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DES FÉNIANES AUX CULDÉES
OU
LA GRANDE SCIENCE QUI ÉCLAIRE.
TOME I.
FIANAIGECHT LE CYCLE DES FÉNIANES.
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AVERTISSEMENT AU LECTEUR.
« Cia do chomainmsiu ? » ol Médb frisin n-in gin.
« Fedelm banfili, do Chonnachtaib, mo ainmsea » or ind ingen.
« Can dothéig ? » or Medb.
« hAlbain iar foglaim filidechta » or ind ingen.
« ln fil imbass forosna lat ? » or Medb.
« Fil cin » or ind ingen.
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REGAIN, RÉSURGENCE ET RENAISSANCE, OUI ! RÉSURRECTION À L’IDENTIQUE, NON !
« C’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin ».
La comparaison est un processus mental fondamental : regrouper certains faits dans des catégories communes, mais aussi observer les différences. De tels liens et relations sont à la base de la pensée et de la science. Sans cela il n’y a que des faits isolés sans liens entre eux. C’est donc sur la base de la comparaison que naissent les généralisations, les interprétations et les théories. La comparaison crée de nouvelles façons de voir et d’organiser le monde. Le comparatisme religieux est donc vieux comme le monde. Hérodote en faisait déjà. En ce qui concerne les religions antiques, cette démarche intellectuelle a produit de nombreux ouvrages rangés dans les rayonnages « mythologie comparée » depuis Max Muller (1823-1900). En ce qui concerne les religions non antiques il en va tout autrement. Chaque religion s’est bien entendu comparée à celles avec lesquelles elle était en concurrence, mais d’abord pour les dénigrer ou affirmer sa supériorité. Les premiers éléments d’un début de comparatisme religieux plus objectif se trouvent actuellement éparpillés sous l’étiquette « dialogue religieux » et proviennent généralement des religions se définissant elles-mêmes comme monothéistes vu leur extension de par le monde. Le tout dans un but apologétique ou missionnaire évidemment. D’où problème. Nous trouvons également des réflexions utiles dans les cercles relevant plus ou moins de l’athéisme, mais elles sont…
— Soit détaillées, mais focalisées sur une religion particulière.
— Soit plus générales, mais assez sommaires.
Et relèvent d’ailleurs aussi le plus souvent de l’histoire des religions, mais le tout dans une optique non croyante. De grands noms jalonnent cette histoire depuis William Robertson Smith (religion des Sémites) jusqu’à Mircea Eliade en passant par Émile Durkheim. D’autres auteurs ont ouvert de nombreuses pistes en ce domaine. Notre idée est D’EN PROLONGER UN CERTAIN NOMBRE EN ALLANT ENCORE PLUS LOIN DANS CE COMPARATISME RELIGIEUX (élargissement du champ des recherches anthropologiques, approfondissement des soubassements psychologiques, fin des survalorisations, décolonisation, antiracisme nouvelles hypothèses…) ET EN REPRENANT LE FIL INTERROMPU DE LEUR PASSIONNANTE QUÊTE DU GRAAL INACHEVÉE CAR, l’ancien druidisme est un peu comme le célèbre conte du Graal de Perceval et de Gauvain. C’est une histoire inachevée, qui s’interrompt brutalement après les 9000 premiers vers. Notre projet est d’en écrire la suite. Une continuation disait-on à l’époque. Ces petits cahiers destinés aux futurs très-sachants, se veulent à la fois une continuation et une mise en garde. Une continuation ou un ultime prolongement, car ils ont été composés à la manière des théologiens (chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans, etc.) du moins dans ce qu’ils avaient, tous, de meilleur (des éléments souvent d’origine païenne en fait). Une des fonctions de l’imitation a toujours été, en effet, dans les littératures orales populaires, de répondre à l’attente du public, frustré par l’interruption de la création originelle [en l’occurrence la philosophie druidique]. À cette attente a répondu au Moyen-âge, la technique narrative cyclique de la poésie épique des chansons de geste ou celle des Romans de la Table ronde. La voie du pastiche est celle qui consiste à enrichir l’original en le complétant par des touches successives, en développant des détails à peine esquissés, ou en interprétant ses ombres. Et ça, la pensée de nos ancêtres en avait bien besoin ! Mais cette compilation raisonnée, due à la plume de Pierre de La Crau, est aussi en un sens une mise en garde, car il ne fut jamais question, néanmoins, pour le maître d’œuvre de ce travail collectif, d’avaliser tel quel et sans réserve aucune, l’ensemble de ces doctrines. Il a au contraire souhaité, par toutes sortes de moyens littéraires (retournement des arguments, contre-pied, ou autres…) en faire ressortir les aspects souvent négatifs, néfastes, aliénants ou obscurantistes ; et si ce texte peut sembler parfois, rendre indirectement hommage à la capacité de réflexion des diverses Écoles théologiques actuelles, chrétiennes, musulmanes, juives, ou autres, c’est involontairement ; car son but est bien de tout faire, pour leur arracher, des mains, le monopole du discours sur le divin (voir à ce sujet les propos d’Albert Bayet), quitte à achever de les discréditer définitivement aux yeux du public. Sauf en ce qui concerne ce qu’elles ont emprunté de mieux au paganisme, évidemment, et qui est énorme ; car dans ce dernier cas, il s’agit, rappelons-le encore une fois, de la part du maître d’œuvre de cette compilation, d’une réadaptation à notre monde, des réflexions de ces apprentis théologiens (le dieu des philosophes, l’Ahoura Mazda, l’immortalité de l’âme, les hommes-dieux, les fils de dieu, le messie Saoshyant, la trinité, le taouaf, les sacrifices, la vie après la mort, sans compter les chérubins le paradis, etc.)En d’autres termes non pas de l’Histoire, mais une fiction historique, d’après les œuvres de… voir la bibliographie à la fin. En ce sens, notre « imitation » n’est qu’un retour aux sources. En bref un hommage.
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« Le Druidisme » est une revue indépendante (indépendante de toute association religieuse ou politique) et qui n’a qu’un seul but : la recherche théorique ou fondamentale en matière de néopaganisme.
Car ainsi que l’a très bien vu Carl Gustave Jung la religion n’est jamais que « l’observation attentive de forces tenues pour des ‘puissances’ : les esprits, les démons, les dieux, les lois, les idées, les idéaux, ou autres, suivant le nom qu’on leur a donné et que l’homme a considéré comme étant assez puissantes, dangereuses, ou utiles pour être soigneusement prises en compte ; ou assez grandes, belles et porteuses de sens pour être pieusement adorées voire aimées » (Psychologie et Religion 1937).
La double question à laquelle essaie de répondre cette revue d’études théoriques pourrait se résumer ainsi : « Que pourrait être ou que devrait être, un néo-druidisme actuel, moderne et contemporain ? »
« Le Druidisme » est une revue néopaïenne, strictement néopaïenne, héritière de tous les mouvements authentiques (c’est-à-dire non chrétiens) qui se sont succédé depuis deux mille ans, l’héritière indirecte, mais l’héritière, quand même ! À propos de notre tradition de référence ou de notre filiation intellectuelle soulignons que si les « poètes » du royaume de Domnall mac Muirchertach Ua Néill avaient toujours les imbas forosnai, les teimn laegda ainsi que les dichetal do chennaib, à leur répertoire (cf. la conclusion de l’histoire du pillage du château de Maelmilscothach, d’Urard Mac Coisé, un poète mort au XIe siècle)*, ils étaient peut-être déjà chrétiens quand même depuis plusieurs générations. Il est vrai que ces pratiques (imbas forosnai, teimn…) étaient formellement interdites par l’Église, mais qui sait, il y a eu peut-être des accommodements analogues à ceux des astrologues ou alchimistes du Moyen-Âge. Quoi qu’il en soit notre « Druidisme » est aussi une volonté, la volonté de se rapprocher, au maximum, du druidisme antique, tel qu’il fut (scientifiquement parlant). La volonté aussi néanmoins de moderniser ce druidisme, un retour total au druidisme antique étant exclu (il serait de toute façon impossible). Exemples de modernisation de ce druidisme païen.
— Abandon aux associations laïques du côté culturel (médecine, poésie, mathématique, etc.). Principe de séparation de l’Église et de l’État.
— Spécialisation par contre dans la spiritualité celtique, ou païenne en général, l’histoire de la religion, la philosophie et la métapsychique (dite aujourd’hui parapsychologie).
— Utilisation dans certains cas du vocabulaire actuel (Église, religion, baptême, et ainsi de suite). Un juste milieu est évidemment à trouver entre un retour total au druidisme antique (fondamentalisme ou intégrisme) et une modernisation radicale trop révolutionnaire (plus de saie). L’AAP (athée agnostique panthéiste) celte ayant accepté de cosigner cette petite bibliothèque *, dont il n’est que le rassembleur, le druide Hesunertus (Pierre de La Crau), ne se considère pas comme l’auteur de cet ouvrage collectif. Mais comme le simple porte-parole de l’équipe l’ayant composé. Pour ce qui est des autres sources de cet essai sur le druidisme, voir les remerciements de la bibliographie.
* Ce petit camminus est néanmoins important aussi pour les jeunes… de 7 à 77 ans ! Mantalon siron esi.
* Do ratath tra do Mael Milscothach iartain cech ni dobrethaigsid suide sin etir ecnaide 7 fileda 7 brithemna la taeb ogaisic a crech 7 is amlaidsin ro ordaigset do tabairt a cach ollamain ina einech 7 ina sa[ru]gad acht cotissad de imus forosnad [di]chetal do chollaib cend 7 tenm laida .i. comenclainn fri rig Temrach do acht co ti de intreide sin FINIT.
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PROLOGUE.
« Drasidae (sic) memorant re vera fuisse populi partem indigenam, sed alios quoque ab insulis extimis confluxisse et tractibus transrenanis, crebritate bellorum et adluvione fervidi maris sedibus suis expulsos » (Timagène, cité par Ammien Marcellin, Rerum Gestarum Libri ou Res Gestae « Histoire de Rome », livre XV, chapitre IX, 4).
« Les druides affirment qu’une partie du peuple est réellement indigène, mais que les autres ont afflué d’îles très lointaines, et de régions situées au-delà du Rhin, chassés de leurs précédentes demeures par des guerres trop fréquentes, et aussi quelquefois par des raz-de-marée » [littéralement : par l’inondation d’une mer démontée].
« Les Cynètes * habitaient la forêt des Tartessiens, dans laquelle dit-on les Titans firent la guerre aux dieux. Le plus ancien de leurs rois fut un dénommé Gargorix, il fut le premier homme à récolter le miel. Ce prince ayant eu un petit-fils, né d’une intrigue amoureuse de sa fille, il essaya de le faire périr de diverses façons, car il était la preuve vivante de l’infamie de sa conduite et de sa non-chasteté. Mais ce dernier parvint néanmoins à monter un jour sur le trône après avoir, grâce à sa bonne fortune, pu échapper à tous ces dangers. Le roi son grand-père, touché par tous ces périls qu’il avait dû affronter, finit en effet un jour par y consentir.
Il avait d’abord ordonné qu’on l’abandonne afin qu’il meure de faim ; mais quand il envoya quelques jours plus tard des hommes pour ramener son corps, ces derniers découvrirent alors que l’enfant avait été allaité par diverses bêtes sauvages et le ramenèrent donc toujours vivant. Le roi ordonna donc cette fois-ci qu’on le dépose sur un chemin étroit emprunté chaque jour par des troupeaux de bétail, car dans sa cruauté il voulait que le malheureux meure foulé aux pieds ou réduit en pièces par ces animaux plutôt que d’un facile et rapide trépas. Comme l’enfant là encore en sortit miraculeusement indemne et sans même être affamé, il le fit jeter aux chiens, préalablement affamés depuis plusieurs jours, ensuite à des porcs ; mais comme il était toujours bien en vie, et qu’il avait même été allaité par certaines truies, alors il ordonna pour finir qu’on le jette à la mer. Mais suite à l’intervention manifeste de quelque déité, il fut porté par la marée montante au milieu du flux et du reflux des eaux, comme s’il avait été à bord d’un grand vaisseau et non ballotté par les flots, puis déposé en douceur par l’océan, sur une plage, où une biche arriva et allaita aussitôt l’enfant. Le malheureux garçon finit par avoir le pied si léger en suivant partout sa nourrice animale qu’il parcourait donc les montagnes et les forêts au milieu des hardes de cerfs avec autant de rapidité qu’eux. Pris un jour au piège dans des filets, il fut offert au roi qui, au vu des traits de son visage, ainsi qu’à certaines marques faites sur son corps alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson, le reconnut comme son petit-fils. Après quoi, en raison de l’admiration que le roi ne pouvait s’empêcher d’éprouver pour tous ces heureux hasards qui lui avaient permis de survivre ainsi à tant de périls, il fut choisi par lui pour lui succéder sur le trône.
On lui donna le nom d’Habis et, dès qu’il devint roi, il manifesta tant de grandeur qu’il sembla bien vite évident qu’il n’avait pas été sauvé en vain de tant d’épreuves mortelles par l’entremise des dieux. Il parvint à réunir sous de mêmes lois tous ces peuples barbares, leur apprit comment atteler des bœufs à une charrue et faire lever du blé de leurs sillons ; enfin, à cause peut-être des malheureux souvenirs de son enfance en ce domaine, il les contraignit aussi à ne plus se nourrir comme des bêtes…
Le travail servile fut aboli et la communauté répartie en sept cités. Après la mort d’Habis, la royauté de ce pays resta pendant de nombreuses générations entre les mains de ses descendants » (Justin, épitomé ou résumé des histoires philippiques et universelles de Trogue Pompée. Livre XLIV, chapitre IV).
« Les Celtes qui demeurent le long des côtes de l’Océan adorent les Dioscures plus que tous les autres dieux, puisqu’il existe chez eux une tradition remontant à la plus haute antiquité comme quoi ces dieux seraient apparus dans leur pays venant de l’océan. La contrée qui borde l’Océan regorge de noms évoquant les Argonautes et les Dioscures… » (Timée, historien grec cité par Diodore de Sicile. La Bibliothèque de l’Histoire. Livre IV, chapitre LVI).
Question. Quelle est des 72 langues qu’il avait donc étudiées, celle qui a été diffusée en premier par Fénius Farsaid ?
Réponse. Ce n’est pas difficile. La langue irlandaise… car de toutes celles qui furent rapportées par son école, c’était celle qu’il préférait, celle dont il avait entendu parler depuis son enfance au pays des Scythes…
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Question. Pourquoi peut-on dire du gaélique qu’il est une langue élue ?
Réponse. Ce n’est pas difficile ! Parce qu’il a été choisi parmi toutes les langues, et parce qu’à tout son incompréhensible, existant dans les autres langues, un sens a été trouvé en gaélique, d’où sa limpidité ainsi que sa clarté.
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Certains grands spécialistes français comme C.-J. Guyonvarc’h, nient tout rapport entre druidisme et chamanisme ; mais si l’on veut bien tenir compte de ses origines chamanes, le druidisme est la plus vieille des religions du monde. Le mot (druidisme) pour désigner la religion des Celtes est, certes, d’origine relativement récente. Le Moyen-âge irlandais utilisait le mot druidecht, que nous pourrions plus ou moins rendre par le terme « druiderie ». Le fait est qu’il n’y avait pas en réalité de terme spécifique, et ce que nous appelons druidisme aujourd’hui, était par exemple désigné par des périphrases, dont une au moins est attestée sous la plume de César. « Ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels ». (César B. G. Livre VI, chapitre XIV).
Dernier point. Parler de druidisme au singulier (druidisme éternel, etc.) est une escroquerie intellectuelle. Il n’y a jamais eu UN druidisme ni une druiderie UNIFIÉE, il n’y a eu que DES druidismes au pluriel, variables suivant les lieux, les époques, voire suivant les classes sociales ou les communautés. Il n’y a donc jamais eu UN druidisme, mais DES ÉCOLES druidiques. Diverses Écoles de pensée, aussi proches ou aussi différentes entre elles que ne le sont les catholiques, les Églises réformées ou les orthodoxes, à l’intérieur du cadre chrétien ; ou chiites et sunnites à l’intérieur du cadre musulman, ou vishnouïtes et shivaïtes à l’intérieur du cadre hindou.
Seules les grandes lignes permettent de savoir si l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre (druidique).
Chaque fois que nous parlerons de druidisme au singulier, nous désignerons donc simplement par là les grandes lignes, ou les grandes tendances plus ou moins communes, à tous les lieux et à toutes les époques, druidiques. Et surtout pas un druidisme se voulant supérieur par rapport à d’autres formes de piété, une des thèses communes à toutes ces Écoles étant justement celle des différents niveaux de la vérité, CHACUN AYANT SA NÉCESSITÉ OU SON INTÉRÊT.
La question des sources maintenant.
Dès que l’on aborde le domaine du druidisme, le chercheur se trouve inévitablement confronté au problème des références.
Deux types de sources nous livrent des informations générales. Tout d’abord, les contemporains, parmi lesquels on peut citer, à titre d’exemple : Diodore de Sicile (Bibliothèque Historique), Strabon (Géographie), Pomponius Mela (De Chorographia), Lucain (La Pharsale), Pline l’Ancien (Histoire Naturelle), et surtout Jules César, avec ses célèbres commentaires DE BELLO GALLICO. Ces témoignages donnent souvent une image négative des peuples celtes, mais on peut en extraire de nombreux éléments très intéressants.
La deuxième source est beaucoup plus tardive puisqu’il s’agit de la consignation par les clercs du Moyen-âge, des traditions orales, en Irlande. Cette littérature, dont la rédaction s’étale du VIIIe siècle au XVe siècle, vient opportunément confirmer ou compléter, les résultats des études des sources antiques.
Elle retranscrit les mythes ainsi que les épopées de l’Irlande celtique, transmis oralement de génération en génération. Les collecteurs transcripteurs ont affublé tous ces mythes d’un vernis chrétien, sous lequel l’étude découvre plus ou moins le substrat celtique original. Tout le travail des chercheurs en druidisme consiste donc à dégager la matière primitive de la mythologie celtique, tout en restant dans le contexte indo-européen. Ces divers textes de la littérature irlandaise médiévale peuvent être regroupés en cinq grandes catégories.
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— Le cycle mythologique qui comprend également les légendes sur le peuplement de l’île (les légendes sur Etanna ou Tochmarc Étaine, la mort des enfants de Tuireann, la bataille de la plaine aux tumuli, le Lebor Gabala Èrenn ou Livre des Conquêtes de notre chère Irlande…
— Le cycle héroïque (dit aussi de la Branche rouge ou de l’Ulster) dont le héros principal est l’invincible CúChulainn. C’est dans ce cycle qu’il faut classer l’enlèvement des vaches de Cualnge ainsi que l’émouvante légende de Deirdre…
— Le cycle des Fénianes (dit également ossianique ou du Leinster), dont les principaux héros sont Finn Mac Cumaill, son fils Ossian et son petit-fils Oscar.
— Le cycle historique (ou le cycle des rois).
— Les aventures navigations ou aislingi (visions) diverses. Conle, Bran fils de Fébal, Cormac, Saint Brendan, Tondale, le Purgatoire de saint Patrice, l’aisling ou vision d’Adamnan, les autres imrama ou echtra. Mais attention, seuls les echtra sont restés d’esprit vraiment païen, les imrama, eux, ont été plus largement christianisés.
Cathbad drúi búi oc tabairt da daltaib fri hEmain anairtúaith. Cét fer n-déinmech dó oc foglaim druídechta úad. Is é lín doninchoisced Cathbad. Ocht n-dalta do aes in dána druidechta na farad (Tain Bo Cualnge).
Catubatuos le druide dispensait l’enseignement à ses élèves, au nord-est d’Emain. Cent hommes étourdis se trouvaient chez lui, apprenant le druidisme. Tel était le nombre de ceux que Catubatuos instruisait. Huit de ceux-ci [seulement] étaient capables de science druidique (Enlèvement des bœufs de Cooley).
Batar Tuathai De Danann i n-indsib tuascertachaib an domuin, aig foglaim fesa & fithnasachta & druidechtai & amaidechtai & amainsechta combtar fortilde for suthib cerd ngenntlichtae. Ceitri cathrachai ir-rabatar og fochlaim fhesai & eolais & diaboldanachtai. i. Falias & Goirias, Findias & Murias. A Falias tucad an Lia Fail bui a Temraig. Nogesed fo cech rig nogebad Erinn. A Gorias tucad an tsleg boi ac Lug. Ni gebtea cath fria no frisinti an bidh il-laimh. A Findias tucad claidiub Nuodon. Ni terládh nech dei o dobirthe asa idntiuch bodhuha, & ni gebtai fris. A Murias tucad coiri an Dagdai [Suqellos Gargant]. Ni tegedh dam dimdach uadh. Cetri druid isna cetri cathrachaib-sin. Morfesae bai a Falias. Esras boi hi nGorias. Uiscias boi a Findias. Semias bai a Murias. It iad sin na cetri filid ocar foglaindsit Tuata De fios & eolas.
Batar Tuathai De Danann i n-indsib tuascertachaib an domuin,
Les dieux de la déesse Danu (bia) étaient dans les Îles au nord du Monde,
Aig foglaim fesa & fithnasachta & druidechtai & amaidechtai & amainsechta
Apprenant la science et la magie, et le druidisme, et la sagesse et l’art.
Combtar fortilde for suthib cerd ngenntlichtae.
Ils surpassaient tous les sages des arts du paganisme.
Ceitri cathrachai ir-rabatar og fochlaim fhesai & eolais & diaboldanachtai.
Il y avait quatre villes dans lesquelles ils apprenaient la science, la connaissance et les arts diaboliques.
i. Falias & Goirias, Findias & Murias.
C’est-à-dire Thulé, Gorre, Abalum et Ogygie l’île verte,
A Falias tucad an Lia Fail.
C’est de Thulé que fut apportée la Pierre de Fal.
Nogesed fo cech rig nogebad Erinn.
Elle criait sous chaque roi régnant sur la verte Érin.
A Gorias tucad an tsleg boi ac Lug.
C’est de Gorre que fut apportée la lance qu’avait Lug.
Ni gebtea cath fria no frisinti an bidh il-laimh.
Aucune bataille n’était gagnée contre elle ou contre qui l’avait dans la main.
A Findias tucad claidiub Nuodon.
C’est d’Abalum que fut apportée l’épée de Noadatus/Nuada/Nodons/Lludd.
Ni terládh nech dei o dobirthe asa idntiuch bodhuha, & ni gebtai fris.
Personne ne lui échappait quand elle était tirée du fourreau de Bodua.
A Murias tucad coiri an Dagdai [Suqellos Gargant].
C’est d’Ogygie l’île verte que fut apporté le chaudron du Dagda [Suqellos Gargant]
Ni tegedh dam dimdach uadh.
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Aucune compagnie ne le quittait insatisfaite.
Cetri druid isna cetri cathrachaib-sin.
Il y avait quatre druides dans ces quatre villes.
Morfesae bai a Falias.
Marovesos était à Thulé.
Esras boi hi nGorias.
Esras était à Gorre.
Uiscias boi a Findias.
Uiscias vivait sur Abalum.
Semias bai a Murias.
Semias était dans Ogygie l’île verte.
It iad sin na cetri filid ocar foglaindsit Tuata De fios & eolas.
Ce sont là les quatre maîtres de qui les Tuatha Dé tenaient leur science et leur connaissance.
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PREMIÈRE PARTIE.
VINDOS/FINN ET LES FÉNIANES
(LE CYCLE D’OSSIAN).
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 1.
Les Fénianes (singulier Fian) étaient des mercenaires étrangers, belges, bretons, ou écossais, voire pictes, ayant commencé à servir en Irlande vers 500 avant notre ère, et plus ou moins vassaux des hauts rois Gaëls de Tara. Les Gaëls de Tara s’en seraient débarrassés au IIIe siècle de notre ère lors de la bataille de Gabhra près de Dublin en l’an 285. Ils aidaient à la perception des impôts et pour cela recevaient une solde de la part des hauts rois Gaëls de Tara, mais la partie la plus importante de leurs ressources venait des produits de la chasse.
L’ordre des Fénianes (singulier Fian) était composé de plusieurs clans. Les deux plus puissants étaient les Morna et les Baiscne. Chacun de ces clans avait son chef, mais un seul d’entre eux pouvait régner sur l’ensemble.
Les différents récits ayant trait aux guerriers fénianes et au premier d’entre eux, Vindos/Finn, sont regroupés sous le nom de cycle d’Ossian. Il s’agit :
— Soit d’un ensemble de mythes panceltiques mettant donc en scène des dieu-ou-démons, mais insérés dans le tissu historique irlandais de l’époque (Diarmat et Grannia).
— Soit d’éléments de l’histoire irlandaise, mais traversés de tous côtés par de nombreux fragments de mythes panceltiques. Suivant les récits, Camulos, le père de Vindos/Finn, y est dit, ou bien fils de l’ours (Art), ou fils de la grande force (Trenmor). Fils d’Art, fils de Trenmor par exemple, dans l’histoire de Diarmat et Grannia. Mais il ne faut pas prendre à la lettre tous ces « mac » de l’anthroponymie gaélique. Cette particule n’implique souvent qu’un vague lien de parenté clanique, voire une filiation toute symbolique. En l’occurrence, il s’agissait simplement d’exprimer l’idée que ce Camulos était un guerrier aussi fort qu’un ours (une sorte d’Arthur en quelque sorte).
— Soit d’un mélange des genres ressemblant plus à des contes comme ceux de Grimm, Perrault ou Madame Le Prince de Beaumont.
Cette collection de textes divers regorge en effet de batailles et d’aventures bien peu réalistes, s’apparentant plus aux contes et légendes qu’à autre chose. Et ceci ne tient pas qu’à la date de composition des récits !
Le manuscrit des aventures de Diarmat et Grannia (To Raigheacht Dhiarmada agus Ghràinne) bien qu’étant relativement récent (XVIIe ou XVIIIe siècle) est nettement beaucoup plus archaïque dans son esprit et dans sa forme que celui qui est intitulé Cath Finntragha (la bataille de Ventry) ; qui semble pourtant un peu plus ancien pour ce qui est de l’écriture ; mais qui n’est qu’un conte de fées à la façon de l’époque dans le pays.
Outre Vindos/Finn, les principaux héros en sont Ossian son fils, ses amis Cailté/Caletios et Diarmat, et leur rival de toujours pour le contrôle de cet ordre chevaleresque avant la lettre : Goll.
L’histoire de Vindos/Finn proprement dite commence théoriquement sous le règne du roi des rois d’Irlande, appelé « Conn aux cent batailles ».
« Il est tentant de rapprocher ces légendes de celles des groupes de guerriers comme les Gésates, auxquels s’opposèrent les Romains durant la bataille de Télamone » (Guido Achille Mansuelli : Les Celtes et l’Europe ancienne). Mais, tout comme dans le cas du célèbre roi breton Arthur, ainsi que nous venons de le voir, bien des éléments de la vie de ce fameux souverain sont, eux aussi, extrêmement suspects.
Nous nous servirons également afin de compléter tous ces récits d’un texte gaélique intitulé Acallam na Senorach (le colloque ou le dialogue des Anciens). L’explication que nous en donne l’auteur (anonyme) ayant couché par écrit toutes ces anecdotes, bien des années plus tard, est assez curieuse ; car, si elle est impossible du point de vue de l’Histoire (l’anachronisme est flagrant) elle témoigne par contre d’une force poétique digne des plus grands metteurs en scène.
Deux des derniers survivants de l’ultime bataille livrée par les Fénianes, Ossian et Cailté/Caletios, rencontrent saint Patrice et ses disciples. Patrice avait toujours besoin d’eau pour baptiser. Cailté/Caletios décide de l’accompagner dans sa tournée missionnaire, partout en Irlande, afin de l’aider à en trouver rapidement. Et chaque fois qu’ils arrivent près d’un château, une route, des bois ou une rivière, dont Patrice et les siens ignorent tout, Cailté/Caletios leur raconte les hauts faits de ses compagnons d’armes, s’étant déroulés à cet endroit. Batailles, chasses et banquets, voire même voyages dans l’Autre Monde.
Saint Patrice commence évidemment par reculer à l’évocation de tout ce paganisme, mais deux anges lui apparaissent en rêve ? et lui demandent de quand même coucher par écrit toutes ces histoires. Deux des clercs de saint Patrice lui servant de scribes enregistrèrent donc à sa demande, toutes ces anecdotes.
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Du moins d’après l’Acallam na Senorach, car on peut douter fortement de la fidélité ainsi que de l’objectivité de tous ces récits. Les chrétiens n’ont jamais été connus pour leur compréhension de la spiritualité des autres.
N. B. Diarmait a donné Dermot en irlandais moderne. Nous avons dans ce qui suit néanmoins, systématiquement mis DIARMAT (et GRANNIA au lieu de Grainne).
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FOTHA CATHA CHNUCHA INSO : CI-DESSOUS LA CAUSE DE LA BATAILLE DE CNUCHA
(en 174 de notre ère ???)
Il s’agit d’un texte figurant dans la collection de manuscrits du XIIe siècle appelée Livre de la vache brune (Lebor na hUidre).
Quand Cathair le Grand, fils de Fedelmid Fir-Urglas, fils de Cormac Gelta-Gaith, était roi de Tara, et Conn aux cent batailles à Cenandos, (le) domaine des héritiers du roi, Cathair avait un druide célèbre, à savoir Nuadu fils d’Achi fils de Dathi fils de Brocan fils de Fintan, du clan des Dathi de Brega. Ce druide demandait à Cathair une terre dans le Leinster, car il savait que c’est là qu’il devait avoir son patrimoine.
Cathair lui donna le choix et la terre sur laquelle le druide jeta son dévolu fut celle d’Almu.
Almu fille de Becan était la femme de Nuadu.
Un château fut ensuite bâti par le druide en ce lieu et il le fit enduire d’alun, de sorte qu’il devint tout blanc. Peut-être est-ce de là que vient (le nom) d’Almu qui le désigne ; à propos duquel il est dit :
Tout blanc est ce château fort fureur des batailles
Comme si on y avait mis toute la chaux d’Irlande ;
De l’alun que l’on a mis sur cette maison
Vient qu’Almu est son nom.
La femme de Nuadu, Almu, demanda que son nom soit donné à la colline ; et cela lui fut accordé, à savoir que son nom serait celui de cette colline ; car ce fut dans cette colline qu’elle fut enterrée après cela ; d’où il est dit :
Almu ! Belle était cette femme !
La femme de Nuadu le grand, fils d’Achi.
Elle demanda, juste était cette requête,
Que son nom (soit donné) à cette colline sans défaut.
Nuadu après cela eut un fils éminent, à savoir Tadg. Rairiu, fille de Dond-Duma, fut sa femme. Tadg (fut) aussi un druide célèbre.
Nuadu vint à mourir ; et il laissa son château tel qu’il était à son fils ; ensuite ce fut Tadg qui devint le druide de Cathair à la place de son père.
Rairiu donna une fille à Tadg, Mirène Muncaim fut son nom.
La jeune fille devint si belle que les fils de rois ou de puissants seigneurs d’Irlande s’empressèrent de la courtiser.
Camulos/Cumall, fils de Trenmor, guerrier royal d’Irlande, était alors au service de Conn. Lui aussi, comme tout le monde, demanda la jeune fille en mariage. Nuadu refusa, car il savait que c’était à cause de lui (Camulos/Cumall) qu’il devrait abandonner Almu.
Camulos/Cumall et le père de Conn, à savoir Fedelmid Rechtmar avaient la même mère.
Camulos/Cumall se rendit de toute façon sur place et enleva Mirène de force puisqu’elle ne lui avait pas été donnée en mariage. Tadg alla trouver Conn et lui relata en détail l’insulte qu’il avait subie de la part de Camulos/Cumall, puis il se mit à houspiller Conn et à lui faire des reproches à ce sujet.
Conn envoya des messagers à Camulos/Cumall, et lui ordonna de quitter l’Irlande ou de rendre sa fille à Tadg. Camulos/Cumall lui répondit qu’il n’en ferait rien, qu’il lui donnerait n’importe quoi, mais pas sa femme. Conn envoya ses soldats, Urgrend fils de Lugaid la grue roi des Laginiens (du Leinster ?) Dairé le Rouge fils d’Eochaid et son fils Aed qui fut appelé après cela Goll (c’est-à-dire le borgne en gaélique) afin d’attaquer Camulos/Cumall. Camulos/Cumall mobilisa son armée contre eux ; et la bataille de Cnucha eut lieu entre eux, Camulos/Cumall y fut tué, ses gens massacrés.
Camulos/Cumall fut abattu par Goll fils de Morna. Luchet blessa Goll à l’œil si profondément que son œil en fut perdu. D’où vient que (le nom de) Goll (le borgne) lui est attaché désormais, et de là le quatrain :
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Aed était le nom du fis de Dairé
Jusqu’à ce que le fameux Luchet le blesse ;
Depuis qu’une lourde lance l’a blessé,
Donc on l’appelle Goll (le borgne).
Goll le borgne tua Luchet. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il existait une haine héréditaire entre les fils de Morna et Vindos/Finn.
Dairé avait deux noms, Morna et Dairé. Mirène alla ensuite trouver Conn, car son père l’avait rejetée, il avait refusé de la recevoir, car elle était enceinte ; et il avait même demandé à ses gens de la brûler. Mais il n’osa pas la faire périr contre (la volonté de) Con néanmoins.
La fille demanda conseil à Conn. Conn lui répondit : « Va chez Fiacal le fils de Concend (Dent, fils de Tête-de-Chien) à Temhair-Maircé, et accouches-y » (car Bodball Bendron – puissante corneille en gaélique-, la femme de Fiacal, était une sœur de Camulos/Cumall).
Condlé, le domestique de Conn, partit avec elle afin de l’escorter jusqu’à la maison de Fiacal à Temair-Maircé. On lui souhaita la bienvenue, et son arrivée en ce lieu se passa très bien. Ensuite la femme accoucha et mit au monde un fils ; Demné fut le nom qu’on lui donna.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 2.
Tara. Également Temhair, Temair. Semble être un nom fort commun signifiant « hauteurs ». Il y en aurait donc eu plusieurs en Irlande, ce qui ne nous simplifie pas les choses.
Almu. Alun ? Il s’agit plus vraisemblablement d’une fée ou déesse ou démone, et cette colline est un « sid » ou une des nombreuses portes d’entrée dans l’autre monde.
Cumall. Il existait sur le continent un dieu guerrier puissant appelé Camulos d’où l’ancien nom de Colchester (Camulodunun) et celui d’un chef de guerre parisien sous la plume de César : Cumulogenos. Est-ce un hasard ? Camulus était en tout cas une épithète du dieu romain de la guerre, Mars.
Tadg. Le grand spécialiste français de la littérature irlandaise, du XIXe siècle, d’Arbois de Jubainville rapproche ce nom du vieux celtique Tasgos (Moritasgus et Tasgetius sous la plume de César).
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LES EXPLOITS D’ENFANCE DE VINDOS/FINN.
Macgnimartha Finn.
Le plus important des manuscrits traitant de ce thème est le Laud 610 du XIIe siècle. Mais il en manque la fin.
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Fiacal fils de Concend (dent fils de Tête-de-Chien) et Bodball la druidesse, ainsi que la Grise de Luachar vinrent trouver Mirène et enlevèrent le garçon afin que sa mère n’essaie pas d’être avec lui. Mirène coucha ensuite avec Gleor à la main rouge, le roi de Lamraige, d’où l’expression « Vindos/Finn fils de Gleor ». Bodball cependant, ainsi que la Grise s’enfoncèrent avec le garçon dans la forêt des Monts fleuris. Là le garçon fut élevé en secret. C’était en effet nécessaire, car une foule de vaillants jeunes gens très vigoureux et de nombreux guerriers hostiles dangereux ou de féroces champions en colère des guerriers Laginiens sans compter les fils de Morna, attendaient de pied ferme ce garçon ainsi que la venue de Tulcha, fils de Camulos/Cumall.
Ce fut donc ainsi que ces deux guerrières l’élevèrent longtemps.
Ensuite, au bout de six ans, sa mère vint lui rendre visite, car on lui avait dit qu’il se trouvait là, en outre elle craignait pour lui les fils de Morna. Elle passa d’étendues sauvages en étendues sauvages avant d’arriver dans la forêt de la montagne fleurie. Elle trouva la hutte de chasseurs et le garçon endormi dedans. Elle prit l’enfant sur son sein et le serra contre elle le cœur gros ? (si trom iarum.) Ce fut alors qu’elle récita ces quatrains, en caressant son fils :
Dors d’un sommeil paisible, etc.
Sur ce la femme fit ses adieux aux guerrières, et leur demanda de s’occuper du garçon jusqu’à ce qu’il soit en âge d’être un combattant. Et c’est ainsi que l’enfant put grandir jusqu’à ce qu’il soit en âge de chasser.
Un jour le garçon sortit tout seul, et aperçut des canards sur un lac. Il tira sur eux, ce qui arracha les plumes et les ailes de l’un d’eux, qui en fut assommé, ensuite il l’attrapa et le ramena jusqu’à la hutte de chasseurs dans la forêt. Ce fut la première partie de chasse de Vindos/Finn.
Plus tard il partit avec des artisans (hommes de l’art) afin de fuir les fils de Morna, et resta en leur compagnie dans les environs de Crotta. Voici quels étaient leurs noms : Futh, Ruth, Regna de Mag Fea, Temle, Olpe, Rogein. Il attrapa la gale et du coup il en perdit ses cheveux, d’où le nom dont il fut affublé après cela : Demné le chauve. Il y avait en ce temps-là un célèbre brigand dans le Leinster, Fiacal le fils de Codna. Fiacal attaqua ces artisans à Fid Gaible et les tua tous sauf Demné. Après cela il demeura donc avec Fiacal fils de Codna dans sa maison de Sescenn Uairbeoil. Les deux guerrières en quête de Demné descendirent du nord dans la maison de Fiacal fils de Codna, et il leur fut remis. Ensuite elles le ramenèrent du sud jusque dans la montagne fleurie.
Un jour il partit tout seul jusqu’à Mag Life, où il y avait une forteresse, et là il vit des jeunes en train de jouer sur la pelouse du château. Il alla les défier à la course ou en jouant à la crosse (comimain) avec eux. Il revint le lendemain et un quart d’entre eux joua ensemble contre lui seul. Ensuite ils jouèrent avec un tiers de leur équipe contre lui tout seul. À la fin ils se mirent tous ensemble contre lui, mais il remporta la partie contre eux.
« Comment t’appelles-tu ? » demandèrent-ils.
« Demné » répondit-il.
Les jeunes rapportèrent la chose au seigneur du château.
« Alors, tuez-le, si vous savez comment le faire, si vous êtes capables de le faire », leur répondit-il.
« Nous ne sommes pas capables de lui faire quoi que ce soit », répliquèrent-ils.
« Vous a-t-il dit son nom ? » leur demanda-t-il.
« Il nous a dit », répondirent-ils « qu’on l’appelait Demné ».
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« De quoi donc a-t-il l’air ? » poursuivit-il.
« Un beau garçon bien fait de sa personne », répondirent-ils.
« Alors appelez désormais Demné Vindos/Finn leur dit-il. Et les jeunes prirent donc l’habitude de l’appeler Vindos/Finn (le Beau en gaélique).
Il vint les retrouver le lendemain et alla jouer avec eux. Ils jetèrent tous ensemble leur crosse sur lui. Il fonça sur eux et jeta sept d’entre eux à terre. Ensuite il repartit dans la forêt de la montagne aux fleurs.
Une semaine plus tard, il revint à la forteresse. Les jeunes étaient en train de nager dans le lac qui était juste à côté. Ils le mirent au défi de venir essayer de les noyer. Il plongea aussitôt dans le lac pour les rejoindre et noya neuf d’entre eux. Après cela il revint à la Montagne fleurie.
« Qui a noyé ces jeunes » demandait tout le monde.
« Vindos/Finn » répondaient-ils.
C’est ainsi que lui fut attaché le nom de Vindos/Finn.
Un jour qu’il traversait la montagne fleurie, et qu’étaient avec lui les deux guerrières, ils aperçurent une harde de daims sur la crête.
« Dommage ! » s’exclamèrent les deux vieilles femmes, « que nous ne puissions avoir l’un d’entre eux ! »
« Moi je pourrai le faire » répondit Vindos/Finn, et il se rua sur eux, attrapa deux des mâles, et les ramena dans leur hutte de chasseur. Après cela il chassa pour elles constamment.
« Laisse-nous maintenant, jeune homme », lui dirent les guerrières, « car les fils de Morna cherchent à te tuer ».
Il partit donc tout seul et alla jusqu’au lac de Lein au-dessus de Luachar, et là il s’engagea dans l’armée du roi de Bantry. Il ne révéla pas sa véritable identité. Aucun chasseur néanmoins à l’époque ne pouvait rivaliser avec lui. Et c’est ainsi que le roi lui dit un jour :
« Si Camulos/Cumall avait laissé un fils, on aurait pu croire que c’était toi. Mais nous n’avons pas entendu dire qu’il avait eu un fils à l’exception de Tulcha fils de Camulos/Cumall, mais il est actuellement dans l’armée du roi d’Écosse.
Il fit ses adieux au roi et partit à Carbrige, que l’on appelle aujourd’hui Ciarraige où il s’engagea comme soldat au service du roi de ce pays.
Un jour le roi vint pour jouer au tablut (fidcellacht). Il fut défié par Vindos/Finn qui gagna sept parties d’affilée.
« Qui es-tu donc ? » demanda le roi.
« Le fils d’un paysan des Laginiens de Tara », répondit-il.
« Non », répliqua le roi « tu es le fils que Mirène a donné à Camulos/Cumall ; ne reste pas ici, plus longtemps, de peur que l’on t’y assassine malgré ma protection ».
Il se rendit alors ensuite dans la forêt (cuillind) des Ui Cuanach, dans la maison de Lochan, un maître forgeron, qui avait une très jolie fille, appelée Cruithne. Elle tomba immédiatement amoureuse du jeune homme.
« Je te donnerai ma fille, bien que je ne sache pas qui tu es ». Et la fille coucha aussitôt avec lui.
« Fabrique-moi des javelots », demanda le jeune homme au forgeron. Lochan forgea deux javelots pour lui. Ensuite il dit au revoir à Lochan et s’en alla.
« Mon garçon », dit Lochan, « n’emprunte pas la route sur laquelle il y a la laie appelée La Béo ».
C’est elle qui a dévasté le centre du Munster.
Mais il arriva que le jeune homme suivît justement la route sur laquelle se trouvait la truie. Aussi la laie le chargea-t-elle ; mais il lança son javelot sur elle, si fort qu’il la traversa, et la laissa sans vie. Ensuite il rapporta la tête de la laie au forgeron en tant que prix d’achat (coibche) pour sa fille. D’où vient qu’il y a une montagne appelée Montagne de la laie (Sliab Muice) dans le Munster.
Après cela le jeune homme poursuivit en direction du Connaught afin d’y chercher Crimall, fils de Trenmor. Alors qu’il cheminait, il entendit une femme pleurer. Il avança dans cette direction et vit une femme ; elle versait maintenant des larmes de sang, et crachait même du sang, au point que sa bouche en était toute rouge.
« Tu as la bouche toute rouge, femme », lui dit-il.
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« J’ai de bonnes raisons pour cela », répondit-elle « car mon fils unique a été tué par un grand et vraiment terrible guerrier qui venait à ma rencontre ».
« Comment s’appelait ton fils », demanda-t-il.
« Il s’appelait Glonda », répondit-elle. D’où le Gué de Glonda et la Chaussée de Glonda dans la plaine de Moinmoy, et de la rougeur de ma bouche le Gué de la bouche rouge tire désormais son nom. Vindos/Finn partit à la poursuite du guerrier, ensuite il y eut combat, et Vindos/Finn tua ce guerrier. Voici comment il était : il avait le sac à trésors en peau de grue (corrbolg) avec lui, celui des fameux trésors de Camulos/Cumall. L’homme qui était tombé là c’était en effet le Gris de Luachar, celui qui avait infligé la première blessure à Camulos/Cumall lors de la bataille de Cnucha.
Là-dessus Vindos/Finn alla dans le Connaught, et trouva Crimall, un vieil homme retiré là dans un bois désert, et avec lui bon nombre de vétérans des Fénianes ; c’étaient eux qui chassaient pour assurer sa subsistance. Il lui montra le sac et lui raconta son histoire du début jusqu’à la fin ; et notamment comment il avait tué l’homme aux trésors. Vindos/Finn fit ses adieux à Crimall et alla ensuite étudier (foglaim eicsi) chez Finneces qui vivait sur les rives de la Boinne. Il n’osa pas rester ailleurs en Irlande pour suivre l’enseignement des vellèdes (filidecht), par peur des fils d’Urgriu et des fils de Morna.
Finneces avait passé sept ans sur les rives de la Boinne à observer les saumons du plan d’eau de Fec ; car on lui avait dit qu’il mangerait un jour un saumon de Feic, et qu’après cela plus rien ne lui serait inconnu. Le saumon fut trouvé et Demné eut l’ordre de le faire cuire, mais le vellède lui demanda de ne rien en manger. Le jeune homme lui apporta donc le saumon après l’avoir fait cuire.
« As-tu mangé quoi que ce soit de ce saumon, mon garçon ? » demanda le vellède.
« Non » répondit le jeune, « mais je me suis brûlé le pouce et je l’ai mis dans ma bouche après ».
Quel est ton nom, mon garçon ? » demanda Finneces.
« Demne » répondit le jeune homme.
« Ton nom est Vindos/Finn mon garçon », répondit Finneces, « et c’est à toi qu’il revenait de manger du saumon, car assurément tu es le Meilleur (Finn en gaélique) ».
Et là-dessus le jeune homme mangea le saumon. Ce fut ce qui donna le don de la connaissance à Vindos/Finn, de sorte que, chaque fois qu’il mettait son pouce dans sa bouche et chantait un teinm laegda, quoi qu’il ait pu ignorer, cela lui était révélé.
Il apprit les trois choses qui donnent droit au titre de vellède : le teinm laegda, l’imbas forosnai, et le dichetal dichennaib. C’est alors que Vindos/Finn improvisa le lai suivant afin de prouver son érudition (eicsi) :
[S’ensuit donc une admirable ode à la nature et au printemps passablement étonnante dans la bouche d’un si redoutable guerrier professionnel].
Vindos/Finn se rendit chez Cethern, le fils de Fintan, afin d’approfondir ses connaissances (eicsi) après de lui. Il y avait alors une très belle jeune fille à Brig Ele, c’est-à-dire dans le sidh de Brig-Ele, le nom de cette jeune fille était justement Ele. Les hommes d’Irlande étaient tous jaloux et fous d’elle. L’un après l’autre, ils allaient la courtiser. La demande en mariage avait lieu chaque année le jour de Samon (ios), car les sidhs d’Irlande s’ouvraient toujours à Samon ; car à Samon rien de ce qu’il avait dans les sidhs ne pouvait être caché. À chaque homme qui venait pour demander sa main il arrivait ceci : un des membres de son escorte était tué. Ceci afin de marquer le coup, mais on ne trouvait jamais qui avait fait ça.
Comme tous les autres, le vellède Cethern vint demander la jeune fille en mariage, Vindos/Finn ne fut pas enchanté de voir le vellède partir accomplir cette démarche. Sur le chemin de cette demande en mariage, ils se constituèrent en trois cortèges différents. Avec neuf personnes dans chacune des compagnies. Alors qu’ils se rendaient au sidh, un des leurs fut tué parmi eux et ils ne purent savoir qui l’avait assassiné. Oircbel l’érudit était le nom de l’homme qui périt ainsi en chemin. D’où le lieu appelé Fert Oircbel, la Tombe d’Oircbel, à Clonfad. Ils se séparèrent alors, et Vindos/Finn s’en alla du fait de cette honte, car il pensait que c’était un motif de mécontentement et un grand déshonneur.
Il alla jusqu’à la maison du champion appelé Fiacal fils de Concenn, sur la montagne de Mairge. C’était là qu’il habitait à l’époque. Vindos/Finn lui exposa ses doléances et lui raconta comment l’homme avait été tué au beau milieu d’eux dans le sidh. Fiacal lui conseilla d’y aller, mais de s’asseoir
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entre les deux Tétons d’Anu derrière Luachar. Il y alla et s’assit entre les deux forteresses qui se trouvent entre les deux Tétons d’Anu.
Maintenant, quand Vindos/Finn fut entre elles, la nuit de Samon (ios), il vit les deux sidhs s’ouvrir autour de lui, et même leurs deux châteaux, leurs remparts ayant disparu devant eux. Il vit un grand feu dans l’une des deux forteresses ; et il entendit une voix venant de l’une d’entre elles, qui demandait :
« In maith bar suabais-si » ?
« Tout va-t-il bien pour vous ? » ??????????????
« Tout va bien oui ! » répondit une voix dans l’autre sidh.
« Question : quelque chose pour vous nous sera-t-il pris ? »
« Si cela doit nous être donné, quelque chose vous sera cédé en retour ».
Alors que Vindos/Finn était là il vit arriver un homme sortant du sidh. Il avait un pétrin dans la main avec un porc dessus, ainsi qu’un veau cuit, et un bouquet d’ail sauvage dessus. C’était au moment de Samon. L’homme passa devant Vindos/Finn afin d’aller dans l’autre sidh. Vindos/Finn lui jeta le javelot de Fiacal fils Concenn. Il le lança au sud dans la direction de la montagne de Mairge. Ensuite Vindos/Finn s’exclama : « si ce javelot doit atteindre l’un de nous, puisse-t-il en réchapper ! je pense que c’est une vengeance suffisante pour mon camarade ». Ceci dit, il entendit aussitôt des lamentations et des sanglots disant :
Sous le coup d’un javelot à la pointe acérée
Aed, fils de Fidga, est tombé :
En se servant du javelot de Fiaca fils de Codnal,
Vindos/Finn l’a tué.
Ensuite Fiacal vint retrouver Vindos/Finn, aux deux tétons d’Anu. Fiacal lui demanda qui donc il avait tué. « Je ne sais pas », répondit Vindos/Finn, « si le coup que j’ai décoché a servi à quelque chose ».
« Il est plus que vraisemblable » répondit Fiacal « que quelqu’un a été tué. Il me semble que si tu ne l’avais pas fait cette nuit, tu ne l’aurais pas fait avant la fin d’une autre année ».
De toute façon, Vindos/Finn répondit qu’il avait lancé son javelot, et qu’il lui semblait bien qu’il avait atteint quelqu’un. Et qu’il avait entendu de longs sanglots dans le sidh, disant :
Ce javelot est un poison
Et celui qui l’avait aussi
Poison est qui l’a jeté
Empoisonné celui qu’il a renversé.
Vindos/Finn captura une femme à l’extérieur du sidh de Cruachan Brig Ele en guise de garantie pour récupérer son javelot. La femme promit de lui renvoyer le javelot s’il la relâchait. Vindos/Finn laissa la femme réintégrer le tumulus. Alors qu’elle revenait dans le tertre, la femme lui dit :
Quel poison que ce javelot
Et quel poison que la main qui l’a jeté
S’il n’est pas rejeté hors du tertre
La peste va s’abattre sur le pays.
Sur ce le javelot fut jeté dehors, et Vindos/Finn le ramena jusqu’à l’endroit où se trouvait Fiacal.
« Bien », dit Fiacal, « garde le javelot avec lequel tu as réalisé ce fameux exploit ». Ensuite Fiacal ajouta que c’était un heureux événement puisque l’homme qui avait abattu le camarade de Vindos/Finn avait été tué.
« Celui que tu as tué ici », dit-il, « est celui qui avait l’habitude de tuer tout homme qui venait demander la jeune fille en mariage, car il l’aimait ».
Sur ce Vindos/Finn et Fiacal se mirent en route, car Fiacal avait rendez-vous avec les Fénianes à Inber Colptha. Ensuite il dit à Vindos/Finn qu’ils pouvaient rentrez chez eux, car ce qu’ils avaient à faire ensemble était fini. Vindos/Finn lui demanda : « laisse-moi t’accompagner ».
« Je ne souhaite pas que tu viennes avec moi », répondit Fiacal, « de peur que la force ne vienne à te manquer ».
« Je verrai bien » répondit Vindos/Finn.
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Ensuite ils poursuivirent leur chemin. Il y avait douze pelotes de fil autour du cou de Fiacal afin de retenir sa fougue, tellement était grande sa rapidité. Il lançait une pelote après l’autre et Vindos/Finn les attrapaient, mais le jeu de Fiacal n’était pas plus rapide que celui de Vindos/Finn.
Ils atteignirent enfin Inber Colptha. Là Vindos/Finn lui rapporta les douze pelotes de fil, et il en fut bien content. Ils passèrent la nuit sur place. Ils demandèrent à Vindos/Finn de monter la garde cette nuit-là, et lui demandèrent de réveiller le guerrier au moindre cri en cas de nécessité. Or à un moment de la nuit, alors que Vindos/Finn faisait le guet, il entendit un cri venant du nord, mais ne réveilla pas le guerrier. Il partit tout seul en direction de l’endroit d’où venait ce cri jusqu’à la montagne de Slanga. Quand Vindos/Finn fut arrivé là, chez les Ulates, vers minuit, alors il aperçut devant lui trois femmes, sur un tertre vert, qui portaient le manteau des habitantes du sidh. Et en se lamentant ainsi sur ce tertre, elles mettaient leurs mains dessus.
Mais ces femmes rentrèrent aussitôt dans le sidh à l’arrivée de Vindos/Finn. Vindos/Fin attrapa l’une des femmes alors qu’elle était en train de revenir dans le sidh de Slanga, et lui arracha la broche de son manteau. La femme alors se retourna contre lui et insista auprès de Vindos/Finn pour qu’il lui rende sa broche, en lui disant qu’elle ne voulait pas retourner dans le sidh ainsi habillée [sans sa broche]. Elle promit une récompense et……… LA FIN MANQUE.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 3.
Druidesse. Le terme gaélique est formel, il s’agit du mot bandrai. Rappelons néanmoins…
Premièrement que dans l’ancien druidisme les collèges de prêtrise ou les communautés (hommes, femmes) étaient séparés. Il existait des fraternités masculines et des sororités féminines, chacun de son côté. Les collèges féminins surtout dans des îles d’ailleurs (Avallon, la mystérieuse île des Namnètes, l’île de Sein chez les Osismiens, etc.)
Deuxièmement l’équivalent féminin du terme « druide » est « prêtresse ». Il n’existe donc pas de druidesses au sens strict du terme.
Troisièmement. Des vellèdes de sexe féminin semblent attestés, à commencer par la célèbre Velléda des Bructères selon Tacite. Sans oublier dans la célèbre saga irlandaise de l’enlèvement des vaches de Cualnge, la mystérieuse inconnue venue d’Écosse qui essaie de mettre en garde la reine Medb au début de l’expédition (Videlma/Fedelm).
Quatrièmement les femmes semblent avoir surtout joué un rôle dans tout ce qui touchait aux relations avec le monde de l’invisible et avec la voyance.
ET ENFIN CINQUIÈMEMENT : RIEN N’INTERDIT D’AVOIR AUJOURD’HUI DES GROUPES DE NÉO-PAGANISME MIXTES, OU DRUIDES ET PRÊTRESSES SONT TRAITÉS SUR UN PIED D’ÉGALITÉ. L’ANCIEN DRUIDISME A FAIT SON TEMPS ! VIVE LE NÉO-DRUIDISME !
Tulcha. Semble être le fils né du premier mariage de Camulos/Cumall.
Daim. Nous traduisons le terme gaélique agaib par daim, mais ce mot peut également signifier vache bœuf cerf biche ou chevreuil. Pas facile le gaélique !
Le gué de la bouche rouge. Étymologie évidemment impossible : Ah ces bardes irlandais ! Quelle imagination !
Suabais est un mot gaélique difficile à comprendre. Bon comportement ?
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COMMENT VINDOS/FINN EST DEVENU MAÎTRE D’ALMU.
(Il s’agit de la deuxième et dernière partie du texte intitulé : la cause de la bataille de Cnuccha.
Le garçon fut nourri par eux après cela, jusqu’à ce qu’il soit capable de piller n’importe lequel de ses ennemis. Ensuite il réclama ou la guerre ou un duel avec Tadg, ou que la compensation financière (eric) due pour la mort de son père lui soit intégralement versée. Tadg répondit qu’il voulait un jugement pour cela. Le jugement fut rendu ; et voici le dispositif de ce jugement. Almu, telle qu’elle était, devrait lui être cédée pour toujours, et Tadg la quitter. Il en fut fait ainsi. Tadg abandonna donc Almu à Vindos/Finn et revint vivre dans le clan des Dathi, sur ses propres terres familiales ; et il demeura dans la colline de Ren (Cnuc-Réin), qui est appelée aujourd’hui colline de Tadg ; car c’est à cause de lui que cette colline a été appelée ainsi désormais. D’où les vers suivants :
Vindos/Finn exigea de Tadg des tours
Pour avoir tué Camulos/Cumall le grand,
Une guerre immédiate et sans merci
Ou bien qu’il puisse obtenir un combat singulier.
Comme Tadg était incapable de cela
Contre ce puissant seigneur
Il lui abandonna, ce qui lui suffisait,
Tout Almu tel qu’il était.
Vindos/Finn se rendit ensuite dans le château d’Almu et y demeura. Ce fut sa principale résidence sa vie durant.
Vindos/Finn et Goll le borgne firent la paix après cela ; et la compensation financière (eric) pour la mort de son père fut payée à Vindos/Finn par le Clan-Morna. Ensuite ils vécurent en paix jusqu’à ce qu’éclate entre eux à Temair-Luachra une violente querelle à propos du cochon de Slanga, quand Banb-Sinna fils de Maelenach fut assassiné ; d’où le quatrain ci-dessous :
Ensuite ils firent la paix
Vindos/Finn et Goll le borgne aux puissants exploits
Jusqu’à ce que Banb-Sinna soit tué
À propos du cochon, à Temair-Luachra.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 4.
Demné. Demné c’est-à-dire plus tard Vindos/Finn.
Banb Sinna. Banb signifiant « porc » en gaélique, on peut donc se demander si Banb Sinna ne signifie pas tout simplement la même chose que « Cochon de Slanga ». Auquel cas il s’agirait du meurtre de quelqu’un.
Temair. Tara.
20
LA NAISSANCE D’OSSIAN.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, le cycle des fénianes est plus récent que notre véritable Bible, le cycle d’Ulster (pas de chars pas de combats recourant à l’usage du char par exemple).
Cette différence était très bien perçue par les intellectuels de l’Irlande médiévale qui n’ont donc pas traité de la même façon ces deux ensembles de légendes différentes.
Celui des fénianes a visiblement beaucoup moins préoccupé les clercs du Moyen-âge irlandais, il a plutôt fait partie du registre des contes de fées populaires.
La conséquence immédiate de cette différence de traitement est que nous possédons beaucoup moins de manuscrits gaéliques anciens traitant du sujet par rapport au cycle d’Ulster et que nous sommes donc obligés pour en savoir un peu plus de nous appuyer sur des contes et légendes recueillis plus tardivement par des folkloristes comme Patrick Pearse P.W. Joyce, ou T.W. Rolleston, etc.
N.B. Le plus ancien texte concernant la naissance d’Ossian est un ensemble de deux quatrains du XIe siècle figurant dans la collection de manuscrits appelée en gaélique le Lebor Laignech (le livre du Leinster), livre qui contient d’ailleurs plusieurs poèmes attribués à Ossian.
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Un jour que Vindos/Finn et ses compagnons ainsi que ses chiens après une partie chasse revenaient dans leur château de la colline d’Almu, ils levèrent une jeune et magnifique biche sur leur chemin, et toute la chasse partit à ses trousses, cette dernière prenant le chemin qui menait à leur maison. Tous les poursuivants furent bientôt distancés à part Vindos/Finn lui-même et ses deux chiens Bran et Sceolan. Il est vrai que ces deux chiens avaient une étrange origine ; Tyren, sœur de Mirène, la mère de Vindos/Finn, avait été métamorphosée en chien par les sortilèges d’une femme des gens du sidh qui aimait Ullan le mari de Tyren ; et les deux chiens de Vindos/Finn étaient les enfants que Tyren avait eus en étant sous cette forme. C’étaient les meilleurs de tous les chiens d’Irlande et Vindos/Finn les aimait beaucoup, tellement qu’il est dit qu’il ne pleura que deux fois dans sa vie, et qu’une des fois fut pour la mort de Bran.
À la fin, alors que chasse descendait le flanc d’une vallée, Vindos/Finn vit la biche s’arrêter brusquement et se coucher, pendant que les deux chiens commençaient à tourner tout autour d’elle, et à lui lécher le museau et les membres. Aussi ordonna-t-il qu’on ne lui fasse aucun mal, et elle les suivit jusqu’au château d’Almu, en jouant avec les chiens tout le long du chemin.
La même nuit Vindos/Finn se réveilla et vit se tenant à côté de son lit la plus belle femme que ses yeux aient jamais pu contempler.
« Mon nom est Sadv, O Vindos/Finn », dit-elle, « et j’étais la biche que tu as chassée aujourd’hui. Comme je ne voulais pas donner mon amour au druide des gens du Sidh que l’on appelle le Sombre, il m’a donc affublé de cette forme en se servant de ses sortilèges, et j’ai vécu ainsi ces trois dernières années. Mais un de ses esclaves, ayant pitié de moi, m’a révélé un jour que si je pouvais gagner ton grand château d’Almu, O Vindos/Finn, je serais libérée de tous ces sortilèges, et que ma forme naturelle me reviendrait. Mais j’avais peur d’être mise en pièces par tes chiens, ou blessée par tes chasseurs, à moins de n’être rattrapée que par toi et Bran ou Sceolan ; car comme ils ont le caractère d’un homme ils ne m’auraient pas fait le moindre mal ».
« Ne crains rien, jeune fille », lui dit Vindos/Finn, « les fénianes sont libres, et nos bons invités de même ; ici personne ne t’obligera donc à faire quoi que ce soit ».
Sadv demeura par conséquent chez Vindos/Finn et il en fit sa femme. Si profond était son amour pour elle qu’il n’appréciait plus ni bataille ni chasse, et que pendant de nombreux mois il ne quitta pas un instant sa compagnie. Elle aussi l’aimait tout autant et leur bonheur d’être ensemble était semblable à celui des immortels dans la terre de Jouvence. Mais à la fin arriva aux oreilles de Vindos/Finn que les navires de guerre des hommes du Nord étaient dans la baie de Dublin, et il convoqua tous ses grands héros pour les affronter. « Car », dit-il à Sadv « les hommes d’Irlande nous donnent l’hospitalité ainsi que des tributs pour qu’on les défende contre les étrangers justement, et il serait honteux d’accepter tout cela de leur part, mais de ne pas leur donner en retour ce à quoi nous nous sommes engagés de notre côté ».
Et il rappela cette grande réflexion de Goll le fils de Morna un jour qu’ils étaient durement étrillés par une puissante armée : « Un homme » lui dit alors Goll, « a une autre vie après sa vie, mais jamais quand il a perdu son honneur ».
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Vindos/Finn fut absent pendant sept jours, et repoussa les hommes du Nord des côtes d’Irlande. Le huitième jour il revint, mais quand il pénétra dans son château il vit beaucoup de tristesse dans les yeux de ses hommes et dans ceux des femmes, et que Sadv n’était pas sur le rempart en train d’attendre son retour. Aussi les pria-t-il de lui dire ce qui s’était produit et ils lui répondirent :
« Après que toi, notre père et seigneur, fus parti bouter l’étranger dehors, et que Sadv eut commencé d’observer constamment la passe par où tu devais revenir, nous avons vu un jour quelqu’un qui avait ton apparence s’approcher, avec Bran et Sceolan sur ses talons. Et il nous a également semblé entendre portée par le vent la sonnerie du cor de chasse des fénianes.
Sadv a donc couru jusqu’à la grande porte, et nous n’avons pas pu la retenir ; tellement elle avait hâte de courir à la rencontre de cette illusion. Mais arrivée juste devant elle s’est arrêtée brusquement et a poussé un grand cri : car l’apparition qui te ressemblait l’a frappée d’un coup de baguette de noisetier magique, et là instantanément il n’y a plus eu ta femme, mais une biche à sa place. Ensuite ces chiens lui ont donné la chasse, et chaque fois qu’elle tentait de regagner le portail du château ils retournaient l’en empêcher.
Nous avons alors empoigné toutes les armes que nous pouvions et nous nous sommes précipités afin de mettre en fuite le sorcier, mais quand nous avons atteint l’emplacement où il était il n’y avait plus rien de visible, tout ce que nous pouvions entendre c’était le bruit d’une fuite éperdue et des aboiements de chiens ici et là, jusqu’à ce que ce tumulte finisse par mourir au loin et que tout redevienne silencieux. Tout ce que nous pouvions faire, O Vindos/Finn, nous l’avons fait ; mais Sadv a disparu ».
Alors Vindos/Finn se frappa la poitrine de la main, mais ne dit pas un mot, et se rendit dans sa chambre. Personne ne le vit du reste de la journée ni le jour suivant. Ensuite il sortit, et régla les affaires des fénianes comme avant, mais ensuite pendant sept ans il chercha Sadv partout dans les gorges les plus reculées les forêts les plus sombres et les cavernes d’Irlande, et il ne prenait aucun chien avec lui à part Bran et Sceolan. Mais à la fin il abandonna tout espoir de la retrouver un jour et il se remit à chasser comme autrefois.
Un jour qu’il suivait une chasse sur le Ben Bulban, dans Sligo, il entendit l’aboiement mélodieux de ses chiens changer soudainement et se transformer en grognements féroces et en jappements, comme s’ils étaient en train de combattre quelque bête féroce, lui et ses hommes accoururent et aperçurent sous un grand arbre un garçon aux longs cheveux tout nu, avec tout autour de lui les chiens luttant pour l’attraper, mais Bran et Sceolan se battant contre eux afin de les tenir à distance. Le garçon était grand et bien fait de sa personne, et alors que nos héros l’entouraient il jeta sur eux un regard imperturbable sans se préoccuper de la sanglante mêlée des chiens à ses pieds. Les fénianes battirent les chiens pour les éloigner puis ils ramenèrent le garçon chez eux. Vindos/Finn resta silencieux, mais scrutait des yeux continuellement la mine du jeune garçon. Avec le temps l’usage de la parole lui vint et l’histoire qu’il raconta fut celle-ci.
Il n’avait jamais connu de père, et ni de mère non plus, à part une gentille biche, avec qui donc il avait vécu dans la plus verdoyante et la plus plaisante des vallées entourée de tout côté par de très hautes falaises qui ne pouvaient pas être escaladées ou par des gouffres très profonds. L’été il vivait de fruits ou de semblables produits de la terre, et l’hiver des provisions étaient déposées pour lui dans une caverne. Venait parfois les voir un homme de grande taille au visage sombre qui parlait à sa mère, tantôt tendrement, tantôt de façon très menaçante, mais elle se dérobait toujours comme terrorisée alors, et l’homme s’en allait en colère. Il arriva un jour que ce sombre individu parla très longuement à sa mère et sur tous les tons de la supplication à la rage en passant par la tendresse, mais elle restait toujours à bonne distance et ne montrait que de la peur et de l’horreur. Ensuite à la longue l’homme en noir réussit à s’en approcher et lui donna un coup de baguette de coudrier magique ; et là-dessus il repartit en suivant son chemin, mais cette fois-ci elle le suivit, tout en se retournant constamment pour regarder son fils, en gémissant pitoyablement. Et lui, quand il essaya de la suivre, se retrouva incapable de bouger un membre ; il tomba par terre en pleurant de rage et de chagrin et perdit connaissance.
Quand il revint à lui plus tard il était sur les flancs de la montagne de Ben Bulban, où il resta quelque temps, à rechercher cette verdoyante vallée cachée quelque part, mais qu’il ne retrouva jamais. Ensuite quelque temps après les chiens l’avaient trouvé, mais la biche sa mère et son ténébreux druide personne ne sait ce qu’ils sont devenus.
Vindos/Finn lui donna le nom d’Ossian et il devint ensuite un guerrier de grand renom, mais de loin plus fameux encore pour les chants et les histoires qu’il composa ; de sorte que parmi toutes les choses que l’on rapporte des fénianes d’Irlande à ce jour, les gens ont coutume de dire : « Ainsi chantait le barde Ossian, fils de Vindos/Finn ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 5.
Le druide noir. Dans nos textes et à cause de la christianisation, tout druide est assimilé à un sorcier. Ce qu’il n’a jamais été. Les religions d’amour sont comme ça, elles ont toujours du mal à admettre la concurrence.
Ossian. Signifie littéralement faon. Le nom de son père jeune était Demné, ce qui signifie « daim ou cerf ». Totémisme ?
Ainsi chantait le barde Ossian. En général les enfants sauvages ne sont jamais devenus des êtres humains normaux. Socialisation et humanisation sont en effet des mécanismes très délicats et très fragiles. Un des rares cas authentiques est celui de la petite Marie-Angélique, une Indienne de la tribu des Renards (Wisconsin) ayant vécu dix années en forêt (de 10 ans à 20 ans) où il lui arriva de repousser des loups en se servant d’un gourdin.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 6.
J’entends déjà d’ici monter les objections à propos de ce conte de fées que nous avons soumis à la réflexion de nos lecteurs. Ce conte de fées en dit long pourtant sur la conception ou la philosophie de la nature que se faisaient les très sachants de la druidiaction antiques.
Le monde est un, la nature est une, ce sont des continuums, et il n’y a ni coupure ni abîme infranchissable entre les divers règnes, minéral, végétal, animal, humain. Ce qui importe c’est l’intériorité ou l’aspect physique.
Deux idées donc. La première : ce qui différencie les humains des non-humains, c’est l’intériorité – qu’on nomme celle-ci conscience réflexive, subjectivité ou faculté langagière – de même que les groupes humains se distinguent les uns des autres par leur manière particulière de faire usage de ces aptitudes, ce que l’on appelait autrefois l’esprit d’un peuple. Ensuite, l’idée complémentaire, très anciennement présente puisqu’y trouve des allusions dans le celto-druidisme, que la composante physique de notre personne nous situe dans un continuum matériel au sein duquel nous n’apparaissons pas comme des singularités beaucoup plus significatives que n’importe quel autre être organisé.
Par intériorité, il faut certes entendre la gamme des propriétés ordinairement associées à l’esprit, à l’âme ou à la conscience – intentionnalité, subjectivité, réflexivité, affects, aptitude à donner un sens ou à rêver –, mais aussi les principes immatériels supposés causer l’animation, tels le souffle ou l’énergie vitale, en même temps que des notions plus abstraites comme l’idée que l’on partage avec autrui une même essence, un même principe d’action ou une même origine.
A contrario, le physique concerne la forme extérieure, la substance, les processus physiologiques, perceptifs et sensori-moteurs, voire le tempérament ou la façon d’agir dans le monde en tant qu’ils manifesteraient l’influence exercée sur les conduites ou les habitus par des régimes alimentaires, des traits anatomiques ou un mode de reproduction particulier.
Les formules ontologiques autorisées par la combinaison de l’intériorité et de l’aspect physique sont donc très réduites : face à un autrui quelconque, humain ou non humain, on peut supposer soit qu’il possède des éléments de physique et d’intériorité identiques aux nôtres, c’est le totémisme ; soit que son intériorité et son aspect physique sont distincts des nôtres, c’est l’analogisme ; soit encore que nous avons des intériorités similaires et des aspects physiques dissemblables, c’est l’animisme ; soit enfin que nos intériorités sont différentes et nos apparences physiques analogues, c’est le naturalisme*.
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« Animisme », « totémisme », « naturalisme » et « analogisme », sont autant de modes d’identification différenciés, structurant l’expérience individuelle et collective, l’identification étant conçue comme une disposition générale grâce à laquelle on peut établir des différences et des ressemblances entre soi et les existants en inférant des analogies et des contrastes d’apparence, de comportement ou de propriétés entre ce que l’on pense que l’on est et ce que l’on pense que sont les autres. L’identification est ici fondée sur l’imputation ou le déni à des objets indéterminés d’une « intériorité » et d’un « aspect physique » analogues à celle que des humains peuvent s’attribuer à eux-mêmes, une distribution ontologique très générale et dont la distinction classique entre l’âme et le corps ne représente qu’une variante locale propre à l’Occident moderne.
L’animisme est le mode d’identification dans lequel les humains imputent aux non-humains une intériorité identique à la leur, tout en leur reconnaissant un physique différent. À l’inverse de ce qui est devenu la norme en Occident sous l’influence du judéo-christianisme, ce n’est donc pas par leurs âmes qu’humains et non-humains se différencient dans les systèmes animistes, mais par leurs corps. De plus, cette différence de physique ne concerne pas tant la matière – humains et non-humains partageant des substances communes qui circulent sans trêve entre les corps, à l’instar d’une vaste chaîne trophique –, elle concerne surtout la forme, c’est-à-dire non seulement la simple conformation physique, mais aussi l’ensemble de l’outillage biologique qui permet à une espèce d’occuper un certain habitat et d’y mener le mode de vie distinctif par lequel on l’identifie au premier chef. Chaque classe d’êtres possède son aspect physique propre, à la fois condition et résultat d’un régime alimentaire et d’un mode de reproduction particuliers, induisant ainsi ce que l’on pourrait appeler un éthogramme, c’est-à-dire un mode de comportement spécialisé dont les caractéristiques détaillées ne pouvaient échapper aux facultés d’observation aiguës que devaient déployer des peuples amenés à extraire chaque jour leur subsistance d’un environnement peu anthropisé.
Toutefois, si les formes sont fixes pour chaque classe d’entités, elles sont variables pour les entités elles-mêmes. Un trait classique de toutes les ontologies animistes est en effet la capacité de métamorphose reconnue aux êtres pourvus d’une intériorité identique : un humain peut s’incorporer dans un animal ou une plante, un animal adopter la forme d’un autre animal, une plante ou un animal ôter son vêtement pour mettre à nu son âme objectivée dans un corps d’homme. L’utilité de cette aptitude généralisée à la métamorphose paraît résider dans la possibilité qu’elle ouvre à des personnes humaines et non humaines dotées au départ de caractéristiques physiques différentes de trouver un terrain commun permettant des interactions sur un même plan, celui d’une intériorité commune. Or, étant donné les différences de forme donc de comportement, cela n’est possible que si l’on se fait reconnaître par autrui comme identique à soi en adoptant sa livrée, c’est-à-dire lorsque les plantes, les animaux ou les esprits qui sont leurs hypostases rendent visite aux humains sous la même apparence qu’eux – dans les rêves, généralement – et lorsque les humains revêtent une forme non humaine, en général celle d’un animal, pour aller à la rencontre de ces entités……
Il existe donc depuis des siècles en Occident tout un courant souterrain, mais actif que l’on pourrait qualifier de gradualiste qui refuse d’entériner l’existence d’une différence de nature entre les hommes et les animaux du fait de leur intériorité. Montaigne en est sans doute le représentant le plus connu, qui reconnaît aux animaux la faculté de raisonner, l’habileté technique et l’aptitude à apprendre. Pourtant, il demeure un cas assez exceptionnel ; au moment même où paraissent les Essais, un autre Français Pierre de la Primaudaye publie un traité d’anthropologie qui connut maintes rééditions et où sont réaffirmées d’un même mouvement la continuité physique de tous les existants et l’absolue singularité des humains du fait de leur possession d’une âme raisonnable. On ne doit donc pas exagérer l’importance de ces voix dissonantes ni l’ampleur de leur opposition à l’ontologie naturaliste dominante. C’est le cas aussi de Condillac : si le Traité des animaux est indubitablement gradualiste, il n’en admet pas moins l’existence d’un seuil irréversible dans le progrès des facultés que seuls les hommes ont franchi. En outre, l’âme des hommes et celle des animaux sont d’une nature entièrement différente, ce qui restaure la différence ontologique fondamentale entre eux et nous.
Bref, les développements récents de l’éthique comme de l’éthologie ont certes entraîné des rectifications de frontières significatives dans la coupure entre entités culturelles et entités naturelles, mais qui ne remettent pas fondamentalement en cause le schéma général organisant l’ontologie naturaliste.
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* Le naturalisme postule une continuité du physique des entités du monde (lois de la nature) et une discontinuité de leurs intériorités (seuls les humains ont une âme, un esprit, une culture).
Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 7.
La métamorphose est un phénomène qui existe à l’état naturel : le têtard se transforme en grenouille par exemple. Et de même, mais là on y croit ou on n’y croit pas, les dieux les déesses et les saints (comme Patrice en Irlande) sont capables de métamorphoses ou métempsycoses diverses et variées (hypnose ?).
48. Dans la Mer Britannique, en face de la côte des Osismiens, l’île de Sena est vouée à une divinité celtique, et demeure fameuse pour son oracle, dont les prêtresses, consacrées par leur perpétuelle virginité, passent pour être au nombre de neuf. Ils appellent ces prêtresses Gallizènes et pensent que, comme elles sont dotées de certains pouvoirs, elles peuvent agiter les eaux et les vents au moyen de leurs charmes magiques, qu’elles peuvent se métamorphoser en l’animal qu’elles veulent, qu’elles soignent ce qui est considéré comme incurable par d’autres, qu’elles connaissent l’avenir et le prédisent, mais qu’elles ne le révèlent qu’à ceux qui vont sur les mers et qui plus est qui viennent tout exprès pour les consulter (Pomponius Mela).
Les dieux et les déesses avons-nous dit, car il est évident que cette histoire de prêtresses n’était déjà plus du temps même de Pomponius Mela que du mythe érigé en histoire. À moins bien sûr qu’il ne se soit agi d’une transformation intérieure (avec conséquences somatiques, mais limitées sur le corps) de type chamanisme.
L’homme est aussi un animal *, c’est entendu, mais il va de soi que physiquement parlant aucun être humain n’a jamais pu se transformer de façon instantanée en animal de type ours aigle ou loup, du moins extérieurement.
Mentalement (avec quelques conséquences somatiques), c’est une autre histoire (chamanisme et drogues), mais sur le plan purement physique répétons-le, aucun être humain n’a jamais été capable de se métamorphoser ou d’être métamorphosé en animal, à de rares exceptions près dans nos légendes (ayant toutes trait à des êtres humains exceptionnels et d’ailleurs plus ou moins mythiques, comme saint Patrice).
* Les restes animaux dans l’homme sont appelés structures ou organes vestigiaux (appendice et coccyx par exemple).
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LE CHÂTEAU DU SORBIER.
Bruidean Caortainn.
Pièce de littérature orale figurant dans plusieurs manuscrits.
Le manuscrit 24 B 28, copié en 1728 par Edmond Terry.
Le manuscrit 23 C 30, copié en 1733 par Andrew Mac Curtin.
Le manuscrit 23 L 24, copié en 1766 par Dermott O’Mulqueen.
Le manuscrit 23 g 21, copié en 1795 par Michel Oge O’Longan.
Le manuscrit 24 B 15, copié en 1841.
Comme le montrent les dates, il s’agit surtout d’un conte de fées populaire mis tardivement par écrit.
Il n’y a pas grand-chose d’historique là-dedans évidemment ! Lochlann y est par exemple le nom donné à la Norvège. Et, comme dans de nombreux autres cas, c’est à l’origine une allusion à des créatures de l’autre monde (genre vouivres anguipèdes gigantesques ou Fomors) que les conteurs ont ensuite, et beaucoup plus tardivement, rapprochées des envahisseurs vikings.
Ainsi va la littérature orale. Elle s’adapte constamment aux variations du contexte historique et social.
Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 8.
Nous nous servirons pour notre travail à nous (notre école Saint Enda à nous) de la version légèrement résumée donnée par P.W. Joyce de l’Académie Royale Irlandaise en 1920.
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Il était une fois un noble roi guerrier qui régnait sur la Scandinavie, et dont le nom était Colga aux armes dures. Un jour ce roi réunit ses principaux lieutenants sur la verte et large plaine qui s’étendait devant son palais de Berva. Et quand ils furent tous là, il leur parla haut et fort du haut de son trône ; il leur demanda s’ils avaient quelque chose à lui reprocher pour ce qui est de la façon dont ils régnaient sur eux, et s’ils connaissaient quelque chose méritant d’être blâmé à son propos dans l’exercice de ses fonctions de seigneur souverain roi de ce pays. Ils répondirent comme un seul homme qu’ils n’avaient rien à lui reprocher.
Le roi prit ensuite la parole pour leur dire : « Vous ne me voyez pas tel que je suis. Vous ne savez pas que l’on m’appelle le roi des quatre tribus de Scandinavie, et des îles de la Mer ? » Et pourtant il y a encore une île qui ne reconnaît pas ma souveraineté ».
Et quand ils lui demandèrent quelle était donc cette île dont il parlait, il leur répondit :
Cette île c’est la Verte Erin. Mes ancêtres en effet l’ont dominée jadis, et nombre de nos braves guerriers sont morts au combat là-bas. C’est ici qu’est tombé le grand roi Balaros aux coups puissants ; son fils Bregsos également ; et sa reine Catulinna aux dents tordues ; là également sont tombées Irann et Slanna, les sœurs du roi ; et beaucoup d’autres que je ne saurais nommer. Mais bien que nos troupes aient fini par soumettre le pays et lui imposer un tribut, ils ne l’ont pas tenu longtemps ; car les hommes d’Irlande se sont levés en masse pour chasser notre armée, regagnant ainsi leur antique liberté.
« Et maintenant mon bon plaisir est que nous fassions voile vers l’Irlande avec une flotte et une armée afin de la faire retomber en mon pouvoir et lever de gré ou de force les impôts qui me sont dus de droit. Ensuite nous tiendrons cette île dans la sujétion jusqu’à la fin du monde ».
Les chefs approuvèrent cet avis du roi et se séparèrent.
Le roi fit une proclamation et envoya ses éclaireurs ainsi que ses messagers dans tout le pays afin de mobiliser ses combattants, jusqu’à ce qu’une puissante armée se soit réunie.
Et quand ils eurent fini d’armer leurs navires aux flancs rebondis et aux voiles blanches, ainsi que leurs puissants bateaux glissant rapidement sur les vagues, l’armée embarqua. Les voiles furent hissées aussitôt et ils souquèrent ferme sur les avirons ; ils fendirent les flots saumâtres et les vents clairs du nord soufflèrent dans leurs voiles ; ils ne firent ni halte ni escale jusqu’à ce qu’ils aient pu débarquer sur le rivage de la province d’Ulidia.
Le roi d’Irlande en ce temps-là était Cormac Art, le petit-fils de Conn aux cent batailles. Et quand il entendit qu’une grande flotte était venue jusqu’en Irlande, et avait débarqué une armée d’étrangers, il envoya directement des informations sur cette invasion jusqu’au château d’Almu aux douces pentes verdoyantes où vivait Vindos/Finn et les nobles guerriers fénianes des Gaëls.
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Quand les messagers du roi eurent fini de rapporter leurs informations, Vindos/Finn dépêcha ses fidèles courriers aux pieds légers dans tous les endroits d’Irlande où il savait qu’il y avait des Fénianes ; après leur avoir demandé de leur dire à tous qu’ils devaient le retrouver quelque part non loin de la portion de côte ou l’armée scandinave avait installé son camp. Et lui-même conduisit les Fénianes du Leinster vers le nord pour rejoindre le lieu du rassemblement.
Ils attaquèrent les étrangers qui contrèrent rapidement leur assaut, et les Fénianes furent sérieusement malmenés dans cette bataille, au point que les Scandinaves faillirent l’emporter.
Oscar, le fils d’Ossian, quand il vit ses amis tomber tout autour de lui, en eut un haut-le-cœur et resta un instant avant de reprendre des forces et de canaliser sa fureur. Ensuite, reprenant le combat, il se rua donc avec furie sur l’étendard de Colga le roi de Scandinavie, en faisant des ravages et des massacres parmi les étrangers qui se dressaient sur son chemin. Le roi vit Oscar approcher, il l’affronta, et ils se livrèrent une lutte à mort au corps-à-corps. Leurs boucliers furent bientôt brisés, leurs casques d’acier cabossés de coups d’épée, leur armure percée de partout, et leurs chairs déchirées par de profondes blessures. Et finalement le roi des étrangers fut tué par Oscar le fils d’Ossian.
Quand les Scandinaves virent leur roi tomber, ils perdirent courage, et la bataille tourna en faveur des Fénianes. Mais ils continuèrent néanmoins à combattre jusqu’au soir où leur armée perdit pied : ils s’enfuirent du champ de bataille. De tous les nobles princes et puissants seigneurs qui avaient fait voile vers la verte Irlande à l’occasion de cette expédition, aucun n’était resté en vie, à l’exception du plus jeune fils du roi, dont le nom était Midac. Vindos/Finn l’épargna en raison de son jeune âge ; dans l’intention de l’élever dans sa propre maison.
Après que les Fénianes se soient reposés un certain temps, et qu’ils aient enterré leurs morts, ils se mirent en route vers le sud et marchèrent lentement vers Almu, en ramenant avec eux leurs compagnons malades ou blessés. Vindos/Finn installa Midac dans la maison d’Almu, en le traitant honorablement, et en lui donnant des domestiques et des précepteurs. En outre il l’enrôla dans les Fénianes et lui confia de hautes responsabilités comme il convenait à un prince.
Après tout cela les choses reprirent leur cours normal, et Midac grandit en devenant peu à peu un homme. Il chassait ou banquetait avec les fénianes, et combattait avec eux quand ils se battaient. Mais il ne perdait jamais une occasion de faire la connaissance de leurs repaires et de leurs terrains de chasse, de leurs châteaux et de leurs forteresses, en particulier de leur façon de combattre.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 9.
Quelle était donc cette île dont il parlait ? Nos frères et sœurs d’Irlande ont toujours eu le péché mignon de se prendre pour le centre du monde. Je ne peux m’empêche de penser ici au fameux village d’Astérix et Obélix, encerclé par les camps romains d’Aquarium et Laudanum (du moins si l’on en croit ce leitmotiv de la célèbre B.D. : « Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ ; toute la Gaule est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains des camps retranchés d’Aquarium et Laudanum… ».
Mais bien sûr tout cela n’est qu’une fiction, s’il fallait absolument trouver le véritable village d’Astérix et Obélix il faudrait plutôt chercher du côté de Plumergat en Bretagne.
Balaros ? On ne saurait mieux dire qu’il y a donc assimilation entre les Vikings et les vouivres anguipèdes gigantesques qu’on appelle Fomors.
Les étrangers. Ainsi qu’on aura pu le remarquer, nos textes font souvent allusion à des étrangers, contre lesquels les Irlandais de souche ou assimilés se battent. C’est une constante des légendes gaéliques.
Reconnaissons néanmoins que c’est là un sentiment humain bien naturel.
On ne peut aimer des hommes ou des femmes que l’on ne connaît pas. Mais tous les étrangers ne sont pas ainsi rejetés dans la mythologie celtique. Certains sont au contraire bien accueillis.
S’il est impossible de savoir comment furent accueillis les étrangers auxquels font allusion les druides mentionnés par Ammien Marcellin citant Timagène : « Les druides [latin drasidae] affirment qu’une
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partie du peuple est réellement indigène, mais que les autres ont afflué d’îles très lointaines, et de régions situées au-delà du Rhin, chassés de leurs précédentes demeures par des guerres trop fréquentes, et aussi quelquefois par des inondations dues à une mer déchaînée ».
On sait qu’un autre thème de légende est celui de la belle étrangère qui vient séduire les humains, comme dans le cas de Niamh et Ossian donc.
Il importe par conséquent de dire quelques mots de la question.
La peur est très certainement l’une des émotions les plus anciennes du monde animal. Elle se manifeste de façon parfois spectaculaire.
Les peurs peuvent être classifiées en deux grands types : les peurs déclenchées par une cause externe et les peurs déclenchées par une cause interne.
La peur déclenchée par une cause interne est une peur liée à des émotions souvent négatives (ex. : la sous-estimation de ses propres capacités). Mais nous ne parlerons ici essentiellement que du premier cas de figure.
Biologiquement parlant, la peur est un instinct de survie qui permet aux animaux d’éviter des situations dangereuses pour eux-mêmes ou pour leur progéniture. Le principal objet de peur pour un animal est typiquement la présence d’un prédateur. La complexité de l’esprit humain a néanmoins transposé cette émotion et l’a dirigée vers des objets et situations aussi diverses que peuvent l’être les activités humaines.
Chez l’homme la peur peut se manifester par des tremblements, une hausse de la fréquence cardiaque, un écarquillement des yeux et une perturbation du rythme respiratoire. Ces différents symptômes sont essentiellement dus à la sécrétion d’adrénaline, principale hormone de la peur. Dans certains cas, une peur soudaine peut provoquer le besoin de pousser un cri. La peur peut aussi provoquer une paralysie momentanée partielle et parfois complète, allant jusqu’à une perte de conscience. Il est aussi avéré qu’une peur violente peut provoquer une perte des cheveux pigmentés ne laissant subsister que les cheveux blancs, comme ce fut le cas pour la reine Marie-Antoinette à Paris en 1793, ainsi qu’un léger changement de la couleur de la peau qui explique probablement l’expression « être vert de peur ». On dit aussi que la peur provoque l’horripilation des poils, plus prosaïquement appelée chair de poule.
Dans les cas extrêmes, la peur peut aussi relâcher les muscles du bassin, provoquant ainsi l’évacuation de l’urine (les hoplites sentaient l’urine avant l’affrontement et on les comprend vu l’imbécillité de ce genre de combat), et parfois même du bol fécal. Quelques expressions populaires décrivent ce phénomène. Il est prêté à la peur le pouvoir de mettre un terme au hoquet. Enfin, la peur suscite chez l’homme comme pour la plupart des mammifères, une puissante activité hormonale qui peut provoquer le dégagement par la peau d’une forte odeur, ainsi qu’une hyperactivité du système sudatif, créant ce qu’on appelle les « sueurs froides ».
La peur de l’inconnu est un phénomène éthologique observé chez de nombreux animaux évolués et elle est source de prudence.
Chez l’Homme, elle peut être individuelle ou collective. C’est la peur d’un danger hypothétique. Elle apparaît face à circonstances inconnues. La peur de la mort, ou de l’obscurité, de ne rien voir peuvent en être des formes, de même que la peur pour un changement ou quelque chose de nouveau (exemples : un bruit ou son nouveau, animal/insecte/personne/lieu nouveau, un voyage, un étranger, un entretien d’embauche, conférence, spectacle, concert ou exploit sportif à donner devant de nombreux spectateurs ou juges inconnus, etc. ces dernières situations se définissant plus communément sous l’appellation de “trac”, lié à la peur de ne pas réussir ou à la peur du ridicule).
Cette peur peut être plus individuelle, et traduire une certaine « timidité », selon son degré d’émotivité, face à un ou plusieurs interlocuteurs, ou personnes qui impressionnent par leur statut (par exemple devant une idole, ou une personne du sexe opposé), se traduisant parfois lors d’une situation embarrassante nouvelle, par le rougissement. La timidité, comme le trac ou toute peur, s’estompe avec le temps et l’habitude, liés à l’expérience.
La peur est donc naturelle et universelle. C’est sa gestion et son intensité qui peuvent devenir problématiques.
L’absence totale de peur de l’inconnu peut être un phénomène pathologique et conduire à la mise en danger par imprudence.
Une peur raisonnée et modérée de l’inconnu permet par contre une certaine ouverture d’esprit et peut devenir facteur de créativité.
La peur a un effet très fort sur les foules et ainsi est utilisée afin de contrôler les peuples. Dans les systèmes totalitaires ou dans l’esclavage traditionnel, l’objet de la peur est clairement identifié, il s’agit d’une menace de punition ou de mort en cas de désobéissance. Dans les systèmes dits
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démocratiques où une telle menace n’est pas explicite, il importe plus de contrôler ce que pensent les gens, en déformant les informations et avec des menaces plus abstraites ou même virtuelles.
La xénophobie, comme son étymologie l’indique, participe non pas tant de la haine que de la peur de l’étranger.
Or ces peurs ne sont pas toujours infondées. Les étrangers ne sont pas toujours animés de bonnes intentions. L’exemple nazi en est la tragique illustration. Peut-on dire que les nazis de 1930 étaient animés de bonnes intentions vis-à-vis des Polonais des Tchèques des Russes des Français ?? Dit autrement, Polonais juifs Tchèques Serbes Français voire Russes, avaient-ils quelques raisons de craindre les Allemands nazis ?? Qui osera répondre « non » à cette question après avoir lu Mein Kampf.
Notons également qu’un des plus anciens « exemples » de xénophobie nous est paradoxalement fourni par la partie « Ancien Testament » de la Bible qui a inventé l’esclavage des Hébreux en Égypte afin d’unir politiquement la population des environs de Jérusalem derrière son roi face au puissant royaume d’Égypte. Nous avons là un autre contre-exemple de l’utilisation politique de l’altérité afin de jouer sur les peurs.
Condamner ou se gausser systématiquement de toute forme de peur comme le fait l’intelligentsia française est d’autant plus stupide qu’elle a une peur panique elle aussi de certaines choses (le contrôle de ses frontières le protectionnisme économique le fait pour un pays, une ville ou une organisation, de réserver certains droits ou avantages à ses membres ou à ses citoyens, de l’altérité radicale des sexes, et bien sûr du fascisme brun du nazisme de l’extrême droite du racisme, etc.
Or tout le problème est de distinguer les peurs fondées, voire justifiées de celles qui ne reposent effectivement sur rien.
Tout bruit dans la nuit est inquiétant. Si après avoir fait la lumière on s’aperçoit qu’il ne s’agit que du chien ou du chat de la maison alors on peut voir que cette peur était sans fondement et pousser un soupir de soulagement.
Mais si on découvre qu’au lieu du chien ou du chat de la maison c’est une bête féroce assoiffée de sang (comme les nazis de 1930) alors il est heureux de s’en être aperçu assez tôt pour avoir quelque chance de se défendre, de sauver sa vie et celle des siens par la même occasion.
Se gausser ou se moquer systématiquement de la peur de l’inconnu comme le font les intellectuels français s’avère donc stupide, il faut simplement faire la lumière, toute la lumière, sur ce qui provoque cette peur. Un point c’est tout. Il est vrai que cela implique une grande liberté d’expression et ça, les intellectuels français n’aiment pas trop ça.
Il faut être con et sociopathe comme un intellectuel journaliste artiste ou homme politique français pour avoir l’inhumaine barbarie de rester insensible à ces peurs chez les autres, de s’en moquer ou de les dénigrer (en France même les critiques ou les adversaires appellent ça « donner dans l’angélisme »*) au lieu de les apaiser en acceptant de faire toute la lumière sur leurs causes, et ensuite éventuellement bien sûr de travailler à surmonte le danger si danger il y a bien. Moi par exemple j’ai terriblement peur du fascisme vert (de certains versets du Coran). Est-il pertinent de s’en moquer en ricanant bêtement ??
* L’homme est ni ange ni bête est le malheur est que qui veut faire l’ange fait la bête. Ne dit-on pas communément que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? Expliquer à un membre du Ku Klux Klan que ses ancêtres étaient eux aussi des immigrés, d’une part ne lui apprendra rien, et d’autre part ne le rendra pas moins raciste, n’en déplaise aux intellectuels français (car quand le sage montre la lune du doigt, l’intellectuel français… regarde le doigt).
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Il arriva un jour, alors que Vindos/Finn et quelques-uns de ses principaux chefs tenaient conseil, et débattaient de sujets divers, tout spécialement de l’état et de la condition des fénianes, que Vindos/Finn leur demanda de prendre la parole afin de donner leur opinion ou leur avis sur tout ce qu’ils estimaient assez important pour être débattu en réunion.
Alors Conan Mail, le fils de Morna, après que beaucoup d’autres aient parlé avant lui, se leva et dit :
« Il me semble, O grand roi, que toi et moi ainsi que les fénianes en général, nous courons un grave danger. Car tu as dans ta maison, se mêlant à tes gens, un jeune homme qui a de bonnes raisons de t’en vouloir ; je veux dire Midac, le fils du roi de Scandinavie. N’est-ce pas par toi que son père et ses
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frères ainsi que nombre de ses amis ont été tués ? J’ai l’impression que ce jeune prince ne parle pas beaucoup et qu’il reste distant, qu’il ne parle guère à son entourage. Mais je remarque néanmoins qu’il se donne beaucoup de peine chaque jour pour apprendre tout ce qui concerne les fénianes, et comme il a des amis en Norvège, des hommes puissants avec des armées à leur solde et des navires, je crains moi que ne vienne un jour où ce prince se servira de toutes connaissances pour nous anéantir ».
Le roi lui répondit que tout ceci était bien vrai, aussi demanda-t-il à Conan de lui faire part de son opinion sur ce qu’il fallait faire.
« Ce que je conseille en la matière » répondit Conan, « c’est ceci : que Midac ne soit pas autorisé à demeurer plus longtemps dans le château d’Almu. Mais comme il se trouve qu’il doit être traité de la manière qui sied à un prince, qu’une terre lui soit donnée ailleurs en Irlande, avec une maison et du personnel en propre. Nous serons ainsi libérés de sa présence, et il ne pourra plus assister à nos conseils et apprendre nos secrets ainsi que nos plans ».
Ce discours parut à Vindos/Finn et aux autres chefs raisonnable et prudent, et ils furent tous d’accord pour suivre l’avis de Conan Mail.
Vindos/Finn fit donc venir le prince et lui dit :
« Tu sais, Midac, que tu as grandi depuis ton enfance dans ma maison, et que tu y as été traité en tout point comme il sied à un prince. Maintenant tu es un homme, et tu n’as plus besoin d’apprendre quoi que ce soit, car tu sais tout ce qui peut être utile à un prince et à un champion des fénianes, or il ne convient pas que tu demeures plus longtemps dans la maison d’un autre. Choisis donc les deux baronnies qui te plaisent le plus dans toute l’Irlande, et elles te seront données à toi et à tes descendants pour toujours en tant que demeure familiale. Là tu pourras y faire construire des maisons ainsi qu’un domaine pour toi, je t’aiderai en mettant à ta disposition des hommes et du bétail ainsi que toutes les autres choses qu’il te faudra ».
Midac écouta en silence ; et quand le roi eut fini de parler, il lui répondit d’un air distant et froid, en peu de mots, que cette proposition était raisonnable et adaptée, qu’elle lui plaisait bien. Et sur ce il choisit la riche baronnie de Kenri sur le Shannon, ainsi que la baronnie des îles juste à côté au nord, de l’autre côté de la rivière.
Midac avait en fait de bonnes raisons de choisir ces deux territoires de préférence à tous les autres en Irlande. Car le fleuve s’ouvrait là entre ces deux baronnies en un estuaire grand comme la mer, dans lequel il y avait de nombreuses îles et havres bien abrités, où des navires pouvaient mouiller en toute sécurité. Il espérait faire venir un jour par là une flotte et une armée en Irlande, afin de se venger sur Vindos/Finn et les fénianes des défaites qu’ils avaient infligées à ses compatriotes et surtout de la mort de son père et de ses frères. Étant résolu à trahir, il n’aurait pas pu choisir dans toute l’Irlande territoire plus adapté à l’exécution de ses noirs et secrets desseins.
Ces deux baronnies furent donc concédées à Midac. Vindos/Finn donna aussi beaucoup de bétail et de richesses de toutes sortes ; de sorte que, quand sa maison fut construite, et quand il fut installé sur son nouveau domaine, avec ses serviteurs son bétail et ses richesses tout autour, il n’y avait aucun hospitalier ni intendant d’Irlande plus riche ni plus prospère que lui.
Pendant quatorze ans Midac vécut dans sa nouvelle demeure, devenant un plus riche chaque année. Mais les fénianes ne surent rien de son nouveau train de vie, car il se tenait à l’écart et aucune de ses anciennes relations ne lui rendait visite. Et bien qu’il fasse toujours officiellement partie des fénianes, jamais durant tout ce temps-là il n’invita l’un d’entre eux dans sa maison ni n’offrit de la nourriture de la boisson des jeux, d’aucune sorte.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 10.
