du clergé séculier en ce qu’ils vivaient ensemble, avec une maison commune, une table commune et un oratoire. Mais quand, au milieu du onzième siècle, une séparation se produisit, entre ceux qui adoptaient l’observance plus stricte introduite par Yves de Chartres, et ceux qui continuaient à suivre l’ancien usage ; alors les qualificatifs distinctifs de réguliers ou séculiers apparurent. Et la même différence qui a existé en pratique entre les deux, semble avoir prévalu parmi les keledei ou colidei, jusqu’à ce que la partie la plus stricte renonce à cette appellation pour prendre celle de chanoines réguliers de saint Augustin [de Cantorbéry]. La partie la plus libérale, qui la conserva plus longtemps, résista jusqu’à ce que l’on y mette brutalement fin par suppression, ou graduellement par fusion dans la masse d’un système mieux organisé ou plus efficace. D’APRÈS LE LIVRE (1864) DE WILLIAM REEVES SUR LE SUJET.
HYPOTHÈSE.
Ce qui est certain c’est que les culdées ne sont pas les descendants directs des druides antiques.
Ce sont :
— soit des descendants directs des druides inférieurs de type barde, gutuatre, vellède ou vate et ainsi de suite convertis par saint Patrice.
— soit des descendants des premiers ascètes du christianisme celtique mais à la discipline qui se serait relâchée.
Nous laissons aux spécialistes chrétiens comme William Reeves le soin de trancher.
— Il existe bien sûr une troisième hypothèse, qu’il y ait toujours eu à la fois des ascètes et de simples artistes ou intellectuels gravitant autour, coexistant dans une même communauté.
Leur Tiers Ordre, véritable synthèse entre les moines célibataires catholiques vivant retirés du monde, et les prêtres engagés dans la société ; correspondait bien à l’esprit du druidisme (pas d’obligation de célibat, et action dans le monde, y compris en participant à des batailles *). Et ils ont conservé (pas beaucoup plus que les chrétientés celtiques néanmoins, puisqu’ils en étaient) de nombreuses caractéristiques de détail du druidisme.
Compétences en matière de musique, de chant, éloquence, charpente, vie en communauté, mais sans célibat obligatoire et ainsi de suite.
D’où leur succès en Irlande et en Écosse, et le fait que l’Église catholique romaine a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les remplacer.
En Irlande, dans l’île de Devenish, les Culdées ont tenu jusqu’à la Réforme, conjointement avec des chanoines d’obédience romaine ; et dans le diocèse d’Armagh, ils ont rempli un office qui, avec leur nom, a même survécu à la Réforme ; mais en Écosse, où l’usage celtique, quand il entra en compétition avec les institutions saxonnes, céda le pas, et à une date beaucoup plus ancienne, le nom et l’office de Keledei disparaissent de l’Histoire dès 1332. Le seul vestige qui leur survécut quelque temps fut la direction de Kirkheugh à Saint-André ; tandis qu’à York, il fut réservé à la politique normande de rétrograder les Colidei à un rang subalterne et de les éloigner de cette vénérable église. Sur les ruines de laquelle fut construite une splendide cathédrale, aux ressources si somptueuses que la traditionnelle pauvreté ou simplicité originelle des Colidei d’Athelstan aurait été bien en peine de l’entretenir.
* Guerres défensives, ou pour aider les leurs à bien mourir (les vates).
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ANNEXE N° 1.
LA NAVIGATION DE SAINT BRENDAN L’ABBÉ (NAVIGATIO SANCTI BRENDANI ABBATIS).
La date de rédaction de ce récit se situe sans doute entre le VIIe et le Xe siècle. Sans que l’on sache exactement qui en est l’auteur (il y a de fortes chances qu’il soit Irlandais, en raison de son latin teinté de tournures insulaires). Ni en quel lieu d’Europe il fut rédigé.
Il se peut qu’une Vie du saint l’ait précédé de peu, et l’ait donc fait appartenir au genre médiéval que l’on appelle hagiographie. Mais l’inverse est aussi possible, à savoir que le succès de la Navigation a peut-être engendré à son tour l’envie de rendre le texte plus conforme aux exigences littéraires du temps ; par exemple en l’intégrant dans le cadre habituel d’une vie de saint.
C’est à l’archevêque P. F. Moran qu’il revient d’avoir, en 1872, été un des premiers à rassembler les textes jusque-là épars. Deux manuscrits la conservent : le manuscrit nº 321 de Saint-Gall en Suisse ; et celui de la Bibliotheca Sessoriana de Rome (B. CXXVII). L’Oratio Sancti Brendani est intéressante à plus d’un titre. Elle appartient au genre des « loricae » ou « cuirasses de protection » et témoigne de l’incontestable esprit de classification des très-sachants de la druidiaction (druidecht) en matière de médecine ou de vocabulaire. Les imrama sont en général beaucoup plus chrétiens que païens. Mais ce qui est intéressant dans celui-ci, c’est que si l’île des forgerons représente l’enfer, l’île qui a été promise aux saints ressemble bien à un paradis tiré de la mythologie, druidique évidemment (Avallon = pommeraie).
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Chapitre I.
Saint Brendan, fils de Finnlug Ua Alta, de la race des Eoghan, naquit dans la région marécageuse du Munster. Il était renommé pour son abstinence et ses nombreuses vertus, et fut le père de près de trois mille moines.
Alors qu’il était occupé à lutter spirituellement, dans un lieu appelé Saltus Virtutis, Brendan, vint à lui un soir un père nommé Barinthus, de la race du roi Niall, qui, interrogé par saint Brendan à de multiples reprises, ne put que pleurer ou se tenir prostré, ou s’abîmer en prières ; mais Brendan après s’être relevé l’embrassa en disant : « Père, pourquoi devrions-nous être ainsi peinés à l’occasion de ta visite ? N’es-tu pas venu pour nous réconforter ? Tu devrais au contraire faire meilleur accueil à nos frères.
Au nom de Dieu, fais-nous savoir tes secrets divins, et rafraîchis nos âmes en nous racontant les diverses merveilles que tu as vues sur l’immense océan ».
Alors Barinthus, en guise de réponse, commença donc à parler d’une certaine île : « Mon filleul, Mernoc, intendant des pauvres du Christ, avait fui ma compagnie pour vivre en solitaire, et avait trouvé, non loin d’une montagne rocheuse, une île regorgeant de délices. Quelque temps après j’appris qu’il avait la charge de nombreux moines et que Dieu avait accompli à travers lui de nombreuses merveilles. Je décidai donc de lui rendre visite, et quand au bout de trois jours de voyage je fus arrivé, il vint à ma rencontre avec quelques frères en Dieu, car le Seigneur lui avait révélé ma venue. Alors que nous faisions voile vers l’île ces frères en Dieu sortirent de leurs cellules pour nous attendre, comme un essaim d’abeilles, car ils habitaient tous chacun de leur côté, bien que leurs rapports aient été des plus harmonieux, car solidement fondés sur la foi l’espérance et la charité ; un seul et même réfectoire et une seule et même église pour tous, où ils célébraient l’office divin. On n’y servait comme nourriture que des fruits et des noix, des légumes et d’autres herbes. Les frères, après complies, passaient la nuit dans leurs cellules respectives jusqu’au chant du coq, ou la sonnerie de cloches appelant à la prière. Quand mon filleul et moi eûmes traversé l’île, alors il me conduisit jusqu’à sa côte occidentale, où il y avait une petite embarcation, et là il me dit : « Père, monte à bord, et nous ferons voile ensuite, car à l’ouest en direction de l’île appelée « Terre promise aux saints » (en latin terra repromissionis sanctorum) dont Dieu gratifiera nos successeurs au début des temps nouveaux ».
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Aussitôt après être montés à bord et avoir mis les voiles, un épais brouillard s’abattit sur nous de tous les côtés, si dense que nous pouvions à peine apercevoir la poupe ou la proue de notre bateau. Au bout d’une heure à peu près, une grande lumière se fit autour de nos, et une terre apparut, vaste, couverte d’herbe, et portant toutes sortes de fruit. Après que le bateau eut atteint la grève, nous débarquâmes, et parcourûmes l’île pendant quinze jours, sans en atteindre les limites. Nous ne vîmes là que des fleurs ou des arbres ployant sous les fruits, et toutes ses pierres étaient de précieuses gemmes. Mais le quinzième jour nous découvrîmes un fleuve qui coulait d’ouest en est, quand, ne sachant plus quoi faire, comme nous voulions traverser la rivière, nous attendîmes un signe du Seigneur. À peine avions-nous commencé à réfléchir à cette question qu’un homme resplendissant de lumière apparut soudainement devant nous. Après nous avoir appelés par notre nom, il s’adressa donc à nous en ces termes : « Soyez les bienvenus, dignes frères, car le Seigneur vous a montré la Terre dont il gratifiera ses saints. Il y a au-delà de ce fleuve une moitié de l’île qu’il ne vous pas permis d’aborder ; retournez donc là d’où vous venez ».
Quand il eut cessé de parler, nous lui demandâmes son nom et d’où il était venu. Mais il répondit : « Pourquoi me poser toutes ces questions ? Ne devriez-vous pas plutôt m’interroger sur cette île ? Telle que vous la voyez, ainsi elle a été depuis le commencement du monde. Avez-vous eu besoin de manger ou de boire ou de vous vêtir ? Car vous êtes en effet restés ici pendant une année entière.
Avez-vous été accablés par le sommeil ou plongés dans l’obscurité de la nuit en ce lieu ? Ici, règne à jamais le jour, sans la moindre trace d’obscurité, car notre Seigneur Jésus Christ en est la lumière, et si les hommes n’avaient pas transgressé le commandement de Dieu, ils seraient toujours restés dans cette terre des délices.
À ces mots nous fûmes émus jusqu’aux larmes, et après nous être reposés un instant, nous nous mîmes en route pour le voyage du retour, l’homme dont nous avons parlé nous accompagnant jusqu’à la grève où notre bateau avait été amarré. Après que nous fûmes montés à bord, cet homme fut enlevé de notre vue, et nous entrâmes de nouveau dans la profonde obscurité que nous avions traversée pour venir, et ce jusqu’à l’île des délices. Quand nos frères en Dieu nous aperçûmes, ils éclatèrent de joie de nous voir ainsi de retour, comme s’ils avaient longuement pleuré notre absence, et ils ils s’exclamèrent : « Pourquoi, O pères, nous avez-vous ainsi laissés, nous vos ouailles, errer sans berger dans la forêt ? Nous savions assurément que notre abbé nous quittait fréquemment, et restait quelque part au loin pendant un mois parfois quinze jours voire une semaine environ, mais jamais une année entière.
En entendant cela j’essayai de les consoler en leur disant : « Frères en Dieu, ne pensez à rien qui ne soit bien, car vos vies en ce lieu se déroulent aux portes mêmes du paradis. Non loin de vous il y a une île, appelée la Terre promise aux saints, où ne tombe jamais la nuit et où ne finit jamais le jour ; c’est l’endroit que fréquente votre abbé Mernoc, et les anges de Dieu veillent dessus. Ne sentez-vous pas au parfum de nos habits, que nous avons été dans le paradis de Dieu ?
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N°1.
Frères en Dieu. Nous traduisons ainsi le terme latin fratribus.
Complies. Nous traduisons ainsi le terme latin completorium : dernière prière de la journée.
Ouailles. Nous traduisons ainsi le terme latin oves.
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Saint Brendan ayant voulu à son tour partir à la recherche de ce petit coin de paradis situé sur une île lointaine, du moins si l’on en croit Barinthus, le texte nous les multiples aventures de sa navigation ou de son périple en mer (imram).
Les imramma sont des récits décrivant le cheminement de l’âme après la mort et ses différentes rencontres ou épreuves (avec ce que les bouddhistes tibétains appellent des divinités courroucées ou apaisantes).
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Ces récits d’origine druidique destinés à préparer les vivants à vivre « une bonne mort » auraient fini, suite à la christianisation, par ne plus être compris et devenir prétexte à des contes et légendes profanes.
Ces imrama vont du plus simple (l’âme se retrouve directement au paradis) aux plus compliqués : le voyage d’Ossian dans la terre de Jouvence, la navigation de Bran fils de Fébal, la navigation de saint Brendan.
Chacune des îles ou merveilles de ces immrama correspondent à une des étapes du voyage ou à un des états d’être de l’âme après la mort du corps, dans l’antichambre du Paradis, avant sa renaissance dans l’autre monde parallèle au nôtre de nature paradisiaque où elle pourra parachever la purification nécessaire à son éclosion (moksha dans l’hindouisme). Étape donc placée sous l’égide d’une divinité apaisante ou d’une divinité courroucée.
Divinités apaisantes ou courroucées avons-nous dit (Épona, Belin/Belen/Belenos/Manannan, etc.) Mais un très utile point de comparaison pour tous ces immrama est aussi le livre des morts égyptien. Mais attention, nous ne prétendons nullement que les anciens druides sont allés se faire initier en Égypte, nous disons seulement que les constantes universelles de l’être humain (rien n’est plus universel que le paganisme) font que, confronté à de semblables défis à relever, il en est souvent arrivé aux mêmes solutions (car nous avons tous un nez une bouche des yeux des poumons un estomac et ainsi de suite voir les loricae). Pas de tradition primordiale donc, mais des concordances ou des parallèles dus à une commune nature humaine (encore une fois, répétons-le nous avons tous un nez une bouche des yeux, etc. voir les loricae).
Signalons enfin que le but de ce voyage de l’âme selon les Égyptiens antiques était une terre idéale d’après leurs critères à eux évidemment, tant il est difficile à un être humain normalement constitué (deux yeux une bouche une langue, etc. voir votre lorica préférée) d’imaginer ou de concevoir autre chose.
Il existait chez les Égyptiens de l’Antiquité un livre qui avait pour but de permettre à l’âme du défunt d’être guidée lors de son voyage dans l’au-delà. Dans cette perspective, le défunt cherchait donc à naviguer sur la barque du dieu soleil Rê puis à traverser le royaume d’Osiris (version nocturne du soleil diurne en cours de régénération).
Ce livre répertorie par conséquent toute la géographie du monde de l’au-delà selon les anciens Égyptiens, les pièges à éviter, ainsi que les différentes formules de la célèbre confession négative des méfaits qui n’ont pas été perpétrés, que le mort doit réciter pour rendre son cœur plus léger que la plume de Maât, lors de la pesée de l’âme.
Le Livre des morts des Anciens Égyptiens avait pour véritable titre, à l’époque de l’Égypte antique, Livre pour sortir au Jour. Le « jour » en question étant celui des vivants, mais aussi tout principe lumineux s’opposant aux ténèbres, à l’oubli, à l’anéantissement et à la mort.
Aucun exemplaire connu ne contient toutes les formules recensées par les philologues des anciennes langues égyptiennes. Les exemplaires les plus complets sont tardifs (dynastie des Ptolémées) tel le papyrus de Turin étudié par Karl Richard Lepsius. Cet exemplaire reprend 165 des 192 formules recensées à ce jour. Le livre des morts est un ensemble de textes très hétéroclite. Ce recueil s’est formé à l’époque du Nouvel Empire égyptien durant les règnes des premiers rois de la XVIIIe dynastie, vers -1550. Ce corpus de textes funéraires fut donc en usage en Égypte durant plus de seize siècles.
Contrairement aux textes des pyramides, réservés aux seuls souverains de l’Ancien Empire égyptien, le livre des morts du Nouvel Empire est destiné à une population plus large. Ses différents chapitres ou formules ont donc été inscrits sur des supports nombreux et variés. Un nombre considérable d’exemplaires sur papyrus ont été découverts dans des tombes de défunts ayant appartenu à la classe moyenne (prêtres, scribes, militaires).
Les égyptologues appellent recension thébaine, ces exemplaires du « Livre des morts » de la XVIIIe à la XXVe dynastie. Une des plus belles réalisations de cette époque est le papyrus d’Ani daté de la XVIIIe ou de la XIXe dynastie. Dans cet exemplaire, le jugement de l’âme est évoqué deux fois, vers le début et vers la fin.
La première partie de ce livre regroupe les formules 1 à 16. Le cortège funéraire marche vers la nécropole et le défunt momifié arrive dans le monde de l’au-delà.
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Dans la deuxième partie, le défunt proclame sa renaissance, mais aussi son pouvoir sur les éléments de l’univers ainsi que sur tous ses ennemis potentiels.
La transfiguration. Dans cette troisième partie, la Sortie au Jour devient une réalité.
La quatrième partie du livre des morts peut se diviser en deux sections.
La pesée de l’âme.
Une fois la mort du corps arrivée, le défunt devait, selon la tradition religieuse égyptienne, se faire peser le cœur, le cœur ayant une symbolique équivalant à celle de l’âme sous nos latitudes. Le défunt arrivait en un lieu où siégeait Osiris, entouré d’Isis, de Nephtys et parfois de Rê. On plaçait le cœur du défunt d’un côté, la plume de Mâat de l’autre. Si le cœur était plus lourd que la plume, Thot, le dieu à tête d’ibis, faisait jeter le défunt à la grande Mangeuse ou Grande dévorante, un monstre hybride à corps de lion, tête de crocodile et arrière-train d’hippopotame qui s’en repaissait (une sorte d’enfer donc). Si le cœur était plus léger que la plume de Maat, c’est qu’il avait eu au contraire une vie juste, Osiris lui ouvrait donc alors les portes de son paradis.
La formule 110 du Livre des Morts nous décrit cet endroit paradisiaque inspirée par la géographie du delta du Nil. Il a plusieurs noms ; le Champ des offrandes, le Champ des Souchets (ou des Joncs), le Champ de Hotep. Cette description est déjà bien établie dans les Textes des Sarcophages. Selon les exemplaires du livre, la description écrite est plus ou moins développée. Concernant cette formule 110, le plus important pour le défunt est de faire figurer, dans son exemplaire du livre, sa grande vignette illustrative. Cette dernière occupe toute la hauteur de la feuille du papyrus. Elle représente une carte d’un monde où le défunt est en train d’adorer des divinités et de participer à des travaux agricoles (labour, semailles et récolte). La géographie est celle de la campagne égyptienne. Des bandes de champs fertiles sont entourées par des canaux d’irrigation. Les déplacements de ville en ville se font au moyen de barques ; aussi voit-on le défunt sur l’une d’elles en train de pagayer sur les canaux de Hotep. D’autres embarcations sont amarrées à un débarcadère où les divinités gardiennes du lieu accueillent les nouveaux venus. Le texte de cette formule indique que le défunt désire pour son ka (principe vital), le pain, la bière, le vin, les gâteaux déposés par les dieux sur les autels à offrandes. Cependant en tant que dieu de l’abondance, il participe aussi à la distribution de ces victuailles. Il désire y faire ses activités habituelles (boire, manger, dormir, faire l’amour) comme sur terre et y connaître une existence éternelle sans inquiétudes ni reproches.
DIFFÉRENCES FONDAMENTALES AVEC LE DRUIDISME, MAIS RESSEMBLANCES AVEC LE CHRISTIANISME OU L’ISLAM.
Là où la religion égyptienne antique différait fondamentalement du druidisme, c’est que c’était une religion très moralisante et qu’avant d’arriver dans son paradis l’âme selon les Égyptiens antiques devait affronter deux dernières épreuves ou ordalies.
— Celle de la confession négative où l’âme expliquait qu’elle n’était pas le pire des monstres que la terre ait jamais porté, qu’elle n’était pas un Hitler un Staline ni même un Gilles de Rais dit Barbe bleue (l’âme fait la longue liste de tous les péchés qu’elle n’a pas commis, futés ces Égyptiens).
— celle du jugement où l’âme est pesée (elle ne doit pas être plus lourde qu’une plume).
En Égypte antique, ce jugement de l’âme était assimilé à un procès où le défunt devait comparaitre pour faire reconnaître ses droits à la vie éternelle.
On distingue néanmoins trois conceptions différentes de cet affrontement judiciaire.
La première conception est un modèle mythique où Horus, le successeur d’Osiris, affronte Seth pour obtenir la succession au trône d’Égypte. Le prêtre ritualiste évoque ce précédent mythique comme une jurisprudence. Le défunt est assimilé à Horus. Tout comme Horus a obtenu le trône d’Égypte à l’issue de son procès contre Seth, le défunt à l’issue de sa propre procédure doit obtenir la vie éternelle suite à sa reconnaissance comme « juste ».
La deuxième conception est plus générale ; le défunt affronte ses ennemis, morts ou vivants, qui l’ont dépouillé de sa vie terrestre.
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L’Égyptien de cette époque en effet ne voyait pas la mort comme un phénomène naturel et biologique. Son trépas était causé par l’action malveillante d’un ennemi évoluant parmi les êtres humains. Le défunt cherchait donc à s’en venger. Mais il devait donc d’abord traduire son ennemi devant le tribunal d’Osiris. Sa juste vengeance ne pouvait en effet s’exercer qu’après un avis favorable du tribunal :
« Je suis un être humain qui est venu mécontent (du monde des vivants). Que l’on m’ouvre les portes du tribunal à cause du tort qui m’a été fait par mes ennemis ! (…) Je suis maintenant un homme-faucon, qui s’en va en homme (…) pour atteindre mon ennemi parmi les hommes. Ayant comparu contre lui devant le tribunal du Chef des Occidentaux (Osiris), j’ai passé toute une nuit à débattre avec lui en présence des habitants de l’empire des morts ; son avocat dans le tribunal s’est alors levé, ses mains devant son visage, quand il a vu que j’étais reconnu comme un juste et qu’on accordait que j’aie pouvoir sur mon vil ennemi et que je le saisisse en présence des hommes qui étaient venus se battre contre moi au moyen de la puissance magique de leurs paroles ».
La troisième conception est celle que le livre des morts des Anciens Égyptiens a popularisée à travers la scène de la pesée du cœur. Dans ce dernier modèle, le défunt est confronté à un accusateur divin. Jugé à l’aune de la Maât, la déesse de la vérité et de la justice, le mort doit rendre compte à Osiris (ou à Rê) de ses actions et de sa manière de vivre sur terre. Cette conception perdurera jusqu’à Diodore de Sicile. L’historien grec du Ier siècle de notre ère rapporte en effet qu’entre la momification et l’enterrement, la momie (le défunt) peut être confrontée à des accusateurs. Si les 42 juges réunis autour du corps estiment l’accusation crédible, la momie n’est pas ensevelie et le défunt est privé de sa vie éternelle. S’il n’y a pas d’accusation, le défunt est enterré avec tous les honneurs.
Le Papyrus d’Ani.
L’illustration de la première évocation du jugement de l’âme montre Ani et son épouse respectueusement inclinés devant une balance à un fléau où sont suspendus deux plateaux. Le cœur d’Ani est posé sur le plateau de gauche en équilibre parfait avec le plateau de droite qui contient une plume d’autruche symbole de la rectitude (Maât). Le bon déroulement de la pesée est assuré par Anubis et Thot enregistre le résultat. Derrière lui se tient le monstre Ammit, la dévoreuse des âmes impures. Douze dieux constituent le tribunal divin ; Harmakhis, Atoum, Shou, Tefnout, Geb, Nout, Isis, Nephtys, Horus, Hathor, Hou et Sia. Le texte de cette scène est celui du chapitre 30B du « Livre des morts ». Ani demande à son cœur de ne pas le trahir. Comme Thot ne trouve aucun péché, les juges déclarent le défunt homme juste.
L’illustration de la deuxième évocation du jugement divin représente le tribunal de la salle des deux vérités. À l’intérieur siègent quarante-deux juges. À chacun de ces juges, Ani déclare ne pas avoir commis tel ou tel péché. À droite sont figurés quatre niveaux superposés. Au niveau supérieur sont assises, chacune sur un trône, deux Maât coiffées d’une plume d’autruche. En dessous, Ani est en adoration devant Osiris qui siège sur son trône. Entre les deux personnages est placée une fleur de lotus, symbole du renouveau. Plus bas, Anubis contrôle le bon fonctionnement d’une balance, sous laquelle apparaît le monstre Ammout, que l’on nomme aussi « la grande dévoreuse ». Le cœur du défunt est au même niveau que la plume de Maât. Tout en bas, Thot à tête d’ibis est assis dans la position du scribe devant une autre figuration de la plume de Maât.
