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TEXTES APOCRYPHES IRLANDAIS
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TEXTES APOCRYPHES IRLANDAIS
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ODE AUX TRÈS-SACHANTS.
La moitié du malheur de l’Humanité vient du fait que, il y a plusieurs milliers d’années, quelque part au Moyen-Orient, des peuples de par leur langue ont conçu la spiritualité ou la mystique…
— Non comme une quête de sens, d’espoir ou de libération avec les concepts qui s’y rattachent (distinction opposition ou différence entre matière et esprit, éthique, discipline personnelle, philanthropie, vie après la vie, méditation, quête du Graal, pratiques…).
— Mais comme une loi (DIN) gigantesque et protéiforme devant régir la vie quotidienne des hommes avec tout ce que cela implique.
Des obligations ou des interdits que tout un chacun doit respecter jour et nuit.
Des infractions ou des contraventions à cette multitude d’interdits quand ils ne sont pas suivis à la lettre.
Des jugements quand une ou plusieurs de ces lois sont violées.
Des condamnations. Pour les coupables.
Des non-lieux ou des relaxes pour les innocents APPELÉS JUSTES…
CETTE CONFUSION ENTRE LE NUMINEUX ET LE RELIGIEUX PUIS ENTRE LE SACRÉ ET LE PROFANE NOUS POURRIT LA VIE DEPUIS 4000 ANS VIA ISRAËL ET SURTOUT LES NOUVEAUX ISRAËL QUE VEULENT ÊTRE LE CHRISTIANISME ET L’ISLAM.
Le principe de base de notre Ollotouta nous a été donné, il y a longtemps déjà, par notre maître à tous en ce domaine ; le grand barde gaélique fondateur de la Libre-pensée moderne, que l’on évoque habituellement sous le nom anglicisé de John Toland. Il ne peut pas y avoir par définition de choses contraires à la Raison dans de Saintes Écritures émanant vraiment du Divin.
S’il y en a, il s’agit alors, soit d’erreurs, soit de mensonges !
Ou il n’y a aucun mystère, ou alors il ne s’agit en aucune façon d’une révélation divine !
Il n’y a aucun moyen terme… Nous ne reconnaissons pas d’autre orthodoxie que celle de la Vérité, car où qu’elle soit en ce monde, doit également se tenir, nous en sommes totalement convaincus, l’Église de Dieu, et pas celle de telle ou telle faction humaine… Nous sommes par conséquent partisans de ne faire aucun quartier à l’erreur sous quelque prétexte que ce soit, chaque fois que nous aurons la possibilité ou l’occasion de l’exposer sous ses vraies couleurs.
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1696. Le christianisme sans mystère.
1702. Vindicius Liberus. Réponse de John Toland aux détracteurs de son « christianisme sans mystère ».
1704. Lettres à Serena contenant l’origine de l’idolâtrie et les raisons du paganisme, l’histoire de la doctrine de l’immortalité de l’âme chez les païens, etc. (Version baron d’Holbach, un philosophe allemand).
1705. Le vrai socinianisme * en tant qu’exemple de débat courtois en matière de théologie *.
Précédé de l’Indifférence dans les disputes, recommandée par un panthéiste à un ami orthodoxe.
1709. Adeisidaemon ou l’homme sans superstition. Les origines juives.
1712. Lettre contre le papisme, et en particulier contre le fait d’admettre l’autorité des Pères ou des Conciles dans les controverses religieuses, par Sophie Charlotte de Prusse.
1714. Défense des juifs, victimes des préjugés antisémites, et plaidoyer pour leur naturalisation.
1718. Le destin de Rome, des papes, et la fameuse prophétie de saint Malachie, archevêque d’Armagh au treizième siècle.
Nazarenus ou le christianisme juif, goy, et mahométan (version d’Holbach), contenant :
I.L’histoire de l’ancien évangile de Barnabé, ainsi que le moderne évangile apocryphe des mahométans, attribué à ce même apôtre.
II. Le projet original du christianisme expliqué par l’histoire des Nazaréens, résolvant du même coup diverses polémiques à propos de cette divine (mais si hautement pervertie) institution.
III. L’analyse d’un manuscrit des quatre Évangiles irlandais avec un résumé de l’ancien christianisme d’Irlande et de ce que fut la réalité des culdées (un ordre mi-laïc, mi-religieux opposé aux deux derniers évêques de Worcester).
1720. Pantheisticon, sive formula celebrandae sodalitatis socraticae.
Tetradymus.
I. Hodegus. La colonne de feu et de nuée qui a guidé les israélites dans le désert n’était pas un miracle, mais comme le relate précisément l’Exode, une pratique également connue des autres nations ; et dans ces contrées non seulement utile, mais même nécessaire.
Il. Clidophorus.
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III. Hypatie ou l’histoire de la plus belle, de la plus vertueuse, de la plus instruite, de la plus accomplie des femmes ; qui fut lapidée par le clergé d’Alexandrie, afin de satisfaire l’orgueil, l’ambition, voire la cruauté, de l’archevêque Cyrille, communément, mais très improprement, appelé saint Cyrille.
1726. Histoire critique de la religion celte, contenant un aperçu sur les druides, ou les prêtres et les juges, sur les vates, ou les devins et médecins, et enfin sur les bardes, ou les poètes ; des anciens Bretons, Irlandais ou Écossais. Avec en plus l’histoire d’Abaris l’Hyperboréen, prêtre du soleil.
Un spécimen de la langue armoricaine (dictionnaire breton, irlandais, latin).
1726. Compte-rendu du livre de Giordano Bruno, sur l’infini de l’univers et la pluralité des mondes, traduit de l’édition italienne.
1751. Le Panthéisticon ou le mode de célébration de la société socratique. S. Paterson Londres. Traduction du livre publié en 1720.
« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme. La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi :
« Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
Le « Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même !
À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib 1) à leur répertoire ((cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle), ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen Âge.
Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible).
Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite).
Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie).
L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque **, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Les sociniens, puisque c’est ainsi qu’ils furent appelés par la suite, désiraient plus que tout restaurer le vrai christianisme qu’enseigne la Bible. Ils considéraient que la Réforme n’avait fait disparaître qu’une partie de la corruption et du formalisme, présents dans les Églises, tout en laissant subsister le mauvais fond : les enseignements non bibliques (ce qui est très discutable d’ailleurs).
** Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
1) Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PREMIÈRE PARTIE.
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ATTENTION ATTENTION ! MISE AU POINT PRÉALABLE !
LE LEBOR GABALA ERENN OU LIVRE DES CONQUÊTES DE L’Irlande NE CONSTITUE EN AUCUN CAS UNE « BIBLE » DE NOTRE DRUIDISME POUR LES RAISONS QUI SUIVENT.
RIEN N’EMPÊCHE NÉANMOINS DE L’ÉTUDIER POUR LES PÉPITES DE PUR PAGANISME QU’IL CONTIENT.
Contrairement à ce que pense le grand spécialiste français de la question qu’est Christian-J. Guyonvarc’h, en ce qui nous concerne nous n’inclurons pas le Livre des Conquêtes de l’Irlande ou Lebor Gabala Erenn dans les grands textes mythologiques celtiques, pour une raison simple : ce livre des Conquêtes de l’Irlande n’est qu’une forgerie de toute pièce rassemblée au petit bonheur la chance par des bardes médiévaux nourris de sous-culture chrétienne. Il n’y a dedans que quelques grumeaux de pure mythologie druidique, mais noyé dans une soupe ou un brouet vraiment insipide, bien à la mode de l’époque. Même si les premiers à s’être intéressés à cette forgerie sont Henri Lizeray ainsi que William O’Dwyer en1884 (à la suite du frère Mícheál Ó Cléirigh).
Le Lebor Gabala Erenn qui se veut être un compte-rendu littéral et précis de l’histoire d’Irlande peut en réalité s’analyser comme une tentative de doter les Irlandais d’une histoire comparable à celle que les Israélites se sont donnée à eux-mêmes au travers de l’Ancien Testament. En recourant aux mythes païens d’Irlande à la fois gaéliques et prégaéliques, mais réinterprétés à la lumière de la théologie judéo-chrétienne et de l’historiographie. Cette œuvre composite nous montre donc une île soumise à différentes invasions, chacune ajoutant un nouveau chapitre à l’histoire du pays. Les paradigmes bibliques ont fourni à ces historiens d’un nouveau genre des schémas narratifs qui ne demandaient qu’à être adaptés à leur dessein. Nous retrouvons ainsi les ancêtres des Gaëls réduits à l’état d’esclaves en des terres étrangères comme les Hébreux en Égypte, ou dispersés en une étrange diaspora, ou à la recherche de leur terre promise.
De nombreux fragments d’une pseudo-histoire de l’Irlande circulaient déjà au VIIe et au VIIIe siècle, mais les plus longs et les plus documentés sont ceux figurant dans l’Historia Brittonum ou Histoire des Bretons du moine gallois Nennius (829-830). Nennius nous livre là deux récits différents censés parler de la plus haute antiquité irlandaise (à partir de divers matériaux notamment français, ce qui n’est pas une référence en la circonstance).
Le premier d’entre eux, le Nennius dit breton, évoque une série de colonisations successives à partir de l’Ibérie opérées par des peuples prégaéliques : toutes se retrouvent dans le livre des invasions.
Le second le Nennius écrit en gaélique nous parle de l’origine des Gaëls eux-mêmes et décrit comment à leur tour ils sont devenus les maîtres du pays et par conséquent les ancêtres de tous les vrais Irlandais.
Ces deux récits de base furent enrichis et retravaillés par les bardes irlandais tout au long du IXe siècle. Aux Xe et XIe siècles, plusieurs longs poèmes historiques furent composés sur le même sujet puis incorporés dans le schéma général du Livre des Conquêtes.
On peut donc de la sorte identifier quatre grands poètes chrétiens ayant contribué à l’élaboration finale.
Eochaidh Ua Floinn (936-1004) d’Armagh. Les poèmes 30, 41, 53, 65, 98, 109, 111.
Flann Mainistrech mac Echthigrin (mort 1056), lecteur et historien de l’abbaye de Monasterboice. Les poèmes 42, 56, 67, 82.
Tanaide (mort vers 1075). Les poèmes 47, 54, 86.
Gilla Cómáin mac Gilla Samthainde (vers 1072). Les poèmes 13, 96, 115.
Par la suite quelques années plus tard un érudit anonyme, mais toujours chrétien a sans doute réuni tous ces poèmes ainsi que de nombreux autres et les a insérés dans un cadre en prose, en partie dû à sa plume en partie extrait de sources plus anciennes, mais aujourd’hui disparues, qui développait ou paraphrasait ces passages versifiés. Le résultat final étant donc que les différents états de la langue gaélique utilisée pour composer cette œuvre relèvent du moyen irlandais (période allant de 900 à 1200).
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RAPPEL.
« Drasidae (sic) memorant re vera fuisse populi partem indigenam, sed alios quoque ab insulis extimis confluxisse et tractibus transrenanis, crebritate bellorum et adluvione fervidi maris sedibus suis expulsos » (Timagène, cité par Ammien Marcellin, Rerum Gestarum Libri ou Res Gestae « Histoire de Rome », livre XV, chapitre IX, 4).
« Les druides affirment qu’une partie du peuple est réellement indigène, mais que les autres ont afflué d’îles très lointaines, et de régions situées au-delà du Rhin, chassés de leurs précédentes demeures par des guerres trop fréquentes, et aussi quelquefois par des raz-de-marée » [littéralement : par l’inondation d’une mer démontée].
« Les Cynètes * habitaient la forêt des Tartessiens, dans laquelle dit-on les Titans firent la guerre aux dieux. Le plus ancien de leurs rois fut un dénommé Gargorix, il fut le premier homme à récolter le miel. Ce prince ayant eu un petit-fils, né d’une intrigue amoureuse de sa fille, il essaya de le faire périr de diverses façons, car il était la preuve vivante de l’infamie de sa conduite et de sa non-chasteté. Mais ce dernier parvint néanmoins à monter un jour sur le trône après avoir, grâce à sa bonne fortune, pu échapper à tous ces dangers. Le roi son grand-père, touché par tous ces périls qu’il avait dû affronter, finit en effet un jour par y consentir.
Il avait d’abord ordonné qu’on l’abandonne afin qu’il meure de faim ; mais quand il envoya quelques jours plus tard des hommes pour ramener son corps, ces derniers découvrirent alors que l’enfant avait été allaité par diverses bêtes sauvages et le ramenèrent donc toujours vivant. Le roi ordonna donc cette fois-ci qu’on le dépose sur un chemin étroit emprunté chaque jour par des troupeaux de bétail, car dans sa cruauté il voulait que le malheureux meure foulé aux pieds ou réduit en pièces par ces animaux plutôt que d’un facile et rapide trépas. Comme l’enfant là encore en sortit miraculeusement indemne et sans même être affamé, il le fit jeter aux chiens, préalablement affamés depuis plusieurs jours, ensuite à des porcs ; mais comme il était toujours bien en vie, et qu’il avait même été allaité par certaines truies, alors il ordonna pour finir qu’on le jette à la mer. Mais suite à l’intervention manifeste de quelque déité, il fut porté par la marée montante au milieu du flux et du reflux des eaux, comme s’il avait été à bord d’un grand vaisseau et non ballotté par les flots, puis déposé en douceur par l’océan, sur une plage, où une biche arriva et allaita aussitôt l’enfant. Le malheureux garçon finit par avoir le pied si léger en suivant partout sa nourrice animale qu’il parcourait donc les montagnes et les forêts au milieu des hardes de cerfs avec autant de rapidité qu’eux. Pris un jour au piège dans des filets, il fut offert au roi qui, au vu des traits de son visage, ainsi qu’à certaines marques faites sur son corps alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson, le reconnut comme son petit-fils. Après quoi, en raison de l’admiration que le roi ne pouvait s’empêcher d’éprouver pour tous ces heureux hasards qui lui avaient permis de survivre ainsi à tant de périls, il fut choisi par lui pour lui succéder sur le trône.
On lui donna le nom d’Habis et, dès qu’il devint roi, il manifesta tant de grandeur qu’il sembla bien vite évident qu’il n’avait pas été sauvé en vain de tant d’épreuves mortelles par l’entremise des dieux. Il parvint à réunir sous de mêmes lois tous ces peuples barbares, leur apprit comment atteler des bœufs à une charrue et faire lever du blé de leurs sillons ; enfin, à cause peut-être des malheureux souvenirs de son enfance en ce domaine, il les contraignit aussi à ne plus se nourrir comme des bêtes…
Le travail servile fut aboli et la communauté répartie en sept cités. Après la mort d’Habis, la royauté de ce pays resta pendant de nombreuses générations entre les mains de ses descendants » (Justin, épitomé ou résumé des histoires philippiques et universelles de Trogue Pompée. Livre XLIV, chapitre IV).
« Les Celtes qui demeurent le long des côtes de l’Océan adorent les Dioscures plus que tous les autres dieux, puisqu’il existe chez eux une tradition remontant à la plus haute antiquité comme quoi ces dieux seraient apparus dans leur pays venant de l’océan. La contrée qui borde l’Océan regorge de noms évoquant les Argonautes et les Dioscures… » (Timée, historien grec cité par Diodore de Sicile. La Bibliothèque de l’Histoire. Livre IV, chapitre LVI).
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Certains grands spécialistes français comme C.-J. Guyonvarc’h, nient tout rapport entre druidisme et chamanisme ; mais si l’on veut bien tenir compte de ses origines chamanes, le druidisme est la plus vieille des religions du monde. Le mot (druidisme) pour désigner la religion des Celtes est, certes, d’origine relativement récente. Le Moyen-âge irlandais utilisait le terme druidecht, que nous pourrions plus ou moins rendre par « druiderie ». Le fait est qu’il n’y avait pas en réalité de terme spécifique, et ce que nous appelons druidisme aujourd’hui, était par exemple désigné par des périphrases, dont une au moins est attestée sous la plume de César. « Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels ». (César B. G. Livre VI, chapitre XIV).
Dernier point. Parler de druidisme au singulier (druidisme éternel, etc.) est une escroquerie intellectuelle. Il n’y a jamais eu UN druidisme ni une druiderie UNIFIÉE, il n’y a eu que DES druidismes au pluriel, variables suivant les lieux, les époques, voire suivant les classes sociales ou les communautés. Il n’y a donc jamais eu UN druidisme, mais DES ÉCOLES druidiques. Chaque fois que nous parlerons de druidisme au singulier, nous désignerons donc simplement par là les grandes lignes, ou les grandes tendances plus ou moins communes, à tous les lieux et à toutes les époques, druidiques. Et surtout pas un druidisme se voulant supérieur par rapport à d’autres formes de piété, une des thèses communes à toutes ces Écoles étant justement celle des différents niveaux de la vérité, CHACUN AYANT SA NÉCESSITÉ OU SON INTÉRÊT.
La question des sources maintenant.
Dès que l’on aborde le domaine du druidisme, le chercheur se trouve inévitablement confronté au problème des références.
Deux types de sources nous livrent des informations générales. Tout d’abord, les contemporains, parmi lesquels on peut citer, à titre d’exemple : Diodore de Sicile (Bibliothèque Historique), Strabon (Géographie), Pomponius Mela (De Chorographia), Lucain (La Pharsale), Pline l’Ancien (Histoire Naturelle), et surtout Jules César, avec ses célèbres commentaires. Ces témoignages donnent souvent une image négative des peuples celtes, mais on peut en extraire de nombreux éléments très intéressants.
La deuxième source est beaucoup plus tardive puisqu’il s’agit de la consignation par les clercs du Moyen-âge, des traditions orales, en Irlande. Cette littérature, dont la rédaction s’étale du VIIIe siècle au XVe siècle, vient opportunément confirmer ou compléter, les résultats des études des sources antiques.
Elle retranscrit les mythes ainsi que les épopées de l’Irlande celtique, transmis oralement de génération en génération. Les collecteurs transcripteurs ont affublé tous ces mythes d’un vernis chrétien, sous lequel l’étude découvre plus ou moins le substrat celtique original. Tout le travail des chercheurs en druidisme consiste donc à dégager la matière primitive de la mythologie celtique, tout en se situant dans le contexte indo-européen. Ces divers textes de la littérature irlandaise médiévale peuvent être regroupés en cinq grandes catégories.
— Le cycle mythologique qui comprend également les légendes sur le peuplement de notre île (les légendes sur Etanna ou Tochmarc Étaine, la mort des enfants de Tuireann, la bataille de la plaine des menhirs, le Lebor Gabala Èrenn ou Livre des Conquêtes de notre chère Irlande…
— Le cycle héroïque (dit aussi de la Branche rouge ou de l’Ulster) dont le héros principal est l’invincible CúChulainn (chien du forgeron). C’est dans ce cycle qu’il faut classer l’enlèvement des vaches de Cooley ainsi que l’émouvante légende de Deirdre…
— Le cycle des Fénianes (dit également ossianique ou du Leinster), dont les principaux héros sont Finn Mac Cumaill, son fils Ossian et son petit-fils Oscar.
— Le cycle historique (ou le cycle des rois).
— Les aventures navigations ou aislingi (visions) diverses. Conle, Bran fils de Fébal, Cormac, Saint Brendan, Tondale, le Purgatoire de saint Patrice, l’aisling ou vision d’Adamnan, les autres imrama ou echtra. Mais attention, seuls les echtra sont restés d’esprit vraiment païen, les imrama, eux, ont été plus largement christianisés.
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Cathbad drúi búi oc tabairt da daltaib fri hEmain anairtúaith. Cét fer n-déinmech dó oc foglaim druídechta úad. Is é lín doninchoisced Cathbad. Ocht n-dalta do aes in dána druidechta na farad (Tain Bo Cualnge).
Catubatuos le druide dispensait l’enseignement à ses élèves, au nord-est d’Emain. Cent hommes étourdis se trouvaient chez lui, apprenant le druidisme. Tel était le nombre de ceux que Catubatuos instruisait. Huit de ceux-ci [seulement] étaient capables de science druidique (Enlèvement des bœufs de Cooley).
Question. Quelle est des 72 langues qu’il avait donc étudiées, celle qui a été diffusée en premier par Fénius Farsaid ?
Réponse. Ce n’est pas difficile. La langue irlandaise… car de toutes celles qui furent rapportées par son école, c’était celle qu’il préférait, celle dont il avait entendu parler depuis son enfance au pays des Scythes…
Question. Pourquoi peut-on dire du gaélique qu’il est une langue élue ?
Réponse. Ce n’est pas difficile ! Parce qu’il a été choisi parmi toutes les langues, et parce qu’à tout son incompréhensible, existant dans les autres langues, un sens a été trouvé en gaélique, d’où sa limpidité ainsi que sa clarté.
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CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA LITTÉRATURE IRLANDAISE.
Introduction. La littérature irlandaise de langue gaélique est communément classée en 12 genres.
Togla (destructions) Forbaisi (sièges) Imrama (navigations) Tochmarca (demande en mariage) Aitheid (enlèvements) Fessa (festins) Uatha (grottes) Tana (vol de bétail) Echtrada (aventures dans l’autre monde) Aideda (morts tragiques) Catha (batailles) et enfin Airgne (pillages).
Quelles sont les trois périodes qui donnent à la littérature irlandaise son cachet tout particulier ?
Les premiers textes écrits sont liés à la christianisation de l’Île : ce sont des textes religieux allant de la prière au sermon en passant par la vie d’un saint. Les manuscrits qui les conservent et qui nous sont parvenus sont les plus anciens témoignages écrits, si l’on accepte d’éliminer l’épigraphie oghamique, en elle-même peu littéraire. Mais ils traduisent (dès l’aube de cette littérature) une première « inadaptation » : l’hiberno-latin des hisperica famina.
Ils sont écrits en un latin appris dans les livres, qui reproduit souvent les structures du gaélique, qui recopie des tournures glanées ici et là, et assemblées parfois sous forme de glossaires aussi étranges que déraisonnables pour le latiniste.
Dès l’origine, parce que l’Irlande ne fut jamais conquise par Rome, et dut à sa conversion au christianisme d’adopter l’écriture, il ressort donc ce premier décalage dont nous grossirons les traits pour en dégager un paradoxe. C’est dans une langue étrangère, au début mal maîtrisée, que s’élabore une littérature nationale, une littérature irlandaise dont le but est d’être conforme à des modèles européens continentaux, et de se fondre dans cette identité culturelle.
Le résultat fut souvent éloigné du terme attendu ; et il fut souvent surprenant.
Évidemment, ce n’était pas la première forme de littérature née en Irlande. Il en existait une plus ancienne, une littérature orale, apprise par cœur et récitée, datant des époques précédant le christianisme. Elle aurait totalement disparu si ces mêmes clercs, affairés à s’exprimer en latin, n’avaient pris la peine de nous en transcrire l’essentiel dans la langue du pays. Nous laissant ainsi un témoignage irremplaçable, tant d’une langue que d’une croyance ou d’une mentalité. Cet effort pour conserver des textes antérieurs à la christianisation des esprits, et que l’on aurait pu à tout jamais vouloir faire disparaître, s’est accompagné d’une volonté de les associer, de les intégrer, dans la tradition biblique ou évangélique. Un peu comme une sorte de greffe, mais moins par malhonnêteté intellectuelle que pour unifier des créations différentes.
Trop longtemps, les critiques ont ri de ces juxtapositions et de ces liens douteux, élaguant au sein des interpolations chrétiennes pour retrouver la pureté originelle du texte « païen » ; certains ont même craint des édulcorations, des suppressions, voire des destructions. En fait, au lieu de déplorer cet état de nos textes, il vaut mieux en tirer profit, en étudiant justement le passage d’une littérature d’un cadre dans un autre, car au final cela s’est traduit par un renforcement de la portée de cette même littérature.
De ces deux périodes, historiquement superposées par moments, on pourrait crier à la malchance et se plaindre du sort que la destinée accorda ainsi à l’Irlande. En prétextant que son identité fut bafouée, qu’elle fut spoliée de son âme, de son esprit, après avoir été victime d’une conquête des esprits où elle perdit sa langue et ses croyances les plus profondes.
Vains regrets selon nous, car de certaines tensions surgissent des interrogations des plus fécondes, et de cette situation inconfortable, l’esprit typiquement irlandais a tiré plus d’une occasion de prouver son ingéniosité ou son éveil. La capacité d’intégrer ou d’opérer une synthèse se développe ; la soif de liberté, grâce à plusieurs références ou plusieurs livres, y est plus vive ; l’agilité de l’esprit passant d’un niveau à un autre ne peut qu’en être accrue. Dans d’autres régions du monde, il en fut de même. Nous citerons le cas de l’épopée persane de Firdousi. Son Livre des rois marie l’arrière-plan indo-iranien, la réforme zoroastrienne, les cultes mésopotamiens, et le chiisme, et donne à chacun une nouvelle respectabilité en fondant ces apports divers dans un vaste dessein historique, celui de l’Iran.
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Les « coupures » sont excellentes dans la mesure où elles permettent des raccommodages et non des exclusions. Être disparate en est le risque majeur bien sûr ; mais l’avantage, en cas de succès, revient à instaurer des points de vue originaux et nouveaux.
Si nous continuons à brosser ces tableaux de façon grossière, c’est pour mieux expliquer la surprise intellectuelle de qui aborde pour la première fois la littérature irlandaise, en relevant une dernière période. À la différence du latin qui ne fut jamais parlé en tant que langue vivante, et qui ne détruisit pas le gaélique, l’anglais s’installa en Irlande en profondeur, et devint, lui aussi, une langue indigène, par suite d’une colonisation durable. Acquérir cette langue assurait un statut social meilleur ou simplement une occasion de liberté. Bien des colons anglo-normands eux-mêmes firent néanmoins cause commune avec le pays où ils vivaient comme les autres, et renforcèrent le nationalisme naissant. Et c’est ce passage d’une littérature appelée « anglo-irlandaise » où l’apport anglais domine, à une littérature « irlando-anglaise », représentant après fusion une nouvelle identité culturelle, c’est ce passage qui mérite la plus grande attention. Le plus délicat pour un pays colonisé, une fois que son indépendance est obtenue sur le plan politique, est d’acquérir une autonomie culturelle, surtout si ce nouvel État demeure modeste, et n’atteint pas la taille d’une grande puissance.
Ce que nous disons là est une simplification, car l’on trouverait maints exemples d’auteurs irlandais, soit imitant leurs confrères anglais, soit s’opposant à eux dans le seul but de se poser ou de s’imposer, voire de nourrir une conscience nationale. Mais à la différence de la situation précédente où le latin fut introduit en Irlande, on notera que l’anglais correspondit seulement à un pouvoir politique. Derrière le latin, avant le conflit entre Rome et l’Église d’Irlande au XIIe siècle, ne se trouvait, en revanche, aucune puissance politique, vu l’état d’anarchie douce qui régna en Europe entre le VIe et le VIIe siècle. Aucune puissance politique, mais des croyances nouvelles, porteuses de valeurs à communiquer ou à faire fructifier, qui prenaient appui sur cette langue. À observer donc ces deux situations données, on en tirera sans peine la conclusion que l’une est l’inverse de l’autre, que la première ne s’accompagne pas d’oppression politique en même temps qu’économique comme la seconde. Et qu’ainsi la littérature irlandaise moderne naquit moins d’une volonté de délimiter un particularisme national que d’un dégagement de ce même particularisme. Étouffé mais aussi soudainement confronté à un espace étranger plus vaste, de l’ordre de l’extension, que symbolisait l’emploi de l’anglais. Le risque majeur encouru est alors celui de la dissolution, tant sur le plan moral que culturel : il faut se soustraire à un modèle, en inventer un personnel de toutes pièces, le voir s’effondrer sous ses yeux et donc s’affranchir en fait de tout modèle. Encore une fois, il ne va pas de soi pour un pays colonisé d’accéder à l’indépendance, et de fondre de précieuses « idiosyncrasies » dans le flot universel de la culture humaine. La littérature irlandaise a cette caractéristique, à nouveau paradoxale, de créer l’espace culturel qui manquera par contre à son adversaire politique, de compléter une domination, et de les convertir en délivrance. Nouveau décalage, si l’on veut, entre une culture et un pouvoir, la première dissociée du second et utilisant la langue de l’adversaire. Non pour faire passer une envie d’indépendance, mais pour une improbable adéquation entre une culture nouvelle et un pouvoir qui, pour être à la même hauteur, se devait d’être transformé. Ces trois périodes aussi brièvement esquissées, de la littérature irlandaise, nous laissent une curieuse impression.
a) La première littérature est le résultat du « mélange » du latin (symbole de la foi chrétienne) et du gaélique. Compromis aux effets originaux et utilisation nouvelle de la langue et de la pensée irlandaise.
b) La deuxième forme de littérature correspond au « passage » d’une culture païenne originelle dans une culture chrétienne. Conciliation ou alliance nouvelle aux rapprochements modifiant les perspectives.
c) La troisième forme est « l’invention » contestataire d’une domination des esprits, correspondant à celle des êtres humains et des biens matériels. Elle échappe à la situation politique oppressive en profitant de la faiblesse culturelle du pouvoir anglais ; elle transmute une culture nationale gaélique moribonde ou étouffée en une culture propulsée par le canal même du pouvoir qui voulut l’éteindre à jamais. Conversion nécessaire donnant naissance à une matrice culturelle originale et attractive.
Et cela nous ramène à notre interrogation initiale : y a-t-il une forme de pensée extraordinaire à l’œuvre dans la créativité irlandaise, dont il faudrait alors éclairer les fondements, et rechercher la secrète conceptualisation ?
Y a-t-il « un miracle irlandais » comme il y eut un « miracle grec » ? Peut-on parler d’une « celtitude » ? La question n’est pas saugrenue. Le mot est parfaitement légitime si on lui maintient son sens propre et étymologique d’objet digne d’admiration. Il implique même quelque chose de plus : « l’inattendu, le surprenant… Le miracle implique la contingence. C’est un ensemble de contingences favorables… » Voilà comment l’on a vu gloser ce terme pour ce qui est du monde grec. Alors que,
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visiblement, pour le Français Renan son auteur en 1883, elle demeurait proche d’une réflexion religieuse. Ou tout au moins très morale puisque c’est sur la morale, cette éducation de l’âme et de l’esprit par le biais de la critique rationnelle, qu’il comptait reconstituer une unité humaine.
Remarque de Pierre de La Crau à l’intention de ceux de nos lecteurs qui pourraient être éventuellement choqués par ce qui suit. Renan est l’auteur d’une notion politique devenue un des piliers des politiques de gauche ou démocrates d’aujourd’hui, le fait de définir une nation (du latin nascire droit du sang) par la volonté de vivre ensemble ou d’avoir un destin commun, afin de continuer à justifier l’appartenance à la France de l’Alsace et de la Lorraine après 1870.
En dépit de la pluralité des doctrines et des religions. Renan, Breton fidèle à ses origines, est fasciné par la Grèce, tourmenté par la Judée. On connaît de lui sa Vie de Jésus qui fit scandale, mais on oublie généralement ses travaux archéologiques et ceux qui traitent des langues sémitiques. Il tenta aussi, dans ses Essais de Morale et de Critique (1859), notamment celui qui est intitulé « la poésie des races celtiques », de dégager le propre d’une littérature celte. Comme s’il recherchait là encore de quoi cerner un « miracle », une propension morale à unir les hommes (malgré un particularisme national), un effort de dépassement qui n’a pas encore dit son dernier mot. La poésie ne précède-t-elle pas la philosophie ? Aux dires mêmes de Renan). Ce qui nous importe donc, c’est de voir qu’un penseur, à l’origine même d’une expression (miracle grec) qui accordait à une culture d’accéder à l’éternité, émettait auparavant, à l’égard des littératures celtiques, le même avis. Le rendait public et le professait, distinguant même au sein de cette famille le rameau irlandais, pour sa forte personnalité. Sa thèse mérite donc d’être exposée avant d’en venir à d’autres critiques traitant des mêmes problèmes.
Sur quels arguments s’appuie l’opinion de Renan pour y reconnaître une littérature dépassant le cadre de son origine et digne d’être proposée à l’attention des hommes ? Ce qui le frappe au premier abord, c’est que « ce petit peuple » (où il intègre Irlandais, Gallois, Bretons d’Armorique) est en possession d’une littérature qui a exercé au Moyen-âge une immense influence : a changé l’imagination européenne, et a imposé ses thèmes poétiques à presque toute la chrétienté. Il faut donc trouver les raisons de cette fascination, et Renan les voit dans les caractères nationaux de ces « races », selon un préjugé courant à l’époque, quoiqu’il tempère cette idée par des considérations psychologiques. Si cette race est « pure », par suite de son isolement, elle est surtout marquée par sa coutume et par la solitude. Elle a tous les défauts et toutes les qualités de l’homme solitaire : à la fois fière et timide, puissante en matière de sentiment et faible pour ce qui est de l’action ». En fait, pour Renan, il s’agit d’hommes qui se sont mis à l’écart de la vie ou de l’Histoire. Ils ont préféré la vie intérieure au détriment de toute vie politique, ont choisi la voie du rêve et ont négligé de réussir matériellement, indifférents à l’or ou aux empires. Portrait idéalisé du Celte, fortement teinté par les goûts spécifiques de Renan, attaché à l’idée de bonté diffuse, possible entre les hommes. Ainsi soutient-il ces jugements sans trop insister dessus, comme une conséquence de la pureté du sang, mais aussi d’une vie trop solitaire. « Dénuée d’expansion, étrangère à toute idée d’agression et de conquête, peu soucieuse de faire prévaloir sa pensée au-dehors, elle (la race) n’a su que reculer… » « L’infinie délicatesse de sentiment qui caractérise la race celtique est étroitement liée à son besoin de concentration » ; « l’élément essentiel de la vie poétique du Celte, c’est l’aventure, c’est-à-dire la poursuite de l’inconnu, la course sans fin après l’objet toujours fuyant du désir », etc.
Mais, au-delà de ces qualités inhérentes à un peuple, dont nous sentons confusément qu’elles conviendraient aussi à d’autres, il faut remarquer chez Renan une autre tentative de définition, fondée sur quelques thèmes subconscients de ces littératures. Ces dernières sont autant latines que gaéliques, britanniques, et galloises, et semblent s’achever dans l’effort des érudits du XIXe siècle pour les mettre par écrit. Renan ne traite donc pas de la littérature anglo-irlandaise ou irlando-anglaise, mais déjà il couvre pour nous au moins deux des trois périodes évoquées ci-dessus : a, b et c. Si l’imagination celtique lui paraît infinie (« comparée à l’imagination classique, l’imagination celtique est vraiment l’infini comparé au fini ») ; le propre de cette littérature est d’avoir élaboré un nouvel idéal. En deux parties, pourrait-on dire, une nouvelle image de la femme, et la croyance en un au-delà salvateur. Quoique vaincu, faible, tourné sur lui-même, un peuple, par son culte, entraîne à la douceur et à l’espérance. Renan soutient alors : « Presque tous les grands appels au surnaturel sont dus à des peuples espérant contre toute espérance… »
Là encore, arrêtons-nous sur la référence à Israël qui partageait à l’époque avec la Grèce ces qualités d’universalité que nous voyons attribuées, comme en réserve ou en possibilités non exploitées, par Renan, aux littératures celtiques. Certes, les documents littéraires dans l’exposé de Renan seront
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surtout gallois, par suite des traductions de l’époque et de l’esprit du temps plus préparé au climat romanesque des Mabinogion, qu’à la virulence des textes épiques et mythologiques de l’Irlande.
Renan lui-même accentue les traits moraux et littéraires qui rendraient au lecteur de son temps ces ouvrages plus accessibles, insistant sur la douceur, la bienveillance qui en émane, la sympathie pour les êtres faibles, la bonté pour les animaux. Il remarque ces traits dans la littérature ecclésiastique, illustrant cela par la navigation de saint Brendan dont on sait l’origine irlandaise : ce sentiment (vive sympathie pour les êtres faibles) est un des plus profonds chez les peuples celtiques. Ils ont eu pitié même de Judas. Saint Brendan le rencontra sur un rocher au milieu des mers polaires. Il passe là un jour par semaine pour se rafraîchir des « feux de l’enfer » ; « la littérature ecclésiastique elle-même présente des traits analogues : la bonté pour les animaux se retrouve dans toutes les légendes des saints de Bretagne et d’Irlande ». De ces tendances visibles ou littéraires, qui renvoient toujours à la situation d’un peuple vaincu, notre auteur en déduit une attitude face à la Nature, qu’il considère comme étant aussi élevée que celle de la Grèce ou de l’Inde. Elle ouvre une ère comme le fit à ce sujet la Grèce. À deux reprises, il le proclame, leur mythologie n’est qu’un naturalisme transparent. Pas le naturalisme anthropomorphique de la Grèce et de l’Inde, où les forces de l’Univers, érigées en êtres vivants et doués de conscience, tendent de plus en plus à se détacher des phénomènes physiques, et à devenir des êtres moraux. Mais un naturalisme réaliste en quelque sorte. L’amour de la nature pour elle-même, l’impression vive de sa magie, accompagnée du mouvement de tristesse que l’Homme éprouve, quand face à face avec elle, il croit l’entendre lui parler de son origine et de sa destinée ».
Plus loin, Renan réunit christianisme, hellénisme, et hibernisme, autour du mot de « miracle » qui lui servira plus tard à désigner la Grèce. « Chez les Kymris (Celtes), le principe de la merveille est dans la nature elle-même, dans ses forces cachées, dans son inépuisable fécondité… Rien de la conception monothéiste où le merveilleux n’est qu’un miracle, une dérogation aux lois établies. Rien non plus de ces personnifications de la vie de la nature, qui forment l’essence des mythologies de la Grèce et de l’Inde. Ici, c’est le naturalisme parfait, la foi indéfinie dans le possible, la croyance en l’existence d’êtres indépendants, et portant donc en eux-mêmes le principe de leur force. Idée tout à fait contraire au christianisme qui, dans de pareils êtres, ne voit nécessairement que des anges ou des démons ». Trois notions apparaissent : le « merveilleux naturaliste » des Celtes, le « miracle » judéo-chrétien, « l’anthropomorphisme » gréco-indien. La nature y est soit aimée pour elle-même, soit transgressée, soit humanisée enfin, et l’on peut alors supposer trois formes de pensée aussi originales les unes que les autres. Même si Renan ne l’énonce pas comme nous venons de le faire, on devine le fondement secret de son raisonnement. Ne vous étonnez pas, semble-t-il dire à ses lecteurs, si cette littérature a pu fasciner l’Europe et l’influencer, c’est qu’elle porte en elle des qualités qui l’apparentent aux littératures les plus nobles, et lui donnent sa physionomie ; à titre d’exemple, voyez la légende de saint Brendan qui « est sans contredit le produit le plus singulier de cette combinaison du naturalisme celtique avec le spiritualisme chrétien ».
La conclusion de Renan est alors des plus simples : cette littérature préfigure une philosophie à naître, si la race celtique « s’enhardissait à faire son entrée dans le monde et si elle assujettissait aux conditions de la pensée moderne sa riche et profonde nature ». Plus loin, il remarque que son « enfance poétique » fut complète et n’admet pas que la réflexion lui manque. L’Allemagne, qui avait commencé par la science et la critique, a fini par la poésie, pourquoi les races celtiques, qui ont commencé par la poésie, ne finiraient-elles pas par la critique ? Les races poétiques sont les races philosophiques, et la philosophie n’est au fond qu’une manière de poésie comme une autre ». De toute évidence, Renan, par de tels parallèles, nous invite à sentir une originalité féconde, au sein d’une littérature qui exprime d’ailleurs mieux ses traits caractéristiques au moyen des œuvres irlandaises. De plus, il y voit la promesse d’une universalité, quoiqu’il l’attribue surtout aux possibilités de la race et un peu moins aux créations littéraires elles-mêmes. Ces dernières mettent sur la voie, sont une étape, un premier effort qui trouvera d’autres moules pour s’accomplir.
Ernest Renan n’est pas le seul critique ayant postulé l’existence d’un « miracle celtique » si ce n’est irlandais, à considérer la littérature de ces pays. Sa compatriote Clémence Ramnoux en viendra, elle aussi, à dégager quelques thèmes insistants, obsessionnels même, délimitant des concepts bien précis : le sens du temps qui passe, la notion d’invasion, l’idée de malédiction, le thème de « l’autre » ou de « l’étranger ».
Prenons la première notion. De nombreux critiques ont été sensibles aux étranges déroulements du temps conçus ou exposés dans ces textes. La déroutante vision d’une temporalité très épaisse, pleine de durées emboîtées, s’écoulant à des rythmes différents (le héros humain, de passage dans l’au-
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delà, croit demeurer un jour, et apprend à son retour qu’un siècle en fait, s’est écoulé. ; comme ce fut le cas pour Bran le fils de Fébal, ou Ossian, le célèbre héros de Yeats).
La deuxième idée – celle d’invasion – est plus étrange encore. Dans les rites (fêtes de « Samon » ou célébration du couronnement royal), dans les mythes et les épopées, on observe la répétition d’une narration qui implique l’invasion de démons, de pirates, d’éléments naturels, de peuples étrangers, de façon cyclique. Mais c’est moins l’idée de cycles qui prédomine que la notion d’invasions nécessaires, profitables, quoique douloureuses, mettant donc en scène un drame cosmique où alternent débarquement et retrait, victoire et désastre, bataille et fondation. Et Ramnoux de noter, à juste titre, que « l’histoire de l’Irlande a précisément été conçue comme une succession de conquêtes par des peuples nouveaux ». Ce qui en soi est fort original, puisque peu de mythologies nationales célèbrent l’invasion et en font un élément positif ; malgré les menaces de fin et de destruction qu’elle suppose ; apte à structurer le réel. Les récits mythologiques irlandais montrent quatre invasions principales et il serait vain, comme le conçut d’Arbois de Jubainville, de chercher à quels peuples réels cela correspondait. Ce sont des archétypes dont on découvre la trace dans bien des récits littéraires. Par exemple dans les navigations imaginaires ou « imrama », où nos héros retrouvent des personnages ou des amis passés dans l’Autre Monde, repoussés en périphérie.
Tandis que la Navigation de saint Brendan annonce qu’une terre attend les chrétiens d’Irlande, là-bas, à l’extérieur, lorsqu’ils seront persécutés par des envahisseurs impies. De même, la notion d’invasion est porteuse de nostalgies, de rêveries, de présences obscures, de promesses et de compensations ; tout comme elle indique qu’à son tour l’envahisseur subira le même sort, ou devra, pour survivre, se concilier les peuples vaincus. L’invasion est délivrance pour une terre d’Irlande accablée par le poids d’un peuple qui a donc accompli sa tâche et doit par conséquent s’effacer. On voit que le thème est d’une fertilité incommensurable et a pu nourrir les imaginations. Une tension due à la rivalité entre le monde des hommes et l’Autre Monde prêt à envahir la terre et à en reprendre possession n’a rien à envier comme ressort dramatique aux conflits des humains et des dieu-ou-démons des tragiques grecs. Si bien que Ramnoux constate, pour expliquer ce déchirement, « que la façon la plus populaire pour cela était d’imaginer une guerre menée pour une femme ». Une femme passant du camp des dieu-ou-démons dans celui des hommes, et du camp des hommes dans celui des dieu-ou-démons, allumant une guerre pire que la guerre de Troie, une guerre entre la partie humaine et la partie divine du monde.
À ce niveau de l’analyse, on pourrait par conséquent estimer que Renan et Ramnoux, ainsi que tant d’autres, veulent tout juger à l’aune de la Grèce, et dénaturent ainsi l’originalité irlandaise. Nous ne sommes pas de cet avis, puisque leur but est le respect de ces textes étranges, dont ils pressentent une validité très étonnante de profondeur, digne d’un patrimoine à partager entre tous les hommes. Mais comme s’en étonne Ramnoux, ici, aucune philosophie, aucune histoire, aucune tragédie, ou plutôt tout en est au stade du « pré philosophique », du « pré historique », du « pré tragique ». Là où Renan supposait une progression dans le développement intellectuel des peuples, choisissant d’être d’abord poétiques, puis philosophiques, ou bien d’abord philosophiques, puis poétiques, Ramnoux nous fait parcourir une autre étape. Une autre étape où nous décririons ces littératures anciennes comme les linéaments d’une pensée possible, originale, pouvant être conceptualisée. Le monde grec n’y est pas la référence ultime, ce n’est qu’un repère commode pour mettre en valeur et « amorcer » un mouvement.
De plus, il est possible d’établir un type de héros reconnaissable dans la femme, dans l’exilé, dans celui qui excite les querelles (souvent un descendant adultérin). Chacun d’eux est à « mi-chemin » et sort d’une société pour entrer dans une autre. Comme dans le cas d’une femme mariée dont les enfants sont souvent élevés dans son clan par le système de la mise en « pension », une coutume consistant à confier l’enfant à l’oncle maternel.
Ou bien alors comme dans le cas de quelqu’un quittant le groupe après en avoir été banni, mais prêt à trahir ses hôtes pour revenir chez lui (cas de l’exilé). Ou bien alors soucieux de provoquer une querelle afin d’avoir sa part d’un héritage confisqué. Comme résultat on obtient alors une théologie de « l’être entre » dont l’expression tout heideggérienne nous rappelle le « mitsein » ou le « dasein » de ce philosophe, preuve pour nous supplémentaire d’un effort d’universalité, en cours et en acte. Ces héros repoussés ne savent à quel monde appartenir. Ils « recherchent ou précipitent les désastres où eux-mêmes trouveront l’occasion de revivre leur supplice », et dégagent par là une conception du mal
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due à la malédiction d’être à mi-chemin ; comme incapables de se fixer, accumulant le malheur, et le voyant se répéter.
Ce concept « d’être entre » des grands héros éternellement maudits n’est pas sans rappeler certains aspects de la philosophie d’Empédocle (homme et philosophe, voué à l’errance, et à la destruction) du moins pour Ramnoux. Aussi conclut-elle sans hésiter son étude par les mots de « théologie » et de « pré métaphysique », certaine de la valeur de ces textes oubliés ou mal lus. « Ce qui est intéressant humainement, c’est que le modèle enraciné dans la vie des tribus ait subi une élaboration apte à en faire un article de théologie ou de pré métaphysique. Ici, la figure d’un agent du destin, mauvais, là (en Grèce), le prototype de la condition humaine et philosophique ». Il s’en est fallu de peu qu’un appareil conceptuel soit alors élaboré.
Ce qui est certain et proclamé, c’est l’affirmation, exprimée par Ramnoux, que les conditions nécessaires à un éveil de la pensée sont réunies, et n’attendaient qu’une chiquenaude pour éclater au grand jour.
Nous souhaitons donc pareillement que ce modeste et premier essai, destiné à singulariser l’apport irlandais, ne porte pas seulement sur la littérature gaélique (à cause de son ancienneté, la plus étrange et fascinante), mais s’aventure aussi dans le domaine de la culture hibernique latine. Ou dans celui des créations irlando-anglaises, parce que leurs œuvres peuvent développer des thèmes archaïques jusque-là sans transcendance, ou parce que leur élaboration peut faire comprendre quelque partie des œuvres gaéliques plus anciennes.
L’originalité tellement décrite du vieux fond gaélique peut en effet occulter des créations artistiques irlandaises, et nous faire passer à côté d’une situation historique par trois fois étonnante, qui façonna en profondeur la créativité irlandaise.
L’essai de Ramnoux, outre l’étape qu’elle nous fait franchir, s’apparente à d’autres études sur cette même matière gaélique, dont nous donnerons un aperçu, avant de nous attaquer au latin hibernique. Et là c’est à Guyonvarc’h, proche de la méthode dumézilienne, que nous pensons, tant il nous permet d’achever ce parcours et de répondre quelque peu à notre question première sur la signification des œuvres irlandaises. Que faire de ces œuvres, et que nous disent-elles qui soit universel ?
Dumézil, dans son effort pour reconstituer l’idéologie trifonctionnelle des Indo-européens, se servit à plusieurs reprises à titre de confirmation, des textes en vieil irlandais, ainsi que du fond celtique de façon plus générale. Afin de retrouver, à travers les métamorphoses que la pensée fit subir au vieux canevas indo-européen, des éléments témoignant d’une structure trifonctionnelle.
On sait que le rameau celte envisageait au départ le monde et la société, de la même manière que les autres peuples indo-européens. Il concevait une harmonisation de trois fonctions nécessaires à la fondation et à l’équilibre d’une société. Des dieu-ou-démons spécifiques convenaient à chacune d’elles, exerçant leur pouvoir dans les limites du domaine qui leur était attribué. Rois et devins dirigeaient la société, arbitraient les rapports entre les hommes et les dieu-ou-démons ; des guerriers ou des héros étaient là pour la défendre ; des paysans ou artisans la nourrissaient. À chacun de ces groupes, des valeurs spécifiques, des fautes et des erreurs bien précises. Nous sommes loin de la définition du « miracle grec » selon Dumézil lui-même, qu’il voit comme une trahison bénéfique à l’égard de la tradition indo-européenne, et comme le besoin urgent de raisonner en dehors de cadres établis ou de conventions reçues. L’Irlande se voit destituée de ce qui nous avait paru précédemment être sien, c’est-à-dire une quasi-ressemblance avec le monde grec. Toutefois, il existe un cas d’analyse où une légende irlandaise – le puits de Nechtan – ouvre un travail de Dumézil, et se voit presque confier le rôle de « guide » au sein d’autres légendes (romaines, iraniennes). Le thème en est celui du « feu dans l’eau » prêt à déborder de sa source et à engloutir l’homme ou la femme non qualifié pour cela, ou fautif, qui veut s’en approcher. Soit pour s’emparer du pouvoir magique que ce feu accorde, soit pour se purifier d’une faute particulièrement infamante. Boand/Bovinda, éponyme de la rivière Boinne, commet un adultère ; pour subir une ordalie ou par curiosité, elle s’approche du puits magique, lequel aussitôt déborde et la poursuit jusqu’à la mer. Et c’est cette brève légende qui permet de comprendre un hymne du Rig-Véda, le débordement du lac albain dont parlent certains historiens latins, un épisode de l’Avesta, etc. Bref voir l’œuvre de Dumézil. La conformité au modèle indo-européen, l’archaïsme du thème ainsi conservé, sont alors retenus et servent à éclairer un ensemble plus vaste. Mais est-ce rendre service à cette vieille littérature, dont nous cherchons à voir si elle n’aurait pas plutôt élaboré des concepts échappant à une trop grande historicité culturelle, susceptibles d’être plus universels ? L’héritage indo-européen construisit surtout des développements de cet ordre. Conflits entre les fonctions (les deux premières contre la troisième), absorption d’une fonction par les autres, invention d’une quatrième fonction (par exemple les atectai ou dhimmi en Irlande, les choudras en Inde), ambiguïté des valeurs à l’intérieur d’une fonction, fautes disqualifiantes
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selon la déontologie d’une fonction, etc. Nous supposons une originalité d’allure plus forte en ce qui concerne l’Irlande, dont les textes anciens ont pour thèmes l’invasion de l’île, remplaçant le fléau et la faute magique, trop indo-européens, ou l’épaisseur du temps par exemple. Il y a donc lieu de mieux caractériser l’orientation qui marque cette littérature.
Le propre de cette pensée présente dans des mythes et des épopées, par rapport au monde indo-européen, paraît être une vision particulière de la souveraineté, qui conserve en Irlande une force sacrée, une aura magique, indiscutables. Une femme mythique et quasi éternelle (Banuta/Banba/Banva) paraissant sous une triple forme (le trio des Macha) une pierre (celle de Fâl) qui crie lorsqu’un roi peut être élu, un refus systématique de tout pouvoir central autre que religieux. Voilà autant d’éléments qui caractériseraient déjà une pensée mythique. Mais l’intérêt de l’analyse de Guyonvarc’h revient à intégrer le problème de la christianisation de ces thèmes. Longtemps, il fut admis de dégager le « noyau pur » et païen des interprétations chrétiennes, et de se gausser de la maladresse de ces rapprochements forcés. Or nous pourrons définir l’originalité irlandaise, non plus seulement par un écart vis-à-vis de la tradition indo-européenne, mais comme une conciliation et un déploiement. Outre que l’introduction du christianisme sur l’île permit de fixer par écrit des récits, qui auraient sans cela disparu, et de conserver plus que de détruire, cela conduisit à une redéfinition des thèmes à l’intérieur d’autres cadres. Certes, il fallait que les clercs à l’œuvre aimassent ces légendes pour autoriser de telles entorses à la croyance chrétienne. Mais si l’on s’interroge sur leurs motivations, il est vrai alors que le jugement alterne entre l’envie de les accuser de mauvaise foi, et le sentiment d’une compréhension supérieure. De toute façon, cette manière de raisonner par analogie, c’est-à-dire par exemple de lier le Livre des Conquêtes (où l’on décrit les races successives s’installant en Irlande) à la Bible, mérite mieux que d’être estimée habile. Elle doit retenir l’attention. C’est un des mérites du travail de Guyonvarc’h que de le soumettre à notre réflexion.
La fusion est toujours fécondante, et notre but n’étant pas l’archéologie des thèmes et des structures, nous nous consacrerons à ce que cette opération intellectuelle de « déplacement » peut avoir de valeur intrinsèque et universelle. L’étude des origines n’est pas négligeable, mais l’activité créatrice « déforme », et il y a lieu de se demander si ces déformations sont infinies, voire anarchiques, ou si certaines règles président à ces métamorphoses. C’est ce dernier point qui amène notre recherche.
Revenons au mythe des invasions tel que l’analyse Guyonvarc’h, et donnons-en ici un aperçu, pour illustrer les propos précédents et nous faire progresser.
Le texte mythologique narre les différentes invasions de l’Irlande ; on sent que ce texte sert de fondement, et s’il ne permet pas que tout soit développements à partir de lui-même, il autorise à penser qu’il est la référence la plus répandue. En effet, deux autres textes, la première et la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tumulus (Cath Maige Tuired), lui sont afférents, et bien d’autres aussi. Le texte s’ouvre donc par une comparaison entre le Paradis terrestre d’Adam et l’Irlande, deux pays diamétralement opposés par leur situation, mais semblables par leur nature…
Guyonvarc’h tire de cette mythologie des remarques étonnantes qui nous aident à saisir une forme de pensée imagée, mais originale. La première femme, Banuta, incarne l’éternelle souveraineté. « Elle reparaîtra dans le récit comme une reine des Toutai Deuas, preuve de la continuité de sa présence et de son identification avec la terre d’Irlande ». C’est l’axe central immuable autour duquel certains événements auront lieu. Ainsi, toutes les conquêtes ont-elles une même structure : « errances (généralement sur les mers) débarquement, lutte contre l’occupant précédent, installation et peuplement, disparition par maladie ou par massacre devant le conquérant suivant » ; « la bataille contre les Andernas rebaptisés Fomoire est une constante de toutes les invasions. Mais les Andernas/Fomoire échappent à la notion habituelle de vainqueurs et des vaincus. C’est une tâche toujours recommencée que de les vaincre et de les soumettre ». Nous n’insisterons pas sur l’importance de l’errance en mer pour une île, telle qu’elle se présente à nos yeux, si l’on considère son pouvoir de formation et de création : mais sur la succession des conquérants – dont la conquête reproduit le schéma susdit – qui progressivement installe l’Humanité en Irlande. La terre d’Irlande enrichie de tous ces apports peut alors revenir aux hommes. Le sous-sol ira aux dieu-ou-démons, vaincus et repoussés dans les tertres magiques, ou sidhe.
Guyonvarc’h souligne bien le double combat qui précède obligatoirement toute invasion ; un premier contre l’occupant, un second contre les Andernas/Fomoire. Ainsi la pensée mythique irlandaise, et l’on sait le poids des mythes sur toutes les autres pensées qui en découlent, s’articule-t-elle autour d’une révolte contre une oppression injuste et déséquilibrée. Ce qui permet ensuite un retour à la normale (retour d’exil, récupération d’une souveraineté perdue) ; si bien que ce n’est pas une invasion, mais une « prise » de souveraineté par des processus légitimes. Et cela n’est possible en Irlande, ajouterons-nous, que par le biais de l’errance en mer, pourvoyeuse de survies ou d’éclatantes apophénies.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 1.
N’oublions pas néanmoins que les Celtes sont à l’origine non des insulaires ou des peuples maritimes, mais… des continentaux, d’Europe centrale ou danubienne. Et qu’un certain nombre des invasions en question ne sont que des affabulations relativement récentes, ne remontant pas au-delà de la fertile imagination des bardes irlandais du Moyen-âge, désireux au plus haut point de flatter l’amour-propre de leurs maîtres en les dotant de généalogies sur mesure (Scotia la fille du pharaon, Adam, etc.). Ce n’est pas parce que nous reproduisons ici la brillante étude de notre ami Vincent à ce sujet que nous souscrivons nécessairement à toutes ses considérations.
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Reste alors le problème du passage de ce modèle mythique dans le cadre judéo-chrétien, et de voir ce que cela suggère comme processus d’intensification. Le premier travail des moines et des clercs fut de rapprocher ou de trouver entre la chronologie biblique et celle de l’Irlande, des points de repère. Mais le rapprochement ne fut pas mené n’importe comment, ou tout au moins, n’est pas insignifiant. Tel est notre point de vue, à regarder de près l’opération.
D’abord, il fallait replacer les traditions irlandaises à l’intérieur du monde connu, les réintégrer dans l’histoire globale de l’époque. Pour cela, les différents possesseurs de l’Irlande doivent venir de Grèce, d’Égypte, d’Espagne, de Scythie, et peut-être même de Judée ou des Indes. Cela n’est pas négligeable et seulement artificiel. L’Irlandais cultivé pouvait ainsi se sentir l’héritier de civilisations brillantes dont il percevait l’importance par le biais des textes nouveaux qu’il avait à lire. Plus besoin de s’estimer complètement étranger à ces productions intellectuelles, plus besoin de se croire inférieur ou exilé, mais au contraire une formidable ouverture à des origines lointaines.
Il est bon pour un peuple qu’il fonde son origine au-delà de lui-même et qu’il la repousse sans cesse, s’il veut accéder à une certaine universalité. Vouloir accaparer toutes les traditions, s’en considérer comme le fils le plus fidèle, ou le meilleur zélateur, à la manière naïve comme ici d’une généalogie improbable, mais tentée, n’est en rien mauvais ou purement négatif. Même si l’archéologue des croyances ou l’historien des religions doit ensuite dénouer cet écheveau digne d’un peuple élu, et rendre à chacun son bien.
Car si nous nous plaçons sur le plan du « vrai vécu », l’argument des historiens s’estompe au regard des créations qui émanent de ces honorables ambitions, et du soin que les Irlandais ont mis à s’inventer une origine.
Les textes anciens irlandais sont souvent considérés comme un tout stable et immémorial, que des scories, les interprétations, salissent.
Nous soutiendrons l’idée qu’ils ont été mis au point également au contact des monastères, matériellement (par l’écriture), mais surtout intellectuellement (découverte dans leur tradition, des quelques récits les plus prometteurs, et renforcement des thèmes).
Voyons-les, non pas comme des créations achevées dont on devrait camoufler l’allure païenne, mais comme des « œuvres en cours », lues soudain grâce à une autre interprétation, effaçant certaines variantes inutiles, développant un thème au détriment d’un autre, etc.
Un mythe est très loin d’être immobile et « se nourrit » des grilles de lecture qui lui sont apposées.
Pour confirmer notre thèse, qui est plus qu’une intuition ou une hypothèse, il nous semble remarquable de voir la préférence accordée au personnage de Noé. Le déluge biblique occupe en effet une grande place dans ces textes, la référence à Noé sera implicite ou explicite. La coïncidence est étrange à considérer que, de tous les personnages bibliques, celui de Noé l’a emporté dans la conscience ou l’inconscient des clercs irlandais, au point de tirer de leurs traditions ce qui évoquait le mieux son histoire.
C’est pourquoi les textes mythologiques irlandais sont un précieux témoignage, non seulement de croyances anciennes, mais aussi d’une opération intellectuelle. Ce n’est pas tant le christianisme qui a pu déformer ces traditions, que leur nécessaire transition d’un champ culturel à un autre, par catastrophes adéquates.
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Concluons le cheminement de notre pensée sur l’apport possible de cette littérature gaélique. Renan souhaitait un progrès où les Celtes passeraient de la poésie à la philosophie ; Ramnoux supposait l’existence d’une pré-métaphysique, d’un esprit pré-tragique, comme si tous les « ingrédients » étaient là, prêts à l’éclosion d’une pensée ; Guyonvarc’h suggérait un respect total pour des textes à lire sans coupure fantaisiste, afin d’y retrouver non seulement les conceptions indo-européennes sur le monde, mais aussi le jeu subtil de la christianisation. Un esprit de tolérance, de souplesse étonnante, apparaissait.
Cela nous permit d’établir que le passage d’une culture à une autre orientait les créations, et pouvait avoir une valeur générale lorsque, par exemple, notre pensée opère dans d’autres domaines de cette façon.
Cela explique aussi notre fascination pour ce corpus mythologique difficile d’accès.
Toutefois, l’Irlande ne saurait se résumer à ce seul apport littéraire. Il en existe d’autres qui, pour susciter moins d’études ou de gloire, ne sont pas moins dignes de notre attention. Nous traiterons donc aussi, arrivés à ce point de notre exposé, de la production littéraire en langue latine de ce pays. Qui nous renvoie donc à ces siècles où les moines irlandais coururent l’Europe, et furent les meilleurs maîtres et intellectuels de l’époque.
L’IRLANDE PAÏENNE. RAPPEL. La première littérature irlandaise a été païenne, orale, et fondée sur l’usage d’une langue celtique en p ou en q. Nous y reviendrons plus longuement. Il y eut ensuite la christianisation et l’usage du latin.
L’IRLANDE LATINE.
Mais de toute la production en langue latine que faut-il garder ? Car nous pensons qu’au travers de ces textes, nous trouverons la trace et la raison de l’extraordinaire éclosion ou effervescence intellectuelle d’alors. Les lettres irlandaises latines méritent d’être saisies comme telles, sans trop y voir un pur reflet du celtisme païen, ou une pâle imitation des écrits chrétiens : d’autres motifs, indépendants de l’arrière-plan possible, sont à rechercher. Certes, la période est vaste puisqu’elle va des Ve et VIe siècles au IXe siècle, en tant qu’époque de création, mais qu’elle se poursuit dans l’écriture ou la réécriture de manuscrits datant des XIIe – XVe siècles.
Comme précédemment, l’antériorité d’un texte sur un autre est délicate à cerner. On ne saurait être fixé sur la date, le lieu de composition, l’auteur. De plus, ces textes latins semblent avoir été copiés sur des manuscrits avant les textes épiques mythologiques précédents, ce qui leur accorde une primauté « graphique » à défaut d’être « conceptuelle ». À moins que l’on choisisse prudemment une simultanéité des plus raisonnables : la tradition indo-européenne et la tradition biblique étant toutes deux aussi vénérables (l’une n’est antérieure à l’autre que sous l’angle de l’histoire irlandaise). Ce qui nous avait retenus à propos des mythes irlandais, c’était leur élaboration particulière (puisqu’un mythe se soumet à bien des forces) due à un cadre intellectuel nouveau, nécessitant un transfert ou un déplacement. Ce transfert orientait les créations, leurs thèmes, ou leur message.
Dans ce cas-là, il s’agit pour l’Irlandais de s’exprimer dans une autre langue, de s’y installer pour l’utiliser. On ne place plus des contenus dans d’autres contenants, conciliant ce qui peut l’être, on assiste à la compétition de deux langues (ou cultures) et à leur mutuelle influence. Il y aura échange, emprunt, changement réciproque, là où nous ne notions qu’adaptation. Ces textes servent donc non pas uniquement à révéler un vieux fond celtique ou des vestiges de chrétienté primitive (attitude historisante), mais à mettre en valeur un mode de créativité dû à des circonstances conflictuelles. Rappelons toutefois que le latin qui fut introduit en Irlande ne s’accompagnait d’aucun pouvoir politique oppresseur, mais servait à une religion et à une culture.
Détaillons cette production littéraire ; elle est faite de litanies et prières, de vie de saints, de catéchèses, de pénitentiels, et de règles monastiques, de « navigations » ou voyages en mer, de glossaires et de textes d’études, de quelques ouvrages philosophiques ou encyclopédiques. On la juge en général en fonction de deux critères : son écart plus ou moins grand par rapport à un latin « postclassique » ; son attache, plus ou moins forte par rapport à la tradition celtique. Les commentaires alternent entre la louange des connaissances antiques conservées ou celle d’une indéniable originalité ; ou bien encore ils notent que, sous le « vernis » religieux latin, demeurent les vraies couleurs celtiques, quelque peu pâlies ou effacées, il est vrai, etc. Ce n’est pas à cette aune que nous estimerons ladite création, car il nous semble évident d’admettre que la rencontre de deux cultures a provoqué des entorses à une pureté originelle difficile à définir. L’étudiant de souche gaélique écrivait en un latin qui ressemblait parfois en effet à sa langue natale. Des influences et des
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emprunts se sont exercés. Des traditions folkloriques ont été conservées au sein des livres chrétiens. En fait, l’important revient à saisir s’il y a eu apparition de formes nouvelles, le heurt de ces deux mouvements ayant créé une aire centrale commune, un lieu de partage équilibré entre les deux forces, au pire, un point à mi-chemin. Tous ces textes seront alors à classer en fonction de leur plus ou moins grande proximité par rapport à cette aire centrale. Ils y concourront ou l’illustreront.
