Mais avant, Conall, dis-moi donc à qui étaient toutes ces têtes que je vois là dans l’herbe, et à quels grands seigneurs d’Irlande elles appartenaient, car assurément leur sang a rougi tes armes. Dis-moi les noms des hommes dont les têtes gisent ici sur le sol.
Noble fille de Forgall des chevaux, Aemer au doux langage, c’est pour venger le Hésus Cuchulainn que j’ai ramené toutes ces têtes du sud.
À qui était la grosse tête noire qui a des joues plus lisses et plus rouges qu’une rose, celle qui est tout au bout sur le côté gauche, la seule tête qui n’a pas dû changer de couleur ?
C’est la tête du roi de Meath, d’Erc fils de Carpre aux chevaux rapides. Je l’ai ramenée de loin pour venger mon fils adoptif !
À qui était la tête que je vois là devant moi, celle qui a des cheveux si fins, aux sourcils si doux, mais aux yeux glacés ? Ses dents sont comme des fleurs blanches. De toutes ces têtes, c’est celle qui est la mieux proportionnée.
À un fils de Mave ravageur de ports, appelé Mané aux cheveux jaunes, un homme de cheval. J’ai laissé son corps sans tête derrière moi, tous ses gens sont tombés sous mes coups.
Ô grand Conall, toi qui n’as jamais failli, et la tête que tu tiens dans ta main, à qui était-elle ? Puisque le chien de Culann est mort, en quoi cette tête peut-elle te consoler ?
Il s’agit de la tête d’un fils de Fergus des chevaux, terreur des champs de bataille, un fils de ma sœur de la tour étroite ??? J’ai fait sauter sa tête loin de son corps d’un seul coup d’épée.
Et cette tête-là un peu plus à l’ouest, avec de magnifiques cheveux blonds, mais qui est encore toute tordue de douleur ? Sa voix m’était familière et il fut un temps mon ami.
C’est celle de l’homme qui a décapité le Hésus Cuchulainn, Lugaid, le fils de Curoi. Je l’ai étendu raide mort par terre, et après je l’ai décapité.
Et ces deux têtes-là un peu plus loin, Conall au bon jugement ? Ne me cache pas le nom de ces hommes que tu as terrassés, au nom de notre amitié je t’en conjure.
Il s’agit des têtes de Laigaire et de Clar Cuilt, deux hommes morts des blessures que je leur ai infligées. Ils avaient réussi à blesser notre fidèle Chien de Culann, leur sang a rougi mes armes.
À qui étaient ces deux têtes, là, un peu plus à l’est, ô grand Conall aux brillants exploits ? Leurs cheveux sont de la même couleur et leurs joues plus rouges que du sang de veau.
Il s’agit du brave Cullain et du hardi Conlaid, dont les colères pouvaient venir à bout de tout. Leurs têtes sont désormais ici, ô Aemer, j’ai laissé leurs corps gisant dans une mare de sang.
Et à qui étaient ces trois têtes à l’air si méchant devant moi au nord ? Leur figure est toute bleue et leurs cheveux tout noirs, même les yeux impitoyables de Conall s’en détournent.
Trois des plus ennemis du Chien de Culann, les filles de Calatin, expertes en maléfices. Ce sont les trois sorcières que j’ai tuées moi-même, elles sont tombées les armes à la main.
Ô grand Conall, père de tant de rois, et à qui était cette tête qui a dû sortir victorieuse de plus d’un combat ? Ses cheveux broussailleux ont la couleur de l’or, et sa coiffure est douce comme de l’argent.
Il s’agit de la tête du fils de Ros aux cheveux rouges, fils de Necht Min, que la force de mes mains a terrassé. Ceci, Aemer, est sa tête, la tête du haut roi du Leinster aux épées piquetées de mouchetures.
Ô grand Conall, il serait peut-être plus simple de me dire combien de ceux qui lui ont fait du mal, sont tombés sous les coups de ta main qui n’a pas failli afin de venger la décapitation du Hésus Cuchulainn.
C’est ce que j’étais en train de te dire, dix-sept vingtaines de centaines d’entre eux sont tombées devant la colère de ma puissante épée ou de celle de mes hommes.
Ô Conall, que font les femmes de cette île maintenant pour le Chien de Culann ? Sont-elles en train de pleurer le fils de Sualtam ? Lui montrent-elles du respect en éprouvant du chagrin ?
Ô Aemer, que vais-je faire maintenant sans mon petit Chien de Culann, sans mon petit enfant, allant de-ci de-là autour de moi cette nuit ?
Alors, accompagne-moi maintenant à ma dernière demeure, ô Conall, fais dresser ma pierre tombale à côté de celle du Hésus Cuchulainn puisque c’est à cause du chagrin que sa mort m’a causé que je vais mourir, et colle mes lèvres contre les siennes.
Je suis Aemer aux Jolies Formes, je n’ai plus rien à venger, je n’ai plus d’amour dans le cœur pour un autre homme. Il m’est pénible de survivre à mon époux bien aimé.
Et après ça donc Aemer pria Conall de faire creuser une large et profonde tombe pour le Hésus Cuculainn ; puis s’étendit aux côtés du compagnon qui avait partagé sa vie. Elle l’embrassa et murmura : « Amour de ma vie, mon ami, mon cœur, toi que j’ai choisi parmi tous les hommes de la terre, innombrables sont les femmes, mariées ou pas, qui m’ont enviée jusqu’à aujourd’hui : et je ne veux pas vivre sans toi.