Les versions tardives du « Livre des morts » (recension saïte) ont considérablement étoffé la confession négative ; cette déclaration étant doublée. En arrivant devant la salle des deux vérités (nom du tribunal d’Osiris donc), le défunt est accueilli par Anubis, le dieu de la momification. Après avoir été flairé et reconnu par ce dieu, le défunt lui affirme qu’avant de venir ici il a visité tous les lieux saints d’Égypte. Sur ce, Anubis évalue les connaissances du défunt en lui demandant le nom de la porte, de son linteau et du seuil. Ayant bien répondu, le défunt est autorisé à entrer. Arrivé devant Osiris, le défunt salue le dieu. Le mort énumère ensuite une quarantaine de péchés qu’il n’a pas commis de son vivant. Ceci fait, il réaffirme devant 42 juges, dont il connaît les noms, qu’il n’a pas commis leurs 42 fautes et qu’il est pur et innocent.
Ci-dessous quelques extraits d’une de ces confessions négatives.
Je te salue, grand Dieu, Seigneur des deux vérités !(sic)
Je suis venu à Toi mon Seigneur,
Transporté en ce lieu pour y contempler ta beauté,
Je te connais, je connais le nom des 42 divinités
Qui sont avec toi dans l’antichambre des deux vérités
Afin d’écarter les malfaisants
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Je n’ai pas commis de crime contre les gens
Je n’ai pas maltraité le bétail
Je n’ai pas péché en la place de vérité
Je n’ai pas su ce qui ne devait pas être connu
Je n’ai fait aucun mal
Je n’ai pas commencé une seule journée en arrachant plus que mon dû
Mon nom est resté inconnu de la barque du puissant souverain
Je n’ai blasphémé contre aucun dieu
Je n’ai pas volé le pauvre
Je n’ai pas fait ce que le dieu abhorre
Je n’ai pas dit de mal d’un serviteur à son maître
Je n’ai causé de douleur à personne
Je n’ai pas fait couler de larmes
Je n’ai pas tué
Je n’ai pas ordonné que l’on tue
Je n’ai fait souffrir personne
Je n’ai pas endommagé les offrandes des temples
Etc., etc.
Dans les chapitres du rituel Khebes-to (ou piochage de la terre) il apparaît qu’au Moyen Empire, le défunt doit se battre juridiquement dans un tribunal présidé par Geb, le père d’Osiris. Le mort s’y présente, en victime bafouée, pour affirmer ses droits et pour se les voir confirmer par les dieux. Au Nouvel Empire, le tribunal est présidé par Osiris. Il y acquiert un caractère moral plus affirmé. Ici ce n’est plus la mort, à travers Seth ou ses acolytes, qui est jugée, mais le défunt lui-même. Il doit affirmer et prouver son innocence. Cette dernière conception du tribunal divin apparaît déjà dans l'« Enseignement pour Mérikarê ». Cette œuvre littéraire est une sagesse (un recueil de conseils) enseignée par le roi Khéty Ier à son fils, le futur souverain Mérikarê. Ces deux rois de la IXe dynastie d’Hérakléopolis ont vécu lors de la Première période intermédiaire. Les plus anciens exemplaires de cet enseignement ne sont cependant datés que de la XVIIIe dynastie1.
Circonstances atténuantes.
La suite du rituel Khebes-to tente de faire oublier aux dieux les fautes commises par le défunt ainsi que tous ses manquements à la Maât. Il apparaît que le mort doit se présenter devant un tribunal présidé par Geb où un accusateur divin, probablement Thot, n’ignore rien des péchés du défunt d’autant plus qu’ils peuvent être rapportés par des témoins à charge (morts ou vivants, hommes ou femmes).
« Salut à vous, tribunal des dieux qui aura à juger (Nom du défunt) que voici sur ce qu’il a dit étant ignorant, étant jeune, étant heureux, n’étant pas encore souffrant. (…) Que l’Osiris (Nom du défunt) soit proclamé juste devant Geb, prince des dieux par ce juge qui le juge conformément à ce qu’il sait, après qu’il a comparu à la barre, sa plume sur sa tête, sa Maât à son front. Ses ennemis sont dans l’affliction, car il a repris possession de tous ses biens, étant proclamé juste. »
Pour se défendre, le défunt met en avant l’argument de la jeunesse ; l’ignorance de l’enfance étant ses circonstances atténuantes. Toutes les fautes et les péchés de la vie sont rejetés vers le temps de l’enfance, une époque d’ignorance où l’on ne sait pas distinguer le bien du mal. Le prêtre ritualiste exhorte ensuite Thot et les juges divins de ne retenir que les bonnes paroles et donc les bonnes actions du défunt.
Oui décidément la religion égyptienne antique était une religion vraiment très moralisante, mais assez hypocrite également. Y avait-il des avocats marrons dans son barreau divin ? Heureusement que les anciens druides ont su éviter cet écueil, pour eux, à de rarissimes exceptions près (Staline Hitler et Gilles de Rais par exemple, qui ne vont certes pas en enfer, puisque l’enfer n’existe pas, mais qui se réincarnent en bacuceos sur terre) tout le monde va au paradis.
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N.B. Geb et Osiris, etc.font partie des divinités apaisantes, Seth Ammit et Thot font partie des divinités courroucées.
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Chapitre XXIII. L’ÎLE DES FORGERONS.
Quand ces jours-là se furent écoulés, ils arrivèrent en vue d’une île qui était rugueuse et rocheuse, recouverte de scories, sans arbres ni prairie, mais couverte de forges. Saint Brendan dit à ses frères en Dieu : « Je m’inquiète beaucoup à propos de cette île, je n’ai nulle envie d’y aborder ni même de l’approcher, alors que le vent nous pousse droit dessus, comme si c’était le but de notre voyage ».
Quand ils furent arrivés à la distance d’un jet de pierre environ, ils entendirent le bruit de soufflets qui grondaient comme le tonnerre, et le battement du marteau sur des enclumes et du fer. Alors saint Brendan s’arma du signe de la croix qu’il fit sur tout son corps, en disant : « Ô, Seigneur Jésus-Christ, délivre-nous de cette île maléfique ». Aussitôt après un des habitants sortit pour effectuer quelque tâche ; il était très velu et hideux, immense et ténébreux (tenebrosus). Quand il vit les serviteurs du Christ approcher l’île, alors il rentra dans sa forge précipitamment.
Saint Brendan s’arma de nouveau du signe de la croix, et dit à ses frères en Dieu : « Mettez encore plus de voile et souquez ferme sur les avirons afin de nous éloigner de cette île ». En entendant ces paroles le sauvage mentionné ci-dessus sur rua sur la grève, avec à la main des pinces tenant une masse de scories encore brûlantes, de très grande taille et dégageant une chaleur intense ; qu’il jeta aussitôt sur les serviteurs du Christ, mais il n’en toucha aucun, car ils étaient protégés par le signe de la croix. Elle passa au-dessus d’eux pour tomber à un stade (150 à 200 mètres) de distance et là où elle toucha l’océan de la vapeur d’eau s’éleva comme si une montagne de charbons ardents était tombée là et des flammes s’en élevèrent comme d’un fourneau rougeoyant. Quand ils se furent éloignés d’environ un mille (romain = 1, 5 km) de l’endroit où cette masse brûlante était tombée, tous les habitants de l’île descendirent sur la grève, avec chacun une grande quantité de scories brûlantes, qu’ils jetèrent à tour de rôle, en direction des serviteurs de Dieu ; puis ils revinrent dans leurs forges dont ils firent jaillirent de puissantes flammes de tout côté, de sorte que l’île tout entière sembla être un globe de feu, et que la mer de commença de bouillir et d’écumer tout autour, comme un chaudron sur un feu bien alimenté en combustible. Toute la journée les frères en Dieu, même quand ils furent hors de vue de l’île, entendirent les puissantes lamentations des habitants du lieu, et une puanteur répugnante s’en échappait pouvaient être sentie de très loin. Ensuite saint Brendan essaya de ranimer quelque peu le courage de ses frères en Dieu en leur disant : « Soldats du Christ, restez fermes dans la vraie foi à l’abri de l’armure de l’esprit, car nous sommes maintenant aux confins de l’enfer ; veillez donc et agissez virilement.
Chapitre XXIV.
Un autre jour apparut à l’horizon une grande et haute montagne dans l’océan, non loin d’eux, vers le nord, environnée de nuages et avec une grande colonne de fumée qui s’échappait de son sommet, quand soudain le vent se mit à rapidement pousser le navire en direction de cette île jusqu’à ce qu’ils en abordent le rivage. Les falaises étaient si hautes qu’ils pouvaient en voir le sommet rarement, étaient noires comme du charbon, et droites comme un mur. Là celui des trois moines qui restait parmi ceux ayant suivi saint Brendan depuis son monastère, sauta du navire et alla jusqu’au pied de la falaise, en criant et en pleurant à haute voix : « Malheur à moi ! Père, car on m’arrache à vous de force, et je n’arrive pas à revenir ». Mais les frères en Dieu, saisis d’une grande peur, s’éloignèrent promptement du rivage ; et, en se lamentant à haute voix, crièrent au Seigneur : » Aie pitié de nous, O Seigneur, aie pitié de nous ! » Saint Brendan avait bien vu comment le malheureux avait été emporté au loin par une multitude de démons, et qu’il brûlait déjà parmi eux, aussi s’exclama-t-il : « Malheur à toi, pauvre fils, d’avoir trouvé ainsi la fin que tu méritais ».
Juste après une brise favorable poussa le navire puis les fit voguer en direction du sud ; et alors qu’ils regardaient derrière eux, ils aperçurent le sommet de la montagne dégagé de tout nuage, crachant des flammes très haut dans le ciel, qui les renvoyait sur lui, de sorte que cette montagne ressemblait à un immense bûcher (rognus ?) enflammé, vivant et respirant.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N°2.
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L’île des forgerons. Il est difficile de comprendre à quelle étape du cheminement de l’âme après la mort du corps, peut correspondre une telle description, tant les chrétiens ont déformé les mythes druidiques en parlant. Il ne faut pas oublier en effet que si les premiers chrétiens d’Irlande ont repris bon nombre des techniques et des détails de la spiritualité druidique (comme les loricae par exemple) ils les ont aussi complètement remodelés ou additionnés de nombreux éléments n’ayant rien à voir avec le celto-druidisme. Les sceptiques y verront la description quelque peu naïve et primaire d’une éruption volcanique, ils évoquent même à ce sujet les îles Jan Mayen (Norvège).
Il est clair en tout cas que dans cet épisode les forgerons sont assimilés à des diables ou des démons et que cette île des forgerons est donc en quelque sorte une préfiguration de l’enfer. Notre texte latin parle bien d’ailleurs des confins de l’enfer, confinibus infernorum.
Nous traduisons par « sauvage » le terme latin « barbarus » qui signifie à proprement parler « barbare ».
Rognus. Le vieux dictionnaire de latin que j’ai gardé de ma jeunesse porte « rogus » avec une petite illustration qui ne laisse aucun doute.
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Chapitre XXVII.
Saint Brendan et ses frères en Dieu, ayant reçu la bénédiction de l’homme de Dieu, puis s’étant mutuellement donné le baiser de paix du Christ, firent voile vers le sud au moment de Carême, et leur navire dériva de-ci de-là ; ils vécurent durant tout ce temps-là de l’eau douce embarquée à bord, avec laquelle ils se rafraîchissaient tous les trois jours, et dont ils se contentaient, n’éprouvant ni faim ni soif. La veille de Pâque, ils atteignirent l’île de leur ancien intendant qui vint à leur rencontre à l’endroit prévu pour les débarquements, et prit chacun d’eux dans ses bras pour les faire descendre à terre. Dès que l’office du jour eut été dûment célébré, il leur servit un repas.
Le soir ils remontèrent à bord en compagnie de cet homme et découvrirent bientôt à sa place habituelle la grande baleine, sur le dos de laquelle ils chantèrent les louanges du seigneur toute la nuit, et dirent la messe au petit matin.
Quand la messe eut été dite, Iasconius se mit en route, alors que tous étaient encore sur son dos, et les frères en Dieu implorèrent à haute voix le Seigneur : « Entends nous, O Seigneur , Dieu de la rédemption ». Mais saint Brendan les rassura : « Pourquoi vous alarmer ? Ne craignez rien, car il ne nous sera fait aucun mal, car nous avons là seulement un assistant qui va faciliter notre voyage ».
Chapitre XXVIII. LA TERRE PROMISE AUX SAINTS.
La grande baleine nagea d’une seule traite jusqu’à la plage du paradis des oiseaux, où elle les débarqua tous sains et saufs, et ils séjournèrent sur cette île jusqu’à l’octave de la Pentecôte. Quand cette période solennelle fut passée, leur intendant, qui était toujours avec eux, dit à saint Brendan : « Embarque maintenant dans ton bateau et remplis toutes les outres avec de l’eau de cette fontaine. Je vous accompagnerai en tant que pilote dorénavant, car sans mes conseils vous ne sauriez trouver le pays que vous cherchez, la Terre promise aux saints ». Alors qu’ils étaient en train d’embarquer, tous les oiseaux de l’île, dès qu’ils aperçurent saint Brendan, se mirent à chanter de concert et ensemble : « Puisse un heureux voyage avec lui comme guide vous conduire sains et saufs jusqu’à l’île de votre intendant ».
Ils prirent avec eux des provisions pour quarante jours, puisque leur voyage vers l’orient devait durer tout ce temps-là, avec l’intendant devant eux pour les guider. Au bout de quarante jours, vers le soir, un nuage très dense les plongea dans des ténèbres si épaisses qu’ils pouvaient à peine se voir. L’intendant demanda ensuite à saint Brendan : » Savez-vous, père, de quelle obscurité il s’agit ? » Et le saint lui répondit que non. « Ces ténèbres », répondit-il, « entourent l’île que vous cherchez depuis sept ans ; vous verrez bientôt que c’est en réalité la voie y menant », au bout d’une heure une grande lumière les enveloppa, et le bateau s’échoua sur le rivage.
Après avoir débarqué, ils découvrirent un pays étendu et très boisé, aux arbres ployant sous les fruits, comme en Automne. Il n’y eut aucune nuit le temps qu’ils mirent à parcourir cette terre, durant leur séjour là-bas, mais une lumière qui brillait en permanence, comme la lumière du soleil à midi, ils ne se nourrissaient que de pommes, et s’abreuvaient aux sources parsemant la contrée, mais et malgré les quarante jours qu’ils passèrent à parcourir le pays en tous sens, ils ne purent en trouver les limites. Un
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jour pourtant ils arrivèrent au bord d’un grand fleuve coulant au milieu du pays, qu’ils ne purent en aucune façon traverser. Saint Brendan dit alors à ses frères en Dieu : « Nous ne pouvons pas traverser ce fleuve et nous devrons donc continuer d’ignorer l’étendue de ce pays ». Mais alors qu’ils étaient en train de réfléchir à ce sujet, un jeune homme aux traits resplendissants et à l’aspect magnifique, arriva, embrassa et interpella joyeusement chacun d’eux en l’appelant par son nom, puis leur dit : « La paix soit avec vous, frères, et avec tous ceux qui vivent la paix du Christ. Bénis soient ceux qui demeurent dans ta maison, O Seigneur ; ils chanteront tes louanges pour les siècles des siècles ».
Il dit ensuite à Saint Brendan : « Ceci est le pays que tu as cherché si longtemps, mais que tu n’avais pu trouver jusque-là, car le Christ notre Seigneur souhaitait d’abord déployer devant toi ses divers mystères dans cet immense Océan. Retourne maintenant dans ton pays natal, en emportant avec toi autant de ces fruits et de ces pierres précieuses que ton bateau peut en transporter, car les jours où ton pèlerinage terrestre prendra fin et où tu pourras reposer parmi tes saints frères en Dieu, approchent. Après un certain nombre d’années, ce pays sera de nouveau montré à ceux qui viendront après toi, quand les jours de grande persécution se seront abattus sur le peuple du Christ. Le grand fleuve que tu vois là divise ce pays en deux parties, et tel que tu le vois aujourd’hui, regorgeant de fruits mûrs, tel il restera, sans être affecté par l’ombre de la mort, car la lumière du Christ y brille constamment.
Quand saint Brendan voulut savoir quand cette terre devait être révélée aux hommes, le jeune homme répondit : « Quand le Très Haut Créateur aura soumis toutes les nations, alors il fera connaître cette terre à tous ses élus ».
Chapitre XXIX. LE RETOUR ET LA MORT DE SAINT BRENDAN.
Aussitôt après, saint Brendan ayant été béni par cet homme, il prépara le retour dans son pays natal. Il cueillit des fruits de cette terre, et ramassa diverses sortes de pierres précieuses ; puis ayant pour la dernière fois pris congé du bon intendant qui durant toutes ces années les avait approvisionnés en nourriture lui et ses frères en Dieu, il embarqua une fois de plus et rebroussa chemin à la voile pour de nouveau traverser les ténèbres.
Quand ils en furent sortis, alors ils atteignirent « l’île des délices » où ils restèrent trois jours, en tant qu’hôtes du monastère, et ensuite saint Brendan, après avoir reçu la bénédiction de l’abbé, fit voile d’une seule traite et guidé par Dieu, puis arriva devant son propre monastère, où tous ses moines rendirent grâce à Dieu pour le retour sain et sauf du patriarche dont ils avaient tant déploré l’absence, et apprirent de lui toutes les merveilles de Dieu qu’il avait pu voir ou entendre durant son périple en mer.
Ensuite il leur indiqua précisément l’heure de sa mort, conformément à la prophétie du jeune homme rencontré au bord du fleuve, et à quel moment devrait apparaître la terre promise aux saints. Ce qui fut confirmé par la suite des événements. Car, après avoir pris toutes ses dispositions, muni de tous les sacrements divins ; peu de temps après, il finit en paix le reste de ses jours entre les mains de ses disciples, et alla en gloire vers le Seigneur, à qui appartiennent gloire et honneur pour les siècles des siècles. Amen !
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 3.
La veille de Pâque. Nous traduisons ainsi la formule latine Sabbato Sancto.
Intendant. Nous traduisons ainsi le terme latin procurator, littéralement « qui prend soin ».
La Terre promise aux saints. Nous traduisons ainsi la formule latine Terram Repromissionis sanctorum.
Vers l’orient. Contra orientalem en latin. Il doit s’agir d’une erreur.
Quand les jours de grande persécution se seront abattus sur le peuple du Christ. Cette prophétie concernant une grande persécution antichrétienne à venir nous laisse par contre tout aussi perplexes. Serait-ce une allusion à la montée en puissance de l’islam dans le monde ? Qui depuis le début du XXe, après être tombé bien bas avec la colonisation, ne cesse de regagner voire de gagner, du
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terrain. De toute façon, cette terre promise des saints, personne n’a pu encore la voir, malgré toutes les recherches déclenchées par la navigation de saint Brendan, non ? Cela fait un peu penser à la terre des Yajouj et des Majouj (Gog et Magog) du chapitre 18 du Coran, à propos du très païen et même blasphémateur Zu al Qarnaïn.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 4.
Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, la navigation de saint Brendan est l’ultime aboutissement (c’est un récit du VIIIe siècle) de la réécriture, gauche et maladroite au possible, déformée, manipulée, amputée de nombreux passages, mais additionnée au contraire de nombreuses interpolations n’ayant rien à voir avec le fond celto-druidique originel, d’une légende druidique décrivant à l’intention des profanes les différents états de l’être vécus par l’âme/esprit après la mort, sous la forme de rencontres avec des divinités apaisantes comme Épona/Niamh, Belin/Belen/Belenos dit Manannan le dieu de l’harmonie, ou courroucées, genre Cathubodua, le serpent à tête de bélier… comme diraient nos amis tibétains. Le tout prenant concrètement la forme d’un long périple d’île en île.
Dans le texte latin de la légende chrétienne, le paradis est assimilé à un pays de Cocagne, séparé en deux par un fleuve coulant dans son milieu, et habité par des anges de sexe masculin (dans les versions celto-druidiques il y a aussi de nombreux anges de sexe féminin).
Ce récit en latin, mais irlandais reflète les pratiques monastiques du temps. Et notamment celle qui consistait à se retirer sur des rochers désolés au milieu des flots, ainsi qu’on peut le voir dans les différents récits de Plutarque concernant de mystérieuses îles de l’Océan autour de la Grande-Bretagne. Cas plus tard aussi de l’île Skellig.
Mais la navigation de saint Brendan fait plus qu’insérer des images chrétiennes dans un récit druidique préalablement censuré. Elle reste globalement fondée sur le postulat qu’il existe une zone frontière de ce monde, où différents miracles peuvent nous donner une idée de la vie dans l’univers parallèle généralement désigné sous le nom d’au-delà. Ce qui est conforme à l’antique conception druidique de l’au-delà qui n’est pas un monde désincarné fondamentalement différent du nôtre, si l’on en croit Lucain : on y mange on y boit on y fait l’amour, il y a du soleil des fleurs des arbres des fruits et des récoltes, de la musique, de bonnes bagarres sans morts ni blessés pour ceux qui aiment ça, des livres pour les intellectuels des îles de Plutarque, etc.
Druidisme moderne.
L’hagiographie chrétienne de cette époque empruntait ou développait ; d’autant plus que l’implantation du christianisme en Irlande, historiquement parlant, ne s’est pas faite aux dépens (et avec violence) du paganisme irlandais. Il vaut mieux supposer un certain syncrétisme (Plummer l’avait pressenti dans son étude, bien qu’il ait alors fait une part trop belle au paganisme aryen ou préaryen). L’île des délices située juste à côté de la terre promise aux saints est bien évidemment une allusion au Mag Meld ou autre monde de la mythologie druidique irlandaise.
La critique moderne retire les ajouts, et ramène l’œuvre à sa forme première.
La volonté marquée par la critique moderne « brendanienne » de situer la Navigation se déploiera dans deux directions différentes.
a) Situer la Navigation historiquement, par le recensement et la datation des manuscrits.
b) Même effort pour ce qui est du lieu de composition, par la recherche des influences expliquant la genèse de l’œuvre. Cela permet d’obtenir quelques hypothèses sur le lieu et la date de sa composition, à défaut d’avoir des certitudes.
En ce qui concerne le recensement et la datation des manuscrits ou des versions, il faut retenir le nom de Carl Selmer qui, après dépouillement exhaustif, en tira une théorie sur l’origine et l’auteur de la Navigation. Alors que ses prédécesseurs s’en étaient tenus à des recensements partiels sans autres conséquences.
Ce recensement et cette datation des manuscrits de la Navigation, de manière systématique, vinrent après des éditions comparées d’un texte latin et de textes en langues vernaculaires, ou même faisant fusionner en une seule adaptation, ces différentes versions.
La Vita secunda, le poème de Benedeit, et la Vita du manuscrit de Lisbonne.
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L’hagiographie ne s’en tient nullement à ces seuls aspects lorsque l’on prend aussi en compte le poème anglo-normand de Benedeit – début du XIIe siècle – et les textes qui lui sont afférents et contemporains. La Vita Secunda Sancti Brendani, du manuscrit numéro 3496 de la Bodléienne – XIIIe siècle – et la Vita du manuscrit de Lisbonne, Codex 256 – XIVe siècle -. Le travail hagiographique ne porte plus que sur l’aventure en mer, puisque, comme pour la Navigation, la vie de saint Brendan y est circonscrite à cette même aventure. Mais s’il n’y a plus d’enfance ni d’exploits une fois l’épreuve en mer passée, des différences notables se font jour entre la Navigation et le poème de Benedeit. La curiosité ou le désir de retrouver le lieu promis aux saints constituent les motifs du départ. Bien que saint Brendan multiplie les précautions, en confessant son projet à Barintus, en jeûnant et en priant jusqu’à ce qu’un ange lui apparaisse pour l’aider à préparer son voyage, et donc l’approuver. Benedeit insiste davantage sur les préparatifs, l’aspect inhabituel du voyage, et les efforts pour l’accomplir. Si bien que nous découvrons, dans ce souci de mise en valeur des qualités humaines du saint, une dramatisation du récit que la Navigation ne souligne guère de son côté. En ce sens aussi, Benedeit et les deux autres Vies sont relativement éloignées des tentatives de la Vita Prima (une rationalisation où le voyage est rendu pratiquement possible) puisque les difficultés rencontrées sont vaincues surtout par les efforts du saint et de ses compagnons. Et visent à accroître l’intérêt des auditeurs.