Or, d’un accord presque général, la littérature irlandaise de langue latine apporte à la littérature universelle deux inventions : une d’ordre linguistique, c’est-à-dire l’utilisation, voire la naissance, de la rime en poésie ; la seconde étant le genre littéraire connu sous le nom de « navigation ».
Ces deux formes nouvelles au succès grandissant au cours des siècles, doivent être comprises comme le résultat d’une situation conflictuelle nécessitant moins la disparition d’un des antagonistes, que la percée d’une tierce solution. Par elles, nous abordons peut-être ce qui rendit si vigoureux, intellectuellement parlant, les penseurs et missionnaires irlandais : ils possédaient deux outils de conception et de propagation efficaces.
Le latin irlandais présente un double aspect : à la fois très conservateur, savant, et fort barbare. Le premier courant nous renvoie très vraisemblablement à l’enseignement de cette langue étrangère dans le but de permettre aux prêtres et aux moines l’accès à la littérature chrétienne. Et non dans l’idée de former des fonctionnaires ou des rhéteurs pour un empire disparu.
Cet enseignement, mené avec zèle et rigueur (l’ascétisme du monachisme irlandais sera justement célèbre), a maintenu en Irlande une prononciation scolaire souvent plus correcte que sur le Continent où les sons étaient en pleine mutation. Ainsi, le « c » sera-t-il toujours prononcé « k », ce qui évite la confusion entre « ci » et « ti » des scribes continentaux. Maintien aussi de la différence des voyelles finales (sur le continent e, i, et u, se sont souvent confondus). Dag Norberg, auquel nous empruntons ces éléments d’analyse, soulignait combien cet attachement respectueux de la part des Irlandais fut cause aussi de confusion et d’hésitation. Il fallait sans cesse recourir à des glossaires pour savoir à quel champ sémantique appartenait un mot. S’il était d’un registre poétique, technique, commun, argotique ; ou s’il ressortait à des textes continentaux d’un latin tardif, dont les formes étaient en concurrence ou en désaccord avec les formes de la Vulgate, ou à des textes plus classiques. Il a été donné à ce vocabulaire impropre et fort étrange le nom « d’hispérisme », du latin « hesper », désignant ici les terres occidentales, le couchant. Des textes entiers, les Hisperica Famina, ont souvent défié toute compréhension tant le choix des mots surprend.
Les « Hisperica Famina », qui ont donné leur nom pour désigner ces fabrications de mots, sont peut-être à l’origine de la rime. La thèse mérite d’être exposée en raison de l’argumentation. L’avis le plus courant concernant l’invention de la rime repose sur l’idée d’une décomposition du vers latin à la suite des invasions des Germains, et sur celle de son remplacement par une structure proche de la prose. En effet, l’idée même de cet écho, instrument pour nous d’une musique enchanteresse, était à ce point étrangère aux Anciens qu’ils l’évitaient comme une imperfection ; l’autorisation d’user d’assonances n’existait qu’en prose, pour ponctuer quelque discours laborieux, ou achever une période oratoire de façon à, pour ainsi dire, asséner un coup mortel à l’adversaire. La chose n’avait donc rien de noble tant l’effet en semblait grossier, quoiqu’efficace. À la suite des invasions, le goût changea, et surtout la connaissance du latin, dont on n’entendait plus toujours la prononciation exacte. Ainsi trouve-t-on des poèmes rimés chez les Espagnols wisigoths, en Gaule du Sud, et en Irlande, mais c’est dans ce dernier pays que l’emploi de la rime devint conscient. « Philologues et historiens de la littérature tombent généralement d’accord pour signaler la première apparition de la rime comme élément conscient de la diction poétique, en Irlande, au VIe siècle ».
Restait à savoir comment l’invention qui a pu être faite en plusieurs endroits de l’Europe était devenue en ce pays générale et si formelle.
L’éminent bollandiste que fut Grosjean a eu alors l’idée d’étudier la disposition des phrases des Hisperica Famina, dont le caractère abscons avait suscité bien des hypothèses. S’agissait-il de quelque langage ésotérique, de quels secrets dans ce cas étaient-elles les dépositaires ?
Un autre procédé littéraire moins évident que l’invention de la rime est à mettre au crédit de l’Irlande. Il concerne la prose, mais son influence est loin d’être négligeable. Il apparaît dans les « litanies » dont la forme et l’expression renvoient peu à la culture latine chrétienne. Il s’agit d’une invention stylistique que nous voyons naître ici, en Irlande, en raison du contexte de tension qui a déjà servi à la naissance de la rime. La litanie est à l’origine une prière énumérant des qualités de Dieu, voire des défauts d’un homme, recourant à une syntaxe simplifiée à l’extrême, où le rapprochement des mots sous la forme d’une liste se fait en fonction des sonorités. Certes, de nos jours, on ne conserve de la litanie qu’une idée négative, celle d’une œuvre ennuyeuse, sans trop se soucier de son origine qui est supposée par la plupart comme étant irlandaise.
Mais nous comprenons bien que le critique aimerait davantage quelque œuvre plus longue et structurée, conçue en tant que telle, et profondément littéraire. Il reste alors à voir dans les vies de
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saints, nombreuses et variées, qui présentent plusieurs réécritures successives (une première période, archaïque, est discernable au VIIe siècle, une deuxième, moyenne, entre le VIIe et IXe siècle, correspondant à l’essor maximal de l’Irlande ; une troisième, du XIe au XIIIe siècle, voit ses productions reprises au XIVe et au XVe siècle).
Retraçons par quelques exemples le travail hagiographique, tout en précisant que si l’amoureux de la littérature ne peut trouver son compte dans les vies de saints irlandais, l’historien, l’ethnologue, le paléographe, ou le philologue peuvent y glaner d’utiles informations. Parmi les premiers textes, les Vies de saint Patrice furent écrites au VIIe siècle, l’une par Tirechan et l’autre par Muirchu. Deux religieux qui avaient pris parti à propos du conflit sur la date de Pâques opposant l’Église celtique à Rome, pour cette dernière. Dans la vie de saint Patrice, il est difficile de séparer les faits des traits légendaires. On retient généralement qu’il naquit en Grande-Bretagne, qu’adolescent il fut emmené en Irlande par des pirates, qu’il garda des porcs, que, fugitif, il recouvra la liberté, parcourut la Gaule, et revint chez lui. Mais là il reçut un appel de Dieu l’invitant à évangéliser les Irlandais. La légende rajoute nombre d’épreuves que le saint traversa grâce aux pouvoirs merveilleux que Dieu lui accorda en ces occasions.
[Dieu… ou le Diable, suivant le point de vue où l’on se place, évidemment !
Mais peu importe pour nous. Ce qui est à signaler c’est la « lecture » de ces événements par les « biographes » du saint. Sa vie correspond à la vie d’un personnage biblique qui servira de modèle et de « moule ». Certes, le choix n’est pas neutre à notre avis ; comme dans le cas de Noé pour les textes mythologiques. Il révélera l’opération intellectuelle en cours, celle qui occupe les esprits plus ou moins consciemment, une opération qui aura besoin d’un « patronage » pour trouver une issue à une situation intellectuelle tendue et délicate. Dans le cas de saint Patrice comme dans le cas de Mahomet, ce fut Moïse qui fut retenu. Et cela nous apprend qu’une « sortie » est recherchée, qu’une Terre promise nouvelle pour le peuple gaël est à construire. Aussi, le voilà moralement et physiquement captif des très-sachants de la druidiaction (druidecht) et d’un roi barbare, comme Moïse le fut des prêtres et du pharaon ; les voix qu’il entend résonner dans sa tête en gardant les porcs dans les hauteurs boisées rappellent l’épisode du Buisson-ardent ; sa fuite, son embarquement, sa traversée de la Gaule devenue soudainement désertique (!), ses miracles pour alimenter le groupe auquel il appartient, ses combats contre la tentation de Satan, sont trop proches de l’Exode pour être vraisemblables. Seule sa mission en Irlande diffère de celle de Moïse qui, lui, se garde bien de revenir sur ses pas, mais une fois l’Irlande convertie à la nouvelle croyance, il y aura tout lieu de penser à une Terre promise enfin atteinte.
Saint Patrice mourra cependant avant qu’il en soit ainsi. Cette similitude évidente avec la Bible n’aura pas servi à approfondir la vie du saint, elle ne l’aura que rendue plus conforme. En dépit du « bis repetita non placent » Tirechan, en bon hagiographe, conclut même que Patrice fut en quatre points semblable à Moïse.
1. Il entendit un ange dans un buisson.
2. Il jeûna 40 jours et 40 nuits.
3. Il vécut cent vingt ans.
4. Personne ne sait où il est enterré.
Dans toutes ces adaptations, on chercherait en vain quelque invention littéraire. Un passage tiré de la Vita Tripartita Patricii, souvent cité d’ailleurs, laisse néanmoins songeur. Patrice sur le mont Crochan Aigli (devenu Croagh Patrick dans le Connaught) jeûne et prie durant 40 jours. Au bout de ce laps de temps, le ciel se couvre d’oiseaux noirs, le saint lance contre eux sa cloche, et fait une trouée dans ces ténèbres ; il pleure et des oiseaux blancs apparaissent : ce sont les âme/esprits des pécheurs qu’il a sauvées de l’Enfer, et d’autres suivront grâce à son mérite ; un ange lui annonce que l’Irlande sera recouverte par la mer sept ans avant le Jugement dernier. Cette scène plaît pour ce qu’elle exprime visuellement comme ouverture de l’horizon. Pour le ton prophétique final qui nous paraît bien convenir avec l’idée que le christianisme est vécu intellectuellement comme une intrusion, dont la seule justification possible se trouve dans la naissance d’un autre monde. Mais elle est somme toute inopérante et sans effet sur le cours de ses œuvres. Enfin, comme l’explique bien le Français Loyer dans son livre intitulé « Les chrétientés celtiques », le monachisme irlandais ne naquit pas des efforts de Patrice qui, conformément au modèle continental, voulut organiser l’Église d’Irlande autour de l’évêque, responsable juridique et religieux, représentant de l’ordre social. On ne vint à célébrer saint Patrice et à en écrire la vie que lors des conflits entre Rome et les monastères irlandais. D’abord sur la date de Pâques, du VIIe au VIIIe siècle, et sur la soumission des églises au siège épiscopal de Cantorbéry en pays anglo-saxon ; puis sur la réforme clunisienne liée en Irlande à l’extension normande), pour mieux rappeler les Irlandais trop individualistes et amoureux de l’érémitisme, à la
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tradition patricienne la plus ancienne. L’hommage rendu à saint Patrice, loin de favoriser une œuvre originale et fondée sur des spécificités irlandaises, était donc déjà une invitation à se conformer à la norme. L’hagiographie est littérairement décevante dans ce premier cas.
Mais le conflit avec Rome se traduit dans plusieurs vies de la même manière, par de progressives édulcorations et moralisations des épisodes : le travail se fait dès la « Rénovation » carolingienne (qui doit tant aux Irlandais) par le souci d’une langue latine plus classique ; on corrige donc les hibernismes. Cet effort se poursuit sur les thèmes avec une disparition ou un effacement des faits trop folkloriques ou « barbares ». L’hagiographe veut donner de son saint une certaine « image de marque », ce qui l’amène à décrire une naissance annoncée par des prodiges, une enfance remuante, une vie monastique ou missionnaire semée de miracles, une mort édifiante.
Cette composition vaut pour tous : elle tend à identifier la vie du saint à celle du Christ, ou plus exactement aux vies apocryphes du Christ qui comblaient l’attente d’un public friand de merveilleux. Tout détail échappant à ces règles est éliminé ou n’apparaît qu’involontairement, par suite d’une faute d’inattention. Enfin, cet effort hagiographique s’est accompagné d’une retranscription des manuscrits. Dans certains cas du moins, où l’on est en droit de supposer que les rares faits véridiques qui pouvaient encore percer sous l’uniformité imposée, ont été atténués une dernière fois et rendus plus indistincts. L’avis de la critique est donc le suivant : ces vies diffèrent peu de la tradition commune européenne ; tout au plus sont-elles une mine de renseignements sur la chrétienté irlandaise, à dégager d’une gangue monotone.
La seule chance qui reste pour le critique est que cet ultime travail de révision n’a pas toujours été bien accompli et que les négligences furent nombreuses. Le voilà réduit à célébrer l’erreur et l’oubli.
On pourrait donc résumer l’hagiographie irlandaise aux trois étapes suivantes.
— Choisir dans les vies de saints celles qui sont les plus conformes à la politique du Vatican.
— Transformer les faits vécus par ceux qui sont convenus, notamment dans les modèles continentaux le choix étant significatif.
— Détruire toute trace (mentalités, stylistique, etc.) d’hibernisme.
Le constat est sévère au niveau littéraire. Outre que les bons sentiments n’ont jamais fait de bonne littérature, on demeure stupéfait devant cette volonté d’uniformisation. Même si cette tendance ne réussit pas partout, heureusement, on doit admettre au minimum que les conditions d’une création originale n’étaient pas réunies.
Nous ne pouvons passer en revue toutes ces vies de saints pour rendre compte d’une réécriture hagiographique gauchissant l’œuvre originale que l’on veut diffuser, mais aussi rendre conforme. Elles serviront sous peu de « faire-valoir » pour mieux saisir où se situe la véritable créativité irlandaise, celle où l’on invente un nouveau genre littéraire : la navigation.
Nous maintenons notre idée que la littérature irlandaise a pu donner à la littérature universelle quelque invention. Elle ne peut pas en effet n’avoir que répété, transmis, ou imité, voire appauvri. Cela n’expliquerait pas la floraison intellectuelle des VIe, VIIe, et VIIIe siècles. Le latin n’a pas servi uniquement à des querelles ou à des œuvres « orientées » : il s’est fait le vecteur d’une spiritualité créatrice. Le fait le plus probant est celui de la « navigation », dont le succès ne s’est jamais démenti au cours des siècles, ni même l’influence. Semblable à la question de la rime, le problème du voyage en mer recoupe une situation intellectuelle particulière, qui mène à l’invention d’une nouvelle forme.
Plusieurs problèmes se sont posés pour la critique concernant le genre des navigations de la littérature irlandaise. Il existe des « imrama » (pluriel d’imram, terme dont le sens revient à signifier « ramer de-ci de-là, errer ») qui sont écrits en gaélique (moyen gaélique), sont d’inspiration mixte (laïque et chrétienne), et racontent une navigation pleine de découvertes merveilleuses. Le nombre de ces textes est de trois (l’imram de Mael Duin, le plus long et célèbre, celui des Hui Corra, celui de Snedgus et MacRiagla). Quoique, dans un catalogue du livre de Leinster, cinq autres titres de navigations aujourd’hui perdues, apparaissent aussi : celles de Murchertach mac Erca, Bri Leith, Brecan, Labraid, et Fothad. Si l’on parle d’un genre littéraire à leur sujet, c’est en raison de leur structure indifférente au motif et au but (accessoires ou absents) tournée sur les seuls incidents du voyage.
Comme nous le disions tout au début de ce travail, le temps « passé en mer » est le critère essentiel. Mais, là-dessus, se greffe l’existence d’un autre genre, l’echtra ou voyage hors de ce monde avec « aventures » dans l’autre. Il nous narre le départ d’un héros invité à rejoindre l’autre monde parallèle au nôtre que nous désignons généralement sous le nom d’au-delà ou d’après-vie, et à y séjourner. Il
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en existe trois : le voyage en mer de Bran (appelé à tort « imram », car le texte tient évidemment du genre « echtra »), les aventures de Cormac, et celles de Condlé.
Il ne faut pas perdre de vue que les echtra sont essentiellement païens, alors que les imrama ont été retravaillés en profondeur par le christianisme.
La critique s’est donc appliquée à la question de l’antériorité de l’imram sur l’echtra, ou de l’inverse, des sources respectives et de l’origine religieuse ou sociale de ces deux genres. À ce premier groupe de problèmes, se sont ajoutés ceux qui concernent la Navigatio Sancti Brandani, un texte latin existant presque en dépit des deux Vitae Sancti Brendani, qui relèvent de l’hagiographie. Certains manuscrits (le codex Dubliniensis par exemple) ont une numérotation des chapitres de la Navigatio indépendante de la Vita, ce qui prouverait que les deux récits ont une origine différente et ont été réunis tardivement. On retrouvera donc à son sujet les mêmes questions qu’à propos de « l’imram » et de « l’echtra ».
La Vita précède-t-elle la Navigatio ? Ou est-ce l’inverse ? Etc. Puis, on fera de même entre Navigatio, Imram, Vita, Echtra, dont on cherchera celui qui mérite la palme de l’antériorité ou de l’originalité première.
La véritable question a trait à l’élaboration de ce genre littéraire spécifique, dont les caractéristiques résident dans un voyage aller puis retour, du héros, d’ici à l’autre monde. Dans le fait que le voyage s’effectue sur les mers et a une durée, dans la croyance en un au-delà bien terrestre. À la différence des aislingi (des visions), des descentes aux Enfers ou des ascensions, la navigation dans ce cas est un pèlerinage axé sur la diversité des formes, et non sur le sens de l’existence ou sur les mystères divins. La préférence est donnée aux « apparences », et cela suffit à combler l’attente, tout comme à favoriser l’admiration et la louange. C’est en ce sens déjà que l’on peut aborder ce « genre », et dissocier ces textes des autres navigations (grecques, romaines, égyptiennes). Elles n’envisagent nullement de rechercher l’inattendu pour en faire un objet d’admiration, et elles éprouvent de l’effroi devant les « déformations » du réel. Esthétiquement, ces dernières sont insensibles à ce critère d’une réalité qui serait belle en raison de sa bizarrerie ou de son extravagance. Le spectacle de la stabilité symétrique leur conviendrait mieux.
En tant que pèlerinages, les navigations irlandaises ont pu s’inspirer de certaines habitudes du pays.
Le droit celtique des brehons faisait de la peregrinatio d’un peuple ou d’une tribu à l’autre un mode d’exil ou de sanction. Une des peines prévues par la tradition irlandaise consistait en effet en un abandon aux flots condamnant un criminel à naviguer, privé de rames et de gouvernail, là où le vent le porterait. Dans les deux cas, l’homme était privé de l’aide de sa communauté et cela constituait la peine la plus grande qui pouvait lui arriver. Ce pèlerin forcé ne pouvait ainsi compter que sur la Providence divine.
On en a un excellent exemple dans la Cain Adomnain de 697, il s’agit de la peine remplaçant le prix du sang pour les femmes (les coupables de sexe féminin).
45… Une femme mérite la mort pour avoir tué un homme ou une femme, ou pour avoir administré un poison mortel, ou pour avoir brûlé une église, ou pour y avoir creusé… elle sera abandonnée dans une barque à une seule pagaie sur l’océan pour y dériver sous l’effet de la brise de terre avec un seau de nourriture et un seau d’eau. Il lui adviendra ce que Dieu aura décidé.
Notons au passage qu’on peut se demander si un lourd wergeld à payer comme dans le cas des coupables de sexe masculin (la société celtique ancienne en effet ne connaissait pas la prison et pratiquait rarement la peine de mort, mais recourait le plus souvent au principe du wergeld s’il y avait mort d’homme) n’aurait pas été une peine plus douce, mais les voies de Dieu sont impénétrables. Surtout dans le christianisme (les dieux païens, eux, étaient plus faciles à comprendre, car plus logiques).
Dans un tout autre contexte, le danger suprême sera donc tenté par certains moines qui, se sentant coupables (ou pécheurs), rompront volontairement leurs attaches et s’exileront pour faire la volonté de Dieu.
Il est évident que cette attitude était « révolutionnaire » pour une société fortement axée sur l’intégration de tous les individus. Lesquels n’existaient que par la force des règles sociales les définissant et les protégeant. Si l’on accepte cette filiation, la navigation retrace alors une violence faite envers un droit social bien précis, ainsi qu’un renversement des valeurs. Le pèlerin est l’égal du roi, il brave l’interdit et le danger, a le sort du criminel, mais la gloire du souverain. Cela explique en partie que son regard sur le monde privilégie l’inaccessible et l’admirable. Aucun épisode n’est
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concluant, n’achève un sens. Tous laissent une curieuse impression d’inexplicable, puisque lui-même s’exile de la société, admet le rôle de banni, pour un temps. Aucune valeur humaine ne peut juger son acte ; et ce qu’il voit ne peut s’expliquer pour les hommes. On est passé d’une façon de rendre la justice, à une aventure religieuse où le forçat devenu homme de Dieu ou du Démiurge peut tenir lieu de héros. Où l’exil volontaire est la promesse d’une aventure sortant du réseau de relations propre à toute société. La navigation irlandaise nous permet d’énoncer ce concept qui nous a déjà tant servi, puisqu’il est fondé sur l’idée que la pensée peut s’échapper de ses propres inventions, raisonnables ou imaginaires. L’imram puise sa source dans une double rupture (celle qui est totalement involontaire du criminel banni ; celle qui est volontaire du pèlerin dénonçant la cruauté de l’exil au-delà des mers et acceptant d’être méprisé, au nom de Dieu ou du Démiurge ; et porte un regard sur le réel « excentrique » au sens strict du terme puisqu’il naît en dehors de la tradition des lettres irlandaises (gaéliques et latines).
Après bien des discussions, la critique s’est stabilisée sur l’opinion que « l’imram » est un genre littéraire produit par l’apport du christianisme, qu’il n’est pas un genre indigène comme peut l’être « l’echtra ». Nous ne discuterons pas ici de la question des rapports entre ces deux genres ; il nous suffit de savoir que certains auteurs estiment que l’imram tire son origine de l’echtra, tandis que d’autres préfèrent leur donner une origine différente et autonome, l’un par rapport à l’autre. L’important est de remarquer que « l’echtra » se rattache mieux à la littérature épique ou mythologique du vieil irlandais. En raison de sa façon de communiquer avec l’autre monde, parallèle au nôtre, que nous appelons l’au-delà (une invitation faite par une femme et l’impossibilité pour le héros de résister). Et aussi de la brièveté du passage d’un monde dans l’autre.
En revanche, l’imram se rattacherait mieux à des textes d’inspiration chrétienne, marqués par le thème du voyage et du pèlerinage. Si bien que l’on peut conclure que l’imram se situe en dehors du courant principal de la littérature irlandaise ancienne, à la différence de l’echtra.
Les echtra ont en effet des thèmes apparentés à ceux du corpus mythologique, ainsi que nous pouvons le voir dans le cas des aventures de Condlé.
Le fils d’un roi d’Irlande aperçoit une fée de l’au-delà s’approcher de lui et l’inviter à la suivre là-bas ; le roi demande à Corann, son druide, de réciter une incantation à l’encontre de cette femme que seul Condlé son fils peut voir ; ce dernier se morfond de tristesse, ne se nourrissant que d’une pomme merveilleuse offerte par la mystérieuse apparition ; la fée revient, vante son pays, d’où le malheur est absent, et Condlé s’embarque avec elle, disparaissant ainsi à tout jamais. Le schéma de l’histoire fait apparaître une forte attraction, celle du pays merveilleux. « Viens à moi, ô Condlé le rouge… si tu y consens, jamais on ne verra se flétrir ta jeunesse, ta beauté…». Une première tentative de le séduire que le roi dénonce ainsi à son druide : « Depuis que je suis monté sur le trône, aucun ennemi n’avait pu ainsi me défier. Aujourd’hui, un être invisible me fait violence et veut me prendre mon fils ».
Face à cette situation, et à la suite de cet appel, Condlé commence à dépérir : « Le chagrin lui brisait le cœur et il voulait revoir cette mystérieuse jeune femme ». Le druide tente de rompre ce charme funeste, mais la femme l’emporte en avançant que Condlé de toute façon est voué à mourir un jour s’il reste ici-bas, sort qui atteint même les fils de roi.
Le thème est donc clairement exprimé : la mort attend tous les êtres humains. Quant au passage de Condlé dans l’Autre Monde, le texte, dans sa brièveté même, est transparent. « Aussitôt que la femme eut fait cette réponse, Condlé se sépara de son père et de ses compagnons, et sauta dans la barque de cristal ».
On comprend mieux pourquoi l’echtra n’inclut pas de « navigation », il s’agit d’opérer un saut le plus rapide possible. Cela correspond parfaitement à l’intention et à la préoccupation intellectuelle du temps, d’où le choix des textes, et des variantes de ces textes, les plus adéquats.
La femme prophétise un autre monde et la disparition de l’ancien ; Condlé préfigure l’attitude à venir où un saut sera nécessaire et l’a été.
Ce type de preuves plus littéraires renforce l’idée que l’echtra n’appartient pas au genre nouveau de l’imram qui possède une autre série d’images, ainsi que nous le verrons plus tard, et qui est plus influencé par le christianisme. Dans le cycle épique de Cuchulainn, il existe un récit qui présente les mêmes traits que l’echtra de Condlé, ce qui accroît la parenté de l’echtra et du corpus mythologique ou épique.
Dans la serglige Conculainn en effet, nous trouvons l’histoire suivante. Une fée, Wanda/Fand, délaissée par son époux, le dieu-ou-démon de l’Autre Monde, Belinos Barinthus Manannann, décide d’épouser notre héros ; elle prend l’aspect d’un oiseau que Cuchulainn veut capturer, mais en vain apparemment ; un sommeil magique s’empare de lui, puis un état de léthargie qui dure un an. Un inconnu lui promet alors la guérison s’il vient dans l’Autre Monde épouser Wanda/Fand ; Cuchulainn
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envoie d’abord son cocher par deux fois en reconnaissance, avant de rejoindre la fée. Son épouse légitime Aemer éprouve une violente jalousie et force son époux, de retour avec la fée, à choisir ; de son côté Cuchulainn éprouve des regrets, mais, au départ de Wanda/Fand, doit boire un élixir pour oublier son amante de l’Au-delà.
Le texte décrit une situation identique à celle de Condlé : beauté ainsi que puissance attractive de l’Autre Monde ; insatisfaction de notre héros qui ne supporte plus l’étroitesse de notre monde, ce qui se traduit par une léthargie ou une absence de tout mouvement (immobilisation à une charnière : « les fées t’ont vaincu, elles t’ont réduit en captivité ») ; invitation à franchir ce seuil : « Réveille-toi, héros des Ulates (ou Voluntii = des hommes d’Ulster), lève-toi bien portant et heureux », aucune indication de voyage (le héros est immédiatement de l’autre côté ; sans aucun délai pour la traversée).
Le dernier récit à prendre en considération est désigné sous le nom de Navigation de Bran, bien qu’il faille le ranger dans le genre païen qu’est l’echtra, en raison de sa structure.
Une fée invite Bran fils de Fébal à partir vers l’île de l’Éternelle Jeunesse, ce qu’il fait ; en cours de route, le dieu-ou-démon Belinos Barinthus Manannan lui décrit ce pays, et annonce la venue d’un de ses fils en Irlande ; Bran atteint l’Île de la Joie où tout homme rit sans cesse, puis l’île des femmes où il demeure des siècles ; un de ses compagnons veut revenir en Irlande, mais tombe en poussière en touchant le rivage ; Bran repart.
Ainsi, par rapport aux autres echtra, la seule différence réside dans le fait de tenir quelque peu compte du temps nécessaire au voyage, mais c’est juste une convention, car Bran n’erre pas en chemin et va directement là où on l’attend. La fascination exercée par la messagère de l’Autre Monde est exprimée par une musique qui endort Bran, et par une branche en fleurs qui échappe des mains de notre héros. Bran n’hésite pas un instant à faire le saut pour rejoindre cette fée, sans aucune résistance, contrairement à Condlé ainsi qu’à Cuchulainn. On retrouve la même idée d’un monde plus vaste qui doit remplacer le monde terrestre, dans la mention d’un fils (Jésus Christ ?) du dieu en question qui doit venir dans une Irlande convertie à plus de grandeur. Une pelote de fil collée à la paume de Bran l’attire sur l’île des Femmes et le retient là-bas, comme pour indiquer son nouvel enracinement, sa nouvelle naissance (une sorte de cordon ombilical restauré en quelque sorte).
« Imram » et « Navigatio » sont d’une autre essence, car structurés autour d’images et d’espaces signifiant la fissure ou la déchirure. Là encore, il conviendrait de savoir si « l’imram » précède ou non la « navigation ». Mais lorsque l’on sait qu’en tout et pour tout, il y quatre œuvres de ce type (trois imrama et la Navigation de saint Brendan) il paraît préférable, afin de parler de genre littéraire, de les considérer ensemble. Toute une méthode critique héritée du XIXe siècle se faisait un point d’honneur de définir des influences, des sources, des dates et lieux de composition, mais aboutissait si vite à une telle infinité de cas possibles, que rien de concluant n’apparaissait. Le résultat de ces efforts ne fut pas vain pour autant ; la date de rédaction de ces textes doit être à peu près identique (à plus ou moins quelques dizaines d’années) : du VIIe au VIIIe siècle. Ce sont des œuvres conçues par des Irlandais, à défaut d’avoir été composées en Irlande ; la connaissance des textes classiques et des textes gaéliques est évidente ; le christianisme recourt à des images du folklore.
Le problème que nous posons, rappelons-le, concerne l’élaboration de ce genre littéraire. Nous nous trouvons en effet à la conjonction de plusieurs influences, dont aucune n’est suffisamment déterminante pour être créditée du mérite de l’invention. La tradition celtique sur l’autre monde parallèle au nôtre appelé au-delà, la religion chrétienne, les œuvres gréco-latines sur les îles Fortunées, n’ont jamais conduit à un type de récit. Une « visite du monde » dont nous ne verrions qu’une partie, et surtout débouchant sur l’Englobant Universel (Dieu, ou la Vérité) par voie maritime. Le bonheur de cet univers parallèle appelé au-delà est personnel dans les echtra ; le pèlerinage chrétien est plus souffrance qu’admiration de la Création ; l’arrière-monde gréco-latin est cruel, et menaçant, illusoire et marqué par la souffrance.
Littéralement, la conception gaélique peut engendrer le lyrisme, celle du christianisme l’autobiographie, celle de la littérature gréco-latine, le drame. Mais leur rencontre fait naître le genre de la navigation, où chacun se rejoint dans cette forme nouvelle. Dans le champ gaélique, s’introduit la culture chrétienne et romaine, elle en rompt l’enchantement, lui impose la durée ainsi que la difficulté, elle éloigne de plus en plus le point d’arrivée, distend l’espace maritime précédant le lieu idéal. Mais le long de ce partage, elle distribue les merveilles condensées en un seul endroit (l’île de Jeunesse), les charge d’une valeur humaine classique, et les interroge d’une façon toute chrétienne comme signes des temps futurs. Le voyage en mer n’est plus seulement simple cheminement, dur pèlerinage ou fatalité ; il devient temps de louange, d’incertitude métaphysique, d’étonnement, et d’amour pour la nature. La « navigation » est née, avec en son sein les éléments de son élaboration « transfigurés », orientés dans un autre sens.
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Ce travail intellectuel se traduit dans la fréquence de certaines images. Il répond à une exigence : l’univers parallèle au nôtre appelé Au-delà selon les Celtes est une perfection, un lieu sans conflit, délicieux. Mais comme le dira le héros nommé Usheen (Ossian) dans le poème de Yeats, bien plus tard, c’est aussi un endroit fort ennuyeux, livré aux apparences. À cette vision vite monotone qui rappelle la difficulté des théologiens et poètes chrétiens à décrire le Paradis (alors qu’il est si commode de représenter l’Enfer) ; le genre nouveau propose au contraire de visualiser comment la Création en vient à se transformer. Ainsi que nous l’avons montré à propos de la Navigatio Sancti Brendani, qui décrit à sa façon une « morphogenèse ». Le saint parti par curiosité ainsi que par vocation revient porteur d’un message prophétique, annonciateur d’une vaste déchirure qui atteindra un jour l’Irlande. Ayant assisté aux métamorphoses de la Création, lui aussi s’est modifié ; attaché à une perfection individuelle, le voilà maintenant doté d’une information concernant tout le monde.
Guyonvarc’h et Le Roux ont raison d’écrire que la navigation a fait disparaître les femmes et a remplacé les délices de l’univers parallèle au nôtre appelé Au-delà, par un mélange sans séparation d’îles paradisiaques et infernales. « Il n’est rien d’aussi peu chrétien que cette alternance ou cette succession, où les anges et les saints ermites côtoient les diables, les démons, et les monstres ».
Nous avons déjà traité de la Navigatio Sancti Brendani, si bien qu’il est inutile de redire comment le texte privilégie les images agrandies, les étapes préparatoires, ainsi qu’une structure générale dessinant une coupure dans le plan du voyage.
Le texte porte, en lui, la trace de ce qui agita les esprits à son propos, il possède une série d’images et une composition qui dénoncent une préoccupation intellectuelle. D’une « matière » (au sens que le Moyen-âge donnait à ce mot) celtique et chrétienne médiévale, dont la rencontre « déchira » l’une et « découpa » l’autre, surgit le genre de la navigation. Il ne s’est pas agi de faire passer un corpus de traditions dans un autre cadre, mais de confronter deux conceptions sur l’Au-delà : celle que nous donnent, d’une part, les echtra ; celle qui se découvre dans les Vitae d’autre part.
Nous conclurons ainsi. Les « navigations » irlandaises sont lisibles à deux niveaux.
Le premier niveau, interne à l’œuvre, décrit une « déchirure » qui projette le héros d’un point de vue dans un autre, et le conduit à penser l’univers comme ouvert (annonce historique, existentielle, morale, etc.).
Le second niveau, externe, révèle un affrontement idéologique propre à ces époques, puisque la navigation s’écarte à la fois de la littérature gaélique et de la littérature chrétienne, telles qu’elles apparaissent dans d’autres genres. La rencontre de ces deux traditions ne produit pas un « mélange » disparate, mais une déformation originale en vertu d’une sublimation essentielle ; en effet, un troisième facteur a joué, la croyance en la Beauté du Monde. Les deux niveaux se superposent, l’un traduisant l’autre. Comme dans le cas de la rime, l’invention se produit indirectement, par hasard, ou par la réunion de facteurs favorables (deux traditions riches et un ferment religieux pour faire lever la pâte). La littérature irlandaise, forte de ces deux inventions qu’elle peut diffuser à autrui, l’est aussi d’une autre façon à nos yeux : elle nous décrit certaines lois d’élaboration des formes nouvelles. Le passage d’une culture à une autre n’est pas nécessairement désastreux, mais oriente une lecture de sa propre tradition (et peut la renforcer, la vitaliser). La rencontre de deux forces culturelles égales provoque aussi l’éclosion de solutions nouvelles 1).
Que faire maintenant de certaines parties de cette littérature, surtout si elles sont anciennes et confuses, impures et maladroites, de prime abord immorales ou monotones ?
Guy VINCENT. Les Éditions en ligne Caracâra. Les Éditions en ligne Caracâra du site utqueant. org publient des travaux de recherche consacrés à diverses œuvres littéraires à partir de méthodes nouvelles.
1) Un aspect que nous avons négligé d’une tierce solution réside dans l’invention du « Purgatoire » : ce lieu entre Ciel et Enfer, invention des Irlandais (de Croagh Patrick ou Station Island), bien qu’il n’y en ait aucune preuve certaine. Cf J. Le Goff, la naissance du Purgatoire.
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LES DIFFÉRENTS LIVRES (ANCIENS) SUR LE PEUPLEMENT DE L’IRLANDE
ET LE LEBOR GABALA ERENN.
On appelle Livre des conquêtes en Irlande un ensemble de textes manuscrits se trouvant pour l’essentiel dans des recueils (de manuscrits) intitulés :
Le livre du Leinster (1150). Lebor Laignech en gaélique.
Le livre de Fermoy (1373). Dit aussi Livre de Roche.
Le grand livre de Lecan (1418). Leabhar Mór Leacain en gaélique.
Le livre de Ballymote (1391). Leabhar Bhaile an Mhóta en gaélique.
L’œuvre de Mícheál Ó Cléirigh/Michel O’Cléry (1631).
Un premier essai de traduction en a été fait en 1884 à Paris par William O’Dwyer ainsi que par Henri Lizeray sous le titre Leabar Gabala.
O’Cléry en ce qui le concernait ayant refusé de reprendre le texte gaélique du Lebor gabala Erenn parlant d’événements s’étant déroulés avant l’histoire de Cessair, préférant laisser cette partie de la non-bible du druidisme aux théologiens. Aux théologiens judéo islamo chrétiens plus précisément devrait-on dire.
Afin de prouver à nos lecteurs à quel point effectivement cette partie de nos manuscrits est absurde ou aberrante dans l’absolu, et tout à fait dénué de pertinence en ce qui concerne l’histoire et la philosophie de nos lointains ancêtres (biologiques ou spirituels), nous en dirons néanmoins deux mots, inspirés de la lecture d’autres auteurs, afin de laisser nos lecteurs seuls juges en la matière.
Ce Leabar Gabala ou Lebor Gabala Erenn est un ensemble de textes très disparates que l’on peut regrouper en dix parties ou livres différents.
La première partie consiste en un résumé de l’histoire de la création du monde selon la Bible, autrement dit par des mythes sumériens revus et adaptés à leur cas, par les Hébreux (Adam, Lucifer, etc.).
Elle commence ainsi :
In principio fecit Deus celum & terram (ce qui est du latin) et poursuit ainsi : i. Doringne Dia nem & talmain ar tús & ni fil tossa ch na forcend fairseom féin (ce qui est du gaélique).
L’avant-dernière partie est une liste des rois d’Irlande avant l’avènement du christianisme.
La dernière partie est une liste des rois d’Irlande ayant été baptisés.
Seules les parties 2 à 8 traitent de la façon dont les peuples parlant une langue celte ont peuplé l’île. Nous verrons dans cette étude qu’il y a beaucoup à en dire, le rapport avec la réalité historique étant parfois, souvent même, très aléatoire, notamment dans les poèmes.
À noter : la plupart des poèmes insérés dans cette œuvre sont essentiellement dus aux quatre auteurs chrétiens suivants.
Eochaidh Ua Floinn (936-1004) d’Armagh (les poèmes 30, 41, 53, 65, 98, 109, 11).
Flann Mainistrech mac Echthigrin (mort en1056), de l’abbaye de Mainistir Bhuithe/Monasterboice) (les poèmes 42, 56, 67, 82 ?)
Tanaide (mort vers 1075) (les poèmes 47, 54, 86).
Gilla Cómáin mac Gilla Samthainde (vers 1072) (les poèmes 13, 96, 115).
Cet ouvrage prétend être un compte-rendu littéral et détaillé de l’histoire du peuple irlandais, mais ce n’est en fait qu’une tentative ayant pour but de doter les Irlandais d’une histoire écrite comparable à celle que les Juifs se sont attribuée par le biais de la partie Ancien Testament de la Bible.
Le tout en utilisant les mythes païens de l’Irlande celtique, gaéliques et prégaéliques, mais réinterprétés à la lumière de l’idéologie ou de la mythologie judéo-chrétienne. Il décrit comment l’île a été, selon les auteurs de cette compilation hétéroclite, théoriquement soumise à une succession d’invasions, chacune constituant un nouveau chapitre de l’histoire du pays. Les paradigmes bibliques ont fourni aux auteurs de cette interminable saga les histoires toutes faites pouvant être adaptées à leur dessein. Dès le début ce nouveau « mythe » s’est révélé une nouvelle orthodoxie très populaire et à l’influence considérable (y compris sur de nombreux chercheurs en druidisme d’aujourd’hui hélas !) rapidement dotée d’un caractère quasiment canonique. Des textes plus anciens furent modifiés afin que leurs récits concordent avec cette nouvelle version de l’Histoire, et quantité de nouveaux poèmes (136) furent écrits pour y être insérés. Rien qu’en un siècle il en fut fait une pléthore de copies.
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Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, le Lebor Gabála Érenn est donc l’un des textes irlandais les plus importants de l’époque médiévale et la première traduction faite dans une des langues vernaculaires de la Vieille Europe d’alors en fut effectuée par O’Dwyer et Lizeray en 1884 sous le titre français de Livre des Invasions de l’Irlande (255 pages).
Le texte (gaélique ou latin) a été publié entre 1938 et 1956 par R. A. S. MacAlister, pour le compte de l’Irish Text Society. Dans ses notes MacAlister explique qu’il y a eu cinq versions différentes de ce mythe, réparties dans divers manuscrits (Livre de Ballymote, Livre de Leinster, etc.) rédigés entre le XIIe et le XVIIIe century.
La Première Rédaction, R1, est contenue dans les manuscrits L et F. La Seconde, R2, est contenue dans les manuscrits A, D, E, P, R et V. La Troisième, R3, est contenue dans les manuscrits B, b, b 1, b 2, H et M. C’est une compilation d’éléments de R1, R2 ainsi que d’autres sources. La Rédaction appelée Min (contraction de Míniugud) est présente aux côtés des éléments de R2 dans D, R et V. La Rédaction K (aussi appelée 23K32) est une version tardive (1631) due à Micheál Ó Cléirigh, le principal compilateur des Annales des Quatre Maîtres. R 3 et K sont des récits artificiellement arrangés. K est basé sur R2 (D), même s’il a des liens avec M, et R3.
On dénombre aujourd’hui en tout 18 manuscrits concernant le Lebor Gabala. Mais l’on peut ramener ce nombre à 11. Les manuscrits V ne sont que les parties d’un même document, tout comme les manuscrits F. Le manuscrit A est une copie du manuscrit D, les manuscrits b sont des dérivés du B).
HISTOIRE DE L’ÉLABORATION DE CET OUVRAGE.
Tout d’abord fut écrit le Liber Occupationis Hiberniae. Cet ouvrage, en latin, n’évoquait qu’une seule invasion de l’Irlande. Le Lebor Gabala, qui lui succédera, gardera d’ailleurs dans son titre l’idée d’une invasion unique (voir la version Min ou Miniugud).
Ensuite, ou parallèlement, un moine [grand] breton ou gallois nommé Nennius, au VIIIe siècle, rédige un ouvrage traitant incidemment de l’histoire des trois peuples qui ont précédé les Gaëls, en se basant sur divers textes en latin et des informations orales. Il ne met pas en scène les peuples antédiluviens.
Nennius était un lettré gallois capable apparemment de transformer les lacunes de l’Histoire en un ensemble cohérent ou pour le moins susceptible d’une interprétation immédiate par ses contemporains. Dire que c’est un faussaire serait anachronique. Il se contente de boucher des trous. Pour les contemporains, ce n’était pas de la légende, c’étaient les généalogies de leurs peuples et de leurs souverains.
L’Historia Britonum est donc une œuvre composite qui n’est en réalité qu’un assemblage de plusieurs textes réunis au fil des siècles.
Compilateur tardif, Nennius a par conséquent tenté d’homogénéiser divers éléments contradictoires. Pour certains auteurs, cette œuvre d’harmonisation que l’on met sous son nom ne serait en réalité que le produit d’une École littéraire galloise travaillant avec des scriptoria français ou irlandais.
Au Moyen-âge les événements incontestables manquent cruellement. L’historien comme le chroniqueur a donc besoin de bien plus d’imagination que les intellectuels d’aujourd’hui, il lui suffit que cela soit vraisemblable.
Mais le vraisemblable est bien différent aujourd’hui de ce qu’il était à l’époque, pour ce qui est de la forme, mais sans doute pas sur le fond… Les uns et les autres font l’éloge de leurs lecteurs. Voir l’actuel discours sur le métissage (obligatoire ou conseillé) des intellectuels français. Il n’y a pas d’histoire objective.
Il s’agit toujours de broder un récit sur une collection choisie d’événements incontestable. L’historien n’est pas un romancier, il doit faire le plus avec, et le moins sans.
N.B. Quant aux statistiques qui feraient, paraît-il, entrer l’Histoire dans la catégorie des sciences exactes, il n’y a rien de plus pervers. Il suffit de voir ce qu’en font les politiciens ou les journalistes actuellement au pouvoir en France. Ils s’en servent, au besoin en les manipulant ou en les tronquant, sans vergogne, pour raconter des histoires.
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Extraits du télégramme 07 Paris 306, de l’Ambassade américaine.
« Le secteur privé des médias en France – journaux, radios et télévisions – continue d’être dominé par un petit nombre de conglomérats, et les médias français sont plus régulés ou soumis aux pressions politiques voire commerciales que leurs homologues américains…
… Ces journalistes ne considèrent pas nécessairement que leur premier rôle est de surveiller le gouvernement ou le pouvoir en place. Beaucoup d’entre eux se regardent plus comme des intellectuels, préférant analyser les événements et influencer les lecteurs plutôt que rapporter des faits ».
Autrement dit…
À quelques exceptions près (suivant les personnalités, les individualités, ou plutôt vraisemblablement selon les circonstances) que nous saluons ; le manque d’intelligence et d’honnêteté intellectuelle, voire tout simplement de courage, de la classe médiatique dans son ensemble ; aggravé par le comportement moutonnier dû à son instinct grégaire de lemming, mâtiné de pas mal d’orgueil et de mépris des simples citoyens ; fait toujours perdre beaucoup de temps et temps précieux ainsi que beaucoup d’énergie psychique ou mentale à nos modernes sociétés oligarchiques. Car il y a certainement bien plus de vraie démocratie au sein d’une tribu perdue d’Amazonie coordonnée par un vieux chef soucieux d’impliquer le plus de monde possible dans la prise des décisions les plus importantes (on fait la paix ou la guerre avec les voisins, la tribu part s’installer ailleurs ou on reste ici encore une année ?)
Mais revenons à nos moutons comme on dit par chez nous !
L’histoire des peuples antédiluviens fut écrite après, en gaélique ou en latin, et insérée dans ce canevas.
L’étape suivante fut la traduction, en gaélique, de tous ces essais concernant le peuplement de l’Irlande.
Le manuscrit appelé Min tire d’ailleurs justement son nom de cette période (« Míniugud » signifie « Explication » et le Min commence ainsi : « Explication du Liber Occupationis Hiberniae »). Non sans certaines modifications au passage, dans le cas du Nennius en gaélique.
Seuls les poèmes n’ont pas dû être traduits en ce sens qu’ils ont sûrement toujours été composés en gaélique.
Et enfin, c’est vraisemblablement à la fin du XIe siècle qu’un compilateur anonyme a rassemblé différents poèmes qu’il a insérés dans cet ensemble en prose. Tout en y incorporant des commentaires, des gloses, ou des paraphrases de son cru, interrompant d’ailleurs ainsi parfois le cours du récit original.
Au nombre des poètes irlandais ainsi mis à contribution par ce compilateur anonyme, on peut citer d’abord Eochaid Ua Flainn (936 – 1004), ensuite Flann Mainistrech mac Echthigrin (mort en 1056), Tanaide (mort vers 1075) et enfin Gilla Coemáin mac Gilla Shamthainne (1072).
Cette compilation s’orienta dans deux directions différentes : l’une suivie par le manuscrit Min et le R1 d’une part, et celle qui précède le manuscrit R2 d’autre part.
Le Min fut sûrement la première traduction, ensuite il y eut les manuscrits R1 et R2.
Aujourd’hui l’Histoire est une science sociale qui requiert exactitude (autant que faire se peut) et rigueur. Au XIIe siècle et même encore au XVIIe, l’approche est différente, l’Histoire est subordonnée avant tout au politique (voir la dédicace quand il y en a une, par exemple celle de Rodrigue O’Flaherty adressée au roi Jacques II, dans son livre sur son Ogygie à lui).
Le principal objectif des compilateurs auteurs du Livre des Conquêtes, outre celui de justifier bibliquement leur tradition, a été de démontrer la continuité du peuplement de l’Irlande, terre promise des Gaëls comme la Palestine a été la terre promise d’Israël. Leurs méthodes scientifiques, ethnographiques ou étymologiques, n’étaient évidemment pas celles qui sont les nôtres. Mais il ne sert à rien d’appliquer des méthodes d’investigation modernes à leurs résultats, si l’on n’a pas compris le postulat qui leur a servi de base.
Si le Français d’Arbois de Jubainville et quelques-uns de ses successeurs avaient vu dans le Livre des Conquêtes autre chose que des réminiscences historiques ; ils auraient peut-être empêché des
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druidomanes, charlatans ignares et peu soucieux d’exactitude, de transformer certaines parties de la tradition celtique en stupide science-fiction, terrestre ou extraterrestre.
Si les Irlandais avaient des idées bien arrêtées sur leurs origines, la localisation pratique de leurs exils ou de leurs origines théoriques les intéressait peu. Il s’ensuit parfois une variabilité, voire une géographie dont la puérilité nous désoriente. Mais il faut faire la part des choses. Tout cela n’a d’autre importance que celle de la mode médiévale – que les érudits contemporains ne sont pas obligés de suivre – de l’origine orientale des êtres humains, des Gaulois Fir Bolg ou des Gaëls. Cette idéologie dominante puérile comme beaucoup d’idéologies dominantes, il suffit de réfléchir trente secondes sur maints propos des intellectuels et des journalistes d’aujourd’hui (ils sont nettement situés hors du champ de toute rationalité, car trop primaires), faisait des Irlandais les égaux ou les lointains cousins des Hébreux, et justifiait tout ce que leurs ancêtres – y compris les dieu-ou-démons du « paganisme » – avaient bien pu faire entre l’époque du déluge et l’arrivée de saint Patrice. Comment ne pas les absoudre et raconter sans remords leurs « diableries » ? Ces diverses aberrations, en matière de géographie, trouvent leur explication dans l’époque de la transcription des traditions orales par les moines chrétiens.
— Du VIIe au IXe siècle : relative quiétude. Les clercs cherchent à tout rattacher à la Bible et au monde gréco-romain, d’où est venu le christianisme. C’est l’idéologie dominante de l’époque. Aujourd’hui la mode est bien à l’exaltation du métissage obligatoire au nom de la diversité, ce qui est pourtant contradictoire quand on y réfléchit un peu, car la seule loi en ce domaine devrait être celle de l’amour et du hasard. Or l’apologie du métissage n’est pas sanctionnée par la loi, son contraire l’est.
— Du IXe au XIe siècle : incessantes incursions des Vikings. Allusions plus poussées à la Scandinavie, au point même d’en faire venir les vouivres et les anguipèdes gigantesques (fomore en gaélique, andernas sur le Continent).
Mais le fait que l’on trouve partout les mêmes thèmes, chez Giraud de Cambrie, chez Keating, ou dans les Annales des Quatre Maîtres, signifie bien néanmoins quelque chose : la permanence, outre celle de certains détails, de certains schémas de pensée du mythe panceltique originel.
Ci-dessous donc les dix parties ou sections du Lebor Gabala Erenn.
La création du monde et la dispersion des langues ou des nations. Cette première partie traite de la création du monde comme dans la Bible (interpolation chrétienne évidente, les premiers mots sont d’ailleurs en latin).
In principio fecit Deus Caelum et Terram, i.e., au commencement Dieu fit le Ciel et la Terre [et lui-même n’a ni commencement ni fin], etc. etc.
L’histoire des Gaëls et de leur arrivée en Irlande sur le mode biblique. Fénius Farsaid, la tour de Babel, l’Égypte, la fille du Pharaon, l’Espagne, etc.
Le peuplement de Cessair.
Le peuplement de Partholon.
Le peuplement de Nemed.
Le peuplement des Gaulois Fir Bolg.
Le peuplement des dieu-ou-démons de la déesse-ou-démone, ou fée, appelée Danu (bia) : les Toutai Deuas. En gaélique les Tuatha Dé Danann.
L’invasion des Milésiens ancêtres des Gaëls. Reprise de l’histoire de Fénius Farsaid, etc., etc.
La liste ou le livre des rois d’Irlande avant l’établissement du christianisme dans l’île.
La liste ou le livre des rois d’Irlande après la christianisation.
Ces deux dernières sections contiennent diverses généalogies royales, ce qui visiblement était ce à quoi voulaient en venir les auteurs de la compilation. C’est en effet à propos des Milésiens ancêtres des Gaëls, que sont évoquées en effet, pour la première fois, des listes de généalogies royales insistant lourdement sur le bon roi qui comble ses sujets de bienfaits. Mais chacun de ces rois meurt quand même de la main de son successeur.
Ces diverses généalogies étaient, bien entendu, complètement fausses (forgées de toutes pièces) puisque remontant toutes à Ève et Adam. Car en fait, d’après les spécialistes, le premier haut roi d’Irlande vraiment historique fut Niall aux neuf otages (Niall Noigiallach), un monarque qui vivait à l’époque de saint Patrice c’est-à-dire au Ve siècle.
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CONCLUSION.
Après avoir été transmis exclusivement de manière orale jusqu’à la fin du VIIIe siècle, ce qui allait devenir l’incroyable mythe, fondateur de toute l’Irlande médiévale, fut ensuite copié, développé puis remanié par les clercs. Pour être plus en phase avec l’enseignement de l’Église catholique et la culture de l’époque.
La première version écrite du Lebor Gabála Érenn, presque une ébauche (l’Historia Britonum de Nennius), date du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle.
Les écrits de Nennius (Historia Britonum IXe siècle) sont donc les plus anciens témoignages concernant ce Liber Occupationis Hiberniae ou Lebor Gabála Érenn.
« Primus autem venit Partholomus cum mille hominibus de viris et mulieribus et creverunt usque ad quattuor milia hominum et venit mortalitas super eos et in una septimana omnes perierunt et non remansit ex illis etiam unus.
Secundus venit ad Hiberniam Nimeth filius quidam Agnominis, qui fertur navigasse super mare annum et dimidium et postea tenuit portum in Hibernia fractis navibus eius et mansit ibidem per multos annos et iterum navigavit cum suis et ad Hispaniam reversus est.
Et postea venerunt très filii militis Hispaniae cum triginta ciulis apud illos et cum triginta coniugibus in unaquaque ciula et manserunt ibi per spatium unius anni. Et postea conspiciunt turrim vitream in medio mari et homines conspiciebant super turrim et quaerebant loqui ad illos et numquam respondebant et ipsi uno anno ad oppugnationem turris properaverunt cum omnibus ciulis suis et cum omnibus mulieribus excepta una ciula, quae confracta est naufragio, in qua erant viri triginta totidemque mulieres. Et aliae naves navigaverunt ad expugnandam turrim, et dum omnes descenderant in litore, quod erat circa turrim, operuit illos mare et demersi sunt et non evasit unus ex illis. Et de familia illius ciulae, quae relicta est propter fractionem, tota Hibernia impleta est usque in hodiernum diem. Et postea venerunt paulatim a partibus Hispaniae et tenuerunt regiones plurimas.
Novissime venit Damhoctor et ibi habitavit cum omni genere suo usque hodie in Brittannia. Istoreth Istorini filius tenuit Dalrieta cum suis ; Builc autem cum suis tenuit Euboniam insulam et alias circiter ; filii autem Liethan obtinuerunt in regione Demetorum et in aliis regionibus, id est Guir Cetgueli, donec expulsi sunt a Cuneda et a filiis eius ab omnibus Brittannicis regionibus.
Si quis autem scire voluerit, quando vel quo tempore fuit inhabitabilis et deserta Hibernia, sic mihi peritissimi Scottorum nuntiaverunt.
Quando venerunt per mare rubrum filii Israël, Aegyptii venerunt et secuti sunt et demersi, ut in lege legitur.
Erat vir nobilis de Scythia cum magna familia apud Aegyptios et expulsus est a regno suo et ibi erat, quando Aegyptii mersi sunt, et non perrexit ad persequendum populum dei.
Illi autem, qui superfuerant, inierunt consilium, ut expellerent illum, ne regnum illorum obsideret et occuparet, quia fortes illorum demersi erant in rubrum mare, et expulsus est.
At ille per quadraginta et duos annos ambulavit per Africam, et venerunt ad aras Filistinorum per lacum Salinarum et venerunt inter Rusicadam et montes Azariae et venerunt per flumen Malvam et transierunt per Maritaniam ad columnas Herculis et navigaverunt Tyrrenum mare et pervenerunt ad Hispaniam usque et ibi habitaverunt per multos annos et creverunt et multiplicati sunt nimis et gens illorum multiplicata est nimis.
Et postea venerunt ad Hiberniam post mille et duos annos, postquam mersi sunt Aegyptii in rubrum mare ».
« Le premier qui vint fut Partholon, avec mille hommes et femmes ; leur nombre s’éleva ensuite à quatre mille ; mais la mort s’abattit brusquement sur eux et ils disparurent tous en une semaine. Le second fut Nimech, fils d’Agnoman, qui, après avoir erré en mer un an et demi et brisé ses vaisseaux, serait arrivé dans un port en Irlande où il serait resté plusieurs années pour ensuite revenir avec les siens en Espagne. Arrivèrent après cela trois fils d’un soldat espagnol avec trente navires, dont chacun transportait trente femmes. Au bout d’un an leur apparut au milieu de la mer une tour de verre, dont le sommet semblait couvert d’hommes, auxquels ils s’adressaient souvent, mais sans obtenir de réponse. Ils décidèrent finalement d’assiéger cette tour ; et après un an de préparatifs, ils prirent la mer avec tous leurs navires et toutes les femmes, à l’exception d’un seul vaisseau qui avait fait naufrage auparavant et dans lequel se trouvaient trente hommes et autant de femmes. Quand tous eurent débarqué sur le rivage devant la tour, la mer s’ouvrit et les engloutit. Le peuplement de l’Irlande jusqu’à nos jours est issu de la famille qui était à bord du navire ayant fait naufrage.
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Par la suite, d’autres sont venus d’Espagne et ont pris possession de diverses régions de Grande-Bretagne. Finalement arriva Dam Hoctor, qui s’est installé sur place et dont les descendants sont restés là-bas jusqu’à aujourd’hui. Istoreth, le fils d’Istorin et les siens prirent possession de Dalmeta, Builcet de l’île Eubonia ainsi que d’autres lieux adjacents. Les fils Liethali occupèrent le pays des Dimetæ ainsi que les provinces de Guoher et Cetgueli, qu’ils occupèrent jusqu’à leur expulsion de Grande-Bretagne, par Cuneda et ses fils.
D’après les clercs écossais, l’Irlande était déserte et inhabitée quand les enfants d’Israël traversèrent la mer Rouge alors que les Égyptiens y furent engloutis d’après le Livre de la Loi. À l’époque vivait au sein de ce peuple avec une nombreuse famille un noble Scythe qui avait été banni de son pays et n’avait jamais persécuté le peuple de Dieu. Les Égyptiens qui restaient, vu la tragique disparition des grands hommes de leur nation, craignant de perdre leur territoire, tinrent conseil et décidèrent de l’expulser. Contraint et forcé il erra donc quarante-deux ans en Afrique et arriva avec sa famille aux autels des Philistins, au bord du lac salé. Poursuivant leur chemin entre Rusicada et les montagnes de Syrie, ensuite ils suivirent la rivière Malva au travers de la Mauritanie jusqu’aux colonnes d’Hercule ; et après avoir traversé la mer, débarquèrent en Espagne où ils demeurèrent longtemps tout en se multipliant. Et de là, mille deux ans après que les Égyptiens aient été engloutis par la mer Rouge, ils passèrent en Irlande ».
Ce Nennius [grand] breton écrivant bien entendu en latin, évoque donc trois fils d’un soldat d’Espagne (très filii militis Hispaniae) sans mentionner ni que c’est un Gaël ni que ce sont des Milésiens. En outre il ne parle ni des Enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu (bia), ni des Gaulois Fir Bolg. Les aventures du peuple de ces trois fils du soldat d’Espagne ressemblent un peu à celle des Némétiens du Lebor gabala (la tour de Conann) des légendes irlandaises postérieures. Il y est aussi question d’une attaque d’une tour située dans la mer et finissant par un désastre, etc.
Les légendes concernant Cessair et les hommes de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) n’ont donc été incorporées que plus tard dans le récit, Nennius les ignorait (pas suffisamment connues ?) ou les a délibérément écartées (histoires de bardes pas très sérieuses à son goût ?)
Le premier à venir fut Partholon, qui avait avec lui 1000 compagnons, tant hommes que femmes. Leur nombre, s’accroissant sans cesse, atteignit les 4000 hommes. Mais une épidémie s’abattit soudainement sur eux et ils moururent en une semaine, de sorte qu’il n’en resta pas un seul.
Le second qui vint en Irlande fut Nimeth, fils d’un certain Agnomen. Il navigua sur la mer, dit-on, pendant un an et demi. Ayant fait naufrage, il débarqua dans un port du pays (d’Irlande). Il y demeura de nombreuses années puis retourna en Espagne avec les siens.
Vinrent ensuite les trois fils d’un soldat espagnol avec 30 vaisseaux emportant chacun 30 hommes et autant de femmes. Ils restèrent en Irlande un an. Ils aperçurent alors sur la mer une tour de verre et ils voyaient sur la tour quelque chose qui ressemblait à des hommes. Ils adressaient la parole à ces gens sans jamais obtenir de réponse. Après s’être préparés pendant un an à l’attaque de cette tour, ils partirent avec tous leurs navires et toutes leurs femmes. Il ne resta en Irlande qu’un seul navire (ayant coulé dans le port dès le départ avec son équipage). Quand l’expédition débarqua sur le rivage entourant la tour, la mer s’éleva au-dessus d’eux, et ils périrent tous engloutis par la marée montante. Des 30 hommes et 30 femmes dont le navire avait coulé avant même de partir à l’attaque de la tour descend toute la population qui habite aujourd’hui l’Irlande…
Ce qui est remarquable, c’est que Nennius mentionne un autre peuple après celui des probables Milésiens ou des possibles Gaëls.
« Novissime venit Damhoctor et ibi habitavit cum omni genere suo usque hodie in Brittannia ».
Personne jusqu’ici n’a été capable de comprendre à quelle invasion fait allusion ce mystérieux Dom Hoctor. Certains pensent même qu’il ne s’agissait pas là d’un nom propre.
Les descendants de ce Dom Hoctor ressemblent beaucoup aux Gaulois Fir Bolg des légendes irlandaises ultérieures, notamment pour ce qui est de leurs derniers refuges.
Par contre, Nennius semble ensuite revenir sur l’invasion des Milésiens en parlant d’un noble Scythe dont il ne donne pas le nom et de sa nombreuse progéniture.
Bref, un beau micmac ! Mais le pire est à venir ! Il semble bien que les indications généalogiques fantaisistes fournies par le recueil de Nennius soient en réalité issues de légendes continentales sur le même sujet. Les Bretons qu’il mentionne sont peut-être en effet, non pas ceux de Grande-Bretagne, mais tout simplement ceux d’Armorique en France (cf. les Viri Armorum de sa version irlandaise ?). Nennius mentionne en effet un peu plus loin, des Francs, des Romains… Et des Alémans ? Ou des
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Écossais ?… Certains auteurs pensent donc que les pseudo-généalogies de Nennius ont été en réalité concoctées… en France. Un comble !
En voici un extrait. En latin. Aliud experimentum inveni de isto Bruto ex veteribus libris veterum nostrorum. Très filii Noe diviserunt orbem in très partes post diluvium. Sem in Asia, Cham in Africa, Iafeth in Europa dilataverunt terminos suos. Primus homo venit ad Europam de genere Iafeth Alanus cum tribus filiis suis, quorum nomina sunt Hessitio, Armenon, Negue. Hessitio autem habuit filios quattuor : hi sunt Francus, Romanus, Britto, Albanus. Armenon autem habuit quinque filios : Gothus, Valagothus, Gebidus, Burgundus, Longobardus. Negue autem habuit très filios : Vandalus, Saxo, Boguarus. Ab Hisitione autem ortae sunt quattuor gentes Franci, Latini, Albani et Britti. Ab Armenone autem quinque : Gothi, Valagothi, Gebidi, Burgundi, Longobardi. A Neguio vero quattuor Boguarii, Vandali, Saxones et Turingi. Istae autem gentes subdivisae sunt per totam Europam. Alanus autem, ut aiunt, filius fuit Fetebir, filii Ougomun, filii Thoi, filii Boib, filii Simeon, filii Mair, filii Ethach, filii Aurthach, filii Echthet, filii Oth, filii Abir, filii Ra, filii Ezra, filii Izrau, filii Baath, filii Iobaath, filii Iovan, filii Iafeth, filii Noe, filii Lamech, filii Matusalae, filii Enoch, filii Iareth, filii Malalehel, filii Cainan, filii Enos, filii Seth, filii Adam, filii dei vivi. Hanc peritiam inveni ex traditione veterum.
Qui incolae in primo fuerunt Brittanniae Brittones a Bruto. Brutus filius Hisitionis, Hisition Alanei, Alaneus filius Reae Silviae, Rea Silvia filia Numa Pampilii, filii Ascanii ; Ascanius filius Aeneae, filii Anchisae, filii Troi, filii Dardani, filii Flise, filii Iuvani, filii Iafeth. Iafeth vero habuit septem filios. Primus Gomer, a quo Galli ; secundus Magog, a quo Scythas et Gothos ; tertius Madai, a quo Medos ; quartus Iuvan, a quo Graeci ; quintus Tubal, a quo Hiberei et Hispani et Itali ; sextus Mosoch, a quo Cappadoces ; septimus Tiras, a quo Traces. Hi sunt filii Iafeth filii Noe filii Lamech.