Ils furent tous d’accord pour suivre l’avis de Conan Mail…
Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer à quel point certaines peurs étaient légitimes ou fondées. La peur de l’islam pur et dur par exemple, car cette religion n’a pas l’équivalent de la parabole de la femme adultère (Jean 7 : 53) ni de l’adultère de la femme de Partholon, ni l’équivalent du prudent et sage respect des étrangers prôné par les druides (le meurtre d’un étranger plus sévèrement puni que celui de quelqu’un de sa propre communauté) ou par la parabole chrétienne du bon Samaritain (son strict équivalent pour ce qui est de l’islam serait un pieux musulman soignant un juif pire même un athée ou un païen, bref quelqu’un ne faisant pas partie des religions du livre). Certains ne verront dans toute cette histoire qu’une vulgaire manifestation de racisme (anti blond aux yeux bleus) * puisqu’on met ce propos dans la bouche d’un membre du clan Morna ; mais c’est évidemment plus complexe qu’un simple racisme anti blond ou anti roux……
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Une nation est un organisme vivant à l’alchimie subtile, un plat lentement cuisiné, il ne faut pas en changer trop rapidement et trop massivement la composition, sinon c’est l’échec assuré ! Avec beaucoup de vies brisées en plus.
L’intégration dans une nation, que ce soit progressivement et parce qu’on y a grandi, ou plus rapidement parce qu’on s’y est installé, demeure toujours un processus infiniment délicat, essentiellement psychologique, on est dedans ou on est dehors pour un tas de raisons, toutes plus difficiles à expliquer les unes que les autres. Les membres du Ku Klux Klan savaient tous très bien qu’ils étaient issus d’une immigration plus ou moins lointaine, mais il n’empêche qu’ils se sentaient psychologiquement membres intimes d’un tout dont à leurs yeux ne faisaient pas partie leurs victimes (qui d’ailleurs avaient bien conscience elles aussi de ne pas faire partie du même monde qu’eux). Nous sommes tous issus de l’immigration d’ailleurs puisque nous venons tous d’Afrique. Mais à des dates différentes ! Les immigrations sont plus ou moins anciennes, et il y a eu plus ou moins assimilation, voilà tout, mais tout est là justement ! Le sentiment d’appartenance nationale, de commune appartenance nationale, est essentiellement psychologique. On l’a ou on ne l’a pas ! On se sent dedans ou dehors ! On est psychologiquement dedans ou psychologiquement à l’extérieur.
Les premiers Saxons installés en [Grande] Bretagne avaient-ils l’impression de faire partie de la même communauté nationale ou d’avoir une communauté de Destin avec les ancêtres des Gallois ? La réponse est bien évidemment non et il aurait mieux valu pour les compatriotes de Vortigern ne jamais faire appel à eux. Les premiers colons européens avaient-ils le sentiment 100 ans après Christophe Colomb de faire partie des mêmes nations ou d’avoir une communauté de Destin avec les frères de Pocahontas ?? La réponse est évidemment non, et il aurait mieux valu pour les Indiens s’unir pour nous rejeter à la mer immédiatement…
Mais le cas du Ku Klux Klan est à cet égard exemplaire. Les membres du Ku Klux Klan savent très bien que leurs familles sont issues de l’immigration. Sont-ils pour autant psychologiquement convaincus dans les tréfonds de leur âme qu’ils font partie intégrante de la même nation que leurs boucs émissaires?? Non ! Ils n’avaient même pas le sentiment de faire partie de la même nation que les Yanquis, alors !!!
Disons pour être plus positif que tout cela est une histoire d’amour qui s’apparente un peu à un mariage, on aime ou on n’aime pas. Mais quand on introduit un chat dans un chenil, et que ça se passe mal, la faute en incombe-t-elle au chat, aux chiens, ou à ceux qui ont voulu à tout prix procéder à une telle opération ?
Il s’agit donc là d’un tout autre défi, celui représenté par les ennemis de l’intérieur. Quelqu’un qui a l’air parfaitement assimilé en apparence, mais qui en fait reste psychologiquement étranger. Officiellement citoyen à 150 % (en fait c’est bien simple, plus citoyen ou patriote que lui tu meurs) sur le papier, mais de cœur toujours autre différent non assimilé. Bref un national ou un ressortissant de papier certes, mais n’aimant ni la langue ni l’histoire ni la cuisine ni les coutumes ni la manière de s’habiller ou de vivre de son pays d’adoption.
Que faire quand le vouloir vivre ensemble n’existe pas, ou plus ; que faire quand il y a rejet de la communauté de destin (rejet ou négation ou refoulement de pans entiers de l’histoire nationale – « on ne se sent pas concerné » – refus de la vie en commun pour des raisons religieuses, maintien de l’allégeance aux pays d’origine, etc. ?)
Les statuts de Kilkenny adoptés en1366 prouvent qu’un tel processus psychologique n’est nullement inévitable puisque la noblesse et les barons normands de l’époque ** devinrent souvent plus irlandais que les Irlandais de souche eux-mêmes (il est vrai qu’il y avait alors communauté de religion), une situation qui ne changea qu’à partir du XVIe siècle.
Le risque qu’un individu d’origine étrangère ne se considère point (psychologiquement parlant et au fond de lui-même) comme un natif existe néanmoins, il faut le savoir. Il n’y a pas que des assimilations de type de celle qui conduisit la noblesse normande à devenir plus irlandaise que les Irlandais de souche.
Le pire en France est que le remplacement systématique par les gens gentils et intelligents, donc démocrates, laïcs, de gauche, etc. du bien concret référent « nation » (mot qui en latin renvoie à la naissance au droit du sang, etc.) par une abstraction du type « vouloir vivre ensemble » ou « République » (150 dans le monde), est un emprunt à un penseur de droite, en l’occurrence Renan, qui a développé ce concept pour justifier le très nationaliste maintien en France de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, après le nouveau « Waterloo » survenu à Sedan en 1870 (mobilisation plus rapide et meilleure organisation militaire des Prussiens).
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*Il faudrait peut-être que le français finisse enfin par ne plus confondre les nationalités psychologiques ou de cœur, le sentiment d’appartenance nationale, avec la citoyenneté ou le fait d’être ressortissant de tel ou tel État : cela permettrait de parler des vrais problèmes. Il va de soi que nous n’acceptons aucunement les raisonnements à la française du type : « le racisme anti irlandais existe depuis hier 23 h 54 ; mais il ne faut pas en parler ; enfin il ne faut surtout pas lutter contre ; car la lutte contre un tel racisme en Irlande même divise » ! Notre avis de non-raciste étant en effet que LE RACISME ne se divise pas en racismes inacceptables ou acceptables, en racismes moins graves que les autres (racisme anti roux anti albinos – si ce n’est pas un racisme antiblanc celui-là-), comme voudraient le faire les journalistes intellectuels ou hommes politiques français (ce sont les mêmes : pauvre pays pauvre peuple), IL SE COMBAT.
** Quand en 1169, le roi de Leinster, Dermot Mac Murrough, est chassé de son trône, il fait appel au roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt pour le reconquérir. C’est ainsi que débarqua un corps de chevaliers normands sous le commandement de Richard de Clare, comte de Pembroke, surnommé Strongbow. Ce dernier permet le rétablissement du roi Dermot et reçoit en mariage sa fille, ce qui lui permit de lui succéder quelques années plus tard.
Hospitalier ou intendant. Nous traduisons ainsi le terme gaélique brugaid. Le brugaid était un homme qui se voyait confier un immense domaine, à charge pour lui d’y recevoir nourrir et loger tous les hôtes de son maître.
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Un jour, Vindos/Finn et les fénianes allèrent à la chasse dans la région de Fermorc et dans la plaine de Hy Conall Gavra. Les préparatifs une fois finis, et la chasse sur le point de commencer, Vindos/Finn lui-même et une poignée de ses compagnons se rendirent au sommet de la colline de Knockfierna pour observer le tout ; alors que le gros des fénianes se dispersait dans la plaine avec ses chiens et ses valets, afin de débusquer le cerf et les sangliers ou lever tous les autres gibiers de la forêt.
Les gens de Vindos/Finn plantèrent leurs tentes, confectionnèrent de moelleuses couches faites de jonc et de bruyère, et creusèrent des fosses pour la cuisson, car ils voulaient que cette colline serve de halte à tous ceux qui choisiraient de s’y reposer avant que la chasse ne soit finie.
Après que Vindos/Finn et ses compagnons se soient assis sur la colline, ils virent un guerrier de haute taille arriver armé de pied en cap. Il portait une splendide cotte de mailles à la scandinave et par-dessus un manteau de fin satin multicolore. Un large bouclier pendait à son épaule gauche et son casque luisait comme de l’argent poli dans le soleil du matin. À son flanc gauche pendant une longue épée, à pommeau d’or et au fourreau émaillé ; il tenait à la main droite ses deux longues lances de mort polies. Sa figure et son allure étaient magnifiquement majestueuses, et en arrivant il salua le roi en usant de paroles courtoises dignes d’un prince.
Vindos/Finn rendit la salutation et parla donc avec lui un moment ; à la fin il lui demanda d’où il était venu et s’il avait des nouvelles.
« En ce qui concerne l’endroit d’où je viens », répondit-il », il n’y a pas lieu d’en parler maintenant ; et pour ce qui est des nouvelles je n’ai rien à dire excepté que je suis un poète, et que je suis venu à toi, O roi des fénianes, avec un poème ».
« Il me semble pourtant » répondit Vindos/Finn, que conflits et batailles sont plutôt la poésie dont tu t’occupes ; car je n’ai jamais vu de héros à la mine et à l’allure plus nobles.
« Je suis poète néanmoins », répondit l’inconnu », et si tu m’y autorises, je te le prouverai en récitant le poème que j’ai pour toi ».
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Conan Mail prit alors la parole : « Tu es, O roi, le plus sage et le plus clairvoyant des fénianes, et tu as démêlé ou expliqué les difficiles figures poétiques de ce champion. Mais en l’occurrence pourtant tu n’as pas su distinguer un ami d’un ennemi ; car cet homme c’est Midac, que tu as élevé, mais aussi entouré de beaucoup d’honneur dans ta propre maison, et dont tu as fait un homme riche après ça, mais qui est maintenant ton ennemi juré tout comme il l’est de chacun des fénianes. Il a vécu quatorze ans sans camaraderie ni liens aucuns avec ses anciens compagnons. Et bien qu’il soit officiellement
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membre de l’ordre des fénianes, il ne t’a jamais, durant tout ce temps-là, invité à un banquet, il n’est jamais venu voir aucun de ses vieux amis, et n’a jamais donné à manger ou des jeux à un des fénianes, que ce soit un maître ou un simple guerrier.
Midac répondit : « Si Vindos/Finn et les fénianes n’ont pas encore festoyé avec moi, ce n’est pas de ma faute, car ma maison n’a jamais manqué de banquets donnés pour des rois ou des chefs ; mais vous n’êtes jamais venus y participer. Il est vrai que je ne vous ai jamais envoyé d’invitation ; mais pourquoi donc avoir attendu puisque j’étais un des fénianes et que j’ai grandi dans votre propre maisonnée ? Passons là-dessus néanmoins. J’ai maintenant un festin qui vous attend justement, il est en tout point digne d’un roi ; et je vous invite vous et les autres chefs qui sont ici avec vous à venir l’honorer de votre présence cette nuit, sous peine d’être maudits. J’ai deux châteaux, et dans chacun des deux je donne un banquet. L’un est le palais de l’Île, qui se dresse en pleine mer ; et l’autre est le château du sorbier, qui se trouve non loin de cette colline, c’est dans ce dernier que je vous invite à venir ».
Vindos/Finn y consentit ; et Midac, après leur avoir indiqué le chemin jusqu’au château du sorbier, les laissa sur place en disant qu’il devait y aller tout de suite et avant eux, afin que tout soit fin prêt pour quand ils arriveraient ?
Vindos/Finn tint alors conseil avec ses compagnons, et ils décidèrent que le fils du roi, Ossian, ainsi que cinq autres chefs, avec leur escorte, attendraient sur la colline jusqu’au retour des chasseurs, pendant que Vindos/Finn irait au château avec le reste.
Il fut convenu que Vindos/Finn ferait savoir immédiatement au parti resté sur la colline comment s’était passé son voyage ; et qu’Ossian et les autres devraient les suivre jusqu’au château quand les chasseurs seraient revenus.
Ceux qui restèrent avec Ossian furent Diarmat O’Duibne ; Fatha Conan le fils du fils de Conn ; Caletios/Cailte fils de Ronan ; Fiacna le fils de Vindos/Finn ; et enfin Innsa, le fils de Swena Selga.
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Alors que Vindos/Finn et son parti d’hommes approchaient du château, ils furent cloués de stupeur par sa taille et sa splendeur, et se demandèrent bien comme ils avaient fait pour ne l’avoir jamais vu auparavant. Il se dressait sur un terre-plein herbeux, qui était entouré de quelques arbres, croulant sous des grappes de sorbes écarlates. Sur un des côtés de la petite plaine, tout près du château, il y avait une large rivière, avec une berge rocheuse la dominant et un raidillon qui descendait jusqu’à un gué.
Mais ce qui les étonna le plus ce fut de voir que tout était désert et silencieux, il n’y avait âme qui vive nulle part ; et Vindos/Finn, craignant une traîtrise, aurait bien tourné le dos s’il ne s’était soudain rappelé de la malédiction (geis) et de la promesse qu’il avait faite. La grande porte était grande ouverte, et Conan y entra le premier ; après avoir découvert la salle des banquets, il en ressortit ravi de ce qu’il avait vu. Il vanta la beauté ainsi que la parfaite disposition de tout, et dit à ses compagnons qu’aucun autre roi ou chef dans toute l’Irlande n’avait de salle des fêtes pouvant égaler celle de Midac, le fils de Colga. Alors tous entrèrent derrière lui, mais ils ne virent personne, ni hôtes, ni invités, ni personnel.
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« Il y a quelque chose d’encore plus étonnant », s’exclama Foilan, le fils d’Aed le petit, ce château qui avait sept grandes portes quand nous y sommes entrés, toutes grandes ouvertes, et de façon fort plaisante, pour y laisser pénétrer la lumière du soleil, n’a plus maintenant qu’une petite porte très étroite, verrouillée solidement et située en plein nord ! ».
« Je vois quelque chose d’encore plus extraordinaire », s’exclama Conan Mail, « les riches couvertures ou fourrures et les couches moelleuses, sur lesquelles nous nous sommes assis en premier, ont toutes disparu, il n’en reste pas le moindre poil ni le moindre fil, et nous sommes maintenant assis sur une terre nue et humide aussi froide que de la neige fraîche.
Vindos/Finn intervint alors : « Vous savez mes amis, que je ne m’attarderai jamais dans une maison ayant une seule porte. Que l’un d’entre vous se lève et brise cette porte si étroite maintenant afin de l’ouvrir, que nous puissions sortir de cet antre fétide et enfumé ».
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« Ce sera fait », s’écria Conan ; et, en disant cela, il prit sa longue lance, et, après l’avoir plantée dans le sol, la pointe en bas, il essaya de bondir sur ses pieds. Mais il s’aperçut alors qu’il était incapable de faire le moindre mouvement, et, se tournant vers ses compagnons, il poussa un cri d’angoisse.
Immédiatement après tous les autres firent de même, avec le même résultat : ils étaient cloués à l’endroit où ils s’étaient assis. Ils restèrent un moment silencieux, confondus et accablés par la peur et l’inquiétude.
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Sur quoi Vindos/Finn mit son pouce sous sa dent de sagesse et réfléchit un instant. Ensuite il le retira brusquement s’effondra en arrière sur son siège et poussa un cri.
« Puisse être la volonté des dieux », s’exclama Goll, « que ce soit une douleur à ton pouce qui t’ait fait pousser ce gémissement ! »
« Hélas non ! » répondit Vindos/Finn « ce qui me chagrine ainsi c’est que ma mort est proche, et celle de tous mes chers compagnons aussi ! Car pendant quatorze ans Midac le fils du roi de Scandinavie a comploté contre nous ; et finalement nous a fait tomber dans ce piège déloyal dont je ne vois pas comment nous échapper.
Car il y a en ce moment dans le palais de l’île une armée d’étrangers, que Midac a fait venir ici afin de nous anéantir. Son chef suprême est Sinsar des batailles, de Grèce, le roi du Monde, qui a sous son commandement seize princes guerriers, avec beaucoup d’autres de moindre importance. Aux côtés de Sinsar il y a son fils Borba le hautain, qui a également sous ses ordres nombre de féroces et hardis chevaliers.
Il y a aussi d’ailleurs les trois de l’île de Torrent, des géants assoiffés de sang, semblables à trois furieux dragons, n’ayant jamais plié devant un ennemi sur le champ de bataille. Ce sont eux qui, par leur sorcellerie, nous ont cloués ici ; car cette froide glaise sur laquelle nous sommes assis vient de la terre de l’île magique de Torrent, qu’ils ont amenée ici et répandue en ce lieu à l’aide de sortilèges répugnants. Le charme qui nous tient cloués au sol ne pourra être rompu que lorsque du sang de ces rois sera répandu sur la glaise. Et des guerriers de Sinsar vont bientôt venir du palais dans l’île pour tous nous massacrer, pendant que nous sommes cloués ici sans défense, et incapables de lever la main pour nous protéger ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 11.
Poète. Nous traduisons par « poète » le terme gaélique ferdana (cf. aes dana).
Sous peine d’être maudit. Nous rendons ainsi la notion druidique de « geis » ou « injonction magique dont le non-respect déclenche toute une série de catastrophes ».
Alors que Vindos/Finn et son parti d’hommes approchaient du château, ils furent cloués de stupeur par sa taille et sa splendeur. La seule explication possible est qu’il s’agit là d’un phénomène d’hypnose collective, Midac va les faire entrer dans une prison qu’il leur fait prendre pour un magnifique château.
L’île de Torrent. Il doit s’agir de l’île de Tory (Toraigh en irlandais), traditionnel repaire des vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle fomors. L’édition de Pearse porte « inse Tuile » qui signifie « île de Thulé ».
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Des nouvelles furent apportées au palais de l’île disant que Midac et tous ceux qu’il conduisait avaient été massacrés sur le gué. Les trois rois de l’île de Torrent s’écrièrent :
« Le jeune roi de Scandinavie a eu tort de tenter cet assaut sans nous avoir demandé conseil ; si nous en avions été informés, nous l’en aurions empêché. Car nous seuls avons le droit d’avoir la tête de Vindos/Finn et de ses compagnons, puisque c’est le poison ensorcelé de la glaise que nous avons apportée de l’Île de Torrent qui les retient paralysés dans le château du sorbier. Mais maintenant évidemment nous allons partir tous les massacrer ».
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Aussi se mirent-ils en route avec un fort parti d’hommes à eux et ils atteignirent bientôt le gué. Dans la faible lumière de la nuit alors ils aperçurent Diarmat et l’interpellèrent pour lui demander qui donc il était.
« Je suis Diarmat O’Duibhne « répondit-il, « un des champions de Vindos/Finn. Il m’a envoyé monter la garde sur ce gué, qui que vous soyez je vous avertis qu’il vaut mieux pour vous ne pas le traverser ! »
Ils cherchèrent alors à berner Diarmat ou à le gagner à leur cause avec des mots doux ; et lui répondirent :
« C’est un plaisir pour nous de te rencontrer, Diarmat, car nous sommes de vieux amis des tiens. Nous sommes les trois rois de l’île de Torrent, tes camarades de classe pour ce qui est de la bravoure et des exploits héroïques. Car toi et nous avons vécu chez les mêmes maîtres dès le début ; et tu n’as pas appris un seul coup que nous n’ayons appris nous aussi de la même façon. Alors, sors du gué que nous puissions le traverser pour gagner le château du sorbier ».
Mais Diarmat leur répondit ces quelques mots : « Vindos/Finn et ses compagnons sont placés sous ma protection jusqu’au matin ; et je défendrai ce gué aussi longtemps que je vivrai ! »
Il se tint droit comme un grand pilier effrayant planté au milieu du gué.
De nombreux étrangers se ruèrent alors sur Diarmat l’assaillirent en une confuse et rageuse mêlée. Mais notre puissant héros les reçut comme un rocher qui affronte les vagues et ‘en fit qu’une bouchée dès qu’ils furent à portée de son épée. Mais ils en arrivaient sans cesse d’autres qui succédaient à eux qui étaient tombés. Au beau milieu de la fureur de cette bataille, Fatha commença de sortir de son sommeil, réveillé par le bruit des armes et le fracas des boucliers.
Il regarda fixement un moment, déconcerté, tous ces combattants, et, comprenant ce qui s’était passé, en voulut terriblement à Diarmat de ne pas l’avoir réveillé ; de sorte qu’il se jeta sur lui violemment et l’épée à la main. Mais Diarmat fit un pas de côté, puis, très en colère également, lui parla ainsi :
« Exerce plutôt ta vengeance sur nos ennemis pour l’instant : car en ce qui me concerne les épées des étrangers me suffisent, me semble-t-il, sans qu’il soit nécessaire que tu leur viennes en aide.
Fatha se retourna aussitôt et attaqua les ennemis, son assaut fut même plus mortel que celui de Diarmat, de sorte qu’ils tombèrent devant lui à droite et à gauche du gué.
Les trois rois enfin, voyant tant de leurs hommes tomber, s’avancèrent lentement vers Diarmat, et Diarmat nullement effrayé resta où il était pour les affronter. Leurs armes s’écrasèrent l’une contre l’autre et leurs boucliers furent fracassés, le combat fut long et furieux ; jusqu’à ce que, à la fin, l’orgueil de champion et la fureur guerrière de Diarmat n’éclatent, et qu’il tue les rois dragons, sur ce gué rougi du massacre.
C’est alors que, bien que couverts de blessures, le souffle coupé, presque épuisés, Diarmat et Fatha se rappelèrent de Vindos/Finn et des Fénianes, et que Diamat se remémora ce que Vindos/Finn lui avait dit pour que le sortilège soit rompu. Aussi décapita-t-il les trois rois, et suivi par Fatha courut avec, encore toutes sanglantes, jusqu’au château du sorbier.
Alors qu’ils approchaient de la porte, Vindos/Finn, reconnaissant leurs voix et leurs pas leur demanda donc à haute voix et sans plus attendre comment cela s’était passé avec les attaquants du gué, « car », dit-il « le fracas et le vacarme de cette bataille dépassait tout ce que nous avions pu entendre jusque-là, et nous ne savons pas comment cela s’est terminé ».
Diarmat répondit ! « Roi des fénianes, Fatha et moi-même avons tué les trois rois de l’île de Torrent et voilà que nous avons leurs têtes encore toutes sanglantes, mais comment faire pour te les apporter ? »
Victoire et bénédiction soient sur vous, Diarmat ; vous et Fatha vous avez livré un vaillant combat digne des fénianes d’Irlande ! Arrosez de sang la porte maintenant ».
Diarmat s’exécuta, et en un instant la porte se retrouva grande ouverte après un grand craquement. Et à l’intérieur ils aperçurent nos héros en bien mauvaise posture, pâles et sans connaissance, assis sur la froide terre glaise répandue tout autour du mur. Diarmat et Fatha, en tenant les têtes sanglantes par les cheveux, arrosèrent la terre sous chacun d’eux avec le sang qui en dégoulinait en commençant par Vindos/Finn, et les libérèrent un par un ; nos héros, une fois le sortilège rompu, bondirent sur leurs pieds en criant de joie. Ils remercièrent les dieux de les avoir sortis de ce mauvais pas, et tous ainsi que nos deux champions s’embrassèrent l’un l’autre joyeusement.
Mais le danger menaçait toujours, ils tinrent donc conseil pour savoir ce qu’il fallait faire. Et Vindos/Finn, s’adressant à Diarmat et Fatha, leur expliqua :
« Le venin de ces maudits sortilèges nous a beaucoup affaiblis, ce qui fait que nous ne sommes pas encore capables de nous battre ; mais au lever du soleil ils perdront leur pouvoir, et nous retrouverons alors toute notre vigueur. Il faut donc que vous continuiez à garder le gué, et au lever du jour nous vous épaulerons ».
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Nos deux héros revinrent donc sur le gué, puis Fatha ramena nourriture et boissons à Vindos/Finn et aux autres.
Après cette dernière bataille sur le gué, les quelques guerriers qui en avaient réchappé allèrent informer le roi du Monde et ses gens que les trois rois de l’île de Torrent avaient été tués par Diarmat et Fatha. Mais qu’ils ne savaient pas si Vindos/Finn et les autres avaient été libérés.
Alors se leva le fils du roi, Borba le hautain qui, juste après le roi lui-même, était le plus puissant de tous les étrangers dans les batailles. Et il leur dit :
« Ceux qui ont tenté de franchir ce gué n’étaient que de bien piètres guerriers. J’irai là-bas et je vengerai la mort des nôtres sur ces Fénianes, je ramènerai ici la tête de Vindos/Finn le fils de Camulos/Cumal et je la déposerai aux pieds de mon père ».
Il se mit donc en route sans tarder, avec un grand corps d’armée composé de guerriers soigneusement sélectionnés, jusqu’à la rive du gué. Bien que Diarmat et Fatha n’aient jamais tremblé devant un ennemi, là, quand ils aperçurent cette masse ténébreuse qui s’approchait, quand ils entendirent le bruit de ces pas lourds et le cliquetis des armes, ils craignirent d’être délogés de là et submergés par des attaques sans cesse renouvelées, laissant ainsi Vindos/Finn et les autres sans secours et sans protection. Chacun attendait avec impatience que se lève l’aube du lendemain matin.
Les étrangers foncèrent sans se concerter droit sur le gué où ils s’élancèrent en nombre aussi important qu’ils le pouvaient pour une attaque frontale. Alors qu’ils approchaient à vive allure, Diarmat dit à Fatha : « bats toi, mais avec circonspection, mon ami : évite les coups les plus sévères et ne sois pas trop prompt à vouloir massacrer, mais pense surtout ta propre sécurité. Il faut ménager nos forces et faire durer le combat jusqu’à ce qu’à l’aube, et le lever du soleil approche ».
Les étrangers avancèrent de front ; mais leur nombre ne leur servait à rien, car la passe était fort étroite, et nos deux héros, l’un s’occupant de ceux qui avançaient à droite, et l’autre de ceux qui s’avançaient à gauche, paraient les assauts ou tuaient, mais ne cédaient pas un pouce de terrain.
Finalement le soleil se leva sur la large plaine de Kenri ; et d’un seul coup le sortilège paralysant disparut des os et des tendons des grands héros qui s’étaient assis dans le château du sorbier, qui écoutaient avec angoisse le bruit de la bataille sur le gué. Ils se remirent joyeusement sur pied puis, attrapant leurs armes, se hâtèrent de descendre vers le gué avec Vindos/Finn à leur tête ; mais ils envoyèrent avant l’un d’entre eux, le plus rapide, à Knockfierna, pour en informer Ossian.
Diarmat et Fatha, qui combattaient avec acharnement, ne réalisèrent pas que le soleil s’était levé, bien qu’il soit déjà en train de briller devant eux sur les casques et les armes de leurs ennemis. Mais alors qu’ils combattaient, un grand cri s’éleva derrière eux ; et Vindos/Finn ainsi que Goll et les autres dévalèrent la colline pour courir sus aux étrangers.
Ceux-ci, pas le moins du monde démontés, contre-attaquèrent, et le combat continua, jusqu’à ce que Goll Mac Morna et Borba le hautain soient face à face au milieu du gué. Ils se livrèrent un duel à mort acharné. La furie guerrière de Goll finit par éclater, de sorte que rien ne pouvait lui résister. D’un puissant coup d’épée il fendit la tête de Borba.
Et alors les étrangers commencèrent à plier ; mais ils continuèrent à se battre jusqu’à ce qu’un courrier soit dépêché au Palais de l’Île, et apprenne au grand roi Sinsar des batailles, que son fils était mort, tué par Goll, et que son armée se trouvait bousculée de tous côtés par les Fénianes, conduits par Vindos/Finn.
Quand ses gens apprirent la nouvelle, ils poussèrent un long et douloureux cri de lamentation pour le fils du roi ; mais le roi lui-même, bien que son cœur soit rempli de chagrin, ne le montra pas. Il se leva et convoqua toute son armée, puis, après l’avoir constituée en bataillons et en compagnies commandés par leurs princes et leurs chefs, il marcha vers le champ de bataille, plus désireux de se venger des fénianes que de la gloire de vaincre.
Tous les Fénianes qui étaient partis à la chasse de Knockfierna étaient de retour et ils étaient avec Ossian le fils de Vindos/Finn. Le messager monta lentement le flanc de la colline et leur expliqua, non sans quelque difficulté, car il était hors d’haleine et fatigué, toute l’histoire du début jusqu’à la fin, du sortilège qui avait ensorcelé Vindos/Finn et des batailles sur le gué, enfin à quel point leurs compagnons en ce moment même avaient vraiment besoin de leur aide contre les étrangers.
Le corps d’armée tout entier se mit en marche droit vers le château du sorbier sur le champ, et arriva sur la colline qui surplombait le gué, juste au moment où le roi du Monde et son armée arrivaient en face.
Le combat sur le gué s’arrêta un instant, le temps que les deux armées se mettent en ordre de bataille, et des deux côtés il n’y eut ni couardise ni volonté d’éviter l’affrontement.
Les fénianes formaient quatre bataillons. Le très actif clan Baiscne aux yeux brillants marchait en tête du premier bataillon ; le clan féroce et comme un champion, des Morna, conduisait le second ; les puissants et sanguinaires Mic an Smoil emmenaient le troisième, et le quatrième était conduit par le téméraire et venimeux clan O’Navnan.
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Ils se mirent en marche, derrière leurs bannières de soie, chaque hampe de bannière dans la main d’un héros de grande taille digne de confiance ; leurs casques scintillants de pierres précieuses ; leurs larges et beaux boucliers sur leur épaule gauche ; leurs longues et mortelles lances toutes droites à la main ; et leurs lourdes épées au tranchant affûté pendant au flanc gauche de chacun. Ils marchèrent droit devant eux et malheur à ceux qui avaient la malchance de croiser le chemin de cette armée de champions en pleine action, et au moral de vainqueur, qui n’avaient jamais tourné le dos à un ennemi au cours d’une bataille.
Le combat s’engagea finalement dans un grand scintillement de lumière et de traits empoisonnés ; nombre de héros tombèrent avant même que les combattants aient pu s’affronter face à face. Ensuite ils tirèrent leurs longues épées à larges lames, puis les rangs ennemis entrèrent en contact et se mêlèrent en une mortelle étreinte. Il serait vain de tenter de décrire cette bataille, car il y fut bien difficile d’y distinguer les amis des ennemis. Beaucoup de héros à l’esprit indomptable y tombèrent couverts de blessures et sans aucun secours, mais ni soupirs ni gémissements de douleur ne leur échappèrent ; ils moururent en incitant de la voix et du geste leurs amis à les venger. Chaque champion pensait d’abord à prendre la vie de son adversaire avant de préserver la sienne.
Le grand roi Vindos/Finn lui-même, grand et majestueux, allait de bataillon en bataillon, tantôt combattant aux tout premiers rangs, tantôt encourageant ses amis et ses compagnons, sa voix puissante se faisait entendre au-dessus le bruit des armes et les cris des combattants. Et partout là où il passait, les Fénianes reprenaient courage, et leur valeur ainsi que leur audace reprenaient le dessus, de sorte que les rangs de leurs ennemis finirent par céder ou voler en éclats devant eux.
Oscar, se reposant un instant des dures fatigues de la bataille, regarda autour de lui, et aperçut l’étendard du roi du Monde, là où il se tenait gardé par ses meilleurs guerriers, chargés de le protéger de tout danger d’être encerclé ou submergé par le nombre de ses ennemis ; la colère de notre jeune héros fut décuplée quand il remarqua que les fénianes tombaient dans le plus grand désarroi en tous lieux où cet étendard était porté.
Se précipitant alors à travers les rangs ennemis comme un lion rendu fou furieux par des chiens, il parvint jusqu’au roi, qui éclata d’un rire de joie sinistre en le voyant, et ordonna ensuite à ses gardes de se tenir en arrière ; car il avait le cœur plein de joie à l’idée de venger la mort de son fils en tuant de ses propres mains le petit-fils de Vindos/Finn, qui était le plus aimé de tous les jeunes champions fénianes. Ces deux grands héros se livrèrent alors une lutte à mort ; et plus d’un guerrier arrêta sa main afin d’observer le combat. Il sembla bien que les deux devaient tomber, car chacun des deux avait infligé à l’autre de nombreuses blessures. La rage du roi ne connut aucune limite en voyant qu’on lui résistait de la sorte aussi longuement, car au premier abord il s’était ri d’Oscar à cause de sa jeunesse et de sa beauté ; il exécuta une charge qui fit trembler les amis d’Oscar en train d’observer la scène ; car durant cet assaut notre jeune héros ne fit que se défendre, et rien de plus.
Mais ensuite, après cédé un moment, il se remémora les actions d’éclat et le renom de ses ancêtres, et attaqua le roi du Monde à son tour, et d’un coup auquel aucun bouclier ni aucun écu ne pouvait résister, il fit sauter de son corps la tête du roi.
Alors une immense clameur s’éleva des rangs des fénianes et la débandade s’installa dans les rangs étrangers, ils furent poursuivis et massacrés de tout côté. Quelques-uns jetèrent leurs armes et coururent jusqu’à la plage où, après avoir largué les amarres en toute hâte, ils firent voile vers leur propre pays, porteurs des nouvelles de la mort de leur roi et du massacre de leur armée.
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Note de la rédaction. Signalons à toutes fins utiles que la version la plus complète à ce jour de notre texte (avec mention des Tuatha Dé Danann et ainsi de suite…) a été donnée par Pearse (Padraig Mac Piarais) en 1908. S’y reporter pour avoir plus de détails, car en ce qui nous concerne vu la place limitée que nous offrait ce bref résumé (quelques courtes leçons destinées à donner un aperçu ou un avant-goût de notre bible ou de nos textes apocryphes à nous) eh bien nous n’avons pas pu lui consacrer plus de place.
N.B. J’entends déjà les critiques s’élever à ce sujet. Oui, Pearse, un salopard d’extrême droite, pré-néo-nazi, raciste, etc. !
Nous tout ce que nous retenons de sa vie (et de sa mort) c’est que c’est un homme qui a aimé son pays (qui peut le lui reprocher ?) ainsi que sa langue maternelle (au sens strict du terme, celle de sa mère) jusqu’à en mourir (le 3 mai 1916) et cela (chez nous en tout cas) cela se respecte.
Cette légende gaélique fait partie des contes de fées ou des pièces de littérature orale qu’il avait collectées pour les élèves de son école (de Saint Enda). Comme son jeune frère Willie, Pearse
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pensait en effet que la langue était le fondement même de toute identité nationale, et sa défense par voie de conséquence un combat de tous les jours.
Il avait bien raison. Nous ne faisons pas partie de ces enfants gâtés ou de ces pseudo-intellectuels de la petite bourgeoisie, qui défendent à tout crin la biodiversité partout, sauf en ce qui concerne l’Humanité. Car chaque fois qu’une langue meurt, c’est un peu de notre biodiversité qui fout le camp justement. Perdre sa langue c’est un peu comme perdre son âme ! Restons donc Sinn-Fein.
Avis à tous les faux patriotes donc (depuis quand aimer le pays de ses pères et sa langue maternelle est-il devenu du satanisme ou de l’Hitlero-Trotskisme ??) n’acceptez pas que votre langue soit à ce point dénaturée humiliée ridiculisée ou dénigrée, dévalorisée, bafouée, reléguée, n’acceptez pas qu’elle meurt dans une bête hilarité générale, couverte du crachat des opportunistes de tout poil (dans le monde des médias l’industrie du spectacle, etc. ; or rien n’est plus beau qu’une vraie chanson d’amour malheureux ou nostalgique… dans sa langue maternelle) ; des arrivistes qui ne pensent qu’au fric et à leur carrière, accepter de voir sa langue maternelle bafouer c’est comme accepter de voir sa propre mère bafouée ; ne soyez jamais, par vos actions ou vos absences de réaction, complices du rouleau compresseur qui écrase et lamine la biodiversité humaine (des langues et des cultures). Mais n’oublions jamais que la meilleure des langues commerciales est toujours… celle du client.
Pour le reste, s’il faut une langue commune au niveau mondial pour échanger des informations précises, il y a l’espéranto, qui est remarquable à cet égard et qui en plus de sa régularité (sans âme il est vrai par contre) est une langue internationale ayant l’avantage d’être économiquement et politiquement… NEUTRE.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 12.
Les bannières de soie ne sont évidemment pas antiques, mais médiévales. Les troupes celtes de l’Antiquité avaient des enseignes surmontées de sangliers ou de chevaux, mais pas des bannières de soie. Nous retrouvons-là le même phénomène qu’avec le roi breton Arthur, des anachronismes en pagaille, les combattants portent un équipement postérieur de plusieurs siècles.
Comme les Romains et la plupart des peuples anciens, les Celtes antiques marchaient au combat accompagnés d’images symboliques fixées au sommet d’une hampe et servant à la fois de signes de protection et de ralliement.
L’existence d’enseignes militaires, qui implique une organisation de l’armée en unités qui se regroupaient autour de ses insignes, est largement attestée chez les Celtes par les textes depuis le IIIe siècle avant notre ère si l’on croit en certains chiffres mentionnés à propos des combats entre les Celtes d’Italie du Nord et les Romains, une enseigne pourrait correspondre à une unité d’environ cinq cents hommes (bataille de Crémone).
Après la bataille décisive devant Alésia, les troupes de César s’emparent de soixante-quatorze enseignes (B.G., VII, 88). Un chiffre qui semble indiquer que s’il existait une correspondance entre l’organisation des tribus-état et celles de leurs armées, l’unité à laquelle correspondait l’enseigne n’était pas la tribu-état elle-même, mais probablement le pagus ou comté. Leur dépôt dans un sanctuaire en temps de paix serait dans un tel cas l’expression symbolique de l’unité d’une communauté composée de plusieurs éléments confédérés.
L’enseigne celte la plus connue était le sanglier, mais ce n’était pas là une exclusivité des Celtes. Nous savons par Pline qu’avant l’adoption de l’aigle comme symbole unique de la légion, réforme décidée par Marius, quatre autres figures d’animaux, outre cet oiseau, surmontaient les enseignes : le loup, le minotaure, le sanglier ainsi que le cheval.
Or le cheval semble bien avoir fait aussi partie des enseignes celtes.
Comme un lion. La littérature orale plus ancienne aurait certainement dit « comme un ours ».
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LA TRAQUE DE DIARMAT ET GRANNIA.
Toraigheacht Dhiarmada agus Ghràinne.
Célèbre roman gaélique ayant sans doute influencé l’histoire de Tristan et lseut.
La version que nous en avons gardée ne date que du XVIIe siècle, mais on peut penser que la première fut écrite vers l’an mil.
Nous l’incluons presque in extenso dans cette étude, car ce récit, à la différence des précédents, contient encore d’importants et notables thèmes mythologiques, ainsi que nous allons le voir.
À noter.
1. Vindos/Finn, dans ce récit, se conduit beaucoup moins courtoisement que le roi Mark du cycle arthurien, c’est le moins que l’on puisse dire.
2. Les amours de Diarmat et Grannia ne sont peut-être pas restées uniquement platoniques.
3. Voir aussi précédemment la belle histoire de Deirdre dans l’Exil des Fils d’Uisliu (Longes mac nUislenn) qui fait partie du cycle du Hesus Cuchulainn.
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Un beau jour Vindos/Finn Camulogenos se leva de bon matin dans son château d’Almu dans le Leinster, et s’assit sur la plaine verte herbeuse, seul, et sans domestique ni serviteur. Le rejoignirent aussitôt deux des siens, à savoir Ossian le fils de Vindos/Finn, et Diorruing le fils de Dobar O’Baoiscne. Ossian prit la parole et voilà ce qu’il lui dit :
Quelle est la cause de ce lever si matinal de ta part, O Vindos/Finn ? »
« Ce n’est pas sans raison que je me suis levé de si bonne heure », répondit Vindos/Finn ; « car je suis sans femme depuis que Maignes la fille de Garad Glundub mac Morna est morte ; celui qui n’a pas une femme allant bien avec lui trouve rarement le sommeil ou un doux repos, telle est la raison de mon si matinal lever, Ossian ».
« Qu’est-ce qui t’oblige à rester ainsi ? » répliqua Ossian, car il n’y a pas une femme ou une fille dans toute la verte Erin sur qui tu jetterais un coup d’œil ou un regard, que nous ne puissions te ramener bon gré mal gré par tous les moyens ».
Et ensuite Diorruing prit la parole pour dire : « Moi je peux te trouver une épouse et compagne qui te conviendrait parfaitement ».
« De qui s’agit-il ? » demanda Vindos/Finn.
« Il s’agit de Grannia la fille de Cormac fils d’Art fils de Conn aux cent batailles », répondit Diorruing, « c’est la plus belle de toutes les femmes du monde pour ce qui est du visage de la silhouette et de la parole ».
« Par ma main ?? O Diorruing », répondit Vindos/Finn, « il y a eu longtemps différends et désaccords entre Cormac et moi-même, et je ne trouverais ni bien ni convenable que me soit opposé un refus ; aussi préférerais-je que vous alliez tous les deux demander à Cormac la main de sa fille pour moi, car je pourrais plus facilement supporter que ce refus soit signifié à vous qu’à moi ».
« Nous irons là-bas », répondit Ossian « bien que cela ne nous soit soit d’aucune utilité en ce qui nous concerne, mais que personne n’entende parler de ce voyage avant que nous soyons de retour ».
Cela dit ces deux bons guerriers se mirent en route, et ils prirent congé de Vindos/Finn, mais rien n’est dit de leur voyage avant qu’ils n’arrivent à Tara. Le roi d’Irlande était justement d’ailleurs en train de tenir une réunion et de présider une grande assemblée sur la plaine de Tara, et les chefs ainsi que les plus grands nobles de son peuple étaient là. Ossian et Diorruing furent chaleureusement accueillis et la réunion fut reportée à un autre jour, car le roi pensa bien que c’était pour quelque chose d’important que ces deux-là étaient venus le trouver. Ensuite Ossian prit à part le roi d’Irlande et lui expliqua que c’était pour lui demander la main de sa fille pour Vindos/Finn Camulogenos qu’ils étaient donc venus. Cormac leur répondit en ces termes :
« Il n’y a pas de fils de roi ou de grand prince, de héros ni de champion des batailles en Irlande, à qui ma fille n’a pas déjà dit non, et c’est moi que tout un chacun blâme pour cela ; aussi ne vous donnerai-je aucune réponse définitive tant que vous ne l’aurez pas demandé devant ma fille, car il vaut mieux que vous entendiez vous-mêmes sa propre réponse plutôt que de m’en vouloir à moi ».
Ils se rendirent donc ensuite dans l’appartement (grianan) des femmes, et Cormac s’assit à une des extrémités du compartiment et de la banquette à côté de Grannia puis lui demanda : « Voici, O Grannia », dit-il, « deux des compagnons de Vindos/Finn Camulogenos qui sont venus te demander comme femme et légitime épouse, quelle réponse veux-tu leur donner ? »
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 13.
Grianan. Note du grand spécialiste français Roger Chauviré à ce sujet. Semblent avoir été des maisons spécialement orientées pour capter tout le soleil possible en ce pays humide, et où aimaient à se tenir les femmes.
À une des extrémités. Nous traduisons ainsi le terme gaélique colba.
Du compartiment et de la banquette. Nous traduisons ainsi sans trop de certitude les termes gaéliques iomdad et airdleapata.
Venus te demander comme femme et légitime épouse. La question évidemment est très mal posée. Elle est très équivoque. Et Grannia va donc s’imaginer que c’est avec l’un de ces deux beaux jeunes gens que l’on veut la marier. Pour elle, il n’est par conséquent nullement question de Vindos/Finn. Le malentendu ne sera dissipé que trop tard.
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Grannia prit la parole et ce qu’elle répondit fut ceci : « s’il peut faire un bon gendre pour toi, pourquoi ne serait-il pas un bon mari et compagnon pour moi ? »
Ils furent alors très contents cette réponse, et on organisa ensuite pour eux une dans l’appartement (grianan) avec Grannia et les femmes, de sorte qu’ils en devinrent hilares et joyeux ; et que Cormac convint avec eux d’un rendez-vous avec Vindos/Finn à Tara une quinzaine de jours après.
Sur ce Ossian et Diorruing revinrent au château d’Almu, où ils retrouvèrent Vindos/Finn et les fénianes, et ils leur racontèrent tout du début jusqu’à la fin. Puisque tout a une fin ces quinze jours-là s’écoulèrent et ensuite Vindos/Finn convoqua et rassembla les sept bataillons de fénianes partout là où ils avaient pris leurs quartiers, ils se rendirent là où était Vindos/Finn, le grand et large château d’Almu dans le Leinster ; et la veille du rendez-vous, ils se mirent en route en grand arroi, en foule, en impétueuses féroces et impénétrables compagnies, mais on ne nous dit rien de la façon dont se déroula leur voyage avant qu’ils n’atteignent Tara. Cormac les attendait là dans la plaine devant eux avec tous les chefs et a haute noblesse d’Irlande autour de lui, et ils firent un excellent accueil à Vindos/Finn et à tous les fénianes. Ensuite ils entrèrent dans la salle des fêtes royale appelée Tech Midchuarta (Teach Meidreach Miodchuarta). Le roi d’Irlande prit place afin de boire et de se réjouir, avec sa femme à sa gauche, c’est-à-dire Eitche, la fille d’Atan de Corcaig, et à la gauche d’icelle Grannia, Vindos/Finn Camulogenos à la droite du roi ; Cairbre Liffechar le fils de Cormac prit place sur un des côtés de la même maison royale, et Ossian le fils de Vindos/Finn de l’autre côté, chacun d’entre eux s’asseyant suivant son rang et son patrimoine.
Un druide très lettré, du peuple de Vindos/Finn, s’assit devant Grannia la fille de Comac ; il s’agissait de Daire Duanach mac Morna ; et très rapidement de fort aimables paroles et de beaux discours furent échangés entre lui et Grannia. Puis Duaire mac Morna se leva et, debout devant elle, lui chanta les chansons les vers et les doux poèmes des pères et des ancêtres de la princesse ; ensuite Grannia prit la parole et demanda au druide :
« Pour quelle raison Vindos/Finn est-il venu ici ce soir ? »
« Si tu ne le sais pas », répondit le druide, « alors, ne t’étonne pas que je ne le sache pas non plus ! »
« Je désire l’entendre de ta bouche », répliqua Grannia.
« Bon alors », répondit le druide « c’est pour te demander comme compagne et légitime épouse que Vindos/Finn et venu ici ce soir ».
« Je trouve vraiment extraordinaire », répondit Grannia, « que ce ne soit pas pour Ossian que Vindos/Finn me demande en mariage, car il aurait été plus convenable de me donner à quelqu’un comme lui, qu’à un homme plus vieux que mon père ».
« Ne dis pas ça malheureuse », répondit le druide, « Si Vindos/Finn t’entend il ne voudra plus de toi, mais Ossian n’osera pas te prendre ».
« Dis-moi maintenant », dit Grannia, « qui est le guerrier à droite d’Ossian le fils de Vindos/Finn ? »
« Celui-là » répondit le druide, « c’est Goll mac Morna l’énergique, le belliqueux »
« Qui est le guerrier à côté de Goll ? » demanda Grannia.
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« Oscar le fils d’Ossian », répondit le druide.
« Qui est l’homme aux belles jambes à côté d’Oscar » poursuivit Grannia.
« Caletios/Cailte fils de Ronan », répondit le druide.
« Qui est l’impétueux et hautain guerrier à côté de Caletios/Cailte ? » demanda encore Grannia.
« Le fils de Lugaid à la main puissante, c’est un fils à la sœur de Vindos/Finn Camulogenos », répondit le druide.
« Qui est cet homme aux douces paroles couvert de taches de rousseur, aux cheveux noirs et bouclés, qui a les joues rouges, à la gauche d’Ossian le fils de Vindos/Finn ? »
« Cet homme c’est Diarmat le petit-fils de Duibne, aux dents blanches et au teint lumineux ; c’est-à-dire le plus grand amoureux des femmes et des filles du monde entier »
« Qui est celui à côté de Diarmat ? » demanda enfin Grannia.
« Diorruing le fils de Dobar Damad O’Baoiscne, un druide véritable puits de science (draoi agus deag-duinne ealadan) répondit Daire Duanach.
« Que ne voilà une bien belle compagnie ! » s’exclama Grannia ; elle appela sa servante et lui demanda d’amener la coupe en or incrustée de joyaux qui était dans la pièce (grianan) derrière elle. La servante ramena le gobelet et Grannia en rempli la coupe immédiatement : elle pouvait contenir la boisson de neuf fois neuf hommes. Ensuite Grannia lui dit :
« Présente d’abord cette coupe à Vindos/Finn et offre-lui d’en boire une gorgée, et dis-lui que c’est de ma part ».
La servante présenta la coupe à Vindos/Finn et lui fit savoir tout ce que Grannia donc lui avait demandé de dire. Vindos/Finn prit la coupe et à peine en eut-il pris une gorgée qu’il tomba dans la torpeur d’un profond sommeil. Comac en but aussi une gorgée puis tomba de sommeil lui aussi de la même façon, Eitche la femme de Cormac, prit la coupe et en but alors une gorgée, le même sommeil s’abattit sur elle ainsi que sur tous les autres. Ensuite Grannia fit signe à sa servante de venir et lui dit :
« Présente la coupe à Cairbre Liffechar et offre-lui d’en boire une gorgée, puis donne la coupe aux fils de rois qui sont à côté ».
La servante offrit la coupe à Cairbre, il n’eut même pas le temps de la passer à son voisin qu’il tomba lui aussi dans la torpeur d’un profond sommeil, et tous ceux qui prenaient de cette coupe tombaient eux aussi dans la profonde torpeur d’un sommeil de plomb.
Quand Grannia vit qu’ils étaient tous ivres morts ou tombés en pâmoison, elle se leva gentiment de son siège puis parla ensuite à Ossian, et ce qu’elle lui dit fut ceci :
« Je m’étonne que Vindos/Finn Camulogenos veuille une femme comme moi, car il conviendrait mieux pour lui qu’il me donne un mari qui soit mon égal plutôt qu’un homme plus vieux que mon père ».
« Ne dis pas ça, O Grannia », répondit Ossian, « car si Vindos/Finn t’entendait il ne voudrait plus de toi et moi je n’oserais pas te prendre ».
« Veux-tu que je te courtise, Ossian ? » demanda Grannia.
« Surtout pas », répondit Ossian, « car je ne toucherai jamais à la fiancée de Vindos/Finn quelle que soit cette femme ! »
Grannia se tourna ensuite vers Diarmat O’Duibne afin de lui demander : « Veux-tu que je te courtise », O Diarmat O’Duibne, puisqu’Ossian ne veut pas de moi ? »
« Certainement pas », répondit Diarmat, « car je ne prendrai jamais une femme fiancée à Ossian quelle qu’elle soit, même si elle n’était pas promise à Vindos/Finn ».
« Alors », répliqua Grannia, « Je te jette un sort (geasaib) O Diarmat, un redoutable sortilège druidique (geasaib droma draoideachta), si tu ne me fais pas sortir de cette maison cette nuit, avant que Vindos/Finn et le roi d’Irlande ne sortent de leur sommeil ».
« Diabolique est le charme que tu m’as jeté, O femme », répondit Diarmat ; « pourquoi donc as-tu jeté ce sortilège sur moi plutôt que sur les fils de rois ou de grands princes de cette joyeuse salle des fêtes royale de Midcuart cette nuit, vu qu’aucun d’eux n’est pas moins digne que moi-même d’être aimé ? »
« Par ta main, O Diarmat O’Duibne, ce n’est pas sans raison que j’ai jeté mon dévolu (geasa) sur toi, je vais te dire pourquoi.
Un jour que le roi d’Irlande présidait une réunion et une assemblée sur la plaine de Tara, Vindos/Finn et les sept bataillons existants de fénianes arrivèrent par hasard ce jour-là ; et il y eut un match entre Caibre Liffechar le fils de Cormac, et le fils de Lugaid. Les hommes de la plaine de Breg et de Cerna, et tous les vigoureux champions de Tara se rangèrent du côté de Cairbre Liffechar, et les fénianes d’Irlande du côté du fils de Lugaid ; aucun participant à l’assemblée n’était resté assis ce jour-là si ce n’est le roi, Vindos/Finn et toi-même, O Diarmat. Mais il arriva que le jeu tourne mal pour le fils de Lugaid alors tu t’es levé pour prendre sa crosse à ton voisin, tu t’es ensuite précipité sur le terrain pour intervenir dans la partie et tu as marqué à trois reprises un but contre Cairbre Liffechar et les guerriers
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de Tara. J’étais à ce moment-là dans mon solarium (grianan) aux fenêtres grandes ouvertes sur l’azur permettant de voir au loin (grianan glan-radarcac gorm-fuinneogac gloinne ???), en train de regarder ; j’ai jeté les yeux sur toi ce jour-là, et je n’ai donné à nul autre homme mon amour depuis ce temps-là, et ne le ferai jamais ».
« Ce qui m’étonne vraiment c’est que tu m’as donné ton amour à moi au lieu de Vindos/Finn répondit Diarmat, « étant donné qu’il n’y a pas en Irlande d’homme plus amoureux des femmes que lui ; et sais-tu, O Grannia, que les nuits où Vindos/Finn se trouve à Tara, c’est lui qui a les clés de la forteresse, et que nous ne pouvons donc pas en sortir ?
« Il y a un passage secret euluigte dans mon solarium » répondit Grannia, « nous passerons par-là ».
« Il m’est interdit de passer par une porte dérobée en eluigte quelle qu’elle soit », objecta Diarmat.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 14.
Ils firent un excellent accueil à Vindos/Finn et à tous les fénianes. Le grand spécialiste français qu’est Roger Chauviré intercale ici un dialogue entre Vindos/Finn et Grannia que nous n’avons pas retrouvé ailleurs jusqu’ici. Avis à nos lecteurs.
Tech Midchuarta. Il ressort de cette description que cette tech midchuarta devait être rectangulaire, avec en face de l’entrée le plus petit côté réservé aux personnalités, les côtés latéraux plus grands, plus en longueur étant réservés aux autres participants. Mais s’agit-il bien de ce que l’on trouve à Tara sous ce nom ??? Les Celtes antiques étaient connus aussi pour manger assis en rond.
Druide. Le texte gaélique est formel, il utilise le terme draoi. N’oublions pas néanmoins que cette légende a été consignée par écrit des siècles après la disparition des vrais druides druides. Draoi a souvent un sens très péjoratif dans les textes médiévaux (sorcier), mais en l’occurrence il veut peut-être tout simplement dire « lettré ».
« Si Vindos/Finn t’entend il ne voudra plus de toi, mais Ossian n’osera pas te prendre ». La réponse du druide est assez ambiguë, l’impression qu’elle donne est qu’elle signifie « vaut mieux épouser un homme âgé, mais riche que pas de mariage du tout ».
Soyons néanmoins très clairs. Nous ne sommes pas musulmans (oui je sais ce n’est pas bien de ne pas être musulman, de ne pas être emballé par l’islam) à ce sujet.
Premièrement. Des parents peuvent très bien rêver de tel ou tel mariage pour leur enfant, voire envisager favorablement tel ou tel mariage. Ce n’est pas immoral et c’est bien humain. L’amour est un sentiment plastique et l’amour conjugal ça existe.
Deuxièmement. Les motivations d’un mariage ne sont pas toujours uniquement romantiques et il en a toujours été ainsi depuis 100 000 ans.
Troisièmement. Avoir le coup de foudre c’est bien, mais passer 40 ou 50 ans avec quelqu’un est une décision trop importante pour ne pas réfléchir longuement au choix du conjoint en question.
Quatrièmement. Il est donc hors de question qu’il n’y ait pas en l’occurrence liberté du consentement. Les parents peuvent bien entendu conseiller leurs enfants, mais le mariage ne doit en aucune façon être imposé ou forcé. Il doit être vraiment consenti, il doit même être si librement consenti que le droit au divorce (et non la répudiation *) en fait partie, même si en France la façon dont les divorces sont traités par la justice est un véritable scandale (la parité, ça ne doit pas être à sens unique ; et autant il est légitime qu’une femme qui n’a rien à se reprocher ait une juste prestation compensatoire, autant il est plus discutable de lui en accorder une quand elle a elle aussi des torts, voire quand c’est elle qui demande le divorce. Se marier puis divorcer ne doit pas être un métier ou un moyen de s’enrichir).
Cinquièmement. Afin que ce « oui » soit vraiment librement consenti donc il est par conséquent nécessaire d’avoir un certain âge. La limite est difficile à fixer bien entendu, mais il va de soi que le simple âge de raison (7 ans) ne suffit pas ! Ce n’est pas à 7 ans que l’on peut vraiment savoir ce qu’il convient de faire du reste de sa vie. Sans compter que cela peut aussi gâcher celle des autres.
Deux fois sept ans est peut-être déjà mieux. Ou trois fois sept. En tout cas certainement pas quand on est encore qu’une enfant comme en terre d’Islam même si l’homme Mahomet âgé de 45 ans a épousé Aïcha alors qu’elle avait 6 ans et consommé le mariage alors qu’elle en avait 9.
Comment appelle-t-on ce genre d’attitude ou de comportement déjà ?
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N.B. Qu’il y ait eu erreur sur l’âge d’Aïcha (enfin on reconnaît que les hadiths ne sont pas parole d’évangile) ne change rien au fait que dans certains pays l’âge du mariage religieux musulman pour une fille peut descendre très bas justement (il n’y a pas de limite) en raison de ce bien malheureux exemple.
Quand arrêtera-t-on enfin d’imiter en tout point la vie de Mahomet ? Mahomet n’était pas un ange, ce n’était qu’un homme, il n’était pas parfait, il a commis des erreurs dans sa vie et il a aussi péché, sans doute plus d’une fois, car tout homme est naturellement pécheur (faiblesse bien humaine illustrée par la légende irlandaise traitant de la célèbre maladie des Ulates : ces noinden Ulad).
Sixièmement enfin. De toute façon ce qui importe le plus ce sont les enfants nés de ces unions. Eux sont innocents.
Il est donc exclu qu’une femme répudiée n’ait pas les moyens d’élever décemment les enfants si elle en a la garde exclusive, exclu qu’elle ne puisse s’en occuper elle aussi dans le cas où elle n’en aurait pas la garde (sauf bien entendu en cas de danger pour eux) ; l’idéal étant bien entendu la garde alternée par exemple une année sur deux, et que chacun y contribue en fonction de ses moyens financiers (rappelons néanmoins qu’il ne faut pas toujours croire sur parole une femme qui jure sur l’honneur être totalement sans ressource ; ne soyons pas bête mesdames les juges, une telle déclaration est toujours à vérifier soigneusement, et doit toujours être susceptible d’être révisée).
Ce que j’ai dit des femmes vaut bien évidemment pour les maris mutatis mutandis.
Pour le reste que les adultes se débrouillent entre eux avec leurs torts réciproques ou pas. Ainsi que nous l’avons dit, personne n’est parfait !
* Vu le très faible niveau intellectuel (aurea mediocritas) de l’intelligentsia française, la plupart des journalistes chargés d’animer des débats à propos de l’islam, à l’instar d’Yves C. pour ne citer que lui, ne font même pas la différence entre les deux quand un intervenant musulman prend la parole à ce sujet.
« Que ne voilà une bien belle compagnie ! » Roger Chauviré ajoute ici une précision : Grannia juste à ce moment-là découvre par mégarde la marque d’amour que Diarmat porte au front et en tombe immédiatement amoureuse.
Elle appela sa servante et lui demanda d’amener la coupe en or incrustée de joyaux qui était dans la pièce (grianan) derrière elle. Cet épisode de la coupe n’est pas sans rappeler celui qui intervient dans la légende de Tristan et Iseut. Non sans quelques différences de taille.
Les nuits où Vindos/Finn se trouve à Tara, c’est lui qui a les clés de la forteresse. Si nous comprenons bien ce texte, quand des Fénianes étaient à Tara, c’était à eux qu’était confiée la garde de la forteresse. Un usage immémorial sans doute. Mais il ne faut pas oublier que les Fénianes constituaient la troupe d’élite du roi des rois.
Passage secret. Nous traduisons par passage secret le terme gaélique dorus qui, d’après le dictionnaire électronique de la langue irlandaise, doit être distingué de la comla. Une poterne peut-être ?
Il m’est interdit de passer par une porte dérobée … Cette curieuse interdiction était un des tabous (geis) de Diarmat puisque le terme gaélique utilisé en l’occurrence est bien… geas.
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« Mais comme j’ai entendu dire », répondit Grannia, « que tout guerrier ou champion de batailles pouvait, en se servant des hampes de ses javelines ou des fûts de ses javelots, sauter par-dessus les remparts de n’importe quel fort ou de n’importe quelle fortification, moi je passerai par la porte dérobée, mais toi tu me suivras ainsi »
Grannia s’en alla et Diarmat demanda conseil aux siens, ce qu’il leur demanda fut ceci : « Ossian, fils de Vindos/Finn, que dois-je faire du sort qu’elle m’a jeté ? »
« Tu n’es pas responsable du sort qui a été jeté sur toi », répondit Ossian, « et je te dis de suivre Grannia et de te garder des ruses de Vindos/Finn ».
« Oscar, fils d’Ossian, que devrais-je faire pour le sortilège qui a été jeté sur moi ? »
« Je te dis de suivre Grannia », « car malheur à celui qui viole une de ses injonctions magiques ».
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« Que me conseilles-tu de faire, O Caletios/Cailte ? » demanda Diarmat.
« Ce que je te dis, moi » répondit Caletios/Cailte, c’est que tu as une femme très bien et que j’aurais donné toute la richesse du monde pour que ce soit en fait à moi que Grannia voue un tel amour »
« Quel conseil me donnes-tu, O Diorruin ? »
« Je te dis de suivre Grannia, mais cela va t’en coûter la vie, j’en suis désolé ».
« Est-ce là tout ce que vous me conseillez ? » demanda Diarmat.
« Oui » répondirent Ossian et tous les autres ensemble.
Diarmat bondit sur ses jambes et mit sa puissante main de guerrier sur les armes de guerre qui lui appartenaient ensuite il prit congé ou fit ses adieux à Ossian et à tous les autres chefs des fénianes, et chacune des larmes que versa Diarmat en quittant les siens fut au moins aussi grosse qu’une myrtille à la peau douce et grenat. Il se rendit ensuite au point le plus élevé de la forteresse et monta sur les hampes de ses deux javelines, puis d’un bond aérien et léger semblable à celui d’un oiseau il s’éleva dans les airs jusqu’à une prodigieuse hauteur avant de poser les pieds sur la belle herbe verte de la plaine à l’extérieur, et Grannia le retrouva là. Ensuite Diarmat prit la parole pour lui dire :
« Je suis sûr, O Grannia, que tu as fait une grosse erreur ; car il était mieux pour toi d’avoir Vindos/Finn Caumulogenos comme amoureux que moi-même, étant donné que je ne vois pas très bien dans quel coin ou recoin perdu et reculé d’Irlande je peux t’emmener maintenant, ni comment rentrer au château, sans que Vindos/Finn n’apprenne ce que tu as fait ».
« Ce qui est certain c’est que je ne reviendrai pas en arrière » répondit Grannia « et que je resterai avec toi jusqu’à ce que la mort nous sépare ».
« Alors, avançons Grannia », répondit Diarmat.
Diarmat et Grannia se mirent en route après cela et ils ne s’étaient pas éloignés de plus d’un mille de Tara (deux kilomètres) que Grannia s’exclama : « je suis fatiguée, O’Duibne ».
« C’est bien le moment d’être fatiguée, O Grannia », répondit Diarmat », et de rentrer chez toi, parole de vrai guerrier, jamais je ne te porterai, ni toi ni aucune une autre femme non plus ».
« Aussi n’en auras-tu pas besoin », répliqua Grannia « car les chevaux de mon père sont livrés à eux-mêmes dans un enclos et ils ont des chariots, retourne les trouver, ensuite attelle deux d’entre eux à un chariot, j’attendrai ici que tu viennes me prendre ».
Diarmat retourna vers les chevaux et attela deux d’entre eux à un chariot. L’histoire ne dit pas comment ils atteignirent le gué du Shannon appelé Atha Luain.
Là Diarmat adressa enfin la parole à Grannia et lui dit alors : « il va être d’autant plus facile à Vindos/Finn de suivre nos traces, O Grannia, que nous avons les chevaux ».
« Bon et bien », soupira Grannia, « laissons les chevaux ici, et je poursuivrai à pied à côté de toi ». Diarmat descendit après être arrivé sur le bord du gué, prit un cheval avec lui en traversant, et laissa ainsi un d’entre eux de chaque côté de la rivière, ensuite lui et Grannia marchèrent en direction de l’ouest en descendant la rivière sur une distance d’environ un mille (deux kilomètres) ; ils atteignirent alors les confins du Connaught. Il n’est dit nulle part comment ils firent pour arriver jusqu’au Bois des deux cabanes (Doire da both), en plein milieu du territoire du clan Ricard, et Diarmat débroussailla le bosquet autour de lui, puis lui fit sept portes en branchages entrelacés, ensuite il fit un lit de roseaux souples et de branches de bouleau pour Grannia au beau milieu du bois.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 15.
Chariot. Nous traduisons le terme gaélique carbad (vieux celtique carbanton, qui a donné « charpentier », car le charpentier était au départ un fabricant de chars) par chariot, car il ne nous semble pas qu’il s’agisse d’un char de guerre en l’occurrence.
Roger Chauviré a trouvé dans des variantes de l’histoire qu’en tous lieux où ils passaient Diarmat laissait derrière eux un pain non rompu afin de montrer que leur « mariage » n’avait pas été consommé.
Diarmat débroussailla le bosquet. S’abriter dans un bois dont on barre les accès en accumulant des branchages ou en formant une haie voire une sorte de palissade entre les plus gros arbres de sa périphérie est une technique de fortification de campagne signalée chez les Belges et les Bretons par César (B.G. II, 17 ; V, 9).
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En ce qui concerne Vindos/Finn Camulogenos, voici ce que l’on peut en dire. Tous ceux qui étaient à Tara se levèrent de bonne heure ce matin-là, et s’aperçurent que Diarmat et Grannia s’étaient enfuis ensemble, et Vindos/Finn en devint fou de jalousie. Il lança ses pisteurs dans la plaine devant lui, c’est-à-dire le clan Neamuin, et leur demanda de suivre Diarmat et Grannia. Ils suivirent la trace jusqu’au gué d’Atha Luain, et Vindos/Finn ainsi que les fénianes d’Irlande les suivirent ; mais ils perdirent cette piste au-delà du gué, de sorte que Vindos/Finn jura que s’ils ne le retrouvaient pas rapidement il les ferait pendre de part et d’autre du gué.
Le clan des Neamuin remonta donc le courant et trouva un cheval de chaque côté de la rivière ; ils suivirent la rivière en direction de l’ouest sur un mille (deux kilomètres) et retrouvèrent les traces du côté de la province du Connaught, Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande les suivirent. Vindos/Finn prit alors la parole pour dire ceci : « Bien, je sais où se trouvent Diarmat et Grannia maintenant, c’est dans le bois des deux cabanes (Doire da both) ». Ossian, Oscar, Caletios/Cailte ainsi que Diorruing fils de Dobar Damad O’Baoiscne écoutèrent ce que disait Vindos/Finn et Ossian leur dit ceci : » J’ai bien peur effectivement que Diarmat et Grannia soient là-bas, et il faut le prévenir du danger ». Regarde où se trouve Bran, c’est-à-dire la chienne de Vindos/Finn Camulogenos, nous pouvons lui envoyer, car Vindos/Finn lui-même ne lui est pas plus cher que Diarmat ; et, Oscar, dis à Bran d’aller porter un message à Diarmat, dans le bois des deux cabanes ». Oscar expliqua tout ceci à Bran qui le comprit très bien et il partit en direction de l’arrière-garde de la troupe afin de ne pas être vu de Vindos/Finn ; ensuite la chienne suivit la trace de Diarmat et Grannia jusqu’au bois des deux cabanes puis posa sa tête sur la poitrine de Diarmat et s’y endormit.
Diarmat sortit brutalement de son sommeil et réveilla donc aussi Grannia, puis lui dit : « Bran, le chien de Vindos/Finn Camulogenos est venu nous prévenir de l’arrivée de Vindos/Finn lui-même »
« Alors, écoutons-le », répondit Grannia, « et fuyons ! »
« Certainement pas ! » s’exclama Diarmat « car c’est maintenant et en aucune façon plus tard que je préfère affronter
Vindos/Finn puisque de toute façon je ne pourrai pas lui échapper ». Grannia eut le cœur glacé d’effroi en entendant cela et Bran s’en alla.
Ossian le fils de Vindos/Finn prit alors la parole juste à ce moment-là pour leur dire : « Je crains fort que Bran n’ait pas eu l’occasion de rejoindre Diarmat, nous devons donc trouver un autre moyen de le prévenir, cherchons donc où se trouve Feargoir l’écuyer de Caletios/Cailte ».
« Il est avec moi », répondit Caletios/Cailte. Feargoir avait une voix qui portait si loin que chaque cri qu’il poussait pouvait être entendu dans les trois cantons (tri trichaib) voisins. Aussi lui firent-ils pousser trois de ses cris, afin que Diarmat puisse les entendre. Diarmat entendit Feargoir, et réveilla Grannia afin de lui dire ceci : « J’entends l’écuyer de Caletios/Cailte fils de Ronan, cela veut dire qu’il est avec Caletios/Cailte, qui est avec Vindos/Finn, c’est pour m’en avertir qu’ils lui font pousser ces trois cris ».
« Alors, écoutons cet avertissement », s’exclama Grannia.
« Certainement pas » répliqua Diarmat « je ne partirai pas de ce bois tant que Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande ne nous auront pas rattrapés. Grannia eut le cœur glacé d’effroi en entendant cela.
Maintenant pour ce qui est de Vindos/Finn voici ce que je peux en dire. Il continua la traque jusqu’au bois des deux cabanes et il envoya la tribu des Neamuin fouiller le bois. Ils aperçurent Diarmat avec une femme à ses côtés. Ils s’en revinrent aussitôt trouver Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande. Vindos/Finn leur demanda si Diarmat et Grannia étaient dans le bois. « Diarmat y est » répondirent-ils, « et il y a une femme avec lui, mais qui elle est nous ne le savons pas, car nous connaissons Diarmat, mais nous ne connaissons pas Grannia ».
« Honte aux amis de Diarmat O’Duibne pour leur aide », s’exclama Vindos/Finn, « il ne quittera pas ce bois tant qu’il ne m’aura pas payé pour tout ce qu’il m’a fait ».
« La jalousie t’égare, O Vindos/Finn », s’exclama Ossian, « si tu penses que Diarmat va rester bien tranquillement à t’attendre dans la plaine de Maen, alors qu’il n’y a pas d’autre refuge possible là que le bois des deux cabanes et toi qui l’y attend ».
« Tout cela ne te servira guère, Ossian, répliqua Vindos/Finn « car je sais bien que les trois cris qu’a poussés le serviteur de Caletios/Cailte, c’est vous qui les avez demandés pour prévenir Diarmat, et que c’est vous qui avez envoyé mon propre chien, c’est-à-dire Bran, afin aussi de l’avertir : mais il ne te servira néanmoins à rien de lui avoir envoyé de tels avertissements ; car il ne quittera pas le bois des deux cabanes avant de m’avoir accordé réparation pour tout ce qu’il m’a fait subir, et pour chaque affront qu’il m’a infligé ».
« Quelle folie de ta part, O Vindos/Finn » dit Oscar le fils d’Ossian, « que de croire que Diarmat va rester bien sagement au beau milieu de cette plaine avec toi rôdant autour pour avoir sa tête ».
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« Qui d’autre aurait pu couper ce bosquet afin d’y aménager cette solide clôture fortifiée dotée de 7 portes étroites en branchages entrelacés ? Avec lequel d’entre nous est la vérité, O Diarmat, avec moi ou avec Oscar ? » cria Vindos/Finn.
« Tu ne t’es jamais trompé dans tes jugements, O Vindos/Finn », répondit Diarmat, « moi et Grannia nous sommes bien ici ». Sur ce Vindos/Finn demanda aux Fénianes d’Irlande d’encercler Diarmat et de le lui ramener. Alors Diarmat se leva et donna trois baisers à Grannia au vu et au su de toutes les fénianes et de Vindos/Finn lui-même, de sorte que Vindos/Finn devint fou de rage et de jalousie en voyant cela, et il s’exclama que Diarmat paierait de sa tête ces trois baisers-là.
Mabon/Maponos/Oengus du Brug, l’oide fog-lamta (tuteur précepteur professeur) de Diarmat O’Duibne, qui était dans le Brug sur la Boinne justement, découvrit alors à quelle extrémité se trouvait réduit son fils adoptif, Diarmat, et il se laissa glisser sur le froid vent du nord, ne s’arrêtant qu’après avoir atteint le bois des deux cabanes. Ensuite sans être vu de Vindos/Finn et des fénianes d’Irlande il se rendit à l’endroit exact où se trouvaient Diarmat et Grannia, ensuite il salua Diarmat et lui demanda : « Qu’as-tu encore fait, O’Duibne ? »
« C’est la fille du roi d’Irlande », dit Diarmat, qui s’est partie en secret avec moi pour fuir son père et Vindos/Finn, mais ce n’est pas moi qui l’ai voulu ».
« Mettez chacun votre tête sous mon manteau de chaque côté » répondit Mabon/Maponos/Oengus « et je vous ferai sortir d’ici à l’insu de Vindos/Finn et des fénianes d’Irlande ».
« Prends Grannia seulement avec toi », répondit Diarmat, « car quant à moi je resterai ici, mais si je survis j’irai te rejoindre et si ce n’est pas le cas, ramène Grannia chez son père, et laisse-le s’en occuper, qu’il la traite bien ou mal ».
Après cela Mabon/Maponos/Oengus prit Grannia sous son manteau et s’en alla sans être vu de Vindos/Finn ni des fénianes d’Irlande, et l’histoire ne nous dit rien d’eux avant qu’ils n’atteignent le bois des deux saules que l’on appelle maintenant Luimneach.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 16.
Poitrine. Le grand spécialiste français qu’est Roger Chauviré a tort de comprendre « giron ». Le terme gaélique uct signifie bien également giron, mais en l’occurrence il doit s’agir de la poitrine.
Mabon/Maponos/Oengus. Quelques mots sur son symbolisme. Ce qu’il est ou ce qu’il n’est pas !
Mabon/Maponos/Oengus est la particularisation, anthropomorphique, de quelque chose de primordial.
Mabon/Maponos/Oengus est la personnification du principe de manifestation de ce qui est latent.
Mabon/Maponos/Oengus est partout, c’est une dynamique.
Mabon/Maponos/Oengus est un déploiement de potentialités.
Mabon/Maponos/Oengus est la puissance dont le monde a besoin pour se mettre en mouvement.
Mabon/Maponos/Oengus, contrairement à la force qui divise, est la force qui réunit
Mabon/Maponos/Oengus est présent d’emblée dans le monde, comme force qui pousse à se projeter hors de soi.
Mabon/Maponos/Oengus est le mouvement qui pousse à sortir de soi pour produire de l’autre, cet autre n’étant nécessairement, au départ, qu’une modulation de soi-même. C’est en fait le mouvement même du désir, qui fait que l’on ne demeure pas dans le confort mortifère de son identité.
Mabon/Maponos/Oengus n’est pas un principe constitutif, mais se situe à un autre niveau : celui de l’action, il est la force qui pousse à l’engendrement.
Mabon/Maponos/Oengus n’est pas une puissance uniquement positive, il est le désir qui pousse hors de soi, un mouvement donc, une dynamique qui préexiste au processus même d’union.
Mais désir, amour et conflit sont intimement liés ainsi que nous le montre la légende.
Mabon/Maponos/Oengus dans son essence même, porte donc en lui cette tension.
Conclusion : il n’y a donc pas de dieu de l’amour, mais un dieu des amoureux, dans le panth-éon celto-druidique. Il s’agit de Mabon/Maponos/Oengus. C’est un peu le saint Valentin des Celtes.
Les bardes irlandais lui attribuent comme demeure et de façon assez arbitraire le sidh de la rivière Boinne appelé « Brug » et comme moyen de déplacement le vent du nord, mais il va de soi qu’en tant que dieu de l’amour et des amoureux il est universel, sa véritable demeure étant le cœur des hommes et des femmes de cette planète.
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Après le départ de Mabon/Maponos/Oengus et Grannia, Diarmat se dressa sur ses deux jambes comme un pilier, ceignit son baudrier, mit sa cuirasse et prit ses diverses armes toutes plus acérées
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les unes que les autres. Après il s’approcha d’une des sept portes de l’enclos faites d’entrelacs de branchages et demanda qui était derrière.
« Il n’y a là aucun ennemi à toi », répondirent ceux qui étaient à l’extérieur « car il s’agit d’Ossian le fils de Vindos/Finn, Oscar le fils d’Ossian, et des chefs du Clan Baoiscne qui sont avec nous ; sors à notre rencontre et personne ne te fera du mal ne te frappera ni n’aura un geste hostile ».
« Certainement pas », répondit Diarmat, « tant que je ne verrai pas derrière quelle porte se cache Vindos/Finn lui-même ».
Il s’approcha d’une autre porte de branchage et demanda qui était derrière.
« Caletios/Cailte le fils de Crannacar fils de Ronan et tout le clan des Ronan avec lui ; sors à notre rencontre, nous nous battrons et nous mourrons pour toi ».
« Certainement pas », répondit Diarmat, « car je ne veux pas que Vindos/Finn se mette en colère contre vous pour m’avoir ainsi défendu ».
Il s’approcha d’une autre porte en branchage et demanda qui était là.
« Conan le fils de Finn de Liathluacra et le clan Morna, nous sommes des ennemis de Vindos/Finn et tu nous es bien plus cher que lui, sors donc nous rejoindre sans crainte pour cette raison, et personne ne te touchera ».
« Je n’en ferai rien » répondit Diarmat « car Vindos/Finn préférerait vous voir tous morts que me laisser m’échapper ».
Il s’approcha d’une autre porte de branchage et demanda qui se tenait derrière.
« Un camarade et un ami très cher à toi, Finn le fils de Cuadan fils de Murchada, le prince des fénianes du Munster, et les fénianes du Munster avec lui ; nous sommes de la même terre et du même pays, O Diarmat, et nous donnerons nos corps et nos vies pour toi et ton salut »
« Je ne sortirai pas pour vous rejoindre », répondit Diarmat, « car je ne voudrais pas que vous déplaisiez à Vindos/Finn pour m’avoir bien traité ».
Il s’approcha d’une autre porte de branchage et demanda qui était là.
« C’est Finn le fils de Clor, le prince des fénianes d’Ulster, et tous les fénianes d’Ulster à ses côtés ; sors nous rejoindre, et tu n’auras point à craindre plaies ou bosses de notre art ».
« Certainement pas », répondit Diarmat, « car tu es un de mes amis, et ton père aussi, je ne voudrais pas que vous encouriez l’inimitié de Vindos/Finn à cause de moi ».
Il s’approcha d’une autre porte de branchage et demanda qui était là.
« En aucune façon des amis à toi », répondirent-ils », car c’est Aed Beg des Neamuin, Aed ada des Neamuin, Caol Croda des Neamuin, Goineach des Neamuin, Gothan Gilmeurach des Neamuin, Aife la fille de Gothan Gilmeurach des Neamuin, et Cuadan Lorgaire des Neamuin, nous ne te portons pas dans notre cœur, et si tu sors à notre rencontre nous te porterons autant de coups qu’il faudra et sans répit pour te réduire à l’état de pierre inerte sur le sol ».
« Que ne voilà une bien mauvaise compagnie », s’exclama Diarmat, espèce de menteurs de délateurs (lorgaireachta ???) qui parlez tous de la même façon ????? (leatbroide ?) ce n’est nullement parce que je crains votre main, mais parce que je suis un de vos ennemis que je ne sortirai pas ».
Il s’approcha d’une autre porte de branchage et demanda qui était là.
« Vindos/Finn fils de Camulos, fils d’Aft fils de Trenmor O’Baoiscne, ainsi que quatre cents hommes à sa solde ; nous ne te portons pas dans notre cœur et si tu sors à notre rencontre nous réduirons tes os en poussière ».
« Je le jure sur mon épée », répondit Diarmat, la porte derrière laquelle tu te tiens, O Vindos/Finn, est justement de toutes ces portes celle par laquelle je vais passer ».
Sur ce Vindos/Finn ordonna donc à ses troupes sous peine de mort ou d’exécution immédiate de ne pas laisser Diarmat s’échapper à leur insu. Après avoir entendu ces paroles, Diarmat en se servant des hampes de ses javelines et des fûts de ses javelots s’éleva dans les airs d’un bond prodigieusement léger puis se retrouva très loin derrière Vindos/Finn et derrière ses gens, sans qu’ils s’en aperçoivent, à leur insu. Il se retourna derrière et leur cria qu’il les avait bien eus. Il jeta son bouclier sur son dos puissant et musclé et s’en alla droit vers l’ouest ; il ne mit pas longtemps à être hors de la vue de Vindos/Finn et des fénianes.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 17.
Mabon/Maponos/Oengus prit Grannia sous son manteau. Il doit s’agir d’un manteau d’invisibilité quelque peu analogue à la tarnkappe de Siegfried chez nos amis allemands. Longtemps réservée au
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domaine de la science-fiction cette technique semble pourtant désormais en vue, si l’on peut dire, sous le nom de cape d’invisibilité. C’est parce qu’un personnage ou un objet réfléchit la lumière que l’œil le perçoit. Il suffit donc de faire en sorte que les rayons lumineux ne soient pas réfléchis par la personne, mais la contournent. Ce résultat peut être obtenu en utilisant des métamatériaux (les anciens druides ayant élaboré tous ces mythes sur les dieux avaient seulement 3000 ans d’avance).
Aed Beg du clan Neamuin. Le texte porte « Eamuin ». Est-ce une erreur de copie ?
Diarmat en se servant des hampes de ses javelines et des fûts de ses javelots s’éleva dans les airs d’un bond prodigieusement léger. Il s’agit donc là d’un exploit résultant d’un long entraînement et non des pouvoirs magiques venant de Mabon/Maponos/Oengus.
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Ne voyant personne le suivre, Diarmat retourna ensuite à l’endroit où il avait vu Mabon/Maponos/Ioengus et Grannia sortir du bois et il suivit leurs traces sans s’en écarter jusqu’au bois des deux saules.
Il trouva là Mabon/Maponos/Oengus et Grannia dans une hutte bien éclairée avec un grand feu aux larges flammes devant eux, et un demi-sanglier à la broche. Diarmat les salua et Grannia faillit mourir de joie en le voyant arriver. Diarmat leur raconta tout du début jusqu’à la fin et ils prirent leur repas cette nuit-là, ensuite Diarmat et Grannia partirent dormir ensemble jusqu’à ce que le soleil soit complètement levé le lendemain matin. Mabon/Maponos/Oengus se leva de bonne heure et voici ce qu’il dit à Diarmat :
« Je dois maintenant repartir, O Diarmat, et ce que je donne comme conseil c’est en fuyant devant Vindos/Finn de ne jamais monter dans un arbre n’ayant qu’un seul tronc ni d’aller dans une grotte qui n’aurait qu’une entrée ni d’aller sur une île en mer qui n’aurait qu’un moyen d’accès ???? Ne mange pas là où tu feras cuire tes repas, ne dors pas où tu mangeras, ne te lève pas là où tu auras dormi ????
Il prit congé d’eux et leur fit ses adieux, puis s’en alla. Diarmat et Grannia se mirent alors en route vers l’ouest sur la rive gauche du Shannon (laim deis ris an Sionainn) jusqu’au Torrent des fénianes qu’on appelle maintenant Leaman. Diarmat attrapa un saumon sur la rive du Leaman et le mit à griller sur une broche. Ensuite lui et Grannia traversèrent le torrent pour le manger, ainsi que Mabon/Maponos/Oengus leur avait dit ; et ils allèrent plus à l’ouest encore pour dormir. Diarmat et Grannia se levèrent de bonne heure le lendemain matin et poursuivirent leur route droit vers l’ouest jusqu’à ce qu’ils atteignent les marais de Finn-liath. Là ils rencontrèrent un jeune, il avait belle allure, mais il n’avait ni armes ni armure convenable. Diarmat salua le jeune et lui demanda ce qu’il faisait là qui donc il était. « Je suis un jeune écuyer à la recherche d’un maître » lui répondit-il « et je m’appelle Muadan ».
« Que pourrais-tu faire pour moi, mon garçon ? » demanda Diarmat.
« Je te servirai le jour et je veillerai sur toi la nuit », répondit Muadan.
« Garde donc ce jeune homme » ajouta Grannia « car tu ne peux pas toujours rester sans écuyer ». Ils se mirent d’accord sur ce compagnonnage (Rigneadas snadmanna cuir agus ceangail re ceile) et se mirent en route vers l’ouest jusqu’à ce qu’ils atteignent la Carrthach ; et là quand ils furent au bord de l’eau, Muadan leur demanda de monter sur son dos afin qu’il puisse leur faire traverser la rivière. « On va être un vrai fardeau pour toi », répondit Grannia. Il prit néanmoins Diarmat et Grannia sur son dos et les transporta de l’autre côté de la rivière ». Ils poursuivirent leur route jusqu’à la Beith et là quand ils furent arrivés au bord de l’eau Muadan fit la même chose avec eux et ils pénétrèrent dans une grotte ar leat taoib Churraig cinn admuid, os cionn Tuine Toime. Muadan y aménagea un lit fait de branches de bouleau et de roseaux frais pour Diarmat et Grannia dans la partie la plus reculée de cette caverne. Ensuite il se rendit dans le bois tout proche et en sortit une gaule (slat) de sorbier bien droite, il attacha un de ses cheveux avec un hameçon sur cette canne, et mit une baie de houx sur l’hameçon. Ensuite il alla se planter sur le bord de la rivière et attrapa un poisson du premier coup. Il accrocha une deuxième baie de houx et pêcha un deuxième poisson ; il mit enfin une troisième baie sur son hameçon et prit un troisième poisson. Ensuite il passa l’hameçon et son crochet dans sa ceinture, planta la canne à pêche en terre, et ramena ses trois poissons à l’endroit où se trouvaient Diarmat et Grannia, puis les embrocha. Quand ils furent grillés, Muadan leur dit : « Je te laisse le soin de partager ces poissons, O Diarmat ».
« Je préfère que ce soit toi qui le fasses », répondit Diarmat.
« Bien », répondit Muadan, « je te laisse le soin de partager ces trois poissons, O Grannia ».
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« Il me suffira que ce soit toi qui les partages », répondit Grannia.
« Si c’était toi qui avais réparti les poissons, O Diarmat », reprit Muadan, « tu aurais donné la plus grosse part à Grannia, et si cela avait été Grannia qui avait procédé au partage, c’est à toi qu’elle aurait donné la plus grosse ; mais puisque c’est moi qui répartis les poissons, aie donc le plus gros, Diarmat, que Grannia aie celui qui vient juste après pour ce qui est de la taille, et moi je me contenterai du plus petit ».
Sache, ô lecteur, que Diarmat se gardait bien de toucher Grannia ? et qu’il avait laissé une brochette de chair de poisson cru dans le bois des deux cabanes comme afin de faire savoir à Vindos/Finn et aux fénianes qu’il n’avait pas commis le péché de chair avec Grannia, et sache aussi qu’il laissa la deuxième fois sept saumons intacts sur la rive du Leaman, raison pour laquelle Vindos/Finn se hâtait de le rattraper.
Ils mangèrent leur repas cette nuit-là et Diarmat ainsi que Grannia se retirèrent pour dormir dans la partie la plus reculée de la caverne, Muadan monta la garde et veilla sur eux jusqu’à ce que le jour soit bien levé le lendemain.
Diarmat se leva de bonne heure et fit asseoir Grannia, puis lui demanda de monter la garde à la place de Muadan, pendant que lui-même irait reconnaitre le pays. Diarmat s’en alla donc et monta au sommet de la colline la plus proche, et il resta là longuement à scruter les quatre horizons autour de lui ; c’est-à-dire en direction de l’Est et de l’Ouest, en direction du sud et en direction du nord. Il n’était pas là depuis très longtemps qu’il vit une grande flotte approcher rapidement, une effrayante armada de navires, venant de l’ouest, et se dirigeant tout droit sur côte. Et le cap que les gens de cette flotte avaient pris en venant ici les amenait tout droit au pied de la colline sur laquelle se trouvait Diamat. Neuf fois neuf capitaines de cette flotte débarquèrent, et Diarmat partit aux nouvelles auprès d’eux ; il les salua et s’enquit auprès d’eux de quel pays et de quelle terre ils étaient.
« Nous sommes les trois princes de Mara n-locht » répondirent-ils, « et Vindos/Finn Camulogenos nous a fait venir à cause d’un brigand des forêts, un de ses ennemis rebelles à son autorité, qu’il a banni, et qui s’appelle Diarmat O’Duibne ; nous sommes venus pour le mettre hors d’état de nuire. Nous avons trois chiens sauvages et nous allons les lâcher sur sa trace, il ne nous faudra pas longtemps pour avoir de ses nouvelles ; le feu ne les brûle pas, l’eau ne les noie pas, et les armes ne les blessent pas, nous sommes nous-mêmes vingt centaines d’hommes vigoureux et vaillants, et chacun d’entre nous a une centaine d’hommes sous ses ordres. Maintenant, dis-nous qui tu es toi, ou si tu as eu vent de quelque chose à propos de ce O’Duibne ? »
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 18.
Encore une fois le thème si fréquent dans nos légendes de l’invasion étrangère. Les Français ont les invasions germaniques prussiennes ou allemandes par voie terrestre, les Irlandais ont les invasions fomoréennes ou vikings venues du nord et de l’ouest par la mer. Il faut dire aussi que tout ceci est bien pratique pour les conteurs en mal de méchants absolus. Aujourd’hui à Hollywood ce sont bien les nazis et les communistes (plus rarement est vrai) qui jouent ce rôle. S’ils n’avaient pas existé il aurait fallu les inventer, sinon que de films ou de livres en moins.
L’estimation de leurs effectifs est évidemment disproportionnée, car cela nous ferait en tout une armée de 200 000 hommes. On retrouve là les mêmes exagérations qu’à propos des créatures vouivres anguipèdes gigantesques que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomores en irlandais. Idem dans la Bible (le nombre des Hébreux captifs en Égypte*) voire dans le Coran ou les hadiths (le nombre d’anges ayant aidé les musulmans lors de la bataille de Badr en 624, le nombre de combattants du côté byzantin lors de la bataille de Yarmouk en 636. J’ai d’ailleurs été le premier à faire rectifier en ce sens la notice de Wikipedia en parlant, d’où pas mal de tiraillement par la suite, mais l’essentiel de ma première intervention (la recherche du vraisemblable, ma seule religion étant celle de la vérité) demeura.
*Le nombre des Hébreux captifs en Égypte devait alors avoisiner les… quelques dizaines. Quant aux anges intervenus aux côtés des musulmans lors de la bataille de Badr, il va de soi que l’estimation que nous en fournit la tradition musulmane n’a que deux explications :
— Les promesses de Mahomet avant ou au cours de la bataille, ses commentaires après.
— Le fait indéniable qu’il y a eu ce jour-là une importante victoire des premiers musulmans, au minimum du point de vue psychologique.
N.B. Depuis que j’ai vu le très mauvais film intitulé « Le royaume des cieux », où il est évident que Ridley Scott prête à son héros de façon très anachronique des idées anti racistes pacifistes mondialistes, etc. en bref une ouverture d’esprit qui ne pouvait être celle de Balian à l’époque, et
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caricature un peu trop le templier Renaud de Châtillon (si son projet de prendre La Mecque avait pu aboutir, la face du monde en eût été changée, rapidement, et en bien), je me demande comment un honnête homme (réaliste et ainsi de suite..) peut réussir sans mentir à encourager les siens, suffisamment pour qu’ils en arrivent à renverser une situation apparemment sans issue et désespérée ???
Il va de soi néanmoins que prendre tous ces chiffres et tous ces miracles au pied de la lettre n’est que de l’obscurantisme ainsi que l’a bien démontré le grand druide irlandais que fut John Toland dans son « christianisme sans mystère ».
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« Je l’ai vu hier », répondit Diarmat, « en ce qui me concerne, je ne suis qu’un guerrier qui parcourt le monde et gagne sa vie à la force de ses bras ou grâce à la trempe de son épée ; mais je vous assure que vous n’aurez pas affaire à un homme ordinaire si Diarmat vous rencontre ».
« De toute façon personne ne l’a encore trouvé jusqu’ici », répondirent-ils.
« Comment vous appelez-vous ? » demanda Diarmat.
« Pied-Noir, Pied-Blanc et Pied-Fort », répondirent-ils.
« Y a-t-il du vin à bord de vos navires », demanda Diarmat » ?
« Il y en a », répondirent-ils.
« S’il vous plaît de décharger un tonneau de vin », continua Diarmat « je vous montrerai de quoi je suis capable ». On envoya des hommes chercher le tonneau, et quand il fut là, Diarmat le prit avec ses deux bras et en but tout de suite une gorgée, puis les autres burent le reste. Après Diarmat mit le tonneau sur ses épaules et le monta au sommet de la colline, là il grimpa dessus et dévala ainsi l’escarpement de ladite colline jusqu’en bas, il réitéra cet exploit trois fois devant les étrangers tout en restant sur le tonneau tant à l’aller qu’au retour.
Ils lui crièrent alors qu’il devait être quelqu’un n’ayant jamais assisté à un véritable tour de force s’il appelait ça un exploit, et là-dessus l’un d’entre eux grimpa sur le tonneau. Diarmat donna un coup de pied à la barrique et l’étranger tomba devant le tonneau avant qu’il ne se mette à rouler, mais quand ce fut le cas la barrique écrasa le jeune guerrier, ses intestins et ses entrailles se répandirent sur ses pieds. Sur ce Diarmat rattrapa la barrique et la remonta encore ne fois au sommet de la colline, un deuxième homme grimpa dessus. Quand Diarmat vit ça, il donna un coup de pied dedans et ce deuxième étranger fut tué aussi rapidement que le premier. Diarmat remonta en vitesse la barrique, un troisième homme grimpa dessus, et il périt donc de la même façon que les autres. C’est ainsi que succombèrent à cette ruse de Diarmat cinquante des leurs ce jour-là et ceux d’entre eux qui n’étaient remontèrent à bord de leurs navires. Diarmat s’en fut retrouver les siens, Muadan accrocha son cheveu et son hameçon à la gaule, et attrapa trois saumons. Il planta la canne dans le sol, glissa le cheveu sous sa ceinture, et ramena le poisson à Diarmat et Grannia. Ils prirent leur repas cette nuit-là, Muadan leur aménagea une couche dans la partie la plus éloignée de la grotte, et quant à lui-même il se plaça juste à l’entrée de la caverne afin de veiller sur eux et monter la garde jusqu’à ce que le soleil soit complètement levé le lendemain matin.
Diarmat se leva de bonne heure le lendemain matin, aux premières lueurs de l’aube, la tira de son sommeil et lui demanda de monter la garde pendant que Muadan dormirait. Quant à lui et bien il se rendit au sommet de la même colline et il ne s’écoula guère de temps avant que les trois chefs ne viennent l’y retrouver aussi leur demanda-t-il s’il leur plairait de le voir exécuter d’autres tours de force. Ils répondirent qu’ils préféreraient avoir des nouvelles de Diarmat O’Duibne. « J’ai vu un homme qui l’a vu aujourd’hui » répondit Diarmat, et sur ce il se dépouilla de ses armes et de son armure, de tout sauf de la chemise qu’il portait à même sa peau, et il planta sa javeline, la Crann Buide de Belin/Belen/Barinthus Lerogenos (Manannan) bien droite avec la pointe en haut. Ensuite Diarmat sauta dessus d’un bond léger d’oiseau, mais en l’effleurant juste une fraction de seconde avant de redescendre avec aisance de l’autre côté, sans blessure ni égratignure.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 19.
Pied-Noir. Le nom de ces envahisseurs évoque un peu la difformité caractéristique des Fomors, à savoir qu’ils n’avaient qu’un seul pied.
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Le vin. Devait provenir de France à l’époque, et même plus précisément de la région de Bordeaux. Transporté en tonneaux chargés sur des navires de commerce. Divers indices tendent à prouver que la flotte de commerce se livrant à ce commerce avec l’Irlande devait être assez nombreuse, un véritable pont sur la mer. D’où l’image de la flotte.
Toute l’astuce de cet exploit consiste apparemment à sauter en effleurant un instant la pointe de la lance SANS Y FAIRE REPOSER TOUT SON POIDS. Autrement dit on ne saute pas vraiment sur la pointe de la lance, on saute derrière, mais en la touchant des pieds seulement une fraction de seconde.
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Un jeune guerrier du peuple des étrangers s’exclama : « Tu es vraiment quelqu’un qui n’a jamais vu un véritable exploit si tu appelles ça un tour de force », et là-dessus il se dépouilla de ses armes et de son armure, et il bondit légèrement dans les airs au-dessus de la javeline, mais redescendit dessus si lourdement et dangereusement que la pointe de la lance lui transperça le cœur et qu’il tomba raide mort à terre. Diarmat dégagea la javeline de son corps et la remit debout une deuxième fois. Un autre d’entre eux sauta en l’air pour réussir ce tour de force et lui aussi fut tué comme le précédent. De la même manière, cinquante des étrangers périrent à cause de cet exploit de Diarmat ce jour-là ; ils le prièrent donc d’enlever cette lance en lui disant qu’il ne devait plus tuer un seul des leurs avec ce tour de force. Ensuite ils remontèrent à bord de leurs navires.
Diarmat alla retrouver Muadan et Grannia et Muadan leur servit le poisson de leur repas du soir, ensuite Diarmat et Grannia dormirent l’un à côté de l’autre cette nuit-là, et Muadan veilla et monta la garde jusqu’au matin.
Diarmat se leva le lendemain matin et apporta sur ladite colline deux grosses branches fourchues coupées dans le bois voisin, puis les planta dans le sol, avec le plat de la Moralltach, c’est-à-dire l’épée de Mabon/Maponos/Oengus du Brug, posé dessus.
Ensuite d’un bond prodigieusement léger il sauta dessus et marcha trois fois dessus à petits pas, en mettant un pied devant l’autre, de sa garde jusqu’à sa pointe, puis il redescendit et demanda si l’un d’entre eux était capable d’accomplir le même exploit.
« Quelle drôle de question », s’exclama l’un de leurs hommes, « car il n’y a jamais eu en Irlande de prouesse que l’un des nôtres ne soit capable de réaliser ». Ensuite il bondit afin de marcher sur l’épée lui aussi, mais alors qu’il arrivait dessus l’une de ses jambes glissa d’un côté de sorte qu’il fut pourfendu en deux moitiés jusqu’au sommet de son crâne. Alors un deuxième homme sauta lui aussi sur l’épée, mais retomba dessus à plat ventre de travers de sorte qu’il fut coupé en deux. Il mourut ce jour-là autant d’étrangers venus de Mara n-locht qu’il en était tombé de même les deux jours précédents. Ils lui demandèrent alors d’enlever son épée, en lui disant qu’il avait déjà fait périr assez des leurs comme ça ; et ils lui demandèrent s’il avait eu vent de quelques nouvelles concernant Diarmat O’Duibne. « J’ai vu l’homme qui l’a vu aujourd’hui » répondit Diarmat, et j’irai chercher de ses nouvelles ce soir ».
Diarmat revint à l’endroit où se trouvaient Grannia et Muadan, ce dernier attrapa trois poissons pour le soir, ils prirent leur repas et Diarmat ainsi que Grannia se retirèrent pour dormir dans la partie la plus reculée de la caverne, et Muadan veilla et monta la garde pour eux.
Diarmat se leva dès l’aube et enfila sa tenue de guerre et de combat, sous laquelle, au travers de laquelle, derrière laquelle, il était invulnérable ; ensuite il prit la Moralltach c’est-à-dire l’épée de Mabon/Maponos/Oengus du Brug, à son côté gauche ; une épée qui tuait du premier coup d’estoc ou de taille. Il prit de même ses deux javelots de guerre à la hampe épaisse, c’est-à-dire la Javeline jaune et la Javeline rouge, dont nul homme ni femme atteint par elles ne se remettait. Puis Diarmat sortit Grannia de son sommeil et lui demanda de monter la garde et veiller sur Muadan, en lui disant que lui-même allait battre la campagne tout autour.