Du voyage de Mael Duin à la Navigation de saint Brendan, la transposition apparaissait à Zimmer très nette. La Navigation de saint Brendan, dans ce cas postérieure à celle de Mael Duin (VII-VIIIe siècle), serait à situer au XIe siècle) et proviendrait d’une confusion entre deux Brendan.
— Brendan de Birr, dont Mael Duin rencontre au cours de son voyage la communauté sur une île.
— Brendan de Clonfert, plus jeune, et qui serait devenu, par erreur, le héros de cette Navigation.
Aux critiques de la théorie de Zimmer, s’ajoutèrent d’autres condamnations, qui proposèrent la Navigation comme modèle aux imrama et aux echtrai. Le voyage de Mael Duin aurait ainsi succédé à la Navigation de Brendan, au lieu que ce soit l’inverse. Ce qui pour Nutt et Brown, est démontré par le fait que la navigation de Mael Duin adopte, elle aussi, le procédé stylistique consistant à morceler la description du Paradis (sic) en plusieurs îles, de façon à maintenir l’attention des auditeurs. Ces dernières critiques ne se sont pas dénuées de tout fondement, vu l’ancienneté (prouvée par J. Orlandi) de la Navigation, VIIe siècle-VIIIe siècle, date de rédaction probable également des imrama et des echtrai.
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ANNEXE N° 2.
RÈGLE DES CULDÉES SELON SAINT MAELRUAIN DE TALLAGHT.
1. Les Béatitudes du réfectoire sont chantées debout, on chante ensuite le Magnificat, l’Ego vero et d’autres cantiques.
2. L’usage est de faire un brouet de lait suffisamment épais, avec du miel dedans, la veille des principales fêtes, c’est-à-dire la Noël et les deux Pâques (Pâques et le dimanche d’après). Il n’est pas permis de faire la fête ou de boire ces soirs-là de la bière, à cause de la Communion du lendemain.
3. Les dimanches de grand carême (voir note Nº 2), un peu de lait néanmoins est autorisé pour ceux qui font pénitence. Une demi-mesure (selann) durant la nuit n’est pas interdite ces dimanches-là. Ceux qui font pénitence n’ont pas droit d’avoir du beurre, sauf le Jour de la saint Patrice, mais quand cette fête tombe un vendredi ou un mercredi, un peu de lait pour eux est tout ce qui doit être pris. Les dimanches, ou les jours de fête ne tombant pas un jour de jeûne, une demi-mesure de lait peut être prise. Le culdée doit toujours prendre la même quantité de pain, même les jours de fête. Il peut seulement prendre plus de boisson, de condiment ou d’autres choses.
4. S’il se trouve qu’il y a du chou frisé, la quantité de pain ne doit pas être diminuée d’autant puisque le chou frisé constitue un condiment et qu’il est servi avec du lait, non avec du beurre. Et de même un morceau de poisson, un peu de lait de colostrum ou de fromage, ou un œuf dur ou des pommes, ne doit pas entraîner une diminution de la quantité de pain ; tant qu’on en mange seulement un peu et pas tout d’un coup. Des pommes, cinq ou six avec du pain, suffisent, si elles sont grosses ; si elles sont petites, on peut en prendre une douzaine.
5. Les poireaux (quatre ou cinq têtes) sont autorisés. Le lait caillé ainsi que le mègue (petit-lait) ne doivent pas être consommés tels quels, mais employés à faire du fromage. Le flan par contre n’est pas interdit, pourvu qu’aucune présure n’y soit ajoutée. La raison pour laquelle il n’est pas interdit est qu’il compte comme du pain. Le petit-lait (mègue) de lait caillé ne doit pas être bu tel quel, mais mélangé avec un peu de lait caillé.
6. La relâche de Pâques autorise des œufs, du saindoux, et de la viande de cerf ou de sanglier.
7. Il est d’usage d’infliger une pénitence supplémentaire aux cuisiniers, laitiers ou porteurs d’écuelles, s’ils renversent des aliments tant lait que grain.
8. On peut prendre de la viande les jours de grand carême, quand il manque quelque chose, mais à moins que les vies ne soient en danger, il est mieux de suivre le jeûne.
9. Les principaux jours de fête tombant un jeudi ou un mardi hors période de jeûne, un quart de mesure en sera permis avec un petit peu (bochtan) de bière ou d’eau de mègue (petit-lait). Si une petite gorgée d’eau de mègue (petit-lait) ou un gobelet de bière ne peut pas être distribué, alors on donne un peu de gruau à la place, c’est-à-dire un quart de ration. Quand on a la chance de pouvoir donner un gobelet de bière, on ne doit pas boire à grandes gorgées, même si l’on a soif ; mais à toutes petites gorgées, parce que cela désaltère et qu’on n’en apprécie pas moins.
10. Pas de demi-mesure de beurre, mais à la place une gorgée d’eau de mègue (petit-lait) les soirs de lundi, mercredi, vendredi, ou samedi, même en dehors du jeûne, ou les soirs de grande fête. Mais le repas de fête qui tombe un lundi est transféré au mardi, celui qui tombe un mercredi est transféré au jeudi, celui qui tombe un vendredi est transféré au mardi, suivant.
11. À une gorgée de lait frais pur, s’il n’y a pas d’autre liquide [mélangé dedans], un quart d’eau est ajouté.
12. Chez les Culdées, on ne s’inflige pas une punition soi-même, la punition est infligée par quelqu’un d’autre, et elle est administrée entre l’Épiphanie [et les Pâques] ainsi qu’entre le dimanche d’Avent et le Jour de Noël suivant.
13. Celui qui assiste à la Messe de minuit [la veille de Pâques] pour la première fois reçoit seulement le Pain et pas le Vin et il n’y retourne plus avant la fin de l’année. Il va de nouveau à la Messe de minuit l’année d’après, puis reçoit le Pain de Pâques le lendemain. La troisième fois, il va à la Messe de minuit et reçoit le Pain à Pâques et le Jour de Noël. La quatrième fois il assiste à la Noël aux deux Pâques et à la Pentecôte. La cinquième année, il assiste aux grandes fêtes et assiste aussi à la
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messe toutes les 40 nuits. La sixième année à la fin de chaque mois. La septième année à la fin de chaque quinzaine. Après il y va tous les dimanches.
14. Le Notre Père, le Deus in adiutorium, jusqu’au festina, sont récités face à l’est, les deux mains levées au ciel et en faisant le signe de croix de la main droite. Ensuite de la même façon face à chaque point cardinal, vers le bas et vers le haut. On appelle ceci « un temple de piété ». Mais on veille d’abord les bras en croix et l’on appelle ça « une cuirasse de dévotion ».
15. Quand quelqu’un ne peut aller communier le dimanche, il y va le jeudi d’après, parce qu’attendre jusqu’au dimanche suivant serait un trop long délai pour qui communie régulièrement chaque dimanche. Et dans ce cas-là, il y aura pour eux deux jours de préparation à observer en attendant la messe.
16. Il ne faudra pas dans ce cas remettre les confessions mineures comme celles des mauvaises pensées, de l’oisiveté, des mots amers, de la colère et ainsi de suite, au dimanche suivant. Elles devront être confessées immédiatement après avoir été commises.
17. Celui qui se confesse à un guide spirituel, s’il fait pénitence comme il le lui a demandé, n’a pas besoin de se confesser à un autre ami de l’âme, sauf pour les péchés qu’il aura commis après.
18. La confession fréquente, cependant, n’est d’aucun profit, si le péché lui-même est aussi fréquent.
19. Le jeudi du lavement des pieds (voir note Nº 3) pas de demi-mesure, à part une gorgée de lait ou un gobelet de bière et une cuillerée de miel éventuellement ; car c’est réservé aux grands jours et aux grandes fêtes sans veillée ni châtiment imposé en guise de punition. De l’eau de petit-lait ainsi que du pain, sera l’ordinaire de ces jours-là : un sermon sera fait, ensuite dîner l’après-midi.
20. Au lavement des pieds, les Béatitudes sont récitées le temps que dure cette opération. Après cela sermon sur le Lavement des pieds.
21. Quand on intercède par des prières pour quelqu’un lors de la célébration des vêpres, on se sert de son nom de baptême.
22. Quand les Psaumes sont récités, une partie est dite debout et la suivante assis, parce que rester assis engendre le sommeil et que rester trop longtemps debout fatigue.
23. Douze répétitions des Béatitudes équivalent aux 150 Psaumes.
24. Un peu de gruau est accordé à ceux qui sont punis les jours de fête et le dimanche, mais ils ne sont en aucune façon exemptés des veilles. À part pour les soirs de grande fête entre les Pâques et la Pentecôte, et les mardis ou vendredis entre la Noël et l’Épiphanie.
25. Qui s’abstient régulièrement de viande en prendra un petit peu à Pâque, afin de se prémunir contre la disette ou la famine durant le restant de l’année. Car qui ne fait pas relâche le Jour de Pâques n’aura plus d’autre occasion de le faire jusqu’aux Pâques suivantes.
26. Le prêtre qui quitte les Ordres ne peut plus offrir le Sacrifice de la Messe, même s’il fait pénitence, car il est inadmissible qu’un homme ayant quitté les Ordres puisse dire la messe.
27. Quand une fête principale tombe un samedi, si c’est en dehors d’une période de jeûne, manquer à la veille du jour précédent sera excusé. Si, cependant, elle tombe un mercredi, un vendredi, ou un lundi, cette indulgence sera transférée au mardi, jeudi, ou samedi, d’avant.
28. La tâche des amis de l’âme est toujours délicate. S’ils prescrivent le vrai remède, le remède adéquat, il sera plus souvent oublié ou négligé que suivi, mais si le guide spirituel ne prescrit rien, la responsabilité en retombera sur lui. C’est pourquoi beaucoup considèrent comme suffisant de se confesser sans même qu’il y ait pénitence. Le mieux pour un ami de l’âme est donc de sermonner tout un chacun en lui indiquant ce qui serait le mieux dans son cas, sans attendre qu’il se confesse.
29. Recours peut être fait, si nécessaire, à un autre guide spirituel, après accord de l’ami de l’âme initial.
30. Chez les Culdées, il n’est pas dans l’usage de dormir dans l’oratoire. La pratique est d’y rester au moins à deux jusqu’à minuit pour y réciter les cent cinquante Psaumes. Ils dînent à nones et dorment jusqu’à la nuit, puis dorment [de nouveau] de minuit jusqu’à matines. Deux autres les relaient ensuite dans l’oratoire de minuit jusqu’à matines, ils récitent aussi les cent cinquante Psaumes puis dorment ensuite jusqu’à tierce et disent son office en compagnie de tous les autres frères.
31. La pratique des Culdées, pendant qu’ils dînent, est que l’un d’entre eux lit à haute voix les Évangiles et la Règle ou le récit des miracles des saints, afin que leur esprit soit concentré sur Dieu et non sur leur repas. Celui qui lit prendra son dîner auparavant, dans l’après-midi, et le jour [suivant] tous seront interrogés séparément à propos de ce sermon, pour vérifier si leurs esprits ont pu y réfléchir la nuit [précédente] ou non.
32. Celui qui n’a pas suivi la Messe du dimanche doit réciter cinquante Psaumes, debout dans une pièce fermée, avec des signes de croix sur les yeux. Tel est le prix qu’il doit payer pour cette messe. Cent génuflexions et une veille toute la nuit les bras en croix, avec les Béatitudes, équivalent à l’accomplissement de cette obligation.
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33. Quelle que soit la soif dont il puisse souffrir, il ne doit pas prendre de boisson avant minuit passé. Il peut boire entre minuit et l’office du coucher seulement.
34. Si tu t’es emporté contre un serviteur, mais qu’il n’y a eu ni malédiction ni abus, tu recevras cent coups sur les mains et tu passeras ensuite la nuit au pain sec et à l’eau.
35. Il n’est pas admis qu’un Culdée boive quoi que ce soit juste après avoir uriné.
36. Toute la communauté de Maelruain jeûne une fois par mois, c’est-à-dire qu’elle prend des demi-rations de pain et des demi-rations d’eau mêlée de mègue (petit-lait) ce jour-là.
37. Il convient de refuser la confession de qui n’exécute pas la pénitence imposée par son guide spirituel. Si quelqu’un n’arrive point à trouver un ami de l’âme considéré comme suffisant par lui (c’est-à-dire quelqu’un ayant étudié les règles de conduite fixées dans l’Écriture sainte et dans les Règles de vie des Saints) ; et si les préceptes qu’il a reçus de l’ami de l’âme lettré qu’il a rencontré en premier sont bien observés par lui ; s’il y a là en outre quelqu’un auquel il peut se confesser sur chaque point, et si la pénitence peut ensuite être accomplie en accord avec la règle des confessions mineures ; alors peu importe à qui donc il se confessera, même si c’est à un étudiant ou à un jeune prêtre.
38. Il y a quatre choses pour lesquelles il n’existe aucune pénitence sur la terre d’Erin.
— Avoir couché avec une morte.
— L’inceste avec une sœur ou une fille.
— La chute dans le péché quand on a été investi des ordres les plus élevés (c’est-à-dire quand on est évêque ou prêtre).
— Et la trahison du secret de la confession, en révélant ce qu’un homme a fait.
39. Certains expliquent qu’un petit régime tout en douceur est mieux pour l’âme qu’un régime pur et dur. Lors de la fête des Apôtres et lors des grandes fêtes ou le dimanche, un adoucissement du régime (c’est-à-dire quelque chose de plus délicat que toute autre nourriture) vaut mieux qu’un durcissement.
40. En outre quand on a soif, un petit peu (bochtan) de mègue (petit-lait) ou de babeurre, avec de l’eau, peut être pris, mais uniquement à petites gorgées.
41. Qui mange avant l’heure, qui mange avant le temps, ou prend de la nourriture inaccoutumée pour lui, devra pour cela passer deux nuits au pain sec et à l’eau.
42. Toilettes et urinoirs sont des lieux où rôdent les esprits maléfiques. Le signe de croix doit être fait sur ces lieux et l’on doit se signer en y entrant, il est interdit d’y réciter des prières, sauf le Deus in adiutorium (jusqu’à festina).
43. Les aliments qui sont dans une maison où quelqu’un vient de mourir doivent être bénis et distribués aux pauvres. Car on ne doit pas garder de la nourriture dans la maison d’un malade ou manger dans la maison d’un mort, fut-il un saint.
44. Voici ce que Maelruain a entendu de personnes vénérables à propos du fait d’abandonner son pays. Qui abandonne son pays (sauf pour le parcourir d’est en ouest ou du nord au sud) renie saint Patrice dans le Ciel et la foi qu’il a jadis apportée sur terre en Irlande.
45. Ce que fait quelqu’un pour l’âme d’un mourant sert toujours à quelque chose. Que ce soit des veilles, un jeûne, des requiem, ou de multiples bénédictions. Les fils doivent faire pénitence pour leurs parents décédés. Maedoc de Ferns et toute sa communauté ont passé une année entière au pain sec et à l’eau afin de faire sortir de l’enfer l’âme de Brandub mac Echach.
46. Si quelqu’un désire jeûner, mais s’il n’a encore jamais été habitué à se contenter de rations plus petites, laissez-le en enlever seulement un huitième pendant six mois. Et qu’il reste fidèle jusqu’à sa mort à ce qu’il peut supporter d’abstinence ou de privation de sommeil. S’il désire franchir une nouvelle étape dans son jeûne, laissez-le enlever un autre huitième à ses rations de la même façon, jusqu’à trois, quatre ou cinq huitièmes. On peut tout supporter pourvu que cela soit fait graduellement. Et de la même façon, ce qu’il soustraira petit à petit à son sommeil ne lui fera aucun mal. Celui qui suit déjà une discipline très sévère et qui est affecté par la maladie ou un quelconque handicap durant son abstinence ne doit plus s’en imposer qu’à toute petite dose, comme un enfant. S’il le supporte pendant six mois, il sera capable de supporter ce surcroît de sévérité jusqu’à sa mort.
47. Il est interdit de se baigner dans de l’eau polluée, celui qui verse une telle eau sur sa tête est souillé. Ceux qui sont dans les Ordres et qui en mouillent leur tête doivent ensuite se purifier puis se signer.
48. Si vous consacrez votre ration à Dieu, mais en consommez moitié, cela équivaut à jeûner.
49. Quand la maladie attaque une femme enceinte au point qu’elle en soit mourante, l’office du baptême est lu à haute voix sur l’eau et la femme se confesse au nom de son enfant à naître. Le nom de Flann ou de Cellachis lui est donné (chacun de ces noms étant aussi bien masculin que féminin) la mère boit de l’eau du baptême, pour que cette eau passe sur l’enfant, et cela constituera son baptême.
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50. Durant la maladie mensuelle des filles de l’Église, celles-ci sont dispensées de veilles, matin et soir, tant que cela dure, et l’on prépare du gruau pour elles à tierce, quel que soit le moment où cela se produit ; parce qu’il est normal de prêter attention à cette maladie. Mais elles ne doivent pas communier durant cette période, car elles sont alors impures.
51. On ne doit pas manger de ce qui vous est apporté d’un lieu éloigné un dimanche en tant qu’offrande, on doit le distribuer aux pauvres.
52. La punition du dimanche soir est administrée samedi à l’heure des nones.
53. La tonsure est renouvelée régulièrement une fois par mois, un jeudi.
54. La dîme est calculée de la façon suivante. On fait passer les animaux dans une porte ou une ouverture et l’on donne chaque dixième bête, sauf pour les bœufs, car pour les bœufs ce que l’on prend c’est seulement la dixième charretée du fruit de leur travail.
55. Il y a trois choses de profitables le jour : la prière, le travail et l’étude. Ou encore : l’enseignement, l’écriture et la couture, ou tout autre travail profitable possible. Afin que personne ne reste inoccupé, car le Seigneur a dit : « Ne paraissez pas devant moi les mains vides ».
56. Ne mangez jamais avant d’avoir faim, ne dormez pas avant d’y être prêt, ne parlez à personne sans raison.
57. Libre possession des églises de Dieu, en échange du Baptême, de la Communion et des Prières d’intercession, avec des garçons pour étudier et sacrifice du Corps du Christ sur chaque autel. Les ecclésiastiques n’ont droit à aucune dîme, ni à la vache de main morte, ni au tiers qui appartient au patron de l’église, ni aux compensations dues pour des objets de valeurs. Sauf si l’église assure à qui la possède, tant mort que vif, le Baptême la Communion et les prières d’intercession, si on y célèbre le divin sacrifice sur l’autel le dimanche et les jours de fête, et si chaque autel a le nécessaire. L’église qui n’a pas ce qu’il lui faut (en mobilier ou en service) ne mérite pas les compensations dues à une église de Dieu, mais le nom que le Christ lui donne est de « repaire de voleurs et de brigands ».
58. En outre dans toute église dans laquelle il y a un prêtre issu des églises laïques mineures, ce dernier doit être entretenu par son Ordre. Qui doit lui fournir un jardin une maison un lit et un habit par an, autant que faire se peut, un sac [de grains de blé] avec son produit, une vache à lait tous les trimestres ; ainsi que toute autre chose raisonnable de sa part. Venant de lui en échange il doit y avoir ce qui suit. Les baptêmes, la communion (c’est dire le sacrement de la communion) les prières d’intercession pour les morts comme pour les vivants, la messe chaque dimanche, chaque grand jour, et chaque jour de fête, la célébration de toutes les heures canoniques, la récitation des cent cinquante Psaumes tous les jours. Sauf empêchement pour cause d’enseignement ou de confession à entendre. Un Prêtre n’ayant ni titre légal ni compétence suffisante pour accomplir les devoirs de son Ordre, et donc être habilité à célébrer les heures et la messe, en présence de rois ou d’évêques ; n’a aucun droit aux privilèges d’un prêtre reconnu ou affecté à une église.
NOTES.
1° Nous avons en réalité supprimé les paragraphes 59 à 65 ; qui ont été rajoutés à la règle primitive par des moines copistes d’obédience catholique romaine. Référence réitérée à saint Patrice, menaces diverses, volonté de contrôle des consciences, soumission à l’Église ; bref, une prose qui ne fait guère honneur à l’Humanité.
2° Les périodes de grands jeûnes ou grands carêmes sont les suivantes : 40 jours avant Pâques, 40 jours avant Noël et 40 jours après Pentecôte.
3° Le Jeudi saint, les moines se lavaient mutuellement les pieds.
4° Mègue = petit-lait. Vieux celtique mesgos.
Conclusion.
La règle des culdées de Tallaght (les règles de vie données aux culdées de Tallaght selon saint Maelruain) est un ahurissant mélange des plus nobles préceptes.
Règle N° 28 : La tâche des amis de l’âme est toujours délicate. S’ils prescrivent le vrai remède, le remède adéquat, il sera plus souvent oublié ou négligé que suivi ; mais si le guide spirituel ne prescrit rien, la responsabilité en retombera sur lui. C’est pourquoi beaucoup considèrent comme suffisant de se confesser sans même qu’il y ait pénitence. Le mieux pour un ami de l’âme est donc d’indiquer à tout un chacun ce qui serait le mieux dans son cas, sans attendre qu’il se confesse.
On retrouve là en effet le rôle de conseiller spirituel qu’assuraient les très-sachants de la druidiaction (druidecht) antiques.
Et des plus basses préoccupations non pas eschatologiques, mais SCATOLOGIQUES.
Règle numéro 42, donnée aux Culdées selon saint Maelruain de Tallaght.
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Toilettes et urinoirs sont des lieux où rôdent les esprits maléfiques. Le signe de croix doit être fait sur ces lieux et l’on doit se signer en y entrant, il est interdit d’y réciter des prières, sauf le Deus in adiutorium (jusqu’à festina).
On croirait entendre des préceptes juifs ou musulmans sur la pureté.
Ce qui est moins drôle par contre, c’est l’incroyable terrorisme intellectuel des paragraphes numéro 63, 64 et 65, destinés à assurer la domination de ces drôles de chrétiens sur les esprits de leurs contemporains.
ANNEXE Nº 3.
LA RÈGLE DES MOINES DE COLOMBAN DE BOBBIO. LA REGULA MONACHORUM.
I. DE L’OBÉISSANCE.
Au premier mot de l’ancien, il convient que tous ceux qui l’entendent se lèvent pour obéir, parce que l’obéissance est une offrande faite à Dieu. Notre Seigneur Jésus-Christ a dit : « Qui vous écoute, m’écoute » (Luc 10,16). Si donc quelqu’un, en entendant son ancien, ne se lève pas immédiatement, il sera considéré comme désobéissant.
Il. DU SILENCE.
Quant au silence, la règle doit en être observée avec soin, car il est écrit : « Le fruit de la justice, c’est le silence et la paix » (Isaïe 32,17). Donc, sous peine d’être convaincu de bavardage, il faut se taire, excepté pour les besoins et les nécessités, car il est dit dans l’Écriture : « Dans un flot de paroles, le péché ne manque jamais » (Proverbes 10,19). Et c’est pour cette raison que le Sauveur a déclaré : « C’est d’après tes paroles que tu seras sauvé, c’est d’après tes paroles que tu seras condamné » (Matthieu 12,37).
En toute justice, seront condamnés, ceux qui n’ont pas voulu dire de choses justes quand ils le pouvaient ; mais ont préféré se livrer, avec une loquacité bavarde, à de fort méchants propos, injustes, impies, injurieux, incertains, inutiles faux, querelleurs, outrageants, honteux, mensongers, blasphématoires, aigres et pleins de détours. Il faut s’abstenir de tels propos et de tout ce qui peut leur ressembler. On doit s’exprimer avec circonspection et mesure, en évitant que les médisances et les contradictions passionnées n’éclatent en un détestable verbiage.
