1
CITATIONS DES AUTEURS ANTIQUES PARLANT DES CELTES, DES DRUIDES,
OU DE LA SPIRITUALITÉ CELTO-DRUIDIQUE, AU SENS LARGE.
TITE-LIVE (– 59 + 17).
2
Historien, auteur d’une monumentale histoire de Rome depuis sa fondation (Ab urbe condita) en 142 livres. Ci-dessous ce que l’on peut y glaner.
AB URBE CONDITA LIBRI (Histoire de Rome).
LIVRE V. Les événements des années 403 à 396.
Chapitre XXXII.
Marcus Caedicius, un plébéien, rapporta aux tribuns que, alors qu’il était dans la rue Neuve, s’élève aujourd’hui la chapelle, au-dessus du temple de Vesta, il avait entendu dans le silence de la nuit, une voix plus éclatante que la voix humaine qui lui ordonnait d’annoncer aux magistrats que les Celtes étaient en train d’approcher.
On n’en tint aucun compte, d’une part à cause de l’humble rang social de celui qui avait fourni cette information, mais aussi parce que les Celtes étaient une nation si éloignée qu’on la connaissait à peine.
Ce ne fut pas non plus assez que Rome méprisât les avertissements des dieux. Le seul homme qui aurait pu lui être d’un grand secours dans un tel malheur, Marcus Furius, fut chassé de la Cité.
Chapitre XXXIII.
Après l’expulsion de ce citoyen qui, autant que l’on peut avoir de certitude sur les choses humaines, en restant, eût empêché la prise de Rome, le destin précipita la ruine de cette cité. Des ambassadeurs de Clusium vinrent demander du secours contre les Celtes.
La tradition rapporte que cette nation, attirée par la réputation de leurs fruits délicieux, et surtout de leur vin, une volupté nouvelle pour eux ; avait passé les Alpes et s’était emparée des terres cultivées auparavant par les Étrusques. Arruns de Clusium avait en effet transporté du vin chez eux pour attirer ce peuple en Italie. Sa femme avait été séduite par un certain Lucumon, dont il avait naguère été le tuteur ; un très influent jeune homme, dont il lui était de fait impossible d’obtenir réparation sans une aide de l’étranger. Arruns guida donc les Celtes à travers les Alpes et diligenta une attaque sur Clusium.
Chapitre XXXIV.
Pour ce qui est du passage des Celtes en Italie, voici ce que l’on en raconte. À l’époque Tarquin l’Ancien régnait à Rome, le pouvoir suprême [……] était entre les mains des Bituriges ; ils fournissaient un souverain au Celticum. À cette époque-là, le roi en question était un dénommé Ambigatus. C’était un homme éminent tant par son courage et ses biens personnels que par ceux de son royaume. Durant son règne, le pays bénéficia de récoltes si abondantes, et d’une telle croissance de sa population, qu’il lui sembla quasiment impossible de gouverner une telle multitude. Devenu vieux et désireux de soulager son royaume du poids de cette surpopulation qui l’écrasait ; il fit connaître son intention d’envoyer les fils de sa sœur, Bellovèse et Segovèse, d’entreprenants jeunes gens, s’installer ailleurs, dans n’importe quelle autre contrée que les augures voudraient bien leur indiquer. Ils seraient libres d’emmener avec eux autant d’hommes qu’ils voudraient, afin que nulle nation ne puisse repousser leur approche. La forêt d’Hercynie fut assignée par le sort à Ségovèse ; à Bellovèse, les dieux montrèrent un plus beau chemin, celui de l’Italie. Bellovèse appela donc à lui le surplus de population des Bituriges, des Arvernes, des Sénons, des Éduens, des Ambarres, des Carnutes, des Aulerques et avec de nombreuses troupes de gens à pied ou à cheval, arriva chez les Tricastins. En ce lieu, devant lui, s’élevait la barrière des Alpes ; elles lui apparaissaient très vraisemblablement comme étant insurmontables ; car, de mémoire d’homme, nul pied humain ne les avait franchies, à moins que l’on veuille ajouter foi aux fables nous parlant d’Hercule. Les Celtes étaient donc arrêtés au milieu de ces hautes montagnes, enfermés en quelque sorte en ce lieu, et ils cherchaient de tous côtés un passage au moyen duquel franchir ces hauteurs qui touchaient au ciel, afin de déboucher dans un nouveau monde ; quand ils furent empêchés d’avancer par une sorte de scrupule religieux : ils apprirent que des étrangers, en quête de territoire comme eux, venaient d’être attaqués par les Salyens. Il s’agissait des Massaliotes [aujourd’hui Marseille] qui étaient venus de Phocée. Les Celtes, voyant comme un présage de leur propre destinée, prêtèrent donc main-forte à ces étrangers par conséquent, et même les aidèrent à fortifier l’endroit ils avaient abordé, sans qu’il y ait la moindre intervention des Salyens. Après avoir traversé les Alpes par des passes inaccessibles du pays des Taurins, ils
3
vainquirent les Étrusques dans une bataille qui se déroula non loin du Tessin, et quand ils apprirent que le pays dans lequel ils venaient d’arriver avait appartenu aux Insubres, un nom également porté par un canton des Éduens, cela leur parut de bon augure et ils fondèrent donc en ce lieu une cité qu’ils appelèrent Mediolanum.
Chapitre XXXV.
Une autre troupe, faite de Cénomans, sous la conduite d’Étitovius, suivit la trace de la première, et franchit les Alpes par le même défilé, avec l’aide de Bellovèse. Ils vinrent s’établir s’élèvent maintenant les villes de Brixia et de Vérone. Les Libuens vinrent après eux, ainsi que les Salluviens ; ils s’installèrent près de l’antique peuplade des Lèves Ligures, qui vivaient sur les rives du Tessin. Ensuite, les Boïens et les Lingons franchirent, eux aussi, les Alpes Pennines, mais comme tout le pays entre le et les Alpes était occupé, ils traversèrent ce fleuve sur des radeaux, puis chassèrent de leur territoire, non seulement les Étrusques mais aussi les Ombriens. Ils demeurèrent toutefois au nord des Apennins. Les Sénons, les derniers à venir, occupèrent la contrée située entre le fleuve Utens et l’Aesis. Je trouve dans l’Histoire que ce fut cette dernière tribu qui vint à Clusium et ensuite à Rome mais on ne sait pas s’ils vinrent seuls ou soutenus par des contingents issus des autres peuples de la Cisalpine.
Chapitre XXXVI.
« Bien que nous [les Celtes] entendions parler des Romains pour la première fois, nous pensons néanmoins que vous êtes des hommes courageux, puisque les Clusiens ont imploré votre appui, dans ces circonstances si difficiles pour eux. Puisque vous avez préféré venir en aide à vos alliés par la négociation plutôt que par la guerre, nous ne rejetterons pas la paix que vous offrez à condition que les Clusiens nous cèdent, à nous autres Celtes, qui avons besoin de terre, une partie du territoire qu’ils possèdent ; il est si grand qu’ils ne peuvent tout cultiver. Sinon il n’y aura pas la paix ! En outre nous voulons recevoir leur réponse en votre présence ; et s’ils refusent de nous céder du territoire, alors nous les combattrons, toujours en votre présence ; afin que vous puissiez rapporter chez vous combien les Celtes surpassent tous les autres hommes, pour ce qui est du courage ».
Les Romains leur ayant alors demandé de quel droit ils exigeaient, menace de guerre à l’appui, le territoire d’autres peuples, voire ce qu’ils avaient à faire, eux les Celtes, en Étrurie ; et les Celtes ayant répondu fièrement que leur droit résidait dans leurs armes, que tout appartenait aux braves ; les esprits s’échauffèrent des deux côtés : on courut aux armes puis la bataille s’engagea. Et sur ce, contrairement au droit international, les ambassadeurs y participèrent également, car le destin avait déjà décidé de conduire Rome à sa perte. Le fait que trois des plus nobles et des plus braves Romains, combattaient en première ligne de l’armée des Étrusques, ne put demeurer longtemps secret, vu la valeur de ces étrangers. Pire même, Quintus Fabius, qui galopait à cheval en première ligne, se rua sur un chef des Celtes, assaillant avec furie sur les enseignes étrusques ; lui perça le flanc de sa lance, et le tua. Mais, alors qu’il dépouillait son cadavre, il fut reconnu par les Celtes, et le bruit courut donc dans toute leur armée qu’un ambassadeur romain s’était mêlé au combat.
Chapitre XXXVII.
La Fortune aveugle les esprits, quand elle veut rendre ses coups irrésistibles ; à tel point que, malgré l’incommensurable désastre qui menaçait cette Cité, aucune mesure particulière ne fut prise pour le prévenir. Lors des guerres contre les Fidénates, les Véiens, et les autres peuples alentour, un homme ayant tous les pouvoirs avait toujours été désigné, en dernière extrémité. Mais alors qu’une armée d’étrangers jamais vus, et dont on n’avait jamais entendu parler auparavant, venait lui apporter la guerre des rivages de l’Océan et des dernières limites du monde ; on ne recourut ni à commandant unique ayant tous les pouvoirs, ni à des moyens de défense extraordinaires. Les hommes dont la témérité avait amené cette guerre restèrent aux commandes en tant que tribuns, et la levée de troupes qu’ils effectuèrent ne fut pas plus importante que celle d’une campagne ordinaire. Les Celtes pendant ce temps-là, eux, avaient appris que leur ambassade avait donc été reçue avec mépris, et que les plus grands honneurs avaient été conférés aux hommes qui avaient violé de façon si flagrante le droit international. Brûlants de rage, incapables de contrôler leurs passions, ils se saisirent de leurs enseignes et se mirent donc en marche, d’un pas rapide. Étant donné le bruit qui s’élevait du tumulte qu’ils faisaient au moment ils passaient, toutes les villes effrayées couraient aux armes, et les
4
habitants des campagnes prenaient la fuite. Cette multitude confuse de chevaux et d’hommes occupait au loin un immense espace. Dans tous les lieux qu’ils traversaient, ils faisaient comprendre à grands cris qu’ils allaient à Rome. Mais bien qu’ils fussent précédés par la rumeur et par des messagers de Clusium, ainsi que de toutes les autres villes les unes après les autres, ce fut surtout la rapidité de leur approche qui alarma le plus à Rome. Une armée faite d’une levée en masse effectuée en toute hâte sortit alors à leur rencontre. Les deux forces se retrouvèrent l’une en face de l’autre à onze milles de Rome à peine, à l’endroit la rivière Allia, qui coule depuis les monts de Crustumérie en y creusant son lit, se jette dans le Tibre, un peu en dessous de la route qui mène à Crustumerium. Le pays tout entier en face et autour d’eux grouillait d’ennemis qui, appartenant à un peuple féru de manifestations de sauvagerie ; à l’aide de hurlements affreux et de clameurs discordantes emplissaient l’espace d’un bruit effrayant.
Chapitre XXXVIII.
Les tribuns militaires, sans avoir sécurisé l’emplacement de leur camp, sans avoir fait construire de retranchement derrière lequel pouvoir battre en retraite, ayant fait preuve d’autant de mépris envers les dieux qu’envers les hommes qu’ils devaient affronter, rangèrent l’armée en ordre de bataille sans avoir obtenu d’auspices favorables. Ils déployèrent leurs ailes afin de ne pas être enveloppés par l’ennemi ; mais ne purent égaler le front adverse, et en étirant de la sorte leurs lignes, ils affaiblirent leur centre, au point qu’il restait à peine en contact avec leurs ailes. Sur leur droite, il y avait une petite éminence ils jugèrent à propos de positionner leur réserve, et cette malheureuse disposition, même si c’est par que commencèrent la panique et la fuite, se révéla être aussi finalement la seule chose qui assura le salut des fuyards. Car Brennus, qui commandait les Celtes, craignant un piège de la part d’un ennemi si inférieur en nombre, et pensant que la hauteur avait été occupée dans l’intention que cette réserve puisse les attaquer de flanc ou à revers, quand leur front en serait venu au corps-à-corps avec les légions, dirigea donc son attaque droit dessus ; étant quasiment certain que, s’il parvenait à les en déloger, son écrasante supériorité numérique lui donnerait alors une facile victoire sur le terrain. De sorte que, non seulement la Fortune, mais aussi la tactique, se retrouvèrent du côté des barbares.
Dans l’armée adverse, il ne restait rien de romain, ni chez les généraux ni chez les simples soldats. Ils étaient terrifiés, tout ce à quoi ils pensaient par conséquent, c’était à fuir, et ils perdirent la tête à un point tel que la plupart se sauvèrent en direction de Véies, une ville ennemie, bien que le Tibre soit sur leur chemin ; au lieu de suivre la route les menant à Rome, vers leurs femmes et leurs enfants. Pendant un court instant, la réserve fut un moment défendue par l’avantage de sa position ; mais pour ce qui est du reste de l’armée, dès que le cri de guerre des Celtes eut été entendu sur leur flanc par les éléments les plus rapprochés, puis derrière eux par ceux qui étaient juste à l’autre extrémité, ils prirent la fuite, intacts et sans blessure, presque avant d’avoir vu cet ennemi inconnu, sans la moindre tentative de résister, voire de répondre au cri de guerre adverse. Aucun ne fut tué en combattant, ils furent tous abattus par-derrière, alors qu’ils se gênaient mutuellement dans leur fuite, en pleine débandade. Tout au long de la rive du Tibre, la totalité de l’aile gauche avait fui, après avoir jeté ses armes, il en fut fait un grand carnage. Beaucoup qui ne savaient pas nager, ou qui étaient handicapés par le poids de leur cuirasse, voire de leurs autres protections, furent engloutis par le courant. Le plus grand nombre cependant, put gagner Véies sain et sauf, mais de ils ne détachèrent aucune troupe pour défendre la Ville, et il n’y eut même pas un messager d’envoyé pour annoncer leur défaite à Rome. Les hommes de l’aile droite, qui avaient été positionnés loin de la rivière, presque au pied de la montagne, revinrent alors à Rome en toute hâte et se réfugièrent dans la Citadelle sans même fermer les portes de la Cité.
Chapitre XXXIX.
Les Celtes, de leur côté, furent stupéfaits d’une victoire si prodigieuse et si soudaine. Au début, ils n’osèrent même pas sortir de cet endroit, réalisant à peine ce qui venait d’arriver ; ensuite ils commencèrent à craindre qu’il n’y eût quelque piège ; enfin ils se mirent à dépouiller les morts, et, suivant leur coutume, entassèrent les armes en monceaux. Puis, comme aucun mouvement hostile n’était visible que ce soit, ils se mirent alors en marche et atteignirent Rome, un peu avant le coucher du soleil. La cavalerie qui les précédait leur apprit que les portes n’étaient pas fermées ; qu’il n’y avait pas d’hommes postés pour les défendre, et pas
5
de soldats sur les murailles. Cette seconde surprise, aussi extraordinaire que la précédente, les arrêta encore. Craignant un combat de nuit dans les rues d’une ville inconnue, ils firent donc halte puis bivouaquèrent, entre Rome et l’Anio. Des éclaireurs furent envoyés par eux pour examiner les remparts et les autres portes, voire s’efforcer de découvrir les plans que formaient leurs ennemis dans cette situation désespérée. Du côté des Romains, comme la plupart s’étaient enfuis du champ de bataille en direction de Véies au lieu de se revenir à Rome, tout le monde croyait que les seuls survivants étaient ceux qui avaient trouvé refuge en ville, et le deuil des citoyens pleurant les portés disparus, qu’ils soient vivants ou morts, remplissait donc toute la Cité de cris de lamentation. Mais le bruit des deuils particuliers fut vite étouffé par la terreur générale, quand il fut annoncé que l’ennemi était déjà là ; car on put bientôt entendre les hurlements et les cris de guerre sauvages [ululatus] des escadrons barbares, rôdant autour des remparts. Durant tout le temps qui s’écoula jusqu’à ce que vienne l’aube du jour suivant, les citoyens furent plongés dans une telle incertitude, qu’ils s’attendirent à tout moment à une attaque générale. Ils s’y attendirent d’abord quand l’ennemi approcha des murs, car les Celtes se seraient arrêtés sur les bords de l’Allia si tel n’avait pas été leur intention. Ensuite, dans la soirée, ils pensèrent que c’est que l’ennemi allait donner l’assaut, puisqu’il ne restait que très peu de temps avant que le soleil ne se couche. Puis, quand le soleil fut couché, ils imaginèrent que l’attaque avait été reportée à la nuit, pour susciter une plus grande terreur. L’approche du jour suivant acheva de les glacer d’effroi, et l’entrée des enseignes ennemies par les portes de la Cité porta donc à son comble une peur qui n’avait connu aucun répit. Cependant, cette nuit-là et le jour suivant, les citoyens ne se comportèrent pas du tout de la même façon que ceux qui avaient fui, complètement terrorisés, sur les bords de l’Allia. Réalisant qu’il était vain de tenter de défendre la Cité avec le si petit nombre de ceux qui avaient réchappé au désastre ; ils décidèrent que tous les hommes en âge de porter les armes, et les plus valides des sénateurs, devraient, avec leurs femmes et leurs enfants, se retirer dans la Citadelle, ainsi qu’au Capitole. Et après y avoir réuni tout ce que l’on pourrait y amasser d’armes et de vivres, de défendre, de cette position fortifiée, leurs dieux, ainsi qu’eux-mêmes, et le nom romain. Le flamine et les prêtresses de Vesta emportèrent, loin du meurtre et de l’incendie, les objets sacrés du culte public ; qui ne devait pas être abandonné, tant qu’il survivrait au moins une personne pour l’observer. Si la citadelle et le Capitole, séjour des dieux, si le Sénat, chef et tête pensante de la politique, si les hommes en âge de porter les armes, parvenaient à échapper à la catastrophe ; alors la perte de la foule des vieillards que l’on abandonnerait dans la cité, pourrait être plus facilement supportée ; de toute façon, ils n’avaient aucune chance de survivre aux rigueurs du siège. Afin de réconcilier les plébéiens âgés avec leur tragique destin, ceux qui avaient été consuls et avaient eu l’honneur des triomphes firent savoir leur intention de partager le même sort, et de ne pas constituer un fardeau pour la maigre force des combattants, avec leurs corps incapables de porter les armes ou de défendre le pays.