Quand Grannia vit Diarmat bravement et courageusement vêtu de pied en cap de ses habits de guerre et de lutte, peur et terreur s’emparèrent d’elle, car elle savait bien que c’était pour livrer un combat ou une bataille décisive qu’il était ainsi équipé aussi lui demanda-t-elle ce qu’il comptait faire. « Tu me vois ainsi habillé, car je crains fort de devoir affronter mes ennemis aujourd’hui ». Ces propos rassurèrent Grannia et Diarmat s’en alla ainsi en grand arroi rencontrer les étrangers ».
Ils descendirent à terre s’enquérir auprès de lui des dernières nouvelles d’O’Duibne.
« Je l’ai vu il n’y a pas longtemps », répondit Diarmat.
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« Montre-nous alors où il se trouve » demandèrent-ils « que nous puissions ramener sa tête à Vindos/Finn Camulogenos ».
« J’aurais bien mal veillé sur lui », répondit Diarmat « si je fais comme vous dites, car le corps et la vie de Diarmat sont placés sous la protection de mes prouesses et de ma valeur, et je ne le trahirai point ».
« C’est vrai ? » demandèrent-ils ?
« Bien sûr que c’est vrai », répondit Diarmat.
« Alors tu ne t’en iras pas d’ici » répondirent, et nous rapporterons ta tête à Vindos/Finn puisque tu es un de ses ennemis ».
« Il faudrait que je sois bien attaché », répondit Diarmat « pour que je laisse ma tête aller avec vous », et comme il parlait il tira son épée, Moralltach, de son fourreau, et asséna un coup furieux sur la tête de celui qui était juste à côté de lui, si dévastateur qu’il la pourfendit en deux parts égales. Ensuite il s’en prit à l’armée des étrangers en commençant à la tuer ou les attaquer avec héroïsme et intrépidité. Il se rua sur eux à travers eux sous eux et même par-dessus eux comme un faucon fondant sur une nuée de petits oiseaux, ou un loup au milieu d’un troupeau de petits moutons ; hachant menu les magnifiques et brillantes cottes de maille de ses adversaires.
De sorte qu’il n’en réchappa même pas un pour en rapporter des nouvelles ou pour se vanter de grands exploits, sans avoir connu les affres de la mort ou de la fin de son existence. À l’exception des trois chefs et d’un petit nombre des leurs qui coururent se réfugier sur leurs vaisseaux.
Diarmat repartit saint et sauf, sans une égratignure ; et alla retrouver Muadan et Grannia. Ils l’accueillirent comme il se doit et Grannia lui demanda s’il avait eu vent de quelques nouvelles concernant Vindos/Finn Camulogenos et des fénianes d’Irlande. Il répondit que non et ils prirent leur nourriture et leur repas du jour ce soir-là.
Diarmat se leva de bonne heure le lendemain matin dès les premières lueurs de l’aube, et ne s’arrêta pas un instant avant d’avoir atteint ladite colline, une fois parvenu là il frappa par terre avec son puissant bouclier si fort que le bruit en fit trembler la plage autour de lui. Alors le chef étranger pied-noir s’exclama qu’il allait lui-même se battre contre Diarmat et il descendit à terre aussitôt. Ensuite lui et Diarmat se ruèrent l’un sur l’autre comme des lutteurs, aux prises et aux empoignades puissantes ou féroces ; les bras tendus et les muscles gonflés, comme deux aurochs, ou deux taureaux furieux, ou deux lions enragés, ou deux faucons sans peur au sommet d’une falaise. Tel fut ce à quoi ressembla l’ardent douloureux et pénible combat qui les opposa.
Tous deux avaient jeté leurs armes et ils coururent à la rencontre l’un de l’autre, puis ils se passèrent mutuellement les bras autour du corps. Chacun essaya violemment de faire tomber l’autre, mais Diarmat jeta Pied-Noir sur son épaule et plaqua son corps au sol, ensuite il fit de ses membres un nœud solide et serré. Après cela ce fut le tour de Pied-Fort et de Blanc-Pied de l’affronter, l’un après l’autre ; et il en alla de même avec eux, il leur noua les membres et leur déclara qu’il ne leur couperait pas la tête, préférant les laisser ainsi pieds et poings noués afin de les faire souffrir plus longtemps : « car personne ne pourra vous libérer de tels nœuds » leur dit-il ; et il les laissa là sans force et bien mal en point.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 20.
Moralltach. D’après Roger Chauviré, enseignant à l’université nationale d’Irlande, ce nom signifie « la grande ardente ». « La grande sauvage » d’après le dictionnaire électronique de la langue irlandaise.
Tout cela fait un peu « bataille de Yarmouk 636 » vu du côté musulman pieux. Comment peut-on être aussi crédule et aussi raciste (méprisant) vis-à-vis de ses adversaires ? Tout cela est invraisemblable et s’il est certain que les fénianes ont vraiment historiquement existé, toute cette histoire elle par contre est complètement inventée. Elle n’en contient pas moins ici et là quelques pépites du plus grand intérêt. D’où sa reprise ici.
Aurochs. Nous traduisons faute de mieux ainsi le terme gaélique dam (français daim) dont le sens est un peu vague (bœuf, cerf, champion…).
Le terme gaélique utilisé ne souffre aucune équivoque, les deux adversaires se battent comme des corramail. Il s’agit donc de lutte celtique.
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Sur la lutte celtique, voir la leçon consacrée à ce sujet.
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Diarmat alla voir ensuite Muadan et Grannia et ils prirent leur repas et leur poisson du soir puis Diarmat et Grannia partirent se coucher, ensuite Muadan veilla et monta la garde sur eux jusqu’au matin.
Diamat se leva de bonne heure et dit à Grannia que ses ennemis étaient tout près d’eux ; il lui raconta l’histoire des étrangers du débit jusqu’à la fin, comment cinquante des leurs avaient péri l’un après l’autre chaque jour à trois reprises victimes de ses tours de force, comment quinze-cents de leurs soldats étaient tombés sous ses coups furieux le quatrième jour et comment ils avaient fait un nœud des membres de leurs trois chefs le cinquième jour. « Mais ils ont trois molosses tueurs tenus en chaîne pour m’attaquer » ajouta-t-il « et aucune arme ne peut les blesser ».
« As-tu pris la tête de ces trois chefs ? » demanda Grannia ???
« Non » répondit Diarmat, « car j’ai préféré les faire souffrir plus longtemps, car aucun guerrier ni héros d’Irlande ne peut défaire les nœuds par lesquels je les ai liés à part quatre d’entre eux, Ossian le fils de Vindos/Finn, Oscar le fils d’Ossian, Lugaid à la main puissante et Conan mac Morna ; mais je sais que pas un des quatre ne les détachera.
Néanmoins Vindos/finn va sous peu obtenir des nouvelles d’eux et ça va le piquer au vif ; aussi devons-nous quitter cette grotte de peur que Vindos/Finn et ces molosses tueurs ne nous rattrapent ».
Après cela Diarmat Grannia et Muadan s’éloignèrent de la caverne et poursuivirent vers l’ouest jusqu’à la tourbière de Finnliath. Comme Grannia commençait à fatiguer, Muadan la prit sur son dos jusqu’à la montagne de Luachra. Alors Diarmat s’assit sur la rive du torrent qui jaillissait du cœur de la montagne et comme Grannia s’y lava les mains elle demanda donc à Diarmat sa dague afin de se couper les ongles.
Quant aux étrangers, dans la mesure où beaucoup d’entre eux étaient encore vivants, ils grimpèrent sur la colline où les trois chefs avaient eu les membres noués en pensant les libérer rapidement, mais ces nœuds étaient si bien faits qu’ils ne réussirent qu’à les resserrer.
Peu de temps après, ils virent la messagère de Vindos/Finn Camulogenos arriver à la vitesse d’une hirondelle ou d’une belette ou d’une rafale de vent vif et acéré soufflant sur les hautes collines et les montagnes dénudées, puis elle leur demanda qui donc avait fait un si effrayant et grand massacre des leurs
« Qui es-tu pour nous demander ça ? » s’exclamèrent-ils.
« Je suis la messagère de Vindos/Finn Camulogenos », répondit-elle « et je m’appelle Deirdre de la Montagne noire, Vindos/Finn m’a envoyée voir ce que vous deveniez ».
« Bon et bien nous ne savons pas qui c’est » répondirent-ils « mais nous pouvons te dire à quoi il ressemble, c’est un guerrier qui a des cheveux bruns bouclés et deux joues bien rouges, c’est cet homme-là qui a fait un tel massacre des nôtres ; et ce qui est pire pour nous c’est que nos trois chefs ont été transformés en boule de nœuds vivants que nous ne pouvons pas défaire ; il a fait en même trois jours de suite en s’en prenant à nous ».
« Quelle direction a-t-il prise en s’en allant », demanda Deirdre.
« Il est parti tard la nuit dernière », répondirent-ils ; nous ne pouvons donc pas te le dire ».
« Ma foi » répondit Deirdre, « je vous dis moi que c’était Diarmat O’Duibne en personne qui était là devant vous, prenez vos chiens avec vous et lâchez les sur ses traces, ou je vous envoie Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande ».
Ils débarquèrent alors leurs chiens et les lâchèrent sur les traces de Diarmat, mais ils laissèrent un druide (draoi) s’occuper des trois chefs transformés en nœuds vivants. Quant à eux ils suivirent les chiens lâchés sur les traces de Diarmat jusqu’à l’entrée de la caverne, et ils pénétrèrent jusqu’au fond de la caverne où ils trouvèrent la couche de Diarmat et Grannia. Ensuite ils poursuivirent en direction de l’ouest jusqu’à Carrthach, et de là jusqu’à la lande marécageuse de Finnliath puis jusqu’au torrent des fénianes que l’on appelle Leaman maintenant, enfin jusqu’à la grande plaine de Choncan et la grande et haute montagne de Luachra.
De son côté Diarmat ne comprit qu’ils étaient sur ses traces en train de le traquer que lorsqu’il aperçut leurs bannières de soie et leurs étendards effrayants, les trois puissants guerriers en tête des troupes, l’air féroce, hardis et décidé, avec leurs trois mortels molosses tenus en laisse par trois chaînes qu’ils avaient en main. Quand Diarmat les vit arriver ainsi droit sur lui en grand équipage, la haine et l’aversion envers eux emplirent son cœur. Celui qui était loin devant les autres en tête de leur compagnie portait un grand manteau à la belle teinte verte : alors Grannia tendit sa dague à Diarmat qui la remit sur sa cuisse en disant : « J’ai l’impression que tu n’aimes guère ce jeune au manteau vert Grannia ».
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« Certes non ! » répondit Grannia « jusqu’à ce jour je n’ai jamais pu en aimer un seul ». Diarmat prit sa dague et la remit dans son fourreau puis il alla son chemin après cela. Muadan prit Grannia sur son dos et la porta dans la montagne sur une distance d’environ un mille.
Il ne s’écoula guère de temps avant qu’un des trois molosses tueurs ne soit lâché sur Diarmat, et Muadan lui demanda de suivre Grannia en lui disant qu’il écarterait d’eux ce chien. Muadan revint en arrière et prit un chiot dans sa ceinture, puis le mit dans sa main. Quand le petit chien vit le molosse arriver sur lui, les mâchoires et la gueule grandes ouvertes, il se mit debout sur la paume de la main de Muadan et sauta dans la gueule du gros chien, jusqu’à son cœur, il lui déchira le flanc et ensuite revint dans la paume de la main de Muadan, en laissant le gros chien mort derrière lui.
Muadan s’en alla rejoindre Diarmat et Grannia et prit de nouveau Grannia sur son dos, et lui fit faire ainsi un mille de plus (deux kilomètres). Alors fut lâché le deuxième chien après eux, et Diarmat dit alors à Muadan : « J’ai entendu dire qu’aucun sort ne peut neutraliser des armes magiques ni protéger la gorge d’une bête, quelle qu’elle puisse être, arrêtez-vous un instant que je puisse transpercer le corps le poitrail et le cœur de ce chien avec la Javeline Rouge. Muadan et Grannia s’arrêtèrent pour voir ça. Diarmat visa le chien et lui mit le javelot en plein nombril, de sorte qu’il perdit ses boyaux et ses entrailles, et après avoir retiré sa javeline il suivit ses compagnons.
Il ne s’écoula guère de temps avant que le troisième molosse ne soit lâché contre eux, Grannia lui parla et ce qu’elle lui dit fut ceci : « C’est le plus féroce d’entre eux, et j’en ai très peu, garde-toi bien de lui, O Diarmat ». Presque aussitôt après le chien arriva sur eux, l’endroit où il les rattrapa c’était la dalle de Dubhan sur la montagne de Luachra. Il sauta d’un bond aérien et léger par-dessus Diarmat et aurait bien mordu Grannia, mais Diarmat l’attrapa par les deux pattes de derrière et lui fracassa la carcasse contre le rocher le plus proche, si fort que sa cervelle lui sortit par les trous de la tête et les oreilles. Sur ce Diarmat prit ses armes et son armure et glissa le bout de son doigt (meur barrcaol) dans la courroie de soie de la Javeline Rouge puis la lança d’un coup bien ajusté sur le jeune au manteau vert qui était en tête de l’armée, et le tua du premier coup ; il fit un second lancer qui tua le deuxième homme ; et le troisième périt de même.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 21.
Lorsqu’il aperçut leurs bannières de soie et leurs étendards… Les étrangers qui ont en principe été anéantis peu de temps auparavant semblent donc toujours aussi nombreux. Cette histoire est un conte de fées analogue aux deux Goliaths de la Bible (1 Samuel, 1 ; 2 Samuel 21 ; 19) pas un compte-rendu historique. Mais rien n’empêche de méditer dessus et de bien voir par exemple que la véritable histoire d’amour se noue entre Vindos/Finn et Grannia et non entre Diarmat et Grannia. Et que notre héroïne y joue un rôle bien étrange au début (elle jette un sort à Diarmat) avant de finir en bobonne embourgeoisée après être passée par une longue période de simple figuration ou de faire valoir avec tous les stéréotypes que cela implique. Mais répétons-le encore une fois, l’amoureux fou en l’occurrence, et il en devient tragique, c’est le vieux Vindos/Finn et non le jeune Diarmat. Cette histoire d’amour n’est donc pas celle que l’on croit.
Meur barrcaol. Certains guerriers celtes apparemment n’utilisaient pas un bâton de jet ou un propulseur, comme ceux des chasseurs paléolithiques, en bois ou en os, qui nous ont été conservés ; mais une courroie, fixée au bois du javelot, avec une boucle où l’on passait les doigts, et qui jouait donc le rôle du propulseur de la préhistoire pour augmenter la portée. En outre, enroulée d’un tour ou un tour et demi, sur l’arme, elle lui donnait une rotation maintenant mieux l’axe du projectile sur sa trajectoire. Il devait donc s’agir d’une méthode de jet de la lance ou de la javeline, comparable à celle de l’amentum des légionnaires romains. L’amentum était une petite courroie dans laquelle on passait le doigt du milieu ou même les deux premiers doigts, ce qui servait à lancer le javelot et en doublait la portée, ainsi que des essais l’ont prouvé. Cette technique améliorait par conséquent nettement la puissance ainsi que la portée du javelot, pour un encombrement réduit, et au prix d’une petite préparation avant le combat, mais qui nécessitait quand même davantage de savoir-faire.
Ainsi que nous venons de le dire, il semble que l’on mettait les doigts entre les extrémités de la courroie, et que l’on faisait ainsi tourner le trait par un mouvement rapide avant de le lancer. Mais il n’y a pas d’œuvre connue de l’Antiquité où soit représenté un tel lancer, nous en sommes donc à son sujet, réduits aux hypothèses.
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Ensuite, puisque continuer à se défendre une fois que les chefs sont tombés n’est dans les habitudes de personne, quand les étrangers virent que leurs chefs et leurs seigneurs étaient morts, ils s’avouèrent vaincus et commencèrent à se débander ; Diarmat les poursuivit en les dispersant violemment et en les massacrant de sorte que, à moins que l’un d’entre eux ait pu s’enfuir sur la cime des forêts, ou sous la terre herbeuse, ou sous l’eau, il n’en réchappa ni un messager ni même quelqu’un pour en parler. L’ombre de la mort et l’anéantissement immédiat s’abattit sur chacun d’entre eux excepté Deirdre de la Montagne noire, la messagère de Vindos/Finn Camulogenos, qui tournoyait dans les airs ou virevoltait tout autour pendant que Diarmat se livrait à un véritable carnage des étrangers.
Quant à Vindos/Finn, quand il apprit que les étrangers avaient été transformés en nœuds vivants par Diarmat, il convoqua publiquement les fénianes d’Irlande ; et ils empruntèrent les voies les plus directes ou les raccourcis pour se rendre sur la colline où ils gisaient noués en boule de la sorte. Vindos/Finn en eut un véritable haut-le-cœur en les voyant ainsi. Il prit alors la parole et voici ce qu’il dit : « Ossian détache ces trois chefs-là pour moitié.
« Je ne le ferai pas », répondit Ossian, « car Diarmat m’a fait jurer de ne jamais détacher un guerrier qu’il aurait, ainsi noué »
« Oscar, détache-les » s’exclama Vindos/Finn.
« Que nenni », répondit Oscar, « ma parole j’ai plutôt envie de faire encore plus de nœuds avec leurs membres » ! Ensuite Lugaid et Conan refusèrent de même de les détacher. De toute façon ils n’eurent point à discourir plus longtemps à ce sujet, car les trois chefs moururent à cause de tous ces nœuds très serrés dans lesquels ils étaient emmêlés. Alors Vindos/Finn fit creuser trois tombes recouvertes de grandes mottes de gazon pour eux, une pierre tombale fut érigée dessus et leurs noms furent écrits en runes ogamiques, leur cérémonie funèbre fut accomplie et Vindos/Finn eut le cœur las et lourd après cela.
Ce fut alors juste à ce moment-là que Vindos/Finn vit arriver Deirdre de la Montagne Noire, les jambes flageolantes et la langue en train de délirer, les yeux exorbités ; quand Vindos/Finn la vit arriver sur lui dans cet état il lui demanda ce qui s’était passé. « J’ai de grandes, mais mauvaises nouvelles à te dire, et j’ai l’impression d’être gan tigearna mé ??? (désemparée ???) » Ensuite elle lui raconta de la première à la dernière ligne toute l’histoire du massacre qu’avait fait Diarmat et comment les trois chiens tueurs avaient été tués par lui. » « J’ai failli moi-même y passer », s’exclama-t-elle. « Où est allé Diarmat O’Duibne ? » demanda Vindos/Finn. « Ça, je ne le sais pas », répondit-elle. Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande s’en allèrent, et on ne sait rien de ce qui leur advint avant qu’ils n’atteignent Almu dans le Leinster.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 22.
Les oghams. Rappelons-ici que les plus anciennes inscriptions en runes oghamiques datent du IVe siècle environ, mais James Carney pense que leur invention date plutôt du Ier siècle avant notre ère. Bien que l’usage des « oghams » classiques dans des inscriptions sur pierre semble avoir été surtout répandu au cours des Ve et VIe siècles autour de la mer d’Irlande, il résulte clairement des preuves phonologiques que l’alphabet en question est antérieur au Ve siècle. La perte des phonèmes représentés par les lettres uath (H) et straif (Z), ainsi que de la nasale vélaire gétal, qui font pourtant évidemment partie du système, mais qui ne sont point attestés dans les inscriptions, s’explique sans doute par une période d’écriture sur du bois ou tout autre support périssable antérieure aux inscriptions monumentales. Il ressort également de tout cela que l’alphabet oghamique a été inventé à partir d’un autre modèle d’écriture.
Les jambes flageolantes et la langue en train de délirer, les yeux exorbités. Le conteur se moque ici visiblement de la déesse-ou-démone de la guerre appelée Cathubodua (ce qu’il ne fait pas en nous parlant de Mabon/Maponos/Oengus). Ce qui prouve que cette légende qui n’est pas un mythe bien qu’elle contienne de nombreux éléments mythiques a été composée à une époque où la vieille religion n’était déjà plus prise complètement au sérieux. Voire n’était même plus comprise. On en est là exactement au même point que dans les mabinogion gallois où les dieux et déesses ne sont plus que des héros ou héroïnes de roman, des personnages de pure fiction (du moins dans l’esprit de leur auteur), plus ou moins tragiques, plus ou moins dérisoires. De toute façon aucun texte sacré ne doit être pris au pied de la lettre alors… et il faut accepter de prendre ses distances avec les anthropomorphismes auxquels nous en sommes réduits pour parler du divin. Cela peut se faire par le
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biais de l’humour. Dieu ou la Nature nous a dotés d’un cerveau, nous devons nous en servir. Sinon à quoi bon en avoir un ?
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En ce qui concerne Diarmat et Grannia on raconte l’histoire suivante. Ils continuèrent leur chemin vers l’est jusqu’à la montagne de Luachra et à travers le territoire des Ui Conaill Gabra, de là ensuite avec le Shannon à leur gauche (laim cli ris an Sionain) en direction de l’est jusqu’au bois des deux saules que l’on appelle Luimneach maintenant, et Diarmat tua pour eux cette nuit-là un daim, ils mangèrent et burent leur content de viande et d’eau pure et dormirent jusqu’au lendemain matin. Muadan se leva de bonne heure et dit à Diarmat qu’il devait maintenant s’en aller. « Tu n’as aucune raison de le faire », répondit Diarmat, « car tu ce que je t’avais promis a sans conteste été tenu ». Muadan ne se laissa pas retenir et prit congé d’eux en leur disant adieu, ensuite il les laissa là. Diarmat et Grannia regrettèrent son départ et en furent très affectés.
Après s’être ainsi séparés, ils marchèrent droit vers le nord en direction de la montagne d’Echtghe, de là ils se dirigèrent vers le canton des Ui Fiachrach, mais en traversant ce territoire Grannia commença de fatiguer, mais comme elle n’avait personne pour la porter à part Diarmat, étant donné que Muadan était parti, elle prit son courage à deux mains et se remit à marcher aux côtés de Diarmat hardiment. Quand ils furent arrivés dans la forêt, Diarmat édifia une hutte de chasseurs au beau milieu des bois et tua un daim ce soir-là, de sorte que lui et Grannia mangèrent de la viande et burent de l’eau fraîche à satiété. Diarmat se leva de bonne heure et alla voir Searban le Norvégien (Lochlannach) et conclut avec lui un accord et un pacte qui lui valurent l’autorisation de chasser ou traquer des animaux pourvu qu’il ne touche jamais à ses sorbes.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 23.
Ils poursuivirent vers l’est, etc. On a quand même un peu l’impression que Diarmat et Grannia tournent en rond ou refont un chemin déjà parcouru, mais de l’autre côté du fleuve cette fois-ci. Le texte gaélique est trop embrouillé pour nous. Avis aux spécialistes (ce que nous ne sommes pas !)
Un daim. Nous traduisons ainsi les mots gaéliques fiad allta sans trop de certitude.
Searban. Nom signifiant « sombre accueil » d’après le grand spécialiste français du sujet que fut Roger Chauviré. Qui intercale à cet endroit le récit expliquant sa présence ainsi que celle du sorbier magique dans cette forêt. Pour serb le dictionnaire électronique de la langue irlandaise indique plus simplement : « le désagréable ».
Une telle situation ressemble furieusement à celle que l’on trouve mentionnée dans les Mabinogion du livre rouge de Hergest (Yvain ou la dame de la Fontaine).
Page 9. « Une large clairière bien abritée avec un tertre au milieu. Dessus tu verras un homme noir de grande taille.
Il fait au moins la taille de deux hommes ordinaires. Il n’a qu’un pied ainsi qu’un œil au milieu du front. Il a une massue de fer… ce n’est pas un homme avenant, car il a été au contraire excessivement défavorisé par la nature. C’est lui le gardien de ces bois. Tu verras paître autour de lui mille animaux sauvages ».
Page 10. « Je lui demandai alors quel pouvoir il avait sur ces animaux. ‘Je vais te montrer, petit homme », répondit-il. Il prit sa massue en main et avec il en donna un grand coup à un cerf qui fit entendre un grand bramement, et après avoir entendu ce bramement les animaux arrivèrent tous ensemble, aussi nombreux que les étoiles dans le ciel, de sorte qu’il fut difficile pour moi de rester debout au milieu d’eux. Il y avait des serpents et des dragons ainsi que diverses espèces d’animaux. Il les regarda et leur ordonna d’aller paître ; ils baissèrent la tête et lui rendirent hommage ainsi que des vassaux le font envers leur seigneur’.
Ensuite l’homme noir me dit : ‘Vois-tu maintenant, petit homme, quel pouvoir je détiens sur ces animaux… »
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Ce Searban est donc apparemment une sorte de dieu-ou-démon des bois ou des montagnes, analogues à ceux que l’on connaît sous les noms de Vosegos ou d’Arduinna sur le Continent. Et Diarmat doit obtenir son consentement afin d’en chasser le gibier. En Irlande cette créature de l’autre monde est représentée comme une vouivre anguipède (que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomors en gaélique), portant un gigantesque ceinturon en fer à la taille.
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Quant à Vindos/Finn et aux fénianes, peu de temps après avoir regagné Almu, ils virent arriver cinquante guerriers, avec deux d’entre eux qui étaient de grande taille, héroïques, vaillants, et qui en outre surpassaient les autres pour ce qui est de la carrure et de la beauté, en tête de la troupe et de la compagnie. Vindos/Finn demanda aux fénianes s’ils les connaissaient.
« Nous ne les connaissons pas » répondirent-ils, mais ne peux-tu pas nous dire qui donc ils sont, O Vindos/Finn ? »
« Je ne saurais dire », répondit Vindos/Finn « mais je pense que ce sont des ennemis à moi ».
La compagnie de guerriers arriva devant Vindos/Finn durant ce temps-là et ils le saluèrent. Vindos/Finn leur répondit et leur demanda qui donc ils étaient, de quel pays ou région ils étaient. Ils lui répondirent que c’étaient bien des ennemis à lui, que leurs pères avaient pris part au meurtre de Camulos le fils de Trenmor O’Baoiscne lors de la bataille de Cnucha ».
Ils ajoutèrent : « nos pères eux-mêmes sont morts dans ce fait d’armes, et c’est pour te demander de faire la paix que nous sommes venus maintenant ».
« Où étiez-vous vous-mêmes quand vos pères ont été tués ? » demanda Vindos/Finn.
« Dans le ventre de nos mères » répondirent-ils « nos mères qui étaient deux femmes des gens de la déesse Danu (bia), Tuathaib Dé Danann], et nous pensons qu’il est temps de reprendre la place et la situation de nos pères parmi les fénianes ».
« D’accord » répondit Vindos/Finn « mais vous devrez avant m’accorder une compensation (éiric) pour la mort de mon père ».
« Nous n’avons ni or, ni argent, ni richesse, ni biens, bétail ou troupeaux de bêtes, que nous puissions te donner, O Vindos/Finn ».
« Ne leur demande aucune compensation (éiric), O Vindos/Finn », dit Ossian, la mort de leurs pères suffit à compenser la mort du tien ».
« J’ai l’impression », reprit Vindos/Finn, « que si quelqu’un me tuait il ne serait pas difficile de te satisfaire en matière de compensation, Ossian, et personne n’entrera dans les fénianes qui ne m’ait pas donné auparavant une compensation (éiric) pour la mort de mon père ».
« Quelle compensation (éiric) veux-tu ? » demanda Oengus le fils d’Art Oc fils de Morna.
« Je ne vous demande que la tête d’un guerrier, ou une poignée des fruits du sorbier de Dubros ».
« Je vais vous donner un bon conseil, O enfants de Morna », leur dit alors Ossian.
« Retournez là où vous avez grandi, et ne demandez jamais la paix à Vindos/Finn tant que vous vivrez. Ce ne sera pas une mince affaire pour vous de ramener à Vindos/Finn tout ce qu’il vous exige de vous, car savez-vous quelle est la tête que Vindos/Finn vous demande de lui ramener en guise de compensation pour la mort de son père » ?
« Non, nous l’ignorons », répondirent-ils.
« La tête que Vindos/Finn vous demande de lui ramener c’est la tête de Diarmat O’Duibne, et seriez-vous vingt centaines d’hommes dans la pleine force de l’âge, il ne vous laissera pas repartir avec une semblable tête puisque c’est la sienne ».
« Et quelles sont les sorbes que Vindos/Finn exige de nous ? » demandèrent-ils.
« Il n’y a rien de plus difficile à obtenir pour vous que ces baies », répondit Ossian, « ainsi que je vais vous l’expliquer maintenant. Il y eut un jour une dispute entre deux femmes du peuple de la déesse Danu (bia) [Tuatha Dé Danann] c’est-à-dire entre Aife la fille de Belin/Belen/Barinthus Lerogenos [= Manannan fils de Lir] et Aine l’autre fille de Belin/Belen/Barinthus. Aife s’était amourachée de Lugaid, c’est-à-dire du fils de la sœur de Vindos/Finn Camulogenos, et Aine s’était amourachée du fils de Lir du sidh de Finnchad, à un point tel que chacune des femmes soutenait que son homme était un meilleur joueur de crosse que l’autre, que le résultat de cette querelle fut que l’on convint d’une grande partie de crosse entre les gens de la déesse Danu (bia) et les fénianes d’Irlande, et que le terrain où cette partie se déroula fut la belle plaine située le long du Lac Lein Linnfiaclach ????
Les fénianes d’Irlande et les gens de la déesse Danu (bia) vinrent à cette rencontre, et voici quels sont les plus nobles seigneurs du peuple de la déesse Danu (bia) qui participèrent…… suit une longue liste de noms d’hommes dont nous laissons l’étude aux spécialistes et où surnagent les théonymes que voici : Donn de l’île… les cinq fils de Finn du sidh de Cairn Cain, Illbreac le fils de
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Belin/Belen/Barinthus, Neamanach le fils de Mabon/Maponos/Oengus, Dergos Boduos (Bodb Derg) le fils du Suqellos Dagodevos Gargant, Belin/Belen/Barinthus Lerogenos lui-même, etc.
« Nous les fénianes d’Irlande, nous jouâmes à la crosse pendant trois jours et trois nuits, depuis le Torrent des fénianes que l’on appelle Leaman jusqu’à la Vallée tordue des fénianes que l’on appelle Fleisce aujourd’hui, sans que l’un d’entre nous marque un but. Mais les gens de la déesse Danu (bia) étaient tout ce temps-là sans qu’on le sache cachés de l’autre côté du Lac Lein et ils comprirent que quand nous, les fénianes, étions unis, jamais l’Irlande même entière ne pouvait l’emporter sur nous. Aussi la décision qu’ils prirent fut-elle de s’en retourner chez eux et de ne plus jouer contre nous. Les provisions de bouche que les enfants de la déesse Danu (Tuatha Dé Danann) avaient apportées avec eux de la Terre promise étaient celles-ci : des noisettes pourpres, des pommes de ? (ubla caitne) et des sorbes parfumées ; alors qu’ils étaient en train de traverser le district des Ui Fiacrach en suivant la Muaid, une de leurs sorbes tomba, et un sorbier sortit de ce fruit. Ce sorbier ainsi que ses baies avaient de nombreuses vertus ; car celui qui mangeait trois de ses sorbes ne tombait jamais malade ni souffrant, ceux qui en mangeaient en éprouvaient une ivresse semblable à celle procurée par le vin ou l’hydromel ; et aurait-il été centenaire, celui qui en goûtait retrouvait la vigueur de ses trente ans.…
[Note de la rédaction : l’enseignant à l’université nationale d’Irlande qu’était encore Roger Chauviré en 1947 ajoute ici un passage que nous ne retrouvons nulle part ailleurs, mais peut-être n’avons pas assez cherché. Ajoutons également que nous ne comprenons pas toujours très bien son français, mais nous confessons bien volontiers ne pas avoir eu les diplômes attestant d’une aussi grande maîtrise pour ce qui est de la langue de Molière et de Voltaire (il était docteur ès lettres)].
Quand les enfants de la Déesse Danu entendirent parler des vertus du sorbier, ils détachèrent de chez eux un gardien pour veiller dessus, Searban le Norvégien, un jeune de leur propre peuple, c’est-à-dire un géant aux os épais, au nez camus, épaté, aux longues dents tordues, aux yeux rouges, basané, un des enfants de ce fils de Noé maudit que l’on appelle Cham, invulnérable à tout type d’armes, résistant au feu, à la noyade, tellement son pouvoir magique (draoideachta) est grand. Il n’avait qu’un œil au milieu de son front noir, et une épaisse ceinture de fer autour de son corps de géant. On lui a prédit qu’il ne mourra que de trois coups de sa propre massue en fer. Il dort au sommet de ce sorbier la nuit et reste à son pied le jour pour veiller dessus, voilà O enfants de Morna, quelles sont les baies que Vindos/Finn vous demande », dit Ossian. « De toute façon, il ne vous sera guère facile d’y toucher par quelque moyen que ce soit, car ce Searban le Norvégien a transformé la région environnante en désert, de sorte que Vindos/Finn et les fénianes n’osent pas y chasser ou traquer le gibier de peur d’avoir affaire à ce terrible géant ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 24.
Il y eut un jour une dispute… Nous avons à maintes reprises fait allusion aux perles ou aux pépites de pure mythologie que pouvaient contenir ces contes ou ces légendes pourtant largement christianisées (composée et consignées par des intellectuels officiellement et sincèrement chrétiens) et bien en voici un autre exemple : le récit qui suit est une anecdote concernant les gens de la grande déesse Danu (bia).
Le fils de Lir du sidh de Finnchad. Le texte gaélique est formel, il porte la mention « mac Lir shite Fhionncaid ». Rappelons pour mémoire que les sides sont un peu comme les alvéoles de la gigantesque ruche qu’est l’autre monde des dieux, constamment occupés à intervenir dans les affaires humaines. Car les dieux il faut bien le dire n’existent que pour les hommes, sans les êtres humains il n’y aurait pas de dieu, les hommes ont conçu les dieux à leur image. Le dire est presque une tautologie. Et le dieu d’Abraham d’Isaac et de Mahomet n’échappe point à cette règle malgré quelques tirades allant bien en sens inverse de ci de là il est vrai.
Terre promise. Nous traduisons ainsi une des nombreuses désignations gaéliques de l’autre monde des dieux et des défunts en gaélique : tir tairngire.
Sorbier. Latin Sorbus aucuparia. Ses vertus thérapeutiques sont avérées, la preuve par exemple, le sorbitol pour le diabète, mais il y a sans doute là un effet de ce que l’on pourrait appeler
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« l’exagération poétique », un procédé littéraire que l’on retrouve également dans la Bible le Mahabharata le Coran la vie de Bouddha les contes des mille et une nuits, etc.
Les fruits du sorbier ne sont comestibles que lorsqu’ils sont bien mûrs, blets, et à condition d’être cuits. Ils servent parfois à préparer des confitures, et aussi à fabriquer, par distillation, une boisson alcoolisée du type kirsch. Ils ont des propriétés laxatives et diurétiques.
Un jeune de leur propre peuple. La qualité de « norvégien » ou « scandinave » est en général dans les légendes irlandaises médiévales attribuée à des créatures maléfiques. Il s’agit donc, soit du souvenir d’un temps où bien et mal n’étaient pas systématiquement opposés de façon manichéenne (car d’un mal peut surgir un bien, de la mort surgit la vie, voir la citation de César à propos de Dispater) toutes les entités surnaturelles étant de fait ambivalentes ; ou d’une preuve supplémentaire que la légende a été composée à une époque où l’on confondait sous une même appellation (Tuatha Dé Danann) deux catégories d’entités surhumaines en principes aussi différentes que les Ases et les Vanes de la mythologie germanique : les vouivres anguipèdes gigantesques appelées Fomors et les beaux ou lumineux dieux Tuatha Dé Danann ou enfants de la déesse Danu. À l’époque où ce conte a été consigné par écrit, cela faisait déjà bien longtemps que les Irlandais, devenus chrétiens, avaient commencé à mélanger les deux dans leur esprit.
Le récit nous présente donc ce membre du clan de la déesse-ou-démone, ou fée, Danu (bia), comme ressemblant plutôt aux vouivres anguipèdes gigantesques (que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomors en gaélique).
Or toute la difficulté du véritable druidisme consiste à les différencier sans les opposer aussi bêtement qu’anges et démons.
Cham fils de Noé. Ce racisme chrétien primaire n’a évidemment rien de celto-druidique, c’est une interpolation due à la sous-culture chrétienne de l’époque.
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Aod le fils d’Andala fils de Morna prit la parole pour dire qu’il préférait périr en cherchant ces sorbes que revenir dans son pays natal ; et il pria Ossian de s’occuper de ses hommes jusqu’à son retour ; et s’il devait tomber lui et son frère dans cette aventure, de renvoyer ses gens dans la Terre promise ?????????? Ensuite ces deux bons guerriers prirent congé en faisant leurs adieux à Ossian et aux chefs des fénianes ; l’histoire ne nous dit rien de ce qui leur advint avant qu’ils n’atteignent le bois des deux saules que l’on appelle Luimneach maintenant, ni de la façon dont ils mangèrent ou passèrent la nuit. Ils se levèrent de bonne heure le lendemain matin, et allèrent d’une seule traite jusqu’au Bois Noir des Ui Fiacrach, et alors qu’ils se dirigeaient vers la forêt ils trouvèrent des traces de Diarmat et Grannia, ils suivirent donc ces traces jusqu’à la cabane de chasseur dans laquelle se trouvaient Diarmat et Grannia. Diarmat les entendit venir devant la hutte et mit aussitôt sa main de guerrier sur ses puissantes armes, ensuite il demanda qui était à la porte. « Nous sommes du clan Morna », répondirent-ils.
« Des enfants de Morna qui êtes-vous ? » demanda Diarmat.
« Aod le fils d’Andala fils de Morna, et Oengus le fils d’Art Oc fils de Morna », répondirent-ils.
« Pourquoi êtes-vous venu dans cette forêt », demanda Diarmat.
« Vindos/Finn Camulogenos nous a demandé ta tête, si tu es Diarmat O’Duibne ».
« C’est bien moi effectivement », répondit Diarmat.
« Et bien » répondirent-ils « Vindos/Finn ne nous a laissé que le choix de lui ramener ta tête ou une poignée des fruits du sorbier du Bois Noir en guise d’indemnité pour la mort de son père ».
« Il ne sera pas facile pour vous d’obtenir l’une ou l’autre », répondit Diarmat, « et malheur à celui qui tombe sous la coupe de cet homme. Il a déjà tué vos pères, cela aurait dû lui suffire comme compensation de votre part.
« Qu’est-ce donc que ces sorbes que réclame Vindos/Finn, demanda Grannia », qu’il ne peut les avoir lui-même ? »
« Ce sont des baies spéciales », répondit Diarmat. » « Les gens de la Déesse Danu (bia) ont laissé pousser un sorbier dans le canton des Ui Fiachrach, et les sorbes qui poussent dans cet arbre ont de nombreuses vertus, c’est-à-dire qu’il y a dans chacune de ces sorbes l’ivresse du vin et du vieil hydromel ; et qui mangerait trois fruits de cet arbre, aurait-il cent ans révolus, serait de nouveau
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comme s’il en avait trente. Mais il y a un géant hideux et puant pour surveiller ou garder ce sorbier ; le jour il reste au pied de l’arbre et la nuit par contre il dort au sommet. En outre il a fait le vide dans la région tout autour et il ne peut pas être tué si ce n’est par trois formidables coups donnés avec sa massue de fer, et cette massue est ainsi ; elle a un anneau de fer épais à son extrémité, et cet anneau est fixé à une ceinture autour du corps du géant ; il a en outre imposé par un pacte à Vindos/Finn et aux fénianes d’Irlande de ne pas chasser dans ce district ; mais quand Vindos/Finn m’a banni après être devenu mon ennemi, j’ai obtenu de sa part l’autorisation de chasser, pourvu que je ne touche point à ces sorbes. Et maintenant, O enfants de Morna » conclut Diarmat, « choisissez entre vous battre contre moi pour avoir ma tête ou aller chercher les sorbes de ce géant ».
« Je jure par le rang qu’occupe ma tribu parmi les fénianes », répondit chacun des enfants de Morna, « que je préfèrerais me battre contre toi ».
Sur ce chacun de ces bons guerriers, à savoir les enfants de Morna et Diarmat,
Mais le combat auquel ils se résolurent fut la lutte à mains nues (comrac croib-neartman do deunam). L’issue de ce combat fut que Diarmat en sortit vainqueur et qu’il les attacha tous les deux sur place.
« Tu t’es très bien battu », dit Grannia, « mais je te jure que même si les enfants de Morna ne vont pas cueillir de ces sorbes, je ne coucherai plus jamais avec toi tant que je n’en aurai pas quelques-unes, bien que ce ne soit pas une chose à faire pour une femme enceinte, car je suis grosse et enceinte, et que je ne vivrai plus si je ne goûte pas de ces fruits ».
« Ne m’oblige point à rompre le pacte avec Searban le Norvégien », s’exclama Diarmat, car il ne m’en laissera pas cueillir comme ça ».
« Détache-nous », demandèrent les enfants de Morna « et nous irons avec toi, nous donnerons nos vies pour toi ».
« Vous ne viendrez pas avec moi », répondit Diarmat, « car verriez-vous ne serait-ce qu’un instant ce géant que vous préféreriez mourir plutôt que vivre après ça ».
« Alors, fais-nous la grâce » l’implorèrent-ils « de relâcher quelque peu nos liens, et de nous laisser aller avec toi sans te gêner afin que nous puissions assister à ton combat contre ce géant avant que tu ne nous tranches la tête ». Diarmat s’exécuta.
Ensuite il partit retrouver Searban le Scandinave, le géant était en train de dormir. Diarmat lui donna un coup de pied, de sorte que le géant leva la tête pour dévisager Diarmat et ce qu’il lui dit fut ceci : « tu veux rompre notre pacte, O’Duibne ? »
« Ce n’est pas ça » répondit Diarmat « mais Grannia la fille de Cormac est grosse et enceinte et elle a une folle envie des sorbes que tu gardes, c’est pour te demander une poignée de ces sorbes de ta part que je suis venu maintenant ».
« Je te le jure », répondit le géant, « même si tu ne devais pas avoir d’autre enfant que celui qu’elle porte actuellement, même si Grannia était l’unique et dernière descendante de la lignée de Cormac fils d’Art, et même si j’étais convaincu qu’elle devait périr en portant cet enfant ; que moi vivant elle ne goûtera jamais une seule de ces sorbes ».
« Je ne te prendrai pas en traître », répliqua Diarmat, « je te préviens donc maintenant que je suis venu en prendre par tous les moyens bon gré mal gré ».
À ces mots le géant se leva et mit sa massue sur l’épaule, puis en asséna trois puissants coups à Diarmat, qui l’ébranlèrent quelque peu malgré l’excellence de son bouclier. Mais quand Diarmat remarqua que le géant avait baissé sa garde il jeta ses armes à terre et sauta en l’air d’un bond si prodigieux qu’il put saisir des deux mains au passage la massue. Ensuite il souleva de terre le géant ????? et le fit tournoyer autour de lui en sorte que la ceinture de fer qui était à la taille du géant et fixée au bout de la massue en fer se détendit ???? et quand elle fut suffisamment étirée Diarmat en asséna trois coups au géant, si puissants que sa cervelle jaillit par les ouvertures de sa tête et ses oreilles, et qu’il tomba raide mort ???????? Les deux chevaliers du clan Morna avaient observé Diarmat en train de se battre ainsi.
Quand ils virent le géant tomber ils sortirent de leur cachette, et Diarmat s’assit terriblement las et même épuisé après un tel combat, et il pria les enfants de Morna d’enterrer le géant sous les buissons de la forêt pour que Grannia ne le voie pas « et après cela », leur dit-il, « allez à sa recherche et ramenez-la ici ». Les enfants de Morna tirèrent le géant à l’écart dans le sous-bois et l’enterrèrent, ensuite ils partirent chercher Grannia et l’amenèrent à Diarmat ». « Voilà, O Grannia », lui dit Diarmat, « les sorbes que tu as demandées, cueilles-en ce qui te plaît ».
« Je te jure », dit Grannia, « que je ne goûterai à aucune de ces sorbes si ce n’est un fruit que ta main aura cueilli, O Diarmat ».
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Sur ce Diarmat se leva et cueillit les sorbes pour Grannia ainsi que pour les enfants de Morna, de sorte qu’ils en mangèrent à satiété.
Quand ils en eurent mangé tout leur saoul Diarmat parla et dit : « O enfants de Morna, prenez de ces sorbes autant qu’il vous est possible et dites à Vindos/Finn que c’est vous qui avez tué Searban le Scandinave ».
« Sois-en sûr » répondirent-ils, « c’est vraiment à contrecœur que nous donnerons à Vindos/Finn ce que nous allons en cueillir » ; et Diarmat cueillit pour tout un panier de sorbes. Ensuite les enfants de Morna lui exprimèrent leur gratitude et remercièrent Diarmat après avoir reçu ce don de sa part puis ils repartirent à l’endroit où se trouvaient Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande. Puis Diarmat et Grannia montèrent au sommet du sorbier et se couchèrent dans le lit de Searban le Norvégien et les sorbes des basses branches ne furent qu’amertume comparées à celles du haut de l’arbre.
Les enfants de Morna quant à eux arrivèrent chez Vindos/Finn et ce dernier voulut tout savoir du début jusqu’à la fin. « Nous avons tué Searban de Scandinavie » répondirent-ils « et avons rapporté les sorbes du Bois Noir comme compensation pour la mort de ton père, ainsi pourrons-nous peut-être avoir la paix grâce à elles.
Ensuite ils déposèrent les sorbes dans la main de Vindos/Finn, il reconnut les fruits et les mit sous son nez, puis dit aux enfants de Morna : « c’est Diarmat O’Duibne qui a cueilli ces sorbes, car je reconnais l’odeur de la peau d’O’Duibne sur elles, et je suis sûr que c’est lui qui a tué Searban de Norvège ; je vais aller voir s’il est encore en vie au pied de ce sorbier. M’avoir ramené ces fruits ne vous servira donc à rien et vous n’aurez pas la place qu’occupaient vos pères parmi les fénianes tant que vous ne m’aurez pas donné une compensation pour la mort de mon père ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 25.
Bois Noir. Nous traduisons ainsi le nom gaélique de Dubros.
Je ne vivrai plus si je ne goûte pas de ces fruits. Si nous comprenons bien Grannia a ou fait semblant d’avoir, une envie de femme enceinte. Vaste sujet sur lequel nous ne nous aventurerons pas, mais dont notre héroïne ne sort guère grandie à notre humble avis. Il est vrai que notre héros ne semble guère s’en préoccuper. La véritable histoire d’amour finalement elle sera entre Vindos/Finn et Grannia, pas entre Diarmat et Grannia.
Et sauta en l’air d’un bond si prodigieux… Reconnaissons que dans cet épisode Diarmat fait un peu super héros de bande dessinée ou de cinéma, car bien peu d’hommes normaux sont capables d’un exploit aussi difficile à comprendre.
Je ne goûterai à aucune de ces sorbes si ce n’est un fruit que ta main aura cueilli. Grannia continue ses caprices de mijaurée.
Je reconnais l’odeur de la peau d’O’Duibne sur elles. Le flair de Vindos/Finn est vraiment extraordinaire. Il s’apparente plus à celui des animaux qu’à celui d’un homme normal.
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Après il fit se rassembler les sept bataillons de fénianes existants puis marcha sur le Bois Noir des Ui Fiachrach et suivit la piste de Diarmat jusqu’au pied du sorbier. Ils trouvèrent les sorbes sans surveillance aussi en mangèrent-ils à satiété. La grosse chaleur de la mi-journée les surprit et Vindos/Finn décida qu’il resterait là au pied de l’arbre tant que cette grosse chaleur ne serait point passée : « car je sais que Diarmat est dans l’arbre ».
« Cela prouve vraiment que tu es aveuglé par la jalousie, O Vindos/Finn, supposer que Diarmat serait perché dans ce sorbier en sachant très bien que tu as l’intention de le tuer », s’exclama Ossian.
Après cela Vindos/Finn demanda un jeu de tablut pour faire une partie et dit à Ossian « Je voudrais faire une partie contre toi ». Ils s’assirent tous de part et d’autre de l’échiquier, à savoir Ossian Oscar le fils de Lugaid et Diorruing le fils de Dobar O’Baoiscne d’un côté, Vindos/Finn de l’autre. Ils disputèrent donc avec beaucoup d’expérience et beaucoup d’habileté cette partie de tablut, et Vindos/Finn joua si bien contre Ossian qu’il ne lui restait plus qu’un seul mouvement possible, il
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s’exclama donc « il ne te reste qu’un mouvement à faire pour gagner la partie, Ossian, mais je ne suis pas là pour te l’enseigner ».
« Bien pire est ta propre situation », chuchota Grannia, « dans le nid de Searban le Scandinave, en haut de ce sorbier, avec les sept bataillons de fénianes sur pied tout autour de toi bien décidés à t’anéantir, que le fait qu’Ossian n’a plus aucune marge de manœuvre.
Alors Diarmat cueillit une des sorbes et visa puis toucha le pion qui devait être joué ; Ossian déplaça le pion et retourna ainsi la situation en sa faveur. Ils commencèrent une nouvelle partie et Ossian se retrouva de nouveau en bien mauvaise posture. Quand Diarmat s’en aperçut, il lança une deuxième sorbe sur le pion qui devait être joué, Ossian le déplaça et renversa la situation en sa faveur comme la fois d’avant. Alors que Vindos/Finn était sur le point de gagner la partie contre Ossian une troisième fois, Diarmat lança une troisième sorbe sur le pion qui pouvait faire remporter la partie à Ossian, et les fénianes poussèrent un grand cri une fois que cela fut fait. Vindos/Finn prit alors la parole pour leur dire : « Je ne suis guère étonné de te voir gagner cette partie, Ossian, vu qu’Oscar fait de son mieux pour t’aider, que tu as aussi pour toi le zèle de Diorruning, l’expérience du fils de Lugaid, et Diarmat qui te souffle ce que tu dois faire ».
« Cela montre à quel point tu es jaloux » O Vindos/Finn », répliqua Oscar, « penser que Diarmat O’Duibne resterait tranquillement dans cet arbre avec toi en train de l’attendre au pied ».
« Du côté duquel d’entre nous se trouve la vérité, O’Duibne » demanda Vindos/Finn tout haut « avec moi ou avec Oscar ? »
« Tu ne t’es jamais trompé dans tes jugements, O Vindos/Finn » répondit Diarmat, et je suis bien avec Grannia ici dans le nid de Searban de Norvège ». Ensuite Diarmat prit Grannia et lui donna trois baisers au vu et au su de Vindos/Finn et des fénianes.
« Que les sept bataillons de fénianes existants et les hommes d’Irlande aient pu te voir agir ainsi la nuit où tu as enlevé Grannia de Tara, alors que tu devais veiller sur moi cette nuit-là ; est un affront pire que le fait que ceux qui sont ici aient pu assister à un tel spectacle de ta part ; mais j’aurai ta tête pour ces trois baisers-là » s’exclama Vindos/Finn.
Sur ce Vindos/Finn se leva suivi en cela des quatre cents mercenaires à sa solde qu’il avait engagés afin de tuer Diarmat ; et il les fit se tenir par la main pour constituer une ronde autour de ce sorbier, il leur ordonna sous peine d’être décapité, s’ils voulaient rester en vie, de ne pas laisser Diarmat leur échapper. Mieux même, il leur promit qu’il accorderait sans réserve ses armes et son armure, ainsi que le rang de son père ou de son grand-père parmi les fénianes, à tout homme des fénianes d’Irlande qui lui ramènerait la tête de Diarmat. Garb de la Montagne de Cua répondit que c’était le père de Diarmat, Donn O’Donncuda, qui avait tué son père, que pour se venger de ça il irait prendre sa revanche sur Diarmat, et il y alla. Mais il fut montré à Mabon/Maponos/Oengus du Brug, le père adoptif de Diarma, dans quelle mauvaise passe se trouvait Diarmat, aussi vint-il à son secours à l’insu des fénianes ; et quand Garb de la montagne de Cua eut réussi à grimper en haut du sorbier, Diarmat lui donna un coup de pied et le fit retomber au beau milieu des fénianes, de sorte que les soudards de Vindos/Finn lui coupèrent la tête, CAR MABON/MAPONOS/OENGUS LUI AVAIT DONNÉ L’APPARENCE DE DIARMAT. Après avoir été tué il reprit sa propre forme, et Vindos/Finn ainsi que les fénianes d’Irlande reconnurent leur erreur, ils s’exclamèrent que c’était Garb qui était mort.
Garb de la montagne de Croc dit alors qu’il irait se venger de la mort de son père sur Diarmat, il grimpa dans l’arbre et Mabon/Maponos/Oengus ??? lui donna un coup de pied, de sorte qu’il tomba au beau milieu des fénianes sous l’apparence de Diarmat, et les gens de Vindos/Finn lui coupèrent la tête ; mais Vindos/Finn déclara que ce n’était pas Diarmat, mais Garb, car ce dernier avait repris sa propre forme.
Garb de la montagne de Guaire s’écria qu’il irait lui aussi, que c’était Donn O’Donncuada qui avait tué son père, et que donc il irait venger sa mort sur O’Duibne, ensuite il grimpa jusqu’en haut de l’arbre. Diarmat lui donna aussi un coup de pied qui le fit tomber par terre, et Mabon/Maponos/Oengus lui donna l’apparence de Diarmat, de sorte que les fénianes le tuèrent lui aussi.
Les neuf Garb des fénianes furent tués ainsi revêtus d’une autre apparence que la leur, par les gens de Vindos/Finn. Quant à ce dernier, après la mort des neuf Garb, l’angoisse le saisit il prit peur et en eut le cœur serré.
Mabon/Maponos/Oengus du Brug dit alors à Diarmat qu’il emmènerait Grannia. « Prends-la effectivement avec toi », répondit Diarmat, « et si je suis encore vivant ce soir je vous rejoindrai ; mais si Vindos/Finn me tue, quel que soit l’enfant que Grannia puisse avoir, élève le bien, éduque le bien, et renvoie Grannia chez son père à Tara ». Mabon/Maponos/Oengus fit ses adieux à Diarmat et prit congé ; ensuite il jeta son manteau magique sur Grannia et lui-même, et ils s’en allèrent, ni vu ni connu des fénianes, et l’histoire ne nous apprend rien à leur sujet avant qu’ils n’atteignent le Brug de la Boinne.
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C’est alors que Diarmat parla et voici quelles furent ses paroles : « Je vais descendre te rejoindre toi et les fénianes, O Vindos/Finn, et je vais t’infliger à toi ainsi qu’aux tiens mort et déconfiture, étant donné que je sais bien que ton souhait le plus cher est de ne me laisser aucun répit, mais de me faire mourir quelque part, en outre il ne me servirait à rien de fuir le danger auquel je dois faire face, je n’ai ni ami ni compagnon à l’autre bout du monde sous la protection ou la sauvegarde duquel je pourrais me placer ; puisque j’ai maintes fois semé la mort et la désolation dans le vaste monde des guerriers par amour pour toi. Car il n’y a jamais eu de bataille ni de combat, de mauvaise passe ni de situation désespérée, dans lesquels je ne me sois jeté pour toi et pour les fénianes, d’ailleurs j’avais l’habitude de me battre à tes côtés, devant toi ou derrière toi. Aussi je t’en fais le serment, O Vindos/Finn, je me vengerai moi-même par avance, et tu ne m’auras pas comme ça, pour rien ».
« Là-dessus Diarmat dit vrai » fit remarquer Oscar, « accorde-lui ta grâce et ton pardon ».
« Jamais » répondit Vindos/Finn « Jamais jamais, il n’aura ni paix ni repos tant qu’il ne m’aura pas donné satisfaction pour tous les affronts qu’il m’a fait subir ».
« Dire cela est vraiment honteux et c’est un signe manifeste de jalousie », répliqua Oscar, « et je t’en donne la parole d’un vrai guerrier » ajouta-t-il « qu’à moins que le ciel ne me tombe sur la tête, ou que la terre s’ouvre sous mes pieds, je ne souffrirai pas que toi ni les fénianes d’Irlande lui infligent la moindre blessure ou égratignure ; je prends son corps et sa vie sous la protection de ma bravoure et de mon courage, en te jurant que le sauverai malgré les hommes d’Irlande. Et maintenant Diarmat descend de cet arbre ; puisque Vindos/Finn ne veut pas te faire merci je te jure sur mon corps et sur mon âme qu’il ne te sera fait aucun mal aujourd’hui ».
Alors Diarmat se redressa et se tint debout sur une des plus hautes branches de l’arbre, puis il sauta d’un bond aérien et léger comme celui d’un oiseau, en se servant des hampes de ses javelots, jusqu’à ce que ses deux pieds reposent sur la terre couverte d’herbe verte, laissant loin derrière lui Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande.
Après cela Oscar et Diarmat se mirent en route, sains et saufs tous les deux, et rien ne nous a été dit à leur sujet avant qu’ils n’arrivent au château sur la Boinne. Grannia et Mabon/Maponos/Oengus les retrouvèrent avec joie et plaisir. Puis Diarmat leur raconta tout du début jusqu’à la fin, et il s’en fallut de peu que Grannia ne s’évanouisse ou ne meure sur le champ de peur et d’horreur en entendant cette histoire.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 26.
« Il ne te reste qu’un mouvement à faire pour gagner la partie. Si nous comprenons bien, transposé en termes de jeu d’échecs, Ossian semblait donc « pat ». Simple remarque. Nous n’avons été qu’un joueur moyen + à ce jeu.
Il fut montré à Mabon/Maponos/Oengus du Brug, le père adoptif de Diarma, dans quelle mauvaise passe se trouvait Diarmat, aussi vint-il à son secours. Encore une fois Mabon/Maponos/Oengus apparaît bien ici en protecteur des jeunes et des amoureux (Iovantucarus).
Le Brug de la Boinne. Le terme brug signifie domaine château ou demeure en gaélique. Il s’agit de l’alvéole de la ruche divine traditionnellement attribuée à Mabon/Maponos/Oengus, du moins pour les Irlandais qui l’assimilent, à tort d’ailleurs, au monumental tumulus de Newgrange.
Laissant loin derrière lui Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande. Assez logiquement Roger Chauviré reprend ici un passage de la légende nous montrant Oscar massacrant un grand nombre des hommes de Vindos/Finn. Exagération poétique bien entendu, tout comme l’embarquement de mille hommes à bord du navire personnel de Vindos/Finn. Ce récit est un conte de fées mêlé d’éléments dramatiques, ne l’oublions pas.
Il s’en fallut de peu que Grannia ne s’évanouisse. Le moins que l’on puisse dire est que Grannia n’a pas un tempérament de guerrière et qu’elle se conforme totalement aux stéréotypes concernant la gent féminine.
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Après le départ de Diarmat et d’Oscar, Vindos/Finn trouva neuf chefs et dix centaines de guerriers baignant dans leur sang et mutilés, il envoya tous ceux qui pouvaient guérir là où pourraient être
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soignés, fit enterrer tous ceux qui étaient morts dans une fosse commune recouverte de larges mottes de terre. Vindos/Finn eut le cœur lourd las et triste après cela et il jura ou fit le serment qu’il ne prendrait aucun repos tant qu’il ne se serait pas vengé de tout ce que lui avait fait Diarmat. Il demanda ensuite à ses hommes de confiance d’armer son navire et de le ravitailler en viande et en boisson. Ce qu’ils firent, et le navire une fois prêt, lui-même et un millier de ses hommes avec lui montèrent à bord. Ils levèrent l’ancre et souquèrent ferme sur les avirons afin de faire passer le navire au-delà des neuf vagues de l’océan aux flots bleus ; ensuite ils prirent le vent dans le creux des voiles du mât, mais on ne nous dit rien de leur voyage avant qu’ils n’arrivent à bon port dans un havre du nord de l’Écosse.
Ils attachèrent le navire aux bittes d’amarrage du port et Vindos/Finn accompagné de cinq de ses hommes se rendit au château du roi d’Écosse. Vindos/Finn frappa donc à la porte avec le heurtoir et l’huissier lui demanda son nom ; il lui fut répondu que c’était Vindos/Finn Camulogenos. « Qu’on le fasse entrer », dit le roi. Vindos/Finn fut donc admis dans les lieux et lui ainsi que ses gens se rendirent auprès du roi. Le roi les reçut fort aimablement et il offrit son propre siège à Vindos/Finn. Ensuite on leur servit de l’hydromel doux et agréable à boire ainsi que des liqueurs fermentées plus fortes. Le roi envoya chercher le reste des gens de Vindos/Finn et les fit bien accueillir dans sa forteresse. Ensuite Vindos/Finn expliqua au roi la cause ou l’objet de sa visite ainsi que tous ses tenants et aboutissants ; et que c’était pour chercher aide et conseil contre Diarmat O’Duibne qu’il était venu. « Et assurément tu devrais me donner une armée pour cela, car c’est Diarmat qui a tué ton père et tes deux frères ainsi que maint de tes capitaines pareillement ».
« C’est exact », répondit le roi, « et je te donnerai mes deux fils avec chacun une armée de mille hommes ».
Vindos/Finn fut heureux que le roi d’Écosse lui ait accordé mille soldats, et lui et ses gens prirent congé en disant adieu au roi ainsi qu’à sa maisonnée, avec tous leurs vœux de longue vie et de santé. Le roi fit de même pour les fénianes. Vindos/Finn et sa suite s’en allèrent, et rien ne nous est dit à leur sujet avant qu’ils n’atteignent le Brug sur la Boinne, où lui est ses gens débarquèrent. Après cela Vindos/Finn envoya des messagers au château de Mabon/Maponos/Oengus du Brug pour déclarer la guerre à Diarmat.
« Que dois-je faire à ce sujet, Oscar ? » demanda Diarmat.
« Nous livrerons tous deux bataille, les anéantirons, les taillerons en pièces, et nous ne laisserons même pas un de leurs valets en réchapper, mais nous les tuerons tous », répondit Oscar.
Le matin suivant, Diarmat et Oscar se levèrent, et enfilèrent sur leurs beaux corps musclés leur tenue pour les batailles et les faits d’armes, nos deux puissants héros se rendirent sur le champ de bataille, et malheur à ceux, qu’ils soient nombreux ou rien qu’une poignée, qui allaient devoir affronter la fureur guerrière (feirg) de ces deux bons guerriers. Ensuite Diarmat et Oscar attachèrent ensemble les bords de leur bouclier afin de ne pas être séparés l’un de l’autre durant le combat. Après ils déclarèrent la guerre à Vindos/Finn et les soldats du roi d’Écosse crièrent que ce serait eux et leurs gens qui les affronteraient les premiers. Ils débarquèrent donc sur la plage et se ruèrent au combat et à leur rencontre, mais Diarmat passa sous eux, à travers eux, et sur eux, comme un faucon traversant une nuée de petits oiseaux ou une baleine traversant un banc de petits poissons, ou un loup dans un grand troupeau de moutons ; et telles furent la débandade la terreur et la fuite éperdue que ces deux bons guerriers provoquèrent chez les étrangers que pas un n’en réchappa pour en parler ou pour se vanter de quelque fait d’armes ; mais que tous furent tués par Diarmat et par Oscar avant que vienne la nuit, alors qu’eux-mêmes en sortirent sains et saufs sans une seule égratignure. Quand Vindos/Finn découvrit ce massacre lui et ses gens reprirent la mer, et on ne sait rien de ce qui leur advint avant qu’ils n’atteignent la Terre Promise où habitait la nourrice de Vindos/Finn. VindosFinn alla chez elle et la nourrice et le reçut avec une grande joie. VIndos/Finn expliqua les tenants et les aboutissants de son voyage et de sa traversée à la vieille sorcière (cailleach) en lui racontant tout du début jusqu’à la fin, sans oublier la raison de son différend avec Diarmat, et il lui confia que c’était pour qu’elle lui donne un conseil qu’il était venu ; car même la force d’une armée ou d’une multitude d’hommes en armes ne pouvait venir à bout de Diarmat, si une force magique ne venait pas les aider à le vaincre. « Je vais venir avec toi », répondit la vieille sorcière, « et je jouerai de ma magie (draoideacht) contre lui ». Vindos/Finn en fut tout heureux, ils décidèrent de partir dès le lendemain matin et il passa la nuit chez la vieille sorcière.
L’histoire ne nous dit pas comment ils atteignirent le château sur la Boinne et la vieille sorcière jeta un sort druidique (briocht draoideacht) sur Vindos/Finn et les Fénianes si bien qu’ils devinrent invisibles. C’était la veille du jour où Oscar et Diarmat avaient pris congé l’un de l’autre et où Diarmat était parti chasser ou attraper du gibier ?????
La chose avait été révélée à la vieille sorcière qui se servit d’une feuille de nénuphar avec un trou au beau milieu ainsi qu’une meule de moulin pour voler de façon magique (draoideacht), une rafale de vent froid du nord l’emporta puis elle arriva tout droit au-dessus de Diarmat. Là elle se mit à lui
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décocher à travers ce trou des traits mortels qui fracassèrent et enfoncèrent de plein fouet les armes ainsi que l’armure de notre héros, à un point tel qu’il n’était plus en mesure d’en réchapper, il était aux abois et les maux qu’il avait déjà endurés n’étaient que peu de chose comparés à celui-là. Il comprit alors qu’à moins de pouvoir atteindre la sorcière par le trou qui était dans la feuille, cette dernière allait le faire périr sur le champ. Diarmat se coucha sur le dos son javelot rouge à la main, et réussit à le lancer avec succès en faisant preuve d’une si incroyable audace, qu’il réussit à toucher la vieille à travers le trou, et donc elle tomba raide morte sur place. Diarmat la décapita sur le champ et ramena ensuite sa tête à Mabon/Maponos/Oengus du Brug.
Diarmat se leva de bonne heure ce matin-là, et Mabon/Maponos/Oengus également. Il se rendit à l’endroit où se trouvait Vindos/Finn et lui demanda s’il voulait bien faire la paix avec Diarmat. Vindos/Finn répondit que oui, quelles que soient les conditions de Diarmat. Ensuite Mabon/Maponos/Oengus alla trouver le roi d’Irlande afin de demander la paix pour Diarmat, et Cormac qu’il lui accorderait cela. Mabon/Maponos/Oengus revint auprès de Diarmat et Grannia et demanda donc à Diarmat s’il était d’accord pour faire la paix avec Cormac et avec Vindos/Finn. Diarmat répondit que oui à condition que soient satisfaites par eux les conditions qu’il y mettait. « Quelles sont ces conditions ? » demanda Mabon/Maponos/Oengus.
« Le fief », répondit Diarmat, « qu’avait mon père, c’est-à-dire la baronnie des O’Duibne, Vindos/Finn ne devra pas y chasser ni prendre du gibier, il sera exempt de redevances ou de tribut (can cios ina cain) à verser au roi d’Irlande ; et aussi la baronnie de Benn Damuis c’est-à-dire Dubcarn dans le Leinster, de la part de Vindos/Finn, car c’est le meilleur des fiefs d’Irlande, ainsi que le territoire de Ces Corann de la part du roi d’Irlande en tant que dot pour sa fille. Telles sont les conditions auxquelles je ferai la paix avec eux.
« Tu ferais bien la paix avec eux si ces conditions étaient respectées ? » lui demanda donc avec insistance MabonMaponos/Oengus.
« En tout cas je pourrais plus facilement faire la paix avec eux si ces conditions sont remplies » répondit Diarmat. Mabon/Maponos/Oengus repartit avec ces nouvelles trouver le roi d’Irlande ainsi que Vindos/Finn, et il obtint de chacun d’eux son acceptation de ces conditions, ils accordèrent à Diarmat sa grâce pour tout ce qu’il leur avait fait depuis qu’il avait été banni, c’est-à-dire 16 ans ; et Cormac donna son autre fille pour femme et légitime épouse à Vindos/Finn afin qu’il laisse Diarmat tranquille. C’est ainsi qu’ils firent la paix les uns les autres et l’endroit où Diarmat et Grannia s’établir fut le lieu appelé aujourd’hui Forteresse de Grannia sur le territoire de Ces Corann, loin de Vindos/Finn et de Cormac. Ensuite Grannia eut quatre fils de Diarmat et une fille, à savoir Donncad, Eochaid, Connla, Selbsercah, et Druime. Il donna le fief de Benn Damuis, c’est-à-dire Dubcarn dans le Leinster, à cette fille, et lui envoya des domestiques pour la servir. Ils demeurèrent longtemps à cet endroit en respectant les termes de leur accord de paix réciproque, et les gens avaient coutume de dire qu’il n’y avait personne à cette époque qui soit plus riche en or ou en argent, voire en bétail en troupeaux de bêtes ou en moutons, et qui soit plus heureux en expéditions guerrières, que Diarmat.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 27.
Huissier. Nous traduisons par huissier le terme gaélique doirseoir, vieux celtique dorosarios, car ce membre du personnel d’un château n’était pas qu’un simple portier ou un simple soldat chargé de garder une porte, c’était aussi un intellectuel connaissant beaucoup de choses et de monde puisqu’il devait être capable d’annoncer au roi qui se présentait à la porte de son château. Dans l’ancien druidisme, c’était d’ailleurs une fonction dévolue à un druide.
Des liqueurs fermentées plus fortes. Pas du whisky quand même !
Terre promise. Nous traduisons ainsi la formule gaélique tir tairngire. C’est une des nombreuses appellations de l’autre monde celto-druidique en Irlande après la christianisation.
Magie. Vu la date tardive de ce récit, nous traduisons ainsi le terme gaélique draoideacht, mais il va de soi qu’anciennement ce terme signifiait tout simplement « druidisme ».
Fief et baronnie. Nous traduisons ainsi les termes gaéliques triuca ceud qui signifient littéralement trente centaines et désignent une troupe de 3000 hommes ou la division du territoire pouvant fournir un tel contingent (une baronnie).
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Dot. Nous traduisons par dot le terme gaélique spré qui ne désigne nullement à l’origine un bien immobilier, mais un troupeau ou des biens mobiliers, du genre de ceux que pouvait posséder une femme.
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Mais un beau jour Grannia se plaignit à Diarmat qu’il était honteux pour eux, vu l’importance de leur personnel et la grandeur de leur maisonnée, ainsi que leur train de vie, car ils dépensaient sans compter, que les deux meilleurs hommes d’Irlande ne soient encore jamais venus dans leur demeure, c’est-à-dire Cormac le haut-roi d’Irlande et Vindos/Finn Camulogenos.
« Pourquoi dis-tu cela, O Grannia » s’exclama Diarmat, puisque ce sont deux ennemis à moi ? »
« J’aimerais », répondit Grannia, « leur offrir un festin, afin que tu puisses regagner leur amitié ».
« Je te donne mon accord pour cela », répondit Diarmat.
« Alors » ajouta Grannia, fais parvenir à ta fille un mot par messagers afin de la prier de préparer un autre festin qui nous permette de recevoir le roi d’Irlande et Vindos/Finn Camulogenos dans son château ; et qui sait, elle pourra peut-être ainsi trouver un mari qui lui convienne ? » Sur ce deux grands festins furent donc préparés par Grannia et par sa fille pendant un an, et à la fin de l’année ainsi que de la saison un message et des courriers furent dépêchés auprès du roi d’Irlande et de Vindos/Finn Camulogenos, ainsi qu’aux sept bataillons de fénianes existants et aux princes irlandais. Ils festoyèrent ainsi un an et un jour.
Le dernier jour de l’année alors que Diarmat dormait dans le château de Grannia, il entendit l’aboiement d’un chien dans la nuit durant son sommeil, et Diarmat se réveilla en sursaut, de sorte que Grannia dut le retenir en le prenant dans ses bras et lui demander ce qu’il avait vu. « J’ai entendu un chien aboyer », répondit Diarmat, « et entendre ainsi aboyer dans la nuit m’a surpris ».
« Tu ne risques rien », répondit Grannia « car ce sont les gens de la déesse Danu (bia) qui t’ont fait ça pour contrarier Mabon/Maponos/Oengus du Brug et maintenant recouche-toi ». Mais à peine Diarmat s’était-il péniblement rendormi que les aboiements du chien le réveillèrent de nouveau, et il eut bien envie d’aller le chercher. Grannia le retint dans ses bras et le fit se recoucher une deuxième fois en lui disant qu’il ne convenait pas qu’il parte à la recherche d’un chien uniquement parce qu’il avait entendu ses aboiements dans la nuit. Diarmat se recoucha donc et s’assoupit dans un profond et doux sommeil, mais pour la troisième fois un aboiement de chien le réveilla.
Le jour se leva ensuite dans toute sa splendeur et Diarmat déclara ; « je vais aller chercher le chien dont j’ai entendu les aboiements, puisqu’il fait jour maintenant ».
« Et bien alors dans ce cas », dit Grannia, prends la Moralltach c’est-à-dire l’épée de Belin/Belen/Barinthus ainsi que la javeline rouge.
« Non » répondit Diarmat, « mais je prendrai la Begalltach et le javelot jaune dans une main et mon chien Mac an Cuil (fils du coudrier) en laisse au bout d’une chaîne avec l’autre.
Ensuite Diarmat sortit de la forteresse de Grannia et galopa d’une seule traite jusqu’au sommet de la colline de Gulban et là il tomba nez à nez avec Vindos/Finn sans personne derrière lui ou en sa compagnie. Diarmat ne le salua pas, mais lui demanda si c’était lui qui menait cette chasse. Vindos/Finn répondit que non, mais qu’une compagnie de fénianes s’était levée après minuit. « Et un de nos chiens lâché à nos côtés, a trouvé la trace d’un sanglier, mais jusque-là ils n’ont pas été capables de le rattraper. En fait c’est sur la voie du sanglier de la colline de Gulban que le chien était alors et les fénianes ont bêtement agi en le suivant, car il leur a déjà souventes fois échappé et trente guerriers des fénianes ont été tués par lui ce matin. Il est en train de remonter la colline vers nous maintenant, avec les fénianes qui fuient devant lui, aussi ferions-nous mieux de lui céder la place ». Diarmat répondit qu’il n’abandonnerait pas la colline par peur de cet animal.
« Tu ne dois pas faire ça » lui répondit Vindos/Finn « car chasser le cochon est un de tes tabous (geasa) ».
« Pour quelle raison un tel sort m’a-t-il été jeté ? demanda Diarmat.
« Je vais te le dire » répondit Vindos/Finn.
« Un jour que j’étais dans le château d’Almu dans le Leinster, avec les sept bataillons de fénianes existants autour de moi, Bran Beg O’Buidcain arriva et me demanda si je souvenais qu’un des sorts qu’on m’avait jetés consistait à ne jamais être dix nuits consécutives dans Almu sans en sortir au moins une nuit, que j’étais d’ailleurs le seul des fénianes à être touché par un tel sortilège.
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Les fénianes entrèrent dans la grande salle de réception cette nuit-là et personne ne resta donc à mes côtés à part ton père et un petit nombre de poètes ou de lettrés des fénianes avec nos chiens. J’ai alors demandé à ceux qui étaient restés avec moi où nous pourrions être reçus cette nuit-là. Ton père, c’est-à-dire Donn O’Donncuda, me dit alors qu’il savait où me faire recevoir cette nuit-là, « car si tu te rappelles bien, O Vindos/Finn » ajouta Donn, « quand je fus proscrit et banni des fénianes par toi, Crocnuit la fille de Currac de Life se retrouva enceinte de mes œuvres, et me donna par cette grossesse un bien beau petit, mais Mabon/Maponos/Oengus du Bug prit mon fils pour l’élever chez lui. Crocnuit eut un autre fils après cela, de Roc ma Dicain, et Roc me demanda de prendre ce fils en pension chez moi pour parfaire son éducation, étant donné que Mabon/Maponos/Oengus élevait ainsi mon propre fils, et il promit alors de me fournir assez de nourriture pour neuf hommes chaque soir dans la maison de Mabon/Maponos/Oengus. Je lui ai dit que je ne trouvais guère convenable qu’il s’occupe ainsi du fils d’un roturier, mais j’ai quand même envoyé quelqu’un prier Mabon/Maponos/Oengus d’accepter ce garçon dans sa maison en pension. Mabon/Maponos/Oengus prit le fils du roturier en pension, et depuis lors il ne se passa pas de quinzaine que Roc n’ait envoyé pour moi de la nourriture pour neuf hommes dans le château de Mabon/Maponos/Oengus. Comme je ne l’ai pas vu depuis un an, nous pouvons, aussi nombreux que nous soyons ici, obtenir là-bas le gîte et le couvert pour cette nuit ».
« Moi et Donn nous nous mîmes donc en route après cela », poursuivit Vindos/Finn, pour le château de Mabon/Maponos/Oengus du Brug. Tu étais là-bas cette nuit-là, O Diarmat, et Mabon/Maponos/Oengus te choyait en étant tout particulièrement attentionné à ton égard. Le fils de Roc l’intendant était avec toi, mais Mabon/Maponos/Oengus s’occupait beaucoup plus de toi que les gens de Mabon/Maponos/Oengus ne s’occupaient du fils de l’intendant, et on se moqua beaucoup de ton père à cause de ça. Peu de temps après deux de mes chiens commencèrent à se battre pour un morceau de viande qu’on leur avait jeté, et les femmes ainsi que les gens de peu sur place s’en écartèrent, les autres se levèrent pour les séparer. Le fils de l’intendant s’était réfugié entre les genoux de ton père après avoir fui devant les chiens, mais il referma si puissamment et si fort ses genoux sur l’enfant qu’il le tua sur le champ et le poussa dans les pattes des chiens. L’intendant arriva et trouva son fils mort, il poussa un très long cri de douleur. Ensuite il se planta devant moi et voici ce qu’il m’a dit : il n’y a personne dans cette maison cette nuit à qui tout ce tumulte ait causé pire malheur, car je n’avais pas d’autre enfant que cet unique fils, et il a été tué ; comment pourrais-je être indemnisé par toi pour cela, O Vindos/Finn ?
Je lui demandai d’examiner son fils, et s’il trouvait des traces de morsure de chien sur lui que je lui donnerai moi-même une compensation financière pour lui. L’enfant fut examiné, mais aucune trace de morsure de chien ne fut trouvée sur lui. Mais l’intendant m’a quand même menacé d’un épouvantable et mortel sort druidique ??? (aidmillte droma draoideachta) si je ne le disais pas qui avait tué son fils. Aussi ai-je demandé que l’on m’apporte un jeu de tablut (fitcioll) et de l’eau, puis je me suis lavé les mains et j’ai mis le pouce sous ma dent de sagesse ce qui fait que j’ai eu ensuite une exacte et précise vision du drame, à savoir que c’était ton père qui avait donc étouffé entre ses genoux le fils de l’intendant. J’ai moi-même offert alors une compensation financière après cette révélation, mais l’intendant l’a refusée ; de sorte que je fus obligé de lui dire que c’était ton père qui avait tué son fils. L’intendant s’est alors écrié qu’il n’y avait personne dans cette maison à qui en fait il serait plus facile d’offrir une telle compensation que ton père, car il avait lui-même un fils ici présent et qu’il n’accepterait aucune compensation, quelle qu’elle soit si ce n’est que tu sois placé entre ses deux jambes et ses deux genoux et qu’il ne lui pardonnerait la mort de son fils que s’il te donnait à lui ??? Mabon/Maponos/Oengus se mit en colère contre le domestique en entendant ces paroles et ton père pensa même lui couper la tête, avant que je ne les sépare. Mais l’intendant revint ensuite avec une baguette magique druidique (slat doilbte draoideactha) et il en frappa son fils le transformant ainsi en un porc gris aux cheveux coupés courts n’ayant ni oreille ni queue, et il s’exclama : ‘ le sort (geasaib) qui sera le tien sera d’avoir la même durée de vie que Diarmat O’Duibne, mais qu’il sera tué par toi ’.
Alors le porc sauvage se leva en se tenant sur ses pattes et il se rua dehors par la porte qui était ouverte. Mabon/Maponos/Oengus ayant lui aussi entendu les paroles du sort qui t’avait donc été ainsi jeté, t’a placé sous l’injonction magique (geasaib) de ne jamais chasser de porc ; et ce porc sauvage est justement le sanglier de la colline de Gulban, aussi vaut-il mieux pour toi ne pas attendre qu’il arrive sur cette colline ».
« J’ignorais tout de cette malédiction jusqu’à présent », répondit Diarmat, « maintenant je ne partirai pas de cette colline de peur de devoir l’affronter, mais laisse-moi ton chien Bran en plus de Mac an Cuil (en plus du Fils du Coudrier) ».
« Je n’en ferai rien » répondit Vindos/Finn « car c’est souventes fois que ce sanglier a pu lui échapper ». Vindos/Finn s’en alla et laissa Diarmat tout seul au sommet de la colline.
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« Par ma foi » s’exclama Diarmat, « c’est pour me perdre que tu as organisé cette chasse, O Vindos/Finn ; et si c’est ici que je suis destiné à mourir, je n’ai pas le pouvoir de l’éviter ».
Le sanglier commença ensuite de grimper la pente de la colline avec les fénianes à sa poursuite. Diarmat lâcha Mac an Cuill (le fils du coudrier) contre lui, mais cela ne lui servit à rien, car il n’attendit pas le sanglier préférant s’enfuir à toute allure devant lui. Alors Diarmat s’exclama : « malheur à celui qui n’écoute pas le conseil d’une bonne épouse, car Grannia m’avait bien demandé ce matin de prendre avec moi la Moralltach (l’épée de Mabon/Maponos/Oengus) et la javeline rouge ». Ensuite Diarmat mit son petit doigt blanc à l’ongle rose-rouge dans la lanière de soie de la javeline jaune et la lança sur le cochon d’un tir si bien ajusté, qu’il le toucha dans la hure en plein milieu du front ; mais il ne lui coupa néanmoins pas une seule soie et ne lui infligea pas une seule blessure ni égratignure.
Diarmat perdit quelque peu courage en voyant cela, mais il sortit la Begalltach (sa deuxième épée) de son fourreau et en asséna un puissant coup sur le dos du sanglier vaillamment et bravement, pourtant là encore sans lui couper la moindre soie par contre il brisa en deux son épée. Après ça le sanglier chargea si furieusement Diarmat qu’il le culbuta et le fit tomber la tête la première. Après s’être redressé, il se retrouva monté à califourchon sur le sanglier la tête tournée vers son arrière-train. Le sanglier dévala la pente de la colline sans arriver à se débarrasser de Diarmat durant ce temps-là. Il continua de fuir après cela jusqu’à la chute d’eau Rouge de Mac Badairn, et après avoir atteint le courant d’eau rouge il sauta prestement trois fois çà et là par-dessus la chute d’eau, mais là encore il ne put réussir à faire tomber Diarmat de cette façon et il revint par le même chemin, jusqu’à ce qu’il soit revenu de nouveau sur la colline. Et quand il eut atteint le sommet de la montagne il fit glisser Diarmat de son dos et après qu’il soit tombé par terre le sanglier le chargea avec une prodigieuse puissance et l’éventra, de sorte que ses intestins et ses entrailles tombèrent à ses pieds. Néanmoins, alors que le sanglier quittait la colline, Diarmat lui lança la garde de son épée qu’il avait toujours en main, si fort qu’elle lui fit sortir la cervelle du crâne et le laissa sans vie. D’où le nom de Forteresse du prodige (Rath na h-Amrann) pour désigner le sommet de cette montagne depuis.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 28.
Begalltach. Comme son nom l’indique, elle est un peu le contraire de la Moralltach, c’est la petite…
Geasa geasaib. Encore une fois, répétons-le, beaucoup des drames de la littérature irlandaise ne s’expliquent que par l’existence préalable de ces sorts ou gessa qui compliquent beaucoup la vie de nos héros et qui sont donc de véritables auxiliaires du Destin. Cet épisode de la légende en est une extraordinaire illustration : c’est un véritable festival de gessa s’enchaînant les unes aux autres et leur violation successive explique tout. La geis était la façon d’expliquer le cours des choses chez les druides antiques. Les judéo-islamo-chrétiens expliquent tout par les caprices de leur Dieu, les Celtes antiques expliquaient les coups du sort par le non-respect de ces injonctions ou interdictions contraignantes. Nous y reviendrons dans notre réflexion sur la mythologie celtique (théologie). Un concours de circonstances en gaélique cela se traduit en quelque sort par le terme « geis ».
Baguette magique. Nous traduisons ainsi la formule gaélique slat doilbte draoideactha où l’on retrouve bien entendu notre pauvre druidisme ravalé au rang de vulgaire sorcellerie dans ce texte par les « journalistes » de l’époque. Il suffirait qu’il redevienne une religion aussi répandue sur terre que le catholicisme pour que croix et goupillons soient de même réduits à l’état de dangereux fétiches.
Gris. Nous traduisons ainsi le terme gaélique glas dont le dictionnaire électronique de la langue irlandaise précise qu’il s’agit d’un terme désignant diverses nuances de vert et de bleu, allant du vert de l’herbe au gris ; distingué d’une part du vert (uaine) et d’autre part du bleu (gorm).
À califourchon sur le sanglier. On ne peut s’empêcher ici évidemment de penser à la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce terme, continentale, Arduinna chevauchant le célèbre sanglier des Ardennes.
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Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande soient de retour sur la colline, et que les affres de l’agonie ou de la mort s’emparent de Diarmat. « Je suis fort aise de te
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voir dans cet état, O Diarmat », s’exclama Vindos/Finn, « et je regrette que les femmes d’Irlande ne soient pas ici pour te voir : car ton éclatante beauté a tourné à la laideur, et ta silhouette de choix en contorsions de pantin ».
« Et pourtant il est en ton pouvoir de me guérir, O Vindos/Finn », répondit Diarmat, « s’il te plaît de le faire ».
« Comment pourrais-je te guérir ? » répliqua Vindos/Finn.
« Le plus facilement du monde » reprit Diarmat « car quand tu as eu le noble et précieux don de divination sur les bords de la Boinne, il t’a également été accordé, que quiconque boirait de l’eau dans le creux de tes mains redeviendrait aussitôt après jeune et sain, guéri de tous ses maux du moment ».
« Tu n’as pas mérité que je te donne ainsi à boire » rétorqua Vindos/Finn.
« Ce n’est pas vrai », répondit Diarmat, « j’ai bien mérité ça de ta part ; car quand tu es allé dans la maison de Derc le fils de Donnartad, avec les chefs et les grands seigneurs d’Irlande, faire la fête et banqueter ; Cairbre Liffechar le fils de Cormac fils d’Art les hommes de la plaine de Breg, de Mide, de Cerna, ainsi que les puissants et vaillants piliers de batailles de Tara sont venus t’encercler dans le château, ils ont poussé trois puissants cris de guerre contre toi, et mis le feu en jetant des tisons enflammés à l’intérieur. Tu t’es mis debout et tu voulais faire une sortie, mais je t’ai demandé de rester boire en profitant de tous ces délices, car c’est moi qui allais sortir pour te venger sur eux de cet affront. Ensuite je suis sorti pour éteindre les flammes et j’ai fait trois charges mortelles autour de la forteresse, en en tuant cinquante à chaque fois, puis je suis revenu sain et sauf sans la moindre égratignure venant d’eux. Tu es resté gai joyeux et plein d’allant grâce à moi cette nuit-là O Vindos/Finn » dit Diarmat, « et si c’est cette nuit-là que je t’avais demandé à boire, tu l’aurais fait immédiatement, et tu ne l’aurais pas fait à meilleur escient que maintenant ».
« Ce n’est pas vrai » répliqua Vindos/Finn, tu n’as guère mérité de ma part que je te donne à boire ou que je fasse quoi que ce soit de bon pour moi, car soir où tu es allé à Tara en ma compagnie tu m’as enlevé Grannia au vu et au su de tous les hommes d’Irlande alors que tu devais veiller sur elle pour moi dans Tara cette nuit-là ».
« Ce n’était pas de ma faute, O Vindos/Finn », répondit Diarmat, « mais Grannia en fait avait menacé de me jeter un sort et je n’aurai pas failli à ce serment pour tout l’or du monde ; donc rien de ce que tu dis O Vindos/Finn, n’est vrai, car tu admettras bien quand même que j’ai amplement mérité de ta part que tu me donnes à boire si tu te rappelles la nuit où Midach le fils de Colgan prépara pour toi le festin du château des sorbiers. Il avait un château sur la terre ferme et un sur les vagues, et il avait fait venir le roi du monde ainsi que trois rois de l’île de Thulé dans la forteresse qu’il avait en mer, dans l’intention d’avoir ta tête. La fête devait avoir lieu dans le château qu’il avait sur la terre et il t’avait invité toi et les sept bataillons de fénianes alors sur pied à venir participer à ce banquet donné dans son château du sorbier. Tu t’y es rendu alors en compagnie des capitaines fénianes afin de profiter de ce festin et Midach a fait répandre de la terre de l’île de Thulé pour que tu marches dessus et que tes pieds ainsi que tes mains collent au sol ; et quand le roi du monde apprit que tu avais ainsi été paralysé, il envoya un de ses capitaines avec une centaine d’hommes avoir ta tête. Mais tu mis ton pouce sous ta dent de sagesse, et tu as eu alors une illumination qui te l’a fait savoir. C’est à ce moment-là que je suis venu te rejoindre au château du sorbier et tu m’as reconnu alors que j’arrivais au château ; ensuite tu m’as fait savoir que le roi du monde et les trois rois de l’île de Thulé avaient débarqué dans la forteresse de l’île située sur le Shannon, et que bientôt l’un d’entre eux arriverait pour avoir ta tête et la rapporter au roi du monde. Après avoir entendu ça, j’ai pris ton corps et ta vie sous ma protection jusqu’au lever du jour suivant, et je suis allé prendre position sur le côté qui était à côté du château afin de la défendre.
« À peine étais-je installé sur le gué qu’arriva sur moi le capitaine d’une compagnie de cent hommes d’armes du roi du monde, nous avons combattu l’un contre l’autre ; j’ai eu sa tête et j’ai fait un grand massacre de ses gens ; ensuite j’ai rapporté la tête même dans la forteresse de l’île où le roi du monde était en train de festoyer avec les trois rois de l’île de Thulé à ses côtés. J’ai eu leur tête, je les ai mises dans le creux de mon bouclier, et j’ai pris avec ma main gauche le gobelet d’or serti de joyaux rempli de vieil hydromel, délicieux à boire, qui était devant le roi. Ensuite à l’aide de mon épée je me suis taillé un chemin devant moi et je suis arrivé grâce à ma bonne fortune et à mon courage au château du sorbier avec toutes ces têtes. Je t’ai donné le gobelet en guise de trophée puis je t’ai aspergé toi et les fénianes qui étiez cloués au sol, avec le sang de ces trois rois, pour te rendre la force de tes mains et le mouvement dans les pieds ; et si je t’avais demandé à boire cette nuit-là, O Vindos/Finn, tu l’aurais fait ! D’ailleurs nombreuses ont été les situations désespérées pour toi et les fénianes d’Irlande depuis le jour où je vais ai rejoint, dans lesquelles j’ai risqué mon corps et ma vie pour ton salut ; et donc tu ne dois pas me trahir aussi odieusement. En outre plus d’un brave héros ou vaillant guerrier auteur de maintes prouesses ont été abattus par toi, sans que cela soit fini d’ailleurs ; et bientôt va s’abattre sur les fénianes un grand désastre qui leur laissera bien peu de successeurs.
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Mais ce n’est pas pour toi que j’ai de la peine, O Vindos/Finn, c’est pour Ossian et pour Oscar, mais le reste de mes bons et fidèles camarades. Quant à toi, Ossian il ne te restera plus que les yeux pour pleurer les fénianes, et toi O Vindos/Finn tu regretteras cruellement mon absence ».
« Oscar prit alors la parole : « O Vindos/Finn, bien que je sois plus proche de toi par le sang que de Diarmat O’Duibne, je ne te laisserai pas lui refuser à boire ; et je te jure en outre que si un autre prince au monde trahissait ainsi Diarmat O’Duibne, seul celui d’entre nous deux qui aurait la main la plus forte en réchapperait, aussi je te demande de lui apporter à boire immédiatement ».
« Je ne sais pas où il y a une source sur cette montagne » répondit Vindos/Finn.
« Ce n’est pas vrai, s’exclama Diarmat « car à neuf pas d’ici se trouve la meilleure source d’eau fraîche du monde ».
Après cela Vindos/Finn se rendit à la fontaine et y puisa de l’eau avec ses deux mains ; mais avant même d’avoir fait plus de la moitié du chemin le ramenant à Diarmat il laissa l’eau s’écouler entre ses doigts et prétexta qu’il n’avait pu en rapporter. « On jurerait », soupira Diarmat, « que tu as laissé s’échapper cette eau exprès ». Vindos/Finn retourna puiser de l’eau une deuxième fois, mais à peine avait-il parcouru un peu plus de distance que la première fois qu’il se mit à penser à Grannia et qu’il laissa l’eau couler entre ses doigts. En voyant cela, Diarmat poussa un soupir d’angoisse à faire pitié. « Je jure sur mes armes », s’exclama Oscar « si tu ne lui rapportes pas de l’eau sans plus tarder, O Vindos/Finn, qu’un seul d’entre nous quittera cette colline ». Cette admonestation et cette menace de la part d’Oscar firent revenir Vindos/Finn à la fontaine une troisième fois, et il ramena de l’eau à Diarmat, mais alors qu’il arrivait avec, Diarmat rendit l’âme.
Alors la compagnie de fénianes qui était là poussa trois grandes clameurs afin de pleurer la disparition de Diarmat, puis Oscar jeta un regard noir de colère et féroce sur Vindos/Finn et lui cria « que la mort de Diarmat leur causait plus de préjudices que si c’était Vindos/Finn qui avait péri, car les fénianes avaient perdu avec lui leur principal soutien dans les batailles ».
Vindos/Finn s’exclama ensuite : « quittons vite cette colline, de peur que Mabon/Maponos/Oengus du Brug et les enfants de la déesse Danu (bia) [Tuatha De Danann] ne nous attrapent ; bien que nous n’ayons en rien pris part à l’assassinat de Diarmat, il ne nous croira jamais.
« Je peux te le jurer », répliqua Oscar « si j’avais su que c’était dans l’intention d’assassiner Diarmat que tu organisais cette chasse sur la colline de Gulban, jamais elle n’aurait eu lieu ». Puis Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande s’en allèrent de la colline, Vindos/Finn avec le chien de Diarmat, c’est-à-dire Mac an Cuill (le Fils du Coudrier) en laisse, mais Ossian, Oscar et Caletios/Cailte ainsi que le fils de Lugaid revinrent sur leurs pas et déposèrent leurs quatre manteaux sur Diarmat, après cela ils suivirent Vindos/Finn.
On ne nous dit pas comment ils firent pour arriver au château de Grannia. Grannia les attendait sur les remparts de la forteresse et aperçut Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande arriver. Elle s’exclama que « si Diarmat était encore en vie ce n’est pas par Vindos/Finn que Mac an Cuill serait tenu en laisse en arrivant ici ». Grannia était alors grosse et enceinte, elle tomba du rempart de la forteresse et accoucha de trois fils mort-nés sur le champ. Quand Ossian vit Grannia dans cet état il fit partir Vindos/Finn ainsi que les fénianes ; et alors que Vindos/Finn et les fénianes d’Irlande s’apprêtaient à quitter la place Grannia souleva la tête et demanda aussi à Vindos/Finn de lui laisser Mac an Cuill (le fils du coudrier). Il répondit qu’il n’en ferait rien et qu’il pensait que ce n’était pas trop que ce soit lui qui en hérite, mais quand Ossian eut entendu cela il prit le chien des mains de Vindos/Finn, le remit à Grannia, et suivit les siens.
Alors Grannia comprit que Diarmat était bien mort et elle poussa un cri de douleur incroyablement long, si fort qu’on l’entendit même dans les parties les plus reculées de la forteresse ; et que ses femmes ainsi que le reste de ses gens accoururent pour lui demander ce qui l’avait plongée dans un tel chagrin. Grannia leur expliqua comment Diarmat avait été tué par sanglier de la colline de Gulban, du fait de la chasse que Vindos/Finn Camulogenos y avait menée. « J’ai le cœur lourd et brisé maintenant », ajouta Grannia, de ne pouvoir me battre contre Vindos/Finn, car si j’avais été capable de le faire il n’aurait pas quitté les lieux sain et sauf ». Après avoir ainsi appris la mort de Diarmat ils poussèrent eux aussi trois puissants cris de peur véhéments avec Grannia ; si forts que ces cris montèrent jusqu’aux nuages dans les cieux et dans les solitudes désolées du firmament ; ensuite Grannia demanda aux cinq cents personnes de sa maisonnée d’aller sur la colline de Gulban et de lui ramener le corps de Diarmat.
Juste à ce moment-là il apparut alors à Mabon/Maponos/Oengus que Diarmat avait trouvé la mort sur le mont Gulban parce qu’il n’avait pas suffisamment veillé sur lui la nuit précédente, et il se mit en route, sur les ailes du vent froid du nord afin d’atteindre la colline de Gulban en même temps que les gens de Grannia ; et quand ces derniers reconnurent Mabon/Maponos/Oengus ils lui présentèrent le côté intérieur et creux de leurs boucliers en signe de paix ; et Mabon/Maponos/Oengus les reconnut à leur tour. Ensuite quand ils se retrouvèrent au sommet du mont Gulban, eux et les gens de
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Mabon/Maponos/Oengus trois grands et terribles cris de douleur sur le corps de Diarmat, si grands qu’il monta jusque dans les nuages des cieux et dans les solitudes désolées du firmament céleste, ainsi que dans toutes les provinces de la verte Erin.
Ensuite Mabon/Maponos/Oengus prit la parole pour dire ceci : « Je ne suis jamais resté une seule nuit depuis que je t’ai pris avec moi dans le château de la Boinne, âgé de neuf mois, sans que je veille sur toi et sans que je te protège soigneusement de tes ennemis, jusqu’à cette nuit fatale, O Diarmat ! Que maudite soit la trahison que Vindos/Finn a commise à ton égard, vu tout ce que tu avais fait pour être en paix avec lui ».
Et il chanta le lai suivant :
Malheur toi (truag) O Diarmat O’Duibne,
Aux dents blanches, lumineux et beau guerrier ;
Ton sang a hélas rougi cette lance
Le sang de ton corps a été versé.
Maudite soit la fatale et luisante comme un éclair (tuirinn) défense, de ce sanglier,
Tu as été durement, douloureusement, et violemment, éviscéré ;
Par cette maléfique et funeste traîtresse.
Il y a du venin paralysant dans ses blessures,
À Rath Finn ?????? il a trouvé la mort ;
Avec férocité le sanglier de la montagne de Gulban
A fauché le beau Diarmat au lumineux visage.
Poussez tous en chœur des cris insignes (sighe ???)
Emmenez Diarmat aux armes éclatantes
Dans le doux Brug aux pierres sans âge
C’est assurément nous qui faisons le plus pitié
Quel malheur !
Après avoir terminé ce lai Mabon/Maponos/Oengus demanda aux serviteurs de Grannia pourquoi donc ils étaient venus là. Ils répondirent que Grannia les avait envoyés ici afin qu’ils lui ramènent le corps de Diarmat à Rath Grainne. Mabon/Maponos/Oengus répondit qu’il ne voulait pas qu’ils prennent le corps de Diarmat, mais qu’il le porterait lui-même jusqu’à son château de la Boinne « puisque je ne puis le ramener à la vie, je vais lui insuffler une âme afin qu’il puisse me parler tous les jours ???? (cuirfead anam ann ar cor go m-biaid ag labairt liom gac la ????????) ». Ensuite Mabon/Maponos/Oengus fit porter le corps sur une civière en or avec ses javelots sur lui la pointe vers le haut de sa tête et il revint au château de la Boinne.
Quant aux gens de la maison de Grannia, ils revinrent au château et racontèrent comme Mabon/Maponos/Oengus ne leur avait pas laissé ramener le corps de Diarmat, mais qu’il l’avait ramené lui-même dans son château sur la Boinne ; et Grannia leur répondit qu’elle n’avait aucun pouvoir de le contraindre à quoi que ce soit.
FIN.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 29.