III. DE LA NOURRITURE ET DE LA BOISSON.
Que la nourriture des moines soit pauvre et qu’on la prenne le soir, de façon à fuir la satiété ainsi que, dans la boisson, l’ébriété. Ainsi, maintiendra-t-on la vie sans lui causer de préjudice. Ce seront des légumes frais et secs, de la farine cuite à l’eau, accompagnée d’un petit pain pesant un paximace (200 grammes ???) de façon à ne pas surcharger l’estomac et de la sorte étouffer l’esprit. En effet, qui désire les récompenses éternelles doit se soucier uniquement de ce qui est utile et avantageux à l’usage. C’est pourquoi l’usage de la vie doit être modéré, comme doit être modéré le travail, car le vrai discernement consiste à sauvegarder la possibilité du progrès spirituel, tout en matant la chair par l’abstinence. En effet, si l’abstinence dépasse la mesure, elle devient un vice, non une vertu, car la vertu embrasse et enferme une multitude de biens. Il faut donc jeûner tous les jours, de même qu’il faut se refaire chaque jour. Et, puisqu’il faut manger chaque jour, que l’on accorde à son corps une nourriture pauvre et parcimonieuse ! Oui, chaque jour, il faut se sustenter, puisque chaque jour, il faut progresser, chaque jour prier, chaque jour travailler, chaque jour faire la lecture.
IV. DE LA PAUVRETÉ VOLONTAIRE, ET QU’IL FAUT VAINCRE LA CUPIDITÉ.
Dans ces conditions, nous avons besoin de peu, selon la parole du Seigneur, et même d’une seule chose. Peu de choses en effet sont vraiment nécessaires, celles sans lesquelles on ne peut vivre, et même une seule, c’est-à-dire, au sens littéral, la nourriture. Mais il nous faut, par la grâce de Dieu, la pureté du cœur pour comprendre avec notre esprit en quoi consiste ce petit nombre d’obligations de charité indiqué à Marthe par le Seigneur.
V. QU’IL FAUT VAINCRE LA VANITÉ.
Que de grandes phrases ne sortent pas de la bouche du moine, pour que ne faiblisse pas son labeur.
VII. DE L’OFFICE.
Quant à la synaxe, c’est-à-dire l’office des psaumes et la mesure canonique des prières, quelques distinctions sont à faire, car cette pratique a été codifiée diversement par différents auteurs. Donc, en tenant compte de notre manière de vivre et de la succession des saisons, il faut qu’à mon tour j’en traite par écrit de façon détaillée. La psalmodie ne doit pas toujours être la même, à toutes les époques de l’année, mais il convient qu’elle soit plus longue quand les nuits sont longues, et plus courtes quand les nuits sont courtes. C’est pourquoi, en accord avec nos anciens, à partir du 24 juin,
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date à laquelle la nuit se met à croître ; l’office commence à augmenter graduellement depuis douze chœurs, la plus petite quantité prévue pour la nuit du samedi et celle du dimanche. Jusqu’au commencement de l’hiver, c’est-à-dire le 1er novembre. Alors, on chante vingt-cinq psaumes avec refrain, qui suivent toujours en troisième lieu deux psaumes psalmodiés, ceux-ci étant deux fois plus nombreux. De telle sorte que le psautier entier sera chanté dans les deux nuits mentionnées plus haut, tandis que pour les autres nuits on s’en tient, tout l’hiver, à douze chœurs. À la fin de l’hiver, graduellement, chaque semaine pendant tout le printemps, on diminue toujours de trois psaumes, de sorte que douze psaumes avec refrain demeurent seulement pour les nuits saintes. Autrement dit les trente-six psaumes de l’office quotidien en hiver, mais vingt-quatre pendant tout le printemps et l’été jusqu’à l’équinoxe d’automne, c’est-à-dire le 24 septembre. Alors la façon de célébrer la synaxe redevient la même qu’à l’équinoxe de printemps qui tombe le 25 mars, étant donné que, comme le flux et le reflux, l’office croît et décroît peu à peu. Nous devons donc proportionner nos veilles à nos forces […]
Comme je l’ai dit, la vraie tradition de la prière (se diversifie toujours) ; selon ce que l’on peut assumer sans se dégoûter du propos que l’on a formé à cet égard ; selon ce que l’on peut faire et que l’on est capable de mener à bien ; selon ce que les dispositions de l’âme/esprit, compte tenu des nécessités, ainsi que la manière de vivre ; rendent possible. Et aussi d’après ce que requiert la ferveur de chacun ; s’il est libre et seul, ou que son degré d’instruction le demande, ou que le loisir de son état, l’ardeur de son zèle, son genre d’occupation, et l’âge qui est le sien ; le permettent. Il faut estimer différemment la manière de réaliser cet idéal, pourtant unique, car il doit composer avec le travail et le lieu. Et ainsi, bien que la durée de la station debout, mais aussi celle du chant soit variée, on entretiendra ainsi avec une égale perfection la constante prière du cœur et l’attention continuelle de l’âme à Dieu.
VIII. DE LA DISCRÉTION.
Combien la discrétion est nécessaire aux moines, l’égarement de beaucoup le fait voir, et la ruine de certains le démontre. Ils ont commencé sans discrétion et, faute de science pour les diriger, ils ont été incapables de mener jusqu’au bout une vie louable. Car, de même que l’erreur égare ceux qui marchent sans suivre un chemin, de même, pour ceux qui vivent sans discrétion, la démesure est inévitable ; et celle-ci est toujours contraire aux vertus, qui se situent au milieu, entre deux excès contraires. Passer la mesure, c’est fatalement rencontrer le danger, puisque, le long du droit sentier de la discrétion, notre adversaire place la pierre d’achoppement du mal, et les embûches de toutes sortes d’erreurs. On doit donc continuellement prier Dieu qu’il dispense la lumière de la vraie discrétion pour éclairer ce chemin bordé de chaque côté par les épaisses ténèbres du monde. De telle sorte que ses vrais adorateurs soient capables de traverser cette obscurité jusqu’à lui, sans s’égarer.
La discrétion tire donc son nom de « discerner », car c’est elle qui discerne en nous entre Bien et Mal, et aussi entre moyens et fins. Depuis le début, après que le mal eut commencé d’exister, du fait du démon, par la corruption du bien, les deux catégories, c’est-à-dire les biens et les maux, ont été séparées comme la lumière et les ténèbres. Mais Dieu, qui opéra la séparation, avait d’abord donné la lumière (Genèse 1,3-4).
Ainsi le pieux Abel choisit-il le bien, tandis que l’impie Caïn tombait dans le mal (Genèse 4,1-8).
[Note de la rédaction. Rappelons, n’en déplaise à noïbo Colomban, que rien, mais alors rien, dans le texte biblique, n’indique que Caïn ait été impie AVANT d’être victime de la discrimination divine que l’on sait. S’il est devenu impie, c’est après avoir été, sans raison avouée, rejeté par Dieu, enfin du moins par le dieu-ou-démon, d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob].
Dieu a fait bon tout ce qu’il a créé (Genèse 1,31), mais le diable est venu y semer le mal (Mathieu 13, 24-30), avec ses ruses perfides et la suggestion sournoise de sa périlleuse flatterie (Genèse 3,1-5).
Quels sont donc ces biens ? Ceux qui sont restés inviolés ou intacts, comme s’ils venaient d’être créés. Dieu [seul] les a créés ou « préparés », suivant l’Apôtre (Éphésiens 2,10) « pour que nous y marchions. Ce sont les œuvres bonnes dans lesquelles nous avons été créés par le Christ Jésus ». Bonté, pureté, piété, justice, vérité, miséricorde, charité, paix qui procure le salut, joie spirituelle, avec le fruit de l’Esprit (Galates 5, 22). Toutes ces choses, avec leurs fruits, sont bonnes.
Et voici les maux qui en sont le contraire : malice, corruption, impiété, injustice, mensonge, avarice, haine, discorde, amertume, avec les multiples fruits qui en proviennent. Innombrables, en effet, sont les rejetons engendrés par ces deux contraires, c’est-à-dire le bien et le mal. Ce qui s’écarte de la bonté ou de l’intégrité de la création, voilà le premier mal, c’est-à-dire l’orgueil de la malice première. Son contraire est l’humble estimation d’une pieuse bonté, qui reconnaît son Créateur et le glorifie, ceci constituant le premier bien d’une créature raisonnable. C’est ainsi que tout le reste s’est développé peu à peu dans les deux sens, en un immense foisonnement de noms.
Dans ces conditions, il faut s’en tenir fortement au bien, en recevant le secours de Dieu, qu’il faut sans cesse demander par la prière ; tant dans le succès que dans l’adversité, afin d’éviter l’enivrement de la
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vanité dans le succès, mais aussi la chute dans le découragement au sein de l’adversité. Il faut donc se garder sans cesse de ce double danger, c’est-à-dire de tout excès ; par une noble tempérance et une véritable discrétion, qui se maintiennent dans l’humilité chrétienne et ouvrent le chemin de la perfection aux vrais soldats du Christ. Cela revient à toujours discerner avec justesse dans les cas douteux, et à savoir distinguer en toutes circonstances le bien du mal. Soit entre biens et maux extérieurs à nous, soit en nous-mêmes, entre corps et âme, soit entre actes et habitudes, entre activité ou repos, entre vie publique et privée.
Quant au mal, on doit pareillement s’en garder : orgueil, envie, mensonge, corruption, impiété, mauvaises mœurs, gourmandise, fornication, cupidité, colère, tristesse, instabilité, vaine gloire, médisance.
Et maintenant les biens des vertus qu’il faut rechercher : humilité, bienveillance, pureté, obéissance, abstinence, chasteté, libéralité, patience, joie, stabilité, ferveur, ardeur au travail, vigilance, silence.
Tout cela en outre, avec la force d’esprit qui fait supporter ainsi que la tempérance qui modère, est à mettre sur les plateaux de la discrétion comme dans une balance ; afin d’y peser nos actes habituels selon les possibilités de nos efforts, dans la recherche continuelle de ce qui est le plus approprié. Si ce qui est suffisant ne convient pas, il ne fait de doute pour personne que l’on a passé la mesure de la discrétion, et tout ce qui dépasse cette mesure est manifestement vicieux.
Entre le trop et le trop peu, la juste mesure se trouve donc au milieu. Sans cesse elle nous détourne de tout ce qui est superflu d’un côté ou de l’autre. Introduite en toute chose, elle procure partout le nécessaire et refuse les caprices déraisonnables d’une volonté de superflu. Cette mesure de la vraie discrétion, en pesant tous nos actes à leur juste poids, ne nous permettra jamais de nous écarter de ce qui est juste. Et si nous la suivons toujours correctement, à la manière d’un guide, elle ne nous laissera pas nous égarer. Car s’il faut toujours se garder de part et d’autre, selon le mot de l’Écriture « Gardez-vous à droite et à gauche ! » (Deutéronome 5, 32), il faut toujours marcher droit par la discrétion, c’est-à-dire par grâce à la lumière de Dieu, en répétant souvent et en chantant le verset du Psalmiste victorieux. « Mon Dieu, illumine mes ténèbres, car c’est par toi que j’échapperai à la tentation » (psaumes XVII, 29-30). En effet, « la vie de l’homme sur terre est une tentation » (Job 7,1).
IX. DE LA MORTIFICATION.
La mortification consiste en trois choses : exclure de son esprit la discorde, ne pas laisser sa langue dire ce qui lui plaît, n’aller nulle part sans permission. Elle fait toujours dire à l’ancien qui donne un ordre, fût-il contraignant : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Matthieu 26, 39). Selon l’exemple de Notre Seigneur et Sauveur qui a dit : « Je suis descendu du Ciel pour faire non pas ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé, le Père » (Jean 6,38).
FIN.
Les manuscrits de Bobbio ajoutent un paragraphe.
X. DE LA PERFECTION DU MOINE.
Que le moine vive dans un monastère sous l’autorité d’un seul père et avec de multiples compagnons, afin d’apprendre de l’un l’humilité, d’un autre la patience ; que l’un lui enseigne le silence, un autre la douceur ! Qu’il ne fasse pas ce qu’il veut, qu’il mange ce qui lui est prescrit, qu’il ait juste ce qui lui revient ! Qu’il accomplisse le travail qu’on lui assigne ! Qu’il se soumette même à qui, en fait, il ne voudrait pas ! Qu’il aille au lit fatigué voire qu’il tombe de sommeil en marchant ! Qu’on l’oblige à se lever avant qu’il ait fini de dormir ! Victime d’une injustice, qu’il se taise ! Qu’il craigne le supérieur du monastère comme un maître, qu’il l’aime comme un père ! Qu’il tienne pour salutaire tout ce qu’il lui ordonne, et qu’il ne porte pas de jugement sur une décision de son supérieur ; lui dont le devoir est d’obéir et d’accomplir ce qu’on lui commande. Comme le dit Moïse : « Écoute, O Israël et tais-toi » (Deutéronome 27, 9).
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ANNEXE Nº 4.
LA RÈGLE CONVENTUELLE ATTRIBUÉE À COLOMBAN DE BOBBIO.
Compilation post-colombanienne (qui n’est donc pas due à la plume de saint Colomban) et dont la mise au point finale a dû se faire vers 620-630. Il s’agit d’un long texte, difficile, probablement rédigé en plusieurs étapes. L’influence bénédictine y est d’ailleurs déjà sensible.
Ainsi que nous l’avons déjà dit ailleurs dans ce petit livre, ce pénitentiel, ou regula cœnobialis, légiférait donc sur la violation des principes premiers du moine : obéissance, chasteté, modération, pauvreté, silence. Il était d’ailleurs particulièrement sévère * et oscillait entre récitation de psaumes, jeûnes, isolements, ou coups de fouet. Les peines elles-mêmes variaient suivant l’importance de la faute.
* À quelques exceptions près : les prières dites pour le coupable de certaines fautes par les victimes desdites fautes, il est vrai vénielles (des peccadilles). On aurait attendu le contraire : le contrevenant (maladroit ?) condamné à réciter un pater noster et trois Ave Maria. Par exemple. Pourrait-il s’agir d’erreurs dans la transmission des textes ?
Il ne nous appartient nullement, à nous qui ne sommes pas très catholiques, de produire une publication détaillée d’un tel document. Aux experts du christianisme de le faire ! En ce qui nous concerne, nous nous contenterons d’en fournir ci-dessous un aperçu.
REGULA COENOBIALIS.
Les fautes diverses doivent être guéries par des remèdes pénitentiels divers. C’est pourquoi, mes très chers frères, voir ci-dessous.
Premier pénitentiel.
I. La confession et la pénitence libèrent de la mort. Donc il ne faut pas négliger en confession les petites fautes, car il est écrit : « Qui néglige les petites choses s’abandonne peu à peu » [la confession doit être faite avant le repas, avant le coucher, ou quand il est commode de la faire].
En conséquence, celui qui n’observe pas la bénédiction au repas et ne répond pas comme il faut « Amen » : il est prescrit de le corriger de six coups. De même, celui qui parle en mangeant sans qu’il en soit besoin pour un autre frère : il est prescrit de le corriger de six coups. Celui qui parle bruyamment, c’est-à-dire plus haut que ne le veut l’usage : six coups.
Il. Si l’on ne fait pas le signe de croix sur la lampe, c’est-à-dire quand elle est allumée par un frère plus jeune et qu’il ne la présente pas pour bénédiction à un plus ancien : six coups. Si l’on parle de quelque chose comme appartenant à soi : six coups. [Si l’on fait un travail inutile : six coups.] Qui entaille la table de son couteau sera corrigé de dix coups. Tout frère, chargé de la cuisine ou du service, qui renverse quelque chose, en si petite quantité que ce soit : il est prescrit de le corriger par une prière à l’église après l’office : les frères prient pour lui. Celui qui, pendant la synaxe, c’est-à-dire pendant l’office, oublie de s’incliner – il s’agit de l’inclination que l’on fait à l’église à la fin de chaque psaume – fera la même pénitence. Sera corrigé de même, par une prière à l’église, celui qui laisse perdre des miettes. Cependant, cette petite pénitence ne lui sera infligée que s’il en a renversé une petite quantité.
IlI. Si, par négligence ou par oubli, voire pour n’avoir pas pris les précautions nécessaires, il laisse perdre plus de liquide ou de solide que d’ordinaire ; il fera une longue satisfaction à l’église en restant prosterné sans aucun mouvement pendant le chant des douze psaumes à la douzième heure. Ou encore, s’il en renverse une quantité importante, autant de litres de bière ou de mesures d’autres denrées il aura perdus en les renversant par négligence, autant de jours lui seront comptés, qu’il le sache ; durant lesquels il perdra la ration coutumière à laquelle il avait droit, et boira de l’eau
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uniquement au lieu de bière. Si l’on renverse quelque chose sur la table et que cela tombe à terre, nous déclarons qu’il suffit d’en demander pardon sur le champ.
IV. À celui qui, toussant au début d’un psaume, ne chante pas bien, il est prescrit de donner six coups. De même, celui qui marque de ses dents le calice du salut, six coups. Celui qui ne garde pas sa place dans le rang alors qu’il va communier : six coups. [Le prêtre célébrant qui ne s’est pas coupé les ongles, et le diacre qui ne s’est pas rasé le visage, pour recevoir l’hostie et s’approcher du calice : six coups.] Et celui qui sourit à la synaxe, c’est-à-dire à l’office des prières : six coups ; si le rire éclate bruyamment : un jour de privation, à moins qu’il n’y ait une excuse. [Le prêtre célébrant et le diacre qui gardent l’hostie doivent éviter de jeter des regards à droite ou à gauche ; sinon, ils seront punis de six coups].
Si l’on tient de vains propos avec autrui, et que l’on se reprend aussitôt, une simple demande de pardon. Mais si l’on ne se reprend pas [et que l’on cherche à s’en excuser] : un jour de privation de parole ou cinquante coups. Si l’on oppose sans réflexion un avis à un autre avis, cinquante coups. Si l’on heurte l’autel : cinquante coups.
V. Si l’on élève la voix sans retenue, à moins que l’on n’y soit obligé, un jour de privation de parole ou cinquante coups. Celui qui répond à un frère affirmant quelque chose : « Ce n’est pas comme tu dis », sauf s’il s’agit d’anciens qui s’adressent humblement à de plus jeunes : un jour de privation de parole ou cinquante coups. Il est seulement permis de répondre à un frère du même âge, si l’on se rappelle une chose plus exactement qu’il ne l’a dit : « Si tu te souviens bien, frère ». Et celui-ci, en entendant ces mots, ne maintiendra pas son affirmation, mais dira humblement : « Je crois que tu te souviens mieux que moi. Ma langue a fourché par oubli, et je me repens d’avoir mal parlé ».
VI. S’il ne se réfugie pas bien vite au port de la reposante humilité du Seigneur, s’il ouvre aux autres le chemin d’une violente contestation et persiste dans son langage plein d’orgueil : qu’on le mette dans une cellule à part où il fera pénitence, privé de la liberté de la sainte Église. Jusqu’à ce qu’il se montre de bonne volonté ou que son humilité lui permette de reprendre sa place dans la sainte congrégation. Celui qui élève la voix pour critiquer le travail du portier, comme quoi celui-ci n’observe pas bien les heures : un jour de privation de parole ou cinquante coups. Celui qui critique le travail d’autres frères ou en médit fera pénitence par trois jours de privation. Quant à celui qui oppose remontrance à remontrance, autrement dit « qui corrige celui qui le corrige », il fera pénitence aussi par trois jours de privation de parole.
VII. Celui qui médit d’un frère ou entend médire sans reprendre le fautif [immédiatement] : trois jours de privation de parole. Celui qui, chagriné, profère une parole de contestation fera pénitence, lui aussi : par trois jours de privation de parole.
VIII. Celui qui, à un parent à lui en train d’apprendre un métier, ou toute autre chose commandée par les anciens, donne le conseil d’apprendre plutôt à lire : trois jours de privation parole. Celui qui ose répondre à son responsable : « Ce n’est pas toi qui jugeras mon cas, mais notre supérieur ou les autres frères ». Ou bien : « Nous irons tous devant le père de la communauté » : il convient de le punir d’une pénitence de quarante jours [au pain sec et à l’eau]. À moins qu’il ne dise lui-même [prosterné aux pieds des frères] : « Je me repens de ce que j’ai dit ».
Qui ne rapporte pas au plus tard avant le lendemain, ce qu’il a emprunté, s’il se souvient et le rapporte de lui-même, mais hors délai : six coups ; s’il oublie jusqu’à ce qu’on lui réclame : douze. Si l’on oublie de demander le montant de sa pénitence avant le lendemain : six coups. Celui qui murmure ou déclare : « Je ne le ferai pas, sauf si l’abbé ou le second me le demande » : trois jours de privation. Courses ou déplacements non nécessaires : douze coups.
[L’économe se chargera de donner l’hospitalité à ceux qui arrivent, tant aux étrangers qu’aux autres frères, et tous les frères seront prêts à les servir de toute manière, pour l’amour de Dieu. Même si l’économe n’est pas informé ou n’est pas présent, tous les autres feront le nécessaire avec diligence et garderont leurs bagages, jusqu’à ce qu’ils soient remis tout prêts au gardien. En cas de négligence, le prêtre appréciera et fixera la pénitence].
Celui qui, après une remarque, ne demande pas pardon, fera pénitence par un jour de privation de parole. Celui qui visite d’autres frères dans leurs cellules sans demander l’autorisation : même pénitence. Celui qui se rend à la cuisine après none [sans ordre ni permission] : un jour de privation de parole. Celui qui sort de la clôture, c’est-à-dire de l’enceinte du monastère, sans demander l’autorisation : un jour de privation.
Les jeunes auxquels on a fixé un temps où ils ne peuvent se parler, s’ils manquent à cette obligation : trois jours de privation de parole. [Qu’ils disent seulement ; « Tu sais qu’il ne nous est pas permis de parler avec toi »]. Si quelqu’un leur commande ce qu’il ne leur est pas permis de faire, qu’ils répondent simplement : « Tu sais que cela ne nous est pas permis » ; et [si] l’autre persiste à commander, c’est lui qui sera condamné à trois jours de privation de parole, mais les frères diront : « Nous allons faire ce que tu dis, pour conserver le bien de l’obéissance ». Cependant, ils doivent prendre
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particulièrement garde de ne pas se dire, par la bouche d’un autre frère, ce qu’ils ne devraient pas dire entre eux. S’ils le font malgré tout, en connaissance de cause, qu’ils fassent pénitence comme s’ils avaient parlé entre eux.
IX. Celui qui parle inutilement sera condamné au silence durant deux heures consécutives, ou à douze coups. Les frères pénitents, aussi difficiles et salissants que soient leurs travaux, ne se laveront la tête que le jour du dimanche, c’est-à-dire le huitième ; sinon, tous les quinze jours, à moins que, les cheveux devenant trop longs et flottants, chacun n’obtienne du supérieur la permission de se laver. [S’écarter du chemin sans demande d’autorisation ni bénédiction : six coups.] Si celui qui préside une table a connaissance de menues pénitences, il les infligera au moment du repas, sans donner plus de vingt-cinq coups [à la fois].
Si l’abbé ou un autre responsable commande à un des frères de partir en voyage, il faut veiller à ce que le plus jeune obéisse à son ancien ; mais il prendra soin de vérifier si les indications qu’on leur a données sont correctes. Si l’abbé ou le grand économe a donné un ordre, et qu’un économe subalterne le répète autrement, on doit obéir, tout en signalant à voix basse ce que l’économe principal a commandé. À l’intérieur du monastère, toutefois, personne ne peut donner un ordre quand un autre a le pas sur lui, à moins d’être le supérieur.
Les anciens auront leurs places au milieu de l’oratoire, les autres se mettront à droite et à gauche, excepté le célébrant et celui qui l’assiste. À toutes les fêtes dominicales, on chante l’hymne propre au dimanche, de même que le jour du début de la Pâque. Et que celui qui commence à s’approcher de l’autel pour recevoir l’hostie s’incline trois fois. De même, quand un pénitent est occupé à un déplacement nécessaire, et se trouve avec d’autres voyageurs qui prennent leur nourriture licitement, si la troisième heure arrive et qu’il reste un long chemin à faire ; il peut aussi prendre en petite quantité un peu de nourriture. Et il prendra ce qui lui manque quand il sera parvenu à l’étape suivante.