Chapitre XLI.
Après que toutes les dispositions que les circonstances permettaient eurent été prises, afin de défendre le Capitole ; les vieillards rentrés dans leurs maisons respectives, et prêts à mourir attendirent l’arrivée de l’ennemi. Ceux qui avaient rempli des magistratures curules se résolurent à subir leur destin en portant les insignes de leur carrière passée, de leurs honneurs, voire de leurs distinctions. Ils revêtirent la magnifique robe qu’ils portaient quand ils conduisaient le char des dieux ou faisaient une entrée triomphale à cheval dans la Ville, et une fois ainsi habillés, ils prirent place sur leurs sièges d’ivoire, devant leur maison. Quelques auteurs rapportent que, guidés par Marcus Folius, le grand pontife, ils récitèrent une formule solennelle par laquelle ils se dévouèrent aux dieux, pour le salut du pays et des Quirites. Comme les Celtes avaient pu profiter d’une bonne nuit de sommeil, après une bataille que, nulle part, on ne leur avait sérieusement livrée, donc qu’ils n’avaient aucun besoin de prendre la Cité d’assaut ou de vive force ; leur entrée le jour suivant ne fut marquée par aucune manifestation d’emportement ni de colère. En passant par la porte Colline, qui était restée ouverte, ils parvinrent au Forum en promenant leurs regards sur les temples et la citadelle qui, seule, avait quelques apparences guerrières. Ils postèrent un petit détachement pour se garder de toute attaque venant de la Citadelle ou du Capitole pendant leur dispersion, et ensuite se répandirent, en quête de pillage, à travers les rues, ils ne rencontrèrent âme qui vive. Les uns se précipitèrent en foule dans toutes les maisons proches, les autres coururent vers les plus distantes ; espérant les trouver intactes et remplies de butin. Effrayés par la totale
6
désolation des lieux, et craignant que quelque stratagème ne surprenne les traînards isolés ; ils revinrent alors dans environs du Forum, en rangs serrés. Les maisons des plébéiens étaient barricadées, les cours intérieures des maisons patriciennes ouvertes, mais ils hésitaient plus à entrer dans les maisons ouvertes que dans celles qui étaient fermées. Ils contemplaient avec une sorte de respect religieux ces hommes, qui étaient assis sous les portiques de leur demeure, non seulement à cause de la magnificence auguste de leur costume et de leur attitude, mais aussi à cause de la majestueuse expression de leur contenance, leur conférant un aspect presque divin. Ils demeuraient debout, à les regarder comme des statues, jusqu’à ce que, affirme-t-on, un des patriciens, Marcus Papirius, déclenchât la fureur d’un Celte, qui avait commencé de toucher sa barbe laquelle était fort longue conformément à la mode de l’époque en le frappant à la tête de son bâton d’ivoire. Ce fut donc par lui que commença le carnage, et aussitôt tous les autres furent égorgés sur leurs chaises curules. Les anciens magistrats ayant été tués, aucun être vivant ne fut dès lors épargné, les maisons furent pillées, puis incendiées.
Chapitre XLII.
Que les Celtes n’aient pas tous été animés du désir de détruire la Cité, ou que leurs chefs aient décidé ; soit de donner le spectacle de quelques incendies seulement, afin de pousser les assiégés à se rendre pour sauver leurs maisons ; soit, en s’abstenant d’une conflagration générale, de se servir de ce qui restait de la Cité comme gage au moyen duquel affaiblir la détermination de leurs ennemis ; ce qui est certain par contre, c’est que l’incendie fut loin d’être aussi général ni aussi étendu que ce que l’on pouvait en attendre, le premier jour de la prise d’une ville. Quant aux Romains, voyant de la citadelle la cité remplie d’ennemis qui couraient çà et dans les rues ; pendant que de nouveaux désastres s’accumulaient à chaque instant, d’abord dans un quartier puis dans un autre ; ils ne pouvaient plus maîtriser leurs émotions ; ni se défaire de leurs sombres pensées ou pressentiments. Quelle que soit la direction dans laquelle leur attention était attirée, par les cris de l’ennemi, les lamentations des femmes et des enfants, le bruit des flammes, voire le fracas des maisons qui s’écroulaient ; vers où, donc, ils tournaient leurs regards ainsi que leur esprit, comme s’ils avaient été placés par la Fortune afin d’assister en spectateurs à la ruine de leur propre pays, tout en demeurant impuissants à protéger quoi que ce soit de ce qu’ils possédaient, hormis leurs vies ; d’autant plus à plaindre que ne le furent jamais assiégés, retranchés qu’ils étaient de leur pays natal et voyant tout ce qui avait été leurs, entre les mains de l’ennemi. La journée passée dans une telle épreuve fut suivie d’une nuit qui ne fut pas plus reposante, et par une nouvelle journée d’angoisse, il ne s’écoula pas une heure sans le spectacle de quelque nouvelle calamité. Pourtant, bien qu’écrasés ou accablés par tant de malheurs, bien qu’ayant vu tout tomber en ruine, nivelé par le feu, ils n’abandonnèrent jamais un seul instant leur détermination à défendre avec courage le seul endroit resté libre : la colline qu’ils occupaient, aussi petite et pauvre qu’elle puisse être. À la longue, comme cette situation durait, ils devinrent jour après jour comme insensibles à tous ces malheurs, et leurs pensées se détournèrent des circonstances, pour ne se concentrer que sur leurs armes, notamment leur épée, qu’ils regardaient comme la seule chose qui leur laissât encore quelque espoir.
Chapitre XLIII.
Les Celtes menèrent une guerre inutile contre les maisons de la ville durant plusieurs jours. Mais comme ils ne voyaient aucun survivant parmi les cendres et les ruines de la cité conquise, excepté un ennemi en armes que tous ces désastres n’avaient pas effrayé, apparemment, et qui n’avait aucune intention de se rendre sans y être contraint par la force ; ils décidèrent donc en dernier ressort de lancer un assaut contre la Citadelle. Au point du jour, leurs chefs donnèrent le signal, et la totalité de leurs forces se rassembla sur le Forum elles se rangèrent en ordre bataille ; puis, en poussant leur cri de guerre et en formant la tortue, ils se mirent en marche. Les Romains se préparèrent à l’attaque calmement et sans peur : les détachements furent renforcés pour garder tous les points d’accès possibles ; et, partout ils voyaient l’ennemi avancer, ils envoyèrent des hommes d’élite se poster, ensuite ils laissèrent monter l’ennemi, persuadés que, plus il aurait gravi de ces roches escarpées, plus il leur serait facile de l’en faire descendre. Arrivés environ à mi-hauteur de la colline les Romains s’arrêtèrent et, de cette position surélevée, qui les portait sur l’ennemi d’elle-même, ils chargèrent et mirent en déroute les Celtes, en tuant et en abattant tellement des leurs qu’ils ne tentèrent plus jamais
7
ce mode de combat, ni par petits groupes ni en masse. Tout espoir de se forcer un passage par un assaut direct ayant été abandonné, ils se mirent alors à préparer un siège. Mais ils n’avaient pas pensé à une chose jusqu’alors ; tout le blé de la Ville avait été détruit dans l’incendie, et celui des champs alentour avait été transporté en toute hâte à Véies pendant qu’ils occupaient la Cité. Aussi les Celtes décidèrent-ils de diviser leurs forces ; une partie eut la charge d’investir la Citadelle, l’autre de fourrager dans les environs, afin d’approvisionner en grains ceux qui continuaient d’assiéger la citadelle.
Chapitre XLVI.
Et pendant ce temps-là, il ne se produisait pas grand-chose à Rome, le siège se poursuivait la plupart du temps avec beaucoup de relâchement ; les deux parties restaient tranquilles, les Celtes voulant surtout empêcher leur ennemi de s’échapper au travers de leurs lignes ; quand tout à coup un guerrier romain attira sur lui l’admiration, tant des ennemis que de ses amis. La maison des Fabiens avait coutume de procéder à un sacrifice annuel sur le Quirinal. Gaius Fabius Dorso, revêtu de sa toge, « ceinte à la manière des Gabiens », et portant dans ses mains les vases sacrés, descendit donc du Capitole, passa en plein milieu des postes ennemis, insensible à leurs provocations ou à leurs cris, et atteignit le Quirinal. En ce lieu il accomplit alors conformément au rite tous les actes solennels requis, puis revint avec la même détermination et la démarche pareillement assurée ; sûr de la protection divine puisque la peur de la mort ne l’avait pas fait renoncer au culte des dieux ; enfin il rentra au Capitole et rejoignit ses camarades.
Même les Celtes furent stupéfiés par une si extraordinaire audace, ou alors ils furent retenus par quelque scrupule religieux, car ils étaient toujours très sensibles aux exigences de la religion. À Véies cependant, forces et courage revenaient peu à peu : il y avait non seulement les Romains dispersés depuis la défaite et la prise de la Cité qui s’y rassemblaient ; mais aussi des volontaires venus de tout le Latium qui affluaient sur place afin d’avoir une part du butin…
Chapitre XLVII.
Tandis que tout cela se passait à Véies, la Citadelle et le Capitole coururent grand danger. Les Celtes avaient, soit remarqué les traces de pas laissées par le messager de Véies, soit découvert par eux-mêmes un moyen d’escalader de façon relativement aisée la roche, près du temple de Carmentis. Profitant donc d’une nuit assez claire, ils envoyèrent un homme non armé devant eux pour reconnaître le chemin ; ensuite en se passant mutuellement leurs armes lorsque le sentier s’avérait difficile, et en s’appuyant les uns les autres, ou en se tirant les uns les autres, quand le lieu l’exigeait, ils atteignirent finalement le sommet. Si extraordinairement silencieux avaient été leurs mouvements, que non seulement ils passèrent sans être remarqués par les sentinelles mais qu’ils ne réveillèrent pas même les chiens, des animaux pourtant particulièrement sensibles aux moindres bruits nocturnes. Mais par contre ils ne purent échapper à la vigilance des oies, qui avaient été consacrées à Junon et qui avaient été laissées en vie, en dépit de l’extrême indigence des réserves de nourriture. Leurs cris ainsi que le bruit du battement de leurs ailes réveillèrent Marcus Manlius, un soldat émérite qui avait été consul trois ans auparavant. Il sauta sur son équipement et courut appeler ses camarades aux armes ; puis, tandis qu’ils se réveillaient péniblement, il frappa de la bosse de son bouclier un Celte qui était déjà parvenu sur le sommet de la colline, et le renversa. Ce dernier tomba sur ceux qui étaient derrière lui et les entraîna dans sa chute ; ensuite Manlius égorgea ceux qui avaient mis de côté leurs armes et se cramponnaient aux rochers. Pendant ce temps-là, d’autres Romains finirent par le rejoindre, et ils commencèrent alors à déloger l’ennemi en lui lançant des volées de pierres ou de javelines, jusqu’à ce que le détachement tout entier s’écrase en bas définitivement. Quand le tumulte se fut apaisé, le reste de la nuit fut accordé au sommeil, du moins autant que cela était possible dans de telles circonstances, car le péril, bien qu’écarté, continuait de beaucoup les inquiéter. À l’aube, les soldats furent convoqués au son du clairon à un conseil de guerre tenu en présence des tribuns militaires afin de récompenser les bonnes conduites de la nuit ou de punir les mauvaises. Pour commencer, Manlius fut cité pour sa bravoure, et récompensé non seulement par les tribuns, mais par tous les soldats réunis, car chacun apporta pour lui, dans ses quartiers, qui étaient situés dans la Citadelle, une demi-livre de farine et un quart de pinte de vin. Cela ne semble pas beaucoup, mais la disette qui régnait en faisait une grande preuve de reconnaissance envers lui, puisque chacun prélevait ainsi sur ses provisions de nourriture, afin de rendre honneur à cet homme, ce qui devait servir aux
8
nécessités de sa propre subsistance. Ensuite les hommes qui étaient de garde à l’endroit l’ennemi avait pu grimper sans qu’ils s’en aperçoivent, furent cités à comparaître eux aussi. Quintus Sulpicius, le tribun militaire, avait annoncé qu’il les punirait conformément aux lois martiales en vigueur. Il fut néanmoins amené à changer d’avis par la protestation unanime des soldats, qui s’accordèrent à rejeter la faute sur un seul. Comme il n’y avait aucun doute sur sa responsabilité, il fut donc, à l’approbation générale, précipité du haut de la falaise. Une plus stricte vigilance fut dès lors exercée des deux côtés ; les Celtes parce qu’ils savaient maintenant que des messagers de Véies arrivaient à passer ; les Romains parce qu’ils n’oubliaient pas le danger dans lequel ils s’étaient retrouvés cette nuit-là.
Chapitre XLVIII.
Mais le plus grand de tous les maux nés de ce siège et de cette guerre fut la famine, qui commença d’affliger les deux armées, alors que les Celtes étaient en plus affectés par une maladie pestilentielle. Ils avaient installé leur camp dans un creux qui avait été brûlé et infecté par la malaria : le moindre souffle de vent y soulevait, non de la poussière, mais de la cendre. En tant qu’hommes accoutumés à l’humidité ou au froid, ils ne supportaient pas du tout ces conditions nouvelles pour eux et, tourmentés qu’ils étaient par une chaleur suffocante, la maladie commença de les décimer : ils mouraient en nombre comme des moutons. Bientôt ils se lassèrent d’ensevelir leurs morts individuellement, de sorte qu’ils finirent par empiler les cadavres afin de les brûler pêle-mêle ; ce qui rendit d’ailleurs le lieu célèbre : car il fut après cela connu sous le nom de Busta Celtica. Une trêve fut ensuite conclue avec les Romains, et avec l’approbation de leurs commandants, les soldats entrèrent en pourparlers les uns avec les autres. Les Celtes insistaient continuellement sur leur disette, et les invitaient à se plier à la nécessité, donc à se rendre.
Pour leur ôter cette idée de l’esprit, on prétend que du pain fut jeté de nombreux endroits du Capitole, dans les avant-postes ennemis. Mais la famine devint rapidement impossible à dissimuler ni à supporter plus longtemps.