Diarmat rendit l’âme. Nous traduisons le terme gaélique anam car il est clair que dans cette phrase il ne s’agit pas de la vie, mais bien de l’âme distinguée du corps quand on rend son dernier soupir.
Fin. Ici les versions diffèrent.
Selon certaines, Grannia mourut de chagrin peu de temps après. Mais il en existe d’autres, beaucoup moins glorieuses pour Grannia, où Vindos/Finn se révèle toujours aussi fou d’elle.
En voici une (c’est d’ailleurs celle de notre manuscrit).
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Ensuite Grannia envoya des messages et des courriers à ses enfants dans le pays des Corca O’Duibne, où ils avaient grandi sous protection ; les enfants de Diarmat avaient des fils de guerrier ou de riches capitaines à leur service et chacun de leurs fils avait un fief. Le fils de Diarmat O’Duibne
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appelé Donnchad était l’aîné, les autres lui obéissaient ; c’est-à-dire Eochaid, Connla, Selbsercach, ainsi qu’Olann à la longue barbe, le fils de Diarmat et de la fille du roi du Leinster ; que Grannia aimait plus et chérissait plus qu’aucun de ses propres enfants. Les messagers se rendirent là où ses trouvaient ces jeunes et leur expliquèrent la raison de leur voyage ou de leur venue du début à la fin ; et alors que ces jeunes gens s’étaient mis en route suivis du ban et de l’arrière-ban, les hommes de confiance à leur service leur demandèrent ce qu’ils allaient devenir sans protection puisque leurs seigneurs se lançaient dans de bien périlleuses aventures en partant ainsi en guerre contre Vindos/Finn Camulogenos et les fénianes d’Irlande. Donnchad le fils de Diarmat leur demanda de rester chez eux, et que s’il faisait la paix avec Vindos/Finn ils n’auraient rien à craindre ; sinon qu’ils se choisissent un autre seigneur, c’est-à-dire qu’ils rallient le camp de Vindos/Finn ou qu’ils aient leurs propres princes comme il leur plairait.
L’histoire ne nous dit rien de ce qui leur arriva jusqu’à ce qu’ils arrivent au château de Grannia, où cette dernière leur fit bon accueil et embrassa le fils de la fille du roi du Leinster afin de lui souhaiter la bienvenue : ensuite ils entrèrent tous ensemble dans le château de Grannia, et prirent place le long des murs de la salle du trône chacun selon son rang ses richesses, et en fonction de leur âge. On leur servit de l’hydromel doux et délicieux à boire, de la bière douce et bien préparée ainsi que des boissons fortes dans des cornes à boire bien enchâssées, de sorte qu’ils devinrent rapidement joyeux et guillerets. Puis Grannia prit la parole pour leur dire ceci à haute voix et d’une façon très claire : « mes chers enfants, votre père a été tué par Vindos/Finn Camulogenos en violation complète de son pacte et de son traité de paix avec lui, vous êtes dès lors tenus de le venger comme il se doit, et voici la part d’héritage de votre père qui vous revient, c’est-à-dire ses armes et son armure, ainsi que ses lames acérées, sans oublier ses prouesses et ses actes de bravoure de même. Je vais moi-même procéder à leur partage entre vous, puissent – elles vous apporter la victoire dans les batailles. En ce qui me concerne je prendrai les gobelets les cornes à boire les belles coupes enchâssées d’or, ainsi que le bétail et les troupeaux ». Puis elle chanta le lai qui suit :
Debout O enfants de Diarmat,
Allez apprendre ??? feicim ????
Puissent toutes vos aventures être des réussites
Vous avez eu des nouvelles d’un homme bien.
L’épée pour Donnchad,
Le meilleur fils que Diarmat avait ;
Qu’Eochaid ait le javelot rouge ;
Ces armes donnent l’avantage.
Que l’on donne son armure de ma part à Olann,
Elle protège tout corps qui en est revêtu,
Et son bouclier à Connla,
À lui ce qui défend fermement les bataillons.
Les gobelets ainsi que les cornes à boire,
Les coupes et les bols ;
Ce sont des trésors pour une femme devenue veuve (buide ???)
Moi seul les aurais toutes.
Tuez même femmes et enfants,
Afin de vous venger,
Ne soyez ni traîtres ni rusés,
Mais hâtez-vous et partez.
Après avoir improvisé ce poème, Grannia leur demanda de partir, et d’apprendre soigneusement les arts martiaux et l’art de la guerre jusqu’à en devenir des maîtres. Ils durent pour cela passer une partie de leur temps avec Vulcain le forgeron des enfers.
Alors tous ces bons jeunes gens se mirent en route et ils dirent adieu à Grannia ainsi qu’à toute sa maisonnée, avec tous leurs vœux de longue vie et de santé, Grannia et ses gens firent de même avec eux ; et il n’y eut pas un guerrier, ni un héros, ni une guerrière (ban-gaisgideac) dans les régions les
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plus reculées du monde chez lesquels ils ne passèrent pas une partie de leur temps à étudier jusqu’à devenir des maîtres, ils passèrent même trois ans avec Vulcain.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 30.
Olann à la longue barbe, le fils de Diarmat et de la fille du roi du Leinster. Donc les familles recomposées existaient déjà à l’époque puisque Diarmat dans notre texte est dit avoir eu un enfant avec une autre femme. Avant son mariage avec Grannia ou après ??? Grannia n’était apparemment pas jalouse. Mais est-ce bien vraisemblable ? Les choses se passent toujours mieux et de façon plus grandiose au cinéma (dans les contes) que dans la vraie vie quotidienne. En tout cas la société décrite dans ce paragraphe est évidemment une société féodale avec droit d’aînesse, puînés sans héritage, etc. Etc. Ce qui n’est pas totalement impossible puisque la société celtique antique était justement une société…… PRÉ-FÉODALE.
Salle du trône. Nous traduisons ainsi le terme gaélique riogbruigne.
Tuez même femmes et enfants, afin de vous venger. Tout ce passage, vers compris, est assez invraisemblable, surtout le dernier quatrain qui n’est pas d’une grande élévation morale. La vengeance qui consiste à directement faire payer son crime à un assassin, dans sa propre chair, est compréhensible ; cela revient à faire justice soi-même, mais s’en prendre à des innocents ne peut en aucune façon se justifier par contre. Le besoin de se venger est basique dans l’espèce humaine ainsi que le montre bien le tableau du Musée du Louvre intitulé « La Justice et la Vengeance poursuivant le Crime ». En décembre 2000, le journal séoudien Al Riyadh a rapporté qu’un groupe de babouins hamadryas s’étaient embusqués sur le bord de la route pendant trois jours afin de caillasser un automobiliste, qui avait précédemment écrasé un des membres du groupe de singes. De ce fait, les textes de loi les plus anciens décrivent une sorte de loi du talion, dans le but de définir une réponse proportionnée aux blessures causées par l’agresseur. La loi du talion juive est en effet une première tentative de la société pour encadrer ce besoin de vengeance souvent destructeur, mais qui peut aussi établir ou renforcer une communauté, unie par ce désir commun. En ce sens cette loi juive du talion constitue donc bien un progrès.
La vengeance est l’attaque d’un premier acteur contre un second, motivé par une action antérieure du second, perçue comme négative (concurrence ou agression) par le premier. Il peut s’agir de personnes, de personnes morales, de groupes familiaux ou ethniques, d’institutions, notamment pour le second acteur. Ce comportement n’est pas exclusivement humain, mais c’est parmi les êtres humains que la vengeance est la plus fréquente.
La vengeance est un acte d’origine émotionnelle (qui peut être ou non passionnel) auquel on ne peut se soustraire.
La justice se doit d’être d’abord réparatrice et ensuite seulement corrective puis dissuasive, mais si elle ne tient pas compte de la dimension cathartique de la vengeance elle perd beaucoup de son efficacité, car la vengeance a une vertu cathartique que la justice ne saurait ignorer sans conséquence pour sa capacité à ramener la paix civile. Toute bonne justice doit donc répondre d’une façon ou d’une autre à ce sentiment que peuvent éprouver les victimes.
Vulcain. Énième exemple de la diabolisation, par les moines chrétiens, des dieux de l’Antiquité, même grecque.
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Quand Vindos/Finn apprit que les enfants de Diarmat s’en étaient allés de par le vaste monde, il fut pris de haine et de terreur à leur propos et ordonna immédiatement la mobilisation des sept bataillons de fénianes existants qui avaient pris leurs quartiers, et quand ils furent tous rassemblés Vindos/Finn leur parla donc à haute et distincte voix de ce périple de par le monde des enfants de Diarmat du début jusqu’à la fin ensuite il leur demanda ce qu’il devait faire. « Car c’est dans l’intention de se rebeller contre moi évidemment » ajouta-t-il, « qu’ils ont entrepris ce voyage ».
Ossian prit la parole et lui répondit ceci : « Ce n’est la faute à personne à part toi, et nous n’avons aucune raison de payer pour quelque chose que nous n’avons jamais cautionné. Indigne est la façon dont tu as trahi Diarmat, malgré la paix que tu avais conclue avec lui, et alors que Cormac t’avait aussi donné son autre fille afin que tu n’aies plus aucune raison de lui être hostile ni de lui vouloir du mal.
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C’est maintenant à toi de récolter ce que tu as semé. Vindos/Finn fut très contrarié par cette réponse d’Ossian néanmoins il ne put aller contre.
Quand Vindos/Finn réalisa qu’Ossian et Oscar ainsi que tout le clan Baoiscne refusaient de lui obéir, il réalisa en son for intérieur qu’il ne serait jamais en mesure de se débarrasser de cette menace s’il ne parvenait point à mettre Grannia de son côté ; aussi alla-t-il la retrouver dans son château à l’insu des fénianes d’Irlande et sans prendre congé d’eux. Il la salua hypocritement et habilement, et n’eut que des mots aimables pour elle. Grannia ne lui jeta pas un seul regard et ne l’écouta mêm pas, mais lui demanda se sortir de sa vue, et l’attaqua aussitôt verbalement d’une langue acérée mauvaise et bien pendue. Mais Vindos/Finn n’arrêta pas de la couvrir de compliments et de mots doux, jusqu’à ce qu’elle se plie à sa volonté, ensuite il la désira de tout son cœur et de toute son âme. Après cela Vindos/Finn et Grannia partirent ensemble et l’histoire ne nous dit pas ce qui leur advint avant de retrouver les fénianes d’Irlande. Quand les fénianes aperçurent Grannia et Vndos/Finn arriver ainsi tous les deux ils se prirent à rire et se moquèrent d’elle, de sorte que Grannia courba la tête sous le poids de la honte. « Nous sommes sûrs, O Vindos/Finn », s’exclama Ossian « que tu n’auras plus aucun mal à garder Grannia dorénavant ».
Quant aux enfants de Diarmat, après avoir passé plus de sept ans à étudier tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un guerrier, ils revinrent du bout du monde, mais l’histoire ne nous dit rien sur la façon dont ils regagnèrent le château de Grannia. Quand ils eurent appris que Grannia s’était enfui avec Vindos/Finn Camulogenos sans leur dire au revoir ni prendre congé du roi d’Irlande, ils admirent qu’ils n’y pouvaient rien. Mais après cela ils se mirent en route pour Almu du Leinster afin d’y retrouver Vindos/Finn et les fénianes et ils déclarèrent la guerre à Vindos/Finn. « Lève-toi, O Diorruing, et demande-leur ce qu’ils veulent ». « Nous demandons à nous battre à un contre cent, ou en duel », répondirent-ils. Vindos/Finn envoya une centaine d’hommes pour les affronter, mais dès qu’ils furent arrivés sur le champ de bataille les jeunes se ruèrent sur eux, sous eux et par-dessus eux, et ils en firent trois tas, un monceau de têtes, un amas de corps, une pile d’armes et d’armures ». Notre armée ne va pas pouvoir supporter ça longtemps » s’exclama Vindos/Finn « si une centaine de ses hommes sont tués ainsi chaque jour. Que pouvons-nous faire quant à ces jeunes, O Grannia ? »
« Je vais aller leur parler », répondit Grannia « afin de voir si je peux rétablir la paix entre vous ».
« J’en serais fort aise » répondit Vindos/Finn, et alors je leur accorderai à eux ainsi qu’à leur postérité la liberté à jamais, la place de leur père parmi les fénianes, avec toutes les garanties que ces promesses seront tenues à jamais »
Grannia sortit à leur rencontre, leur souhaita la bienvenue, et leur fit ces offres de paix. À la fin elle réussit à rétablir la paix entre eux, et les garanties nécessaires leur furent données, ils obtinrent la place de leur père parmi les fénianes de Vindos/Finn Camulogenos. Après cela on organisa en leur honneur une fête et un banquet, de sorte qu’ils devinrent rapidement joyeux et tout guillerets. Quant à Vindos/Finn et Grannia ils demeurèrent ensemble jusqu’à leur mort.
Ici s’arrête la traque de Diarmat et Grannia.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 31.
La version dont nous venons de relater l’essentiel est vraisemblablement une addition assez tardive au conte originel.
Elle n’en demeure pas moins intéressante, car si la figure de Grannia y est quelque peu écornée, celle de Vindos/ Finn, en revanche, en ressort passablement grandie. Sa poursuite du malheureux Diarmat semble du coup, rétrospectivement, plus inspirée par son désir de reconquérir Grannia, que par le besoin de venger son honneur.
Finn commet toutes sortes de bassesses pour reprendre la femme dont il est fou, et finalement il y arrive.
Les plaisanteries d’Ossian et des fénianes sur l’âge et la beauté quelque peu fanée de Grannia sont par contre un peu lourdes.
N.B. L’édition de ce conte de fées assez dramatique en un sens, donnée par Standish Hayes O’Grady pour le compte de la société vouée à la préservation de la langue irlandaise est plus complète.
S’y reporter pour avoir plus de détails.
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Voir aussi pour ce qui est du style de la littérature irlandaise en général (la volubilité la prolixité l’imagination ou les redondances d’épithètes dues aux allitérations, etc., etc.) les considérations qu’il développe dans ses introductions et notamment son analyse du caractère en fait ambivalent de Vindos/Finn.
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LA BATAILLE DE VENTRY.
Récit du XVe siècle reprenant des éléments plus anciens. Essentiellement deux manuscrits : un conservé à la bibliothèque bodléienne (Rawlinson B. 487) et un à l’Académie royale de Dublin (le manuscrit N°29).
LA BATAILLE DE VENTRY CI-DESSOUS C’EST-A-DIRE LA MORT TRAGIQUE DE VINDOS/FINN AVEC LES FÉNIANES D’IRLANDE AINSI QUE LA MORT DE DUIRE DONN LE ROI DU GRAND MONDE.
Cath Finntragha ann so sios.i. Oighe Finn le fianaibh Eirionn 7 bas Duiri Duin rig an domhain moir.
Il y avait alors un souverain qui régnait sur le tout le grand monde et le possédait, à savoir Duire Donn le Brun, fils de Losgenn Lomglunech aux genoux dénudés. Et maintenant voici les armées qui se réunirent et se rassemblèrent derrière ce roi. Vulcain le roi de France et Margaret le roi de Grèce, Fagartach le roi des Indes …… suit une longue liste de titres plus fantaisistes les uns que les autres… Et trois rois du soleil levant à l’est, à savoir Dubcertan, le fils de Firmas, Muillenn le fils de Firlut, et Cuillenn le fils de Faeburglas.
Et maintenant que toutes ces lourdes armées s’étaient rassemblées à l’endroit où se tenait le haut roi du Monde ; ils se mirent d’accord sur un plan, à savoir aller s’emparer de la Verte Erin par tous les moyens de gré ou de force. En voici la raison. Vindos/Finn le fils de Camulos/Cumall avait été un jour banni d’Irlande et s’était retrouvé dans le grand Monde à l’est pendant un an, au service (militaire) de Vulcain le roi de France (ri na Frainci), mais la femme et la fille du roi des Français s’étaient enfuies avec, car elles lui avaient toutes deux voué un égal amour. Et donc toute cette foule et toutes ces armées s’étaient rassemblées là pour se venger de cela sur les Irlandais. À tous ces braves en effet il ne semblait ni honorable ni décent qu’un homme d’Irlande ait pu leur infliger un tel affront et une telle honte.
Le roi du monde demanda donc : « Y a-t-il parmi vous quelqu’un qui puisse me guider jusqu’aux mouillages de la Verte Erin » ?
« Je le ferai assurément », répondit Glas le fils de Dreman. « Car moi-même j’en fus banni naguère par Vindos/Finn le fils de Camulogenos/Cumall, et je te guiderai donc jusqu’aux abords des larges ports aux eaux calmes de la Verte Erin ».
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 32.
Vulcain roi de France. Il n’y a jamais eu de roi de France de ce nom évidemment ! Du moins pas à notre connaissance. Mais les jeunes Français de notre quartier d’Aubervilliers (93), que nous avons interrogés à ce sujet, ont été dans l’incapacité de nous confirmer la chose.
Roi des Français. Nous traduisons par roi des Français l’expression gaélique Rig Frange vu la date de rédaction du manuscrit. Si l’on croit la date théorique des événements, Francs aurait été plus pertinent mais la légende ayant été couchée par écrit au XVe siècle, dans l’esprit de son dernier rédacteur il s’agissait peut-être bien de Français au sens moderne du terme. Mais peu importe de même que les Français du XXe siècle n’étaient déjà plus des Celtes (même si les Grecs appellent toujours ce pays Gallia), il ne sera guère pertinent de continuer à appeler Français les habitants de l’hexagone du XXIe siècle. Il y aura eu substitution de population, et ce à cause de la natiopathie viscérale de ses élites autoproclamées (une vieille tradition nationale en quelque sorte, depuis la collaboration des partis Éduens ou bourguignon avec l’étranger ou l’occupant romain). Enfin, disons qu’il y aura autant différence entre un habitant de l’hexagone du XXIe siècle et un Français du XXe siècle qu’entre un New-Yorkais d’aujourd’hui et un habitant de Manhattan du XIVe siècle (nos frères indiens auraient été plus avisés de s’unir pour rejeter immédiatement à la mer Christophe Colomb et ses hommes, tout comme les Bretons auraient été mieux avisés de rejeter à la mer immédiatement les Saxons au lieu de faire comme Vortigern, mais voilà, eux aussi avaient leur parti de l’étranger).
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Les deux soldats en guerre sortirent leurs épées bleues au fer poli et orné d’or de leur étui, et s’attaquèrent l’un l’autre avec véhémence, férocité, au corps-à-corps, comme des fous, à grands coups, activement, avec force et puissance, durement : ces deux hauts rois livrèrent un merveilleux combat. Car ils essayaient l’un l’autre se percer le cœur et de faire sortir de gros caillots de sang des flancs ou des côtes de l’autre ; ce à quoi on pouvait comparer les coups du tonnerre de ces deux-là n’était pas mince affaire, c’était comme si la rude rafale d’un vent de nuit d’hiver s’était divisée en deux parties égales, qui viendraient de l’est et de l’ouest s’affronter, ou comme si c’était la Mer Rouge entière divisée en deux parties égales de chaque côté, se jetant l’une contre l’autre, ou comme s’il s’agissait de deux jours de jugement des exploits les plus féroces, chacun combattant l’autre avec violence pour la possession de cette terre.
Ensuite lui qui n’avait jamais eu l’habitude d’être blessé auparavant, c’est-à-dire le roi du Monde, fut épuisé par le combat. Car jamais jusque-là des armées n’avaient été rougies de son sang. C’est alors que ces deux soldats dans le feu de l’action levèrent au même moment leurs mains effrayantes et terrifiantes et l’épée du roi du monde frappa le bouclier de Vindos/Finn, en arracha le tiers supérieur, déchira son haubert en dessous de la ceinture, et fit gicler par terre de la chair et de la blanche peau de sa cuisse, de la largeur d’une main de guerrier.
Mais l’épée de Vindos/Finn frappa l’angle supérieur du bouclier du roi du Monde, de sorte qu’elle fendit l’écu et brisa son épée, le même coup atteignit le pied gauche du roi, et s’enfonça dans le sol après. Ensuite il lui asséna un coup de côté, qui lui sépara la tête de la poitrine. Mais Vindos/Finn lui-même fut pris d’un malaise et tomba en pâmoison (taimnellaibh), couvert de nombreuses plaies coupures ou blessures, mortelles.
Alors Finnachta Fiaclach, à savoir le chef des suppôts du roi du monde, attrapa la tiare (minn) du roi, et courut avec là où était Conmael, le fils du roi du monde, et il mit la tiare (minn) de son père sur sa tête. « Puisse ceci te porter chance dans la bataille et te valoir de nombreux triomphes, O fils », dit Finnachta. Et on lui donna les armes du roi du Monde, ensuite il se jeta au beau milieu de la bataille à la recherche de Vindos/Finn. Et cent cinquante guerriers des Fénianes furent abattus par lui du fait de cet assaut. Puis Goll Garb le féroce, le fils du roi d’Écosse, le vit et l’attaqua, et ils livrèrent un combat furieux, enragé, puissant, au corps-à-corps, insupportable, courageux débordant de cris divers, de gémissements, de soupirs, avec des hampes de lance toutes rouges. Ensuite un coup du fils du roi d’Écosse atteignit le fils du roi du Monde sous son bouclier du côté gauche, et le coupa en deux par le milieu.
Finnachta Fiaclach vit ceci, et se lança de nouveau sur la tiare royale (minn), puis l’apporta là où était Ogarmach, la fille du roi de Grèce. « Mets la tiare royale », dit-il, « Ogarmach, puisque le destin du monde est qu’il revienne à une femme, et il n’y a pas de plus noble femme que toi qui puisse l’avoir ». Et le roi l’acclama.
« Comment puis-je être la meilleure pour cela ? » demanda Ogarmach, puisqu’il ne reste plus un seul des Fénianes d’Irlande sur lequel je pourrais venger la mort du roi du Monde ».
Et ensuite elle partit à la recherche de Vindos/Finn sur le champ de bataille, Fergus Finnbel l’aperçut et alla trouver Vindos/Finn. « O roi des Fénianes », dit-il, « rappelle-toi le bon combat que tu as livré contre le roi du Monde jusqu’à maintenant, et remémore-toi aussi tes grandes et nombreuses victoires jusque-là, tu vas en avoir grandement besoin maintenant avec Ogarmach la fille du roi de Grèce ».
Sur ce la guerrière arriva sur lui. « O Vindos/Finn » dit-elle « tu n’es qu’une maigre compensation à mes yeux pour tous les rois et les seigneurs qui sont tombés devant toi et tes gens, et comme il en est ainsi » ajouta-t-elle, ‘tu n’as pas de meilleure compensation à offrir pour cela que toi-même et ce qui reste de tes fils ». « Certainement pas », répondit Vindos/Finn, et je vais coucher ta tête dans un lit sanglant comme celle de tous les autres ». Les deux adversaires s’affrontèrent l’un l’autre comme deux lions en colère, ou comme si avaient surgi pour se recouvrir l’une l’autre les rouleaux de vagues écumantes de Clidna, déferlant sur le rivage ; la vague pérenne et tout en longueur de Tuaige, ainsi que la grande vague de Rugraide en plein bouillonnement. Tels furent les coups de taille et d’estoc que les deux combattants s’infligèrent l’un l’autre et c’est ainsi que le combat se déroula, et même si le combat insensé de cette guerrière dura longtemps, un coup de Vindos/Finn l’atteignit et fendit la tiare royale, mais rebondit sur le brollach na luiridhe ?? qui résista. Aussi lui asséna-t-il un second coup qui lui sépara la tête du corps. Ensuite il tomba lui-même dans une mare de sang ????? 7 ba marb he asa aithli acht ge dho eirig aris et il mourut aussitôt après, mais se leva de nouveau ?????????????.
Maintenant que les armées du monde et les Fénianes étaient tombés côte à côte, il ne restait plus personne des deux camps debout à part le fils de Cimthann des Ports, à savoir un fils adoptif de
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Vindos/Finn et le chef des suppôts du roi du monde, à savoir Finnachta Fiaclach. Finnachta Fiaclach s’avança au milieu du carnage et emporta le cadavre du roi du monde jusqu’à son navire, en disant : « Vous les Fénianes d’Irlande, bien que cette bataille ait été funeste pour les armées du grand monde, elle aura été pire pour vous ; car je prendrai possession du grand monde de l’est… tandis que vous, vous gisez maintenant côte à côte ».
Vindos/Finn entendit ces paroles, alors qu’il gisait sur son lit de mort (chosair cro), avec les nobles du clan Baiscne tout autour de lui, et il soupira : « je suis bien triste de ne pas avoir trouvé la mort, avant d’avoir entendu les étrangers proférer de telles paroles, en repartant dans le grand monde des vivants pour y rapporter de telles nouvelles. Aucun exploit, ni fait d’armes, ni victoire de ma part ou de la part de n’importe lequel des Fénianes d’Irlande ne sert à quoi que ce soit puisqu’un des étrangers a pu s’en sortir vivant pour raconter de telles nouvelles. Y a-t-il quelqu’un d’encore vivant près de moi ?
« Moi », répondit Fergus Finnbel.
« Quel est la situation ou le massacre causé par cette bataille maintenant ? » demanda Vindos/Finn.
« Dramatique, O Vindos/Finn », répondit Fergus. « Je t’en donne ma parole, puisque les armées se sont retrouvées confondues dans une même déroute de chaque côté aujourd’hui, qu’aucun étranger ni qu’aucun homme d’Irlande n’a reculé d’un pas devant l’autre, jusqu’à ce qu’ils soient tous tombés semelles contre semelles. Par ma foi, poursuivit Fergus, « aussi loin que porte le regard on ne peut plus voir les grains de sable ni l’herbe de cette grève là-bas, tellement il y a de cadavres de héros ou de combattants gisant là. Et je t’en donne de nouveau ma parole », poursuivit Fergus, « il n’y a pas un des hommes de ces armées qui ne soit pas gisant dans une mare de sang, à part le chef des suppôts du roi du Monde et ton propre fils adoptif, à savoir Cael le fils de Crimthan des ports ».
« Va le chercher, O Fergus », demanda Vindos/Finn.
Fergus se rendit par conséquent à l’endroit où se trouvait Cael, et lui demanda comment il allait. « Quelle tristesse que tout ceci, O Fergus », répondit Cael. « Je t’en donne ma parole, si j’enlevais mon haubert et mon casque ainsi que toute mon armure, alors il n’y aurait pas une seule partie de qui ne tomberait des autres, mais je te jure que je suis plus navré que ce guerrier des étrangers que je vois là-bas ait pu s’en sortir vivant que d’être dans l’état où je suis. Et je te bénirai mille fois, O Fergus », dit Cael, « si tu me prends sur ton dos pour me conduire à la mer, afin que je puisse poursuivre à la nage cet étranger, il ne verra pas que je ne suis pas un des siens, et…… je me réjouirai si je peux ainsi tuer cet étranger avant que mon âme ne parte de mon corps ».
Fergus le hissa sur son dos et l’emmena ainsi jusqu’à la mer, où il le laissa nager vers l’étranger. L’étranger attendit qu’il puisse atteindre le navire, car il pensait qu’il était de son peuple. Ensuite Cael après avoir nagé le long du bateau essaya de s’accrocher au navire. L’étranger tendit la main vers lui. Cael la saisit par le creux du poignet, puis referma ses doigts autour comme une tenaille, et tira l’homme courageusement et très vaillamment par-dessus bord. Ils s’étreignirent alors mutuellement et ils allèrent ensemble rejoindre le sable et le gravier du fond de la mer, et depuis on n’a jamais revu ni l’un ni l’autre.
Ensuite arrivèrent les dames et les femmes des gentilshommes, les ménestrels les trouvères et tous les artistes de Fénianes d’Irlande, afin de chercher puis enterrer les rois et les princes des Fénianes, tous ceux d’entre eux qui étaient soignables furent transportés là où ils pouvaient traités. Gelges, la fille de Mac Lugach, c’est-à-dire la femme de Cael, le fils de Crimthann des Ports, arriva… et les sanglots vraiment malheureux qu’elle poussait à haute voix en cherchant son beau compagnon dans ce carnage résonnèrent jusqu’aux confins du pays. Et alors qu’elle était là elle vit une héronne avec ses deux oisillons, et un de ces animaux rusés qu’on appelle renard en train de guetter ses deux oisillons, quand elle eut couvert de ses ailes un des oisillons pour le protéger, alors il se précipita sur l’autre, de sorte que la héronne dut se déployer sur les deux en même temps, car elle préférait mourir dans la gueule de cette bête sauvage plutôt que ce soient ses oisillons qui soient tués par lui.
Un tel spectacle fit grandement réfléchir Gelges, et elle se dit : « Je ne m’étonne pas de tant aimer mon bel ami puisque cet oiseau insignifiant s’angoisse de la sorte pour ses oisillons ». Ensuite elle entendit un cerf sur la crête de Ruiglenn qui dominait le port, et il pleurait sa biche avec ardeur d’une passe à l’autre. Car ils avaient été neuf ans tous les deux ensemble et avaient vécu dans le bois qui était à côté du port, à savoir Fid Leis, avant que la biche ne soit tuée par Vindos/Finn, le cerf resta dix-neuf jours sans toucher à de l’herbe ou de l’eau, en la pleurant. « Il n’y aurait pas de honte pour moi », se dit alors Gelges, « à mourir de chagrin à cause de Cael, de même que ce cerf a lui aussi abrégé sa vie suite au chagrin qu’il a éprouvé après la mort de sa biche.
Fergus la rencontra en plein milieu du théâtre de ce massacre. « As-tu des nouvelles de Cael pour moi, O Fergus ? » demanda-t-elle.
« Oui » répondit Fergus, car lui et le chef des suppôts du roi du Monde, à savoir Finnachta Fiaclach , se sont noyés l’un l’autre ».
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« Peu me chaut », répondit-elle « de pleurer Cael et le clan Baiscne, puisque les oiseaux et les vagues les pleurent si fort ». Et ensuite elle improvisa le lai suivant.
Suivent alors quelques dizaines de vers développant la même idée, mais où elle annonce son intention de se suicider ?
Ensuite l’âme de Gelges se sépara de son corps par suite du chagrin causé par la perte de Cael, le fils de Crimthann. Et sa sépulture fut creusée au-dessus de Ventry, une pierre tombale fut érigée dessus, et l’on célébra en ce lieu ses jeux funèbres.
Tel est le récit de la bataille de Ventry, sans addition ni omission. Finit. Fin.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 33.
Coup du tonnerre. Nous traduisons ainsi l’expression gaélique torannchleasa. Il doit s’agir d’une botte secrète ou d’une technique d’escrime.
La Mer Rouge. Comme quoi les films d’Hollywood sur le sujet ne datent pas d’hier. Rappelons encore une fois que ce très mauvais film (d’un point de vue historique, car pour ce qui est du spectacle et du jeu des acteurs il est formidable) avec Charlton Heston dans le rôle de Moïse (les dix commandements) contient très peu d’Histoire vraie (il n’y a pas eu de sortie d’Égypte ni a fortiori de traversée de la mer rouge, puisque les Hébreux n’ont jamais été massivement implantés en Égypte, voir plutôt l’excellent livre d’Israël Finkelstein, la Bible dévoilée, sur le sujet)
Notons également que l’esclavage n’existait pas en Égypte, ce qui existait c’était le système des corvées (travail non payé) comme on l’a connu en Europe au Moyen-âge, et que les ouvriers travaillant à la construction des pyramides étaient des travailleurs libres très qualifiés donc bien traités. Cette invention n’est qu’un raciste message de haine datant du règne du roi Josias (- 640 -609) destiné à unir politiquement les habitants de la région de Jérusalem contre le royaume d’Égypte. C’est en effet sous son règne que le grand prêtre Hilqiyahou aurait retrouvé un mystérieux « Livre de la Loi » dans la Maison du Seigneur (sic).
N.B. Il est quand même gênant que toutes ces religions d’amour (judaïsme christianisme islam) prétendant nous révéler la vérité sur des choses aussi fondamentales aient leur point de départ dans autant de mensonges. Car comment croire des religions fondées sur autant de contre-vérité s ? Comment croire des religions empilant contre-vérité sur contre-vérité, rajoutant des mensonges ou des erreurs à d’autres mensonges ou erreurs ? Une bonne et saine conception du Divin peut-elle vraiment sortir de cela ?? Notre religion à nous étant vraiment une religion de la recherche de la vérité, elle, laissant à l’être humain plus qu’une grande liberté de choix, une totale liberté de choix, dans sa quête du Graal personnelle*, il fallait que cette chose-là soit dite.
Coup de côté. Nous traduisons ainsi faute de mieux le terme gaélique tathbheim, mot désignant un coup d’épée qui entre les mains de Cuchulainn ne fait qu’assommer.
Blessures mortelles. Nous traduisons ainsi le terme gaélique croslighibh.
* D’où la très païenne notion de niveaux de vérité différents, et d’évolution plus ou moins rapide de l’un à l’autre.
La guerrière. Bel exemple d’égalité homme femme. Il est un peu dommage qu’il soit réservé à des forces visiblement diaboliques. Du moins dans l’esprit du narrateur.
En plein bouillonnement. Nous traduisons ainsi l’expression gaélique reacht aigeantach. Si un de nos lecteurs a mieux…
Mare de sang, lit de mort. Nous essayons tant bien que mal de rendre ainsi le terme gaélique cro, qui nous laisse assez perplexes.
Héron. Nous traduisons ainsi l’expression gaélique choir lena.
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À côté. Nous traduisons ainsi le terme gaélique cois.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 34.
Choisair cró 7 ba marb he asa aithli acht ge dho eirig aris. Face à une telle affirmation de notre texte, il convient ici de rappeler ce qu’est la mort du corps d’un point de vue scientifique.
La mort est un processus (pas un état) entropique progressif : l’explosion des cellules et des tissus, la liquéfaction, la putréfaction avec émission de méthane et d’odeurs nauséabondes, les chairs qui se détachent des os * qui peut connaître de nombreuses étapes faisant que l’on est de plus en plus mort, car la vie n’est que l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort.
En termes d’entropie (niveau de désorganisation), il s’agit pour l’organisme de maintenir localement une entropie basse. Or l’entropie d’un système fermé ne peut qu’être stable ou augmenter d’après les principes de la thermodynamique. L’organisme doit donc puiser dans son environnement (d’où la nécessité de respirer, etc.). La mort intervient quand l’organisme ne peut plus puiser et maintenir son entropie basse.
La mort biologique résulte de l’incapacité permanente d’un organisme à résister aux modifications imposées par son environnement. Cette définition permet de définir aussi en miroir ce qu’est la vie (dans sa définition la plus large) : la capacité à maintenir son intégrité malgré la pression de l’environnement (homéostasie) **.
Ce qui sépare la vie de la mort n’est pas un mur bien net, mais plutôt un épais brouillard avec toute une palette d’états intermédiaires, composés des divers stades de coma, du coma léger au coma dépassé, des états végétatifs et de la mort cérébrale (= mort encéphalique).
On appelle états végétatifs l’état d’une personne qui semble dormir. Le cerveau a préservé les fonctions « de base » ; le cœur continue à battre seul, la respiration est spontanée. De la même manière, les autres organes tels que les intestins, les reins, fonctionnent de manière autonome. Le cerveau lui-même semble communiquer avec le reste du corps. L’examen du système nerveux de la personne montre des réflexes qui témoignent d’un certain niveau de fonctionnement du cerveau et des nerfs. Du moment que l’on nourrit la personne (par le biais d’un petit tuyau dans l’estomac), qu’on lui apporte de l’eau et qu’elle bénéficie de soins d’hygiène et de préservation des articulations et muscles, elle continue à vivre dans cet état.
Le seul problème est que la personne ne se réveille pas. Pourtant, elle pourrait théoriquement, mais malheureusement le plus souvent, elle meurt du fait d’une complication liée à la position couchée permanente (infection, embolie, etc.).
Le chef d’orchestre ou l’ordinateur central de cette vie ou résistance vitale face au processus du mourir est le cerveau.
Ce qu’avaient déjà bien compris les druides antiques vu l’importance qu’ils accordaient aux têtes, et Apollonios de Tyane si l’on en croit les différents cas de résurrection que lui attribue son biographe officiel Philostrate.
Notons à ce sujet que le passage sur l’apparition aux saintes femmes de Jésus ressuscité, du plus ancien des évangiles, celui de Marc, est absent des plus vieux manuscrits connus des quatre évangiles.
Tel qu’il apparaît dans le codex vaticanus et le codex sinaiticus, le texte des chrétiens s’y arrête en effet avec le passage relatant la fuite des femmes devant le tombeau vide (Marc 16, 8).
Pour ce qui est de la religion druidique, il y a mort de l’individu quand le binôme formé par l’union métamorphique de son esprit et de son âme quitte le corps pour se réincarner dans un autre monde meilleur. Mais ceci est une autre histoire (l’esprit s’y épanouit et s’y évapore peu à peu, suivi par l’âme proprement dite).
* Ce processus entropique ne se produit pas toujours, voir le cas des corps incorruptibles, des saints myroblytes, des cadavres parfumés, etc.
** Mais les anciens druides, fins observateurs de la nature et des cycles naturels (printemps été automne hiver), avaient aussi compris depuis bien longtemps que ce processus du mourir contribue à donner naissance à d’autres vies ou du moins à nourrir d’autres vies, d’où leur célèbre remarque à César à propos de Dispater.
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LA BATAILLE DE GABHRA.
Il semble bien qu’il se soit agi d’une vraie bataille historique. Le pouvoir des Fénianes étant devenu exorbitant, le roi des rois d’Irlande aurait donc décidé de s’en débarrasser. La bataille aurait eu lieu en l’an 284 quelque part en Irlande et aura toutes les allures d’une guerre civile, une partie des Fénianes combattant du côté du haut roi d’Irlande et des Irlandais prenant part au conflit du côté des Fénianes. N.B. Il n’est pas certain que Vindos/Finn y ait été tué.
La version en prose est consignée dans un texte manuscrit datant du XVe ou XVIe siècle.
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Cairbre, le fils d’Art, fils de Conn aux cent batailles, avait une bien belle fille, aux yeux doux, digne et modeste. Sgeimhsholas était son nom, et Maolsheachlainn O’Faolain, fils du roi ou seigneur des Decies, vint la demander en mariage. Quand Vindos/Finn et les Fénianes d’Irlande entendirent cela, ils envoyèrent des messagers à Cairbre, pour lui rappeler d’avoir à payer leur tribut, c’est-à-dire vingt onces (ou lingots) d’or, ou le droit de passer la nuit précédant le mariage avec la princesse. Ce message indigna Cairbre, qui déclara qu’il ne soumettrait jamais à une de ces conditions. Ce à quoi Vindos/Finn lui envoya la réponse qu’il devait satisfaire une de ces demandes, ou alors qu’il n’y aurait que la tête de la princesse pour compenser son refus d’honorer leur privilège. En entendant ceci, Cairbre devint comme enragé, sans perdre une seule seconde il envoya des hérauts à Conall Cionnbagair, roi de la province d’Ulster ; à Criomthan Culbhuide, roi du Leinster ; et à Fiacha Muilleathan, roi du Munster. Ils se retrouvèrent tous au même endroit et Cairbre leur expliqua la nature de son problème, et la servitude à laquelle ils étaient réduits lui et son peuple par Vindos/Finn et les Fénianes d’Irlande, en vertu de certaines conditions ou clauses aussi ulcérantes que celles auxquelles ils étaient soumis par les Scandinaves, telles qu’il ne pouvait plus les supporter surtout qu’elles leur étaient imposées par des gens inférieurs à eux, et qu’il n’y avait pas alors en Irlande un roi, prince, seigneur ou chef, de la lignée de Conn, qui ne soit pas opprimé comme un esclave courbé sous le joug du clan de Cumhall.
Sur ce les rois et la noblesse d’Irlande devinrent comme enragés eux aussi et ils en arrivèrent à la conclusion qu’ils ne devaient plus supporter ni tolérer une telle servitude. Ils rentrèrent tous dans leur province, et après tenu conseil avec leur peuple, prirent la résolution d’expulser les Fénianes d’Irlande, au lieu de se soumettre à eux. Cairbre envoya ensuite un messager informer les Fénianes qu’il ne leur paierait plus jamais tribut ni ne tolèrerait leurs exactions voire celles de tout autre individu en Irlande. Vindos/Finn et tous les autres enragèrent beaucoup eux aussi en apprenant cette nouvelle ; et Vindos/Finn envoya des hérauts à Cairbre afin de lui déclarer la guerre. Cairbre dépêcha des messagers afin de convoquer tous les rois et chefs d’Irlande : ils formèrent cinq bataillons. Il reçut également l’aide des hommes du Connaught et celle des braves de Teabhtha.
Domhnall O’Faolain, roi des Decies, se joignit également à la bataille à la tête d’un puissant corps d’armées, et de nombreuses troupes accompagnèrent Fiacha Muilleathan, roi du Munster, pendant que celles d’Ulster étaient avec Conall Ceannbagair, et que Criomhthan Culbhuidhe y participa également, avec un millier de vaillants guerriers du Munster. Quand Vindos/Finn et les Fénianes d’Irlande apprirent que les forces irlandaises se rassemblaient afin de les battre, Vindos/Finn fit sonner du cor appelé la Trompette de la Victoire, et les Fénianes arrivèrent de tous les endroits où ils étaient cantonnés, à savoir, Vindos/Finn, Ossian, Oscar, Fiacha Daolchiabh, Curadh Ceadghoineach, Aodh Beag, les fils de Vindos/Finn, ainsi que la noblesse du clan Baoisgne, avec Diarmat O’Duibhne, Fearcaibh O’Duibhne, Siansan O’Duibhne, Cosgarthach O’Duibhne, Goll le borgne fils de Morna, Siansan, fils de Duanan fils de Morna, Eadoin fils de Morna, et Modhcorb fils de Morna.
Quand les sept bataillons existants des Fénianes se furent tous rassemblés en un même lieu, ils firent sonner leur cor, appelé la Trompette de la Victoire, ainsi que tous leurs instruments de musique, et ils se mirent en marche en bon ordre et en rangs serrés comme il convenait à de courageux héros, forts et à l’apogée de leur puissance, vers la montagne de Gabhra.
Cairbre aussi se mit en route avec une puissante force de guerriers d’Irlande, faite de trente fois plus de héros que les Fénianes. Ces deux grandes forces opposées s’attaquèrent l’une l’autre, et alors fut livrée la bataille de Gabhra, la plus grande bataille ayant jamais eu lieu en Irlande.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 35.
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Les Decies. Ou Deisi. Une tribu du comté de Waterford.
Le droit de passer la nuit précédant le mariage avec la princesse. Une sorte de droit de cuissage (jus primae noctis en latin) si nous comprenons bien. Privilège en principe réservé au roi. On peut douter de la chose, mais ce que veut dire le narrateur c’est que les Fénianes commençaient à devenir un peu envahissants et se croyaient tout permis.
Les Lochlonnaib sont des Vikings. Il s’agit bien évidemment d’un anachronisme, les invasions vikings ne surviendront que quelques siècles plus tard. La phrase est d’ailleurs assez gauche et maladroite (il y a une répétition).
Diarmat O’Duibhne. Si notre mémoire est bonne, il est censé avoir été tué auparavant par le sanglier de Beinn Gulbain suite à une manœuvre déloyale de Vindos/Finn. Eh oui, c’est ainsi, nos textes ne sont pas très scientifiques. Ils relèvent plus du mythe que de l’histoire. Disons que c’est de l’histoire, mais truffée de nombreux éléments non-historiques. Quant aux fils de Vindos/Finn en dehors d’Oscar il doit s’agir d’enfants nés de son premier mariage. Par contre la présence dans cette liste du clan Morna est plus surprenante vu la suite.
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Il ne fallut guère de temps avant que les cris de guerre des grands héros, les gémissements des guerriers, les boucliers que l’on réduit en miettes, les têtes que l’on pourfend, la multiplication des blessures, les chairs hachées menu, le sang versé à torrents et s’écoulant dans les creux du terrain, ne fassent vraiment pitié, innombrables étaient les détours des guerriers traversant le champ de bataille à cause des cadavres qui s’entassaient dans la plaine du fait de la valeur du bras d’Oscar.
Ce fut alors que Goll l’invincible, le fils de Morna, et Fiacha Muilleathan, roi du Munster, marchèrent l’un contre l’autre, et il s’ensuivit une longue bataille, un affrontement mortel, une détestable grêle de coups incessants, et une lutte à mort insensée : des étincelles de feu jaillissant du heurt de leurs armes de guerre. Goll trouva le moyen de se frayer un dangereux passage jusqu’au roi du Munster, de lui couper le bras au ras de l’épaule et de lui pourfendre la tête le coup suivant.
Lui et les clans de Morna attaquèrent les gens du Munster, et les vainquirent totalement, de sorte que pas un d’entre ne survécut à ce carnage. Ossian, fils de Vindos/Finn, et Domnhall O’Faolain, roi des Decies, engagèrent le combat l’un contre l’autre, se livrèrent un hideux et mortel combat. Quand Fiachra, fils de Vindos/Finn, vit Ossian en danger de mort dans ce combat contre Domhnall, il se hâta de venir à son secours. Lui et Domhnall engagèrent une grande bataille âprement contestée, jusqu’à ce que Fiachra finisse par asséner au roi des Decies un coup fatal à la nuque, qui lui trancha la tête. Il attaqua ensuite les troupes des Decies, et les dispersa totalement. Diarmat O’Duibhne ainsi que Criomthan Culbhuidhe, roi du Leinster, s’affrontèrent l’un l’autre, et ce fut combat le plus courageux et le plus sanglant, un détestable affrontement, si dangereux qu’ils faisaient jaillir des étincelles de leur amure, et que leurs coups faisaient couler des flots de sang du corps de l’adversaire. À chaque coup bien ajusté que Diarmat assènait , il taillait les chairs et les os en grands morceaux, alors que lui-même continuait joyeusement à frapper, avec force et vigueur, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’il finisse par asséner sur la tête du roi un grand coup de son épée acérée, bien trempée, au moyen duquel il lui pourfendit le crâne, et fasse ensuite sauter la tête de son corps de géant à l’aide du coup suivant.
Pendant ce temps-là Oscar était occupé à tailler puis disperser les Ulates, il les hachait menu, furieux comme un grand navire tirant sur son ancre sous les coups d’une puissante rafale de vent ; comme un lion fou furieux attaquant un cerf, comme un faucon s’acharnant à détruire une nuée de petits oiseaux, ou comme une meute de loups en chasse excités par l’odeur du sang au beau milieu d’un troupeau de moutons ; de sorte qu’il fit jaillir des torrents de sang dans la plaine, et qu’il était pénible d’écouter les cris des jeunes gens, les gémissements des grands héros, les cris des guerriers, et le bruit des coups. Il était difficile pour nos héros de traverser la plaine à cause de la gêne occasionnée par les nombreux corps humains tombés sous la main d’Oscar ; et des bouches ouvertes qui gémissaient, des jambes cassées, des crânes fendus, des cadavres mutilés, des cœurs déchirés, des mains inertes, et des troncs sans tête la jonchaient.……………………………………
Quand Ossian, fils de Vindos/Finn, vit son père en si grand danger, il se hâta de venir à son secours : lui et Cosgarthach combattirent hardiment et vaillamment, sans montrer le moindre signe de faiblesse
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de peur ou de fatigue. Vindos/Finn et Daolchiabh étaient alors en train de s’écharper mutuellement la tête et le corps ; et ce fut là vraiment un magnifique duel, une lutte armée à mort, une volée de coups féroces et innombrables, un assaut mortel mémorable, qu’ils s’infligèrent mutuellement ; car Vindos/Finn était âgé, mais Daolchiabh plus jeune. Finalement Vindos/Finn asséna un si dangereux coup entre la poitrine et le ventre à Daolchiabh, qu’il l’éventra complètement, que ses entrailles tombèrent sur le sol, et qu’il tomba instantanément raide mort sur la plaine.
Sur ce Conan Maol s’exclama : « Quelle honte, Ossian, de mettre tant de temps à venir à bout de Cosgarthach si longtemps devant toi ! Redouble tes coups ».
En entendant ce reproche, Ossian eut honte, et lui asséna un bon coup sur la tête, qui lui fendit le crâne jusqu’au nez. Lui-même alors était couvert de blessures et de caillots de sang. Après ce terrifiant affrontement, il ne prit aucun repos, mais marcha sur les armées présentes sur place, pour les tailler en pièces, les décapiter, les démembrer. Cairbre ainsi que Cuire Ceadghoineach s’affrontèrent alors, et se livrèrent à un assaut puissant, sanglant, diabolique, vraiment courageux et âprement disputé ; sans arrêter leur combat livré avec acharnement ni leurs volées de coups violents, donnés avec la vigueur et les ahans d’un bûcheron sur leurs corps respectifs ; jusqu’à ce que Cairbre assène un grand coup sur l’épaule de Cuire Ceadghoineach qui fut ainsi amputé de son bras, et lui pourfende la tête avec le coup suivant ; il tomba raide mort instantanément.
……………………………………………………
Oscar venait juste d’achever l’extermination complète des Ulates, aussi attaqua-t-il aussitôt les gens du Connaught, tout en gardant un œil vigilant sur Cairbre, car il était convaincu que s’il jetait les yeux sur lui les hommes d’Irlande seraient incapables de le maintenir en vie.
Les deux fils de Cairbre, à savoir Conn et Art, vinrent à sa rencontre, et il engagea contre eux deux un valeureux et magnifique combat. Il leur décocha de venimeux coups d’estoc, pendant que chacun d’entre eux lui rendait force coups douloureux. Très rapidement néanmoins ce fut une vraie pitié que d’entendre les gémissements des deux jeunes sous les puissants que leur assénait Oscar. C’est alors que le fils du roi des Ulates nommé Breacht, fils de Brian, fut acculé à la dernière extrémité par Caletios/Cailté fils de Ronan et fut aussitôt après décapité. Cairbre, au même moment, venait juste de tuer les six fils de Caletios/Cailte. Innombrables furent les hurlements, les paroles d’encouragement, les larmes de douleur et les cris qui résonnèrent ainsi sur le champ de cette grande bataille ! Ce fut durant l’engagement qui opposa les deux fils de Cairbre à Oscar. Au bout d’un certain temps Oscar trancha la tête de l’un d’entre eux, à savoir Conn, et aussitôt après la tête de l’autre. Il avança ensuite sur le champ de bataille à a recherche de Cairbre : il rencontra un des courageux capitaines de la garde de Cairbre qui engagea immédiatement le combat contre lui. Voir ainsi Caletios/Cailte fils de Ronan pleurant ses six garçons faisait pitié. Quand Cairbre entendit que ses deux fils avaient été tués par Oscar il se hâta d’engager le combat contre lui. Cairbre lui lança un javelot qui lui transperça le dos, sous l’épaule, et atteignit son cœur, il tomba sur place, en s’exclamant : « Ah, c’est le javelot de Cairbre qui m’a transpercé, celui par lequel il a été prédit que je devais être abattu ». Malade de douleur et le cœur brisé, Ossian se pencha sur lui, et aussitôt après Vindos/Finn, afin de pleurer la mort d’Oscar. Vindos/Finn n’avait jamais pleuré la perte d’aucun Féniane auparavant. Les Fénianes survivants vinrent se pencher sur Oscar, et aucun ne resta sur le champ de bataille, mais tous se réunirent pour pleurer la perte d’Oscar.
Ceci était un compte-rendu de la mort d’Oscar, événement depuis lequel les Fénianes n’ont plus livré une seule bataille.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 36.
Goll le borgne et ses Fénianes s’en prennent donc aux alliés de Vindos/Finn si nous comprenons bien.
Daolchiabh. S’agit-il du même personnage que le Fiacha Daolchiabh cité plus haut ??? Ce serait alors une incohérence de plus dans ce récit qui en contient beaucoup.
Cosgarthach. Même question. De toute façon ce récit de bataille est très confus. Peut-être parce que la bataille elle-même fut très confuse. Comme souvent dans cette émouvante et nostalgique
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littérature, les textes ne sont pas toujours très clairs. La mort de Vindos/Finn n’y est pas explicitement mentionnée. Un épisode de la bataille de Ventry (cath Finntraga) nous le montre sombrant dans une sorte de coma, mais la phrase en gaélique « Choisair cró 7 ba marb he asa aithli acht ge dho eirig aris » est bien difficile à comprendre. D’aucuns pensent donc qu’à l’instar du roi breton Arthur il n’est pas mort, mais veille en attendant le jour de son retour. Dans le récit intitulé Aided Finn, il est tué par un guerrier nommé Aichlech Mac Dubdrenn, à Ath Brea (au gué de Brea). Dans d’autres versions, il est tué par cinq hommes à Garristown.
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RAPPEL.
Attention, attention s’il vous plaît ! Les textes qui suivent ne sont pas une synthèse complète ni exhaustive de toutes les légendes irlandaises ou galloises sur le sujet. Pour la simple raison qu’une telle synthèse serait impossible, étant donné les innombrables variantes ou contradictions que l’on peut y découvrir. Seule une synthèse des grandes lignes de ces récits peut être envisagée.
Les textes qui suivent ne sont donc que des réécritures partielles, et en résumé ou en abrégé, des principales légendes irlandaises en question, le tout étant restructuré ou recomposé après démolition sur de nouvelles bases et en suivant un plan différent, ça et là entrecoupé d’analyses.
Ils n’ont qu’un seul but : donner à nos lecteurs assez de notions ou d’aperçus préliminaires sur le sujet pour avoir envie d’en savoir plus.
Les textes qui suivent ne dispensent donc pas de se reporter in fine aux textes originaux eux-mêmes.
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LE LAI D’OSSIAN DANS LA TERRE DE JOUVENCE.
Laoi Oisin ar Tir na nOg.
Ce magnifique poème tout à fait comparable à celui de Brian Merriman, l’humour en moins, est sans doute dû à la plume de Michel Comyn vers 1750. Michel Comyn était un poète vivant dans le comté de Clare au XVIIIe siècle (1688-1760). Il composa donc un long poème en gaélique sur le voyage d’Ossian dans l’Autre-Monde et son retour en Irlande ; mais rappelons aussi que la première œuvre importante dans la carrière de Yeats fut les Errances d’Oisin, dont on a peut-être mal évalué l’impact.
Ossian, en tant qu’archétype, ou en tant que voyageur de l’au-delà, peut-il donc s’inscrire dans une perspective contemporaine ?
Ce poème est une des plus belles descriptions du paradis celtique, qui vaut bien celui de l’Islam avec ses houris.
Quelques remarques à ce sujet cependant.
Nous ne sommes pas obligés d’être aussi indulgents ou compréhensifs, voire obséquieux, avec saint Patrice de Rome, que Michel Comyn (c’est un ancien premier au catéchisme qui le dit).
Ce paradis est nettement plus charnel plus physique que le paradis des chrétiens.
L’exemple même de Niamh montre que les femmes y jouent un rôle plus actif que celui de repos du guerrier attribué aux houris du paradis musulman.
Il s’agit visiblement d’une description faite pour les êtres humains de sexe masculin et de tempérament guerrier.
Pour avoir des descriptions du paradis celtique faites pour les êtres humains de sexe masculin, mais de tempérament plus réfléchi et plus intellectuel, voir les mystérieuses îles de l’Océan décrites par Plutarque.
Il devait certainement exister des descriptions du paradis faites pour les êtres humains de sexe masculin appartenant à la fonction productrice de richesses (paysans artisans), mais elles ne sont pas parvenues jusqu’à nous vu les ravages opérés par la christianisation.
Les descriptions du paradis faites pour les femmes sont dans le même cas.
Notons enfin que les druides savaient bien que ce paradis qu’ils décrivaient ainsi en l’adaptant à leur auditoire, afin d’aider leurs concitoyens à mieux vivre et mourir, n’était pas un lieu, mais un état de l’être.
N.B. Le gaélique n’est pas une langue facile. Nous nous écarterons donc sur certains points de la traduction de John O’Daly. Mais la force poétique de ce texte rédigé en gaélique quasiment moderne en a évidemment pris un coup.
LE LAI D’OSSIAN DANS LA TERRE DE JOUVENCE.
Tel qu’il fut raconté par lui à saint Patrice.
Édition de la Société pour la préservation de la langue irlandaise, Dublin 1880.
1. Patrice.
Ô Noble Ossian ! Ô fils du roi !
Le meilleur en exploits prouesses et combats,
Raconte-nous maintenant sans tristesse
Comment tu as survécu après [la fin] des Fénianes.
2. Ossian.
Je vais te le dire, O toi Patrice le nouveau venu (nuaid) !
Bien que son évocation à voix haute soit assez triste pour moi
Après la cruelle bataille de Gabhra,
Dans laquelle mourut, hélas, le vaillant Oscar.
3. Un jour de ceux où nous étions encore tous ensemble, nous les Fénianes
Le généreux Vindos/Finn et ceux qui dépendaient toujours de nous arrivèrent,
Bien que notre histoire ne soit plus que tristesse et mélancolie,
Après le massacre de nos héros.
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4. Nous étions partis chasser par un beau matin brumeux
Sur les rives du lac de Lein
Les fleurs dans les arbres exhalaient la plus douce des senteurs
Des oiseaux y chantaient sans relâche leur mélodie.
5. Nous avions débusqué une femme de cerf (biche)
La meilleure jamais vue en bonds courses et agilité
Nos lévriers ainsi que nos chiens bigles étaient tous
Après elle en train de la traquer.
6. Peu de temps après, nous aperçûmes venant de l’ouest
Un cavalier chevauchant dans notre direction—
Une douce jeune fille de la plus belle apparence
Sur un fin coursier blanc, des plus vifs pour ce qui est de la légèreté.
7. Nous nous arrêtâmes tous de chasser
Pour admirer la silhouette de cette royale inconnue,
Vindos/Finn et les Fénianes furent émerveillés
En découvrant qu’ils n’avaient jamais pu voir une si belle femme.
8. Elle avait une couronne de reine sur la tête
Et un manteau brun de la soie la plus précieuse
Semé d’étoiles en or rouge
Lui couvrant les chaussures et descendant jusqu’à terre.
9. Il y avait des boucles d’or accrochées
À chacune des blondes mèches de sa chevelure semblable à de l’or ;
Ses yeux bleus étaient clairs comme l’azur,
Comme des gouttes de rosée sur l’herbe.
10. Ses joues étaient plus rouges que les roses
Et son teint plus beau que le celui d’un cygne sur l’onde,
Plus doux encore que du miel dans du vin rouge
Était le goût du baume de ses lèvres.
11. Il y avait un large long et lisse caparaçon
Sur son blanc palefroi,
Une selle incrustée d’or rouge ;
Et elle avait une bride avec un mors en or dans la main droite.
12. Il y avait quatre fers à cheval bien faits sous lui
En or jaune du plus bel éclat,
Une guirlande d’argent sur l’encolure,
Et il n’y avait pas de meilleur étalon au monde.
13. Elle s’arrêta devant Vindos/Finn
Et lui parla d’une voix aimable et douce
Et lui dit, « Ô roi des Fénianes,
Mon voyage a été long et m’a mené très loin maintenant ».
14. Vindos/Finn.
Qui es-tu donc O jeune reine ?
La plus remarquable qui soit pour ce qui est de la silhouette de la beauté ainsi que de l’allure,
Dis-nous la raison de ce long périple
Ton nom et ton pays ».
15. Niamh.
« On m’appelle Niamh aux cheveux d’or,
Habile Vindos/Finn aux grandes troupes ;
Entre toutes les femmes du monde j’ai reçu un appel
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Je suis la jolie fille du roi de la jeunesse ».
16. Vindos/Finn.
« Raconte-nous O clémente reine,
Quelle est la raison de ta venue de par-delà les mers lointaines,
Si c’est ton compagnon qui est parti,
Ou quel est le désarroi dont tu es la proie ? »
17. Niamh.
« Ce n’est pas mon compagnon qui s’en est allé
Et jusqu’ici je n’ai jamais été fiancée à quelque homme que ce soit
Ô roi des Fénianes de la plus grande réputation,
Mais l’affection et l’amour que je voue à ton fils ! »
18. Vindos/Finn.
« Lequel de mes enfants, O jeune fille en fleur
Est celui auquel tu as voué ton amour, ou ton affection
Ne nous en cache pas la cause
Et raconte-nous ton affaire, O femme !
19. Niamh.
« Je vais te dire cela, O Vindos/Finn,
Ton noble fils aux armes bien trempées
Le magnanime Ossian aux bras puissants
C’est lui le héros dont je te parle ».
20. Vindos/Finn.
« Quelle est la raison pour laquelle tu as voué ton amour
Ô splendide vierge aux cheveux qui flottent dans le vent,
À mon propre fils de préférence à tout autre
Et malgré la multitude de princes qu’il y a sur cette terre ? »
21. Niamh.
« Ce n’est pas sans raison O roi des Fénianes,
Que je suis venue de loin pour le voir,
Mais à cause du récit que l’on m’a fait de ses prouesses,
De la bonté de sa personne, et de son esprit ».
22. « Il y a de nombreux fils de roi et de grands princes
Qui m’ont voué leur affection et promis un éternel amour
Mais je n’ai jamais accepté aucun homme
Avant d’avoir voué mon amour à moi au vaillant Ossian ! »
23. Ossian.
Par cette main que je lève sur toi [?] Ô Patrice
Bien que ce ne soit nullement honteux pour moi comme histoire
Il n’y eut pas un seul membre de mon corps qui ne tomba immédiatement amoureux
De cette aimable jeune fille aux cheveux flottant dans le vent.
24. Je pris sa main dans la mienne
Et lui dit d’une voix douce
« Reçois nos plus sincères souhaits de bienvenue
Dans ce pays O jeune reine.
25. C’est toi qui es la plus éclatante et la plus belle pour ce qui est de la silhouette
C’est toi que je veux comme femme,
Tu es celle que je choisis parmi toutes les autres femmes au monde
O tendre étoile à la si belle apparence ».
26. Niamh.
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O généreux Ossian, je te mets au défi
Sort qu’aucun authentique héros ne saurait refuser (geasa)
De monter avec moi maintenant sur mon étalon,
Jusqu’à ce que nous atteignions le pays de Jouvence.
27. C’est le plus beau pays que l’on puisse trouver
Le plus réputé au monde actuellement
Il y a des arbres ployant sous les fruits et les fleurs,
Et le feuillage poussant au bout des branches.
28. Il regorge de miel et de vin
Et de toutes les choses que l’œil a pu admirer
Là jamais la déchéance n’affectera ton existence
Tu ne connaîtras ni mort ni décrépitude.
29. Là tu auras festins jeux et boissons à volonté,
Là tu auras la douce musique des instruments à cordes,
Là tu auras de l’or et de l’argent
Là tu auras également de nombreux bijoux.
30. Tu auras une centaine d’épées sans défaut
Tu auras une centaine d’habits de la soie la plus coûteuse,
Tu auras une centaine d’étalons remuants
Et tu auras aussi avec eux une centaine de bons chiens de chasse.
31. Tu porteras la couronne de « roi de la jeunesse »
Ce qui n’a encore jamais été donné à personne sur terre
Elle te protègera nuit et jour
Dans les batailles les querelles et les conflits les plus rudes.
32. Tu auras une bonne armure,
Et une épée à pommeau d’or
À laquelle personne n’a jamais réchappé
Qui a pu en voir la lame acérée.
33. Tu auras une centaine de cottes de mailles, de chemise en satin.
Tu auras une centaine de vaches, et une centaine de veaux avec,
Tu auras une centaine de moutons avec leur toison d’or,
Tu auras une centaine de bijoux encore jamais vus en ce monde.
34. Tu auras une centaine de joyeuses et jeunes servantes
Radieuses et brillantes comme le soleil,
Les plus belles pour ce qui des formes de la silhouette et du visage,
Et à la bouche plus mélodieuse que la musique des oiseaux.
35. Tu auras une centaine de braves des plus héroïques au combat
Et aussi des plus forts dans tout ce qui est agilité ;
Armés de pied en cap, avec toi
Dans le pays de Jouvence, si tu viens avec moi.
35a. « Tu auras tout ce dont je t’ai parlé
Sans oublier tous les plaisirs que je ne puis mentionner
Tu auras la beauté la force et la vigueur,
Et je serais avec toi en tant qu’épouse ».
36. Ossian.
« Je ne peux pas refuser une telle offre.
Ô charmante reine aux boucles d’or,
Tu es celle que je choisis parmi toutes les femmes du monde,
Et je te suivrai avec plaisir jusqu’au pays de Jouvence ».
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37. Nous partîmes tous les deux à cheval sur cet étalon,
La jeune fille était assise devant moi,
Elle me dit : « Ossian, allons doucement
Jusqu’à ce que nous atteignions l’embouchure de la grande mer ».
38. Puis l’étalon prit de la vitesse
Dès que nous fûmes arrivés sur la grève,
Il s’ébroua pour le voyage
Et poussa trois puissants hennissements.
39. Quand Vindos/Finn et les Fénianes virent
L’étalon partir au grand galop
Droit sur le puissant océan
Ils poussèrent trois cris de douleurs éplorés.
40. Vindos/Finn.
« Ossian », murmura Vindos/Finn lentement et d’une voix blanche,
Quel malheur que tu sois en train de me quitter ainsi
Je n’ai aucun espoir que tu reviennes un jour
Me retrouver tout auréolé de victoire.
41. Ossian.
Son allure et sa beauté changèrent
Et des flots de larmes coulèrent de ses yeux,
Jusqu’à ce qu’à lui mouiller complètement la poitrine ainsi que son éclatante figure,
Et il s’écria, « Tu fais mon malheur, Ossian, en me quittant ainsi ».
42. O Patrice, bien triste est cette histoire,
De notre séparation l’un de l’autre,
La séparation du père et du fils
Il est triste difficile et accablant de la raconter.
43. J’ai embrassé mon père
Et j’ai reçu de lui les mêmes marques d’affection,
J’ai fait mes adieux à tous les Fénianes
Et des larmes ont coulé sur mes joues.
44. Heureux étaient les jours où nous étions tous les deux Vindos/Finn et moi,
Avec les Fénianes à leur zénith nous tenant compagnie,
Jouant au tablut (échecs) et buvant,
Ou écoutant de la musique, nous qui constituions cette vaillante troupe.
45. Chassant à courre dans les vallées aux pentes douces
Avec nos chiens de chasse aboyant joyeusement
Un autre moment par contre en pleine bataille
Fauchant avec témérité d’héroïques ennemis.
45a. Ô futile Ossian, arrête un instant
De nous raconter ton immense bravoure de féniane
[Dis-nous] Comment tu es allé dans le pays de Jouvence
Et poursuis pour nous cette histoire sans mentir.
46. Ossian.
Nous tournâmes le dos à cette terre,
Et notre face directement plein ouest
La mer unie devint comme étale devant nous
Et recouvrit nos traces de ses flots.
47. Nous aperçûmes des choses merveilleuses pendant notre voyage
90
Des cités, des cours et des châteaux,
Des maisons blanchies à la chaux et des forteresses,
Des trônes éclatants et des palais.
48. Nous vîmes aussi à nos côtés
Une biche bondissant légèrement,
Et un chien de chasse blanc aux oreilles rouges
Aboyant hardiment dans sa traque.
49. Nous avons pu aussi contempler sans mentir
Une jeune femme sur un étalon alezan
Elle avait une pomme d’or dans la main droite,
Et allait sur le sommet des vagues.
50. Nous avons également aperçu dans son sillage
Un jeune cavalier monté sur un étalon blanc
Dans un manteau de satin rouge pourpre
Avec une épée à pommeau d’or dans la main droite.
51. « Qui sont-ils, quel est ce couple que je vois là
Ô gente dame, dis-moi pourquoi
Cette femme de la plus belle apparence
Et ce brillant cavalier au cheval blanc ? »
52. Niamh.
« Ne te préoccupe pas de ce que tu verras
O gentil Ossian, ni de ce que tu as déjà vu,
Ce n’est rien du tout en réalité
Tant que nous n’aurons pas atteint le pays du roi de la jeunesse ».
53. Ossian.
Nous aperçûmes alors dans le lointain
Un palais ensoleillé au magnifique fronton
Sa forme et son apparence étaient les plus belles
Que l’on pouvait trouver au monde.
54. « Quelle est cette forteresse royale dont la beauté surpasse toutes les autres
Et qui est aussi la plus aimable qu’œil humain ait jamais pu voir
Vers qui nous chevauchons tout droit
Et qui en est le haut-roi ?
55. Niamh.
« La fille du roi de la Terre des Vivants
Est la reine de cette forteresse,
Qu’a conquise le roi vouivre anguipède géant (Fomor) appelé Builleach de Dromloghac
Par la force de ses armes et de ses manœuvres.
56. « Elle a menacé d’un sort (geasa) le brave
Si jamais il la prenait pour femme
Avant qu’elle n’ait trouvé un champion ou un authentique héros
Qui puisse lui tenir tête au corps-à-corps ».
57. Ossian.
« Sois heureuse et bénie, O Niamh aux cheveux d’or
Je n’ai jamais entendu musique meilleure
Que la douce et mélodieuse voix qui sort de ta tendre bouche
Et grande est la compassion que nous éprouvons pour une femme de sa condition.
58. « Allons maintenant faire sa connaissance dans cette forteresse
Il nous est peut-être destiné
91
De surpasser ce puissant héros
En exploits et faits d’armes comme le veut la coutume en ce qui me concerne.
59. Nous arrivâmes ensuite dans la forteresse
Et la jeune reine vint à notre rencontre,
Son rayonnement était semblable à celui du soleil
Et elle nous souhaita cent fois la bienvenue.
60. Elle portait une tenue de cérémonie en soie jaune
Cette reine qui semblait la plus belle de monde
Sa peau était blanche comme un cygne sur l’onde
Et ses joues étaient de la couleur de la rose.
61. De la couleur de l’or étaient ses cheveux,
Et ses yeux bleu-clair étaient couleur d’azur.
Sa douce petite bouche avait la couleur des baies rouges
Et son front mince était comme fait au moule.
62. Nous prîmes place
Chacun de nous sur une chaise d’apparat en or
Beaucoup de nourriture nous fut servi
Ainsi que des cornes à boire remplies de bière.
63. Quand nous eûmes mangé à satiété
Avec à boire de nombreux vins liquoreux
La gente et jeune dame parla,
Et dit alors : « Écoute-moi un instant ».
64. Elle nous raconta les tenants et aboutissants de son malheur,
Et les larmes coulèrent sur ses joues,
Elle expliqua qu’il n’y avait aucun retour possible pour elle dans son pays,
Tant que ce puissant géant serait en vie.
65. Ossian.
« N’en dis pas plus, jeune reine
Oublie ta peine et cesse de pleurer,
Je t’accorde l’aide de ma main
Nous abattrons ce géant meurtrier.
66. La reine.
« Il ne se trouve maintenant aucun héros
Même parmi les braves jouissant de la plus grande réputation sur terre
Qui veuille affronter en combat singulier, au corps-à-corps,
Cet audacieux géant à la frappe si puissante ».
67. Ossian.
« Je te le dis, O gentille reine
« Je ne redoute nullement sa venue à ma rencontre,
Et s’il ne tombe pas du fait de la force de mes armes,
C’est que c’est moi qui serai tombé pour te protéger ».
68. Il ne se passa guère de temps avant que n’arrive
Le plus puissant et le plus hideux géant du monde
Il portait une tunique (beart) en peaux (croicnib)
Et avait une massue (fearsaid) de fer à la main.
69. Il ne salua personne et ne s’inclina pas devant nous,
Mais dévisagea la jeune femme,
Déclara la guerre ou un puissant combat singulier sans merci
Et j’allai à sa rencontre.
92
70. Durant trois jours et trois nuits
Nous livrâmes un vigoureux combat,
Et bien que ce vaillant géant soit très fort
Je lui coupai la tête aussitôt.
71. Quand les deux jeunes femmes virent
Cet immense géant qui gisait à terre, mort,
Elles poussèrent trois cris d’allégresse
D’exaltation et de joie.
72. Nous rentrâmes ensuite au château
J’étais couvert de blessures, épuisé, sans force
Couvert de sang frais
Dégoulinant de mes blessures.
73. La fille du roi des vivants s’approcha
En vérité afin de me soulager
Elle mit du baume et des onguents sur mes blessures
Et je fus complètement guéri après cela.
74. Nous prîmes notre repas joyeusement
Et les heures qui suivirent furent tout aussi agréables pour nous
On nous avait préparé dans la forteresse
Des lits douillets en duvet d’oiseau.
75. Nous enterrâmes le gros homme
Dans une tombe recouverte de gazon, profonde, large et à niveau
J’élevai sa stèle sur son monument
Et j’écrivis son nom sur une branche à oghams.
76. Le lendemain matin au point du jour
Nous sortîmes de notre sommeil,
« Il est temps pour nous », dit la fille du roi,
De poursuivre sans délai jusqu’à notre propre pays.
77. Nous fîmes nos préparatifs sans plus tarder
Ensuite nous prîmes congé de la jeune fille,
Nous étions tristes et peinés de la quitter
Et cette femme splendide ne l’était pas moins en ce qui nous concernait.
78. Je ne sais pas, O doux Patrice,
Ce qu’il est advenu de la jeune reine
Après que nous l’ayons quittée
Ni même si elles retournée au pays des vivants.
78a. Patrice.
Tu ne nous dis pas, O plaisant Ossian,
Quel était le pays dans lequel tu as été ;
Fais-nous savoir son nom maintenant,
Et reprends le cours de ton histoire.
78b. Ossian.
Ce pays est la terre des victoires,
Et assurément il mérite son nom,
S’il y a autant de gloire au Paradis qu’il y en a là
Je louerai Dieu bien volontiers.
79. Nous quittâmes la forteresse,
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Notre cheval lancé au triple galop,
Ce cheval blanc était plus rapide
Que le vent de mars sur la crête d’une montagne.
80. Il ne s’écoula guère de temps avant que le ciel ne commence à s’assombrir
Et que le vent ne se lève de partout,
L’Océan fut illuminé de violentes lueurs
Mais on ne voyait le soleil nulle part.
81. Nous passâmes un moment à contempler les nuages,
Et les étoiles dans la brume,
La tempête ainsi que le vent tombèrent
Et Phoebus brilla au-dessus de nos têtes.
82. Nous aperçûmes à nos côtés
Un pays en fleurs des plus délicieux
Et des plaines magnifiques douces et unies
Ainsi qu’une forteresse royale à la beauté incomparable.
83. Il n’y avait pas une nuance jamais vue par un œil humain
De bleu intense, de vert et de blanc,
De pourpre, de cramoisi et de jaune,
Qui ne manquât au royal manoir dont je parle.
84. il y avait de l’autre côté de la forteresse
Des trônes radieux et des palais
Entièrement faits de pierres précieuses
Par les mains d’artistes habiles et avisés.
85. Il ne s’écoula guère de temps avant de voir arriver sur nous
Sortant de la forteresse à notre rencontre
Trois cinquantaines de champions parmi les meilleurs pour ce qui est de la souplesse
De l’élégance, du renom, et des plus réputés.
86. Ossian.
« Quel est donc le beau pays que voilà,
O douce fille aux boucles d’or
Le plus beau qu’on ait jamais vu pour ce qui est de l’apparence
Est-ce la terre de Jouvence ?
87. Niamh.
« C’est elle, bien sûr, O généreux Ossian,
Et je ne t’ai pas menti à son sujet
Il n’y a pas une seule des choses que je t’ai promises
Qui ne soit là pour toi éternellement ».
88. Ossian.
Ensuite vint à nous dans leur sillage après cela
Une centaine de jeunes femmes de la plus charmante beauté qui soit
Vêtues d’habits en soie cousus d’or,
Nous accueillant avec joie dans leur pays.
89. Nous vîmes encore arriver
Une multitude de compagnies radieuses et lumineuses
Et un noble puissant et brave roi
Sans rival pour ce qui est de la grâce, de la forme, et de l’allure.
90. Il portait une chemise jaune en soie de satin
Et un vêtement d’or éclatant par-dessus
Il avait une couronne d’or qui étincelait
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En brillant de mille feux sur sa tête.
91. Nous vîmes arriver derrière lui
La jeune reine si réputée
Et cinquante douces et bonnes dames
Les plus belles qui soient, en sa compagnie.
92. Dès qu’ils furent tous arrivés sur place
Le roi de la jeunesse leur parla doucement
Pour leur dire : « Voici Ossian le fils de Vindos/Finn
Le tendre époux de Niamh aux cheveux d’or ».
93. Il me prit ensuite par la main,
Et dit à voix haute pour être entendu de toute la troupe
Le roi – « O brave Ossian ! Ô fils du roi !
Sois donc cent mille fois le bienvenu ici !
94. « Ce pays dans lequel tu es venu,
Je ne te cacherai rien de ce qui le concerne, en vérité
Longue et durable sera ta vie
Et tu resteras éternellement jeune.
95. « Il n’y a pas un plaisir dont ton cœur ait rêvé
Qui ne soit pas dans ce pays à ta disposition,
O noble Ossian, crois-moi vraiment,
Car je suis le roi de la Terre de jeunesse.
96. « Voilà sa douce reine
Ma propre fille Niamh aux cheveux d’or
Qui s’en est allée au-delà de la mer immobile pour que tu sois
Son époux à jamais ».
97. Ossian.
Je remerciai mille fois le roi
Et m’inclinai devant gente dame
Mais nous ne restâmes pas ici, car nous poursuivîmes aussitôt
Jusqu’au manoir du roi de la jeunesse.
98. Les nobles de cette belle cité vinrent en ce lieu,
Tant hommes que femmes, à notre rencontre,
Il y eut là ensuite un banquet ainsi qu’un festin qui dura
Pendant dix nuits et dix jours.
99. Ensuite je me suis marié avec Niamh aux cheveux d’or
O Patrice de Rome aux blanches crosses,
Voilà comment je suis allé dans le pays de Jouvence
Bien qu’il me soit triste et pénible pour moi d’en parler.
99a. Patrice.
Continue pour nous ton histoire
O noble Ossian aux innombrables trésors armes et victimes,
Comment as-tu quitté le pays de Jouvence ?
J’attends avec impatience que tu m’en fasses découvrir la cause.
99b. Dis-nous maintenant avec plaisir
Si tu as eu des enfants de Niamh,
Et si le temps que tu as passé dans la terre de Jeunesse a été long
Narre-nous sans chagrin ton histoire.
100. Ossian.
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J’ai eu de Niamh aux cheveux d’or
Des enfants remarquables de grâce et d’élégance.
Les plus beaux qui soient pour ce qui est de la mine de la silhouette et de l’allure
Deux jeunes garçons et une gentille fille.
100a. Patrice.
Ô aimable Ossian poursuis ton histoire,
Et dis-nous donc où se trouvent tes enfants
Donne-nous tout de suite leur nom
Et le pays dans lequel ils sont.
101. Ossian.
Il y avait pour eux auprès de Niamh
Au pays de Jouvence, des Vivants, et des Victoires
Une guirlande et une couronne d’or le plus royal
Ainsi que de nombreux autres joyaux dont je ne te parle pas,
102. Niamh m’a donné deux fils,
Le nom de mon père et mon bon fils
L’illustre Vindos/Finn, chef des armées,
Oscar aux trésors et aux armes rouges
103. J’ai donné à ma gentille petite fille
Avec l’accord de Niamh aux cheveux d’or,
À cause de sa grâce et de son allure affectueuse
Le doux nom de Plur-na-mban.
104. J’ai passé une longue période qui a duré
Trois cents ans et plus
Jusqu’à ce que je m’avise que mon désir serait
De revoir Vindos/Finn et les Fénianes vivants.
105. Je demandai alors congé au roi
Et à ma gentille épouse, Niamh aux cheveux d’or
Pour revenir de nouveau en Irlande,
Retrouver Vindos/Finn et sa grande armée.
106. Niamh.
« Tu obtiendras de moi le congé que tu sollicites » répondit cette gentille fille
« Bien qu’il soit pénible pour moi de t’entendre dire ça,
Car je crains que tu ne puisses plus revenir
Dans mon pays après ça, O victorieux Ossian ».
107. Ossian.
« Que crains-tu qu’il nous arrive, O florissante reine,
L’étalon blanc sera placé sous mes ordres
Il m’indiquera aisément la route à prendre
Et je te reviendrai sain et sauf ».
108. Niamh.
« Souviens-toi, Ossian, de ce que je vais te dire,
Si tu mets pied à terre,
Qu’il n’y aura plus jamais pour toi de retour
Dans ce magnifique pays où je suis.
109. « Je te le redis encore une fois, en toute franchise
Si tu descends ne serait-ce qu’un instant de l’étalon blanc,
Que tu ne reviendras plus jamais dans le pays de Jouvence
Ossian aux nombreux trésors et aux vaillantes armes.
96
110. « Je te redis une troisième fois
Si tu descends de l’étalon,
Que tu deviendras aussitôt un vieil homme, infirme et aveugle,
N’ayant plus aucune agilité, sans joie sans vitesse et sans légèreté.
111. « Quel malheur pour moi, O affectueux Ossian
Que tu veuilles retourner dans la Verte Erin
Elle n’est plus ce qu’elle a été,
Et tu ne reverras plus jamais Vindos/Finn aux immenses armées.
112 « Il n’y a plus désormais en Irlande
Que le Père d’un ordre et d’une armée de saints,
Ô affectueux Ossian, je t’embrasse
Tu ne reviendras plus jamais dans la Terre de Jeunesse ».
113. Je regardai sa figure qui faisait pitié
Et des flots de larmes sortirent de mes yeux,
Ô Patrice ! Toi aussi tu aurais eu pitié en la voyant
S’arracher ainsi les cheveux de l’or de sa tête.
114. Elle me plaça dans l’obligation magique (geasa)
D’aller mais aussi de revenir, sans toucher terre
Et me dit qu’en vertu du pouvoir propre de cette injonction
Si je ne la respectai pas, que je ne pourrai pas revenir sain et sauf.
115. Je lui promis tout cela sincèrement
Que je respecterai scrupuleusement ce qu’elle m’avait dit ?
Et j’enfourchai ensuite l’étalon blanc
Puis je fis mes adieux aux gens de la forteresse.
116. Je donnai un tendre baiser à ma gentille épouse,
J’étais triste de la quitter,
Mes deux fils et ma jeune fille,
Versaient des larmes de douleur,
117. Puis je me préparai à partir
Et je tournai le dos à la Terre de Jouvence
L’étalon commença de galoper
Comme il l’avait fait avant avec moi et Niamh aux cheveux d’or.
118. Rien n’est dit de nos aventures
Ni de ce qui m’est arrivé
Jusqu’à ce que je sois revenu
Dans la verte Erin et ses nombreux joyaux.
119. O Patrice, des Ordres de moines et des saints
Je ne t’ai pas menti jusqu’à présent
Il me reste à te dire la cause de mon histoire
Et comment j’ai quitté la Terre de Jeunesse.
120. Si j’étais resté moi-même, O Patrice,
Comme j’étais jadis
Je mettrais à mort tout ton clergé
Il n’y aurait plus une tête sur un cou derrière moi.
121. Si je puis avoir assez de pain
Comme j’avais coutume d’en avoir chaque fois de la part de Vindos/Finn
Alors je prierais le roi miséricordieux
Que tu en sois le dispensateur (slan or a cionn ?????).
97
121a. Patrice.
Tu auras du pain et de quoi boire
Sans faute maintenant de ma part,
La voix qui sort de ta bouche est une mélodie pour moi
Poursuis ton histoire pour nous.
122. Ossian.
Ensuite à mon arrivée au pays
Je regardai attentivement dans toutes les directions
Je pensai alors sincèrement
Ne pas pouvoir obtenir des nouvelles de Vindos/Finn.
123. Mais il ne s’écoula pour moi guère de temps
Avant que je ne voie venir de l’ouest vers moi
Une grande troupe d’hommes et de femmes à cheval
Ils arrivèrent devant moi.
124. Ils me saluèrent gentiment et doucement,
Et un grand étonnement s’empara là de chacun d’entre eux
En voyant ma taille,
Ma silhouette, mon apparence et mon allure.
125. Je leur demandai ensuite
S’ils avaient entendu dire que Vindos/Finn était en vie ?
Ou que vivait encore un autre des Fénianes,
Ou quel était le malheur qui leur était arrivé ?
126. La troupe.
Nous avons entendu parler de Vindos/Finn
Pour sa force, ses actions et sa bravoure,
Qu’il n’y avait jamais eu son pareil ici
Pour ce qui est de la personne du renom et de l’esprit.
127. « Nombreux sont les livres écrits
Par de doux et mélodieux sages gaëls
Mais à dire vrai nous sommes dans l’incapacité de te parler
Des exploits de Vindos/Finn et des Fénianes.
128. « Nous avons entendu dire que Vindos/Fin avait eu
Un fils qui à l’allure et à la beauté rayonnante
Qu’une jeune femme était venue à lui
Et qu’il était parti avec elle au pays de Jouvence ».
129. Ossian.
Quand j’entendis ces paroles
Que Vindos/Finn n’était plus en vie ni même un seul des Fénianes
Je fus saisi d’une grande lassitude et d’une grande peine
Et je fus rempli de mélancolie en pensant à eux !
130. Je chevauchai alors d’une seule traite
Rapide et piqué au vif, sans une seule halte
Jusqu’à ce que je puisse voir droit devant moi
La renommée large colline d’Almhuin dans le Leinster.
131. Là grand fut mon étonnement
De ne pas y voir la cour de Vindos/Finn aux grandes armées
Il n’y avait plus en vérité à son emplacement
Que de l’herbe du mouron des oiseaux et des orties.
132. Hélas, O Patrice ! trois fois hélas, quel malheur que le mien !
98
Ce fut pour moi un bien misérable voyage
Sans nouvelles de Vindos/Finn ni des Fénianes,
Que celui qui m’a plongé dans la douleur pour le restant de ma vie.
133. Patrice.
Ô noble Ossian ! Oublie ton chagrin
Garde tes larmes pour le Dieu de miséricorde,
Vindos/Finn et les Fénianes ont fait leur temps
Et plus personne ne peut quoi que ce soit pour eux.
134. Ossian.
Quelle grande pitié ce serait O Patrice
Que Vindos/Finn soit dans la peine à jamais
Ou que cette traque qui vit la victoire lui échapper
Vu le nombre de hardis héros qui tombèrent devant lui.
135. PATRICE.
C’est Dieu qui a remporté la victoire sur Vindos/Finn
Et non la force de ses ennemis ni celle de vaillantes mains adverses
Et de même pour ce qui est des fénianes
Condamnés aux éternels tourments de l’enfer.
136. Ossian.
Ô Patrice ! Indique-moi l’endroit
Où Vindos/Finn et les fénianes sont retenus prisonniers
Car il n’y a ni enfer ni paradis
Qui puisse les assujettir.
137. Si c’est là que se trouve mon propre fils Oscar
Le héros qui était le plus brave de nous tous dans les combats les plus durs
On n’a pas encore levé en enfer ni dans le paradis de Dieu
D’armée de quelque importance qu’elle soit, dont il ne saurait triompher.
138. Patrice.
Départissons-nous chacun de notre côté de cette controverse,
Et poursuis ton histoire, O Vaillant Ossian !
Que t’est-il arrivé ensuite
Après que les fénianes furent tombés ?
139. Ossian.
Je vais te le dire, O Patrice !
Après avoir quitté Almhuin du Leinster
Il n’y eut pas une seule résidence où furent un jour les fénianes
Que je n’aie immédiatement fouillée avec l’ardeur du désespoir.
140. Alors que je traversai le val des grives (Gleann-an-Smoil)
Je vis là un grand rassemblement
Il y avait trois cents hommes et plus
Qui étaient devant moi dans la vallée.
141. Un homme dans la foule m’adressa la parole
Et me dit d’une voix forte :
L’homme. « Viens à notre secours O royal héros,
Et sors-nous de ce mauvais pas ».
142. Ossian.
J’allai les rejoindre aussitôt
Il y avait un gros bloc de marbre avec cette foule
Le poids de cette pierre dépassait leurs forces
Ils étaient incapables de la soulever.
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143. Ceux d’entre eux qui étaient sous la pierre
Étaient accablés
Par le poids de cette lourde charge,
Beaucoup d’entre eux avaient perdu connaissance.
144. L’homme.
Un des serviteurs parla
Et dit : O jeune champion royal,
Viens tout de suite soulager mes compagnons
Ou pas un d’entre eux n’en sortira vivant ! »
145. Ossian.
L’exploit dont tu parles maintenant est honteux
Vu le nombre d’hommes qui sont là,
Il serait impossible à la force de toute cette troupe
D’enlever très facilement cette pierre ?
146. Si Oscar fils d’Ossian était encore vivant,
Il saisirait cette pierre de sa main droite
Il la jetterait sur cette troupe,
Je ne mens pas en disant cela.
147. Je me penchai du côté droit
Pour saisir la pierre de ma main
Et en me servant de la force de mes bras
Je la mis à sept perches (peirse) de sa place.
148. À cause du poids de cette très grosse pierre,
La sangle d’or de l’étalon blanc se rompit
Et je me retrouvai aussitôt par terre
Bonn mo da cos air an m-ban
Les deux pieds touchant le sol de la prairie ???.
149. À peine avais-je mis pied à terre
Que l’étalon blanc prit peur
Il poursuivit son chemin
Et je me retrouvai alors cloué sur place, sans force, et sans connaissance.
150. Je perdis la vue
Ma prestance mon allure et mon éclat
Je fis un vieil homme pauvre et aveugle,
Sans force, sans mémoire, ignoré de tous.
151. O Patrice, voilà pour toi mon histoire
Telle qu’est m’est arrivée sans enjolivure aucune
Mon départ et mes pérégrinations détaillées
Puis mon retour de la Terre de Jouvence.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 37.
Chien bigle. Nous traduisons ainsi le terme gaélique gadan. Entre les « coin » et les « gadain », il devait sans doute exister des différences de spécialisation. Sur les techniques de chasse à courre au renard ou au cerf, voir Arrien.
Cavalier. Nous traduisons le terme gaélique marcac par cavalier tout simplement, mais il s’agit à l’origine d’un guerrier monté à cheval.
100
Périple. Nous traduisons ainsi le terme gaélique sceoil.
Sort. Nous traduisons ainsi le terme gaélique geasa qui apparaît si fréquemment dans ces histoires en tant qu’auxiliaire du destin.
Builleach de Dromloghac. Il s’agit en principe d’une personnification des forces négatives (Fomor en Irlande, Andernas sur le Continent). Ce qui est vraiment étonnant avec Comyn en effet c’est de voir à quel point il continue la tradition celtique d’Irlande en matière de description du paradis (le mot figure d’ailleurs en toute lettre à trois reprises dans le corps du poème sous la forme flaiteas, terme celtique qui signifie d’ailleurs originellement « souveraineté ») ; malgré la date assez tardive de son poème. Une seule explication possible. Il a eu accès à des sources aujourd’hui disparues. Comyn semble s’être nourri avant sa rédaction d’une abondante documentation sur le sujet ou alors de traditions orales encore existantes de son temps.
Branche à oghams. Nous traduisons ainsi le mot composé gaélique ogam-craob. Peut-être une sorte de stèle en bois.
Plur-na-mban. Ce nom signifie « fleur des femmes » en gaélique. Plur est un nom qui vient du vieux français.
Eirinn glais. La Verte Erin. La couleur verte est souvent associée à l’Irlande. Il est vrai que c’est un qualificatif qui va très bien à ce beau et fier pays. Ce que veut dire Niamh c’est que l’Irlande de cette époque-là n’est plus le pays qu’a connu Ossian durant son enfance. Le pays de son enfance a en quelque sorte disparu, il a été remplacé par un autre, et son peuple a aussi disparu, remplacé par un autre dans lequel il n’a plus sa place, toute sa place. Le pays de son enfance, est un continent à jamais englouti, englouti sous les crachats le dénigrement et le reniement ou le déni systématique ; et ce de par la propre impéritie de ses élites devenues natiopathes. Il sera comme exilé ou étranger dans son propre pays, le pays de ses ancêtres depuis des générations et des générations pourtant, puisque tout y aura changé (nouvelle religion, nouvelle langue, etc.) sans qu’il soit plus heureux pour autant.
Nous traduisons le terme irlandais ban par terre, mais ce mot désigne plus précisément ce qui caractérise justement la Verte Erin : les prairies les pâturages ou les prés.
Plus personne ne peut quoi que ce soit pour eux. Si c’est une allusion à l’éternité de l’enfer, rappelons à toutes fins utiles que selon les scholiastes de Lucain les druides n’y croyaient pas ! Il est vrai qu’eux ne prétendaient pas être une religion d’amour, mais une religion de la vérité ainsi que du bon sens.
Les tourments éternels de l’enfer… où es-tu dans tout ça Dieu clément et miséricordieux ???
Sept perches : environ 45 mètres.
O Patrice, voilà pour toi mon histoire. Il va de soi que tout comme dans le cas des quatre évangiles il ne s’agit nullement d’une fidèle et authentique relation des mémoires d’Ossian, mais d’une œuvre littéraire soigneusement travaillée. Michel Comyn a…
— soit beaucoup étudié toutes ces antiques légendes de son pays,
— soit été nourri ou bercé par elles durant son enfance.
De façon assez surprenante, un des meilleurs commentaires de ce poème de Comyn décrivant cet état de l’être que l’on désigne sous le nom de paradis est dû à la plume d’un Français du nom de Guy VINCENT.
Avant de lui céder la parole (il est assez sévère vis-à-vis du personnage de ce poème appelé Ossian) rappelons qu’il existait aussi des descriptions du paradis qui n’étaient pas destinées aux êtres humains de tempérament guerrier, mais aux êtres humains de tempérament plus intellectuel (disons moins hommes d’action) dont on trouve des traces dans les récits de Plutarque concernant de mystérieuses îles de l’Océan, qui font un peu penser aux terres pures du Bouddha nommé Amitabha (bouddhakshetra) que l’on trouve à l’autre bout du monde indo-européen.
101
On peut supposer aussi sans trop de témérité qu’il devait bien exister des descriptions du paradis adaptées à un auditoire plus spécialement composé de membres de la fonction productrice de richesses (paysans artisans, etc.).
Voire des récits destinés à un public plus féminin bien entendu.
Tous différant dans les détails, mais concordant sur l’essentiel.
La mésaventure finale d’Ossian montre bien néanmoins que ce paradis est un état de l’être et non un lieu puisqu’Ossian, ne devient pas un misérable vieillard tout de suite après être revenu en Irlande, seulement après y avoir mis pied à terre (involontairement d’ailleurs) au bout d’un certain temps.
Tant qu’il n’a pas touché le sol, son corps demeure dans la glorieuse et paradisiaque splendeur qui était la sienne dans la terre de Jouvence (vieux celtique Iovantu). La déchéance ne l’affecte qu’après qu’il a mis pied à terre. Son cheval magique ne lui servant plus alors d’écran protecteur entre lui et la terre.
102
EXÉGÈSE.
Qui est Ossian ? C’est un héros dont le nom orthographié Oisin, Usheen, ou Ucheen, peut renvoyer à une divinité du panthéon indo-européen. Zimmer, à la fin du XIXe, proposait de la rapprocher du nom des divins jumeaux hindous, les Asvins. Était-ce hypothèse étymologique ou propos comparatiste ? On ne sait trop, car la science n’avait point assez progressé en ces domaines à l’époque.
Ce que l’on peut affirmer de nos jours par contre, c’est que les Asvins sont des dieu-ou-démons de la troisième fonction, celle qui est plutôt tournée vers l’agriculture, la richesse, la fécondité ; celle qui est la plus ample et la plus confuse par rapport aux deux autres plus définies (juridico-religieuse et guerrière).
De prime abord, les rapports avec Ossian semblent faibles, mais dans le cas de son voyage vers le sid, certains traits pourraient concorder : Niamh, comme fille du soleil, l’accompagne ; leur cheval magique fend la mer ; au fur et à mesure de leur progression, l’univers s’éclaire, se couvre de richesse et de bonheur ; enfin, la chute finale d’Ossian n’est pas sans rappeler la légende grecque, autre avatar du même thème, celle des Dioscures, où l’un des deux jumeaux est mortel.
Reste, cependant, la difficulté majeure, c’est qu’Ossian est seul, et que les Asvins sont deux. Cela oblige à imaginer un processus où le mythe s’est perdu, où le dieu-ou-démon est devenu un héros ignorant de son destin, habité de deux tendances en lui, l’une vers l’Autre Monde, l’autre vers ce monde ci. Alors qu’à l’origine deux personnages différents représentaient cela.
L’hypothèse est gratuite et de toute façon, ce n’est pas en abordant ainsi le problème que l’on définira son éventuelle modernité.
Ossian peut-il être un archétype nouveau ? Le personnage ressuscité par Macpherson, et celui plus individuel qui atteint la Terre de Jeunesse. La légende elle-même prête à cette ambivalence, du héros guerrier obéissant à Vindos/Finn, son roi et père naturel, et du voyageur d’outre-monde rejoignant la belle Niamh.
Ces deux aspects d’Ossian ont trait à l’au-delà, d’une façon toute nostalgique, et influenceront profondément la littérature irlandaise.
À l’origine, Ossian fait partie d’un cycle de légendes où le caractère épique disparaît au profit du romanesque, appelé « cycle de Leinster », qui rassemble de nombreuses pièces datant du VIIIe au XVIIIe siècle, soit un total d’environ 80 000 vers. À cette permanence et à cette importance se greffe la peinture d’un âge d’or idéal ; autour d’un roi représentant toutes les qualités que l’on peut imaginer pour l’époque de la chevalerie médiévale, dès que la rêverie l’emporte sur le possible humain. Le roi Vindos/Finn est brave, mais aussi cultivé, en général droit et honnête (sauf dans le cas de l’histoire de Grannia et Diarmat, amants malheureux, comme Tristan et Yseult, dont ils sont peut-être les prototypes).
Toute une cour de preux l’entoure, dont les plus glorieux sont Ossian, son fils, Oscar son petit-fils, son héraut Caletios/Cailte, son bouffon Conan. Leur vie se passe à chasser, à livrer bataille (sa troupe prête et loue ses services), à festoyer, à une époque où le christianisme est encore inconnu en Irlande.
Dans l’ensemble des pièces composant ce cycle, il serait difficile de ne pas noter des différences d’inspiration, mais il s’en dégage une certaine atmosphère de regret ou de tristesse. Et ce, bien avant que le faussaire James Macpherson s’en soit emparé. Car le plus étrange réside dans ce fait souvent relevé : l’œuvre de Macpherson, quoique mystification littéraire, a suscité l’intérêt envers les légendes irlandaises, dont celles du Cycle de Leinster de toute évidence. Travaux érudits, vulgarisations, traductions et imitations, œuvres inspirées, vont se multiplier, connaîtront les faveurs d’un public enfin devenu nombreux. L’ossianisme était né, il s’étendit à toute l’Europe de 1760 à 1860 environ, où il sombre dans l’oubli.