Il existe un autre récit parlant de ce Brutus dans les vieux livres de nos ancêtres. Après le déluge, les trois fils de Noé occupèrent successivement trois parties différentes de la terre : Sem en Asie, Cham en Afrique et Japhet en Europe.
Le premier homme qui a vécu en Europe était Alanus et ses trois fils, Hisicion, Armenon et Neugio. Hisicion avait quatre fils, Francus, Romanus, Alamanus et Brutus. Armenon avait cinq fils, Gothus, Valagothus, Cibidus, Burgundus et Longobardus. Neugio avait trois fils, Vandalus, Saxo et Boganus. D’Hisicion sortirent quatre nations : les Francs, les Latins, les Albani et les Britanniques : d’Armenon, les Gothi, les Valagothi, les Cibidi, le Burgundi et les Longobardi ; de Neugio, les Bogari, Vandali, Saxones et Tarincgi. Ces tribus se partageaient l’Europe.
On dit qu’Alanus était le fils de Fethuir ; Fethuir, le fils d’Ogomuin, fils de Thoï. Thoï était le fils de Boibus. Boibus le fils de Sémion ; Sémion le fils de Mair ; Mair le fils d’Ecthactus ; Ecthactus le fils d’Aurthack ; Aurthack le fils d’Ethec ; Ethec le fils d’Ooth ; Ooth le fils d’Abir ; Abir le fils de Ra ; Ra le fils d’Ezra ; Ezra le fils d’Izrau ; Izrau le fils de Baath ; Baath le fils de Jobaath ; Jobaath le fils de Jovan ; Jovan le fils de Japhet ; Japhet le fils de Noé ; Noé le fils de Lamech ; Lamech le fils de Mathusalem ; Mathusalem le fils d’Énoch ; Énoch le fils de Jared ; Jared le fils de Malalehel ; Malalehel le fils de Cainan ; Cainan le fils d’Enoch ; Enoch le fils de Seth ; Seth le fils d’Adam ; Adam issu des mains du Dieu vivant.
Les anciennes traditions nous apprennent ce qui suit concernant les premiers habitants de la Grande-Bretagne. Les Britanniques furent ainsi appelés de Brutus ; Brutus était le fils d’Hisicion ; Hisicion était le fils d’Alanus ; Alanus était le fils de Rhea Silvia ; Rhea Silvia était la fille de Numa Pompilius ; Numa était le fils d’Ascagne ; Ascagne était le fils d’Enée ; Enée était le fils d’Anchise ; Anchise le fils de Troius ; Troius le fils de Dardanus ; Dardanus le fils de Flisa ; Flisa le fils de Juvani ; Juvani le fils de Japhet ; Japhet avait sept fils ; du premier, nommé Gomer, descendirent les Galli ; du second, Magog, les Scythes et les Goths ; du troisième, Madian, les Mèdes ; du quatrième, Juvan, les Grecs ; du cinquième, Tubal, les Hébreux, les Espagnols et les Italiens ; du sixième, Mosoch ; sont issus les Cappadociens ; du septième, appelé Tiras, vinrent les Thraces : tels furent les fils de Japhet, fils de Noé, fils de Lamech.
Bref une celtomanie ou druidomanie typiquement franchouillarde que l’Italien Annius de Viterbe portera même à son comble en 1498, en mettant un tel délire judéo-chrétien dans la bouche d’un prêtre de Babylone nommé Bérose (Antiquitatum variarum).
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PREMIERS ESSAIS DE CLASSEMENT
DES DIFFÉRENTS PEUPLEMENTS DE L’IRLANDE.
D’APRÈS LA VERSION [GRAND] BRETONNE DE NENNIUS.
Partholon (Primus autem venit Partholomus).
Nemet (Secundus venit ad Hiberniam Nimeth).
Trois fils d’un soldat d’Espagne (Et postea venerunt très filii milites Hispaniae).
Dom Hoctor (Novissime venit Damhoctor).
D’APRÈS LA VERSION DITE IRLANDAISE, DE NENNIUS.
La version irlandaise de l’Historia Britonum, le Lebor Bretnach ou Leabhar Breatnach, figure dans trois manuscrits.
Le Livre de Lecan. Le Livre de Ballymote. Le manuscrit H. 3. 17 (ouvrage rassemblant des écrits des XIVe, XVe et XVIe siècles).
Elle fut sans doute rédigée en Écosse, plus précisément dans le monastère d’Abernethy, alors siège d’une littérature gaélique florissante.
DE GABAIL ERENN AMAIL INDISIS NEMNUS.
Ceid fhear do gab Eirind.i. Parrtalon cum mile hominibus.i. mile itir firr & mna, & ro fosbrithear a 'n-Eiri na n-il mileadaib, coras marb a n-aen t-sheachtmain do tam, a n-digail na fingaili do roindi for a pathair agus for a mathair.
Nemead iardain ros gab sen in Eirind. Mac saidein araile Agnomain ; ro athtreab a sil re ré cian in Eirind, co n-deachadar co h-Easbain, for teithead in cissa na Muiride.i. na Fomorach.
Uiri Bullorum.i. Firbolg iardain & Uiri Armorum.i. Fir Gaileoin, & Uiri Dominiorum.i. Fri Domnann, sil Nemid annsin.
Ro gab in n-Eirind iardain Plebes Deorum.i. Tuata de Danann is dib ro badar na prim eladhnaig. Edon Luchtenus Artifex. Credenus Figalus. Dianus Meidicus. Eadan dna filia eius.i. muimi na filid. Goibnen Faber. Lug mac Eithnega rabadar na h-uil-dana. Dagda mor (mac Ealadan mic Dealbaith) in rig. Ogma brathair in rig, as e a ranig litri na Sgot.
Is iad na fir seo ro briseat cath mor for na muireadaib.i. for na Fomorcaib, & cor thaethsadar rompa ina tor.i. dun ro daingean for muir. Co n-deachadar fir Erenn ina n-dagaid co muir, coro cathaigseat friu co ros forro do glaeseat in muir uile acht lucht aen luinge, gor gabadar in n-inis iardain. No comad iad clann Neimid im Feargus leidh-dearg mac Neimid do togailseat in tor, &c.
Tainig iardain dám ochtair, cona ocht longaib, is co ro aittreabsath a n-Eirinn, & co ro gab rand mor de.
Fir Bolg imorro ro gabsat Manaind & araile innsi archeana, Ara & Ili & Rachra.
Clanda Gaileoin, imorro, mic Earcail ro gabsat Indsi Orc.i.
Istoreth mac Istoirine mic Aigine mic Agathirir ro sgailseat aril, a h-Indsib Orcc.i. do cuaid Cruithne mac Ingu mic Luithe mic Pairte mic Istoreth mic Agnamain mic Buain mic Mair mic Faitheacht mic Iauad mic Iafeth ; conad ro gab tuasceart innsi Breatan……
DE IMTECHTAIB GAEDEAL ANNSO SIS.
Is amlaid seo imorro atfiadait na h-eolaid na n-gaedeal imteachta a n-arsaide toiseach. Ro bai araile fear soceanolach for loingeas i n-Eigipt, iar na h-indarba a rigi Sgeithia, in n-inbaid tangadar meic Israthel tre Muir Ruaid, & ro baidead Forand cona sluag. In sluag terna as gan badad, ro h-innarbsat a h-Eigipt in loingsech soicenelach ud, ar ba cliamain sium do Forand do baidead ann.i. Forann Cíncris.
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Roascnadar iarum in Sgeitheagdai co na clann is a n-Affraig, co h-altoraibh na Feilisdinach co cuithib Salmara, & eitir na Ruiseagdaib & sliab Iasdaire, & tar sruth m-bailb très in Set Muiride co Colamnaib Ercail tar muncinn Gaididoin co h-Easpain ; & ro aittreabaid in Espain iardain, co tangadar meic Milead Easpaine co h-Eirind co trichait cuile, co tricha lanamain cach cul, a cind da bliadan ar mile iar m-badad Foraind im Muir Ruaid.
Rex hautem eorum mersus est.i. ro baidead in rig.i. Donn ag Tig Duind. Tri bandé in n-inbaid sin a flaithius Erenn, Folla, & Banba, & Eire, coro moideadar tri catha forro re macaib Mileadh. Coro gabadar meic Milead rigi iardain.
« Le premier qui prit possession de l’Irlande fut Partholon, avec un millier d’hommes, c’est-à-dire avec un millier d’hommes ou de femmes ; ils se multiplièrent dans le pays, devenant des milliers et des milliers, jusqu’à ce qu’ils finissent tous par être condamnés à mourir de la peste en une seule semaine ; à cause du meurtre commis jadis par Partholon sur la personne de son père et de sa mère.
Après ce fut Nemet qui habita l’Irlande. C’était le fils d’un certain Acnomanos. Sa race demeura longtemps dans le pays, jusqu’à ce qu’ils s’en aillent en Espagne, afin de fuir le tribut imposé par les Muiridi [autrement dit les Andernas appelés Fomore en Irlande].
Ensuite les Viri Bullorum [autrement dit les Fir Bolg] et les Viri Armorum [autrement dit les Fir Gaileoin] ainsi que les Viri Dominiorum, autrement dit les Fir Domnann, furent les hommes constituant la race de Nemet.
Ensuite ce fut le peuple des dieu-ou-démons, autrement dit les enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère, Danu (bia), qui prit possession de l’Irlande…
Ce sont ces hommes de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) qui vainquirent en une grande et fameuse bataille les peuples de la mer [autrement dit les Andernas/Fomore], de sorte qu’ils durent tous se réfugier dans une tour, une inexpugnable forteresse construite en pleine mer…
Les hommes d’Irlande partirent un jour les affronter au-delà des mers et ils se battirent vaillamment, mais en vain ; jusqu’à ce que la mer les engloutisse, à l’exception de l’équipage de l’un de ces navires ; ce sont ces Irlandais-là, qui occupèrent ensuite le pays.
Mais selon d’autres, en fait, ce furent les descendants de Nemet menés par Fergus « au côté rouge », son fils, qui prirent cette tour d’assaut…
Ensuite vint une compagnie de huit hommes, avec huit vaisseaux, ils demeurèrent en Irlande et prirent possession d’une grande partie de l’île.
Les Fir Bolg quant à eux s’emparèrent de Man, et de certaines autres îles comme Ara, Ili, et Rachra, de la même façon.
Quant aux enfants de Galeoin, le fils d’Hercule, ils s’emparèrent des îles Orcades ; cf. Istoreth, fils d’Istorine, fils d’Aigin, fils d’Agathirir, mais furent de nouveau également chassés de ces îles. Ensuite vint Cruithne, fils d’Agnaman, fils de Buan, fils de Mar, fils de Fatheacht, fils de Javad, fils de Japhet, qui s’empara du Nord de la Grande-Bretagne.
CI-DESSOUS LES AVENTURES DES GAËLS.
Les Gaëls instruits et lettrés rapportent ce qui suit de leurs anciens souverains.
Il était une fois un noble prince exilé en Égypte après avoir été banni du royaume de Scythie ; à l’époque où les enfants d’Israël franchirent la Mer Rouge à pied sec, mais où le pharaon et une partie de son armée y périrent noyés. Les soldats rescapés chassèrent d’Égypte ledit noble prince réfugié chez eux, car c’était un gendre du pharaon défunt… Ces Scythes partirent donc en Afrique avec leurs enfants… et ensuite ils demeurèrent en Espagne ; jusqu’à ce que les fils de Milet viennent en Irlande avec trente navires et trente couples dans chacun d’eux, mille deux ans après la mort du pharaon dans la Mer Rouge. Leur roi mourut d’ailleurs également noyé, près de Tech Duinn : il s’agissait d’un dénommé Donn. Trois déesses-ou-démones régnaient alors sur l’Irlande : Folla, Eire et Banba. Jusqu’à ce que les enfants de Miled remportent sur elles trois grandes victoires, qui leur donnèrent la souveraineté sur cette terre ».
Cette version irlandaise de Nennius nous donne donc par contre ou tout au moins évoque, dans l’ordre.
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Partholon.
Nemet.
Les Fir Bolg (Viri Bullorum, Viri Armorum, Viri Dominiorum).
Les Toutai Deuas (Plebes Deorum).
Une compagnie de huit hommes.
Et enfin les Milésiens (les fils de Miled/Milesius d’Espagne).
Dit autrement, il y a déjà des ajouts, la légende évolue et s’enrichit au fur et à mesure.
Une autre très ancienne version de la légende ou du mythe, au mauvais sens du terme, de l’invasion gaélo-milésienne en Irlande, figure dans la vie de saint Cadroe. Ou plus exactement dans la préface à la vie de saint Cadroe de Metz (environ 900 – 971, évêque abbé de Waulsort près de Dinant, Belgique, puis du monastère Saint Clément à Metz). L’auteur de cette préface y expose en effet ce qui suit.
Les Scots étaient des Grecs de la ville de Chorischon en Chorie, partis en Thrace à bord de puissants vaisseaux. Là ils furent rejoints par des sujets du roi Pergamus et des Lacédémoniens. Poussés par le vent du nord ils auraient ensuite erré en Méditerranée puis auraient franchi les colonnes d’Hercule, et navigué dans l’Atlantique jusqu’à la lointaine Thulé, avant finalement de débarquer à Cruachan Feli en Irlande. Là ils auraient découvert que le pays était déjà occupé, par les Pictes. Les Chorischii (comme ils s’appelaient eux-mêmes) défirent les Pictes et s’emparèrent d’Artmacha ainsi que de tout le pays situé entre Ethioch et le Loch Erne. Ce fut ensuite le tour de Kildare, de Cork et de Bangor. Bien des années plus tard, ces Chorischii auraient débarqué dans l’île d’Iona puis en Écosse dans la région de Rossia, le long de la rivière Rosis, et se seraient emparés des cités de Regmonath et Bellethor. Ces nouveaux venus auraient d’abord appelé Chorischia leur nouveau royaume, mais les Chorischii ayant peu à peu perdu l’usage de leur langue, le nom égyptien de Scotia aurait alors été donné à leur nouvelle patrie.
Or que disent les vrais textes antiques à ce propos ?
Strabon. Livre XIV. Chapitre I. L’Ionie.
Section 1.
Il me reste maintenant à parler des Ioniens et des Cariens tout comme des côtes situées au pied du Taurus, et qui sont occupées par les Lyciens, les Pamphyliens ou les Ciliciens ; car je pourrai ainsi achever ma description de la péninsule dont l’isthme, comme je le disais, constitue la route qui va de la mer du Pont jusqu’au golfe d’Issus…
Section 3.
… Milet fut fondée par Nélée, un natif de Pylos. Les Messéniens et les Pyliens estiment être plus moins apparentés, raison pour laquelle les poètes actuels qualifient Nestor de Messénien, et racontent que de nombreux Pyliens suivirent Mélanthus, père de Codrus, ainsi que ses compagnons, jusque dans la ville d’Athènes, et que, par conséquent tous ces gens participèrent à la colonisation ionienne. Il y a encore aujourd’hui un autel érigé par Nélée sur le Posidium. Myonte fut fondée par Cydrélus, fils illégitime de Codrus ; Lébédos par Andropompe, qui s’empara d’un lieu appelé Artis ; Colophon par Andraemon, un Pylien, selon Mimnerme dans son Nanno ; Priène par Epyptus le fils de Nélée, ensuite par Philotas, qui amena en ce lieu des colons de Thèbes…
Strabon. Livre XIII. Chapitre I. Section 54. La Troade.
De Scepsis sont venus les philosophes socratiques Éraste et Coriscus ainsi que Nélée son fils ; ce dernier fut non seulement un élève d’Aristote et de Théophraste, mais aussi le légataire de la bibliothèque dudit Théophraste, qui incluait aussi celle d’Aristote. Aristote en effet avait légué sa bibliothèque à Théophraste, tout en lui transmettant également la responsabilité de son École ; ce fut le premier homme, autant que je puisse le savoir, à collectionner des livres et à enseigner aux rois d’Égypte comment constituer une bibliothèque. Théophraste la légua ensuite à Nélée ; et Nélée la transporta dans la ville de Scepsis avant de la transmettre à son tour à ses héritiers, des gens ordinaires qui gardèrent ces livres sous clé, mais sans être soigneusement rangés. Quand ils
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entendirent parler du zèle que les rois de la famille des Attales, dont dépendait la cité, mettaient à se procurer des livres pour la bibliothèque de leur ville de Pergame, ils cachèrent leurs livres dans une sorte de fossé creusé en pleine terre. Mais beaucoup plus tard, quand les livres eurent été endommagés par de la moisissure, mais aussi par des vers, leurs descendants les vendirent au dénommé Apellicôn de Téos pour une forte somme d’argent, à la fois les livres d’Aristote et ceux de Théophraste.
De ces quelques extraits de Strabon, nous pouvons déduire les choses suivantes.
Chorischon est vraisemblablement une déformation du nom de Coriscus.
Chorie est sans doute une erreur pour Carie, région d’Asie Mineure (capitale Milet justement).
Néleus…
La littérature grecque connaît deux hommes de ce nom.
1. Neleus, le fondateur de Milet en Carie.
2. Neleus, fils de Coriscus.
Les bardes gaéliques ayant inventé la légende milésienne pour flatter l’amour-propre de leurs rois ou de leurs princes ont donc certainement puisé à ces sources.
Pergamus. Pergame est un autre nom de la ville de Troie et ceci nous renvoie donc à l’Énéide de Virgile (livre VIII, vers 374). La légende de Miletus, ancêtre des Gaëls, est tout simplement un plagiat de l’œuvre de notre cher Virgile.
Que penser de tout cela ?
LA CHRONOLOGIE RETENUE PAR O’DWYER ET LIZERAY DANS LEUR LIVRE EST BIEN ENTENDU ABERRANTE, QU’ON EN JUGE !
Le Leabar Gabala ou Livre des Invasions, rédigé en 1631, sous la direction de Mícheál Ó Cléirigh retrace l’histoire des six colonies que les civilisations du continent ont jetées successivement, comme autant d’alluvions, sur la terre d’Irlande. Ce furent :
1° La colonie amenée par Cessair en 2957 avant Jésus-Christ, et composée de trois hommes et de cinquante femmes.
2° Celle de Partholon venue en 1679 avant Jésus-Christ, se maintint 300 ans. Elle se défendit contre les pirates Fomoriens qui avaient un œil et un pied, c’est-à-dire se servaient d’un seul pied et d’un œil, suivant l’explication donnée par le chroniqueur et applicable aux Cyclopes.
3° La colonie de Némed, de 2349 jusqu’à 2173 avant Jésus-Christ, combattit ces mêmes Fomoriens qui avaient assujetti l’Irlande et élevé des tours pour contrôler le pays.
4° Celle des Gaulois Fir-Bolgs, de 1973 à 1876 avant Jésus-Christ, établit la royauté, les lois et les assemblées législatives.
5° Celle des Tuatha Dé Danan, c’est-à-dire des Peuples de la déesse Danu, inspiratrice des arts et des sciences. Tous les mystères poétiques, enchantements scientifiques et connaissances médicales furent établis par les Tuatha Dé Danan, et malgré l’avènement de la religion chrétienne, leurs poèmes ne furent pas détruits à cause de leurs mérites. Ils dominèrent de 1876 à 1684.
6° En 1684 avant Jésus-Christ arrivent les Gaedils (Gaels) ou Scots, originaires de Scythie. Les Irlandais actuels descendent des Gaedils, dont ils ont conservé le nom comme patronyme. Pendant vingt-huit siècles, la royauté est tour à tour disputée par les deux familles rivales d’Emer et d’Eremon, fils de Milé. Elles jouent, pour ainsi dire, au roi détrôné, ce qui est conforme aux mœurs d’une époque guerrière et d’un peuple vaillant. Puis les Irlandais commettent la faute de faire intervenir l’étranger dans leurs querelles intestines. Les Danois, appelés par un parti irlandais, conquirent l’île en 1156 après Jésus-Christ, époque à laquelle se termine la narration du Leabar Gabala… Le Leabar Gabala, qui ne le cède en intérêt qu’à l’histoire d’Hérodote, n’est pas contredit par les récits consignés dans ce vénérable document. L’auteur grec nous dit, en effet, que les Scythes s’appelaient eux-mêmes Scolotes du nom d’un de leurs rois et ce nom se rapproche bien de celui de Scots (ou Gaëls), qui selon la version du Leabar Gabala, habitèrent la Scythie avant de venir en Irlande. Hérodote nous dit aussi que la coutume des Scythes et des Thraces était d’élever comme une montagne de terre sur le corps de leurs princes morts ; de même chez les Scots d’Irlande on retrouve la mode des cairns, etc., etc.
BREF, SANS VOULOIR OFFENSER LES SYMPATHIQUES DRUIDOMANES QUE SONT O'DWYER ET LIZERAY, RECONNAISSONS QUE CE LEABAR GABALA ERENN NE SAURAIT EN AUCUN
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CAS CONSTITUER UNE BIBLE DU DRUIDISME VALABLE, LA MOITIÉ DE SON TEXTE AU MOINS ÉTANT ABERRANTE OU ABSURDE. À l’EXCEPTION DE QUELQUES ÉPISODES ICI OU LÀ CE N’EST DONC SURTOUT PAS UNE BIBLE DU DRUIDISME. LE CYCLE D’ULSTER EST BEAUCOUP PLUS INTÉRESSANT (VOIR LA GESTE DE SETANTA CUCHULAINN).
Peu de gens maintenant, à part quelques scientistes primaires, osent encore affirmer que Cuchulainn et Finn sont des personnages historiques ayant vraiment existé. Mais il n’en va pas de même pour les invasions milésiennes. Beaucoup sont persuadés que les grandes lignes de cette histoire au moins, sont vraies.
Il existe même une tour de Breogan, construite au XVIIIe siècle près de La Corogne en Galice (Espagne), pour commémorer le jour où le dénommé Ith aurait aperçu l’Irlande, pourtant située à quelque 900 km plus au nord.
Jusqu’au XIXe siècle en effet, il fut admis que ce texte était globalement exact et historique. Le premier historien à penser qu’on ne pouvait prendre ce récit au pied de la lettre fut un certain Eoin MacNeill. Il fut en effet le premier à jeter les bases d’une véritable histoire de l’Irlande ancienne. La plupart des autres auteurs continuèrent néanmoins à s’appuyer dessus. Et notamment John O’Hart (Irish Pedigrees), qui persévéra dans cette voie en faisant remonter les origines de certaines grandes familles irlandaises aux fameux guerriers milésiens venus d’Espagne, et par là même à Ève et Adam !
MacAlister, lui, bien sûr, a en son temps abordé ce livre avec le même état d’esprit que MacNeill. Dans son introduction à cet ouvrage, il explique que les sections 3, 4, 5, 6, et 7, constituent autant d’interpolations ou d’ajouts à un texte antérieur.
Ith était dit avoir observé l’Irlande à partir de la tour de Breogan en Espagne, de la même façon que Moïse avait entrevu la Terre promise, et il y avait d’autres parallèles ou similitudes. En outre, cette histoire des Gaëls a été initialement transmise uniquement par la tradition orale et mise par écrit bien longtemps après, par différents auteurs qui plus est.
Thomas F. O’Rahilly va encore plus loin que MacNeill et MacAlister. Pour lui aussi, le Lebor gabala ou Livre des conquêtes, s’avère essentiellement une œuvre de fiction, commencée au VIIIe siècle par des érudits (Nennius ? ?) cherchant à reconstituer l’histoire de l’Irlande d’avant les débuts du christianisme, puis progressivement étoffée par divers ajouts. Dans les versions les plus anciennes, Mile d’Espagne par exemple n’a que deux fils ; Eber et Eremon. On leur ajoute ensuite un troisième frère, Ir, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils soient 8.
Ce que voulaient faire ces différents auteurs, c’était unifier les différents clans se partageant le pays, en leur donnant une origine commune.
Secundo lutter contre le paganisme en faisant de ses dieu-ou-démons comme Lug, et les autres, de simples mortels (évhémérisation à rebours).
Tertio donner des généalogies prestigieuses ou des ancêtres illustres, aux grandes familles ayant régné sur le pays au Moyen-âge.
Dans le cas de personnages comme Columcille ou Brian Borou, on a déjà bien du mal à séparer l’Histoire de la Légende, alors… O’Rahilly en conclura qu’il est strictement impossible de démêler la vérité de la fiction dans une telle œuvre.
Cette volonté farouche des lettrés irlandais (vouloir à tout prix se rattacher aux Grecs ou à d’autres peuples de ce genre) avait d’ailleurs d’illustres antécédents puisque l’on retrouve déjà quelque chose de similaire dans certains témoignages antiques.
Timagène cité par Ammien Marcellin. Rerum Libri Gestarum ou Res Gestae (Histoire de Rome).
Livre XV, chapitre IX, paragraphes 3-6.
« Certaines personnes affirment que les premiers habitants jamais vus dans ces régions étaient appelés Celtes, d’après le nom d’un de leurs rois, qui était très populaire chez eux, et quelquefois également Galates, d’après le nom de sa mère. Car Galates est la traduction grecque du mot latin Galli. D’autres affirment que ce sont des Doriens qui, suivant un très ancien Hercule, choisirent de s’établir dans cette région touchant à l’Océan.
Les druides [latin drasidae] affirment qu’une partie du peuple est réellement indigène, mais que les autres ont afflué d’îles très lointaines, et de régions situées au-delà du Rhin, chassés de leurs précédentes demeures par des guerres trop fréquentes, et aussi quelquefois par les inondations dues à une mer déchaînée.
D’autres encore soutiennent qu’après la destruction de Troie, quelques Troyens fuyant les Grecs, qui étaient alors partout, occupèrent ces régions qui étaient alors totalement désertes.
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Mais les natifs de ces contrées affirment encore plus clairement que toute autre chose (et nous l’avons nous-mêmes effectivement lu sur leurs monuments) qu’Hercule, le fils d’Amphitryon, pressé d’anéantir les deux cruels tyrans Géryon et Tauriscus, dont l’un opprimait la Celtique continentale, et l’autre l’Espagne ; après les avoir vaincus tous les deux, prit femme dans la noblesse de ces pays, en eut de nombreux enfants, et que ses fils appelèrent les régions dont ils devinrent les rois d’après leur propre nom ».
Justin, épitomé ou résumé des Histoires philippiques et universelles de Trogue Pompée. Livre XLIV, chapitre III.
« Pour ce qui est des Galiciens, ils prétendent en ce qui les concerne avoir une origine grecque ; car ils disent que Teucer, après la fin de la guerre de Troie, ayant donc encouru la haine de son père Télamon à cause de la mort de son frère Ajax, et n’étant plus admis dans son royaume, se retira ensuite à Chypre, où il bâtit une cité appelée Salamine, du nom de son pays natal ; que quelque temps plus tard, ayant appris la mort de son père, il retourna de nouveau dans son pays, mais qu’ayant été interdit de débarquement par Eurysace le fils d’Ajax, il fit voile vers la cote d’Espagne, et prit possession de la région où se dresse aujourd’hui Carthagène, puis, passant de là en Galice [latin Gallaecia], il s’y établit à demeure, et donna son nom à cette nation. Une partie de ces Galiciens est d’ailleurs appelée Amphiloques… »
Parthénios de Nicée. Aventures amoureuses (la N°XXX). L’Histoire de Celtine.
« On dit qu’Hercule, alors qu’il ramenait d’Érythie le bétail de Géryon, errant à travers le pays des Celtes, arriva un jour chez Bretannos, qui avait une fille appelée Celtine. Celtine tomba immédiatement amoureuse d’Hercule, cacha son bétail, et refusa de lui rendre tant qu’il ne serait pas venu la prendre dans ses bras. Hercule était bien entendu impatient de ramener son troupeau sain et sauf, mais il était encore plus sensible à l’extraordinaire beauté de Celtine. Il accéda donc ses désirs, et neuf mois plus tard leur naquit un fils appelé Celtos, d’où la race celtique tire son nom ».
Diodore de Sicile. La Bibliothèque historique. Livre V. Chapitre XXIV.
« Puisque nous avons abordé ce qui concerne les îles situées dans la région du Couchant, nous estimons qu’il ne sera pas étranger à notre travail de traiter brièvement des tribus d’Europe qui en sont voisines et que nous n’avons pas mentionnées dans notre précédent livre. La Celtique était jadis dirigée par un célèbre roi, nous a-t-on dit, qui avait une fille d’une taille inhabituelle, mais qui dépassait aussi en beauté toutes les autres jeunes filles. Mais cette dernière, à cause de la vigueur de son corps et de son charme merveilleux, était si difficile qu’elle refusait tous les hommes qui lui faisaient la cour et la demandaient en mariage, car elle trouvait qu’aucun de ses prétendants n’était digne d’elle. Maintenant, à l’occasion de son expédition contre Géryon, Hercule passa par la Celtique et y fonda la cité d’Alésia ; la jeune fille, en apercevant Hercule, fut émerveillée par sa valeur ainsi que par sa la grandeur de sa taille, et accepta volontiers ses embrassements, ses parents étant d’accord. Du fait de cette union, elle donna un fils nommé Galatès, à Hercule, un enfant qui surpassa tous les autres jeunes gens de sa tribu en matière d’esprit guerrier, mais aussi pour ce qui est de la vigueur du corps. Et quand il atteignit l’âge d’homme et qu’il eut hérité du royaume de ses pères, il soumit à sa loi une grande partie des territoires avoisinants et accomplit de grands faits de guerre. Devenu célèbre à cause de sa bravoure, il appela ses sujets Galates d’après son propre nom, et ces derniers en retour donnèrent leur nom à ce pays : la Galatie ».
Denys d’Halicarnasse. Antiquités romaines. Livre XIV. Chapitre I.
« L’ensemble du pays est appelé par les Grecs du nom commun de Celtique, à cause, disent certains, d’un géant appelé Celtus qui régnait là jadis. D’autres nous rapportent une légende selon laquelle Hercule et Astérope, la fille d’Atlas, eurent deux fils, Iberos et Celtos, qui donnèrent leur nom aux pays sur lesquels ils régnaient ».
Eustathe. Commentaire de Denys le Périégète.
Vers 74. On dit aussi que ce nom [Galates] leur vient d’un certain Galatès, fils d’Apollon.
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Vers 288. Celtus et Iberus sont fils d’Héraclès et d’une Barbare ; et c’est d’eux que viennent ces peuples, les Celtes et les Ibères.
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L’histoire des fils de Mile d’Espagne et de leurs conquêtes a été utilisée pendant des siècles et des siècles afin de légitimer ou appuyer les prétentions des uns et des autres. En 1571, Campion eut recours à ce mythe pour établir les droits de la monarchie britannique à régner sur le pays ; à la fin du XVIe siècle (1591 ?) Edmond Spenser en utilisa ou rejeta diverses parties pour dénigrer les Irlandais de son époque, et justifier ainsi la colonisation anglaise.
Les plus grandes manipulations du texte ont sans doute eu lieu au début du XVIIe, lors de la grande controverse bardique appelée Iomarbhágh na bhFileadh (de 1616 à 1624). Chacun des poètes du pays s’efforça de prouver à tout prix la supériorité de sa communauté ou de son maître sur les autres.
Seathrún Céitinn, dit Geoffrey Keating en anglais, eut recours à la légende milésienne (Foras Feasa ar Éirinn, 1634) pour promouvoir la légitimité des Stuarts (grâce au symbole de la pierre de Fal ou de Scone). Et démontrer ainsi que la généalogie de Charles 1er pouvait remonter jusqu’à Ève et Adam par Brian Borou, Eber, Galam et Noé.
Notre malheureux Rodrigue O’Flaherty, hélas ! fit de même pour Jacques II. O’Flaherty a certes eu raison de bien voir qu’Ogygie était une île d’extrême Occident, mais il s’est complètement fourvoyé en adoptant le même genre de généalogie. Son amour pour notre très chère Irlande explique sans doute cet aveuglement et rien que pour cela on lui pardonne. Sinn Féin !
Pour O’Rahilly par contre, cette généalogie faisant remonter les souverains d’Irlande au fameux roi Mile d’Espagne, est un faux grossier forgé de toutes pièces, destiné à leur donner une plus grande légitimité.
Il n’existe en effet qu’un seul document consacrant de telles chronologies : le Lebor gabala Erenn ou Livre des invasions de l’Irlande.
En réalité nul ne sait précisément quand ni comment le gaélique est devenu la langue par excellence de l’Irlande. On ignore quand des locuteurs d’une langue celtique en – q ont pu atteindre l’Irlande ni comment ils ont pu devenir la culture dominante de cette île. Ou si le celtique en – q ne s’est pas tout simplement développé sur place à partir d’une langue ayant précédé celle-ci. Certains pensent qu’en Irlande le gaélique a, en fait, supplanté une langue celtique en – p de la même famille que le brittonique implantée antérieurement. Mais on ne sait pas avec certitude s’il s’est agi dans ce cas d’une substitution de population, ou d’un groupe d’envahisseurs devenant une nouvelle caste dirigeante. Ou tout simplement de l’extension d’une nouvelle langue se répandant peu à peu dans le pays pour diverses raisons.
Ci-dessous ce qu’a trouvé O’Rahilly, en raisonnant sur des critères uniquement linguistiques.
Cruithne ou Priteni/Britanni vers – 700 – 500.
Fir Bolg, Iberni ou Erainn vers – 500.
Laginiens, Domnonéens et Gailioin (Gaulois) vers – 300.
Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes. Les Fir Bolg étant sans doute en réalité à rattacher aux Gailioin, aux Laginiens, et aux Domnonéens, non aux Iberniens ou Iverniens appelés Erainn par O’Rahilly.
Comme l’a très bien dit Henri Lizeray en traduisant cet ouvrage, Gaileoin, Fir Bolg, et Fir Domnann ne sont que les différentes branches d’un même peuple que l’on désigne généralement sous le nom de Fir Bolg.
En Irlande, l’Âge du fer correspond à la présence d’une population celte. Selon T. F. O’Rahilly, cette population se distinguait donc de ses prédécesseurs par l’usage du fer, et partageait un certain nombre de traits culturels communs avec les autres peuples celtes du centre et de l’ouest de l’Europe.
Mais l’importance relative des invasions ou des diffusions culturelles lentes, dans l’apparition de ces similitudes, est encore matière à débats.
On pensait traditionnellement jusque-là que ce sont des envahisseurs celtes qui ont amené avec eux en Irlande la langue celtique. De récentes études génétiques et archéologiques suggèrent maintenant
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que l’adoption de la langue et de la culture celtiques a été en réalité un processus beaucoup plus progressif. Animé par des échanges culturels avec des groupes celtes de l’intérieur du pays et du Sud-Ouest de l’Europe continentale.
Un fait linguistique majeur domine toute la préhistoire des Celtes : la division du monde celtique en deux groupes dont les langues se sont différenciées. Une première branche qui a conservé le kw indo-européen et l’a transformé en k ou q, et une deuxième qui l’a changé en p.
Le mot cheval se disait par exemple ekwos ou epos suivant la famille linguistique dans laquelle on se trouvait.
La seule chose assurée donc est la situation linguistique. Les langues celtiques parlées dans les Îles Britanniques se répartissent en deux familles distinctes. Le celtique en p d’une part et le celtique en q d’autre part.
À l’époque où apparaissent les premiers documents écrits au Ve siècle, on trouve le gaélique (celtique en q) en Irlande et le brittonique (celtique en p) en (grande) Bretagne. L’irlandais actuel, appelé gaélique (première langue officielle de la République d’Irlande, avant l’anglais), dérive d’un dialecte celtique en q. Les Celtes de Grande-Bretagne parlaient un celtique en p, ancêtre de la langue bretonne.
Or le livre des conquêtes de l’Irlande (le Lebor Gabala Erenn) admet lui-même l’existence de trois tribus non gaéliques en Irlande : les Gabraide de Suc, dans le Connaught, ainsi que les Ui Tairsig et les Gaileoin, dans le Leinster.
Ce qui est certain aussi c’est qu’il existait à l’époque historique en Irlande, au moins quatre tribus parlant incontestablement une langue celtique en p.
Premièrement les Iverniens. Hiberni ou Erainn (d’après O’Rahilly). Voir le nom de la déesse ou démone, ou fée si l’on préfère, Ériu, anciennement Iveriu, en Irlande. Un peuple très important de l’extrême Sud-Ouest de l’Irlande (Munster). Ils sont cités par Ptolémée sous la forme « Iouernoi ». Leur capitale était Ivernis (grec Iouernis). Il est d’ailleurs fort probable qu’il s’agisse là du premier peuple celtique arrivé en Irlande, et qui a donc donné son nom au pays (Hivernia/Hibernia pour les Romains, cf. Iveriu/Ériu). Il semble avoir été le peuple dominant de l’époque. Mais leur lien avec les Belges est très contesté.
Deuxièmement les Briganti (Comtés de Waterford et Wexford). Très certainement, une partie des Brigantes de Bretagne insulaire (Pays de Galles), ayant fui leur territoire d’origine occupé par les Romains.
Troisièmement les Ménapiens (Comté de Wicklow). Peuple de l’Est de l’Irlande, très probablement une fraction des Ménapiens de Belgique, ayant migré dans ce pays.
Quatrièmement les Corionototae (Nord du comté de Wexford). Nous ne savons que peu de choses sur ce peuple, il est cité par Ptolémée. Il s’agirait peut-être d’une fraction des Corionototae qui auraient migré de Grande-Bretagne insulaire vers l’Irlande. Installé initialement dans le Leinster, il est probable qu’il est à l’origine des « Coraind » que l’on retrouve plus tard dans le comté de Sligo.
Une seule explication possible par conséquent. Il n’y a pas eu d’invasion gaélique ou milésienne, mais une lente remontée des peuples originels, achevant du coup de se celtiser, ce qui au passage leur a conféré une langue celtique en – q : les Gaëls. Un peu comme les ancêtres des Germains sont des non-Aryens peu à peu indo-européanisés, d’où la place un peu à part des langues germaniques dans la famille linguistique indo-européenne. Les Gaëls d’Irlande sont donc dans ce cas, des autochtones ayant évolué sur place, puis ayant fini par reprendre le pouvoir.
Pour O’Rahilly, le premier des souverains Goidels roi des rois d’Irlande (Ard ri) ancêtre de la célèbre dynastie des Ui Neill par son petit-fils Conn aux cent batailles, aurait été un dénommé Teutovalos (Tuathal) dit Techtmar, surnom dont le sens est incertain, et qui aurait vécu au premier siècle de notre ère.
O’Rahilly pense que, comme dans de nombreux récits assimilés à des « retours d’exil », il s’agit en fait purement et simplement d’une invasion étrangère, les bardes médiévaux dépendant de cette dynastie ayant inventé moult histoires pour lui donner plus de légitimité. Ils mélangèrent notamment toutes les généalogies à leur disposition ainsi que les mythes concernant leurs divinités dans une incroyable histoire remontant plus de mille ans plus tôt à un mythique Mil d’Espagne. D’après O’Rahilly donc
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c’est cette invasion étrangère qui aurait introduit en Irlande au sein des tribus indigènes parlant des langues celtiques en P, la langue celtique en Q qui allait devenir l’irlandais. La tradition affirme que ce Teutovalos ou Tuathal dit Techtmar fut le premier à lever l’impôt spécifique appelé boroma ou borama.
Ce qui est certain c’est que les écrits connus aujourd’hui en Irlande ne remontent pas au-delà de 431. Le roi gaélique de Tara, connu sous le nom de Niall Noigiallach ou « Niall aux neuf otages », est la plus ancienne figure historique, dont l’existence n’est pas contestée par les historiens, et dont nous avons quelques connaissances.
Selon les archives existantes, son père, Eochaid Mugmedon, était un des rois de Tara, et il régnait sur le royaume de Mide. Niall succéda donc vraisemblablement à son père vers l’an 400, et il aurait régné pendant vingt-sept ans. Son règne vit la consécration de Tara comme puissance dominante. À l’origine de cette ascension, il y eut la conquête de ce qui restait de l’Ulster par ses hommes, aboutissement de siècles de conflit entre les Gaëls de Tara et les Ulaids d’Emain Macha. Ce conflit est d’ailleurs évoqué dans le cycle mythique connu sous le nom de Cycle d’Ulster, qui inclut la Táin Bó Cúailnge ou Enlèvement des bovins de Cooley.
En Ulster, les tribus étaient regroupées en trois royaumes : Airgialla, Ulaid, Ailech, indépendants les uns des autres.
La conquête gaélique de l’Ulster fut entreprise principalement par trois des fils de Niall, Eógan, Énda et Conall Gulban.
L’Airgialla, parfois anglicisé sous l’appellation Oriel, au centre de l’Ulster, couvrait la plus grande partie des comtés d’Armagh, de Coleraine, de Fermanagh, de Louth, de Monaghan et de Tyrone. Ce royaume était en réalité une confédération de neuf sous-royaumes, chacun d’eux dirigé par une dynastie autochtone. Les Ulaid ou les Dal Fiatach, qui avaient constitué la puissance dominante en Ulster pendant des siècles, furent vaincus, leur siège royal à Emain Macha (Fort Navan) détruit, et ils furent repoussés vers l’est dans le comté de Down. La conquête de Niall réduisit les autres princes à l’état de simples vassaux. Afin de s’assurer de leur loyauté, Niall les obligea tous à lui envoyer à Tara des membres éminents de leurs familles en tant qu’otages. D’où le nom d’Airgialla, qui signifie « donneurs d’otages », et sans doute aussi l’épithète de Niall, Noígiallach, qui veut dire « aux neuf otages ».
Le Nord et l’Est de l’Ulster couvraient la plus grande part des comtés modernes d’Antrim et de Down. Il était dirigé par les Dal nAraidi, une dynastie ernéenne ou cruithnienne autochtone, qui prétendait descendre du célèbre roi gaulois Fir Bolg Rudraige, mais qui allait, elle aussi, être réduite à devenir vassale des rois de Tara. Cette conquête gaélique eut un impact sur l’histoire de l’Écosse. Comme suite à cette défaite en effet, quelques-uns des Dal nAraidi traversèrent la mer et colonisèrent l’Argyll. Au cours du temps, cette colonie devint la puissance dominante du Nord de la Grande-Bretagne, et le royaume d’Écosse fut constitué au IXe siècle par l’union des Dal nAraidi et du royaume indigène des Pictes.
Si l’on en croit les Annales du Royaume d’Irlande appelées Annales des Quatre Maîtres, version Henri Lizeray, Emain Macha, le siège des rois Ulaid (Fort Navan), fut attaquée et détruite en 331 par les trois Collas, des Gaëls venus du Connacht. Ils défirent le roi Fergus Foga lors de la bataille d’Achadh Leithdheirg dans le comté de Monaghan et s’emparèrent de tous ses territoires situés à l’ouest de la rivière Newry ou du Lough Neagh. T. F. O'Rahilly (1946) l’assimile au Fergus mac Roich de l’épopée connue sous le nom d’enlèvement des bœufs de Cooley.
Les Ulaid ou les Dál Fiatach, qui avaient constitué la puissance dominante en Ulster pendant des siècles, furent donc vaincus et repoussés vers l’est dans le comté de Down. Ainsi que nous l’avons déjà signalé, ce conflit est évoqué dans le cycle mythique connu sous le nom de Cycle d’Ulster, qui inclut la Táin Bó Cúailnge (l’enlèvement des bovins de Cooley). À partir de là, les Ulaid furent lentement affaiblis jusqu’à n’être plus guère que les rois de leurs terres d’origine, à l’est du fleuve Bann, où se situait le cœur de leur territoire.
Le royaume d’Ailech, à l’ouest, occupait la même étendue que l’actuel comté de Donegal.
La prise de la forteresse d’Ailech, le siège royal, qui avait donné son nom au royaume, et qui allait devenir la capitale des Uí Néill du Nord, vers 425, signa la fin de la conquête gaélique de l’Ulster.
Les trois fils de Niall, Eógan, Conall Gulban, ainsi qu’Énda s’y taillèrent un sous-royaume chacun : Tír Eógain, Tír Chonaill et Tír Enda. Mais Tír Enda fut conquis par les descendants de Conall et fut
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incorporé dans Tír Chonaill. Les deux royaumes restants augmentèrent donc en taille et en importance. Leurs noms nous ont été conservés dans la désignation gaélique des deux comtés modernes de l’Ulster : Donegal et Tyrone. L’Ailech fut dirigé pendant plus de huit siècles par les descendants de Conall et Eógan, connus collectivement sous le nom d’O’Neill, qui donnèrent plusieurs hauts rois au pays.
Après la mort de Niall, son fils, Lóegaire, lui succéda comme roi de Tara. C’est durant son règne que le christianisme fut introduit dans le pays, officiellement par saint Patrice qui fut vraisemblablement le précepteur de ses filles (le prestige de la culture romaine) ; bien qu’il y ait eu depuis le quatrième siècle des chrétiens originaires de Bordeaux (Bordgal) dans le sud de l’Irlande (le Leinster et la région de Cork).
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PRÉSENTATION DE CES TEXTES PAR HENRI LIZERAY EN 1884.
Les peuples ne sont jamais indifférents au récit de leurs traditions : témoin la gloire immortelle qu’obtinrent Homère et Virgile pour avoir relaté les origines de leur patrie. L’intérêt particulier qui s’attache à l’histoire des peuples provient de ce que chacune d’elles correspond à un degré du développement humain et à un plan de civilisation : combien donc devra paraître curieuse l’histoire de nos ancêtres quand on saura que, dans la lutte soutenue contre leurs ennemis, la civilisation occidentale était en jeu.
Mais hélas pendant les péripéties de ce drame étonnant, inouï, qui constitue notre histoire, parmi les revers de notre fortune nous avons perdu le pouvoir, le territoire, les traditions, tout, jusqu’à notre nom, ne gardant de nous-mêmes que cet autre tout qui est l’âme.
Notre nom (de Celtes) qui le comprend aujourd’hui ? Nos annales, si étendues puisqu’elles faisaient partie de l’enseignement druidique qui durait vingt ans, nos annales ont péri lorsque tomba la tête du dernier druide sous les persécutions de Claude. Les druides, en effet, n’écrivaient pas et confiaient à la mémoire leurs doctrines originales et universelles. De leurs immenses connaissances, il ne nous était parvenu jusqu’à ce jour que ce qui en a été rapporté par quelques auteurs grecs et latins.
Mais voilà que, dans cette détresse, une nation sœur a eu la piété de conserver un nombre considérable de traditions celtiques. L’Irlande, bien digne d’avoir pris la harpe pour emblème, a recueilli dans les bibliothèques du Trinity collège et de l’Irish national Academy un millier de manuscrits, trésors inestimables qui vont servir à dissiper la nuit étendue sur nos commencements.
Toutefois avant de s’autoriser à emprunter aux Irlandais leurs traditions, afin de reconstituer par voie d’analogie celles qui nous manquent, il convient de dire deux mots du livre des conquêtes ou Leabar Gabala.
Il est étonnant que cet ouvrage, dont l’importance dépasse celle des Annales d’Irlande n’ait pas déjà tenté un traducteur. La cause en est une expression peu rassurante qui fit illusion à O'Donovan lui-même, lorsqu’il la lut dans la Préface de Mícheál Ó Cléirigh. Cet auteur dit, en effet, qu’il a corrigé, expurgé et rédigé.
Mais les coupures, loin de nuire à l’ouvrage, lui sont profitables, car elles ont été pratiquées sur les redites et principalement sur les interpolations bibliques. Mícheál Ó Cléirigh nous indique la nature de ces prétéritions quand, à la fin de sa préface, il dit qu’il passera sous silence ce qui concerne la création et autres inventions bibliques.
« Nous nous interdisons a priori toute discussion sur l’œuvre des six jours, comme il était par contre usuel de le faire dans cet antique Livre des Conquêtes, car cela est mieux dit dans les Saintes Écritures, et parce qu’il est plus approprié que ce soient les théologiens qui en traitent et non les autres hommes ; qui ont assez de raison d’en parler ou d’en traiter sans cela. Par contre c’est à nous qu’il appartient de parler des âges du monde depuis sa création » (Mícheál Ó Cléirig).
Puisse ce travail attirer l’attention sur les études celtiques, trop longtemps négligées au profit des humanités latines. Il semble en effet que l’idéal de nos professeurs soit de faire de leurs élèves des Romains du siècle d’Auguste, et, de fait, les idées morales de nos jeunes gens ne s’élèvent guère au-dessus du niveau d’un Horace ou d’un Catulle. Mais la platitude et l’inconséquence d’un peuple qui prend modèle sur ses anciens conquérants sont aussi dangereuses.
Et puisque les Romains, au temps de leur splendeur, ont été frappés d’impuissance contre les Germains, ce n’est pas leurs imitateurs, à dix-huit siècles de distance, qui pourront mieux lutter contre le même péril renaissant.
La tradition latine, depuis longtemps épuisée, ne sert à rien dans les sciences, car toutes les découvertes se font en dehors de ses données ; elle est inefficace en politique, avec sa théorie des races latines, car il y a belle lurette que le dernier Romain est passé à l’état de souvenir historique ; en morale, le matérialisme romain étouffe toutes les hautes qualités de l’âme du Celte, telles que vocation, inspiration, spontanéité, élan, sensibilité. Au nom de notre salut, soyons donc Celtes, et comme l’éducation consiste en la connaissance des origines, étudions l’histoire, non des Romains, mais des Celtes.
Un mot maintenant sur les circonstances de la présente traduction. L’un des auteurs se trouvant de passage à Dublin, fut frappé par ce que l’on disait du Leabar Gabala et résolut de traduire l’ouvrage.
Celui qui écrit ces lignes doit un mot de souvenir à son malheureux collaborateur et ami. Les aptitudes spéciales de William O'Dwyer, pour la grammaire et la philologie celtiques, son érudition à la fois subtile et sagace rendent sa mort regrettable pour sa patrie, qu’il a servie avec dévouement.
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Le rédacteur de cette préface remercie personnellement le savant Celtiste, M. Hennessy, de l’avoir tiré plus d’une fois d’embarras quand il était aux prises avec les difficultés du texte irlandais. M. Hennessy grâce à son érudition subtile, profonde, sans pédanterie et de bonne humeur, est le type exact du lettré celtique, et la providence des traducteurs empêchés.
En pénétrant le sens du Leabar Gabala, on constate l’accord de cet ouvrage avec les autres cosmogonies et mythologies.
Céasair symbolise l’époque de la polygamie, en usage à l’origine des nations. Le père de Céasair, Biot ou le Vivant porte un nom également significatif.
Partolan, et sa femme Dealgnat, l’Injuste, symbolisent l’époque des premières lois. L’adultère de Dealgnat a une certaine analogie avec le péché d’Ève.
Les Nérnédiens c’est-à-dire les Célestes correspondent aux dieux olympiens qui portent aussi le nom d’Uraniens, c’est-à-dire célestes. Les premiers combattent les Fomoriens, comme les seconds combattent les Titans.
Les Fir-bolgs et les Tuata de Danan symbolisent l’époque des héros et des demi-dieux.
Le détail du Leabar Gabala nous change du classique. C’est un mérite. Si on veut le nier, il faut se rappeler que les récits classiques, tant dans leur narration que dans leur chronologie, sont très contestables et ne peuvent servir de mesure de la vérité.
Paris, avril 1884.
Note de l’éditeur. Remarquons néanmoins que l’arrière-grand-père de Virgile était druide, et que Catulle était d’origine celte également (il était natif de Vérone).
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À LA RECHERCHE DU MYTHE PAN-CELTIQUE ORIGINEL PERDU.
Le Leabar Gabala ou Livre des Invasions, rédigé en 1631, sous la direction de Mícheál Ó Cléirigh retrace l’histoire des six colonies que les civilisations du continent ont jetées successivement, comme autant d’alluvions, sur la terre de la Verte Erin. Ce furent :
1° Les colons amenés par Ceasair en 2957 avant Jésus-Christ, et composés de trois hommes et de cinquante femmes.
2° La colonie de Partholan venue en 1679 avant Jésus-Christ, se maintint 300 ans. Elle se défendit contre les pirates Fomoriens qui avaient un œil et un pied, c’est-à-dire se servaient d’un seul pied et d’un œil, suivant l’explication donnée par le chroniqueur et applicable aux Cyclopes.
3° La colonie de Némid, de 2349 jusqu’à 2173 avant Jésus-Christ, combattit ces mêmes Fomoriens qui avaient assujetti l’Irlande et élevé des tours pour surveiller le pays.
4° Celle des Fir-Bolgs, de 1973 à 1876 avant Jésus-Christ, établit la royauté, les lois et les assemblées législatives.
5° Celle des Tuata Dé Danan, c’est-à-dire des Peuples de la déesse Danu, inspiratrice des arts et des sciences. (« Tous les mystères poétiques, enchantements scientifiques et connaissances médicales furent établis par les Tuata Dé Danan, et malgré l’établissement de la religion chrétienne, leurs poèmes ne furent pas détruits à cause de leurs mérites ».) Ils dominèrent de 1876 à 1684.
6° En 1684 avant Jésus-Christ arrivent les Gaedils (Gaels) ou Scots, originaires de Scythie. Les Irlandais actuels descendent des Gaedils, dont ils ont conservé le nom comme ethnonyme. Pendant vingt-huit siècles, la royauté est tour à tour disputée par les deux familles rivales d’Emear et d’Ereamon, fils de Miléad. Elles jouent, pour ainsi dire, au roi détrôné, ce qui est conforme aux mœurs d’une époque guerrière et d’un peuple vaillant […]
Mais cela nous l’avons déjà dit.
Le Leabar Gabala a été l’objet de critiques auxquelles nous devons répondre […] Plusieurs questions sont en effet soulevées par la lecture du Leabar Gabala […]
On a encore signalé comme un motif de suspicion quant au fond, la différence des dates adoptées par les auteurs irlandais. Les uns, en effet, se sont conformés à la chronologie hébraïque, et les autres ont suivi celle des septante, qui donne 1466 ans de plus au monde. Pour combler cette lacune, les partisans du second système ont imaginé de très longues périodes intercalaires pendant lesquelles l’Irlande restait déserte. Nous faisons bon marché des époques pieusement ajoutées pour l’accord avec les septante, et nous admettons seulement comme authentiques les périodes remplies par les faits, au sujet desquels on retrouve l’unanimité des historiens. De cette manière, le nombre et la durée des règnes à peu de chose près les mêmes dans tous les auteurs, remplissent de longs siècles qui échappent à la contestation des critiques.
Les erreurs géographiques n’entachent pas non plus la sincérité des narrateurs. Elles indiquent seulement l’état précaire des connaissances au Moyen-âge et à l’époque lointaine des premières rédactions […].
D’une façon générale les textes « mythologiques » irlandais ne sont que l’adaptation à la géographie et à l’histoire de cette île, de la mythologie panceltique originelle, issue du Continent ; et née quelque part en Europe centrale au nord des Alpes, au IIe millénaire avant notre ère. Dans une zone géographique que les Celtes de l’époque transformeront en allégorie sous le nom de Letavia.
Il ne fait pas de doute depuis les démonstrations de R. Mac Allister que les œuvres conservées si pieusement ont été apportées du Continent ; tantôt par les immigrants, tantôt par la suite de la circulation des idées sur l’aire celtique ; et qu’elles ont été soumises à des adaptations au sol et à l’histoire du pays. Le remarquer n’ôte rien à leur mérite ni au mérite qu’ont eu les Irlandais de les garder, voire de les embellir. Eux-mêmes ont cru longtemps et très sincèrement que c’était leur propre histoire qu’ils chantaient. Il y a quelques dizaines d’années encore, des auteurs très sérieux cherchaient à dater les différentes vagues de peuplement décrites par le Livre des conquêtes. Un travail sans espoir puisque cette théomachie n’a pas d’âge.
Les adaptations sont allées très loin : tous les noms de lieu, toutes les ruines anciennes, ont été dotés d’une histoire, les dynasties royales humaines ont été rattachées aux dynasties mythiques, les dieux ou démons panceltiques sont devenus autant de héros légendaires. Cependant, la vérité a toujours montré le bout de son nez, on n’a qu’à ouvrir un livre pour en ramasser les preuves à la pelle. Les trois « races » qui servent de support aux mythes, les Tuatha (et leurs doubles), les Ulates (les Voluntii), les Laigin, sont par exemple toutes trois d’origine étrangère, récemment débarquées en Irlande, les auteurs le disent eux-mêmes et avec raison.
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Bref, l’adaptation aux conditions irlandaises de la mythologie panceltique originelle a été très loin (bouleversements dans la hiérarchie, diabolisation de certaines entités surnaturelles ou préternaturelles, et ainsi de suite) et à cela s’est ajouté un apport chrétien omniprésent (nombreuses interpolations).
Malgré son grand intérêt, nous ne suivrons donc pas ici l’intégralité du texte qu’en ont établi en 1884 O’Dwyer et Henri Lizeray, nous n’en reprendrons que certains principes comme celui-ci : Gaileoin, Fir Bolg, et Fir Domnann ne sont que les différentes branches d’un même peuple que l’on désignera sous le nom de Fir Bolg. Mais sur de nombreux autres points, nous corrigerons les erreurs d’appréciation manifestes d’Henri Lizeray.
Le texte qui va suivre N’EST PAS NON PLUS EXACTEMENT CELUI DU LEBOR GABALA ERENN IRLANDAIS de Robert Alexandre Stewart Macalister, ni même une compilation raisonnée des différentes légendes irlandaises à ce sujet.
Le texte qui suit est seulement un premier essai, nécessairement incomplet, de reconstitution du mythe pan celtique originel, dont les moines irlandais du Moyen-âge ont recueilli les échos, déjà considérablement déformés par le temps ! Déformation amplifiée par leurs efforts de christianisation ou de rattachement à des références, soit bibliques, soit gréco-romaines.
La localisation géographique précise, pour être une habitude celtique, ne joue aucun rôle dans le déroulement de l’action. Ce n’est qu’une conséquence ou un fait parallèle, de l’historicisation plus ou moins relative des thèmes mythiques.
Il s’agit donc ici d’une version totalement nouvelle et par conséquent non historique, non scientifique, issue d’une ébauche de déchristianisation et de désirlandisation de cette légende (ébauche à peine esquissée, car nous n’avons pu la mener jusqu’à son terme hélas !)
Issue d’une première tentative de synthèse raisonnée (par élimination des contradictions, des incohérences, par comparaison avec les données vraiment historiques ou continentales, par comparaison avec des mythes d’autres religions ou des mythes d’époques ultérieures), etc., etc.
L’effort de déchristianisation a surtout consisté à éliminer les références bibliques introduites de toute évidence par les transcripteurs médiévaux. Mais nous avons quand même souvent laissé ces ajouts chrétiens en partie finale des textes, quand ils sont flagrants et donc peu susceptibles d’être pris pour autre chose que ce qu’ils sont : des mensonges.
Cette solution a en effet l’avantage de respecter la configuration originelle des textes, d’en respecter le style, et de continuer à en faire sentir la complexité.
Nous avons aussi éliminé les références calendaires juliennes et les noms de jours, car ils relèvent d’un système importé par le christianisme. Nous leur avons substitué des dates en calendrier druidique, plus précisément même conformément au calendrier de Coligny.
L’effort de dés-irlandisation a surtout consisté à substituer aux noms irlandais leur forme étymologique goïdélique (celtique en q).
Pour certains noms ayant une identification possible avec des noms continentaux (en celtique p), nous avons procédé à leur substitution, tout en rappelant aussi entre parenthèses le nom irlandais figurant dans le texte. Nous avons aussi utilisé divers mots relatifs au folklore ou à l’archéologie (anguipède, etc.) pour élargir l’assise du récit, et le sortir de son cadre strictement irlandais, là où il y avait la possibilité d’une légende plus répandue, voire panceltique.
N’y voyons pas une protohistoire reconstituée par recherche scientifique, mais seulement les éléments d’une méta-histoire allégorique.
Nous nous en remettons à la clairvoyance des lectrices et des lecteurs ainsi prévenus dès nos explications préliminaires, pour en filtrer la quintessence à soutirer de cette profusion (de symboles).
La masse énorme de cette littérature mythique justifie cette présentation, car, faute de meilleures sources « il fallait faire avec ».
Ce qui suit n’est donc pas une reconstitution fidèle et aboutie de la mythologie panceltique originelle. Ce n’est qu’un premier pas sur la longue route à faire dans cette direction. C’est un premier recueil des matériaux pouvant servir à une reconstitution quasi paléontologique du mythe panceltique originel. Le squelette du dinosaure encore mal dégagé de la gangue dont l’ont recouvert les bardes d’Irlande et la sous-culture des moines copistes chrétiens. La question est : « À votre avis, à quoi pouvait-il ressembler ce satané dinosaure ? » À nos lecteurs maintenant de s’atteler à cette tâche. Certains de nos auteurs reconnaissent qu’il y a eu en fait une autre occupation du pays avant
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Partholon, a écrit Seathrun Ceitinn. Très bien ! Commençons donc par là. Mais n’oublions pas non plus de rappeler ici au préalable cette prudente remarque de la part de cet historien chrétien (Seathrun Ceitinn) soudain pris d’un doute.
« Sache, O lecteur, que cette occupation du pays n’est pas véritablement de l’Histoire… je n’en parle que parce que j’ai trouvé cela mentionné dans de vieux livres. D’ailleurs je ne comprends pas comment les historiens férus d’Antiquités ont pu obtenir ces éléments d’information concernant les peuples qui seraient venus ici avant le déluge, selon eux, si cette histoire est bien vraie ; hormis par le truchement de démones aériennes, qui furent leurs concubines du pays des fées au temps du paganisme ; à moins aussi qu’ils ne les aient trouvées gravées sur des pierres après la survenue du Déluge ; car il n’est dit nulle part que le Vindosenos/Fionntain dont on dit qu’il aurait vécu avant le déluge aurait aussi vécu quelque temps après ! Les Écritures disent même le contraire puisqu’elles affirment qu’aucun être humain ne survécut, que tout le monde fut noyé, à part huit personnes seulement montées à bord de l’arche de Noé, or il est clair que Vindosenos/Fintan n’en faisait pas partie… N’en conclus donc pas, O lecteur, que c’est ce que pensent les historiens sérieux…
Les arguments de certains historiens férus d’Antiquités qui soutiennent que Vindosenos/Fionntain aurait pu continuer à vivre pendant le Déluge sont fallacieux. Ils affirment même qu’ils furent quatre à continuer à vivre, aux quatre coins du monde, Vindosenos/Fionntain, Fearon, Fors, et Andoid… Un de nos auteurs l’a d’ailleurs écrit avant moi dans un de ses poèmes.
Voici les noms des quatre, la question n’était pas difficile
Que Dieu a laissé vivre durant le déluge.
Vindosenos/Fionntain, Fearon, Fors, le juste et le doux,
Ainsi qu’Andoid, fils d’Eathor.
Il a été permis à Fors de le faire dans la terre orientale, à l’est ;
Fearón eut besoin de se vêtir chaudement à cause du froid ;
Pour Fionntain ce fut à l’extrême occident comme il se doit
Et Andóid dans la partie méridionale.
Bien que des historiens affirment cela
Le juste canon de la vraie foi lui n’en parle pas
Et ne mentionne que Noé qui était dans l’arche, et ses enfants,
Ainsi que leurs femmes, qui eurent la vie sauve » (Seathrun Ceitinn).
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RAPPEL DESTINÉ AU LECTEUR.
Attention, attention s’il vous plaît ! Les textes qui suivent ne sont pas une synthèse complète ni exhaustive de toutes les légendes irlandaises ou galloises sur le sujet. Pour la simple raison qu’une telle synthèse serait impossible, étant donné les innombrables variantes ou contradictions que l’on peut y découvrir. Seule une synthèse des grandes lignes de ces récits peut être envisagée.
Les textes qui suivent ne sont donc que des réécritures partielles, et en résumé ou en abrégé, des principales légendes irlandaises en question, le tout étant restructuré ou recomposé après démolition sur de nouvelles bases et en suivant un plan différent, ça et là entrecoupé d’analyses.
Ils n’ont qu’un seul but, donner à nos lecteurs assez de notions ou d’aperçus préliminaires sur le sujet pour avoir envie d’en savoir plus.
Les textes qui suivent ne dispensent donc pas de se reporter in fine aux textes originaux eux-mêmes.
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CICOLLUIS LE DÉBILE À LA JAMBE TORDUE ET LES SIENS.
LE PREMIER VÉRITABLE PEUPLEMENT DU PAYS : LES VOUIVRES ANGUIPÈDES GIGANTESQUES QUE L’ON APPELLE ANDERNAS SUR LE CONTINENT, FOMORS EN GAÉLIQUE.
Le livre des conquêtes de l’Irlande, le Lebor Gabala Erenn, affirme que le peuple de Partholon a été le premier à venir peupler cette île après le déluge. Mais Seathrun Ceitinn (Geoffrey Keating) dans son Foras feasa ar Éirinn (Histoire de l’Irlande), ainsi que nous venons de le voir plus haut (« certains de nos auteurs reconnaissent qu’il y a eu en fait une autre occupation du pays avant Partholon »), évoque une tradition selon laquelle les Andernas ou Fomore, menés par Cicolluis au pied tordu, étaient arrivés deux cents ans plus tôt. Ils auraient vécu là de gibier à plumes ou de poisson jusqu’à ce que Partholon introduise dans l’île bœufs et charrue.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 2.