Aussi, alors que le général en chef ayant reçu tous les pouvoirs [Camille] faisait sa propre levée dans Ardée ; qu’il ordonnait à son maître de la cavalerie, Lucius Valerius, de quitter avec son armée Véies ; et faisait les préparatifs nécessaires pour disposer d’une force suffisante avec laquelle attaquer l’ennemi à égalité de forces ; la garnison du Capitole, épuisée par une garde incessante, mais qui s’était jusque-là élevée au-dessus de toute faiblesse humaine, puisque la nature avait fait de la famine la seule chose impossible à surmonter par eux ; jour après jour guettait au loin des signes d’un quelconque secours envoyé par le général en chef ayant reçu tous les pouvoirs. Finalement la nourriture, mais aussi l’espoir vinrent à manquer. Chaque fois que les sentinelles montaient la garde, leur corps affaibli était presque écrasé par le poids de leur cuirasse ; l’armée insista donc pour qu’ils puissent, ou se rendre, ou racheter leur liberté contre une rançon, aux meilleures conditions possibles ; d’ailleurs les Celtes assuraient qu’ils pourraient être amenés à lever le siège, moyennant une somme assez modérée. Alors le Sénat s’assembla, et chargea les tribuns militaires de négocier. Une conférence eut lieu entre le tribun militaire Quintus Sulpicius et Brennus, le chef des Celtes ; ils arrivèrent à un accord selon lequel fut fixée à mille livres d’or la rançon du peuple destiné à bientôt commander au monde. Cette humiliation était déjà suffisamment grande en elle-même, mais elle fut aggravée par l’ignoble avidité des Celtes, qui amenèrent de faux poids pour faire les comptes et quand le tribun protesta, cet odieux Celte [appelé Brennus] jeta son épée dans la balance, en proférant l’exclamation suivante si dure à supporter pour des oreilles romaines : « Malheur aux vaincus ! »
LIVRE VII. Les événements des années 366 à 342.
Chapitre IX.
Les consuls pour l’année suivante furent C. Sulpicius et C. Licinius Calvus. Ils reprirent les opérations contre les Herniques et envahirent leur territoire, mais ne trouvèrent point l’ennemi en campagne. Ils attaquèrent donc les villes et prirent Férentinum, une de leurs cités ; mais sur le chemin du retour, Tibur leur ferma ses portes.
Il y avait eu déjà de nombreuses plaintes des deux côtés, cette dernière provocation décida donc les Romains, au cas les féciaux échoueraient à obtenir réparation, à déclarer la guerre aux Tiburtins.
9
Il est généralement admis que cette année-là T. Quinctius Pennus fut nommé général en chef ayant les pleins pouvoirs, et Serv. Cornélius Maluginensis maître de la cavalerie. Macer Licinius affirme qu’il ne fut nommé par le consul qu’à cause des élections qui devaient avoir lieu, car comme son collègue hâtait les comices plutôt que d’entreprendre la guerre, de façon à pouvoir se maintenir au consulat ; il pensa préférable de déjouer ainsi son ambition personnelle. Le désir évident de Macer Licinius d’attribuer le mérite de cette action à sa maison (les Licinii) nuit beaucoup à son autorité en la matière. Comme je n’en trouve aucune mention dans nos plus anciennes annales, je suis enclin à croire que c’est la perspective d’une guerre contre les Celtes, qui fut la cause immédiate pour laquelle un général en chef ayant tous les pouvoirs fut nommé cette année-là.
Tous les événements qui eurent lieu cette année-là témoignent en effet que des Celtes campèrent sur la voie Salaria, environ à trois milles de la Cité, devant le pont enjambant l’Anio.
Devant cette incursion soudaine et menaçante, le général en chef ayant reçu tous les pouvoirs proclama donc le justitium (l’état d’urgence) et fit prêter le serment militaire à tout homme en âge de servir ; il sortit de la Cité avec une immense armée puis fixa son camp en deçà de l’Anio. Les deux partis avaient laissé le pont situé entre eux intact, afin que sa destruction ne puisse être interprétée comme étant due à la peur d’une attaque. Il y avait de fréquentes escarmouches pour sa possession, mais comme elles n’étaient pas décisives, le litige restait en suspens. Alors un Celte d’une extraordinaire stature s’avança sur le pont, puis en hurlant aussi fort qu’il le pouvait, s’écria : « Que le plus brave des Romains vienne ici et m’affronte, et que notre duel montre lequel des deux peuples l’emporte sur l’autre à la guerre ».
Chapitre X.
Un long silence s’ensuivit et les meilleurs ou les plus braves des Romains ne bronchèrent point : ils se sentaient honteux d’avoir l’air de décliner un tel défi, mais ils n’avaient guère envie non plus de s’exposer à un si terrible danger.
T. Manlius, le jeune homme qui avait protégé son père des persécutions du tribun, quitta son poste et aborda le général en chef ayant reçu tous les pouvoirs. « Général, sans un ordre de ta part, je ne quitterai jamais mon poste pour ce duel, même si je suis persuadé d’arriver à l’emporter ; mais si tu m’en donnes la permission, je vais faire voir à ce monstre qui parade si insolemment devant leurs lignes, que je suis un descendant de la famille qui a fait tomber une troupe entière de Celtes de la roche tarpéienne » […] Ses camarades l’aidèrent à s’armer ; il prit un bouclier d’infanterie, ainsi qu’une épée d’Espagne, plus adaptée au combat rapproché ; ensuite, dès qu’il fut armé comme il faut et bien équipé, ils le menèrent face au Celte qui exultait à cause de sa force brute et (même les Anciens ont pensé que c’était digne d’être noté) lui tirait la langue par dérision. Ensuite ils se retirèrent dans leurs postes et les deux champions armés furent laissés tout seuls au milieu, plus à la façon d’une scène de théâtre que conformément aux nécessités d’une guerre sérieuse ; qui plus est, à en juger par les apparences, en aucune façon assortis. L’un était une créature d’une taille gigantesque, resplendissant dans des habits multicolores et portant une armure peinte ou dorée ; l’autre un homme d’une taille moyenne, et dont les armes, plus utilitaires qu’ornementales, lui donnaient une apparence très ordinaire. Aucun chant de guerre, aucune gesticulation, de son côté ; il ne brandissait pas ses armes de façon idiote. La poitrine pleine de courage et de rage silencieuse, Manlius réservait au contraire toute sa férocité pour le moment du vrai combat. Dès qu’ils eurent pris position entre les deux lignes, et alors que tant de cœurs autour d’eux balançaient entre espoir et crainte, le Celte, comme une masse menaçant de tout écraser, tendit son bouclier de la main gauche afin de parer les coups de son adversaire, et lui asséna de grands coups d’épée. Le Romain esquiva les coups, et en repoussant le bas du bouclier du Celte avec le sien, se glissa dessous, tout contre le Celte, trop près de son corps pour que ce dernier puisse s’en prendre à lui avec son épée. Ensuite, en retournant son arme vers le haut, il lui en donna successivement deux coups avec la pointe, et poignarda ainsi le Celte au ventre ainsi qu’à l’aine, laissant son ennemi étendu au sol de tout son long. Il ne prit aucune dépouille au cadavre de son ennemi abattu devant lui, à l’exception du torque, qu’il passa, bien qu’encore dégoulinant de sang, autour de son propre cou. Étonnement et peur clouèrent sur place les Celtes. Les Romains, quant à eux, se précipitèrent hors de leurs lignes à la rencontre de leur héros, et au milieu des acclamations et des félicitations fusant de toutes parts, le conduisirent auprès du général en chef. Dans les vers de mirliton qu’ils improvisèrent en son honneur, ils l’appelèrent Torquatus, et ce sobriquet devint pour sa postérité un nom de famille [glorieux]. Le général en chef lui accorda une
10
couronne d’or, et devant toute l’armée réunie, évoqua sa victoire dans les termes les plus flatteurs.
Chapitre XXVI.
Alors que les Romains tuaient le temps aux avant-postes, un Celte gigantesque dans une splendide cuirasse s’avança vers eux, et leur lança un défi par le truchement d’un interprète : affronter n’importe quel Romain de leur choix en combat singulier. Il y avait un jeune tribun militaire, du nom de Marcus Valerius, qui se considérait non moins digne d’un tel honneur que T. Manlius l’avait été. Après avoir obtenu la permission du consul, il s’avança donc avec toutes ses armes au milieu du terrain découvert qui s’étendait entre les deux armées. Mais l’élément humain dans ce combat fut éclipsé par l’intervention directe des dieux, car à peine venaient-ils d’engager le combat qu’un corbeau se percha tout d’un coup sur son casque en faisant face son adversaire. Le tribun l’accepta donc avec joie, comme un augure venu du ciel, et pria le dieu ou la déesse qui lui avait envoyé cet oiseau servant à la divination de lui être favorable et de l’aider. Chose merveilleuse à relater, non seulement l’oiseau demeurait à sa place, sur le casque, mais à chaque fois qu’ils s’affrontaient, il prenait appui sur ses ailes et s’en prenait à la face et aux yeux du Celte, de son bec et de ses serres, jusqu’à ce que, terrifié à la vue d’un si mauvais présage, les yeux et l’esprit pareillement troublés, il tombe égorgé [par Valerius]. Ensuite en s’envolant vers l’orient, le corbeau disparut à l’horizon […] Le consul rassembla ses troupes pour le défilé de la victoire, puis, après avoir fait l’éloge de la conduite du tribun, lui accorda dix bœufs et une couronne en or. Puis, sur instructions reçues du Sénat, il entreprit une guerre maritime et joignit ses forces à celles du préteur. Les Grecs manquaient trop de courage pour prendre le risque d’un engagement général, et la guerre menaça donc de durer. Camille fut en conséquence autorisé par le Sénat romain à nommer T. Manlius Torquatus général en chef ayant tous pouvoirs, afin de faire procéder aux élections [comices]. Après avoir fait A. Cornelius Cossus maître de la cavalerie, le général en chef fit procéder aux élections (consulaires). Et Marcus Valerius Corvus (car tel était dorénavant son surnom), à l’âge de vingt-trois ans, fut donc élu au milieu des acclamations enthousiastes du peuple.
LIVRE X. Les événements des années 303 à 293.
Chapitre XXVII.
Après avoir traversé les Apennins, les consuls descendirent dans les environs de Sentinum et fixèrent leur camp à quatre milles de distance de l’ennemi. Les quatre nations se consultèrent afin de planifier leur action, et il fut décidé qu’ils ne constitueraient pas un seul camp, voire qu’ils n’iraient point à la guerre tous ensemble : les Celtes firent cause commune avec les Samnites, et les Ombriens avec les Étrusques. Ils décidèrent du jour de la bataille ; le choc du premier affrontement fut réservé aux Celtes et aux Samnites ; à mi-combat les Étrusques et les Ombriens devaient attaquer le camp romain. Ce plan fut déjoué par trois déserteurs, qui vinrent nuitamment et en secret trouver Fabius, puis lui révélèrent les desseins de l’ennemi. Ces hommes furent récompensés pour cette information et renvoyés chez l’ennemi afin de découvrir puis rapporter toutes les nouvelles décisions qu’ils pendraient. Les consuls firent parvenir des instructions écrites à Fulvius et à Postumius, afin qu’ils aillent avec leurs armées à Clusium, et ravagent le pays de l’ennemi, aussi loin qu’ils pourraient. La nouvelle de cette incursion fit partir les Étrusques de Sentinum pour protéger leur propre territoire. Après les avoir ainsi écartés, les consuls essayèrent par tous les moyens d’en venir à engagement avec les autres. Pendant deux jours, ils cherchèrent à provoquer l’ennemi afin de l’amener à se battre, mais durant ces deux jours-là, il ne se passa rien qui soit digne d’être mentionné : quelques hommes tombèrent de part et d’autre et cela suscita même assez d’exaspération pour que tous en viennent à désirer une bataille dans les règles, sans pour autant vouloir tout risquer dans un affrontement décisif. Le troisième jour cependant, toutes les forces des deux côtés descendirent dans la plaine. Alors que les deux armées se tenaient prêtes à engager la bataille, une biche pourchassée par un loup descendit de la montagne, et pénétra dans l’espace laissé libre entre les deux lignes ennemies, le loup à sa poursuite. Ensuite chacune des deux bêtes prit une direction opposée, la biche courut vers les Celtes, le loup vers les légions romaines. Un passage entre les rangs fut laissé au loup ; quant à la biche, les Celtes la criblèrent de traits. Sur ce, un soldat des premières lignes s’exclama : « Du côté vous voyez la créature consacrée à Diane gisant morte, fuite et massacre vont commencer ; par contre de ce côté-ci le loup, créature consacrée à Mars, resté sain et sauf, nous rappelle notre Fondateur, nous
11
rappelle que nous sommes aussi de la race de Mars ». Les Celtes se tenaient à droite, les Samnites à gauche. Quintus Fabius plaça la première et la troisième légion à l’aile droite, face aux Samnites ; pour affronter les Celtes, Decius avait la cinquième et la sixième légion ; qui formaient ainsi l’aile gauche romaine. La seconde et la quatrième légion étant alors engagées dans le Samnium avec le proconsul Lucius Volumnius. Au premier choc les armées furent si égales en force que, si les Étrusques et les Ombriens avaient été présents, que ce soit pour prendre part à la bataille ou pour attaquer le camp, alors les Romains auraient été défaits.
Chapitre XXVIII.
Mais bien qu’aucun côté n’ait obtenu l’avantage et que la Fortune n’ait pas encore indiqué à qui elle accorderait la victoire, le combat sur l’aile droite différait beaucoup de celui qui était mené sur l’aile gauche. Les Romains, sous le commandement de Fabius, étaient sur la défensive et cherchaient plutôt à faire durer l’affrontement, le plus longtemps possible. Leur commandant savait que la pratique habituelle, à la fois des Celtes et des Samnites, était d’attaquer furieusement pour commencer, donc que si on leur résistait avec succès, cela suffisait. Le courage des Samnites déclina au fur et à mesure que la bataille se poursuivait, quant aux Celtes, eux, incapables de supporter la chaleur ou la fatigue, ils voyaient leur force physique fondre. Dans leurs premiers efforts, ils étaient plus que des hommes ; à la fin ils étaient plus faibles que des femmes. Sachant cela, Fabius ménageait donc la force de ses hommes, dans l’attente du moment l’ennemi commencerait comme d’habitude à montrer des signes de fatigue. Decius quant à lui, étant plus jeune, ayant plus de vigueur d’esprit, montrait plus d’allant ; il recourut à toutes les forces dont il disposait en commençant, et comme l’assaut de l’infanterie se déroulait trop lentement à ses yeux, il fit appel à la cavalerie. Se plaçant lui-même à la tête d’un escadron de cavaliers particulièrement vaillants, il les exhorta, en tant qu’élite de son armée, à le suivre dans sa charge contre l’ennemi, car une double gloire leur appartiendrait si la victoire commençait par l’aile gauche, et dans cette aile gauche notamment grâce à la cavalerie. Par deux fois ils obligèrent la cavalerie celte à faire volte-face mais lors d’une troisième charge, ils se laissèrent emporter trop loin, et alors qu’ils combattaient au beau milieu des cavaliers adverses, ils furent déroutés par un nouveau genre de combat. Des hommes montés sur des chars de guerre et des chariots arrivèrent dans un bruit de chevaux et de roues, assourdissant ; les chevaux de la cavalerie romaine, guère habitués à ce genre de vacarme, prirent peur et s’affolèrent. La cavalerie, après deux charges victorieuses, fut donc dispersée par une peur panique, chevaux et hommes se renversant les uns les autres dans une fuite aveugle. Même les enseignes des légions se retrouvèrent dans la plus grande confusion, et nombre des hommes du premier rang furent écrasés par le poids des chevaux et des véhicules perçant leurs lignes. Quand les Celtes virent leur ennemi ainsi enfoncé, ils ne lui laissèrent pas un moment pour respirer ni un endroit se reprendre, mais poursuivirent en lançant une grande offensive. Decius hurlait en demandant à ses soldats est-ce qu’ils courraient, qu’est-ce qu’ils espéraient en se sauvant ainsi ; il essayait d’arrêter ceux qui étaient en train de fuir et de rappeler ses unités dispersées. Ne pouvant obtenir le résultat qu’il voulait, c’est-à-dire de mettre fin à cette panique, il invoque alors le nom de son père Publius Decius, et s’écrie : « Pourquoi retarder davantage le destin qui est celui de ma famille ? Le funeste privilège accordé à notre maison a toujours été celui de devoir offrir aux dieux une victime expiatoire dont le sacrifice écartera tout danger de l’État. Je vais donc maintenant vouer les légions ennemies et moi-même à Tellus et aux Mânes ». Ayant ainsi parlé, il ordonna au pontife Marcus Livius, auquel il avait demandé de rester, de lui dicter les formules au moyen desquelles il pourrait se dévouer lui-même et dévouer les légions ennemies, pour le salut de l’armée du peuple des Quirites romains. Il fut en conséquence voué à ces dieux, dans les mêmes termes et en portant la même tenue que son père Publius Decius, lors de la bataille de Veseris, durant la guerre latine. Après que les prières usuelles eurent été récitées, il lança la malédiction suivante : « Je fais se lever devant moi la terreur et la déroute, le carnage et le sang, ainsi que la colère de tous les dieux, ceux du ciel comme ceux de l’enfer. Je vais frapper les enseignes, les cuirasses ainsi que les armes, de l’ennemi, de terribles et multiples tourments, le lieu de ma mort verra également celle des Celtes et des Samnites ». Après avoir hurlé ces imprécations contre lui-même et contre l’ennemi donc, il poussa son cheval droit sur la première ligne celte, ils étaient les plus nombreux, puis plongea dedans et mourut accablé par leurs traits.