Sous une forme multiple, il véhicule l’idée qu’autrefois fut un temps de sentiments extrêmes et puissants, de grandeurs oubliées, de destins tragiques. Qu’une cassure irrémédiable s’est produite avec cette époque, et qu’il ne reste qu’à regretter ou à pleurer ces moments. À moins que, mus par les mêmes douleurs que ces grands héros de jadis, nous retrouvions cette force originelle. Il y eut donc un mouvement artistique qui réussit à propulser vers les temps mythiques ce qui était un au-delà juxtaposé ou à venir. Comment cela put-il se produire ? Le XVIIIe siècle européen est marqué par le besoin de revenir à un « état de nature ». À un état primordial idéal qui rendrait à l’Homme ses vrais sentiments, avant le conditionnement opéré par la civilisation. Et qui le ferait se conformer à une droiture morale et politique essentielle au renversement des tyrannies. Que l’on soit classique ou
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tenant des Lumières, cela se traduit littérairement par une recherche de documents extraeuropéens (les « Sauvages » d’Amérique ou du Pacifique) ou d’une noble antiquité. Le critique classique y recherchera la preuve que les règles artistiques sont instinctivement appliquées, se retrouvent partout, même si l’on n’a pas été lecteur d’Aristote et de sa Poétique par exemple ; le moderne y verra l’indice d’une pureté originelle, d’une vérité première, et savourera les traits archaïques et exotiques comme d’augustes prémisses de beautés nouvelles édifiantes. Dans ce contexte, on comprendra que James Macpherson, Écossais en quête de fortune et de gloire, simple précepteur de son état, soumis à la pression d’hommes de lettres dont il attendait tout ; alors qu’il s’était vanté d’avoir connaissance de textes épiques de l’ancienne Écosse ; se trouva contraint de fabriquer lui-même des récits pour ne pas se dédire. Ou de faire passer ses compositions pour des traductions d’originaux. Et, devant le succès, de refuser d’avouer sa mystification et de préférer multiplier les défenses. De plus en plus intransigeant et méprisant à l’égard de ses détracteurs, il terminera d’ailleurs sa carrière dans des affaires boursières avec les Indes dont il tira de fructueux bénéfices. Mais Macpherson n’avait pas inventé à partir de rien : il se fondait sur des ballades gaéliques écossaises, possédait des sources souvent difficiles à déterminer, des traditions orales pour la plupart. Son génie fut de les adapter au goût de l’époque, aux caractères que l’on attendait d’une littérature épique ancienne, de fabriquer des faux qui sonnaient vrai, parce que le public avait cette idée de la vérité première. Van Tieghen, qui étudia tant l’influence d’Ossian, en vint même à supposer que James Macpherson avait dû s’inspirer d’un récit en gaélique déjà composé par son cousin Laclan et par lui-même. Ce qui expliquerait la rapidité de composition de son Ossian anglais. Mais outre ce fond celtique, comme le remarque ce critique, il faut observer chez Macpherson, une connaissance remarquable des procédés homériques (il entreprend même en 1773, une traduction de l’Iliade dans le même style qu’Ossian) et bibliques (le protestantisme écossais se retrouve là). Mesurer le succès de ses poèmes sur Ossian montrerait l’extraordinaire accueil de l’œuvre auprès d’esprits aussi éminents que Matthew Arnold, Napoléon, Goethe, etc., auxquels Macpherson lègue le maître mot du romantisme, c’est-à-dire la « mélancolie ». Car il est, sans doute, le pourvoyeur d’une nouvelle forme, d’un nouveau style, au service de sentiments très emphatiques. L’ossianisme n’est pas la forme d’un celtisme intemporel, mais celle que la littérature des pays celtes a choisi de prendre à un moment de son histoire, aux époques préromantique et romantique.
Au-delà des imitations que des auteurs irlandais firent, de l’œuvre de Macpherson, le plus important de cette mystification fut l’intérêt soudain porté par le public aux légendes irlandaises. Loin d’être écossais, Ossian s’enracine dans le monde irlandais, ce patrimoine extorqué, oublié, se trouve de la sorte réévalué, nécessitant ainsi une réhabilitation, des études, des recueils de traditions, etc.
Desmond Ryan, à propos des conséquences de l’ossianisme en terre irlandaise, pense que les Irlandais ont d’excellentes raisons d’éprouver de la gratitude à l’endroit de Macpherson. C’est lui, en effet, qui, le premier, a contribué à ramener la tradition gaélique dans la littérature européenne. De plus, malgré ses mystifications, ses confusions entre le premier ou le troisième siècle, il possédait une authentique étincelle de feu poétique. Toute une génération d’érudits, de poètes et d’artistes découvrait le trésor englouti d’une tradition ossianique au même moment où l’Europe, lassée des idées révolutionnaires françaises vouées au culte de la raison, cultivait un ressourcement dans les récits nationaux antiques. L’Irlande apportait sa quote-part dans l’élaboration d’un romantisme amoureux de l’Histoire, de l’étrange et du rêve. La mode d’Ossian lui fournissait la première pierre d’un renouveau littéraire national, qui devait affirmer son identité face à l’Angleterre. Comme dans tous les mouvements nationalistes, le premier effort d’une prise de conscience se constitua autour d’un passé que l’on tente de récupérer, de retrouver, ou de défendre. Ossian, en tant qu’œuvre, participe à ce processus, comme la chiquenaude qui permet une audience et que rien ne saurait dès lors arrêter.
Ces rappels historiques sur l’évolution des idées nous éloignent de notre notion de « l’au-delà ». Mais le travail opéré est le suivant : la légende du roi Vindos/Finn et de son héros appelé Ossian tient, à l’origine, d’une épopée romancée, où se conserve assez bien la façon de vivre païenne ; elle est déjà empreinte d’un sentiment de fin d’un monde inévitable, mais devant un contexte historique en déclin, le comportement des grands héros est de se raidir avec orgueil dans un présent menacé. Leur « au-delà » demeure celui des sidhe, des magiciens et des incantations funestes, des gessa ou interdits que nul ne doit transgresser. Vindos/Finn et ses compagnons ne sont pas encore mûrs pour devenir des robots adeptes du christianisme ; ils sentent vaguement qu’historiquement ils sont condamnés, mais les auteurs de ces récits ne visent nullement à les concilier avec la tradition chrétienne ; il n’y aura pas symbiose comme dans le cas des textes mythologiques ou d’autres textes épiques. Quel est le résultat de l’évocation macphersonienne ? Partageant les préjugés de son époque, Macpherson
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prive ses héros de tout sentiment religieux, de toute référence de cet ordre ; selon un athéisme clairement énoncé. Il est évident que l’on chercherait en vain dans ce cas un « au-delà » religieux. De même, l’espace où ont lieu ces joutes oratoires, ces lamentations héroïques, ces longues douleurs, est on ne peut plus neutre, privé de tous détails locaux reconnaissables, de qualités particulières comme de précisions matérielles. Il n’a qu’un faible degré d’existence en dehors de ces landes désolées, battues par les vents, hérissées de lourds rochers ou parsemées de tertres mortuaires. On découvre alors que cet espace infini, indéfini, situé nulle part, où les êtres humains sont de purs âme/esprits ou anaon (certes, malheureuses), à peine éclairé sauf par la lueur des étoiles ou d’une lune hâtive ; a toutes les spécificités d’un lieu pour « au-delà ». Ce qui était perçu, comme havre après la mort, ou île enchanteresse pour les vivants, et formait l’au-delà druidique, a été transféré au cadre des poèmes d’Ossian. C’est pourquoi il ne saurait y avoir un au-delà de l’au-delà. De plus, Macpherson a conçu le même projet d’affadissement des traits historiques, d’anéantissement du Temps, comme il se doit pour l’au-delà. Cela se passe autrefois, sans que l’on avance une date, tandis que la vie des personnages n’est faite que de tourments éternels, de tristesses sans fin, d’abandons inconsidérés, de souvenirs ressassés, etc. Que l’on considère un moment son œuvre comme la peinture assez orthodoxe de l’au-delà conventionnel, où le temps n’existe plus, où le lieu n’a plus de limite ; et l’on comprendra le succès de cette création qui proposait, mais aussi renouvelait, une image traditionnelle, enracinée culturellement, humainement préoccupante, dans une Europe prérévolutionnaire. Mais, à nos yeux, l’importance de Macpherson tient à cette laïcisation de l’au-delà qu’il opère en le renvoyant dans le passé. Plus n’est besoin d’espérer l’atteindre par une vie exemplaire, d’avoir la bonne fortune d’y être enlevé ; il ne reste que la nostalgie de son évocation, un sentiment tout aussi savoureux permettant les effusions lyriques, les reconstitutions historiques, les défis nationaux, l’ardeur collective pour un modèle de vie qui respectait la liberté ainsi que bien d’autres vertus.
Le mythe laïc et historique d’Ossian a une puissance émotive trop forte pour qu’il soit oublié, même si sa période de gloire est limitée (environ un siècle). On notera, cependant, que « l’au-delà » est au centre, en tant que concept, d’une renaissance de la littérature irlandaise. Notre seule réserve viendrait du fait que rien n’en assure pour autant la modernité, en dépit de son éloignement de la sphère religieuse et de son service rendu à l’Histoire (surtout nationaliste). Cet au-delà né d’une supercherie, ne résiste nullement à l’étude historique dont il a promu le mouvement ; il est centré sur lui-même, traversé de sentiments égocentriques, excessifs, voués à la souffrance, et au culte des êtres disparus. Un tel centrage auto – référent, se célébrant avec lyrisme, s’il s’affirmait détaché de tout, sans supporter un Sens ou un Immanent Absolu, pourrait être moderne ; mais il se pose comme un mythe d’origine (celui d’une Humanité adonnée à la seule vérité de ses sentiments et victime de fatalités propres à leur épanchement). Son plus beau fleuron est dans cette mode commune, l’ossianisme, que se partage l’Europe, et qui provoque un regain d’intérêt pour les littératures anciennes, populaires, et marginales.
En fait, puisque malgré une laïcisation qui le met à la mode, l’au-delà s’inscrit peu comme la marque d’une modernité, que l’on définirait par l’absence acceptée ou célébrée ; il convient d’étudier en quoi Ossian, cette fois-ci considéré comme un voyageur du « sid », possède les traits du héros moderne. À l’intérieur du corpus ossianique, il est des textes où, comme Bran le navigateur, Ossian voyage vers l’au-delà, y séjourne et en revient. Comme Nechtan, le compagnon de Bran, qui descendit sur le rivage et tombait en poussière, après un séjour dans l’île Fortunée qui avait duré des siècles sans qu’il s’en rende compte ; Ossian revient en Irlande, descend de son cheval, et sent le poids des ans s’abattre sur ses épaules. Cela lui permet d’avoir un jugement très critique à l’égard de cette époque nouvelle et de rencontrer saint Patrice dont il n’approuve guère l’œuvre d’évangélisation.
Il n’empêche que son héros national « Ossian » ne semble pas porteur d’un pouvoir mythique digne d’un Robinson. Ou bien, il nous resterait à rêver qu’il soit le nouveau Perceval dont le poète attend la venue. T.S. Eliot, dans sa « Terre Gaste » a formulé le vrai mythe de la culture moderne, à savoir que cette terre désolée représente le réel au charme tari, aux essences en fuite, un « réel réalisé ou abouti ». Comme le poète le suppose, on peut craindre que ce désenchantement ne nuise à l’Homme et ne l’étouffe. Aussi, le Perceval en nous d’une conscience à venir, n’aurait plus à se demander ce que sont les choses ou les êtres. Mais pourquoi ils sont dans ce lieu que nous tenons pour le nôtre, et quelle obscure réponse ils réservent à notre voix ? Il aurait à s’étonner du hasard qui les fait apparaître, il aurait soudain à les voir. C’est à un « cortège du Graal », que le héros poète est convié, nommant les objets, transmutant l’abouti en possible, le souvenir en expectative, l’espace désert en cheminement, car il en va là de tout notre espoir. Une nouvelle demeure, un vrai lieu, nous attendent dans ce réel enfin ouvert. Cela signifierait qu’après une période, où la modernité s’est définie comme une table rase, une destruction, elle pourrait inaugurer une nouvelle interrogation du monde. Non pas pour le restaurer comme il était, mais pour lui rendre une présence, l’annonce permanente d’un
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arrière-pays, proche et insaisissable, ou bien pour le définir comme propre à nous aider face au surgissement de l’inattendu. En tant que nouveau Perceval, Ossian a-t-il des chances plus grandes de dépasser le conflit du classicisme et du modernisme, de fonder une « surmodernité » ?
Michaël Comyn reprend un aspect bien particulier de la légende ossianique – que Macpherson ignore pour les raisons exprimées plus haut —. Celui où le héros abandonne son roi pour rejoindre une très belle femme, fille du roi de l’Autre Monde, qui l’invite par amour à l’épouser, là-bas, dans son royaume. Le thème ressemblerait fort à un conte de fées s’il n’y avait une fin plus curieuse : Ossian désire rentrer chez lui, ne serait-ce qu’un bref moment ; mais son retour s’accompagne d’un vieillissement soudain et de la rencontre avec saint Patrice. Le temps a passé irrémédiablement. Le poème de Comyn comporte 159 quatrains de vers de neuf syllabes en langue gaélique ; sa première traduction en langue anglaise est faite en 1859 par O’Luanaigh, puis reprise sans date apparente au début de ce siècle par O’Daly.
L’on ne saurait donc oublier cet autre versant de la figure d’Ossian ! Outre le guerrier mythique ou macphersonnien, il y a cette image du navigateur aimé bien que malchanceux. Et le lien entre les deux semble s’établir dans les consciences au niveau d’un type héroïque disparu, mais immortel, si bien qu’une explication pour la « sortie » du guerrier de la scène historique se fonde sur un séjour dans les Îles Fortunées. C’est un mécanisme observable ailleurs où tel roi portugais battu par les Mores se réfugie à en croire la légende, sur l’Île aux Sept Cités en Atlantique, où le roi Arthur lui-même disparaît pour régner sur un pays invisible, etc. Chacun de ces héros pouvant un jour revenir pour rétablir un nouvel âge d’or. Ossian lui aussi en revenant suit donc un schéma mythique courant, quoique tout aille à rebours du processus normal ; plus personne ne l’attend ; à peine se souvient-on de lui ; les valeurs guerrières qu’il incarne sont en voie d’extinction ; le héros est seul, sans personne pour l’admirer, méprisé dans sa morale, voué à l’Enfer s’il ne se convertit pas… Bref, un retour sans gloire qui s’accompagne d’une double perte que rend bien le poème de Comyn ; il ne peut plus revenir sur la Terre de Jouvence où vivent sa femme et ses deux enfants (c’est un monde à jamais fermé ou inaccessible) ; il ne peut pas non plus vivre comme autrefois, glorieux et puissant, à la cour de son roi mort et enterré. Ce destin malheureux où prime l’idée d’écroulement a de quoi charmer une conscience moderne, relativiste ou nostalgique. Mais visiblement, il a peu attiré les créateurs (en dehors de Yeats) comme si cet aspect n’était pas suffisant. Serait-ce en raison de son conflit avec saint Patrice, qui tient de l’opposition gratuite, de la rhétorique ou bien d’une conception de l’au-delà non renouvelée, d’une croyance en son existence difficilement soutenable ? Néanmoins, entre l’image stéréotypée donnée par Macpherson, et l’image attendue pour un goût moderne, cette manière de voir Ossian ne manque pas d’intérêt. En effet, Macpherson recrée un centre mythique (laïc, historicisé) qui attire et influence les artistes et le public, ce qui est le propre de tout « au-delà », conçu comme une objectivité proposée à nos consciences. D’un autre côté, la négation de tout centre conduit chaque œuvre à combler ce vide créé, à tenter de donner du sens à un monde qui en est dépourvu, selon la critique moderne. Si bien que chaque œuvre est un « au-delà » tenté et factice. Mais l’on pourrait soutenir que la démarche d’Ossian souffre d’une autre originalité. Son désarroi provient du passage d’un centre mythique qui n’existe plus, à un autre qui apparaît, d’un monde qui ne fait plus sens à une rêverie en cours dont il se méfie quelque peu. Comyn nous fournit là de quoi comprendre ce qui a pu attirer un grand poète comme Yeats à l’égard d’Ossian, et ce, malgré Macpherson pourrait-on dire.
Il n’est pas certain que Yeats ait lu Comyn ou son traducteur avant de composer les Errances d’Oisin, ce long poème divisé en trois parties, où il posait les prémisses d’un art encore novice et non reconnu. Mais, comme Comyn, Yeats paraît scruter un « au-delà » intérieur, fait de rêves et de désirs, dans sa description des îles de la Jeunesse, un au-delà auquel on peut attribuer la valeur cette fois-ci très moderne, d’inconscient. Mais là encore, l’au-delà irlandais se coule mal dans cette nouvelle forme d’objectivité contemporaine. Rappelons que dans les textes mythologiques, il ne révélait guère les théories sur l’âme ou l’esprit des très-sachants de la druidiaction (druidecht) ; que dans l’ossianisme, il était peu fiable ou du moins contestable. Pourtant, sa permanence, au sein des Lettres irlandaises, est évidente, non par une influence qui se traduirait par des imitations, transpositions, suites ou autres genres annexes, mais par sa résurgence aux moments critiques de tension : époque de christianisation, de missions lointaines, de révolte nationale. Moments critiques au sens propre du terme, où un jugement nouveau doit être construit face à des faits contraires et des tendances opposées.
L’œuvre de Yeats affirme les traits d’Ossian que le poème de Comyn annonçait. Il en accentue la part du rêve et le refus final de toute conversion, mais ces deux aspects ne sont pas mis sur un pied
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d’égalité par la critique. Plus la critique est ancienne, plus la fidélité d’Ossian au paganisme est relevée, comme le gage d’une recherche de la pureté première menée par le poète.
Ni les exhortations ni les menaces de saint Patrice, le grand évangélisateur de l’Irlande, ne détournent Ossian, vieilli, de sa fidélité à l’ordre païen. Malgré le tableau le plus affreux de l’enfer et des tortures qui l’attendent, il renonce au paradis que lui promet le saint. Puisqu’il n’y trouvera ni Vindos/Finn, son père, ni Oscar, son fils bien aimé, ni Caletios/Cailte, ni Conan, ni les beaux lévriers Bran, Sgeolan, et Lomair. La richesse des rimes et la splendeur verbale sont ici au service d’une exubérance d’imagination, qui tantôt galope sur les mers laiteuses, tantôt s’attarde dans les Îles de l’Éternelle Jeunesse ; suivant de près les données légendaires, mais leur ajoutant une somptueuse délicatesse de détails, brodant autour d’elles mille inventions exquises.
Outre cette dernière phrase, qui mérite d’être citée pour sa justesse concernant l’invention verbale de Yeats, il demeure le portrait d’un Ossian devenu en l’occurrence Usheen (plus archaïque) « rétrograde » ou « récalcitrant », guère enclin à aimer son temps, somme toute réactionnaire. S’il fallait s’en tenir là, nous dirions que le héros de l’au-delà, bien loin d’être à l’intersection des problèmes d’une époque, se réfugie ailleurs ; ce qui condamnerait notre thèse, laquelle suppose et espère que la notion d’au-delà soit le début d’une tierce solution, d’une invention produisant une issue hors des ornières dialectiques.
Heureusement, le rapport qu’Ossian ou Usheen entretient avec Niamh, princesse féerique d’un univers où l’eau domine comme élément symbolique primaire, en a tenté plus d’un pour une interprétation psychanalytique. À la fois amante, dame inspiratrice et mère, Niamh représente un danger pour Usheen, si l’on en croit l’interprétation de C. Joseph dont nous nous servirons à titre d’exemple. C’est à une « plongée dans les profondeurs subjectives » que nous sommes conviés. Grâce au thème de l’eau dont la plasticité, la sphéricité (englobant majeur), le changement de forme et la répulsion qu’elle exerce, sont fort semblables à une description des désirs exotiques et glorieux ; des rêveries, des inquiétudes de l’adolescent devant la femme. Ossian a pour « au-delà » la projection immédiate de son inconscient, des interdits transgressés ainsi que des pulsions naturelles cherchant à s’extérioriser. Plus actuelle encore est la figure qui se dessine du héros en fin d’aventures. La quête du héros se termine donc sur un échec, et qui plus est sur une déchéance, concrétisée du reste par sa condition physique… Chacune des tentatives que fait Usheen pour trouver le bonheur auprès des immortels s’est soldée par une plus grande désillusion – au sens étymologique du terme – sans aucune compensation, car le rappel de la réalité terrestre a été fui aussitôt que perçu. Usheen n’a tenté à aucun moment d’en approfondir le sens. En toutes circonstances, il est resté passif. Cette absence de volonté, cette abdication devant la réalité, ce côté féminin aux dires de notre critique, le rendent proche du type tellement apprécié de « l’antihéros » ballotté au gré des événements. Quoiqu’il manque à Usheen un dernier point pour achever le portrait, c’est-à-dire une complète immersion dans le quotidien qu’il refuse. Il en ressort que le conflit entre christianisme et paganisme s’estompe aux yeux du critique et du lecteur contemporain ; pour que surgisse une autre problématique fondée sur le rôle et l’importance de l’inconscient, sur la place que l’on doit lui laisser. Afin de réussir correctement sa vie ou éviter quelques frustrations et complexes difficiles à résoudre. Il est exact que dans l’œuvre de Yeats, le « père » est radicalement absent.
Mais cette interprétation, possible en soi, gêne en ce sens qu’un système extérieur est appliqué à un processus interne. À quoi bon mobiliser un héros légendaire pour illustrer une théorie que servent déjà de nombreux autres personnages mythiques ? Le symbolisme de Yeats est trop prononcé ou conscient pour que son poème soit totalement du côté du rêve et de l’inconscient. La symbolique est une partie très élaborée de l’imaginaire, et tient de l’ordre hiérarchisé ou progressif. De sorte que l’allure fantasque et décousue du rêve, même porteur de symboles sexuels, ne saurait se comparer à ce travail formel, que l’on pourrait définir comme « imaginal » ; en raison d’une structuration codifiée, voire universelle (de l’ordre de la perception par l’esprit).
Les Éditions en ligne Caracâra. Les Éditions en ligne Caracâra du site utqueant. org publient des travaux de recherche consacrés à diverses œuvres littéraires à partir de méthodes nouvelles.
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LE COLLOQUE OU DIALOGUE DES ANCIENS.
Acallam na Senorach.
Contre-lai (commentaire) néo-druidique N° 38.
Compilation contenant des centaines d’histoires ou de poèmes (lais) sur l’origine des noms de lieux d’Irlande ; conservée dans un manuscrit datant du XVIe siècle, mais probablement composé vers la fin du XIIe. Certains de ces lais remontent d’ailleurs sans doute encore plus loin dans le temps.
Chaque fois qu’il arrive devant un château, une route, une forêt, ou une rivière, dont saint Patrice ignore tout, Cailté/Caletios lui raconte les hauts faits de ses anciens compagnons s’étant déroulés à cet endroit. Batailles, chasses et banquets, voire même voyages dans l’Autre Monde. Ce sont les deux prêtres de saint Patrice, lui servant de scribes, qui sont censés avoir noté toutes ces aventures.
La rencontre avec Patrice n’a évidemment jamais pu avoir lieu, Vindos/Finn, Ossian et Cailte/Caletios, ayant vécu au IIIe siècle et Patrice au Ve.
Tout comme pour le lai d’Ossian dans la terre de Jouvence (Iovantu en vieux celtique), faire intervenir saint Patrice dans tout cela n’est donc qu’un procédé littéraire. Au demeurant saisissant ! Saint Patrice commence par reculer devant l’évocation de toutes ces légendes païennes, mais deux anges lui apparaissent un soir et lui demandent de les noter quand même.
Le fait même que ce texte est encadré, et par un prologue et par un épilogue, prouve à l’évidence qu’il s’agit d’une œuvre littéraire soigneusement travaillée (voir par exemple les considérations sur la taille des Fénianes), malgré sa poignante nostalgie ! D’où son succès dans l’Europe du XVIIIe siècle, de Macpherson à Napoléon ! Et non d’une simple collection de faits divers.
L’épilogue ne nous a pas été conservé en entier, mais vu la longueur de ce qui en reste, on peut présumer que la partie manquante ne devait pas être très importante.
N.B. Ce récit ne concorde guère avec celui qui précède en ce qui concerne la fin d’Ossian (le lai d’Ossian dans la Terre de Jouvence), mais peu importe, à la différence des juifs des chrétiens des musulmans nous autres païens d’esprit celte ou néo-druides nous n’avons jamais prétendu que tout cela était de l’histoire ; nous avons au contraire toujours prétendu que c’était du mythe, c’est à dire une matière à réflexion comme aurait pu dire John Toland. Si on ne veut pas mourir idiot.
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PROLOGUE.
Quand la bataille de Commar, la bataille de Gabra et la bataille d’Ollarba, eurent été livrées, après que les Fénianes eurent pour la plupart disparu, les débris qui restaient de leur armée se dispersèrent en petites bandes et compagnies dans toute l’Irlande, jusqu’à ce que, à l’époque qui nous concerne, il n’en reste plus aucun à part deux bons guerriers parmi les derniers fénianes : Ossian fils de Vindos/Finn et Cailté/Caletios fils de Crunnchu fils de Ronan (dont la robuste vigueur et la force au lancer de javelot étaient sur le déclin désormais) ainsi qu’un certain nombre de guerriers comme eux, deux fois neuf en tout. Ces deux fois neuf guerriers sortirent des confins boisés en fleurs de la montagne de Fuat et pénétrèrent dans Lughbarta Bana, qu’on appelle aujourd’hui Lughmagh et où, à la survenue des nuages du soir cette nuit-là, ils se retrouvèrent avec beaucoup de vague à l’âme et découragés.
Caletios/Cailte dit à Ossian alors : « Et bien maintenant, Ossian, quel chemin allons-nous prendre ce soit avant la fin du jour afin de trouver de quoi être hébergés cette nuit ?
Ossian répondit : « Je ne sais pas, vu que des vétérans et des gens de Vindos/Finn de naguère il n’en reste plus que trois, moi et toi, Caletios/Cailte, ainsi que dame Camha, la gardienne qui, depuis qu’il était enfant jusqu’au jour de sa mort, a pris soin de Vindos/Finn fils de Camulos/Cumall ».
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Caletios/Cailté répondit : « Alors nous avons droit au gîte et au couvert de sa part pour cette nuit, car il est impossible de récapituler ou de montrer la quantité phénoménale de choses précieuses et de trésors que Vindos/Finn le capitaine des Fénianes, lui a donnée, notamment la troisième des choses de valeur que Vindos/Finn ait jamais acquises : à savoir Anghalach, la corne à boire que Moriath la fille du roi de Grèce avait donnée à Vindos/Finn avant qu’il n’en gratifie à son tour Camha.
Camha leur accorda donc l’hospitalité pour cette nuit-là ; elle demanda leur nom et en les entendant versa des torrents de larmes ; ensuite elle et eux-mêmes s’enquirent des nouvelles les uns des autres. Ensuite ils entrèrent dans l’appartement qui avait été préparé pour eux, et Dame Camha ordonna qu’on leur serve de quoi les restaurer : à savoir que la plus fraîche de toutes les sortes de viande pouvant exister ainsi que les plus vieux breuvages de toutes sortes de boissons leur soient donnés, car elle savait ce qu’il leur fallait comme nourriture. Elle savait aussi quelle quantité il avait maintes fois fallu auparavant pour rassasier Ossian et Caletios/ Cailte. Elle se leva lentement et avec difficulté pour aller parler avec eux des Fénianes et de Vindos/Finn fils de Camulos/Cumall ; elle s’entretint aussi d’Oscar le fils d’Ossian, du fils de Lugach, de la bataille de Gabra entre autres sujets ; et à cause de cela pour finir un grand silence se fit autour d’eux.
Puis Caletios/Cailte soupira : « il n’y a pas maintenant pour nous de sujets plus douloureux que la façon dont nous autres les deux fois neuf survivants de cette grande et bonne compagnie, nous devons nous séparer ou partir chacun de son côté »
Et à cela Ossian répondit : « dar mo bhréithir ámh, ní fhuil indum-sa níth ná nertt ina n-deaghaid-sin ». « Par ma foi et en vérité combats et puissance sont finis pour moi, il n’en est plus question ».
Bien que ces guerriers eussent tous été d’intrépides braves, là néanmoins avec dame Camha ils pleurèrent de tristesse et de chagrin, accablés.
On leur servit ce qu’il fallait de viande et de boisson, ils restèrent là pendant trois jours et trois nuits, ensuite ils firent leurs adieux à Camha, et Ossian lui déclara :
« Camha est aujourd’hui pétrie de douleur :
Elle en est venue au point où elle doit marcher à petits pas ???
Camha est désormais sans fils ni petit fils
Il vient de lui arriver qu’elle est désormais vieille et accablée par les ans ».
Ils sortirent de la maison, et là dans l’herbe qui l’entourait, ils prirent une résolution qui était la suivante : se disperser, mais cette séparation les uns des autres fut un crève-cœur qui leur fendit l’âme. Mais c’est ce qu’ils firent néanmoins, car Ossian partit pour le sidh d’Ucht Cleitig où demeurait sa mère : Blai fille de Derc l’éloquent ; pendant que Caletios/Cailte poursuivait sa route jusqu’à l’estuaire de Bec l’Exilé [que l’on appelle aujourd’hui Maninistir Droichid Atha c’est-à-dire le monastère de Drogheda] appelé ainsi à cause du fait que Bec fils d’Arist s’y était noyé, à savoir le fils du roi des Romains, qui était venu pour envahir l’Irlande ; mais un raz de marée l’avait noyé dans l’estuaire. Il se rendit ensuite à Linn Feic c’est-à-dire sur les bords du plan d’eau de Fiac, le long de la Boinne aux flots lumineux, vers le sud par l’antique plaine de Bregia, et jusqu’à la forteresse de Drumderg où se trouvait Patrice fils de Calpurnius.
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 39.
Dame Camha. Nous traduisons par « Dame » le terme gaélique « bhanfhlaith ».
Marcher à tout petits pas. Nous traduisons ainsi le terme gaélique snamha qui signifie littéralement « nager ».
Blai. La mère d’Ossian a un nom différent dans les autres épisodes : Sadv.
Bec l’Exilé. Il y a peut-être eu des tentatives avortées de débarquement romain ou d’alliés des Romains, en Irlande, mais cet Arist roi des Romains est inconnu au bataillon. C’est évidemment une invention rendue possible par la sous-culture chrétienne de l’époque. Notre religion à nous n’étant qu’une religion de la vérité, il fallait que cela soit dit.
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Chapitre I.
Patrice chantait juste à ce moment-là le canon de la messe, louait le Créateur, prononçait des bénédictions sur le château où avait été [enterré ??] Vindos/Finn fils de Camulos/Cumall, à savoir la forteresse de Drumderg. Les clercs aperçurent Caletios/Cailte avec sa bande arriver près d’eux ; et la peur s’empara d’eux à la vue de ces hommes de grande taille accompagnés de leurs énormes chiens-loups, car ce n’étaient pas des hommes de la même époque ou du même âge que le clergé.
Patrice fils de Calpurnius, cet homme distingué par le Ciel, ce pilier de dignité, cet ange envoyé sur terre, apôtre des Gaëls, se leva et pris son goupillon afin d’asperger d’eau bénite ces géants ; sur qui avaient flotté jusqu’à ce jour des milliers de légions de démons. Et alors ces démons s’éparpillèrent dans toutes les directions et dans les collines ainsi que dans les anfractuosités rocheuses ou dans les confins de la région et du pays, après quoi ces hommes immenses s’assirent.
« Bon et bien maintenant », dit Patrice à Caletios/Cailte, « quel est ton nom ? »
« Je suis Caletios/Cailte fils de Crunnchu fils de Ronan ».
Les clercs furent un long moment à s’émerveiller en les dévisageant ; car le plus grand d’entre eux atteignait à peine la ceinture ou l’épaule de n’importe lequel d’entre eux bien qu’ils soient assis.
Patrice ajouta : « Caletios/Cailte, je solliciterai volontiers une faveur de ta part ».
Il répondit : « Si c’est en mon pouvoir et ne dépend que de moi, tu l’auras ; en tout cas, dis-moi quoi ! »
« Avoir ici dans les environs une source d’eau pure, avec laquelle je pourrais baptiser les gens de Bregia, de Midhe, et d’Usnech ».
« Noble et saint homme », répondit Caletios/Cailte, « j’ai ce qu’il te faut », et ils sortirent de la forteresse en en franchissant les circonvallations ; il prit Patrice par la main et juste devant eux ils virent une source d’eau pétillante et limpide qui coulait. Ils furent émerveillés par la hauteur et l’épaisseur du cresson et de la véronique ? (fhochluchta) qui poussait tout autour ; puis Caletios/Cailte commença de lui vanter sa réputation et ses qualités, en lui chantant le lai suivant :
« O source de Traig da bhan (de la grève des deux femmes)
Tes touffes de cresson sont luxuriantes !
Depuis que tes produits sont négligés,
Ta véronique en a profité pour se multiplier.
À quelque distance de tes berges on peut voir des truites,
Tes sangliers dans les fourrés
Les daims de tes belles chasses sur les rochers
Tes faons au poitrail brun tacheté
Les branches de tes arbres ployant sous le poids des glands
Ton poisson dans l’estuaire de ta rivière
Admirables sont les couleurs de tes arums
Ô toi qui es couleur d’azur et toujours verte.
Les fénianes ont délaissé tes rives
Quand le généreux Coinchenn a été tué
Quand la compagnie de Vindos/Finn a été massacrée
Le matin au-dessus de Maelglenn.
Est parti également de tes rives un jour Fothad des banquets
Un guerrier accablé de douleur
Il a trouvé sa tombe à l’est
En étant tué à la bataille de Clarach.
Blai est venue à ta fontaine
La fille de Derg l’éloquent
Avec des cris de lamentation et des pleurs
Après la bataille de Confaite
Après le massacre des chiens et des hommes,
Après les blessures infligées à nos brillants guerriers
On a entendu le cri de Garad dans la nuit près de cette source ».
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« C’est très bien », dit Patrice, « notre dîner ainsi que nos provisions sont-ils arrivés ? »
« Oui » répondit l’évêque Sechnall.
« Alors distribue-les », ajouta Patrice, et qu’une moitié en soit donnée à ces neuf grands guerriers-là, ultimes rescapés des fénianes ».
Alors son évêque ses prêtres et ses chanteurs de psaumes se levèrent et bénirent la viande, et ils eurent à satiété de la viande et des boissons pour le plus grand bien de leur âme.
Patrice ajouta ensuite : « N’était-ce pas un bon seigneur que celui au service de qui vous étiez ; à savoir Vindos/Finn fils de Camulos/Cumal ?
Sur ce Caletios/ Cailte lui rendit l’hommage suivant :
« Même si les feuilles mortes que les arbres laissent tomber avaient été en or
Et les flots de l’océan d’argent, Vindos/Finn les auraient distribués tout autour de lui ».
« Qui ou quoi vous maintenait ainsi en vie ? demanda Patrice ; et Caletios/Cailte répondit : « Fírinde inár croidhedhaibh & nertt inár lámhaibh, & comall inár tengthaibh » « la vérité dans nos cœurs, la force dans nos bras, et l’art de bien parler »
… suivent après cela de nombreuses pages d’anecdotes diverses…
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 40.
Des milliers de légions de démons. L’éternel et bête racisme du judéo-christianisme. Dès qu’on ne partage pas leur culte, on est forcément « démoniaque ». Par contre que de viles flagorneries en ce qui concerne la personne même de saint Patrice qui ne fut pourtant qu’un homme et pas des meilleurs à en croire sa propre confession.
Anfractuosités rocheuses. Nous traduisons ainsi le terme gaélique scalpaibh.
Compagnie. Nous traduisons de la sorte ici le terme gaélique fian.
Bras. Nous traduisons làmhaibh par « bras », mais le sens « mains » est aussi possible.
Le bien parler. Nous traduisons ainsi le terme gaélique tengtha mais il signifie également tout simplement « langue ». Quant à l’art de bien parler, nous renvoyons au célèbre « et argute loqui » de Caton, à propos des Celtes. Même si certains critiques, s’appuyant sur l’autorité de Polybe, préfèrent y lire « et agriculturam ».
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ÉPILOGUE.
Ensuite Caletios/Cailte ainsi qu’Ossian se rendirent à Tara, rencontrer les hommes d’Irlande, et les ollams (docteurs) notèrent tout ce qu’ils dirent.
« Que victoire et bénédiction vous récompensent, nobles sires », dirent les hommes d’Irlande. Bien qu’il n’y ait dans tout le pays pas d’autres connaissances ou sciences que celles que vous nous avez léguées, il se trouve qu’il aurait pourtant été nécessaire de rassembler tous les hommes vivants de la Verte Erin en un même lieu pour l’avoir.
Puis Cascorach se leva et dit : « Mon très cher Caletios/Cailte, il est désormais temps pour moi de partir ; que la bénédiction due par chaque élève (dalta) dorénavant soit sur toi ». « Et que repose sur toi la bénédiction due par tout précepteur ayant eu cette charge », répondit Caletios/Cailte, « car de tous ceux que j’aie jamais entendus tu es celui qui excelles le plus dans cet art ».
Le roi Dermott ajouta : « je te confère le doctorat suprême (ollamnacht) d’Irlande aussi longtemps que je règnerai sur elle ».
Ce fut alors précisément à ce moment-là que les trois fois neuf des survivants des fénianes qui avaient suivi Caletios/Cailte sortirent à l’ouest de Tara. Ils réalisèrent et remarquèrent bien qu’ils
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manquaient désormais totalement de vigueur, d’allant et de force, qu’on ne leur accordait plus aucune attention ni respect voire qu’on ne leur adressait même plus la parole. Ils s’allongèrent alors sur les flancs de la colline couchés face contre terre et moururent en ce lieu. Ils furent inhumés sous cette terre et « colline des neuvaines » fut désormais le nom de cette hauteur appelée ainsi d’après eux.
« Quel malheur que tout cela », s’exclama Ossian : « c’étaient les derniers vétérans survivants de la grande et vaillante compagnie que Vindos/Finn et nous-mêmes commandions.
Les anciens ce jour-là furent tristes et peinés pour ces trois fois neuf hommes, en voyant que des trois bataillons de fénianes n’avaient survécu que Caletios/Cailte Ossian et les susdites neuvaines. Les hommes d’Irlande gardèrent tous le plus profond silence, pas un d’entre eux n’adressa la parole à son voisin, tellement ils étaient frappés par la douleur que montraient leurs aînés pour les fénianes et leurs hommes. Ensuite Ossian demanda :
« Y a-t-il quelqu’un ici qui puisse dire (même s’il n’est pas lettré ou fait partie des petites gens)
Où la coupe de Vindos/Finn a été abandonnée dans la Vallée tordue (Cromglenn) » ?
« À part aujourd’hui », répondit Caletios/Cailte, « il n’y a jamais eu un jour où je n’aurais pu sans difficulté en parler avec toi, Ossian, et il ajouta :
« Il y a ici quelqu’un qui peut dire où Vindos/Finn a tourné à droite ;
L’endroit de la vallée verte qui n’est plus, car un voile magique (feth fithnais) l’a dissimulé à nos yeux ».
Ossian cecinit.
« Y a-t-il ici quelqu’un qui puisse dire (même s’il n’est pas lettré ou fait partie des petites gens)
Qui a mis la tête du beau Currach sur la colline qui domine la grève de Bodamar ? »
« C’est toi qui as pris la tête », répondit Caletios/Cailte, ton père qui l’a blessé en premier, moi qui l’ai enfermé dans la colline au-dessus de lui ».
Caletios/Cailte dixit.
« Après la décapitation j’ai apporté la tête sur la colline qui domine la grève de Bodamar ;
Elle y est depuis lors, et repose au sein de la colline ».
Ossian demanda : « te rappelles-tu aussi, mon très cher Caletios/Cailte qui au-dessus de la passe de Gabhra un matin a effectué un lancer de javelot sur Goll le borgne fils de Morna ?
« C’est moi » répondit Caletios/Cailte, qui ai jeté ce javelot sur lui ; il a percé le casque d’or qu’il avait sur la tête, et arraché un morceau de sa chair aussi gros que l’épaisseur de sa hampe ».
« Mais cela fut fièrement supporté par lui », répondit Ossian ; « aussi grand qu’ait été le coup, il a remis son casque et pris ses armes dans la main, et a crié à ses frères qu’il ne sentait pas le moins du monde gêné (raibe ?) ».
Ensuite Ossian demanda :
« Y a-t-il ici quelqu’un qui puisse dire (même s’il n’est pas lettré ou fait partie des petites gens)
Qui a donc abattu Goll dans la passe de Gabhra ? »
Caletios/Cailte répondit :
« J’ai lancé le javelot mon bel Ossian,
Le coup décisif (mor-cruaid ?) sur le fils de Morna ».
Alors le roi d’Irlande leur demanda : « qui a tué Cairpre Lifechar fils de Cormac à l’occasion de la bataille de Gabhra ? »
« Le fils d’Ossian, Oscar, c’est lui qui l’a tué, répondit Caletios/Cailte.
« L’exacte vérité en ce domaine est que ce fut lui le meilleur » répondit Ossian.
« Qui ensuite a-t-il massacré ? » demanda Dermot.
« Orlamh le roi des Fotharta dans le sud : un guerrier bien aimé qui était avec moi, et avec mon père avant.
« Et Oscar » poursuivit le roi, « qui l’a tué ? »
« Un seul coup du javelot lancé par Cairpre Lifechar le fils de Cormac ».
Et Ossian récita les vers suivants :
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« Orlamh, le fils du roi des Fotharta, n’était pas un tendre,
C’était le frère de Bronach, le fléau de Cairpre Lifechar ».
« Et le fils de Lughach : qui l’a tué lors de cette même bataille ? »
« Bresal fils d’Eirge, fils du roi des Gaëls étrangers venu ici, c’était le chef de la maisonnée du roi d’Irlande ».
Cette nuit-là fut la dernière du festin de Tara, et ils la passèrent en banquets ou plaisirs divers ; le lendemain matin tout le monde se leva.
Ensuite les hommes d’Irlande se séparèrent pour retourner dans leurs provinces respectives, chacun à l’intérieur de ses frontières et dans son siège ancestral. Le roi d’Irlande s’en alla de même et se rendit à a pierre des druides située au nord-est de Tara. Bebhionn la fille d’Alasc fils d’Angus, roi d’Écosse, était sa femme alors ; il lui parla et ce qu’il lui dit fut ceci : « J’ai l’intention de procéder à ma grande tournée d’inspection de l’Irlande, et mon vœu est que tu restes à Tara pour t’occuper des anciens afin qu’aucun homme d’Irlande ne puisse me faire de reproche ou de remarque à ce sujet ».
La reine répondit : « Il en sera fait comme tu l’auras voulu et qu’eux même l’auront dit, afin qu’il en soit fait selon leur bon plaisir ».
Ensuite le roi et la reine entrèrent tous deux dans la maison dans laquelle les vétérans fénianes, Ossian et Cailté, se trouvaient, puis le roi leur expliqua [ce qu’il avait décidé de faire]. Mais de caractère Ossian était le plus modeste des hommes d’Irlande, et il répondit : « Il ne doit pas en être ainsi, noble sire notre roi, que ta femme aille avec toi ; et en ce qui nous concerne, commets-nous d’office ton maître d’hôtel ». « Et bien alors », dit le roi, « que l’intendant nous soit donc amené ». Il fut mandé avec sa femme chez le roi qui leur dit : « Voici la façon dont je vous demande de nourrir les anciens qui sont ici : mettez sept vingtaines de vaches dans un enclos d’herbe grasse, elles devront être traites pour eux chaque nuit ; des rations pour dix centaines de personnes devront leur être également fournies par les hommes d’Irlande ; qu’ils aient aussi des boissons et du lait à Tara, qu’ils aient de quoi prendre un bain tous les deux jours, et que dans leurs lits on étale une couche de joncs frais. Encore une chose : qu’ils n’aient pas le temps de boire le reste de leur boisson avant d’en avoir de nouveau encore une autre de servie entre les mains. « Et toi l’intendant » ajouta le roi pour finir, « en plus de toi-même tu as sept fils, que je tuerai avec toi-même si les vétérans manquent de la moindre de ces choses ».
Ossian s’exclama : « Le lit du nain à Tara n’était pas plus étrange, tous les hommes d’Irlande venaient le voir, quand nos vies confiées aux bons soins de Maelmuirir fils de Dubhan, maître d’hôtel de Tara, et de Cuarnait la fille de Becan, le noble propriétaire de bétail, sa femme ?????
Qui donc était-ce que ce nain, mon très cher Ossian ? » demanda le roi.
« Un trésor que Conn aux cent batailles avait obtenu : un nain haut comme trois fois le poing de Conn aux cent batailles et le meilleur joueur de tablut ou de brandub voire d’échecs qui fut en Irlande. Même si tous les maux du monde avaient été réunis dans un seul individu, il suffisait qu’il lui impose les mains pour le soulager ; et même si tous les Irlandais avaient été rangés en ordre de bataille pour s’affronter les uns les autres il aurait réussi à faire revenir la paix entre eux.
Il y avait alors une pierre à Tara », poursuivit Ossian, « c’était dessus qu’il y avait son lit, les propriétés de ce lit étaient vraiment extraordinaires : le plus grand des hommes d’Irlande tenait à l’aise dans le lit de ce nabot, mais en même temps le plus petit des enfants que l’on puisse trouver y tenait tout aussi bien. Cette pierre alors, ainsi que la pierre du destin (lia fail) qui était là, étaient les deux merveilles de Tara.
Qu’y avait-il d’extraordinaire d’attaché à cette pierre de la destinée (lia fail), demanda Dermot ; ce à quoi Ossian fit la réponse suivante : on mettait sur cette pierre quiconque en Irlande était accusé de quoi que ce soit : et si la vérité se trouvait en lui, alors il devenait rose ou blanc, mais s’il en était autrement, c’était une tache noire qui apparaissait sur lui en un endroit visible de tout le monde. En outre : quand le souverain d’Irlande marchait dessus la pierre criait sous lui, et les trois plus grandes vagues d’Irlande lui répondaient, à savoir la vague de Clidna, la vague de Tuaide ainsi que la vague de Rudraige ; quand un roi de province allait dessus, la pierre grondait sous lui ; quand une femme stérile marchait dessus, alors une sueur de sang noir apparaissait sur elle ; quand c’était une femme pouvant avoir des enfants qui essayait de le faire, c’était alors des gouttes de toutes les couleurs qui apparaissaient ».
Dermott fils de Cerball demanda ensuite : « Et qui a laissé cette pierre ici ou qui l’a transporté hors d’Irlande ? »
C’est un guerrier d’un grand courage qui régnait…
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Notre texte s’interrompt brutalement ici et il manque la fin donc. Le texte devait vraisemblablement aborder ici la question des origines de cette célèbre pierre, appelée Lia Fail (la pierre du destin)
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Contre-lai (commentaire) néo-druidique Nº 41.
Et leurs hommes. Nous traduisons ainsi le terme gaélique muintire (vieux celtique manutera ?) qui désigne à proprement parler la famille ou la maisonnée d’un chef, puis par extension une communauté quelconque.
Mor-Cruaid = très dur. Ces quelques vers semblent être de toute façon un maladroit doublon des précédents. Une erreur de copiste sans doute.
La pierre des druides. Rappelons au passage que ce ne sont ni les Celtes ni les druides qui ont construit les monuments mégalithiques comme Stonehenge ou Carnac, mais que les Celtes et les anciens druides ONT PARFOIS RÉUTILISÉ CES MONUMENTS QUI LES ONT BEAUCOUP IMPRESSIONNÉS QUAND ILS SONT ARRIVÉS DANS CES RÉGIONS D’EXTRÊME OCCIDENT (cf. les légendes concernant Mag Tured ou la légion de saint Cornély à Carnac, etc.).
Brandub. Littéralement corbeau noir. Il doit s’agir d’une variété de tablut celte (fidchell).
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RAPPPEL.
Rien ne remplace la méditation personnelle, y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles de certains textes, car tous n’ont pas été insérés, à dessein, afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie (quête du Graal individuelle). Ces feuillets ne sont donc pas des dogmes à suivre aveuglément ni à la lettre. Comme vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie !
« On dit qu’ils apprennent là un grand nombre de vers par cœur ; en conséquence de quoi certains y suivent leurs cours pendant vingt ans. Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec. Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux… parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser » (César. B.G. VI, XIV).
Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle, car c’est en suivant le cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à toujours adopter dans la vie, et non les détails du dogme.
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DEUXIÈME PARTIE : ANALYSES ET CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
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LES TACTIQUES DE COMBAT DE L’ANTIQUITÉ.
Par le groupe de recherche CLADIO, groupe réunissant des archéologues, des étudiants, un forgeron, des spécialistes de la métallurgie antique, des amateurs éclairés, des professionnels du maniement de l’arme blanche ; ainsi que les responsables du Musée Schwab de Bienne, ou du Musée du fer de Vallorbe, voire des artisans métallurgistes et des chercheurs de l’Université de Lausanne en Suisse.
Les réflexions qui suivent sont le fruit de discussions avec J. Fantys et Michael Müller-Hewer, maîtres d’armes, et J.-M. Corona, forgeron, que nous remercions chaleureusement de leur collaboration.
Malgré la fréquence des mentions, peu de sources décrivent de manière détaillée les techniques de combat celtes de la voie des setanta ou vindos camulogenos. Quelques descriptions de batailles laissent entrevoir l’organisation générale de l’armée en phalanges, les combats de chars, et l’organisation de la cavalerie.
Le char.
Jusqu’au IIe siècle avant notre ère, la cavalerie celte ne possédait pas le « grand cheval » méditerranéen, mais une sorte de poney (1,30 m au garrot). Excellents tracteurs de chars, les chevaux celtes de cette race, domestiqués depuis l’âge du bronze, ne pouvaient pas être montés.
Les historiens antiques mentionnent à plusieurs reprises l’utilisation de chars de combat, élément essentiel de l’organisation militaire, entre le Ve et le IIIe siècle avant notre ère. Les chars à deux roues sont attestés dans les tombes aristocratiques. Les Romains furent très impressionnés par l’efficacité des chars celtes au cours des batailles.
Voici donc ce que nous en dit Diodore à propos de l’expédition de Brennus sur Delphes, en 279-278 avant notre ère :
« À l’occasion de leurs déplacements et pour partir au combat, les Galates se servent de chars tirés par deux chevaux, transportant un cocher ainsi qu’un guerrier. Quand ils rencontrent de la cavalerie dans un combat, ils lancent d’abord leurs javelots sur cet ennemi et ensuite descendent de leur char puis poursuivent le combat en se servant de leur épée ».
Chaque chariot, attelé à des chevaux très fougueux, transportait plusieurs hommes armés de traits divers, qui tantôt combattaient du haut du char, tantôt sautaient au milieu de la mêlée pour y combattre à pied ; ajoutant ainsi à la fermeté du fantassin la promptitude du cavalier [César, B. G. IV, 33]. Le danger devenait-il pressant, ils se réfugiaient dans leurs chariots, et se portaient à toute allure sur un autre point. Les Romains admiraient l’adresse du guerrier celte à lancer son chariot, à l’arrêter sur les pentes les plus rapides, à faire exécuter à cette lourde machine toutes les évolutions exigées par les mouvements de la bataille ; on le voyait courir sur le timon, se tenir ferme sur le joug, se rejeter en arrière, descendre, remonter ; le tout avec la rapidité de l’éclair. Bref, ces Celtes combinent la mobilité de la cavalerie à la solidité de l’infanterie.
Même sur une pente raide, ils sont capables de contrôler les chevaux lancés au grand galop, de les arrêter et de faire demi-tour sur-le-champ.
Le char n’était pourtant pas inconnu en Europe. On en a retrouvé des représentations sur des tombes suédoises du Xe siècle avant notre ère, et les Mycéniens le connaissaient bien, mais entre les mains des Celtes des IIIe et IIe siècles, il devint une arme redoutable. Le char conduit par un Celte hirsute est l’un des motifs les plus fréquents, figurant au revers des monnaies celtiques. On a retrouvé des pièces de char en bronze ou en fer dans des chambres funéraires et des dépôts votifs (comme à Llyn Cerrig Bach au Pays de Galles). Tous ces éléments nous permettent de nous faire une idée précise du char celte : à deux roues, allégé au maximum, il était dans des mains expertes une arme mortelle.
Au milieu du Ier siècle néanmoins, au moment où César agressa la Celtique, de nouvelles méthodes de combat l’avaient déjà remplacé, à la suite de la familiarisation des Celtes avec le monde classique. Les Romains ne rencontrèrent en face d’eux que des fantassins et des cavaliers. Ce n’est qu’en mettant pied en Bretagne (en Grande-Bretagne) que les Romains feront la douloureuse expérience de ces rencontres avec des chars de guerre. Les chars intervinrent en effet dans toutes les grandes batailles qui opposèrent les Bretons aux Romains.
César nous décrit ainsi leur tactique.
« Les cavaliers ennemis avec leurs chariots de guerre attaquèrent vivement dans sa marche notre cavalerie… mais peu de temps après, comme les nôtres ne s’attendaient à rien et travaillaient au retranchement du camp, les Bretons, s’élançant tout à coup de leurs forêts et fondant sur la garde du
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camp, l’attaquèrent vigoureusement. César envoie pour la soutenir deux cohortes, qui étaient les premières de leurs légions ; comme elles avaient laissé entre elles un très petit espace, l’ennemi, profitant de leur étonnement à la vue de ce nouveau genre de combat, se précipite avec audace dans l’intervalle et en réchappe sans perte. Q. Labérius Durus, tribun militaire, fut tué dans cette action.
Ce combat, d’un genre si nouveau livré devant le camp et sous les yeux de toute l’armée ; fit comprendre que la pesanteur des armes de nos soldats, en les empêchant de suivre l’ennemi dans sa retraite, et en leur faisant craindre de s’éloigner de leurs enseignes ; les rendait moins propres à une guerre de cette nature.
La cavalerie combattait aussi avec désavantage, en ce que les Bretons, feignant souvent de se retirer, l’attiraient loin des légions, et, sautant alors de leurs chars, lui livraient à pied un combat inégal ; or, cette sorte d’engagement était pour nos cavaliers aussi dangereuse dans la retraite que dans l’attaque. En outre, les Bretons ne combattaient jamais en masse, mais en groupes séparés par de grands intervalles, et disposaient de réserves [placées ici et là], destinées à les recueillir, et à remplacer par des troupes fraîches celles qui étaient fatiguées.
Le jour suivant, les ennemis prirent position loin du camp, sur des collines ; ils ne se montrèrent qu’en petit nombre et se livrèrent à des escarmouches contre notre cavalerie, plus mollement que la veille. Mais, vers le milieu du jour, César ayant alors envoyé au fourrage trois légions et toute la cavalerie sous les ordres du lieutenant Trébonius, ils fondirent subitement et de toutes parts sur les fourrageurs…
Cassivellaunos, comme nous l’avons dit plus haut, désespérant de nous vaincre en bataille rangée, renvoya la plus grande partie de ses troupes. Il ne garda guère que quatre mille hommes montés sur des chars, et se borna ensuite à observer notre marche ; se tenant toujours à quelque distance de notre route, se cachant dans les lieux d’accès difficiles et dans les bois, faisant cacher dans les forêts le bétail et les habitants des pays par lesquels il savait que nous devions passer. Puis, lorsque nos cavaliers s’aventuraient dans des campagnes éloignées pour fourrager ou faire du butin, il sortait des forêts avec ses chariots armés, par tous les chemins et sentiers qui lui étaient connus ; et mettait en péril notre cavalerie, que la crainte de ces attaques empêchait de se répandre au loin ».
Lorsque l’on sait que Cassivellaunos, chef de la résistance bretonne, disposait de quatre mille chars, on comprend mieux les difficultés rencontrées par les Romains.
Lorsqu’en 84, Agricola bataille dans le nord de l’Écosse, on trouve encore des récits évoquant ce fracas des chars de guerre qui manœuvrent entre les deux armées. Mais les légions d’Agricola finirent par les mettre en déroute. D’autres documents confirment les récits.
L’organisation de la cavalerie, maintes fois décrite, laisse aussi entrevoir des méthodes de combat très déstabilisantes pour des Méditerranéens. Selon Pausanias «… Car à chaque cavalier se trouvaient attachés deux hommes, bons cavaliers eux-mêmes et, comme leurs maîtres, ayant un cheval. Si la cavalerie galate est engagée, ces deux compagnons d’armes restent derrière les rangs, mais servent à ceci. Quand un cavalier ou son cheval vient à s’abattre, si c’est l’homme qui a été tué, alors l’écuyer [grec doulos] enfourche le cheval à la place de son maître, dans le second cas l’écuyer [grec doulos] lui donne son cheval à monter ; si le cavalier ainsi que son cheval sont tués tous les deux, alors la relève est assurée. Quand un cavalier n’est que blessé, un des écuyers [grec doulos] ramène le blessé au camp, pendant que l’autre prend sa place laissée vacante dans les rangs […] Cette méthode d’organisation est appelée dans leur langue natale trimarkisia ».
Venceslas Kruta suppose que les deux écuyers en question étaient des ambacts, c’est-à-dire des vassaux étroitement liés à un maître, le cavalier en l’occurrence étant un aristocrate guerrier. Plusieurs auteurs ont mentionné qu’à la mort du maître au combat, les vassaux se suicidaient ou couraient au front espérant être tués les armes à la main. Ce cliché a un sens, si l’on considère que le vassal, sans son maître, n’était rien. L’attachement contraignant au maître, leur donnait un rôle dans une société où ils ne pouvaient aspirer à un statut meilleur, sinon par la volonté de leur patron.
Toujours selon Kruta, jusqu’à la fin du IIIe siècle, les cavaliers n’étaient que des fantassins montés à cheval, ce que suggèrent l’absence d’équipement spécifique du cavalier, mais aussi la description de Polybe de la bataille de Cannes.
« Dès que la cavalerie ibérique et celtique fut arrivée au contact des premiers rangs romains la bataille commença réellement et de la manière la plus barbare qui soit, car il n’y eut plus aucune des
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manœuvres habituelles d’avancée ou de recul : ils combattirent au corps à corps et à pied après être descendus de leurs chevaux ».
Relevons toutefois que le choix du type de combat lors de la bataille de Cannes a été dicté par les circonstances et par une stratégie d’Hannibal, qui différait sans doute beaucoup de la technique de combat usuelle.
La place de la cavalerie aura tendance à s’affirmer de plus en plus et constituera une spécificité notable du combat pendant la Guerre des Gaules. Sa supériorité sur la cavalerie romaine sera un lieu commun. Pratiquement tous les corps de cavalerie de César seront composés de troupes auxiliaires celtes. Strabon écrira au Ier siècle avant notre ère : « Bien que ce soient tous des combattants par nature, ils sont meilleurs cavaliers que fantassins : la meilleure force de cavalerie qu’ont les Romains vient de chez eux ».
Site internet Historum.com.
Ann Hyland, dans Equus : Le cheval dans le monde romain (1990), traite du recrutement de cavalerie auxiliaire pendant la dynastie flavienne. Elle affirme que 33 % des recrues venaient de Lyonnaise, 9 % de Belgique, 4 % de [Grande] Bretagne et 2,5 % de Narbonnaise. 11,5 % venaient de Thrace, 10 % de Pannonie et 2,5 % de Mésie.
En d’autres termes, durant la période flavienne, 48,5 % des cavaliers étaient recrutés dans des provinces exclusivement celtiques et 24 % des cavaliers venaient de provinces profondément marquées par l’influence culturelle linguistique et militaire celte.
NDLR. Ajoutons pour mémoire qu’au moins 25 % des noms de personne des effectifs des garnisons romaines en pays dace (Roumanie Moldavie) sont clairement celtes. 29 % sont italiques, mais peuvent très facilement indiquer des origines celtiques : les Celtes voulant s’élever dans la société romaine ayant tendance à utiliser un nom officiel latin, mais un nom celte en privé. Du moins si l’on en croit l’article intitulé « Chiens de garde de l’Empire » les légions romaines celtes dans les Balkans, du site internet « Journal des études celtes en Europe de l’Est et en Asie Mineure » (Balkan Celtes).
Les premières confrontations.
La bataille de l’Allia (– 387).
« Le pays tout entier en face et autour d’eux grouillait d’ennemis qui, appartenant à un peuple féru de manifestations de sauvagerie ; à l’aide de hurlements affreux et de clameurs discordantes emplissaient l’espace d’un bruit effrayant.
Les tribuns militaires […] déployèrent leurs ailes afin de ne pas être enveloppés par l’ennemi ; mais ne purent égaler le front adverse [……] Brennus, qui commandait les Celtes, craignant un piège de la part d’un ennemi si inférieur en nombre, et pensant que la hauteur avait été occupée dans l’intention que cette réserve puisse les attaquer de flanc ou à revers, quand leur front en serait venu au corps-à-corps avec les légions, dirigea donc son attaque droit dessus ; étant quasiment certain que, s’il parvenait à les en déloger, son écrasante supériorité numérique lui donnerait alors une facile victoire sur le terrain. De sorte que, non seulement la Fortune, mais aussi la tactique, se retrouvèrent du côté des barbares [……] pour ce qui est du reste de l’armée, dès que le cri de guerre des Celtes eut été entendu sur leur flanc par les éléments les plus rapprochés, puis derrière eux par ceux qui étaient juste à l’autre extrémité, ils prirent la fuite » (Tite-Live).
Suit la description de la débâcle de l’armée romaine. Des soldats s’entre-tuent en prenant la fuite, sont massacrés ou se noient en tentant de traverser le Tibre à la nage. Les survivants se réfugient dans la ville voisine de Véies.
La bataille de l’Allia est une bataille rangée entre deux armées face à face et possédant un armement qualitativement équivalent. Dans les sources classiques, la plupart des événements de ce type se soldent quasi systématiquement par la victoire de la « Civilisation », malgré la supériorité numérique des ennemis, qu’il nous est par ailleurs impossible de chiffrer. Une défaite retentissante comme celle
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de l’Allia, peu glorieuse pour Rome, a dû laisser une plaie profonde, malgré la défense acharnée des Romains sur le Capitole.
Tite-Live présente la victoire des Celtes comme résultant de la tactique de Brennus, alors qu’habituellement dans nos sources, une victoire barbare ne peut s’expliquer que par la multitude ou des conditions défavorables dues à la sacro-sainte déesse Fortune. Dans tous les cas ; quelles que soient la dimension passablement étonnante de cette affirmation, et l’influence qu’ont pu jouer sur le jeune Tite-Live les récits de la « Guerre des Gaules » de César ; le fait est qu’il reconnaît à un chef barbare des qualités de stratège. Ce qui tranche fortement avec les descriptions stéréotypées habituelles, qui plus est, pour la première confrontation entre Rome et les Celtes.
La bataille de Sentinum (– 295).
Tite-Live, Histoire romaine, X, 27.
Après avoir traversé les Apennins, les consuls descendirent dans les environs de Sentinum et fixèrent leur camp à quatre milles de distance de l’ennemi. Les quatre nations se consultèrent afin de planifier leur action, et il fut décidé qu’ils ne constitueraient pas un seul camp, voire qu’ils n’iraient point à la guerre tous ensemble : les Celtes firent cause commune avec les Samnites, et les Ombriens avec les Étrusques. Ils décidèrent du jour de la bataille ; le choc du premier affrontement fut réservé aux Celtes et aux Samnites ; à mi-combat les Étrusques et les Ombriens devaient attaquer le camp romain. Ce plan fut déjoué par trois déserteurs, qui vinrent nuitamment et en secret trouver Fabius, puis lui révélèrent les desseins de l’ennemi. Ces hommes furent récompensés pour cette information et renvoyés chez l’ennemi afin de découvrir puis rapporter toutes les nouvelles décisions qu’ils pendraient. Les consuls firent parvenir des instructions écrites à Fulvius et à Postumius, afin qu’ils aillent avec leurs armées à Clusium, et ravagent le pays de l’ennemi, aussi loin qu’ils pourraient. La nouvelle de cette incursion fit partir les Étrusques de Sentinum pour protéger leur propre territoire. Après les avoir ainsi écartés, les consuls essayèrent par tous les moyens d’en venir à engagement avec les autres. Pendant deux jours, ils cherchèrent à provoquer l’ennemi afin de l’amener à se battre, mais durant ces deux jours-là, il ne se passa rien qui soit digne d’être mentionné : quelques hommes tombèrent de part et d’autre et cela suscita même assez d’exaspération pour que tous en viennent à désirer une bataille dans les règles, sans pour autant vouloir tout risquer dans un affrontement décisif. Le troisième jour cependant, toutes les forces des deux côtés descendirent dans la plaine. Alors que les deux armées se tenaient prêtes à engager la bataille, une biche pourchassée par un loup descendit de la montagne, et pénétra dans l’espace laissé libre entre les deux lignes ennemies, le loup à sa poursuite. Ensuite chacune des deux bêtes prit une direction opposée, la biche courut vers les Celtes, le loup vers les légions romaines. Un passage entre les rangs fut laissé au loup ; quant à la biche, les Celtes la criblèrent de traits 1). Sur ce, un soldat des premières lignes s’exclama : « Du côté où vous voyez la créature consacrée à Diane gisant morte, fuite et massacre vont commencer ; par contre de ce côté-ci le loup, créature consacrée à Mars, resté sain et sauf, nous rappelle notre Fondateur, nous rappelle que nous sommes aussi de la race de Mars ». Les Celtes se tenaient à droite, les Samnites à gauche. Quintus Fabius plaça la première et la troisième légion à l’aile droite, face aux Samnites ; pour affronter les Celtes Decius avait la cinquième et la sixième légion ; qui formaient ainsi l’aile gauche romaine. La seconde et la quatrième légion étant alors engagées dans le Samnium avec le proconsul Lucius Volumnius. Au premier choc les armées furent si égales en force que, si les Étrusques et les Ombriens avaient été présents, que ce soit pour prendre part à la bataille ou pour attaquer le camp, alors les Romains auraient été défaits.
Mais bien qu’aucun côté n’ait obtenu l’avantage et que la Fortune n’ait pas encore indiqué à qui elle accorderait la victoire, le combat sur l’aile droite différait beaucoup de celui qui était mené sur l’aile gauche. Les Romains, sous le commandement de Fabius, étaient sur la défensive et cherchaient plutôt à faire durer l’affrontement, le plus longtemps possible. Leur commandant savait que la pratique habituelle, à la fois des Celtes et des Samnites, était d’attaquer furieusement pour commencer, donc que si on leur résistait avec succès, cela suffisait. Le courage des Samnites déclina au fur et à mesure que la bataille se poursuivait, quant aux Celtes, eux, incapables de supporter la chaleur ou la fatigue, ils voyaient leur force physique fondre. Dans leurs premiers efforts, ils étaient plus que des hommes ; à la fin ils étaient plus faibles que des femmes. Sachant cela, Fabius ménageait donc la force de ses hommes, dans l’attente du moment où l’ennemi commencerait comme d’habitude à montrer des signes de fatigue. Decius quant à lui, étant plus jeune, ayant plus de vigueur d’esprit, montrait plus d’allant ; il recourut à toutes les forces dont il disposait en commençant, et comme l’assaut de
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l’infanterie se déroulait trop lentement à ses yeux, il fit appel à la cavalerie. Se plaçant lui-même à la tête d’un escadron de cavaliers particulièrement vaillants, il les exhorta, en tant qu’élite de son armée, à le suivre dans sa charge contre l’ennemi, car une double gloire leur appartiendrait si la victoire commençait par l’aile gauche, et dans cette aile gauche notamment grâce à la cavalerie. Par deux fois ils obligèrent la cavalerie celte à faire volte-face ; mais lors d’une troisième charge, ils se laissèrent emporter trop loin, et alors qu’ils combattaient au beau milieu des cavaliers adverses, ils furent déroutés par un nouveau genre de combat. Des hommes montés sur des chars de guerre et des chariots arrivèrent dans un bruit de chevaux et de roues, assourdissant ; les chevaux de la cavalerie romaine, guère habitués à ce genre de vacarme, prirent peur et s’affolèrent. La cavalerie, après deux charges victorieuses, fut donc dispersée par une peur panique, chevaux et hommes se renversant les uns les autres dans une fuite aveugle. Même les enseignes des légions se retrouvèrent dans la plus grande confusion, et nombre des hommes du premier rang furent écrasés par le poids des chevaux et des véhicules perçant leurs lignes. Quand les Celtes virent leur ennemi ainsi enfoncé, ils ne lui laissèrent pas un moment pour respirer ni un endroit où se reprendre, mais poursuivirent en lançant une grande offensive. Decius hurlait en demandant à ses soldats où est-ce qu’ils courraient, qu’est-ce qu’ils espéraient en se sauvant ainsi ; il essayait d’arrêter ceux qui étaient en train de fuir et de rappeler ses unités dispersées. Ne pouvant obtenir le résultat qu’il voulait, c’est-à-dire de mettre fin à cette panique, il invoque alors le nom de son père Publius Decius, et s’écrie : « Pourquoi retarder davantage le destin qui est celui de ma famille ? Le funeste privilège accordé à notre maison a toujours été celui de devoir offrir aux dieux une victime expiatoire dont le sacrifice écartera tout danger de l’État. Je vais donc maintenant vouer les légions ennemies et moi-même à Tellus et aux Mânes ». Ayant ainsi parlé, il ordonna au pontife Marcus Livius, auquel il avait demandé de rester, de lui dicter les formules au moyen desquelles il pourrait se dévouer lui-même et dévouer les légions ennemies, pour le salut de l’armée du peuple des Quirites romains. Il fut en conséquence voué à ces dieux, dans les mêmes termes et en portant la même tenue que son père Publius Decius, lors de la bataille de Veseris, durant la guerre latine. Après que les prières usuelles eurent été récitées, il lança la malédiction suivante : « Je fais se lever devant moi la terreur et la déroute, le carnage et le sang, ainsi que la colère de tous les dieux, ceux du ciel comme ceux de l’enfer. Je vais frapper les enseignes, les cuirasses ainsi que les armes, de l’ennemi, de terribles et multiples tourments, le lieu de ma mort verra également celle des Celtes et des Samnites ». Après avoir hurlé ces imprécations contre lui-même et contre l’ennemi donc, il poussa son cheval droit sur la première ligne celte, là où ils étaient les plus nombreux, puis plongea dedans et mourut accablé par leurs traits 2).
La bataille sembla dès lors ne plus dépendre de forces uniquement humaines. Bien qu’ayant perdu leur chef, ce qui généralement démoralise une armée, les Romains s’arrêtèrent de fuir et reprirent la lutte. Les Celtes, et tout particulièrement ceux qui se pressaient autour du cadavre du consul, se mirent à lancer leurs traits au hasard et en vain, comme s’ils étaient devenus fous, certains semblaient même paralysés, incapables ni de se battre ni de fuir. Mais dans l’autre armée le pontife Livius, à qui Decius avait laissé ses licteurs, et auquel il avait donné l’ordre d’agir en tant que propréteur, annonçait à grands cris que la mort du consul avait libéré les Romains de tout danger, donc leur avait donné la victoire, que les Celtes et les Samnites appartenaient désormais à la Terre-Mère [Tellus] et aux Mânes ; que Decius appelait ou attirait à lui leur armée, qu’il avait dévouée avec sa propre personne, que la terreur régnait maintenant partout chez l’ennemi, et que les Furies les frappaient de folie. Alors que la bataille reprenait ainsi de plus belle, Lucius Cornelius Scipio et Caius Marcius, reçurent l’ordre de Fabius de faire intervenir les réserves de l’arrière afin de renforcer les troupes de son collègue. Ils apprirent aussi le sort de Publius Decius, et ce fut pour eux une puissante incitation à tout tenter pour défendre la République. Les Celtes se tenaient en rangs serrés, protégés par leurs boucliers, le corps-à-corps ne semblait donc pas facile ; mais les officiers généraux (légats) donnèrent l’ordre de ramasser les javelines qui jonchaient le sol et de les lancer contre le mur de boucliers de l’ennemi. Bien que la plupart se soient plantés dedans, quelques-uns seulement dans leurs corps, les combattants de ces premiers rangs s’effondrèrent, la plupart d’entre eux d’ailleurs tombant sans avoir été blessés, comme s’ils avaient été frappés par la foudre. Tels furent donc les changements que la Fortune apporta sur l’aile gauche des Romains.
Sur l’aile droite […], les Samnites quant à eux ne soutinrent pas le choc et s’enfuirent précipitamment derrière les Celtes, en direction de leur camp, laissant ainsi leurs alliés se battre du mieux qu’ils pouvaient. Les Celtes se tenaient toujours en rangs serrés derrière leur mur de boucliers. Fabius, ayant aussi appris la mort de son collègue, ordonna donc à l’escadron de cavalerie campanien, fort d’environ 500 hommes, de se retirer de la mêlée, afin de les prendre à revers […] 25 000 ennemis furent tués ce jour-là et 8000 faits prisonniers. Mais cette victoire ne fut pas sans lourdes pertes humaines, car Publius Decius eut 7000 morts et Fabius 1700.
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1. Les guerriers celtes eux aussi interprétèrent ce signe comme un présage favorable, la biche ayant tourné vers la gauche pour échapper au loup. Un fait analogue fut utilisé par la reine Boudicca dans sa guerre contre les Romains en Grande-Bretagne. Le lièvre s’enfuyant à gauche était un bon présage, le lièvre s’enfuyant à droite en aurait été un mauvais.
2. Rite religieux romain. Le général se dévoue et se sacrifie pour obliger les dieu-ou-démons à lui accorder la victoire. Do ut des. C’est ce que l’on appelle en latin une « evocatio ». Qu’il nous soit néanmoins permis dans cet exposé de douter fortement de la réalité objective de ce que nous décrit le texte de Tite-Live : « La bataille sembla dès lors ne plus dépendre de forces uniquement humaines, etc. ». Il ne s’agit que de l’appréciation très subjective de cet auteur, passant sous silence vraisemblablement d’autres explications nettement plus prosaïques.
La bataille de Télamon (– 225)
Le récit de la bataille de Télamon par Polybe, est des plus détaillés. Il s’agit d’une attaque en caterva c’est-à-dire en masse (Aristote donne le nom d’audace celtique à cette intrépidité qui fait que l’on se précipite vers l’ennemi en se jouant de la mort). Voir aussi plus tard la célèbre furia francese. Gilbert Cousin donne pour origine à cette expression italienne la remarque faite par Tite-Live, César et par quelques autres historiens, que « Les Celtes étaient fougueux dans leur premier élan ; qu’il suffisait alors de leur résister ; que, la lutte se prolongeant… c’étaient leurs corps mêmes, tout à fait incapables de supporter la fatigue et la chaleur, qui fondaient en eau : au début de leurs combats, ils étaient plus que des hommes ; à la fin, moins que des femmes ».
Le soin du détail de Polybe nous vaut évidemment quelques poncifs inévitables sur le tumultus gallicus, la nudité des combattants, les torques en or, ou la qualité des armes. La véracité de ces détails, parfois remise en cause, est corroborée par les découvertes archéologiques.
Laissons-nous entraîner au cœur de l’action par Polybe et faisons un gros plan sur ce moment clé de l’histoire européenne. C’est en effet cette victoire sur les Cisalpins, à Télamon, qui a ouvert à Rome la voie vers les Alpes.
« Les deux plus importantes tribus, les Insubres et les Boïens, firent donc cause commune pour envoyer des messagers aux tribus vivant aux environs des Alpes ainsi que sur le Rhône, et qui sont appelées Gésates, d’un mot qui signifie « service militaire moyennant solde » […] Ils partirent eux-mêmes, avec leur principale armée, forte de cinquante mille fantassins et vingt mille hommes à cheval ou montés sur des chars de guerre […] et marchèrent sur l’Étrurie, hardiment. [……] En conséquence de quoi, quand au lever du jour, les Romains virent que la cavalerie était restée seule, ils crurent que les Celtes avaient fui, et se précipitèrent à la poursuite des cavaliers ; mais quand ils approchèrent du lieu où l’ennemi avait fait halte, les Celtes quittèrent alors soudainement leur position et tombèrent sur eux. La lutte fut pour commencer soutenue avec furie des deux côtés, mais le courage et la supériorité numérique des Celtes finirent par leur donner la victoire. Pas moins de six mille Romains tombèrent, et le reste prit la fuite, mais la plupart d’entre eux se frayèrent un chemin vers une hauteur sûre et s’y établirent […] Les Celtes continuent leur marche, mais ils sont pris en tenailles entre les deux armées des Consuls Attilius et Aemilius […] apprenant peu après la présence de Gaius Atilius, de la bouche d’un prisonnier, ils mirent en toute hâte leur infanterie en position, et placée de manière à pouvoir faire front dans deux directions opposées, c’est-à-dire vers l’avant et vers l’arrière. Car ils savaient bien qu’il y avait une armée à leurs trousses, et même qui les avait rattrapés, pensaient-ils ; et déduisaient de ce qu’ils avaient pu observer qu’ils allaient devoir en affronter une autre devant eux […] Les Celtes, eux, avaient posté la tribu alpine des Gésates pour faire face à l’ennemi sur leurs arrières, et après eux les Insubres. En tête, ils avaient placé les Taurisques, et la tribu cispadane des Boïens, pour affronter les légions de Gaius Atilius. Leurs chariots et leurs chars de guerre furent placés à l’extrémité de chacune des ailes, et le butin placé sur une des collines qui bordaient la route, sous bonne garde. Cette armée celte était ainsi comme à double face, et la disposition de leurs forces était aussi efficace que calculée pour inspirer la terreur. Les Insubres et les Boïens étaient vêtus de leurs braies (grec anaxyrides) ainsi que de légers sayons (grec sagon) ; les Gésates, par vanité ou bravade, avaient jeté leurs vêtements, et formaient le premier rang, complètement nus, sans rien d’autre que leurs armes ; croyant sans doute que, comme le terrain était en partie encombré de ronces, qui pourraient se prendre dans leurs vêtements et empêcher l’utilisation de leurs armes, ils seraient ainsi plus efficaces […] C’est au beau milieu de cette mêlée que tomba le consul Gaius Atilius, en combattant avec une folle bravoure au beau milieu de la bataille, et sa tête fut amenée au roi des Celtes. Les
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cavaliers romains cependant continuèrent la lutte et finalement gardèrent la position en venant à bout de leurs adversaires. Ensuite les fantassins en vinrent au combat rapproché ».
Suit une digression de Polybe quant aux avantages et inconvénients respectifs des positions des deux armées.
« Les Romains, d’un autre côté, bien qu’encouragés par la chance d’avoir leur ennemi pris entre deux de leurs armées, se trouvaient en même temps épouvantés par les ornements et la clameur de cette multitude de Celtes. Car il y avait parmi eux un nombre incalculable de cors et de trompettes, dans lesquels ils soufflaient simultanément et de toutes parts dans leur armée. Leurs cris étaient si forts et perçants, que le bruit ne semblait pas venir seulement des trompettes et des voix humaines, mais aussi de toute la campagne environnante à la fois. Non moins terrifiants étaient l’apparence et les mouvements rapides de ces guerriers nus placés au premier rang, qui montraient des hommes à l’apogée de leur force et de leur beauté. Tous ces guerriers des premiers rangs étaient richement ornés de colliers ainsi que de bracelets en or […]
Quand les hommes armés du pilum s’avancèrent hors des premiers rangs, conformément à la méthode de guerre habituelle des Romains, et lancèrent une première et meurtrière volée de javelots, les rangs arrière des Celtes trouvèrent leurs sayons (sagon) et leurs braies (anaxyrides) bien utiles pour s’en protéger quelque peu ; mais pour les hommes nus des premiers rangs, ce mode d’attaque inattendu fut des plus malheureux. Car les boucliers celtes n’étaient pas suffisamment larges pour couvrir l’homme tout entier, donc plus grand était le corps nu, plus il était certain qu’il serait blessé par un pilum. [……] Certains d’entre eux, au comble de la détresse et de l’impuissance, se jetèrent alors sur l’ennemi avec le courage du désespoir et une violence aveugle, se donnant ainsi volontairement la mort ; tandis que les autres cédaient du terrain en reculant pas à pas vers leurs camarades […] les Insubres, les Boïens, et les Taurisques, soutinrent l’attaque, et menèrent un combat au corps-à-corps désespéré. Les boucliers ainsi que les épées des premiers s’avéraient manifestement supérieurs pour ce qui est de la défense et de l’attaque, alors que les épées celtes qui ne pouvaient frapper que d’un coup de taille [en grec : tên de Galaticên cataphoran echin monon], ne se s’avéraient pas très fiables. Et quand les cavaliers romains les chargèrent en descendant de la colline située sur leur flanc, les attaquant ainsi vigoureusement, l’infanterie celte fut taillée en pièces sur place, alors que leur cavalerie faisait volte-face et prenait la fuite » (Polybe, II, 2, 22-31).
ANALYSE.
Les effectifs engagés dans la bataille.
Les Romains et leurs alliés, à la veille de la bataille de Télamon, ont 150 000 soldats en armes, et ont la capacité de lever encore environ 700 000 hommes chez leurs alliés. Il est donc probable que lors de cette bataille l’armée romaine devait compter à peu près deux fois plus de soldats que celle des Celtes. Évidemment, dans ce cas…
Le tumultus gallicus.
Les instruments mentionnés par Polybe (cors et trompettes) devaient être des carnyx, instruments alors sans doute inhabituels, et au son insupportable aux oreilles des Romains. Le tumulte provoqué devait dépasser celui des autres armées. Le carnyx est une trompette de guerre dont le pavillon, monté sur un tube, pouvait mesurer jusqu’à trois mètres, mais qui était le plus souvent de la taille d’un homme. Jusqu’à la découverte faite en septembre 2004 à Tintignac, on n’en possédait que des fragments. Ceux qui ont été découverts sont pourvus, pour quatre d’entre eux, de têtes de sanglier stylisées, mais reconnaissables à leur groin et à leurs défenses. Les sangliers de ces carnyx étaient dotés d’oreilles démesurées en tôle de bronze. Le cinquième semble plutôt représenter un serpent. On trouve des figurations de ces trompettes sur des monnaies, sur des monuments, et sur le chaudron de Gundestrup découvert au Danemark. Joués en un ensemble de trois instruments au moins, ils terrorisaient les adversaires « dans le tumulte de la bataille » et participaient de la guerre magique (psychologique) précédant l’attaque proprement dite.
La fureur guerrière.
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« Certains d’entre eux, au comble de la détresse et de l’impuissance, se jetèrent alors sur l’ennemi avec le courage du désespoir et une violence aveugle, se donnant ainsi volontairement la mort ; tandis que les autres cédaient du terrain en reculant pas à pas vers leurs camarades […] les Insubres, les Boïens, et les Taurisques, soutinrent l’attaque, et menèrent un combat au corps-à-corps désespéré. Les boucliers ainsi que les épées des premiers s’avéraient manifestement supérieurs pour ce qui est de la défense et de l’attaque, alors que les épées celtes qui ne pouvaient frapper que d’un coup de taille, ne se s’avéraient pas très fiables ».
Ce genre d’excitation ou de folie guerrière (vergio/ferg) est caractérisé par une sorte d’aura que l’on appelle lon laith ou luan laith en Irlande, et qui est suggérée par une espèce de mât (sortant de l’arrière de la tête) sur certaines monnaies armoricaines.
Les Gésates.
Ces combattants, dont Polybe nous dit qu’ils venaient des Alpes et de la vallée du Rhône, ont été engagés comme mercenaires. Il s’agit d’un corps de fantassins d’élite, sans doute équipés de lances, de boucliers légers, voire peut-être d’une épée. Placés en première ligne, ils devaient, grâce à leur légèreté, pouvoir briser la première ligne ennemie par toute une série d’attaques rapides. Cette conception du combat (l’attaque en caterva devenue furia francese) est rapportée à plusieurs reprises par les auteurs antiques. Cette attitude face aux dangers du combat, bien sûr, est liée à leur conception de la mort, considérée comme un simple passage. Il n’y a donc aucune raison de la craindre. En revanche, la braver au combat en s’exposant aux coups et blessures est le meilleur moyen de montrer à l’ennemi que l’on se battra jusqu’au bout, et ainsi de le déstabiliser.
Les Insubres et les Boïens, au contraire, forts de leur solide expérience acquise au cours de plusieurs décennies de combats contre Rome, savaient à quoi s’attendre. D’où de leur part une approche plus prudente, un équipement plus lourd, et un engagement plus efficace. Polybe, dans sa description de leur équipement, ne mentionne ni cuirasses ni équipements spécifiques. Le sayon (latin sagum) n’est qu’une casaque en laine, un habit traditionnel du soldat en campagne, mais sans doute d’usage plus général. Les fantassins insubres et boïens sont des hommes de la terre, dont la guerre n’est pas le métier, censés retourner aux travaux des champs dès la fin de la campagne militaire.
Les cisalpins et les guerres puniques.
Le meilleur exemple de l’emploi de Celtes comme mercenaires en Italie est le fait d’Hannibal à la bataille de Cannes. Conscient que les Celtes pouvaient remporter la bataille au premier choc en semant une véritable panique dans les lignes ennemies ; mais que si le combat se poursuivait, ils faibliraient très vite ; Hannibal place leur phalange au centre, en première ligne, en gardant ses corps d’élite sur les ailes. Les Celtes et les Ibères se ruent donc à l’assaut en faisant, d’emblée, un carnage dans les premières lignes romaines. Mais dès la première surprise passée, comme prévu par Hannibal, ils reculent très vite en désordre au-delà des lignes de leurs alliés carthaginois restés sur les ailes.
Les Romains, enthousiasmés par la tournure des événements et emportés par leur élan, les poursuivent, et se retrouvent pris en étau entre les deux ailes carthaginoises, formées de corps d’élite expérimentés, qui plus est, encore frais. La bataille tourne au massacre. Les cavaliers numides, ibères et celtes, coupent toute retraite aux légions ayant gardé un semblant d’organisation. Le fait que Rome avait déjà subi des défaites sur le Tessin et sans doute perdu alors une partie importante de ses armées en ces circonstances a dû jouer. La Ville avait été obligée de lever, à la hâte, des troupes contre Hannibal. La plupart de ces soldats n’avaient sans doute jamais combattu auparavant. L’armée d’Hannibal en revanche, était formée de vétérans chevronnés.
L’armement.
L’un des clichés rapportés par Polybe concerne la faiblesse de l’armement. Aucun autre peuple n’utilise d’armes semblables à celles des Celtes, ce qui implique une technique et une conception du combat différentes des conceptions grecque ou romaine. Durant l’Âge du Fer (— 800 – 50 avant notre ère), chaque peuple a en effet un type d’armement bien spécifique.
Polybe, à l’occasion d’une autre bataille des Romains contre les Insubres, l’année après Télamone, mentionne que « les tribus celtes étaient toujours formidables lors du premier choc, avant que leur courage ne soit entamé par un quelconque échec ; mais que les épées dont ils étaient armés, ainsi que je l’ai mentionné plus haut, pouvaient frapper de taille seulement une fois efficacement, et qu’après cela leur fil était tellement émoussé, leur lame si tordue, qu’à moins qu’ils n’aient eu le temps de la redresser avec leur pied sur le sol, ils ne pouvaient en donner un autre coup ».
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L’équipement du fantassin avec son épée à un coup fait donc problème. Comment se fait-il que les Celtes, considérés par les Anciens comme des forgerons hors pair, aient pu avoir un armement de qualité si inférieure ?
La qualité de leurs forgerons ne serait-elle qu’un fantasme de celtomanes convaincus de la supériorité des Celtes dans l’artisanat du fer ?
L’observation des épées du site suisse de La Tène, datant de la seconde moitié du IIIe siècle avant notre ère, nous permet d’émettre quelques hypothèses. Ces épées laténiennes légères, longues, fines, sans garde et à extrémité arrondie, sont très bien adaptées aux engagements de cavalerie, car elles permettent un combat rapide et à distance variable. Pour les combats d’infanterie, elles permettent aussi un corps-à-corps efficace en duel où l’on va chercher la faille dans la défense de l’adversaire sans grands coups de boutoir. En un sens, ce type d’épée peut être efficace également d’estoc, à condition de frapper juste. De telles armes ne peuvent pas, en revanche, être utilisées dans une mêlée trop dense, car elles nécessitent de l’espace. De plus, leur finesse et leur longueur les affaiblissent très vite en cas de chocs répétés sur une surface dure, comme un bouclier, un casque ou une autre arme offensive plus massive (glaive romain, lance). Ces épées n’étant pas trempées, leurs tranchants s’émoussent rapidement.
Il s’agit donc d’armes de précision, pour un type de combat spécifique. On peut en déduire par conséquent un goût prononcé des Celtes pour le combat individuel, où l’espace, la marge de manœuvre, et la rapidité sont essentiels. Chaque combattant se choisit un adversaire pour un duel à mort, nécessitant peu d’échanges de coups inutiles. Une phase d’observation est nécessaire pour trouver la faille dans la défense de l’ennemi, suivie d’une attaque très rapide pour porter le coup fatal au premier assaut. Un bouclier léger, que l’on peut tenir à bout de bras et utiliser comme deuxième arme offensive, constitue un apport décisif dans une telle conception du combat. Les boucliers qui nous sont parvenus, notamment ceux de La Tène, semblent avoir ces propriétés : un manipule au centre, mais pas de système d’attache pour l’avant-bras. Un centre assez massif avec un umbo (une bosse) en fer protégeant la main et des bords fins, permettant d’alléger le poids. Il est intéressant à noter que cette conception est très proche de ce que l’on connaît du combat protohistorique, tel qu’il nous est connu par l’Iliade ou les cycles épiques irlandais. Après les provocations et la phase d’observation, le plus rapide des combattants abat son adversaire du premier coup.
On peut donc penser que les Celtes étaient restés attachés à cette conception « héroïque » du combat (aristie et ménos d’Achille) ; devenue désuète face à des armées romaines plus lourdement équipées en armement défensif, et dont la stratégie visait, en premier lieu, à affaiblir à distance la force de frappe de l’ennemi.
Il ne faut pas négliger l’importance de la lance. C’est aussi l’arme de base du guerrier celte. Et l’épée n’est peut-être dégainée que pour achever l’adversaire ou les derniers règlements de compte, lorsque le combat s’est un peu décanté (retraite de l’ennemi, perte et destruction des armes défensives de l’adversaire). Dans une bataille en ligne, l’épée reste dans son fourreau. À la bataille de Télamon, les Gésates, troupe d’élite celte du premier rang, sont des porteurs de lances (gaesa = lance). On ne parle pas de leur épée.
En ce qui concerne l’utilisation de l’épée, il faut tenir compte alors de l’importance du bouclier. Dans un corps-à-corps, l’effet dissuasif de celui-ci doit être important. Le combattant est conscient que s’il tape dans le bouclier au point de le fendre (boucliers fins et légers), il détruit ou du moins fausse sa lame. Il en va bien sûr différemment sous la plume des bardes irlandais.
Il devait exister une position de garde avec la jambe droite devant ; c’est-à-dire avec le bouclier couvrant tout le flanc gauche et la spatha « en avant », la pointe menaçant les yeux de l’adversaire (sources : Végèce). Cette position était employée pour parer une charge adverse.
Les chevaux et les cavaliers.
Ainsi que nous l’avons dit, les chevaux celtes étaient à l’origine de petits chevaux de type poney, servant surtout à tirer des chars. L’avantage qu’il procurait tenait plus à la rapidité de mouvement qu’à une quelconque position dominante.
Tout changera évidemment avec l’arrivée de chevaux plus grands, de type méditerranéen.
Les récits sur les mercenaires celtes au service d’Hannibal à la bataille de Cannes montrent que les cavaliers ont une excellente réputation, contrairement à la piétaille qui est de la « chair à pilum ». Les cavaliers sont des soldats entraînés, des aristocrates qui ont une parfaite maîtrise technique du maniement des armes. Le mercenaire à pied n’est là que pour se faire tuer dans la mêlée (apporte le surnombre dans les rangs, mais termine rarement la bataille debout). L’absence de selle et d’étriers à l’époque explique l’absence de confort de la position sur le cheval pour combattre. À Cannes, le cavalier utilise le cheval pour se déplacer, prendre l’ennemi en tenaille, et ensuite met pied à terre pour combattre. On est dans une conception encore très proche de celle de l’Iliade (Guerre de Troie, et Âge du bronze). En ce temps-là il existait pourtant déjà des peuples se battant à cheval
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entièrement, du début jusqu’à la fin. Les Scythes, les Germains, les Parthes ou les Numides. Ils se coincent les jambes dans une corde serrée autour du ventre du cheval et sont ainsi stabilisés. Notons que les Parthes et les Numides tirent à l’arc et n’utilisent l’épée que pour achever l’ennemi. Peu de contact direct avec l’adversaire pour le cavalier. Ce ne sera qu’à l’extrême fin de la période laténienne qu’apparaîtra vraiment une cavalerie celte se battant uniquement à cheval et utilisant une épée longue (1 m) sans pointe, pour frapper de taille ; et donc plutôt de type claymore (IIe ou Ier siècle avant notre ère).
Les Romains n’étaient pas bons cavaliers, leur cavalerie fut donc surtout composée d’alliés. À partir de l’époque d’Auguste, et pendant les deux siècles suivants, les soldats de souche celte et ibère formèrent presque 70 % des effectifs de l’armée romaine en Occident.
La conquête romaine du sud-est de l’Europe a logiquement entraîné l’afflux d’un nombre important d’unités militaires romaines dans la région. La présence d’unités militaires celtiques dans l’armée romaine des Balkans est bien connue. Par exemple, dans la province romaine de Mésie Supérieure, les cohortes celtes I Lusitanorum (celtibère), III Gallorum, IV Gallorum, V Gallorum, VII Gallorum et VIII Gallorum sont par exemple mentionnés dans un diplôme du 28 avril 75 (RMD I 2) ; II Gallorum Macedonica, V Gallorum, I Flavia Hispanorum milliaria et V Hispanorum à partir du 16 septembre 94 (CIL XVI 3, RMD V 335) ; I Lusitanorum, II Hispanorum, II Brittonum (milliaria) et III Brittonum à partir du 8 mai 100 (CIL XVI 46 ; voir Matei-Popescu 2006-2007).
Unités militaires celtiques également… la cohorte IV Gallorum equitata stationnée à Oescus (près de la ville moderne de Gigen, région de Pleven) entre 62 et 71 (Boyanov I. 2008), qui forma plus tard la garnison de Salsovie sur la rive sud du bras du Danube (St Gheorghe) dans le comté de Tulcea, en Roumanie (voir Haynes et al., 2007), ou le corps auxiliaire de cavalerie Gallica I stationné à Ratiaria (près de la moderne Archar, dans la région de Vidin) au 1er siècle (Gerov 1980 : 164), le corps auxiliaire de cavalerie I Gallorum et Bosporanorum (basé à Securisca, actuel district de Cherkovitsa – Nikopol, région de Pleven), le corps auxiliaire de cavalerie I Claudia Gallorum Capitoniana (basé à Augustae, actuel Harlets, région de Vratza (voir S. Maschov 1994), tous situés dans l’ancien territoire des Scordisques dans le nord de la Bulgarie. Un autre exemple est celui de la cohorte quarta Gallorum qui était basée à Ulicitra (lieu inconnu ; Not. Dign., ou XL 46-49) dans la province de Rhodope, où Rome avait rencontré une intense résistance de la part des tribus celtiques locales aux second et premier siècles avant notre ère.
Dans le nord-est de la Bulgarie, la cohorte II Lucensium était basée dans l’ancienne colonie celtique d’Abritu (Abritus, près de Razgrad). Cette cohorte avait été nommée ainsi en l’honneur des Lucenses, une tribu celtique d’Espagne d’où étaient originaires nombre de ses recrues. Ceci est confirmé dans un diplôme militaire de Mésie, daté de 78 (CIL, XVI, 22). Une inscription du IIe siècle d’Abritus atteste de la présence de la cohorte celtibérienne II Lucensium ainsi que la pierre tombale de Gaius Iulius Maximus – un cavalier attaché à ladite cohorte – G (aius) I (ulius) Maximu / s /, eq (ues) coh (ortis) ІІ Luc (ensium), singul (aris), vixit, a (nnis). La cohorte avait été probablement postée en ce lieu jusqu’en 136 et prit part aux guerres daces de l’empereur Trajan. Après 136 elle fut cantonnée à Kabylé près de la moderne Jambol (voir Ivanov R. Cités romaines en Bulgarie).
La statistique ethnique des noms « romains » des pérégrins (des non-citoyens romains) de Dacie indique que seuls 29 % portaient des noms italiques, alors qu’ils étaient presque aussi nombreux (25 %) à porter des noms celtiques (graphique 1). La disproportion existant entre les noms de soldats et les noms d’autres personnages membres de monde militaire est remarquable. La majorité des noms celtiques appartiennent à la catégorie des enfants de soldats (Varga 2010), ce qui indique que de nombreux Celtes ont pris des noms romains sans doute pour améliorer leurs chances de progression dans la hiérarchie militaire impériale. Néanmoins cette romanisation était évidemment superficielle, comme l’indique le fait qu’ils continuaient à donner à leurs enfants des noms traditionnels celtes.
Les hommes sans nom…
Il convient également de noter l’absence flagrante d’un groupe ethnique particulier dans cette équation – les prétendus « Daces ». Bien que tous les autres grands groupes ethniques des Balkans soient représentés à des degrés divers dans la population générale des pérégrins de Dacie romaine – Thrace (10 %), Grec (12 %), Celtique (33 %), rien n’indique l’existence d’un groupe ethnique « dace » distinct. Inversement, la proportion particulièrement élevée de la population de pérégrins romains (33 % selon cette étude) composée de membres de l’ethnie celte explique également en partie la fréquence élevée des noms de personnes celtes attestés en Thrace et en Dacie à l’époque romaine.
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La présence ethnique celte dans le sud-est de l’Europe, déjà bien établie lors des migrations du 4e / 3e siècle avant notre ère, a donc été renforcée par l’afflux de nombreux Celtes servant dans les légions romaines à partir du 1er siècle avant notre ère ainsi que par la déportation de centaines de milliers de Celto-Scythes par les empereurs Probus (276-82 ; Histoire Auguste Probus 18) et Dioclétien (284-305 ; Eutrope IX.25) vers le territoire des actuelles Roumanie et. Bulgarie.
En outre presque tous les equites legionnarii connus sont d’origine celte ! Au moins 72,5 % sous la dynastie flavienne d’après Ann Hyland (Equus le cheval dans le monde romain 1990).
Pour plus de détails voir l’excellent site internet « Journal des études celtes en Europe de l’Est et en Asie Mineure » (Balkan Celtes).
Le cheval devait être dirigé avec la main gauche ; durant les combats, par les jambes, les pieds ainsi que le changement de poids du cavalier (une aide vocale devait sans doute être aussi utilisée).
L’équipement.
Si l’équipement du cavalier, mais aussi du cheval, a dû être identique dans toute l’armée, la qualité de ce matériel variait néanmoins d’après le statut du cavalier (les légionnaires étaient nettement mieux payés que leurs collègues des ailes et des cohortes mixtes).
Le cavalier portait les sandales (caligae), un pantalon de cuir (bracae), une courte tunique en laine (rouge), une veste en cuir (subarmalis) qui protégeait sa tunica des frottements de la cuirasse ; et enfin la cotte de mailles (lorica hamata) ou d’écailles (lorica squamata) en bronze ou en fer.
Le casque de cavalerie était d’un type tout à fait différent de celui du fantassin : le couvre-nuque était beaucoup plus petit et la protection du front était absente ; en revanche, une protection spéciale couvrait les oreilles et la finition en fer repoussé ou en bronze était particulièrement soignée (elle représentait souvent la chevelure humaine ; certains casques portaient même une vraie chevelure en cheveux humains, en crins de cheval ou en poils d’ours, tressés en nattes).
Le flanc gauche du cavalier légionnaire était protégé par son bouclier (clipeus), de forme hexagonale (influence celte) ou ovale, probablement orné des symboles habituels des légions, comme les ailes, les cornes, les foudres. Ainsi que le montrent les essais, ce bouclier devait être attaché à un baudrier, afin de libérer la main gauche qui tenait les rênes. En cas d’urgence le cavalier pouvait lâcher les rênes et prendre en main rapidement et facilement le clipeus, pour se protéger.
Les armes étaient employées de la main droite : la lance (hasta), que l’on tenait à bout de bras, ou l’épée longue (spatha. Influence celte). La spatha était portée dans son fourreau ou sa gaine au côté droit du cavalier, retenue par un ceinturon (cingulum) ; à son côté gauche pendait le poignard (pugio). Un carquois contenant des javelots courts (iaculi) était souvent porté au flanc droit du cheval, accroché à la corne arrière droite de la selle.
La selle romaine est, en fait, un perfectionnement de la selle celtique ; les Celtes l’avaient conçue au moins cent ans avant César. Elle consiste en un arçon (sic) en bois, muni de quatre cornes renforcées de bronze, le tout revêtu de cuir.
Il n’y a pas d’étriers. Le cavalier se maintient en selle en se servant des quatre cornes, bloquant les cuisses ou le bas du dos pendant les différentes manœuvres.
Une large lanière de cuir enserre la poitrine du cheval et une autre sa croupe, maintenant la selle en bonne position. Pour l’esthétique, des phalères, lunules et autres décorations en argent, accrochées aux lanières. Le dos du cheval est protégé du frottement de l’arçon par une peau de mouton, sous un long et très épais tapis de selle.
Cette selle permet de transporter, accrochés aux cornes et à des lanières en cuir, des équipements divers, comme le manteau (paenula), le bol (patera), la ration de ravitaillement dans son filet. Les remarques d’Arrien montrent que la cavalerie romaine était bien entraînée ou aguerrie, et reprenait souvent à son compte les manœuvres d’attaque celtes ou ibères, en conservant même les noms utilisés dans ces langues pour les désigner (petrinos, attaque cantabrienne). La bride était d’un type proche de notre moderne bridon simple, et elle était aussi agrémentée de petites phalères.