Allusion possible en l’occurrence à des peuples de chasseurs-cueilleurs ayant vécu avant l’invention de l’agriculture au Néolithique. Keating leur attribue en tant que descendants de Cham une origine africaine. Il en fait « des navigateurs de la race de Cham qui partirent d’Afrique. Ils fuirent jusqu’aux îles de l’ouest de l’Europe, par peur de la race de Sem.. », etc. Point n’est besoin d’être antisémite pour s’apercevoir de l’absurdité d’une telle affirmation, émanant pourtant d’un éminent intellectuel, chrétien il est vrai, du XVIIe siècle…
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SUR L’INVASION PAR CÉASAIR CE QUI SUIT.
Céasair, fille de Bith, fils de Noé, vint en Irlande la première après le commencement du monde, quarante jours avant le déluge, dans l’année de l’âge du monde 2242. Il y avait trois hommes et cinquante filles avec elle. Ils venaient en Irlande dans le but d’éviter le déluge, lorsque Dieu eut dit à Noé, fils de Lamech, de construire une arche pour lui-même, pour ses fils (c’est-à-dire Sem, Cam et Japhet) et pour leurs femmes (Cova, Olla, Oliva, Olivana), afin de se sauver de la tempête diluvienne qui allait, à cause de tous les péchés des descendants d’Adam, se répandre sur le monde pour l’inonder et détruire la totalité de la population, à l’exception de Noé et de ses enfants parce que ces huit-là étaient purs de toutes fautes. Dieu donna à Noé l’avis d’amener dans l’arche un couple de chaque espèce d’animaux impurs, dans le but d’avoir encore de leur race après le déluge, et trois paires d’animaux licites pour qu’ils se reproduisent de la même manière. Il lui apprit quelle forme donner à cette arche ainsi que les matériaux nécessaires, et quelles provisions destinées à l’équipage, ainsi qu’aux animaux, embarquer.
Quand Biot, Fiontoin et Ladra (ce furent les trois hommes qui vinrent ensuite en Irlande avec Céasair) apprirent que la prédiction d’un déluge sur le monde avait été faite, et que toutes les espèces seraient noyées, excepté l’équipage de l’Arche, ils furent terrifiés par cette nouvelle. Chacun des trois hommes à son tour, s’adressa à Noé et lui demanda d’aller avec lui dans l’arche jusqu’à ce que le déluge fût passé. Noé dit qu’il ne lui était pas permis d’admettre dans l’arche personne autre que ceux ordonnés par Dieu parce que ce n’était pas un vaisseau privé et qu’eux-mêmes n’y avaient pas droit.
Les trois hommes et Céasair délibérèrent ensuite, pour savoir comment se garantir du déluge. Jurez-moi obéissance, dit dame Céasair, et je vous conseillerai. – Vous l’avez, répondirent-ils. – Apportez un dieu portable, dit Céasair, adorez-le et séparez-vous du Dieu de Noé.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 3.
Dieu portable. Nous traduisons ainsi le terme gaélique lamdia qui désigne une statuette du genre des téraphim adorés par premiers Hébreux.
Dans Genèse 31-34, Rachel prend le teraph de Laban et le cache dans un bât ; dans le livre de Samuel. Michal trompe les hommes de Saül et leur fait croire que David dans son lit est en fait David. Dans le même récit, on apprend qu’une place était réservée pour un teraph dans chaque foyer.
Dans Osée 3-4, le teraph est décrit comme aussi essentiel que l’éphod dans la culture israélite.
Le fait que Mika, qui vénérait Yahweh, utilise le teraph comme une idole (voir Juges 17) et que Laban le considère comme représentant « ses dieux » semble indiquer qu’il pourrait s’agir d’images de Dieu.
Selon la Bible, le teraph fut interdit par la réforme de Josias, mais il est en réalité possible que son usage se soit perpétué dans la culture populaire jusque dans l’ère hellénique et peut-être plus tard encore.
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Ils furent d’accord. Ils apportèrent un dieu portable en présence de Céasair, ils l’adorèrent et se séparèrent du seigneur conformément à l’avis de Céasair. C’est alors qu’elle les requit de construire un vaisseau, et, en voyageant à travers la mer, de chercher l’Irlande. Ils agirent de la sorte, mais ni eux ni leur dieu portatif ne savaient quand viendrait le déluge. Trois hommes et cinquante femmes montèrent dans le vaisseau avec Céasair. Un mardi, par égard au jour de la semaine, ils s’embarquèrent. Ils partirent ensuite de l’île de Méroé, à l’approche du déluge, par la mer Tyrienne. Ils restèrent dix-huit jours dans la mer Caspienne. De là, ils restèrent vingt jours avant d’atteindre la mer Cimmérienne ; un jour, pour arriver en Asie-Mineure, entre la Syrie et la mer Tyrienne. De là aux Alpes, ils mirent 20 jours, 18 jours des Alpes jusqu’en Espagne, 9 jours d’Espagne jusqu’en Irlande. Un samedi, ils atteignirent l’Irlande, le quinzième jour de la lune, et le lieu où ils trouvèrent un port est au Dun-na-Barc dans Corca-Duibné. Ils étaient contents d’atteindre l’Irlande parce qu’ils espéraient que ce serait un pays où n’arriverait ni mal ni injustice, qu’ils y seraient délivrés des reptiles et des monstres et qu’ils seraient aussi sauvés du déluge ; car il leur avait été révélé par des prophètes, avant de voyager vers l’est, que l’Irlande était ainsi.
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Ils s’avancèrent ensuite de Corca-Duibné jusqu’à Miléadac, qui est appelé Bun Suainmé à présent, c’est-à-dire au confluent de la Suiré, de l’Eoiré et de la Béarba. Un autre nom de cette place est la Vallée des trois eaux (Comar na tTri nUisce), à cause du confluent ou de la jonction des trois rivières. Les trois hommes se partagèrent les cinquante femmes en ce lieu-là. Fiontain obtint dix-sept femmes, y compris Céasair, Biot reçut dix-sept femmes, y compris Bairinn, Ladra prit les seize autres, et ils demeurèrent ensemble. C’est de ce partage des femmes et de leurs noms qu’il a été dit :
« Juste fut le partage que nous avons fait entre nous, moi Biot et Ladra le magnifique. Pour avoir la paix, ce fut avec sagesse qu’il fut pratiqué, à l’égard des cinquante belles filles.
« J’obtins dix-sept femmes avec Céasair : Lot et Luan et Mael et Marr, Fuirechair, Femmar, Faiblé, Forall, Cipir, Tarriam, Tamall, Tam, Abla, Alla, Raigné, Sillé : c’est le nombre que nous étions. Biot obtint dix-sept femmes, avec Bairind : Séalla, Della, Daoibh, Addeoss, Foda, Tragé, Néna, Buanna, Tamall, Tuama, Natra, Léos, Fodarc, Rodarc, Dos, Clos (cela doit être dit) ; celles-là constituaient aussi notre peuple. Ladra quant à lui en eut seize : Labra, Bon-na, Alboir, Ail, Gothiam, Grimoc, Aicé, Ingé, Roorc, Rindé, Iucar, Ain, Urrand, Esba, Sinné, Somall. Telles furent nos blondes compagnes. »
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 4.
L’expression gaélique « daoibh addeoss » signifie littéralement « je vous les dirai ». Mais Henri Lizeray a eu tort de ne pas les compter comme des noms propres.
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Ladra se rendit avec ses femmes jusqu’à la butte de Ladra, où il mourut d’excès de femmes ; ce fut le premier mort en Irlande. Ses femmes, après sa mort, s’en furent vers Céasair pour savoir ce qu’elles feraient. Un message de Céasair fut envoyé à Biot, concernant le partage de cette troupe de femmes. Biot alla trouver Fiontoin pour connaitre son avis sur le même sujet. Leur décision fut de partager également entre eux les femmes de Ladra, de sorte qu’il y eut, par la suite, vingt-cinq femmes pour chacun d’eux. Après, Biot alla, avec ses femmes, au nord de l’Irlande, jusqu’à ce qu’il mourût à la montagne de Biot, et les femmes l’enterrèrent dans le carn du mont Biot, qui fut désormais appelé de son nom. Ensuite les femmes revinrent en arrière, jusqu’à l’endroit où elles avaient laissé Céasair et Fiontoin. Fiontain s’enfuit alors devant les femmes à travers le Bun Suainmé, à travers la montagne de Cua, jusqu’au pic de Féabrat, fils de Sin, à main gauche par le Shannon, à l’est, jusqu’au Tul Tuinde, au-delà du lac Deirg-Deirc.
Céasair alla jusqu’à la vallée de Céasair, dans le Connaught, les femmes avec elle, et là, le cœur de la dame se brisa, à cause de l’absence de son mari et de la mort de son père. Les femmes enterrèrent son corps dans cette place, et c’est pour cette cause que ces lieux sont appelés la vallée de Céasair et le carn de Céasair.
Ainsi s’acheva dès lors, le premier des âges du monde, c’est-à-dire depuis Adam jusqu’au déluge, excepté sept jours seulement. Le déluge engloutit ensuite les femmes de sorte qu’elles furent noyées.
C’est sur l’histoire de Céasair, de son peuple et de leur noyade que fut composé ce poème-ci…
… Note de la rédaction : nous passons directement au peuplement suivant ce poème ne nous apprenant rien de plus…
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SUR L’INVASION DE PARTOLAN FILS DE SEARA CE QUI SUIT.
Depuis Adam jusqu’à l’invasion de Partolan en Irlande : 2520.
Depuis le Déluge jusqu’à l’invasion de Partolan en Irlande : 278.
L’Irlande resta déserte pendant le cours de deux cent soixante-dix-huit années depuis le déluge jusqu’à l’arrivée de Partolan (fils de Séara, fils de Sru, fils d’Essru, fils de Brament, fils d’Aitect, fils de Magog, fils de Japhet, fils de Noé. Il venait de la Grèce. La raison pour laquelle il quitta son pays, c’est-à-dire la Sicile grecque, fut qu’avant son départ il avait commis un parricide en tuant son père et sa mère afin d’obtenir le royaume pour lui-même et pour son frère. Il fit voile pendant un mois jusqu’en Aladacie, trois jours depuis l’Aladacie jusqu’en Gotie, un mois de la Gotie jusqu’à l’Espagne, neuf jours de l’Espagne à l’Irlande. Un mardi il atteignit l’Irlande, dans le havre Scène, au dix-septième jour de la lune. Voici quels étaient les chefs de cette invasion.
Partolan avait avec lui Slaingé, Laiglinné et Rudraidé ses trois fils ; Déalgnat, Nerba, Cichva et Céarbnat, les quatre femmes ; Aidné, Aifé, Ainé, Focain, Mucus, Mélépart, Glas, Gréannac, Albac et Gribéannac, les dix filles de Partolan ; leurs maris : Bréa, Boan, Ban, Cairtéan, Egnac, Atcosan, Lucrad, Lugair, Liger et Griber.
Les noms des principaux membres du peuple de Partolan furent, en outre : Accasbel, son intendant, c’est-à-dire celui qui construisit le premier une maison d’hôte en Irlande ; Bréa, fils de Senbot, celui qui inventa les maisons, les chaudrons et les combats singuliers ; Malaliach cet cor et cet cirpsire 7 cetna hesib lion ratha ind erind et as é do rigni fiafaigidh, eirneadh 7 adrah inti ??? Malaliac qui fut le premier garant le premier brasseur et inventa les premières bières de fougère en Irlande : il y enseigna l’interrogation, les sciences et l’adoration. Tat, Fios et Focmarc, les trois druides de Partolan ; Miolcu, Méaran, Muinécan, ses trois champions ; Bacobladra, son docteur ès sciences (ollamos), qui fut aussi le premier maître enseignant d’Irlande ; Biobal et Babal, ses marchands : Biobal apporta le premier l’or en Irlande et Babal les troupeaux ; Totact, Tarba, Iomus, Aeitecbel, Cuil, Dorca et Dam, ses sept principaux fermiers ; Léé, Léacmag, Iomairé et Etercé, sont les noms de leurs bœufs. Topa était le domestique de Partolan. C’est durant le temps de Partolan qu’on fit les premières maisons, les premiers moulins à bras, les premières écluses à poisson et les premières barattes en Irlande.
Partolan choisit des champs riches qui abondaient en fleurs, en fruits et en produits maritimes, car il ne trouva aucun propriétaire exploitant le pays, après son arrivée. La plaine où il choisit de rester à demeure se trouvait dans le voisinage de la cascade des deux fous ; il s’agissait d’une île située dans la crique qui s’ouvrait devant la cascade, car c’était à son avis le lieu le plus fertile jamais trouvé par lui en Irlande. Cette cascade fut appelée Cascade des deux fous, à cause de la folie et de la faute que commirent ensemble la femme de Partolan et son attendant Topa, comme il est dit ci-après.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 5.
Science. Henri Lizeray traduit le terme gaélique eirneadh par science. Il signifie explication en gaélique. La phrase en question se terminant par la notion d’adoration, on se demande si le questionnement évoqué n’est pas celui des oracles.
Écluse à poissons. Nous traduisons ainsi le terme gaélique linn qui peut également signifier boisson.
Propriétaire. Henri Lizeray rend par la notion de propriétaire-exploitant le terme gaélique trebhaire, la racine treb – signifiant habitation, village.
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L’ADULTÈRE DE LA FEMME DE PARTOLAN.
Quelques jours après son arrivée Partolan s’en alla parcourir les rivages de la mer (comme à son habitude) pour pêcher, en laissant sa femme et son serviteur tout seuls dans l’île. Déalgnat entama une conversation légère avec le serviteur et celui-ci ne lui répondit pas la première fois. Mais elle était si impudique qu’elle ne put souffrir qu’il refusât de coucher avec elle, aussi se déshabilla-t-elle et prit-elle son plaisir avec lui. Une très grande soif s’empara d’eux après cela. Partolan avait chez lui un baril d’une boisson délicieuse et on n’y buvait qu’au moyen d’une coupe d’or rouge qui lui appartenait. Déalgnat prit la coupe de sorte qu’ils burent à leur suffisance. Après que Partolan fut revenu de la pêche à laquelle il s’était livré, il demanda donc à boire. Dès qu’il eut goûté, il sentit l’odeur de leur bouche sur les bords de la coupe prêta donc la plus grande attention à la malhonnêteté qu’ils avaient faite tous les deux, car l’esprit démoniaque, qui était son compagnon la lui révéla. Il s’exclama ensuite : « Je ne suis pas resté longtemps absent, mais il s’est passé entre vous quelque chose qu’il m’est difficile de supporter, vous me devez donc une compensation pour cela ». Il ajouta :
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 6.
L’esprit démoniaque. Spiorat deamhnacda. S’il s’agit d’une influence chrétienne, cela serait dans ce cas un peu le contraire d’un ange gardien. Un démon gardien ?
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« Grave est le mauvais exemple que vous avez donné au monde, ô Déalgnat, vous nous avez fait du tort, beaucoup d’enfants seront dans le doute, il y aura le rouge de la honte sur la face des rois, le tourment dans le cœur des champions, aucune réconciliation ne ramènera la paix dans les cœurs après le mal que vous avez perpétré, il faudra plus que peu de choses pour compenser la convoitise d’un esclave.
Elle répondit à Partolan ceci : « Je pense au contraire que c’est moi qui mérite une compensation pour le tort que vous m’avez fait, car c’est vous qui êtes cause de la mauvaise action que j’ai commise. Il est injuste de négliger de se garder du désir des êtres les uns pour les autres, car c’est risquer leur mort que d’agir ainsi. Une femme seule avec un homme c’est comme du miel près d’une femme, du lait chaud près d’un garçon, de la viande près d’un chat, de la nourriture près d’un brave homme, un instrument tranchant près d’un charpentier qui peut s’en servir. Et il n’est pas juste de s’interposer entre, car quand le désir vient il n’est pas facile de lui résister. »
Cet avis de Déalgnat est le premier jugement prononcé en Irlande, de sorte que c’est de là que vient ce dicton que l’on répète ; le droit de la femme contre celui de Partolan. Déalgnat ajouta…
Note de l’éditeur. Suit un poème en gaélique qu’Henri Lizeray a eu visiblement beaucoup de mal à traduire.
« Mon bon maître Partolan, vois tes troupeaux de vaches pies, ne cherchent-elles point à s’unir ? Considère tes brebis à la belle toison, n’attendent-elles pas (?) leur maître pour l’accouplement. Si tu considères maintenant ton gros bétail, ce n’est pas d’un taureau particulier dont elles s’approchent, elles s’approchent (?) des taureaux par besoin. Si tu considères tes agréables brebis, quand elles sont en chaleur elles se soumettent (au) premier bélier dans la bergerie. Les veaux doivent être attachés (?) afin qu’ils ne poursuivent pas leurs vaches allaitantes ; les prés sont refermés (?) sur les grands agneaux afin qu’ils ne tètent plus. Le lait encore chaud des bêtes à cornes ne doit pas être confié à un chaton ; on ne confie pas en gage sa hache affûtée à un bûcheron ».
Partolan rétorqua et lui dit.
« Grand est le mal que tu as fait, Déalgnat. Grands sont les crimes que tu as délibérément commis. Votre péché commun mérite punition ; nous t’avons toujours protégée, toi qui nous as fait tort. Ton impureté apparaîtra aux yeux de tous comme suffisant à donner de mauvaises habitudes à tout le monde. Ce que tu as fait a suivi le péché d’Ève que tu as trouvé avant toi, O Déalgnat, voire plus.
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Alors qu’ils étaient ainsi en train de se disputer, le chien de compagnie de Déalgnat accourut afin de jouer avec Partolan ; Samer était son nom. Il lui donna une gifle qui le tua ; d’où le nom de cette île désormais, Samer. Telle fut la première crise de jalousie d’Irlande. Et le premier adultère fut celui de l’homme à tout faire de l’intendance qui coucha ainsi avec Déalgnat. Topa tenta de fuir loin de Partolan. Il le poursuivit et lui infligea la peine capitale pour cela.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 7.
On se perd en conjecture sur la signification du « sacrifice » de ce chien. Les juifs ont inventé la notion de bouc émissaire, les druides ont-ils inventé la notion de chien émissaire ? La pauvre bête était bien entendu innocente ! Mais Partolan a peut-être considéré que le chien avait failli à son rôle qui était celui de monter la garde en empêchant tout inconnu de s’approcher ?? On peut penser aussi que Partolan s’est tout simplement débarrassé du chien en le faisant fuir à coups de pierres (un début de lapidation pour adultère ?).
À noter cependant, à la différence de l’islam, un seul des deux coupables du crime d’adultère est puni de la peine de mort, l’homme. La femme (Déalgnat) est apparemment épargnée. Ce qui situe le celto-druidisme à mi-chemin entre le christianisme et l’islam en la matière. Il est vrai que Topa en l’occurrence avait commis plus qu’un simple adultère, il avait trahi la confiance de son maître ce qui était un autre crime tout aussi grave.
Répétons néanmoins que tout ceci c’est de l’ancien druidisme, que le nouveau n’oublie pas le plaidoyer de Déalgnat en faveur de l’amour libre libérateur et libéré (cathartique), mais qu’il l’applique aussi aux hommes, et recommande donc de se débarrasser de tout sentiment bourgeois en matière de mariage. Le mariage n’est qu’un contrat passé entre un homme et une femme, et la société doit surtout se préoccuper du sort des enfants qui peuvent naître d’une telle union des corps des cœurs des âmes et des situations.
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DE L’ŒUVRE DE PARTOLAN.
Dix ans après l’arrivée de Partolan en Irlande il remporta une bataille sur les pentes de la plaine d’Ith, dans la montagne d’Emor, contre Ciogal aux Pieds-torts fils de Gul, fils de Garb, fils de Tuatal, fils d’Umor, ainsi que contre le peuple de Ciogal et de sa mère Lot, la sans cesse en mouvement ?
Ces gens étaient restés deux cents années sans aucune sorte de provision autre que des poissons et des oiseaux et ce fut la raison pour laquelle ils vinrent à terre rencontrer Partolan, à l’embouchure de Domnu, afin de lui livrer la bataille ci-devant mentionnée, dans laquelle furent tués Ciogal, sa mère et son peuple. Leur nombre fut de huit cents, à savoir deux cents hommes et six cents femmes, ayant un seul pied, une seule main et un seul œil. Les Fomoriens livrèrent cette bataille à Partolan. Ils restèrent une semaine à se battre et ce fut la première bataille en Irlande, sur laquelle fut composé le poème suivant :
Note de la rédaction. Suit comme d’habitude la même chose que ce qui vient d’être dit, mais en vers.
DES PLAINES QUI FURENT DÉFRICHÉES PAR PARTOLAN, DES LACS ET DES FLEUVES QUI FURENT DÉCOUVERTS DANS SON VOISINAGE ET DES APPARITIONS DE LAC QUI SE PRODUISIRENT DE SON TEMPS EN IRLANDE ; DES MORTS DE SA FAMILLE ET DE SON PEUPLE, DE SA PROPRE MORT ET DU TEMPS QU’IL PASSA EN IRLANDE, VOIR CI-DESSOUS.
Quatre plaines furent défrichées par Partolan : la plaine Etrigé, dans le Connaught, la plaine d’It, dans le Leinster, la plaine de Léé, chez les descendants du fils d’Uas de Brega, entre Bios et Camus, la plaine Latarna dans le Dal Araidé. Sept années après l’arrivée de Partolan en Irlande mourut le premier homme de sa colonie, à savoir Féa, fils de Tortu, fils de Sru, le frère du père de Partolan. C’est de son nom que fut appelée la plaine de Féa parce que ce fut là qu’il fut enterré, à Oilre de Magh Féa ; ce fut lui qu’affecta le premier coup ; c’est-à-dire la première blessure jamais infligée dans le Leinster ; car ce fut là qu’il fut tué, sur le sommet d’une colline.
Partolan ne trouva en Irlande, d’ailleurs, que trois lacs et neuf rivières. Voici les lacs : le lac de Fordréman, près duquel était Triglé près de la montagne de Mis dans le Munster le lac de Luimnéac et le lac Blanc près de Domnu. Voici les fleuves : le fleuve de la Liffé entre le territoire des O’ Neill et le Leinster, le Laoi, dans le Munster, la Muaid, sur le territoire des O’Fiacrac, la Sligéac, la Samaoir, prés desquelles est la cascade Rouge, Buas entre le clan Araidé et le clan de Riada ; la Fionn entre les familles de Conall et d’Eogan, la Modarn dans le pays d’Eogan et la Bànna entre Léé et Ellé. Voici les lacs qui apparurent du temps de Partolan : le lac Con et le lac Técéat, dans le Connaught, lors de la douzième année après l’arrivée de Partolan en Irlande ; le lac Méasca l’année d’après, l’année pendant laquelle Slaingé fils de Partolan mourut et fut enterré dans le carn de la montagne de Slaingé ; à la fin de la deuxième année suivante, le lac Laiglinné, dans le district du fils Uas : quand on creusa le sépulcre de Laiglinné fils de Partolan, le lac apparut alors, et tira son nom de cette circonstance ; le lac d’Eactra entre la montagne de Modarn et la montagne de Fuad ; le lac Rudraidé, en Ulster, dans le cours de la dixième année suivante, apparut après l’avoir noyé [Rudraidé]. L’année d’après, la mer déborda à Bréna, c’est-à-dire sur le rivage de Bréna, et pénétra dans les terres, ce fut le septième lac.
Lors de la quatrième année qui suivit, Partolan mourut dans la vieille plaine des volées d’Edar. Elle fut appelée la vieille plaine pour la raison qu’elle n’eut jamais ni arbres ni herbages. Trente années s’écoulèrent depuis l’arrivée de Partolan en Irlande jusqu’alors, et deux cent soixante-dix années depuis la mort de Partolan jusqu’à l’épidémie qui fit disparaitre son peuple. Une peste survint, aux calendes de mai, précisément le lundi de Bealtoine, de sorte que neuf mille d’entre eux moururent depuis ce lundi-là jusqu’au suivant, à savoir cinq mille hommes et quatre mille femmes, dans la vieille plaine des volées. La durée du temps qu’ils occupèrent l’Irlande fut donc de trois cents ans et sur eux fut dit par Eocaid O’Floin…
Note de la rédaction. S’ensuit un poème qui n’apprend pas grand-chose de plus et dont nous laissons l’étude aux savants spécialistes, ce que nous ne sommes pas.
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DE L’INVASION DE NÉMID COMME SUIT.
D’Adam jusqu’à l’invasion de Némid en Irlande : 2850.
Du Déluge jusqu’à l’invasion de Némid : 608.
L’Irlande resta déserte pendant trente ans, depuis la peste qui détruisit le peuple de Partolan, jusqu’à l’arrivée de Némid, fils d’Agnoman, fils de Pamp, fils de Tat, fils de Séra, fils de Sru, fils d’Easru, fils de Brament, fils d’Aiteact, fils ; de Magog, etc. Il venait de chez les Grecs de Scythie.
On relate que Némid voyagea de la Scythie, vers l’ouest en faisant voile par la mer Caspienne, jusqu’à ce qu’il atteignît, en errant, le grand Océan au nord. Trente-quatre barques composèrent sa flotte avec trente personnes dans chaque barque. Comme ils étaient en route, il leur apparut une tour d’or, dans la mer, à leur proximité. Voici ce qui arrivait. Quand la mer se retirait, la tour était visible au-dessus de l’eau, mais le reflux la couvrait de vagues. Némid et son peuple se dirigèrent vers la tour, pleins de convoitise pour l’or. Leur empressement à l’obtenir allait croissant quand ils s’aperçurent que la mer montait autour d’eux, de sorte que les tourbillons emportèrent leurs vaisseaux, à part quelques-uns, et que les équipages furent noyés, excepté ceux que Némid et ses enfants sauvèrent. Ils passèrent une année et demie à traverser des mers avant d’atteindre l’Irlande où ils débarquèrent.
Dans cette île abordèrent Némid et les quatre chefs qui l’accompagnaient à savoir : Starn, Iarbanel le prophète, Féargus le demi-roux et Ainnin ; c’étaient les quatre fils de Némid. Maca fut le nom de la femme de Némid. Méda, Maca, Saba et Céara : ainsi étaient nommées les femmes des chefs qui accompagnaient Némid.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 8.
Au côté rouge. Nous traduisons ainsi le terme gaélique leithdercc, mais il peut également signifier à moitié roux si l’on parle des cheveux. Aux spécialistes de se pencher sur la question.
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Le douzième jour après leur arrivée en Irlande, la femme de Némid mourut et ce fut la première mort, parmi ce peuple, en Irlande.
Il y eut quatre lacs qui apparurent en Irlande du temps de Némid : le lac Cal, dans le district de Niallan, le lac de Munrémar près de la montagne de Guaré, le lac Dairbréac et le lac Ainnind, en Midé. Ce fut à la fin de la neuvième année après l’arrivée de Némid que ces deux derniers lacs apparurent.
Deux forts royaux furent bâtis du temps de Némid en friande, à savoir la forteresse de Cinec, dans le district de Niallan, et la forteresse de Ciombaot, en Semné. Les quatre fils de Madan au gros cou, des Fomoriens, construisirent le château de Cinec en un seul jour : ils s’appelaient Boc, Roboc, Ruibné et Rodan ; ils étaient réduits en cet état d’esclavage (?), ainsi que leur père, par Némid.
Et quand ils eurent achevé le fort, ils défrichèrent, pour Némid, douze plaines en Irlande, toujours dans le même état d’esclavage, à savoir : la plaine de Céara et la plaine Néba dans le Connaught, la plaine de Tocar, sur le territoire d’Eogan, Léacmag dans le Munster, la plaine Béarnsa dans le Leinster, la plaine du Bois de la colline, dans le Connaught, la plaine de Lugad dans le pays de Turtré, la plaine de Séara en Téatba, la plaine Seimné sur le territoire de la famille Araidé, la plaine de Lorc, dans le Connaught, la plaine de Muirthemne en Conaille et la plaine de Maca en Oirgiall.
Némid remporta trois batailles contre les Fomoriens, la bataille de Murbolc, dans le dal' Riada, dans Léatatt Lactmag, où Starn, fils de Némid fut tué par Conan, fils de Foebar ; la bataille du Promontoire de Fraocan, dans le Connaught, appelée aussi bataille de Badgna : les deux rois des Fomoriens, Gand et Séangand y furent tués ; la bataille du Promontoire des Os dans le Leinster, où eut lieu un grand massacre des hommes d’Irlande, y compris Béoan, fils de Starn, fils de Némid, par ce même Conan. Ce fut par Némid que ces batailles furent gagnées, même s’il y perdit beaucoup de son peuple.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 9.
Forts. Henri Lizeray signale en note que les raths étaient des fortifications constituées par un ou plusieurs fossés circulaires, dont le diamètre variait de 40 à 360 mètres. On construisait des maisons dans l’espace circonscrit par les fossés.
Dal’riada. Henri Lizeray signale en note que le dal est le territoire habité par une famille.
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Némid mourut de la peste après ces événements dans l’île haute de Némid, sur le territoire de Liatan, dans le Munster, et trois mille personnes avec lui.
Ensuite, les peuples de Némid furent réduits en esclavage, après que leurs champions et leurs commandants eussent péri dans les batailles ci-avant mentionnées, et après que Némid fut mort avec tous ceux que nous avons dits. Ils furent réduits en esclavage par Conan, fils de Foebar, des Fomoriens, et par Morc fils de Déliré, leur autre chef. La maison fortifiée de Conan à cette époque se situait dans le pays de Conan qui est aussi nommé l’Île de la Tour au nord-ouest de l’Irlande.
L’Irlande entière fut transformée par lui en lande à mouton (tir caireach) de sorte que personne ne s’aventurait à laisser de la fumée sortir visiblement des maisons dans la journée sauf avec le consentement des Fomoriens.
Les Némédiens furent obligés de donner aux Fomoriens les deux tiers du blé, du lait et des enfants, avec d’autres tributs et exigences intolérables. Les hommes d’Irlande payaient leur tribut chaque veille de Samain dans la plaine de Gedné. Elle fut nommée Gedné, à cause du fait qu’il leur fallait payer aussi souvent ce tribut aux Fomoriens. Ce nom fut usité parmi les hommes d’Irlande et redit des uns aux autres, et comme les tributs étaient amenés dans cette même plaine, on lui donna le nom susdit.
Alors, les peuples de Némid furent saisis d’une véritable rage et d’une grande animosité à cause de la lourdeur de leur servitude et du poids de leurs tributs, de sorte que leurs trois chefs se consultèrent ensemble dans le but d’appeler et réunir leur peuple de chaque partie de l’Irlande.
Ainsi firent-ils, et après s’être rassemblés en un lieu, ils furent d’avis de se rendre en masse jusqu’à la Tour de Conan afin de demander un adoucissement de leur servitude de la part des Fomoriens ou de livrer bataille contre eux…
Voici quels étaient les chefs : Féargus au côté rouge, fils de Némid, Séméon, fils d’Iarbanel, fils de Némid, et Earglan, fils de Béarn, fils de Starn, fils de Némid. Tous les chefs et tous les principaux nobles vinrent à la réunion, sans excepter Arthur, le noble fils de Némid et Alma d’une seule dent, etc. Trente mille hommes s’avancèrent par mer et pareil nombre à travers les terres. Tous les clans des enfants de Némid vinrent à cette bataille. Il y eut aussi echtair-cenela, drubhar-sluaigh, 7 daescar daoine, une multitude d’étrangers de gens de peu et de rien pour venir grossir les rangs de leur mobilisation contre les forces des Fomoriens.
Après être arrivés aux confins de l’île de la Tour, ils établirent un camp et des huttes aux alentours du rivage. Ensuite ils tinrent conseil. Alma d’une seule dent partit en ambassade chez Conan afin de demander trois ans de crédit pour le paiement des tributs. Conan fut très irrité par ces propositions e se mit en colère contre ce chef de leurs armées. Alma retourna vers son peuple et lui rapporta la réponse de Conan. Ils furent de mauvaise humeur en entendant cela et Alma fut mandaté une deuxième fois pour demander à Conan un délai d’une année seulement et lui exposer leurs difficultés, leur pauvreté, pour l’assurer qu’ils ne pouvaient rien lui payer comme impôt cette année-là, mais qu’ils lui verseraient la totalité à la fin de ce délai. Il ajouta que, s’ils n’obtenaient pas le délai demandé, ils déclareraient la guerre à Conan, parce qu’ils considéraient qu’il valait mieux pour eux tomber tous ensemble hommes, femmes, garçons et filles plutôt que de rester plus longtemps dans cette servitude. Alma partit donc retrouver Conan et lui fit part de la résolution du peuple de Némid.
« Ils obtiendront grâce », répondit Conan, « à condition qu’ils se dispersent ou se séparent les uns des autres pendant un an, jusqu’à, ce que moi et les Fomoriens, nous les convoquions quelque part afin de les anéantir, à moins qu’ils n’apportent la totalité du tribut à la fin de ce délai » ???????????????
Alma retourna vers ses compagnons et leur rapporta la nouvelle. Ils tombèrent d’accord pour envoyer un message à leurs autres parents et à leurs progéniteurs restés en Grèce, afin d’obtenir des renforts
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contre les Fomoriens, parce que c’était Relbéo, la fille du roi de la Grèce, qui était la mère des fils de Némid, à savoir Féargus au côté rouge et Alma d’une seule-dent. Smol, fils d’Esmol, était roi de Grèce à cette époque.
Après l’arrivée des messagers envoyés par leurs compatriotes, le roi convoqua une grande assemblée des nobles de toute la Grèce, de sorte qu’il put réunir un grand nombre de soldats d’élite, de druides, de druidesses ? de chiens de guerre, et aussi d’animaux venimeux, de chaque coin du pays.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 10.
Druidesses. Nous traduisons ainsi le terme gaélique ban-druadaibh. Il convient néanmoins de rappeler que dans l’ancien druidisme il n’existait pas de druidesses. Il n’existait que des collèges religieux celtiques païens exclusivement féminins, notamment dans des îles, comprenant donc tous les grades possibles, ou des prêtresses de rang subalterne dans les groupes mixtes. Mais cela c’était l’ancien druidisme.
Chiens de guerre. Nous rendons ainsi le terme gaélique onchonaibh qui signifie “loups” selon Henri Lizeray.
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Il permit aux Grecs d’aller voir le peuple de Némid et il se joignit lui-même à une multitude énorme de Grecs. La navigation de leurs navires de guerre n’est pas racontée, mais ils atteignirent un port du pays de Conan. Ils furent chaleureusement accueillis par les enfants de Némid qui ne tardèrent pas à déclarer la guerre à Conan s’il ne leur rendait pas leur liberté.
Ils lui envoyèrent des messagers tout de suite. Conan fut pris d’une rage folle après avoir entendu leur adresse, et il décida de livrer bataille. Les messagers retournèrent alors vers leur peuple. Ensuite Conan envoya des messagers à Morc, fils de Deliré, l’autre grand chef des Fomoriens. Bien qu’il soit déshonorant de tarder à engager le combat, il était néanmoins sûr que les clans de Némid n’étaient pas prêts à livrer bataille contre lui, à cause de la multitude de ses troupes et de leur courage ????????
Les hommes d’Irlande envoyèrent une espionne dans le château de Conan à savoir Rélbéo, fille du roi de Grèce, qui était venue en compagnie des troupes de son peuple. C’était aussi une druidesse. Elle vint sous l’apparence de la favorite de Conan et resta un moment avec lui dans la plus stricte intimité à cause de sa méprise. Il éclata ensuite une sévère bataille entre leurs druides et une autre entre leurs druidesses, qui tournèrent au désavantage des Fomoriens.
Mais rapidement, à chaque bataille qui avait lieu après cela, les Fomoriens étaient vainqueurs, de sorte que gens du clan de Némid périssaient en grand nombre.
Une muraille très-forte et indestructible fut ensuite construite dans le voisinage du château par les fils de Némid, d’après les conseils de leur espion. Ils y placèrent les animaux sauvages que les Grecs avaient amenés avec eux pour les aider à prendre la Tour et brisèrent chaque partie et chaque coin du mur devant eux. Le parti des assaillants suivit leurs traces dans la brèche qu’on avait faite devant eux, en direction du château. Les puissants guerriers en déguerpirent rapidement à cause de la forte odeur et du venin de ces animaux sauvages et féroces se mêlant à ceux à cette occasion.
Conan évacua les lieux avec ses bataillons et ne trouva pas déshonorant dès lors de s’en prendre à l’armée d’en face parce qu’il considérait que ce serait plus facile pour lui de combattre plutôt que de demeurer dans la forteresse avec les animaux féroces qui passaient à travers la muraille après qu’elle eût été brisée devant eux. Après que les défenseurs eurent quitté le château, le parti des assaillants les attacha ensuite à des chiens et à des cochons venimeux. Ils laissèrent une garnison et partirent à la rencontre de leurs ennemis. Tout le monde ensuite se mit en ordre de bataille de part et d’autre.
Le combat n’était pas engagé depuis longtemps que Conan fut tué de la main même de Féargus au côté rouge, fils de Némid en loyal combat singulier. Il y avait encore deux vaillants champions parmi les Fomoriens, à savoir Giolcas, fils de Faébar et Oircifanat ; et les Fomoriens serrèrent les rangs autour d’eux après la mort de leur chef. Ils commencèrent à exalter leurs efforts guerriers ainsi que leurs faits d’armes, jusqu’à ce que les clans de Némid se souviennent de leur haine et de leur
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animosité envers eux, de sorte qu’il y eut duel entre Siméon, fils de Starn et Giolcas, fils de Faebar, ainsi qu’entre Iarbanel, fils de Némid, et Oircifanat. Les duels s’arrêtèrent quand les deux Fomoriens eurent été décapités de la main même des héros venus à leur rencontre.
La bataille finit par tourner au désastre pour les Fomoriens qui furent encerclés ou cernés, de sorte que pas un des fugitifs ne put s’échapper. Les troupes revinrent au château après cela, et emportèrent tous ses trésors, l’or, l’argent, et tous ses objets de valeur. Ils mirent ensuite le feu dans chacun de ses quartiers, de sorte que la fumée de cet incendie s’éleva aussi haut que ses flammes. Ses femmes ainsi que toute sa gent féminine, ses garçons et ses filles périrent tous brûlés de sorte que pas un des fugitifs ne put en réchapper.
Les enfants de Némid partagèrent le butin du château entre les nobles et les grands hommes des Grecs avant de se séparer, et ils se congratulèrent tous les uns les autres. Les clans de Némid restèrent sur place, après le départ des Grecs, pour enterrer tous ceux de leurs seigneurs qui étaient morts.
Il n’y avait pas longtemps qu’ils avaient ainsi commencé à creuser qu’ils virent arriver toute une armada de puissants vaisseaux ; au nombre de trois vingtaines avec leurs équipages de guerriers d’élite, conduits par Morc, fils de Déliré, l’autre grand chef des Fomoriens, venant pour prêter main-forte à Conan. Ils débarquèrent devant les Némédiens.
Ceux-ci se hâtèrent de défendre le port et ils commencèrent à s’opposer aux Fomoriens, malgré leur fatigue, car ils étaient résolus à ne pas souffrir plus longtemps la présence des Fomoriens en Irlande.
Le dépit et la rage de Morc, le fils de Déliré, aussi grands qu’ils aient été avant, à l’égard des enfants de Némid, étaient maintenant décuplés, aussi commença-t-il d’exciter les siens contre eux, afin de se venger sur eux de ce cuisant revers.
Une bataille ardente et désespérée s’engagea entre les deux partis. La bataille était si intense et leur colère était si grande des deux côtés, qu’ils ne remarquèrent pas la gigantesque marée montante qui s’avançait de chaque côté autour d’eux, car ils ne pensaient qu’à leurs faits d’armes ; de sorte que la plupart d’entre eux furent noyés ou tués, excepté l’équipage d’un vaisseau des Fomoriens et une trentaine d’hommes des clans de Némid. L’équipage de ce vaisseau des enfants de Némid s’en retourna et raconta ce qui s’était passé à son peuple qui fut pris de terreur en écoutant ça.
Les trente hommes courageux guerriers des clans de Némid, ayant échappé à ce désastre, se réunirent. Leurs trois chefs se partagèrent l’Irlande.
Voici quels étaient les chefs en question : Béotarn, fils de larbanel, fils de Némid ; Séméon, fils d’Ergalan, fils de Béoan, fils de Starn, fils de Némid ; et Briotan, fils de Féargus au côté rouge, fils de Némid. Le tiers de l’Irlande appartint à Béotac, depuis Toirinis jusqu’à la Boinné, le tiers à Séméon, depuis la Boinné jusqu’au chemin de Conglas, le tiers à Briotan, depuis le chemin de Conglas, jusqu’à Toirinis.
Mais cependant ils ne restèrent pas longtemps dans cette situation ; ils se séparèrent et se dispersèrent dans d’autres pays au-delà des mers, car ils craignaient que ceux qui restaient des Fomoriens veuillent se venger d’eux après ces batailles qui les avaient opposés.
Une autre cause est qu’ils ne furent pas toujours d’accord ou amicaux les uns avec les autres, et qu’ils étaient terrorisés par le souvenir des épidémies de peste qui avaient décimé leurs chefs et leurs troupes avant la prise d’assaut de la Tour, de sorte qu’ils se séparèrent les uns des autres pour ces motifs.
Voici les pays dans lesquels ils allèrent : Séméon avec ses neuf compagnons en Grèce. Le fils de Béotac voyagea, avec son peuple, jusqu’aux îles situées au nord de la Grèce, il partit après la mort de son père survenue en Irlande. Briotan et son père Féargus au côté rouge allèrent dans le pays de Conan en Bretagne.
Voici le nom des trente hommes courageux qui s’échappèrent lors de la destruction de la Tour de Conan : Éargalan, Matac, Iartac, Béoan, Briotan, Baad, Ibad, Béatac, Bronal, Pal, Gortigéarn, German, Glasan, Céaran, Gobran, Gotiam, Gam, Dam, Ding, Dial, Séméon, Fortac, Goscen, Griman, Guillec, Tamam, Tuiruc, Glas, Feb, et Féran.
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Sur la destruction de la tour de Conan, il a été composé ceci.
Eocad O’Floin. La tour de Conan fut prise avec vaillance à Conan le grand, fils de Faébar…
Note de la rédaction : suit un long poème qui ne nous apprend pas grand-chose de plus que la prose qui le précède.
Des actions de Séméon (fils d’Erglan, fils de Béoan, fils de Starn, fils de Némid) et de son peuple, depuis leur départ de l’Irlande, après la destruction de la Tour de Conan, jusqu’à leur retour en tant que Fir-bolgs ; du temps, pendant lequel ils gouvernèrent l’Irlande après ça ; du nombre de leurs rois et de leurs morts (avec chaque événement qui survint durant cette conquête) ci-dessous relatés.
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INVASION DES FIR-BOLGS.
D’Adam jusqu’à l’invasion des Fir-bolgs en Irlande : 3266.
Du déluge jusqu’à l’arrivée des Fir-bolgs en Irlande : 1024.
Il s’écoula deux cents ans depuis le départ des trente hommes précédemment mentionnés jusqu’au retour, en Irlande, des descendants d’une dizaine de ces chefs, en tant que Fir-Bolgs.
Quant à leur généalogie, ce fut de la famille de Némid, qu’ils descendirent, car Séméon, fils d’Erglan, fils de Béoan, fils de Starn, fils de Némid, et chef de la troisième compagnie de neuf hommes du clan de Némid, partit de l’Irlande, après la prise de la Tour de Conan et arriva en Grèce. Ils y restèrent de sorte que leurs clans et leurs enfants augmentèrent beaucoup en nombre.
Ils connurent un tel accroissement que les Grecs ne voulurent pas les laisser avec leur propre peuple. Ils furent si sévèrement opprimés, qu’ils furent réduits en esclavage, obligés de changer en champs fleuris, gazonnés, les montagnes pierreuses au sommet dénudé, avec de la terre des autres lieux, après l’avoir apportée des plaines environnantes à la place où il leur avait été ordonné de la mettre.
Ils se lassèrent de ces fatigues intolérables, de sorte que, lors d’une réunion, ils convinrent entre eux de fuir l’esclavage insupportable dans lequel ils étaient. Ils se préparèrent dans ce dessein. Ils fabriquèrent alors des bateaux garnis de cuir, et de jolis vaisseaux avec les peaux et les cordes des sacs de cuir dans lesquels ils transportaient la terre, de sorte qu’ils furent prêts pour la navigation. Ils s’embarquèrent alors, à la recherche du pays de leurs ancêtres. On n’a rien raconté de leur voyage, si ce n’est qu’ils atteignirent l’Irlande en une semaine.
Il y eut bon accord entre toutes les tribus qui s’établirent là ensemble, c’est-à-dire les Gailéoins, les Fir-Bolgs et les Fir Domnans, bien qu’ils aient eu des noms divers et variés ou aient porté des noms de tribu différents, parce qu’ils étaient de même peuple et de la même origine.
Cinq chefs étaient à leur tête : Slaingé, Rudraigé, Gan, Géanan, Séangan, les cinq fils de Déala, fils de Loc, fils d’Oirteact, fils de Triobuat, fils d’Otorp, fils de Goisten, fils de Béoan, fils de Starn, fils de Némid, fils d’Agnoman, etc.
Gailéoin fut le nom de Slaingé et de son peuple, Gailéoin c’est-à-dire Gail-fhian : c’était le tiers qui avait coutume de surpasser les deux autres tribus en courage et en armes de sorte que ce fut à cause de leur valeur qu’ils prirent ce nom-là. Fir-bolgs fut le nom donné à Gan, à Séangan et à leurs peuples. La raison pour laquelle on les appela Fir-bolgs fut qu’ils avaient été longtemps occupés à mettre de la terre dans des sacs (bolg). Fir-Domnans vient de de ce qu’ils bêchaient la terre, comme il a été mentionné, c’est-à-dire Fir Doman-fhuin : les hommes creusant le sol. Tel fut le nom donné à Rudraigé, à Géanan et à leurs peuples (qui trouvèrent un port dans la baie de Domnan), mais en même temps on les appela tous Fir-Bolgs en général, par la raison qu’ils vinrent en Irlande dans les sacs qui leur servirent à transporter la terre ; et qu’ils ne formèrent qu’une seule et même vague d’immigration, un seul peuple, et un seul royaume, bien qu’étant arrivés des jours différents ou ayant débarqué dans des criques différentes.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 11.
Fir-Domnans. Sans doute un nom analogue à celui des tribus bretonnes de Domnonée (du Devon).
Fir-Bolg = hommes sacs est une étymologie fantaisiste. Le radical Bolg renvoie sans doute au nom de la Belgique et désigne une vague d’immigrants celtes venue de cette partie du Continent.
Gail-fhian est bien évidemment une explication tout aussi fantaisiste de Gailéoin. La véritable étymologie de Gailéoin ne peut que renvoyer aussi aux Celtes continentaux dont certains se croyaient d’origine grecque effectivement.
Justin. Livre XLIV. Chapitre III.
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Au Portugal [latin Lusitania] sur les rives du Tage, de nombreux auteurs rapportent que les cavales sont fécondées par l’action du vent ; mais de telles histoires ont leur origine dans la fécondité de ces juments, et le grand nombre de hardes de chevaux, qui sont si nombreux et si véloces, en Galice [latin Gallaecia] et au Portugal [latin Lusitania], que l’on a pu penser, non sans raison, qu’ils sont des enfants du vent. Pour ce qui est des Galiciens, ils prétendent en ce qui les concerne avoir une origine grecque ; car ils disent que Teucer, après la fin de la guerre de Troie, ayant donc encouru la haine de son père Télamon, à cause de la mort de son frère Ajax, et n’étant plus admis dans son royaume, se retira ensuite à Chypre, où il bâtit une cité appelée Salamine, du nom de son pays natal ; que quelque temps plus tard, ayant appris la mort de son père, il retourna de nouveau dans son pays, mais qu’ayant été interdit de débarquement par Eurysace le fils d’Ajax, il fit voile vers la côte d’Espagne, et prit possession de la région où se dresse aujourd’hui Carthagène, puis, passant de là en Galice [latin Gallaecia], il s’y établit à demeure, et donna son nom à cette nation. Une partie de ces Galiciens est d’ailleurs appelée Amphiloques…
Diodore de Sicile. Livre V. Chapitre XXIV.
Puisque nous avons abordé ce qui concerne les îles situées dans la région du Couchant, nous estimons qu’il ne sera pas étranger à notre travail de traiter brièvement des tribus d’Europe qui en sont voisines et que nous n’avons pas mentionnées dans notre précédent livre. La Celtique était jadis dirigée par un célèbre roi, nous a-t-on dit, qui avait une fille d’une taille inhabituelle, mais qui dépassait aussi en beauté toutes les autres jeunes filles. Mais cette dernière, à cause de la vigueur de son corps et de son charme extraordinaire, était si difficile qu’elle refusait tous les hommes qui lui faisaient la cour et la demandaient en mariage, elle trouvait qu’aucun de ses prétendants n’était digne d’elle. Maintenant, à l’occasion de son expédition contre Géryon, Hercule passa par la Celtique et y fonda la cité d’Alésia ; la jeune fille, en apercevant Hercule, fut émerveillée par sa valeur ainsi que par sa la grandeur de sa taille, et accepta volontiers ses embrassements, ses parents étant d’accord. Du fait de cette union, elle donna un fils nommé Galatès, à Hercule, un enfant qui surpassa tous les autres jeunes gens de sa tribu en matière d’esprit guerrier, mais aussi pour ce qui est de la vigueur du corps. Et quand il atteignit l’âge d’homme et qu’il eut hérité du royaume de ses pères, il soumit à sa loi une grande partie des territoires avoisinants puis accomplit de grands faits de guerre. Devenu célèbre à cause de sa bravoure, il appela ses sujets Galates d’après son propre nom, et ces derniers en retour donnèrent leur nom à ce pays : la Galatie.
Plutarque. Tome XII. 63. De la face qui apparaît sur la Lune [en grec Peri tou emphaenomenou prosôpou tôi cyclôi tês selênês].
Il existe une île, Ogygie, située loin au-delà des mers ! À cinq jours au large de la [Grande] Bretagne en naviguant vers l’ouest, il y a aussi une île. Et trois autres, à égale distance de cette dernière, mais aussi de chacune des autres, sont situées au-delà en allant dans la direction du couchant d’été.
Dans l’une d’entre elles, d’après les histoires racontées par les barbares du pays, Cronos est retenu prisonnier par Zeus, mais, flanqué d’un fils [Briarée ?] comme geôlier, on lui a laissé la souveraineté sur ces îles et de cette mer, qu’ils appellent golfe cronien. Ils ajoutent que le grand continent, par lequel cet océan est entouré, bien que situé un peu moins loin des autres îles, est à environ cinq mille stades d’Ogygie ; le voyage devant se faire à la rame, car la mer est difficile à traverser : elle est envasée par une multitude de rivières. Ces rivières s’y déchargent du continent et y déposent beaucoup d’alluvions, ce qui rend cette mer très dense, voire semblable à de la terre, à tel point qu’on l’a cru autrefois gelée. Sur les côtes de ce continent, des Grecs demeurent autour d’un golfe qui n’est pas plus petit que le Palus Méotides ou l’embouchure de la mer Caspienne. Ces hommes se considèrent comme des Continentaux et se désignent ainsi, mais tiennent les habitants de nos pays par contre pour des insulaires, parce que la mer s’étend autour de nous de tous côtés ; en outre ils croient qu’au peuple originel de Cronos se sont mêlés plus tard certains de ceux qui suivirent Hercule et qui furent laissés là par lui, et que ces derniers ont pour ainsi dire transformé en une flamme haute et vigoureuse l’étincelle hellénique qui était sur le point de s’éteindre en ce lieu, et d’être étouffée par la langue, les lois, ainsi que les manières des barbares. Aussi depuis lors Hercule recueille-t-il chez eux les plus grands honneurs, et Cronos seulement les seconds.
Strabon. Livre IV, chapitre IV, 6.
… Éphore, dans son étude, donne à la Celtique une étendue si excessive qu’il lui assigne la plupart des régions, jusqu’à Cadix, de ce que nous appelons maintenant l’Ibérie ; en outre, il déclare que ses
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habitants sont amis des Hellènes, et signale beaucoup de particularités, à leur sujet, qui ne correspondent plus à la situation d’aujourd’hui. Celle qui suit par exemple, et qui leur serait propre : ils s’évertueraient à ne devenir ni gros ni ventrus, et tout jeune homme qui excéderait la mesure standard d’une certaine ceinture, serait puni. Voilà pour la Celtique de par-delà les Alpes.
Periegesis ou Orbis descriptio.
Europe.
Les Celtes ont des usages et des mœurs helléniques, et ils les doivent à leurs relations habituelles avec l’Hellade
Et à l’hospitalité qu’ils donnent souvent aux étrangers venant de ce pays.
Ils tiennent leurs assemblées avec de la musique, demandant à cet art le moyen d’adoucir les mœurs.
À l’extrémité de leur pays se trouve la colonne dite boréale, très haute et projetant sa pointe dans une mer houleuse.
Les lieux voisins de cette colonne sont habités par les Celtes qui ont là leurs derniers rameaux,
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Voici quelles sont ces criques. Slaingé avec ses principaux chefs et ses anciens toucha terre dans le havre de Slaingé, le samedi des Calendes d’août pour ce qui est du jour de la semaine, de sorte que la baie a pris son nom de lui. Un millier de personnes l’accompagnait. Séangan et Gan débarquèrent un mardi dans le havre de Dubglas, avec deux mille personnes. Rudraigé et Géanan atteignirent la baie de Domnan, comme nous l’avons dit, le vendredi soir, également avec deux mille personnes.
Ils allèrent tous ensemble jusqu’à Uisnéac en Midé, et ils divisèrent ensuite l’Irlande en cinq parts. La part de Slaingé s’étendit depuis le havre de Colpa jusqu’au Confluent des Trois eaux. Gan obtint le pays compris depuis le Confluent jusqu’au chemin de Conglas ; Séangean depuis le chemin de Conglas jusqu’à Luimnéac, Géanan depuis Luimnéac jusqu’à la Drobaois, Rudraigé depuis Drobaois jusqu’à la Boinné.
C’est au sujet des choses ci-dessus mentionnées que fut dit…
Note de l’éditeur. Suit un long poème de Tanaidhe Ua Maoil-Chonaire…
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Voici le nom des femmes. Fuad, femme de Slaingé, Eadar femme de Gan, Anast femme de Séangan, Cnuca femme de Géanan et Liber, femme de Rudraigé. Ce fut en leur souvenir qu’il fut dit :
« Fuad, femme de Slaingé, ce n’est pas mentir.
Eudar fut la femme de Gan le courageux.
Anast, la femme de Séangan ???
Cnuca la femme du beau Géanan,
Liber femme de Rudraigé avec colère,
Muinter cumraidhe ni cuacc ????
Rudraigé, le roi des exploits
Eut Fuad pour femme telle est mon opinion ».
DES ROIS FIR-BOLGS DE LA DURÉE DE LEUR GOUVERNEMENT ET DE LEUR MORT.
CI-DESSOUS CE QUI EN EST RELATÉ.
Il n’y eut personne pour prendre le titre de roi, ni la royauté, ni le commandement suprême en Irlande, avant l’arrivée des Fir-bolgs. Les chefs conférèrent la souveraineté à leur frère aîné, c’est-à-dire à Slaingé et ce fut le premier roi qui exerça l’autorité en Irlande. Il régna pendant un an et mourut dans son château. Ce fut la première mort en Irlande parmi les grands seigneurs Fir-Bolgs. Année 3267 de la création.
Rudraigé, son frère, régna pendant deux ans et mourut au château sur la Boinné. [Année] 3269.
Gan et Géanan régnèrent quatre ans, puis moururent de la peste à Fréman en Midé. [Année] 3273.
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Séangan régna cinq ans, puis fut tué par Fiaca Tête-blanche, fils de Starn, fils de Déala, fils de Loc. [Année] 3278.
Fiaca Tête-blanche régna cinq autres années, puis fut tué par Rional, fils de Géanan. Les vaches d’Irlande eurent la tête grisonnante du temps de ce Fiaca. [An] 3283.
Rional, petit-fils de Déala, régna six années, puis fut tué par Foidgéainid, fils de Séangan, lors d’une bataille près la rivière Coirbré. Ce fut du temps de Rional qu’on fit des pointes en fer pour les hampes des lances, car ils n’avaient que des épieux sans rien, dans les mains, jusqu’alors. [An] 3289.
Foidgéainid régna quatre ans, puis fut tué par Eocad, fils d’Erc, fils de Rional, fils de Géanan, dans la plaine Muirtemné. Ce fut du temps de ce Foidgéainid qu’apparurent des nœuds et des chancres sur les arbres, car les futaies d’Irlande étaient droites et lisses jusque-là. [An] 3293.
Eocad, fils d’Erc, régna dix années, après lesquelles il fut tué par les trois fils de Némid, fils de Badraoi du peuple des enfants de la déesse Danu, à savoir Céasairb, Luam et Luacra, comme expliqué ci-dessous. Eocad, fils d’Erc, fut un bon roi. Il n’y eut d’autre humidité pendant son règne que celle de la rosée. Aucune année ne fut sans fruits. Les menteurs furent expulsés d’Irlande pendant son règne. Ce fut le premier roi qui jugea convenablement, c’est-à-dire fit des lois justes, en Irlande.
Sur la durée des règnes et la mort de ces rois, il a été dit, sous la plume de Tanaidhe Ua Maoil-Chonaire.
Les Fir-bolgs furent heureux pour un temps,
Dans la grande Île des fils de Miléad.
Ils emmenèrent avec eux là-bas cinq chefs,
Et je connais leur nom.
Slaingé régna un an, c’est la vérité
Et mourut dans son joli duma ???
Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 12.
Henri Lizeray peine visiblement à traduire ce terme gaélique. Il doit certainement désigner une colline artificielle ou aménagée. cf. l’appellation latine de dumiatis pour parler du Mercure du Puy-de-Dôme.
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On ne trouve aucune mention de construction de forts ni d’essartage de plaines ni d’apparition de lacs du temps des Fir-Bolgs. Il est rapporté dans des livres que sont issus des Fir-bolgs survivants les Gabraidé de Suc dans le Connaught, les Ui Tairsi du Leinster, chez les Ui Failgé, ainsi que les Gailéoin, du Leinster, etc.
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DES INVASIONS DES ENFANTS DE LA DÉESSE DANU.
DES AVENTURES D’IOBAIT, FILS DE BEOTAG, FILS D’IARBANEL, FILS DE NEMID ET DE SA DESCENDANCE DEPUIS QU’ILS PARTIRENT D’IRLANDE APRÈS LA PRISE DE LA TOUR DE CONAN, JUSQU’À LEUR RETOUR EN IRLANDE CONTRE LES FIR BOLGS EN TANT QU’ENFANTS DE LA DÉESSE DANU. DU NOMBRE DE LEURS ROIS, DE LA DURÉE DE LEURS GOUVERNEMENTS, ET DE LEURS MORTS, CI-DESSOUS RELATÉS, AVEC L’HISTOIRE D’UNE DE LEURS FAMILLES.
D’Adam jusqu’à l’invasion des enfants de la déesse Danu en Irlande : 3303.
Du déluge jusqu’à l’arrivée des clans de la déesse Danu : 1061.
lobait, fils de Béotac, fils d’Iarbanel, fils de Némid après son départ d’Irlande et après la démolition de la Tour ci-devant mentionnée, rassembla son peuple et occupa les Îles au nord de la Grèce. Ils y restèrent jusqu’à ce que s’y multiplient leurs clans et de leurs familles. Ils apprirent le druidisme et de nombreux arts similaires dans ces îles où ils demeuraient, entre autres fiothnaisecht, amaitecht, coinhliocht, la sorcellerie, la magie, les enchantements ainsi que tous les paganismes en général ???? Jusqu’à ce qu’ils soient instruits savants, et versés, dans chacune de leurs branches. Ils furent appelés « peuple des dieux » (Tuatha dé) parce que chez eux les dieux étaient leurs hommes de science ; les non-dieux le peuple de leurs agriculteurs ??? à cause de leur génie dans chaque science et dans chaque secrète connaissance du druidisme, et ce fut pour cette raison que leur fut donné le nom de « peuple des dieux »…………
POUR LA SUITE, VOIR NOTRE SÉRIE « LES GRANDES BATAILLES DE LA MÉTAHISTOIRE ».
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 13.
Peuple des dieux… peuple des dieux… Il s’agit en fait plus exactement du peuple… DE LA DÉESSE.
De la déesse Danu. Sans doute l’ancien élémental du beau Danube bleu. Pour les druides antiques il s’agissait d’une déesse fécondée par le dieu de l’éclair (métaphore du feu dans l’eau) : Taranis, Tuireann en Irlande.
La remarque prouve par ailleurs que cette « divinité » n’était pas évidente aux yeux des Irlandais du Moyen-âge qui avaient un peu tendance à considérer les Tuatha dé Danann comme de simples superhéros si l’on peut dire. Des magiciens ou des sorciers, mais pas des dieux. Heureusement d’ailleurs, sinon ils auraient été soit totalement censurés soit systématiquement diabolisés, ce qui n’est que partiellement ou ponctuellement le cas dans la littérature irlandaise médiévale.
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DE L’HISTOIRE DE CERTAINS DES TUATHA DÉ CI-DESSOUS.
Les enfants d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi, fils de Tatt, fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Baat, fils d’Iobat, fils de Béotag, fils d’Iarbanel le Prophète, fils de Némid, fils d’Agnoman furent Bréas, Elloit, Dagda, Déalbat et Ogma.
Eré, Fodla et Banba, furent les trois filles de Fiacna, fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot.
Féa et Némain furent les deux filles d’Elcmar du Brug [sur la Boinne], fils de Déalbaot, fils d’Ealatan : elles furent les femmes de Ned, fils d’Iondaoi, d’où le nom d’Oileac de Ned.
Badb, Maca et Moirriogan furent les trois filles de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Ionda. Earnbas, fille d’Eatarlam, fils d’Ordan, fils d’Ionda, fils d’Aldaoi, fut la mère de ces femmes ci-dessus mentionnées. Moirriogan (la grande reine) avait un autre nom, Ana, d’où le nom de Tétons d’Anu à l’est de Luacair.
Danu, fille de Déalbaot, fili d’Ogma, fils d’Ealatam, fut la mère de Brian, Iucarba et Iucar qui furent dits les trois dieux de Danu d’où le nom de Peuple de la déesse Danu (tuata dé Danan) uair tuatha de ba ainm doibh go ruccsat-som orra, 7 tuatha dé donann an ainm iaromh ? parce que Peuple de la Déesse fut le nom qu’ils eurent d’abord, et Peuple de la Déesse Danu leur nom plus tard.
Goibnean fut leur forgeron, Luctné le charpentier, Creidné l’artisan, Diancect le médecin. Ils étaient fils d’Easarg le Tacheté, fils de Ned, fils d’Iondaoi.
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Aengus, c’est-à-dire le cadet, était fils du Dagda, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned ; Lug fils de Cen, fils de Diancect ; Cridenbel, Bruidné et Casmael, les trois satiristes ; Bécuellé et Dinan, les deux nobles dames.
Eatan la savante (bainecces) fut fille de Diancect, fils d’Easarg le Tacheté, fils de Ned ; Cairbré, le poète fut fils de Tuara, fils de Torill, fils de Catcind, fils d’Ordan, fils d’Iondaos, fils d’Alldaoi.
Eatan la savante fut la mère de ce Cairbré. Les trois fils de Cearmat de la Bouche mielleuse, fils de Dagda, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot furent : Dormit, Ermitt et Aod. C’est au sujet de ces personnes qu’Eocad O' Floinn a dit… [poème]
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 14.
Peuple des dieux peuple de la déesse Danu.
Tout cela n’est pas très clair et on se demande s’il n’y a pas eu confusion entre dieux et déesses. Ce qui semble clair en tout cas c’est que Brian Iuchar et Iucharba, Brennos Ivocaros et Ivocarbos en vieux celtique, sont bien des membres actifs et haut placés du panth-éon druidique même s’il semble y avoir eu en Irlande et par rapport à la Grande-Bretagne ou au Continent, une sorte de révolution de palais (matriarcale ?) ayant détrôné Taran/Toran/Tuireann au profit de Noadatus/Nuada et de Lug.
Bainecces. L’ekes était un grade de la confrérie druidique. Bain signifie « femme » en gaélique. Il y avait donc au moins des femmes de ce grade dans l’ancien druidisme.
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DES ROIS DES TUATHA DÉ DANAN, DE LEUR HISTOIRE, DE LA DURÉE DE LEURS RÈGNES ET DE LEURS MORTS, CI-DESSOUS EXPLIQUÉS.