12
Chapitre XXIX.
La bataille sembla dès lors ne plus dépendre de forces uniquement humaines. Bien qu’ayant perdu leur chef, ce qui généralement démoralise une armée, les Romains s’arrêtèrent de fuir et reprirent la lutte. Les Celtes, et tout particulièrement ceux qui se pressaient autour du cadavre du consul, se mirent à lancer leurs traits au hasard et en vain, comme s’ils étaient devenus fous, certains semblaient même paralysés, incapables ni de se battre ni de fuir. Mais dans l’autre armée le pontife Livius, à qui Decius avait laissé ses licteurs, et auquel il avait donné l’ordre d’agir en tant que propréteur, annonçait à grands cris que la mort du consul avait libéré les Romains de tout danger, donc leur avait donné la victoire, que les Celtes et les Samnites appartenaient désormais à la Terre-Mère [Tellus] et aux Mânes ; que Decius appelait ou attirait à lui leur armée, qu’il avait dévouée avec sa propre personne, que la terreur régnait maintenant partout chez l’ennemi, et que les Furies les frappaient de folie. Alors que la bataille reprenait ainsi de plus belle, Lucius Cornelius Scipio et Caius Marcius reçurent l’ordre de Fabius de faire intervenir les réserves de l’arrière afin de renforcer les troupes de son collègue. Ils apprirent aussi le sort de Publius Decius, et ce fut pour eux une puissante incitation à tout tenter pour défendre la République. Les Celtes se tenaient en rangs serrés, protégés par leurs boucliers, le corps-à-corps ne semblait donc pas facile mais les officiers généraux (légats) donnèrent l’ordre de ramasser les javelines qui jonchaient le sol et de les lancer contre le mur de boucliers de l’ennemi. Bien que la plupart se soient plantés dedans, quelques-uns seulement dans leurs corps, les combattants de ces premiers rangs s’effondrèrent, la plupart d’entre eux d’ailleurs tombant sans avoir été blessés, comme s’ils avaient été frappés par la foudre. Tels furent donc les changements que la Fortune apporta sur l’aile gauche des Romains.
Sur l’aile droite […] les Samnites quant à eux ne soutinrent pas le choc et s’enfuirent précipitamment derrière les Celtes, en direction de leur camp, laissant ainsi leurs alliés se battre du mieux qu’ils pouvaient. Les Celtes se tenaient toujours en rangs serrés derrière leur mur de boucliers. Fabius, ayant aussi appris la mort de son collègue, ordonna donc à l’escadron de cavalerie campanien, fort d’environ 500 hommes, de se retirer de la mêlée, afin de les prendre à revers […] 25 000 ennemis furent tués ce jour-là et 8000 faits prisonniers. Mais cette victoire ne fut pas sans lourdes pertes humaines, car Publius Decius eut 7000 morts et Fabius 1700.
LIVRE XXI. Les événements des années 201 à 199.
Chapitre XX.
À ce moment-là un spectacle étrange et même effrayant s’offrit alors à leurs yeux. Les hommes vinrent au conseil tout armés, car telle était la coutume du pays. Quand les ambassadeurs, après avoir exalté le renom et le courage des Romains et la grandeur de leur empire, demandèrent aux Celtes de ne pas laisser les envahisseurs carthaginois traverser leurs champs ou leurs cités, il y eut de telles interruptions de séance et de tels éclats de rire de la part des jeunes gens, que les magistrats et les anciens eurent beaucoup de mal à ramener le calme. Tous ces jeunes étaient d’avis en effet que c’était bien la plus stupide et la plus incroyable demande à faire : que les Celtes, afin d’empêcher que la guerre passe en Italie, l’attirent sur eux-mêmes et, donc, exposent leurs propres terres au danger d’être ravagées à la place de celle d’un autre peuple. Après que le calme fut revenu, les envoyés furent officiellement informés par le Conseil que les Romains ne leur avaient pas rendu de service, ni les Carthaginois fait de tort, pour qu’ils prennent les armes aux côtés des Romains ou contre les Carthaginois. En outre, ils avaient entendu dire que des hommes de leur race étaient en train d’être expulsés d’Italie, obligés de payer un tribut à Rome, ou étaient l’objet de toutes sortes d’indignités. Les ambassadeurs romains essuyèrent le même genre de refus de la part de tous les autres conseils de Celtique, nulle part ils n’entendirent un mot aimable ni même plus ou moins en faveur de la paix, jusqu’à ce qu’ils atteignent Marseille.
LIVRE XXIII. Les événements des années 197 à 195.
Chapitre XXIV.
Alors que ces sujets absorbaient toute l’attention, un nouveau revers fut annoncé, car la Fortune accumulait cette année-là désastre après désastre. Il fut rapporté que L. Postumius, le consul élu, ainsi que toute son armée, avaient été anéantis en Celtique. Il existait là-bas une vaste forêt appelée par les Celtes Litana et le consul devait y faire passer son armée. Les Celtes coupèrent les arbres de chaque côté de la route, de telle sorte qu’ils restent debout aussi longtemps que rien ne les ébranlait, mais qu’une très légère impulsion puisse les faire
13
tomber. Postumius avait deux légions romaines avec lui, et il avait aussi levé à partir du pays qui borde la Mer Supérieure, des forces armées suffisamment importantes pour que le corps expéditionnaire à la tête duquel il entrait en territoire ennemi, s’élève à au moins 25 000 hommes. Les Celtes s’étaient postés à l’autre extrémité de la forêt ; dès que l’armée romaine y pénétra, ils poussèrent les arbres sciés à la base de ce côté-là, ces derniers tombèrent sur ceux qui les jouxtaient, qui étaient eux-mêmes chancelants et à peine capables de tenir debout ; jusqu’à ce que leur masse tout entière tombe ; en ensevelissant sous un même chaos les armes les hommes et les chevaux. C’est à peine si dix hommes en réchappèrent, car, alors que la plupart d’entre eux avaient péri écrasés sous les troncs ou les branches brisées, ceux qui restaient, paniqués par un désastre aussi peu attendu, furent tués par les Celtes qui cernaient la forêt. De tout ce grand nombre d’hommes seuls quelques-uns furent faits prisonniers ! Alors qu’ils essayaient d’atteindre un pont sur la rivière, ils furent interceptés par les Celtes qui s’en étaient rendus maîtres. C’est que tomba Postumius, alors qu’il combattait avec l’énergie du désespoir pour éviter d’être capturé. Les Boïens dépouillèrent son cadavre et lui coupèrent la tête, ensuite ils les portèrent en triomphe dans le plus sacré de leurs temples. Conformément à leur coutume, ils évidèrent soigneusement le crâne et le recouvrirent d’or. Il fut ensuite utilisé comme vase sacré pour les libations et aussi comme coupe par les prêtres et les ministres du culte affectés à ce temple. Le butin que les Celtes firent ce jour-là fut aussi grand que leur victoire, car bien que la plupart des animaux aient été ensevelis sous les arbres tombés à terre, ce qui restait des bagages n’ayant pas été dispersé au cours d’une fuite éperdue fut retrouvé sans peine, disséminé tout au long du chemin où gisait l’armée.
LIVRE XXXVIII. Les événements des années 189 à 187.
Chapitre XVII.
Comme c’était cet ennemi si redouté dans cette partie du monde, qui devait être affronté durant la guerre, le consul convoqua ses soldats et leur fit le discours suivant : « Je suis très conscient, soldats, du fait que de toutes les nations d’Asie, ce sont les Celtes qui ont la plus grande réputation militaire. Ce peuple féroce, après avoir erré en guerroyant dans le monde entier ou presque, a élu domicile parmi les plus douces et les plus pacifiques races humaines qui soient. Leur stature gigantesque, leurs longs cheveux roux, leurs larges boucliers, leurs épées si extraordinairement longues, leurs chants quand ils se lancent dans la bataille, voire leurs cris de guerre et leur trépignement [ululatus et tripudia], ainsi que le cliquetis horrible de leurs armes quand ils heurtent leurs boucliers, à la façon dont leurs pères le faisaient avant eux, tout semble combiné pour inspirer la terreur et l’horreur.
Chapitre XXI.
En combat rapproché, quand ils peuvent recevoir ou infliger des blessures, leur furie stimule alors leur courage, mais quand ils sont blessés par des projectiles lancés de loin, par un ennemi invisible, et qu’il n’y a personne contre qui diriger leur charge aveugle, alors ils se ruent contre leurs propres camarades, telles des bêtes sauvages rendues folles de douleur par une multitude de blessures. Leur habitude de toujours combattre nu rend leurs blessures plus visibles, et leurs corps sont blancs et charnus, puisqu’ils ne les découvrent jamais, hormis dans les batailles. Et par conséquent plus de sang donc s’en échappe ! Les plaies ouvertes apparaissent alors plus horribles, et la blancheur de leurs corps souligne les taches de sang devenu brun. Les plaies béantes de toute façon ne les troublent guère ! Quand il s’agit d’une contusion superficielle plutôt que d’une profonde blessure, certains s’entaillent même la peau, afin d’en tirer une plus grande gloire. Mais quand la pointe d’une flèche a pénétré leur chair, ou que s’y est enfoncée une balle de fronde en plomb, qui les torture ensuite avec ce qui semble être une blessure légère, mais déjouant tous leurs efforts pour s’en débarrasser, alors ils se roulent par terre, honteux et furieux qu’une aussi petite blessure puisse menacer de s’avérer fatale pour eux.
LIVRE XXXIX. Les événements des années 187 à 183.
Chapitre XLV.
Lucius Julius reçut l’ordre de hâter son départ. Les Celtes transalpins, comme il a été dit plus haut, ayant pénétré en Italie par un col jusque-là inconnu, étaient en train de bâtir une ville sur le territoire qui appartient aujourd’hui à la ville d’Aquilée. Le préteur avait comme instruction de s’y opposer.
14
POLYBE (environ –200 –118 avant notre ère).
Historien grec, homme d’État et général. Ci-dessous ce que l’on peut lire dans ses Histoires.
LIVRE I.
Chapitre VI.
C’était la dix-neuvième année après la bataille navale d’Aigos Potamos, la seizième avant la bataille de Leuctres ; l’année les Lacédémoniens conclurent ce qui est appelé la paix d’Antalcidas avec le roi de Perse ; l’année Denys l’Ancien assiégea Rhegium après avoir battu les Grecs d’Italie sur les bords de l’Elléporos ; et l’année durant laquelle les Celtes prirent Rome de vive force puis en occupèrent la totalité, à l’exception du Capitole. Avec lesdits Celtes les Romains conclurent un traité ou un accord qu’ils furent contraints d’accepter…
Chapitre LXXXIV.
15
Finalement il parvint inopinément à les cerner en un lieu aussi hautement défavorable pour eux qu’il convenait à ses propres forces à lui, et il les réduisit à une situation si désespérée qu’ils ne s’aventuraient plus à risquer un engagement, mais n’étaient pas en mesure de fuir pour autant, car ils étaient entourés par un fossé ainsi que par des palissades. Ils furent donc en dernière extrémité contraints par la faim à se nourrir les uns des autres : un juste retour des choses de la part de la Providence pour leur violation de toutes les lois humaines et divines en ce qui concerne la conduite à tenir envers l’ennemi.
Chapitre LXXXV.
Mais quand ils eurent épuisé en tant que nourriture les prisonniers, en recourant à une telle horreur, ainsi que les corps de leurs esclaves, et qu’il n’y avait toujours personne pour venir à leur secours de Tunis, leur souffrance devint alors impossible à supporter : les simples soldats en vinrent même à menacer ouvertement leurs officiers. Autarite, Zarcas et Spendius, décidèrent par conséquent de s’en remettre à leur ennemi et d’entrer en pourparlers avec Hamilcar afin d’arriver à un accord.
LIVRE II.
Chapitre XIII.
Voyant qu’il renforçait l’influence carthaginoise en Espagne, ce qui la rendait toujours plus redoutable, les Romains se préoccupèrent alors d’intervenir dans la politique de ce pays. Et ils découvrirent, comme ils le craignaient, qu’ils avaient laissé leur vigilance s’endormir à son sujet afin de souffler un peu, et avaient ainsi pendant ce temps-là donné aux Carthaginois l’occasion de consolider leur pouvoir. Ils ne s’aventurèrent pas néanmoins, sur le moment, à leur imposer des restrictions ou à leur faire la guerre, car ils craignaient presque tous les jours une attaque des Celtes. Ils préférèrent amadouer Hasdrubal par des mesures bénéfiques pour lui et se libérer d’abord de la menace des attaques celtes, en essayant d’en finir avec eux, car ils étaient convaincus qu’avec de tels ennemis sur leur flanc, ils ne seraient pas en mesure de maintenir leur emprise sur le reste de l’Italie, ni même d’assurer la sécurité de leur propre cité. En conséquence, tout en envoyant des ambassadeurs auprès d’Hasdrubal, et en signant avec lui un traité qui, sans rien dire du reste de l’Espagne, interdisait seulement aux Carthaginois de franchir l’Èbre en armes, ils poussèrent à la guerre contre les Celtes d’Italie.
Chapitre XIV.
De cette guerre elle-même je traiterai sommairement, afin d’éviter de rompre le fil de mon histoire ; mais je dois néanmoins remonter quelque peu dans le temps pour cela, et dire deux mots de la période durant laquelle ces tribus occupèrent à l’origine cette région d’Italie. Car je pense que son histoire mérite d’être connue, et doit donc être gardée présente à l’esprit si nous souhaitons comprendre sur quelles tribus et quelles régions Hannibal compta pour l’assister dans son audacieux dessein de détruire l’Empire romain. En premier lieu je décrirai le pays dans lequel ils vivent, sa nature, ainsi que sa relation avec le reste de l’Italie ; car si nous comprenons bien ses particularités, géographiques et naturelles, nous pourrons alors mieux saisir les points saillants de l’histoire de cette guerre […] Au sud de cette chaîne montagneuse, que nous devons, ainsi que je l’ai dit, regarder comme la base du triangle, il y a la plus septentrionale plaine d’Italie, la plus large et la plus fertile de toutes celles dont j’ai eu à connaître en Europe. Telle est la région concernée. Pris dans son ensemble, cela forme encore un triangle, dont le sommet serait le point les Apennins et les Alpes convergent, au-dessus de Marseille, non loin des côtes de la mer de Sardaigne. Le côté nord de ce triangle est formé par les Alpes, il a une longueur de 2200 stades ; le côté sud par les Apennins qui mesurent 3600 stades ; et la base en est la côte de l’Adriatique, de la ville de Sena jusqu’au fond du golfe : elle fait plus de 2500 stades. La longueur totale des trois côtés fait donc presque 10 000 stades.
Chapitre XV.