Les essais réalisés confirment les possibilités de la cavalerie romaine, et démontrent la nécessité de très bien maîtriser le cheval, ainsi que son propre poids (auquel il faut ajouter quelque 25 kg d’équipement !)
Gauthier CLERENS. Corpus Equitum Legionis X Equestris. Expérimentation en archéologie militaire romaine. Il s’agit de reconstituer un cavalier romain armé, du début du premier siècle de notre ère, et sa monture, en harnais de combat. Seules l’Angleterre et l’Allemagne ont entrepris pareil travail (Ermine Street Guard/The Troop, Markus Junkelmann et autres).
Le développement rapide du mercenariat celte à partir du IVe siècle avant notre ère constitue un phénomène important pour l’histoire et la civilisation du monde laténien.
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L’interprétation exacte de ce phénomène constitue un grave problème pour la recherche. On ne sait pas comment étaient conclus les accords entre les guerriers celtes et les rois grecs ou les autres pouvoirs étrangers. Par exemple, comment était versée la solde ?
Les mercenaires celtes engagés par Antigone Gonatas recevaient une pièce d’or par homme. Était-ce bien payé ou non, difficile à dire, car on ne connaît pas les motifs de ce paiement. Il est cependant clair que l’introduction de l’usage de la monnaie chez les Celtes vers le début du IIIe siècle avant notre ère doit être attribuée au mercenariat en question. Avant cela les Celtes utilisaient des sortes de lingots d’acier standard en forme de lime, de différentes longueurs, qui servaient de monnaie d’échange.
Il ne s’agit sûrement pas de combattants individuels, mais de troupes engagées, régulièrement suivies de femmes et d’enfants, marchant avec les bagages. La réputation des mercenaires celtes, comparables à celle des archers crétois ou des cavaliers numides, s’explique, d’une part, par le succès des invasions celtiques contre le monde méditerranéen ; et d’autre part, par la qualité de leurs armes ainsi que par leur façon de combattre.
Les sources écrites et les représentations grecques et romaines semblent confirmer l’opinion répandue que les mercenaires celtes conservaient généralement leurs armes. C’était d’ailleurs avant tout le grand bouclier à « épine dorsale ». Dans les expéditions autour de la Méditerranée, les Celtes se sont adaptés à des formations de combat en groupes. Leur impact était redoutable au premier assaut, et ils étaient donc utilisés ainsi par les armées hellénistiques, comme troupes auxiliaires pour terroriser l’ennemi.
Cette véritable industrie celtique du service mercenaire ; dont l’un des marchés les plus importants a été constitué par l’Italie du Nord, avec un intense va-et-vient entre la Celtique transalpine et la Celtique cisalpine ; explique très probablement l’étymologie proposée par Polybe du nom des Gésates : « Ils sont appelés Gésates parce que ce sont des mercenaires, c’est en effet ce que signifie ce mot ».
Il s’agit en réalité d’une étymologie erronée de la part de cet auteur. Les Gésates sont simplement des porteurs de lance ou de javelot : le gaesum.
Nous n’avons que très peu d’informations sur la tactique militaire des Celtes ; excepté l’impression générale d’un grand tumulte de guerriers, qui foncent droit sur l’ennemi, en poussant d’effroyables cris destinés à décourager l’adversaire, et à lui ôter toute chance de victoire ; un vacarme amplifié par le son des carnyx. En celtique continental, le mot « cinges » (guerrier) vient de la racine verbale cing – (avancer), il signifie donc littéralement : « celui-qui-marche-en-avant ».
Tite-Live fait également état de l’utilisation de chars de guerre (« essedon » en celte) pour briser les lignes romaines lors de la bataille de Sentinum, en – 295.
Outre une infanterie et une cavalerie, l’armée celtique était suivie par un long cortège de lourds chariots à quatre roues (« carros » en celte) qui transportaient les bagages et parfois les familles des guerriers. Plus que des guerres de conquête, les guerres des Celtes étaient plutôt des vagues migratoires armées, déplaçant parfois des peuples entiers en quête de nouvelles terres où s’établir.
Le déclin du mercenariat celtique commence avec la première moitié du IIe siècle avant notre ère.
Dans les derniers temps de l’Indépendance, les Celtes ont tenté de constituer des troupes de métiers à l’instar des sociétés méditerranéennes étatisées, mais ce changement s’est produit trop tard, hélas. La tentative d’adaptation de la cavalerie aux corps organisés de l’armée romaine s’est révélée insuffisante lors de la guerre qui précipita la fin des Celtes continentaux.
Les relations entre Celtes et Romains se sont très tôt caractérisées par une grande violence. L’accumulation de ces chocs a engendré autant de traumatismes durables, et la naissance d’une véritable psychose collective face aux raids ennemis. Le mythe du péril celte fut inventé, avec son cortège de contrevérités prenant le pas sur la réalité.
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Afin de contenir l’angoisse des Romains face aux menaces, les pouvoirs publics utilisent la religion. Ainsi, à deux reprises, en – 228 et – 216, enterrent-ils vivant un couple, au Forum Boarium (marché aux bœufs). Ce sacrifice humain est censé prévenir une menace d’invasion.
Cicéron se fait le champion de cette théorie raciste. Comme la plupart de ses contemporains, il n’a évidemment jamais mis les pieds en terre celte. Pourtant, les Celtes l’obsèdent. Écrits entre – 81 et – 43, ses discours, ses traités savants, sa correspondance regorgent d’allusions à la Celtique et à ses habitants. Il définit précisément la place des Romains, supérieurs aux Celtes, en raison de leurs qualités : « Ce n’est pas […] par la force que nous les avons surpassés, c’est par la piété ainsi que par la religion […] que nous l’avons emporté ». Par opposition au peuple romain, les Celtes ont un statut de peuplade, caractérisée par l’altérité, mais aussi l’hostilité. Naturellement barbares, ils sont décrits comme des colosses, par leur force et leur nombre, ou leur esprit belliqueux. Mais, dans la catégorie « comportement social », Cicéron développe sur les Celtes une pensée plus originale et vraiment romaine. Les Celtes sont présentés comme des monstres, des forces de destruction ou d’inversion de l’ordre politique et social romain. Deux chefs d’accusation principaux. Ils sont impies, font la guerre à tous les dieux et à tous les sanctuaires, et pratiquent les sacrifices humains.
« Croyez-vous que ces nations en apportant leur témoignage sont sensibles à la sacralité de leur serment, et à la crainte des dieux, elles qui sont si différentes des autres dans leurs habitudes tout comme dans leurs dispositions naturelles ? Car les autres nations entreprennent des guerres pour défendre leurs sentiments religieux, alors qu’eux font la guerre à la religion des tous les autres peuples ; les autres nations quand elles font la guerre implorent l’autorisation ou le pardon des dieux immortels ; eux font la guerre aux dieux immortels eux-mêmes ».
En outre ils sont déloyaux et ne respectent pas la parole donnée. Cicéron invente pour eux une expression, « barbari ac immanes » : « barbari » renvoie à la rusticité naturelle, « immanes » à l’absence de civilisation. Rien d’étonnant puisque, tout en défendant les intérêts des hommes d’affaires romains, il s’adresse à la frange conservatrice des sénateurs.
L’appréhension d’une menace celte toujours possible est illustrée par l’iconographie des victoires, sur les lieux où elles ont été remportées ainsi qu’à Rome même. La frise du temple de Civitalba, par exemple, figure des impies mis en déroute par Apollon et Artémis, après avoir pillé un temple. Comme dans la présentation qu’en donne Polybe : «
Non moins terrifiants étaient l’apparence et les mouvements rapides de ces guerriers nus placés au premier rang, qui montraient des hommes à l’apogée de leur force et de leur beauté. Tous ces guerriers des premiers rangs étaient richement ornés de colliers ainsi que de bracelets en or ».
Les guerriers de Civitalba font peur. De semblables épisodes sont représentés sur des objets quotidiens, telles les coupes à boire fabriquées à Calés en Italie du Sud. C’est donc une représentation-type, l’image de l’ennemi héréditaire, que donne Rome quand il s’agit des Celtes, jusqu’à la célébration du triomphe de – 46.
À cette occasion, César donne aussi des jeux éblouissants, notamment des combats de gladiateurs. Dans ces spectacles, les armes celtes tiennent souvent la vedette. C’est que les Romains ont très tôt détourné le penchant belliqueux des Celtes dans les arènes. Les représentations de batailles données par les essédaires (l’une des quatre spécialités celtiques), combattants montés sur des chars, devaient susciter la curiosité, mais aussi déclencher de grandes émotions collectives.
Présent sur les monnaies, instrument de publicité par excellence, émises par Saserna en – 48 ; ou sur les sarcophages qui se trouvent en bordure de routes à la sortie des villes ; le thème de la charrerie celtique constitue une allusion à la longue tradition des guerres auxquelles César a mis fin. Les monnaies de Saserna et de César présentent des guerriers nus, captifs, les mains liées dans le dos, et au pied d’un trophée composé de boucliers ou de carnyx, caractéristiques de l’armement celtique. César introduit aussi la femme dans cet environnement militaire, signifiant ainsi la soumission de toute la population. Les monnaies de Saserna livrent des condensés de barbarie celte : une tête d’homme hirsute devant un bouclier, ou encore une tête de femme, à la chevelure désordonnée, devant un carnyx. La femme celte est donc associée aux activités guerrières, au contraire de la femme romaine, dont les cheveux sont soigneusement attachés en chignon et qui s’adonne uniquement aux activités domestiques.
NADINE ROBERT. Bibliothécaire à l’École pratique des hautes études en sciences religieuses et chercheuse au CNRS (rien à voir avec l’épouse du maire de Saint-Denis de la Réunion).
*Interdite en France.
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LE DIVODORUM (VOIE) DES TRES-SACHANTS (les îles de Plutarque les druides chirurgiens, etc.)
Ce chapitre est manquant.
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LE DIVODORON DU GUERRIER CELTE
(voie du guerrier appelée bushido en japonais illustré par le hésus Cuchulainn ou voie du Sétanta, voire de vindo camulogenos).
Proverbe gaélique (et devise de la Cateran Society) : Am fear a thug buaidh air fhein, thug e buaidh air namhaid. Qui se conquiert lui-même conquiert son ennemi.
La sunartiu est une force préternaturelle et psychosomatique genre placebo, un peu analogue au célèbre mana des Polynésiens, la sunartiu pénétrait les armes ou les êtres consacrés aux dieu-ou-démons, et donc en définitive plus ou moins les guerriers eux-mêmes (vergio/ferg). La sunartiu se traduisait en général par une spectaculaire lon laith ou luan laith. D’où l’espèce de mât gravé sur certaines monnaies armoricaines pour le représenter.
LES ARRAS OU EXERCICES DIVERS.
La méditation en activité vaut cent fois mieux que la méditation au repos (Bodhidharma, école de Chaolin).
Le noble, et plus tard, le citoyen (toutiois) qu’il soit d’origine plébéienne ou aristocratique, était mobilisable à tout moment s’il y avait péril pour son peuple.
Strabon. Géographie IV, IV, 6. Éphore signale un trait intéressant : « ils s’évertuent à ne devenir ni gros ni ventrus, et tout jeune homme qui excéderait la mesure standard d’une certaine ceinture, serait puni », mais nous ne retrouvons pas cette particularité chez les Celtes des âges postérieurs.
La raison de ce paradoxe est à notre avis assez simple. Éphore ne parlait pas des Celtes en général, mais seulement d’une infime minorité d’entre eux, une élite, les berserkir celtes appelés vercingets ou gésates.
Une telle législation sur la condition physique implique en tout cas l’existence d’exercices d’entretien de la forme, gymnastique, entraînement guerrier, chasse, etc., et ceci dès une date assez haute puisqu’Éphore écrivait vers le milieu du IVe siècle avant notre ère.
LE PROBLÈME DES ORDALIES GAÉLIQUES.
N.B. Ordalie est le terme utilisé par Whitley Stokes pour traduire le mot gaélique « fir », mais il n’est pas très heureux, nous le reprendrons ici faute de mieux.
Whitley Stokes évoque dans sa « traduction » des aventures de Cormac différentes épreuves plus ou moins crédibles, plus ou moins fantaisistes, dont quelques-unes semblent témoigner en ce qui concerne le feu ou la chaleur d’un certain effet placebo. C’est de cela que nous allons parler maintenant.
Avertissement au lecteur. Sur la réalité, ou les conditions, la nature miraculeuse ou au contraire tout à fait naturelle, de ces effets placebo, voir les différents phénomènes de fakirisme, comme la marche sur le feu.
La marche sur le feu, contrairement à d’autres prétendus « pouvoirs » de l’esprit comme la psychokinèse ou la clairvoyance, ne peut pas être niée sous prétexte de simple subjectivité. Depuis plusieurs siècles, des milliers de personnes ont indéniablement marché pieds nus sur un long lit de braises et de charbons de bois de plusieurs centaines de degrés. Beaucoup pensent, ou supposent qu’un tel exploit reste impossible dans des conditions normales. Ils affirment que seuls de mystérieux pouvoirs, ou une force surnaturelle permettraient d’atteindre un état tel que toute brûlure serait évitée. Pourtant, de telles références ne sont pas nécessaires. Quelques principes scientifiques et physiques (comme le transfert d’énergie ou la nature de la marche sur le feu en elle-même) suffisent à expliquer cet « exploit ».
La marche sur le feu n’est pas un phénomène nouveau, cette tradition fait partie de la culture humaine depuis bien longtemps. Déjà mentionnée dans la Bible (Proverbes 6, 28), et abondamment pratiquée dans l’île de la Réunion. Elle fait partie intégrante de rituels magiques et religieux dans de
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nombreuses cultures. Les hindous, les bouddhistes tibétains et autres mystiques ou ésotéristes modernes aiment la pratiquer.
On peut déduire de ce récit des aventures de Cormac que, outre l’effet placebo, stimuler la production d’endorphine dans son corps était sans doute un des buts recherchés par maints exercices (arrea) du druidisme guerrier antique, dont les descriptions figurant dans cette légende ne sont qu’une caricature.
Toutes ces techniques psychosomatiques archaïques, à part peut-être la dernière, avaient donc en commun le fait d’être fondées sur l’emploi du feu. Tout le problème évidemment était d’avoir avec soi la force divine recherchée (la sunartiu) SANS ÊTRE EN ÉTAT DE VERGIO (irlandais ferg) pour en sortir indemne. Mais si la personne soumise à cette épreuve de vérité avait bien avec elle la risunartiu (la force… divine) alors cela ne lui faisait aucun mal.
Néanmoins, rappelons-le encore une fois, les ordalies médiévales irlandaises, telles qu’elles nous sont décrites dans les documents cités (Whitley Stokes. lrische Texte III, pages 191-192) ne sont que des adaptations approximatives, à des conceptions chrétiennes (de la justice, etc.) de techniques psychosomatiques, BIEN PLUS ANCIENNES ET COMPLÈTEMENT ÉTRANGÈRES À L’ORIGINE À LA MENTALITÉ CHRÉTIENNE, DESTINÉES SIMPLEMENT À SAVOIR SI QUELQU’UN AVAIT OUI OU NON, AVEC LUI, LA RISUNARTIU (LA FORCE DIVINE).
Les chrétientés celtiques se sont emparées de ces arrea pour en faire des pénitences c’est-à-dire pour purifier ou remettre en état de grâce le pécheur ayant fauté, mais à l’origine il s’agissait pour les druides guerriers d’agir…
— Préventivement, afin de renforcer le mental de leurs élèves, et leur contrôle sur chaque pouce de leur corps.
— Non, a posteriori, pour corriger.
Le déchaînement presque hystérique des forces du berserkr celte de type vercinget était tel qu’il nécessitait parfois tout un équipement pour le retenir.
Ferais tromsnechta in n-aidchi sin corbo chlárfind nó corbo clárenech uili cóiceda Hérend don tsnechtu. Ocus focheird Cú Chulaind de na secht cneslénti fichet cíardai clárda bítis fo thétaib & rifetaib fria chnes arnacha ndechrad a chond céille tráth doficfad a lúth láthair. Ocus legais in snechta trícha traiged ar cach leth úad ra méit brotha in míled & ra tessaidecht cuirp Con Culaind, & ní chaemnaic in gilla bith i comfocus dó itir ra mét na feirge & bruthmaire in míled & ra tessaidecht in chuirp.
« Une lourde neige tomba cette nuit-là de sorte que toutes les provinces d’Irlande devinrent une seule et même étendue blanche. Et le Hésus Cuchulainn rejeta les vingt-sept chemises, cirées, durcies comme des planches, qu’il avait l’habitude de porter à même la peau, attachées avec des lacets ou des cordes afin de ne pas perdre tout sens commun quand il entrerait en transe. »
Ces transes semblent s’être toujours accompagnées d’une intense production de chaleur.
« Si grande était son ardeur de guerrier et si grande la chaleur du corps du Hésus Cuchulainn que la neige fondit jusqu’à trente pieds tout autour de lui et que le cocher ne put rester à ses côtés à cause de l’intensité de la fureur et de l’ardeur du guerrier tout comme de la chaleur de son corps ».
Explication peut-être de la maîtrise du feu que ces arra procuraient.
Il y a dû évidemment avoir exagération de la part des bardes ayant colporté ces légendes pendant des siècles et des siècles. Sortir indemne de ces ordalies n’était en tout cas possible que grâce à la risunartiu permettant de transcender ce qui paraissait être le cours inéluctable des événements : être gravement brûlé, voire complètement consumé.
Il s’agissait quand même plus ou moins de véritables miracles, car la production massive d’endorphine dans l’organisme ne peut pas suffire à tout expliquer.
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En outre, rappelons-le encore une fois, ces résultats ne pouvaient être atteints qu’à certaines conditions et en adoptant un certain mode de vie.
À ce stade, il y avait peu de place pour la grâce ou l’espérance, car seule la mise en pratique sans faille des exercices mentaux nécessaires pouvait aboutir à de tels résultats.
Les privations physiques et la tension mentale entraînaient la volonté, permettant ainsi au guerrier d’outrepasser les limitations normales de l’existence corporelle, et de développer des pouvoirs supra humains, de perception et d’action. S’il parvenait, dans l’embrasement de sa volonté, à brûler les liens de son corps, le vercinget ou berserkr celte transmuait alors cette dernière en pouvoir, pouvoir d’accomplir des choses extraordinaires, de guérir, et ainsi de suite (voir par exemple le cas de la guérison par le Hesus = Cuchulainn, de la fée Morrigu/Morgane, lors de l’Enlèvement des vaches de Cualnge).
LES ENTRAÎNEMENTS ET LES MORTIFICATIONS.
Un texte antique nous montre des Celtes s’exerçant à surmonter la douleur. Des guerriers blessés par des flèches élargissent leurs blessures ; et Tite-Live dit nettement qu’ils veulent par là acquérir de la gloire.
« Les plaies béantes de toute façon ne les troublent guère ! Quand il s’agit d’une contusion superficielle plutôt que d’une profonde blessure, certains s’entaillent même la peau, afin d’en tirer une plus grande gloire » (Livre XXXVIII chapitre XXI).
En ce qui concerne la culture physique, l’endurcissement contre les variations de température, la marche, les veilles, les témoignages venus jusqu’à nous sont en revanche contradictoires (certains peuples semblent avoir reproché à d’autres leur « mollesse »). Mais en voici un qui est assez clair : « Les hommes de tout âge sont également prompts à la guerre, le vieil homme tout comme l’homme encore dans la fleur de l’âge répondent avec le même zèle à un appel aux armes, et leurs corps sont endurcis par un climat froid ainsi que de nombreux exercices ; de sorte qu’ils sont tous enclins à mépriser les dangers ou la terreur. Aucun des hommes de cette nation ne s’est jamais amputé du pouce par crainte des rigueurs de service militaire, comme l’ont fait en Italie ceux que l’on appelle là-bas des réformés [latin murcus pluriel murci] » (Timagène. Cité par Ammien Marcellin, XV, 12).
W. Ridgeway a démontré que l’armement et les vêtements décrits dans le cycle irlandais d’Ulster correspondent exactement au type de civilisation dit de La Tène.
Les Celtes, tels que les font connaître les Anciens, surtout Strabon et Diodore, ont en commun avec les Ulates irlandais plusieurs coutumes : ils connaissent le combat de deux guerriers illustres en présence des deux armées ennemies ; le meilleur morceau de viande est servi, après compétition, au plus brave de l’assemblée ; ils se servent de chiens de guerre ; ils combattent dans des chars à deux roues, occupés par deux hommes ; ils lancent des pierres au moyen de frondes, mais leur arme ordinaire est le javelot ; ils coupent les têtes des ennemis vaincus et les conservent dans leurs maisons en souvenir de leur bravoure.
Étant donné donc la ressemblance entre les deux civilisations (celle des Ulates et celle des Celtes antiques), il n’est pas sans intérêt de se pencher aussi sur les arts martiaux irlandais généralement associés au Hesus = Cuchulainn ou à d’autres héros bien connus, de ce type (exemple Vindos Camulogenos et les Fénianes). Afin d’avoir une meilleure idée de la façon dont ils se présentaient vraisemblablement, il y a 2000 ou 3 000 ans, sur le Continent.
Ainsi que nous avons pu le voir, il existait alors deux grandes méthodes de druidiaction (au sens large du terme, de Catubatuos/Cathbad à Scathache).
a) La méditation, assis à la Cornunnos sous un chêne (en tailleur).
b) La concentration lors d’exercices physiques développés dans ce but.
— Positions et mouvements.
— Respiration.
— Contrôle des sensations et notamment de la douleur.
C’est cette dernière catégorie qui va être étudiée ici, mais la première (la méditation à la Cornunnos, assise en tailleur sous un chêne) ne doit pas être négligée pour autant, ne l’oublions pas !.
Les divers exploits de Diarmat, dans le tragique récit des amours malheureuses de la belle et ensorceleuse Grannia, sont la preuve de l’existence d’un entraînement sportif ou guerrier assez redoutable chez les Fénianes d’Irlande. Saut par-dessus le fer d’une lance, exercice avec des tonneaux en train de dévaler une pente, exercices sur le fil du rasoir (d’une épée) saut à la perche. Nombreuses allusions également ailleurs. Par exemple dans l’histoire où il est dit que Mongan était fils
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de Cumall et qu’il fut la cause de la mort de Fothad Airgdech. Caletios/Cailté saute par-dessus la triple enceinte de la forteresse en se servant d’un bois de lance en guise de perche.
Et aussi dans le récit de l’enlèvement des vaches de Cualnge.
« Ce jour-là Fer Diad exécuta de nombreuses magnifiques et brillantes bottes secrètes qu’il ne tenait de personne, ni de sa mère adoptive ni de son père adoptif ni de Uathache ni d’Aife, mais qu’il avait mises au point lui-même afin d’affronter le Hésus Cuchulainn » (Tain bo Cuange).
Les meilleurs des guerriers s’entraînaient à tout faire d’une seule main, en fermant un œil, et en équilibre sur une seule jambe. Cas de Lug et de Cuchulainn. Il est certain qu’un tel entraînement devait conférer à celui qui s’y adonnait une grande dextérité. S’y ajoutait aussi le fait de jongler (avec neuf pommes par exemple pour Cuchulainn).
L’art de la jonglerie est d’ailleurs la plus ancienne des disciplines de cirque. Mais son origine remonte à des temps bien plus anciens, et encore aujourd’hui, les civilisations primitives de tous les continents perpétuent cette pratique. En Orient, les chamanes et les prêtres utilisaient la jonglerie pour prédire, explorer l’inconnu, écarter le danger.
Des fresques de l’ancienne Égypte représentent quelquefois des jongleuses, par exemple lors de cérémonies religieuses vouées aux pharaons. Les Aztèques ont façonné des sculptures représentant des personnages jonglant avec les mains, mais aussi avec les pieds (antipodistes).
Une des raisons de l’importance du jonglage réside sûrement dans le fait que jongler, c’est aussi apprendre à maîtriser son corps, à se concentrer en permettant ainsi de libérer son esprit de tout souci ou contrariété ; une heure d’entraînement vaut largement une séance de méditation.
LA RESPIRATION.
« H-o rancatar ierum Domnall, forcetai leis aill for liic dercain & fosetiud cetharbolc foithi. Après qu’ils furent arrivés chez Domnall, ce dernier leur apprit à… » Ce tour consistait apparemment à se coucher sur une pierre plate, où était percé un petit trou, et à souffler dans ce trou de manière à gonfler quatre outres de cuir ; et ils devaient le faire jusqu’à ce que la plante de leurs pieds en devienne noire ou livide.
Au Moyen-âge le ferdord, de fer « homme » et dord « chant, plainte, bourdonnement », était encore chez les Fénianes une sorte de chant ou de refrain, s’accompagnant parfois du choc de leurs hampes de lance contre le bouclier. Dans le récit du Longes Mac nUislenn, le mot andord semble par contre désigner le chant d’une voix de ténor.
SAUTS EN HAUTEUR SAUTS EN LONGUEUR ET SAUTS À LA PERCHE.
Une autre des techniques de base devait sans doute être celle du saut (lingmen. D’où le nom des Lingons. Il devait s’agir de spécialistes du saut). Le Hesus = Cuchulainn en était, lui aussi, un champion, si l’on en croit la phrase suivante : « Il sauta en l’air par trois fois, et partit en bondissant vers le sud de Lûachair ».
Pour entraîner ses élèves, la mythique reine Scathache se servait d’une machinerie mue par des ressorts ou de solides gaillards derrière des leviers. Son principe était assez simple. Il s’agissait d’un pont ou d’une passerelle en bois, et il fallait tenir en équilibre dessus, en évitant tous ses pièges : planches qui disparaissaient, lames d’épée coupantes comme des rasoirs, etc. « Lorsque l’on sautait dessus, il rétrécissait puis devenait aussi mince qu’un cheveu, aussi tranchant qu’une lame, aussi glissant que la queue d’une anguille ; parfois également il se redressait d’un seul coup et devenait alors aussi haut qu’un mât ». Cet engin pouvait même se révéler assez dangereux apparemment.
Nos textes semblent distinguer plusieurs sortes de sauts : le saut du saumon, le saut en l’air et d’autres encore…
Le saut à la perche.
Certains textes évoquent la possibilité de sauter à la perche en se servant pour cela de la hampe d’une lance (Diarmat dans le cycle ossianique). Nombreuses allusions également ailleurs. Par exemple dans l’histoire où il est dit que Mongan était fils de Cumall et qu’il fut la cause de la mort de Fothad Airgdech. Caletios/Cailté saute par-dessus la triple enceinte d’une forteresse en se servant
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d’un bois de lance. Vers le IIe siècle de notre ère, des soldats du Nord de l’Angleterre et de l’Écosse utilisent de longues lances préparées pour traverser différents obstacles.
Dans l’ancienne Irlande, le saut à la perche était en effet utilisé pour traverser des ruisseaux, franchir une haie ou échapper à des bêtes sauvages à l’aide de longs morceaux de bois rigides. Cette pratique était par ailleurs utilisée comme élément de tactique militaire pendant les sièges de châteaux ainsi que nous l’avons vu ou encore afin de couvrir un maximum de distance en un minimum de temps. Le saut à la perche (en tant qu’épreuve de saut en longueur) faisait partie des jeux de Tailtiu * (Talantio aujourd’hui peut-être Teltown) vers 550 avant notre ère.
Cependant, entre le saut à la perche moderne et celui qui consiste à passer par-dessus une rivière, il existe des différences notables. Tout d’abord, la perche étant rigide, l’impulsion ne devait pas être dirigée vers l’avant à cause du risque de la briser, ensuite le saut ne devait pas aller très haut, la réception sur le sol n’étant pas facile.
Le saut à la perche actuel est une épreuve d’athlétisme faisant partie des sauts. Elle consiste, après avoir effectué une course d’élan d’une cinquantaine de mètres, à s’aider d’une perche souple pour franchir sans la faire tomber une barre horizontale placée à plusieurs mètres de hauteur. C’est la huitième épreuve du décathlon.
Le saut à la perche de haut niveau nécessite les quatre qualités de l’athlétisme : la rapidité sur la course d’élan, la force pour appuyer sur la perche, la souplesse pour effectuer les mouvements en l’air et la qualité de pied au moment de l’impulsion.
Voici comment était encore effectué à Aranmor, vers 1900, d’après John M. Synge (The Aran Islands), le saut du saumon. Le champion de danse de l’île se leva au bout d’un moment, et il exécuta le saut du saumon : « couché à plat ventre puis bondissant au-dessus du sol à une hauteur surprenante ».
Le fait que ce soit un champion de danse toutes catégories, qui ait pu réussir ce saut du saumon, montre assez qu’il s’agissait du fruit d’un long entraînement.
Les jeux de Tailtiu étaient une manifestation sportive et culturelle qui se déroulait en Irlande en l’honneur de la princesse (Gauloise Fir Bolg) Tailtiu/Talantio. Si l’on en croit la chronologie assez fantaisiste du livre des conquêtes, les premiers jeux auraient été organisés par le dieu Lug en 1829 avant notre ère. Mais on n’en trouve des traces plus sûres qu’à partir de – 554. Ils durèrent jusqu’à l’invasion normande de 1167-11691. Ils duraient trente jours.
Sans oublier les jeux d’adresse les plus divers : jongler avec des pommes par exemple (avec neuf pommes).
Le jeu de la corde est plus énigmatique. S’agissait-il seulement de s’entraîner individuellement, un peu comme les boxeurs actuels, en sautant à la corde, ou d’une compétition entre équipes tirant sur la même corde pour voir laquelle est la plus forte ?
« On leur enseigna aussi en ce lieu [à la cour du roi Domnall] un autre tour de force, avec une lance sur la pointe de laquelle ils devaient grimper puis se tenir en équilibre ou tomber ».
N. D. L. R. Cela ressemble tout à fait aux fameuses planches à clous des fakirs indiens, l’exagération poétique en plus : il y avait peut-être en réalité plusieurs pointes de lance et non une seule.
Ou alors il s’agissait, comme dans le cas des exercices pratiqués dans le château de Scathache, de monter ou de descendre en escalier sur des fers de lance et non sur leur pointe.
LES RIASTRADES OU CONTORSIONS.
Le terme riastrade signifie à l’origine « déformation du corps sous l’effet d’un mental en proie totale à l’exaltation ».
Les riastrades à la Cuchulainn sont en effet une forme très particulière d’exercices physiques. Cette pratique est très ancienne, et l’on en a des traces dans plusieurs autres civilisations. On en trouve des représentations par exemple sur des sculptures du temple du Borobudur en Indonésie (Xe siècle).
La contorsion est d’ailleurs une discipline acrobatique encore pratiquée aujourd’hui au cirque ainsi qu’en gymnastique, et fondée sur des exercices de souplesse réalisés par l’artiste.
On distingue la contorsion avant de la contorsion arrière.
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La contorsion avant est basée sur des exercices de souplesse, avec un mouvement du dos vers l’intérieur : par exemple, passer sa tête derrière ses jambes. Les exercices sont souvent caractérisés comme étant des poses de « grenouilles ».
La contorsion arrière, la moins « naturelle », repose sur des exercices avec un mouvement du dos vers l’extérieur : par exemple, la figure de la « boîte » ou du « scorpion », où l’artiste passe ses pieds devant sa tête.
La contorsion est beaucoup pratiquée dans les cirques asiatiques. En Mongolie, ces exercices étaient accomplis dans les temples afin d’acquérir la maîtrise de son corps.
Les contorsionnistes sont des acrobates remarquables de par l’extrême souplesse de leur corps : disloqués en avant ou en arrière, ou les deux à la fois (on les appelle alors des caoutchoucs).
Ce travail, quand il n’est pas esthétique, n’est pas toujours bien perçu par le public.
Autrefois, les disloqués se produisaient surtout dans les foires, on les considérait alors plus comme des phénomènes que comme des artistes.
Les contorsionnistes fascinent (surtout si ce sont des femmes) par leurs exploits surhumains. Dora, l’une des plus populaires contorsionnistes de l’après-guerre, était capable de plier son mètre cinquante et ses 47,5 kg dans un cube de 43 cm de côté !
Aujourd’hui, certains artistes utilisent une caisse en plexiglas pour mieux faire admirer leur magnifique travail d’athlète. D’autres exécutent des dislocations tout aussi incroyables sur un piédestal de six mètres de haut.
Outre les contorsionnistes qui se mettent en boîte, il y a ceux qui se muent en pantins et se laissent manipuler par leurs partenaires comme s’ils étaient des poupées.
Il y a aussi les contorsionnistes sans autre accessoire qu’un socle : en appui sur les mains, les jambes au-dessus des bras et les pieds semblant accrochés aux épaules.
Il y avait aussi plus fort. D’après le RIA Dictionary, on appelait saebbglès ou saebchless (vieux celtique soïbo-slectu) le tour de force de Cuchulainn consistant à faire faire un tour complet à son corps à l’intérieur de sa peau restée immobile.
Un paragraphe du Togail Bruidne da Derga ou Destruction de l’auberge de Da Derga en fait néanmoins plutôt une sorte de contorsion au sens classique et moins surnaturel du terme.
« Du fait de l’extraordinaire ardeur et de la violence du combat mené par Conaire, il fut saisi d’une grande soif et périt consumé de fièvre de n’avoir pu boire quelque chose. Quand le roi mourut, ces trois hommes firent une sortie hors de l’hôtel et firent le coup du voleur volé puis s’éloignèrent, blessés, brisés, ou estropiés ».
Le Saebchless dans ce cas n’est qu’une « magie de la déformation ».
LES CLESSA (singulier cliss).
Les arts martiaux celtiques antiques avaient pour but d’apprendre à la deuxième fonction sociale, celle des rois et des guerriers, à déchaîner la formidable énergie pouvant résider dans un corps humain (que l’on pense un peu à la force que peut avoir un hystérique en crise) afin de surmonter tous les obstacles d’origine physiologique auxquels peut se heurter un combattant. Car la faiblesse qui affecte régulièrement la race des seigneurs (les Ulates) peut nous frapper, nous aussi, un jour ou l’autre. Elle n’est que la faiblesse humaine elle-même. La vergio ou ferg (fureur sacrée ou état de lon laith/luan laith) équivalant à une extase ; permettait donc aux vercingets, aux combattants d’élite comme les gésates ou les berserkir celtes, de libérer la puissance résultant d’une union plus ou moins métamorphique entre le corps et l’âme ou l’esprit ; avec l’Infini cosmique, avec l’Énergie supérieure du Tokad, etc.
Pourtant on ne voit pas pourquoi l’expérience mystique authentique devrait a priori exclure ou éviter tout contact avec les forces de la nature humaine, ou du Cosmos, comme le voudraient les judéo-islamo-chrétiens qui diabolisent tout. Mahomet fut aussi un grand guerrier. La vergio/ferg, ou l’état de lon laith/luan laith symbolisé par un mât sortant du crâne sur les monnaies armoricaines, était une des marches de la grande science (ambividtu) qui embrase comme un soleil (versonnions) !
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Il y avait donc aussi bien sûr et même avant tout l’apprentissage du maniement des armes.
Voir l’exemple du plus célèbre de leurs représentants, le Hésus = Chien de Culann = Chien du forgeron.
« Alors Aemer prit la parole et fit la réponse suivante.
Il me revient, me semble-t-il, de m’exprimer en tant que femme d’un héros
Qui rassemble en une union naturelle les grâces de l’esprit et du corps
Puisqu’il n’a toujours pas fini d’apprendre et qu’il retient bien à la fois
Le coup de l’hyperventilation,
Le jeu des pommes,
Le coup de l’esprit ou du fantôme,
Le coup du cercle (ou le coup de Cuar ?)
Le coup du chat,
Le coup de la flexion du vaillant champion qui tourbillonne,
Le gae bolga ou javelot-foudre,
Le jeu de la vitesse,
Le coup d’épée qui ne donne qu’une ecchymose,
Le cri de guerre du héros,
Le jeu de la roue,
Le jeu du fil de l’épée,
Le jeu du vaillant champion qui monte sur un javelot puis s’étend et se déploie sur sa pointe.
On ne peut trouver personne qui égale son âge sa croissance et sa splendeur
Il parle avec grâce et harmonie ;
C’est un brave et un vaillant héros, il se bat comme un fou furieux dans les mêlées
Il sait bien viser en outre et il est agile, rapide et sûr à la chasse ».
Les guerriers celtes antiques combattaient aussi avec des frondes, des arcs, des javelots, ou des orclach (sorte de rondelles à bord tranchant, analogues au çakra du kalaripayatt, ou aux shaken des Ninjas). L’ocharchliss était par exemple une des spécialités du Hesus = Cuchulainn.
« Dachuatarbar a n-airigthib gascid. Ra gabsatar dá sciath chliss chómardathacha forro & an-ochtn-ocharchliss ».
— L’orclach était une arme se présentant sous l’aspect d’un disque de fer dont le bord extérieur possédait un tranchant très acéré, en biseau. En terme technique, c’était un couteau de forme orbiculaire ou plus simplement une sorte de disque. L’orclach coupait comme un rasoir ; le guerrier s’en servait en le lançant et en le faisant tournoyer, pour fendre, trancher, couper.
On en connaît les effets terrifiants d’après les textes épiques conservés à l’autre bout du monde aryen. Kali et Vishnou s’en servent dans les combats pour trancher la tête de leurs ennemis « qui reste pendant un moment sur les épaules de leur victime avant de tomber ».
Tenu à pleine main, malgré son bord acéré, l’orclach pouvait même se lancer comme une pierre plate pour faire des ricochets sur l’eau.
— Le glaive (plus tard la claymore). On apprenait à frapper de taille et aussi d’estoc, mais cette première façon d’utiliser son arme semble avoir été la plus courante en Irlande, car elle revient souvent dans les textes sous le nom de jeu du tranchant (de l’épée : faeborchless).
— La fronde. Cette arme était utilisée par les bergers de l’Antiquité pour défendre leurs troupeaux contre les loups et autres prédateurs de ce genre. Les frondes les plus anciennes attestées par l’archéologie sont celles, tressées en lin, que l’on a trouvées dans le tombeau de Toutankhamon, mort vers – 1325.
Dans la mythologie celtique, Lug, tue son grand-père maternel Balor avec une fronde, conformément à une antique prophétie.
Dans le récit intitulé Aided Óenfir Aífe (la mort du fils unique d’Aifé), Conall Cernach est ridiculisé par Conla, le fils de Cúchulainn, âgé seulement de sept ans. Alors que l’enfant débarque en Irlande en provenance d’Écosse, Conall part à sa rencontre pour lui demander de se présenter ; mais il reçoit une pierre de fronde qui le fait tomber par terre et se retrouve les mains liées.
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Les armées de l’antiquité méditerranéenne avaient des bataillons de frondeurs. C’était le cas des Grecs, des Romains (des frondeurs sont représentés, par exemple, sur la colonne Trajane) ; les habitants des Baléares, à l’époque de Carthage, fournissaient des bataillons particulièrement réputés. Il existe un débat quant à l’emploi exact des frondeurs.
L’arme, proprement dite, n’a guère subi de modifications. Mais les spécialistes, qui sont souvent des mercenaires originaires de Rhodes et des Baléares, sont porteurs, en général, de trois frondes de longueur croissante (les deux qui ne sont pas utilisées sont enroulées autour de la tête). Ceci peut correspondre à des formes de tir allant du jet relativement précis, mais à courte distance, jusqu’au tir à longue portée, pour le harcèlement à distance.
Si la précision du tir des archers antiques est souvent sous-estimée, en revanche celle des frondeurs est manifestement exagérée. Les textes de l’Antiquité font état de coups au but à plus de 100 m, et même à un stade – 170 m environ – mais l’homme touché n’était certainement pas dans ce cas celui qui avait été visé... Certains auteurs modernes sont allés jusqu’à parler de vitesses initiales de 100 m/s… C’est oublier que la force centrifuge sur le projectile tournoyant aurait alors été considérable : il aurait fallu que le frondeur ait un bras et un poignet quasiment herculéens, et qu’il ait les jambes comme bétonnées dans le sol. À 35 m/s déjà et pour une fronde de 1,10 m, cette force centrifuge est de 33 kg, ce qui, à bout de bras, demande un solide gaillard (et élimine toute réalité aux tirs à 1 stade).
Le Hésus = Chien de Culann en était un vrai champion néanmoins, si l’on en croit certains textes le concernant : « Le Hésus Cuchulainn s’avança vers eux avec son char, en faisant les trois jeux du tonnerre, le tonnerre de cent, le tonnerre de deux cents et le tonnerre de trois fois neuf afin de les balayer de la plaine de Muirthemné. Ensuite il fonça sus à l’ennemi en brandissant ses armes et joua de son javelot ainsi que de son bouclier ou de son épée sur eux, tout y passa ».
— L’arc. L’arc droit simple (c’est-à-dire non composite et à simple courbure) avait été jusque-là obtenu à partir d’une branche, taillée puis polie. Désormais il est fabriqué à partir de débits de troncs refendus. L’intérieur (le creux situé du côté de l’archer pendant le tir) sera constitué de « bois de cœur », plus résistant à la compression, et l’extérieur (le « dos » de l’arc) d’aubier », plus élastique. Les expériences modernes ont montré que cette simple modification augmente la portée – ou la puissance de pénétration, l’une et l’autre étant proportionnelles au carré de la vitesse initiale – de 20 à 30 %.
Le guerrier qui pratiquait le tir à l’arc devait donc avant toute chose apprendre à connaître les différentes essences d’arbres pouvant fournir les meilleurs arcs et les meilleures flèches, apprendre à estimer les distances. Ensuite il travaillait ou pratiquait les différentes techniques de méditation propres au tir à l’arc. Les positions du corps que l’élève devait apprendre étaient nombreuses. À l’autre bout du monde aryen, l’Agni-Purâna en énumère dix.
La pratique de la méditation, pour arriver à transférer l’énergie et sa force en un point unique, faisait partie intégrante de l’enseignement des druides guerriers. Cultiver le point unique de concentration, c’était cultiver le corps et l’âme/esprit (anaon) afin qu’ensemble ils ne soient qu’un œil ; c’était cultiver sa nature profonde, et finalement cultiver son moi.
Une telle approche conduit en effet à un état de paix intérieure décrit avec justesse dans l’Agni-Purâna indien justement, voir le chapitre intitulé Dhanur Veda, la science des archers. Celui qui a rendu la vision de son œil à la fois mentale et physique peut vaincre même le dieu-ou-démon de la mort. Vaincre le dieu-ou-démon de la mort signifie d’abord se vaincre soi-même. Ayant alors concentré son esprit sur la cible, la tête bien ferme sur son cou immobile, la poitrine bombée, les épaules effacées, tout son buste formant un triangle, l’archer lâchait sa flèche.
Le javelot (gaison). Arme favorite des Gésates.
Le javelot-foudre ou gae bolga. On se perd en conjectures sur la nature exacte de cette arme, autre spécialité de Lug et du Hesus = Cuchulainn. La technique du lancer du javelot foudre ou gae bolga nécessitait en tout cas, si l’on en croit la geste du Hesus = Cuchulainn ; voir son combat contre Ferdiad lors de l’enlèvement des bœufs de Cooley ; une totale maîtrise des muscles du pied, mais aussi des doigts de pied. Cette arme, c’était là sa particularité, devait en effet être d’abord jetée dans de l’eau, puis lancée avec les doigts de pied.
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Arrien. De la tactique. (Livre où il est surtout question de l’exercice DES CAVALIERS).
Petrinos.
Tout en faisant volte-face, le cavalier doit réussir ce qui est appelé petrinos en langue celtique, autrement dit le plus difficile de tous les mouvements. Il doit pivoter sur sa droite au maximum jusqu’à faire face à la queue du cheval afin de pouvoir lancer son javelot vers l’arrière aussi précisément que possible.
Xunema.
Le cavalier doit lancer sa troisième javeline alors que son cheval tourne vers la droite pour éviter la tribune, en visant une autre cible qui a été placée là sur ordre de l’empereur, justement afin de recevoir la troisième javeline. C’est le plus difficile des trois lancers puisqu’il doit être effectué juste au moment où le cheval commence à tourner, mais avant qu’il ait achevé de le faire. Un semblable lancer de javeline est appelé xunema (en langue celte), et l’homme qui l’a réussi est dit avoir accompli un xunema (en langue celte), car ce n’est pas du tout facile à faire avec une javeline, surtout dénuée de pointe (métallique).
Stolutegon.
D’autres, comme s’ils avaient à en combattre un autre, font faire demi-tour à leur cheval et font passer leur bouclier par-dessus leur tête afin de l’avoir dans leur dos, puis manœuvrent leur épieu comme s’ils faisaient face eux aussi à une attaque ennemie. Les Celtes appellent cette manœuvre toloutegon.
Catéia : « Certains d’entre eux se servent aussi d’arcs et de frondes. Ils ont également une arme en bois ressemblant à une sorte de javelot [grosphoi en grec] : elle est lancée à la main, sans utiliser de courroie en guise de propulseur, et porte même plus loin qu’une flèche. Ils s’en servent surtout pour la chasse aux oiseaux » (Strabon. Géographie. Livre IV, IV, 3). Catéia est un terme signalé par le grammairien latin Servius (ad Aen 7.741) et traduit par « Tele gallica reciprocas faciebant ». « Rursum redit ad eum » par Isidore (H1. 839). Il s’agissait donc d’une espèce de boomerang droit, capable de revenir à son point de départ !
Bâton.
Le maniement du bâton était aussi une spécialité des guerriers fénianes, et il est à noter que le Hesus = Cuchulainn s’exerce également au jet du bâton dans l’épisode de l’enlèvement des bœufs de Cualnge, où il affronte le dénommé Cûr Dà Lôth.
Les vercingets ou berserkir celtes apprenaient à se servir de leurs armes de toutes les façons, y compris seulement pour assommer. Principe du bruud gine : ou coup d’épée qui ne donne qu’une ecchymose (asséné avec le plat de la lame donc, un peu à la façon de Jeanne d’Arc).
Voir l’exemple du plus mythique de leurs représentants, le Hésus = Chien de Culann.
Ces initiés aux arts martiaux celtiques étaient donc aussi forts que les fakirs ou les yogis indiens et ils étaient capables de prouesses physiques étonnantes : ils pouvaient infliger à leur corps les plus incroyables contorsions. Du moins si l’on en croit les riastrades du plus extraordinaire des contorsionnistes, le grand Hésus = Chien de Culann en personne, cf. aussi Tite-Live (Ab Urbe condita libri, VII, 10).
Bref, ainsi que nous l’avons vu avec Éphore, les membres de la classe guerrière celte suivaient dès leur enfance de très sévères entraînements physiques et mentaux, que les plus doués d’entre eux, les berserkir celtes de type vercinget, poussaient très loin.
Cette fureur sacrée des Celtes, cette vergio ou ferg (état dit de lon laith ou luan laith en gaélique) était aussi une expérience mystique entraînant une sensation immédiate et intuitive d’unité avec l’Infini, ou avec l’énergie même du cosmos physique. Une union avec la Nature, avec le Cosmos, avec la substance de ce monde, avec la vie, avec son Tokad, de type pulsionnel vitaliste, certes, et non de
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type contemplatif ou méditatif, comme celle des druides de type amarcolitanos ou aventieticos. Mais ne reconnaître une expérience religieuse authentique qu’à ceux qui mènent une vie morale, au sens bourgeois chrétien actuel du terme, revient à en fait absolutiser, à tort, une forme particulière de vie (et donc de mort).
Les guerriers d’élite du monde celte, à l’instar des Gésates, ont parfois constitué de véritables confréries analogues à celle des chevaliers de la Table ronde du très postérieur roi breton Arthur (les CINTOVERCINGETES). Du moins si l’on en croit ce qu’implique le vieux mot gallois cynverching (il signifie : « les premiers des super-guerriers »).
Athlètes rompus à toutes les disciplines du combat et de l’agilité, comme des danseurs écossais, n’ayant donc en aucune façon peur de la mort, les vercingets ou berserkir celtes tels Cuchulainn ou les Fénianes en Irlande sont des guerriers acrobates qui peuvent passer partout ; qui ne sont qu’en de rares occasions lourdement armés ; mais à qui leur entraînement permet souvent de se sortir de bien mauvais pas. Ils sont capables de toutes sortes de prouesses physiques. Faire des sauts impressionnants, marcher en équilibre sur des cordes ou tout autre support aussi peu pratique que le timon d’un char ou une épée, se faufiler dans des lieux étroits et très exigus, se défaire des liens les plus efficaces ; ou esquiver toutes sortes de projectiles. Un peu comme des experts en danse des hautes terres d’Écosse avons-nous dit.
Ainsi que nous avons pu le voir aussi, leur École antique la plus connue a été celle des Gésates, des sortes de yogis guerriers adeptes du nudisme intégral lors des combats, également spécialistes dans l’art de manier le bâton.
Une autre École de ce temps-là était d’ailleurs celle des Andabata. Il s’agissait de guerriers qui s’entraînaient à combattre les yeux aveuglés pour développer tous leurs autres sens (ouïe et odorat, d’où leur dévotion à Ogmios d’ailleurs… Les Romains en firent, hélas, des gladiateurs mercenaires).
PEINTURES DE GUERRE, CHEVEUX, ARMES, TORQUES ET AUTRES OBJETS MAGIQUES DIVERS.
La condition d’homme armé conférait à celui qui en était investi, une sacralité que seul l’adjectif latin sacer (sacré, tabou, dangereux), permet de caractériser aujourd’hui.
Une tonsure du devant du crâne allant d’une oreille, à l’autre, mais laissant subsister une demi-couronne de cheveux sur le haut du front et tout le reste derrière (avec ou sans queue-de-cheval tombant dans le cou. Voir par exemple le chaudron de Gundestrup) était la marque de cette sacralité chez certains druides ou guerriers celtes antiques.
Mais il en existait d’autres.
« Ils se lavent fréquemment les cheveux avec de l’eau de chaux puis les tirent vers l’arrière du front, les tempes et la nuque ; ce qui leur donne l’aspect de Satyres ou de Pans. Leurs cheveux s’épaississent tellement de la sorte qu’ils ressemblent aux crins des chevaux… » (Diodore de Sicile, V, 28, 2-3).
À défaut de casque un tel type de chevelure « à la manière d’un hérisson » permettait de mieux protéger la tête en opposant une plus grande résistance aux coups. Le char conduit par un Celte hirsute est de toute façon l’un des motifs les plus fréquents au revers des monnaies celtiques.
Le hésus Cuchulainn semble avoir été doté, lui aussi, d’une telle chevelure, si l’on en croit l’antique saga irlandaise intitulée « l’enlèvement des vaches de Cualnge ».
« Il avait les cheveux hérissés sur la tête comme les épines d’un acacia poussé dans l’ouverture d’une grande haie. Si on avait secoué le pommier d’un roi chargé de fruits royaux pour qu’ils tombent, rares sont les pommes qui auraient pu passer au travers et atteindre le sol, car elles se seraient plutôt comme embrochées sur le moindre de ses cheveux, tant était grande la force de la fureur guerrière à mesure qui s’en élevait au-dessus de lui.
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Les PICTES, PICTONS, PICTAVES ou PICTAUII.
« Tous les (Grand) Bretons se teignent la peau en se servant d’une plante appelée guède, qui leur donne une couleur bleuâtre, et ont de ce fait une apparence effrayante dans les combats. Ils portent les cheveux longs, et… » (César B. G. Livre V, 14).
Les Pictes seraient « les Tatoués » vu leur habitude de se peindre ou de se tatouer le corps pour effrayer leurs ennemis. Ce qui en la matière les différenciait donc quelque peu des Gésates.
Le port picte par excellence était Ratatium et l’oppidum principal Lemonum. La nation picte regroupait de nombreux « vassaux » (des protégés), notamment les Anagnutes, les Ambiliates et les Agéssinates. La nation picte s’associera ensuite avec les Santons et ils formeront ensemble une puissante fédération, dont l’objectif était le contrôle du commerce vers les îles Britanniques. Les Santons utilisent en effet eux aussi le symbole de la nation picte, la main ouverte, sur leurs monnaies. À moins que la main ouverte soit justement le symbole de l’union des Pictes et des Santons.
Se peindre le corps en bleu était aussi l’habitude des anciens habitants de l’Irlande et de l’Écosse appelés Scots.
Ces Pictes terrorisaient les Romains en allant au combat uniquement revêtus de leurs armes… et de teinture de glasson, c’est-à-dire bleue. Ils se servaient pour cela d’une plante indigène, la guède, également utilisée pour la teinture des vêtements. Leur aspect avait ainsi de quoi faire peur, ou au minimum inquiéter, mais il est à noter aussi que la guède possède de remarquables vertus antiseptiques et cicatrisantes, ce qui en faisait un peu l’équivalent de notre moderne dakin (mais en bleu ainsi que nous l’avons rappelé). Les Pictes joignaient donc ainsi l’utile à l’agréable…
C’était aussi une marque sociale. Un maître guerrier de valeur (lucterios) devait avoir droit à un certain nombre de peintures de guerre sur le visage, le cou, voire les flancs.
Maintenant, vous savez pourquoi William Wallace, dans Braveheart, porte une spectaculaire peinture faciale de couleur glasson, autrement dit bleue ainsi que nous l’avons souligné.
La sacralité du combattant résidait aussi en grande partie, sinon exclusivement, dans la possession d’une arme qui était bien plus qu’un simple instrument de guerre. L’arme n’était ni objet de commerce ni matière à convoitise. Voir le récit mythifié à l’infini de la seconde bataille de la plaine aux tumulus. À la fin de la bataille, on y évoque Orna, la célèbre épée de Tethra. Tethra était un grand roi de la première famille de dieu-ou-démons celtes, concurrente des dieu-ou-démons aériens, les vouivres anguipèdes gigantesques dont le royaume s’étendait au fond des océans, d’où leur nom en Irlande : les Tuatha Dé Domnan. Le tout dans une optique chrétienne bien entendu.
« C’est après cette bataille qu’Ogmios eut Orna, l’épée de Tethra, un grand roi des vouivres (andernas sur le Continent, fomore en gaélique) dont le royaume s’étendait au fond des océans. Ogmios la dégaina soigneusement et la nettoya. Elle se mit alors à raconter tout ce qu’elle avait accompli depuis sa naissance, car c’était l’habitude des épées en ce temps-là, quand elles étaient sorties du fourreau, de raconter leurs exploits ainsi que leurs hauts faits. C’est pourquoi l’on doit toujours les nettoyer soigneusement après les avoir dégainées. Afin de les remercier.
Les âmes/esprits utilisaient ce moyen pour communiquer, c’est pour cette raison aussi que des sorts pouvaient être conservés dedans. Ces épées d’alors étaient si précieuses qu’on les adorait littéralement comme des démons, et qu’elles constituaient des gages importants à donner ».
D’où d’ailleurs l’importance de la corporation des forgerons dans la société celtique antique (ils étaient encore craints pour leurs charmes au début du Moyen-âge en Irlande, si l’on en croit une lorica de saint Patrice).
Voir aussi l’épée du Hésus Cuchulain.
Extrait du livre de Nahuacongbala. Socht avait une épée merveilleuse, dotée d’une poignée en or et d’un baudrier d’argent : sa garde était dorée, sa pointe avait divers tranchants. Elle brillait la nuit comme une chandelle. Si l’extrémité de sa lame (rind) pliait alors elle se redressait toute seule comme une rapière (cholg). Elle pouvait couper un cheveu [flottant] sur l’eau. Elle pouvait couper un cheveu sur la tête sans blesser le cuir chevelu. Elle pouvait pourfendre un homme, si finement que pendant longtemps aucune des moitiés ne se serait rendu compte ou aperçu de ce qui était arrivé à l’autre. Sotch disait que c’était la Trempe-à-la-tête-dure, l’épée du Hésus Cuchulainn. Ils soutenaient que cette épée leur appartenait de par la volonté de leur père et grand-père.
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Voir également Caladbolg (Caletobulcos), l’épée de Fergus, dans la légende de l’Enlèvement des bœufs de Cualnge.
Car l’épée de Fergus, qui avait appartenu avant lui à Leïté du pays des dieux ou démons, avait ceci de particulier que quand on voulait se fendre avec, elle devenait alors aussi grande qu’un arc-en-ciel. Caladbolg (Caletobulcos) correspond sans doute à la non moins légendaire épée d’Arthur, Excalibur (Excalibulcos).
Voir également la célèbre épée de Diarmat, l’ex-compagnon de Vindos/Finn, qui s’appelait la Moralltach, et lui avait aussi été donnée par un dieu-ou-démon (Mabon/Maponos/Oengus. Mais ce dernier la tenait lui-même de Belinos Barinthus Manannan).
Néanmoins, pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht) la sunartiu (mana en Polynésie) était symbolisée plutôt, et même plus que symbolisée, par la parure celte en forme de collier appelée torque. Le torque était un signe de l’état quasi divin du guerrier, il représentait physiquement le dieu-ou-démon qui était à ses côtés ou, mieux, qui avait pris possession de son corps pour exprimer sa frénésie belliqueuse. Dans le cas du guerrier vaincu par le Romain nommé Manlius Torquatus (voir Tite-Live, Ab Urbe condita libri, VII, 10), la sunartiu allait de pair avec un torque. Le torque en or, comme l’oiseau fétiche, incarnait la puissance religieuse, bénéfique et nécessaire à la victoire.
L’historien français Michel Rouche a raison sur un autre point. Il existait bien plusieurs méthodes pour se concilier la force divine, des méthodes destinées à stimuler dans l’organisme la production d’adrénaline ou d’endorphine, et que tous les jeunes gens apprenaient dès leur enfance. La danse guerrière des Hautes Terres (d’Écosse) en était une. C’était une véritable technique de possession divine.
Comme nous venons de le voir, l’état mental et physique dans lequel entrait alors le guerrier avait un nom en vieux celtique. Cette fureur guerrière (autrement dit cette extase) possédait des bataillons entiers de Celtes et elle fut le ressort principal de leur expansion en Europe au IIIe siècle. Elle semait une terreur qui dispersait souvent l’ennemi avant même tout combat, ou alors qui le clouait sur place. Une telle possession « divine » nous paraît aujourd’hui difficilement imaginable. Ces états d’enthousiasme, au sens premier du terme, étaient pourtant courants dans l’Antiquité, les Grecs, malgré leur sagesse, nous en ont aussi laissé des exemples impressionnants : aristie, ménadisme, cultes orgiastiques…
Il ne suffisait pas évidemment que cet état de lon laith/luan laith ou fureur sacrée (vergio/ferg), équivalant plus ou moins à une extase, soit un état d’esprit entretenu par les croyances de l’époque et par certains rituels.
Il fallait aussi que l’ennemi puisse apercevoir de loin les signes tangibles de cette vergio/ferg ou état de lon laith/luan laith équivalant à une extase. Les Celtes utilisaient pour cela deux moyens différents.
Le premier, le plus spectaculaire, était le nudisme pratiqué par certains combattants.
Cette pratique était avant tout le fait de guerriers que l’on appelait « Gésates » ainsi que nous l’avons vu, ce qui ne paraît pas être un nom de peuple, mais plutôt celui d’une spécialisation : les porteurs d’épieux de type gaison. Il s’agissait de mercenaires qui s’engageaient pour de longues expéditions pouvant durer plusieurs années.
Polybe a rapporté plusieurs récits de ces batailles gigantesques où les Gésates intervenaient un peu comme des êtres venus d’un autre monde […] et notamment à Télamon, en – 225 (II, 28, 8 et 9).
« Les Romains, d’un autre côté, bien qu’encouragés par la chance d’avoir leur ennemi pris entre deux de leurs armées, se trouvaient en même temps épouvantés par les ornements et la clameur de cette multitude de Celtes. Car il y avait parmi eux un nombre incalculable de cors et de trompettes, dans lesquels ils soufflaient simultanément et de toutes parts dans leur armée. Leurs cris étaient si forts et perçants, que le bruit ne semblait pas venir seulement des trompettes et des voix humaines, mais aussi de toute la campagne environnante à la fois. Non moins terrifiants étaient l’apparence et les mouvements rapides de ces guerriers nus placés au premier rang, qui montraient des hommes à l’apogée de leur force et de leur beauté. Tous ces guerriers des premiers rangs étaient richement ornés de colliers ainsi que de bracelets en or. Un tel spectacle terrifiait les Romains ; mais l’espoir qu’il leur donnait en même temps, d’une victoire riche en butin, redoublait leur ardeur au combat ».
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Tite-Live XXXVIII, 17. « Leur stature gigantesque, leurs longs cheveux roux, leurs larges boucliers, leurs épées si extraordinairement longues, leurs chants quand ils se lancent dans la bataille, voire leurs cris de guerre et leur trépignement [ululatus et tripudia], ainsi que le cliquetis horrible de leurs armes quand ils heurtent leurs boucliers, à la façon dont leurs pères le faisaient avant eux, tout semble combiné pour inspirer la terreur et l’horreur ».
Les Celtes avaient donc sciemment recherché cet effet, en entourant leurs troupes d’une aura magique ne laissant de côté aucun des moyens utilisables à l’époque ; instruments à vent, cris, chant (bardit), parures rutilantes, nudité impudique, corps d’une taille et d’une force inhabituelle en première ligne, etc. Les guerriers les plus effrayants étaient en effet toujours placés par eux en tête afin, certes, qu’ils soient vus les premiers, mais aussi pour que l’on imagine que ceux qui étaient derrière étaient pareils.
N. D. L. R. Il reste d’ailleurs des traces de ces conceptions naturistes spiritualistes ou écologistes (avant la lettre), dans la mythologie irlandaise notamment à l’occasion du combat des Gaulois Fir Bolg contre les dieux (les Tuatha Dé Danann).
Une des caractéristiques des bocanaig, des bananaig et des esprits des vallées, de ces textes, est en effet de donner l’impression d’entendre autour de soi des cris ou des chuchotements.
Transposé en mode semi-chrétien cela nous a donné :
« Les furies, les monstres et les sorcières de malheur crièrent alors de toutes leurs forces, si bien que l’on entendit résonner leurs hurlements jusque dans les rochers, les cascades et les cavernes. C’était comme le cri d’agonie atroce de la terrifiante journée du jugement dernier, quand la race humaine tout entière partira de ce monde ».
Ces lieux environnants qui paraissent donner de la voix sont donc sans doute dans cette conception bien irlandaise (chrétienne et médiévale) des élémentals (« la magie est aussi une partie de la souveraineté, celle des innombrables forces naturelles ou surnaturelles, qu’il importe de sublimer, de dompter, de maîtriser »).
Alors le Hésus Cuchulain monta dans son char, lui le cogneur, le faiseur d’exploits, le vainqueur de toutes les batailles, le héros à l’épée rouge, et tout autour de lui les bánanaig & boccánaig & geniti glinni & demna aeóir, les bananach les bocanach les geniti glinni et les démons aériens, car les dieux (ou démons donc) de la déesse Danu avaient l’habitude de crier autour de lui afin que la peur la terreur l’horreur et l’effroi, qu’il inspirait, soient à leur comble dans tous les combats ou sur tous les champs de bataille et dans tous les conflits, où il intervenait.
Mais revenons à Polybe et à la bataille de Télamon, vu l’importance du témoignage. Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir, les Insubres et les Boïens étaient vêtus de leurs braies (grec anaxyrides) ainsi que de légers sayons (grec sagon) ; alors que les Gésates, par vanité ou bravade, avaient jeté leurs vêtements, et formaient le premier rang, complètement nus, sans rien d’autre que leurs armes ; croyant sans doute que, comme le terrain était en partie encombré de ronces, qui pourraient se prendre dans leurs vêtements et empêcher l’utilisation de leurs armes, ils seraient ainsi plus efficaces […] Les Romains, d’un autre côté, bien qu’encouragés par la chance d’avoir leur ennemi pris entre deux de leurs armées, se trouvaient en même temps épouvantés par les ornements et la clameur de cette multitude de Celtes. Car il y avait parmi eux un nombre incalculable de cors et de trompettes, dans lesquels ils soufflaient simultanément et de toutes parts dans leur armée. Leurs cris étaient si forts et perçants, que le bruit ne semblait pas venir seulement des trompettes et des voix humaines, mais aussi de toute la campagne environnante à la fois. Non moins terrifiants étaient l’apparence et les mouvements rapides [danse guerrière ?] de ces guerriers nus placés au premier rang, qui montraient des hommes à l’apogée de leur force et de leur beauté. Tous ces guerriers des premiers rangs étaient richement ornés de colliers [torques] ainsi que de bracelets en or. Un tel spectacle terrifiait les Romains.
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La nudité totale était pourtant un grand désavantage pour eux puisque, le bouclier celte ne pouvant couvrir l’homme tout entier, la partie du corps qui dépassait était particulièrement exposée.
Quelques stèles étrusques de Bologne, du IVe siècle, des urnes funéraires de Chiusi, du IIIe siècle, ainsi que les statues des Galates de Pergame, nous présentent aussi des combattants celtes dans cet état (de nudité). Les explications qu’en donne Polybe (vanité ou bravade des Gésates, etc.) sont évidemment fausses. La nudité guerrière des vercingets ou berserkir celtes était un rite magique, mais un rite qui sera donc abandonné peu à peu.
LE CRI.
Le deuxième des moyens utilisés par les Celtes pour impressionner l’ennemi était le cri. Les Celtes, avant la bataille, criaient en effet abondamment (Arrien. De la tactique. XLIV).
À croire que tous ces peuples avaient le don (un butin pris sur les dieu-ou-démons peut-être) du chant ou du cri de guerre, qui ne diminuait en rien leur ardeur physique.
Plutarque, dans le récit des combats entre Marius et les Cimbres ou les Teutons ou les Ambrons, qu’il a repris de Posidonios, évoque souvent des scènes aussi sonores que visuelles.
« … L’ennemi s’étant scindé en deux partis, les Cimbres se chargèrent d’aller à la rencontre de Catulus en passant plus haut par le pays des Noriques, et de forcer ainsi le passage ; les Teutons et les Ambrons marchèrent à la rencontre de Marius en longeant la mer par la Ligurie. Les Cimbres mirent très longtemps à parvenir sur place ; mais les Teutons et les Ambrons avec toute leur armada ayant traversé le pays qui les séparait des Romains, furent bientôt en vue, en nombre incroyable. Ils avaient un aspect terrifiant et poussaient des cris ainsi que des hurlements étranges. Occupant une grande partie de la plaine avec leur camp, ils défièrent ainsi Marius…
… Ensuite il s’entretint en particulier avec ses capitaines et les officiers supérieurs, mais plaça les soldats les uns après les autres sur les remparts afin qu’ils puissent bien voir l’ennemi, et s’habituer ainsi à leur apparence ou à leur voix, qui étaient surprenantes et barbares, mais aussi afin de leur fournir l’occasion d’observer leurs armes ainsi que la façon dont ils s’en servaient ; de telle sorte qu’en peu de temps ce qui leur était d’abord apparu effrayant et redoutable, leur devint familier…
… Dès qu’ils eurent entendu les cris, un nombre sans cesse croissant d’entre eux se joignant au combat, Marius eut toutes les peines du monde à retenir ses soldats, qui avaient peur de perdre leurs valets de camp ; et les plus belliqueux des ennemis, qui avaient culbuté Manlius et Cépion (ils s’appelaient Ambrons, et leur nombre s’élevait au total à plus de trente mille hommes) bondirent sur leurs pieds pour courir aux armes. Bien qu’ils se soient gorgés de nourriture, et qu’ils aient été rendus comme fous furieux par la boisson, ils n’avancèrent point d’un pas désordonné, ou comme mûs par une fureur sans bornes, et leurs cris ne furent pas seulement des hurlements inarticulés ; mais en frappant leurs armes de concert, et en gardant la cadence au fur et à mesure qu’ils sautaient ou bondissaient en avant, ils répétaient continuellement leur nom, « Ambrons ! Ambrons » que ce soit pour s’encourager les uns les autres, ou pour frapper de terreur leurs ennemis…
Après que les Romains se furent retirés de ce grand massacre d’Ambrons qu’ils faisaient, la nuit tomba ; mais leur armée ne s’abandonna point, comme de coutume, aux chants de victoire, aux beuveries sous les tentes ainsi qu’aux divertissements habituels, ni à un paisible sommeil (ce qui est le plus souvent apprécié chez des soldats ayant victorieusement combattu) ; ils passèrent cette nuit-là, plus que toutes les autres, dans la peur et l’alarme. Car leur camp n’avait ni rempart ni palissade, et il restait encore des milliers d’ennemis encore invaincus ; auxquels s’étaient joints les Ambrons ayant pu en réchapper. On entendit venant d’eux, toute la nuit, des mugissements sauvages, rien qui ressemblât aux soupirs ou aux gémissements d’êtres humains, mais une sorte de hurlement ou de rugissement semblable à celui des bêtes sauvages, mêlé à des menaces ou des lamentations montant de cette vaste multitude, renvoyé par l’écho des collines avoisinantes ou les méandres creusés par le fleuve. La plaine entière était remplie par ce bruit affreux, tellement que les Romains n’en furent pas qu’un peu effrayés, Marius lui-même appréhendait un confus et tumultueux engagement nocturne…
… La plus grande et plus vaillante partie des ennemis [les Cimbres] fut taillée en pièces ; car ceux qui combattaient en première ligne, afin qu’ils ne puissent rompre leurs rangs, étaient attachés les uns aux autres, par de longues chaînes solidement accrochées à leur ceinturon ou à leur baudrier. Mais
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après les avoir poursuivis pendant qu’ils fuyaient vers leur camp, ils furent témoins de la plus effroyable des tragédies. Les femmes, debout sur leurs chariots dans des vêtements noirs, tuaient tous ceux qui fuyaient, même si les uns étaient leurs maris, certains leurs frères, d’autres leurs pères ; elles étranglaient leurs jeunes enfants de leurs propres mains, les jetaient sous les roues et sous les pattes du bétail, puis se tuaient elles-mêmes. On rapporte le cas de l’une d’entre elles qui avait dû se pendre elle-même à l’extrémité du timon d’un chariot, et de ses deux enfants morts qui se balançaient à ses talons, attachés par le cou. Les hommes, faute d’arbres pour se pendre, s’attachaient eux-mêmes par le cou, certains aux cornes des bœufs, d’autres à leurs pattes, de telle sorte qu’après les avoir aiguillonnés, pour les faire bondir en avant, ils puissent périr étranglés ou réduits en pièces, foulés aux pieds par ces animaux. Malgré le grand nombre de ceux qui se tuèrent ainsi de leurs propres mains, on fit plus de soixante mille captifs, et on en tua deux fois autant (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Marius).
Arrien dans son ouvrage (De la Tactique) signale aussi que les cavaliers romains avaient fini par s’habituer à ces cris de guerre.
L’empereur avait même imaginé de former ses hommes aux manœuvres des Barbares, ainsi qu’aux cris propres à chacune de ces nations.
Aux cris celtiques poussés par les cavaliers celtes.
Aux cris rhétiques poussés par les Rhètes.
Tite-Live fait de même à propos des Gallo-Grecs d’Asie Mineure (XXXVIII, 17).
Comme c’était cet ennemi si redouté dans cette partie du monde, qui devait être affronté durant la guerre, le consul convoqua ses soldats et leur fit le discours suivant : « Je suis très conscient, soldats, du fait que de toutes les nations d’Asie, ce sont les Celtes qui ont la plus grande réputation militaire. Ce peuple féroce, après avoir erré en guerroyant dans le monde entier ou presque, a élu domicile parmi les plus douces et les plus pacifiques races humaines qui soient. Leur stature gigantesque, leurs longs cheveux roux, leurs larges boucliers, leurs épées si extraordinairement longues, leurs chants quand ils se lancent dans la bataille, voire leurs cris de guerre et leur trépignement [ululatus et tripudia], ainsi que le cliquetis horrible de leurs armes quand ils heurtent leurs boucliers, à la façon dont leurs pères le faisaient avant eux, tout semble combiné pour inspirer la terreur et l’horreur.
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En Irlande il existait au moins trois types d’ululatus (de cri, en latin) maîtrisés à la perfection par les Ulates.
— Le cri de guerre évidemment (voir le cas du Hésus = Chien de Culann lui-même) sans doute appelé aussi cri du héros dans certains textes.
Il secoua son bouclier, brandit ses javelots et agita son épée, puis poussa le cri du héros. Les bánanaig & boccánaig & geniti glinni & demna aeóir, les bananach les bocanach les geniti glinni et les démons aériens, épouvantés par ce cri qu’il avait poussé lu répondirent et la Nemania sema la confusion dans l’armée. Les quatre provinces d’Irlande firent sortir de la pointe de leurs javelots et de leurs armes un tel bruit, que cent de leurs guerriers moururent de terreur et d’effroi cette nuit-là en plein camp.
Ensuite il mit sur sa tête son casque de guerre à crête destiné aux batailles aux combats et aux affrontements, d’où il poussait le cri de cent guerriers, un cri comme démultiplié par chacun de ses coins ou de ses angles, car les bánanaig & bocánaig & geiniti glinne & demna aeóir les bananach les bocanach les geniti glinni et les démons aériens, avaient l’habitude de hurler avec pareillement (sic, voir contre-lais précédents) devant lui au-dessus de lui et autour de lui, où qu’il aille, en annonçant de la sorte que le sang des guerriers ou des champions allait couler à flots. Ainsi fut jeté sur lui le caparaçon de protection (tlachtdillat) invisible de la Tir Tairngire (Terre promise) que lui avait remis Belin/Belen/Barinthus/Manannan fils de Lero, le roi de la Terre de Lumière (Tir na Sorcha).
— Le cri de reconnaissance. Voir ceux que pousse Fergus à la recherche de Noisé ou de Deirdré dans le récit intitulé l’exil des fils d’Uisliu.
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— Le cri de détresse et d’appel à l’aide ou au secours, lancé en cas de combat inégal (voir le cas du Hésus = Chien de Culann toujours, lors de son attaque par les 29 fils de Calatin). Appelé diaspat egwan au Pays de Galles. On l’appelait aussi diaspat uwch annwvyn ou cri plus profond que l’abîme. D’après le code de Gwent, le diaspat egwan ou cri de détresse, pouvait être poussé par toute personne à qui l’on refusait l’aide de la loi, en ce qui concerne son patrimoine, ou aux descendants au neuvième degré ; afin de protester contre une usurpation de propriété.
LE CHANT DE GUERRE.
Tous ces cris pouvaient être aussi enchaînés en chants guerriers plus étonnants les uns que les autres, les célèbres bardits ; caractéristiques également des Germains (qui les avaient empruntés aux Celtes).
* Le « bardit » ou comment chanter pour faire peur. «… ils ont aussi un chant à eux (ils l’appellent « barditus »), dont l’exécution soutient leur courage, et dont le son leur fait augurer du résultat de l’affrontement qui se prépare. Car ils inspirent ou ressentent de la peur, suivant la façon dont leurs lignes le hurlent. Il s’agit moins d’un concert de voix que d’un cri de bravoure. Ils cherchent avant tout à obtenir un son rauque et une clameur indistincte, en mettant par exemple leurs boucliers contre la bouche, de telle sorte que, par un effet de l’écho, cela puisse enfler ou se transformer en un son plus ample et plus profond… » (Tacite, Germanie, III.)
Les Germains ont emprunté le terme (barditos) aux Celtes.
Ceci nous montre bien par conséquent que les membres de la classe guerrière celte antique apprenaient aussi bien à maîtriser leur voix que leur souffle, les deux étant d’ailleurs liés.
LES DANSES DE GUERRE.
Avant d’entreprendre le combat ; les vercingets ou berserkir celtes entamaient toujours une danse armée à trois temps (tripudium si l’on en croit Tite-Live pour les Galates) ; assez peu différente de celle que nous a léguée l’ethnographie des Indiens d’Amérique du Nord (danse du scalp).
Mais revenons à nos « sauvages » à nous : les Celtes.
Camille montra les Celtes complètement nus aux Romains et leur dit : « Les voilà ces hommes qui se ruent sur vous avec de tels cris au cours des combats, frappent leurs armes en cadence, et brandissent leurs longues épées ou agitent leur chevelure. Voyez leurs corps paresseux et flapis, et attelez-vous à votre tâche (Appien, Celtique. Chapitre VIII).
Ils sautaient sur un rythme ternaire en agitant leurs armes et en les frappant pour se mettre en transe, si l’on en croit également Tite-Live (Ab Urbe condita libri, VII, 10, et XXXVIII, 17 et 21, 7).
Nous sommes en l’an 361 avant notre ère. Les Celtes sont arrivés aux portes de Rome, et plus précisément même sur les bords de l’Anio (une petite rivière des environs).
La ligne de front entre les deux armées s’est stabilisée : la situation semble bloquée de part et d’autre du pont enjambant la rivière. Un berserkr celte de type vercinget propose alors aux Romains présents sur place un combat singulier pour décider de l’issue de la rencontre.
Le tribun Manlius Torquatus accepte de relever le défi, mais ce qui s’ensuivra sera plus qu’un duel entre deux hommes, ce sera le choc de deux cultures guerrières complètement différentes, celle des Romains et celle des Celtes.
Et voici par exemple ce que racontent les légendes irlandaises postérieures, à propos d’un cas semblable (l’exagération poétique en plus évidemment, ah ces bardes !) celui du Hesus = Cuchulainn, lors de l’enlèvement des vaches de Cualnge.
« C’est alors que se produisit la première des contorsions (transes) de sa fureur guerrière, il devint méconnaissable, horrible et merveilleux à la fois. Son corps trembla comme un tronc d’arbre jeté au travers d’un torrent ou comme un roseau dans le courant, chacun de ses membres, chacune de ses jointures, chacune de ses articulations, des pieds à la tête et de la tête aux pieds, son corps tout entier se retourna furieusement dans sa peau. Ses pieds, ses tibias, ses genoux, passèrent derrière lui, ses talons ses mollets ainsi que ses genoux devant. Les muscles de ses mollets passèrent devant ses tibias, et gonflèrent au point de devenir aussi gros que le poing fermé d’un soldat. Les muscles de sa
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nuque se nouèrent et formèrent une boule énorme, immense, incommensurable, aussi grosse que la tête d’un enfant d’un enfant âgé d’un mois.
Son visage devint comme une boule toute rouge. Un de ses yeux s’enfonça tellement dans sa tête qu’il aurait été difficile à une grue sauvage de l’en extraire. L’autre était au contraire si exorbité qu’il en sortait de sa joue. Sa bouche se déforma de façon monstrueuse. Ses joues se retirèrent des mâchoires au point de laisser entrevoir l’intérieur de sa gorge. Il recracha ses poumons qui semblèrent comme flotter dans sa bouche et son gosier. Ses mâchoires claquèrent l’une sur l’autre comme celles d’un loup fou furieux en s’ouvrant tellement que chacune des flammèches rouges et ardentes qui forçaient le barrage de ses dents pour sortir de sa bouche était aussi grande que la toison d’un mouton de trois ans. ».
Aux portes de Rome, il y a plus de deux millénaires (en l’an 361 avant notre ère très précisément comme nous l’avons vu) voici ce que cela donna (selon Tite-Live, Ab Urbe condita libri, VII, 10).
Complètement nu, mais les armes à la main, le guerrier tourne sur lui-même en chantant et en tapant du pied sur le sol de manière rythmée. Il saute, agite ses armes et, pris de transes extatiques, la poitrine gonflée de fureur, il ouvre la bouche jusqu’à en faire entrevoir le fond de sa gorge, puis il tire une langue énorme à l’adresse de son ennemi 1).
Mais le Romain se glisse sous le guerrier qui brandit en tous sens ses armes, et lui porte un coup fatal.
Le drame qui s’est joué ce jour-là en quelques instants est facile à comprendre.
Le Romain a donc attaqué le berserkr celte de type vercinget, avant même qu’il ait eu le temps de finir ses préparatifs (sa danse guerrière).
La déloyauté absolue d’une telle attaque-surprise cloua de stupeur les Celtes venus assister au combat.
Il existait en effet chez eux un code d’honneur chevaleresque avant la lettre (appelé fir fer plus tard au Moyen-âge en Irlande) réglant les duels. Et il ne leur était pas venu à l’esprit que quelqu’un puisse ne pas en respecter les lois, en attaquant un adversaire avant qu’il ait fini de se préparer.
1) Cicéron évoque un bouclier appartenant à Marius et sur lequel on pouvait voir le portrait contrefait d’un Celte, tirant la langue et les joues pendantes. (Les Cimbres et les Teutons utilisaient aussi une pareille technique).
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LES VERCINGETS OU BERSERKIR CELTES
ET LA GUERRE PSYCHOLOGIQUE.
Ce qui précède rejoint la description des berserkir germaniques par Tacite dans son Origine et localisation des Germains (Germania). « Les Harii, en plus d’être supérieurs en force aux autres tribus que nous venons juste d’énumérer, tirent le meilleur parti possible de la férocité naturelle en se servant de l’art [de la guerre] et des circonstances. Leurs boucliers sont noirs, et leurs corps teints. Ils choisissent des nuits noires pour livrer bataille, et, du fait de la peur et de l’aspect lugubre de leur armée de mort, frappent de terreur leur ennemi, qui ne peut jamais soutenir leur étrange et quasi infernale apparence. Or dans toute bataille ce sont les yeux qui sont d’abord vaincus » (Tacite, Germanie, III).
Les Celtes antiques, eux, se préparaient aussi au combat par des hurlements (ululatus chez Tite-Live) ainsi que par des danses convulsives exécutées sur un rythme ternaire (tripudium) ainsi que nous venons de le voir ; mais aussi par tout un tintamarre d’armes frappées contre leurs boucliers, du moins si l’on en croit l’extrait des Celtiques d’Appien d’Alexandrie (VIII) déjà cité plus haut. Car sur le plan théologique, la magie est la partie la plus inférieure de la souveraineté, liée très souvent à la pratique, celtique et indo-européenne, de la guerre, et elle ne doit pas en être séparée. Un Cuchulainn se contorsionnant avant le combat, ou arrêtant l’armée d’Irlande par un cercle de bois sur lequel il a gravé des runes oghamiques, fait œuvre de magie guerrière. Ces rites archaïques et d’intention magique que ne comprenaient plus les Romains précédaient donc l’affrontement proprement dit. Les guerriers s’avançaient de leurs lignes, pour provoquer leurs adversaires en duel, et lorsqu’un combattant adverse répondait à leurs provocations, ils entonnaient un bardit (chant guerrier) impressionnant, pour glorifier les exploits de leurs ancêtres et lui faire peur. Le panégyrique que le vercinget ou berserkr celte faisait alors de sa propre personne, n’était pas toujours exempt de vantardise, mais il devait quand même y avoir aussi du vrai dedans, et ces détails macabres étaient très déstabilisants pour un adversaire comprenant sa langue.
Il s’agissait aussi évidemment, par des incantations magiques comparables à des prières des signes de croix ou des ostensions de livre saint (comme le Coran de Colomba d’Iona que l’on appelait Cathach), de briser la force de l’ennemi et d’accroître la sienne. Dans le monde celtique (et germanique), la guerre est également une lutte magique provoquant et utilisant la frayeur de l’adversaire… La magie est au niveau le plus inférieur de la religion, le domaine des innombrables forces naturelles ou surnaturelles, avons-nous déjà dit en citant Pausanias justement.
La déesse-ou-démone des combats implorée par la reine Boadicée lors de sa bagaude désespérée contre les Romains, quelque part dans la plaine de Londres en – 61, était Andarta. L’état caractéristique du guerrier qui s’est entièrement voué à cette déesse-ou-démone de la fureur guerrière (Andarta) est aussi celui du roi connu sous le nom d’Arthur. C’est un artorios (berserkr en scandinave), il est habité par une fureur sacrée, le faisant se comporter en ours invincible (artos) durant cette extase.
D’où d’ailleurs toutes les légendes concernant le roi Arthur et ses compagnons.
(Ah si Arthur et Merlin pouvaient revenir, notre époque a bien besoin d’hommes de leur trempe !)
Keu, le frère de lait d’Arthur, pouvait rester neuf jours et neuf nuits sous l’eau, neuf jours et neuf nuits sans dormir. Il était doué d’un autre privilège : il pouvait devenir aussi haut que l’arbre le plus haut d’une forêt. Enfin, élément caractéristique, quand la pluie tombait dru, ce qu’il tenait à la main était sec au-dessus et au-dessous, à la distance d’une paume, tant sa chaleur naturelle était grande ».
Ce qui est en tout cas certain c’est que l’aspect horrible et terrifiant du guerrier ; ce que, dans le cas de Cuchulainn, les récits nomment des « contorsions » (riastrad) ; fait partie aussi des techniques magiques celtiques. La vision engendre la terreur et, au fond, peu importe qu’elle soit réalité ou illusion, puisque seul le résultat compte. Cela ne signifie pas pour autant que le guerrier, en l’occurrence ici l’archétype du héros, Cuchulainn, soit maléfique ou démoniaque par essence. Il fait la guerre, sans plus, avec tous les moyens techniques dont il peut disposer… Les contorsions de
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Cuchulainn sont décrites avec un grand luxe de détails dans le récit de l’enlèvement des vaches de Cooley. Il s’agit avant tout d’effrayer l’adversaire.
RAPPEL : DE LA MAGIE DANS LE DRUIDISME (La Rochelle 14 08 2009).
«… Les provinces celtes du Continent ont été envahies par l’art de la magie et cela jusqu’à une époque récente ; puisque c’est l’empereur Tibère qui a supprimé les druides, et toute cette engeance de faux prophètes ou médecins. Mais à quoi bon mentionner encore ces interdictions, à propos d’un art qui a maintenant traversé les océans et qui a pénétré jusque là où cesse la nature ? De nos jours la [Grande] Bretagne fascinée cultive toujours cet art, et avec des rituels si majestueux qu’elle semblerait presque avoir été la première à le communiquer aux Perses…» (Pline. Historia Naturalis XXX, 4).
L’origine du mot magie est très discutée. Certains n’y voient que la racine grecque magia, d’autres la font remonter aux Perses de la période mazdéenne, chez qui le magos était une personnalité importante dans le système religieux du zoroastrisme. Le mot « magie » est utilisé pour la première fois par Darius le Grand dans l’inscription de Béhistoun, mais c’est Hérodote qui en précise le sens : les Magoi sont la sixième et dernière des tribus du peuple des Mèdes, la tribu des Mages. C’est vers le milieu du IVe siècle avant notre ère que le terme magéia (en latin magia) sera employé par les Grecs pour désigner une doctrine issue de la Perse. Notamment par le truchement de Zoroastre, qui fut l’inspirateur de Pythagore, Epiménide, Démocrite et Platon. Parmi les mages perses, ou prêtres de Zoroastre, le plus célèbre sera un dénommé Ostanès.
D’autres relient le phénomène au chamanisme.
On voit en effet apparaître très tôt en Grèce des personnages légendaires qui ont toutes les caractéristiques des chamanes : le jeûne, la solitude, l’ubiquité, l’extase. On peut mentionner d’abord, parmi ceux qu’Erwin Rohde appelle des voyants extatiques et des prêtres purificateurs : Abarix, originaire du pays des Hyperboréens, envoyé par Apollon. Hérodote parle de la flèche qu’il portait avec lui, et de son abstention complète de nourriture.
Cette flèche qui semble l’attribut d’Abarix pose un réel problème ; il semble en effet que nous soyons là en présence de deux traditions distinctes. Ici, dans une version rationaliste, le Père de l’Histoire (Hérodote) la mentionne en tant qu’objet. Ailleurs on apprend que cette flèche est en or et lui vient d’Apollon.
Ce qui fera dire à E. Rohde qu’Abrarix portait dans ses mains la flèche d’or, signe de sa nature et de sa mission apolliniennes, et parcourait le monde ; écartant les maladies au moyen de sacrifices, prédisant les tremblements de terre et les autres calamités de ce type.
La flèche fait partie de l’équipement traditionnel du chaman sibérien. Chez les Bouriates par exemple, le chaman s’assied sur un morceau de tissu près du malade qui a besoin de ses services ; entouré d’objets dont une flèche, de la pointe de laquelle un fil de soie rouge mène jusqu’au bouleau situé à l’extérieur de la yourte. C’est grâce à lui que l’âme/esprit du malade est censée réintégrer son corps. Mais une autre tradition, qui allait être reprise par Héraclide du Pont et des auteurs plus tardifs, indique que c’est monté sur cette flèche comme une sorcière qu’Abarix arriva du nord, la flèche jouant alors le rôle du balai (des sorcières).
Olen était, suivant certains, ou Hyperboréen lui aussi, ou Lycien. Il passait pour être l’auteur de l’hymne en l’honneur des vierges Opis et Argé, compagnes d’Apollon et de Diane. Il était venu, disait-on, d’Hyperborée ou de Lycie, et c’est lui qui avait composé la plupart des anciens hymnes qui étaient chantés dans l’île de Délos. C’est à Olen que quelques-uns rapportent l’invention du vers épique, ou dactylique hexamètre. Si cette opinion a quelque fondement, Olen serait alors antérieur même aux aèdes thraces ; car tous les vers qui leur sont attribués sont précisément des hexamètres, et prouvent donc, authentiques ou non, que c’était une métrique dont ils avaient dû se servir. C’est lui qui aurait institué l’oracle de Delphes et y aurait le premier rempli la fonction de prêtre d’Apollon, qui consistait surtout à rendre réponse aux personnes venues consulter le dieu-ou-démon Apollon.
Pour ce qui est de la partie occidentale, ainsi que nous l’avons déjà dit, la magie vient donc, initialement, du chamanisme. On retrouve certains des symboles utilisés par les magiciens d’aujourd’hui à l’époque de l’Homme des cavernes, où des chamanes se servaient de rituels et de sacrifices pour demander aux dieux-ou-démons de modifier le cours des événements. Et le chamanisme se serait ensuite répandu à l’ensemble de la planète, en Amérique et en Europe.
Venons-en maintenant plus précisément à nos ancêtres spirituels, les Celtes
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« À la limite il serait possible de rattacher à la magie la plupart des actes un tant soit peu étranges que nous relatent les textes » (Régis Boyer).
Faut-il s’étonner de la place surprenante que tient la magie ? Elle n’est vraiment « magique » qu’à nos yeux. C’est, en fait, une réaction quasi naturelle dont l’étrangeté à nos yeux vient du fait qu’elle ressortit à une autre façon de voir le réel. Ne soyons donc pas surpris devant les formes qu’elle peut prendre et que nous livrent, de façon souvent ingénue, nos textes.
Il s’agit d’une notion assez proche de la notion symbolisée par le mot manitou chez les Indiens d’Amérique du Nord, ou par le mot mana en Polynésie. Chez les très-sachants de la druidiaction (druidecht), antiques, cela s’exprimait par des noms collectifs indifférenciés (les élémentals) ou au contraire par une grande profusion de vocables. Les élémentals constituent comme une sorte d’âme/esprit collective ou de noosphère (aurait dit Teilhard de Chardin) enveloppant notre monde. Une sorte de grand réservoir psychique invisible, mais disponible et que l’on peut solliciter. Il est des lieux où souffle l’esprit, que cela soit des grottes ou des hauteurs. Cette noosphère peut se manifester à un être humain par l’intermédiaire de certains sites particuliers, véritables hauts lieux de la communication ou de l’interpénétration entre le monde des hommes et l’autre monde. Elle peut être aussi sollicitée ou utilisée volontairement par un individu.
Comme nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec l’opinion du grand celtologue français qu’est C.- J. Guyonvarc’h ; ou du moins comme nous sommes un peu effrayés par ce qu’il avance, nous ferons donc à ce sujet les mises au point suivantes.
Les hommes et les femmes d’esprit plus scientifique voient surtout dans la magie ce qui suit.
— Des moyens d’agir sur l’univers physique, qui appartiennent aux hommes, et qui ont leur spontanéité ou leur dynamique propres.
— Un processus d’autosuggestion, voire un symptôme névrotique, en ce qui concerne des phénomènes touchant à l’esprit d’une personne revendiquant l’origine magique de son état psychique.
— Un processus de somatisation dans le cas d’un individu « physiquement » affecté, mais revendiquant une cause magique à cette maladie (« envoûtement »…).
— Et enfin l’ignorance ou la négation de causes physiques identifiables dans le cas de phénomènes physiques possibles, mais allégués sans preuve, par les individus y ayant assisté.
Cette notion de « mystère connaissable ou inconnaissable » de la création telle qu’elle a été caricaturée par Lucain (« À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes » la Pharsale, Livre I) est pourtant un concept décisif, qui pose une limite fondamentale.
« Defixio » est un mot latin désignant à l’origine le fait de planter un clou, puis l’opération magique par laquelle on torture ainsi un substitut (par exemple une plaque de plomb) en espérant provoquer les mêmes désagréments chez l’ennemi auquel on pense. Cette procédure magique, telle que nous la percevons en Grèce et à Rome, inclut la mise par écrit, sur la tablette, du nom de l’ennemi visé. Le texte inscrit peut d’ailleurs être développé avec l’invocation de puissances surnaturelles, censées mettre en œuvre ce charme maléfique, et diverses stipulations portant sur les motifs de la condamnation, ou les divers tourments qui serviront de punition. Il s’agit d’un type de procédure magique qui est attesté à travers tout le bassin méditerranéen, dans l’Antiquité.
Si dans certains cas (par exemple à Chamalières) les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ont cru devoir employer la langue celtique dans ce dessein ; c’est peut-être parce qu’ils adressaient le message magique à des entités surnaturelles celtes, sur des sites celtes.
Après celle des dieux (qui sont les premiers auxiliaires du destin), la force essentielle de la magie réside dans l’âme/esprit du magicien, mais elle ne lui est pas donnée d’emblée. On ne naît pas magicien, on le devient. Le spectre des moyens que mobilise cette magie va des phénomènes physiques produits dans l’imagination de ses témoins (proche de la prestidigitation) aux phénomènes psychiques particuliers (l’amour, le rejet, la protection, etc.) générés par le seul charisme du magicien ; qui est un véritable don (boudis *) des dieu-ou-démons, avant d’être une puissance de son verbe.
* Boudis est un terme celte qui signifie « part de butin » et par extension don, faveur, ou grâce, d’origine divine. Ces dons sont des pouvoirs précis et nullement une vague capacité à subjuguer son
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auditoire. Exemple de ces boudis : le fait d’être doué pour les mathématiques, le don des langues, les pressentiments, le fait de lire dans les pensées, et ainsi de suite.
Il est inutile d’insister sur le pouvoir enchanteur de la parole des druides de type « guerrier » ; le soulignent très clairement différents témoignages, notamment ceux qui sont relatifs à Merlin, qui relèvent de l’hypnose.
Ce qui caractérise le druide guerrier, c’est cette descente au cœur de soi-même. Car en l’homme vit toute une multiplicité d’univers et d’humanités, dont il n’a guère conscience. Et dont quelques éléments fragmentaires resurgissent parfois dans ses rêves, dans ses aislingi ou visions, à moins qu’il ne les contacte délibérément ; ce que font les druides guerriers. Pour eux, le concept d’imaginaire n’existe pas, ce que l’on imagine est une réalité pour l’esprit, d’ailleurs tout ce que l’homme a inventé, a été imaginé (mis en images) auparavant, et rêvé.
C’est du reste en parfaite adéquation avec les données cosmogoniques fondamentales de la culture religieuse universelle ; la création elle-même n’est-elle pas une affaire de « verbe divin » (dit et suivi d’effet dans beaucoup de philosophies religieuses) ?
Dans la magie blanche, ce qui agit en premier lieu, c’est l’esprit de l’Homme (« l’âme » du magicien) sa sagacité, son adresse, ses dispositions personnelles et ses connaissances de la nature humaine. Conjurer des forces maléfiques ou neutres et les subordonner au bien, notamment pour des exorcismes, relève de la magie blanche.
Le problème se pose quand il ne s’agit plus de mobiliser les forces de l’âme/esprit humain ou les moyens « naturels » propres au magicien ; mais des forces extérieures, comme les âme/esprits animaux, les âme/esprits (anaon) des morts, les génies, les élémentals, les égrégores, les fées de type matres, etc.
Le magicien acquiert et développe sa puissance en asservissant des pouvoirs résidant dans les propriétés de certaines choses, ou dans des entités spirituelles invisibles. Il obtient donc ainsi le pouvoir d’influer sur l’univers physique. Mais dans ce cas, le savoir et l’action du magicien étant d’origine externe, l’acte magique n’est qu’un « effet » de puissance. Vrai (réel) dans sa manifestation phénoménale matérielle, mais faux dans son fondement, dans son principe, dans on origine ultime ; d’autant plus qu’il est aussi utilisable pour faire le mal.
La magie est fondée sur la connaissance théorique et pratique de certaines des forces régissant l’univers physique. Jointe à une disposition naturelle particulière du magicien, cette connaissance n’est pas en soi plus blâmable que la recherche fondamentale ou la mécanique quantique. Mais la pratique en est risquée, voire périlleuse.
Dans la magie noire, l’acteur humain mobilise des forces théurgiques orientées vers le mal. Cela demande une technicité voire même une disposition de l’âme/esprit, qui ne s’obtient qu’au prix d’une compromission radicalement perverse. Les hommes et les femmes se compromettant ainsi, et avilissant ainsi, leur âme/esprit, doivent savoir que ce qui les attend ce sera la réincarnation en bacuceos en ce bas monde après la mort. En bacuceos ou en seibaros, autrement dit en fantôme (siabair/siabhradh en irlandais) sorti tout droit du royaume de Tethra, voire de Donn (Donnotegia). Cf au Pays de Galles tout le folklore populaire relatif au royaume de l’Andumno ou Anwn, et à ses deux souverains, Arawn ou Gwynn.
L’univers est peuplé d’êtres spirituels dotés de puissance, ni bénéfique ni maléfique, mais neutre, qui se mettent à la disposition de certains hommes, et passent à l’acte sous l’effet de leurs incantations ; des « paroles contraignantes » à l’efficacité incontestée avons-nous dit. Mais cette croyance en la réalité ou en la puissance d’êtres invisibles et supérieurs, rend impossible une démarcation absolue entre connaissances scientifiques et rationnelles, et connaissances religieuses ou mystiques, non fondées sur la raison.
La pratique de la magie repose sur la croyance que l’esprit humain peut agir sur le monde qui l’entoure, et qu’une pensée déterminée, bien orientée, bien concentrée, peut se concrétiser, influer sur les choses et les êtres. Mais comment cette concrétisation de la pensée peut-elle être possible ? Selon les esprits matérialistes et la plupart des savants, il s’agit justement d’un phénomène physiquement impossible, et n’ayant aucun fondement scientifique. Selon les mages en question par
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contre, un pouvoir ou une force secrète servirait de truchement entre le monde mental et le plan de la réalité physique.
La Magie ne serait que l’utilisation d’un pouvoir ou d’une force, pour influencer une cible donnée (le praticien lui-même, une tierce personne, une collectivité dont le magicien fait partie ou non) et les événements la concernant. Le rôle des pratiques magiques serait de mettre en action cette fameuse force ou ce pouvoir, afin d’influencer la destinée de la cible. La connexion peut être facilitée par des accessoires divers.
La psychologie permet une intrusion de la science dans le domaine habituellement décrit par la magie. Même si elle y fait preuve d’une certaine souplesse quant à la vérification de ses hypothèses, qui font que d’aucuns en critiquent l’appartenance au domaine scientifique. On observe d’ailleurs de nombreuses interférences entre magie et psychologie.
L’anthropologie a démontré que l’homme fait traditionnellement la distinction entre deux sortes principales de pratiques, de par leurs buts : la magie blanche et la magie noire (anciennement appelées en grec « théurgie » et « goétie »).
La première concerne une utilisation de la magie à des fins altruistes, ou préventives lorsqu’elle est pratiquée pour soi. La seconde désigne une magie motivée par un désir de vengeance, et visant à faire le malheur d’une victime (ou d’une communauté de victimes) dans un domaine particulier.
Les adeptes de la magie noire passent pour être néfastes à la société, dont ils s’évertuent à perturber l’équilibre, tandis que les adeptes de la magie blanche sont censés rectifier ces troubles, ou les empêcher.