Bréas, fils d’Ealatan, fils de Ned, fils de Ciolcag, fils de Plosg, fils de Libéarn, fils de Golam, fils de Largairé, fils de Mercill, fils de Saitclar, fils de Starn le Denté, fils de Siporn, fils de Sadal, fils d’Ucad, fils d’Effic, fils de Pélist, fils de Fédil, fils de Gus, fils de Cam, fils de Noé, exerça la souveraineté d’Irlande pendant sept ans jusqu’à ce que la main de Nuadat fût remplacée, après la blessure reçue dans la première bataille de la plaine des menhirs, comme nous l’avons dit. Et pour récompenser sa mère ; c’est-à-dire Eré, fille de Déalbaot, les Tuata Dé s’accordèrent à faire Bréas souverain d’Irlande, aussi longtemps qu’il fallut pour remplacer la main de Nuadat. Bréas mourut, ensuite, au cairn du petit-fils de Ned, comme nous avons dit : après sa mort suite à ingestion d’une gorgée de l’eau rouge (ruadhroda ?) on l’enterra dans le cairn qui fut appelé de son nom.
Selon d’autres historiens traitant du même cairn dans les Dinnséancas le père de Bréas appartenait aussi au peuple des enfants de la déesse eux-mêmes [puisqu’ils écrivent] : Bréais, fils d’Ealattan, fils de Dealbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils de Tait, fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Baat, fils d’Iobat, fils de Béotac, fils d’Iarbanel le Prophète, fils de Némid, fils d’Agnoman, etc. [Année 3310.]
Nuadat Main d’Argent, fils d’Eocad, fils d’Eatarlan, fils d’Ordan, fils d’Iondaoi, fils d’Aldaoi, fils de Tatt, fils de Tabarn, fils d’Enna, fils de Baat, fils d’Iobat, fils de Béotac, fils d’Iarbanel le Prophète, fils de Némid exerça la royauté pendant vingt ans, jusqu’à ce qu’il soit tué par Balar aux coups puissants lors de la bataille de la plaine des menhirs des Fomoriens. [An] 3330.
Lugad au long bras, fils de Cen, fils de Diancect, fils d’Easrag le Tacheté, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi, régna quarante ans après lesquels il fut tué par Mac Cuil, dans Caendrum. [An] 3370.
Eocad le Grand Patriarche (ollathair), surnommé le Dagda, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, exerça la souveraineté pendant quatre-vingts ans jusqu’à ce qu’il meure, dans son palais du Brug, d’un incurable coup de flèche que lui avait lancée Ceitlen lors de la première bataille de la plaine des piliers [An] 3450.
Déalbaot, fils d’Ogma à la face de soleil, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils de Ionda, régna dix années, après lesquelles il fut tué de la main de son propre fils Fiaca, fils de Déalbaot. [Année] 3460.
Fiaca fils de Déalbaot, fils d’Ogma, régna dix années après lesquelles il fut tué par Eogan d’Inber [An]. 3470.
Ermit c’est-à-dire le fils du Noisetier, Dermit, c’est-à-dire le fils de la Charrue, Aod, c’est-à-dire le fils du Soleil les trois fils de Céarmat Bouche de miel, fils du Dagda, fils d’Ealatan régnèrent trente années après lesquelles ils furent tués dans la bataille de Taillten par les fils de Miléad, comme il est dit ci-
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dessous… Etor, Téter et Cétor étaient les autres noms des fils de Céarmat. Le premier Mac Cuill fut surnommé le Fils du noisetier parce que le noisetier était son dieu, Etor fut son vrai nom, Banba, sa femme. Mac Greine le fils du soleil était ainsi appelé parce que le soleil était son dieu ; Cétor était son vrai nom, Eré sa femme. Mac Cecht le fils de la charrue fut ainsi nommé parce que la charrue était son Dieu. Tétor était son nom, Fodla sa femme [Année 3500].
Mananan, fils d’Eliot, fils d’Ealatan fils de Déalbaot, fils de Ned porta les deux surnoms de Gaer et Oirbsean et c’est de lui qu’est nommé le lac Oirbsean : ce lac jaillit de terre au moment où fut creusée la tombe d’Oirbsean, et de là vient son appellation.
[Passage figurant dans le manuscrit du Collège de la Trinité. Les six fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, furent Fiacna, Ollam, Iondai, Brian, Ucarba et Ricar. Trois d’entre eux furent les fils d’une femme du même nom (appelée Déalbaot), mère des trois derniers. C’est d’eux que les Tuatha Dé Danan tirent leur nom, parce qu’avant leur naissance leur peuple s’appelait Tuaté Dé (peuple des dieux) et Tuatha Danan ensuite. Ces trois-là sont appelés les trois Dé Danan, et la montagne des Trois Dé (Dieux) leur doit son nom].
D’iceux il a été chanté : [poème].
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 15.
Il fut tué. Répétons-le encore une fois. Il va de soi que les dieux ne sauraient mourir. S’ils meurent dans nos légendes ce n’est que suite à une convention littéraire accentuée par la christianisation qui a encouragé les populations à ne voir en eux que des hommes, certes sortant de l’ordinaire, mais rien que des hommes néanmoins. D’ailleurs on les voit souvent réapparaître aussitôt dans d’autres légendes. Les dieux par définition ne peuvent pas mourir, sauf peut-être avec le présent cycle. Mais ils réapparaîtront alors sous d’autres noms dans le cycle suivant, car ce sont essentiellement des forces de la nature ou de l’âme humaine.
Le noisetier était son dieu, etc. Évidente absurdité due à la christianisation. Disons plus prudemment que ce dieu était associé au noisetier, que le noisetier était son symbole, son moyen d’intervention. Même raisonnement pour la charrue et le soleil. La christianisation a littéralement fait voler en éclats la logique interne de tous ces récits (mythiques).
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CI-DESSOUS LA GÉNÉALOGIE DE QUELQUES AUTRES TUATHA DÉ DANANN.
Miodair de Bri leith, fut fils d’Iondaoi, fils d’Ectra, fils d’Etarlam, fils d’Ordam, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi.
Caicéar et Néactan, furent les deux fils de Namad, fils d’Eocad le Rude, fils de Duac le sombre, fils de Brès, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned, fils d’Iondaoi, fils d’Alldaoi, fils de Tat, fils de Tabarn.
En outre, Bodb du side de Feimin, fut fils d’Eocad le Rude, fils de Duac le sombre, fils de Breas, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot.
Siugmall, fut fils de Cairbré le Courbé, fils d’Ealcmairé, fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned.
Aoi, fut fils d’Ollam, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, fils de Ned.
Les six fils de Déalbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan, fils de Déalbaot, furent Fiacna, le Grand Ollam, Iondaoi, Brian, lucarba et Iucar, les trois derniers furent les trois dieux Dananiens comme nous avons dit. Déalbaot dont ce furent les descendants était aussi appelé Tuirell.
Aengus, qui fut le cadet, Aed le beau et Cearmat Bouche-de-miel, furent les trois fils du Dagda, fils d’Ealatan.
Les descendants de Diancect, fils d’Easarg le tacheté, sont Cu, Céatéan, Cen, Miac, Ciac, Eatan, qui est la prêtresse mère de Cairbré, Airméad la femme-médecin, ces deux dernières filles de Diancect. Brigit, la poètesse, fut la fille du Dagda. C’est à elle qu’appartenaient Femen et Fé les deux bœufs royaux, d’où Femhen ; car c’était le lieu habituel de leur pâture.
Par Uilenn au coude rouge, fils de Caitir, fils de Namat, fils d’Eocad le Rude, fils de Duac le sombre, fut tué Mananan lors de la bataille de Cuillen.
Boind fut fille de Dealbaot, fils d’Ogma, fils d’Ealatan ; Abcan, fils de Big le généreux, fils de Conn, fils de Diancect le poète de Lug, fils d’Etlen ; En, fils de Biccéon, fils de Starn, fils d’Edléo, fils d’Aldaoi, fils de Tatt, fils de Tabarn, etc.
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Tous les secrets de l’art, tous les secrets de la science et toutes les connaissances médicales ont été découverts par les Tuata Dé Danan et bien que soit venue la vraie foi, ces arts ne furent pas interdits, car ils étaient bons.
Sur les noms et les règnes des rois des Tuata Dé Danan a été composé ce poème par Tainiré Ua Maoil-Chonaire
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 16.
Prêtresse. Henri Lizeray traduit ainsi le terme gaélique bainfhile qui signifie à proprement parler vellède.
Poétesse. Henri Lizeray traduit ainsi le terme gaélique bainfile qui signifie à proprement parler vellède.
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NOTE DE LA RÉDACTION.
TOUT CE QUI EST RELATIF A CETTE PRÉTENDUE INVASION MILÉSIENNE ÉTANT PLUS QUE DOUTEUX NOUS ÉPARGNERONS CE PENSUM A NOS LECTEURS ET NOUS EN VIENDRONS DIRECTEMENT À…
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RÉFLEXIONS DIVERSES SUR L’ORIGINE ET L’ORGANISATION
DES TOUTAI DEVAS OU TUATHA DÉ COMME ON DIT EN IRLANDE.
Les hypothèses les plus variées ont été avancées à ce sujet.
Ainsi que nous l’avons vu, la plus répandue en Irlande est celle qui les crédite d’une origine hyperboréenne au sens large du terme : les îles au nord du monde.
Mais il en existe aussi une autre qui affleure ici ou là dans certains de nos textes apocryphes et qui est encore plus fantastique. Les Toutai Devas ou Tuatha Dé seraient en fait des extraterrestres arrivés par les airs à bord de gigantesques machines volantes type roth ramach ou « roue ramante » (le druide Mog Ruith en aurait eu des plans).
Ciatberat araile comtis demna Tuatha De, ar tiachtain cen airiudugh, [asrubartsat fein iar loscadh a long is a nellaib dorchaib tancatar] 7 ar duilghe a fessa 7 tairthiudha, ar doidhnge a ngeneailg dobrith for culu… 7 ni fir on emh, ar atait an genilaighi for culu iar coir et coetera.
Bien que certains auteurs ont indiqué que les Tuatha Dé furent en réalité des démons, en considérant qu’ils vinrent ici de façon invisible [ils disent qu’ils arrivèrent entourés de sombres nuées, après avoir brûlé leurs vaisseaux] et que l’on ne sait pas grand-chose de leurs sciences ainsi que de leurs aventures, et à cause également du caractère incertain de leurs généalogies quand on essaie de les établir… mais ce n’est pas vrai, leur arbre généalogique est parfaitement clair, etc.
La troisième hypothèse, la plus simple si ce n’est la plus séduisante, est celle qui leur attribue exactement la même origine que celle qui est reconnue à la triade de bonnes fées ou déesses appelées Banuta, Iveriu et Votala (Banba, Ériu et Fodla). Ainsi qu’au premier roi des vouivres anguipèdes gigantesques évoqué par nos légendes, Cicolluis, en gaélique Cichol ou Cíocal.
Autrement dit notre bonne vieille Terre. Qui vaut bien tous les vaisseaux spatiaux du monde !
On peut d’ailleurs broder sur cette dernière hypothèse si on la trouve trop simple et imaginer les Toutai Devas ou la tribu de la grande déesse Danu (bia) vivant dans des régions reculées, ou des îles à la fois proches et lointaines. Le fameux royaume de Gorre des légendes arthuriennes n’est-il pas relié à la terre ferme par deux ponts magiques, un pont sous l’eau et un pont dit à l’épée ?
Les dieux ou Tuatha Dé Danann sont tour à tour localisés en fonction des circonstances par nos frères et sœurs irlandais, suivant les traditions…
— Dans les îles au nord du monde.
— Sur terre comme tout un chacun, comme vous et moi (après avoir envahi l’Irlande par exemple).
— Sous terre dans les sidhe.
— Mais aussi dans les îles à l’ouest du monde appelées « îles des bienheureux ». Cela fait beaucoup !
Le plus simple est donc peut-être de leur appliquer le même raisonnement théologique basique que celui que reprennent souvent les spécialistes de la question à propos des Fomoire ou Fomore irlandais : en réalité ils sont vieux comme le monde (des sidhe justement), ils sont de partout et nulle part, et les présenter à chaque fois comme des envahisseurs venant de très loin n’est qu’un procédé littéraire, bien commode pour donner du ressort, et quel ressort, à tous ces récits.
Enfin à chacun de voir, mais il faut bien que dieux et déesses, ou démons et démones, ou fées si l’on préfère, gardent eux aussi une part de mystère.
Ci-dessous ce que pense le Français J.-M. Ricolfis à ce sujet.
Arrivée des Toutai Devas (des enfants de la déesse-ou-démone Danu-bia), enfin, car ils sont à nouveau le panth-éon celtique, mais cette fois-ci celui des dieu-ou-démons éducateurs et lumineux, celui des très-sachants de la druidiaction (druidecht). « Cette race divine a toutes les sympathies des conteurs qui aiment ces êtres beaux, bons et bienveillants, bien que leur Église, s’étonnent-ils, veuille à tout prix en faire des démons ».
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Sur ce point donc J.-M. Ricolfis a une opinion divergeant de celle de Christian-Joseph Guyonvarc’h.
Les Toutai Devas, la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, Danu (bia), sont l’ultime aboutissement des Némétiens réfugiés dans les îles au nord du Monde. Ils y ont vécu en quatre tribus, dans quatre villes. Ils en sortent sous la direction de leur roi Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd, guidés à travers un brouillard magique, la vieille « nuée » indo-européenne qui naît du contact du soleil brûlant avec la mer de l’aurore. Ils sont très beaux, éternellement jeunes, ont des cheveux couleur de soleil, et des habits splendides. Comme l’Égyptien Osiris, ils règnent par l’esprit et les arts plus que par la force, pratiquent la magie, les arts et les techniques. Ils sont organisés en société initiatique d’accès difficile et ont avec eux les objets sacrés que nous retrouverons avec la Table ronde : le chaudron, la lance, l’épée, la pierre-qui-crie (Lia Fail ou pierre de Scone… nous ne choisirons pas entre nos cousins irlandais ou nos frères écossais de l’Auld alliance, autre pays bien aimé cher à notre cœur, si beau, et qui mérite bien d’être indépendant, ne serait-ce que pour préserver sa langue et donc son âme…… dans les deux cas, il s’agit de la pierre de la destinée).
On peut aussi, en plongeant dans les extravagances des druidomanes, prêter aux Toutai Deuas l’usage du rayon laser ou des soucoupes volantes. Mais cela ne modifie pas d’un iota le sens des rapports entre les versions CMT I, CMT II, et les passages correspondants du Livre des Conquêtes ou de Keating.
Le premier point que soulignent les paragraphes introductifs du Lebor Gabala Erenn à propos de la seconde bataille de Mag Tured en tout cas est l’essence surhumaine, non humaine, extrahumaine, surnaturelle ou préternaturelle (divine donc) des Toutai Deuas. Ils ne sont pas soumis à une destinée humaine. Le Français Dottin, qui traduit toutai par « tribus » (ce qui est normal), se trompe quand il suppose que le sens magique de tuath « gauche » pourrait s’appliquer au nom de ce peuple de « magiciens ».
Si une magie est à prendre en mauvaise part, elle se trouve dans le camp des vouivres et des anguipèdes gigantesques (fomore en gaélique, andernas sur le Continent). Toutes les interventions irlandaises vont dans le sens de la distinction nette des Toutai Deuas et des vouivres anguipèdes gigantesques (fomore en gaélique). Même et surtout quand la science médiévale, justifiant son passé oriental par l’Ancien Testament, attribue à ces derniers une origine biblique : Cham, le premier homme à avoir été maudit après le déluge. Si bien que ce fut lui le cohéritier de Caïn et que ce fut de lui que naquirent les Corroi (nains), les Anguipèdes géants et les Têtes de Chèvre ** ainsi que tous les êtres difformes qui existent chez les hommes.
** En celtique avec q : Gabroqendoi, d’où le nom gaélique de Goborchind. En celtique avec p : Gabropennoi (enfin du moins théoriquement). NDLR.
Le récit de Keating est une sorte de compromis entre les versions CMT I et CMT II. Alors que dans CMT I les Toutai sont issus des descendants du Nemet/Cornnnos ayant fui en Scandinavie, pour Keating, partant de Grèce, ILS FONT UN DÉTOUR PAR LA SCANDINAVIE. Le principe des origines septentrionales est sauf. L’Irlande nous a depuis longtemps habitués à ce genre de fraude non subtile : les transcripteurs n’y ont jamais mis aucune malice.
Par symétrie contraire, les vouivres et les anguipèdes géants (fomore en gaélique, andernas sur le Continent) seront, dans la version CMT III, de provenance africaine ! Les malheureux Africains n’y sont pourtant pour rien !
Mentionnons aussi ce que Keating est le seul à définir : les trois classes sociales des dieu-ou-démons de la Déesse-ou-démone, ou fée, en question.
Les tûatha ou nobles.
Les dee (« deuoi = dieux ») ou druides.
Les ceard (« cerdastoi ») ou dana (les artisans).
Keating a retrouvé là, sans en respecter l’ordre hiérarchique, le principe de la tripartition indo-européenne.
La divinité des Toutai Deuas est patente dans leurs origines et dans les talismans ou armes divines dont ils sont munis, et tout cela n’est « diabolique » que par référence au christianisme, parce que ce n’est pas chrétien. Mais comme tout ce qui est bien irlandais, dans le fond est bon et ne saurait être
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mauvais, ceci compense cela. Keating lui-même, qui ne prend pas les Toutai Deuas pour des saints, s’accorde le temps d’une longue description de leur principal talisman, la Pierre de Fâl ou de Scone (Lia fail). Et c’est encore lui qui, en dépit de la traduction erronée de « saxum fatale », en donne l’explication la plus évidente : la souveraineté là où est la pierre (la pierre de souveraineté). Par comparaison les autres trésors des Toutai Deuas sont décrits plus sommairement. Mais la description est traditionnelle et correspond à celles de la version de CMT II et du Livre des Conquêtes. Le second, non pas dans l’ordre d’énumération, mais en importance, est le chaudron. À la fois chaudron d’abondance et de résurrection, ou de mort sacrificielle (dans le rite de la « triple mort » pour le monarque à la fin de son règne).
Quant à la lance de Lug, elle est inutilisée dans la version CMT III (elle ne sert qu’à la mise à mort de Balor) et le glaive de Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd n’épargne nullement à son possesseur de subir une mutilation disqualifiante.
Il y aurait sans aucun doute beaucoup à dire sur la répartition de ces talismans ou sur les fonctions assumées par leurs détenteurs respectifs, mais ce travail fera l’objet d’une étude ultérieure.
Le miracle irlandais, car c’en est un, est que nous ayons là quelques perles de mythologie pure, sous un léger vernis d’évhémérisation, ou quelques expressions chrétiennes de surface. À l’époque de la transcription du Livre des Conquêtes, le paganisme était mort depuis assez longtemps pour que sa substance ou son squelette ne fût plus cause ou sujet de scandale. Chacun savait, du haut en bas de la hiérarchie des filid et dans tous les scriptoria de moines annalistes, que les enfants de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on aime mieux ce terme, Danu (bia) n’étaient pas des démons, que leurs sciences et leurs arts n’avaient rien de démoniaque. Ainsi que le précise un rédacteur plus zélé que les autres : « Ar cia thanic cretim, ni ro dichuirthe na dana sin ar it maithe, 7 ni demai demun maith etir. Is follus dana assa febaib 7 asa n-aigedhaib nach do demnaib na, sidhaighe do Tuathaib De Danann ». « Bien que la foi soit venue, ces arts n’ont pas été abolis, car ils sont bons et aucun démon n’a jamais fait le bien. Il ressort clairement de leurs dignités ainsi que de leurs morts que les hommes de la déesse, ou fée, appelée Danu (bia), n’étaient pas des démons ».
La naïveté du rédacteur confine d’ailleurs à la mauvaise foi, car en principe aux yeux de tout bon chrétien, les enfants de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia) ne pouvaient qu’être considérés comme des démons. Ce que beaucoup on fait d’ailleurs apparemment.
Disons que le paradoxe irlandais leur a épargné une complète et unanime diabolisation. Mais l’évhémérisation du mythe par les premiers moines chrétiens a eu de très curieux résultats. La Grande Déesse-ou-Démone Mère Cosmique est, sous le nom de Danu (bia), la mère des trois dieu-ou-démons primordiaux appelés Brennos, Ivocaros et Ivocarbos. Et Lug est le fils adoptif de Talantio/Tailtiu, reine des Gaulois Fir Bolg (Rosemartha chez les Celtes continentaux) tout en ayant pour grand-père Balaros, un roi vouivre anguipède (fomore en gaélique). Les Toutai Deuas descendent aussi de la race du Nemet/Cornunnos, avec le même ancêtre commun que Partholon.
Mais rappelons encore une fois et bien entendu que pour ce qui est des généalogies, elles n’ont pas plus de valeur que celles attribuées à Mahomet dans les hadiths ou à l’homme Jésus dans les évangiles ; et qu’en ce qui concerne les dieux ou démons du paganisme elles ne sont que les restes d’une tentative d’explication en termes humains des rapports entre ces différentes forces de la nature. Et aussi de leur évhémérisation à rebours. Il en va de même pour leur organisation sociale. Les hommes ont en effet toujours imaginé les dieux (ou les démons) à leur image, vivant donc en société, avec des spécialisations, des liens de subordination entre eux, des liens de parenté (père, mère, fils, filles, époux, épouses, etc.).
ORIGINE DES TOUTAI DEVAS.
Biuotacos, fils de Iariponalis le prophète…
C’est de lui que viennent les Toutai Deuas (les Tuatha Dê) dont l’origine exacte est inconnue ou incertaine. Certains se demandent même si c’étaient des hommes ou des démons, mais il est probable qu’ils sont venus du ciel, à cause de leur intelligence et de l’efficacité de leurs sciences. D’après Tuan fils de Cairell, dans sa Scel Tuain maic Cairill Do Fhinnen maige Bile inso sis.
Les Toutai deuas (Tuatha dé) sont une race issue du troisième fils du Nemet/Cornunnos parti à l’aventure après la destruction de la Tour de Cunanos : Iariponalis le prophète fils de Biuotacos.
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Pour d’autres, voici comment les choses se passèrent.
Il arriva en ce temps-là qu’une grande armada vînt de Syrie pour faire la guerre aux gens d’Athènes. Ceux des Athéniens qui étaient tués pouvaient néanmoins dès le lendemain reprendre le combat contre ces guerriers venus de Syrie. Cette magie venait de la nécromancie des Toutai Deuas qui insufflaient des esprits maléfiques dans leurs corps pour les ressusciter. Quand les gens venus de Syrie s’en aperçurent, ils demandèrent à leurs propres chamans ce qu’il fallait faire. Les chamans leur dirent de poster des gardes à l’emplacement du champ de bataille, et d’enfoncer une broche de sorbier dans la poitrine de tout cadavre qui se lèverait de nouveau pour les affronter. Si c’étaient bien des esprits maléfiques qui faisaient revivre leurs corps, alors ils seraient changés en vers immédiatement grâce à cela. Les guerriers de Syrie revinrent donc le lendemain matin pour livrer de nouveau bataille et ils la gagnèrent. Ils enfoncèrent des broches de sorbier (?) dans la poitrine des morts, comme les chamans leur avaient dit et les corps se changèrent en vers immédiatement. Quand ils s’aperçurent que les troupes venues de Syrie l’emportaient désormais sur les Grecs, les Toutai Deuas préférèrent fuir en direction de la Vinda Loccolanda (gaélique Fionn Lochlann = Scandinavie blanche, c’est-à-dire en Norvège). Où ils furent bien accueillis à cause de leurs sciences et de leurs arts.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 17.
La Syrie, la Syrie, que vient faire ici l’Assyrie moyen-orientale ? Keating (Histoire de l’Irlande, section X) est en général mieux inspiré. Il s’agit peut-être plutôt de la Syrie primitive dont parlait Homère, et dont le nom a une racine qui est la même que celle du nom sanscrit du soleil, Surya, une île centrale ou polaire. Les transcripteurs médiévaux de ces récits déchiffrés par Keating n’ayant visiblement plus rien compris ont dédoublé les dieu-ou-démons en Syriens d’une part, et Toutai Deuas d’autre part, en en faisant deux armées distinctes et hostiles. On se demande bien pourquoi ? Les Toutai Deuas ne sont pas personnellement impliqués dans ce conflit qui concerne surtout les « Athéniens » (sic), et leur fuite vers le nord (en Scandinavie ou même en Norvège plus précisément, ajoute notre texte) va tout faire rentrer dans l’ordre. Ils redeviennent donc, comme les habitants de cette mystérieuse île de Syrie, des Hyperboréens.
Nécromancie… lointaine réminiscence de certaines pratiques chamaniques de mort initiatique ou de guérison par intervention des âmes/esprits peut-être… Il existait en effet quelque chose de comparable au chamanisme dans le monde celtique. Voir les processions carnavalesques avec masques, déguisements, et tout et tout, en Suisse, dans la vallée du Lötschental (les tschäggätä) ainsi qu’en Autriche (les krampüse), certains hauts-faits de Cuchulainn et de Saint Fursey ou Fursa et ainsi de suite (Forseus, Furseus, etc.). Saint Fursy ou Fursa était un moine d’origine irlandaise qui vivait en Angleterre vers 630, resté célèbre pour ses aislingi (visions) de l’autre monde, et ses transes extatiques (cf. Historia Ecclesiastica Gentis Anglorum, III, 9).
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Leur souverain à l’époque était Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd fils d’Ectacos, fils d’Aterolamios (Etarlam), de la race du Nemet/Cornunnos.
Ils reçurent quatre villes pour y former leurs jeunes gens.
Certains disent qu’ils furent aussi appelés Toutai Deuas Danunas, hommes du clan de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), à cause des trois groupes qu’ils formaient.
Le premier groupe, que l’on appelait les Toutai (Tuatha), constituait la noblesse et les chefs de ces clans. Ces quelques versets nous le disent explicitement.
« Benacosli et la deva Danu (bia)
Leurs deux princesses les plus célèbres
Furent alors tuées.
La fin de leur art
Vint avec les pâles démons de la nuit ».
Le deuxième groupe est celui que l’on appelait les deuoi (les « dê »), et d’ailleurs telle est la raison pour laquelle on appelait les trois personnages mentionnés ci-dessous : les trois dieu-ou-démons de la Déesse-ou-démone, ou fée.
On les appelait « Deuoi » (Dê), car leurs pouvoirs étaient stupéfiants.
Le troisième groupe, que l’on appelait Dana en gaélique, était celui des artisans et des techniciens (Danoi).
Voilà ce qu’il est le plus convenable de croire.
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D’autres disent cependant que les Tuatha Dê furent dits Danann (en gaélique) à cause des trois fils de la Deva Danu (bia), fille de Taran/Toran/Tuireann Beccoreo Delbato, c’est-à-dire Brennos, Ivocaros, et Ivocarbos.
C’est parce que les trois grands seigneurs nommés ci-dessus étaient les plus forts dans les arts du paganisme, que ces tribus désirèrent qu’on les appelle également ainsi.
Voici une citation qui prouve que ces trois-là sont bien les trois dieu-ou-démons de la deva Danu (bia) en question, le poème dont le commencement est le suivant.
« Écoutez, ô lettrés, etc. », et qui s’achève ainsi :
« Les trois des Toutai Devas
Brennos, Ivocaros et Ivocarbos,
Moururent victimes de la vengeance
De Lug, fils d’Ethniu ».
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Contre-lai (commentaire néo druidique) Nº 18.
À propos de ce qui va suivre, la généalogie des principaux Toutai deuas (Tùatha Dé) selon certains auteurs.
Comme de bien entendu, et conformément à ce que nous avons vu plus haut (évhémérisation, et ainsi de suite) ces généalogies sont bourrées d’erreurs ou de contradictions. Un peu comme les diverses généalogies du grand rabbi Yehoshoua Bar Yosef dans la Bible (dans le Nouveau Testament) ou celles de Mahomet dans les hadiths.
Les contradictions ou les incohérences de ces généalogies compliquées, viennent essentiellement de l’évhémérisation à outrance pratiquée par les annalistes irlandais pour se conformer à l’idéologie dominante de leur époque, d’où ces résultats parfois ridicules, comme souvent dans le cas d’une idéologie vraiment dominante. Voir la couverture intellectuelle ou médiatique de la guerre en Géorgie de 2008. Un gamin de 8 ans des années 50 parlant des bons et des méchants n’aurait pas fait mieux ! Il ne faut donc surtout pas compter sur les journalistes pour être bien informé (pour être informé de façon intelligente et complète). Voir le télégramme Wikileaks 07 Paris 306 qui avait bien raison à leur sujet.
Or que pourrait-on espérer pour ce qui est du soin des corps d’un chirurgien qui aurait horreur du sang et des connaissances comparables à celles d’un enfant de huit ans pour ce qui est de l’anatomie ou de la physiologie ? Humaines !
Pour ce qui est du soin des âmes en tout cas l’effarante innocence des enfants est remplacée par une bonne conscience terrifiante d’hypocrisie et de cynisme (on dit aujourd’hui « décomplexé ». L’Humanité ne changera jamais ! Voir la guerre en Irak de Georges Bush (2003), et la guerre en Libye de Nicolas Sarkozy (2011). Les bombardements humanitaires des grandes démocraties arabes comme le Qatar ont définitivement décrédibilisé et l’OTAN et les résolutions de l’ONU dans l’esprit de beaucoup des habitants de cette planète. Beau résultat ! Nous ne sommes pas près d’avoir la paix sur terre avec des gens de média de cette trempe pour ce qui est de la propagande, car, ainsi que l’a très bien vu Vauvenargues, hélas, « le prétexte ordinaire de ceux qui font le malheur des autres est qu’ils veulent leur bien ». Mais revenons à nos moutons !
Les lettrés irlandais ont donc voulu à tout prix faire de ces dieu-ou-démons des personnages historiques ayant vraiment existé dans leur pays, et ils leur ont donc rattaché plus ou moins arbitrairement des lignées de rois historiques postérieures.
D’où ensuite l’irrésistible tentation d’avoir des généalogies remontant le plus loin possible, pourquoi pas y compris jusqu’à Ève et Adam.
Le seul problème est que les annalistes chrétiens les ayant ainsi évhémérisés pour se conformer à l’idéologie dominante du moment ont presque toujours négligé de le faire en fonction de filiations ou de chronologies des générations cohérentes. Malgré des lignes convergentes aisément discernables, il y a toujours de quoi perdre plusieurs fois son bon sens dans l’écheveau complexe des filiations et des consanguinités. De telles généalogies restent donc à l’état d’indéchiffrable imbroglio.
Mais les dieu-ou-démons des textes qui vont suivre, ne l’oublions pas, ne naissent, vivent et meurent, que dans la mesure où ils ont été arbitrairement soumis à une perspective historique.
À propos du nom irlandais d’Ogma. Le théonyme trahit une phonétique non gaélique et doit s’expliquer comme un emprunt au celte continental « Ogmios ». Il est certain que des druides
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continentaux sont venus s’installer en Irlande après la perte de l’indépendance de leurs pays. Mais il vaut mieux penser à l’unité foncière de la mythologie celtique et du panth-éon ou plérôme qui la commande.
À noter : Tuireann Biccreo Delbaeth est peut-être l’équivalent insulaire du Taranis ou Toran (en gallois) continental.
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Généalogie des principaux Toutioi Deuas à l’usage de ceux qui s’intéressent aux listes de rois ou d’ancêtres.
Eochu Ollathir était le Dagda de ce peuple, car c’était un dieu-ou-démon bon à tout. Le Dagda, Ogma, Alloth, Brès, étaient les quatre fils d’Elatha, fils de Tuireann Biccreo Delbaeth, fils de Net.
Fils de Iondaoi, fils d’Allaoi, fils de Tat, fils de Tabharn, fils d’Enna, fils de Bethach, fils d’Ibath, fils de Beothach, fils de larbonel le prophète, fils du Nemed, fils d’Agnoman.
La femme de Net s’appelait Nemain (d’où le nom d’Ailech Neit).
Manannan était fils d’Allod, fils d’Elatha, fils de Tuireann Biccreo Delbaeth.
Fiachaid, Ollam, Iondaoi, Brian, Iuchar et Iucharba, étaient fils de Tuireann Biccreo Delbaeth.
La mère de Brian était la Dea Danu. C’est pourquoi on appelait aussi ces trois-là « les trois dieux de la Dé Danann » (d’où également le nom de la célèbre et légendaire montagne dite montagne des trois dieux).
Diancecht avait cinq fils (Cu, Cian, Ceitheann, Octriui, et Miach) et deux filles (Airmed, qui était une femme médecin, Étain qui était poétesse ; Étain eut pour mari Tuireann Biccreo Delbaeth, qui fut le grand-père de Cairpre le poète).
Lug était fils de Cian, fils de Dian Cecht, fils d’Easarg, fils de Net. Fils de Iondaoi, fils d’Allaoi, fils de Tat, fils de Tabharn, fils d’Enna, fils de Bethach, fils d’Ibath, fils de Beothach, fils de Iarbonel le prophète, fils du Nemed, fils d’Agnoman.
Goibniu le forgeron, Credne l’artisan, Diancecht le médecin, Luchtaine le charpentier, Cairbre le poète, étaient fils de Tara, fils de Tuireann Biccreo Delbaeth.
Caicher et Neachtain étaient fils de Namha, fils d’Eochaid Garbh, fils de Duach Dall.
Siodhmall était fils de Cairbre Crom, fils d’Elcmar, fils de Tuireann Biccreo Delbaeth.
Le Dagda avait une fille, la bélisama Brigitte (la très brillante Brigitte) qui était poétesse. C’était la femme de Bres (dont elle eut Ruan).
Le Dagda susmentionné avait aussi trois petits fils : Sethor (Mac Cuil) : l’homme du noisetier. Tethor (Mac Cecht) : l’homme de la charrue ; Cethor (Mac Greine) : l’homme du soleil. La femme de Sethor s’appelait Banba, celle de Tethor, Fodla ; celle de Cethor, Ériu.
Fiachna, fils de Tuireann Biccreo Delbaeth, était leur père. Ernmas, fille d’Etarcam, fils de Nuada, leur mère.
Ernmas avait aussi trois autres filles, Bodb, Macha, et la Morrigu (c’est-à-dire Ana).
Bodb, Macha et Morrigu, étaient leurs trois grandes magiciennes.
Credne, lui, était leur artisan et Flidais était célèbre pour son bétail.
Les quatre filles de Flidais étaient Airgoen, la femme de Cuile (Bé Chuille), Dinann, et la femme de Tith (Bé Thite).
Dinann et la femme de Cuile (Bé chuille) étaient leurs deux princesses. Elles avaient deux bœufs à la robe immaculée, les deux bœufs de Dil, que l’on appelait Féa et Femen. Ils donnèrent leur nom aux premières plaines défrichées grâce à eux (la plaine de Fea et la plaine de Femen).
C’était à elles aussi qu’appartenait le Triath-ri-thorc, le roi des porcs (d’où le nom de Mag Treitherne).
Et Cirb le roi des moutons (d’où le nom de Mag Cirb).
Mathgen fils d’Umor était leur chaman.
Cridenbel, Bruinne ainsi que Casmaol, étaient leurs satiristes. Ce sont eux qui poussèrent les trois premiers cris de vengeance magiques, car c’est parmi les Toutai Deuas que l’on entendit pour la première fois la voix du mal. C’est-à-dire les cris de frayeur dus à la guerre et à l’esclavage, les pleurs et les gémissements dus au malheur, et les lamentations provoquées par la méchanceté ou le pillage.
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 19.
Il s’agit là sans aucun doute d’une interpolation chrétienne. À noter. Une glose ou un commentaire de ce récit, « la Morrigu (c’est-à-dire Ana) », figurant dans le corps même du texte, et ce depuis une date sans doute assez haute, fait de la Morrigu un synonyme d’Ana. Étant donné qu’Ana/Anu est une
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incontestable variante de Dana/Danu (bia) ; mine de rien, une telle glose nous fournit donc l’importante équation suivante : la Morrigu (appelée Fata Morgana au Moyen-âge) = Ana = Dana.
Tout cela dénote une certaine confusion dans l’esprit des moines chrétiens de l’époque dès qu’il était question de parler du paganisme celtique antique.
N’oublions pas en outre que cette liste est loin, très loin, d’être exhaustive. Les dieux ou démons en question sont les plus hauts, les plus renommés, les plus connus. Mais il y en avait d’autres encore, qui leur étaient comparables ou peu s’en faut, quant à l’honneur, la force, la beauté, la richesse, la puissance, la renommée, la gloire. Et dont les noms sont connus et vénérés par tous, de par le continent et les îles. Car de la race des premiers dieu-ou-démons sont sorties des générations innombrables qui peuplèrent terre et ciel, mers et montagnes, eaux et forêts.
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ORGANISATIONS ET POUVOIRS.
Les dieu-ou-démons de la Déesse-ou-démone étaient dans les îles autour du nord du Monde, apprenant le paganisme et la magie, les jeux guerriers ainsi que le maniement des armes. Ils avaient des combattants forts et hardis et des spécialistes dans tous les domaines de l’art ou du savoir. Ils surpassaient en cela tous les autres savants du paganisme.
Atbert tra araile beittid demna so, arro fetattatair (sic) curpu daenna impu, o lodin as firu ; ar mairchetar a oigenelacha for culu, & do. raebattar la tiachtain creitmi. Conad dia n-aidedaib ro chan Flann Mainistreach in duan-sa sis ga foirgeall.
Rabb & Brott & Robb a tri druith.
Fiss & Fochmare & Eolas a tri adiuid (sic),
& Dub & Dobur & Doirchi a tri deogbaire.
Feic & Ruse & Radarc a tri derccaire.
Tailec & Tren & Très a tri ngille.
Attach & Gaeth & Sidhe a tri ngabra,
Aig & Taig & Tairchell a tri coin.
Ceol & Binn & Tetbinn a tri cruitteire.
Gle & Glan & Gleo a tri tipratte,
Buaid & Ordan & Togad a tri n-aithe.
Sid & Saimi & Suba a tri muimme.
Cumma & Set & Samail a tri cuaich.
Meall & Tete & Rochain a tri muige cluiche.
Aine & Indmas & Brugas a tri nduinne.
Cain & Alaig & Rochain a tri ndúine.
D’autres disent que c’étaient des démons parce qu’ils avaient des corps humains, ce qui est plus correct ; et que l’on peut retracer leurs généalogies : ils vivaient au moment de la venue de la Foi. De sorte qu’à propos de leur sort Flann Mainistrech a pu composer le chant suivant.
Rabb, Brott, Robb, leurs trois bouffons,
Fiss, Fochmarc, Eolas, leurs trois druides,
Dub, Dobur, Doirche, leurs trois échansons,
Feic, Rusc, Radarc, leurs trois veilleurs,
Talc, Tren, Très, leurs trois serviteurs,
Attach, Gaeth, Sidhe, leurs trois chevaux
Aig, Taig, Tairchell, leurs trois chiens,
Ceol, Taig, Tetbinn, leurs trois joueurs de harpe,
Gle, Glan, Gleo, leurs trois sources,
Buaid, Ordan, Togad, leurs trois pères adoptifs,
Sid, Saime, Suba, leurs trois mères adoptives,
Cumma, Set, Samail, leurs trois coupes à boire,
Meall, Tete, Rochain, leurs trois terrains de jeu
Aine, lndmas, Brugna, leurs trois tranchants,
Cain, Alaig, Rochain, leurs trois forteresses.
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Les noms des quatre cités dans lesquelles ils apprenaient la science la sagesse et les arts, étaient Thulé, Abalum, Gorre (île reliée au continent par deux ponts magiques, un sous l’eau et un autre dit de l’épée) et Ogygie l’île verte (cf. Rodrigue O’Flaherty). Dans les légendes transmises par les auteurs grecs antiques, Falias, Findias, Gorias et Murias dans les versions gaéliques. NDLR.
À ce sujet, un de nos meilleurs poètes a écrit ce qui suit.
Les Toutai Deuas
Touchèrent aux sciences supérieures
Au druidisme et à la diablerie.
D’où tiraient-ils leur instruction ?
Les Toutai Deuas étaient les descendants
Du troisième prince issu
De la race du Nemed/Cornunnos
Fils d’Acnomanos, le roi Iariponalis,
Après la défaite de la Tour de Cunanos.
Iariponalis le prophète
Eut en effet pour fils Biuotacos le rapide
Et pour petit-fils Ivatos.
C’était un guerrier célèbre.
Voici ce que certains bardes ont chanté à son sujet.
Biuotacos fils de Iariponalis le prophète
Fils du Nemet/Cornunnos
Est resté sur place
Avec dix hommes et leurs femmes
Mais les autres,
Sous la conduite d’Ivatos
Sont partis
Dans les îles au nord de la Scandinavie.
Les enfants d’Ivatos
N’y arrivèrent qu’après un long voyage.
Dans les quatre cités
Qu’ils y avaient conquises
Ils menèrent un combat qui fut acharné
Pour apprendre les sciences supérieures.
Elles étaient appelées :
La première Thulé (Falias en vieil irlandais).
La deuxième Ogygie l’île verte (Murias en vieil irlandais.).
La troisième Gorre (Gorias en vieil irlandais)
L’île de verre aux mille navires.
Et la quatrième Abalum (Findias en vieil irlandais).
Tels sont les noms des quatre cités magiques en question.
Marovesos (Morfhessa en vieil irlandais),
Esdrios (Esras en vieil irlandais),
Uiscios (Uiscias en vieil irlandais),
Et Semios (Semias en vieil irlandais),
Étaient les noms des quatre maîtres de ces îles.
S’en souvenir équivaut à une bénédiction.
Vesos était le Maître de Thulé (Falias en vieil irlandais).
Semios était celui d’Ogygie l’île verte (Murias en vieil irlandais).
Esdrios était celui de Gorre (Gorias en vieil irlandais).
Et Uiscios était celui d’Abalum (Findias en vieil irlandais).
Roi du Ciel et roi de la Terre,
En qui règne l’abondance de l’Esprit saint
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Bénissez-moi. DD Finit. Amen !
C’est de la cité de Gorre (Gorias) la ville de verre aux mille navires, que fut apportée la lance empoisonnée qui appartenait à Lug. Aucune bataille ne pouvait être gagnée contre celui qui l’avait en main.
C’est de la cité d’Abalum (Findias) que fut apportée l’épée de Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd. Personne ne pouvait lui échapper ou lui résister quand on la tirait du fourreau de la Bodua (de la Bodb), et celui qu’elle avait rougi de sang, ne serait-ce que d’une goutte, ne pouvait plus fuir après cela.
C’est de la cité d’Ogygie que fut apporté le chaudron du dieu-ou-démon bon à tout (le Suqellos Dagda Gargant). On ne le quittait que rassasié ou le ventre plein.
C’est de la cité de Thulé (Falias) que fut apportée la pierre (la pierre de Falias ou de Scone). Ce sont les Toutai Deuas qui ont amené avec eux cette pierre de connaissance et de souveraineté, notre pays en a reçu sa troisième appellation, à savoir Valimagosia : la Plaine de Fal.
Celui sous qui la pierre criait quand il s’asseyait sur elle, était le roi, jusqu’à ce que le meilleur ami de l’Homme, le grand et fidèle Cuchulainn, la frappe. Parce qu’elle ne poussa aucun cri sous lui ni sous son fils adoptif, Lugidos, fils des trois Vindas d’Emania – des trois Find d’Emain –, quand ils se furent assis sur elle. Depuis elle est restée muette d’ailleurs.
Ce n’est pourtant pas le Destin qui est la cause de tout cela, mais l’apparition du Christ (qui a brisé le pouvoir des idoles).
D’autres disent que ce qui restait de la pierre a été transporté en Irlande du Nord puis en Écosse à Scone, et enfin en Angleterre. D’autres encore disent que la pierre de Fal est toujours à Tara.
Ci-dessous le couplet qu’un barde a composé à son sujet.
« L’île de Fal a été appelée ainsi
À cause de la pierre qui est sous nos pieds.
Pierre de Fal est son premier nom
Mais son autre nom est Pierre du Destin » [saxum fatale en latin].
Il va de soi que cette pierre sacrée peut très bien être la pierre de Scone ainsi que nous le font remarquer nos frères et nos sœurs des Hautes Terres de la vieille alliance, nous tenons trop à la musique envoûtante de leurs cornemuses, puisqu’elle venait initialement du royaume de Dal Riada (le dernier roi d’Écosse à recourir à ce rite ancestral magique fut Jean Balliol en 1292). NDLR.
Les Toutai Deuas conclurent un pacte (une caratrad) avec les vouivres et les anguipèdes gigantesques (fomore en gaélique, andernas sur le Continent), et Balaros, petit-fils de Nanto, donna sa fille Ethniu en mariage à Ceno, fils de Deino Cuecto (Diancecht en gaélique).
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 20.
A) Dans la légende irlandaise du Colloque des Anciens (Acallam na senorach), le linga qu’est la pierre de Fal ou de Scone se trouve évoqué comme suit.
« Qu’avait donc de remarquable cette pierre de Fal ? demanda Diarmait le fils de Cerball.
Si quelqu’un était accusé de quelque chose, répondit Ossian, et qu’on l’asseyait sur cette pierre, s’il avait dit la vérité, il devenait blanc et rouge, mais s’il avait menti, une tache noire et bien visible apparaissait sur lui.
Quand le vrai roi de Tara s’asseyait dessus, la pierre criait sous ses pieds et les trois vagues d’Irlande lui répondaient comme en écho : la vague de Clidna, la vague de Tuaide et la vague de Rudraige.
Quel que soit le roi de province ennemi qui s’asseyait dessus par contre, la pierre rugissait ou grondait sous ses pieds.
Quelle que soit la femme stérile qui s’asseyait dessus, elle se couvrait d’une fine buée de sang noir ; mais quand c’était une femme féconde, elle se couvrait de buée de toutes les couleurs ».
B) Aucune équivoque quant à la nature de l’alliance : le terme utilisé, caratrad, carantia en vieux celtique, signifie « amitié ». Le résultat de cette alliance sera donc la naissance de Lug, le dieu-ou-démon supérieur, enfant chéri des victoires, qui est donc vouivre ou anguipède (du peuple des andernas ou des fomore en gaélique) par sa mère, et Toutios Deuas par son père. Il y gagnera d’avoir
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puissance et autorité à la fois sur les Toutai Deuas et sur les Anguipèdes géants. Il est aussi l’antithèse de Bregsos qui, Toutios Deuas par sa mère et Vouivre (Fomore en gaélique) par son père, n’y gagnera que d’être un roi intérimaire quelque peu usurpateur.
Les noms des mères, Ethniu et Iveriu, sont, à chaque fois, des personnifications de la terre (il s’agit sans doute là d’une localisation tardive et apocryphe du mythe panceltique originel). Mais il y a une différence dans leurs unions : celle d’Ethniu et de Ceno est un mariage en bonne et due forme, celle d’Iveriu et d’Elatio ressemble beaucoup à un concubinage passager. On notera enfin que, dans la chronologie du récit, laquelle est très logique, l’alliance avec les vouivres anguipèdes gigantesques (andernas sur le Continent, fomore en gaélique) est antérieure à la deuxième bataille de la Plaine des menhirs ou des tumuli, voire à la première.
DES ROIS DES TOUTAI DEVAS ET DE LA DURÉE DE LEURS RÈGNES.
D’après Geoffrey Keating (Foras Feasa Ar Eirinn : Histoire d’Irlande).
Pour éclaircir tout cela, le poème ci-dessous a été composé par un de nos bardes.
Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd au bras d’argent, fils d’Ectacos, fils d’Atervolamos, fils d’Ordo, fils d’Allaoi, fils de Tatos, fils de Tabharn, fils d’Enna, fils d’Ivato, fils de Biuotacos, fils de Iariponalis le prophète, fils du Nemed/Cornunnos ; fut roi des rois du pays pendant 30 ans.
Bregsos, fils d’Elatio, fils de Nanto, fils d’Andaios, fils d’Allaoi, fils de Tatos, régna pendant 7 ans.
Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd ayant péri dans cette 2e bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tertres et Bregsos ayant été banni ; Lug au long bras, fils de Ceno, fils de Diancecht, fils d’Isarcos Bricios, fils de Nanto, fils d’Andaios, fils d’Allaoi, fut alors reconnu comme roi des rois du pays par les Toutai Devas.
Son règne dura 40 ans, jusqu’à sa mort à Canondrotsmen leur capitale. C’est ce Lug qui institua la réunion annuelle en l’honneur de Talantio/Rosemartha, fille de Magmor, comme nous l’avons vu. Elle était devenue la femme de Garbos Epax, fils de Doveccos Dallos, prince des Toutai Devas après la mort de son premier mari. C’est par cette femme en effet que Lug au long bras fut nourri et même élevé, jusqu’à ce qu’il soit capable de porter les armes (il fut mis en pension chez elle). Lug institua donc toute une série de jeux et d’épreuves en son honneur.
Un peu comme les olympiades. 15 nuits avant et 15 nuits après l’anniversaire de sa mort, qui survint lors de la pleine lune du premier jour d’Elembivi (début août, durant la nuit). C’est cette commémoration que l’on appelle Lugnasade c’est-à-dire nasade (« fête ») de Lug (aujourd’hui la Saint-Pierre – aux-liens). Lug tomba un jour dans un piège tendu par les trois fils de Coimos Cermatos, à Canondrotsmen, et ce fut Coslognatos (Mac Cuill) qui l’acheva.
Le grand Suqellos Dagda Gargant, fils d’Elatio, fils de Taran/Toran/Tuireann Beccoreo Deluato, fils de Nanto, lui succéda et fut roi des rois du pays pendant 70 ans. C’est pour lui servir de palais que l’on édifia un grand tumulus sur les rives de la Boyne. Pour lui et pour ses trois fils, Mabon/Maponos/Oengus, Aedos, et Coimos Cermatos.
Il mourut des suites de la blessure que lui avait infligée Catullina lors de la seconde bataille de la Plaine aux menhirs ou aux tertres : la pointe était en effet empoisonnée.
Il avait deux surnoms : Ivocatuos et Ollater.
Visuciatis, fils de Taran/Toran/Tuireann Beccoreo Deluato, fils d’Elatio, fut roi des rois du pays pendant dix ans, jusqu’à sa mort sous les coups d’Esociion Imberos Maros, à Ard Breac, avec les six fils d’Ollamos.
Les trois fils de Cermatos Melibetlos, fils du Suqellos Dagda Gargant, c’est-à-dire Coslognatos (Mac Cuill), Cextiognatos (Mac Cecht) et Grannognatos (Mac Greine), furent rois pendant trente ans.
Certains disent qu’ils furent rois des rois tous les trois en même temps, et que le pays fut alors divisé en trois parts égales.
« Ils partagèrent la terre en trois,
Les grands seigneurs aux glorieux exploits,
Fils du coudrier, fils de la charrue, et fils du soleil
Coslognatos, Cextiognatos, Grannognatos ».
En fait, ce n’est pas un partage du pays en trois qui eut lieu, mais une alternance de souveraineté. Ils étaient roi des rois pendant un an, chacun à leur tour. Ils tombèrent tous les trois lors de la bataille pour la Talantio (Tailtiu en irlandais. La 3e bataille de la Plaine des menhirs ou des tumulus en quelque sorte. NDLR)
Voici la raison pour laquelle on appelait ces trois rois ainsi.
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Le véritable nom de Coslognatos (Mac Cuill) était Setros, mais il adorait l’arbre nommé Coslo (le noisetier ou coudrier). Banuta était sa femme.
Le véritable nom de Cextiognatos (Mac Cecht) était Tetturo, mais il affectionnait tout particulièrement les charrues appelées Cexta. Votala était sa femme.
Le véritable nom de Grannognatos (Mac Greine) était Cetturo, mais il adorait le dieu-ou-démon soleil appelé Grannos. Sa femme était Iveriu.
Coslos, Cextis, et Grannos, étaient donc pour eux comme leurs dieu-ou-démons. Du moins si l’on en croit les versets suivants :
« Setros le grand
Fut roi le premier.
L’homme était dur
Et l’arbre appelé Coslos était son dieu
Banuta était sa femme.
Tetturo le fier fut le deuxième
Ses coups étaient violents
Ses combats sans merci.
Il accomplissait de grands exploits
Et il avait une charrue appelée Cexta.
Votala était sa femme.
Cetturo le beau
Était un guerrier haut en couleur
Son dieu s’appelait Grannos.
Iveriu était sa femme.
C’était une grande princesse ».
Les trois petits-fils du Suqellos Dagda Gargant régnèrent ainsi pendant 29 ans, mais ils n’eurent pas de successeurs et voici comment prit fin sur Terre le règne des dieu-ou-démons.
(D’après le psautier trouvé à Cashel, la durée totale du règne des Toutai Deuas a été de 200 ans, à 3 ans près. « Sept ans, quatre-vingt-dix et cent, telle fut la durée précise du règne des Toutai Deuas sur Terre »).
Quant à Belinos Barinthus Lerognatos (Manannan fils de Lir), son véritable nom était Orbiosenos (Oirbsean). Il ne mourut qu’après plus de cent batailles.
D’APRÈS GEOFFREY KEATING (FORAS FEASA AR EIRINN : HISTOIRE D’IRLANDE).
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Contre-lai (commentaire néo-druidique) Nº 21.
Ce que n’a pas compris Geoffrey Keating, c’est que les dieu-ou-démons ne peuvent pas mourir, puisqu’ils sont immortels par définition. Les dieu-ou-démons ne naissent, vivent et meurent, dans ces récits, que dans la mesure où ils ont été arbitrairement soumis à une perspective historique par les bardes décadents des derniers temps du paganisme, ou par les moines copistes chrétiens les ayant « historicisés ». La preuve, les moines les ayant évhémérisés, se sont plus d’une fois trompés dans les chronologies ou généalogies les concernant, et ces aberrations sans nombre ont aussi été reprises par l’Histoire d’Irlande (Foras Feasa Ar Eirinn) de Keating, évidemment.
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DEUXIÈME PARTIE.
Étant donné que tout ce qui concerne ces divers peuplements de l’Irlande est plus qu’extrêmement suspect, nous jugeons donc plus utile d’insérer à cet endroit diverses généralités sur la préhistoire.
D’où cette Deuxième partie de notre opuscule sur le sujet.
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RAPPEL.
Attention, attention s’il vous plaît ! Les textes qui suivent ne sont pas une synthèse complète ni exhaustive de toutes les légendes irlandaises ou galloises sur le sujet. Pour la simple raison qu’une telle synthèse serait impossible, étant donné les innombrables variantes ou contradictions que l’on peut y découvrir. Seule une synthèse des grandes lignes de ces récits peut être envisagée.
Les textes qui suivent ne sont donc que des réécritures partielles, et en résumé ou en abrégé, des principales légendes irlandaises en question, le tout étant restructuré ou recomposé après démolition sur de nouvelles bases et en suivant un plan différent, ça et là entrecoupé d’analyses.
Ils n’ont qu’un seul but, donner à nos lecteurs assez de notions ou d’aperçus préliminaires sur le sujet pour avoir envie d’en savoir plus.
Les textes qui suivent ne dispensent donc pas de se reporter in fine aux textes originaux eux-mêmes.
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VRAIES GÉNÉRALITÉS SUR LA PRÉHISTOIRE.
Pour plus de détails, voir l’excellent site intitulé STRATIS. ORG. (N.B. J’espère avoir tout bien compris, je ne suis que postier, petit-fils de facteur, et ma mère n’était jamais aussi que la fille de la cuisinière « du château ». Et je maîtrise certainement bien moins qu’eux la langue de Shakespeare, ce qui est quelque peu gênant pour quelqu’un qui veut se mêler de choses si importantes… pour notre planète… mais…)
Le Néolithique est une époque déjà trop perdue dans la nuit des temps pour que nous ne soyons pas réduits, trop souvent, à formuler des suppositions : celles qui semblent les plus vraisemblables, mais qui n’en demeurent pas moins des hypothèses.
Résumer l’essentiel de la révolution néolithique revient à souligner le remplacement de « l’économie d’aubaines » qu’avaient connu les premiers depuis plusieurs millions d’années, par l’apparition de deux nouveaux modes de vie ; d’ailleurs presque radicalement différents l’un de l’autre.
— Celui du cultivateur sédentaire, pour lequel l’animal, selon son espèce, constitue un « moteur » facilitant les travaux agricoles ou un appoint pour l’alimentation. Mais un appoint seulement, l’examen au microscope de la dentition de ces premiers agriculteurs montre, rappelons-le, que leur nourriture était surtout à base végétale : céréales, fèves, lentilles, etc.
— Celui du pasteur nomade, que ses pérégrinations constantes conduisent à conserver une activité de chasse importante, action qui le prépare mieux au combat puisqu’il emploie souvent ses armes. Cette supériorité technique militaire va engendrer un mode de vie « noble » : la pratique de l’expédition qui procure à bon compte les biens et les esclaves. Ce pasteur-guerrier, méprisant le citadin-agriculteur, existera presque jusqu’à la période contemporaine (Huns, Mongols, etc. jusqu’aux Touaregs enfin).
Nous venons d’évoquer l’opinion des experts, qui tiennent pour pratiquement certain que le phénomène guerre – action violente, collective, préméditée, organisée – n’a commencé qu’avec le « faciès civilisationnel et industriel » néolithique ; qui débute, il y a près de cent siècles au Proche ou au Moyen-Orient, et il y a 40 à 50 siècles seulement pour ce qui est de l’Europe occidentale.
Cette affirmation soulève plusieurs questions.
— La violence entre êtres humains était-elle inconnue avant cette période ?
— Pourquoi cette conviction, presque unanime ?
— Pourquoi le Néolithique, et non les périodes précédentes – le Paléolithique supérieur, le Mésolithique – ou postérieures comme le Chalcolithique, l’âge du bronze ?
Nos ancêtres n’étaient certainement pas les « bons sauvages » chers au philosophe Suisse Jean-Jacques Rousseau et à ses modernes disciples (la classe médiatique ou les gens gentils et intelligents). Le meurtre, conséquence de la compétition pour la domination du petit clan et des femelles, a sûrement existé des milliers de siècles avant la phase néolithique. Ceci, d’ailleurs, différencie radicalement un aspect du comportement humain de celui des mammifères supérieurs vivant eux aussi en société ; par exemple les loups, primates supérieurs, où le « duel » entre le dominant et l’aspirant à la suprématie s’achève – sauf blessure mortelle accidentelle, car « non voulue » – par la soumission du vaincu. Mais le cerveau humain voit plus loin que l’immédiat : il sait que le rival, non résigné à la défaite, attendra l’occasion favorable. Le vainqueur doit donc le tuer s’il ne veut pas vivre dans l’appréhension de l’assassinat par surprise.
Pour cette très longue période des origines, et les rapports d’alors entre petits groupes d’hominidés, nous nous sommes représenté jusque vers la fin des années 1960 le comportement de nos prédécesseurs sous une forme très proche de celle qui a été popularisée par des romans ou par des études marquées par l’idéologie dominante de leur époque (d’où divers anachronismes, assez facilement repérables). Le combat jusqu’à la mort, livré comme par réflexe, lors de la rencontre de ces petits clans ; combat qui décidera de la survie de l’un des groupes de nomades chasseurs, et dont seules les jeunes femmes seront épargnées, pour être absorbées par le clan vainqueur.
Les très récents progrès de la paléoanthropologie ont fait justice de ces tableaux dramatiques erronés.
Ce bouleversement a résulté des travaux de spécialistes (dits souvent paléo-pathologistes) sur les maladies des hommes préhistoriques. Naturellement, ces recherches n’ont pu s’appuyer que sur les seuls documents disponibles : les squelettes ou fragments de squelettes mis au jour par les fouilles.
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On a pu reconnaître des déformations arthritiques, des coxalgies, des ostéosarcomes – à une époque sans pollution – et aussi l’existence de fractures, y compris de la boîte crânienne, qui, si elles sont ressoudées, montrent la survie du blessé. Les caries dentaires sont rarissimes jusqu’au Néolithique. Mais l’important, dans notre optique, réside dans le fait que, jusqu’à ce Néolithique, les blessures ne résultent que d’accidents, le meurtre étant absolument exceptionnel, et le massacre collectif inconnu. Il est, certes, plus que probable que le meurtre a un très lointain passé. Mais le constater de visu est exceptionnel, ce qui explique l’intérêt des paléontologues pour, par exemple, l’homme assassiné retrouvé lors des fouilles de l’îlot de Teviec en France, ou Ötzi en Italie. Le constat de meurtre est toujours exceptionnel.
C’est à partir de la fin du Néolithique qu’apparaissent des preuves de morts violentes et collectives, par exemple, pointes de flèches encore fichées dans telle ou telle partie du squelette ; crânes fracassés, mais non « ouverts » pour un rite inconnu ou une trépanation ; découverte de charniers contenant, pêle-mêle, les corps d’hommes, femmes et enfants, massacrés simultanément, de toute évidence.
En France, par exemple, l’hypogée de Roaix – au IIIe millénaire, donc encore au Néolithique – évoque irrésistiblement le massacre « socialo-communistes » de Katyn, les camps d’extermination nationaux-socialistes hitlériens (toutes choses égales par ailleurs), ou du Cambodge communiste.
Tout indique qu’il s’agit bien d’un massacre collectif. Étant donné que l’on a enterré les cinquante personnes en même temps les unes sur les autres, dont beaucoup avaient encore des pointes de flèches plantées dans le corps, et certaines encore fichées dans les os.
Par ailleurs – et alors que l’on n’a jamais retrouvé le moindre indice d’organisation défensive à l’entrée des grottes du Paléolithique – si les habitants de la première Jéricho ont cru nécessaire de fortifier leur ville, au VIIIe millénaire ; et si ceux de Çatal-Hüyük, dix siècles plus tard, ont bâti leur cité de manière à la rendre imprenable ; on peut penser que ces sociétés avaient de bonnes raisons de s’imposer ; l’une, la réalisation épuisante de remparts défensifs considérables ; l’autre, un mode de circulation dans la ville particulièrement pénible.
Que s’est-il donc passé au Néolithique ?
Les fouilles archéologiques fournissent des indications nombreuses et concordantes dont l’ensemble forme un tableau de plus en plus fiable puisque chaque découverte y prend place sans grande difficulté. En résumant grossièrement, on peut dire que, lorsque l’être humain inventa – progressivement – l’agriculture et l’élevage, produisant ainsi sa nourriture au lieu de la prélever par la chasse et la cueillette ; il a bouleversé radicalement son économie, son mode de vie, et sa démographie. Car ces découvertes se sont traduites par une prodigieuse augmentation des possibilités alimentaires par rapport aux surfaces.
Cette considérable diminution de la surface vitale est, naturellement, surtout vraie pour le cultivateur. Le pasteur nomade a besoin d’une vaste superficie d’errance pour son troupeau. Nous ne saurons jamais si, comme le paysan actuel des régions pauvres montagneuses, ce pasteur pratiquait le « brûlis » des zones à buissons, genêts, etc. pour obtenir une extension des zones de pâture l’année suivante. Par ailleurs, le nomade « classique » ne fait pas de provisions de fourrage pour l’hiver – ou la saison très sèche – car il serait contraint d’en venir à la sédentarité… L’approche de la mauvaise saison a donc dû se traduire par la transhumance vers les régions où le troupeau pouvait subsister. Cette recherche du pâturage n’a pas manqué de provoquer des conflits pour s’assurer des meilleures zones. Le nomade ne se limitait donc pas seulement au pillage des cités d’agriculteurs. La bataille pour la possession des meilleures régions a été une des constantes de l’Histoire. Par exemple, nous savons qu’avant établissement de la domination absolue de Gengis Khan, les tribus mongoles étaient en état de conflit presque permanent pour avoir des pâtures nécessaires à leurs « ourdous ».
On estime en effet qu’en zone tempérée non montagneuse « l’économie d’aubaines » exigeait une cinquantaine de kilomètres carrés par individu pour assurer la survie. Densité qui semble avoir été celle de la majorité du territoire des États-Unis et du sud du Canada juste avant l’arrivée des Français puis des Anglais : soit environ 800 000 Indiens aux États-Unis (en l890, 180 000 environ ; actuellement + de 2 000 000 en comptant ceux qui sont totalement intégrés dans le mode de vie moderne).
Ci-après quelques dates de construction de forts européens dans la région. Le Fort Bourbon sur la baie d’Hudson (pris en 1684). Pentagouet 1613. Duquesne 1754. Toulouse 1751 (comptoir d’échange avec les Creeks jusqu’en 1763). Maurepas 1699 (le vieux Biloxi). La Jonquière 1751. Pour l’anecdote c’est à Fort Duquesne que s’est illustré pour la première fois le jeune George Washington en 1755 (c’est lui qui sauva l’expédition anglaise du désastre absolu, car elle avait très imprudemment attaqué des forces ennemies s’élevant à 72 soldats européens, 146 colons canadiens et 637 Amérindiens surarmés).
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Le petit clan « standard » d’une vingtaine d’adultes et 10 à 15 enfants devait donc explorer sans cesse une surface de l’ordre de 1 500 kilomètres carrés. Ce qui implique d’ailleurs une « base » permanente ou semi-permanente – grotte, huttes – pour les femmes ayant des enfants toujours en bas âge, au minimum, ainsi que les vieillards perclus… ceux de plus de quarante ans. On arrive ainsi à une population d’une densité de 0,02 au kilomètre carré.