Second pénitentiel.
X. Si un frère n’obéit pas : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si quelqu’un dit : « Non, je ne le ferai pas », trois jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si quelqu’un murmure : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau.
Si quelqu’un ne demande pas pardon ou donne une mauvaise excuse : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si deux frères se disputent et en viennent à s’emporter : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si un autre soutient un mensonge et s’enferme dans son point de vue : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si quelqu’un contredit son frère et ne lui demande pas pardon : deux jours avec un seul paximace.
Si quelqu’un viole un ordre et enfreint la règle : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si quelqu’un, requis pour un ouvrage, s’en acquitte avec négligence : deux jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si quelqu’un dit du mal de son abbé : sept jours au pain sec (un seul paximace) et à l’eau : si c’est un frère qu’il dénigre : vingt-quatre psaumes ; si c’est un laïc : douze psaumes.
Si quelqu’un oublie quelque chose à l’extérieur, si c’est peu de chose : douze psaumes ; si c’est plus important : trente psaumes. Si quelqu’un perd ou endommage quelque chose, sa pénitence sera proportionnée au prix de l’objet.
XI. Si quelqu’un parle avec un laïc sans autorisation : vingt-quatre psaumes. Si quelqu’un, après avoir terminé son travail, n’en demande pas un autre, et fait quelque chose sans autorisation : il chantera vingt-quatre psaumes. Si quelqu’un a deux paroles et jette le trouble dans le cœur des frères : un jour au pain sec (un seul paximace) et à l’eau. Si quelqu’un mange dans une maison étrangère sans autorisation, et regagne ensuite sa propre maison : un jour avec un seul paximace.
Si quelqu’un raconte une faute passée : un jour avec un paximace. Ou bien celui qui a circulé dans le monde et en rapporte les fautes : un jour au pain sec et à l’eau. Et l’homme tiède, qui entend un autre murmurer, critiquer, ou faire quelque chose contre la règle, et consent à ne pas le dire en confession : un jour avec un paximace.
XII. Si quelqu’un suscite la colère de son frère et ensuite lui donne satisfaction, et que l’autre ne pardonne pas, mais le renvoie à son supérieur ; vingt-quatre psaumes pour celui qui a suscité la colère, et pour l’autre un jour au pain et à l’eau. Si quelqu’un veut une chose que l’économe défend et que l’abbé ordonne, cinq jours.
XIII. Si quelqu’un mange le mercredi et le vendredi avant la neuvième heure, à moins qu’il ne soit malade [qu’il vive] : deux jours au pain sec et à l’eau. Si quelqu’un dit un mensonge sans le savoir : cinquante coups ; s’il le dit sciemment ainsi qu’effrontément : deux jours au pain sec et à l’eau. Si son mensonge reçoit un démenti et qu’il le soutient : sept jours au pain sec et à l’eau.
Si un moine passe la nuit sous le même toit qu’une femme : deux jours au pain sec et à l’eau ; mais s’il ne savait pas que c’est défendu : un seul jour. Si quelqu’un oublie de fermer la porte de l’église : douze psaumes.
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XIV. Si quelqu’un arrive en retard aux prières : cinquante ; ou bruyamment : cinquante ; s’il est trop lent à exécuter ce qu’on lui commande : cinquante. Si l’on fait du bruit après la paix : cinquante. Si l’on réplique avec arrogance : cinquante. Si l’on vient à la maison tête couverte : cinquante coups. Si l’on parle avec quelque chose dans sa bouche : cinquante. Si l’on fait du bruit pendant la prière : cinquante coups. Si quelqu’un garde un sentiment de colère, de chagrin ou d’envie, contre son frère : il fera pénitence au pain sec et à l’eau, et aussi longtemps qu’il l’aura gardé ; mais s’il l’a confessé le premier jour : qu’il chante vingt-quatre psaumes.
XV. Quiconque égare une hostie fera un an de pénitence. Celui qui traite l’hostie avec tant de négligence qu’elle se dessèche et se retrouve mangée par les vers, au point qu’il n’en reste rien : six mois de pénitence. Celui qui se rend coupable de négligence envers l’hostie, au point que l’on y trouve un ver, mais qu’elle reste entière : on brûlera le ver au feu puis l’on enfouira les cendres dans la terre près de l’autel. En outre le responsable fera quarante jours de pénitence. Celui qui néglige l’hostie, de sorte qu’elle se corrompt et perd sa saveur de pain : si elle a pris une teinte rouge, il fera vingt jours de pénitence ; si elle a viré au violet, il fera quinze jours de pénitence. Mais si, sans changer de couleur, elle est devenue collante : il fera sept jours de pénitence.
Si un frère vomit son souper un jour de communion, du fait d’une nourriture plus forte que d’habitude, non par suite de gloutonnerie, mais d’indigestion : vingt jours ; si c’est du fait de sa mauvaise santé qu’il fasse dix jours de pénitence au pain sec et à l’eau.
Quant à celui qui reprend sans douceur, il faut le tenir pour coupable jusqu’à ce qu’il demande pardon au frère corrigé, et (lui infliger) trente coups ou quinze psaumes. Celui qui reproche publiquement à un autre un péché honteux avant de « le reprendre seul à seul », selon la parole du Seigneur : on le punira jusqu’à ce qu’il accorde satisfaction à celui auquel il a fait ce reproche. Et il fera pénitence pendant trois jours au pain sec et à l’eau.
Celui qui transgresse une règle relevant d’un commandement particulier ou de la discipline générale : qu’il demeure exclu et sans nourriture ; on le réintégrera le lendemain. Celui qui a une conversation familière, seul à seule avec une femme, sans la présence de personnes sûres : qu’il demeure sans nourriture ou deux jours au pain sec et à l’eau, ou qu’il reçoive deux cents coups. Celui qui se permet de faire un voyage sans la permission du supérieur, sortant à sa guise en toute liberté, sans nécessité : qu’il soit châtié de cinquante coups. Se permettre de travailler à son profit personnel : cent coups ; garder par-devers soi un objet qui n’est pas nécessaire et qui est accordé généralement aux autres frères : en punition, l’objet sera enlevé, et l’on recevra cent coups.
Faire, donner, recevoir une chose nécessaire et permise, mais sans autorisation : douze coups, à moins qu’une raison ne rende acceptable qu’une satisfaction suppliante puisse effacer la faute. Qui parle en mangeant : six coups. Si quelqu’un fait entendre sa voix d’une table à l’autre : six coups. Si l’on se fait entendre de la maison à l’extérieur, ou de l’extérieur dans la maison : douze. Sortir ou entrer dans la maison voire exécuter un travail, sans prier ni se signer : douze coups. Dire « mon » ou « ton » pour parler de quelque chose : six coups. Pour un mot dit contre un autre mot sans réflexion : six coups ; s’il s’agit d’une altercation : cent coups, pouvant être remplacés par un jour de privation de parole.
Si l’on n’observe pas l’ordre de la psalmodie : six coups. Si, pendant un temps de silence régulier, on se permet de parler sans nécessité : dix-sept coups.
Si quelqu’un perd ou gâche par manque de soin un objet faisant partie du matériel du monastère : il le remplacera et à la sueur de son front par un travail supplémentaire. Ou bien il fera pénitence, à proportion de la faute selon l’estimation du prêtre, par un jour de privation de parole ou par un jour au pain sec et à l’eau. Si ce n’est pas par manque de soin qu’il a perdu ou brisé cet objet, mais par accident, il ne réparera pas sa négligence autrement que par une pénitence publique. En présence de tous les frères réunis pour la synaxe, il demandera pardon en restant prosterné à terre jusqu’à ce que la réunion de prière soit finie ; et il l’obtiendra quand l’abbé l’aura décidé en lui commandant de se relever. Ainsi fera également pénitence quiconque arrive en retard après avoir été appelé à la prière ou au travail.
Si l’on hésite en chantant un psaume, si l’on répond de façon superflue, trop dure ou arrogante : un jour de privation de parole. Si l’on accomplit avec négligence les services commandés : un jour de privation de parole. Si l’on murmure, même légèrement, un jour de privation de parole. Si l’on préfère la lecture au travail ou à l’obéissance, un jour de privation de parole. Si l’on s’acquitte avec paresse des devoirs prescrits : un jour de privation de parole. Si, la synaxe terminée, on ne retourne pas en cellule rapidement : un jour de privation de parole. Si l’on s’arrête un instant avec quelqu’un sans bonne raison : un jour de privation de parole. Si l’on s’en va un instant où que ce soit : un jour de privation de parole. Si l’on se permet de converser tant soit peu avec un frère qui n’est pas son compagnon de cellule, un jour de privation de parole. Si l’on voit un parent ou un ami laïc, ou qu’on leur parle sans autorisation ; si l’on reçoit une lettre de quelqu’un ou si l’on se permet d’en expédier
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une indépendamment de son abbé : un jour de privation de parole. Si l’on empêche quelqu’un d’accomplir un acte nécessaire : un jour de privation de parole. Si, dans l’ardeur de son âme, on passe la mesure fixée par la règle en matière de dévotion : un jour de privation de parole. Si, à cause de sa propre tiédeur, on se permet d’empêcher un frère fervent de faire ce qui est prescrit par la règle : un jour de privation de parole.
Quant à celui qui provoque une querelle : il fera sept jours de pénitence. Celui qui méprise son responsable ou dit du mal de la règle doit être mis dehors, à moins qu’il ne dise : « je regrette ce que j’ai dit ». Mais s’il ne s’humilie pas : qu’il fasse pénitence pendant quarante jours, car il est en proie incontestablement alors à la maladie d’orgueil. [Le bavard doit être puni par le silence, le violent par la douceur, le gourmand par le jeûne, l’endormi par la veille, l’orgueilleux par le cachot.] Que chacun reçoive le châtiment qui correspond à ce qu’il mérite, afin de vivre en juste selon la justice ! Amen.
[Voilà ce que nous avons décidé d’établir pour ceux qui veulent s’engager sur le chemin sublime menant au plus haut des cieux et qui ; tandis que les crimes des hommes grossiers les enveloppent de leurs ténèbres ; désirent s’unir au Dieu unique, envoyé sur terre].
Fin de la Règle conventuelle de saint Colomban, abbé.
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ANNEXE Nº 5.
LE PÉNITENTIEL (AU SENS STRICT DU TERME) DE COLOMBAN DE BOBBIO.
« DE PAENITENTIA ».
A.
1. La vraie pénitence consiste à ne pas commettre de fautes dont on doive faire pénitence, mais à pleurer celles que l’on a commises. Mais puisque la fragilité de beaucoup, pour ne pas dire de tous, enfreint cette norme, il faut connaître les mesures de la pénitence. La tradition des Saints-Pères ordonne celles-ci de telle sorte que la longueur des pénitences se proportionne à la grandeur des fautes.
2. Si donc quelqu’un pèche en pensée ; c’est-à-dire désire tuer un homme, ou forniquer, ou voler, ou manger en cachette et s’enivrer, ou encore frapper quelqu’un, ou s’en aller, ou faire d’autres choses semblables, et s’il a le cœur prêt à exécuter son dessein, il fera pénitence au pain et à l’eau durant la moitié d’une année dans les cas plus graves, pendant quarante jours dans les cas moins graves.
3. Si quelqu’un, emporté par le péché, pèche en acte, s’il commet un homicide ou un péché de sodomie, dans ce cas il fera pénitence pendant dix ans. S’il fornique une fois seulement, le moine fera pénitence pendant trois ans ; si c’est plus souvent, pendant sept ans. S’il s’en va et rompt ses vœux, s’il se repent et revient promptement, il fera pénitence pendant trois quarantaines ; si c’est au bout de plusieurs années, pendant trois ans.
4. Si quelqu’un vole quelque chose, il fera pénitence pendant un an.
4a. Si quelqu’un se parjure, il fera pénitence pendant sept ans.
5. Si quelqu’un frappe son frère au cours d’une querelle et verse du sang, il fera pénitence pendant trois ans.
6. Si quelqu’un s’enivre et vomit, ou mange outre mesure et à cause de cela renvoie l’hostie, alors il fera pénitence pendant quarante jours. Mais si c’est une maladie qui lui fait vomir l’hostie, alors il fera pénitence pendant sept jours. Si quelqu’un perd une hostie, dans ce cas il fera pénitence pendant un an.
12. Le bavard doit être puni par le silence, le violent par la douceur, le gourmand par le jeûne, l’endormi par la veille, l’orgueilleux par le cachot, l’apostat par le rejet. Que chacun reçoive le châtiment correspondant à ce qu’il mérite, afin de vivre en juste selon la justice.
B.
La diversité des fautes fait la diversité des pénitences. Les médecins du corps, eux aussi, composent des médicaments de diverses espèces. Autre est en effet le traitement qu’ils appliquent aux blessures, autre celui des maladies, autre celui des tumeurs, autre celui des contusions, autre celui des plaies purulentes, autre celui des ophtalmies, autre celui des fractures, autre celui des brûlures. De même, donc, les médecins spirituels doivent, eux aussi, guérir les blessures, maladies, fautes, douleurs, indispositions et infirmités des âmes. Mais peu sont capables de cela, c’est-à-dire de savoir guérir tous les maux à fond et ramener ceux qui ne se portent pas bien à un parfait état de santé. Aussi allons-nous proposer au moins nous aussi un petit nombre de remèdes, selon les traditions des Anciens et selon notre intelligence qui est partielle, « car nous prophétisons partiellement et nous connaissons partiellement ».
1. Commençons par sanctionner les péchés mortels, qui sont punis par la Loi elle-même…
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Pour finir, il nous faut traiter des menues sanctions pour les moines.
26. Si quelqu’un laisse la clôture ouverte pendant la nuit, alors il fera pénitence par un jeûne spécial ; si c’est dans la journée, vingt-quatre coups, à moins qu’il n’ait laissé ouvert pour d’autres qui allaient venir. Si quelqu’un la franchit sans permission, il fera pénitence par un jeûne spécial.
ANNEXE N° 6.
RÈGLE DE SAINT BENOÎT DE NURSIE QUANT À L’HABILLEMENT.
Chapitre 55.
Pour les habits à donner aux frères 1), on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu’ils habitent. Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays chauds. C’est à l’abbé d’apprécier cette différence.
Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule 2) épaisse en hiver, légère et usagée en été, ainsi qu’ une tunique 3) suffisent pour chaque moine ; avec cela, un scapulaire 4) pour le travail ; et pour couvrir les pieds, des chaussettes ainsi que des sandales.
Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu’on pourra trouver au pays qu’ils habitent ou se procurer à meilleur marché. Quant à la mesure des habits, l’abbé veillera à ce qu’ils ne soient pas trop courts, mais à la taille de chacun.
Lorsqu’on en recevra de neufs, on rendra toujours et immédiatement les vieux qui seront déposés au vestiaire pour les pauvres.
Il suffit, en effet, à un moine d’avoir deux tuniques et deux coules pour en changer la nuit, et pour pouvoir les laver. Tout ce qu’on pourrait avoir en plus est superflu et doit être retranché. Les frères rendront également les vieilles chaussettes et tout ce qui est usé, lorsqu’ils recevront du neuf.
Ceux qui sont en voyage recevront du vestiaire des caleçons 5) ; à leur retour, ils les restitueront, après les avoir lavés. Les coules et tuniques seront un peu meilleures que celles qu’ils portent d’habitude. Reçues du vestiaire au départ, elles y seront remises à la rentrée.
Les lits auront pour toute garniture une paillasse, un drap ? une couverture de laine et un oreiller…
Pour couper jusqu’à la racine le vice de la propriété, l’abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir coule, tunique, chaussettes, sandales, ceinture, couteau, stylet, aiguille, mouchoir, tablettes pour écrire.
1) À quoi pouvait bien ressembler le costume bénédictin primitif ? Tout bien pesé, il semble qu’il ne différait guère de celui des paysans d’alors.
2) La coule était le vêtement de dessus : elle consistait, semble-t-il, en un manteau à vaste capuchon. Notons à ce sujet que le costume traditionnel des cénobites chrétiens de de Thébaïde égyptienne a vraisemblablement été inspiré de la caracalle ou tunique à capuchon imposée par l’empereur Antonin, fils de Sévère, sous une forme allongée jusqu’aux talons il est vrai, et cette caracalla antoniniana ou major, constitue donc une autre des origines possibles de l’habit monastique traditionnel.
3) La tunique, ou vêtement de dessous, était portée à Rome depuis longtemps par tout le monde ; à l’époque de saint Benoît, elle s’était allongée et avait des manches. Elle était serrée à la taille par une ceinture, qui servait aussi à relever la tunique, pour travailler, ou pour marcher. C’était donc en fait une sorte de chemise.
4) Le scapulaire était un vêtement accessoire qu’on ne mettait que pour faciliter le travail. Il devait consister en une sorte de bande qui, passée autour du cou et croisée sur la poitrine ainsi que le dos, serrait la tunique plus ou moins flottante.
5) Le port de caleçons en voyage s’explique par un motif de décence, les voyageurs ayant l’habitude de relever très haut leur robe à certains moments (franchissement d’une rivière, etc.).
6) À cette époque, on se servait généralement pour écrire d’un stylet avec lequel on traçait des caractères sur des tablettes (tabulae) enduites de cire.
Réforme de saint Benoît d’Aniane au concile d’Aix-la-Chapelle en juillet 817.
Les décisions sont promulguées sous la forme d’un capitulaire, le Capitulare monasticum du 10 juillet 817. Ce texte impose à tous les monastères la règle de saint Benoît revue et réactualisée par Benoît d’Aniane, car c’est ce dernier qui l’a codifié. À l’avenir, les moines devront tous suivre une seule et même règle – una regula – ainsi qu’une seule et même interprétation de cette règle (celle de Benoît d’Aniane), se matérialisant dans le capitulaire de 817 par une coutume commune – una consuetudo – c’est-à-dire par un ensemble de mesures pratiques concernant la vie quotidienne : pauvreté du
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vêtement et de la nourriture, réglementation des jeûnes, de la tonsure, de l’horaire et du contenu des prières.
Dans sa concordia regularum saint Benoît d’Aniane complète également la règle bénédictine primitive en ajoutant des précisions dans son commentaire de saint Benoît de Nursie.
Longueur des coules deux coudées ou 90 centimètres soit descendant jusqu’aux genoux
Etc., etc.
ANNEXE Nº 7.
« On dit qu’ils apprennent là un grand nombre de vers par cœur […] Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux pour […] parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser » (César. B. G. VI, 13).
TENTATIVE DE RECONSTITUTION (AU-DELÀ DU VERNIS COLOMBANIEN ?) DU FONCTIONNEMENT
D’UNE ÉCOLE DRUIDIQUE.
Rien que pour voir ce que cela pouvait donner, puisque Alexandre BERTRAND a établi que les monastères chrétiens en Irlande ont succédé aux écoles druidiques, nous avons essayé de retrouver ce que pouvait être l’hypothétique règle druidique à l’origine de celle de noïbo Colomban de Bobbio.
Mais que nos lecteurs ne s’y trompent point !
Aussi sympathique que puisse sembler être, sur un certain nombre de points, l’œuvre de Colomban de Bobbio, il n’en demeure pas moins que ce moine fanatique a mis en place un quadrillage inquisitorial des campagnes ; pour y imposer, par la terreur (des peines de l’enfer) les dogmes les plus obscurantistes, ou les plus rétrogrades, de son Église. Celui de la Sainte Vierge par exemple. Le point 25 de son pénitentiel s’en prend aussi aux Bonosiens. Et il assimile également, bien sûr, les anciens dieux des temples celtes (fana, singulier fanum), à des démons. Point Nº 24. « Si un laïc a mangé ou bu à côté des temples (fana), s’il l’a fait sans savoir, qu’il promette de ne plus jamais recommencer, ensuite qu’il fasse pénitence quarante jours au pain sec et à l’eau. Mais s’il l’a fait par bravade, c’est-à-dire après que le prêtre lui a fait savoir quel sacrilège c’était, mais qu’il a quand même communié (latin communicaverit) à la table des démons ; si c’est seulement à cause du fait qu’il avait faim qu’il a fait ou renouvelé ce sacrilège ; qu’il fasse pénitence pendant trois fois quarante jours au pain sec et à l’eau. Mais s’il l’a fait pour vraiment rendre un culte aux démons ou à leur représentation symbolique (simulacrum) qu’il fasse donc pénitence pendant trois ans ».
RÈGLE DE NOÏBO COLOMBAN DE BOBBIO REFAITE DONC.
(Brouillon retrouvé entre les pages d’un livre par les héritiers de Pierre de La Crau).
I. DE L’OBÉISSANCE.
Au premier mot de l’ancien, il convient que tous ceux qui l’entendent se lèvent pour obéir.
Il. DU SILENCE.
Seront condamnés ceux qui n’ont pas voulu dire des choses justes quand ils le pouvaient, mais ont préféré se livrer, avec une loquacité bavarde, à des propos mauvais, injustes, inutiles, injurieux, incertains, faux, querelleurs, outrageants, honteux, mensongers, aigres et pleins de détours.
Il faut donc taire ces propos et tout ce qui leur ressemble. On doit s’exprimer avec circonspection et mesure, en évitant que les médisances et les contradictions passionnées n’éclatent en un détestable verbiage.
III. DE LA NOURRITURE ET DE LA BOISSON.
Des légumes frais ou secs, de la farine cuite à l’eau accompagnée d’un petit pain de façon à ne pas surcharger l’estomac ni étouffer l’esprit. L’usage de la vie doit être modéré, comme doit être modéré le travail, car le vrai discernement consiste à sauvegarder la possibilité du progrès spirituel. Si l’abstinence dépasse la mesure, elle devient aussi un vice, et cesse d’être une vertu, car la vertu embrasse et enferme une multitude de biens. Chaque jour, il faut manger puisque chaque jour, il faut marcher, chaque jour prier, chaque jour travailler, chaque jour apprendre.
IV. DE LA PAUVRETÉ VOLONTAIRE ET DE LA LUTTE CONTRE LA CUPIDITÉ.
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Peu de choses en effet sont vraiment nécessaires, celles sans lesquelles on ne peut vivre, et même une seule, c’est-à-dire, au sens littéral, la nourriture.
V. QU’IL FAUT VAINCRE LA VANITÉ.
Que de grands mots ne sortent pas de la bouche du futur moine-soldat pour que ne faiblisse pas son ardeur au travail.
VI. DE LA PURETÉ.
À quoi sert d’être pur de corps, si on ne l’est pas dans son cœur ?
VII. DE L’OFFICE.
II existe des gens qui maintiennent le même nombre de douze récitations, que les nuits soient courtes ou brèves, mais qui s’en acquittent quatre fois au cours de la nuit ; au début de la nuit, à minuit, au chant du coq et au matin. Cet office paraît petit à certains en hiver, mais l’été on le trouve onéreux et lourd à porter, car il provoque moins la lassitude qu’une fatigue écrasante due à ces célébrations multiples. Quant aux nuits vénérables, celles du dimanche et du lundi, on y répète toujours à matines le même nombre de récitations, à savoir 36.
Or la vraie tradition de la prière est que l’on puisse la faire, selon ce que l’on peut assumer sans se dégoûter du vœu que l’on a formé à cet égard. Selon ce que l’on peut faire et que l’on est capable de mener à bien, selon ce que les dispositions de l’esprit, compte tenu des nécessités, ainsi que la manière de vivre, rendent possible. Et aussi d’après ce que requiert la ferveur de chacun, s’il est libre et seul, ou que son degré d’instruction le demande ; ou que le loisir de son état, l’ardeur de son zèle, son genre d’occupation et l’âge auquel il est parvenu ; le permettent. Il faut estimer en fonction de ces variables la manière de réaliser l’idéal, pourtant unique, car on doit composer avec le temps et le lieu.
Mais à propos de ces moments où tous se retrouvent ensemble pour les offices ou de la longueur des cantiques, quelques précisions sont donc à fournir, car cette pratique a été codifiée diversement par différents auteurs. Et il faut par conséquent qu’à mon tour j’en traite par écrit de façon détaillée en tenant compte de notre manière de vivre et de la succession des saisons.
Le chant des récitations ne doit pas toujours être le même, à toutes les époques de l’année, mais il convient qu’il soit plus long quand les nuits sont longues et plus court quand les nuits sont courtes.