C’est ainsi que, depuis les sociétés qui accordent un certain crédit aux pratiques magiques jusque dans l’imaginaire populaire, les magiciens peuvent être du côté du Mal ; si l’utilisation qu’ils font de la magie est égoïste, et/ou est cause, chez autrui, de souffrance, ou de situations, susceptibles de causer de la souffrance. Ou du Bien (s’ils utilisent la Magie à des fins altruistes, ou du moins qui ne font pas de tort à autrui).
Le critère central est donc relatif non pas à la nature, mais à l’effet de l’acte magique, qu’il soit cognitif ou pratique, et à l’intention qui génère cet effet. Au centre de ce critère majeur de l’acte magique, se trouve le caractère bénéfique ou maléfique de son but, et donc l’intention de réaliser le bien ou le mal à l’endroit de son destinataire, autrui comme soi-même.
Pour résumer quelque peu et même schématiser la position druidique modernisée en la matière, un acte magique peut être considéré comme admissible et non éthiquement condamnable, quand il ne vise pas le maléfice, et ce, quelle que soit la réalité de ses effets.
D’autres visions beaucoup plus modernes ont cherché à séparer la magie blanche et la magie noire, en utilisant d’autres éléments que « le bien » et « le mal ». La morale variant d’une société à l’autre, et cette notion de bien et de mal étant trop souvent trouble et peu précise, rien n’étant jamais tout blanc ou tout noir.
La magie blanche serait alors une magie utilisée pour satisfaire en premier lieu une volonté d’harmonie et de perpétuation du bon fonctionnement du monde, indépendamment de la volonté personnelle et individuelle du mage (et parfois même nécessitant un sacrifice personnel du mage).
La magie noire serait une magie cherchant au contraire à perturber l’harmonie ou le fonctionnement ordinaire du monde, dans l’intérêt personnel et individuel du mage.
Il s’agit alors non plus d’une démarcation bien/mal, mais d’une démarcation intérêt individuel/intérêt collectif.
La magie rouge est une subdivision de la magie au mauvais sens du terme. Il existe en effet deux sortes de magie maléfique.
Les magies (noires) visant à détruire ou maudire, mais n’apportant rien d’autre au mage qu’un plaisir sadique devant le malheur et à la frustration que ses opérations suscitent (ou sont censées susciter) chez sa victime.
Et d’autre part les magies (rouges donc) ayant un but plus égoïste, visant à procurer au mage des biens et des plaisirs matériels ou charnels (mais pas en rapport nécessairement avec la sexualité).
Toutefois, la plupart des définitions de la magie rouge possèdent une caractéristique relativement commune, associée directement à la sexualité, à l’amour, à la séduction, ainsi qu’au plaisir charnel ou amoureux. La magie rouge est donc alors essentiellement relationnelle (elle s’occupe des rapports particuliers entre deux êtres humains).
Il existe toutefois deux courants parmi ceux qui utilisent cette catégorisation rouge amoureuse et/ou charnelle.
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Ceux qui considèrent que la magie rouge contient essentiellement les charmes et enchantements séducteurs, comme les philtres d’amour, ou toutes les magies cherchant à séduire et à obtenir un pouvoir de séduction sur les individus charmés. Cette catégorisation est souvent illustrée par les sorcières censées avoir obtenu le cœur de certaines personnes déjà mariées, ou inaccessibles socialement, par des envoûtements, et cela (bien sûr), contre le gré de ces dernières.
D’autres considèrent que ces pratiques sont des manipulations égoïstes, à classer uniquement dans la magie noire ; et ne placent dans la magie rouge que les pratiques et les rituels visant, non à manipuler, mais à révéler des sentiments déjà existants, ou à les développer.
Dans une telle conception, la magie blanche vient d’une personne désireuse d’aider la communauté ; la magie noire tire bénéfice du monde extérieur pour les besoins personnels du mage ; et la magie rouge est basée sur l’amour et les échanges volontaires entre deux personnes participant à cette magie. Par exemple certains rituels entre amants s’appuyant sur leur amour pour se rendre plus forts, ou pour lutter contre une maladie, voire une affliction particulière.
La magie rose est fondée sur l’amour et la communion des amoureux, et la magie rouge sur la séduction et les rapports de pouvoirs entre les individus.
Le terme magie bleue est parfois utilisé pour catégoriser toutes les magies de protections. La magie bleue ne vise donc pas des actions proprement dites, mais à empêcher les mauvais sorts (ou les mauvaises fortunes plus naturelles) de nous atteindre.
Une importante partie des spécialistes de la question considère que la magie est une, provenant des lois mêmes du monde, et que ce n’est que son utilisation particulière et nos intentions qui permettent de la catégoriser en magie blanche, noire, ou rouge. Pour certains auteurs, cette catégorisation de la magie ne sert qu’à perfectionner la concentration de ses adeptes, en leur permettant de se servir de la force de certains symboles (couleur ou autre) pour mieux se placer dans des états d’esprit plus efficaces. La catégorisation de la magie, dans ce cas, ne serait alors qu’une technique utile, mais ne dépendrait pas de la nature même de la magie. Certaines techniques habituellement classées en magie noire pourraient par conséquent être utilisées pour le bien, et d’autres relevant de la magie blanche, pour le mal.
Une catégorisation courante concerne la magie de la mort et des âmes/esprits des morts (anaon) : la nécromancie. Le cas le plus célèbre en est l’évocation du grand guerrier appelé Fergus par Senchan Torpeist, et qui est à l’origine de la mise par écrit du récit de l’enlèvement des vaches de Cualnge, la grande épopée irlandaise par excellence, exaltant le hésus Cuchulainn.
Cette catégorie inclut donc, entre autres, les célèbres dialogues avec les âmes/esprits (anaon) des morts, ainsi que les techniques concernant les morts-vivants, mais ne correspond pas pour autant à la catégorisation « noire » de la magie. La mort, même si elle est souvent repoussante ou effrayante, n’étant pas en effet « mauvaise » par nature. La nécromancie peut donc être ou bonne ou mauvaise, suivant les cas.
Il en existe des exemples littéraires assez terrifiants néanmoins.
Seathrún Céitinn. Foras Feasa ar Eirinn. Section X.
« Il arriva en ce temps-là qu’une grande armada vînt de Syrie pour faire la guerre aux gens d’Athènes. Ceux des Athéniens qui étaient tués pouvaient néanmoins dès le lendemain reprendre le combat contre ces guerriers venus de Syrie. Cette magie venait de la nécromancie des Toutai Deuas qui insufflaient des esprits maléfiques dans leurs corps pour les ressusciter. Quand les gens venus de Syrie s’en aperçurent, ils demandèrent à leurs propres chamans ce qu’il fallait faire. Les chamans leur dirent de poster des gardes à l’emplacement du champ de bataille, et d’enfoncer
une broche de sorbier dans la poitrine de tout cadavre qui se lèverait de nouveau pour les affronter. Si c’étaient bien des esprits maléfiques qui faisaient revivre leurs corps, alors ils seraient changés en vers immédiatement grâce à cela. Les guerriers de Syrie revinrent donc le lendemain matin pour livrer de nouveau bataille et ils la gagnèrent. Ils enfoncèrent des broches de sorbier (?) dans la poitrine des morts, comme les chamans leur avaient dit et les corps se changèrent en vers immédiatement. Quand ils s’aperçurent que les troupes venues de Syrie l’emportaient désormais sur les Grecs, les Toutai Deuas préférèrent fuir en direction de la Vindon Loccolandon (gaélique Fionn Lochlann = Scandinavie blanche, c’est-à-dire en Norvège). Où ils furent bien accueillis à cause de leurs sciences et de leurs arts ».
Comme quoi le thème du vampire ne date pas d’hier et de Bram Stoker. Le seul problème est que ce texte nous en apprend plus sur les fantasmes du très chrétien Seathrún Céitinn (Geoffrey Keating, 1580-1644) que sur les pratiques authentiquement druidiques ; à propos desquelles nous
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redonnerons ici le constat qu’en a fait le plus célèbre de ses interprètes. « À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer, les dieux et les puissances célestes » (Lucain, la Pharsale, Livre I).
AMBIVIDTU VERSONNIONS ET IMBAS FOROSNAI.
La divination est une catégorie de magie visant à la prédiction. Elle peut parfois toucher à la nécromancie ou au spiritisme, quand il s’agit de mettre en œuvre les âmes/esprits, ou anaon, des morts. Elle comporte une très grande variété de pratiques.
L’ambividtu versonnions connue en Irlande sous le nom d’imbas forosnai, a fait l’objet de multiples définitions, celle du glossaire de Cormac n’en est qu’une, pas la plus vraisemblable d’ailleurs ! Voici la nôtre.
Il y avait dans la société celtique antique, unité théologique des deux niveaux de la souveraineté… conséquence en même temps qu’image ou suite normale de l’indifférenciation primordiale des deux premières fonctions, dans l’administration du sacré (dans le sacerdoce). Cas par exemple de Mahomet qui fut à la fois grand prêtre d’un nouveau culte ou prophète et guerrier. Comme quoi la spiritualité peut s’accompagner aussi d’un certain art de la guerre.
L’indivision de la Souveraineté celtique est peut-être ce que nos contemporains ont le plus de mal à comprendre. Du moins en Occident, car le monde germanique y est plus sensible. Précisément parce qu’il leur échappe que le très-sachant de la druidiaction (druidecht) était aussi éventuellement un combattant, et que la magie ressortissait à la fonction guerrière. Nous n’avons pas, comme en Inde, le choix entre Indra et Varouna : le dieu-ou-démon Ogmios/Ogme est à la fois l’un et l’autre, le champion et le magicien.
Fureur sacrée ou guerrière égale science totale (ambividtu) si l’on en croit l’exemple parallèle du dieu-ou-démon germanique appelé Odin (ou Wotan) qui était le dieu-ou-démon du savoir, le dieu-ou-démon magicien par excellence… Qui est devenu volontairement borgne pour être magiquement voyant, et qui est le maître des runes, c’est-à-dire des inscriptions magiques, comme par hasard gravées dans des morceaux de bois. De la même façon que les druides satiristes irlandais gravaient des incantations sur des branches, notamment de coudrier ou d’if. Car la racine germanique wut présente une bien étrange proximité phonétique avec le nom germanique du bois (widuz) encore reconnaissable dans le terme anglais (wood). Un des poèmes de l’Edda nous décrit Odin pendu à un arbre (rituel chamanique que l’on retrouve dans l’Irlande païenne) et se libérant par le pouvoir des runes qu’il suscite.
Ogmios.
La religion classique ne peut rien comparer ou produire de semblable ou même de seulement analogue ; elle ne possède pas, en effet, de Charon joyeux. Les tablettes d’exécration ou défixions invoquant son intervention n’y apportent rien. Ogmios y est vu par un sous-produit de la religion, la sorcellerie, assimilé par la magie à un puissant démon. Ogmios est celui qui conduit les morts dans l’univers parallèle au nôtre appelé Au-delà. À cela nous ne corrigerons ni n’ajouterons rien ; si ce n’est que la magie fait partie intégrante de la religion et que le fait de conduire, c’est-à-dire aussi d’attirer, de retenir, de « lier » en quelque sorte, est, de la part d’un dieu-ou-démon, déjà une magie. Si les morts suivent Ogmios, c’est parce qu’ils sont pris dans ses liens.
La magie est aussi la partie la plus inférieure de la souveraineté. Celle des innombrables forces naturelles ou surnaturelles, qu’il importe de sublimer, de dompter, de maîtriser ; liée très souvent à la pratique, celtique et indo-européenne, de la guerre. Et elle ne doit pas en être séparée… l’Ogme irlandais, très certainement aussi l’Ogmios continental ou l’Hercule celte, sont magiciens parce que la magie appartient relève de la fonction guerrière…
Il n’est donc pas paradoxal que la première utilité de l’écriture oghamique en Irlande soit guerrière, et que des guerriers en soient les utilisateurs. La magie et la guerre sont toutes deux des dérèglements inévitables de l’ordre normal des choses. Et si le très-sachant de la druidiaction (druidecht) pratique la magie, ou s’en réserve l’usage, c’est parce que la magie n’est pas une fin, mais un moyen. Et qu’il a lui aussi en tant que druide accès aux techniques de la deuxième fonction (guerrière…)
Un Hésus Cuchulainn se contorsionnant avant le combat ; ou arrêtant l’armée d’Irlande à la frontière de l’Ulster par des oghams gravés sur une branche fixée en cercle autour d’un menhir ; dont seuls les
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très-sachants de la druidiaction sont capables de lire l’inscription et d’expliquer ce qu’elle signifie (voir la Tain Bo Cualnge ou Enlèvement des vaches de Cooley) fait acte de magie guerrière. Magie et religion ne sont pas deux « polarités » différentes et opposées, mais deux aspects différents, lesquels coexistent sans antagonisme, d’une même polarité.
L’imbas forosnai correspond donc à ce que, à l’autre bout du monde aryen, Bodhidharma enseigna aux moines guerriers de Chaolin en Chine ; c’est-à-dire une discipline visant à la maîtrise et à la manipulation d’un certain nombre de forces mentales. Ce sport recourt à des exercices psychophysiques purificateurs qui sont réputés déboucher sur des pouvoirs supra normaux. Même si la recherche de ceux-ci est loin d’être toujours recommandée. Cette fusion en quelque sorte métamorphique du corps et de l’âme/esprit (anaon) peut, au passage, procurer diverses perceptions extrasensorielles (prescience, intuition…).
Voici un premier exemple, sans sacrifice d’aucune sorte, parce que celui qui le pratique n’est pas un très-sachant de la druidiaction (druidecht), mais seulement un guerrier doué de divination. Le plus remarquable, c’est que cette incantation est bien nommée imbas forosnai, alors que la description qui en est faite correspond à celle d’un teinm laegda. Ce qui tendrait à prouver que, sur le tard, en raison de la christianisation, les distinctions les plus élémentaires entre les deux ont tendu à s’estomper. (Les noms des incantations ou les formules incantatoires n’étaient plus que des coquilles vidées de leur contenu ou de leur signification).
Le texte appartient au Cycle de Finn et il a été publié par Kuno Meyer d’après la version du Senchus Mor contenue dans le manuscrit H.3.18 de Dublin.
Les Fénianes (singulier Fian) étaient des mercenaires étrangers, belges, bretons, ou écossais, voire pictes, ayant commencé à servir en Irlande vers 500 avant notre ère, et qui étaient plus ou moins vassaux des hauts rois gaëls de Tara. Ils aidaient à la perception des impôts et pour cela recevaient une solde de la part des hauts rois gaëls de Tara, mais la partie la plus importante de leurs ressources venait des produits de la chasse. Les rois de Tara s’en seraient débarrassés au IIIe siècle de notre ère lors de la bataille de Gabhra près de Dublin en l’an 285. Nous n’en savons guère plus que ce que veut bien nous en rapporter, l’historien irlandais Seathrún Céitinn dit Geoffrey Keating.
Dans l’histoire intitulée Finn et l’homme dans l’arbre, que l’on croit dater de la fin du VIIIe ou du début du IXe siècle, l’imbas forosnai est pratiquée par Vindos/Finn en deux occasions différentes. À en croire cette histoire, alors que les Fénianes étaient sur la rive de la Suir, un dénommé Culdub sortit d’un sid et leur vola leur nourriture par trois fois successivement alors qu’elle était en train de cuire. La troisième fois Vindos/Finn lui donne la chasse le rattrape et s’empare de lui alors qu’il était en train de pénétrer dans le sid. À ce moment-là une femme semble venir à sa rencontre alors qu’elle est en train de sortir du sid avec un récipient ayant servi à distribuer de la boisson à la main, et elle claque la porte du sid derrière elle. Vindos/Finn a le doigt coincé entre la porte du sid et son montant, et ensuite le met dans sa bouche pour le sucer. Quand il le ressort, il commence alors à chanter. L’imbas l’illumine et il récite une série de vers.
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N.B. Le doigt pincé entre le montant et la porte du sid, signifie que la voyance est un don de l’Autre Monde.
Autre exemple d’imbas forosnai identifié comme tel par le texte lui-même qui en décrit l’emploi.
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Il existe également une histoire que l’on pense être du IXe siècle et qui parle de Vindos/Finn, Ailill et Mac Conn. Dans cette histoire Vindos/Finn semble être un membre du Fian de Lugaid Mac Con. Au cours des hostilités, Ailill envoie Ferchess, un vieux guerrier féniane, un des seniors de sa maisonnée, sur les traces de l’armée en marche de Mac Conn. À la fin Ferchess est tué par Vindos/Finn voulant venger Mac Conn. Vindos/Finn récite de nouveau le « triasa n-imbas forosnai ». L’incident suggère que c’est grâce à cette incantation qu’il a réussi à suivre les traces de Ferchess jusqu’à sa demeure. Il est évident dans cette histoire que notre imbas forosnai donne à Vindos/Finn le pouvoir d’avoir une vision surhumaine, et le rend capable de voir le monde des esprits.
À propos du don de divination de Vindos/Finn, voir aussi Robert D. Scott.
Le plus intéressant et le plus significatif des exemples d’emploi du mot reste celui qui en est fait par la reine Medb au début de son célèbre dialogue avec la prophétesse Videlma.
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« Cia do chomainmsiu ? » ol Médb frisin n-in gin. « Fedelm banfili, do Chonnachtaib, mo ainmsea » or ind ingen.
« Can dothéig ? » or Medb. « hAlbain iar foglaim filidechta » or ind ingen. « In fil imbass forosna lat ? » or Medb. « Fil cin » or ind ingen.
« Qui de mes gens es-tu donc et quel est ton nom ? » demanda Maeve.
Ce n’est pas difficile à dire en vérité. Je suis la vate Videlma du Sidh de Cruachan.
D’où viens-tu ? continua Maeve.
D’Alba, où j’ai appris le métier de vellède, répondit la jeune fille.
« As-tu la grande science qui éclaire ? »
« Bien entendu ! » répondit la jeune fille.
Deux traits sont remarquables dans ce court passage.
1) L’incantation prophétique, qui dépend du don de divination, est accessible à une jeune fille.
2) Cette dernière est allée chercher son initiation en Écosse. Elle ne dit pas malheureusement chez qui. Mais l’Écosse est le lieu privilégié, au nord du monde, de toutes les initiations celtiques, sacerdotales, guerrières et artisanales.
L’exemple que nous venons de produire n’est accompagné d’aucune technique gestuelle ou rituelle précise. L’aspect magique de la prédiction résulte donc à la fois de la connaissance et de l’initiation sacerdotale (accessible aux femmes pour la prophétie et la prédiction, à l’exclusion des techniques sacrificielles ; en outre, Videlma porte l’épée, ce qui est une marque supplémentaire de son appartenance à la classe sacerdotale). Il s’agit d’une divination impromptue, faite sur-le-champ, sans rituel ni préparation d’aucune sorte.
Tout cela est plus ou moins contredit par la minutie et l’archaïsme du rituel que décrit le Glossaire de Cormac.
Il existait dans la druidiaction originelle (chamanisme) deux types différents de pratique, la première étant la méditation assis à la Cornunnos (Bouddha), la seconde étant la méditation à la Vindos Camulos (Bodhidharma) ou méditation externe et mobile, active, par référence à la posture debout, composée de diverses activités rituelles ou gymniques. De la simple marche au cours d’un pèlerinage à la concentration précédant un assaut. Ou plus exactement il existait une forme de druidisme ne connaissant que la position assise à la Cornunnos sous un chêne, et une druidiaction recourant aux deux types de position, assis sous un chêne ou debout, mais aussi en mouvement. Le dénominateur commun était dans ce cas la position assise à la Cornunnos, d’où son importance évidemment.
Ces deux aspects de notre spiritualité furent pendant longtemps jugés complémentaires et indispensables, et ce n’est qu’avec le christianisme que la partie « active » a disparu de la mystique, devenue maintenant uniquement contemplative.
On retrouve néanmoins une telle pratique de la fusion métamorphique de l’âme/esprit (anaon) et du corps, à l’autre bout de la planète, dans un monde culturellement influencé par celui des Scythes : le Japon.
Contrairement aux fantasmes racistes à la mode, y compris chez les antiracistes, le peuple japonais en effet semble bien issu de métissages très divers. Vers l’an 100 de notre ère a pénétré au Japon une nouvelle civilisation, utilisant le bronze et le fer mélangés, appelée Yayoi. Et cette civilisation qui apparaît ainsi sans transition, et déjà mélangée à son origine, ne peut naturellement, elle aussi, qu’être importée. Ces nouveaux arrivants, que les Chinois nommeront Wajin, ont eux-mêmes bâti leur civilisation avec les apports qu’ils reçurent des Caucasoïdes de la steppe, et des Chinois. Pêle-mêle, ils utilisent des outils et des armes en pierres polies, en bois, en bronze et en fer. Mais ils amènent aussi avec eux une civilisation élaborée, avec des champs de riz, de millet ou de froment bien irrigués ; ils pratiquent le tissage d’une toile grossière et conservent le culte de la nature ainsi que du soleil, des Indo-Européens, qui forment chez eux la caste dirigeante. Les hommes de Wa ou Wajin sont des Caucasoïdes ou des Indo-Européens mongolisés. Vers 250 de notre ère, ils seront suivis d’une troisième et dernière vague indo-européenne, mongolisée elle aussi, et qui amènera cette fois sur l’archipel les chevaux et les armes de fer perfectionnées. Ces derniers arrivants sont d’origine hunnique ou iranienne, sans nul doute partiellement mongolisés sur les confins mandchous de leurs territoires. Ces cavaliers belliqueux, mais relativement peu nombreux, formeront l’aristocratie
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naissante du Japon, en s’alliant à des prêtres et à des chefs aristocratiques indigènes, en grande partie d’origine aïnoue. Le professeur Atsuhiko Yoshida en 1977 a publié une longue étude intitulée « La mythologie japonaise et la tripartition indo-européenne », dans laquelle il expose que l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne s’appliquerait aussi à l’ancienne religion japonaise ; ainsi qu’à la structure des trois royautés primitives de la Corée ou du Japon. Il relève dans les mythes japonais de nombreuses correspondances avec les mythes de la Grèce antique ; et juge ces concordances trop précises pour n’être qu’accidentelles. Taryo Obayashi, ethnologue de la même université, lui, émet une hypothèse presque identique dans son étude sur « La structure du panthéon et le concept de péché dans le Japon ancien ».
Mais revenons plus précisément aux arts martiaux.
Le Iaïdo est l’art japonais de dégainer le sabre (katana), et d’exécuter plusieurs mouvements dans un temps inférieur à celui qu’il faudrait à un adversaire, pour dégainer le sien. De I (être), Aï (harmonie) et Do (voie), le mot Iaïdo signifie littéralement « voie de la vie harmonieuse ». Il n’est plus pratiqué pour des raisons guerrières, mais pour sa philosophie (Budo). Le Iaïdo vient des grands samouraïs (maîtres) samouraïs qui pratiquaient le Ken Jutsu (« technique du sabre ») et le iaï-jutsu (« art de dégainer et de couper d’un seul geste ») afin de se défendre sur le champ de bataille. Le Iaïdo regroupa ces deux écoles et devint un art martial empreint de philosophie, qui perdit toute violence. Le développement spirituel et moral prit une place prépondérante, alors que l’efficacité combative disparut. Ceux qui inventèrent le Iaïdo pensaient que le sabre ainsi que l’art de le tirer pouvaient être à l’origine d’un développement spirituel de l’homme. La conception du Seishin Tanren (« la forge de l’esprit ») a créé une situation où les méthodes techniques nécessaires à l’épanouissement spirituel de l’individu ne sont pas toujours totalement identiques à celles qui sont dictées par le seul besoin d’efficacité combative. Au Japon, le Iaïdo est considéré comme l’art de trancher l’ego. Il se pratique seul, face à un adversaire imaginaire. Fondé sur trois éléments inséparables : méditation, coordination, étiquette, il est pratiqué en étroite relation avec le Zen.
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LA GRANDE SCIENCE QUI EMBRASE COMME UN SOLEIL.
Am fear a thug buaidh air fhein, thug e buaidh air namhaid. Qui se conquiert lui-même conquiert son ennemi. Proverbe gaélique (et devise de la Cateran Society).
En comparant les mythologies des différents peuples indo-européens (Celtes, Romains, Germains, Grecs, Baltes, Indo-iraniens…) Dumézil a donc distingué trois fonctions différentes.
— La fonction sacerdotale, liée à la souveraineté, au sacré ainsi qu’à la magie (brahmanes, druides, flamines).
— La fonction guerrière, liée à l’engagement militaire et à la défense du peuple (chevaliers, guerriers, rois, rajas).
— La fonction productrice, liée à la fécondité (agriculteurs libres, éleveurs, artisans, commerçants ; la caste indienne des vaisya).
— Chez les Celtes on peut ajouter une quatrième catégorie, celle des atectai, correspondant aux shoudras de l’hindouisme, presque les dhimmis en terres d’islam (Dar al islam), mais sans la dimension religieuse réservée aux druides.
Des recherches approfondies sur l’iconographie et les textes épiques des différentes cultures indo-européennes éclaircissent les zones d’ombre des périodes les plus anciennes. Elles éclairent d’un jour nouveau la dimension sacrée, mais aussi sociale de la guerre chez les peuples de la protohistoire. On peut y supposer l’existence de pratiques chamaniques de possession par des âme/esprits animaux (égrégores) comme celui de l’ours par exemple.
La deuxième fonction, dite fonction guerrière, est liée à défense du peuple avons-nous dit.
On peut la considérer comme regroupant ce que l’on appellerait la noblesse d’épée, représentée, par exemple, par les chevaliers médiévaux, les guerriers, les soldats. On retrouve cette fonction dans la seconde caste en Inde : les kshatriyas.
La deuxième fonction guerrière était encadrée par toute une série d’interdictions (gessa).
Le premier des tabous qui lui était imposé, bien sûr, était de respecter la première fonction, autrement dit les druides.
Le deuxième de ses impératifs éthiques était bien entendu dans son cas, l’obligation de ne pas craindre la mort, et donc de faire preuve de courage.
La troisième des séries d’obligations éthiques la concernant était celle qui consistait à mépriser les richesses, ou du moins à ne pas les thésauriser : la générosité était un devoir de leur état.
Cette conception du deuxième niveau fonctionnel trouve son expression la plus achevée dans la thématique des trois péchés du guerrier, dont nous avons rappelé l’importance dans tous les secteurs du monde indo-européen ; de l’Inde aux terres celtes, en passant par l’Ossétie, la Grèce, Rome, le monde germanique.
On trouve principalement deux types de guerriers.
Le premier type est un homme, civilisé, raffiné, maniant des armes perfectionnées. Il est brillant, intelligent, moral. Ce type d’homme est rattaché à la première fonction débordant sur la seconde. Par exemple les rois, le Hésus Cuchulainn ou les Fénianes.
Le second est une sorte de bête humaine, dotée d’une force physique presque monstrueuse. Il se bat même à mains nues ou à la rigueur avec un gourdin. Il n’est pas nécessairement intelligent et il est souvent colérique. Il est fréquemment solitaire ou individualiste. Ce type d’homme constitue le gros des troupes de la seconde fonction.
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Les Gésates. On sait très peu de choses des Gésates, et notamment si l’on naissait Gésate ou si on le devenait.
On sait seulement qu’ils étaient censés se battre sous l’emprise d’une fureur sacrée. En pratique, leur fureur les rendait insensibles aux blessures (du fait d’une production massive d’endorphine par leur organisme ?) et à la peur, ce qui devait leur conférer une quasi-invincibilité au corps-à-corps. On peut également présumer qu’une charge terrible de leur part en première ligne était une tactique permettant de terroriser l’adversaire. À en croire les légendes, les Gésates pouvaient entrer dans une rage guerrière appelée ferg en gaélique (vergio en vieux celtique), au cours de laquelle ils ne ressentaient plus la douleur, sans doute sous l’effet des endorphines, et n’étaient même plus capables, parfois, de distinguer leurs alliés de leurs ennemis. Le Gésate ressemblait alors à un loup (volcos) ou à un ours (artaios/artorius) lorsqu’il était ainsi entré dans l’état de transe précité. Andarta était justement le nom de la déesse ou démone guerrière invoquée, hélas, en vain, par la reine Boadicée dans son ultime bagaude désespérée contre l’occupant romain, en – 61, quelque part dans la plaine de Londres.
Selon l’historien français Régis Boyer, les berserkers germaniques étaient, eux aussi, capables de prouesses aussi diverses que traverser le feu, avoir les yeux révulsés, mordre le rebord de son bouclier. Tacite (Germania, III) le mentionne, de même que l’Edda poétique (Hávamál).
Georges Dumézil rapproche l’aristie ou le ménos de l’épopée grecque, des berserkir. On appelle aristie dans l’Antiquité grecque une série d’exploits individuels accomplis par un héros en transe, qui le fait entrer dans la légende et rend son nom digne d’être chanté. Le mot vient du grec ancien aristeía, qui signifie « vaillance, supériorité individuelle », et au pluriel « exploits, hauts faits ».
Dumézil en conclut que les deux phénomènes ne sont pas de même nature : l’aristie n’est pas une métamorphose. La comparaison établie par Homère entre le héros et un animal, Achille et un lion, ou Hector et un sanglier par exemple, n’est qu’une image littéraire. Si Pâris revêt une peau de panthère au chant III, et Dolon une peau de loup ainsi qu’une peau de martre au chant X, ces vêtements ne leur confèrent aucune énergie animale. Contrairement au berserkr, cette fougue n’exclut pas chez le héros, la lucidité : lors de son aristie du chant X, Hector écoute les conseils de Polydamas et n’envoie pas ses chars contre le mur achéen.
Gageons que dans le cas de l’artaios/artorios ou du volcos celte, il en allait de même. Nous doutons en effet du fait qu’ils se soient réellement métamorphosés en ours ou en loups, même le temps d’un combat.
« Berserkr » peut signifier « peau d’ours » (du vieux norrois bjorn särk : « poitrail d’ours »), mais l’interprétation la plus probable serait plutôt « sans protection » (du norvégien « bara särk », poitrine nue). Selon Régis Boyer, le mot berserkr peut en effet signifier que le guerrier-fauve se battait à découvert (sans même une chemise), mais plus probablement qu’il avait la force d’un ours dont il portait la peau en guise d’armure (chemise d’ours). Ce qui dans ce cas en ferait des Gésates.
Les Berserker n’étaient qu’une secte de guerriers qui, sous l’effet de diverses drogues, hydromel et champignons, étaient possédés d’une fureur incontrôlable. Ils étaient vêtus de peau d’ours pour effrayer le petit peuple qui craignait les animaux sauvages et hurlaient en frappant leurs propres boucliers. Ces féroces guerriers apparemment étaient, eux aussi, insensibles à la douleur jusqu’à ce que leur folie s’estompe. Dans leur rage, ils attaquaient même les rochers ou les arbres de la forêt, d’ailleurs il était fréquent qu’ils s’entre-tuent.
Ils sont sans doute à l’origine de la croyance aux loups-garous. Voir en Irlande le cas des 3 filles d’Airitech : elles furent finalement tuées par un dénommé Cas Corach.
On retrouve le comportement martial des ours dans le surnom d’artaios donné au dieu-ou-démon Lug, dans le nom même d’Arthur (Artorius) et dans les prières que la reine Boadicée adressa jadis à la déesse-ou-démone, ou bonne fée si l’on préfère ce terme, Andarta ; lors de sa bagaude contre les occupants romains en – 61 quelque part dans la plaine de Londres, ainsi que nous l’avons déjà noté.
Chez les Celtes, il y a cinq façons de se donner la mort.
a) La mort volontaire.
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Les Celtes n’ont pas la même conception de la mort que les chrétiens. Leur attitude face à la mort peut être qualifiée de « sacrifice de soi » ou de « sacrifice volontaire », formule préférable au mot « suicide » qui évoque dans notre civilisation une décision individuelle, assez souvent perçue de manière négative sous l’influence du judéo-christianisme. Au contraire, pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), ces sacrifices volontaires ne sont autres que des gestes religieux, dont le but est de remettre l’individu en harmonie avec le groupe auquel il appartient et le monde divin. Pour eux, la mort est un acte volontaire et chargé de sens qu’ils ritualisent, c’est-à-dire qu’ils règlent à la manière d’un rite, d’une coutume inchangée.
b) La mort au combat.
L’homme revêt ses attributs de guerrier pour entrer dans cet autre monde parallèle au nôtre que nous appelons l’au-delà, mais avec l’assurance que le combat qu’il livre le conduira directement au Walhalla des héros. C’est cette attitude qui anime généralement les Celtes qui vont au combat. On en a un exemple avec les Gésates, qui combattent nus. Cette nudité traduit leur mépris radical de la peur de la mort.
Mais pourquoi les Celtes sont-ils heureux de partir à la guerre ? Pourquoi n’ont-ils donc pas peur de cette mort que tout le monde redoute aujourd’hui après 2000 ans de Christianisme ? Tout simplement parce qu’ils sont persuadés que le combat n’a que deux issues et que ces deux issues ne peuvent leur être que favorables.
Première issue : leur peuple est victorieux et ils sont assurés de mourir en héros, donc de recevoir une caution divine.
Deuxième issue : ils meurent pendant le combat ce qui leur permet de prendre place auprès de leurs ancêtres, sous la protection des dieu-ou-démons. C’est pourquoi ils n’hésitent jamais à se battre jusqu’à ce qu’ils meurent, ou qu’il n’y ait plus d’ennemis autour d’eux. La fuite ou la capture par l’ennemi sont pour eux la pire des hontes et les empêcherait de survivre. Ils seraient rejetés par la société. C’est pour cela que les Celtes se donnent la mort à la fin d’une bataille qu’ils ont perdue. Il faudra donc attendre le premier siècle avant notre ère pour que les Celtes adoptent des attitudes moins suicidaires au cours des batailles.
c) La mort des soldurs.
Lors de leurs interminables voyages où les conditions de vie sont souvent très dures, les chefs doivent pouvoir se reposer sur une sorte de garde qui s’occupe de tous les problèmes matériels. Ces hommes sont appelés « soldurs ». Ils forment une sorte de cour pour un personnage important. Mais en contrepartie, ils partagent tous les biens de leur protecteur. Le dévouement d’un soldur pour son maître est total et va jusqu’à la mort. Lors d’un combat, les soldurs protègent leur maître et si par malheur celui-ci vient à mourir, ils mettent immédiatement fin à leur vie, eux aussi. À la bataille de Télamone, le roi nommé Anéroeste était entouré d’un groupe de soldurs qui se donnèrent la mort en même temps que lui (Polybe, Livre II chapitre XXXI). La mort des soldurs n’est que la conséquence d’un dévouement total, voire d’une sorte d’amour, pour leur patron. Mais ils le font aussi parce que leur condition de vie vient soudain de s’effondrer.
d) La mort des gésates.
Les Gésates (latinisé en gaesatii) sont des Celtes combattant à l’époque antique en Italie.
Il pourrait s’agir de mercenaires professionnels (Orose, Hist. adv. Paganos, Livre IV, chapitre XIII, 5) armés du gaesum, un javelot de fer, propre aux peuples des Alpes (César, B. G., 3, 4, 1.). Ainsi que d’un petit bouclier. Le bouclier celtique ne possédait pas de courroie en cuir maintenant l’avant-bras en place. Il n’était équipé que d’un manipule en acier, offrant ainsi au guerrier davantage de liberté de mouvement. Les Gésates se servaient donc de leur bouclier aussi bien comme arme défensive qu’offensive au cours de leurs attaques.
Signe de la confrérie des Gésates, la nudité guerrière peut également être perçue comme une étape dans un parcours initiatique plus complexe, à l’instar de certains combats ritualisés d’autres cultures, comme celle des Massaïs, en Afrique. Les Grecs et les Romains ont souvent été témoins de cette pratique guerrière, et l’ont fréquemment représentée dans leur statuaire ; par exemple sur le bas-relief de l’arc d’Orange, dédicacé à Tibère en 27, afin de commémorer sa victoire sur la révolte de Sacrovir.
Enfin, la nudité guerrière peut même constituer une protection rituelle du guerrier, par la présence de peintures corporelles au pouvoir magique. Ces peintures guerrières, bleues, étaient produites par une
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plante sauvage : la guède ou le pastel (glasson). Ces peintures, qui effrayaient les Romains, sont à l’origine de la désignation des « Pictes » : les « hommes peints ».
e) La mort en public.
« D’autres, dans un théâtre (sic), ayant reçu en argent ou en or une certaine somme, voire des amphores de vin, s’étant d’abord assurés en prenant de solides garants que les dons promis par eux seraient bien remis à leurs légataires, puis les ayant répartis ensuite entre les plus proches de leurs relations, ils se couchent sur leurs boucliers, la face tournée vers le ciel, et demandent à quelqu’un dans l’assistance de leur couper la gorge avec une épée »…
Posidonios (cité par Athénée, Livre IV, chapitre IX) comme d’habitude n’a rien compris. L’explication de ce faux suicide est en effet très simple. Ces Celtes étaient tellement assurés qu’il y avait une vie après la mort, qu’ils passaient avec joie dans l’autre monde, et qu’ils se faisaient fort d’y rembourser alors à ce moment-là leurs débiteurs.
Il ne s’agit donc pas d’une anecdote, mais d’une pratique assez répandue. Il est donc clair que les Celtes trouvent un honneur certain à mourir ainsi en public : in theatro. Un guerrier, de toute évidence ruiné ou malade, et ne se sentant pas la force de mourir de sa maladie, se sacrifie pour obtenir de l’or, de l’argent ou du vin ; qu’il distribue ensuite à ses amis, et à ses proches, en promettant de les rendre dans l’autre monde. Après quoi, in theatro, une salle de cérémonie voire un sanctuaire, bref, dans un lieu public, il se donne la mort, ou demande à quelqu’un de lui trancher le cou. L’homme est couché sur son bouclier, la position classique du guerrier mort après la bataille.
Finalement, on se rend compte que, pour les très-sachants de la druidiaction (druidecht), la mort est presque plus importante que la vie elle-même. Ils voient en la mort un moyen de se tirer de situations difficiles. La mort est une échappatoire, puisqu’après la mort, une vie nouvelle, meilleure, auprès des dieu-ou-démons, leur est promise.
« Un des préceptes qu’ils enseignent – évidemment pour les rendre plus aptes à faire la guerre – est devenu de notoriété publique, à savoir que les âmes/esprits [latin animas] sont immortelles et qu’il existe une autre vie chez les Mânes. C’est pourquoi ils brûlent et enterrent avec le mort des choses qui conviennent aux vivants. Et jadis les comptes des marchands ainsi que les registres de dettes accompagnaient, eux aussi, les morts, afin d’être soldés ou honorés dans l’autre monde ; certains individus se jetaient même gaîment sur le bûcher funèbre de leurs êtres chers, comme s’ils allaient revivre avec eux » (Pomponius Mela, Chorographie, Livre III, chapitre II, 18).
Les Celtes voient les éléments qui les contraignent comme un signe divin qui les pousse à mourir. Pour eux, la mort n’est pas le fruit du hasard, bien au contraire, tout est prémédité, voire prédestiné. Même si la mort est annoncée par une maladie, ou par un danger quelconque, elle prend la forme d’une décision volontaire. Les cinq façons de mourir que nous venons de voir jouent ce rôle.
Pour un Celte, il est impossible de « refaire sa vie », de « repartir à zéro ». Il n’imagine pas d’autre vie que celle qu’il vivra dans un autre corps dans un autre monde. Les Celtes pensent que s’ils ne meurent pas héroïquement et ne vont donc pas rejoindre les dieu-ou-démons ; ils n’iront pas dans l’autre monde parallèle au nôtre que l’on appelle le Paradis (des guerriers). C’est pour cela que la mort au combat ne leur fait pas peur. En laissant espérer une deuxième vie meilleure auprès des dieu-ou-démons, et dans un autre corps, la mort rend la vie bien plus facile.
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La notion essentielle à retenir sur la conception de la guerre chez les Celtes est celle du combat individuel mené par chaque guerrier, à replacer dans le mythe indo-européen du héros, que l’on retrouve en particulier dans l’Iliade d’Homère. Condition intrinsèque de la seconde classe de la société tripartie indo-européenne, la guerre est pour ses membres un acte ritualisé.
La pratique de la nudité guerrière des Gésates n’est donc pas une aberration. Elle souligne seulement un grand mépris de la mort chez les guerriers qui s’adonnaient à cette pratique. Pour eux, la mort héroïque au combat aboutissait à une entrée triomphale auprès des grands héros de l’Autre Monde.
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L’intervention la plus célèbre des Gésates eut lieu lors de la bataille de Télamone dont voici le contexte.
Au troisième siècle avant notre ère, les Romains déclenchent une véritable épuration ethnique contre les Celtes de la province du Picenum. En – 232 le tribun C. Flaminius demande que les terres conquises sur les Sénons depuis cinquante ans, soient partagées entre les Romains. Les Boïens, qui savaient, par la fondation d’Ariminum, tout ce qu’il en coûtait d’avoir les Romains pour voisins, se repentirent de n’avoir pas pris l’offensive, et voulurent former une ligue entre toutes les nations du Nord de l’Italie. Mais les Vénètes refusèrent ; les Ligures étaient quant à eux épuisés ; les Cénomans secrètement vendus aux Romains. Les Boïens et les Insubres (Bologne et Milan) restés seuls furent donc obligés d’appeler d’au-delà des Alpes des hommes armés d’épieux, qui se mettaient volontiers à la solde des riches tribus celtes d’Italie. Les Romains, aussitôt informés de tout par les Cénomans, s’alarmèrent de cette ligue. Le Sénat fit consulter les livres sibyllins, et ordonna en guise de sacrifice humain envers les dieu-ou-démons romains que l’on enterre vivants deux malheureux prisonniers celtes, un homme et une femme, au milieu même de Rome, dans le marché aux bœufs. Les chefs celtes sortent de leurs temples les enseignes d’or qu’ils appelaient les inamovibles, et font jurer solennellement à leurs hommes qu’ils ne détacheraient pas leurs baudriers avant d’être montés sur la colline du Capitole à Rome.
Autrement dit un exemple typique d’ambicatus ou de ver sacrum ambicatusien, destiné à venir en aide à un peuple frère victime d’une agression sans pitié (les Sénons du Picenum) confinant au génocide.
Des trois armées romaines, l’une devait garder les passages des Apennins qui conduisent en Étrurie. Mais les Celtes étaient déjà là, solidement installés au cœur de ce pays, et à trois journées de Rome. Craignant d’être enfermés entre la Ville et l’armée, les Celtes révoltés reviennent sur leurs pas, et sont vainqueurs à Clusium après avoir tendu en ce lieu une embuscade aux Romains. Six mille des légionnaires qui les poursuivaient y trouvent la mort, et les autres auraient pu subir le même sort si la seconde armée romaine ne s’était pas aussitôt réunie à la première.
La réplique romaine est violente, et le consul Lucius Aemilius Papus se précipite pour intercepter les Celtes révoltés. Ceux-ci, chargés de butin, veulent éviter le combat en remontant vers le nord, en direction du cap Télamone.
Mais par un malheureux hasard, une troisième armée romaine, qui revenait de la Sardaigne, débarque non loin de leur camp, à Pise, sous le commandement de Caius Attilius Regulus. Ce dernier surprend des fourrageurs celtes et après les avoir faits torturer apprend donc que l’armée des Cisalpins révoltés arrive dans sa direction, suivie par celle d’Aemilius.
Les Celtes rebelles se trouvèrent ainsi pris au piège et durent faire face de deux côtés à la fois. D’où la bataille de Télamone et l’intervention, remarquée, des Gésates.
Le consul dispose son armée en ordre de bataille et barre la route aux Celtes. Ces derniers, se voyant pris en tenaille, se préparent au combat près du cap Télamone en août – 225. Les Gésates et les Insubres s’opposent aux légionnaires d’Aemilius, tandis que les Taurisques et les Boïens se tournent vers l’armée d’Attilius. Un violent combat de cavalerie met aux prises les Romains commandés par Attilius et les cavaliers celtes, Attilius y est tué. Pendant ce temps, les vélites romains, armés chacun de sept javelots, criblent leurs adversaires de projectiles et cette action désorganise la ligne adverse, d’autant plus que les Gésates combattent nus protégés uniquement par un petit bouclier.
Mais quand les manipules romains chargent, ils rencontrent une forte résistance. Seule une attaque de flanc de la cavalerie romaine leur permettra d’obtenir la victoire. Les pertes celtes seront lourdes, plus de 40 000 morts et 10 000 prisonniers.
Pour « assurer la paix » dans la région, Claudius Marcellus achèvera la conquête de la Cisalpine jusqu’aux Alpes. Les Boïens et les Lingons font leur soumission en – 224. Les Anares suivent après la campagne de – 223 au cours de laquelle le Pô est traversé avec de lourdes pertes. L’armée de Caius Flaminius se trouve face aux Insubres et le dos au fleuve. Dans cette situation périlleuse, il propose une capitulation qui est inconsidérément acceptée, puis se retire avec ses troupes. Plus tard, il revient par le pays des Cénomans, renforcé par une partie de leurs guerriers.
Les Insubres mobilisent 50 000 hommes et attaquent les Romains. Flaminius, peu confiant dans les Cénomans, les fait passer sur l’autre rive et fait couper les ponts, puis met ses légions en ordre de bataille. Malgré cette situation stratégique risquée (la retraite est coupée), la supériorité tactique des
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légionnaires leur offre la victoire. Les Insubres veulent la paix, mais le Sénat exige une soumission complète.
En – 222, avec l’aide des Gésates de nouveau, les Insubres rassemblent 30 000 guerriers puis affrontent les deux armées consulaires. Après de nombreux combats, le roi Viridomar est tué au combat par le consul Marcus Marcellus, près de Clastidium (au sud de l’actuelle Pavie). Le consul Cnaeus Scipio prend d’assaut la capitale des Insubres, Mediolanum (Milan) et après la prise de Comum (Côme) c’en sera fini de la résistance de ce peuple celte. La via Flaminia sera poussée jusqu’à la nouvelle forteresse de Spoletium (Spolète) puis poursuivie jusqu’à la mer. De nouvelles cités seront construites sur ces terres conquises.
Le berserkr ou l’artaoios, ou l’artorius, n’était pas simplement un jeune guerrier emporté par la passion du combat, il était comme possédé (par une âme/esprit animale). Par leur costume, par leur comportement, les membres de ces confréries s’assimilaient à des âme/esprits lâchés sur terre. Revêtir un aspect animal grâce à des peaux d’ours, de sanglier ou de loup était une façon de s’identifier à un autre règne, en l’occurrence à celui des animaux.
Le masque est sans doute l’une des expressions les plus anciennes de la culture humaine. Le masque, qui permet à une personne de changer radicalement d’identité, que ce soit extérieurement ou intérieurement, est de partout et de toujours. Il est présent dans la plupart des sociétés, des plus archaïques aux plus élaborées, porteur de valeurs et d’usages qui restent souvent difficiles à interpréter, mais qui témoignent cependant de certaines filiations. Plusieurs sites préhistoriques du sud de la France ont produit des représentations humaines de « sorciers » ou de « danseurs masqués ». En France (département de l’Ariège) dans la grotte des Trois-Frères, décorée d’images peintes et gravées datant d’environ 15 000 à 8 000 ans avant notre ère. Les parois sont couvertes d’une multitude de figurations de bisons, de bouquetins, de cerfs, de chevaux, de rennes au milieu desquelles sont dispersées des figures humaines, dont certaines masquées de têtes d’animaux. La plus énigmatique est certainement une peinture aux pourtours gravés qui représente un homme portant sur la tête des cornes de cervidé, une barbe postiche, une queue-de-cheval, et dont le visage rappelle une dépouille d’animal. La grotte de Gabillou a également révélé la représentation d’un personnage, probablement masculin, affublé d’une tête et d’une peau de bison.
Même idée donc chez les Iceni bretons avec leurs noms totémiques du genre Artomagilos, Matugenos, et leur déesse-ou-démone de la guerre Andarta/Andrasta. Le sens du théonyme est « Grande Ourse » et s’apparente donc au nom d’Arthur. On peut d’ailleurs penser qu’il en allait de même pour la tribu des Volques, dont le nom signifie « les loups ». César. B. G. Livre VI. 24. « Il y a eu un temps où les Celtes surpassaient les Germains en prouesses militaires, leur faisait la guerre de façon conquérante, et vu leur nombreuse population, ainsi que l’insuffisance de leurs terres, envoyaient des colonies au-delà du Rhin. Les Volques Tectosages se sont par exemple emparés des régions de la Germanie qui comptent parmi les plus fertiles, autour de la forêt dite hercynienne (qui, à ce qu’il me semble, était déjà connue par ouï-dire d’Ératosthène et de quelques autres Grecs, qui l’appelaient Orcynie) ; et s’y sont installés. Cette nation s’est maintenue en ces lieux jusqu’à nos jours, et fait preuve d’un très grand sens de la justice ainsi que de beaucoup de mérite militaire ».
Ce genre de fureur guerrière était sans doute une sorte de transe hypnotique profonde. Un tel état contribue à diminuer la douleur physique. C’est ainsi que s’explique la possibilité qu’ont les fakirs hindous de se transpercer les joues et la langue d’aiguilles qui devraient normalement entraîner des douleurs insupportables.
Lors de l’expédition de Suetonius Paulinus contre les très-sachants de la druidiaction, de l’île de Mona, un événement d’une extrême importance se produisit chez les Iceni, dans la partie sud-est de la Grande-Bretagne, sur la Mer du Nord.
Les Iceni ont beau être alliés de Rome, ils ne sont pas moins Bretons, donc Barbares, et c’est par conséquent comme en pays conquis que le Romain Catus Decianus se comporte vis-à-vis des habitants.
Rapidement, de vexations en insultes, le ton monte entre les représentants des deux communautés, jusqu’à ce que la reine elle-même soit prise à partie par les Romains, qui la flagellent et la violent en même temps que ses deux filles…
Ce que le grand spécialiste français d’Arbois de Jubainville appelle la civilisation à marche forcée.
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C’est l’insulte finale, l’insulte de trop, inadmissible. Comme une traînée de poudre, la nouvelle se répand, et la révolte embrase le pays tout entier. Abandonnant leurs travaux des champs, les Iceni, rejoints par un grand nombre de Trinobantes et de Catuvellauni, se jettent à corps perdu sur les positions tenues par les Romains et leurs alliés. Partout les massacres se succèdent, et la rage de la vengeance pousse à la folie meurtrière. On tue, on pend, on égorge, on noie, on décapite, on écorche, on incendie. Tout le pays est en peu de temps la proie du feu et des flammes. La première grande attaque est dirigée contre la colonie de Camulodunum/Colchester. La petite garnison romaine, réfugiée en toute hâte dans le temple de Claude, est submergée puis anéantie par une ruée de Bretons enragés. La colonie, la forteresse, le temple… tout est détruit et incendié.
Petilius Cerialis, préfet de la Legio Hispania, détache en catastrophe les réserves de sa légion stationnées à Lindum/Lincoln, au secours de Camulodunum/Colchester. Peine perdue ! Les Bretons, que plus rien n’arrête maintenant, massacrent purement et simplement l’infanterie de la légion. Et ce n’est qu’avec mille peines que la cavalerie, avec Petilius lui-même, parvient à éviter le désastre complet : en se repliant sur sa base de Lindum/Lincoln, et en s’y enfermant.
Suetonius Paulinus, revenu en toute hâte vers Londinium/Londres, considérant la faiblesse de ses forces par rapport à la masse des Bretons en furie, comprend alors l’énormité de son erreur (avoir attaqué un sanctuaire druidique, l’île de Mona, en dégarnissant ses arrières). Il décide donc, lui aussi, d’abandonner la place, malgré les supplications de la population terrorisée.
Dans la ville, c’est la panique. Les Iceni et leurs alliés fondent de toutes parts, et c’est au tour de la ville de Londinium/Londres d’être mise à sac, pillée, incendiée, puis anéantie. Les habitants qui n’ont pas le temps ou la possibilité de s’enfuir à temps sont massacrés sans pitié. Un grand nombre d’entre eux sont jetés vivants et noyés dans la Tamise. On a même le détail de femmes empalées de part en part dans le sens de la longueur, et immolées. Tout le monde y passe, sans distinction d’âge ni de sexe. Hommes, femmes, enfants, vieillards tombent tour à tour. Les rues sont couvertes de cadavres et de mourants sauvagement mutilés. La ville crépite dans les flammes et la Tamise, qui n’est plus qu’un fleuve de sang, ne sait que faire de ces cadavres qu’on lui jette en pâture. De partout montent des hurlements sanguinaires se mêlant aux cris d’horreur, d’effroi et de douleur, des victimes immolées au nom de la Vengeance.
Laissant Londinium crouler sous ses cendres, maintenant qu’il ne s’y trouve plus personne à égorger, les Iceni se dirigent alors vers Verulamium, capitale des Catuvellauni, elle aussi évacuée en toute hâte par les Romains. La ville devient, elle aussi, le théâtre d’un véritable holocauste. Verulamium est incendiée, pillée, anéantie, et sa population, pas plus chanceuse que celles de Camulodunum et Londinium, est massacrée à son tour. Les Romains sont désemparés. L’impétuosité de Petilius Cerialis a été fatale à la Legio Hispania. Poenius Posthumus, préfet de la Legio Augusta, refuse de quitter sa position d’Isca Dumnuniorum/Exeter, d’autant plus qu’il semble lui-même en position difficile. Seul donc Suetonius Paulinus dispose encore de la Legio Gemina et de la Legio Valeria, et demeure en mesure de tenir tête au déferlement des Bretons. Mais la situation est tellement grave qu’à Rome certains envisagent déjà la défaite et la perte définitive de la Bretagne pour l’Empire.
Sur le terrain, Suetonius Paulinus voit venir le moment où il va être contraint de livrer le dernier combat. Gardant la maîtrise de soi et de ses troupes, il s’établit quelque part du côté de Manduessedum/Manchester, ou Ratae Coritanorum/Leicester.
La bataille qui s’engage aussitôt est d’une extrême férocité, car l’enjeu est de taille. Ou bien les Bretons sont vainqueurs, et tous les Romains et leurs alliés seront définitivement vaincus, ou bien les Romains réussiront à se dégager, et ce sera la fin de l’insurrection ou de l’indépendance bretonne.
Après une journée de combats sanglants et sans merci, les légionnaires parviennent à repousser les assauts des Bretons, puis à les bloquer en les coinçant contre leurs propres chariots de guerre, parqués à l’arrière, qui leur coupaient toute possibilité de repli. Le fléau de la mort vient de changer de camp. À leur tour, les Iceni et leurs alliés sont taillés en pièces, massacrés sans merci, et mis en déroute.
La victoire finale reste aux Romains. Mais quelle victoire ! Apprenant la nouvelle, Poenius Posthumus, préfet de la Legio Augusta, qui, lui, n’a pas osé sortir de sa forteresse, déshonoré, humilié, se fait hara-kiri avec son épée. Boudicca, la reine des Iceni, n’échappe aux outrages qu’en se donnant la mort.
En plus d’une légion anéantie, cette révolte aura vu périr, aux dires de Tacite, près de soixante-dix mille Romains et alliés, ainsi que près de quatre-vingt mille Bretons.
Ivre de sang et fou de vengeance, Suetonius Paulinus entame alors de terribles représailles en mettant le pays à feu et à sang, et en affamant la population.
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Le châtiment du peuple breton est à la mesure de la honte et de l’injure subies par le gouverneur. Aussi, afin d’éviter que ces exactions ne provoquent une nouvelle flambée de violence due au désespoir, Suetonius Paulinus sera relevé de ses fonctions.
Tous ces massacres commis avec l’aide et la bénédiction d’Andarta font irrésistiblement penser aux Galates vus par Pausanias.
« Ils marchaient sus à l’ennemi avec la furie et la passion des bêtes sauvages. Même pourfendus d’un coup de hache ou d’épée, ils gardaient toute leur frénésie, tant qu’ils respiraient encore ; et même percés de flèches ou de javelots, ils ne rabattaient rien de leur emportement tant qu’un souffle de vie leur demeurait. Certains d’entre eux arrachaient de leurs blessures les javelines qui les avaient atteints, et les relançaient sur les Hellènes, ou s’en servaient pour combattre au corps-à-corps ». (Pausanias. Description de la Grèce. Livre X Phocide XXI.).
Tout cela fait également penser à une autre tribu, celle de la célèbre druidesse ou plus exactement prêtresse Velléda.
Les guerriers Chattes ne portaient pas de cuirasse, mais une peau d’ours, d’où leur nom (berserkr). Ils erraient comme des chiens ou des loups, forts comme des ours ou des taureaux. Ils sont restés célèbres pour leur courage et pour la fureur animale qui les possédait ; ils parcouraient les campagnes en état d’extase, comme s’ils avaient été métamorphosés.
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MYTHOLOGIE DE LA SUISSE ANCIENNE. Raymond Christinger et Willy Borgeaud.
L’homme en transe n’est pas dans son état habituel, sa relation avec le monde qui l’entoure est perturbée, est en proie même à certains troubles neurophysiologiques. Ses facultés sont réellement ou imaginairement accrues et cet accroissement se manifeste par des actions ou des conduites observables du dehors.
Les dispositifs inducteurs peuvent être très variables. L’utilisation d’instruments de musique, la récitation d’incantation, des sacrifices d’animaux, etc. La danse est fréquente dans le déclenchement de la transe et certains ont voulu y voir une action mécanique, physiologique.
L’âme/esprit (anaon) du guerrier peut alors se transformer en ours, en taureau, ou en toutes sortes d’autres animaux, et cette nouvelle identité lui confère une force extraordinaire : la ferg ou vergio (vierg en vieux français). Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, le témoignage de Pausanias est à cet égard exemplaire. Il convient de le rappeler.
« Ils marchaient sus à l’ennemi avec la furie et la passion des bêtes sauvages. Même pourfendus d’un coup de hache ou d’épée, ils gardaient toute leur frénésie, tant qu’ils respiraient encore ; et même percés de flèches ou de javelots, ils ne rabattaient rien de leur emportement tant qu’un souffle de vie leur demeurait. Certains d’entre eux arrachaient de leurs blessures les javelines qui les avaient atteints, et les relançaient sur les Hellènes, ou s’en servaient pour combattre au corps-à-corps ». (Pausanias. Description de la Grèce. Livre X Phocide XXI.).
Atrácht in lond láith asa etun, co m-ba sithe remithir áirnem n-ocláig. Airddithir remithir tailcithir tressithir sithithir séolchrand prímlunhgi móre in bunne diriuch dondfola atrácht a fírchleithe a chendmullaig i certairddi, co n-derna dubchíaich n-druidechta de amail chiaich de rígbruidin, in tan tic rí dia tenecur hi fescur lathi gemreta.
La lon laith ou luan laith est l’aura émise par la tête du héros quand son âme (anamon) se branche une fraction de seconde sur le Grand tout, voire se dissout un instant dans le Grand tout (le Pariollon).
Elle est graphiquement symbolisée par une sorte de mât sortant du crâne de certaines figures des monnaies armoricaines. Les petites têtes coupées l’accompagnant ne laissent subsister aucun doute à ce sujet.
L’histoire de l’art nous montre que l’on a jadis distingué 3 formes principales en ce domaine.
-Remarquons tout d’abord que le nimbe n’est pas un attribut exclusivement chrétien. On le rencontre déjà durant l’Antiquité chez les Egyptiens, les Orientaux, les Grecs et les Romains qui en font l’attribut des divinités. Rê, Bouddha, Apollon ou Diane portent souvent un nimbe. Il n’est par ailleurs pas toujours réservé aux personnages divins et représente la force morale autant que l’autorité religieuse.
-L’Irlande semble avoir également utilisé la comparaison avec un oiseau.
-Dans l’iconographie iranienne et dans les religions ou pays marqués par l’influence de l’Iran parthe et sassanide le xvarnah est par contre surtout représenté sous l’aspect de lumières rayonnantes.
Pour une fois l’ésotérisme nous propose une définition/analyse plus éclairante c’est le cas de dire.
L’aura est un « mot anglais d’origine latine et renvoyant depuis le 19ème siècle à un concept ésotérique : un contour coloré, une sorte de halo de lumière rayonnant autour du corps ou de la tête d'un être vivant, manifestation d'un ou plusieurs champs d'énergie, ou d'une force vitale » (The aura. An Enquiry into the Nature and Functions of the Luminous Mist Seen about Human and Other Bodies).
Cette vergio/ferg correspond à l’aristie des Grecs. Le sujet a déjà été abordé dans cette étude, mais il n’est pas inutile d’y revenir.
Caractéristiques des aristies. L’Iliade nous en offre les meilleurs exemples. Ses descriptions présentent des traits communs : le héros s’élance contre une masse d’ennemis indistincts, dont le
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poète donne quelques noms de temps à autre. L’aristie culmine en un ou plusieurs duels contre d’importants adversaires.
Le héros dans son aristie ne se soucie plus de ce qui l’entoure : il est porté par la seule idée de combattre.
Le guerrier est en transe. Il est habité par une fureur sacrée, qui le fait briller, au sens propre et figuré, dans la bataille :
« Ses dents [Achille] se heurtaient bruyamment, et ses yeux qui brillaient avaient le vif éclat du feu » (XIX, 365-366).
Ainsi, Hector oppose la beauté du guerrier sur le champ de bataille à celle de son frère Pâris, bien vêtu et coquet.
Au cours du chant V, il est inspiré directement par Athéna, qui lui transmet la fougue des grands héros de jadis :
« Ne crains pas, Diomède, de te battre contre les Troyens, car j’ai insufflé dans ton âme l’ardeur de ton chevalier de père Tydée » (V, 124-126).
Pandare, fils de Lycaon, déclare en le voyant dans la bataille « qu’une divinité de l’Olympe, les épaules cachées dans un nuage, se tient à ses côtés, anime sa fureur et détourne les traits dirigés contre lui » (chant 5, verset 185). Énée note également que Diomède paraît être « une divinité courroucée contre nous tous et qui venge l’oubli des sacrifices ; car la colère des dieux est terrible ! » (Chant 5 versets 177-178).
De fait, la force et l’habileté du héros sont alors décuplées : Diomède peut soulever une pierre que deux hommes peineraient à lever ; Achille est comme soulevé par des ailes.
Le guerrier dans son élan est comparé à un animal sauvage (usuellement un lion) lancé contre des hommes ou des animaux domestiques, dont il fait sa proie. Exemple Achille qui :
« Le chargea comme un lion que tout un village brûle de tuer. Le lion passe d’abord indifférent, mais quand un jeune doué pour les combats le frappe d’un coup de lance, il rugit et se tient prêt à bondir, les mâchoires écumantes, et sa force intérieure grondant puissamment, fouettant avec sa queue ses côtes et ses flancs, d’abord ramassé en position de combat puis se ruant l’attaque les yeux brillants, prêt à tuer ou être tué. Ainsi était Achille poussé par son ardeur et sa fureur contre ce brave Énée » (XX, 165-175).
Le combattant est également comparé à une force naturelle que rien ne peut arrêter. Exemple Diomède :
« Il courait dans la plaine comme un torrent d’hiver en furie balayant les digues de ses flots. Les terrassements et les murs des fertiles vergers ne peuvent endiguer son assaut qu’emmène Zeus et devant lui tombent en ruine les œuvres des hommes : c’est ainsi que les rangs serrés des Troyens furent mis en déroute par le fils de Tydée… » (V, 87-94.)
Ainsi déshumanisé, le guerrier peut même en venir à menacer les dieu-ou-démons : Apollon poursuivi par Diomède doit lui rappeler que les dieu-ou-démons et les hommes sont deux races distinctes. (Note de la rédaction. Ce qui n’est pas le cas dans le monde celtique, bien au contraire). Diomède recule alors, mais seulement d’un pas.
Les aristies sont toujours très meurtrières : le héros y tue souvent plus d’une demi-douzaine d’ennemis, et en blesse plusieurs. Lors de l’aristie du chant V, Diomède tue de la sorte six Troyens et blesse quatre personnes, dont Énée ainsi qu’Aphrodite en personne. Il ne se replie qu’en croisant Hector. Inversement, la grande majorité des morts de l’épopée surviennent au cours d’une aristie, et non au cours des combats ordinaires.
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À LA RECHERCHE DE LA GRANDE SCIENCE QUI EMBRASE COMME UN SOLEIL.
(Notes retrouvées par les héritiers de Pierre de La Crau et insérées par eux à cet endroit).
« Il est de multiples façons d’accéder à la Voie, mais toutes peuvent se ramener à deux types : l’accès par le principe et l’accès par la pratique ». S’exclame à l’autre bout du monde Bodhidharma, le grand maître des arts martiaux chinois du monastère de la petite forêt (Chao-lin).
Nous allons donc désormais sous ce titre passer brièvement en revue (un peu abusivement peut-être, le vocable irlandais étant d’un champ d’action beaucoup plus limité en principe) les différentes techniques mentales ou physiques, physiques ou mentales ; pouvant amener l’individu à dépasser sa pauvre et petite condition humaine, et atteindre à des états de conscience ou d’être, supérieurs.
Le véritable druidisme est fondamentalement composé de quatre voies principales.
1. La voie de la première fonction ou voie de la connaissance, qui vise au détachement, par prise de conscience de la relativité des choses et l’interrogation sur le « que suis-je ? » C’est un processus qui consiste à apprendre à distinguer ce qui est faux de ce qui est vrai, ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, et ce qui est éternel de ce qui ne l’est pas.
Tel est peut-être le véritable sens du célèbre poème d’Amorgen (malgré les forgeries de toutes pièces, comme disent nos amis anglais, des plus suspectes, qui l’entourent) : « Je suis le vent sur la mer, je suis vague de l’océan, je suis le grondement de la mer, je suis le taureau des sept combats, je suis un vautour sur une falaise, je suis un sanglier de valeur, je suis un saumon dans une rivière, je suis un lac dans une plaine, je suis un dieu qui met le feu à la tête. Qui, si ce n’est moi, peut pénétrer les secrets des phases de la lune et l’endroit où se couche le soleil ? »
Que nous pourrions paraphraser comme suit…
Qui suis-je ?
J’ai toujours été, je serai toujours.
Qui suis-je ?
Je suis la Vie infinie qui imprègne Tout.
Je suis le Tout.
Je suis Cela.
Qui suis-je ?
Maintenant je suis libre ; je suis au-delà de tout.
Je suis sorti de mon corps et de la planète entière.
Qui suis-je ?
Autour de moi il ne reste rien que l’espace infini.
Et je suis comme cet espace : sans fin.
Maintenant plus rien ne peut m’atteindre.
Bref le druidisme au sens commun du terme. Une voie de la connaissance immanente transcendante.
2. La voie royale, la voie des guerriers, voie du setanta ou divodorum, la voie ou le divodoron de la deuxième fonction, celle de la force ou plus exactement de la maîtrise totale du corps dans son interaction avec l’âme et/ou l’esprit. Une méditation psychophysique donc (Raja Yoga dans l’Hindouisme). Cette méditation psychophysique se réalise par le moyen de différents exercices destinés à canaliser puis transformer l’énergie, ou à obtenir l’union des énergies opposées : chaud et froid, mâle et femelle, positif et négatif. Bref le dieu-ou-démon et sa parèdre ou shakti (par exemple Jéhovah et Ashérah dans la Bible).
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3. La voie de la troisième fonction, la voie de l’action désintéressée où l’on accomplit son devoir et où l’on donne sans compter (voie des œuvres appelées Karma Yoga dans l’hindouisme). Cette troisième voie consiste à remplir ses obligations humaines, sans désirer ou attendre de récompense. C’est une sorte de sacrifice perpétuel consistant à œuvrer pour le Bien commun. Y compris en se vouant à une profession donnée, ou en effectuant, sans se préoccuper d’un quelconque gain ou profit personnel, toutes sortes d’activités. Cette voie est celle de la fécondité, de la fertilité, de la prospérité.
4. La voie de la quatrième fonction, celle des vaincus, à qui l’on ne demande pas de réfléchir, mais d’honorer les dieux et de s’en remettre à leur grâce. Une voie donc de la dévotion et de l’adoration (Bhakti Yoga dans l’hindouisme).
N.B. Cette dernière s’est aujourd’hui confondue avec la précédente, celle du petit peuple des hommes libres. Atectai est le terme technique désignant cette catégorie d’hommes ou de femmes, atectos/atecta le terme technique désignant un membre de cette catégorie sociale. Ce que les musulmans appellent des dhimmis.
Tout se tient dans l’univers ou bitos. Le Un ne vit que par et pour le Grand Tout, et le Tout pour le Un. En d’autres termes Un pour tous et tous pour Un. Le divin, c’est l’union intime immanente absolue et sous des formes impensables, de l’âme et de la matière. Plus concrètement cela pouvait souvent se résumer, selon la technique mise au premier plan, à l’alternative suivante.
A) Récitations, postures, sublimation de l’énergie sexuelle chez les druides ancêtres des moines culdées (les autres pouvaient, voire devaient même, se marier).
B) Utilisation du corps, contrôle du souffle, et travail sur l’énergie mentale chez les vercingets ou gésates, ancêtres des fénianes irlandais, voire peut-être des berserkir germaniques.
« Divinis humana licet componere ». « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines ». Ausone (définition du mot libra). Autrement dit : on peut trouver la voie pour accéder au monde des dieu-ou-démons en voyant clair dans sa propre nature. Pour accéder au monde divin, il faut rentrer en soi-même.
La visualisation de l’une des déités du panth-éon ou plérôme permet un travail approfondi sur soi, au travers duquel les émotions ordinaires sont transmutées en sagesse. Quand le pratiquant comprend que sa vraie nature n’est pas différente de celle de la déité en question, il a déjà fait un grand pas. Dans cette branche du druidisme (le druidisme guerrier, voie du setanta), réussir à visualiser une déité s’avère donc très important. Mais, ainsi que nous avons eu l’occasion de le dire, il ne s’agit pas d’une simple visualisation, il s’agit d’abord d’une méditation sur la relativité des choses. C’est de cette manière en effet que nous pouvons entrer dans la profondeur de la pratique des arts martiaux. D’un côté, nous méditons sur la nature de la déité, mais en même temps nous méditons sur sa nature ultime.
Le druidisme recense donc, et permet, différents plans d’être ou de conscience, et ceci, grâce à diverses techniques, quelquefois avec des aides extérieures, souvent avec l’aide de processus corporels ou physiologiques.
Posture à la Cornunnos.
Danse extatique (par exemple dans le cas des guerriers gésates).
Contrôle des sensations et notamment de la douleur, à la Hésus.
Concentration : « Nate nate memento beto to devo » criait sa mère (Augusta) au futur saint Symphorien d’Autun.
Méditation.
Extase ou illumination des auentieticoi/awenyddion.
Etc., etc.
La technique de base est celle du contrôle de la respiration, de l’inspiration et de l’expiration, afin de jouer sur l’oxygène, ou son contraire, l’anhydride de carbone.
Ici manquent environ deux pages d’après les héritiers de Pierre de La Crau………………………
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LES POSITIONS.
Il existait dans le druidisme deux genres différents de postures méditatives.
La méditation assis sous un chêne, c’est-à-dire interne ou immobile, par référence à la posture assis à la Cornunnos.
La concentration mentale debout, c’est-à-dire externe ou mobile, active, qui était typiquement celle du guerrier à l’entraînement. La lon laith ou luan laith était l’aura émise par la tête de notre héros en cas de vergio/ferg, c’est-à-dire quand son âme (anamon) se branchait une fraction de seconde sur le Pariollon. Ou se dissolvait dans le Pariollon (le Grand tout). Sur certaines monnaies armoricaines, elle est symbolisée par une sorte de mât sortant de l’occiput du guerrier représenté dessus. En Irlande par un oiseau.
À l’origine, et ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, il s’agissait simplement de différencier la méthode méditative « assis sous un arbre » telle que la pratiqua vraisemblablement l’anatiomaros ou grand initié que fut Cornunnos, de diverses formes plus ou moins gymniques (exercices musculaires, etc.) ou, plus simplement la marche. Le mot « Kinges » signifie en effet littéralement au départ : « Celui qui marche en avant ». Ces deux aspects étaient donc jugés complémentaires et indispensables par le druidisme de cette époque.
LA MÉDITATION À LA CORNUNNOS (assis sous un chêne : dhyana dans l’hindouisme).
Certaines écoles préconisent toujours de se concentrer sur la respiration, d’autres de méditer sur des triades ou sur un quelconque enseignement de maître réputé.
Exemples.
« Honorer les dieux, ne rien faire de mal, et être un homme, un vrai ».
« La vérité dans nos cœurs, la force dans nos mains, et l’art de bien parler ».
« Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh ».
D’autres encore préconisent d’apprendre par cœur un grand nombre de textes sacrés. Par essence, malheureusement, les formes poétiques (en iarnbelra ou berla féné), formes développées de la triade, demeurent très difficiles à traduire et plus encore adapter à notre mentalité… Faute de mieux, il conviendra la plupart du temps de nous contenter d’une approximation littéraire.
Les études druidiques couvrent tout le champ des connaissances concevables. Vingt et un ans, telle est d’ailleurs encore, approximativement, la durée des études à notre époque, si l’on additionne les temps de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Il est loisible de penser qu’une telle durée entraînait de gros frais, limitant le recrutement aux familles aisées de la noblesse, car la gratuité de l’enseignement n’est pas une idée antique ou médiévale. Mais une chose est sûre : on ne devenait pas très-sachant de la druidiaction (druidecht) en un instant, par le simple effet d’une initiation magique. Il fallait se donner la peine d’apprendre. Après la conquête, malgré les écoles romaines, les choses n’ont peut-être pas changé très vite. Pomponius Mela, qui écrivait vers le milieu du Ier siècle de notre ère, quelque quatre-vingt-dix ans après César, répète les informations du proconsul, y ajoutant seulement le secret dans lequel se dispense l’enseignement. Tel est l’état de l’enseignement druidique au faîte de sa puissance ou, plutôt, de son efficacité.
En B.G. VI, 13, César attribue aux très-sachants de la druidiaction (druidecht) la connaissance de l’astronomie et non de l’astrologie, alors que cette pseudoscience sera en honneur du temps des Romains. Cela nous autorise à en déduire que cet enseignement n’avait rien de primitif ou d’occulte. L’astrologie n’est pas d’origine celtique, mais sumérienne et les très-sachants de la druidiaction (druidecht) ne l’ont jamais pratiquée telle qu’elle est conçue actuellement.
Si l’on demande à un adepte, et à plus forte raison à un maître du druidisme à la Cornunnos, ce qu’est le druidisme…, il répondra peut-être « demeurer assis sous un chêne à méditer ».
Le druidisme de type auentieticos (ou awenydd, évolution du mot auentieticos dont la signification est « illumination »), c’est en effet d’abord la méditation dans l’harmonie de la forêt baignée d’oxygène. Mais le druidisme de ce type, c’est aussi de rentrer en soi-même et de voir clair dans la nature profonde de son être. C’est une technique destinée à effectuer une prise de conscience susceptible de faire éclater les limites du mental. Cette tendance du druidisme a néanmoins toujours mis l’accent
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sur la progressivité des étapes et des moyens utilisés pour obtenir l’épanouissement de l’âme. L’âme/esprit (anaon) est comme une onde pure. Nul ne peut y voir son vrai reflet qui est le Dieu supérieur s’il n’a auparavant apaisé le moindre des courants pouvant l’agiter.
Giraud de Barry qui nous a laissé une description de la Cambrie ou pays de Galles au XIIe siècle, parle d’une catégorie de personnages désignés sous le nom d’awenyddion ou gens inspirés. Le témoignage de Giraud est a priori hostile évidemment. On sent bien qu’il n’est pas loin d’assimiler ces hommes à des sorciers (nous sommes au XIIe siècle ne l’oublions pas). N.B. Awen est le nom gallois de l’inspiration, un peu comme al tanzil en arabe pour ce qui est du Coran, et l’awenydd celui qui est inspiré, le poète.
« Il y a en Cambrie des personnes que l’on ne trouve nulle part ailleurs appelées Awenyddyon, ou hommes inspirés ; quand ils sont consultés sur quelque chose de douteux, ils se mettent à hurler violemment, comme s’ils étaient hors d’eux-mêmes, et deviennent comme possédés. Ils ne répondent pas directement à ce qu’on leur demande ; mais qui les observe attentivement trouve quand même après maints préambules et maints discours futiles ou incohérents, quoique bien tournés, l’explication recherchée : ensuite ils sortent de leur extase comme d’un profond sommeil et pour ainsi dire comme contraints et forcés de retourner au sens commun. Après avoir répondu aux questions, ces personnes ne reviennent à leur état normal qu’après avoir été secouées par quelqu’un ; mais elles ne peuvent se rappeler les réponses qu’elles ont fournies. Si on les consulte une deuxième ou une troisième fois sur la même chose, ils recourent alors des tournures totalement différentes ; peut-être parlent-ils ainsi poussés par des esprits fanatiques et ignorants. Ces dons leur sont habituellement conférés en rêve… mais en prophétisant de la sorte ils invoquent le vrai Dieu vivant ainsi que la Sainte Trinité » (ouf ! C’était visiblement ça le plus important pour notre bon moine !). (Marx. Les littératures celtiques). Mais tout cela nous avons déjà eu l’occasion de le dire.
Quelle que soit la posture, ou l’assise, il convient avant tout qu’elle plaise… mais soit aussi équilibrée. Le dos doit être droit, le menton légèrement rentré, la bouche fermée, la pointe de la langue touchant le palais, les yeux mi-clos, la respiration profonde et fluide issue du ventre. La position des mains peut varier suivant les Écoles et se caractérise par les objets qui sont tenus pour en concentrer l’énergie : ici un sac garni de glands, là un torque, ou un petit chaudron, etc.
C’est une attitude, presque une philosophie sinon déjà une religion. Il est possible de tenter de devenir aventieticos (awenydd) au travers de nombreux moyens qui sont autant de points d’appui amenant, peu à peu, à une éventuelle illumination. Ou du moins à la recherche de celle-ci, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Pour pouvoir arrêter le tourbillon des états de conscience inférieurs, et se concentrer sur l’être supérieur, il faut d’abord en prendre conscience expérimentalement.
Ces états de conscience sont en nombre illimité, mais on peut en gros les classer en deux catégories.
1. Les erreurs et les illusions (rêves, hallucinations, erreurs de perception, confusions).
2. La totalité des expériences psychologiques ordinaires quotidiennes : ce que l’on sent, pense, ce qui traverse l’esprit de l’homme ordinaire, de celui qui ne pratique pas les exercices en question. Ces tourbillons proviennent d’immenses réservoirs d’énergie mentale se trouvant dans les tréfonds de notre esprit (l’inconscient des psychanalystes).
Il s’agit de prendre conscience de ces états mentaux qui nous agitent perpétuellement, et de s’en débarrasser concrètement par la pratique, pas à pas, grâce à une longue série d’exercices qui demandent à être effectués successivement, sans hâte, sans impatience. Ce travail est un travail de très longue haleine, au cours duquel on rencontre des obstacles considérables. Car, même si l’on parvient à réduire à néant les agitations en cours de sa conscience, d’autres viennent, aussitôt, les remplacer.
Ces forces inconscientes, ou subliminales, constituent d’énormes obstacles sur la voie menant au monde des dieu-ou-démons, pour deux raisons :
1. Ce sont elles qui alimentent sans cesse le flux psycho-mental agitant notre conscience, puisque la vie n’est qu’une décharge continuelle de ces forces dans le chaudron qui bouillonne sous notre crâne. L’existence humaine n’est qu’une actualisation ininterrompue de l’inconscient, au moyen d’expériences conscientes.
2. Ces forces, précisément parce qu’elles sont subliminales, ont un caractère insaisissable et incontrôlable.
Ce n’est que par une pratique intensive de ce qui constitue aussi la base des arts martiaux celtiques que ces forces inconscientes peuvent être reconnues, contrôlées, maîtrisées, donc anéanties. À partir du moment où elles sont reconnues, elles sont brûlées, mais celui qui a un jour, et de cette façon,
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atteint au monde des dieu-ou-démons, pourra la fois suivante y accéder de plus en plus rapidement (question d’entraînement).
Ce courant privilégie donc l’illumination de l’instant qui transcende le temps, une illumination que l’on obtient par le dépouillement et le vide mental, c’est-à-dire par l’effacement d’un sujet rempli de passions. On sera donc à même de rejoindre l’univers du vivant, non selon son apparence, mais de l’intérieur. Car l’adepte de cette vision a foi dans le Souffle primordial qui anime toute entité vivante : entrer dans sa grande rythmique, c’est entrer dans l’univers ou bitos en évolution. Il est invité à une sorte de consentement : rejoindre un état originel où prend source la promesse de vie éternelle. D’où les constatations de Giraud de Barry à leur sujet au XIIe siècle ainsi que nous l’avons vu ; qui témoignent d’une incroyable survivance de ce type de druidisme.
La simple connaissance métaphysique n’est pas la seule voie pouvant conduire à la réintégration dans le Grand Tout (Pariollon). L’accès au monde divin peut aussi, pour ainsi dire, être conquis de haute lutte, au moyen d’une technique pouvant conduire à une profonde maîtrise du corps et de l’âme/esprit (anaon). Le but de cette technique est de remplacer la conscience normale par une autre, qualitativement supérieure. Mais cette élimination de la conscience ordinaire n’est pas facile à obtenir. Le secret ne peut être transmis d’un homme à une autre, il doit être conquis. Outre le savoir, cela implique donc aussi une pratique, et une certaine forme d’ascèse ou de contrôle des sensations de son corps, notamment de la douleur. Ce que vous aurez appris en écoutant les paroles des autres, vous l’oublierez vite. Ce que vous aurez compris avec la totalité de votre corps, vous vous en souviendrez toute votre vie.
LA MÉDITATION À LA VINDOS CAMULOGENOS OU À LA MANIÈRE DES FÉNIANES (cf. voie du setanta).
Équivalent à l’autre bout du monde indo-européen : Bodhidharma et Chao-lin ou les moines celtes de saint Colomban de Bobbio (travail forestier).
La méditation en mouvement ou en activité vaut mille fois mieux que la méditation au repos.
Les vertus martiales par excellence ce sont la discipline, l’humilité, la retenue, et le respect de la vie humaine en temps de paix.
Am fear a thug buaidh air fhein, thug e buaidh air namhaid. Qui se conquiert lui-même conquiert son ennemi.
Proverbe gaélique et devise de la Cateran Society. La Cateran Society est une association fondée en 1998, par Christopher Scott Thompson, afin de promouvoir l’escrime médiévale écossaise.
Dans ce type de druidisme, la culture et l’instruction jouent aussi un rôle fondamental. Tout Féniane était censé connaître par cœur au moins 12 livres. Mais la pédagogie mise en œuvre n’avait rien à voir avec les méthodes actuelles d’enseignement. Il s’agissait plutôt bien souvent de très courts dialogues entre le Maître et le Disciple… le premier pose une question, le second y répond comme il peut, et le maître donne la solution. Il s’agit de sentences servant à illuminer l’esprit, ne serait-ce que pour une fraction de seconde ou pour toute une vie, mais destinées tout d’abord à rendre un peu plus humble.
Ne pas oublier que les très-sachants de l’Antiquité ont toujours pensé que Foi et Intelligence étaient parfaitement compatibles, ou du moins que l’une ne pouvait aller sans l’autre. La pire des catastrophes, la pire des régressions pour la civilisation, c’est en effet la croyance aveugle comme dans le judaïsme le christianisme ou l’islam. Instruction et culture sont indispensables. D’où non pas un seul, mais douze livres chez les Fénianes.
« Les Galates ont un aspect terrifiant et leurs voix sont profondes et très rudes ; quand ils se rencontrent, ils parlent en peu de mots et par énigmes, en laissant seulement deviner la plus grande partie de ce qu’ils veulent dire, en se servant d’un mot à la place d’un autre ; ils aiment recourir aux superlatifs pour se vanter ou pour rabaisser les autres [en grec hyperbolê]. Ils peuvent se montrer hâbleurs ou menaçants et sont friands de langage pompeux, mais, ils ont néanmoins l’esprit pointu et ne sont pas dénués de toute capacité d’apprendre » (Diodore de Sicile V, 31).
Exemple.
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Livre du Leinster. Colloque des deux sages. Imcallam in da Thurad.
Adnae, fils d’Uthider, des tribus Connaught, était l’ollamos (primat) d’Irlande pour ce qui est de la science et de la poésie. Il avait un fils, Nédé. Il arriva que son fils alla étudier les sciences en Écosse, chez Eochu Echbél (Eochu à bouche de cheval) ; et il resta auprès d’Eochu jusqu’à ce qu’il soit versé dans les sciences…
……
Aussi Nédé s’en alla, et avec lui ses trois frères, Lugaïd, Cairbre, Cruttine. En chemin (ils tombèrent) par hasard sur une bolg bélce (une vesse – de-loup ?). L’un d’entre eux demanda : « pourquoi est-ce appelé bol bélce (vesse-de-loup ?) Comme ils ne savaient pas, ils retournèrent auprès d’Eochu et y restèrent un mois. Ils se mirent de nouveau en route. En chemin ils tombèrent par hasard sur un simind (jonc). Comme ils ne savaient pas (pourquoi on l’appelait ainsi), alors ils retournèrent chez leur précepteur. Au bout d’un autre mois, ils s’en allèrent (de nouveau) de chez lui. Ils tombèrent par hasard sur une gass sanais (tige de sanicle ?) Comme ils ne savaient pas pourquoi on l’appelait gass sanais, ils retournèrent auprès d’Eochu et restèrent encore un autre mois chez lui.
Autre exemple.
Glossaire de Cormac. Version du Leabhar Breac. Au mot Lethech.
……
Lethech est aussi le nom d’une planche à pétrir, car la farine est répandue dessus, ainsi que l’a dit Crutine un jour qu’il se rendait dans la maison d’un autre druide avec son disciple ; c’est-à-dire dire un étudiant ayant l’orgueil d’un maître.
Crutine resta lui-même à l’extérieur, mais envoya son disciple demander l’hospitalité dans la maison du druide. On lui prépara de la panse de porc lui fut et le druide commença de discuter avec l’étudiant tout en observant son intelligence (pendant qu’il préparait la viande). Le druide remarqua l’orgueil de l’étudiant et la petitesse de son intelligence. Aussi quand la panse fut cuite le druide dit devant l’étudiant : « dofotha tairr tein ? » c’est-à-dire « est-il temps de l’enlever du feu », c’était (la chose fut dite dans la langue des poètes) afin de savoir quelle réponse l’étudiant lui ferait ; car il avait entendu le druide (Crutine) vanter ses merveilleuses connaissances comme s’il s’était agi de lui-même, et il ne l’avait pas cru. Ce fut donc ce que le druide demanda pour éprouver l’étudiant : Dofotha tairr tein, et il répéta par trois fois dofotha tairr tein. Mais le disciple resta muet. L’étudiant se leva donc après cela et il alla retrouver Crutine pour lui rapporter ça c’est-à-dire les mots qu’avait prononcés le druide : Dofotha tairr tein.
« Bien » répondit Crutine, « quand il (les) dira de nouveau, réponds-lui : « toe lethaig foen fris ocus fri adaind indliss » c’est-à-dire met une planche à pétrir dessous, c’est-à-dire sous la panse et allume une chandelle pour voir si la panse est cuite.
Quand l’étudiant eut de nouveau pris place à l’intérieur (à son retour le druide demanda la même chose et l’étudiant répondit lethaig, etc.)
« Bien » répondit le druide, « ce n’est pas la bouche d’un étudiant qui a rendu (cette réponse). Celui qui l’a rendue n’est pas loin. Crutine est là. Appelle-le qu’il vienne. Crutine fut alors invité à venir, on lui souhaita la bienvenue et on remit de la nourriture pour lui dans le chaudron. Et l’orgueil de l’étudiant alors en prit un coup, car le druide se moqua de lui en s’adressant à Crutine, etc.
Ce besoin tenace d’omniscience juxtaposé à une perpétuelle humilité pour l’étudiant, est caractéristique du druidisme, et l’on pourra donc utilement se reporter à ce que César constate de la science et de la pédagogie des très-sachants de la druidiaction (druidecht). « En outre ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels ».
Il s’agit donc d’une voie druidique (ayant pour but la connaissance et l’illumination) consistant à être disciple sous l’autorité d’un très-sachant de la druidiaction (druidecht).
Les quatre aspects de cette voie sont les suivants.
— Étude de la doctrine spirituelle (les fameux douze livres des Fénianes(ou trois) d’Irlande) avec examen de soi-même et retenue.
— Pratique de la méditation selon la méthode traditionnelle reçue.
— Service du druide.
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— Vie conforme aux préceptes moraux (éthiques) menée consciemment dans la pratique de la vérité, de la générosité, du respect des deux autres fonctions, sans oublier la modestie (voir les trois péchés du guerrier).
Dans un grianon la pratique des arts martiaux commence toujours par l’apprentissage d’un embryon de méditation basée sur des techniques respiratoires en position assise permettant l’exploration intérieure des profondeurs de l’être. Et du cosmos puisque, rappelons-le, comme l’a très bien dit Ausone dans son petit poème sur la balance (libra), chaque homme est un microcosme, un univers à part entière. « Aux choses divines on peut comparer les choses humaines » : « Divinis humana licet componere ».
Ainsi que nous avons pu le voir avec la méditation « assis à la Cornunnos sous un chêne », le druidisme originel c’était le culte rendu à l’arbre, axe du monde, au beau milieu d’une clairière. Mais cette clairière primordiale avec le biliomagos au milieu fut très tôt aménagée. Or pour cela tout un travail fut nécessaire : débroussailler, abattre, défricher, etc.
On trouve d’ailleurs une trace de ces pratiques dans ce que nous rapporte Strabon (Géographie IV, 4,6). Les femmes dont il parle avaient une coutume : chaque année elles mettaient à bas le toit de leur sanctuaire, et le reconstruisaient le même jour. Strabon ne précise pas si une telle cérémonie avait lieu lors du changement d’année, mais on peut le supposer.
La méditation a donc toujours été accompagnée d’activités physiques indéniables, sur tous les plans d’ailleurs si nous pouvons en croire cet auteur.
Il convenait de suivre un rituel pour délimiter un espace sacré (les femmes font le tour du sanctuaire en portant le corps démembré d’une des leurs) et une fois ainsi consacré, cet espace devait être entretenu.
Rituel, consécration, et entretien, se retrouvaient donc dans des activités aussi dissemblables que des travaux de couverture d’un toit, ou un sacrifice humain permettant de délimiter un territoire.
La méditation en activité vaut mille fois mieux que la méditation au repos (saint Colomban de Bobbio)…
Il existait par conséquent des Écoles druidiques exerçant diverses activités de travail manuel destinées à entretenir le lieu de culte, de prière, ou de méditation, soit directement (cas des femmes citées par Strabon, soit indirectement, par le travail de certains disciples).
Pour d’autres, la consécration passait par un combat réel, ou symbolique, entre les deux grandes familles de dieu-ou-démons celtes connues alors ; les dieu-ou-démons chtoniens (des vouivres anguipèdes gigantesques, que l’on appelle Andernas sur le Continent, Fomore en gaélique, ou Tuatha Dé Domnan) et les dieu-ou-démons célestes ou aériens si l’on veut (Ogmios, Lug, et les autres membres de la tribu de la déesse-ou-démone, ou fée si l’on préfère ce vocable, Danu, appelée Tuatha Dé Danann en Irlande) ; puis par une purification de l’espace sacré (par aspersion du sang de la victime tout autour).
Les druides ; à l’instar du célèbre Divitiacos (qui déclarait que la science appelée physiologie par les Grecs, était connue de lui, du moins si l’on en croit Cicéron, De divinatione, I, 41) ; ont toujours pensé que la recherche de l’illumination ou ambas forosnai en gaélique, ne devait pas se faire au détriment du corps, mais plutôt par une union renforcée entre le corps et l’âme ou l’esprit. Nous n’en voudrons pour preuve que cette triade rapportée par Caletios/Cailté à saint Patrice : Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh. La vérité dans nos cœurs, la force dans nos mains et l’art de bien parler.
La vocation première des arts martiaux celtiques ne concerne qu’indirectement le combat.
Les arts martiaux celtiques sont un ensemble de méthodes et de techniques physiologiques ou mentales ayant pour finalité d’atteler ensemble les facultés ainsi que les énergies, du corps et de l’âme. Un ensemble qui comporte toujours ce double mouvement de concentration des facultés ; mais aussi de refus de suivre la pente naturelle menant à s’investir dans les désirs du vulgaire, ou du parvenu, à la mode.
Le but des arts martiaux celtiques est de mettre en relation l’anamone ou âme individuelle, avec la matière éternelle. Son but originel est d’unifier les différents niveaux, physiologique, psychique et spirituel, d’un être humain, en vue de le rapprocher du Grand Tout. Les arts martiaux celtiques visent à libérer l’être de la condition humaine. Leurs techniques ont donc pour but d’aider l’homme à transcender sa condition, en se libérant de l’esclavage de son ego.
Ainsi que nous l’avons vu, sur le plan mental, la vie de l’être humain est une décharge constante d’états de conscience divers, source d’erreurs et d’illusions. Un pas dans la voie de la libération des limites humaines est obtenu par la suppression de ces états de conscience, le sujet pouvant ainsi
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retrouver sa véritable essence. Il existe diverses méthodes en relation avec les différents tempéraments humains et selon les besoins de chacun, pour arriver à ce résultat. Les arts martiaux celtiques essaient d’équilibrer le corps et l’âme/esprit (anaon) par des exercices physiques, le contrôle de la respiration, et la recherche de la paix de l’esprit, à travers la relaxation et la méditation. Les entraînements de cette discipline furent originalement pratiqués pour améliorer la santé physique (voir le druide Divitiacos). Mais les arts martiaux celtiques, loin d’être pratiqués dans un esprit uniquement combatif, avaient aussi en réalité pour vocation d’encourager le développement de l’âme/esprit (anaon) et du corps.
Il s’agissait d’une voie (la voie du Setanta ou Vindos Camulogenos) ayant pour but d’atteindre l’illumination que provoque la fusion métamorphique du corps et de l’âme.
« Firinde inàr croidhedhaibh, 7 neart inàr làmhaibh, 7 comall inàr tengthaibh ».
La discipline et l’austérité (la force dans nos mains).
L’étude (l’art de bien parler).
La contemplation de la Divinité (la vérité dans nos cœurs).
L’homme ainsi libéré reçoit ce que la volonté divine lui apporte, il est devenu maître de sa nature terrestre, et a conquis son être spirituel. Il connaît l’énergie vitale et la manière dont elle se diffuse dans l’univers physique.
Par le contrôle de son mental, il sait détendre son corps, lâcher prise, et circonscrire ses émotions négatives, afin de devenir plus efficace. Il utilise son imagination et le pouvoir de sa vision intérieure pour aiguiser ses perceptions, pour transformer son intuition naturelle en clairvoyance.
L’accomplissement réalisé par le lucterios (le druide guerrier) lui donne des pouvoirs peu communs qui, évidemment, peuvent être recherchés pour eux-mêmes d’où son danger (voir le cas de Divitiacos justement).
De cette clairvoyance le glossaire de Cormac nous a laissé une description, sans doute déjà très modifiée, censurée, remaniée, bref déformée ou caricaturée, par les moines copistes chrétiens.
N.B. Ce témoignage concerne un druide de type vellède (file en gaélique), mais il pouvait très bien en aller de même pour des druides de type luctérios (les maîtres d’armes responsables d’un grianon).
Ces pratiques de purification devaient bien évidemment s’accompagner de l’utilisation d’instruments particuliers, globalement qualifiés aujourd’hui d’instruments de culte par les archéologues, mais sans que l’on sache exactement comment ils pouvaient être utilisés ou à quoi ils servaient précisément ?
Le druidisme des guerriers celtes est une religion dans laquelle le postulant cherche à atteindre le choc brutal de l’illumination intérieure sans support particulier (à part le torque). Une vergio/ferg symbolisée par la lon laith ou le « mât » sortant de l’occiput des têtes figurant sur certaines monnaies armoricaines. Une des tendances du druidisme a en effet toujours mis l’accent sur le caractère subit du début de l’épanouissement de l’âme, conçu comme une illumination, par la grande science qui éclaire (ambas forosnai).
Alors que, dans le druidisme de première fonction, la voie permettant de réintégrer le Grand Tout, est celle de la connaissance purement intellectuelle, et très secondairement la méditation ; le vrai druidisme de deuxième fonction, lui, accorde moins d’importance à la connaissance, mais aussi beaucoup moins d’importance à la méditation au sens habituel du terme. Afin d’accepter de « savourer la richesse de la vie dans l’humble geste de porter de l’eau ou de couper du bois » (saint Colomban de Bobbio).
Ce qui caractérise le druide aventieticos, c’est la descente orphique au cœur de soi-même. Mais la grande aventure humaine peut être aussi rendue possible par une expérience vécue au prix d’un apprentissage intensif sous la direction d’un maître véritable (un lucterios). Le tout encadré par une morale ou une éthique très exigeante : le kission. Plus l’apprentissage est dur, plus le kission est sévère, plus l’expérience acquise et l’efficacité seront grandes.
Ce qu’enseignaient les druides guerriers genre Divitiacos sur le Continent, ou Catubatuos en Irlande, c’est que l’épreuve peut constituer un chemin vers l’autre monde… plus court que les autres.
Les druides historiques soignaient ou perfectionnaient, ils redressaient ou purifiaient, les corps et les cœurs, ils ne détruisaient pas. Leur but n’était pas la suppression ou la mortification de la vie même.
Ce qu’a toujours prôné ce type de druidisme, c’était la maîtrise de soi ou la domination des instincts ; et non la suppression sans distinction de tous les désirs de l’être humain, englobant dans une même réprobation les besoins naturels comme celui de manger, de boire ou de dormir, voire la sexualité, ainsi que leurs déviations. Ce type de druidisme ne supprime pas la souffrance, il l’ennoblit, la rend féconde, en fait l’instrument de tout progrès ; car c’est aussi par le sacrifice que l’on peut sauver, voire être sauvé. Mais la valeur de cette souffrance dépend évidemment de l’usage que l’on en fait, ou des vertus dont elle est l’occasion : humilité, détachement de soi… d’où l’importance du kission chez eux
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(kission = éthique très rigoureuse, avons-nous dit). Autrement cela aigrit. C’est pourquoi nul n’a le droit de se désintéresser des maux d’autrui (l’hospitalité, temporaire, par exemple, est, un devoir de toute personne d’esprit celte).
On est là évidemment très près de la morale chevaleresque d’un roi comme Arthur et de sa célèbre Table Ronde. Car lorsque l’homme est prêt au sacrifice suprême (la quête du Graal), que peut-il rester de ses fautes ou de ses péchés ?
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ANNEXE N° 1.
LES GLADIATEURS HINDOUS.
Le kalaripayat ne résulte nullement de l’agressivité, mais de la discipline du soi. Le kalaripayat ne résulte nullement de l’agressivité, mais de la discipline du soi. Le kalaripayat procède de deux grands principes : l’âme/esprit (anaon) commande au corps et l’adversaire est vaincu en retournant contre lui sa propre force. L’aigle fond du haut du ciel, l’ours donne des coups de patte, le serpent ondule, la grue déploie ses ailes et donne des coups de bec. Les premiers maîtres du kalaripayat, retirés dans la solitude des montagnes pour vivre en harmonie avec la nature et méditer, ont étudié ou observé les mouvements des divers animaux, et ils en ont tiré leurs principales positions de défense et d’attaque.
Cet art martial se pratiquait surtout dans les villages, à des fins religieuses. Cette forme de combat fut développée au Xe siècle par une caste de brahmanes de l’ouest de l’Inde. Les combattants portaient à leur main une sorte de « coup de poing américain » comme dans le pancrace antique, et les coups étaient uniquement portés au visage ou à la poitrine. Il était courant qu’un des adversaires succombe de ses blessures. De nos jours quelques combats rituels ont encore lieu (par exemple dans le Goujerat).
Le kalaripayat proprement dit a une origine mythique. Les légendes présentent cet art martial comme ayant été apporté dans le Kerala dravidien par la volonté de Vishnou et d’un valeureux brahmane, sage et guerrier à la fois, du nom de Parasourama, pour protéger son pays nouvellement créé. Mais en réalité il a aussi été fortement influencé par le vajramushti (« Poing de diamant »).