Le rendement du blé dans cette région est tellement élevé qu’il se trouve souvent vendu quatre oboles le médimne sicilien, le médimne d’orge est vendu deux oboles, et une mesure d’orge vaut une mesure de vin. La quantité de panic et de millet [des oiseaux] récoltée s’avère extraordinaire et la quantité de glands produits par les forêts de chênes du pays peut être déduite du fait que, bien qu’il n’y ait nulle part ailleurs qu’en Italie plus de porcs abattus pour
16
les sacrifices aussi bien que pour un usage familial, voire pour nourrir l’armée, l’approvisionnement de loin le plus important pour ce qui est de cette viande, est assuré par ces plaines. Le vil prix et l’abondance de la nourriture sont clairement montrés par le fait que les voyageurs, dans ces contrées, quand ils s’arrêtent dans une auberge, ne demandent pas de plats particuliers, mais simplement combien par tête pour la pension. Et la plupart du temps les aubergistes fournissent à leurs clients tout le nécessaire pour un prix excédant rarement la moitié d’un as (c’est-à-dire le quart d’une obole) par jour. Quant au nombre, à la stature, et à la beauté des habitants, voire plus encore quant à leur bravoure à la guerre, les faits marquants de leur histoire nous le démontreront à satiété.
Chapitre XVI.
Les parties des versants des Alpes qui ne sont pas trop rocheuses ou trop abruptes sont habitées par différentes tribus ; ceux au nord qui sont tournés vers le Rhône par les Celtes appelés transalpins ; ceux qui sont tournés vers les plaines italiennes par les Taurisques, les Agons, et nombre d’autres tribus barbares. Le nom de Transalpins n’est pas un nom de tribu, mais un nom de localisation géographique, venant du préfixe latin trans signifiant « au-delà ».
La distance entre les Apennins et les rivages de l’Adriatique fait en moyenne cinq cents stades ; et quand elle quitte les plaines du Nord, cette chaîne de montagnes s’infléchit vers la droite, puis traverse par le milieu tout le reste de l’Italie, pour finir non loin de la mer de Sicile. La partie restante de ce triangle, c’est-à-dire la plaine le long de la côte, s’étend jusqu’à la ville de Sena. Le Pô, célébré par les poètes sous le nom d’Éridan, prend sa source dans les Alpes près du sommet de ce triangle, et descend dans la plaine par un cours orienté au le sud mais après avoir atteint les plaines, il tourne vers l’est, et en s’écoulant à travers elles se décharge dans l’Adriatique par deux embouchures différentes. La plus grande partie de cette plaine est donc délimitée par lui, et s’étend ainsi entre le cours de ce fleuve et les Alpes jusqu’au fond du golfe Adriatique. En ce qui concerne le débit de ce fleuve, il n’arrive derrière aucune autre rivière en Italie, à cause des torrents de montagne, descendant des Alpes et des Apennins, les uns et les autres se jettent en lui d’un côté ou de l’autre. Son cours est au plus haut et dans toute sa beauté à l’époque du lever de l’Étoile du Chien [Sirius], car il est alors alimenté par la fonte des neiges sur ces montagnes. Il est navigable sur près de deux mille stades à partir de la mer. Les bateaux entrent par l’embouchure du fleuve appelée Olana ; bien qu’il n’ait qu’un lit pour commencer, il se divise en deux branches, arrivé au pays des Trigaboles : des deux cours d’eau, celui du nord est appelé Padoa, celui du sud Olana. il y a un port qui fournit un mouillage plus sûr qu’aucun autre dans l’Adriatique. L’ensemble du fleuve est appelé Bodincus (Bodencus) par les gens du pays. Quant à toutes ces histoires qui courent chez les Grecs à propos de ce fleuve (je veux dire Phaéton et sa chute, les larmes des peupliers ainsi que les vêtements noirs de ceux qui habitent sur ses rives, qui de nos jours encore passent pour porter le deuil de Phaéton), je les omettrai pour l’instant, car elles ne conviennent guère au genre de travail que j’ai entrepris. Mais j’y reviendrai lors d’une meilleure occasion, en particulier à cause de l’étrange ignorance dont a fait preuve Timée à propos de cette région.
Chapitre XVII.
Je continue ma description. Ces plaines étaient anciennement habitées par les Étrusques, à l’époque ils occupaient aussi ce que l’on appelle les Champs phlégréens autour de Capoue et de Noles ; qui jouirent plus tard de la meilleure des réputations du monde, car ils sont d’un accès facile et connus pour cela. C’est pourquoi, quand on parle de l’histoire de l’empire étrusque, on ne doit donc pas se référer uniquement à la région occupée par eux actuellement, mais à ces plaines du Nord, ainsi qu’à ce qu’ils y faisaient quand ils y habitaient. Leurs principaux rapports de voisinage étaient avec les Celtes, car ils occupaient des régions contiguës ; des Celtes qui, enviant la beauté de leurs terres, saisirent le premier prétexte venu pour rassembler une armée puis expulser les Étrusques de la vallée du Pô, dont ils prirent possession. La contrée proche de la source du fut occupée par les Lèves (Lai) et les Lébéciens (Libuens ?) après eux vinrent les Insubres, la plus grande de toutes ces tribus ; et après eux encore, en aval le long du fleuve, les Cénomans. Mais la zone le long du rivage de l’Adriatique est occupée par une autre très ancienne tribu appelée Vénètes, apparentée de près aux Celtes pour ce qui est des coutumes et de l’habillement, mais usant d’une langue très différente. À leur sujet les poètes ont écrit un grand nombre d’histoires merveilleuses. Au sud du Pô, du côté des Apennins, d’abord vinrent de l’ouest les Ananes, puis les Boïens. Ensuite
17
sur la côte de l’Adriatique, les Lingons, et au sud de ces derniers, toujours le long du littoral, les Sénons. Telles sont donc les plus importantes tribus qui prirent possession de cette partie de la péninsule. Ils vivaient dans des villages ouverts, et sans constructions en dur. Comme ils dormaient sur des litières faites de paille ou de feuilles, mangeaient de la viande, et n’avaient d’autres buts que ceux de la guerre et de l’agriculture, ils menaient donc une vie très simple, ignorant les sciences et les arts. Les biens de chacun consistaient en troupeaux et en or ; puisque c’étaient les seules richesses qu’ils pouvaient facilement transporter avec eux, lorsqu’ils allaient d’un lieu à un autre, et changeaient de demeure suivant leur humeur. Ils faisaient cependant grand cas de l’amitié, car l’homme qui avait le plus grand nombre de clients ou de compagnons lors de ses pérégrinations était regardé comme le plus redoutable et le plus puissant membre de sa tribu.
Chapitre XVIII.
Les premiers temps de leur établissement, ils ne firent pas que soumettre le territoire qu’ils avaient occupé, mais assujettirent aussi beaucoup des peuples avoisinants, qu’ils terrorisaient par leur audace. Quelque temps après, ils vainquirent les Romains en bataille rangée, poursuivirent les légions en déroute, puis trois jours après investirent Rome elle-même à l’exception du Capitole. Mais les circonstances, c’est-à-dire une invasion de leur territoire par les Vénètes, firent qu’ils durent rentrer chez eux. Par conséquent, ils conclurent un traité avec les Romains, leur rendirent la cité, puis s’en retournèrent dans leur propre pays, et subséquemment furent occupés par diverses guerres entre eux. Quelques-unes des tribus, qui habitaient dans les Alpes, comparant leur propre territoire aride aux riches terres qu’ils occupaient, lançaient continuellement des expéditions contre eux, et rassemblaient toujours des forces pour les attaquer…
Chapitre XXI.
La cinquième année après cette alarme, durant le consulat de Marcus Émilius Lépidus, les Romains partagèrent entre leurs citoyens les terres du Picenum, d’où ils avaient chassé les Sénons après en avoir triomphé : une mesure « démocratique » introduite par Gaius Flaminius, mais une politique que nous devons considérer comme la première étape dans la corruption des mœurs du peuple, aussi bien que la cause de la guerre suivante avec les Celtes. Car nombre d’entre eux, et tout spécialement les Boïens, dont les terres étaient limitrophes du territoire romain, entrèrent dans ce conflit convaincus que l’objectif de Rome dans toutes ces guerres n’était plus d’avoir la suprématie et l’empire sur eux, mais leur expulsion et leur anéantissement.
Chapitre XXII.
Les deux plus importantes tribus, les Insubres et les Boïens, firent donc cause commune pour envoyer des messagers aux tribus vivant aux environs des Alpes ainsi que sur le Rhône, et qui sont appelées Gésates, d’un mot qui signifie « service militaire moyennant solde ». À leurs rois Concolitan et Anéroeste, ils offrirent une somme considérable, et pour le reste lui firent miroiter l’immensité de la prospérité de Rome, ainsi que toutes les richesses dont il entrerait en possession, s’il la prenait. Ils réussirent aisément à enflammer leur cupidité puis à les entraîner à se joindre à une expédition contre Rome. Car ils ajoutèrent aux arguments précédents des promesses d’alliance avec eux ; et leur rappelèrent la campagne victorieuse menée par leurs propres ancêtres durant laquelle ils s’étaient emparés de Rome elle-même, s’étaient rendus maîtres de tout ce qu’elle recélait, aussi bien que de la ville, pendant sept mois ; et l’avaient enfin évacuée, de leur plein gré, en la rendant aux Romains, par un effet de leur bon vouloir, en revenant invaincus, sains et saufs, chargés de butin, dans leur propre pays. Ces arguments rendirent les deux chefs si favorables à cette expédition, qu’il ne sortit jamais de cette partie du Celticum une plus grande armée ni une composée de guerriers plus redoutables. Pendant ce temps-là, les Romains, qui étaient informés de ce qui se tramait, que ce soit par des rapports ou par simple conjecture, étaient plongés dans un tel état d’alarme permanente et de fébrilité, qu’ils enrôlèrent à la hâte des légions, firent des provisions, et envoyèrent leurs forces vers la frontière comme si l’ennemi avait déjà pénétré sur leur territoire, avant même que les Celtes n’aient opéré le moindre mouvement hors de leurs propres pays. Ce fut ce mouvement des Celtes qui, plus que n’importe quoi d’autre, aida les Carthaginois d’Ibérie à consolider leur pouvoir. Car les Romains, comme je l’ai dit, considéraient la menace celtique comme étant la
18
plus urgente des deux et se contraignirent à fermer les yeux sur ce qui se passait en Ibérie, soucieux qu’ils étaient de s’y préparer de façon satisfaisante. Ayant donc fait repartir d’un bon pied leurs relations avec les Carthaginois par ce traité avec Hasdrubal, dont j’ai parlé un peu plus haut, ils accordèrent alors toute leur attention à cette guerre contre les Celtes, convaincus que leur intérêt bien compris exigeait qu’une bataille décisive soit livrée contre eux.
Chapitre XXIII.
Les Gésates ayant rassemblé toutes leurs forces franchirent les Alpes et descendirent dans la vallée du avec une formidable armée, bien équipée, la huitième année suivant la distribution des terres du Picenum. Les Insubres et les Boïens restèrent fidèles aux engagements qu’ils avaient conclus avec eux, mais les Vénètes et les Cénomans ayant été circonvenus par des ambassades venues de Rome, les rois celtes furent obligés de laisser une partie de leurs forces derrière eux, afin de se garder d’une invasion de leur territoire par ces tribus. Ils partirent eux-mêmes, avec leur principale armée, forte de cinquante mille fantassins et vingt mille hommes à cheval ou montés sur des chars de guerre, et marchèrent sur l’Étrurie, hardiment. Dès qu’il fut connu à Rome que les Celtes avaient franchi les Alpes, un des consuls, Lucius Émilius Papus, fut envoyé avec une armée vers Ariminum pour leur barrer le passage, et un des préteurs en Étrurie ; car l’autre consul, Gaius Atilius Regulus, se trouvait alors en Sardaigne avec ses légions. À Rome, c’était la terreur générale, on croyait le danger immense et formidable ; car l’antique peur panique des Celtes n’était jamais sortie des esprits. N’ayant de pensée pour rien d’autre, ils s’occupaient sans cesse à mobiliser les légions, voire à en lever de nouvelles, à ordonner à tels ou tels de leurs alliés de se tenir prêts à intervenir. Leurs magistrats reçurent l’ordre de fournir la liste de tous les citoyens en âge de porter les armes afin qu’il soit possible de connaître à tout instant à combien se montait le total des forces disponibles. On accumula tant de réserves de blé, d’armes, ou d’autres équipements militaires, que personne ne se rappelait en avoir vu autant. De tous côtés, on s’empressait de leur fournir de l’aide ; car pour les Italiens terrorisés à l’annonce de cette nouvelle invasion celtique, il n’était plus question d’alliance avec Rome, ou de guerre pour soutenir la suprématie romaine : chacun la regardait comme un danger le menaçant lui-même, menaçant sa propre cité ainsi que son territoire. Leur réponse à l’appel à l’aide romain fut donc immédiate.
Chapitre XXV.
Il y aura d’autres occasions de traiter le sujet plus en détail, mais pour l’instant, je dois revenir aux Celtes. Ayant pénétré en Étrurie, ces derniers commencèrent d’avancer à travers le pays, le dévastant comme bon leur semblait, sans rencontrer d’opposition ; finalement ils dirigèrent leur marche contre Rome elle-même. Mais quand leur camp fut installé sous les murs de Cluses, à trois jours de marche de Rome, des nouvelles leur apprirent que les forces romaines qui étaient en Étrurie suivaient leur arrière-garde et qu’elles étaient très proches ; ils revinrent donc sur leurs pas pour les affronter, impatients de livrer bataille. Les deux armées arrivèrent en vue l’une de l’autre un peu avant le coucher du soleil, et campèrent pour la nuit, séparées seulement par une courte distance. Mais quand la nuit tomba, les Celtes allumèrent leurs feux de camp puis laissant leurs cavaliers sur place, mais avec l’ordre, dès que la lumière du jour les aurait rendus visibles, de les suivre par la même route ; ils battirent en retraite dans le plus grand secret en suivant la route qui conduit jusqu’à Fiesole ; et prirent position en ce lieu afin de pouvoir, dès qu’ils auraient été rejoints par leur cavalerie, passer à l’attaque. En conséquence de quoi, quand au lever du jour, les Romains virent que la cavalerie était restée seule, ils crurent que les Celtes avaient fui, et se précipitèrent à la poursuite des cavaliers mais quand ils approchèrent du lieu l’ennemi avait fait halte, les Celtes quittèrent alors soudainement leur position et tombèrent sur eux. La lutte fut pour commencer soutenue avec furie des deux côtés, mais le courage et la supériorité numérique des Celtes finirent par leur donner la victoire. Pas moins de six mille Romains tombèrent, et le reste prit la fuite, mais la plupart d’entre eux se frayèrent un chemin vers une hauteur sûre et s’y établirent. La première idée des Celtes fut d’en faire le siège, mais ils étaient trop épuisés par leur précédente nuit de marche, et par toutes les souffrances ou fatigues de la journée ; ils laissèrent par conséquent un détachement de cavalerie monter la garde autour de la colline, et s’accordèrent un peu de repos, préférant donc remettre au lendemain l’assaut final contre les fuyards, s’ils ne se rendaient pas d’eux-mêmes auparavant volontairement.
19
Chapitre XXVI.
Mais pendant ce temps, Lucius Émilius, qui avait pris position sur la côte de l’Adriatique, devant Ariminum, informé que les Celtes avaient pénétré en Étrurie et approchaient de Rome, vint à la rescousse et après une prompte marche forcée arriva sur place juste au moment critique. Il installa son camp non loin de l’ennemi et les fuyards réfugiés sur la colline, apercevant ses feux de camp, comprenant ce qui se passait, reprirent immédiatement courage. Ils envoyèrent quelques-uns de leurs hommes sans arme se frayer un chemin au travers de la forêt afin de rapporter au consul, ce qui était arrivé. Ces nouvelles conduisirent le consul à estimer qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’attaquer. Il ordonna donc aux tribuns de se mettre en marche à la tête de l’infanterie dès le lever du jour, pendant que lui, ayant pris le commandement de la cavalerie, faisait route vers la colline. Les chefs celtes eux aussi avaient aperçu ses feux de camp, et donc compris qu’un nouvel ennemi était arrivé ; ils tinrent par conséquent immédiatement conseil. L’avis du prince Anéroeste fut que « vu le montant total du butin qu’ils avaient fait (une quantité incalculable en effet de captifs, de bestiaux et d’autres dépouilles) ils feraient mieux de ne pas courir le risque d’un autre engagement général, mais de rentrer dans leurs foyers en toute sécurité pour ensuite, après avoir disposé de ce butin, et s’être affranchi de son poids, revenir, s’ils le jugeaient bon, lancer une autre grande expédition sur Rome ». Ayant résolu de suivre l’avis d’Anéroeste, les chefs interrompirent ce conseil nocturne, et levèrent le camp avant l’aube, puis marchèrent à travers l’Étrurie par la route qui suit la côte du golfe ligure. Pendant ce temps-là, Emilius, ayant opéré sa jonction avec le reste de l’armée réfugié sur la colline, et l’ayant réuni à ses propres forces, estima qu’il ne serait en aucune façon avantageux pour lui de livrer une bataille rangée mais qu’il serait préférable de rester sur les talons de l’ennemi, en cherchant l’occasion et le lieu favorable pour lui infliger des pertes, ou lui arracher des mains une partie du butin.