C’est pourquoi, en accord avec nos prédécesseurs ; à partir du vingt-quatre juin, date à laquelle la nuit se met à croître, la longueur des cantiques de l’office divin commencera à graduellement augmenter ; depuis douze chants choraux la plus petite quantité prévue la nuit de dimanche ou de lundi, jusqu’au commencement de l’hiver, c’est-à-dire le 1er novembre ; jour où l’on devra plus chanter que 25 récitations. Pour les autres nuits, on s’en tient pour tout l’hiver à douze chants choraux.
À la fin de l’hiver c’est-à-dire à partir du 1er février, et graduellement, chaque quinzaine durant le printemps, on diminue toujours de trois récitations, de sorte que douze antiennes demeurent seulement pour les nuits saintes, c’est-à-dire les trente-six récitations de l’office quotidien en hiver, mais vingt-quatre pendant tout le printemps et l’été jusqu’à l’équinoxe d’automne le vingt-quatre septembre. Alors la façon de célébrer la synaxe est la même qu’à l’équinoxe de printemps qui tombe le vingt-cinq mars, vu que, comme le flux et le reflux, l’office matinal croît et décroît peu à peu.
VIII. DE LA MESURE EN TOUTE CHOSE.
La mesure est ce qui discerne en nous entre bien et mal, et aussi entre modération ou excès. Depuis le début, après que le mal a commencé d’exister, par la corruption du bien, les deux catégories, c’est-à-dire les biens et les maux, ont été séparées comme la lumière et les ténèbres.
Quels sont donc ces biens ? Les choses qui sont restées intactes, et qui sont restées dans leur état de pureté initiale. Vérité, justice, pureté, piété, paix, bonté, miséricorde. Toutes ces choses et leurs fruits sont bonnes.
Mais voici les maux qui en sont l’exact opposé : mensonge, injustice, impiété, discorde, amertume, avarice, haine, avec les multiples fruits qui en sont issus. Innombrables en effet, sont les résultats engendrés par ces couples de contraires, et tout le reste s’est développé peu à peu en un immense foisonnement de noms. Cela implique de toujours discerner avec justesse dans les cas douteux. Et à savoir distinguer en toutes circonstances, le bien du mal, soit entre bien et mal extérieurs à nous, soit en nous-mêmes, soit entre actes et habitudes, entre activité ou repos, entre vie publique et privée.
Quant aux maux, on doit pareillement s’en garder orgueil, envie, mensonge, corruption, cupidité, colère, gloriole, médisance.
Et maintenant les biens des vertus qu’il faut rechercher : humilité, bienveillance, pureté, obéissance, libéralité, patience, ardeur au travail, joie, vigilance, silence.
Tout cela donc, avec la force d’esprit qui fait supporter ainsi que la tempérance qui modère, est à mettre sur les plateaux de la tempérance comme dans une balance. Afin d’y peser nos actes habituels selon les possibilités de nos efforts, dans la recherche continuelle de ce qui suffit. Si ce qui est suffisant ne convient pas, il ne fait de doute pour personne que l’on a passé la mesure de la modération, et tout ce qui dépasse cette mesure est manifestement vicieux.
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Entre le trop et le trop peu, la juste mesure se trouve donc au milieu. Sans cesse elle nous détourne de tout ce qui est superflu d’un côté ou de l’autre. Introduite en toute chose, elle procure partout le nécessaire et refuse les caprices déraisonnables d’une volonté de superflu.
Cette mesure de la vraie tempérance, en pesant tous nos actes à leur juste poids, ne nous permettra jamais de nous écarter de ce qui est juste. Et si nous la suivons toujours correctement, à la manière d’un guide, elle ne nous laissera pas nous égarer.
Car de même que l’erreur égare ceux qui vivent sans modération, la démesure est inévitable, et cette dernière est toujours contraire aux vertus, qui se situent au milieu, entre deux excès contraires.
IX DE LA MORTIFICATION.
La mortification consiste donc en trois choses, exclure de son esprit la discorde, ne pas laisser sa langue dire ce qui lui plaît, n’aller nulle part sans permission.
X DE LA PERFECTION.
Que les disciples vivent, sous l’autorité d’un seul, mais avec de multiples compagnons, afin d’apprendre de l’un l’humilité, et d’un autre la patience. Que l’un lui enseigne le silence, un autre la douceur ! Qu’il ne fasse pas ce qu’il veut, qu’il mange ce qui lui est prescrit, qu’il ait juste ce qui lui revient ! Qu’il accomplisse le travail qu’on lui assigne ! Qu’il se soumette même à qui, en fait, il ne voudrait pas ! Qu’il n’aille au lit que fatigué ! Qu’il craigne le responsable de l’Établissement comme un maître qu’il aime tel un père ! Qu’il tienne pour salutaire tout ce qu’il lui ordonne, et qu’il ne porte pas de jugement sur ses décisions !
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ANNEXE Nº 8.
PÉNITENTIEL DE NOÏBO COLOMBAN REFAIT DE MÊME.
Par pénitence ou privation, on entend surtout dans ces textes le fait d’être mis au pain sec et à l’eau, voire d’être condamné au silence ou à rester debout, etc. Les coups sont donnés sur la paume des mains ou ailleurs (sur les fesses par exemple). Ils ne doivent en aucun cas, de par leur sévérité ou leur quantité, rendre inapte au travail manuel ou ruiner définitivement la santé (la main d’un voleur ne doit pas être coupée par exemple, car cela compromet aussi la possibilité de réparer ce que l’on a fait, une telle barbarie doit donc être bannie, nous ne sommes pas en terre d’islam (Dar al islam) et la charia n’est pas notre loi. La longueur de ces pénitences ou privations est, bien sûr, proportionnelle à la gravité des fautes. Elles peuvent être remplacées par des peines plus dures, mais plus courtes.
Exemple : un jour de privation de parole peut être remplacé par 50 coups sur la paume des mains.
3 heures de silence par 12 coups, etc. (Sur le principe de la commutation des peines, voir les autres pénitentiels irlandais).
À MÉDITER PAR LES RESPONSABLES DES FUTURS MOINES-SOLDATS.
PREMIER PÉNITENTIEL DE NOÏBO COLOMBAN REFAIT.
LA RÈGLE CONVENTUELLE (Première partie).
Il est prescrit par nos Anciens, frères très chers, de nous confier à un ami de l’âme/esprit avant le repas ou avant d’aller nous coucher, ou quand cela est opportun parce que cela libère. Et il ne faut rien négliger, car il a été dit : « À force de négliger les petites choses, on finit par s’abandonner ».
II. RÉFECTOIRE.
Celui qui, au signal donné par le responsable des tables, ne récite pas la prière choisie par ce dernier avant de s’asseoir, toujours au signal donné par le responsable des tables, sera puni de six coups.
De même pour celui qui parle en mangeant sans qu’il en soit besoin pour un autre camarade : six coups. Celui qui parle bruyamment, c’est-à-dire plus haut que ne le veut l’usage : six coups.
III.
Si l’on parle de quelque chose comme appartenant à soi (ma cuillère, mon couteau, mon pain, etc.) : six coups. Qui entaille la table ou la nappe de son couteau : dix coups.
IV.
Tout camarade, chargé de la cuisine ou du service, qui renverse et laisse perdre du liquide ou du solide en quantité non négligeable, si c’est par insouciance ou par oubli, devra en demander pardon avant d’aller au lit.
S’il en renverse une quantité importante par négligence, il sera privé d’autant de litres de bière ou de mesures d’autres denrées qu’il aura perdues en les renversant, qu’il le sache ; en perdant la ration coutumière à laquelle il avait droit, et il aura de l’eau à la place de bière. Autant de jour qu’il le faudra pour compenser cette perte.
Celui qui mange sans attendre le signal, il est prescrit de le corriger de douze coups.
De même pour celui qui oublie la prière du soir.
Mais le camarade qui reconnaît tous ces manquements et les autres, jusqu’à ceux qui méritent un jour de privation de parole, auprès d’un ami des âmes ou des esprits, fera une demi-pénitence ; quant aux fautes analogues, il devra s’en abstenir désormais.
V. OFFICE.
Celui qui tousse au début d’une récitation et n’articule pas bien, il est prescrit de le corriger de six coups. Celui qui sourit lors du sacrifice fait à la divinité : six coups.
Si le rire éclate bruyamment, un jour de privation de parole, à moins qu’il n’ait une excuse.
Si l’on tient de vains propos avec autrui et que l’on se reprend aussitôt : une simple prosternation pour demander pardon. Mais si l’on ne se reprend pas : cinquante coups pouvant être remplacés par un
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jour de privation de parole. Si l’on présente sans réfléchir des excuses de pure forme quand on reçoit un reproche, et que l’on ne dit pas pour demander pardon : « C’est ma faute, je le regrette » : cinquante coups pouvant être remplacés par un jour de privation de parole.
Si l’on oppose sans réflexion un avis à un autre avis : cinquante coups pouvant être remplacés par un jour de privation de parole.
Si l’on heurte l’autel réservé aux sacrifices divins : cinquante coups.
VI.
Si l’on élève la voix sans retenue, à moins que l’on n’y soit obligé : cinquante coups pouvant être remplacés par un jour de privation de parole. Si l’on s’excuse au lieu de s’incliner pour demander pardon, même pénitence.
Celui qui répond à un camarade affirmant quelque chose « ce n’est pas comme tu dis », sauf s’il s’agit d’anciens qui s’adressent simplement à des plus jeunes : cinquante coups pouvant être remplacés par un jour de privation de parole.
Il est seulement permis de répondre à un camarade du même âge, si l’on se rappelle une chose plus exactement qu’il ne l’a dite : « Si tu te souviens bien, frère ».
Et celui-ci, en entendant ces mots, ne maintiendra pas son affirmation, mais dira simplement : « Je crois que tu te souviens mieux que moi. Ma langue a fourché par oubli, et je me repens d’avoir mal parlé ».
VII.
S’il ne se réfugie pas bien vite dans le havre de l’humilité, s’il ouvre aux autres le chemin d’une violente contestation, et persiste dans son langage plein d’orgueil ; qu’on le mette dans une cellule à part où il fera pénitence, privé de liberté (au secret, dans un cachot). Jusqu’à ce qu’il fasse preuve de bonne volonté ou que son humilité lui permette de reprendre sa place dans la communauté.
Celui qui élève la voix pour critiquer la conduite du portier, comme quoi il ne respecte pas les heures d’ouverture ou de fermeture : cinquante coups pouvant être remplacés par un jour de privation de parole.
Celui qui cache les manquements qu’il peut voir chez son camarade, jusqu’à ce que ce dernier soit corrigé pour un autre vice ou pour celui-là, et alors le divulgue pour lui nuire : trois jours de privation de parole.
Celui qui critique la conduite d’autres camarades ou en médit fera pénitence par trois jours de privation de parole.
Quant à celui qui oppose remontrance à remontrance, autrement dit, qui corrige celui qui le corrige, il fera pénitence aussi par trois jours de privation de parole.
VIII.
Celui qui médit d’un camarade ou entend médire sans reprendre le fautif immédiatement : trois jours de privation de parole.
Celui qui, chagriné, profère une parole de contestation fera pénitence lui aussi par trois jours de privation de parole. Si, quand on a quelque chose à reprendre, on ne veut pas le signaler à son supérieur hiérarchique direct, en se réservant de le signaler au supérieur de ce supérieur, trois jours de privation de parole. À moins que tout cela ne se fasse afin de faire preuve de retenue.
Si un camarade est chagriné, mais s’il est capable de supporter cet état, qu’il diffère alors de se confier, afin de le dire avec plus de retenue quand son chagrin aura cessé.
Qui blâme le service à faire auprès d’un camarade, même pénitence !
IX.
Celui qui, à un parent à lui en train d’apprendre un métier ou toute autre chose commandée par les anciens, lui suggère plutôt de lire : trois jours de privation de parole.
Celui qui ose répondre à son supérieur immédiat ; « Ce n’est pas toi qui jugeras mon cas, mais le responsable de notre Établissement ou les autres camarades ». Ou « nous irons tous devant le responsable de notre Communauté » ; il convient de le punir d’une pénitence de quarante jours [au pain sec et à l’eau]. À moins qu’il ne dise devant tous ses camarades : « Je me repens de ce que j’ai dit ».
Celui qui, après une remarque, ne demande pas pardon, fera pénitence par cinquante coups pouvant être remplacés par un jour de privation de parole.
Celui qui rend visite à d’autres camarades dans leurs cellules sans en avoir demandé l’autorisation : même pénitence.
Celui qui se rend à la cuisine, sans en avoir reçu l’ordre ni l’instruction : un jour de privation de parole.
Celui qui sort de l’enceinte de l’établissement sans l’avoir demandé : un jour de privation de parole.
Les jeunes auxquels astreints à ne pas se parler pendant un certain temps, s’ils manquent à cette obligation, trois jours de privation de parole.
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Si quelqu’un leur commande ce qu’il ne leur est pas permis de faire, qu’ils répondent : « Tu sais que cela ne nous est pas permis ». Et si l’autre persiste à commander qu’il soit condamné à trois jours de privation de parole, mais les camarades diront : « Nous allons faire ce que tu dis, pour conserver le bien de l’obéissance ».
Ils devront néanmoins se garder de dire, par l’intermédiaire d’un autre, ce qu’ils n’ont pas été autorisés à se communiquer directement.
S’ils le font, qu’ils fassent pénitence comme s’ils s’étaient directement parlé.
X.
Celui qui parle inutilement sera condamné à douze coups pouvant être remplacés par trois heures de silence. Les camarades pénitents, aussi difficiles et salissants que soient leurs travaux, ne se laveront la tête que le dimanche ou tous les quinze jours. À moins que, les cheveux devenant trop sales, chacun n’obtienne de son supérieur la permission de se laver.
Si celui qui préside une table a connaissance de menues pénitences à faire, il les infligera au moment du repas sans donner plus de vingt-cinq coups [à la fois].
Les camarades pénitents et ceux qui doivent réciter des prières ou des textes sacrés en guise de pénitence, le font la nuit d’atenoux ou de divertomu.
LA RÈGLE CONVENTUELLE (Deuxième partie).
Si quelqu’un n’obéit pas, qu’il passe deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si quelqu’un dit : « Non, je ne le ferai pas » : trois jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si quelqu’un murmure : deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si quelqu’un ne demande pas pardon ou avance une excuse fallacieuse : deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si deux camarades se disputent et en viennent à s’emporter : deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si un autre soutient un mensonge et s’enferme dans son attitude : deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si quelqu’un viole un ordre et enfreint la règle, deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si quelqu’un, requis pour un ouvrage, s’en acquitte avec négligence : deux jours au pain sec (250 g) et à l’eau. Si quelqu’un dit du mal du responsable de son établissement : sept jours au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si c’est un camarade qu’il dénigre : vingt-quatre récitations.
Si quelqu’un oublie un objet dehors, si c’est peu de chose : douze récitations ; si c’est plus important : trente récitations.
Si quelqu’un perd ou endommage quelque chose, sa pénitence sera proportionnelle au prix de l’objet.
XI.
Si quelqu’un discute avec un quelqu’un de l’extérieur sans autorisation : 24 récitations.
Si quelqu’un, après avoir terminé son travail, n’en demande pas un autre, et fait quelque chose sans autorisation : 24 récitations.
Si quelqu’un a deux paroles et jette le trouble dans l’esprit de ses camarades : un jour au pain sec (250 g) et à l’eau.
Si quelqu’un raconte une faute passée : un jour avec un pain de 250 g.
Si celui qui a voyagé à l’extérieur en rapporte les fautes : un jour au pain sec et à l’eau.
XII.
Si quelqu’un suscite la colère de son camarade et ensuite lui demande pardon, et que l’autre ne pardonne pas, mais le renvoie ensuite à son supérieur : vingt-quatre récitations pour celui qui a suscité la colère, et pour l’autre un jour au pain sec et à l’eau.
Si quelqu’un arrive en retard au repas du soir ou après : douze récitations.
Si quelqu’un dort pendant les prières, si cela se produit souvent : douze récitations ; si ce n’est pas le cas : six récitations.
Si quelqu’un participe à l’office du matin avec son vêtement de nuit : douze récitations.
XIII.
Si quelqu’un répète un mensonge sans le savoir : douze récitations.
S’il le dit sciemment : deux jours au pain sec et à l’eau. Si son mensonge reçoit un démenti, et qu’il persiste à le soutenir : sept jours au pain sec et à l’eau.
Si quelqu’un ne ferme pas la porte du temple ou d’un lieu de culte : douze récitations.
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Si quelqu’un crache et atteint l’autel : vingt-quatre chants sacrés. S’il atteint seulement un mur : six.
Si l’on oublie de chanter ou de réciter : trois prières.
XIV.
Si quelqu’un arrive en retard, ou bruyamment, cinquante coups.
S’il est trop lent à exécuter ce qu’on lui commande : cinquante coups.
Si l’on fait du bruit après l’extinction des feux donnant le signal du sommeil : cinquante coups.
Si l’on réplique avec arrogance : cinquante coups également.
Entrer dans une maison ou une pièce la tête couverte : cinquante coups.
Parler en mangeant : cinquante coups.
Faire du bruit pendant la prière, cinquante coups.
Si quelqu’un garde en lui un sentiment de colère, de chagrin ou d’envie, contre un camarade ; il fera pénitence au pain sec et à l’eau uniquement, aussi longtemps qu’il l’aura gardé (Note de l’éditeur. Préface de Gildas le Sage sur la pénitence : 40 jours). Mais s’il s’en est confié dès le premier jour : vingt-quatre récitations.
XV.
Quiconque perd ce que l’on offre en sacrifice sans savoir où il l’a mis fera un an de pénitence. Celui qui oublie ce que l’on a offert en sacrifice, et que cela se dessèche ou se retrouve mangé par les vers : on brûlera le tout, on enfouira les cendres près de l’autel [dans la fosse à sacrifice], et le responsable fera six mois de pénitence.
Si un camarade vomit son souper un jour où il a consommé des offrandes destinées à la divinité, du fait d’une nourriture plus forte que d’habitude ; non par suite de gloutonnerie, mais d’indigestion : vingt jours de pénitence au pain sec et à l’eau.
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ANNEXE N°9.
TROISIÈME PÉNITENTIEL DE NOÏBO COLOMBAN, REFAIT : LE PÉNITENTIEL PROPREMENT DIT.
La diversité des fautes fait la diversité des pénitences. Les médecins du corps, eux aussi, composent des médicaments de diverses espèces. Autre est en effet le traitement qu’ils appliquent aux blessures, autre celui des maladies, autre celui des tumeurs, autre celui des contusions, autre celui des plaies purulentes, autre celui des maladies des yeux, autre celui des fractures, autre celui des brûlures.
De même, donc, les médecins de l’âme ou de l’esprit doivent, eux aussi, guérir les blessures, maladies, fautes, douleurs, indispositions et infirmités, des âmes ou des esprits. Aussi allons-nous proposer au moins également quelques remèdes, selon les traditions des anciens et selon notre intelligence. (Voir conclusion du pénitentiel de
Finnian.)
(Première partie.) MENUS ÉCARTS DE CONDUITE.
Celui qui fait quelque chose par lui-même sans demander l’autorisation, ou qui contredit et répond : « Je ne le fais pas », ou qui murmure, si c’est pour une chose importante, il fera pénitence par trois jours de privation de parole ; si c’est pour une petite chose, par un seul.
Un mot pour objecter, opposé à un autre mot sans réflexion sera puni de cinquante coups s’il s’agit d’une simple altercation, ou d’un jour de privation de parole ; s’il s’agit d’une querelle, d’une semaine de pénitence.
Celui qui médit ou qui écoute la médisance avec complaisance fera pénitence par trois jours de privation de parole. Si c’est du supérieur dont il s’agit : une semaine de pénitence.
Celui qui méprise par orgueil, le préposé à telle ou telle tâche, ou dit du mal de la règle, doit être mis dehors, à moins qu’il ne reconnaisse aussitôt : « Je regrette ce que j’ai dit ».
Et s’il ne dit pas cela comme il faut, qu’il fasse pénitence pendant quarante jours afin de soigner son orgueil !
Si quelqu’un laisse la porte donnant sur l’extérieur, ouverte pendant la nuit, alors il fera pénitence par une journée de privation de parole.
Il est permis de se laver complètement, mais seul et en privé en dehors des douches.
Si quelqu’un en dehors des douches se lave complètement et avec ostentation devant ses camarades, sauf s’il a vraiment besoin de se laver à fond, fera pénitence pendant 40 jours.
(Deuxième partie.) FAUTES GRAVES.
Si quelqu’un pèche en pensée ; c’est-à-dire désire tuer quelqu’un, ou voler, ou manger en cachette et s’enivrer, ou encore frapper quelqu’un, ou s’en aller, ou faire d’autres choses semblables ; et s’il a le cœur prêt à exécuter son dessein ; il fera pénitence au pain sec et à l’eau durant la moitié d’une année dans les cas les plus graves (pénitentiel de Finnian : avec en plus un an sans vin ni viande) ou pendant quarante jours au pain sec et à l’eau dans les cas les moins graves.
Si quelqu’un, emporté par sa faute, pèche en acte, s’il commet un homicide (pénitentiel de Finnian) : il fera pénitence pendant dix ans. S’il quitte la communauté ou rompt ses vœux (son serment), s’il se repent et revient promptement : il fera pénitence pendant trois quarantaines de jours. Si c’est au bout de plusieurs années : pendant trois ans.
Si quelqu’un vole quelque chose : il fera pénitence pendant un an.
Si quelqu’un se parjure : il fera pénitence pendant sept ans.
Si quelqu’un frappe son camarade au cours d’une querelle et verse le sang : il fera pénitence pendant trois ans. (Finnian : un an seulement).
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Si quelqu’un s’enivre et vomit ou mange avec excès puis à cause de cela, vomit, alors il fera pénitence pendant quarante jours au pain sec et à l’eau (Préface de Gildas le Sage sur la Pénitence : sept jours).
Mais si c’est une maladie qui le fait vomir, il fera pénitence au pain sec et à l’eau pendant sept jours (Préface de Gildas le Sage sur la Pénitence : 1 jour).
Si quelqu’un porte un faux témoignage sciemment : il fera pénitence pendant deux ans, et il perdra ou restituera l’objet en cause.
Note de Pierre de La Crau.
Rien ne remplace la méditation personnelle, y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles de certains textes. Ces feuillets ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Comme vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie !
« On dit qu’ils apprennent là un grand nombre de vers par cœur ; en conséquence de quoi certains y suivent leurs cours pendant vingt ans. Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec. Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux… parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser » (César. B.G. VI, XIV).
Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle, car c’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin.
À chacun donc maintenant de juger si une telle discipline peut être utile ou non à la formation des hommes ou femmes bien entendu, de notre époque.
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ANNEXE Nº 10.
BODHIDHARMA LE MOINE GUERRIER (440-543).
Bodhidharma. En chinois : Poutidamo ou simplement Dámó, Tamo ; en japonais : Bodaidaruma ou Daruma ; en tibétain : Bodhidharmottara ou Dharmottara.
Bodhidharma signifie en sanscrit « Celui qui porte » (dharma) « l’Éveil » (Bodhi). Un nom que l’on a parfois traduit par « l’Illuminé ».
Nos sources diffèrent en ce qui concerne sa nationalité ainsi que sa région d’origine. Les sources chinoises en font apparemment un Barbare roux aux yeux bleus venu de Perse d’Afghanistan ou d’Asie centrale.
D’autres sources le font naître dans le sud de l’Inde, peut-être dans la ville de Kanchipouram vers 440.
Il aurait été le troisième enfant du roi Sougandha, donc un membre de la caste des guerriers indiens appelés Kshatriya.
Si cela est vrai, il est donc probable qu’il connaissait déjà les techniques de maniement d’armes de cette caste et notamment l’art du vajramushti (poing du tonnerre ou poing de diamant) et cela expliquerait bien des choses.
Bodhidharma était doté d’une vive intelligence à laquelle rien n’échappait. Après avoir décidé de se consacrer au Mahayana, il abandonna l’habit blanc [des laïcs] pour la robe de bure des moines. L’esprit plongé dans la sérénité et la quiétude, il examinait avec pénétration les affaires profanes.