Les manuscrits en feuille de palmier que possèdent certaines familles qui pratiquent le kalaripayat depuis des siècles font référence à ce sage guerrier appelé Parasourama, en tant que premier gourou du kalaripayat. Après avoir fait surgir le pays du Kerala de l’océan, Parasourama enseigna cet art martial à 21 disciples, les gouroukkal, afin de maintenir la paix dans son royaume, ensuite il se fit ermite. Le premier de ses élèves fut Drona, un brahmane maître en sciences militaires (un lucterios donc), héros du Mahabharata.
Il existe aussi dans la mythologie du kalaripayat un autre grand sage, surtout vénéré dans le Sud. Il s’agit du maharishi Agasthiar, venu des montagnes du nord de l’Inde et envoyé par les dieu-ou-démons dans le Sud pour s’opposer à Varouna (dieu-ou-démon des mers) lors du mariage de Shiva et de Parvati (divinité des montagnes).
Grand combattant, cet Agasthiar aurait enseigné l’art martial en question à 18 disciples, qui furent chargés de transmettre oralement l’art du kalaripayat. Il semble néanmoins beaucoup moins prestigieux que Parasourama.
Il va de soi qu’il ne s’agit là que de légendes ou de mythes comme il en existe dans toutes les religions, Abraham et la traversée de la Mer Rouge, la résurrection de Lazare, le miracle de la scission en deux de la lune par Mahomet, sans oublier les légendes concernant Bodhidharma ou Lug, etc., etc. Ce qui est certain par contre c’est que les pratiques du kalaripayat ont leur origine dans la civilisation du Kerala, mais elles ont été influencées par la conception magique indo-aryenne du sacrifice : la suspension de la respiration correspond par exemple à son intériorisation rituelle.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que des références à certaines techniques du kalaripayat se retrouvent dans les textes du IVe siècle de l’Agni-Purana et dans le Natyashastra.
L’HYGIÈNE.
Les conseils d’hygiène du kalaripayat sont en gros ceux de l’ayurvéda que l’on retrouve également dans le yoga. S’y reporter. Ci-dessous quelques exemples.
Quatre procédés sont utilisés pour purifier le corps : le nettoyage stomacal (antar dhauti), le nettoyage de la cavité buccale (danta dhauti), le nettoyage de la poitrine (hriddhauti) et le nettoyage du rectum (mula shodhana).
Le nettoyage stomacal peut s’effectuer de quatre façons différentes.
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Le nettoyage de la cavité buccale comprend également quatre techniques différentes. Le nettoyage de la base des dents, la purification de la base de la langue, etc.
La purification de la langue : jihva shodhan. La technique est la suivante : à l’aide des trois doigts : index, majeur et annulaire – que l’on enfonce au milieu de la gorge, on tire la racine de la langue et on la gratte très lentement. Cela permet d’enlever l’excès de mucus.
Masser longuement la langue avec du beurre frais ainsi que du lait, puis évacuer petit à petit cette matière vers l’extrémité à l’aide d’un instrument métallique. On doit faire cela chaque jour avec soin, au lever et au coucher du soleil.
Le nettoyage des conduits auditifs : karnadhauti. Curer les deux conduits avec l’index et l’annulaire. En répétant cette opération chaque jour, on entend le son intérieur (nada). Note de la rédaction. Enfin, disons que l’on entend mieux.
Le nettoyage des cavités crâniennes : kapalarandhra. En se servant du pouce de la main droite, masser la dépression sinuso-frontale. Cet exercice répété préserve des maux de tête et des congestions des sinus. Grâce à lui les nadis sont purifiés comme il faut et l’on obtient la clairvoyance. Enfin du moins en théorie. On doit le pratiquer chaque jour, au réveil, après le repas et le soir. *
Les lavements.
Le lavement avec de l’eau : jalabasti. Accroupi dans la position dite « furieuse » (utkatasana) s’immerger dans l’eau jusqu’au nombril, contracter puis dilater l’anus. Cet exercice arrête les désordres urinaires, les troubles digestifs et les douleurs résultant des désordres « de l’élément air ».
Le lavement au sec, sur le sol : sthala basti. Ce lavement à sec se pratique dans la posture dite « extension maximum du dos » ou pashcimottanasana. On comprime lentement le ventre vers le bas, puis on contracte et dilate l’anus au moyen de l’ashvini mudra, le mouvement du cheval. Cette pratique permet de prévenir la constipation, d’améliorer le transit intestinal, et d’éviter les flatulences.
Le nettoyage du nez de l’intérieur avec la langue : neti. Cette pratique hygiénique est censée donner le pouvoir mystique appelé khecari c’est-à-dire « qui se meut dans l’espace ». Elle guérit les désordres des muqueuses et mobilise les énergies spirituelles du corps.
Le barattage du ventre : laulikî ou laukikî. Faire tournoyer les muscles du ventre en les poussant et en leur imprimant un mouvement rapide dans les deux sens. Cela détruit toutes les maladies et renforce « l’élément feu » dans le corps.
Les expectorations : kapalabhati. Nettoyage de l’appareil respiratoire par accélération de la respiration.
Note de la rédaction. Soyons clairs à ce sujet. Il ne s’agit là aucunement du moins en ce qui nous concerne, de pureté rituelle ou morale, la véritable spiritualité druidique n’a que faire de ce genre de détails (de minimis non curat druis), il ne s’agit que d’une hygiène pratiquée dans des cas bien particuliers n’ayant à voir avec la divinité. N’ayant rien à voir avec un ou des dieux extérieurs à nous. En aucune façon commandée par tel ou tel dieu.
Bien qu’accordant lui aussi beaucoup d’importance aux rituels, le druidisme n’a jamais été pas une religion faisant passer la lettre avant l’esprit, faisant passer la forme avant l’esprit, bien au contraire. Les anciens druides avaient d’ailleurs été très clairs à propos de la mise par écrit de leur spiritualité.
Ce qui compte c’est donc l’esprit et non la lettre, et non la forme extérieure.
« On dit qu’ils apprennent là un grand nombre de vers par cœur […] Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux pour […] parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser » (César. B. G. VI, 13).
Bref, le druidisme n’est pas une religion des sphincters comme l’islam dont certains hadiths se préoccupent même de la façon de faire ses besoins naturels, mais d’abord et avant tout une spiritualité (de minimis non curat druis).
Il va de soi également que les techniques médicales qui précèdent voire qui suivent pour certaines d’entre elles, ne sont données ici qu’à titre indicatif, et que nous ne saurions trop conseiller aux « luctérios » ou « druides guerriers » d’aujourd’hui de les compléter ou de les mettre à jour par une solide formation en médecine actuelle, c’est-à-dire non traditionnelle. De toute façon il doit s’agir en
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l’occurrence uniquement de gestes de premiers secours, ou d’hygiène de vie et d’alimentation, et en aucune façon de médecine. Nous déconseillons formellement aux néo-druides d’aujourd’hui l’exercice illégal de la médecine et nous leur conseillons tout aussi fortement de ne se contenter que de la médecine des âmes. La médecine ou chirurgie des corps est à laisser à nos frères ennemis les scientifiques. Nous ne vivons plus au temps de l’ancien druidisme.
LA FORMATION DES LUCTERIOS.
Le lucterios d’un kalari doit en réalité avoir le double rôle de maître en art martial et de guérisseur ou de médecin.
De longues années d’expérience en tant qu’étudiant, l’entraînement, la confiance de son maître, et les qualités d’esprit requises, transforment un élève en lucterios capable de diriger un kalari **.
Il devra néanmoins pour cela recevoir aussi l’enseignement d’une médecine spécialisée. Lors des exercices dans le kalari (grianon) en effet, il n’est pas rare de se blesser avec une des différentes armes utilisées, ou de se luxer une articulation à la suite d’un choc frontal. On doit évidemment soigner alors sur place les plaies, les fractures, et les luxations.
Ce système de traitement spécialisé pour les blessures orthopédiques, est appelé kalari-chikitsa.
Quatre cent trente-six plantes faisaient déjà partie des connaissances de la médecine ayurvédique antique, mais cette liste a été enrichie par la contribution des anciens lucterios (maîtres) du kalaripayat.
Chaque école possède ses recettes et ses méthodes, mais les herbes entrant dans la composition des formules sont souvent les mêmes.
Elles sont utilisées pour atténuer ou soulager la douleur et surtout pour rétablir un équilibre organique compromis.
LES MASSAGES.
Dans les kalari le massage des combattants remonte aux soins donnés jadis aux guerriers. Le combat exige en effet un corps extrêmement agile, fort et souple, capable d’obéir instantanément au signal d’un esprit alerte et vif. Si l’on en croit les anciens exposés traitant des arts martiaux, le massage de type uzhichil était le seul moyen d’y préparer le corps et d’aiguiser les réflexes. L’expérience des combattants eux-mêmes, enrichie par l’apport des médecins ayurvédistes, a donc contribué à la formation des masseurs, qui s’est perpétuée dans les centres d’arts martiaux.
Les différentes méthodes suivies sont détaillées dans des textes anciens comme le Maipayattu.
Tous les masseurs expérimentés tiennent compte de l’âge du patient, de ses besoins et de ses problèmes de santé. Différentes affections nécessitent en effet des techniques spécifiques de massage, et le masseur les choisit en tenant compte de la condition physique du patient. La vitesse, la force, et le nombre de mouvements de massage, le genre d’huile à base de plantes utilisé ainsi que le type de massage varieront par conséquent suivant la force physique du patient, son âge et sa maladie.
On appelle utsadana le massage au cours duquel le masseur utilise divers degrés de force et de pression en se servant de ses jambes, et en se tenant à des cordes qui le soutiennent.
Lorsque le masseur travaille seulement avec ses mains, on appelle cette technique samvahana.
Lorsque deux masseurs travaillent ensemble en même temps, on appelle ça suparithala kriya.
L’uzhichil est une technique naturelle destinée à prévenir et guérir les maladies. Il implique la manipulation des énergies vitales dans le corps. Ceci est rendu possible par l’application d’une certaine pression sur les points vitaux, les muscles et les nerfs, à l’aide d’huiles végétales ayant une valeur thérapeutique.
Le masseur donne des coups au moyen de claques administrées avec le plat de la main droite sur la partie inférieure de la colonne vertébrale. C’est destiné à éveiller le prana qui est en nous et les nerfs. De la même manière, la claque sur le dessus de la tête (sur le crâne) est destinée à éveiller les sens.
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Le masseur utilise la technique dite nadisuthra kriya pour appliquer une pression avec les doigts, le pouce ou la paume de la main à certains points sur le corps. Ces points sont des zones où il ya une forte concentration d’énergie vitale. La pression peut stimuler la circulation sanguine et la circulation de ladite force vitale en soulageant la congestion dans les terminaisons nerveuses et les muscles.
Le marmani, en se servant de divers degrés de force pour frapper différents points vitaux du corps, peut obtenir des résultats étonnants. Lorsqu’ils sont utilisés par des combattants qualifiés, ces coups peuvent causer une mort instantanée, une mort lente, la paralysie ou une grande douleur. Les résultats varient en fonction de la puissance et de la vitesse utilisées par le combattant.
Un marmani sait aussi comment faire remettre sur pied une personne grièvement blessée. Un toucher rapide, une gifle, l’utilisation de techniques de massage spécialisées ou un coup léger sur un autre point vital peuvent sauver un homme en train de mourir. Cette technique est appelée marukai preyogam. Elle recourt à une certaine stimulation du dynamisme inné de l’homme, et aide à la récupération après une blessure ou à la guérison d’une maladie.
Le massage appelé Katcha thirummu, effectué afin d’accroître la flexibilité du corps et l’endurance physique, est particulièrement efficace pour ceux qui pratiquent les arts martiaux et la danse classique. Combiné à certaines postures de yoga, il apporte souplesse et flexibilité.
Note de l’éditeur. Les quelques lignes qui précèdent sont données non point à titre indicatif seulement, mais en tant que matière à réflexion ou source d’inspiration. Une fois débarrassés de certaines considérations inutiles ou erronées, ces différents types de massage peuvent en effet s’avérer de la plus grande utilité.
Il y a deux styles principaux de kalaripayat.
Le kalaripayat du nord (Vadakkan kalari) est surtout pratiqué dans le nord du Malabar et met plus l’accent sur l’utilisation des armes que sur la lutte à mains nues.
Ce style du nord se distingue par son meippayattu : l’entraînement physique et le recours au massage à l’huile du corps entier.
Le but de ces massages à l’huile médicinale est d’augmenter la souplesse, de soigner les blessures musculaires subies lors des exercices, ou lorsque le patient a des problèmes liés au tissu osseux, aux muscles, ou au système nerveux.
On appelle thirumal ce genre de massage et thirumal chavutti ce qui signifie littéralement « massage par le pied » le massage spécialement destiné à renforcer la souplesse physique. Les masseurs se servent de leurs pieds ainsi que du poids de leur corps pour effectuer le massage.
Il y a plusieurs sous-styles (sampradayam), le « thulunadan » étant considéré comme le meilleur. Autrefois les étudiants fréquentaient les kalari de thulunadu afin de vaincre certains de leurs défauts (kuttam theerkkal). Certaines de ces écoles enseignent plusieurs de ces traditions à la fois. Certains kalari traditionnels autour de Kannur par exemple enseignent une combinaison d’arappukai, de pillatanni, et de sous – style katadanath.
Philippe Zarrilli caractérise le kalaripayat du sud en parlant de varma ati (loi des coups), de marma ati (frappe des points vitaux) voire de varma kalai (art des points vitaux).
Le kalaripayat du sud (ou adi murai) était jadis surtout pratiqué dans l’ancien royaume de Travancore, y compris dans l’actuelle région de Kanyakumari, dans le Tamil Nadu, essentiellement par la caste des Nadars et la caste des Mukkulathors. Elle met en valeur essentiellement les techniques de lutte à mains nues.
La médecine associée au style du sud est la médecine appelée siddha, qui signifie « parfaite » en sanscrit, et non l’ayurveda comme dans le style du nord.
Les préliminaires de la technique de la lutte à mains nues du varma ati sont appelées adithada (coups et défense). Marma ati se dit plus spécialement de l’application de ces techniques à des points vitaux.
Les armes sont des bâtons de bambou, des bâtons courts, longs, et des cornes d’antilope.
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Les différentes étapes de la formation sont le chuvatu (mouvements exécutés en solo), le jodi (entraînement avec quelqu’un d’autre), le kurunthadi (le bâton, court), le neduvadi (bâton long), le katthi (couteau), le katara (poignard), le valum parichayum (épée/ bouclier), le chuttuval (épée flexible), les deux épées, les prises et les marma (points de pression).
L’instruction d’un étudiant commence dès l’âge de huit ans par une initiation rituelle réalisée par le gouroukkal (vieux celtique lucterios). La fréquentation du kalari (vieux celtique grianon, gaélique grianan) fait partie de la routine quotidienne pour l’étudiant, et chaque jour, il effectue toute une série de rituels symboliques, avant et après les exercices, afin d’acquérir discipline et concentration. Vêtu d’un pagne, le corps recouvert d’huile, cet étudiant s’incline devant les divinités (la divinité tutélaire du lieu) ainsi que devant le gouroukkal, puis il commence ses exercices.
Le kalaripayat demande un entraînement journalier, de la rigueur, de la ténacité, de la patience, et des encouragements de la part du lucterios. Progressivement, par étape, l’élève dépassera les difficultés physiques et les blocages grâce au gouroukkal. Cet entraînement conduit le pratiquant vers la fluidité des mouvements, l’équilibre, le contrôle de son esprit et de son corps.
L’importance de l’exercice physique est mise en avant dès les premiers jours d’entraînement. Lorsque l’élève est initié à des exercices particuliers divers puis aux enchaînements, son degré d’avancement est alors suivi de près par le gouroukkal (lucterios), qui juge chaque progrès dans les différentes techniques. Et c’est seulement lorsqu’il en sera satisfait que le lucterios initiera l’élève à la pratique des armes.
Le système d’entraînement physique du kalaripayat conduit à équilibrer, contrôler, ou rendre flexibles, le corps, et l’esprit. Aux différentes étapes de l’entraînement, l’élève découvre la manière de synchroniser les mouvements physiques des enchaînements qu’il doit apprendre.
** Vieux celtique grianon (ou grianan en gaélique).
L’entraînement est principalement partagé en quatre phases appelées Meithari, Kolthari, Ankathari et Verumkai.
I. MEITHARI.
On appelle meithari la phase commençant avec des séquences physiques rigoureuses impliquant des étirements, des positions et des sauts ou mouvements circulaires, complexes. Douze exercices consacrés à la coordination neuromusculaire, l’équilibre et la flexibilité suivent l’apprentissage des positions de base. L’entraînement commence donc par l’apprentissage de la discipline physique et de l’équilibre mental. Ceci est d’ailleurs important pour tout un chacun et pas nécessairement seulement pour qui veut devenir un maître dans cet art martial. Cette première étape de la formation consiste en des exercices physiques destinés à développer la force, la souplesse, l’équilibre et l’endurance. Elle comporte des sauts, des positions basses, des séquences de mouvements circulaires, des coups de pied, etc. On essaie de comprendre et contrôler séparément chaque organe du corps.
II. KOLTHARI.
Quand l’élève est devenu physiquement apte à cela, il est initié à l’art de se battre avec des armes en bois. La première arme enseignée est le bâton personnel (kettukari), qui a généralement cinq pieds (1,5 m) de longueur, ou du moins arrive au niveau du front de l’élève. La deuxième arme enseignée est le cheruvadi ou muchan, un bâton long d’environ deux pieds et demi soit 75 cm. La troisième arme enseignée est l’otta, un bâton taillé pour ressembler à la trompe d’un éléphant. La pointe est arrondie et on l’utilise pour frapper les points vitaux du corps de l’adversaire. L’otta est considéré comme l’arme principale, et est l’outil fondamental servant à développer l’endurance, l’agilité, la puissance et l’habileté.
III. ANKATHARI.
Une fois que le pratiquant est devenu un expert dans le maniement de toutes ces armes en bois, il passe à l’Ankathari (ce qui signifie littéralement « formation à la guerre ») ; en commençant par les armes blanches, qui requièrent une concentration supérieure en raison de leur nature léthale. L’arme blanche enseignée en premier s’appelle la kadhara, il s’agit d’un poignard à lame courbe. Viennent ensuite l’épée (val) et le bouclier (paricha). Les armes suivantes sont la lance (kuntham), le trident
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(trisool) et la hache (venmazhu). Habituellement, la dernière arme que l’on enseigne est l’épée flexible (Urumi ou chuttuval), une arme extrêmement dangereuse dont le maniement est enseigné seulement aux élèves les plus habiles. Traditionnellement parlant, après l’achèvement de ce cycle, cet étudiant se spécialisait dans une arme de son choix, pour devenir une fine lame ou un maître en bâton par exemple.
N.B. Il existe aussi des séances de marapidicha kuntham, une sorte de duel entre un homme armé d’une épée d’une part, et un homme armé d’une lance d’autre part, qui demande une habileté distincte en fonction de l’arme tenue par chacun.
Le kathiyum thalayum ou technique du chiffon contre couteau, est une technique encore plus spectaculaire. Il s’agit d’un combat entre deux adversaires, l’un armé d’un poignard et l’autre seulement équipé du tissu que portent les Kéralais sur l’épaule afin d’éponger la sueur.
IV. VERUMKAI.
Ce n’est qu’après avoir obtenu la maîtrise de toutes ces formes d’armes que le pratiquant de cet art martial apprend à se défendre avec les techniques à mains nues. Il s’agit notamment de clés avec le bras, des prises, et des coups sur les points de pression (marmas). Ceci est considéré comme étant le stade ultime de cet art martial c’est pourquoi le lucterios ou gurukkal n’enseigne qu’à très peu de ses élèves les plus dignes de confiance, cette science des marmas.
V. LES ARMES DE JET : disques (chakras) et arcs.
Les soldats médiévaux du Kerala combattaient aussi avec le çakra et l’arc, très peu utilisés de nos jours, sauf dans quelques kalari de l’Est.
Le chakra est une arme de jet, citée dans le Mahabharata et dans l’Agni-Purana. Elle est classée dans la catégorie Panimukta, et elle est définie comme semblable à un rasoir ; le guerrier s’en sert en la lançant et en la faisant tournoyer, pour fendre, trancher, couper. Cette arme se présente sous l’aspect d’un disque de fer dont le bord extérieur possède un tranchant biseauté très acéré. On en connaît les effets terrifiants par certains textes épiques. Kali, Vishnou, et d’autres personnages divins, s’en servent dans les combats pour trancher les têtes de leurs ennemis, lesquelles, du fait de la coupure nette et soudaine, restent pendant un moment sur les épaules des victimes avant de tomber.
Tenu à pleines mains, malgré son bord acéré, le chakra peut même se lancer comme une pierre plate pour faire des ricochets sur l’eau.
On remarquera l’étonnante similitude avec certaines armes de jet (disques) employées par Cuchulainn en Irlande, et notamment l’orclach (Cuchulainn en possédait 8, voir son fameux combat contre Ferdiad).
N.B. Idem pour les guerriers Ninja et leurs shakens.
Aujourd’hui les orclach ou les chakras, sont peu utilisés dans le kalaripayat, même si certains lucterios près de Madras continuent à en enseigner le maniement.
L’élève qui pratique le tir à l’arc doit d’abord apprendre à se tenir dans les différentes positions qui lui permettront d’atteindre les cibles les plus diverses. Il doit également connaître les différentes familles d’arcs et de flèches, apprendre à estimer les distances. Ensuite il travaillera et pratiquera les techniques de méditation propres au tir à l’arc.
Les positions du corps que l’élève doit apprendre sont nombreuses : l’Agni-Purâna en énumère dix.
La pratique de la méditation, pour arriver à transférer l’énergie et sa force en un point unique, fait partie intégrante de l’enseignement du kalaripayat.
Après de nombreux exercices et un long travail intérieur, certains archers prétendent même qu’ils peuvent atteindre une cible sans la voir. Le Mahabharata cite par exemple le cas d’un archer qui lançait successivement sept flèches dans la gueule d’un chien qu’il ne voyait pas, mais qu’il entendait aboyer.
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VI. LES ARMES PSYCHOLOGIQUES OU MENTALES (la magie guerrière).
Il faut travailler la peur dans sa zone spirituelle, utiliser la peur comme stimulateur d’énergie potentielle.
Il existe dans le kalaripayat des enchaînements spécifiques destinés à contrôler la peur et à lutter contre elle.
La peur est, certes, nécessaire au combattant, mais il faut la contrôler. Le meilleur moyen de vaincre sa peur est encore d’attaquer ou de ne jamais penser à soi-même.
L’adepte du kalaripayat ne recule pas et regarde son adversaire dans les yeux pour anticiper le prochain mouvement. Il faut savoir saisir l’occasion, l’instant où l’adversaire est le plus vulnérable. Il faut toujours observer ses yeux pour connaître les intentions de l’adversaire, tout en conservant un regard enveloppant afin de suivre ses gestes et ses mouvements. Il faut apprendre à déchiffrer le regard. Si la colère est contrôlée intérieurement et que l’on est sûr de soi-même, les yeux se ferment légèrement, tandis qu’avec la peur, ils se dilatent. Il faut donc savoir surprendre le mouvement imperceptible des paupières qui annonce une action de l’adversaire et décoder son regard. Lorsque l’on pratique le kalaripayat depuis longtemps, on est capable de prévoir l’attaque de l’adversaire rien qu’en regardant ses yeux : juste avant une attaque, les yeux bougent d’une manière imperceptible du côté d’où l’on va justement attaquer.
Il faut savoir saisir ce moment, mais on n’a des chances de réussir qu’avec beaucoup de pratique.
Assez curieusement, on retrouve la même chose à l’autre bout du monde indo-européen en Extrême-Occident, dans la gladiature romaine. Hermès, nous dit Martial à propos d’un gladiateur exceptionnel « est habile à manier toutes les armes ; Hermès est gladiateur et maître d’escrime (notez la différence) ; Hermès est la terreur et l’effroi de ses adversaires ; Hermès sait vaincre, et vaincre sans frapper. Hermès ne peut être remplacé que par lui-même ». (Martial, Épigrammes, livre V, XXIV).
L’expression « vaincre sans frapper » implique une maîtrise totale de l’art martial. Bien qu’il soit difficile de définir avec précision ce type de combat ; on peut supposer qu’Hermès était capable de tuer un homme sans avoir recours à ses armes, qu’il était capable de désarmer un adversaire à mains nues, et de le vaincre par ses techniques de lutte…
CONCLUSION.
Le kalaripayat est aussi une éthique comme le montre cette anecdote rapportée par un magazine de karaté.
Maniant sabre et boucliers sans la moindre hésitation les deux escrimeurs font preuve d’une dextérité due à une longue pratique. Le bruit du métal qui s’entrechoque rythme leur ballet martial, telle une musique de mort. Soudain, l’un des hommes glisse et perd l’équilibre ; son adversaire brandit son épée pour lui asséner un coup fatal. Mais un cri guttural l’arrête net dans son élan : un homme d’âge mûr vient de fendre la foule. Tous s’écartent respectueusement devant lui. C’est le lucterios, le maître, celui qui leur a enseigné cet art mortel. Dans les yeux des deux guerriers, la haine fait place à la gêne. Le lucterios les rabroue vertement. Comment, eux, deux guerriers Naïrs (ou Nayars), la caste la plus noble du Sud de l’Inde, peuvent-ils se battre ainsi ? Le gouroukkal est ému : ne leur a-t-il pas enseigné que le kalaripayat, l’art martial du Kerala, est d’abord source de vie ? Quelle honte !
Deux élèves du même kalari, qui s’entraînent dans la même salle, ne doivent pas s’affronter ainsi !
[N. D. L. R. On ne peut s’empêcher là de penser aussi à l’entraînement du Hesus = Cuchulainn et de son ami Ferdiad chez la reine Scathache en Écosse].
Les deux hommes se prosternent au pied de leur gourou, implorant son pardon. D’un geste, le lucterios (gouroukkal) les invite à se relever puis tous les trois reprennent le chemin du kalari.
Les renseignements complémentaires sur le kalaripayat sont à demander à l’adresse suivante :
École indienne d’arts martiaux
(ou C. V. N. Kalari)
Trivandrum
Kerala
Inde.
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ANNEXE No. 2.
Is and-sin cét-riastarda im Choinculaind, co n-derna úathbásach n-ilrechtach n-ingantach n-anachnid de. Crithnaigset a chairíni imbi immar chrand re sruth no immar bocsimind ri sruth cach ball & cach n-alt & cach n-inn & cach n-áge de o mulluch co talmain. Ro lá saebchless díbirge dia churp immedón a chracaind. Táncatar a thraigthe & a luirgne & a glúne, co m-bátar dá éis. Tancatar a sala & a orccni & a escata, co m-batar riam remi. Tancatar tullféthi a orcan co m-batar for tul a lurggan, co m-ba meitithir muldorn míled cech meccon dermár díb-ide. Srengtha tollféithe a mullaig, co m-batar for cóich a munéoil, co m-bá mei (ti) thir cend meic mís cach mulchnoc dímór dírím direcra dimesraigthe dib-ide.
And-sin doringni cuach cera dia gnúis & da agaid fair. Imsloic indara súil dó ina chend, issed mod danastarsed fíadchorr tagraim do lár a gruade a iarthor a chlocaind, sesceing a seitig co m-bói for a grúad sechtair. Riastarda a bél co urthrachda. Srengais in n-ól don fidba chnáma, comtar inecnáig a inchroes. Tancatar a scoim & a thromma, co m-batar ar eittelaig ina bél & ina bragit. Benais béim n-ulgaib leomain don charput uachtarach for a forcli, co m-ba metithir moltcraccand teora m-bliadan cech slamsruam teined doniged ina bél asa brágit.
Ro clos bloscbeimnech a chride re chlíab imar glimnaig árchon i fotha, no mar leoman ic techta fo mathgamnaib. Atchessa na caindle (?) bodba & na cidnélla nime & na haible teined trichemrúaid innéllaib & i n-aeraib uas a chind re fiuchud na fergge firgairbe itrácht úaso. Racanig a folt imma chend imar craibred n-dercscíath im bernaid athálta. Ce ro craiteá rígaball fo rígthorud immi, ised mod da risad utull díb dochum talman taris, acht ro sesed ubull for cach n-oenfinna and re frithchassad na ferge atracht da felt uaso.
Atrácht in lond láith asa etun, co m-ba sithe remithir áirnem n-ocláig. Airddithir remithir tailcithir tressithir sithithir séolchrand prímlunhgi móre in bunne diriuch dondfola atrácht a fírchleithe a chendmullaig i certairddi, co n-derna dubchíaich n-druidechta de amail chiaich de rígbruidin, in tan tic rí dia tenecur hi fescur lathi gemreta.
Iarsin riastrad sin riastarda im Choinculaind, iss andsin dorroeblaing ind err gaiscid ina chathcharpat serda cona erraib íarnaidib, cona faebraib tanaidib, cona baccanaib & cona birchruadib, cona thairbirib níath, cona glés aursloicthi, cona tharngib gaithe bítis ar fertsib & iallaib & fithisib & folomnaib dun charput sin.
Is and-sin focheirt torandchless ceit & torandchles dá cet & torandchless tri cét & torandchless cethri cet & tarrasair aice for torandchless cóic cet, úair nír bo furail leis in comlín sin do thuitim leis ina chétchumscli & ina chétchomlinhg catha for cethri choicedaib hErend, & dothaet ass fon cumma sin do innsaigid a námat & dobreth a charpat morthimchell cethri n-ollchóiced n-hErend amaig anechtair.
Ocus dos-bert séol trom for a charpat. Dollotar rotha iarnaidi in carpait hi talmain, cor bo leór do dún & do daingen, feib dollotar rotha iarnaide in charpait i talmain, uair is cumma atraachtatar cluid & coirthe & carrge & táthlecca & murgrian in talman aird i n-aird frisna rothaib iarnaidib súas sell sechtair. Is airi focheird in circul m-bodba sin morthimchell chethri n-ollchoiced n-hErend ammaig anechtair, ar na teichtis úad & ar ná scáiltís immi, co tórsed re tenta fritharggain na maccraide forro, & dothaét issin cath innond ar medón & falgis falbaigi móra de chollaib a bidbad mórthimchell in t-slóig ammaig annechtair.
Ocus dobert fobairt bidbad fo bidbadaib forro, co torcratar bond fri bond & meide fri meide, ba sé tiget a colla. Dos-rimchel aridisi fathrí in chruth sin, co farggaib cossair sessir impu fa mórthimchell.i. bonn tríir fri meide triir fóchuairt timchell immon dunad.
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Deich ríg ar sé fichtib rig ro bí Cuchulaind issin Bresslig móir Maige Murthemne. Díríme immorro archena di chonaib & echaib & mnáib & maccaib & mindoenib & drabarslóg, ar nir érna in très fer do feraib hErend cen chnáim leissi no lethchind no lethsúil do brissiud, no cen bithanim tria bithu betha.
« C’est alors que se produisit la première des contorsions (transes) de sa fureur guerrière, il devint méconnaissable, horrible et merveilleux à la fois. Son corps trembla comme un tronc d’arbre jeté au travers d’un torrent ou comme un roseau dans le courant, chacun de ses membres, chacune de ses jointures, chacune de ses articulations, des pieds à la tête et de la tête aux pieds, son corps tout entier se retourna furieusement dans sa peau. Ses pieds, ses tibias, ses genoux, passèrent derrière lui, ses talons ses mollets ainsi que ses genoux devant. Les muscles de ses mollets passèrent devant ses tibias, et gonflèrent au point de devenir aussi gros que le poing fermé d’un soldat. Les muscles de sa nuque se nouèrent et formèrent une boule énorme, immense, incommensurable, aussi grosse que la tête d’un enfant d’un enfant âgé d’un mois.
Son visage devint comme une boule toute rouge. Un de ses yeux s’enfonça tellement dans sa tête qu’il aurait été difficile à une grue sauvage de l’en extraire. L’autre était au contraire si exorbité qu’il en sortait de sa joue. Sa bouche se déforma de façon monstrueuse. Ses joues se retirèrent des mâchoires au point de laisser entrevoir l’intérieur de sa gorge. Il recracha ses poumons qui semblèrent comme flotter dans sa bouche et son gosier. Ses mâchoires claquèrent l’une sur l’autre comme celles d’un loup fou furieux en s’ouvrant tellement que chacune des flammèches rouges et ardentes qui forçaient le barrage de ses dents pour sortir de sa bouche était aussi grande que la toison d’un mouton de trois ans. On pouvait entendre les battements de son cœur résonner comme les cris d’un chien vautrait qui aboierait ou ceux d’un loup affrontant des ours.
Les flambeaux de la Bodua, des nuages de poison, des étincelles de feu rougeoyantes, flamboyantes et fulgurantes, jaillirent de sa tête comme des nuages ou nuées avec le débordement de cette la fureur vraiment sauvage qui émanait de sa personne.
Il avait les cheveux hérissés sur la tête comme les épines d’un acacia poussé dans l’ouverture d’une grande haie. Si on avait secoué le pommier d’un roi chargé de fruits royaux pour qu’ils tombent, rares sont les pommes qui auraient pu passer au travers et atteindre le sol, car elles se seraient plutôt comme embrochées sur le moindre de ses cheveux, tant était grande la force de la fureur guerrière à mesure qui s’en élevait au-dessus de lui.
Le Lon Laith (lumière de héros) sortait de son front, aussi long et aussi épais que la pierre à aiguiser d’un guerrier. Aussi élevé, aussi large, aussi fort, aussi raide, aussi haut que le mât d’un immense navire royal était le jet de sang noir qui jaillissait tout droit sommet même de sa tête ; et donnait ainsi naissance à un nuage noir semblable à la fumée sortant d’un hôtel royal quand y vient le roi pour s’y reposer un jour d’hiver à la tombée de la nuit.
Après les contorsions de cette entrée en transe, le Hésus Cuchulainn sauta dans son char de guerre, armé de faux, bardé de lames de fer, de tranchants comme des rasoirs, de crochets, de pointes acérées, de ciseaux pour faucher les guerriers, d’équipement pour éventrer, d’aiguilles fixés sur les essieux les lanières les boucles et les attaches du char.
Ensuite il exécuta le bruit du tonnerre de cent le bruit du tonnerre de deux cents le bruit du tonnerre de trois cents le bruit du tonnerre de quatre cents, mais il s’arrêta juste avant de passer au bruit du tonnerre de cinq cents, car il estima que c’était là le minimum d’ennemis qui tomberaient à l’occasion de sa première charge et de son premier engagement contre les quatre provinces d’Irlande. Il avança de cette façon afin de charger sus à l’ennemi, mais fit d’abord faire à son char un grand circuit autour des quatre grandes armées provinciales d’Irlande. Tout en conduisant lourdement. Les roues de fer du char s’enfoncèrent si profondément dans le sol que la façon dont elles labourèrent ainsi la terre creusa un fossé pouvant convenir à un fort ou une forteresse, elles faisaient jaillir de terre un talus de rochers de pierres de galets ou de gravier montant jusqu’à la hauteur des roues en fer.
Il fit le cercle de la Bodua autour des quatre grandes armées provinciales d’Irlande afin qu’elles ne puissent lui échapper en s’éparpillant tout autour de lui tant qu’il n’en aurait pas tiré vengeance en les taillant ainsi en pièces, pour tout le mal fait aux jeunes Ulates. Puis le Hésus Cuchulainn s’élança sur les premiers de leurs rangs et tourna tout autour en laissant derrière lui une montagne de cadavres ennemis fauchés comme de l’herbe. Il effectua cette attaque comme l’on peut traiter ses ennemis de sorte qu’ils tombèrent en rangs serrés, couchés, plante des pieds contre plante des pieds nuque contre nuque ? tant il y avait de corps. Trois fois de suite il tourna ainsi autour d’eux en laissant un andain (une couche) de six cadavres d’épaisseur derrière lui, c’est-à-dire, les plantes des pieds de trois hommes contre la nuque de trois autres hommes ? tout autour du campement.
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D’où vient que le nom de cet épisode dans le récit de l’enlèvement est « grand massacre par groupe de six » (Seisrech Bresslige), et c’est une des trois tueries de l’expédition dont le nombre de victimes ne peut être calculé, à savoir « le grand massacre par groupe de six », « le massacre mutuel de la vallée profonde », la « bataille de Garech et Ilgarech ». Il y périt autant de chiens et de chevaux que d’hommes. »
ANNEXE N° 3.
NOTE SUR LES FULACHT FIA.
Ainsi que nous venons de le voir, les fénianes étaient connus pour être de grands chasseurs et se nourrir essentiellement de venaison cuite au sommet des collines.
Il importe donc de faire le point sur cette question.
On appelle Fulacht Fia en Irlande des sortes de fosses ayant prétendument servi à la cuisine des fénianes. Utilisées par les chasseurs de l’âge du bronze jusqu’au XVIIe siècle.
Il s’agit en fait de trous rectangulaires renforcés par un cuvelage en bois sur les côtés et remplis d’eau. Des pierres brûlantes étaient ensuite jetées à l’intérieur pour faire bouillir le contenu. Les quartiers de venaison ou de toute autre viande étaient mis à cuire dedans.
Mais ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres.
Le mieux peut-être à ce sujet sans doute est de se reporter l’histoire de la cuisine irlandaise de John Linnane.
LES PRODUITS UTILISÉS.
Le lait, le fromage, la viande, les céréales et certains fruits et légumes constituaient l’essentiel de l’alimentation.
Avant le VIIIe siècle, on cultivait peu de légumes et on utilisait plutôt ceux ramassés dans la nature.
Oignons, poireaux sauvages, oseille, orties, cresson.
Certains fruits pouvaient être cueillis l’été, prunelles, merises, framboise, mûre, fraise, sorbes, myrtilles, pommes sauvages et baies de sureau, noisettes. Les noisettes étaient mangées crues ou utilisées en farine pour les gâteaux, mais le pommier semble avoir été le seul arbre fruitier vraiment cultivé (cf. les lois Brehon).
Les champignons comestibles étaient ramassés, mangés frais ou séchés en hiver.
Le cresson était consommé en salade ou ajouté aux ragoûts civets ou blanquettes comme un certain nombre de racines de plantes aquatiques, qui servaient aussi de légumes.
L’ail sauvage (vieux celtique cremo) était utilisé dans la plupart des plats et comme légume.
La feuille de pissenlit et un certain nombre de fleurs comestibles étaient aussi utilisées comme légumes en salade.
La littérature de la période de 800 à 1160 mentionne le potager ou lubgort.
Un légume appelé cainenn, peut-être un membre de la famille de l’oignon, y était largement cultivé, les bulbes et les tiges étaient consommés crus ou en ragoût.
Le céleri (immus) était cultivé intensivement.
Les foltchep (une sorte de ciboulette d’oignon ou de poireau) également.
Les meacan et cerrbacan sans doute des carottes et des panais étaient aussi cultivés.
Le chou frisé ainsi qu’une sorte de chou sauvage de même.
Les produits laitiers.
Le lait bien entendu était une denrée alimentaire importante et pouvait être consommé frais, tourné, voire caillé, ou sous forme de différentes variétés de fromage (l’usage de la présure était connu) ainsi que sous la forme de beurre, salé ou doux. Le beurre pouvait aussi être consommé rance.
Le lait pouvait être bouilli avec certaines algues (cairigin) et on l’épaississait alors en le mélangeant avec du miel. Il était dans ce cas pris comme dessert. Deux autres algues comestibles étaient d’ailleurs utilisées pour obtenir le même résultat (dilisc et steamhchan).
Les œufs.
Les œufs étaient consommés en grandes quantités, en particulier ceux de canes ou d’oiseaux sauvages (notamment des oiseaux de mer). Les œufs d’oie étaient considérés comme un mets de
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choix et servis lors de certaines fêtes. On les faisait frire sur des pierres brûlantes avec du beurre ou alors bouillis voire pochés dans de l’eau portée à ébullition, avec du sel et des jus de fruits fermentés.
Les viandes.
Bœuf, porc, cerf (chevreuil) et mouton furent les viandes les plus consommées jusqu’au VIIIe siècle.
Les bovins étaient surtout élevés pour le lait, car la plupart des os retrouvés à Dun Ailinne étaient ceux de veaux de moins de six mois ou de vieilles vaches (le manque de pâturage l’hiver faisait qu’à l’automne beaucoup de ces animaux étaient abattus).
Les moutons étaient élevés en plein air et sur les collines (comme aujourd’hui) et servaient à la production de laine. Le porc était très commun et semble avoir été la principale viande consommée dans les grandes maisons, aucun festin n’étant jugé complet sans un cochon rôti, bien que venaison viande, de bœuf, de chèvre et la chair de saumon aient aussi fait partie de l’alimentation. Les porcs étaient parqués dans les forêts de chênes où ils se nourrissaient de glands ou d’autres produits de la forêt (merises, faînes, châtaignes…).
Il semble qu’on ait aussi mangé des chevaux et des chiens, mais l’ampleur de cette pratique alimentaire nous reste inconnue.
Danaher (1992) mentionne également la viande de hérisson, de blaireau (considérée comme une friandise), le phoque et les marsouins. Les habitants des zones côtières préféraient sa viande à celle du porc.
Les plus pauvres consommaient aussi de la chèvre sauvage du sanglier ainsi que du poisson de rivière autre que le saumon.
La truite, le brochet, la perche, le gardon et les poissons de rivière ou de lac étaient de consommation courante et des écluses à anguilles existaient sur certaines rivières.
On mangeait aussi des poissons de mer à savoir de la morue, du merlu, du merlan, du maquereau du hareng de la raie.
Certains poissons comme le hareng le maquereau ou la morue étaient salés séchés puis gardés pour l’hiver.
Les fruits de mer.
Les populations côtières ramassaient ou pêchaient divers fruits de mer (coques, palourdes, huîtres, bigorneaux, berniques, moules, crevettes roses et crabes).
LES MODES DE CUISSON.
La cuisson se faisait alors à l’aide d’un chaudron accroché en permanence sur le feu d’où la mise au point de nombreuses soupes potages bouillons ou ragoûts.
La viande, qui était généralement difficile à cuire, mijotait dans les chaudrons pendant de nombreuses heures.
Il existait néanmoins d’autres méthodes de cuisson. Des pierres brûlantes jetées dans des récipients y compris en bois remplis d’eau ainsi portée à ébullition. Certaines fosses ou auges à cuisson avaient une capacité de 500 litres. Cette eau pouvait être portée à ébullition en trente minutes. Une fois que l’eau avait commencé à bouillir, il n’y avait plus qu’à rajouter d’autres pierres à intervalle régulier pour maintenir la température. On pouvait ainsi faire cuire un gigot de mouton en deux ou trois heures.
La viande fraîche et celle des jeunes animaux pouvait aussi être rôtie à la broche ou grillée en étant posée sur une pierre à cuire et recouverte d’un tas d’autres petites pierres brûlantes. La graisse s’écoulant de la viande et qui s’enflammait servait d’ailleurs aussi la cuisson. La viande de veau était le plus souvent rôtie à la broche.
Le pain pouvait aussi être cuit sur une dalle de pierre dans l’âtre ou devant voire sous le chaudron renversé sur les braises encore chaudes. Une des façons de faire du pain consistait à placer la pâte dans un pot huilé ou beurré et à laisser le tout cuire ainsi pendant la nuit.
N.B. Les archéologues n’ont pas trouvé de vestiges de fours dans leurs fouilles et l’on suppose donc que le chaudron mis à l’envers et cul par-dessus tête devait en tenir lieu.
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LES DIFFÉRENTES SORTES DE PAIN.
Le pain ne semble pas avoir été consommé en grandes quantités, mais huit types de céréales ont été utilisés pour en faire.
On signale de-ci de-là du pain fait avec de la farine de petit pois de haricots ou de glands mélangés à des céréales.
Le pain le plus commun, le pain de méteil, était fait à partir d’une farine de blé, mais aussi de seigle.
Le pain d’avoine était fait d’une farine grossièrement moulue et cuite sur des pierres brûlantes disposées dans l’âtre, on le mangeait habituellement avec de la viande ou avec la sauce des ragoûts. On en mettait aussi dans les blanquettes ou ragoûts de bœuf voire de mouton pour les épaissir.
Le pain blanc était considéré comme une friandise ou un dessert et la fleur de farine de froment avec des œufs et du miel servait à faire différents gâteaux que l’on retrouve dans les lois brehon (bairgin banfuine ferfuine indriud : comme quoi l’intervention de l’État en ce domaine ne date pas d’hier).
On faisait aussi des petits pains avec de la fleur de farine de froment et des algues brûlées, du lait aigre et du jus de certains fruits acides, des morceaux de cette pâte étaient ensuite enveloppés dans des feuilles de chou sauvage et cuits sous un chaudron posé à l’envers ou cul par-dessus tête sur des charbons ardents ou des pierres brûlantes.
LES RECETTES.
Dans les grandes maisons, les cuisiniers étaient généralement des hommes. Les lois des Brehon spécifient que le cuisinier ne peut être tenu pour responsable si quelqu’un est ébouillanté lors du service de la nourriture après avoir été mis en garde à haute et intelligible voix.
Notre auteur (John Linnane) signale néanmoins qu’un texte irlandais probablement d’origine ecclésiastique se préoccupait déjà de la lutte contre le gaspillage de nourriture puisqu’il stipule : si quelqu’un donne quelque chose dans lequel se trouve une souris ou une belette morte ; il devra jeûner trois fois ; si c’est toute autre nourriture sèche, du gruau d’avoine ou du lait qui a épaissi, la partie autour sera jetée, mais le reste mangé.
La bouillie de flocons d’avoine pouvait être consommée chaude ou froide. Très épaisse elle servait de repas du matin, très liquide elle pouvait être consommée le soir. La farine d’avoine était préparée de nombreuses manières différentes, par exemple en bouillies, cuite à l’état de grain en gruau ou moulue et bouillie dans du lait frais ou caillé, aromatisé au miel et aux graines, avec du sel ou des herbes.
L’avoine et l’orge ont également été utilisées comme agent épaississant dans la plupart des soupes et ragoûts.
Les Irlandais avaient un sens aigu de la famille et quand les parents de jeunes enfants mouraient ces derniers étaient placés dans d’autres familles. Des lois très strictes les protégeaient en veillant notamment à ce qu’ils soient bien nourris.
N.B. Nous nous référons à ces deux passages du livre de Laurent Ginnell sur les Lois Brehon non pour justifier une telle inégalité de traitement que des enfants ne sauraient de toute façon comprendre, mais pour avoir une idée des différentes façons d’accommoder la bouillie d’avoine.
« De la bouillie d’avoine doit être servie à chacun d’eux, mais agrémentée diversement. Du beurre salé pour les enfants de classes inférieures, du beurre frais pour les enfants de chefs et du miel pour les enfants de rois ».
« De la bouillie faite de farine d’avoine ou de babeurre ou d’eau sera servie aux enfants de la classe des simples Féné, en quantité juste suffisante, agrémentée de beurre salé. De la bouillie d’avoine faite avec du lait frais sera donnée aux enfants de chefs avec du beurre frais pour l’aromatiser, en quantité largement suffisante, avec de la farine d’orge dessus. De la bouillie faite de farine d’avoine faite avec du lait frais sera donnée aux enfants de rois, avec de la farine de froment et du miel pour l’agrémenter ».
N.B. Commentaire par rapport à ce qui précède. À mon humble avis, les mortifications alimentaires ne peuvent ou ne doivent intervenir qu’une fois la croissance de l’individu parfaitement terminée ; autrement dit vers vingt ans. Avant cet âge les jeunes ne doivent être privés de rien (de ce qui est nécessaire à leur développement physique), hormis peut-être de dessert. Entre certains des excès du texte qui précède et certains autres excès du texte qui suit (la lutte acharnée pour avoir les meilleurs morceaux de viande), un juste milieu est donc à trouver.
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Volaille et gibier à plumes ou hérissons étaient cuits après avoir été enrobés d’argile sans être ni plumés ni vidés. Lorsque l’argile était devenue aussi dure que de la pierre on cassait le tout et plumes piquant ou peau s’en allaient avec l’argile.
Le lièvre était aussi fréquemment consommé, parfois bouilli dans un bouillon fait de 80 % de beurre rance et de 20 % d’eau.
Les viandes cuites à la broche ou sur des pierres à cuire étaient assaisonnées avec du sel ou arrosées de miel. Le poisson cuit à la broche était aussi arrosé de miel.
Les poissons d’eau douce (rivières et lacs) étaient cuits à flammes nues. Les poissons le plus prisés (saumon, ainsi que brochet ou truite) étaient cuits sur un feu de bois de pommier.
En plus de la cuisson sur feu de bois, le poisson pouvait aussi être préparé en ragoût avec tout le poisson disponible rajouté dans le chaudron et cuit avec des légumes, des algues ainsi que des herbes.
Coques, palourdes, huîtres, bigorneaux, berniques, moules, crevettes roses et crabes auxquels on ajoutait des algues, des herbes et des légumes mijotaient pendant des heures pour donner une soupe ou un ragoût que l’on mangeait avec du pain d’avoine.
Gibier ou viandes étaient d’ailleurs aussi préparés de cette façon.
Les classes populaires salaient leur viande de porc et en consommaient tout au long de l’année. Le sang qui était recueilli au moment où on tuait le cochon servait aussi à faire du boudin.
Les bovins en bonne santé étaient de même saignés pour en recueillir du sang, mais sans tuer l’animal ou lui faire de mal, le sang était ensuite mélangé avec de la farine, puis transformé en un boudin, salé ou séché, utilisé pendant l’hiver comme source de protéines.
LES BOISSONS AUTRES QUE L’EAU ET QUE LE LAIT.
Une grande partie du blé cultivé pouvait être transformée en bière aromatisée avec des herbes des plantes du miel, etc., on consommait cette bière chaude ou fraîche.
L’hydromel était fabriqué à partir de miel fermenté dans de l’eau additionnée d’herbes et de nouveau de miel pour le sucrer.
Le méthéglin était un hydromel courant fait à partir de miel, aromatisé avec du thym, du romarin ou de l’églantine, et utilisé dans certains plats.
Le vin de prunelle était fait à partir de fruits du prunellier ayant bouilli et fermenté dans de l’eau additionnée de miel puis égoutté ou filtré dans de la paille.
Le vin de raisin. Comme disait Louis Pasteur « Pris en quantité modérée, le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ». Grâce aux tanins qu’il contient pourrions-nous ajouter.
L’Irlande a donc pendant longtemps échangé fourrures cuirs et viandes salées contre du vin de Bordeaux, mais la modération ne fut pas son fort même si de nombreux acteurs de ce fructueux commerce furent parmi les premiers chrétiens irlandais et ce avant même la venue de Palladius ou de Patrice.
La consommation de vin doit en effet rester modérée, la médecine considère qu’un adulte de 70 kg ayant une activité moyenne peut boire au cours de 2 ou 3 repas une quantité globale de 0.5 litre de vin à 10°. Cette notion est à relativiser en tenant compte de la santé particulière de la personne et de la nature des aliments (les vitamines, les glucides et les lipides favorisent la digestion du vin).
Autrement dit 3-4 verres de 125 ml pour un homme et 2-3 verres de 125 ml pour une femme pendant le repas du soir, ou mieux, à répartir sur les repas de midi et du soir.
N.B. Cette modération dans la consommation vaut pour tout, que ce soit les alcools forts ou le reste. Interdiction non ! Modération oui ! Ce qui est condamnable ce n’est pas l’usage, mais l’abus !
De toute façon comme le fait remarquer l’auteur (John Linnane) la loi des Brehon n’encourageait en aucune façon les abus en matière de nourriture, car elle désapprouvait formellement les kilos en trop et les bedaines, ce que signalait déjà le Grec Éphore en son temps : « Ils s’évertuent à ne devenir ni gros ni ventrus, et tout jeune homme qui excède la mesure d’une certaine ceinture, est puni. C’est une de leurs particularités ».
LE SERVICE.
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Une fois préparée la nourriture était servie tout simplement, peut-être dans un bol ou une assiette commune. Récipients à boire et bols étaient généralement fabriqués à partir de bois plutôt qu’en métal.
Des paniers en osier étaient aussi utilisés pour présenter ou conserver les aliments.
L’HOSPITALITÉ TEMPORAIRE (pièce maîtresse de l’éthique de niveau kission).
À en croire John Linnane et son histoire de la cuisine irlandaise, l’Irlandais de jadis semble avoir eu un naturel amical et généreux. On donnait à boire et à manger aux étrangers avant même de leur demander ce qu’ils venaient faire. L’Homme qui avait failli à ce devoir aurait été déshonoré. Tout était prétexte à fête et festin, que ce soit le retour d’un héros ou une victoire. Même les soirées ordinaires étaient souvent consacrées à manger ou boire tout en écoutant des chanteurs et des conteurs.
Le festin était l’occasion d’une grande célébration et de grandes réjouissances, même si cela pouvait tout aussi bien finir en bain de sang (si notre héros avait l’impression de ne pas être traité avec tous les égards qui lui étaient dus). Hommes et femmes s’asseyaient habituellement le long des murs de la salle des banquets le dos contre la paroi, en occupant une place conforme à leur rang et suivant une étiquette accordant la place d’honneur à l’homme le plus influent ou le plus important. Le barde ou le conteur était chargé de l’attribution des sièges. On donnait au champion le meilleur morceau de viande, et des combats décidaient souvent de qui devait la recevoir. Certains morceaux de rôti étaient en effet réservés à des individus précis lors d’un festin, par exemple le jambon pour le roi, le filet pour la reine, la tête pour le cocher.
La disposition des tables dans la salle des fêtes royales de Tara était telle que personne ne tournait le dos à quelqu’un lui manquant ainsi de respect. Les invités s’asseyaient sur des coussins à même le sol ou sur des bottes de foin suivant leur rang et leur repas était servi sur des tables basses en bois.…
À en croire les auteurs classiques, il incombait aux rois de pourvoir largement aux besoins de leurs hommes. Les banquets, semble-t-il, étaient en général assez intimes, et se déroulaient à l’intérieur des demeures. Le festin était le centre de la vie sociale des anciens Celtes. Le caractère communautaire de ces rassemblements était souligné par l’habitude de boire à la même coupe.
L’utilisation de coupes ou gobelets communs (une coupe par table par exemple) avait pour résultat que les convives ne pouvaient boire qu’un peu à chaque fois, généralement une gorgée, mais la coupe circulait sans cesse et repassait donc plus d’une fois pendant le repas.
Un banquet ou un festin était avant tout l’occasion pour les membres d’une communauté de se réunir et d’affirmer leur unité. Ils pouvaient ainsi afficher leur loyalisme et profiter ensemble des largesses du chef. Le festin fournissait aussi à la communauté l’occasion d’évoquer les souvenirs, son histoire, les exploits de ses héros, mais aussi de faire des projets. Les bardes chantaient des poèmes et les légendes du clan. Selon Athénée, ils prononçaient alors l’éloge de l’assistance tout entière puis de chaque chef, l’un après l’autre. Les banquets constituaient donc un mécanisme essentiel du contrôle de la société celtique, une institution vitale pour le maintien de l’ordre au sein de la communauté. Ce rite constituait en outre un des modes d’acquisition et de démonstration du rang social.
Le festin s’accompagnait en effet de tout un cérémonial. La disposition des places avait une grande importance. Quand les convives étaient nombreux, ils se plaçaient en cercle, et le personnage le plus important se plaçait au centre. Les aliments étaient variés, mais le porc frais ou salé, selon Strabon, était la principale viande utilisée, ce qui est confirmé par la découverte de quartiers de porc, voire même de porcs entiers, dans les sépultures. Selon Athénée, les morceaux de choix revenaient au plus brave du clan. S’il ne s’élevait aucune contestation, son rang était confirmé aux yeux de tous. Si un autre avait la même ambition, il pouvait lui disputer sa part. Un simulacre de combat les départageait.
« Les Celtes parfois s’entraînent en duels. Étant réunis en armes, ils vont jusqu’à s’en servir, mais en pratiquant l’art de l’esquive ; parfois néanmoins cela peut aller jusqu’à s’infliger les uns les autres de réelles blessures. Irrités alors par cela, si des spectateurs ne les arrêtent pas, ils peuvent aller très loin, jusqu’à se tuer mutuellement. Jadis » continue-t-il, « la coutume voulait que l’on mette sur la table un jambon de porc, il était pour le plus courageux ; mais si quelqu’un lui contestait ce morceau, alors les deux hommes se levaient pour s’affronter, jusqu’à ce que l’un des deux soit tué » (Posidonios d’Apamée ou de Rhodes, Histoires, XXIII).
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« Les Celtes servent ainsi la nourriture de leurs invités, ils s’asseyent sur de l’herbe, et la disposent sur des tables basses en bois, il s’agit de quelques miches de pain, et d’une grande quantité de viande cuites à l’eau, ou rôties sur de la braise voire à la broche. Ils consomment leur viande proprement, mais un peu à la manière des lions, en prenant des morceaux entiers des deux mains et en les mangeant de la sorte… Ceux qui vivent non loin des rivières consomment également du poisson, ainsi que ceux qui vivent au bord de la Mer intérieure ou de la Mer extérieure. Ils le mangent rôti avec du sel, du vinaigre et du cumin. Ils mettent aussi du cumin dans leur vin. Par contre ils ne se servent guère d’huile, à cause de sa rareté ; en outre comme ils n’y sont guère habitués, ils ne la trouvent pas très agréable.… Ceux qui font le service des coupes de boisson et sont chargés de faire circuler le vin le font dans des jarres de terre cuite ou d’argent…… Les plats sur lesquels ils servent la viande sont faits de la même façon ; mais certains sont en bronze, chez d’autres ce sont des corbeilles en bois ou en osier tressé. Pour ce qui est de la boisson, chez les riches, il s’agit de vin d’Italie ou de la région de Marseille… Chez les plus pauvres, ce que l’on boit c’est de la bière, faite à partir de blé additionné de miel, le plus souvent même sans miel ; ils l’appellent korma » (Posidonios, Histoires XXIII).
* Antonyme airgart.
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ANNEXE N° 4.
RÈGLE DES CULDÉES SELON SAINT MAELRUAIN DE TALLAGHT.
1. Les Béatitudes du réfectoire sont chantées debout, on chante ensuite le Magnificat, l’Ego vero et d’autres cantiques.
2. L’usage est de faire un brouet de lait suffisamment épais, avec du miel dedans, la veille des principales fêtes, c’est-à-dire la Noël et les deux Pâques (Pâques et le dimanche d’après). Il n’est pas permis de faire la fête ou de boire ces soirs là de la bière, à cause de la Communion du lendemain.
3. Les dimanches de grand carême, un peu de lait néanmoins est autorisé pour ceux qui font pénitence. Une demi-mesure (selann) durant la nuit n’est pas interdite ces dimanches-là. Ceux qui font pénitence n’ont pas droit d’avoir du beurre, sauf le Jour de la saint Patrice, mais quand cette fête tombe un vendredi ou un mercredi, un peu de lait pour eux est tout ce qui doit être pris. Les dimanches, ou les jours de fête ne tombant pas un jour de jeûne, une demi-mesure de lait peut être prise. Le culdée doit toujours prendre la même quantité de pain, même les jours de fête. Il peut seulement prendre plus de boisson, de condiment ou d’autres choses.
4. S’il se trouve qu’il y a du chou frisé, la quantité de pain ne doit pas être diminuée d’autant puisque le chou frisé constitue un condiment et qu’il est servi avec du lait, non avec du beurre. Et de même un morceau de poisson, un peu de lait de colostrum ou de fromage, ou un œuf dur ou des pommes, ne doit pas entraîner une diminution de la quantité de pain ; tant qu’on en mange seulement un peu et pas tout d’un coup. Des pommes, cinq ou six avec du pain, suffisent, si elles sont grosses ; si elles sont petites, on peut en prendre une douzaine.
5. Les poireaux (quatre ou cinq têtes) sont autorisés. Le lait caillé ainsi que le mègue (petit-lait) ne doivent pas être consommés tels quels, mais employés à faire du fromage. Le flan par contre n’est pas interdit, pourvu qu’aucune présure n’y soit ajoutée. La raison pour laquelle il n’est pas interdit est qu’il compte comme du pain. Le petit-lait (mègue) de lait caillé ne doit pas être bu tel quel, mais mélangé avec un peu de lait caillé.
6. La relâche de Pâques autorise des œufs, du saindoux, et de la viande de cerf ou de sanglier.
7. Il est d’usage d’infliger une pénitence supplémentaire aux cuisiniers, laitiers ou porteurs d’écuelles, s’ils renversent des aliments tant lait que grain.
8. On peut prendre de la viande les jours de grand carême, quand il manque quelque chose, mais à moins que les vies ne soient en danger, il est mieux de suivre le jeûne.
9. Les principaux jours de fête tombant un jeudi ou un mardi hors période de jeûne, un quart de mesure en sera permis avec un petit peu (bochtan) de bière ou d’eau de mègue (petit-lait). Si une petite gorgée d’eau de mègue (petit-lait) ou un gobelet de bière ne peut pas être distribué, alors on donne un peu de gruau à la place, c’est-à-dire un quart de ration. Quand on a la chance de pouvoir donner un gobelet de bière, on ne doit pas boire à grandes gorgées, même si l’on a soif ; mais à toutes petites gorgées, parce que cela désaltère et qu’on n’en apprécie pas moins.
10. Pas de demi-mesure de beurre, mais à la place une gorgée d’eau de mègue (petit-lait) les soirs de lundi, mercredi, vendredi, ou samedi, même en dehors du jeûne, ou les soirs de grande fête. Mais le repas de fête qui tombe un lundi est transféré au mardi, celui qui tombe un mercredi est transféré au jeudi, celui qui tombe un vendredi est transféré au mardi, suivant.
11. À une gorgée de lait frais pur, s’il n’y a pas d’autre liquide [mélangé dedans], un quart d’eau est ajouté.
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ANNEXE Nº 5.
LA RÈGLE DES MOINES DE COLOMBAN DE BOBBIO.
LA REGULA MONACHORUM.
III. DE LA NOURRITURE ET DE LA BOISSON.
Que la nourriture des moines soit pauvre et qu’on la prenne le soir, de façon à fuir la satiété ainsi que, dans la boisson, l’ébriété. Ainsi, maintiendra-t-on la vie sans lui causer de préjudice. Ce seront des légumes frais et secs, de la farine cuite à l’eau, accompagnée d’un petit pain pesant un paximace (200 grammes ???) de façon à ne pas surcharger l’estomac et de la sorte étouffer l’esprit. En effet, qui désire les récompenses éternelles doit se soucier uniquement de ce qui est utile et avantageux à l’usage. C’est pourquoi l’usage de la vie doit être modéré, comme doit être modéré le travail, car le vrai discernement consiste à sauvegarder la possibilité du progrès spirituel, tout en matant la chair par l’abstinence. En effet, si l’abstinence dépasse la mesure, elle devient un vice, non une vertu, car la vertu embrasse et enferme une multitude de biens. Il faut donc jeûner tous les jours, de même qu’il faut se refaire chaque jour. Et, puisqu’il faut manger chaque jour, que l’on accorde à son corps une nourriture pauvre et parcimonieuse ! Oui, chaque jour, il faut se sustenter, puisque chaque jour, il faut progresser, chaque jour prier, chaque jour travailler, chaque jour faire la lecture.
REMARQUE IMPORTANTE.
Il va de soi que personne n’est obligé de s’en tenir au régime alimentaire exposé ci-dessus, pour 3 raisons.
La première est qu’il n’y a aucune nourriture impure en soi (ce concept n’existait pas dans l’ancien druidisme). Il n’existe que des nourritures indigestes non comestibles ou toxiques.
La seconde est qu’en cas de nécessité on peut même recourir au cannibalisme comme l’a rappelé Critognatos (du moins d’après César).
La troisième enfin est que des goûts et couleurs on ne discute pas.
Par contre il existe des occasions où il est positivement prescrit (ada *) de manger tel ou tel mets à fins de commémoration.
Ce bref exposé sur la nourriture n’est donc là que pour suggérer quelques idées de menu à ceux qui voudraient manger un peu plus « bio ». Par moments.
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ANNEXE N° 6.
RÈGLE DE SAINT BENOIT DE NURSIE QUANT À L’HABILLEMENT.
Chapitre 55.
Pour les habits à donner aux frères 1), on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu’ils habitent. Il leur en faut davantage dans les régions froides et moins dans les pays chauds. C’est à l’abbé d’apprécier cette différence.
Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule 2) épaisse en hiver, légère et usagée en été, ainsi qu’une tunique 3) suffisent pour chaque moine ; avec cela, un scapulaire 4) pour le travail ; et pour couvrir les pieds, des chaussettes ainsi que des sandales.
Les moines ne se mettront pas en peine de la couleur ou de la grossièreté de ces divers objets. Ils se contenteront de ce qu’on pourra trouver au pays qu’ils habitent ou se procurer à meilleur marché. Quant à la mesure des habits, l’abbé veillera à ce qu’ils ne soient pas trop courts, mais à la taille de chacun.
Lorsqu’on en recevra de neufs, on rendra toujours et immédiatement les vieux qui seront déposés au vestiaire pour les pauvres.
Il suffit, en effet, à un moine d’avoir deux tuniques et deux coules pour en changer la nuit, et pour pouvoir les laver. Tout ce qu’on pourrait avoir en plus est superflu et doit être retranché. Les frères rendront également les vieilles chaussettes et tout ce qui est usé, lorsqu’ils recevront du neuf.
Ceux qui sont en voyage recevront du vestiaire des caleçons 5) ; à leur retour, ils les restitueront, après les avoir lavés. Les coules et tuniques seront un peu meilleures que celles qu’ils portent d’habitude. Reçues du vestiaire au départ, elles y seront remises à la rentrée.
Les lits auront pour toute garniture une paillasse, un drap ? une couverture de laine et un oreiller…
Pour couper jusqu’à la racine le vice de la propriété, l’abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir coule, tunique, chaussettes, sandales, ceinture, couteau, stylet, aiguille, mouchoir, tablettes pour écrire.
1) À quoi pouvait bien ressembler le costume bénédictin primitif ? Tout bien pesé, il semble qu’il ne différait guère de celui des paysans d’alors.
2) La coule était le vêtement de dessus : elle consistait, semble-t-il, en un manteau à vaste capuchon. Notons à ce sujet que le costume traditionnel des cénobites chrétiens de de Thébaïde égyptienne a vraisemblablement été inspiré de la caracalle ou tunique à capuchon imposée par l’empereur Antonin, fils de Sévère, sous une forme allongée jusqu’aux talons il est vrai, et cette caracalla antoniniana ou major, constitue donc une autre des origines possibles de l’habit monastique traditionnel.
3) La tunique, ou vêtement de dessous, était portée à Rome depuis longtemps par tout le monde ; à l’époque de saint Benoît, elle s’était allongée et avait des manches. Elle était serrée à la taille par une ceinture, qui servait aussi à relever la tunique, pour travailler, ou pour marcher. C’était donc en fait une sorte de chemise.
4) Le scapulaire était un vêtement accessoire qu’on ne mettait que pour faciliter le travail. Il devait consister en une sorte de bande qui, passée autour du cou et croisée sur la poitrine ainsi que le dos, serrait la tunique plus ou moins flottante.
5) Le port de caleçons en voyage s’explique par un souci de décence, les voyageurs ayant l’habitude de relever très haut leur robe à certains moments (franchissement d’une rivière, etc.).
6) À cette époque, on se servait généralement pour écrire d’un stylet avec lequel on traçait des caractères sur des tablettes (tabulae) enduites de cire.
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Réforme de saint Benoît d’Aniane au concile d’Aix-la-Chapelle en juillet 817.
Les décisions sont promulguées sous la forme d’un capitulaire, le Capitulare monasticum du 10 juillet 817. Ce texte impose à tous les monastères la règle de saint Benoît revue et réactualisée par Benoît d’Aniane, car c’est ce dernier qui l’a codifiée. À l’avenir, les moines devront tous suivre une seule et même règle – una regula – ainsi qu’une seule et même interprétation de cette règle (celle de Benoît d’Aniane bien sûr), matérialisée dans le capitulaire de 817 par une coutume commune – una consuetudo – c’est-à-dire par un ensemble de mesures pratiques concernant la vie quotidienne : pauvreté du vêtement et de la nourriture, réglementation des jeûnes, de la tonsure, de l’horaire et du contenu des prières.
Dans sa concordia regularum saint Benoît d’Aniane complète également la règle bénédictine primitive en ajoutant des précisions dans son commentaire de saint Benoît de Nursie.
Longueur des coules deux coudées ou 90 centimètres soit descendant jusqu’aux genoux
Etc., etc.
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ANNEXE N° 7.
ABBAYE DE BANGOR.
LES MOINES ET L’ABBÉ.
Benchuir bona regula.
recta atque diuina.
stricta sancta sedula.
summa iusta ac mira.
Une « Règle de Comgall de Bangor » (Ríagail Comhgaill Bendchair) nous est parvenue
LA RÈGLE DE COMGAL DE BANGOR CI-DESSOUS.
John Strachan pense qu’aucune des strophes de ce poème n’est d’époque (599), mais qu’elles datent plutôt de la fin du VIIIe siècle c’est pourquoi l’historienne belge Nathalie Stalmans a jugé nécessaire de procéder à une reconstitution en s’aidant des autres règles connues.
La meilleure des copies est sans aucun doute celle due à la main de Michel O’Clery vers 1630 et elle est conservée à Bruxelles (Bibliothèque royale).
Certains passages sont assez obscurs.
3 Pénitence permanente - merveilleuse route – ardeur permanente ; penser à la mort tous les jours ; bienveillance envers chacun.
Variantes.
3a Pour le moine qui fait 100 prosternations devant Lui lors des Beati matin et soir, la récompense dans le Royaume des Cieux ne sera pas dérisoire.
3b Chaque matin, à l'heure dite, que le moine se prosterne promptement trois fois. Qu’il se signe de la croix du Christ sur la poitrine et le visage.
5 Ne sois pas un feu de fougère, car il ne durera qu’un instant. Ne sois pas comme un roseau dans la rivière afin que ta dévotion soit durable.
13 Chanter les trois cinquantaines de tierce a tierce, quand c’est possible, comme le voulaient les anciens, il y aura un jour où cela sera d’un grand secours.
Variantes.
13a Trois cents prosternations chaque jour, et trois à chaque heure canonique, et ton âme ne sera pas soumise au jugement du Roi le jour de sa mort.
13b Deux cents prosternations chaque jour devant le Seigneur à la lecture du psautier seront accomplies sans exception sauf le jour du Seigneur.
13c Deux cents coups sur les mains chaque carême aideront, ce sera une aide. De tout orgueil dont ils se seront rendus coupables, ils assumeront la sanction sur leur corps.
19 Ne va pas toi-même mendier ; que personne n'aille mendier pour toi. Reste chez toi à prier ; supporte la pauvreté.
20 Ne sois pas dur et avare. Ne sois pas sourd aux prières qui te sont adressées. Ne refuse pas, ne sollicite pas. Ne convoite la richesse de personne.
27 Si tu pratiques le repentir, si ton cœur est doux, ce chemin te mènera droit au Roi du Royaume des Cieux.
Variantes.
27a Cent coups sur tes mains, à chaque carême, aideront. Pour tout péché d’orgueil qu'elles [les mains] auront pratiqué, sans en oublier un seul.
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28 Si tu veux que ton âme soit aussi blanche que le cygne, personne d’autre que toi ne pourra faire ce qu’il faut pour elle à ta place.
Et plusieurs Vies de saints comportent des références directes ou indirectes à la règle en vigueur à Bangor : les Vies de Lugaid de Clonfertmulloe, Munnu de Taghmon et Cainnech d’Aghaboe.
Nathalie Stalmans écriant pour Corona Monastica (un excellent livre publié en 2004 par les Presses universitaires de Rennes et dont nous recommandons la lecture dès qu’il sera de nouveau disponible)
souligne que la règle irlandaise insiste sur la nécessité d’avoir un guide spirituel ou anamchara (« même si tu estimes que ta force est grande, ne reste pas sans guide »).
Le moine doit témoigner son amour pour Dieu et être doux envers les autres. Il doit être patient, humble, obéissant au Christ, et il ne peut se lamenter. L’idée dominante de la règle est qu’il faut éviter les excès de piété, car « un feu de fougère s’éteint rapidement ». Il faut au contraire « persévérer dans la sainteté ». De même, un repentir exige une progression pas à pas, il ne doit pas être pratiqué « à la manière d’un conducteur de char » (en latin aurige).
Enfin, la règle, se faisant l’écho de Cassien, fait état des « huit principaux vices » que sont la gourmandise, la fornication, l’avarice, la paresse, la colère, le découragement, la vanité et l’orgueil. Dans les milieux médiatico-politiques actuels, il s’agit d’ailleurs en premier de l’orgueil, qui explique l’aveuglement des intellectuels et de journalistes incapables de bien rendre compte de la réalité des situations.
Les caractéristiques principales du moine doivent se retrouver chez l’abbé. Celui-ci doit être doux et aimer ses moines. De manière assez étonnante, l’hagiographe de Munnu de Taghmon met en scène un dialogue entre le saint et un ange, ce dernier expliquant à Munnu qu’il lui préfère Lugaid :
Quia facies alicuius hominis ante Lugidum non erubuit, et non pauciores erunt monachi ipsius…
« Parce que le visage de tout homme ne rougit pas devant Lugaid, et que ses moines ne seront pas moins nombreux au ciel que les tiens. Mais toi tu corriges tes moines avec honte. »
L’hagiographe de Munnu, en évoquant la punition du fondateur, veut Munnu sera puni et aura la lèpre jusqu’à la fin de sa vie, soit pendant vingt-quatre ans, pour se faire pardonner la rigueur de sa discipline (Vie de Munnu, § 28). Dans une Vie tardive de Comgall, ce fondateur a gardé sa réputation de sévérité. Au moment de sa mort, il est, comme Munnu, tourmenté par diverses maladies ; il s’agirait d’une punition divine pour la dureté de sa règle envers les moines. Inversement, l’autre élève de Comgall, Lugaid, ne se fâche jamais, mais il corrige ses moines par la douceur et par le raisonnement (§ 36).
Lugaid possède l’autre caractéristique du bon abbé telle qu’elle est définie dans la règle : la sagesse. Alors qu’il est encore étudiant à Bangor, il demande à Dieu de recevoir l’intelligence ; Comgall s’étonne de cette demande (sua prudentia causa ruine illis fuit, « l’intelligence a fait la ruine de beaucoup »). Le futur fondateur de Clonfertmulloe lui répond que la sagesse lui permettra de ne pas offenser Dieu et de n’être pas piégé par le diable (§ 24).
LA VIE QUOTIDIENNE DE LA COMMUNAUTÉ.
Selon l’hagiographe de Lugaid, l’horaire de la journée se divise en trois temps : la prière, le travail manuel et l’étude (ou la lecture) (§ 64).
Passons en revue ce que nous savons de ces temps de prière, de travail et d’étude.
À Bangor, les offices les plus importants sont ceux de matines et de vêpres. Ils s’accompagnent de cent génuflexions (ou prosternations) et de la récitation du psaume 118 (Beati immaculati) probablement par strophes et non en entier vu sa longueur. Le matin, il faut y ajouter un signe de croix sur la poitrine et le visage. Au total deux cents génuflexions (ou prosternations) sont attendues chaque jour, sauf le dimanche (selon une autre version, il s’agit de trois cents prostrations tous les jours plus trois à chaque heure canonique). Le psautier complet est récité tous les jours (« Les trois cinquantaines à chanter de tierce à tierce »).
Le travail manuel occupe une place importante dans les Vies de Lugaid et de Munnu. Ce dernier travaille lui-même dans la forêt (§ 19) et un prince qui reçoit chez lui son éducation travaille aux champs (§ 24). L’hagiographe de Lugaid évoque le cas d’un certain Cónán, un poète du monastère, qui n’avait jamais travaillé de ses mains. Lugaid l’emmène dans la forêt et lui demande de couper un arbre chaque jour jusqu’à ce que ce défrichement forme la via Conani « le chemin de Cónán » (§ 38). Lugaid explique aux moines qu’ils doivent travailler de leurs mains pour être comblés et rester stables (§ 62). Ce travail doit être pénible. Alors qu’on lui avait proposé de beaux champs, le fondateur a choisi un endroit aride et montagneux (§ 33). Un ange vient lui proposer de déplacer la montagne et
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que la terre du monastère devienne fertile, mais Lugaid refuse pour protéger les frères de tout orgueil (§ 61).
La Vie de Cainnech d’Aghaboe montre également que le travail monastique importe fort à Bangor. Alors que Cainnech, Columba d’Iona et Comgall de Bangor se trouvent ensemble sous la pluie, seul Cainnech n’est pas mouillé : lui pensait aux joies célestes alors que Columba pensait à ses moines en péril sur la mer et Comgall au travail manuel de ses moines (Vie de Cainnech, § 20).
Lugaid et Munnu étudient souvent, selon leurs hagiographes respectifs (Vie de Lugaid, § 29, 47, 48). La formation intellectuelle de Munnu est particulièrement détaillée : le saint, enfant, se dispute avec son père pour qu’il le laisse aller étudier chez un serviteur de Dieu plutôt que de devoir garder le bétail (§ 3) ; il décide de suivre Comgall de Bangor pour partir y étudier (§ 4) ; il apprend à Iona l’écriture divine et Columba prédit qu’il sera « un maître spirituel et un excellent docteur » (§ 5) ; enfin, Munnu reste dix-neuf ans à Devenish à étudier les saintes Écritures chez « l’homme le plus sage de toute l’Irlande et la Bretagne » (§ 6).
Les livres constituent la principale richesse d’un monastère. Quand Munnu doit quitter une abbaye qu’il a fondée, il demande aux moines de n’emporter que les livres, le saint chrême et les vêtements (§ 13) ; quand il voyage à la recherche d’un nouveau site pour fonder un monastère, il a besoin d’un char tiré par deux bœufs rien que pour le transport des livres (§ 13, 14).
Note de Pierre de La Crau. Ces moines n’étaient donc pas des hommes d’un seul livre.
On a évoqué jusqu’ici l’horaire de la journée et l’importance que revêtait chaque activité, prière, travail manuel, étude. Il reste à aborder quelques points particuliers du quotidien des moines : la pratique de la confession, les punitions, la nourriture.
La confession doit être quotidienne (Vie de Lugaid, § 37).
C’est également le cas dans la règle bénédictine (ch. 4).
La période du carême est le moment de punitions physiques systématiques : cent ou deux cents coups sont alors administrés sur les mains de tous les moines. Ce type de coups est également de rigueur pour punir la fierté des moines.
N.B. Les coups sont très fréquents dans la règle de Colomban de Bobbio ainsi que nous le verrons.
En ce qui concerne la nourriture, la Vie de Lugaid mentionne le repas principal à l’heure de none (15 h). La boisson ordinaire semble avoir été le lait. « Que faisons-nous aujourd’hui pour avoir du lait comme les veaux vont aux vaches ? » demande l’intendant à Lugaid, et le saint transforme de l’eau en lait (Vie de Lugaid, § 46 et voir § 21). Ce même saint, au cours d’un voyage, demande à boire. Il s’attend à recevoir du lait, mais celui-ci doit être transformé en beurre ; Lugaid maudit l’endroit (§ 59).
Du vin est servi aux invités à Clonfertmulloe. Pour des hôtes en effet, Lugaid transforme l’eau non plus en lait, mais en vin (§ 56) ou transforme de la mauvaise liqueur en bon vin (§ 50).
Les pénitents boivent de l’eau mélangée à un peu de lait (Vie de Munnu, § 22). Dans un cas spécial, celui d’un moine qui voyage, Munnu lui recommande de ne boire que de l’eau (Vie de Munnu, § 23 ; le saint transforme cependant cette eau dans le meilleur des vins). Boire de l’eau semble donc avoir constitué l’exception.
Le moine boit de la bière, du lait caillé ou du lait chaud, dit la règle d’Ailbe (§ 34, O’Neill).
De manière assez amusante, les hagiographes louent dans le vin sa « capacité d’ébriété » ! Quand Lugaid transforme de la mauvaise liqueur en bon vin, l’hagiographe en donne pour preuve la « capacité d’ébriété » de ce vin (§ 50). De même, l’eau que le saint transforme en lait a la « capacité d’ébriété » du vin (§ 21, 46). Enfin, les vaches buvant l’eau d’une fontaine bénie par Lugaid fabriquent un lait alcoolisé (§ 46). À une reprise dans la Vie, on assiste à la description d’un roi qui, tout à fait saoul, a une vision céleste (§ 10). Au-delà donc de l’usage de l’alcool, l’ébriété semble avoir été considérée positivement dans certains cas, peut-être comme un état supérieur permettant l’accès au divin.
La nourriture est également dispensée en quantité suffisante. Que chacun reçoive une « juste portion » dit la règle de Comgall (RCB, § 4). Au monastère de Lugaid, on mange de la viande de veau et du poisson (Vie de Lugaid, § 43).
À une seule reprise, à Bangor, la discipline concernant les repas est montrée comme étant rigoureuse. Munnu, encore enfant, voyage avec Comgall de Bangor. Alors qu’il demande à Comgall depuis tierce de lui permettre de boire un peu d’eau, le fondateur de Bangor ne lui donne la permission de boire et ne lui délivre un repas qu’à vêpres (Vie de Munnu, § 23).
Le dimanche est jour de jeûne total selon la Vie de Lugaid : le roi du Leinster qui arrive un tel jour à Clonfertmulloe doit attendre le lendemain pour se sustenter (§ 51). Il s’agit d’une prescription étonnante.
… D’une part parce que le dimanche est normalement le jour d’un repas festif ; selon les Pénitentiels, le dimanche est toujours un jour de fête et de relâche du jeûne (voir par exemple « Pænitential quod dicitur Bigotianum », § I.9, Bieler, The Irish Penitentials, p. 218). La règle de Carthach stipule qu’il ne
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faut pas jeûner un tel jour, ce qui montre bien l’existence de la pratique inverse (§ H.9, Mac Eclaise [éd.], « La Règle de Saint Carthach », p. 512)…
… D’autre part parce que le jeûne est généralement relâché à l’arrivée d’un hôte. Par contre, selon un autre texte, il n’y aurait eu à Bangor qu’un seul jour de jeûne total, et cela le mercredi avant Pâques (« Le Monastère de Tallaght », § 68).
LA COMMUNAUTÉ ET LA SOCIÉTÉ.
Devenir moine revient à se couper totalement de la société. « Si tu as un fils, dit la règle de Comgall, une famille dont tu te sépares, tu ne les chercheras pas, tu ne penseras pas davantage à eux que si tu étais déjà en terre ». Le moine ne peut rien acheter, rien vendre, rien solliciter (« ne refuse rien, ne demande rien, n’aime pas les richesses », « reste chez toi à prier, endure la pauvreté).
La règle d’Ailbe défend également la mendicité.
Lorsqu’il s’agit de donner aux pauvres, il ne lui est toujours pas permis d’acheter quoi que ce soit, mais par contre il peut solliciter l’aide d’un roi « Ne laisse personne te quitter pour aller mendier ailleurs » continue la règle. « Ne sois pas dur et mesquin. Ne sois pas sourd à la prière qui t’est faite ». « Tu ne conserveras rien ; ce dont tu n’as pas besoin, tu le donneras aux pauvres ».
Quand le monastère de Clonfertmulloe est inauguré, Lugaid vient visiter le site.
« Où est la maison de l’abbé ? », demande-t-il. Comme les ouvriers la lui montrent, Lugaid leur explique :
« Notre abbé est le Christ. Installez à cet endroit la maison des hôtes ».
Si le moine vit retiré du monde, son seul contact étant l’hospitalité celtique qu’il est dans le devoir de fournir, il est une catégorie sociale qu’il cherche en particulier à éviter : les femmes.
Note de Pierre de La Crau. Obsession typiquement judéo-islamo-chrétienne.
Les hagiographes de Lugaid et de Munnu jettent sur elles un regard extrêmement négatif.
Lugaid, à la recherche d’un lieu où fonder son monastère, s’enfuit d’un endroit où il y a des femmes qui le regardent « comme s’il voulait éviter un feu » (§ 28 et voir § 27). Ailleurs, il dit : « Je n’irai pas dans tel endroit. En effet, là où se trouvent des brebis, là sera une femme, et là où sera une femme, sera le péché, là où sera le péché, sera le diable, et là où sera le diable sera l’enfer » (§ 32).
Munnu refuse avec agressivité de soigner une femme mourante (« Veux-tu que je me fasse l’exorciste des femmes ? », dit-il à son intendant qui vient lui annoncer l’arrivée de la malade, § 27). Sa mère et sa sœur (une vierge) viennent lui rendre visite ; cela lui déplaît et il leur ordonne de ne plus jamais venir (§ 11).
Il est intéressant de noter que seules ces deux hagiographies développent une telle position par rapport aux femmes dans le corpus hagiographique conservé pour cette période et que les deux citations tirées de la Vie de Lugaid ne figurent pas dans une version plus tardive de la même Vie. Cette manière de considérer les femmes semble avoir été la marque de fabrique de Bangor au IXe siècle.
Certaines similitudes se dégagent donc des règles irlandaises conservées : l’importance pour un moine de l’idée de persévérer ; un horaire de la journée qui se répartit autour de trois activités principales (prière, travail, étude) ; le fait que le repas principal se prenne à none (15 h), que la viande soit permise et que la boisson ordinaire soit le lait. Si on compare la règle de Bangor avec celle de Benoît, on constate une communauté d’esprit sur bien des points généraux (valeur du cénobitisme ; importance de l’obéissance, de l’humilité, de la persévérance ; horaire de la journée ; importance de la récitation du psaume 118 ; confession quotidienne ; importance du don aux pauvres et de l’accueil de l’hôte, ultime écho de l’ancien code de l’honneur indo-européen…). Les différences entre les règles portent sur des points concrets : permission de manger de la viande de quadrupède ; type de boisson ordinaire ; punitions corporelles.
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POSTFACE À LA JOHN TOLAND.
Les pseudo-druides à la filiation initiatique mirobolante (la fameuse et inénarrable tradition primordiale) s’étant multipliés depuis quelque temps ; il nous a paru nécessaire de mettre à la disposition de tout un chacun ces quelques notes, hâtivement rédigées un soir de novembre, afin de donner à nos lecteurs envie d’en savoir plus sur le vrai druidisme. Ce travail se veut honnête, mais en aucune façon neutre. Il s’est donné pour objectif de défendre ou de réhabiliter la cluto (renommée) de cette antique religion.
Rien ne remplace la méditation personnelle y compris sur les lais obscurs ou incompréhensibles parsemant ces livres et qui ont été insérés à dessein afin de vous obliger à réfléchir pour trouver votre propre voie. Ces livres ne sont pas des dogmes à suivre aveuglément et à la lettre. Ainsi que vous le savez sans doute, il faut se méfier comme de la peste de la lettre. La lettre tue, seul l’esprit vivifie. Rien ne remplace non plus l’expérience personnelle et c’est en cheminant que l’on trouve le chemin. Ne comptez donc que sur vos propres forces pour cette quête du Graal. Ce qui compte c’est l’attitude à adopter dans la vie et non les détails du dogme. Le druidisme a moins d’importance que la druidiaction (Jean-Pierre Martin).
Ces quelques feuillets griffonnés à la va-vite ne sont néanmoins en aucune façon LES LIVRES À LIRE SUR LE SUJET, ils n’en sont qu’un pâle reflet. La seule bibliothèque druidique digne de ce nom n’est pas en effet composée de seulement 12 (ou 27) livres, mais de plusieurs centaines.
Les quelques opuscules constituant cette mini-bibliothèque ne constituent pas un approfondissement et ne sont que quelques manuels destinés aux écoliers du druidisme. Ces résumés simplifiés destinés aux cours primaires de druidisme seront remplacés par des cours d’un niveau quelque peu supérieur, pour ceux qui voudront vraiment l’étudier de façon plus pertinente.
Cette petite bibliothèque est par conséquent un premier essai d’adaptation (destinée aux jeunes adultes) des diverses réflexions sur le savoir et la vérité druidiques, auxquelles ont abouti les premiers résultats de la nouvelle laïcité positive et ouverte, mondiale, en train de s’instaurer.
À la différence du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, qui fourmillent littéralement, à propos de l’Être supérieur, d’anthropomorphismes puérils pris au pied de la lettre (fondamentalisme) ; notre druidisme, lui, n’en utilisera que très peu, et s’en tiendra, en ce domaine, au minimum absolu.
Mais pour parler de Dieu-ou-Diable nous allons bien être obligés, nous aussi, d’utiliser un langage, et donc un certain nombre de ces anthropomorphismes. Ou alors il faudrait totalement renoncer à en discuter.
Ce premier rayon de notre future bibliothèque consacrée au sujet a pour objet de montrer avec précision l’harmonieuse authenticité de la volonté et du savoir néo-druidiques. De montrer à quel point ses grandes thèses actuelles ont des racines anciennes, car la Mythologie, c’est notre Bible à nous. Les adaptations de ce bref exposé, exigées par les différences de culture, d’âge, de maturité spirituelle, de situation sociale, etc. seront à faire par les druides concernés (les vellèdes et les autres ?).
À noter cependant. Important ! Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, ne sont pas (en vrac).
Une révélation divine. Une loi (toujours aussi divine). Une loi (profane ou laïque). Une loi (scientifique). Un dogme. Un Ordre ? Ce que je cherche surtout à faire partager c’est un état d’esprit, rien de plus. Ainsi que l’a très bien dit un jour notre vieux maître :
« NOTRE CIVILISATION N’A PAS LE CHOIX : CE SERA LE CELTISME OU CE SERA LA MORT » (P. Lance).
Ce que ces quelques notes, hâtivement jetées sur le papier au cours d’une trop courte vie, sont. Du rêve. Une aventure. Un voyage. Une évasion. Un cri de révolte contre la laideur morale et matérielle de cette société.
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Une tentative d’atteindre à l’universel en partant du particulier. Un défi. Un obstacle fécond à surmonter. Une incitation à la réflexion. Un guide pour l’action. Une carte. Un plan. Une boussole. Une étoile polaire ou l’étoile du berger là-haut dans la montagne. Un feu la nuit dans une clairière ?
Ce que le rassembleur de ce noyau de bibliothèque, Pierre de La Crau, n’est pas.
— Un dieu.
— Un demi-dieu.
— Un quart de dieu.
— Un petit saint.
— Un philosophe (reconnu, officiel, et breveté ou patenté, comme ceux qui passent à la télévision. Sauf évidemment à prendre le terme en son sens originel, qui est celui d’amateur de sagesse et de savoir).
Ce qu’il est : un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est donc étranger. Pierre de la Crau n’a aucun pouvoir surhumain ou exceptionnel. Rien de ce qu’il a dit écrit ou fait ne saurait avoir de valeur intemporelle. Tout au plus espère-t-il que son extrême lucidité à propos de notre société et de son idéologie dominante (voir ses philosophes officiels, ses journalistes, ses masses médias et le politiquement correct des bien-pensants) ; ainsi que son non-conformisme, et son franc-parler, alliés à un solide esprit de contradiction (qui lui ont d’ailleurs valu pas mal de déboires ou d’avanies) ; pourront être utiles.
La présente petite bibliothèque pour débutant « contient la dose d’humanité exigée par l’état actuel de la civilisation » (Henri Lizeray). Elle n’est d’ailleurs qu’un rassemblement de matériau attendant l’architecte ou le maçon ad hoc.
Prochainement paraîtra toute une série de fascicules approfondissant ces éléments de base. Cette présentation différente du savoir druidique préservera néanmoins l’unité et la profonde harmonie entre ces divers exposés d’un seul et même paganisme philosophique et réfléchi : une spiritualité digne de notre époque, une spiritualité pour notre époque.
Cas des traductions dans une langue étrangère (espagnol, allemand, italien, polonais, etc.)
Les fautes d’orthographe de grammaire de style, ainsi que l’écriture des noms propres, pourront être corrigées. Toute autre amélioration du texte pourra également être apportée si nécessaire (par ajout suppression ou modification, de détails) ; Pierre de La Crau ayant toujours regretté de ne pouvoir atteindre à la perfection en ce domaine. Mais à condition de n’altérer ni trahir en rien la pensée de l’auteur de cette compilation raisonnée. Toute illustration sans légende peut être changée. De nouvelles illustrations peuvent être apportées. Mais les illustrations ayant une légende ne devront être qu’améliorées (par substitution d’une bonne photo à un mauvais croquis par exemple ?).
Il va de soi que le coordonnateur de cette rapide et sommaire compilation raisonnée, Pierre de La Crau, ne prétend nullement avoir inventé (ou découvert) lui-même, tout ceci ; qu’il ne prétend en aucune façon que ceci est le fruit de ses recherches personnelles (sur le terrain ou en bibliothèque) ! Ce qui suit est en effet essentiellement issu des excellents ouvrages ou sites internet référencés en bibliographie et dont la consultation directe est fortement recommandée. Nous n’insisterons jamais assez sur notre volonté de ne pas être les hommes d’un livre (du Livre), mais d’au moins douze, comme les Fénianes d’Irlande, pour d’évidentes raisons d’ouverture d’esprit, la vérité étant notre seule religion.
Encore une fois, répétons-le ; le coordonnateur de la mise par écrit de ces quelques notes hâtivement jetées sur le papier ne prétend nullement avoir passé sa vie dans la poussière des bibliothèques ; ou sur le terrain, dans la boue des fouilles archéologiques de sauvetage ; afin d’exhumer des témoignages inédits sur le passé de l’Irlande (ou du Pays de Galles ou des Indes ou de la Chine ?)
PIERRE DE LA CRAU NE SE VEUT DONC EN AUCUNE FAÇON L’AUTEUR DES TEXTES QUI PRÉCÈDENT.
IL N’ESSAIE NULLEMENT DE S’EN ATTRIBUER LES MÉRITES. Il n’en est que l’éditeur ou le compilateur. Il s’agit pour la plupart de documents diffusés sur internet à quelques exceptions près. IL EN REVENDIQUE PAR CONTRE TOUS LES DÉFAUTS ET TOUTES LES INSUFFISANCES. Pierre de La Crau ne revendique qu’une chose, les fautes erreurs ou imperfections diverses de ce livre. Lui
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seul est à blâmer dans ce cas. Mais il fait confiance à ses contemporains (la nature humaine étant ce qu’elle est) pour les lui signaler avec vigueur.
Note retrouvée par les héritiers de Pierre de La Crau et insérée par eux à cet endroit.
J’avoue tout de suite afin de faciliter le travail de mes juges que les hommes comme moi étaient chrétiens à Rome sous Néron, païens à Jérusalem, sorciers à Salem, hérétiques anglais, catholiques irlandais, et aujourd’hui racistes, sexistes, homophobes, islamophobes, en attendant d’être demain koufar ou de nouveau chrétien l’antéchrist le plus bestial de toutes les apocalypses, etc. Bref ainsi qu’on l’aura compris je suis pour le néant la mort la maladie la souffrance……
Par respect pour l’Humanité, afin de gagner du temps, et ne pas lui en faire perdre, je vais faciliter le travail de ceux qui tiennent absolument à être du bon côté de la barrière en combattant (héroïquement bien sûr) afin de sauver le monde de mes griffes (mes idées ou mes penchants, mes tendances).
À ces courageux et implacables détracteurs, dont la profondeur de réflexion digne d’un marquis de Vauvenargues n’a d’égale que l’ampleur de la culture générale d’un Pic de la Mirandole, je dis…
Prenez une feuille de papier, un traitement de texte si vous préférez, mettez-y par ordre d’importance les 20 caractéristiques qui vous semblent les plus graves, les plus odieuses, les plus haïssables, dans l’histoire de l’Humanité, depuis les hommes préhistoriques et Nabuchodonosor, selon vous… ET DITES-VOUS BIEN QUE JE SUIS TOUT LE CONTRAIRE DE VOUS, CAR JE LES AI TOUTES !
On a toujours besoin de boucs émissaires ! Hérétique au Moyen-âge, sorcière à Salem au 17siècle, raciste au 20e siècle, lézard extraterrestre au 21e, je suis l’homme que vous aimerez haïr pour vous sentir meilleur (gentils et intelligents).
Je suis au choix et dans l’ordre d’importance que vous voulez : athée, sataniste, stupide, mongolien, bestial, homosexuel, pervers, homophobe, communiste, nazi, sexiste, philatéliste, menteur pathologique, voleur, suffisant, psychopathe, un monstre d’orgueil faussement modeste, et que sais-je encore, à vous de voir suivant la mode du moment.
Voilà, je ne peux pas faire mieux (pour vous aider à sauver le monde).
[À la différence de mes contempteurs qui sont tous des gens bien, c’est-à-dire jeunes ou modernes et dynamiques, courageux, positifs, gentils, intelligents, instruits, ou du moins qui savent ; faisant preuve de beaucoup de recul dans leur méditation en profondeur sur les tendances lourdes de l’Histoire ; et sur le plan moral ou éthique : généreux, altruistes, mais pauvres évidemment (c’est là leur seul défaut), car donnant tout aux autres ; en outre profondément respectueux de la volonté de Dieu et de la Constitution…
Moi je suis un vieux réactionnaire ankylosé, conformiste, déconnecté de son temps, parano, schizophrène, incohérent, capricieux, jamais content, méchant, bête, n’ayant fait aucune étude ou du moins ignorant tout sur le sujet en question ; coutumier des jugements à l’emporte-pièce fondés sur des préjugés dénués de toute réflexion ; égoïste et riche ; suppôt de Satan et nazo-bolchevick ou stalino-hitlérien de nature. On disait hitléro-trotskiste quand j’étais jeune. En bref un criminel psychopathe dès le petit-déjeuner… ce qui me permet donc de penser ce que je veux, mes critiques aussi d’ailleurs, et d’essayer de le faire savoir à la cantonade].
Signé : le coordonnateur des travaux, Pierre de la Crau dit Hésunertus, chercheur en druidisme. Un homme à qui rien de ce qui est humain ne fut étranger. Chômeur, facteur, divorcé, sans domicile fixe, vagabond, contribuable, justiciable, et électeur cocufié… bref un des neuf milliards d’êtres humains ayant transité sur ce vaisseau spatial donc. Né sur la planète Terre le 13 janvier 1952.
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BIBLIOGRAPHIE DES GRANDES LIGNES.
Pour ce qui est de la bibliographie des détails, voir annexe de la dernière leçon, car, comme le dit si bien Henri Lizeray, les traditions, ça doit s’interpréter. C’est là toute la différence qu’il peut y avoir
entre ancien druidisme et néo-druidisme.
— Le Lebar gabala ou Livre des invasions. Paris 1884 (William O’Dwyer)
— Base de l’église druidique. Le druidisme restauré. Henri Lizeray, Paris, 1885.
— Les traditions nationales retrouvées. Paris 1892.
— Aesus ou la doctrine secrète des druides. Paris 1902.
— Ogmios ou Orphée. Paris 1903.
TABLE DES MATIÈRES.
Prologue
PREMIÈRE PARTIE.
Contre-lai N° 1.
La cause de la bataille de Cnucha
Les exploits d’enfance de Vindos/Finn
Comment Vindos/Finn est devenu maître d’Almu
La naissance d’Ossian
Le château du sorbier
La traque de Diarmat et Grannia
La bataille de Ventry
La bataille de Gabhra
Le lai d’Ossian dans la Terre de Jouvence
Exégèse de Guy Vincent
Le colloque ou dialogue des Anciens
DEUXIÈME PARTIE : ANALYSES ET CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Les tactiques de combat de l’Antiquité
La voie du guerrier
Les vercingets ou berserkers celtes et la guerre psychologique
De la magie dans le druidisme
Ambividtu versonnions et imbas forosnai
La grande science qui embrase comme un soleil
Mythologie de la Suisse ancienne
La recherche de la grande science qui illumine comme un soleil
ANNEXES
N° 1 LES GLADIATEURS HINDOUS.
N° 2 LES RIASTRADES DU HÉSUS CUCHULAINN.
N° 3 NOTES SUR LES FULACHT FIA (produits utilisés, modes de cuisson, recettes).
N° 4 RÈGLE DES CULDÉES SELON MAELRUAIN DE TALLAGHT (partie nourriture)
N° 5 RÈGLE DES MOINES DE COLOMBAN DE BOBBIO (partie nourriture)
N° 6 RÈGLE DE SAINT BENOIT DE NURSIE (partie habillement).
N° 7 LA RÈGLE DE BANGOR.
Postface à la John Toland.
Bibliographie des grandes lignes
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DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand Camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
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