Avec l’agriculteur, la surface nécessaire pour la survie de l’individu s’effondre, tout au moins en zone favorable (température, pluviométrie, nature du sol). Elle se mesure en hectares – un centième de kilomètre carré – voire en fraction d’hectare dans les meilleures conditions. En outre, le cultivateur du Néolithique a déjà un petit troupeau vivant des restes (des porcs) ou de la pâture sur les parcelles impropres à la culture (ovins et caprins). Alors, et malgré la mortalité infantile considérable se produit une explosion démographique à côté de laquelle celle dont nous menacent – de moins en moins – les néomalthusiens n’est, toute proportion gardée, qu’un léger infléchissement. Mais tous les êtres humains n’ont pas vocation à être des agriculteurs sédentaires. Ou n’en ont pas la possibilité dans certaines conditions climatiques. D’autres se limitent donc aux techniques de l’élevage, qui comprend la protection du troupeau contre les prédateurs. Ce seront les nomades pasteurs, qui se sont maintenus pratiquement jusqu’à nos jours.
Les problèmes furent, pour les uns, de trouver de nouvelles terres cultivables quand le sol est épuisé ; pour les autres, de disposer de zones de pâture.
Et alors apparaît le phénomène guerre, coïncidence qui ne peut être fortuite et qu’il faut tenter d’expliquer.
L’hypothèse la plus vraisemblable est la suivante : les chasseurs-cueilleurs étaient en nombre si faible que les rencontres entre petits groupes ne pouvaient qu’être très rares. Lors de ces rencontres, l’emploi de la violence était sans objet, puisqu’en économie d’aubaines les réserves alimentaires sont nulles et que chaque groupe possède déjà son « outillage » (mot pris au sens large).
Les « étrangers » à une zone, en état psychologique d’insécurité puisque se trouvant alors en territoire inconnu, pouvaient donc très bien aller chercher fortune ailleurs, sur une terre apparemment sans limites.
Pourtant, certaines circonstances favorables (gibier pléthorique ? Déséquilibre des sexes ? Manque de femmes ?) ont nécessairement donné lieu à fraternisation, voire à fusion, si le total des individus ne dépassait pas une certaine « masse critique ». En effet, sans ces rencontres pacifiques et au moins quelque peu durables, on ne saurait guère expliquer la diffusion des nouvelles techniques : taille des silex ; lancement par propulseur ; beaucoup plus tard, arc et flèches ; production facile du feu par choc de la pyrite contre une pierre dure, etc. Par ailleurs, les associations de clans ou les échanges de jeunes gens ont permis d’éviter une consanguinité qui, si elle avait été indispensable à l’apparition d’une nouvelle espèce, eût été néfaste à long terme.
Revenons au Néolithique. Une notion nouvelle apparaît, jusqu’alors inconnue : celle de l’attachement du paysan à la terre qu’il travaille, devenue un bien précieux, surtout là où elle ne s’épuise pas.
Simultanément, le paysan s’attache à son habitation, beaucoup plus confortable et solide que les huttes de ses prédécesseurs, et aussi à son petit troupeau. De même, le pasteur se préoccupe de son cheptel, qu’il a donc appris à gérer avec sagesse, et aussi aux zones de pâture indispensables à ses bêtes.
Apparaît aussi, alors, une extraordinaire nouveauté : désormais les périodes de disette doivent normalement disparaître !
Mais la croissance démographique explosive amène rapidement des problèmes : pour l’agriculteur, une année trop sèche, trop humide, trop froide, se traduit non plus par la disette, mais par la famine, ou presque ; pour le pasteur, les mêmes causes peuvent rendre les pâtures très insuffisantes, et, pire encore, les épizooties constituent des catastrophes.
La survie du village des agriculteurs, ou du clan des nomades pasteurs étant alors menacée, un code moral externe – c’est-à-dire concernant ceux qui ne font pas partie du groupe – se fait jour. Ce n’est pas un crime, mais un devoir que d’attaquer « l’étranger » pour se procurer ce qui assurera la survie de la communauté. Est bien ce qui est nécessaire à la collectivité ; est bien ce qui ne peut pas ne pas être ; est mal ce qui est préjudiciable à cette même collectivité. Code de morale externe qui n’a jamais été mieux résumé que par la célèbre formule britannique : « Qu’il ait tort ou raison, c’est mon pays ! »
En d’autres termes, seul le résultat compte ! Pragmatisme encore inconscient, mais qui se maintiendra jusqu’à nos jours, avec l’éthique de responsabilité de Max Weber, après que les théoriciens politiques de la Renaissance, Francesco Guicciardini, Machiavel… lui eurent donné de la respectabilité. En affirmant que l’acte ne doit pas être jugé selon son contenu moral, mais en fonction de son succès ou de son échec. L’appropriation des biens par la force s’étendra vite à celle des
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hommes, esclaves ou populations soumises à un despotisme étranger, considérés comme une sorte de réservoir d’énergie musculaire.
Naît aussi la pratique du tribut périodique, à fournir en nourriture, en métal ou/et objets précieux ; voire en hommes : esclaves, auxiliaires militaires.
Encore une fois, ce qui précède n’a que valeur d’hypothèse : celle qui découle du vieil adage romain « His fecit cui prodest ». Mais, hypothèse exacte ou non, le fait demeure ; l’archéologie préhistorique montre que si le meurtre est aussi vieux que l’Homme – au moins l’Homme moderne – la violence collective, avec ses hécatombes, n’est apparue qu’au Néolithique. C’est-à-dire environ il y a 10 000 ans dans certaines régions, et beaucoup plus récemment dans d’autres, alors que cet Homme moderne existait depuis des dizaines de millénaires.
L’ÉTAT DES TECHNIQUES.
Nous avons vu que, bien après le chien, compagnon de l’homme depuis 20 000 ou 25 000 ans, le Néolithique a connu la domestication du porc, des ovins et caprins, puis de bêtes de trait ou/et bât, bœuf, âne, onagre, chameau.
Celle du cheval, si longtemps seulement un gibier, paraît avoir commencé en Asie Centrale vers le milieu du IVe millénaire, mais encore comme animal de boucherie. Il ne servira de monture que vers la fin du IIIe, toujours en Asie centrale (où, pour le nomade, il devient l’animal noble par excellence). En Chine et en Europe, cet emploi comme monture peut remonter aux débuts du IIe millénaire (gravures rupestres en Allemagne du Nord et Scandinavie). Mais en Chine pour la guerre il tire le char léger jusque trois ou quatre siècles avant notre ère, alors qu’en Europe et au Proche-Orient les chars de guerre ont presque entièrement disparu, à l’exception du monde celte. Rappelons que si le chameau et le cheval ont jadis effectivement existé en Amérique, ils avaient ensuite été radicalement anéantis par l’Homme, dans sa progression vers le sud, depuis le détroit de Behring. La survie du bison, du caribou, et autres gros gibiers de ce type a reçu de multiples explications, malheureusement non concordantes. Le fait reste que, tout autant que l’être humain actuel, l’homme du Paléolithique bouleversait déjà l’équilibre écologique. Et c’est au début de notre Néolithique que l’Européen de l’Ouest a fait disparaître (pour toujours) les hautes futaies qui s’étendaient jusqu’à la Méditerranée.
Le cheval sera domestiqué à la fin de cette ère néolithique, mais il ne deviendra la véritable source d’énergie de trait, qu’ont encore connue nos arrière-grands-pères, qu’au Moyen-âge, avec le collier d’épaule pour la traction animale. Il faut bien voir toutefois que pour l’outillage en général, et l’arme en particulier, le Néolithique n’est que l’aboutissement d’une très ancienne évolution. Puisque l’engin de chasse au gros gibier, du Paléolithique supérieur et du Mésolithique, pouvait aussi servir d’arme de guerre.
Agriculture ainsi qu’élevage sont les caractéristiques du faciès civilisationnel néolithique. Mais, à ces inventions vinrent s’ajouter de nombreuses innovations. Comme le tissage, la poterie (conservation des grains, cuisson), l’amélioration de la « boiserie » (la fabrication d’objets de bois pour les travaux domestiques) grâce à un outillage de pierre toujours plus perfectionné, ensuite à des outils en métal, etc. Plus tard viendra s’ajouter la domestication du bœuf, animal de trait, et de l’âne, animal de trait et de bât, ce qui constituera une première révolution énergétique ; et aussi pour le rendement agricole le labourage – à l’araire – plus profond et rapide que la houe en bois.
Mention spéciale doit être faite en ce qui concerne les engins de navigation ; pour lesquels on constate qu’à un décalage dans l’espace de 15/20 000 km correspond, semble-t-il, un décalage dans le temps de l’ordre de 25 000 ans. Ce qui suppose un « transfert de technologie » si lent, surtout pour un objet mobile par définition, qu’il y a là une énigme non encore résolue 1).
En Europe, précisément, et ses abords orientaux, les restes nautiques les plus anciens ne remontent qu’au IXe millénaire : pirogues monoxyles (taillées dans un seul tronc) pagaies, plus spécialement retrouvées en Europe du Nord, dans des tourbières qui les ont protégées. Dans cette zone nordique, le Néolithique était encore à venir alors, de quelque 5 000 ans. Nous connaissons aussi quelques sites mésolithiques de Grèce continentale contenant des pièces d’obsidienne identifiées comme ne pouvant venir de l’île de Samos, ce qui implique la connaissance de l’art de la navigation. Mais les petites pirogues d’Europe n’autorisaient guère que la navigation côtière, ou d’îles en îles proches, par beau temps, et sans jamais perdre une terre de vue. Ce n’est pas avant le milieu, environ, du IIe millénaire, que des marins oseront se lancer en haute mer ; par exemple, de Crète vers l’Égypte. Et cette audace sera très lente à se généraliser : la navigation côtière restera pratiquement la règle jusqu’à la fin du XVe siècle de notre ère. De toute façon, ce n’étaient pas les petites pirogues de notre Néolithique qui auraient pu être utilisables. Il faudra donc attendre les embarcations composites – cuir, puis planches sur membrures – de l’Antiquité, pour que leur taille autorise un « rayon d’action » non négligeable.
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1) En Europe et au Proche ou au Moyen-Orient, on ne trouve aucun indice de cabotage ou de navigation en pleine mer avant le Xe millénaire. En revanche, le XXXVe millénaire avant notre ère environ a vu s’effectuer une vaste migration maritime. Depuis l’Asie du Sud-est où l’Homo Erectus a pu passer à pied sec, vers la « plate-forme » de Sahul (un continent constitué par la Nouvelle-Guinée, la Tasmanie et l’Australie) ; une terre restée séparée de l’Asie du Sud-Est par un bras de mer dont la largeur, au moment des eaux les plus basses, n’est jamais descendue au-dessous des 90 kilomètres. De pareilles traversées massives d’émigrants, avec familles, outillages, chiens, n’ont pu réussir que par l’emploi d’embarcations beaucoup plus importantes que les petites pirogues « monoxyles » retrouvées en Occident, et plus récentes de quelque 25 000 ans. On peut supposer qu’il s’agissait de grands catamarans capables de transporter plusieurs dizaines d’individus et une masse importante de vivres ou de matériels.
Cette conquête des îles ayant constitué la plate-forme de Sahul (la Nouvelle-Guinée, l’Australie et la Tasmanie) pose de multiples problèmes.
— Pourquoi, premièrement, avoir eu l’idée de se lancer sur une mer apparemment sans fin ?
— Pourquoi, ensuite, avoir attendu quelque 30 000 ans pour atteindre la Micronésie ?
— Pourquoi, et comment, ces hommes du Paléolithique ont-ils pensé à réaliser, avec un outillage très primitif, des embarcations capables d’affronter la haute mer ?
— Pourquoi cette invention ne s’est pas diffusée, de proche en proche, vers l’ouest ?
— Pourquoi les descendants d’hommes qui avaient osé, mais également su, réaliser, un tel exploit, ont-ils arrêté leur effort intellectuel et technique, au point d’être devenus (redevenus) quand ils ont été découverts par notre civilisation, une des populations les plus primitives du globe ?
— Enfin, quel a pu être l’événement qui, à peu près simultanément, a provoqué les migrations de l’Homme moderne vers l’Australasie, vers l’Amérique par le détroit de Behring – passage alors possible à pied sec – et vers l’Europe, où il supplantera nos ancêtres néandertaliens (nous n’avons gardé que 30 % de leurs gènes mis bout à bout) ? Ce dont les Européens ne se vantent guère !
LA FONCTION GUERRIÈRE AU NÉOLITHIQUE.
Je ne suis qu’un postier petit-fils du facteur du village où je fus baptisé en 1952 et de la cuisinière du « château » (du côté maternel), et de paysan du côté paternel, mais mon opinion est que les guerres du futur dépendront moins de la supériorité matérielle ou technologique que de l’état d’esprit des forces en présence, bref de leur moral. Les guerres du futur seront des batailles d’idées, d’où la nécessité de se réarmer moralement au préalable s’il y a lieu d’ailleurs, et donc d’être prêt à souffrir ou mourir pour que ses valeurs civilisationnelles, celles auxquelles on croit, l’emportent, chez soi voire autour de soi. Ce qui implique évidemment déjà de les connaître et de les défendre. Le but des guerres modernes est le plus la libération, ou le changement, ou le contrôle, des esprits, que celui des territoires. On l’a vu en Algérie en 1962 et on le voit encore aujourd’hui en Afghanistan. Il ne sert à rien de contrôler militairement le terrain si les populations restent hostiles et n’adhèrent pas aux valeurs que vous défendez.
Nous nous bornerons donc en ce domaine à énumérer les armes dont disposait le guerrier du Néolithique : héritage direct de ce dont disposaient ses prédécesseurs, pour la chasse au gros gibier ou afin de se défendre contre les carnassiers, assez puissants pour oser s’attaquer à l’homme.
Il y a lieu de noter que cette fonction est la seule sur laquelle nous ayons nombre de certitudes. Parce que nous avons découvert des armes ou des fragments assez caractéristiques pour reconstituer l’arme en question, et aussi parce que des représentations de combats ont été retrouvées (gravures rupestres).
A. Armes à une main ou deux mains, armes d’hast.
— L’épieu. C’est la plus ancienne arme retrouvée, mais dans son emploi, de chasse. Il s’agit d’un épieu fiché dans le squelette d’un mammouth tué vers – 30 000 et dont le bois s’est conservé par minéralisation. Cette arme d’hast évoluera sous diverses formes telles que lance, pique… jusqu’à son dernier avatar, la baïonnette, encore en usage sur la plupart des fusils d’assaut.
— La massue. On trouve la représentation de massues composites très semblables aux traditionnelles « knoberry » zouloues, sur des gravures rupestres bien antérieures au Néolithique local. Par exemple, au Sahara juste avant sa désertification. À l’échelle des chasseurs représentés, il s’agit d’un manche de bois, de 1 m de long environ, auquel est fixée une pierre sphérique d’une dizaine de cm : la knoberry. Il est évident que ces massues, déjà élaborées, ont été précédées par des engins plus simples : des gourdins taillés dans une branche. D’ailleurs, le chimpanzé sait fort bien
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menacer un prédateur de jeunes (le plus souvent la panthère) en brandissant une branche d’un diamètre suffisamment dissuasif, ce que lui permet une musculature stupéfiante (pour le poids de ce primate). Mais il faut se méfier d’une trop facile comparaison : ce n’est pas là un outil au sens humain du terme ; le danger passé, l’animal abandonne son gourdin : il ne peut pas concevoir qu’il puisse y avoir un avantage à choisir, conserver puis transporter, l’arme qui lui a été utile. La massue existe encore, sous la forme des matraques des forces de l’ordre.
— Le poignard. Celui qui est fait dans de l’os a été retrouvé depuis le niveau de l’Aurignacien (— 30 à – 25 000), mais il est probable qu’il existait déjà depuis longtemps : les restes antérieurs ont été sans doute éliminés par le temps. Ce poignard d’os manque de poids – ce serait plutôt un ancêtre du stylet – mais aussi de solidité, pour donner les coups les plus meurtriers. Au Néolithique, les techniques de taille, très élaborées, ont permis la réalisation de poignards de silex et d’obsidienne, très élégants. On peut toutefois se demander s’il ne s’agissait pas là d’armes de parade plus que de véritable combat, car la minceur de la lame de pierre aurait mal résisté à un emploi réel. Les premiers poignards de bronze copieront souvent ces armes de pierre. Il est inutile de s’étendre sur la survivance du poignard jusqu’à nos jours.
— La hache. Le « biface » remonte au Pléistocène moyen (Homo Erectus il y a plusieurs centaines de milliers d’années). Mais les spécialistes, dans l’ensemble, ne croient plus que, tenu à la main, il ait été utilisé pour donner le coup mortel à un animal piégé dans une fosse. L’épieu était plus pratique, surtout s’il s’agissait d’une bête aux réactions dangereuses, car il aurait fallu alors descendre dans la fosse pour la frapper avec le chopper biface. Plus probablement (confirmation par le microscope), c’était l’outil servant à dépouiller l’animal de sa précieuse peau – qui servait à faire des vêtements, des tentes, des lanières ; des sandales primitives – et à le débiter en morceaux ou en quartiers : un couteau en somme. Mais l’homme moderne a su fixer le hachereau, taillé en forme de lourd biface, au bout d’un manche, pour augmenter la vitesse de frappe, donc l’énergie cinétique du coup, et il s’agit bien alors d’une arme. La hache de combat, et les armes qui en ont dérivé – marteau d’armes, et ainsi de suite – subsisteront, mais sous forme métallique, y compris le manche parfois, jusqu’au XVIe siècle de notre ère.
B. Armes de jet.
— Le javelot. C’est un épieu léger, lancé. La projection à la main donne une portée utile et vulnérante de l’ordre de 30 mètres (peut-être un peu plus pour le robuste Néandertalien). Le premier perfectionnement (vers – 30 000 ?) a consisté à le munir d’une pointe dure et perforante ou tranchante, silex, obsidienne ou os : la sagaie. Puis, vers – 25 000, l’homme fait une découverte surprenante : celle du propulseur qui, par allongement du bras de levier, accroît sensiblement la vitesse initiale, donc la portée. Le javelot subsistera comme arme pendant des millénaires. Le propulseur rigide sera remplacé par une lanière de cuir qui, en outre, permet de donner au projectile une rotation contribuant à maintenir son axe tangent à la trajectoire, donc conserver la pointe en avant et être freiné au minimum par l’air (ce sera, sous cette forme, l’amentum des troupes légères auxiliaires romaines, par exemple). Les expériences pratiquées par le général Reffye pour l’empereur Napoléon III ont montré qu’un javelot qui avait une portée de 20 mètres lancé à la main pouvait atteindre les 80 mètres en utilisant un tel type de propulseur.
— La fronde. La plus ancienne fronde connue a été découverte en Égypte (datée de – 2 000). Les matériaux dont se compose l’arme, fibre et/ou cuir, se conservent mal, même en zone de climat sec ; à plus forte raison sous des climats plus humides. La fronde et son dérivé – le fustibale des Romains – se sont maintenus jusqu’au Moyen-âge, car très efficace en tir sur zone, mais entre les mains seulement de spécialistes très entraînés, faute de quoi elle est plus dangereuse pour les voisins que pour l’ennemi.
— L’arc. L’invention de cette arme – la première machine conçue par l’homme – a constitué une découverte intellectuelle exceptionnelle : un anthropologue n’a pas hésité à écrire que l’inventeur se situait sur le même plan qu’Archimède. Pour la première fois, en effet, l’homme a conçu un dispositif mécanique indirect, capable d’emmagasiner de l’énergie, puis de la restituer brutalement à un projectile ; lui donnant ainsi une vitesse, donc une portée, très supérieure à tout ce qui peut être obtenu directement par la détente musculaire. On a pu dire que, toute proportion gardée, l’arc et la flèche ont été l’équivalent préhistorique du missile à tête nucléaire. Exagération mise à part, il est certain que, jusqu’à présent, l’arc a tué beaucoup plus de vies humaines que l’arme atomique, et en des temps où la Terre était, elle, beaucoup moins peuplée.
Nous sommes certains que l’arc remonte au moins au Solutréen espagnol (– 20 à – 15 000, pointes à crans), au Capsien et à l’Atérien, d’Afrique du Nord (et peut-être au Gravettien – 20/25 000 ans). On a en effet retrouvé ce qui ne peut être que des têtes de flèches, faites en silex – perforantes, mais aussi,
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et souvent, tranchantes – dans les sites de ces faciès de civilisation. Mais il est permis de penser que, bien avant avoir pensé à fixer des pointes, l’homme a commencé par lancer des flèches faites uniquement de bois dur, empenné.
Puisque les Amérindiens et les Mélanésiens ont connu l’arc, de deux choses l’une. Ou bien l’invention s’est produite puis diffusée nettement avant – 30/35 000, ou bien le hasard a voulu qu’à quelques milliers d’années près, cette invention se soit produite simultanément dans le Vieux Continent, mais aussi en Amérique ; et dans les îles de la plate-forme de Sahul (la Nouvelle-Guinée, l’Australie et la Tasmanie). Alors que l’homme moderne existait depuis des dizaines de milliers d’années, sauf en Europe. Coïncidence peu vraisemblable. De nombreuses figurations de chasse à l’arc, bien antérieures au Néolithique local, ont été retrouvées. En revanche, celles d’emploi d’arc au combat – Sahara, etc. – plus rares, ne se trouvent pas avant le VIIIe millénaire.
Le plus ancien exemplaire d’arc actuellement connu a été daté de – 6 000 (tourbières de Holmegaard, au Danemark). Taillé dans un bois d’if, c’est un engin « à courbure simple » – nous aurons à revenir sur cette question – très analogue à ce que sera l’arc long gallois sept millénaires plus tard, mais moins puissant. Son état de conservation a permis d’en fabriquer une réplique. Aux essais (mais avec des flèches optimales dont nous ignorons si elles correspondent à celles de l’original, et avec une corde moderne), cela donne une portée maximale de 225 m, et un tir de précision à 75 m.
— Autre point non déterminé : le moment où fut inventé l’empennage des flèches, stabilisant le trait sur sa trajectoire. On peut penser que cette amélioration fut immédiate, ou presque, car envoyer un très léger bâton virevoltant dans l’espace ne présente guère d’intérêt. Malgré la mise au point d’empennages en matière plastique, plus résistants à la pluie, aux chocs et aux manipulations, la plupart des champions actuels restent fidèles aux plumes d’oie ou de dinde (imperméabilisées).
Notons aussi que les archéologues ont retrouvé, dans des sites du VIIIe millénaire et postérieurs, des « rectifieurs de flèches » en pierre dure et des « calibreurs de fûts » en os, absolument semblables à ceux qu’utilisaient les Amérindiens il n’y a guère plus de trois siècles.
L’homme avait compris, expérimentalement, que la précision du tir exige l’emploi de traits de longueur, diamètre, poids, et flexibilité, constants.
L’arc subsistera, comme arme de guerre en Europe occidentale et en Russie jusqu’au début du XIXe siècle. Archers écossais du raid anglais sur l’île de Ré en 1630, archers Bachkirs de l’armée du Tsar contre Napoléon, en 1807, et en 1812-1814).
Remarque.
Les pointes de flèches (et javelines) de la fin du Paléolithique supérieur sont parmi les premiers exemples d’emploi de microlithes (et pour cause : une pointe lourde n’aurait donné qu’une portée dérisoire). Il semble légitime de se demander si ce n’est pas par le biais de ces armes, alors de chasse essentiellement, que l’Homme a réalisé l’intérêt des trois choses suivantes. Au lieu de gaspiller la majeure partie du précieux silex pour servir de manche au tranchant, au grattoir ou au burin ; il était préférable de monter de petits éclats, les microlithes, sur des supports (manches) de bois dur, d’os, de bois de rennes, etc. Par collage en rainures, pincement ou/et ligature. Autre avantage : désormais l’outil était réutilisable « indéfiniment », par exemple en se contentant de remplacer les microlithes émoussés, ou brisés, par d’autres. Enfin, remplacer la surface, de pierre, de prise de l’outil, par celle d’une matière plus adaptable au travail attendu, constituait un progrès décisif.
Il est certain que, sans les microlithes, il eut été bien difficile – pour ne citer qu’un exemple du Néolithique – de faire la moisson sans la faucille de bois courbe, à multiples petits tranchants, ou le couteau à moisson rectiligne.
Mais nous retombons ici sur la perpétuelle querelle concernant l’apport, ou le non-apport, de l’armement, au domaine civil.
PROTECTION.
La protection collective, c’est-à-dire la fortification, apparaît au début du Néolithique, donc à des dates très différentes selon les régions. Mis à part le cas unique de Çatal-Hüyük, les principes de la fortification sont pratiquement identiques partout dans le monde. Bien qu’il soit peu probable que cette invention se soit diffusée lentement comme une tache d’huile, en raison de la diversité des matériaux pouvant être mis en œuvre. En effet, l’idée d’utiliser une hauteur, naturelle autant que possible ; de creuser un ou plusieurs fossés concentriques ; d’employer la terre extraite à augmenter la hauteur de l’escarpe et, enfin, de couronner cette escarpe par un rempart couvrant le défenseur jusqu’à la poitrine, procède de la logique la plus élémentaire. Dans le détail, pourtant, si la « coupe » fossé +
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escarpe est partout pratiquement analogue – de la première muraille de Jéricho jusqu’au « camp britannique » du Herefordshire –, le parapet, lui, est constitué avec les moyens disponibles sur place. Roches à Jéricho, palissade de bois en terrain mou, briques crues ailleurs. Mais, très vite, la fortification élémentaire se révélera insuffisante : là où le matériau disponible le permet, ainsi que la population (assez nombreuse), la palissade de faible hauteur est remplacée par un rempart de roches qui préfigure les réalisations mycéniennes.
Ce renforcement de la fortification pendant le Néolithique est surtout marqué pour la zone allant du bassin oriental de la Méditerranée jusqu’à la Mésopotamie. L’Europe occidentale en reste essentiellement au rempart de pieux en bois ; ce qui rend souvent difficile la distinction, en l’état actuel, entre fortification légère de plaine et parc à bestiaux. On trouve pourtant des restes de réalisations sans équivoque, combinant des remparts de faible élévation avec une palissade, mais aussi tours de guet ou de défense. Dans les zones au moins vallonnées, calcaires et volcaniques donnant des falaises, l’homme a utilisé les hauteurs qui ne se raccordent au plateau principal que par une bande de terrain étroite, donc facile à défendre ; le reste étant protégé par la configuration même du terrain. Ces « bouts de monde » ont très souvent été des lieux privilégiés pour l’établissement et le maintien des cités, mais avec cet inconvénient que la ville, ou la partie de ville défendue par la nature ne peut avoir qu’une surface limitée. Les habitants de la « ville basse » doivent donc se réfugier dans la « ville haute » en cas de danger.
Signalons encore, en fin de Néolithique local, les curieux « brochs » d’Écosse : sortes de donjons creux, ou cylindres, à la muraille d’une telle épaisseur que des cellules ou des compartiments divers – sommaires – et des salles de stockage de vivres, pouvaient y être ménagés. L’établissement de ces brochs sur un sol rocheux – nécessaire pour supporter un poids considérable sans fondation – défiait d’éventuels travaux de sape.
N.B. Certains n’y voient que des équivalents britanniques des bories ou boiries de France.
Pour conclure ce paragraphe sur la défense collective, rappelons dès ce premier chapitre les caractéristiques des ouvrages défensifs, au moins jusqu’au canon (puis au moteur allié à la chenille et au bombardier).
— Ils permettent à un nombre restreint de combattants de résister à une force ennemie beaucoup plus importante. Ceci donne le temps de réunir des troupes de secours dans l’arrière-pays – s’il en existe un – ou d’attendre l’arrivée d’alliés ; ou encore de faire renoncer l’ennemi à son entreprise en le décourageant.
— Ils permettent aussi à des individus peu entraînés de contribuer à la lutte contre un adversaire mieux exercé. Par exemple, du haut d’une muraille élevée, des femmes et des enfants peuvent avoir une action non négligeable en jetant des objets pesants sur l’ennemi donnant l’assaut.
Naturellement, des réserves de vivres et de projectiles, et un moral solide sont les compléments indispensables de toute bonne fortification.
MOBILITÉ.
A. Mobilité terrestre.
Depuis l’époque de l’Australopithèque et jusque vers la deuxième moitié du Néolithique – encore une fois, date variable selon les zones – les hominiens n’ont pu compter que sur leurs jambes pour se déplacer, leurs bras ou leurs épaules pour porter des charges.
Nous avons déjà évoqué la domestication des animaux de trait, de bât, et de monte. On peut noter que les plus anciennes représentations trouvées au Moyen-Orient montrent des bœufs attelés à des chariots à quatre roues.
Cette invention de la roue pose quelques problèmes. L’opinion générale est que sous cette première forme, primitive et lourde (planches reliées par des traverses chevillées) elle dérive de celle du potier. Un inconnu génial aurait eu l’idée de placer le disque verticalement, et de l’associer à un deuxième à chaque extrémité d’un essieu. La roue, unique, de brouette, figure sur les plus anciennes représentations chinoises de matériels agricoles. Mais l’Amérique précolombienne a ignoré la roue… Le lama ou la vigogne sont trop faibles pour servir de bêtes de trait, mais la non-existence de la brouette montre que les hommes qui ont franchi le détroit de Behring, bien avant le Néolithique il est vrai, ne connaissaient vraiment pas la roue. Fait presque incroyable, il existait encore dans l’Europe des débuts du XXe siècle des populations qui n’avaient encore jamais vu de roue. C’est ce que découvrirent des unités alliées en 1917, ou en 1918, dans des zones très montagneuses, proches du lac Okrida, vers la frontière entre Grèce et Monténégro. Pourtant, les sentiers de cette région avaient donné passage aux voiturettes transportant les mitrailleuses et les munitions, tirées par mulets, de ces mêmes unités.
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Revenons à ce qui semble bien avoir été la première forme de traction animale, celle qui recourt aux bovins. On notera que pendant très longtemps, le joug n’a été qu’une sorte de morceau de poutre, fixé sur le timon du chariot ou de l’araire, attaché par des lanières aux cornes de l’animal. L’effort de traction était par conséquent uniquement supporté par ces cornes, donc très limité ; la lanière passant sous le cou de l’animal ne servait qu’à mieux maintenir la position dudit joug (une sorte d’attelage que l’on trouve encore dans certaines régions peu évoluées). On ne sait pas où ni quand – au Moyen-âge, mais entre VIe et VIIIe siècle – fut inventé le joug moderne, fait sur mesure qui, en emboîtant le front du bœuf, l’utilise comme surface de poussée ; les cornes ne servant plus que pour son maintien en position.
Sur le plan militaire, le bovidé, trop lent, ne présente guère d’intérêt pour la bataille. Par contre, le chariot peut constituer le moyen de transport logistique des assaillants d’une cité (vivres, échelles, réserves de projectiles). En cas de succès, il permet de ramener les blessés ainsi qu’un volume/poids de butin beaucoup plus important que ce qui aurait pu être transporté à dos d’homme. Nous avons vu plus haut que l’emploi du cheval ne semble pas avoir commencé avant la fin du Néolithique. En revanche, il est plus que probable que l’âne, domestiqué sans doute avant le bœuf, servait comme animal de bât, voire de monture puisque, malgré la légende, il est beaucoup plus docile que le cheval et facile à dresser. Nous ne savons pas, malheureusement, quand le mulet est « entré en scène » dans l’Histoire : les bas-reliefs les plus anciens ne permettent guère de distinguer entre âne et mulet. Pourtant, plus robuste que l’âne, plus frugal, docile et intelligent que le cheval, on peut supposer que son utilisation a été précoce.
En tout état de cause, la vitesse du combattant de l’ère néolithique doit donc avoir été celle que limitent ses propres capacités.
— 4 à 5 kilomètres à l’heure entre les pauses, pour les étapes sur longues distances ; et seulement trois ou quatre kilomètres à l’heure s’il doit mener un attelage de bovins.
— 8 à 10 kilomètres à l’heure sur des distances de quelques dizaines de kilomètres, en trottinant et en marchant après pour récupérer ; mais cette capacité n’est accessible qu’à des hommes robustes et entraînés.
— 20 à 25 kilomètres à l’heure sur quelques centaines de mètres (c’est-à-dire le 100 mètres « plat » en 14 à 18 secondes, mais la nature n’est pas une piste de stade et le combattant porte un armement).
B. Mobilité nautique.
Il n’existe aucun reste d’embarcations du Néolithique au Proche et au Moyen-Orient, peut-être en raison de l’absence de tourbières. Peut-être aussi parce que les premières barques furent constituées du matériau le plus facilement disponible, faisceaux de joncs, de roseaux, voire de papyrus en Égypte. Ce moyen fluvial de navigation se voit encore actuellement sur le Tigre, l’Euphrate, le Nil, comme sur le lac Titicaca dans les Andes, à des milliers de kilomètres, mais il s’agit précisément d’un matériau de très mauvaise conservation. Il serait surprenant qu’au moment où une Europe prénéolithique connaissait déjà la pirogue monoxyle, des zones beaucoup plus avancées qu’elle du point de vue de la civilisation aient tout ignoré de la navigation, au moins fluviale.
L’habileté technique de ces hommes qui, munis seulement d’outils – haches, herminettes, racloirs – de pierre, parvenaient à creuser ces pirogues dans un gros tronc d’arbre est stupéfiante. L’examen de celles dont les restes ont été découverts (Hollande – 8 000 ans ; France – 6 000 ans, etc.) dans des tourbières, a montré que l’évidage en fait s’effectuait selon une méthode encore utilisée par les Indiens et les « trappeurs » blancs aux États-Unis ou au Canada dans la première moitié du XIXe siècle. Mais avec un outillage d’acier : la plane, le ciseau et la gouge, la besaiguë et la doloire, au lieu des anciennes haches ou herminettes de pierre. Très sommairement, après taille des formes extérieures, le travail consistait à d’abord allumer des foyers de très faibles dimensions sur le tronc ; puis le bois carbonisé superficiellement était extrait à l’herminette. À l’époque de l’outil de pierre, l’opération devait être recommencée des centaines et des centaines de fois inlassablement avant d’obtenir des épaisseurs de fond de l’ordre de cinq cm, et pour le bordé de la coque de l’ordre d’un centimètre seulement.
En Méditerranée orientale, plus particulièrement dans la Mer Égée aux multiples îles et îlots, le IVe millénaire voit apparaître des canots étroits et longs, avec armature en bois, et bordage constitué de peaux cousues. Ils permettront la colonisation des îles et, déjà, les échanges commerciaux entre les rivages ouest et est de cette mer, puis, de proche en proche, avec l’Égypte qui connaît les marins commerçants de la Crète, la « Keftiou », dès avant l’an – 3 000. Mais, sur le plan guerrier, la navigation fluviale est probablement plus intéressante pour cette époque que celle en mer, encore
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qu’il faille, en ce domaine, recourir aux hypothèses les plus vraisemblables. Que peut apporter l’embarcation fluviale à la guerre ? Elle a pu faciliter certaines entreprises qui, sans elle, auraient imposé de très longues marches (en portant des vivres) pour remonter un fleuve jusqu’à trouver un gué… Même très primitive, avec seulement un ou deux hommes aux pagaies, elle a pu servir au « transport logistique lourd » à l’aller si la rivière coule dans la direction de la ville à conquérir ; ou à celui du butin qui ne se meut pas de lui-même au retour, c’est-à-dire les céréales, les objets divers. Les captifs et le bétail conquis, eux, se déplacent par leurs propres moyens, quoique bien encadrés, cela va de soi.
On peut penser que les combats sur l’eau ont été assurément exceptionnels, les canots ne servant que de moyen de déplacement. S’il y en eut, ils devaient se faire à l’arme de jet jusqu’à l’abordage, puis au corps à corps. L’éperon, arme navale par excellence de l’Antiquité, ne sera inventé qu’au premier millénaire ; il ne peut d’ailleurs être mis en place que sur des navires très robustes, à forte membrure et à bordage de planches, assez grands pour porter de nombreux rameurs.
SOUTIEN.
Le soutien « santé » devait être à peu près nul pour les assaillants ; plus exactement, réduit à la bonne volonté des camarades s’ils en avaient le temps. Les citadins, défenseurs, eux, pouvaient être soignés par des femmes conseillées par les « spécialistes » de la ville : les prêtres sorciers.
Nous disons bien : des femmes, et non, les femmes de la cité, car il semble bien constant, chez les peuples dits primitifs, que les femmes, si elles ne participent pas aux attaques, contribuent toujours énergiquement à la défense. Dans la période contemporaine par exemple, dans les tribus Hmongs des Hauts-Plateaux indochinois (avant leur extermination par armes chimiques à la fin des années 1970), face à l’ennemi Vietminh, puis Viêt-Cong, l’attaque – embuscades essentiellement – était l’affaire des hommes. Mais pour la défense du village Hmong assailli par les démocrates* (les Bodoï de la démocratie * vietnamienne), les femmes adultes se battaient avec le même acharnement que les hommes, voire avec férocité pour celles qui avaient des enfants.
Cette idée (que la jeune femme, la jeune mère de famille surtout, peut être mêlée à la fureur des combats) est bien sûr en totale opposition avec nos concepts actuels issus de la tradition judéo-gréco-romaine et devenus la « norme » mondiale ou presque.
C’est là pourtant un réflexe très commun dans les espèces animales supérieures : la mère défend ses petits avec une ténacité inflexible ; et que nous le voulions ou non, l’évolution du mammifère à l’homme ne représente qu’une très faible partie de la durée de la vie sur Terre.
La découverte, dans les ruines de bourgades néolithiques, de squelettes d’individus ayant été, de toute évidence, blessés au combat – par exemple, fragment de pointe de flèche resté dans un os – mais ayant survécu à leur blessure – cicatrisation osseuse — ; montre que ces soins n’ont pas toujours été inutiles. Toutefois, la mortalité par infection de la blessure devait être considérable.
* Appellations officielles, d’ailleurs acceptées un certain temps par une grande partie de la communauté internationale. Ces appellations officielles appellent les précisions suivantes de notre part.
La démocratie athénienne, si l’on excepte les femmes les enfants les esclaves et les étrangers (ce qui fait beaucoup de monde quand même), ne devait s’appliquer qu’à environ 4 % de la population. Démétrios de Phalère fait état de 21 000 citoyens, 10 000 métèques et 400 000 esclaves. Et pour un citoyen, il y a une femme plus les enfants, soit si l’on considère trois enfants par femme par exemple, 80 000 personnes non citoyennes faisant partie d’une famille dont le chef de famille est citoyen. Par contre afin de lutter contre la professionnalisation de la politique et les ravages que peuvent exercer les politiciens beaux parleurs dans une démocratie, les Athéniens recouraient au tirage au sort pour les magistrats et pour les représentants législatifs des 500 membres de la « boulé ». Ce qui se défend. Mais on pourrait aujourd’hui arriver au même résultat en recourant au vote électronique à domicile 1). Bref, libre à chacun de juger appropriée ou non une telle appellation de « démocratie ». Notre avis est qu’il y avait bien plus de vraie démocratie au sein d’une tribu perdue d’Amazonie coordonnée par un vieux chef soucieux d’impliquer le plus de monde possible dans la prise des décisions les plus importantes (on fait la paix ou la guerre avec les voisins, la tribu part s’installer ailleurs ou on reste ici encore une année ?) ou chez les Celtes du belge Ambiorix (son pouvoir étant d’une telle nature que le peuple avait autant d’autorité sur lui que lui n’en avait sur le peuple. César. B.G. Livre V. Chapitre XXVII) ; que dans nos modernes démocraties de type athénien. Les conservateurs, qui sont une minorité, y occupent en effet une position dominante et favorable. Même
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si la nature des biens à défendre, immobiliers, mobiliers et financiers les fait entrer en concurrence, ils bénéficient d’un grand avantage : un objectif certain, présent et tangible les mobilise et les unit, la protection de leurs biens et leur accroissement. On n’est conservateur que parce qu’on a des biens à conserver par tous les moyens. Mais si les pauvres « votent à Droite », c’est qu’ils y trouvent malheureusement intérêt, dit-on : la quête de la faveur par le biais du clientélisme leur paraît plus efficace que le respect du Droit Légitime pour obtenir ce à quoi par leurs seuls mérites ils n’auraient pas droit ! Paul Villach. Agora Vox, 11 février 2011). Autrement dit, les démocraties qui ne sont pas « de gauche » « tiennent » parce qu’elles s’appuient sur l’égoïsme naturel des êtres humains, et cet égoïsme bien qu’il varie suivant les individus naturellement, fait que les démocraties de droite (en fait des oligarchies ou des ploutocraties), sans être éternelles, figurent sans aucun doute parmi les plus stables des régimes ; [puissamment] aidées en cela par l’appareil de l’idéologie dominante qui comprend principalement, outre les médias, le système judiciaire, la religion et souvent également, hélas, l’École.
N.B. Le « puissamment » est de nous, car il nous semble que l’auteur a un peu tendance à en sous-estimer le poids en ce qui concerne les médias, et il évacue aussi un peu vite la notion d’aliénation, que j’aurais tendance, personnellement, à rebaptiser « connerie humaine ». Il suffit de voir les forums ou les réactions de lecteurs dans certains domaines (le racisme, l’islam, le rôle de l’État, etc.…) beaucoup desdites réactions ne s’expliquant que par le mélange explosif de l’ignorance et du manque d’intelligence, ou le manque de culture générale et de réflexion critique en profondeur, si l’on préfère. La palme en la matière étant sans aucun doute détenue par le sujet qu’il est convenu de désigner ou stigmatiser par les termes « racisme » ou « antiracisme » 2).
Mais revenons à nos moutons comme on dit par chez nous : la démocratie. La plupart de nos sociétés actuelles sont en réalité non des démocraties vraies, mais des oligarchies, des ploutocraties, quand ce ne sont pas tout simplement des « aristocraties ».
Quant aux vraies démocraties, il en existe surtout deux grands types, les démocraties parlementaires ou indirectes et les démocraties directes (comme dans le canton suisse de Glaris ou les tribus iroquoises) rebaptisées populisme par les experts (intellectuels sportifs professionnels journalistes et autres élites de ce type) en démocratie 3).
Cela dit, il va de soi que nous ne sommes ni pour ni contre les démocrates, ni pour ni contre les républicains, ni pour ni contre la monarchie, ni pour ni contre les royalistes, les loyalistes, la droite, la gauche, etc., etc. Ceci ne concerne chacun qu’en tant que citoyen ou sujet (de Sa Majesté).
1) Le vote électronique à domicile permettant de conserver l’anonymat et le secret du vote suppose au préalable des débats d’idées suffisants pour éclairer l’opinion sur les enjeux, donc des médias des élites et des intellectuels…
— De qualité.
— Ayant beaucoup de culture et de connaissances générales.
— Faisant preuve de recul et de réflexion.
— D’esprit critique.
— Mais aussi de modestie voire d’humilité (je sais, penser qu’un peu plus de modestie et d’humilité ça ne ferait pas de mal dans notre monde c’est déjà du communisto-nazisme ou de l’hitléro-stalinisme).
— Intellectuellement intègres.
— Matériellement désintéressés.
— Faisant preuve d’un minimum d’altruisme.
2) Définition du raciste. Elle est très simple : le raciste, c’est l’autre !
Le non-racisme ou plus précisément le non-racialisme, c’est-à-dire le fait de ne pas être obsédé par les questions raciales et par l’existence (ou la non-existence) des races, mais d’être surtout soucieux de justice et de liberté, s’avère parfaitement rationnel.
L’antiracisme, lui, comme toute religion n’a rien à voir avec l’intelligence ni avec les connaissances, ce n’est pas un mouvement rationnel, mais un réflexe conditionné, un peu comme dans le cas du célèbre chien de Pavlov, consistant à vouloir ou à soutenir simultanément deux choses voire trois, totalement contradictoires, ce qui est proprement incohérent ; c’est-à-dire la diversité, mais aussi le métissage, tout en refusant d’ailleurs de reconnaître le mulâtre ou le métis (le sang-mêlé) là où il y en a justement, par exemple en qualifiant systématiquement de « Noir » un mulâtre ou un quarteron, voire un octavon, en niant ou reniant ainsi ses racines également blanches, en vertu de la règle imbécile « une seule goutte suffit ».
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Or diversité ainsi que métissage sont aussi rigoureusement contradictoires que liberté ou égalité, car il va de soi que le métissage universel ne pourra que mettre fin à la diversité par définition s’il va jusqu’à son terme. On ne doit donc qu’être nuancé ou mesuré à ce sujet. Le mieux consiste peut-être à en prendre acte sans l’encourager ni le réprouver, en ne faisant pas moralement ou légalement pression pour le promouvoir, mais en se contentant à cet égard du jeu ou des seules lois de l’amour (pur) et du hasard, car il est vrai que cela peut parfois (pas toujours) contribuer à forger une belle et riche personnalité, tant sur le plan physique que moral d’ailleurs, disons plus que la moyenne ; et pour ce qui est du reste, soutenons l’ethno-différentialisme ou la culture des différences.
3) Définition du populiste. Là aussi elle est très simple : le populiste, c’est l’autre !
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LE MÉSOLITHIQUE EN ÉCOSSE.
Au Paléolithique (- 20 000 ans) toute l’Europe du Nord, de l’Irlande à la Russie en passant par l’Allemagne (du Nord) est couverte de glaces. La vie humaine n’est donc possible que du sud des îles Britanniques à l’Ukraine en passant par l’Europe centrale, ou autour de la Méditerranée, voire au Proche-Orient.
L’homme de Néandertal a disparu pour céder la place à l’homme moderne ou homo sapiens dit Homme de Cro-Magnon (première vague -45000 ans deuxième vague -30000 ans).
Ce n’est qu’après que la glace se fut retirée, que l’Écosse est devenue habitable, vers 9 600 ans avant notre ère. Les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique étendent alors leur zone d’habitat jusqu’en Écosse. Un foyer d’habitation daté de 8 500 avant notre ère environ, a été trouvé à Cramond près d’Édimbourg. Des fosses et des traces de trous faits par des pieux suggèrent l’existence d’un campement, et certains des outils de pierre trouvés sur le site sont antérieurs à ceux du même style trouvés en Angleterre. Les nombreuses coques de noisettes retrouvées calcinées indiquent que la façon de cuisiner en ce lieu était similaire à celle des autres sites connus du Mésolithique, dont ceux de Star, et de Howick House dans le Northumberland.
D’autres sites sur la côte est et le long des lochs et rivières, ainsi que les nombreux abris troglodytes et les tas de coquilles vides qui ont été trouvés, évoquent un peuple très mobile. Occupant certains sites de façon saisonnière, et utilisant des embarcations à la fois pour la pêche ou pour le transport d’outils. Les découvertes d’outils en silex sur le Ben Lawers et à Glen Dee (une montagne dans les Cairngorms), nous laissent le portrait d’un peuple capable de traverser l’Écosse à travers ses collines.
Des abris et des restes de coquilles à Sand, en face de l’île de Skye en Écosse, ont permis de montrer qu’aux alentours de 7 500 ans avant notre ère ; ces chasseurs-cueilleurs possédaient des outils faits d’ossements, de pierre, et de bois de cerf. Ils vivaient de coquillages, de poisson, et de daim, et utilisaient des pierres comme marmite. Les coquillages servaient aussi à faire des colliers ou à fournir de la teinture pourpre.
L’arrivée de l’agriculture au Néolithique a contribué à l’extension des habitations permanentes. À Balbrindie, dans la région d’Aberdeen, des fosses et des trous retrouvés dans le sol révèlent la présence d’un grand bâtiment fait à partir de troncs d’arbres, datant de 3 600 avant notre ère.
Les villages sur pilotis ou palafittes. Un type bien particulier de palafittes sensiblement différents du Continent a existé en Écosse : le crannog (mais également crannóg ou crannoge). Cranog est le nom donné en Écosse ainsi qu’en Irlande à une île naturelle ou artificielle utilisée comme habitation. Le nom est aussi utilisé pour les plates-formes en bois construites sur les eaux peu profondes des lochs, principalement pendant le Néolithique. Cependant, peu de vestiges de ces constructions nous sont parvenus. L’abondance de poissons, et le sentiment de sécurité semblent avoir été les raisons de l’occupation de ces crannog. La construction d’un crannog commence sur une petite île ou sur un haut-fond situé sur un loch, ou dans une zone marécageuse. À cet endroit sont alors plantés des pieux de chêne formant un cercle d’environ 60 mètres de diamètre. Les pieux sont joints par des centaines de branches de noisetier entrelacées. L’intérieur de cet ensemble est ensuite rempli, d’abord de troncs d’arbre, puis de branches, de pierres, d’argile, de tourbe et autres matériaux issus de la terre. Au centre, un grand foyer de pierres plates est construit, et une habitation de bois édifiée autour. Plusieurs habitations étaient parfois construites sur un seul et même crannog.
Cette fortification préhistorique était occupée par une famille ou une tribu, et l’accès se faisait souvent à l’aide d’une pirogue. Cependant, beaucoup de ces crannogs étaient reliés à la terre ferme au moyen de chaussées de pierres ou de bois, parfois construites juste sous le niveau de l’eau, permettant ainsi une plus grande sécurité contre d’éventuels intrus. Des ossements de bétail, de cerf élaphe et de porc ont été retrouvés lors des fouilles.
Sur l’îlot d’Eilean Domhnuill, sur l’île de North Uist, des tessons de poterie suggèrent une date comprise entre 3 200 et 3 800 ans avant notre ère, ce qui en ferait alors le plus vieux crannóg connu.
À Knap of Howar, sur l’île de Papa Westray dans l’archipel des Orcades, une ferme datant du Néolithique et dans un état de conservation exceptionnel, est peut-être la plus vieille habitation de pierre du nord de l’Europe. Les datations au carbone 14 montrant qu’elle fut occupée du XXXVe au
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XXXIe siècle avant notre ère, soit environ cinq cents ans plus tôt que les maisons similaires de Skara Brae.
La ferme comprend deux bâtiments aux murs hauts d’environ 1,60 m, de formes rectangulaires, mais arrondis, avec pour chacun une entrée très basse et faisant face à la mer. Le plus grand et le plus vieux des deux est contigu à l’autre, qui est généralement considéré comme un atelier ou une deuxième maison. Il n’y a aucune fenêtre, mais la présence d’un trou dans le plafond laisse penser à une aération afin de laisser passer la fumée.
Les meubles de pierre sont restés intacts. Les foyers, les dalles de séparations, les lits de pierre et les étagères ont été conservés, la présence de trous indique qu’il y avait un toit.
D’après les indices retrouvés dans les déchets de l’époque, les occupants élevaient des bovins, des moutons ou encore des cochons ; cultivaient de l’orge et du blé, se nourrissaient de coquillages aussi bien que de poissons, y compris des espèces pour lesquelles une pêche en mer était nécessaire.
À Skara Brae, dans les Orcades, les maisons retrouvées sont très similaires, mais cette fois-ci regroupées en un village et reliées entre elles par des passages bas et très étroits.
Les maisons, d’une superficie moyenne de 40 mètres carrés, possédaient une large salle carrée contenant un grand foyer, qui devait servir à faire la cuisine et se chauffer. Comme il y avait peu d’arbres sur l’île, les habitants de Skara Brae utilisaient du bois flotté rejeté par l’océan, des fanons de baleine et du chaume pour couvrir leurs maisons.
Les logements contiennent un certain nombre de meubles construits en pierre comme des armoires, des commodes, des sièges et des lits clos (par de larges pierres) ou des rangements divers. Le village bénéficiait même d’un système sophistiqué de canalisations qui incluait peut-être une forme primitive de toilettes dans chaque logement.
Ce site fut occupé de 3000 à 2500 avant notre ère. Quant aux poteries retrouvées, il s’agit de poteries de type Grooved ware, un style que l’on retrouve en Grande-Bretagne, jusqu’au Wessex.
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LE MÉSOLITHIQUE EN IRLANDE.
Les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique se nourrissaient de poissons et de coquillages, d’oiseaux, de sanglier voire de noisettes. Ils chassaient avec des épieux, des flèches et des harpons équipés de fines pointes de silex nommées microlithes. Ils complétaient leur régime alimentaire en cueillant des noix, des fruits, et des baies.
L’arrivée des premiers hommes en Irlande ne remonte pas au-delà du Mésolithique. C’est aux environs de 8 000 avant notre ère que de petits groupes humains, sans doute venus d’Écosse, s’installèrent dans le nord-est de l’île ; sur les rives du Lough Neagh et de la Bann, où l’on a retrouvé quelques silex taillés.
Il est généralement admis que ces premiers habitants colonisèrent d’abord le nord-est de l’île en venant d’Écosse.
Vivant de chasse et de cueillette, ils se répandirent vers l’ouest et le sud du pays. Ils vivaient dans des abris saisonniers qu’ils construisaient avec des peaux d’animaux tendues sur une simple armature de bois. Le foyer pour la cuisine était situé à l’extérieur de la hutte.
Même si le niveau de la mer était à l’époque beaucoup plus bas qu’il ne l’est à l’heure actuelle, l’Irlande était probablement déjà une île quand les premiers humains arrivèrent par bateau. Cela n’est guère surprenant puisque les premiers sites habités au Mésolithique sont situés le long des côtes.
Manifestement ces premiers habitants étaient donc des marins, ou du moins des peuples qui dépendaient largement de la mer pour leur subsistance. Cet état de fait était en partie dû aux éléments naturels : ils durent attendre des siècles pour que le pergélisol dénudé laissât la place à des terres fertiles et boisées.
Le Mésolithique (8 000 avant notre ère – 4 500 avant notre ère) représente donc en Irlande la plus ancienne période de peuplement humain. Des établissements de chasseurs-cueilleurs ont été retrouvés dans une demi-douzaine de sites. Le mont Sandel près de Coleraine en Irlande du Nord, Woodpark dans le Comté de Sligo, dans l’estuaire du fleuve Shannon, au Lough Boora dans le Comté d’Offaly, au Curran dans le comté d’Antrim. Et sur quelques sites plus petits dans le Munster. La population n’a pas dû alors excéder quelques milliers d’individus.
LE NÉOLITHIQUE EN IRLANDE.
La période de transition entre le Mésolithique et le Néolithique en Irlande est marquée par les premières traces d’élevage. Elles ont été retrouvées sur le site archéologique de Ferriter’s Cove dans la péninsule de Dingle.
Ces populations néolithiques devinrent donc des éleveurs, mais aussi des agriculteurs comme le montrent les fouilles des abords du Lough Gur dans le comté de Limerick.
L’agriculture débuta autour du Ve millénaire avant notre ère. Des moutons, des chèvres, des bovins, et des céréales, furent importés du sud-ouest de l’Europe continentale. La population de l’île augmenta de manière significative. De nouvelles vagues d’arrivants, vers 4 000 avant notre ère, s’amalgamèrent aux premiers occupants.
Outre l’agriculture le néolithique a également vu l’introduction en Irlande de la poterie, ainsi que l’utilisation d’outils en pierre plus élaborés. On a longtemps pensé que ces innovations étaient dues à l’arrivée d’une nouvelle vague de colons, mais il n’existe aucune preuve évidente d’une telle invasion à grande échelle à cette période de l’histoire irlandaise. Il semble plutôt que la révolution du Néolithique provienne d’une longue et lente évolution, résultant du commerce et des échanges culturels avec des communautés agricoles de Grande-Bretagne ou du Continent.
La caractéristique la plus marquante du Néolithique en Irlande, outre les villages lacustres ou palafittes du type crannog, est la soudaine apparition de monuments mégalithiques, et leur spectaculaire prolifération. Les plus importantes de ces monuments furent manifestement des sanctuaires importants pour la population néolithique. Dans la plupart de ceux qui ont été fouillés ont été retrouvés des restes humains, généralement incinérés, mais pas systématiquement. Des
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offrandes funéraires, poterie, pointes de flèches, perles, pendentifs, haches, etc., ont aussi été mises à jour. Ces monuments mégalithiques, plus de 1 200 sont maintenant recensés, se répartissent en quatre groupes distincts.
Les tertres funéraires de type cairns. Le tertre est entièrement fait de pierres. Ils sont caractérisés par la présence d’une courte allée couverte (une sorte de ciste en pierre, relativement longue, pour une ciste). On les trouve presque exclusivement dans le nord de l’île, et ils font partie des plus anciens monuments.
Les tertres funéraires de type tumulus. Le tertre est fait de pierres, mais aussi de terre. Ils constituent le plus petit groupe pour ce qui est du nombre, mais sont les plus impressionnants par leur taille et leur importance. Ils sont localisés principalement dans le Nord et l’est de l’île. Les plus grands et les plus connus ayant été découverts dans les quatre grands « cimetières » néolithiques du Bru Na Boinne, de Loughcrew (tous deux dans le Comté de Meath) de Carrowkeel et de Carrowmore, dans le Comté de Sligo.
D’après certains auteurs, Carrowkeel et Carrowmore seraient les deux sites mégalithiques qui auraient donné aux bardes celtes Fir Bolg du Ve siècle avant notre ère, l’idée de fixer là le lieu de la célèbre bataille de leurs mythes encore panceltiques, ayant eu lieu entre dieux et démons, ou entre hommes et dieux-ou-démons (première ou seconde bataille de Mag Tuired).
Mais le plus connu de tous aujourd’hui est le tumulus du Bru Na Boinne (Newgrange), inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité. C’est un des monuments alignés sur les astres, les plus anciens du monde. Il a été construit autour de 3 200 ans avant notre ère. Au solstice de décembre, les premiers rayons du soleil pénètrent par un orifice pratiqué au-dessus de l’entrée de la tombe, et illuminent la chambre mortuaire qui se trouve au centre du tumulus. Le tumulus de Knowth, lui, recèle plusieurs dalles gravées peut-être en rapport avec la lune. Une des dalles entourant la base du tumulus comporte sur toute sa longueur un tracé dans lequel des travaux récents reconnaissent un mois de calendrier lunaire constitué de 29 éléments ; 22 croissants qui forment la base et les côtés d’une grande ellipse surmontée de sept cercles formant une sorte de voûte céleste dans la partie supérieure. Sous les 17 croissants formant la base aplatie de l’ellipse, une spirale à cinq tours, dont le sommet recouvre le bas des trois croissants médians, représenterait les trois jours de la nouvelle lune. À l’intérieur de cette ellipse, une sinusoïde à 15 périodes courant d’une extrémité à l’autre pourrait figurer l’alternance de la nuit et du jour au cours de chaque quinzaine. On y reconnaît donc déjà plusieurs des caractères propres au calendrier qui sera celui des Celtes ; la situation des deux phases majeures de la lune, nouvelle lune et pleine lune, au milieu de la dalle – l’une en bas, l’autre en haut – les trois jours de la nouvelle lune, l’alternance 29/30 jours de la lunaison, les deux quinzaines… Du moins d’après l’étude de Martin Brennan portant sur la pierre de parement 52 de Knowth in « Les pierres du temps ».
Les dolmens de type tombe à portique. La plupart sont regroupés en deux ensembles, un dans le sud-est de l’île (les dolmens de Knockeen et de Gaulstown dans le comté de Waterford en sont des exemples exceptionnels), l’autre dans le nord de l’île.
Les dolmens de type tombe en coin. Il s’agit d’une forme irlandaise de dolmens, nommée ainsi par référence à la forme de la chambre mortuaire, qui se termine en coin (marquée par un rétrécissement de l’ouest vers l’est de la largeur et de la hauteur). C’est le plus grand et le plus répandu des quatre groupes. Ces monuments sont particulièrement présents dans l’Ouest et le sud-ouest de l’Irlande. Le Comté de Clare en est très riche. C’est l’ensemble le plus récent des quatre types de monuments mégalithiques que nous venons d’évoquer, il date de la fin du Néolithique.
La théorie selon laquelle ces quatre groupes de monuments seraient associés à quatre vagues différentes de colonisation a toujours ses défenseurs, mais aucune trace archéologique ne permet de la confirmer. Il pourrait très bien s’agir d’expressions locales d’une pratique mondiale. La croissance de la population nécessaire, à leur construction, peut ne pas avoir été causée par l’arrivée de nouveaux migrants. Elle n’a peut-être été que la simple conséquence de l’introduction de l’agriculture.
À l’apogée du Néolithique, la population de l’Irlande excédait probablement les 100 000 individus, jusqu’à peut-être atteindre la barre des 200 000.
On considère par exemple qu’à cette époque l’île d’Achill était peuplée d’environ 500 à 1 000 personnes. Une pagaie datant de cette période a été retrouvée dans un crannog près de Dookinelly. L’île était couverte de forêts jusqu’à ce que ses premiers habitants commencent à cultiver la terre.
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LES CHAMPS CHÉIDE.
(Ou champs de la basse colline en gaélique : Achaidh Chéide, découverts en 1930.)
Un des plus anciens types de paysage agraire ou de finage dû à l’homme (à 8 km au nord-ouest de Ballycastle, comté de Mayo).
Aux Achaidh Chéide, dans le Comté de Mayo, un vaste système de champs du Néolithique, sans doute un des plus vieux au monde, a été retrouvé, préservé sous une épaisse couche de tourbe.
La tourbière qui recouvre aujourd’hui la colline n’a pas toujours existé. La tourbe a aujourd’hui une épaisseur de 1, 5 mètre. Il y a 4 000 ans, à l’époque des pyramides en Égypte, la couche de tourbe avait une épaisseur d’à peine 0, 30 mètre. Et il y a 5 000 ans, à l’époque du Néolithique, il n’y avait aucune tourbe du tout, mais une terre fertile. Que s’est-il donc passé ? Nia Ansa !
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir, les hommes du Néolithique sont arrivés en Irlande, à bord d’embarcations, il y a environ 6 000 ans. Ce sont des éleveurs et des agriculteurs. Ils amènent avec eux des bovins, des moutons, ces animaux n’existant pas à l’état sauvage là-bas.
À leur arrivée, ils ont trouvé une vigoureuse forêt de pins, noisetiers, chênes, et bouleaux, qu’ils ont abattue avec leurs haches de pierre, ou déboisée par le feu, pour obtenir champs et prairies indispensables à l’élevage.
Le climat plus chaud qu’aujourd’hui permettait le pâturage toute l’année. L’élevage produisait viande, lait, peau et laine.
Ces Hommes du Néolithique étaient aussi des agriculteurs. Ils ont semé du blé et de l’orge déjà bien connus en Europe continentale. Ils utilisaient une charrue pour labourer la terre (un soc en pierre traçait le sillon).
Ils ont manié plus de 250 000 tonnes de pierre pour construire les kilomètres de murs entourant leurs prés ou leurs champs (les achaidh constituent un ensemble de petits champs séparés les uns des autres par des murets en pierres sèches).
Ces « Achaidh Chéide » furent donc exploités pendant de nombreux siècles entre 3 500 et 3 000 avant notre ère. Ces hommes vivaient dans des maisons longues et rectangulaires ayant une grande pièce centrale avec un foyer pour faire du feu.
Avec l’argile, ils faisaient de la poterie qu’ils cuisaient dans un four très simple (les poteries ressemblent à celles de nombreuses régions d’Europe). Car la poterie a fait son apparition à peu près en même temps que l’agriculture. De la vaisselle similaire à celle qui a été retrouvée dans le nord de l’Angleterre a été mise à jour en Ulster (Lyle’s Hill) et à Limerick. Les pièces typiques de cette poterie sont des bols à large embouchure et à fond rond.
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RETOUR SUR LES DERNIERS CHASSEURS-CUEILLEURS.
On sait en réalité fort peu de chose des premiers occupants de l’Irlande, que ce soit des communautés mésolithiques d’Ulster, des tribus néolithiques auxquelles renvoient les mégalithes de la Boyne, des populations de l’âge de bronze dont on repère la trace dans les montagnes de Wicklow. Les Fénianes d'Irlande, descendants des grands chasseurs de cerfs de la préhistoire, sont décrits dans les anciens manuscrits irlandais comme une confrérie militaire, évoluant en marge des communautés tribales et soumise aux ordres d’un roi suprême, dont le plus célèbre fut le héros appelé Vindos Camulogenos ou Finn MacCumhaill en gaélique.
Ces derniers chasseurs-cueilleurs faisant halte dans la sylve primitive (la forêt hercynienne) avaient sans doute coutume de passer leurs nuits à proximité d’un point d’eau et regroupés au pied d’un arbre à la ramure protectrice. Ialon signifie d’ailleurs clairière, mais aussi village en vieux celtique.
Le poème attribué à l’anatiomaros ou grand initié appelé Vindosenos/Fintan, dans le récit en gaélique intitulé « Suidigud tellaig temra », est très clair à cet égard.
« Un jour que je passais dans un bois de l’Ouest du Munster, j’ai trouvé là une baie d’if rouge que j’ai ramenée avec moi et que j’ai plantée dans le jardin de ma demeure. Il poussa jusqu’à devenir aussi grand qu’un homme. Je l’ai alors transplanté dans la prairie qui s’étendait devant, et il poussa encore tellement, au beau milieu de cette prairie, que je pouvais abriter sous son feuillage jusqu’à cent hommes. Cet if me protégea du vent, de la pluie, du froid et de la chaleur ; et j’ai vécu en ce lieu où je me suis épanoui avec lui jusqu’à ce que sa ramure finisse par dépérir. Alors je l’ai abattu et avec son tronc je fis sept cuves, sept ians, et sept drolmachs, sept barattes, sept pots, sept milans et sept tonneaux, avec un cerclage tout autour de chacun d’eux. J’ai donc continué à vivre ainsi et avec mes récipients faits en bois d’if jusqu’à ce que son cerclage finisse par tomber ».