Chapitre XXVII.
Ce fut juste à ce moment-là que le consul Caius Atilius, qui était revenu de Sardaigne avec ses légions, et avait débarqué à Pise, se mit en route pour Rome et, donc, lui et l’ennemi avancèrent sans le savoir à la rencontre l’un de l’autre. Quand les Celtes furent arrivés à Télamon en Étrurie, leur avant-garde tomba sur celle de Gaius Atilius. Ses hommes ayant été faits prisonniers, ils informèrent le consul sur ce qui était advenu, et lui apprirent donc notamment que deux armées se trouvaient dans les parages : celle des Celtes et celle de Lucius sur leurs talons. Bien que quelque peu décontenancé par les événements, Gaius Atilius considéra la situation comme une chance quand il réalisa que les Celtes en fait faisaient route entre deux armées hostiles. Il ordonna donc à ses tribuns de mettre les légions en ordre de marche et d’avancer au pas, mais de front, autant que la largeur du terrain le permettait. Lui-même, ayant repéré une hauteur qui commandait la route, et sous laquelle les Celtes devaient passer, il prit sa cavalerie et se hâta d’occuper cette éminence, afin d’engager la bataille en personne ; convaincu que grâce à cela c’est surtout lui que l’on créditerait de cette action d’éclat. Au début les Celtes, ne sachant rien de l’arrivée de Gaius Atilius, mais supposant de ce qu’ils voyaient se mettre en place, que la cavalerie d’Émilius les avait dépassés dans la nuit, et occupait les points stratégiques situés à l’avant-garde de leur route, détachèrent immédiatement de la cavalerie et de l’infanterie légère à eux pour lui disputer la possession de cette hauteur. Mais apprenant peu après la présence de Gaius Atilius, de la bouche d’un prisonnier, ils mirent en toute hâte leur infanterie en position, et placée de manière à pouvoir faire front dans deux directions opposées, c’est-à-dire vers l’avant et vers l’arrière. Car ils savaient bien qu’il y avait une armée à leurs trousses, et même qui les avait rattrapés, pensaient-ils ; et déduisaient de ce qu’ils avaient pu observer qu’ils allaient devoir en affronter une autre devant eux.
Chapitre XXVIII.
Emilius avait entendu parler du débarquement des légions à Pise, mais il ne s’attendait nullement à ce qu’elles soient déjà parvenues jusque-là, le combat engagé du côté de la colline lui montra donc que les deux armées se trouvaient désormais très proches l’une de l’autre. Il envoya donc immédiatement sa cavalerie soutenir le combat livré pour la possession de cette colline, pendant qu’il déployait son infanterie selon l’ordre habituel, et il avança pour attaquer l’ennemi qui barrait son chemin. Les Celtes, eux, avaient posté la tribu alpine des Gésates pour faire face à l’ennemi sur leurs arrières, et après eux les Insubres. En tête, ils avaient placé les Taurisques, et la tribu cispadane des Boïens, pour affronter les légions de Gaius Atilius. Leurs
20
chariots et leurs chars de guerre furent placés à l’extrémité de chacune des ailes, et le butin placé sur une des collines qui bordaient la route, sous bonne garde. Cette armée celte était ainsi comme à double face, et la disposition de leurs forces était aussi efficace que calculée pour inspirer la terreur. Les Insubres et les Boïens étaient vêtus de leurs braies (grec anaxyrides) ainsi que de légers sayons (grec sagon) ; les Gésates, par vanité ou bravade, avaient jeté leurs vêtements, et formaient le premier rang, complètement nus, sans rien d’autre que leurs armes ; croyant sans doute que, comme le terrain était en partie encombré de ronces, qui pourraient se prendre dans leurs vêtements et empêcher l’utilisation de leurs armes, ils seraient ainsi plus efficaces. Pour commencer, le seul combat mené fut celui qui se trouvait livré pour la possession de la colline et le grand nombre de cavaliers venus des trois armées qui s’y mêlèrent le rendit manifeste à la vue de tous. C’est au beau milieu de cette mêlée que tomba le consul Gaius Atilius, en combattant avec une folle bravoure au beau milieu de la bataille, et sa tête fut amenée au roi des Celtes. Les cavaliers romains cependant continuèrent la lutte et finalement gardèrent la position en venant à bout de leurs adversaires. Ensuite les fantassins en vinrent au combat rapproché.
Chapitre XXIX.
Ce fut sûrement une très particulière et très surprenante bataille pour ses témoins oculaires, et à peine moins pour ceux qui en entendirent seulement une description. Une telle bataille, pour commencer, dans laquelle trois armées distinctes sont engagées, devait se présenter sous un aspect inhabituel, voire étrange, et dut être livrée en conséquence. Ensuite, il devait sembler difficile à un spectateur de savoir si la position des Celtes était la plus dangereuse que l’on puisse concevoir, étant pris entre deux forces ennemies qui les attaquaient, ou au contraire la plus favorable, puisque leur permettant d’affronter deux armées à la fois ; étant donné que leur double dispositif offrait un soutien mutuel à chacun ; et par-dessus tout, mettait toute retraite hors de question, ainsi que tout espoir de s’en sortir indemne, sauf en cas de victoire. Car tel est l’avantage particulier d’une armée faisant front dans deux directions opposées. Les Romains, d’un autre côté, bien qu’encouragés par la chance d’avoir leur ennemi pris entre deux de leurs armées, se trouvaient en même temps épouvantés par les ornements et la clameur de cette multitude de Celtes. Car il y avait parmi eux un nombre incalculable de cors et de trompettes, dans lesquels ils soufflaient simultanément et de toutes parts dans leur armée. Leurs cris étaient si forts et perçants, que le bruit ne semblait pas venir seulement des trompettes et des voix humaines, mais aussi de toute la campagne environnante à la fois. Non moins terrifiants étaient l’apparence et les mouvements rapides de ces guerriers nus placés au premier rang, qui montraient des hommes à l’apogée de leur force et de leur beauté. Tous ces guerriers des premiers rangs étaient richement ornés de colliers ainsi que de bracelets en or. Un tel spectacle terrifiait les Romains mais l’espoir qu’il leur donnait en même temps, d’une victoire riche en butin, redoublait leur ardeur au combat.
Chapitre XXX.
Quand les hommes armés du pilum s’avancèrent hors des premiers rangs, conformément à la méthode de guerre habituelle des Romains, et lancèrent une première et meurtrière volée de javelots, les rangs arrière des Celtes trouvèrent leurs sayons (sagon) et leurs braies (anaxyrides) bien utiles pour s’en protéger quelque peu mais pour les hommes nus des premiers rangs, ce mode d’attaque inattendu fut des plus malheureux. Car les boucliers celtes n’étaient pas suffisamment larges pour couvrir l’homme tout entier, donc plus grand était le corps nu, plus il était certain qu’il serait blessé par un pilum. Et à la fin, se trouvant dans l’incapacité de riposter, puisque les lanceurs de pilum étaient hors d’atteinte, mais que la grêle de leurs traits continuait de tomber, certains d’entre eux, au comble de la détresse et de l’impuissance, se jetèrent alors sur l’ennemi avec le courage du désespoir et une violence aveugle, se donnant ainsi volontairement la mort ; tandis que les autres cédaient du terrain en reculant pas à pas vers leurs camarades, semant la confusion dans leurs rangs par cet aveu de leur panique. C’est ainsi que le courage des Gésates se brisa face à cette attaque préliminaire à coups de pilum. Mais quand les lanceurs de javelot romains se replièrent sur leurs rangs, et que la ligne romaine tout entière chargea, les Insubres, les Boïens, et les Taurisques, soutinrent l’attaque, et menèrent un combat au corps-à-corps désespéré. Les boucliers ainsi que les épées des premiers s’avéraient manifestement supérieurs pour ce qui est de la défense et de l’attaque, alors que les épées celtes qui ne pouvaient frapper que d’un
21
coup de taille [en grec : tên de Galaticên cataphoran echin monon], ne se s’avéraient pas très fiables. Et quand les cavaliers romains les chargèrent en descendant de la colline située sur leur flanc, les attaquant ainsi vigoureusement, l’infanterie celte fut taillée en pièces sur place, alors que leur cavalerie faisait volte-face et prenait la fuite.
Chapitre XXXI.
40 000 d’entre eux furent tués sur place, et presque 10 000 faits prisonniers, parmi lesquels un de leurs rois, Concolitan ; l’autre, Anéroestes, ayant pris la fuite avec une poignée des hommes de sa suite, se joignit à quelques-uns des siens dans leur recherche d’un lieu sûr, et une fois là mit fin à sa vie…
Chapitre XXXII.
Les consuls de l’année suivante, Publius Furius Philus et Caius Faminius, envahirent une fois de plus les terres celtiques, en passant par le pays des Anamares, qui vivaient non loin de Plaisance. Ayant renforcé leurs liens d’amitié avec cette tribu, ils pénètrent dans le pays des Insubres, près du confluent de l’Adda et du Pô. Ils subirent quelques attaques de la part de l’ennemi, alors qu’ils étaient en train de traverser la rivière, et qu’ils montaient leur camp, aussi, après n’être restés que très peu de temps, ils conclurent un traité avec les Insubres et quittèrent leur pays. Après une marche de contournement qui dura plusieurs jours, ils traversèrent le Cluson et pénétrèrent sur le territoire des Cénomans. Comme ce peuple était l’allié de Rome, ils renforcèrent leur armée de quelques-uns de leurs hommes, avec lesquels ils descendirent une fois de plus des régions alpines pour fondre sur les plaines appartenant aux Insubres, et commencèrent à dévaster leur pays ainsi qu’à piller leurs demeures. Les chefs insubres, voyant que rien ne pourrait fléchir la détermination des Romains à les détruire, décidèrent qu’ils feraient mieux de tenter leur chance en risquant le tout pour le tout dans une grande et décisive bataille. Ils rassemblèrent donc toutes leurs forces, retirèrent du temple de Minerve les enseignes d’or qu’ils appelaient « les inamovibles » puis, ayant fait tous les autres préparatifs nécessaires, en grand arroi et l’esprit au plus haut, vinrent camper en face de leurs ennemis avec 50 000 hommes. Se voyant eux-mêmes sensiblement inférieurs en nombre, les Romains pensèrent d’abord faire appel aux forces de leurs tribus d’alliés celtes, mais après avoir réfléchi à leur inconstance, et au fait qu’il s’agissait de combattre un ennemi appartenant à la même race, ils hésitèrent à s’appuyer sur de tels hommes, en un moment si critique, et pour une action d’une telle importance. Néanmoins voici ce qu’ils décidèrent de faire. Ils restèrent eux-mêmes du même côté de la rivière que l’ennemi, et après avoir fait passer leur contingent celte sur l’autre rive, rompirent les ponts derrière eux, ce qui excluait du coup tout danger de leur part, mais leur ôtait aussi tout espoir de s’en sortir sain et sauf, excepté en cas de victoire, la rivière ainsi laissée derrière eux étant dépourvue de gué, donc infranchissable. Ces dispositions prises, ils furent prêts au combat.
Chapitre XXXIII.
Les Romains passent pour avoir fait preuve d’une compétence peu commune durant cette bataille ; les tribuns ayant instruit au préalable leurs troupes sur la façon de se conduire à la fois collectivement et individuellement. Ils avaient retenu en effet de leurs engagements précédents que les tribus celtes étaient toujours formidables lors du premier choc, avant que leur courage ne soit entamé par un quelconque échec ; mais que les épées dont ils étaient armés, ainsi que je l’ai mentionné plus haut, pouvaient frapper de taille seulement une fois efficacement, et qu’après cela leur fil était tellement émoussé, leur lame si tordue, qu’à moins qu’ils n’aient eu le temps de la redresser avec leur pied sur le sol, ils ne pouvaient en donner un autre coup. [Note du traducteur de cette plaquette. L’archéologie ne corrobore pas cette assertion de Polybe qui, de toute façon, écrivait plusieurs dizaines d’années après les faits. La claymore de l’époque cladio semble seulement ne pas avoir été adaptée aux mêlées guerrières].
Les tribuns firent par conséquent distribuer les piques des triarii, qui constituaient les troisièmes et derniers rangs, aux premiers rangs, ou hastati ; et ordonnèrent aux hommes de se servir de leurs épées seulement après ne plus en avoir besoin, ensuite ils chargèrent les Celtes en procédant à une attaque frontale. Quand ces derniers eurent rendu leurs épées inutilisables après en avoir donné un premier coup sur les piques, les Romains en vinrent alors au corps-à-corps et les mirent ainsi hors d’état de se défendre, en les empêchant de frapper de taille
22
avec leur épée, ce qui était leur seule et très particulière façon de toucher un adversaire, leur lame n’ayant pas de pointe. Les Romain au contraire, disposant d’excellentes pointes à leurs épées, s’en servaient pour frapper d’estoc et en criblant ainsi de coups la poitrine et le visage de leurs ennemis, en tuèrent alors le plus grand nombre possible.
Chapitre XXXIV.
L’année suivante, comme des ambassades envoyées par les Celtes désirant la paix, voire faisant des offres de soumission totale, étaient venues à Rome, les nouveaux consuls, Marcus Claudius et Gnaeus Cornelius Scipio Calvus, jugèrent qu’il était au contraire urgent que l’on ne leur accorde aucun répit. Ainsi rebutés, ils décidèrent de faire une dernière tentative, et une fois encore donc, prirent les mesures qui s’imposaient afin de trouver les moyens de louer les services de 30 000 Gésates, la tribu celtique qui vivait sur les bords du Rhône. Ayant obtenu ainsi leur aide, ils les tinrent prêts à intervenir puis attendirent l’attaque. Au commencement du printemps, les consuls prirent le commandement de leurs forces, pénétrèrent sur le territoire des Insubres, et y installèrent leur camp sous les murs de la ville d’Acerres, située entre le et les Alpes, puis en firent le siège. Les Insubres étant dans l’incapacité de leur porter assistance, puisque toutes les positions avantageuses avaient déjà été prises, mais très désireux de briser le siège d’Acerres, détachèrent une partie de leurs forces pour faire diversion en traversant le et en faisant à leur tour le siège de Clastidium. Ce mouvement de troupes ayant été porté à la connaissance des consuls, Marcus Claudius, prenant avec lui sa cavalerie et de l’infanterie légère, partit donc à marche forcée au secours des habitants assiégés. Quand les Celtes l’entendirent approcher, ils levèrent le siège et, après avoir marché à sa rencontre, lui offrirent bataille. Au début ils tinrent leur position malgré la furieuse charge de cavalerie que le consul romain avait lancée sur eux mais quand ils se retrouvèrent complètement cernés sur leurs arrières et sur leurs flancs, incapables de continuer le combat plus longtemps, ils prirent la fuite devant les cavaliers. Beaucoup d’entre eux furent culbutés dans la rivière, et emportés par le courant, mais le plus grand nombre fut passé au fil de l’épée. La ville d’Acerres, un grenier à blé, tomba donc entre les mains des Romains, les Celtes l’ayant évacuée pour se retrancher dans Milan, qui est la position commandant tout le territoire des Insubres. Gnaeus Cornelius se mit aussitôt à leurs trousses et apparut soudainement devant Milan. Les Celtes commencèrent par ne pas bouger mais dès qu’il eut commencé à se replier sur Acerres ; ils firent une sortie et après avoir non sans témérité attaqué son arrière-garde, tuèrent un grand nombre de ses hommes ou mirent les autres en fuite ; jusqu’à ce que Gnaeus Cornelius rappelle son avant-garde et la presse de tenir bon et de combattre. Les soldats romains obéirent et offrirent une vigoureuse résistance au parti des assaillants. Les Celtes, encouragés par leur premier succès, tinrent leur position un certain temps avec héroïsme, mais finirent par tourner les talons et s’enfuir vers les montagnes avoisinantes. Gnaeus Cornelius les poursuivit, en dévastant le pays au fur et à mesure, et prit Milan d’assaut. Les chefs insubres, désespérant d’en réchapper, firent leur complète et absolue soumission à Rome.