Consterné par le déclin de la doctrine bouddhiste, il traversa les monts et les fleuves pour aller prêcher en Chine. Il suffit de suivre sur une carte le périple de cet homme, qui est remonté de l’Inde du Nord-ouest ou du sud, a traversé la plaine du Gange, franchi les chaînes montagneuses du Yunnan, avant de descendre vers le Hebei (Ho-Pei) ; pour se convaincre que Bodhidharma était également un homme extrêmement robuste. Ce devait être un beau vieillard, car il avait dépassé la soixantaine lorsqu’il pénétra en Chine en 475 ou 520, du genre de ceux qui possèdent « un esprit sain dans un corps sain ».
Là, il visita plusieurs monastères, enseignant la méthode contemplative et donnant parfois des sermons.
Nous ne possédons sur Bodhidharma qu’un seul témoignage oculaire, que nous devons à Yang Xuanzhi, un habitant de Lo-yang. Ce récit, daté de 547, est intitulé Luyang Qielanji (Annales des monastères de Lo – yang).
L’auteur y raconte qu’il rencontra Bodhidharma un jour qu’il se rendait au temple de Yong Ning «… à l’époque il y avait là un moine des régions occidentales appelé Bodhidharma, un Perse d’Asie centrale. Il était venu des confins sauvages de la Chine. Voyant les disques d’or…… il déclara : ‘j’ai 150 ans et j’ai parcouru de nombreux pays. Même les lointaines terres de Bouddha n’ont pas ça’. ».
Cette référence qui paraît confirmer l’existence de Bodhidharma est précieuse, mais il faut la prendre cependant avec une certaine prudence, car les textes chinois, comme en Occident, ont été copiés d’innombrables fois, et les erreurs de transcription ne sont pas rares. De plus, d’autres erreurs peuvent se produire lorsque ces textes sont traduits en une autre langue. À supposer que la traduction soit fidèle, quelle est sa signification ? De quelle langue se servit Bodhidharma lorsqu’il s’adressa ainsi à l’auteur ? Parlait-il couramment le chinois ? Voulait-il vraiment dire qu’il avait cent cinquante ans ? Si c’est le cas, Bodhidharma disait-il ce qu’il croyait être la vérité, ou parlait-il par énigmes, à la manière qu’adopteront plus tard les moines chan et zen ?
L’expression utilisée par Yang Xuanzhi signifie-t-elle qu’il était Perse ou qu’il ressemblait à un Perse ?
Dans ce cas, le personnage ainsi décrit aurait pu être un Indien, même s’il avait la peau claire, car le teint clair et les yeux bleus ne sont pas rares dans le nord-ouest de l’Inde.
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Venu des Indes ou d’ailleurs, ce moine bouddhiste aurait demandé une entrevue à l’empereur Wu de la dynastie des Liang (Woudi), promoteur du bouddhisme en Chine. Et avait expliqué à ce dernier que malgré ses efforts et toutes les bonnes œuvres accomplies, il n’avait pas encore acquis l’ombre d’un mérite.
Selon lui le seul mérite concevable résidait dans la connaissance immédiate et mystique du néant de toute chose. En un mot, les temples, les statues dorées, les images pieuses, les rituels, les dons… donc tout ce que le bouddhisme faisait en Chine… ne valaient rien au regard de la quête de l’illumination. Et cette illumination ne pouvait s’obtenir que par le biais de la méditation, Dhyâna en sanscrit.
L’entrevue ne déboucha sur rien de positif. Les adeptes de la quiétude et du silence furent gagnés à sa foi, mais il fut rapidement en butte à diverses calomnies et l’empereur le prit très mal. Il congédia Bodhidharma qui n’eut la vie sauve que parce qu’il était le disciple de Prajnatara (le vingt-septième patriarche). Il se réfugia dans le plus célèbre monastère de l’époque (le monastère de la petite forêt (Shao Lin en Chinois).
Shaolin Si est un monastère, situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Dengfeng, non loin de Lo Yang, la capitale régionale du Henan. Il avait été fondé au premier siècle de notre ère par un certain Batuo. Et consacré en 496 par l’empereur Xiaowen des Wei du Nord, qui lui décerna le titre de « Premier ou ultime temple sous le Ciel ». Il s’agissait par conséquent d’un monastère déjà connu avant l’arrivée de Bodhidharma et abritant sans doute, déjà, des religieux versés dans les arts martiaux, ou des guerriers attirés par le récent renouvellement de la doctrine bouddhiste.
C’est donc vers 475 ou 520 de notre ère, suivant les sources, que serait arrivé là un étrange individu à la peau claire, à la barbe hirsute et au regard de braise, habillé comme un barbare du Sud. Après être arrivé au monastère, il entama une longue méditation, immobile, devant la paroi d’une caverne. Une méditation qui dura donc neuf ans et lui apporta l’illumination, mais il faillit en perdre l’usage des pieds ainsi que des mains. Bodhidharma en conclut que la recherche de l’illumination ne devait pas se faire au détriment du corps, mais plutôt par l’union du corps et de l’âme ou de l’esprit (anaon).
La tradition affirme que les bonzes de ce monastère, faméliques parce que mal nourris, ne pouvaient supporter l’immobilité que leur imposait la méditation. Bodhidharma leur expliqua donc que méditer en bougeant vaut dix, cent, mille fois mieux que la méditer en restant immobile, et leur enseigna toute une série d’exercices physiques destinés à renforcer leur corps. En faisant appel pour cela aux diverses formes gymniques, plus ou moins guerrières, qu’il avait étudiées durant son enfance sous la direction de son père. Ce dernier était, en effet, ainsi que nous l’avons vu, en sus de sa fonction de roi, un membre de la caste des Ksatriyas, et connaissait donc les arts martiaux (le Kalaripayat ?) À l’époque, Bodhidharma ne trouva [pour vrais disciples] que deux moines appelés Daoyù et Houeiko. Seuls ces deux sramanas (seuls ces deux ascètes), malgré leur jeune âge, surent faire preuve de détermination dans leur volonté de le suivre.
Ayant eu la chance de rencontrer le maître du Dharma, ils lui demandèrent de les initier à son enseignement, et assimilèrent sa pensée. Bodhidharma, appréciant leur extrême sincérité, leur enseigna la Voie authentique en ces termes.
« Apaiser ainsi son esprit, s’adonner aux pratiques, accepter l’ordre des choses, recourir aux expédients qui sauvent. Telle est la méthode mahayaniste pour apaiser l’esprit qui vous permettra d’éviter toute erreur » (Traité sur les deux accès).
NDLR Apaiser ainsi son esprit… il s’agissait de la contemplation immobile devant la paroi d’une grotte.
Développer ces pratiques : « les quatre pratiques ».
Se soumettre à l’ordre des choses : se garder de la calomnie et de la haine.
Recourir aux expédients qui sauvent : éviter tout désir.
N.B. Il existait dans le Dhyâna indien originel, deux types différents de pratique, une qualifiée de « bahiranga » (méditation externe et en mouvement, active, par référence à la simple position debout) et une appelée « antara nga » (méditation interne et immobile, par référence à la position assise).
Dhyâna devint en transcription chinoise, chan, transcrit Zen en japonais.
Une étude attentive du Sushruta Samhita (un traité de médecine ayurvédique) montre une évidente ressemblance entre les points d’énergie vitale du corps appelés marmas en sanscrit, et ceux de l’acuponcture chinoise. Les lucterios du Kalaripayat en Inde avaient depuis longtemps découvert que les 108 points qui tuaient ou blessaient, pouvaient aussi être utilisés pour guérir. La technique du
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chalaka employait par exemple des baguettes de bois pour cela, comme dans l’acuponcture. À Shaolin, Bodhidharma enseigna par conséquent vraisemblablement le Kalaripayat et la connaissance de ces 108 points vitaux du corps, ainsi que des techniques inspirées du dhyâna, pour aider les moines à mieux supporter les épuisantes séances de méditation. On attribue d’ailleurs à Bodhidharma un ouvrage en deux tomes aux préoccupations physiologiques évidentes. Le « Yijin jing » (« le mouvement des muscles et des tendons »), un traité sur l’assouplissement des muscles, et le « Xi sui jing » (« le nettoyage de la moelle épinière »), un autre traité médico-physiologique.
L’apport de Bodhidharma marquera les arts martiaux et se développera au cours des siècles suivants dans tout l’Extrême-Orient. Bien plus que s’il ne s’était simplement agi que d’innovations techniques : il leur avait insufflé un esprit nouveau.
En affirmant que corps et âme/esprit sont des notions indivisibles et que la vérité ultime ; c’est-à-dire l’illumination soudaine apportant au sage la vraie connaissance et la paix de l’âme ainsi que de l’esprit ; ne saurait être trouvée en dehors de cette union ; le moine indien donna un nouveau sens aux arts martiaux dans cette région du monde. Ils furent dès lors considérés comme un moyen d’arriver à une stricte discipline du corps, à travers des exercices physiques.
Les moines du monastère de la petite forêt (Shaolin) cherchaient à purifier leur esprit ; Bodhidharma leur apprit comment y parvenir sans faire abstraction du corps. Il introduisit en Chine son enseignement spirituel et physique à travers des traités appelés les Soutras. Dans deux d’entre eux, ainsi que nous l’avons vu, le Yijin jing et le Xi sui jing (« le mouvement des muscles et des tendons et le nettoyage de la moelle épinière ») ; il développa même un principe élémentaire d’entraînement physique progressif permettant d’acquérir force et endurance. Cette méthode d’entraînement, fondée sur la respiration en yoga et sur des techniques de combats menés à mains nues, qui prit donc naissance au monastère de Shaolin, évolua très rapidement vers des méthodes de combat non armé : Koung-fou (voire Kenpo). Et inspira donc bon nombre d’Écoles qui contribuèrent à parfaire les techniques et à en répandre l’enseignement au-delà des frontières chinoises. Cette gymnastique élaborée par Bodhidharma est encore pratiquée de nos jours, quinze cents ans après sa création par les religieux du monastère de Shaolin. Le point essentiel de cette gymnastique repose sur un accord harmonieux des lois physiologiques naturelles. Ainsi sont coordonnés par l’exécution de différents exercices, l’esprit, la respiration et l’énergie.
N.B. Les ouvrages dans lesquels sont exposés les enseignements de Bodhidharma furent tous écrits longtemps après sa mort, car ces livres d’exercices le furent vraisemblablement mille ans plus tard. Les fragments de son enseignement des arts martiaux qu’ils contiennent ont par conséquent été modifiés ou dilués durant des siècles et des siècles.
Ce qui est certain c’est que cette méthode, mi-gymnique, mi-martiale, fit apparemment couler beaucoup d’encre, puisqu’elle est considérée par certains comme étant à l’origine même des diverses pratiques martiales réputées du Monastère de la Petite-Forêt (Shao Lin). Donc de la plupart des arts martiaux chinois et, ce faisant par conséquent, des arts martiaux (Bujutsu et Budo) japonais…
Les pratiques guerrières, ou martiales (wu et bu représentant à la fois le guerrier ou le brave qui s’oppose à l’usage des armes, donc de la violence) s’étaient néanmoins déjà bien développées en Chine avant la venue de Poutidamo (Bodhidharma). Mais avant son arrivée ceux qui pratiquaient les arts martiaux en Chine, s’entraînaient surtout pour se battre, et ils passaient leur temps à brutaliser les faibles. Bodhidharma (Poutidamo) apporta le wou-té, qui enseigne que les arts martiaux, loin d’être pratiqués dans un esprit combatif, ont en réalité pour vocation d’encourager le développement de l’âme/esprit et du corps.
Ainsi que nous avons pu le voir, il existait dans le Dhyana indien originel, deux types différents de pratique. Le bahiranga dhyana ou méditation externe et mobile, active, par référence à la position debout, et l’antaranga dhyana ou méditation interne et immobile, par référence à la posture assise.
Après l’installation de Bodhidharma au monastère de Shao Lin, ces deux voies se retrouvèrent donc en Chine sous la forme du zouo chan, littéralement méditation assise, et du zhan zhuang, littéralement méditation debout.
Au départ il s’agissait simplement de différencier la pratique méditative « assis face à une paroi de caverne » telle que la pratiqua Bodhidharma ; de diverses formes plus ou moins gymniques (« le mouvement des muscles et des tendons, le nettoyage de la moelle épinière »). Ou encore plus simplement, de la marche rituelle (kin hin).
Cette même distinction se retrouvera, par la suite, au Japon, entre le za zen (zen assis) et le ritsou zen (zen debout). Ces deux aspects pendant des siècles, sinon un millénaire, furent jugés complémentaires et indispensables, ce n’est que fort récemment que la partie « active » a disparu de plusieurs tendances. Actuellement, si certaines Écoles continuent à pratiquer la marche, les
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anciennes formes gymniques, parfois qualifiées de « gymnastiques bouddhistes », ne sont que fort peu étudiées.
Ainsi que nous avons pu le voir encore, Bodhidharma signifie littéralement « Celui qui porte » (Dharma) « l’Éveil » (Bodhi). Ce « Porteur d’Éveil » ou cet « Illuminé » fut donc à l’origine du chan, bien que pour certains ce soit plutôt à un dénommé Houeï-Néng (638-713) qu’en revienne l’honneur.
Entre Bodhidharma, représenté par Shenxiu, et Houei-Neng, il existe une grande différence.
Bodhidharma met l’accent sur la progression des étapes et des moyens utilisés pour obtenir l’éveil.
Hui Neng insiste sur le caractère subit de cet éveil (satori) conçu comme une illumination.
Bodhidharma proclame : «« Le corps est l’arbre de l’éveil et l’esprit est comme un lumineux miroir. Il faut prendre soin de l’essuyer sans cesse afin qu’aucune poussière ne s’y dépose ».
Houei-Neng répond : «« Fondamentalement il n’y a ni arbre de l’éveil ni miroir de l’esprit. Puisque tout n’est que vacuité, où la poussière pourrait-elle se déposer ».
Comme on peut le constater, Houei-Neng va vraiment trop loin dans la négation du réel.
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Note. Il n’existait pas en réalité de méditation assis en tailleur, opposée à la méditation debout, mais une méditation recourant uniquement à la position assise, et une méditation recourant aux deux positions : assise ou debout. La méditation assis en silence (zhou chan, zazen) était néanmoins le dénominateur commun ou le trait d’union entre les deux approches, puisqu’elle était aussi pratiquée avec la méditation debout.
Za, en japonais, zhou en chinois, signifie simplement siège, et, par extension, s’asseoir sans faire de bruit. Le mot sanscrit utilisé dans le Dhyâna d’origine, antara, est très proche d’asana (siège, position) utilisé en hatha-yoga… « Faire zazen », c’est donc être assis en silence. Le zazen, c’est la méditation silencieuse.
Techniquement, la pratique du Zen passe par le zazen (za – s’asseoir – zen) autrement dit sur des techniques respiratoires en position assise. L’application au sport est évidente. C’est grâce à la pratique du zazen que l’homme a réussi à dépasser les 100 mètres de profondeur en apnée.
L’assise (za) peut, techniquement, prendre plusieurs aspects… celui du lotus (padmasana) issu de la pratique du dhyâna ; du demi-lotus (siddhasana) issu du chan chinois ; du seiza (littéralement « assise correcte » en japonais) agenouillé, dit birman, ou du vajrasana (position du diamant) plus caractéristique des pratiques japonaises. Cette assise est généralement facilitée, notamment dans l’École Soto, par l’usage d’un coussin de méditation (zafu) sur lequel reposent les fesses, tandis que les genoux, en contact avec le sol, reposent ; soit sur le tatami (natte de paille tressée) soit sur un coussin de forme carrée (zafuton). Ou, à défaut, une couverture pliée.
À ce sujet, un maître indien d’astanga yoga (yoga des huit piliers) d’où est originellement issu le dhyana, devenu le chan puis le zen, Patanjali, n’acceptait comme élèves, et à plus forte raison comme disciples (sisya) ; que ceux qui étaient capables de reproduire parfaitement et sans hésitation le pliage particulier de cette couverture. À ceux qui prétendaient être venus étudier le yoga, et non plier des couvertures, il rétorquait : « Si vous n’êtes pas capable d’apprendre à pratiquer le simple pliage de couverture, comment pourrez-vous apprendre à votre corps à se plier ? »
Mais, quelle que soit la position, donc l’assise (za), il convient avant tout, comme le précisait Patanjali, fondateur de cet astanga yoga… donc du dhyana… que celle-ci soit simplement « shtira soukham » (shikantaza en japonais), c’est-à-dire en équilibre et plaisante…, donc juste ! Le dos est droit, le menton légèrement rentré, la bouche fermée, la pointe de la langue touchant le palais antérieur, les yeux mi-clos. La respiration, profonde et fluide, doit venir de l’abdomen (tanden). La position des mains peut varier suivant les Écoles. L’École Soto préconise, par exemple que la main gauche repose dans la main droite, les pouces joints ne formant « ni vallée ni montagne ».
Plusieurs Écoles chinoises de chan ainsi que l’École coréenne Taego, recommandent, au contraire, que la main droite soit collée à la main gauche, comme pour un simple salut ou une prière les mains jointes ; et que les deux pouces et les doigts forment un bouton de lotus…
Certaines Écoles préconisent de se concentrer sur la respiration, d’autres sur les koan (paradoxes) ou sur la « non-concentration » (shikantaza) du « s’asseoir juste ».
À partir de là, il est évidemment possible d’agrémenter cette méditation par un rituel puis de situer ce rituel dans un espace sacré.
Dans cette hypothèse, il convient alors d’adapter cet espace. Une fois consacré, cet espace doit aussi être reconnu. Rituel, consécration et reconnaissance se manifestent donc dans des activités aussi
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dissemblables et complémentaires que les diverses marches et cérémonies initiatiques permettant de délimiter une enceinte.
Plusieurs Écoles pratiquent ainsi la marche rituelle (kin hin) ainsi que diverses activités de travail manuel (samu) dont certaines consistent simplement à nettoyer le lieu de méditation. *
La consécration passait, jadis, par un combat ou une lutte symbolique contre les puissances des ténèbres, puis par une purification de l’enceinte sacrée. Les moyens connus et réputés résidaient principalement dans le tir à l’arc (décocher plusieurs flèches considérées comme purificatrices ou magiques). Il est donc tout à fait normal et conforme à cette ancienne tradition que le tir à l’arc soit encore considéré comme faisant partie intégrante de la pratique du chan ou du zen.
L’autre moyen de purification connu de tout temps réside dans la lutte rituelle. Or, nulle part ailleurs qu’au monastère de Shaolin, berceau initial du chan, ne fut mieux développé l’art du combat mené à mains nues. Les moines de ce monastère ayant obtenu de l’empereur de Chine en personne l’autorisation de posséder ou d’utiliser des armes ; comme celle, par ailleurs, de consommer de la viande. Mais cette lutte à mains nues ne possède, en réalité, aucune autre justification logique que celle du rituel sacré. Ce principe se retrouve au Japon dans le sumo. Cette appartenance, à l’obédience bouddhiste, des formes martiales issues de Shaolin, donc attachées, qu’on le veuille ou non, au chan, demeure explicite ; puisqu’on les qualifie, en Chine, d’externes (wai jia) par opposition aux formes issues de la tradition taoïste qualifiées d’internes (nei jia).
Ces pratiques de purification s’accompagnaient aussi nécessairement de l’utilisation d’instruments particuliers, qualifiés, à tort, d’instruments de culte.
N.B. Originellement le dhyana faisait partie du Bouddhisme dit du « Grand Véhicule » (Mahayana), par opposition au Bouddhisme du « Petit Véhicule » (Hinayana) considéré comme plus formel et rituel.
* On en a un excellent exemple encore plus barbare que Bodhidharma aux yeux des Chinois, dans le comportement des prêtresses celtes évoquées ainsi par Strabon (IV, IV, 6).
« Dans l’Océan, il rapporte qu’il y a une petite île, pas très loin en pleine mer, située au large de l’embouchure de la Loire, et que cette île est habitée par des femmes Namnètes [en grec Samnitôn]. Elles sont possédées par l’esprit de Dionysos et se rendent ce dieu propice en l’apaisant par de mystérieuses initiations aussi bien que par d’autres cérémonies sacrées… Et, raconte-t-il, une de leurs coutumes une fois par an consiste à enlever le toit de leur temple et à le remettre le même jour avant le coucher du soleil, chaque femme portant son fardeau à mettre sur le toit. Mais la femme qui le laisse tomber de ses bras est mise en pièces par les autres, et alors elles portent ses restes en tournant autour du temple avec des cris d’enthousiasme (dionysiaque) sans s’arrêter, jusqu’à ce que leur frénésie retombe. Et il arrive toujours, ajoute-t-il, que l’une d’entre elles bouscule la femme qui doit subir ce destin ».
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ANNEXE Nº 11.
LA PHILOSOPHIE DE BODHIDHARMA.
Pour accéder à la réalité « ultime » immanente absolue…, il existe plusieurs méthodes. Selon Bodhidharma, elles peuvent se ramener à deux : l’éveil par l’intuition, par une foi profonde (cas de l’auentieticos gallois), et d’autre part, à l’aide d’une pratique, une attitude, celle évidemment à soutenir face aux forces négatives. Cet exposé appelé « Traité des deux accès » nous a été conservé dans un recueil datant du Xe siècle intitulé « la transmission de la lampe », et dont Bodhidharma serait l’auteur. Ce traité, le plus ancien texte du bouddhisme chan, constitue un des piliers centraux du zen des origines. Ce zen des prémices encore fort imprégné d’esprit indien, après avoir été traduit en tibétain et transmis de façon partielle en Corée et au Japon, a été redécouvert au début du XXe siècle. Parmi les milliers de manuscrits cachés dans une grotte de Dunhuang, une oasis située aux confins de la Chine, sur l’ancienne route de la soie. Il s’agit en fait d’un résumé de divers traités doctrinaux (Traité des deux Accès, mais aussi Mélanges I, II, III) ; où des sujets comme l’éloge de la spontanéité, voire le dhyâna démoniaque, sont traités avec une dialectique propre à l’école Madhyamika, le tout alliant la scolastique bouddhique du Grand Véhicule à l’anti-intellectualisme le plus radical. Ses contradictions mêmes, ainsi que son style, témoignent de la vitalité ainsi que de la variété de cette tradition naissante du chan qui devait révolutionner le bouddhisme en Chine, et donner finalement ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de zen.
LES DEUX ACCÈS.
Il y a de nombreuses façons d’accéder à la Voie, mais pour résumer il n’y en a que deux sortes. L’une est l’accès par l’esprit et l’autre l’accès par la pratique. Par « entrée grâce à l’esprit », nous voulons dire « réaliser le principe essentiel grâce à l’enseignement écrit ». Cela confère une profonde foi dans la vraie nature des choses qui est fondamentalement la même dans tous les êtres. Quand quelqu’un se détachant de l’erreur et embrassant le vrai, dans la singularité de sa pensée, pratique la contemplation de paroi, il réalise alors qu’il n’y a ni soi ni autre, que les masses et les élites ont la même essence, et il s’en tient à cette idée sans plus jamais s’en écarter. Alors il ne sera plus jamais un esclave des mots, puisqu’il est entré en communion silencieuse avec l’esprit lui-même, loin de toute distinction seulement conceptuelle. Tel est « l’accès par l’esprit ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 5.
Autrement dit ce qui compte c’est de se fondre dans le Pariollon ou Grand Tout grâce à une illumination de l’esprit de type awenydd (auentieticos) ??
* Le terme chinois employé peut également se traduire par « Intuition supérieure » ce qui nous rapproche beaucoup de l’awenydd gallois.
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Par « accès grâce à la pratique », on entend les quatre comportements incluant toutes les autres attitudes.
Quels sont ces quatre comportements ?
A) Savoir comment répondre à la haine.
B) Être en harmonie avec ce qui nous détermine.
C) Ne rien convoiter de façon excessive.
D) Être en parfait accord avec le Dharma (son destin ?).