Plus tard lors de la pérennisation de ces campements de fortune et leur transformation en village composé de quelques maisons genre cabane de charbonnier au fond des bois, l’arbre primordial fut évidemment préservé. Le territoire du clan allant en s’élargissant au fil des ans, l’arbre primordial finissait par se retrouver au centre d’une vaste zone défrichée constituant le territoire même de la tribu.
Le symbolisme sexuel aidant ; cet arbre gigantesque au milieu de la clairière originelle fut aussi probablement plus ou moins consciemment assimilé au phallus d’une quelconque divinité céleste, fécondant ainsi en permanence la terre mère (hiérogamie). Et la source coulant à ses pieds devint comme la semence du dieu-ou-démon en question.
Texte témoin de cette antique croyance celtique en un Bilios cosmique, la notice du Felire Oenguso céli dé ou martyrologe d’Oengus le culdée. Elle nous rapporte à propos de la date du 20 avril :
Fête des saints d’Europe : il y avait un grand arbre à Rome ; et les païens l’adoraient, jusqu’à ce que les saints chrétiens d’Europe aient jeûné pour le faire tomber, et statim cecidit.
Féil… noéb Eorapa.i.crann mor boi ir-Roim co n-adradais na geintlige hé, co ro troiscet na cristaide far nemaib na hEorpa co taethsad in crann, et statim cecidit.
Dans la conception primitive que décrivent les textes, les racines de l’arbre cosmique atteignent la terre la plus profonde, alors que sa cime touche au ciel. L’arbre cosmique n’est d’aucune essence particulière et n’a ni fruit particulier (pomme, noix ou gland). C’est un symbole de la vie et il est quelques fois porteur de fruits qui donnent ou prolongent la vie, voire qui donnent la connaissance. Cette idée (d’un arbre sacré au milieu du village ou du bourg) a laissé des traces dans la toponymie.
Au fur et à mesure du déploiement de la première communauté humaine dans la région, par défrichages de nouveaux espaces ; cette première clairière autour de l’arbre primordial (le pays) a évidemment fini, elle aussi, par faire figure de clairière originelle à l’origine de tout. Et le bilios un symbole que les ennemis s’empressaient d’abattre dès qu’ils pouvaient bien entendu.
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Il y avait un grand et splendide pin au beau milieu de la cité, aux branches duquel Germain se plaisait à suspendre les trophées ou les têtes du gibier qu’il avait ramené afin que tout le monde puisse admirer les produits de sa chasse.
Amator, le célèbre évêque de la cité, l’interpellait donc souvent et en ces termes : « Arrête, je t’en prie, très illustre homme de bien, de faire ces plaisanteries qui offensent les chrétiens, et qui constituent vraiment un mauvais exemple pour les païens. C’est là l’œuvre d’un culte idolâtre est de la pure discipline chrétienne. Ce saint homme digne de Dieu avait beau le harceler sans relâche, jamais Germain en aucune façon en aucune façon n’acceptait de lui dire oui et de lui obéir. Cet homme du Seigneur l’exhortait encore et encore non seulement à mettre fin à cette habitude digne du Malin, mais aussi à l’arbre lui-même, en l’extirpant jusqu’à la racine, afin qu’il n’offense plus les chrétiens. Mais ce dernier ne prêtait jamais une oreille attentive à cette admonestation. Un jour pourtant, le préfet Germain dut s’absenter de la ville pour se rendre sur les domaines lui appartenant. Alors saint Amator, qui guettait cette occasion depuis longtemps, fit arracher cet arbre sacrilège y compris avec ses racines, et, afin que rien n’en subsiste dans la mémoire des incroyants, ordonna qu’il soit jeté immédiatement au feu. Quant à ce qui pendait ou était accroché pour lui servir de trophée de chasse tout autant que de souvenir de ses exploits, il demanda qu’on les jette loin des limites de la ville (Vie de saint Amator évêque d’Auxerre par Stéphane l’Africain. Chapitre IV).
Le chêne de Brécc en Irlande (Dairbre Brécce) a sans doute fait l’objet d’une même haine de la part des autorités chrétiennes : le roi du Connaught n’avait plus droit d’y accrocher son butin.
Arbres et forêts ou bosquets figurent dans de nombreuses légendes irlandaises. Il y a en Irlande, autant d’arbres cosmiques que de provinces. Cet arbre est le plus souvent un chêne, mais cela peut être aussi un pommier (dans le cas des îles de l’autre monde) un if un pin un noisetier, etc. Le Bilios qui se dressait au cœur de la Teres Biuotion ou Terre des Vivants, Tir na mBéo en gaélique, devait être aussi un arbre de ce genre. Une source naît alors en général à ses pieds, une source où vivent des saumons se nourrissant de ses fruits (cas de l’if de Mugna).
Les légendes relatives à l’origine des noms de lieux mentionnent cinq arbres sacrés ainsi qu’un bosquet de noisetiers à la source de la Boinne.
La Suidigud tellaig Temra note qu’un mystérieux géant appelé Trefuilngid Tre Eochair apporta un jour une branche portant des noisettes des pommes et des glands. Le dénommé Vinosenos/Fintan mit ces fruits en terre et ils donnèrent le vieil arbre de Tortu (bile Tortan) l’if de Ross (Eo Ruis), l’if de Mugna (Eo Mugna), l’arbre branchu de Dathi ainsi que l’arbre sacré d’Uisnech (bile Uisneg). Apparemment le plus ancien du pays.
L’arbre de Ross, l’arbre de Mugna, l’antique arbre de Dathi, l’arbre branchu d’Uisnech et l’antique arbre de Tortu, tels sont les cinq arbres. L’arbre de Ross est un if. Il tomba au nord-est, jusqu’à Druim Bairr, ainsi que l’a chanté le livre que l’on appelle Druim Suithe (« le Dos de Sagesse »).
L’arbre de Ross…
Le plus noble des arbres,
Gloire des Laginiens *,
Le plus doux des buissons.
Maintenant l’arbre branchu de Belach est quand même un frêne, et c’est lui qui tua le poète nommé Dathi. Cet arbre tomba vers le nord, jusqu’à Carn Uachtair Bile, et c’est de lui que les Fir Bile tirent leur nom.
Maintenant l’arbre de Mugna est un chêne, et il tomba plein sud, sur Mag n-Ailbe, jusqu’au pilier de l’Arbre vivant. Il tomba vers le sud, dans la plaine d’Ailbe, jusqu’au pilier de l’Arbre vivant. Sa moisson de glands était de neuf cents boisseaux et il portait trois récoltes par an, à savoir : des pommes merveilleuses, des noix rondes, couleur de sang, et des glands bruns à bordures.
L’arbre de Tortu était un frêne, et il tomba en plein sud-est jusqu’à Cell Ichtair Thire
C’est plein nord que tomba le frêne d’Uisnech, jusqu’à Granard en Cairbre, à l’époque des fils d’Aed Slane (Dindsenchas de Rennes. Extraits du livre de Leinster. Withley Stokes).
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Trois de ces arbres étaient donc des frênes, le bile de Tortu, l’arbre branchu de Dathi et le bile d’Uisnech. Deux étaient des ifs : l’éo de Ruis et l’éo de Mugna, mais certaines variantes de ces légendes font également de ce dernier… un chêne. Pas simple ! L’arbre de Tortu était appelé ainsi, car il était censé avoir un jour abrité tous les hommes de Tortu. Saint Patrice y aurait construit une chapelle, mais l’arbre aurait été abattu en l’an 600.
Le mot « bilé » désignant un arbre remarquable et particulier a donné les noms de lieu suivants : Billy (Comté d’Antrim), Movilla, près de Newtownards (plaine de l’arbre sacré), Crevilly près de Ballymena (Craig an Bhile = rocher de l’arbre sacré). Exemple aussi la ville de Billom en France, qui a dû être une de ces anciennes clairières primordiales où trônait un arbre sacré, ainsi que beaucoup d’autres lieux dans le même cas.
Lors du défrichement d’une clairière destinée à permettre au groupe de pratiquer son culte à ciel ouvert (nemeton), ses rites religieux, on procéda sans doute de la même façon que lors de l’établissement des premiers villages dans la sylve primitive. On prenait un arbre particulièrement imposant, un chêne par exemple, et l’on dégageait le terrain tout autour.
Lors de l’aménagement ou de la construction d’un lieu de culte non plus en pleine forêt, mais en rase campagne, on plaçait aussi des troncs d’arbre équarris (des billots) ou des mâts de bois représentant cet arbre primordial. Bilios signifie donc à l’origine tronc d’arbre, mais aussi, par transport de sens (métonymie), poteau ou axe du monde.
* Des Celtes de la famille linguistique des Gailioin.
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RÉFLEXION SUR LES CHÉIDE DU COMTÉ DE MAYO
(réflexion sur ces lointains ancêtres, sans qui nous ne serions pas là).
Remarque préalable à propos de la notion de travail. Travail. Ce que fait l’être humain pour subvenir, directement, ou indirectement (ce qui différencie l’homme de l’animal) aux besoins de sa survie individuelle (manger boire se chauffer se vêtir se loger se défendre se soigner) ou collective (les mêmes choses, mais pour les enfants) voire plus (enterrements des morts, récréation, distraction et tutti quanti). Un loup qui traque sa proie est donc au travail. Le chasseur-cueilleur préhistorique qui ramassait des baies sauvages ou des fruits pour se nourrir ou nourrir ses petits était donc lui aussi déjà au travail. Le travail a donc existé avant même qu’apparaissent l’argent les salaires les employeurs et les riches, qu’ils soient hommes ou femmes. À moins évidemment de considérer comme employeur le chef de tribu ou les anciens du village qui coordonnent un peu les activités du groupe. Ce qui est nettement abusif du point de vue de la sémantique. Le travail tout court est consubstantiel à l’espèce humaine puisque même les singes travaillent au sens strict du terme (activité en vue de survivre). Le travail tout court a existé avant le travail salarié. Ceux qui dans leurs raisonnements confondent, volontairement ou pas, travail en général et travail SALARIÉ, sont des imbéciles galonnés *, de gros cons si c’est volontaire (même s’ils ont écrit des centaines de livres, fait des centaines de films, gagné des centaines de compétitions) qui, outre leur profonde stupidité, ont également l’égoïsme (le leur propre ou celui de certains autres : leur public, leurs mécènes, etc.) chevillé au corps. Satanée connerie humaine, quand tu nous tiens !
* Comme le dit un de nos plus célèbres proverbes irlandais (mais il pourrait tout aussi bien être français vu la médiocrité intellectuelle – voir l’étendue de leurs connaissances et la profondeur de leur réflexion – et morale – voir leur rapport à l’argent, à la célébrité, au pouvoir – des intellectuels ou des élites : journalistes politiciens sportifs auteurs, écrivains, hommes de Dieu, de ce pays aujourd’hui même s’il a été une grande nation, la huitième puissance mondiale) : cuir síoda ar ghabhar agus is gabhar i gconaí é ! (même habillée de soie une chèvre reste une chèvre !).
Décroissance soutenable, durable, ou conviviale. Dans un monde fini comme le nôtre, le développement économique ne peut pas être infini. Le taux de production et de consommation ne peut pas être indéfiniment accru ni même maintenu, dans la mesure où la création de richesses mesurée par les indicateurs économiques comme le PIB correspond à une destruction du capital naturel ainsi que de la qualité de vie (air pur, sérénité, rapports humains). Il est donc nécessaire d’en arriver à une réduction contrôlée, rationnelle, mais aussi équitable (c’est dire en commençant par les riches) de la consommation de masse et de l’activité économique ; en revenant peu à peu à un mode de vie volontairement plus simple, un peu à la façon de la pastorale d’Honoré d’Urfé (mais en plus réaliste bien entendu), ou à la Henry David Thoreau en quelque sorte (et ce en commençant par celui des plus riches afin que leur exemple soit une incitation à faire de même).
Remarque préalable à propos du mot « terroir » qui sera utilisé à plusieurs reprises dans la suite de ce chapitre. Du latin terratorium, « territoire », d’après terra = terre. Les exploitations agricoles d’une même petite aire géographique ayant donc en commun une terre, et des conditions climatiques, l’interaction des deux contribue à donner à leurs produits des qualités uniques. Cette notion de terroir est souvent utilisée pour ce qui est du vin du café ou du thé, afin de parler des caractéristiques particulières que la géographie, la géologie et le climat de certains lieux donc, confèrent à leurs récoltes, et notamment le vin le café le thé ainsi que quelques autres produits comparables (miel, lait, etc.). En France le terme emporte assez souvent aussi dans la bouche des gens de la ville (ou urbains) en ce qui concerne les habitants desdits terroirs, une connotation assez négative ou péjorative que l’on retrouve aussi dans les clichés concernant les ploucs qui ne sont jamais sortis de leur lopin de terre et la musique du même nom (dite traditionnelle, voire folklorique).
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Nous cachons, sous le vocable facile de Préhistoire, l’ignorance dans laquelle nous sommes des temps où s’élabora notre civilisation rurale d’Occident. Cette ignorance est entretenue par l’absence de documents épigraphiques et de témoignages écrits ; mais elle est bien plus encore la conséquence du calme de ces sociétés rurales vouées aux paisibles labeurs de la terre. Pourtant, point n’est besoin d’aller loin pour contempler dans nos campagnes des témoins de la fondation !… À chaque pas, devant vous, autour de vous, à vos pieds, émerge d’un mouvement qui le soulève à peine du sol, le témoin authentique d’une telle entreprise. Il n’a rien de pathétique, et pourtant il est irréfutable. À chacun de nos pas, nous heurtons les ruines d’une campagne primitive. Bien des choses actuelles toujours debout, toujours actives, sont la persistante continuation des éléments primitifs de la campagne. Nos villages restent fidèles au site primitif. Sous la substructure de nos routes les plus neuves et les plus fréquentées persistent souvent les traces millénaires enfouies dans leurs fondations. Les habitudes humaines n’ont pas beaucoup changé. Les choses sont à leur place ancienne. Le relief, toujours le même, apporte, aux mêmes lieux où percent les sources, le même groupement des eaux, la même rencontre des routes, et le même rassemblement de foyers ou d’humains… les tracés persévèrent ; les champs sont les mêmes ; les pâtures sont de toujours ; et la lisière des bois est encore celle dont le feuillage frissonnait devant les premiers labours humains…
Sous notre tragique histoire reposent en paix ces couches profondes. Là, dorment – dépouilles heureuses et sans récit – des siècles qui n’ont rien à raconter que l’humble vie de chaque jour, des générations sans violence, sans histoire, sans autre mémoire que l’expérience, sans autre conquête que celle du pain quotidien !… Rien ne nous parle d’eux !… Rien. Si ce n’est leur œuvre !…
Si nous leur appliquons la règle que nous dégageons de l’expérience historique, et si nous mesurons leur prospérité ainsi que sa durée à l’étendue des essartages ou des défrichements qu’ils ont opérés ou des champs qu’ils ont créés ; cette règle, appliquée même avec réserve, nous permet d’entrevoir l’antiquité sans âge et la pacifique grandeur de cette civilisation rurale. Sa prodigieuse durée se déduit d’ailleurs autant des témoignages spirituels que de l’ampleur de son œuvre matérielle. C’est dans cette succession de calmes millénaires que se composa le fonds de souvenirs et de traditions, qui sont encore, pour l’homme actuel, aux fondations de son être moral.
Cette civilisation rurale qui remplit les âges néolithiques, et prit toute son extension à l’Âge du bronze, s’interrompit quand apparurent le fer, les armes meurtrières, la guerre.
Une nature que l’homme a façonnée à son service, qu’il a composée de ses œuvres, et emplie de ses tâches… voilà ce qui définit la campagne cultivée. Cette rustique création est le grand ouvrage des hommes. Partout ailleurs, dans les villes, sur terre, sur mer, dans le ciel même, l’effort humain est toujours intermittent, voire accidentel. L’homme disperse et détaille son œuvre sur l’Espace et le Temps ; il brise et dissémine son activité. Il l’inscrit en fonction incessante d’une humeur qui varie au gré du génie intime et désordonné qu’il porte en lui. Et même les œuvres de l’esprit ne sont pas le moindre témoignage de ce désordre ou de ces spasmes du labeur humain.
Mais la création de la campagne, c’est l’œuvre humaine accomplie dans la continuité de toutes les générations ; c’est l’œuvre humaine qui, développée sur le thème naturel des saisons, réalise la conquête du sol, et l’adaptation de la terre aux besoins et aux volontés de l’homme. Labourage et pâturage ; les tâches les plus anciennes et les plus durables… Tâches quotidiennes comme le pain et la nourriture… Tâches régulières comme le battement des heures et des jours entre le Soleil et la Terre… C’est le vieil ouvrage qui n’a jamais cessé depuis les temps originels où l’Homme a reçu communication de sa dure destinée ; et c’est l’ouvrage qui durera autant que l’être humain sur terre. Tout ce qui est de l’homme a la vie précaire et caduque. Seule, la campagne qu’il créa reste l’œuvre qui dure à jamais.
Roupnel (1871-1945). Mais pour ce qui suit, mieux vaut s’en tenir à ce que nous dit la science historique actuelle à propos des chasseurs-cueilleurs et de l’apparition de l’agriculture en Europe de l’ouest ou du nord (céramique rubanée du Danube ou céramique cardiale méditerranéenne, toutes deux venant du Proche-Orient) ; Roupnel est surtout un poète.
La campagne « organisée », aux villages groupés, aux champs « allongés, mais aussi associés », est caractéristique de l’Allemagne occidentale, des Pays-Bas, du nord-est de la France et de l’Angleterre. Le village y rassemble toute la population rurale ; et le territoire agraire, qui s’étend autour de chacune de ces agglomérations, est partagé en de nombreuses parcelles, longues, minces et parallèles, groupées par blocs massifs. Cette disposition parcellaire était toujours et reste parfois encore, associée aux usages de la vaine pâture (NDLR Comme dans les closeries d’Écosse depuis 1886) et de l’assolement triennal. Cette campagne à l’aspect rubané donc est celle des « vieux terroirs ». Elle est essentiellement la vraie « campagne ». Elle remonte à une époque beaucoup plus ancienne que
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ne l’ont su ou osé soupçonner les historiens. Elle correspond à une ère de civilisation définie par des caractères précis. Elle relève d’une organisation systématique du travail agricole dans le cadre d’un régime qui fut originellement communautaire, et dont les vestiges construisent le régime domanial du Moyen-âge.
Dans la plus grande partie de l’Europe occidentale, les traits matériels sont en effet en tous lieux les mêmes. Partout le sol porte le témoignage de cette unité de l’œuvre ; partout s’y affirment l’identité des desseins et l’analogie des résultats. Comme nous le verrons dans tout notre développement, et sans qu’il nous soit possible de nous soustraire à l’évidence de multiples témoignages, c’est toute une civilisation paysanne s’étendant sur une aire immense, créée de toutes pièces, d’une composition ordonnée ou rationnelle, et réalisée depuis la plus haute antiquité, dégagée des ébauches préparatoires et des expériences préalables !…
Ce modeste essai a pour ambition de rétablir dans ses droits cette antique civilisation agricole. Dont le sol conserve les traits, mais aussi porte les ruines, dont l’homme a reçu sa détermination sociale. Et qui contenait ainsi la genèse de nos institutions, comme elle était déjà la matière première de nos vies spirituelles, et comme elle reste la substance de nos plus profonds et de nos plus troublants souvenirs.
Tout ce que nous allons tenter d’écrire n’aura d’autre intention que de démontrer cette unité, cette puissance et cette persistance de l’œuvre primitive, de cette koinè antique et rurale. Dont les ruines restent actives, dont les formes restent animées, dont les destinées continuent.
La création de la campagne est l’œuvre caractéristique de notre Occident. Elle est la nature et l’esprit de sa civilisation. Elle lui est aussi particulière que le développement de la « polis » le fut aux sociétés méditerranéennes. Les labours, les emblavures, les pâtures, les chemins dans les terres, sont un ouvrage aussi empli de significations ethniques et de destinées réalisées, que les acropoles de la Grèce.
Ici l’homme est fils de la terre qui lui grava et lui colora les traits de sa face et de son âme ou de son esprit. Là c’est sans cesse et partout que la terre « s’est faite homme ». Nous sommes le plus vieux peuple de paysans de l’Histoire : c’est cela notre race !… [Terminologie de Roupnel].
Mais l’œuvre fut si grande, que pour lui trouver d’abord les conditions et le champ de sa réalisation, il faut non seulement lui livrer le passé, l’étendue des temps néolithiques ; mais aussi aplanir cette immensité, y supprimer l’accident et la péripétie, mettre à plat ces siècles anciens, en un mot faire régner la paix sur ces millénaires sans histoire, qui n’ont eu de nom que par les tombes.
La fondation de la campagne fut une œuvre de longue durée, qui n’a pu s’élaborer que dans la vaste quiétude des temps sans violence et d’un milieu au repos. L’œuvre a exigé un effort systématique, dont la continuité ainsi que la régularité impliquent un régime de paix.
Ce régime de paix fut celui des sociétés occidentales durant l’époque néolithique et jusqu’à la fin de l’Âge du bronze.
Généralement on se refuse à admettre que l’antique humanité a pu connaître un repos et une paix qu’ignore notre époque. Pour beaucoup d’historiens, les temps néolithiques et même énéolithiques, en raison des transformations qui s’y manifesteraient, semblent des époques de troubles et d’invasions brutales. On n’aperçoit en ces âges barbares que conflits tragiques, luttes de peuples, rivalités de clans, constant et brutal désordre. «… Que de guerres alors ! Que de massacres ! L’esclavage était le sort du vaincu, dont la horde s’éteignait peu à peu… » (Morgan, l’humanité préhistorique : esquisse de préhistoire générale, mais on dirait du Schuré Les grands initiés.)
Cette fureur barbare, cette irritation belliqueuse, nos plus anciens textes historiques la démentent pourtant. Pythéas visita les mers et les côtes de l’Europe occidentale jusqu’au nord de la Norvège. « Il mit plus de cent fois pied à terre, et chaque fois on le traita en ami, lui montrant le pays et lui fournissant aussi des guides ». Les Celtibères de l’âpre Ibérie faisaient fête au voyageur. Les Germains de l’Elbe saluèrent dans les Romains de Tibère des hôtes divins. L’anecdote concernant la fondation de Marseille n’est pas moins significative. Et tous les récits des Anciens s’accordent ainsi pour reconnaître aux peuples du Nord un juste renom de bienveillance et d’équité.
Évidemment, ce ne sont là que des témoignages partiels, recueillis déjà au seuil de l’Histoire. Mais bien antérieurement à ces écrits, les faits parlent, eux aussi.
Les temps néolithiques nous apparaissent dans cette merveilleuse continuité qui trahit des âges sans trouble. Les industries humaines y évoluent dans leurs types d’une manière si régulière que nous sommes bien forcés d’y reconnaître un développement dont nulle perturbation n’est venue interrompre ou inquiéter le cours.
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Pas une fois, en ces millénaires, une apparition soudaine dans l’outillage ou le mobilier funéraire ne vient révéler une arrivée violente, faire apparaître le geste brutal de l’Histoire. Ces lentes transformations, ces graduels perfectionnements, ne sont pas la conséquence de brusques irruptions ; et nul envahisseur victorieux n’est venu imposer ses redoutables bienfaits.
Dès le début du Néolithique, c’est dans l’Occident même, et sur place, que se sont élaborés les éléments d’une technique nouvelle née des lieux, et qui puisa ses origines aux traditions des âges anciens ou aux souvenirs indigènes. Et toute la suite des temps, jusqu’au premier Âge du fer, nous montre que la plupart des progrès accomplis dans l’outillage furent les seuls effets d’une industrieuse activité. Jusqu’à la fin du second millénaire, nous sommes dans des âges calmes. Même quand agissaient les influences extérieures, elles arrivaient sans violence. La propagation des découvertes s’est faite avec une lenteur réglée sur les paisibles mouvements de l’activité mercantile. Elles arrivèrent par la lente diffusion qui s’exerçait grâce à d’actives relations commerciales. L’introduction notamment des premiers métaux, ne s’associe à aucune perturbation ethnique. Elle fut le résultat d’un colportage ingénieux. Et cette expansion civilisatrice, qui gagne de proche en proche, est bien le témoignage des influences pacifiques qui règlent alors le monde européen. Les inventions d’alors ont cheminé en prenant leur temps et en s’attardant aux étapes propices. Les modèles industriels, les procédés métallurgiques, les métaux, les mots, les mythes, les rites, les symboles… même les hommes… ont été de ces voyages pacifiques.
S’il n’y a pas eu de tragiques secousses, cela ne signifie pourtant pas pour autant stabilisation ethnique, stérile immobilité d’un milieu sans renouvellement, soustrait aux influences excitatrices du dehors. S’il n’y a pas eu de brusques envahisseurs, il y a eu par contre arrivée constante d’initiateurs.
Mais ce qu’il y a d’essentiel dans cette extension, c’est moins son ampleur que son allure. Il a fallu toute la durée des temps néolithiques et des âges du bronze pour que la race nouvelle réalisât son établissement. Sa progression en Allemagne est plus lente encore. Elle y arrive dès les temps néolithiques, associée à des éléments du type dolichocéphale méditerranéen. Mais à l’époque des premières tombes en rangées (Reihengräber), les brachycéphales ne sont qu’une minorité en Bavière (15 %), et surtout au Wurtemberg (2 %). Et c’est seulement à l’Âge du bronze qu’en prévaudra le type.
La lenteur dans la propagation du type ethnique a été telle que souvent celui-ci s’est comme perdu en chemin. Il s’altère à mesure qu’il se propage. Il chemine assez lentement pour que se fasse l’assimilation avec le milieu. Sur ces calmes trajets, les mélanges ont ainsi le temps de se faire. Les brassages s’opèrent. Et au final, c’est un type de métissage qui l’emporte.
La nature de cette progression exclut l’hypothèse de l’invasion, des déplacements en masse. L’établissement de la race à crâne large (brachycéphale) ne fut pas très différent sans doute, des substitutions ethniques auxquelles nous pourrions assister de nos jours. Mais leur calme lenteur les soustrait le plus souvent à notre observation, et nous les fait méconnaître. Pour tout dire, il serait aussi vain d’apercevoir, dans ces transformations ethniques, les effets de tragiques péripéties, que de considérer comme de belliqueux envahisseurs les misérables immigrants qui sont depuis deux siècles allés chercher aux États-Unis un refuge et un nouveau foyer. Et c’est bien en effet sous les apparences d’une lente et pacifique émigration individuelle, qu’il faut nous représenter l’installation en Europe occidentale des ancêtres dans le large crâne desquels méditait déjà tout le génie de la race blanche.
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NDLR. Pierre de La Crau étant non racialiste depuis toujours, c’est-à-dire tout le contraire d’un raciste ou d’un antiraciste obsédé par les questions raciales ; il rappelle, ainsi qu’il a déjà eu l’occasion de l’écrire dans diverses études publiées par les Éditions Bretagne Réelle-Keltia ; en particulier en 1985, et en 1991 (la vérité sur les races, le droit aux origines, vers un nationalisme humaniste…) ; qu’il n’y a pas plus de pure race juive que de pure race américaine ou canadienne ni de pure race française ! N’oublions pas que les Européens ont du sang néandertalien dans les veines (30 % de leurs gènes mis bout à bout, ce dont ils ne se vantent guère).
Ce qui compte c’est la valeur individuelle, la culture – alors ça, la culture, par contre, c’est vraiment déterminant — ; et pas la grosseur du nez, la forme des oreilles (en chou-fleur ?) ou la couleur de la peau (bleue, tricolore comme Lugaid Riab nDerg, zébrée, bleue à petits pois ou que sais-je encore).
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Ce qu’ont réalisé finalement ces antiques immigrants, ce n’est point l’établissement massif, en pays conquis, d’un groupe victorieux, mais une formation composite où l’étranger ainsi que l’indigène ont
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lentement associé puis confondu leurs races. Où se sont mêlés les sangs, et où les mémoires réconciliées ainsi que les aptitudes réunies, ont construit des âmes et des espérances nouvelles. C’est cela que nous appelons un peuple, quand l’unité d’ethnie, qu’impose le sang, s’est effacée, pour ne laisser prospérer que la communauté entretenue par les mêmes œuvres de vie et par les mêmes souvenirs. Vieilles nations d’Occident, vous êtes d’une matière fondue dans le creuset du premier bronze. L’alliage initial a mêlé en vous le vieux sang indigène des chasseurs de rennes et l’âme apportée par l’immigré. Vous avez en vous la secrète intimité des lieux où vous plongez plus de dix mille ans de racines humaines ! Et vous avez en vous le voyageur ancien, avec ses souvenirs nostalgiques venus du fond du monde !…
Mais cette race initiatrice a-t-elle jamais été une race ? Ces brachycéphales à crâne large nous sont à peu près impossibles à isoler. Nulle part nous ne les trouvons à l’état d’élément pur. Dès leur plus lointaine apparition, ils se présentent déjà en composition, établis dans des pays dont ils ont accepté l’humanité ainsi que la nature, adopté le milieu, subi les influences.
Quand nous les avons rencontrés à l’origine, ils nous apparaissaient comme une masse dense établie dans les vallées septentrionales des Alpes. À cause de cela, on en a parfois nommé le type : homo alpinus. Mais les Alpes ne sont vraisemblablement pas leur habitat primitif. À travers les vallées styriennes et carinthiennes, à travers les plateaux bosniaques, on relève leurs traces, et l’on retrouve leur sang. Et par les régions illyriennes, nous les voyons se prolonger vers l’Orient, s’y diluer dans de confuses et amples formations ethniques, s’y achever en masses innombrables et mouvantes ; que n’ont jamais pu fixer les vastes steppes d’Asie.
L’aire de l’extension nous apparaît ainsi comme ayant une étendue continentale. De la Mongolie aux confins du Massif armoricain, c’est un même flot qui s’étale sur les plateaux de l’Asie centrale, qui se rétrécit dans les vallées européennes, qui se disloque dans les massifs alpestres ; pour prendre enfin sa densité ainsi que sa tardive immobilité en Europe occidentale. Ou plutôt, c’est moins là une succession de foules semblables, qu’une sorte de constante migration intérieure. Développée sur l’arène des plaines continentales, régularisée par son mouvement même, entretenue dans une mobilité ou dans une paix régies par la calme abondance de cette plane immensité.
Qu’importe si toutes ces foules constituent encore une unité d’ethnie, et si le type physique y a gardé ou perdu son homogénéité !… L’homme à large crâne a subi sans résistance ces milieux impérieux, et son adaptation lui a fait des vies et des âmes diverses… si différentes qu’à peine ose-t-on le reconnaître d’une contrée à l’autre. Est-ce encore, fut-il jamais, une race… ce flot humain qui se colore de tous les sols qu’il recouvre ?…
Mais à défaut d’une individualité d’ethnie – qu’il est plus téméraire de nier qu’il n’est facile de prouver –, l’homme à large tête ronde a reçu de sa zone d’habitat l’aptitude générale qu’elle pouvait lui communiquer…
Tandis que dans le Sud méditerranéen la mer sollicitait l’homme, tandis que dans les forêts du Nord persévérait le régime des clans chasseurs, au Centre, dans la clairière géante de l’ancien continent, se développait l’humanité des troupeaux et des champs. C’est là que l’homme dégagea son aptitude à vivre du sol pour lui-même et pour ses troupeaux.
Mais suivant les milieux, l’aptitude générale particularisa ses effets. De l’est à l’ouest, la vieille race à tête ronde se fit une vie et une âme ou un esprit à l’image des lieux. De l’est à l’ouest, se développe l’expérience complète et se succèdent les trois thèmes essentiels de l’accord entre l’homme et le sol. De là procèdent les hordes mongoles… les bœufs et les chars du Scythe… les champs et les foyers de nos paysans…
Là-bas, au loin, vers l’est, c’est l’Asie ! La steppe !… La large piste d’herbe pauvre où le nomade plie et déplie sans cesse sa tente !… Les hordes instables y ont vécu du mouvement incessant de leurs rapides troupeaux. Et toute limite flotte à jamais sur la plane arène emplie de galops, d’impatiences et d’éternels tressaillements : lieux immenses qui n’ont jamais pu immobiliser ni calmer l’homme !…
Mais au centre de l’aire, ce sont les régions de la « Terre noire »… La fertile steppe a imposé la valeur et les ressources de son profond terroir. Ces plaines sans gibier furent le pays des précoces labours et de la première agriculture. C’est là que l’homme à crâne large a donc acquis l’expérience de la terre, et conclu avec elle le premier pacte. Mais la steppe sans limites laisse quand même errer lentement les troupeaux du gros bétail ; pourtant, l’homme, ralenti, n’est pas encore tout à fait arrêté.
C’est plus à l’ouest que se fera la fixation complète.
Là, dans nos pays, plus de morne étendue plate. Le sol cesse de s’enfuir et d’entraîner les clans. Tout est petit compartiment, vallon, coin blotti, cadre intime. Chaque lieu sous ses coteaux, sous ses forêts,
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a sa source, a sa fée, attend ses champs. Là, l’homme ne peut presque pas faire un pas sans être pris et arrêté pour toujours.
Alors, regardez l’immigrant ! Le voici qui arrive, force lasse qui marche depuis des siècles, histoire à la dérive, société qui flotte sur l’immobile étendue des steppes !…
Depuis des siècles, depuis des millénaires peut-être, associant sa marche au mouvement du soleil, il glisse avec lenteur de l’est vers l’ouest, il pousse ses générations et leurs troupeaux. Venu des étendues molles, il avance en des pays de plus en plus accidentés. Progressivement, devant lui, le sol se lève ; peu à peu le relief grandit ; et lentement les monts apparaissent à ses yeux. À mesure que l’image continentale se troublait, il ralentissait sa marche, et il immobilisait un peu plus longtemps à chaque fois ses troupeaux et ses champs passagers. Venu des lieux qui repoussent toujours, le voici enfin arrivé dans les lieux qui retiennent !… Là, se fait le dépôt et se pose le bagage de l’âme errante !… Là, va s’appliquer l’expérience élaborée durant les longs parcours, où la terre nue est vouée aux graminées, appelle les céréales !
Là, va se faire la fixation des aptitudes acquises ! Là, va se faire l’établissement : le foyer des hommes, l’étable des bêtes, les champs qui ne bougent plus !… Là, va se développer, mais aussi s’épanouir, dans la soudaine maturité d’une société au repos, la science des troupeaux et de l’agriculture !…
Sur cette terre qui arrête sans cesse, voici que l’émigrant lui aussi s’arrête !… Le voici voué à cette terre !…
Il construit ses maisons. Il bâtit ses chemins. Village par village se compose le vieux pays. Champ par champ, la campagne se fait. Campagne par campagne se dessinent les grands traits ainsi que les contrées.
Partout sont délimités des bois, et partout le sol se dépouille, l’horizon s’éclaire et la terre a déjà partout son clair sourire ; il ne lui manque plus que ses clochers, ses voix d’allégresse et de glas, ses voix dans les cieux.
La maison du vivant se bâtit. Un à un, les foyers allument leurs braises inspirées. Les dieu-ou-démons ne sont plus des bêtes de clans ; mais l’humanité commence à dresser sur le sol, à élever vers les cieux, une image d’elle qu’elle grandira toujours.
Les temps nouveaux sont venus !… L’initiateur est au travail ! Mais même avant son arrivée, l’œuvre n’était-elle pas déjà commencée ?… Cependant, avant que l’agriculture devînt par chez nous, sous l’influence de la race venue de l’Orient, un système généralisé, elle était apparue déjà spontanément chez les vieilles races d’Occident.
Dans l’antique Ligurie, l’agriculture semble chez elle comme si elle y était née. Voyez en effet l’ingéniosité ainsi que l’exactitude avec lesquelles le territoire agricole sculpta ses cadres en accusant le relief, et ne moula ses étendues claires que sur de douces formes terrestres !… Voyez ce que fut cette prise de possession de la terre, qui ne fut pas seulement une admirable exploration superficielle du sol, mais qui en éprouva partout la matière profonde et la nature intime !…
À voir tout cela, on peut l’affirmer, les premiers agriculteurs ne firent que continuer chez nous une activité entretenue depuis longtemps, et la vie agricole fut le résultat normal, l’expression nécessaire, et l’application spontanée, d’une expérience depuis toujours en marche. L’agriculture chez nous est poussée des sèves indigènes, née comme le fruit de cette terre.
Le fait qui domine toutes ces origines de l’agriculture, c’est en effet le caractère sédentaire des tribus qui peuplèrent notre pays aux temps néolithiques. Peut-être même, l’homme n’a-t-il jamais connu ici les formes de la vie nomade. Dès les âges paléolithiques, la fixation d’un groupe humain était peut-être déjà une réalité sur chaque unité de territoire. Et ces chasseurs de rennes de l’époque magdalénienne qui, sur les parois des grottes pyrénéennes, ont gravé les processions sacrées de l’animal, étaient sans doute déjà depuis longtemps immobilisés dans les environs de leurs creuses retraites, par des morts et des dieu-ou-démons.
En tout cas, dès les débuts des temps néolithiques, la tribu et le clan sont attachés à des lieux constants. La cause de cette précoce sédentarité, ce qui fixa l’homme, ce qui l’attacha au sol, ce n’est pas une décision ou une préférence qu’il puisait dans son génie propre. La puissance fixatrice siège en chaque coin de ce pays. Elle est la grâce autoritaire de cette nature. Chaque lieu est un territoire complet où l’homme trouve, à l’aune de ses moyens, tout l’univers nécessaire, toutes les formes du relief, les sous-sols variés, les aptitudes qui se complètent. Partout, ce sont les mêmes doux mouvements du sol entrecoupés de brèves coupures. Partout, la terre est à la mesure et à la convenance de nos besoins et de nos goûts, et non moins adaptée aux troublants calculs de nos intérêts qu’à la douceur et aux tourments de nos rêves.
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Nous avons quelque peine à nous représenter ces aspects et ces temps lointains. Il nous plaît de croire que les lieux n’ont reçu leur agrément que de la civilisation. Nous n’imaginons pas que tout était riant déjà, aux jours anciens, sur les terrasses neuves de nos vallées, que l’austère matin humain était une aube comme les nôtres, avec la même claire vivacité pour ce qui est de l’air !… Cette terre, encore mouillée de ses frais limons glaciaires, était déjà ce que nous voyons et ce que nous sentons qu’elle est. Et partout, l’homme était déjà fixé sur chaque terroir par des liens éternels.
Mais ce qui l’attacha, ce ne fut pas seulement l’émotion de la mémoire héréditaire où s’est rassemblé ce que les contemplations humaines ont reçu du pays. La vie sédentaire était imposée par les conditions mêmes de la vie primitive, par les nécessités professionnelles des chasseurs et des pêcheurs.
La vie de chasse et de pêche, et l’organisation tribale, ne sont en effet nullement incompatibles avec la vie sédentaire. Bien au contraire. Il est vrai que dans les grandes régions homogènes – savanes soudanaises, steppes asiatiques – la vie nomade reste possible ; la tribu peut bouger sans que ses déplacements lui retirent son expérience d’une nature et de lieux qui se répètent sans cesse. Mais dans nos pays tout varie ; d’un district rural à l’autre, le relief diffère ; et, à chaque pas, la forêt renouvelle ses aspects, modifie sa nature, ses sous-bois, son type de faune, la vie secrète de ses hôtes, les mille et une habitudes de son gibier.
Chaque bois est un petit monde, une cité animale mystérieusement close et régie, toute percée de minuscules avenues, animée d’infimes ruelles, parcourue de grêles sentiers inquiets. Chaque espèce y a ses refuges traditionnels et ses itinéraires héréditaires, ses issues particulières, ses entrées réservées. Dès les temps les plus anciens, chasser, c’était connaître son bois, en avoir fouillé tous les halliers, y avoir relevé pas à pas les traces et les passages, y avoir reconnu les défilés où s’échappe la proie, les postes d’affût. Chasser, c’était connaître toute la vie intérieure de sa forêt, les arrivées ainsi que les départs du grand gibier, les voies et les mouvements du petit peuple des bêtes ; chasser, c’était être le vieil habitué des lieux, et en avoir reçu, comme les autres êtres, la traditionnelle initiation. C’est de la même manière, complète et subtile, que le pêcheur primitif agissait en ce qui concerne les rivières et les étangs. Qu’il installait ses nasses dans les eaux… qu’il explorait les zones poissonneuses… dont il connaissait les populeux refuges submergés. Ainsi que tout le secret mouvement qui règle, sur le moment et les saisons, l’aventure de la vie en chaque petit coin sous le saule ou sous les joncs.
Cette connaissance particulière de la forêt ou de la rivière, cette pénétration du secret de la vie animale, cette vigilante et attentive méditation sur chaque lieu et chaque reste, l’homme des temps anciens l’a eue. Ce fut pour lui une question de vie ou de mort que de posséder l’intime pratique des lieux. Il fut donc pour lui nécessaire d’y appliquer toute sa vie et d’y vouer sa descendance.
Mais cette pratique des lieux, qui vient de donner à l’homme sa petite patrie, va aussi lui donner ses longues destinées. Parce que s’était éprouvée la fidélité de l’homme à la terre, celle-ci lui ouvrit son sein et lui livra sa fécondité.
Aux origines de l’agriculture, il n’y a pas seulement l’excitation de l’éternelle recherche humaine ou le souci de satisfaire des besoins alimentaires ; c’est de la terre, depuis longtemps interrogée par l’homme, qu’est sortie la sollicitation qui lui attacha l’homme.
Dans cette fréquentation bien des fois millénaire que le clan des chasseurs entretenait toujours avec les mêmes lieux s’élabora l’expérience particulière qui prépara l’exploitation du sol et l’imposa.
Ces nombreux siècles de familiarité entre l’homme et la terre réalisèrent la communion des sens humains avec le sol, et investirent l’être humain de l’instinct animal des choses et des lieux.
Ce n’est pas vainement que l’homme eut ses méditations millénaires appliquées toujours à la même parcelle de monde, close par le même étroit horizon. Buisson par buisson, l’homme apprit à déchiffrer le livre de la nature, et à interpréter la végétation en valeur du sol. Il sut apprendre des plantes le secret du terroir. Il sut pourquoi la forêt manquait ici de souffle, et pourquoi par ailleurs elle était dans l’enivrement de ses sèves, lançait ses futaies, ou jetait vers le ciel de vertes fusées de vie. À retrouver sans cesse la piste dans l’imperceptible émoi des brins d’herbe, l’homme apprit à connaître le végétal, et à entendre, sous ces superficielles révélations, les rumeurs souterraines, le murmure d’une onde enfouie, la sourde résistance des bancs rocheux. Le sous-sol lui devint clair et apparent comme une surface exhibée. Il en connut les valeurs, les infertilités, les aptitudes, les veines cachées, les humeurs secrètes. À l’écoute de toutes les voix intérieures sorties à chaque pas de chaque coin de sol ou des frissons du feuillage, il devina partout la fortune de chaque terre ; il en soupçonna l’obscure résistance, ou l’évidente allégresse ; et il en obtint les promesses.
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L’agriculture est née de cette longue expérience primordiale, et la partie pratique de sa science a été, jusqu’au début de l’époque moderne, l’exploitation du legs hérité des primitifs. L’antique expérience prospéra longtemps, suffisamment nourrie de sa force originelle pour n’avoir plus à se renouveler. Mais à la fin tout s’épuise, même les plus riches ressources spirituelles. Et la tradition – qu’inspirait la longue ferveur des âges, mais qui avait trop reçu la consécration des temps pour savoir s’exercer ou s’entretenir – céda peu à peu aux lassitudes de l’esprit. Elle troubla sa mémoire, obscurcit ses souvenirs, et finit par s’engourdir dans la routine.
Cette antique et intime familiarité que l’homme entretint avec la terre, ne fut pas seulement une vaine science du sol, mais lui apprit aussi toutes les ressources de la production naturelle. Elle lui donna la révélation d’une nature apte à guérir ses maux, ou capable d’apaiser sa faim. C’est dans les longs siècles de l’apprentissage préalable que l’homme en arriva ainsi à connaître les propriétés des simples, et à rechercher les racines alimentaires.
Depuis longtemps d’ailleurs, la forêt lui livrait ses ressources en fruits et en graines. Mais dès une époque très ancienne, il a déjà su sans doute, favoriser, par de primitifs procédés de préparation du sol, la croissance de certaines plantes, trop peu abondantes à l’état naturel pour être susceptibles d’une utilisation pratique.
Les premiers végétaux cultivés par l’homme furent en effet ceux qu’il faut traiter par grandes quantités pour en tirer parti. À l’ère de la cueillette ou de la quête, succède donc l’ère des plantations et des récoltes. L’une des premières plantes cultivées fut ainsi le lin, dont l’espèce à feuilles étroites (linum angustifolium) croît encore spontanément dans nos régions méridionales. Avant d’avoir ses céréales et ses moissons, l’homme des temps néolithiques a sans doute eu ses jardins de racines et ses plantations de lin. Plus tard, il apprendra les propriétés alimentaires de certaines graminées, puis il commencera d’ensemencer ses champs, de récolter l’orge et le mil.
Ces premiers champs sont encore une brève éclaircie dans la forêt, car presque partout, le sol sans soleil reste encore enseveli sous sa couverture de futaies, chargé de l’ombre lourde de l’antique sylve.
À ses origines en effet, chez les clans qui continuaient leur vie traditionnelle de chasseurs, la culture ne fut qu’une activité complémentaire ; et, dans la même mesure, les produits de la terre ne furent qu’un appoint aux venaisons du chasseur.
Les premières clairières furent, tout autant que des chantiers de labeur rustique, des lieux d’affût et de chasse. C’est sur ces espaces dépouillés, où paissaient les troupeaux domestiques, et où l’on cultiva le mil et le lin, que le chasseur venait attendre ou surprendre une proie ; attirée par la végétation nouvelle et tentatrice, les racines succulentes, l’orge qui lève, les graminées en fleurs, les grains mûrs.
Cette association des deux modes d’existence, vie de chasse et vie agricole, aurait sans doute pu persister longtemps. Les champs seraient alors apparus selon le hasard des besoins. La campagne se serait lentement élaborée, comme une entreprise toujours partielle et inconstante, soumise au déterminisme irrégulier des lieux et des circonstances.
Mais le miracle se fit. Voyez : il n’y avait encore que d’éparses éclaircies, et voici que partout la clairière agrandie s’ouvre dans l’allégresse d’une neuve et complète campagne ! Voici que la terre est entrée en massives formations au service de l’Homme ! Et voici que la vie nouvelle prend tout entier l’homme, en emplit l’existence de tâches passionnées, mais aussi des rudes travaux de la terre !…
Dans nos pays, les origines de l’agriculture sont ainsi associées aux développements et aux progrès des tribus de chasseurs. Élevage et culture ne furent au début que des activités complémentaires ; et, les premières étendues cultivées ont dû se situer au voisinage, ou se développer au long de ces pistes de chasseurs, qui furent les voies de la première circulation humaine.
Ces lieux, où l’homme développa les tentatives de son agriculture naissante, avaient peut-être été préparés par la Nature. Les premiers centres de l’expérience agricole furent sans doute ces éclaircies naturelles, où l’infertilité du sol avait maintenu les formations herbacées.
La forêt, nous l’avons vu, n’a en effet prévalu sur notre sol qu’à la fin de la période paléolithique. Mais sur nos plateaux calcaires, où semble s’être développée la primitive agriculture, bien des parties de roches plates purent conserver une végétation herbeuse, qui fut d’un attrait certain pour les bêtes de la forêt. Ces clairières naturelles, situées sur des lieux secs et dominants, se trouvèrent ainsi voisines d’habitats primitifs ; et la tribu des chasseurs les utilisa, non seulement pour abattre son gibier, mais aussi pour y faire prospérer ces plantes alimentaires que le gibier recherchait autant que l’homme.
Mais sans insister sur toutes ces hypothèses, et sans y voir autre chose qu’un champ de spéculations possibles, venons-en maintenant à ces constructions des territoires agraires, qui témoignent d’un dessein prémédité, d’un agencement systématique et logique.
Ce que fut au juste la construction de cette clairière culturale, l’intention qui la sous-tendit, la méthode qui la réalisa, nous ne l’apprendrons évidemment pas du témoignage des choses actuelles. Il nous
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faut raisonner par analogie. Pour découvrir la Celtique préhistorique, il nous faut nous aider des renseignements écrits qui nous ont été transmis sur la Germanie historique.
L’élaboration de la campagne – que nous essayons de découvrir – César et Tacite nous la présentent dans la Germanie barbare, et nous la décrivent en voie de s’y réaliser.
Quatre textes sont significatifs. Les deux premiers appartiennent au De bello gallico. Les deux autres sont extraits de la Germanie de Tacite. Les uns et les autres ont été l’objet de commentaires nombreux et l’occasion de subtils débats.
Les deux textes de César nous montrent les Germains vivant toujours essentiellement de leurs troupeaux et de leur chasse. L’agriculture chez eux n’est encore qu’une ressource complémentaire et une activité secondaire. Le territoire agraire change tous les ans ; et chaque tribu le cultive en communauté.
Cependant, dans l’intervalle qui sépare l’époque de César du temps où Tacite écrivait, un changement notable s’est introduit dans la vie des Germains. Une certaine appropriation du sol a commencé. Ces Germains du Ier siècle apparaissent sédentaires, fixés en de petits villages établis selon la convenance des lieux, au voisinage des sources, des forêts, des terres fertiles. Les maisons, largement séparées, sont entourées d’enclos prêts pour les tâches familiales.
Mais ces Germains montrent encore pour les travaux agricoles, la même inaptitude que leurs ancêtres des siècles précédents. Ils ne connaissent encore que la culture des céréales. La vallée n’a pas encore ses prés. La maison n’a pas encore son jardin et son verger.
Le passage du livre VI des commentaires de César semble d’une application générale : « Ils n’accordent pas beaucoup de soin à l’agriculture, et une grande partie de leur nourriture est faite de lait, de fromage, de viande ; personne n’a une quantité fixe de terre ni de limites de propriété personnelles ; mais les magistrats et les chefs distribuent chaque année aux clans et aux familles, qui forment un même ensemble, autant de terre qu’ils le jugent nécessaire, et dans lieu qu’ils jugent le plus approprié ; mais l’année suivante, ils les obligent à partir ailleurs » (VI, 22).
Remarquons que cette Germanie barbare est – à l’ouest du moins – plus une ruine qu’une terre neuve. Elle doit ses aspects sauvages à l’envahisseur germanique, qui a partout détruit les vestiges de l’ancienne civilisation rurale. Chaque peuplade s’enorgueillit en effet d’entretenir cette dévastation. « La plus grande gloire d’un certain nombre de tribus-états et d’avoir des déserts aussi grands que possible autour d’eux, leurs frontières ayant été dévastées » (VI, 23).
Cependant, auprès du village s’étend le territoire agricole qui se déplace périodiquement autour de l’agglomération. Il appartient en commun à la tribu ; mais chaque année l’étendue à cultiver, sera fixée selon le nombre des cultivateurs et répartie entre eux selon un ordre déterminé.
Le régime qui se dessine ainsi est le régime caractéristique d’une agriculture qui en est encore à l’ère des défrichements, et qui dispose des vastes espaces d’un territoire neuf (facilitatem partiendi camporum spatia prœstant).
Ce régime, nous le trouvons précisé davantage dans l’ancienne Scandinavie. Le procédé de culture qui était pratiqué dans cette région du monde était la culture sur brûlis.
Du vaste territoire de bois ou de landes qui appartenait en communauté à chaque « by » ou « vicus » – disons à chaque village – une certaine étendue, calculée selon les besoins de la population, était périodiquement défrichée par le feu. Ce sol dépouillé, fertilisé par les cendres, était ensuite mis en culture. La moisson faite, on l’abandonnait à la végétation naturelle, et la forêt en reprenait progressivement possession. L’année suivante, c’était le canton forestier voisin qui était livré à l’essartage et aux cultures, pour être rendu, lui aussi, après, à la lande et à la forêt. Le territoire agraire était ainsi comme un secteur de sol toujours neuf, qui parcourait le terroir situé autour du village. Après une période d’une vingtaine d’années, le tour du terroir était achevé. On recommençait alors une nouvelle rotation, qui rendait à la culture, successivement et dans leur ordre immuable, tous les anciens secteurs abandonnés, dont la forêt avait eu donc le temps de reprendre possession et de reconstituer l’humus fertile.
Ces précisions nous permettent de dissiper les incertitudes du texte de Tacite. Quand il nous dit, par exemple, que « agri pro numero cultorum ab universis in vices occupantur », l’expression in vices rend compte de ce déplacement incessant du territoire cultivé. Nous comprenons d’autre part que l’étendue de ce territoire est proportionnée au nombre des travailleurs. Enfin, et surtout, il nous apparaît clairement que l’expression ab universis se réfère à un régime communautaire de propriété ou de labeur, le seul qui puisse s’adapter à cette incessante et accablante entreprise de défrichement.
Entrevoyons alors toute l’évolution de ce régime qui fut, dans son ensemble, d’une application générale.
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À l’origine, avant que la tribu soit fixée au sol ou établie dans un village, la clairière culturale était à chaque déplacement un lieu nouveau et une création nouvelle. Elle suivait pour ainsi dire l’homme dans ses parcours, l’immobilisait un moment à chaque étape, arrêtait pour quelques saisons sa vie errante. Puis, la tribu partie, la forêt partout présente effaçait les traces du passage et du labeur humains. Ces défrichements intermittents et provisoires ne modifiaient donc pas l’aspect général du pays, qui restait couvert d’un manteau forestier, à peine entaillé de fugaces cicatrices.
À ce régime primitif de l’agriculture non fixée, succède le régime que nous venons de décrire, et qui est celui de la « semi-fixation ». Le village est fondé. La vie est stabilisée ; mais la tâche ne l’est pas encore. Le territoire cultivé, qui n’occupe qu’un secteur du terroir du village, se déplace chaque année, en décrivant autour du village cette rotation périodique qui l’amène à réoccuper successivement toutes les situations qu’il a connues.
Dans un tel système, l’homme et son foyer ont leur place fixée ; le champ n’a pas encore la sienne, mais il a sa région. Cette région, c’est l’étendue circulaire dont le village est le centre (le terroir), et où, année par année, le secteur des cultures se meut comme le pinceau de lumière que promène un phare sur l’horizon ténébreux. Cette région, que parcourt le cycle alternatif des tâches humaines et des abandons humains, ce sera un jour notre clairière culturale ; et sa lente élaboration millénaire a été faite par l’alternance régulière des longs triomphes de la forêt, mais aussi de brèves conquêtes du défrichement ou du labour. Écourter ces longs triomphes, prolonger ces brèves entreprises, ce sera la facile méthode qui réalisera toute l’œuvre rurale.
Mais pour nous rendre compte de l’élaboration, pénétrons dans la lenteur du geste ancien, et attardons-nous à considérer la construction annuelle du terroir cultivé. Nous l’appelons « un secteur »… L’expression n’a qu’une signification schématique. Entendons-la dans un sens sans rigueur : le village, qui est un centre constant, donne un départ angulaire à ce territoire annuel, dont les dimensions s’amplifient quand on gagne la circonférence de l’horizon. C’est, si l’on préfère, une sorte de triangle, dont le sommet se trouve au village, et dont la base s’appuie aux lisières de la forêt. Deux chemins latéraux divergent du village et limitent ce territoire empli de tâches et de labours.
Chaque année, ce territoire n’est pas seulement un lieu et un sol nouveaux ; mais il varie d’étendue et de configuration. Il s’applique sur des terrains de relief différent et de fertilité inégale. Il adapte sa forme et ses dimensions aux mouvements et aux ressources du sol. Partout il se façonne et se moule sur les traits superficiels du visage terrestre.
Cette configuration et cette allure générale que la nature impose, ce sont là comme des caractères acquis ; et le secteur les maintiendra ou les rétablira lors de chacune des restaurations que l’homme lui apportera, environ tous les vingt ans.
C’est d’ailleurs en vue de cette reconstruction périodique que les chemins sont aménagés. Ils sont destinés à résister aux vingt années de carence humaine. Ce ne sont pas de simples tracés empierrés qu’il faudrait périodiquement rétablir. Authentique travail de maçon fait de moellons et de pierres, ils ne se laissent ni envahir par la forêt ni embourber par les eaux. Ils ne s’associent en aucune façon à la ruine des champs, à la décadence intérieure du secteur ; mais maintiennent à ces terres déchues de toute culture, une enveloppe rigide, et composent sur elles une forme indestructible.
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RETOUR SUR LES CHAMPS CHEIDE
(intertitre de la rédaction).
Ce qui trahit l’ancienne agglomération humaine, c’est qu’elle est le point de convergence des anciens chemins. Le village est essentiellement un centre. Il n’est même que cela. On pourrait le définir comme la partie bâtie des chemins à leur point de convergence. Ces chemins, qui viennent, non seulement se réunir au village, mais lui donner forme et nature, ont nécessairement les mêmes destinées que le village. C’est lui qui les anime. Et réciproquement, le village ne vit que de les réunir. Le même geste qui efface du sol les routes rurales supprime leur arrivée ainsi que leur réunion… supprime donc le village.
Les routes anciennes persistent ainsi dans l’exacte mesure où l’agglomération primitive maintient son existence et son activité. L’essart ou la clairière culturale, avons-nous dit, apparaît comme un tout systématiquement construit, logiquement composé ou ordonné. Il est bon d’en pouvoir rétablir le cadre comme nous venons d’apprendre à le faire. Mais il est plus fondamental encore d’en savoir comment restaurer la charpente.
Cette charpente, ce sont les chemins qui la constituent. Le chemin, comme nous le verrons, a joué un grand rôle dans l’ancienne civilisation rurale. Dès maintenant, soyons déjà avertis que le chemin primitif ne fut pas simplement une voie de circulation et de transport, une artère de communication. Il fut comme l’organe de distribution des terres, c’est-à-dire la base du morcellement parcellaire, un élément essentiel dans l’aménagement du terroir.
La plupart de nos chemins de desserte rurale appartiennent à ce système ancien. Ils sont la survivance des voies primitives. La solidité de ces constructions leur assura une durée qui a souvent pu triompher des incuries et des misères de l’époque historique.
Ces chemins ruraux sont l’œuvre d’une population bien plus nombreuse que l’humanité clairsemée qui anime chétivement la campagne actuelle. Il a fallu pour les établir une humanité vouée aux œuvres locales, et aux tâches de ses lieux, et qui a bâti cette campagne, non seulement champ par champ, mais encore sur des lignes de force rigides et impérissables, toutes en pierre. Et l’œuvre a partiellement résisté. L’Homme moderne a trouvé tout façonnés les chemins de ses champs. Mais il administre sans clairvoyance ce legs d’un passé méconnu.
Il ne s’est jamais rendu compte de l’antiquité de ces fidèles voies qui le conduisent et le ramènent quotidiennement des foyers où il se repose, vers les tâches où il peine. Il lui semble que ce sont là des tracés posés à même le sol, et pour un peu il s’imaginerait que son seul passage journalier a suffi pour fouler la glèbe et lui frayer son chemin quotidien.
Certes, il y a des chemins de desserte récents. Mais sachons-le bien : sur cette campagne qu’ils semblent parcourir de lignes périssables et animer de traits précaires, la plupart de nos chemins des champs sont les irréfutables témoins de la fondation (du village).
Les caractères différentiels du chemin historique et du chemin primitif sont nombreux.
Si les chemins historiques nous apparaissent ainsi, avec des caractères qui nous les font aisément reconnaître, les chemins primitifs ont leurs caractères propres, et prouvent leur origine à l’aide d’autres témoignages que les preuves négatives. Mais bien sûr, de tous les caractères différentiels qui nous permettent de distinguer les chemins anciens des chemins historiques, le plus important se réfère au rôle que joua la voie primitive dans la distribution du terroir.
Chacun de nos terroirs est essentiellement un essart ou une clairière culturale, et ses frontières en sont les lisières des bois ou des forêts. Le premier problème qui se pose est d’ailleurs de retrouver le tracé de cette frontière antique, ce qui revient à distinguer une lisière primitive des contours boisés plus récents.
La voie primitive n’était pas seulement une voie de circulation ; elle était surtout la base du morcellement agraire. La campagne ancienne était déjà, en effet, toute lacérée en ces mille étroites parcelles de terre, en ces mille lanières qui la découpent encore maintenant. Ces parcelles, c’était le chemin qui les distribuait.
C’est sur lui qu’elles prenaient leur origine et leur terminaison. Or, nous le verrons, les longueurs des parcelles sont restées en général ce qu’elles étaient jadis. Les champs continuent donc d’appuyer leurs courtes bases sur les anciens chemins.
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Les parcelles de terre continuent ainsi, sur la campagne actuelle, de retracer, de leurs extrémités invariables, les traits du dessin originel. Et nos yeux peuvent contempler, sur ce panorama des champs, des lignes claires et presque éternelles.
Mais il est plus étrange encore que l’on puisse reconnaître ces voies primitives rien qu’en examinant une carte bien détaillée. Ces voies servent en effet souvent de limite aux territoires des villages. Ces limites intercommunales correspondent toujours à des traits figés du travail qui livra la terre à l’exploitation humaine. Nous verrons avec quelle fidélité chaque groupement rural est resté astreint au cadre qu’il se constitua primitivement.
Les habitudes qui assignèrent à chaque village son site et ses routes ont déterminé aussi les frontières de son activité quotidienne. Et le cadre territorial de la commune actuelle continue d’être, comme aux temps primitifs, adossé aux lignes essentielles ; qui sont tout aussi bien les premières voies de long parcours que les grands traits du relief, les lisières des forêts anciennes, les cours d’eau.
Le vieux chemin est ainsi comme le trait définitif, la ride creusée par le grand âge sur cette face laborieuse de nos campagnes. Cette ride, on peut dire que rien ne l’efface, et qu’elle laisse des traces indélébiles. On reconnaît l’ancien chemin même quand il n’est plus qu’une voie laissée à l’abandon, un sentier dévasté, un vestige incertain qui s’efface sous la glèbe. Efforçons-nous donc de retrouver ces vieux chemins que le village faisait rayonner tout autour de lui et qui étaient les animateurs de la campagne. La tâche n’est pas difficile ! Regardez sur le sol : les vieux chemins y sont encore, sous forme de traces partout visibles à travers nos champs. Pour les yeux qui savent regarder, mille petites choses témoignent en effet de son existence, et aident à en ressusciter le tracé disparu. Le plus souvent il est de condition modeste. C’est le chemin local, la route des champs, la voie brève et fatiguée qui unit les lieux de la tâche avec les lieux du repos, les champs avec le village, le labour avec le foyer. C’est le chemin familier qui naît à notre seuil comme un enfant, et qui s’achève, comme l’aïeul qui meurt à la tâche, en quittant nos champs.
Ces chemins de desserte rurale sont, nous l’avons dit, les traits essentiels, les lignes de force, de la construction des essarts ou de la clairière culturale. Les premiers chemins de grande communication n’ont été, au début, que ces chemins locaux mis bout à bout : fabrication grossière qui ne fut pourtant ni hâtive ni confuse. Mais avant d’aller plus loin, ces humbles piétons nous ont distribué poignée de terre par poignée de terre, parcelle par parcelle, tout le sol de la clairière culturale.
Cette clairière, ce monde élémentaire, cette construction fondamentale qui reste le thème terrestre et sensible sur lequel se développe tout le système d’association de l’homme avec le sol… nous la reconnaîtrons quand nous en aurons rétabli toute l’architecture. Quand nous l’aurons fixée dans un cadre, et lui aurons trouvé un centre. Nous la retrouverons surtout, quand nous l’aurons chevillée poutre par poutre, étendue champ par champ, sur toute sa charpente de chemins.
Aux temps anciens, à l’arrivée du grand chemin, auprès de la source fraîche, à l’ombre, le site était lieu de repos et d’accueil, lieu de culte et de vénération. Les dieux antiques ont siégé là. Dieux de vigilance et d’hospitalité, ils ont protégé ou accueilli tous ceux que la route menait là, entretenu des fidèles, guéri des maladies ou des blessures, inspiré les légendes, les prières et les espérances.
De tout cela, il reste à peine des souvenirs. Une chapelle qui s’écroule, des lieux ruinés, ainsi que cette sorte de trouble physique que l’infidélité de l’homme introduit sur les lieux qu’il abandonne. Cette sorte de trouble dont il altère à jamais la calme physionomie du sol qu’il aima et répudia.
Mais si l’homme a disparu des lieux, l’appel que la Nature adressa de là-bas au voyageur des temps anciens conserve tout son accent. La source continue d’entretenir la vigoureuse futaie ; et les chênes ne cessent de grandir et d’ombrager !