Chapitre XXXV.
C’est ainsi que prit fin la guerre contre les Celtes ; pour ce qui est de la détermination ou du courage désespéré de l’ennemi, l’opiniâtreté des batailles livrées, ainsi que le nombre de ceux qui tombèrent ou y furent engagés, elle ne vient derrière aucune autre connue dans l’histoire, mais du point de vue de la science stratégique, elle est dénuée de tout intérêt. Les Celtes ne montrèrent aucune capacité à concevoir ou mener des campagnes militaires, et en toute chose, ils étaient mus par des impulsions plutôt que par de savants calculs. Comme j’ai pu voir à quel point ces tribus, après une si courte lutte, ont été entièrement rejetées de la vallée du Pô, à l’exception de quelques localités situées au pied des Alpes, j’ai pensé que je ne devais pas laisser conquête antérieure de l’Italie tomber dans l’oubli, pas plus que leurs tentatives ultérieures et leur éviction finale ; car enregistrer, pour les transmettre à la postérité, de tels revers de Fortune est le rôle de l’historien…
LIVRE IV.
Chapitre XLVI.
Ces Celtes avaient quitté leur pays avec Brennus, puis, ayant survécu à la bataille qui fut livrée à Delphes, s’étaient frayé un chemin jusqu’à l’Hellespont, mais au lieu de traverser pour passer
23
en Asie, avaient été captivés par la beauté de cette région des environs de Byzance, donc, s’y étaient installés. Ensuite, ayant vaincu les Thraces et fait de Tylis leur capitale, ils firent courir aux Byzantins les plus grands dangers. Lors de leurs premières attaques, effectuées sous le commandement de Comontorius, leur premier roi, les Byzantins les achetaient à chaque fois en leur donnant une somme s’élevant à trois mille, cinq mille, voire dix mille pièces d’or, pour qu’ils ne dévastent pas leur territoire ; mais à la fin ils furent contraints d’accepter de leur payer un tribut annuel de quatre-vingts talents, jusqu’à l’époque de Cavarus ; sous le règne duquel leur royaume connut sa fin et toute leur tribu ayant été à son tour conquise par les Thraces, anéantie…
Chapitre LII.
Aussi quand le roi celte Cavarus se rendit à Byzance et se montra personnellement désireux de mettre un terme à cette guerre, en offrant sincèrement son amicale médiation pour cela, Prusias et les Byzantins acceptèrent cette proposition. Et quand les Rhodiens furent informés de cette intervention de Cavarus, ainsi que du consentement de Prusias, étant très désireux d’atteindre, eux aussi, leur propre objectif, ils envoyèrent alors Aridicès comme ambassadeur à Byzance, avec Polémoclès aux commandes de trois trirèmes, en espérant par là, selon leurs propres termes, envoyer ainsi aux Byzantins « à la fois des gens de guerre, mais aussi des hérauts ». Dès qu’ils furent arrivés, la paix fut conclue, l’année Cothon, fils de Calligiton, se retrouva grand-prêtre de Byzance.Le traité avec les Rhodiens était simple : « Les Byzantins n’exigeraient aucun péage des bateaux naviguant sur le Pont-Euxin, et les Rhodiens et leurs alliés vivraient alors en paix avec les Byzantins ». Mais celui qui fut conclu avec Prusias mentionnait les dispositions suivantes : il y aura pour toujours paix ainsi qu’amitié entre Prusias et les Byzantins, les Byzantins n’attaqueront en aucune façon Prusias ni Prusias les Byzantins. Prusias rendra aux Byzantins toutes les terres, toutes les forteresses, et leurs habitants, ainsi que les prisonniers de guerre, sans rançon, sans oublier les navires pris au début de la guerre, ainsi que les armes saisies dans les forteresses ; tout comme le bois, les pierres, et la toiture, appartenant au fort du Hiéron » (car Prusias, dans sa crainte de l’approche de Tiboetès, avait fait raser ou démanteler toutes les forteresses qui lui semblaient avoir quelque valeur). « Prusias enfin obligera les Bithyniens détenant des biens pris aux paysans byzantins de Mysie, à les rendre à leurs légitimes propriétaires ». Tels furent le début et la fin de la guerre de Rhodes et de Prusias contre Byzance.
LIVRE VIII (fragments).
Chapitre XXIV.
Cavarus, roi des Celtes de Thrace, était d’une disposition vraiment royale et avait l’âme noble, il accorda toute sa protection aux marchands qui naviguaient sur le Pont-Euxin, et rendit aux Byzantins d’importants services dans leurs guerres contre les Thraces et les Bithyniens…
Mais ce roi, si excellent à certains égards, fut corrompu par un courtisan nommé Sostrate, qui était Chalcédonien…
24
PLUTARQUE (46-120 environ).
Philosophe grec. Ses « Vies des hommes illustres », appelées aussi « Vies parallèles », rassemblent cinquante biographies, dont 46 sont présentées par paire : un Grec, un Romain. Ses Œuvres morales (Moralia) comptent plus de 230 traités sur les sujets les plus divers.
VIES PARALLÈLES DES HOMMES ILLUSTRES
11. Camille.
Les Celtes à ce moment-là étaient en train d’assiéger Cluses, une ville étrusque. Les Clusains envoyèrent un appel au secours aux Romains, afin qu’ils interviennent auprès des barbares en leur envoyant des ambassadeurs porteurs de lettres de créance et dûment accrédités à négocier. Ils déléguèrent donc pour cela trois membres de la famille des Fabius, des hommes de rang supérieur et d’une haute distinction dans la Cité. Les Celtes les reçurent avec courtoisie, par respect pour le nom de Rome, et, suspendant l’assaut qu’ils étaient en train d’effectuer contre les murs de la ville, vinrent conférer avec eux. Quand les ambassadeurs demandèrent quel tort ils avaient subi de la part des Clusains, pour qu’ils aient ainsi investi leur ville, Brennus, le roi des Celtes, éclata de rire, et fit la réponse suivante. « Les Clusains nous font tort en ce que, bien qu’ils soient en mesure de ne cultiver qu’une petite partie de leur territoire, ils possèdent pourtant beaucoup de terres, mais ne veulent pas nous en céder un peu, nous qui sommes étrangers, nombreux et pauvres. C’est le même tort que celui dont vous avez souffert aussi, ô Romains, jadis, de la part des Albains, des Fidénates, des Ardéates, et naguère encore de la part des Véiens, des Capénates, ainsi que de beaucoup de Falisques ou de Volsques ; et à qui vous avez trouvé normal alors de faire la guerre, s’ils ne vous cédaient
25
pas une partie de ce qu’ils possédaient, de les réduire en esclavage, de dévaster ou dépouiller leur pays, et de ruiner leurs villes. Mais en agissant ainsi, vous ne vous êtes montrés ni cruels ni injustes, simplement des observateurs de la plus ancienne de toutes les lois, celle qui accorde au puissant les possessions du plus faible et qui s’applique aussi bien aux dieux qu’aux bêtes ; puisque chacun essaie toujours d’avoir ce qui appartient à moins fort que lui. Et arrêtez donc de prendre en pitié les Clusains que nous assiégeons, car il pourrait prendre l’envie aux Celtes de se montrer bon et compatissant avec ceux que vous opprimez, voire même de leur venir en aide ».
Héraclide de Pont, qui vivait pas très longtemps après, dans son livre sur l’âme, relate qu’arriva de l’ouest la nouvelle qu’une armée, venue du pays des Hyperboréens, avait pris une ville grecque appelée Rome, située non loin de la Grande Mer [la Méditerranée]. Mais je ne serais pas étonné qu’un auteur si affabulateur et ampoulé qu’Héraclide, ait enjolivé la vérité avec des références aux Hyperboréens et à la Grande Mer.
31. Caius Marius.
L’ennemi s’étant scindé en deux partis, les Cimbres se chargèrent d’aller à la rencontre de Catulus en passant plus haut par le pays des Noriques, et de forcer ainsi le passage ; les Teutons et les Ambrons marchèrent à la rencontre de Marius en longeant la mer par la Ligurie. Les Cimbres mirent très longtemps à parvenir sur place ; mais les Teutons et les Ambrons avec toute leur armada ayant traversé le pays qui les séparait des Romains, furent bientôt en vue, en nombre incroyable. Ils avaient un aspect terrifiant et poussaient des cris ainsi que des hurlements étranges. Occupant une grande partie de la plaine avec leur camp, ils défièrent ainsi Marius…
Ensuite il s’entretint en particulier avec ses capitaines et les officiers supérieurs, mais plaça les soldats les uns après les autres sur les remparts afin qu’ils puissent bien voir l’ennemi, et s’habituer ainsi à leur apparence ou à leur voix, qui étaient surprenantes et barbares, mais aussi afin de leur fournir l’occasion d’observer leurs armes ainsi que la façon dont ils s’en servaient ; de telle sorte qu’en peu de temps ce qui leur était d’abord apparu effrayant et redoutable, leur devint familier…
Dès qu’ils eurent entendu les cris, un nombre sans cesse croissant d’entre eux se joignant au combat, Marius eut toutes les peines du monde à retenir ses soldats, qui avaient peur de perdre leurs valets de camp ; et les plus belliqueux des ennemis, qui avaient culbuté Manlius et Cépion (ils s’appelaient Ambrons, et leur nombre s’élevait au total à plus de trente mille hommes) bondirent sur leurs pieds pour courir aux armes. Bien qu’ils se soient gorgés de nourriture, et qu’ils aient été rendus comme fous furieux par la boisson, ils n’avancèrent point d’un pas désordonné, ou comme mus par une fureur sans bornes, et leurs cris ne furent pas seulement des hurlements inarticulés ; mais en frappant leurs armes de concert, et en gardant la cadence au fur et à mesure qu’ils sautaient ou bondissaient en avant, ils répétaient continuellement leur nom, « Ambrons ! Ambrons » que ce soit pour s’encourager les uns les autres, ou pour frapper de terreur leurs ennemis…
Après que les Romains se furent retirés de ce grand massacre d’Ambrons qu’ils faisaient, la nuit tomba mais leur armée ne s’abandonna point, comme de coutume, aux chants de victoire, aux beuveries sous les tentes ainsi qu’aux divertissements habituels, ni à un paisible sommeil (ce qui est le plus souvent apprécié chez des soldats ayant victorieusement combattu) ; ils passèrent cette nuit-là, plus que toutes les autres, dans la peur et l’alarme. Car leur camp n’avait ni rempart ni palissade, et il restait encore des milliers d’ennemis toujours invaincus ; auxquels s’étaient joints les Ambrons ayant pu en réchapper. On entendit venant d’eux, toute la nuit, des mugissements sauvages, rien qui ressemblât aux soupirs ou aux gémissements d’êtres humains, mais une sorte de hurlement ou de rugissement semblable à celui des bêtes sauvages, mêlé à des menaces ou des lamentations montant de cette vaste multitude, renvoyé par l’écho des collines avoisinantes ou les méandres creusés par le fleuve. La plaine entière était remplie par ce bruit affreux, tellement que les Romains n’en furent pas qu’un peu effrayés, Marius lui-même appréhendait un confus et tumultueux engagement nocturne…
La plus grande et plus vaillante partie des ennemis [les Cimbres] fut taillée en pièces ; car ceux qui combattaient en première ligne, afin qu’ils ne puissent rompre leurs rangs, étaient attachés les uns aux autres, par de longues chaînes solidement accrochées à leur ceinturon
26
ou à leur baudrier. Mais après les avoir poursuivis pendant qu’ils fuyaient vers leur camp, ils furent témoins de la plus effroyable des tragédies. Les femmes, debout sur leurs chariots dans des vêtements noirs, tuaient tous ceux qui fuyaient, même si les uns étaient leurs maris, certains leurs frères, d’autres leurs pères ; elles étranglaient leurs jeunes enfants de leurs propres mains, les jetaient sous les roues et sous les pattes du bétail, puis se tuaient elles-mêmes. On rapporte le cas de l’une d’entre elles qui avait se pendre elle-même à l’extrémité du timon d’un chariot, et de ses deux enfants morts qui se balançaient à ses talons, attachés par le cou. Les hommes, faute d’arbres pour se pendre, s’attachaient eux-mêmes par le cou, certains aux cornes des bœufs, d’autres à leurs pattes, de telle sorte qu’après les avoir aiguillonnés, pour les faire bondir en avant, ils puissent périr étranglés ou réduits en pièces, foulés aux pieds par ces animaux. Malgré le grand nombre de ceux qui se tuèrent ainsi de leurs propres mains, on fit plus de soixante mille captifs, et on en tua deux fois autant.
41. Sertorius.
La plupart des tribus se soumirent volontairement d’elles-mêmes, conquises par sa réputation de clémence et de courage, mais il se servait aussi d’artifices ingénieux de sa propre invention pour leur en imposer de la sorte, et gagner en influence sur eux. Celui de la biche ne fut pas le dernier. Spanus, un plébéien qui vivait dans ce pays, rencontrant par hasard une biche qui avait récemment mis bas, traquée par les chasseurs ; laissa filer la femelle, mais poursuivit le faon, et le captura ; émerveillé qu’il était par la rareté de la couleur de sa robe, blanche, comme du lait. Comme à cette époque-là Sertorius campait dans les environs, et qu’il acceptait volontiers tous les présents, de fruits, de volaille, ou de venaison, que ce pays produisait, en récompensant généreusement ceux qui les lui offraient ; cet homme lui apporta donc son faon, qu’il accepta volontiers. Mais quant au bout d’un certain temps, il eut tellement apprivoisé ou bien dressé cette biche qu’elle venait quand il l’appelait, le suivait partout il allait, pouvait supporter le bruit et le tumulte du camp ; alors, sachant bien que les peuples non civilisés sont enclins par nature à la superstition, peu à peu il en fit une sorte d’être surnaturel, prétendant que c’était un don de la déesse Artémis, et qu’elle lui révélait de nombreux secrets. Il y ajouta des ruses comme la suivante. S’il avait reçu un moment donné des informations secrètes comme quoi les ennemis avaient fait une incursion dans quelque partie du pays placé sous son commandement, ou avait incité quelque cité à se révolter, alors il prétendait d’abord que la biche l’avait averti de cela durant son sommeil, et l’avait chargé de mettre ses forces en état d’alerte. Ou s’il apprenait qu’un de ses commandants avait remporté une victoire, il cachait le messager, mais faisait sortir la biche couronnée de fleurs, comme en signe de joie pour de bonnes nouvelles à venir, et il encourageait ses hommes à se réjouir voire à sacrifier aux dieux pour les remercier du rapport victorieux qu’ils allaient bientôt recevoir…
Il existait en Espagne une coutume selon laquelle, quand un commandant était tué dans une bataille, ceux qui s’étaient voués à sa personne se battaient jusqu’à la mort afin de partir avec lui, ce que les habitants de ces contrées considéraient alors à l’instar d’une offrande ou d’une libation. Il y avait peu de commandants ayant une garde aussi considérable ou un si grand nombre de compagnons leur étant si dévoués ; mais Sertorius, lui, était suivi par des milliers de soldats qui s’étaient ainsi offerts à verser leur sang avec le sien. Et l’on raconte que quand son armée fut un jour défaite près d’une ville espagnole, et que l’ennemi les pressait alors durement de toutes parts, les Espagnols, sans se préoccuper d’eux-mêmes, uniquement soucieux de sauver Sertorius, le prirent sur leurs épaules puis se le passèrent les uns les autres, jusqu’à ce qu’ils l’aient ainsi transporté dans la ville, et ce fut seulement quand ils eurent ainsi mis leur général en lieu sûr que chacun s’occupa de sa propre sécurité à lui…
48. César.
Bien qu’au début il semble avoir aussi essuyé quelque revers, car les Arvernes exposent encore dans un de leurs temples une petite épée qu’ils disent avoir été prise à César. Lui-même la vit un jour en ce lieu, et cela le fit sourire, mais quand ses compagnons s’avisèrent de vouloir la décrocher, il ne le permit point, car il la considérait lui aussi désormais, comme une chose sacrée…
Ceux qui étaient dans Alésia donc, après s’être donné à eux-mêmes ainsi qu’à César beaucoup de peine, finirent par se rendre ; et Vergentorix [Vercingétorix] qui était le chef à
27
l’origine de toute cette guerre, arborant sa plus belle cuirasse, après avoir paré de même son cheval, sortit par les portes, et fit un tour à cheval autour de César assis sur son siège, ensuite il mit pied à terre, se dépouilla de son armement qu’il jeta par terre, et alla s’asseoir sans dire un mot juste au pied de César, jusqu’à ce qu’on l’emmène afin de l’exhiber à l’occasion de son triomphe…
ŒUVRES MORALES (Moralia).