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1) Que signifie « répondre à la haine » ? Celui qui suit la Voie doit se dire ceci quand il affronte l’adversité : « J’ai vécu maintes existences au travers d’innombrables cycles en m’adonnant à des futilités au détriment de l’essentiel, et j’ai donc suscité ainsi une multitude d’occasions de me faire haïr, ou qu’on me veuille et qu’on me fasse du mal. Bien que n’ayant rien fait de répréhensible dans cette vie, je récolte le fruit de mes mauvaises actions passées. Ni les dieux ni les hommes ne sont pour quoi que ce soit dans ce qui m’arrive. Je dois donc supporter patiemment et de bon gré tous ces maux qui s’abattent sur moi, sans gémir ni me plaindre. Les soutras me conseillent de ne pas me soucier des maux qui peuvent m’arriver. Pourquoi ? Parce que, quand un esprit supérieur examine les choses de haut, il atteint aux conditions de cette causalité. Quand on a pris conscience de cela, on se retrouve d’accord avec l’esprit, car on fait alors le meilleur usage qui puisse être de cette haine en la mettant au service de son progrès dans la Voie en question. Voilà ce que l’on appelle « répondre à la haine » comme il faut.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 6.
Deux points donc.
Le premier, la croyance indienne en la réincarnation systématique. Croyance nullement druidique comme nous avons pu le voir. La possibilité que le bran (le carma) puisse expliquer la destinée de certains individus n’est admise qu’exceptionnellement dans le vrai druidisme (dans le cas des bacuceos). La règle générale est la non-réincarnation en ce monde, la règle générale est la réincarnation DANS UN AUTRE MONDE.
Le deuxième. Il faut savoir rester positif face à l’adversité même la plus cruelle et accepter son destin.
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2. La seconde pratique consiste à « être en harmonie avec ce qui nous détermine ». Il n’y a rien dans les individus qui ne soit le résultat de conditions venant de leur plus lointain passé. Les plaisirs ou les peines que j’éprouve sont le résultat de mes actions passées. Si je gagne argent ou honneur, etc. ceci n’est dû qu’à mes actions passées qui affectent ma vie présente en vertu du principe de causalité. Quand cette force sera épuisée, le résultat dont je bénéficie actuellement disparaîtra aussitôt ; à quoi bon alors m’en réjouir ? Que ce soit en bien ou en mal, acceptons le processus qui m’apporte l’un et l’autre. L’esprit ne connaît aucune variation. Le vent du plaisir (ou de la peine) ne doit pas nous émouvoir, car nous suivons la Voie. Voilà ce que nous appelons « être en harmonie avec ce qui nous détermine ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 7.
Même chose que précédemment !
Ce qui nous arrive n’est que le résultat de notre Destin ou Tokad (moyen gallois tynghed, breton tonket, destiné, vieil irlandais tocad, destin, toicthech « fortunatus », tonquedec en breton. Le labarum est son messager) INDIVIDUEL
Il faut donc tout prendre avec philosophie.
Toute action manifestée, le frémissement d’une branche, la chute d’une feuille, le mouvement des nuages peut être un message du Destin ou Tokad. Étudier puis interpréter ces messages (labarum) était d’ailleurs déjà la grande affaire des anciens druides.
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3. La troisième pratique consiste à « ne rien convoiter de façon excessive ». Par « ne rien convoiter de façon excessive (ch’iu) », il faut comprendre ceci : les hommes d’ici-bas, dans leur égarement, s’attachent à des choses diverses. Les sages eux comprennent la vérité des choses et ne l’ignorent pas. Leurs esprits demeurent sereins dans l’incréé pendant que leur corps se meut en accord avec les lois de la causalité. Tout est creux et il n’y a rien à en désirer. Là où il y a le bien de la lumière se tapit aussi certainement au revers le mal des ténèbres. Le triple monde dans lequel nous demeurons est comme une maison en feu ; tout ce qui a un corps souffre, et personne ne sait réellement ce qu’est la quiétude. Les sages sont imprégnés de cette vérité, ils ne s’attachent pas aux choses qui changent sans cesse, leurs pensées sont paisibles, ils ne désirent rien de façon excessive. Il est dit dans un
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soutra : là où il y a désir excessif, il y a souffrance ; arrêter de désirer de façon excessive et vous serez bénis ». Il n’est donc pas recommandé « de désirer quoi que ce soit de façon maladive ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 8.
La philosophie bouddhiste du néant, une philosophie avec laquelle les vrais très-sachants de la druidiaction (druidecht) ne pourront jamais être complètement d’accord. Ce qui demeure c’est que tout est relatif et toute médaille a son revers, mais d’un mal peut surgir un bien, la vie peut surgir de la mort, etc. Voir ce que dit César à propos du « Dispater » celte.
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4. La quatrième pratique consiste à « être en parfaite harmonie avec le Dharma ».
« Être en parfait accord avec le Dharma » signifie que le Destin que nous appelons Dharma est par essence pur, et que ce Destin est le principe de la vacuité dans tout ce qui se manifeste ; il est au-dessus des souillures et des attachements excessifs, il n’y a ni « je » ni « autre » en lui. Il est dit dans un soutra : « Il n’existe pas d’êtres sensibles, dans le Dharma, car il est en fait exempt de la tache qu’est l’existence ; il n’existe pas de « je » dans le Dharma, car il est en fait exempt de la tache qu’est le moi. Quand les sages ont compris cela et y croient profondément, leur existence sera « en harmonie avec leur Destin (Dharma).
De même qu’il n’y a dans le Dharma aucun désir de posséder quoi que ce soit, les sages sont toujours prêts à n’épargner ni leur corps, ni leur vie, ni leurs biens, et ils ne sont pas envieux, ils ignorent ce qu’est la mauvaise grâce. Comme ils comprennent parfaitement la triple nature de la vacuité, ils sont au-dessus de toute partialité, ainsi que de tout attachement. Mus par leur seul désir de purifier tous les êtres pouvant exister, ils viennent parmi eux comme eux, mais ils ne sont attachés à aucune forme précise. C’est le seul bénéfice qu’ils tirent de ce stade de leur vie. Mais ils savent également de quelle façon en faire profiter les autres, et magnifier ainsi la vérité de l’illumination ».
Bref, l’enseignement de Boddhidharma peut donc se résumer ainsi : une transmission particulière du bouddhisme, en dehors des écritures officielles, ne dépendant ni des mots ni des lettres et visant directement l’âme humaine, une introspection dans sa propre nature afin d’atteindre la bouddhicité.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 9.
Autrement dit générosité, ardeur et aucune peur de la mort. Mais aucun de ces concepts n’était inconnu des Celtes antiques.
Et pour le reste on retrouve la même idée en Extrême-Occident si l’on en croit ce texte de Plutarque (De defectu oraculorum).
Sur l’échec, la fin, ou l’obsolescence, des oracles [en grec Peri tôn ecleloepotôn chrêstêriôn].
… Démétrius dit que parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels ». Ils ajoutent en outre qu’il y a dans cette partie du monde une île où Cronos est tenu confiné, gardé pendant qu’il dort par Briarée ; car le sommeil est le lien qui le retient enchaîné en ce lieu, et que tout autour sont de nombreux démons qui lui servent de valets ou de serviteurs…(Plutarque, œuvres morales, tome V, 29).
Les êtres supérieurs ou grandes âmes/esprits de ce texte (semnothées) sont l’exact équivalent des bodhisattvas du bouddhisme.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 10.
Tout ce qui précède est bien entendu mon interprétation personnelle de la pensée initiale de Bodhidharma. Les juifs peuvent en avoir une autre les chrétiens une autre et les musulmans une autre encore, car le chinois est une langue bien aussi difficile que le français, langue que je regrette de ne pas maîtriser aussi bien que je voudrais (je ne suis ni professeur de français ni membre de l’Académie). Je suis donc constamment obligé de consulter des dictionnaires ou de vérifier mon orthographe.
ANNEXE N° 12.
LE KOUNG FOU.
Le terme « koung-fou » (ou « goung-fou ») signifie littéralement « accomplissement suite à de grands efforts », mais c’est aussi le nom d’une catégorie d’arts martiaux chinois se caractérisant généralement par des coups secs et des coups de pied.
Histoire du Koung Fou
Beaucoup d’auteurs pensent que le Koung-Fou tire son origine du temple de Shaolin en Chine. Ce n’est pas le cas.
Même si beaucoup de gens croient que les arts martiaux chinois sont apparus à Shaolin, certains indices suggèrent que les arts martiaux chinois étaient déjà florissants avant même la construction du temple. Le temple a été bâti au IIIe siècle de notre ère, mais le médecin appelé Houa Tuo avait déjà recours à des exercices fondés sur les mouvements des animaux pour améliorer la santé physique de ses patients bien avant cette date. Houa Tuo vivait à l’époque des Trois Royaumes, autour de 220 à 265 ans. Houa Tuo aurait mis au point une série d’exercices fondés sur cinq mouvements animaux : tigre, ours, singe, cigogne et cerf. Il existe donc encore aujourd’hui une relation étroite entre le mouvement animal et les arts martiaux chinois.
Da Mo (Bodhidharma)
En l’an 527, un moine connu appelé Da Mo (Bodhidharma) parvint au temple de Shaolin. Ce serait un moine indien probablement né à Kanchipuram, près de Madras. Da Mo se rendit dans la ville de Kouang, aujourd’hui connue sous le nom de Canton, où il fut convoqué à une audience de l’empereur de l’époque, Wou, Ti de la dynastie des Liang. L’empereur avait demandé aux moines locaux de traduire les textes bouddhistes du sanscrit en chinois, afin de permettre à la population de pratiquer la religion bouddhiste. Après son audience avec l’empereur, Dat Mo se rendit dans un monastère du royaume de Ouei avant d’arriver finalement au temple de Shaolin. On refusa de le laisser entrer sans doute parce qu’il était étranger. Rejeté par les moines, Da Mo se rendit dans une grotte voisine et médita en fixant sa paroi pendant neuf ans, jusqu’à ce que les moines reconnaissent cette prouesse religieuse et le laissent entrer. La légende veut qu’il ait réussi à percer une des parois de la grotte à force de le regarder. On ignore la véritable raison pour laquelle Da Mo s’attira la reconnaissance des moines de Shaolin. Après avoir été admis dans le temple, Da Mo y aurait trouvé ses moines trop faibles, physiquement et mentalement, pour pratiquer la méditation intensive nécessaire à leur illumination. Da Mo est considéré comme le fondateur du bouddhisme Chan, plus connu par son dérivé japonais, le bouddhisme zen.
Pour réussir la remise en forme des moines, Da Mo a imagina des exercices combinant le mouvement physique et la respiration, renforçant ainsi le corps et l’esprit de ses disciples. Cela les rendit capables de suivre leur voie spirituelle avec plus de vigueur. Comme Da Mo était lui-même issu de la caste guerrière (Ksatriva), il est donc possible que certains exercices aient été inspirés de la tradition martiale indienne. Les premiers exercices de koung fou étaient essentiellement de nature interne et visaient à améliorer la santé, à contrôler l’esprit et à percevoir la nature de Bouddha. Le contenu de cette formation est parvenu jusqu’à nous comme pouvant se résumer à :
— Des exercices pour renforcer le corps en travaillant les tendons (Ye Goun Koung).
— L’art de se nettoyer (le corps – l’esprit) : Sai Choi Koung.
— Une pratique de la méditation comprenant des exercices immobiles ou en mouvement, qui forme le pratiquant à détecter, améliorer et enfin contrôler, le mouvement du Chi dans son corps ; ainsi qu’une formation spirituelle, un effort pour percevoir directement son « aspect originel » ou sa « nature de Bouddha » (Sime Koung).
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Les arts martiaux chinois, ainsi que les arts martiaux qui ont suivi, semblent donc être le résultat d’un métissage culturel entre Inde et Chine et des allées et venues entre ces deux pays. Les moines et les marchands faisaient constamment le voyage et il n’est pas déraisonnable de supposer qu’ils avaient besoin de gardes du corps entraînés voire même d’apprendre à se défendre eux-mêmes.
ANNEXE N° 13.
LE KALARIPAYATT.
Le nom de kalaripayatt vient de deux mots utilisés en malayalam, une langue du Kerala en Inde. Kalon signifie « champ de bataille » et payit « pratique ». Le mot veut donc dire « pratique du champ de bataille ».
Ce sport a son origine dans l’art de la guerre antique de l’Inde (Dhanurveda 1) et la médecine traditionnelle indienne (Ayurveda). Le vajramushti a aussi certainement influencé le kalaripayatt. Il est considéré comme la plus ancienne forme traditionnelle de culture physique, d’autodéfense, et de techniques martiales. Technique d’autodéfense avant tout, il se pratique avec des armes ou à mains nues, mais ne va pas sans spiritualité. L’élève de kalaripayatt développe concentration, souplesse, réflexes, puissance et souffle.
Il est impossible de savoir avec précision à quand remontent les débuts du kalaripayatt. Nous n’avons guère pour cela que les légendes indiennes. Celle de Parasurama, rapportée surtout dans les chansons de la côte du Malabar (Nord du Kerala), raconte que ce noble seigneur fonda ET l’État du Kerala (en jetant sa hache de combat en mer d’Arabie !) ET le kalaripayatt. Ayant acquis la double qualité de sage et de guerrier, Parasurama, premier luctérios (maître), aurait transmis son art à 21 disciples et fait construire 108 kalaris (écoles) pour qu’ils protègent son nouvel État.
Vers l’an 520, la légende raconte qu’un moine bouddhiste du sud de l’Inde, Bodhidharma, membre de la caste des guerriers, aurait appris d’un grand lucterios du kalaripayatt, l’art de manier le bâton (silambam), seule « arme » autorisée aux pèlerins de l’époque, ainsi que le combat livré à mains nues (suvadu) ; et le contrôle du souffle (pranayama). Bodhidharma joue un rôle important dans l’histoire des arts martiaux : il passe pour avoir développé la boxe de Shaolin, à l’origine du kung-fu. Ce qui est certain c’est que les arts martiaux pratiqués en Inde et en Chine montrent de nombreuses similitudes. Les enchaînements de mouvements, les positions d’inspiration animale et les techniques secrètes utilisées dans le kalaripayatt, sont en de nombreux points semblables à ceux du kung-fu.
À ne s’en tenir qu’à l’histoire incontestable, le Kalarippayatt, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, a fait son apparition entre le XIIe et le XIVe siècle. Et a ensuite atteint son apogée entre le XVe et le XVIIe siècle. À l’époque, la région du Kerala était divisée en nombreux royaumes et principautés, chaque village avait donc son kalari (lieu de pratique du kalaripayatt) où le luctérios (maître) jouait un rôle primordial dans l’éducation des jeunes, ainsi que dans l’entraînement des guerriers. Il regroupait alors hommes et femmes sans distinction de race, de religion ou de caste. Les pratiquants étaient alors appelés à se battre (parfois en duels) lors des multiples conflits entre royaumes au sein du Kerala.
Avec la colonisation de l’Inde par les Anglais, la science du kalaripayatt manqua de disparaître. Les colons en interdirent même la pratique en 1804. Elle a repris en 1947, mais les femmes en furent alors écartées, on se demande bien pourquoi.
Le kalaripayatt n’est pas qu’une gymnastique, c’est un art martial redoutable. Ces formes sont, il est vrai, quelque peu ésotériques : les applications martiales ne sont pas données d’emblée, il faut les pratiquer pour les découvrir.
C’est une discipline constituée d’un mélange complexe de prouesses physiques, d’une mentalité forte, de techniques martiales, ainsi que d’un solide savoir médical ancestral. Si, dans la plupart des autres formes d’arts martiaux, les lutteurs utilisent une armure pour protéger leur poitrine, leurs avant-bras, ou leur tête, dans le Kalarippayatt, qui emploie pourtant les armes les plus mortelles, il n’existe pas de telle protection. Le lutteur doit, pour se protéger, se fier uniquement à sa vigilance, à son agilité, ainsi
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qu’à des mouvements rapides pour l’attaque et l’autodéfense. C’est pourquoi donc on peut considérer ce sport comme une discipline de combat, exigeante.
On dit LE kalaripayatt, mais il existe en fait différents styles, dont deux principaux : le style du Nord et le style du Sud. Dans le premier, l’accent est mis plutôt sur les armes ; dans le second, sur les techniques à mains nues.
Le style du Nord.
Le nord de l’État est le véritable berceau du kalaripayatt. Ses techniques de combat sont nées directement de l’observation de la nature et des animaux par les hommes. Plus tard, la connaissance du Dhanur-veda (deuxième livre) descendit du nord de l’Inde avec les Aryens pour se mêler au savoir indigène local.
L’apprentissage est progressif. Avant même que d’aborder le maniement d’une arme, le pratiquant doit se plier à une longue préparation corporelle (ce qui est assez rare dans les arts martiaux !).
Le style du Nord est surtout pratiqué par les Nayars ou Naïrs de langue malayalam, qui se rattachent à la tradition culturelle du nord de l’Inde.
Le kalaripayatt du Nord se pratique dans un bâtiment dont les dimensions sont toujours les mêmes, 14 mètres sur 7. La maison a des murs épais, elle s’enfonce à un mètre environ au-dessous du niveau du sol. Ce bâtiment, le kalari ou champ de bataille du village, appartient au lucterios qui l’utilise parfois comme dispensaire ou comme salon de massage. Les élèves pratiquent toujours à l’abri de ses murs et la nuit, pour ne pas révéler les secrets de leur art.
Techniquement, le style du Nord se caractérise par des sauts et des coups de pied lancés très haut, de longues enjambées, une garde très ramassée, ainsi que par des coups et blocages avec le bras et la main presque complètement tendus. Les exercices d’échauffement sont particulièrement épuisants. La position fléchie est une particularité du style du Nord. Proche du sol, le pratiquant protège mieux ses principaux points vitaux situés sur l’avant du corps. Le style du Nord possède aussi en propre toute une gamme d’enchaînements de mouvements, armés ou non, et plusieurs techniques respiratoires, probablement empruntées au yoga, qui font partie de l’entraînement. Avant d’aborder le combat libre ou improvisé, l’élève doit maîtriser plusieurs séries de combats codifiés en duel.
Les armes.
— Bâton long ou pandicuran. Le pandicuran est un bâton souple et long. Ses objectifs, limités à cause de sa taille, sont le sommet du crâne, les tempes, sous le menton, les flancs, les jambes. Son maniement se décline en 12 séquences. L’entraînement au pandicuran commence par une courte prière appelée mukakettu.
— Bâton court ou mucan. Le mucan se pratique également à deux de manière codifiée, à ceci près que les attaques sont beaucoup plus courtes et rapides. Ce rythme soutenu prépare aux techniques à mains nues. L’entraînement commence aussi par une prière ou mukakettu spécifique.
— Bâton incurvé ou otta. Esthétique, martiale, fluide, l’otta est considérée par beaucoup de lucterios (maîtres) comme une technique modèle. Elle nécessite également de bonnes qualités physiques et psychologiques. Avec elle survient la forme « interne » ou énergétique de l’art martial, pourvu que la position soit juste, et l’esprit concentré.
— Dague. Cette arme millénaire était déjà employée à la période védique. Là encore, les combats sont codifiés. À ce stade de l’enseignement, l’équilibre, la concentration, et la fixité du regard doivent être parfaits.
— Couteau. Là, pas d’enchaînement, car il s’agit de, simultanément, bloquer/frapper, bloquer/désarmer ou esquiver/désarmer, son adversaire.
— Épée ou bouclier. Arme fétiche des nayars ou naïrs (la caste des guerriers kéralais) durant la période féodale, l’épée reste aujourd’hui encore une arme reine. Par rapport aux autres styles, le
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puliyankam (ou « style du léopard ») est le plus élaboré. Une pratique très féline et rapide où l’attaquant, caché derrière son bouclier, se tient prêt à bondir.
— Ouroumi et boucliers. L’épée à lame flexible appelée ouroumi est de loin la plus dangereuse, mais aussi la plus spectaculaire, des armes de kalaripayatt. Enroulée autour de la taille, elle peut être déployée en une fraction d’instant. Le débutant s’entraîne d’abord à la faire tournoyer seul avant de passer aux duels avec bouclier.
Le kalaripayatt du Sud se pratique souvent à l’extérieur et pendant la journée. Certains lucterios utilisent comme terrain d’entraînement une sorte de fosse, d’autres dispensent leur enseignement sous les cocotiers, derrière chez eux. De nombreux lucterios du Sud donnent leurs leçons dans plusieurs villages et passent donc de longues heures à se déplacer d’un lieu à un autre pour s’occuper de leurs élèves au lever du soleil.
Les autels élevés en l’honneur des divinités hindoues sont moins nombreux et moins élaborés sur les terrains d’entraînement du Sud ; mais dans tous les cas les élèves des deux styles doivent adresser leurs salutations à leurs dieu-ou-démons particuliers, ainsi qu’à leurs lucterios, avant de commencer à s’entraîner. Le kalari possède en fait tout un panth-éon de divinités, dont la figure dominante est bien entendu Kali, déesse-ou-démone indienne de la guerre (Catubodua en Extrême-Occident ou en Irlande).
Le style du Sud fait davantage appel aux mouvements circulaires, et il a peut-être l’air plus fruste que celui du Nord. Les coups et blocages s’effectuent généralement la main ouverte et le bras fléchi. Quant aux techniques d’utilisation des armes et aux enchaînements de mouvements pratiqués pour l’entraînement, ils diffèrent de ceux du style du Nord.
Ainsi, les sauts et coups de pied en hauteur sont-ils rares. La garde est plus haute et mieux assurée. Enfin, le style du Sud fait intervenir de puissants mouvements des bras, des épaules et du torse.
Médecine kalari.
Traditionnellement, le gouroukkal se devait, bien sûr, de savoir guérir ses combattants. Les soins dispensés dans les kalaris sont nés d’une médecine qui s’est développée parallèlement à l’ayurveda, au point qu’elles en viennent aujourd’hui à se confondre. Néanmoins, la pure médecine kalari s’appuie sur la connaissance des 107 marman (points vitaux), qu’il faut masser en cas de blessure. Il s’agit d’un système de santé externe qui aide l’organisme à se régénérer de lui-même. Actuellement, les lucterios de kalari ont pour patients élèves et villageois. Certains d’entre eux cultivent encore leur jardin médicinal à partir duquel ils préparent leurs propres huiles et potions. Le kalari (arène) se partage donc en deux espaces. L’un dédié à la pratique de l’art martial ; l’autre, à la médecine.
1. Dans les célèbres textes épiques du Mahabharata et du Ramayana, il est fréquemment fait référence au Dhanurveda, en tant que système d’entraînement élaboré, grâce auquel les personnes appelées à combattre pouvaient obtenir les qualités nécessaires à l’accomplissement de leur devoir. La pratique était entourée de rituels et combinait un entraînement technique à des exercices de yoga, la méditation, et l’utilisation de mantras, permettant d’accéder à un contrôle de soi supérieur ainsi qu’à des prouesses dans l’utilisation des armes de combat. NDLR. Le Dhanurveda, ou « Veda de l’arc » est aussi un traité sur l’archerie et l’art de la guerre.
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
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« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
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PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails, voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir
entre ancien druidisme et néo-druidisme.
— Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
— Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
— Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
— Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
— Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Le christianisme celtique.
Saint Ninian
Palladius ou Pledi
Saint Patrice
Principales caractéristiques du christianisme celtique
De l’extinction progressive de l’Église celtique
Les moines culdées.
ANNEXES.
N° 1 La navigation de saint Brendan.
N° 2 La règle des Culdées selon Maelruain de Tallaght
N° 3 La règle des moines de Colomban de Bobbio
N° 4 La règle conventuelle attribuée à Colomban de Bobbio.
N° 5 Le pénitentiel de Colomban de Bobbio
N° 6 Règle de saint Benoît de Nursie quant à l’habillement
N° 7 Tentative de reconstitution du fonctionnement d’une école druidique
N° 8 Premier pénitentiel de saint Colomban REFAIT.
N° 9 Le pénitentiel proprement dit de saint Colomban REFAIT.
N°10 Bodhidharma le moine guerrier.
N° 11 La philosophie de Bodhidharma.
N° 12 Le Koung Fou.
N°13 Le kalaripayatt
Postface à la John Toland.
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
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1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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