Mais ce que nous venons de reconnaître aux entrées de cette lisière boisée, ce que nous venons de surprendre de sensationnel dans l’accueil que réserve la forêt au vieux chemin, c’est un témoignage. La preuve que cette antique piste des hommes eut le rang et le statut d’une grande voie venue de loin, entretenue par les peuples, veillée par les Dieux !…
Revoyons maintenant l’aspect de ce territoire circulaire !… Il est déjà partout marqué par l’homme. Pourtant, un vingtième à peine en est labouré. Mais l’étendue entière témoigne de l’exploitation périodique, à laquelle succèdent vingt ans de friche. Selon que cette mise en friche est plus ou moins
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récente, plus ou moins ancienne, y prévalent encore les traces du labeur humain, ou apparaissent déjà les aspects de la forêt. Les secteurs que les labours viennent de quitter sont de prospères pâtures. Les autres, plus anciens, sont déjà envahis de buissons. Enfin, les taillis et les halliers sont rentrés sur les territoires que menacent de nouveau les essarts ou l’entreprise de défrichement. D’un mouvement qui ne se lasse jamais, sans cesse tournent ainsi autour du village les zones de culture, les terrains de pâture, les friches qui se couvrent de buissons, les bois récents et les taillis nouveaux. Mais à chaque cycle, chacun de ces parcours circulaires grave un peu plus sa trace. La forêt, qui sans cesse rentre sur ces précaires défrichements, y revient avec des droits sans cesse diminués. De plus en plus buissonneuse, incomplète, inachevée, des sols la refusent, des lieux la désavouent. Partout les lieux restent toujours plus marqués par le passage de l’œuvre humaine, davantage prêts à la retenir, à la fixer.
Mais ce ne sont pas seulement les contours qui se dessinent, les aspects qui se préparent : la charpente est dressée pour la construction définitive. Tous les chemins sont en place. Ils rayonnent vers la périphérie du village. Ils traversent de partout la friche et la forêt, en dissipent l’obstacle, en percent le voile sauvage. Partout ils donnent le contact avec l’espace, l’entrée à la lumière, à la vie, à l’esprit qui circule dans le Monde.
Pour élaborer les éléments des essarts ou de la clairière culturale, pour construire les champs, le villageois primitif exploita donc, avons-nous dit, l’antique expérience que les clans avaient eue des lieux qui les avaient retenus et fixés. L’ancien défricheur, appliquant la connaissance empirique, le sens intuitif que les générations d’avant lui avaient légué, sut choisir ses sols, en discerner les valeurs et les aptitudes avec autant de clairvoyance que saurait le faire la plus savante des agronomies actuelles.
La prise de possession de la terre fut ainsi une œuvre dont la sûreté défie voire étonne notre science. Partout, il faut reconnaître et admirer la réussite de cette campagne, l’intelligente composition, l’ingénieuse construction de ces essarts ou de cette clairière culturale, une œuvre si achevée ou fruit d’une si subtile recherche, qu’il serait impossible d’y toucher quoi que ce soit sans l’altérer. Il serait aussi préjudiciable de lui retrancher des champs qu’il serait imprudent de lui en ajouter.
Cette campagne a pris sur la forêt des sols de toutes les aptitudes possibles, et s’est constitué ainsi un domaine aussi varié qu’il est complet. Cette variété des sols reste le caractère essentiel de la campagne cultivée. S’il est parfois malaisé de justifier toutes les conquêtes que les champs ont réalisées sur la forêt, il est moins difficile de commenter ce qu’ils lui ont laissé. On s’explique la forêt mieux qu’on ne s’explique les champs. Les raisons de maintenir un sol en territoire boisé sont d’une évidence claire, que n’ont pas toujours les origines et les causes de l’extension réalisée par le complexe territoire agraire.
D’une façon générale, la campagne cultivée a conquis tout le territoire qu’elle a pu occuper. Elle n’a laissé que ce qui rebutait ou décevait son labeur. Si l’on essayait d’exprimer en une formule le caractère des deux domaines respectifs, le territoire forestier ainsi que le territoire agraire, on serait tenté de dire que le partage s’est effectué selon les règles dictées par le relief. Tout ce qui était relief accentué ou traits trop accusés, resta livré à la forêt. Ce qui était au contraire relief modéré ou douce superficie de sol, fut donné aux labours.
L’Homme laissa donc à la nature sauvage, abandonna ainsi à la forêt, les pentes trop raides, les vallons encaissés, les vallées malaisées, les talus, les ravins, les lieux étroits. Et, de même, les planes surfaces alluviales, les plaines et les vallées à fond horizontal, où les eaux n’avaient point d’écoulement, les terrains naturellement mal drainés, continuèrent en général d’appartenir à la forêt, aux marécages, aux tourbières. Ce n’est que très tardivement, et aux temps historiques, que ces terres basses ont été conquises à l’agriculture.
À côté de ces sols, que l’insuffisance ou l’excès de leur pente condamnent à rester en dehors du chantier des labeurs humains, la forêt continua d’occuper les territoires dont l’infertilité rebutait les cultures : terres schisteuses, humus acides, plateaux à roches plates. Il en fut de même des pentes mal exposées, ainsi que de tous les lieux soumis à des courants atmosphériques ou à des influences défavorables. Dont la nature précise nous échappe, mais dont les effets nous paraîtraient plus qu’évidents si nous savions, comme le primitif, lire toutes les pages du Grand livre de la Nature.
Le domaine de l’agriculture, c’est tout le reste. C’est tout le terrain du relief modéré ; c’est tout sol qui semble se soulever lentement, comme si la courbe de la terre le ployait avec douceur. Cette campagne, partout associée à de doux mouvements du terrain, c’est toute la terre fertile et meuble qui capte la lumière et retient la chaleur.
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Cette grâce distribuée partout compose l’harmonie de notre campagne. L’ensemble des champs nous livre encore maintenant la contemplation d’une terre choisie, la douceur de lieux paisibles, qu’entoure un horizon fait de leur image lointaine. En la forêt au contraire, à notre insu, nous sentons encore le sol qui se défend depuis toujours, et la terre qui se refuse.
Cette campagne, qui semble presque partout la même, a cependant une diversité constructive qu’il convient de rapporter à deux ou trois types bien caractérisés.
Nous savons déjà ce que fut cette communauté rurale. Nous savons d’où elle vient historiquement. Mais c’est la mentalité primitive qui en a déterminé l’esprit. Le village agricole a succédé au clan totémique. La puissance fixatrice qui a établi pour toujours le groupe humain sur un coin de sol, était de nature divine. Ces dieux étaient cette terre, ces eaux, ces arbres. L’homme est resté fixé par cette impassible immobilité des choses. Ces maîtres muets… ont jadis pris au hasard d’une tribu de passage, une poignée d’Humanité en quelque sorte, et ne l’ont jamais lâchée !… Chaque village est encore sous cette main musclée de roche qui le tient depuis l’Âge de pierre.
Fixé par les dieux, le groupe humain s’est maintenu, entretenu par la tradition des origines, et comme s’il était tout entier un seul être. Le clan totémique fut, en effet, cette originelle composition homogène, où les individus apparaissaient comme les parties non différenciées d’un être collectif. Le village agricole hérita de cette cohésion primitive. Il fut une société stable. Et, à travers toute l’Histoire, ses foyers ou ses familles, ses vies et ses âme/esprits, sont restés fixés sur une structure vieille comme les temps humains, et qui tient encore.
Cette communauté villageoise s’est maintenue à travers le cours de l’Histoire. Elle a triomphé des multiples influences politiques, sociales et morales, qui s’exerçaient pour la restreindre ou la ruiner. Jusqu’à la fin de l’histoire moderne, le village est resté ainsi une société qui avait une sorte d’autonomie administrative, qui avait des assemblées générales et des chefs élus. Et c’est dans la traditionnelle pratique de ces affaires publiques et dans le débat de ces intérêts communs que s’est déterminé cet esprit d’entente. Cette aptitude sociale qui est le trait de la race, et ce sens de la solidarité qui reste la force de base.
C’est toute la vie du village qui entretenait dans l’individu un vivace esprit de société. Le village est un petit monde complet, une minuscule Humanité, pressée ou serrée sur un coin de terre, comme si elle s’y sentait seule dans le monde. Isolé par la solitude de sa campagne, prisonnier dans son œuvre, le villageois donc a vécu comme si son village était l’univers.
Car ce petit monde est une Humanité à lui tout seul, dense et stable à force d’être énergiquement groupée. La forte discipline des clans anciens a été le lien qui le comprima. Les maisons sont contigües et se serrent souvent les unes contre les autres. Les toits se joignent ; les murs sont mitoyens ; les cours sont en commun. On vit foyer contre foyer, ménage contre ménage ; et, porte contre porte, on voisine presque avec excès. Le ragot circule à pleine rue, et chaque pas-de-porte semble avoir son libre et gai cancan… Mais cette malicieuse surveillance de la part de l’opinion publique n’est que l’heureuse vigilance dont ne s’alarme pas celui qui n’a rien à se reprocher de bien grave.
Car le village est un être sain et complet dont le rire est heureux plus qu’il n’est méchant. Sa gaieté, c’est moins une bavarde moquerie que la joviale entente du cœur avec l’esprit, une gaillarde santé de l’âme ou de l’esprit. De là donc les liesses populaires, les joyeuses tablées, les repas de cochonnailles, assaisonnées de plaisanteries, lardées tout autant que pimentées.
Cette action du village sur l’homme, ces rapports du groupe avec l’individu, le village lui-même en fixe la nature, et c’est pour ainsi dire d’après son plan qu’il en détermine les proportions. Selon qu’il est plus ou moins énergiquement groupé, ou qu’il relâche le lien et sépare ses habitats ; l’association humaine est tantôt la force impérieuse qui détermine l’individu, tantôt la modeste influence qui laisse à chaque cœur ses droits intimes et à chaque âme/esprit ses secrets.
Ces chaumières où flotte l’arôme de l’âtre et du pain chaud, ces âme/esprits qui sentent le grand air et le froment, composent la seule Humanité qui compte dans le grand livre des mondes ! Chacun, ici, a porté sa croix. Les générations ont été ces labeurs sans répit et ces peines innombrables. Elles ont été ces pères et ces enfants, ces puissantes vies et ces chères années, que la Mort a toujours conduits à Dieu.
Car ces paysans n’ont jamais cessé de travailler ni de souffrir !… Nourris de pain noir, ils eurent l’infortune calme et sans alarme !… L’histoire n’est que celle de leur longue misère ! Et c’est d’eux que nous descendons !…
On peut distinguer deux types de villages originels : village de vallée, village de hauteur, auxquels correspondent nécessairement deux campagnes de type différent.
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Les villages établis au bord des eaux vives, au pied des collines, dans ces lieux où la vie humaine pouvait se nourrir de la double activité de la chasse et de la pêche ; ont créé une campagne dont la forme a correspondu au site irrégulier où ils étaient établis.
Presque toujours ces villages de rivières sont situés à des carrefours de vallées. Leur territoire agraire s’adapte alors à l’ampleur qui lui est offerte. Tantôt, c’est la vallée principale largement déblayée par les eaux, qui suffit à le contenir. C’est particulièrement le cas lorsque s’offrent ces terrasses alluviales, qui sont par excellence le lieu propice à l’établissement des habitats et des cultures. Tantôt cette vallée principale s’est enfoncée entre des rives étroites ; et c’est alors dans la vallée affluente, aux eaux moins abondantes et d’un relief moins abrupt, que l’homme a étendu le champ de son agriculture. Tantôt enfin, la confluence des deux vallées a engendré le vaste amphithéâtre de pentes et de terrasses où se déploie une riche et complète campagne. Mais, de toute façon, ces essarts ou ces clairières culturales de vallées s’entourent presque toujours de talus boisés ou de crêtes buissonneuses qui en arrêtent les contours ; tandis que dans le fond des vallons, le territoire cultivé se prolonge par de sinueux appendices de plus en plus étroits. Cette clairière irrégulière à la forme en étoile, est comme le type même de la campagne associée à la vallée ainsi qu’au cours d’eau.
Tout autre est la campagne des plateaux. Elle est centrée sur un village souvent plus vieux qu’elle, et qui la domine. Ce village, perché sur sa motte ou sur son pic, s’est entouré très anciennement d’espaces clairs, de zones déboisées, qui constituaient peut-être une sorte de glacis défensif. C’est autour de ce centre de déboisement que se serait donc élaborée, secteur par secteur, canton par canton, cette clairière culturale qui fut sans doute, à l’origine, un territoire essentiellement pastoral. Le trait qui nous frappe, c’est son immensité. Nos villages de plateaux s’entourent de campagnes démesurées, de plus en plus disproportionnées par rapport à leur population, et qui en dépassent les ressources et les besoins.
Ces campagnes si vastes se sont souvent soudées les unes aux autres.
Achevons cependant d’assister à la construction totale. Entre les clairières de vallées ou les clairières de plateaux s’insèrent des confins tourmentés, des reliefs troublés. Tout le jeu des vallons qui pénètrent dans les plateaux, débouchent dans les vallées, comme autant de sinueuses attaches liant jusqu’au cœur les hauts pays avec les cours d’eau. Sur tout ce système de vallées ou de pentes, la forêt reste établie selon le règlement évoqué plus haut.
C’est presque ainsi, alors, que tout le paysage se révèle à nous, avec son antique et son éternelle détermination. Vallées ainsi que plateaux se couvrent de campagnes ou de forêts, selon ce que leur allure calme ou tourmentée décide de leur vocation. Entre les deux systèmes, la forêt prend pour elle tout le jeu des articulations les reliant. Ainsi est bâti ce solide pays !…
Mais cette généralisation de la vie agricole, cette soudaine extension du champ, cette invasion d’espaces clairs, cette ruée au soleil de la terre affranchie, cette brusque décision de nouvelles destinées, tout cela ce n’est pas uniquement l’œuvre du temps ; c’est l’œuvre suscitée par une race déjà en possession d’une vocation agricole et d’une expérience de la culture. C’est l’œuvre de la race brachycéphale (sic).
Cette expérience complète, recueillie sur la longue route continentale, fut une adaptation incessante de la vie agricole et pastorale à des lieux divers et à des climats variés. Née de la vie à demi errante sur les grandes étendues herbeuses, cette aptitude à vivre du sol s’est, à chaque pas de la migration vers l’Ouest, fortifiée de tous les obstacles et de toutes les résistances dont elle triomphait. Venue des plaines et des steppes, la race s’adapta aux vallées ainsi qu’à une nature forestière ; et les champs, que la tribu jetait jadis nonchalamment chaque année sur de nouvelles étendues vierges, elle les ouvrit et les fixa, la hache à la main, dans la forêt. À mesure que l’homme à tête ronde, en marche vers l’Occident, pénétrait entre des reliefs de plus en plus vigoureux, son territoire agricole, jadis éparpillé ou informe, se groupait dans un cadre plus précis. S’y affermissait dans la rigueur d’un contour gravé pour ne plus s’effacer, s’y achevait dans l’autorité ou l’harmonie d’un système calculé au plus juste, mais aussi éprouvé pour une expansion universelle.
La fondation de la campagne est l’entreprise systématique née de la rencontre et du mélange des rudes populations indigènes avec le peuple nouveau venu de l’est. Notre système agricole est né de l’association de ces deux forces complémentaires.
Les brachycéphales, infiltrés peu à peu sur le territoire, ont apporté une science générale, l’ingéniosité d’une activité apte à tous les lieux, leur goût de l’ordre et de l’aménagement général, leur sens de la société.
L’indigène, lui, mettait au fonds commun de l’association sa connaissance profonde d’un sol particulier, un instinct animal des choses et du pays, l’âpre attachement à un terroir.
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De ces deux hommes si dissemblables, l’un avait la rudesse d’une terre qui se défend ; l’autre portait dans sa mémoire les images et les souvenirs du Monde. Les deux races entraient en collaboration chacune avec son expérience singulière de la terre et du sol. L’une en avait cette expérience large, mais lucide recueillie sur la partie claire du continent. L’autre en avait la farouche expérience fixée depuis toujours sur un même terroir, entrée aveuglément en lui, et tout en profondeur.
Les deux tempéraments s’affirment dans toutes les formes d’activité. Avec l’immigrant a pénétré une vie plus riche et plus générale, le sens d’une collectivité plus grande, un esprit nourri des lointaines visions. Et il constitue dans l’homme actuel la part de notre âme ou de notre esprit qui rêve et pousse toujours vers le lointain.
L’autochtone, lui, est dans ce pays la rude énergie des lieux. Il est le fonds de constance, l’esprit d’épargne et de résistance. Il est ce qui ne bouge jamais, la farouche fidélité à la terre. Il est dans notre âme ou dans notre esprit la fondation morale scellée sur de la pierre…
Ces deux races : l’une, souffles et clartés venus de loin !… L’autre, la roche en place !…
Nous avons dans notre histoire, et chacun de nous porte encore en lui, les deux races et le double legs. Le règne alternatif de ces deux génies dissemblables règle l’ascension sociale et rythme le passage des générations. Selon que l’on est plus ou moins libéré de la terre, s’efface ou s’affirme l’une ou l’autre de ces deux influences originelles. Chez l’urbain triomphent l’esprit de corps, le sens de la collectivité ainsi qu’une certaine allégresse sociale. Le paysan, lui, reste la force taciturne et l’âme ou l’esprit solitaire.
Le plus souvent, les deux génies, que peut dissocier parfois le déracinement, restent indissolublement unis dans leur alliage. Car l’alliage a la précieuse qualité de ces compositions que la nature élabore lentement. Les deux races se sont pénétrées par une fusion pacifique où chaque élément se présentait avec toutes ses propriétés.
Dans cette composition ethnique, l’autochtone et l’envahisseur se sont l’un et l’autre grandis de tout ce que chacun complétait chez l’autre. Le tout n’est pas que la somme des parties, l’ensemble vaut mieux que le total des parties ; et le composé multiplia les valeurs qu’il additionnait.
C’est pourquoi il n’est pas très facile de discerner, dans la grande œuvre rurale réalisée par ce peuple complexe, les parts respectives des deux éléments associés en lui.
Pourtant, on y peut reconnaître, grandies de l’assistance qu’elles se sont mutuellement donnée, les deux influences qui s’y sont réunies et conciliées. L’œuvre porta la double empreinte de ses deux origines. Dans ses lignes d’ensemble, elle traduisit l’influence étrangère, dans le détail elle fut marquée du signe âpre de l’autochtone.
La race brachycéphale n’a pas inventé l’agriculture. Elle ne l’a pas davantage apportée. Elle l’y a trouvée déjà établie.
Mais l’activité agricole qu’elle trouva en arrivant n’était alors qu’une activité complémentaire. Les champs n’étaient encore que des essarts ou des clairières partielles dans la grande sylve. Généraliser cette activité, universaliser cette clairière et en composer la campagne : voilà quelle fut l’œuvre de l’homme à tête ronde !… Il n’apporta pas un nouveau mode de vie : mais il lui donna l’extension qu’il a conservée.
De la race de l’est viennent donc surtout les essarts ou les vastes clairières, où l’immigrant a rétabli ces espaces dépouillés dont l’ampleur était familière à ses anciennes contemplations, et qu’entoure cet horizon lointain dont l’image dominait dans ses souvenirs.
Le village est entouré de ces étendues claires. Les maisons et les édifices sont groupés dans la proximité la plus étroite. Ce sont les villages en tas (haufendörfer).
Nous sommes tellement familiarisés avec cet aspect du village groupé que nous y voyons volontiers une habitude naturelle à l’homme. Or, à l’époque historique, à mesure que l’agriculteur s’éloigne d’une certaine influence originelle, il revient davantage à ses instincts. Et ce qui s’affirme alors, c’est la tendance, non pas au rassemblement des habitats, mais à leur dispersion. Même dans le cas de groupement villageois, l’homme ne consent à introduire sa demeure dans l’agglomération que si elle reste associée à son domaine et contigüe à sa terre.
Le village aggloméré en fait est le témoignage des influences ethniques qui ont présidé à l’élaboration de nos campagnes. La race fondatrice a réuni et fixé ses logis, réuni ou établi ses troupeaux, de la même manière qu’elle plantait jadis ses tentes, rassemblées au centre du morne horizon, et entourée par l’étendue hostile. Notre village, fixé pour toujours au centre de sa terre dépouillée, demeure même encore maintenant l’image attardée de ces tentes groupées que le nomade plie et déplie chaque soir et chaque matin. Dressé au milieu de l’étendue, à notre insu il porte pour nous, dans son attitude et dans son isolement, la confuse signification d’être encore le camp sur la plaine ; la halte du soir, le
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rassemblement craintif des logis d’une nuit sur la steppe éternelle, l’homme accablé par l’immensité ou la solitude !…
Mais dans l’étendue des champs eux-mêmes, nous retrouverons plus affirmée encore la tradition particulière à la vie pastorale. Le groupe des demeures a autour de lui le groupe des champs. Le village est entouré par les essarts ou la clairière culturale.
Ces essarts ou cette clairière culturale sont le témoignage de la manière dont l’homme a su traiter la terre. L’ampleur de ce défrichement initial nous accable. Son étendue a souvent débordé les forces de l’homme historique. Et depuis cette décisive conquête originelle faite sur la forêt, le laboureur a plus souvent cédé du terrain qu’il n’en a conquis.
Dans l’ensemble pourtant, cette clairière culturale reste la même qu’aux temps originels. Et depuis des millénaires, les mêmes lisières boisées l’entourent et les mêmes chemins la parcourent.
D’une certaine manière, nous pourrions dire que les mêmes champs la composent.
La campagne originelle était, tout comme la nôtre, découpée en nombreuses parcelles et lacérée partout de ces multiples lanières parallèles. Chacun de ces champs a pu varier ou avoir sa fortune particulière, l’aspect de l’ensemble resta néanmoins le même. Seul diffère le régime de l’exploitation. Tandis qu’en effet, de nos jours, chaque parcelle est propriété privée individuelle et a son indépendance de culture, à l’origine, l’ensemble des champs était soumis à un régime de propriété collective et d’exploitation communautaire. L’association villageoise, fondée pour l’essartage le défrichement et l’élaboration de la clairière, s’était continuée en une association de culture.
C’est dans l’établissement de ce système de travail en commun, de ce régime qui exclut l’initiative individuelle, que nous reconnaissons l’influence de la forte organisation tribale ; entretenue dans la race qui avait derrière elle les longues traditions de la vie nomade et pastorale. Et comme nous le verrons, ce sont de cette discipline de la terre que sortiront un jour les organisations territoriales du féodalisme, dont procédèrent nos États, nos sociétés ainsi que nos nations. Et de même, c’est dans la dissolution de ce régime originel, c’est dans la substitution de la propriété privée à la propriété collective, que nous reconnaissons l’influence de cet autochtone qui avait derrière lui sa farouche tradition de la vie individuelle. Il ne cessa de pousser le régime originel à donner à chacun sa terre et sa tâche particulière. Car l’âme ou l’esprit aussi, en lui, se limita comme l’étendue matérielle. Le paysan fut de tout temps l’homme d’un coin de sol ; et les bornes de son champ deviendront un jour pour lui des génies d’une assistance plus chère et plus certaine que les dieux illimités du Ciel.
Dans cette lumineuse clairière sur la sombre forêt des premiers âges, nous trouvons déjà fixés les germes de la double évolution, qui organisera en haut les destinées générales, et qui enracinera aussi à la base l’individu. Sur le territoire villageois flottent déjà les formes élémentaires qui grandiront et contiendront les États et les patries. Mais le champ, c’est l’individu avec l’indépendance de sa poignée de terre et la solitude de son âme.
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De la préhistoire à l’histoire.
À l’époque où la campagne achève de s’élaborer, les essarts ou la clairière culturale nous apparaissent comme une vaste étendue plus ou moins circulaire qui entoure le village, et dont une faible partie seulement, variable chaque année, sera livrée aux labours. Ils sont l’œuvre collective de toute la population villageoise. Chacun est déjà sans doute astreint journellement à la tâche commune. De ce labeur quotidien procède une unité apparente, la détermination d’une sorte de parcelle qui n’est pas encore la propriété privée, mais qui en dessine le champ.
Cette civilisation rurale, ces champs associés autour d’un village groupé, cette campagne au type si caractérisé, ces laboureurs organisés en une communauté agraire, ce système si général et si précis ; furent l’œuvre de ce peuple dont les origines complexes se sont révélées à nous. Cette civilisation rurale a en effet son aire d’expansion qui se superpose au territoire où s’est lentement élaboré ce peuple neuf.
L’aire des villages compacts et aux champs associés – disons plutôt « aux champs réunis en société » correspond exactement au territoire sur lequel s’est opéré le mélange ethnique dont les propriétés ont créé un Occident nouveau.
À la fin des temps néolithiques, ce territoire s’étend sur la Belgique, les régions rhénanes, l’Allemagne occidentale et méridionale, et la Suisse. Sans oublier la France septentrionale, moins l’Armorique
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cependant. Au début de l’Âge du bronze, le système réalise son maximum d’expansion en pénétrant et en occupant l’Angleterre.
Cette zone agricole, avons-nous dit, c’est celle sur laquelle les métissages ont constitué le peuple de l’agriculture organisée.
Vers l’est, la limite atteinte par la zone agricole et cette complexe nation rurale, semble être l’Elbe. Et là, au bord du grand fleuve, comme à l’ouest au bord sévère du Massif armoricain, disparaissent, avec les larges crânes, les vestiges des villages anciens.
Si les limites d’extension concordent, l’allure de la propagation est la même pour le type ethnique et pour le système agricole.
De même que la race initiatrice est venue de l’est, c’est de l’est qu’est venu le principe du régime agraire.
Le plus ancien site qui nous ait livré des crânes brachycéphales se trouve sur les plateaux du Jura Souabe, à Ofnet, près de Nördlingen, en Bavière. Là, dans des gisements de l’époque azilienne superposés à des couches de l’âge du renne, on a retrouvé huit crânes d’une extrême brachycéphalie.
Or ces pauvres plateaux calcaires des Alpes souabes étaient, aux temps néolithiques, couverts d’une végétation uniquement herbacée. C’est sur ces territoires naturellement déboisés, où le grand gibier se faisait rare et où la Nature donnait l’exemple de la végétation des graminées, que les hommes du Néolithique ont installé leurs premiers établissements sédentaires agricoles…
Aux plus lointaines origines se manifestent ainsi les concordances entre le type ethnique et un régime déjà caractérisé de l’exploitation du sol.
Ces steppes des Alpes souabes, où seraient apparus les premiers villages, étaient entourées de reliefs accentués où de plus abondantes précipitations atmosphériques maintenaient les formations végétales de la forêt. L’agriculture les contourna sans y pénétrer. Mais elle s’installa sur les sèches terrasses du plateau bavarois et dans les vallées suisses. C’est de là que partit vers l’ouest cette conquête du sol associée si exactement à la marche lente et à l’itinéraire parcouru par l’immigrant à tête ronde.
Enquête botanique et enquête anthropologique apportent des informations encore trop partielles et trop précaires pour que nous puissions relever partout la concordance entre l’extension du type humain et la propagation du régime agraire.
Les régions de l’est ne sont pas seulement les lieux de départ de l’extension ethnique et de la grande activité agricole. De là aussi arrive l’utile et incessant renouvellement. Par ces régions orientales s’introduisent les perfectionnements matériels, les progrès de l’outillage, les rites religieux. C’est de l’est qu’est originaire, à l’époque néolithique, le type de construction des palafittes qui, depuis la Haute-Autriche et la Carniole, se répand de proche en proche ; pour gagner la Suisse occidentale et la France à l’âge du bronze. C’est de l’est que se propagent les métaux. Quand ils ne sont pas introduits par le trafic maritime, c’est par la voie Danubienne qu’ils pénètrent en Occident. C’est de l’est qu’arrivent les hommes et les instruments, les dieu-ou-démons et la langue.
L’expansion agricole s’arrêta donc, avons-nous vu, sur les confins du Massif armoricain. De même que les conditions climatiques ont agi, en favorisant la steppe, pour déterminer les premiers centres de la vie agricole, de même elles sont intervenues pour en fixer les dernières étapes et en arrêter l’essor.
Les humides régions océaniques sont restées en dehors de la zone d’expansion agricole, comme elles restèrent en dehors de l’aire où s’élaborait la race agricole.
Dans l’Ouest, en effet, sous ce ciel mouillé d’embruns, sur ces terres engourdies, sur ces humus acides, la forêt resta maîtresse du sol. L’homme à tête ronde, qui avait trouvé, sur les plateaux calcaires de l’Est, des terrasses asséchées au sol chaud, propices à ses céréales, sentit dans ces pays de l’Ouest une nature qui lui refusait l’accueil en rebutant son labeur. En fin de compte, ce sont des conditions climatiques qui, en arrêtant le champ, arrêtèrent la marche de l’ouvrier agricole.
L’aire géographique de la campagne organisée s’arrête ainsi à l’Ouest aux régions trop humides, comme elle se termine vers l’Est aux régions déjà trop sèches du couloir danubien.
L’Armorique resta donc l’âpre terre schisteuse rayée de roches sombres où, sous un ciel à nuages, prospère la forêt, où se maintiennent les vieilles races que n’a pas encore pénétrées ou ranimées le sang celte. C’est le pays empli de bois, d’hommes de type ancien de clans et de tribus, de mythes sylvestres vieux comme les êtres. C’est la région mégalithique, où les champs deviennent des landes, où les morts sont des cendres, et dont les œuvres sont des tombeaux.
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NDLR. G. Roupnel esquisse là un peu trop rapidement à notre goût une ethnographie aux antipodes des vues actuelles sur le sujet : les Bretons armoricains ne sont pas de vrais Celtes, etc. Était-ce bien utile ?
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Et c’est en effet l’Océan qui a donné à toute cette région l’influence qui la vivifia, ainsi que le trait qui la marqua. C’est par la voie maritime, qui contournait la péninsule ibérique et suivait les rivages océaniques, qu’ont été introduits dans les pays d’Ouest les éléments étrangers de la civilisation néolithique. C’est par là que sont arrivés les types de constructions mégalithiques. C’est au bord de l’Océan qu’a cheminé cette divinité funéraire néolithique dont la face, réduite à une esquisse des yeux et des rides, était si étrangement semblable à la sévère idole égéenne gardienne des sépultures. Par cette même voie plus tard arrivèrent les métaux. C’est de l’Ibérie que la Celtique continentale occidentale et les îles Britanniques reçurent les secrets de la fonte du cuivre. Sur toutes ces contrées océaniques, par mer se propagea un outillage commun, hache plate et hache poignard, qui ne sont pas moins connues en Espagne qu’en Armorique ou en Irlande.
Depuis les temps néolithiques, l’Europe occidentale présente ainsi une sorte de façade maritime. De Tharsis aux îles Britanniques, par la Lusitanie, l’Armorique, les Cornouailles et l’Irlande, s’affirme une sorte d’unité indépendante de l’Europe continentale. L’Océan lui-même entretenait, sur ces contrées baignées de ses eaux, les types et l’unité d’une civilisation distincte, qu’il alimentait ou renouvelait sans cesse.
Cette façade maritime de nos pays d’Ouest s’érigeait ainsi en un monde particulier, où la vie continuait de se développer, sur une terre restée barbare. Et aux premiers âges du bronze, tandis que nos pays de l’Est étaient la campagne laborieuse, où partout la terre respirait entre les horizons clairs avec ses moissons et ses champs ; à la même époque, dans les pays de l’ouest océanique, les puissantes tribus continuaient de couvrir leur sol de grandioses et rudes sépultures, et de vouer leur vie et leur terre au culte des morts.
Le territoire de l’agriculture s’arrêtait ainsi aux vallées alpestres, aux régions pastorales du Massif central et au rebord oriental du Massif armoricain. En deçà de ces limites, jusque sur les plaines anglaise et germanique, et sur la haute vallée danubienne, s’étendait l’aire de la civilisation agricole. Ces plaines, ces reliefs faciles, cette surface continentale mollement vallonnée où prospéraient les communautés rurales et l’humanité villageoise, cette creuse arène où l’homme jetait ses semailles… c’était donc et cela resta, le jardin du Monde.
Cette formation ethnique que nous avons vue se réaliser en Occident, il est temps que nous en consacrions l’homogénéité sociale, en lui reconnaissant cette unité morale et spirituelle qui se traduit par la communauté d’une même langue. Est-ce à dire qu’il faille associer aux dernières migrations de la race brachycéphale l’expansion vers l’ouest d’une langue indo-européenne ?
Certes, il serait sans intérêt, mais aussi sans logique de tenter une identification entre ce que nous appelons la race brachycéphale et ce qu’il est convenu de dénommer les peuples indo-européens. Les réalités auxquelles pourraient s’appliquer ces deux appellations n’ont point de correspondance entre elles. Parler de « race brachycéphale », c’est parler d’une entité théorique, et se placer dans le Néolithique. Quant à l’indo-européen, il est moins une race ou un peuple qu’un ensemble de formations linguistiques de l’époque protohistorique.
Et pourtant, il existe entre les brachycéphales de l’époque néolithique et les vocabulaires indo-européens de l’époque protohistorique, un lien. Si l’une des deux expressions se réfère à d’anciennes origines ethniques, et l’autre à de tardifs résultats linguistiques, entre les archaïques origines et les résultats récents se déroule, comme entre la cause et l’effet ; toute la réalité de la longue histoire qui aboutit à l’unité d’une nation agricole ; d’une civilisation rurale, et d’une langue d’agriculture, dans l’Europe du Nord-Ouest.
Si l’on veut, tout se passe comme si l’immigration venue de l’est avait, en ses tardifs voyages, véhiculé avec elle des dialectes nouveaux.
Mais la réalité comme toujours est plus compliquée. La langue nouvelle se répandit parce qu’elle répondait à un besoin, et elle n’entra sur place que parce qu’elle était appelée. L’Europe occidentale, vouée uniquement à la vie agricole, s’ouvrit à l’expansion d’une langue qui était capable d’interpréter ces modes et ces conditions de vie. Sur l’Europe du Nord-Ouest, de la même façon que s’y étaient développées une nation et une civilisation agricoles, s’y constitua postérieurement une langue de la civilisation rurale, un langage de l’agriculture. Et cette langue agricole dériva nécessairement des mêmes sources où avaient donc été puisées l’origine ethnique ainsi que l’initiation à la vie des champs.
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Mais ce n’était pas seulement une langue d’agriculture dont l’Humanité rurale d’Occident avait besoin. Dans la mesure où sa civilisation agricole s’était généralisée, il lui fallait aussi un idiome capable d’exprimer des idées générales.
Cette langue nouvelle ne fut donc pas seulement celle des champs. L’idiome archaïque dont elle procédait avait ses origines dans cette race des steppes dont nous avons parlé ; il était préparé, mais aussi porté par le mouvement de cette vaste circulation intérieure… Et il transmit aux langues dérivées ces qualités de flexible universalité, qui en assurèrent la fortune.
Partout donc, l’idiome nouveau supplanta les dialectes locaux, le langage confiné dans l’étroite vie du clan. Car il fut la langue qui circula sur les grandes routes neuves d’un Monde qui s’ouvrait aux influences lointaines. Il fut l’instrument des relations commerciales et des rapports généraux, l’idiome d’une Humanité organisée, d’une société qui repose sur la prospérité familiale, et dont les dieux sont l’image grandie des hommes. Il commença de donner une expression de la vie morale à l’âme/esprit nouvelle qui s’ouvrait sous les Cieux.
À la fin de l’âge du bronze, cette civilisation agricole est ainsi à son apogée. Elle règne sur la plus grande partie de l’Europe occidentale. De la Bohème à l’Armorique, de l’Écosse au Massif central, elle impose partout le même aspect de paysage, le même régime agraire, la même société, la même langue, la même âme, le même esprit. Sous les variétés individuelles qui interprètent la riche multiplicité des origines, partout s’affirme cette harmonie de vie matérielle et morale où nous reconnaissons l’unité d’un peuple, l’être collectif, une nation.
Cet être collectif qui a existé, cette nation qui a prospéré, ce peuple bâtisseur de nos campagnes, et qui nous a fait le legs éternel de nos champs et de nos chemins, de nos voies et de nos destinées ; cet illustre méconnu à qui nous n’avons pas d’histoire à reconnaître… lui donnerons-nous un nom ?
Dès l’âge des premiers métaux, nous voyons, en Allemagne occidentale, deux ensembles de tribus d’archers ou de chasseurs, encadrer les paisibles populations de villageois. Retenues par les forêts, fixées ainsi sur les hauteurs, ces tribus ont pu vivre à côté des agriculteurs sans en troubler la paix. La régularité des dépôts archéologiques nous montre en effet une époque sans conflits violents. Une céramique funéraire particulière appartient à ces peuples chasseurs ; l’exiguïté de leurs cimetières nous laisse croire qu’ils étaient en mouvement constamment. Ce sont eux qui, dans la première partie de l’Âge du bronze, auraient envahi les îles Britanniques. Par la suite, de nouvelles vagues d’émigrants sortirent de ces foules qui ne trouvaient point leur place sur un sol attribué partout à de diligents labeurs. Sous le nom de Goïdels, de Pictes, de Britons, et de Belges, ils ont entretenu ainsi pendant plus d’un millénaire, les flots d’envahisseurs de l’Europe occidentale. En intégrant déjà peut-être, à la fin, quelques-uns de ces éléments nordiques qui se différencieront plus tard sous le nom de Germains.
Ces envahisseurs n’ont été jamais assez nombreux pour supplanter les anciennes populations agricoles. Ils n’ont même jamais réussi à en modifier le type, le mode de vie et régime de société. Ainsi s’explique que les campagnes organisées de l’Allemagne occidentale et de la France septentrionale, aient pu maintenir les cadres matériels de leur structuration.
Ces campagnes préservées ont même exercé une sorte de filtrage de ces invasions celtes. Au début, elles en ont laissé passer les formations faibles, qui, associées sans doute à des éléments indigènes que libérait le désordre, sont allées entreprendre la colonisation agricole de l’ouest, resté un sol libre. Tels les Goïdels traversant sans se fixer la Grande-Bretagne, et allant finalement réaliser leur établissement jusqu’en Irlande !…
L’agriculture, avons-nous dit, ne fut pas, dans nos pays, la révélation apportée par d’ingénieux vainqueurs. C’est progressivement que cette activité nouvelle s’est développée au sein de sociétés qui étaient naturellement préparées à la recevoir. La fondation de nos campagnes fut l’œuvre où, sous l’influence excitatrice du dehors, vint s’achever l’expérience qu’avaient entretenue les lieux et les siècles du passé.
Le secteur cultural, élément essentiel de la campagne primitive, fut-il à l’origine un chantier ouvert à des labeurs individuels, et où s’exerçaient des initiatives sans règlement ? Nous verrons qu’il n’en est rien à ce sujet. Le régime de l’exploitation agraire originelle est de nature collective.
Certes, il nous est bien difficile de décrire avec précision ce régime primitif. Mais nous aurons maintes fois l’occasion d’en détecter les traces et les vestiges. C’est en Angleterre que les traditions archaïques se sont le mieux maintenues ; c’est là, en effet, que le régime originel de la terre s’est le plus tardivement introduit. Certaines survivances ont longtemps persisté ; et c’est à la lueur furtive de ces témoignages que s’éclaire un peu pour nous, le mystère des institutions rurales originelles.
Isolons et précisons dès maintenant un de ces témoignages.
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Nous voyons qu’au temps du Domesday book, l’attelage normal était de huit bœufs. Ces huit bœufs, évidemment, peu de cultivateurs les avaient. Les travaux du labourage impliquaient donc nécessairement, un régime d’association, un système de prestations auxquelles les villageois étaient assujettis en fonction du troupeau qu’ils avaient.
Ne cherchons point à savoir si toutes les opérations culturales se faisaient par équipe de plusieurs hommes, ou si quelques-unes, comme les semailles par exemple, avaient le caractère de tâches individuelles. L’essentiel est de bien voir que la prestation imposée prenait de toute manière la forme d’une « journée de travail ».
Ce champ originel, ce champ type, les conditions de l’exploitation primitive n’en déterminent pas seulement l’étendue, mais encore la forme et la situation.
À l’origine, en effet, parce qu’il correspond à une tâche de labour, il correspond à un certain nombre de sillons plus qu’à une superficie agraire. C’est là encore une très vieille tradition. Elle s’est maintenue dans les pays où la civilisation néolithique a réalisé ses plus tardives expansions, et où ses souvenirs se sont en quelque sorte attardés. En Irlande, jusqu’au Moyen-âge, l’unité agraire fut un certain nombre de sillons, et non pas une superficie.
Il en fut de même en Angleterre. La contenance de l’ « acre » est en effet originellement la surface de terrain qu’un paysan peut labourer avec un bœuf en une journée. Et cette superficie standard, l’usage la maintient encore pour les parcelles privilégiées qu’un antique statut a immobilisées dans leurs formes et leurs dimensions anciennes. En certains villages en effet, les circonstances ont favorisé la persistance d’un très ancien régime du sol. Dans celui de Hitchin (Hertfordshire), par exemple, qui est une demeure royale appartenant à la Couronne depuis Édouard le Confesseur, le territoire est divisé en parcelles d’égales dimensions. Et la superficie de cette parcelle standard s’avère identique à l’unité de mesure agraire, l’ « acre ».
En Angleterre, le champ originel n’est plus seulement la persistance sur le sol d’une réalité physique ; mais c’est ce champ primitif qui donne sa mesure à l’étendue et à l’espace. De cette « acre », de ce champ type, se sont dégagées ainsi les mesures de longueur. Le furlong n’est pas autre chose. Le mot en dit l’origine. Ce « furrow long » est la longueur du sillon depuis le lieu où la charrue l’engage jusqu’au point où elle le termine, soit 201 mètres.
En Angleterre, la correspondance entre les mesures agraires et les tâches humaines est d’une précision plus significative encore. La contenance de la parcelle originelle est non seulement identique à l’unité de superficie agraire, à l’acre, mais la forme même de cette parcelle s’imposa aussi à l’unité de mesure. Une loi de la trente-troisième année du règne d’Édouard le Confesseur règle en effet l’étendue de l’acre, non d’après une superficie, mais d’après des dimensions. C’est l’étendue rectangulaire qui a un « furlong » de longueur, et quatre perches ou « rods » de largeur, c’est-à-dire 201,164 mètres.
Nous voyons affirmé ainsi que l’acre fut à l’origine le champ lui-même. Non plus seulement dans son étendue superficielle, mais tel que le définissaient sa forme et ses dimensions, c’est-à-dire tel que l’ont construit les labeurs humains.
Cela prendra toute sa signification si l’on rapproche le mot acre de l’allemand acker, du latin ager, et du grec agros.
Aux antiques époques de l’Âge du bronze, quand se généralise en Angleterre, avec les usages de la civilisation agricole, l’emploi de l’idiome indo-européen, les premiers champs furent désignés par le mot qui les définissait ; autant dans leur forme partout semblable, que dans leur étendue partout uniforme.
Dans cette civilisation rurale de l’ancien Occident, le champ a eu en tous lieux les mêmes dimensions et une structure analogue, que déterminait la même fondamentale commune mesure, le même labeur humain, la tâche du jour.
Nous venons de voir le champ se déterminer dans les travaux du labourage, fixer son étendue sur la tâche d’une journée, ajuster sa longueur au parcours des charrues, et régler sa largeur sur le geste auguste du semeur.
Ne nous imaginons pas en effet que le puissant attelage des laboureurs – disons des défricheurs primitifs – pût opérer ainsi exploitant par exploitant, et mettre en état les terres en dispersant ses sillons selon les gens, au lieu de les grouper selon les lieux. Le croire serait supposer qu’un régime préalable d’appropriation du sol avait déjà été réalisé, que les droits à la terre ont précédé les tâches, et que l’œuvre était distribuée avant d’avoir été faite.
À l’origine, le travail en groupe était une obligation qu’imposaient les conditions particulièrement pénibles du labourage primitif.
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Ce dernier consistait en effet en la remise en état comme avant d’un territoire qu’avait envahi la friche ou le taillis. C’était chaque année comme un essartage ou un défrichement nouveau, qui exigeait ses forts attelages et ses robustes ouvriers. C’est sur un vaste champ qu’opéraient ainsi chaque charrue et chaque équipe. Chacun de ces chantiers d’un puissant labour correspondit donc à une sorte de quartier rural qui avait son unité structurale. Les sillons y étaient de même sens et de même longueur. L’ensemble composait une pièce massive, un grand carré ou un épais rectangle. Ces quartiers de labour existent encore maintenant. Ce sont les blocs rubanés qui donnent à notre campagne son aspect significatif, sa structure en damier. Ils assemblent, en bandes parallèles et d’égale longueur, des parcelles qui furent à l’origine les anciens lots individuels.
Cet ample chantier d’un essartage ou d’un labour commun était partagé entre tous les fournisseurs de la prestation ; chacun recevait le champ de sa tâche particulière dans les travaux que le cultivateur assume isolément. La part individuelle, la parcelle, le champ, seraient nés ainsi sous le geste du semeur. Or, celui qui jette la semence récolte nécessairement la moisson. Et le vieil homme de ces temps-là était déjà ce paysan pour qui la récolte est moins le produit du sol que le résultat de son effort ; moins le fruit de sa terre que le témoignage qui affirme sa valeur, justifie et glorifie sa peine.
Ce caractère d’une exploitation rurale, individuelle dans ses initiatives, collective dans ses moyens, n’est-ce pas celui qui se manifeste encore aujourd’hui, à l’occasion de certaines opérations culturales qui mettent en action un dispendieux machinisme ?
Pendant longtemps, ainsi que nous l’avons vu en effet, l’agriculture n’a cessé chaque année de déplacer son territoire autour du village. Or ces champs, qui sont assignés au villageois pendant l’année culturale, disparaîtront-ils quand cessera l’exploitation du secteur ? Quand le territoire sera rendu à la pâture, seront-ils rendus à l’indivision ?… Ou bien au contraire, à chaque restauration périodique de la culture, sont-ils restaurés dans leur forme, leur situation, et leur attribution initiales ? En discuter, c’est déterminer si le morcellement parcellaire fut annuel ou s’il fut définitif.
Mais d’abord, ces champs ont-ils vraiment disparu ? La restitution à la pâture d’un territoire cultivé ne fut qu’un éphémère effacement des fugaces vestiges de la culture. En réalité, sous l’herbe des pâturages, le champ de chaque tâche individuelle subsiste à l’état d’unité cadastrale. Sur le sol, une forme terrestre, une configuration idéale du terrain, continue d’attendre le retour périodique du labeur qui en rétablira l’active réalité.
Les mêmes procédés cadastraux, qu’ont employés les fellahs de l’ancienne Égypte pour retrouver après l’inondation leurs champs submergés sous les limons, ont sans doute permis au cultivateur occidental de repérer son champ effacé sous les herbes. De même que dans l’ancienne Égypte, les chaussées dépassant des eaux, étaient les traits préservés du repérage cadastral, les chemins étaient l’indestructible charpente sur laquelle était bâtie notre campagne originelle ; ils étaient les lignes du lotissement des tâches individuelles. C’est sur eux que venaient aboutir les chantiers du labour ; c’est sur eux que s’amorçaient tous les sillons, et que toutes les charrues alignaient les départs ainsi que les retours de leurs paisibles voyages. Tous les champs d’un canton ayant un même nombre de sillons, il était aisé ainsi, de rétablir le long de ces stables alignements, la fidèle succession des tâches qui en partaient. Donc de rendre chaque année à chacun l’ancien champ de ses labours.
Non seulement cette restitution était possible, mais elle était nécessaire. Rendre le laboureur à son ancien champ, c’est en effet le rendre à un vieil attachement. C’est le rendre à l’œuvre où il a mis sa peine et à laquelle il s’est donné. À chaque restauration périodique du secteur cultivé, on rendit à chacun le terrain qu’il avait façonné, qu’il avait maintes fois déjà ouvert aux semailles et livré à un blé nouveau.
C’est à cette condition que la terre reçut de l’homme tout ce qu’il put lui donner. Cette terre, à l’origine, elle n’est pas le chantier d’un jour, la tâche d’une année, la vaillance et la sueur d’une saison. Mais elle est l’ouvrage de toute une vie ; et elle entre à jamais dans la succession des générations. Une tradition remontant à la nuit des temps maintenait à l’homme des premiers labours ce droit de reprendre toujours aux mêmes endroits qu’il avait façonnés, la tâche interrompue. Ces Anciens avaient déjà tous ainsi « leur terre ». Mais cette terre n’était à eux que parce qu’ils pouvaient se donner à elle. Ce fut la première et touchante forme d’un attachement qui deviendra un jour les chaînes de la servitude. Ces laboureurs – qui commencent tellement d’aimer une terre qu’ils en deviendront plus tard les esclaves, les serfs – n’ont encore d’autre privilège, sur ce terrain qui leur est réservé, que celui de vivre et de peiner à son service. Le privilège qu’ils en tirent est moins notre moderne droit de propriété que le droit d’en assumer les fatigues et les travaux… ce droit d’en peiner, ce droit d’en souffrir, qui vaut déjà un droit d’aimer. Cette définitive attribution du sol n’était pas une appropriation.
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Pendant des siècles, pendant des millénaires, la propriété rurale conservera des traces de son origine. Les servitudes qui la grèveront seront moins une obligation établie par des dominateurs, moins une charge imposée d’en haut, que des vestiges d’une origine. Qu’importe si ces obligations payables en nature, et en argent, ont été confisquées par un individu, ou par un chef féodal ! Jusqu’aux temps modernes, prestations, cens, mainmorte et banalités (droits dus au seigneur pour l’usage – obligatoire – de son moulin de son four et de son pressoir) resteront les témoignages d’une propriété collective originelle et des anciens droits de tous sur la part de chacun.
L’attachement de l’homme à la terre ne fut pas la seule cause qui rendit définitives les affectations du sol. La répartition était une opération trop difficile pour qu’on pût la recommencer souvent. Et elle devint de plus en plus impraticable à mesure que le territoire cultivé prit de l’extension.
Le régime du morcellement parcellaire n’a certes pas été l’œuvre brève et précise ou le trait qui se fixe sans hésiter, sans flottement. Ces hésitations, nous les soupçonnons ; ces flottements, nous les entrevoyons. Nous avons parlé comme si tout avait été projet délibéré ou ordre prémédité. Or, ce qui s’est établi, c’est moins dans ce cas un système logique qu’un régime de fortune, qui était à chaque fois l’improvisation de l’indocile humeur humaine. C’est à leur insu que les laboureurs primitifs ont fini par prendre ces habitudes de labeur, qui épargnent la recherche, économisent l’effort, et préviennent le désordre. À chaque restauration du territoire agraire, ils se trouvaient sans doute moins en un lieu semblable que dans un même déroulement des tâches. Durant cette période de l’organisation préalable, on a moins dû se soucier de retrouver « son champ » que de reprendre « son rang »… Ce rang sur le chantier, peut-être était-il déjà, peut-être devint-il, rang social. Les cultivateurs barbares, qu’observa Tacite en Germanie, en étaient encore à ce partage originel du sol secundum dignationem.
Le droit de toujours cultiver le même champ n’a été au début qu’une habitude humaine de se répartir les tâches, jusqu’à ce que cette place fixât le sol et réglât la terre. Ici encore, le droit ne fut qu’une habitude consacrée par le temps, et en matière de propriété du sol, jus et mos ont même valeur, même sens.
L’évolution du système.
Cette révolution, nous la retrouverons en Angleterre ; mais, développée sur une durée plus brève, elle a pris de ce resserrement dans le temps une plus grande précision de traits.
Introduit en Angleterre seulement au début de l’Âge du bronze, le régime des campagnes à champs associés n’y a pas connu les indécisions des lentes élaborations ; mais y a pris d’emblée la rigueur d’un système éprouvé. Aussi est-ce en Angleterre que nous avons vu persister les usages agraires les plus caractéristiques de l’économie rurale primitive. Mais, sur le plan social, la conservation de ce régime originel ne fut pas d’une moindre évidence. Et jusqu’au Moyen-âge, la communauté villageoise anglaise maintint ses lignes anciennes dans le système manorial.
À l’époque de la conquête normande, la communauté villageoise anglaise nous apparaît encore, en effet, la réalité la plus affirmée de la société rurale. Cette communauté, nous la voyons non seulement jouir des terres inoccupées, réglementer les usages agraires, procéder à la division périodique des rares prairies, mais encore se manifester en tant que personne. Elle est collectivement responsable devant le seigneur de l’acquittement des redevances et des services. Il lui arrive même, pour se préserver des exactions du bailli, d’affermer ces redevances et de les administrer elle-même. En maintes circonstances, nous voyons le village intervenir ainsi comme une personne juridique, conclure des arrangements, échanger des droits. Le village a un bailli local élu qui le représente avec quatre autres hommes à l’assemblée du canton qui regroupe différents villages).
Dans le système de droits et de rapports personnels que la conquête normande a généralisé, les anciens principes d’action et de responsabilité communes restent donc encore bien vivants. La communauté, reconnue sous son nom, est si bien acceptée en ses effets, qu’elle reste parfois même, affranchie de toute dépendance ; et c’est ainsi que l’on trouve encore dans le Domesday book, des communautés qui ne relèvent de l’autorité d’aucun seigneur. Ce qui correspond dans les îles Shetland et les Orcades aux terres relevant du droit Udal et sur le continent aux alleux [comme celui de Boisbelle-Henrichemont que le compilateur de cette série d’ouvrages a personnellement très bien connu].
Il arrive même que nous puissions surprendre encore cette communauté villageoise dans les gestes de son activité primitive. On la voit procéder à des allotissements de propriétés restées indivises ; à l’occasion, elle assure une nouvelle répartition des fermes et des espaces clos qui les entourent 1). Elle constitue de nouveaux modes de faire valoir au bénéfice des indigents. Elle intervient pour donner son consentement à la construction du moulin seigneurial. Et elle nous apparaît ainsi n’être
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pas encore complètement dépouillée au profit du seigneur d’un droit de contrôle sur les travaux d’utilité publique. Cette communauté villageoise, le système féodal et le système manorial n’ont pas réussi à l’étouffer. Elle est restée en Angleterre, jusqu’en plein Moyen-âge, une forme discernable et une force active. Alors qu’en France et en Allemagne, seigneurie et gesellschaft lui ont porté un coup et une altération qui en laissent à peine reconnaître la nature ou soupçonner l’esprit.
C’est d’ailleurs tout le système manorial qui dérive, en ses éléments essentiels, de ces lointaines origines où tout se ramène. Et le mécanisme d’évolution est ici beaucoup plus précis qu’en France. Ce seigneur anglais n’est manifestement au début qu’un chef sans seigneurie territoriale. G. Roupnel (Histoire de la campagne 1932).
Mais laissons-là cette nouvelle Astrée due à la plume de Roupnel et revenons à nos moutons comme on dit par chez nous (ce qui, pour une pastorale…) c’est-à-dire en l’occurrence au Lebor Gabala Érenn. Tous les historiens s’accordent à reconnaître en effet que les choses sérieuses (bon rapport mythe panceltique originel/histoire vraie) commencent avec le peuplement du Nemet-Cornunnos autrement dit celui qui suit le premier peuplement, celui de Cicolluis le débile à la jambe tordue n’ayant de bons rapports… qu’avec le mythe !
1) Voir le système écossais du crofting.
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ANNEXE N° 1.
NOTE D’HENRI LIZERAY SUR LE CULTE DE CROM CRUAC.
Crom Cruac, Crom le sanglant, Cromdubh, Crom le Noir, Cenn Cruac, la Tête sanglante, tels étaient les noms de la principale idole adorée en Irlande.
Le culte du dieu de la terreur se célébrait dans la Plaine de l’adoration (Mac Sleact) située dans le présent comté de Cavan, baronnie de Tullyhow. Le dieu était représenté par une statue d’or ou d’argent, entourée de douze idoles en bronze. Ce monument semble avoir été le prototype des Cromleacs (pierres de Crom) composés d’une large dalle (dolmen) toujours inclinée à l’est, et placée au milieu de douze pierres disposées en cercle. La principale fête en l’honneur de Crom avait lieu le jour de Samain, correspondant au premier novembre. Samain signifie Fin de printemps. Le dimanche qui précède la Toussaint est encore appelé par les Irlandais Dimanche de Crom le Noir.
La seconde fête avait lieu le premier mai, jour encore nommé Bealtainé : Feux de Bel. La nuit du premier mai, on éteignait tous les feux sur chaque terre, et défense était faite par le roi, sous peine de mort, d’allumer aucun feu en Irlande, avant celui de Tara.
Les tours rondes nommées Tuir aghas, Tuir ain, c’est-à-dire Tours à feu, servaient à apercevoir le nouveau feu allumé à Tara, à en communiquer la nouvelle au moyen du feu qui donnait le signal des réjouissances.
La fécondité solaire, autrefois exprimée par des emblèmes phalliques, nous a fourni l’explication de la forme donnée aux tours à feu. On trouve encore de semblables monuments dans les Indes et en Perse. Ils sont toujours annexés à des bâtiments consacrés au culte. Leur exiguïté et l’absence de toute trace de lutte ne permettent pas de les considérer comme des forteresses.
Crom est le même dieu que Saturne, Cronos en grec. César l’appelle Dis. Le mot Crom signifie courbe et désigne la révolution circulaire des astres. Les solennités du mois de mai et du mois de novembre sont des institutions primitives. Au printemps, on offrait en sacrifices au dieu, c’est-à-dire à ses prêtres, les primeurs et les premiers nés des animaux, d’après les Dinnsenchus, cités dans la Vie tripartite de saint Patrice. En novembre, premier des mois noirs, lorsque les productions du sol faisaient défaut, on y suppléait par l’abattage du bétail ou par la chasse ouverte après le dépouillement des forêts.
Cependant ces explications ne justifient pas le surnom de dieu de la terreur. Les théocraties ne vont pas sans sacrifices humains, et il n’a pas toujours fait bon de vivre aux anciennes époques, parmi les anthropophages. Du moins, ce reproche est adressé aux Bretons et aux Irlandais par les historiens grecs et latins.
Crom est Cronos, c’est-à-dire le Temps. Comme les religions ne sont que des symboles, on sacrifia des victimes à Crom par analogie avec le Temps qui consomme tout, edax rerum. On reconnaissait les mêmes dispositions à Bel, le soleil du printemps, car le mot bel signifie bouche. Le soleil, en effet, est la bouche béante vers laquelle se précipitent, après plus ou moins de durée, tous les êtres animés pour être rénovés et refaits sous une forme plus pure. Rabelais, dans son livre qui doit être considéré comme la bible des nations celtiques, nous a conservé un écho de ces traditions, en célébrant le personnage allégorique de Gargantua (Henri Lizeray).
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ANNEXE N° 2.
NOTE D’HENRI LIZERAY SUR LES MALHEURS DE L’IRLANDE AU XIXe SIÈCLE.
On aura une idée de la misère endémique dans l’Irlande quand on saura qu’au recensement de 1841, on avait compté 8,175,125 habitants, tandis qu’il en restait seulement 5,764,543 en 1861, soit 2,400,000 personnes de moins pour une période de dix ans. En 1867, la population avait baissé à 5,557,000 habitants, en majeure partie rendus infirmes par les privations et la faim. Peuplée dans la même proportion que la Belgique l’Irlande aurait 8,200,000 habitants.
L’indigène irlandais meurt de faim sur un sol exceptionnellement riche, dont la couche végétale mesure jusqu’à un mètre cinquante de profondeur. Avec son goût pour l’agriculture le paysan irlandais, utilisant ses bras pour vivre, pourrait joyeusement élever les siens s’il lui était permis de travailler. Mais les huit ou dix lords possesseurs de l’Irlande ont intérêt à ce que les pauvres ne se multiplient pas malthusianisme).
Assurés du superflu les propriétaires attendent que la friche se couvre du simple brin d’herbe nécessaire à la nourriture des troupeaux : ce mode d’exploitation du sol, très peu rémunérateur, n’a été en usage que chez les peuples anciens ou chez les sauvages. Le paysan veut-il cultiver sa ferme habituellement louée à l’année ? Aussitôt son loyer est augmenté de sorte qu’il a encore avantage à ne rien faire. De même pour la pêche : cette ressource naturelle d’une île aux côtes poissonneuses a été rendue impossible par le retrait des subventions et par la dureté des conditions imposées.
Nous reconnaissons chez l’Anglais le sens pratique de la vie, un caractère sociable, endurant, indépendant, sans mesquinerie ni obséquiosité, d’ailleurs personnel, aristocrate, ne sympathisant pas avec les Celtes non plus qu’avec les Allemands brutaux.
Mais, à l’égard de l’Irlande, les Anglais se sont montrés d’une cruauté et d’une hypocrisie raffinées. Depuis l’établissement de la domination anglaise, l’histoire d’Irlande mentionne à chaque page des spoliations, des confiscations de biens en masse et par provinces, des vols de titres de propriétés attribuées ensuite aux étrangers, la ruine systématique de l’industrie nationale chargée d’impôts et d’entraves pour satisfaire la jalousie des manufacturiers anglais. On trouve dans cette même histoire des troubles fomentés par la police afin de fournir prétextes à la répression, des déportations, des dénonciations, des trahisons, la chasse aux patriotes traqués jusque dans les forêts et exclus de tous les emplois, la complicité des juges dans tous les crimes, le sang injustement versé, le massacre des prisonniers de guerre préalablement coiffés d’un bonnet enduit de poix que l’on allumait et que l’on arrachait avec les chairs y adhérant (Wexford 1798 ? Drogheda 1649 ?), la haine s’exerçant jusque sur les manuscrits gaéliques recherchés par un comité chargé de les détruire, l’extermination de tout un peuple voulue par ses spoliateurs. On y trouve encore la violation du traité de Limerick et la famine factice de 1847 : les Irlandais moururent de faim, alors, par centaines de mille, tandis que le blé donnait une bonne récolte et que tous les jours des bœufs étaient exportés de Dublin pour l’Angleterre en quantité suffisante pour nourrir quatre ou cinq fois le nombre des affamés. Par une conséquence de l’absentéisme, tout le numéraire était passé en Angleterre et les Irlandais n’avaient pas d’argent pour acheter de la viande, des œufs, du beurre et les autres produits de leur pays. Aujourd’hui encore c’est tout au plus s’ils peuvent se procurer un repas de pommes de terre, et lorsque cette faible ressource vient à manquer, c’est, comme en 1847, la famine suivie de mort pour une grande partie de la population.
Cependant pour remédier au paupérisme de tout un peuple spolié de ses droits, de ses biens, de ses emplois et privé de travail et de ressources, le gouvernement anglais a promulgué sa fameuse Loi des Pauvres qui édictait que tout mendiant robuste serait fouetté la première fois, et puni de mort, la seconde fois, comme félon et ennemi du bien public. L’appel à la charité devint un crime en pays chrétien.
Les Anglais, d’ailleurs inférieurs aux Celtes Irlandais, Écossais, Gallois dans toutes les manifestations intellectuelles, telles que politique, lettres, sciences, guerre, marine (ce sont, il est vrai, d’excellents palefreniers) les Anglais, partisans du « at home », devraient s’aviser qu’ils ne sont pas chez eux en Irlande, en Écosse, ni dans toute la Grande-Bretagne ; ils devraient aussi se rappeler que l’application
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barbare du principe de la struggle for life entraîne toujours comme conséquence la loi du talion ; ils devraient enfin ne jamais perdre de vue que leur puissance maritime est la plus sujette à couler, puisque pour obtenir ce résultat du jour au lendemain il suffirait d’un simple bateau torpilleur.
Durant l’espace d’un demi-siècle, de 1691 à 1745, quatre cent cinquante mille soldats irlandais ont versé leur sang au service de la France. La célèbre brigade irlandaise a, de plus, donné le sien à nos côtés sur tous les champs de bataille, jusqu’à son licenciement en 1792. C’est ce qu’un Français ne peut se rappeler sans désirer le relèvement de cette vaillante nation.
POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
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« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?)
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
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IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails, voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir
entre ancien druidisme et néo-druidisme.
— Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
— Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
— Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
— Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
— Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Première partie.
Mise au point préalable.
Rappel
Caractères généraux de la littérature irlandaise
Les différents livres (anciens) sur le peuplement de l’Irlande
Premiers essais de classement des différents peuplements de l’Irlande
Présentation de ces textes par Henri Lizeray
À la recherche du mythe panceltique originel perdu
Cicolluis le débile à la jambe tordue
Céasair
Partolan
L’adultère de la femme de Partolan
L’œuvre de Partolan
Nemid
Les Fir-Bolgs
Les enfants de la déesse Danu (les dieux).
Réflexions diverses sur l’origine et l’organisation du panthéon irlandais
Deuxième partie.
Vraies généralités sur la Préhistoire
Le Mésolithique en Écosse
Le Mésolithique en Irlande
Les champs Chéide
Retour sur les derniers chasseurs-cueilleurs
Réflexion sur les champs Cheide du comté de Mayo
Retour sur les champs Cheide
ANNEXES.
Annexe N° 1 Note d’Henri Lizeray sur le culte de Crom Cruach
Annexe N° 2 Note d’Henri Lizeray sur les malheurs de l’Irlande au XIXe s.
Postface à la manière de John Toland
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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