TOME III.
19. Des vertus ou des actions courageuses des femmes (en grec Gynaecôn aretae).
VI. Les femmes celtes.
Avant que les Celtes traversent les Alpes et s’installent dans cette partie de l’Italie ils habitent désormais, une grande et durable discorde entre factions rivales éclata chez eux, et dégénéra au point de finir en véritable guerre civile. Les femmes s’interposèrent alors entre les forces armées, puis, se saisissant de leurs litiges, arbitrèrent et décidèrent avec tant de justesse qu’une merveilleuse et mutuelle amitié naquit entre leurs tribus-états voire entre les familles. Il en résulta que, depuis lors, ils continuèrent de consulter leurs femmes sur tout ce qui concernait la guerre ou la paix, ainsi qu’à décider, en s’en remettant à leur arbitrage, de tous les différends qu’ils pouvaient avoir dans leurs relations avec des alliés. Dans leur traité avec Hannibal, ils firent par exemple adopter la clause selon laquelle, si les Celtes avaient à se plaindre des Carthaginois, les gouverneurs et les généraux carthaginois d’Espagne en seraient juges mais que si les Carthaginois inversement avaient à se plaindre des Celtes, les juges en seraient leurs femmes.
XX. Camma.
Il y avait dans la Celtique d’Asie Mineure [en Galatie] deux puissants tétrarques, qui étaient de lointains parents, Sinatus et Sinorix. L’un d’entre eux, Sinatus, s’était marié avec une jeune fille nommée Camma, remarquable pour la beauté de son corps, mais encore plus admirée pour ses qualités. Non seulement elle était modeste et très éprise de son mari, mais elle avait aussi l’esprit vif et l’âme noble, en outre elle était aussi exceptionnellement chère à ses sujets en raison de sa bonté ou de sa bienveillance. Ce qui la rendait encore plus éminente était qu’elle officiait en tant que prêtresse [d’Artémis ?] que les Celtes d’Asie Mineure [Galates] révéraient tout spécialement, et qu’on la voyait toujours magnifiquement vêtue à l’occasion des processions et des sacrifices. Sinorix en devint donc amoureux, et comme il n’était pas en mesure de l’avoir comme femme que ce soit par la séduction ou par la force, aussi longtemps que son mari vivrait, il commit un horrible crime, et fit assassiner traîtreusement Sinatus. Ensuite, sans laisser beaucoup de temps s’écouler, il commença par courtiser Camma, qui passait le plus clair de son temps au temple, et supportait l’insistance criminelle de Sinorix avec courage et dignité, mais animée d’un esprit qui faisait preuve de beaucoup de raison et attendant son heure patiemment. Il la poursuivait de ses assiduités, en ne semblant jamais à court d’arguments ayant quelque plausibilité, afin de lui faire admettre qu’à tous égards il s’avérait être un meilleur parti que Sinatus, et qu’il l’avait fait disparaître uniquement par amour pour elle, et non pour toute autre mauvaise raison. Les refus de la malheureuse au début ne furent pas trop péremptoires, et plus tard, petit à petit, elle sembla s’adoucir ; car ses parents et ses amies aussi faisaient pression sur elle, pour rendre service ou faire une faveur à Sinorix, qui jouissait d’un très grand pouvoir dans le pays, et ils essayaient tous de la convaincre d’accepter, par la persuasion voire la contrainte. Finalement elle accepta, et le fit prévenir de venir la retrouver, pour la raison que les consentements et les promesses de mariage devaient être échangés en présence de la déesse. Quand il fut arrivé sur place, elle le reçut de bonne grâce et, après l’avoir conduit à l’autel, versa une libation à l’aide d’une coupe, en but elle-même une partie, et l’invita donc à boire le reste : c’était du lait avec du miel, empoisonné. Dès qu’elle vit qu’il avait bu, elle poussa un grand cri de joie et, se prosternant devant la déesse, s’exclama : « Je te prends à témoin, ô déesse la plus révérée, que c’est uniquement pour que vienne ce jour que j’ai survécu au meurtre de Sinatus, je n’ai goûté à aucun des plaisirs de la
28
vie durant tout ce temps-là hormis l’espoir que justice soit faite un jour ; mais maintenant que je tiens ma vengeance, je peux descendre rejoindre mon époux. Quant à toi, le plus exécrable des hommes, que tes parents te préparent une tombe au lieu d’une chambre nuptiale et d’un mariage ».
Quand le Galate entendit ces mots, sentant le poison déjà en train d’agir et de paralyser ou brûler son corps, il monta sur son char, comme pour tenter de se soulager en se secouant et en s’agitant, mais il en redescendit aussitôt pour s’étendre sur une civière, et le soir même, il mourut. Camma supporta ses propres douleurs toute la nuit sans dire un mot, et quand elle apprit qu’il n’était plus, elle mourut heureuse.
XXI. Stratonice.
La Celtique d’Asie Mineure nous a donné aussi Stratonice, l’épouse de Deiotarus, et Khiomara l’épouse d’Ortiagon, deux femmes qui méritent de ne pas être oubliées. Stratonice, sachant bien que son mari désirait des enfants pour lui succéder à la tête du royaume, mais ne pouvant pas en avoir elle-même, le persuada d’en avoir avec une autre femme, et de l’aider ensuite à les faire passer pour les leurs. Déjotarus pensa beaucoup de bien de cette idée, fit tout ce qu’elle jugeait bon, et elle lui trouva une très jolie jeune fille parmi les prisonniers, du nom d’Électre, qu’elle fit donc s’unir à Déjotarus. Les enfants qui naquirent de ces unions furent élevés par elle avec un soin affectueux et royalement, comme s’ils avaient été les siens.
XXII. Khiomara.
Il arriva un jour que Khiomara, la femme d’Ortiagon, fut faite prisonnière avec le reste des autres femmes, au cours de la guerre les Romains, sous la conduite de Gnaeus Manlius, triomphèrent des Celtes d’Asie, en bataille rangée. Le centurion qui en obtint la possession usa de sa bonne fortune comme le font les soldats, et la déshonora. C’était par nature un homme ignorant, ne se maîtrisant plus dès qu’il était question de plaisir ou d’argent. Il fut victime cependant de son appât du gain, et après qu’une grosse somme eut été négociée comme prix de la liberté pour cette femme, il la mena lui-même pour l’échanger contre rançon, une rivière qui coulait en ce lieu formait une sorte de ligne de démarcation entre les deux armées. Quand les Galates eurent traversé puis donné au centurion l’or et repris Khiomara, cette dernière, par un signe discret, fit savoir à un des siens qu’il devait frapper le Romain quand il prendrait congé d’elle en lui manifestant des marques d’affection. Et quand l’homme pour lui obéir eut décapité le Romain, elle la ramassa et, l’enveloppant dans les plis de sa robe, partit avec. Quand elle fut en présence de son époux, et jeta cette tête devant lui, ce dernier lui dit d’un air sidéré : « Quelle noble chose que la fidélité ! » « Oui », répliqua-t-elle, « mais, il est plus noble encore qu’il n’y ait toujours en vie aujourd’hui qu’un seul des deux hommes qui ont pu m’avoir comme femme ». Polybe raconte qu’il a eu un jour une conversation avec cette femme à Sardes, et qu’il l’admira beaucoup pour son bon sens et son intelligence.
TOME IV.
23. De la Fortune des Romains (en grec Peri tês Rhômaeôn Tychês).
Mais s’il est vrai, ainsi que Polybe l’a noté dans son second livre, à propos des Celtes qui s’emparèrent de Rome à cette époque-là, qu’après que la nouvelle leur fut parvenue soudainement, que leurs domaines couraient le plus grand danger d’être perdus pour eux, et de se retrouver aux mains de barbares voisins qui avaient envahi leur territoire puis s’en étaient rendus maîtres, ils conclurent un traité de paix avec Camille et se retirèrent ; (si cela est bien vrai), alors il ne peut y avoir de controverse sur le fait que ce fut donc aussi la Fortune qui sauva Rome, en attirant son ennemi ailleurs, ou du moins en le faisant se retirer de Rome tout à fait inopinément.
TOME V.
29. Sur l’échec, la fin, ou l’obsolescence, des oracles [en grec Peri tôn ecleloepotôn chrêstêriôn].
Démétrius dit que parmi les îles situées à côté de la [Grande] Bretagne, beaucoup sont isolées, à peine habitées, voire désertes. Certaines portent le nom d’une divinité ou d’un grand héros. Lui-même, sur ordre de l’empereur, a fait là-bas un voyage à des fins d’enquête et
29
d’observation, afin de se rendre dans la plus proche de ces îles qui n’a que quelques habitants, de saints hommes qui sont tenus pour intouchables par les [Grands] Bretons. Peu de temps après son arrivée, il se produisit un grand tumulte dans les airs, accompagné de divers signes annonciateurs ; des vents violents se mirent soudainement à balayer la terre et la foudre s’abattit à plusieurs reprises. Quand le calme fut quelque peu revenu, les gens de cette île lui expliquèrent que venait de trépasser un homme doté d’une âme/esprit à l’exceptionnelle puissance [en grec megalai psychai]. « Car », disaient-ils, « une lampe que l’on allume n’inspire aucune crainte, mais son extinction plonge dans les ténèbres ; de même les grandes âmes/esprits [grec megalai psychai] ont une flamme ainsi qu’une lumière, bienfaisante et inoffensive, mais leur extinction souvent, comme tout à l’heure, donne lieu à des tempêtes et à des orages, voire même infecte fréquemment l’air de souffles pestilentiels ». Ils ajoutent en outre qu’il y a dans cette partie du monde une île Cronos est tenu confiné, gardé pendant qu’il dort par Briarée ; car le sommeil est le lien qui le retient enchaîné en ce lieu, et que tout autour sont de nombreux démons qui lui servent de valets ou de serviteurs…
TOME IX.
Traité de l’amour (en grec Erôticos).
Chapitre 22.
Bien qu’il ait de très nombreux exemples de cette constance, à vous qui êtes des adorateurs du dieu [de l’amour] il ne disconvient pas de relater l’histoire de la Galate Camma.
C’était une femme de la plus grande beauté, mariée au tétrarque Sinatus, que Sinorix, un des hommes les plus influents de Galatie, désespérément amoureux de Camma, fit assassiner, puisqu’il ne pouvait l’obtenir ni par la force ni par la séduction du vivant de son époux. Camma trouva refuge et consolation dans l’exercice de la charge de prêtresse héréditaire d’Artémis, et passait le plus clair de son temps au sein de son temple ; bien que de nombreux rois et dynastes locaux aient demandé sa main, elle les repoussa tous. Mais quand Sinorix eut l’audace de lui proposer le mariage, elle ne déclina pas son offre ni ne le blâma pour ce qu’il avait fait, comme si elle pensait que c’était seulement à cause de son amour excessif pour elle qu’il avait tué Sinatus, et non par pure vilenie : il vint donc avec confiance lui demander sa main. Elle le reçut gracieusement et le conduisit jusqu’à l’autel de la déesse, et but à sa santé dans une coupe contenant de l’hydromel empoisonné, en la vidant à moitié elle-même et en lui donnant le reste. Quand elle vit qu’il avait tout bu, elle poussa un cri de joie, et en invoquant alors le nom de son défunt mari, s’écria : « Jusqu’à ce jour, cher et tendre époux, j’ai vécu sans toi une vie pleine de chagrin et de douleur, mais maintenant reçois moi toi-même avec joie, car je t’ai vengé du pire des hommes, heureuse que je suis de partager ma mort avec lui tout comme j’ai partagé ma vie avec toi ».
Sinoix fut évacué du temple sur une civière et rendit l’âme peu après. Camma vécut encore tout le reste de cette journée ainsi que la nuit suivante. On dit qu’elle mourut avec un grand courage et même avec gaieté…
Chapitre 24.
L’amour entre amis, ayant des relations et vivant même ensemble, ressemble aux contacts ou aux entrelacements des atomes d’Épicure, qui sont sujets à tout instant à des collisions ou à des séparations, mais ne peuvent jamais composer des unions stables comparables à celle qui procède de l’Amour présidant à l’association conjugale. Car jamais les plaisirs reçus d’un autre ne sauraient être aussi grands, ni les avantages conférés à autrui si durables, ni la gloire et la beauté de toute autre relation amoureuse si noble et désirable,
Que quand l’homme et la femme à table et au lit,
Mènent une vie en parfait accord sous un même toit.
Bien plus, c’est une chose garantie par la loi ; et la Nature nous montre que même les dieux ont communément besoin de l’Amour pour procréer. Ainsi les poètes disent-ils que la Terre est amoureuse du dieu qui verse la pluie, et que le Ciel est amoureux de la Terre ; et même les philosophes de la nature sont d’opinion que le soleil aime la lune, qu’ils s’accouplent chaque mois, puis que la lune se retrouve engrossée à la suite de cette conjonction. Et il y a lieu de considérer que la Terre, qui est la mère commune de l’Humanité, de tous les animaux ainsi
30
que de toutes les plantes, périra et s’éteindra, lorsque cet amour et ce désir identiquement ardents, infusés par le dieu, abandonneront la matière ; et que la matière aura cessé de convoiter ou de poursuivre les principes et les mouvements de la génération. Mais ne nous égarons pas, ne perdons pas notre temps dans des futilités ; vous n’êtes pas vous-mêmes sans savoir que ces amours homosexuelles sont considérées par beaucoup comme étant les choses les plus incertaines et les moins durables du monde, et qu’elles sont même moquées par ceux qui s’y adonnent, qui affirment que l’amour des garçons, tout comme un œuf, peut être brisé par un cheveu ; et que les amants eux-mêmes sont comme les nomades scythes qui, ayant passé le printemps au milieu de verts pâturages tout en fleurs, en décampent aussi prestement que s’ils fuyaient un pays ennemi…
Je vais même plus loin, car je dis que l’amour des femmes vertueuses ne diminue pas même quand apparaissent les premières rides sur leur visage, mais qu’il reste et dure jusque sur leurs tombes et leurs monuments. nous ne trouvons que bien peu de couples masculins composés de vrais amoureux, nous avons des milliers d’hommes et de femmes unis par les liens du mariage qui ont réciproquement et le plus fidèlement du monde observé une totale communauté d’affection et de loyauté jusqu’à la fin de leurs vies. Je n’en fournirai qu’un seul exemple, qui se produisit de nos jours, sous le règne du césar Vespasien.
Chapitre 25.
Julius, qui fut le premier à soutenir la révolte en Celtique, entre autres participants à cette rébellion, avait dans ses rangs un certain Sabinus, un jeune noble à l’esprit brillant et inférieur à nul autre pour ce qui est de la richesse ainsi que du renom. Mais comme ils s’étaient attaqués à très forte partie en fait, ils échouèrent. N’attendant donc plus rien que la mort des mains du bourreau, certains d’entre eux se tuèrent eux-mêmes, et d’autres s’échappèrent comme ils purent. En ce qui concerne Sabinus, il avait la possibilité de se sauver en fuyant chez les barbares mais il était marié à une dame, la meilleure des femmes, qu’ils appelaient du nom d’Emponen [Éponine], autant dire une héroïne. Cette femme, il ne pouvait ni la quitter ni partir avec elle sans graves inconvénients. Comme il avait dans le pays des caves ou des grottes s’enfonçant profondément sous terre, il avait caché ses trésors et ses biens mobiliers les plus précieux, et qui n’étaient connues que de deux de ses affranchis, Sabinus renvoya tous ses autres domestiques, comme s’il avait l’intention de s’empoisonner. Ensuite prenant avec lui ses deux fidèles serviteurs les plus dignes de confiance, il se cacha dans une de ses grottes et envoya un de ses esclaves affranchis, dont le nom était Martalius, dire à sa femme que son mari s’était empoisonné et que sa maison ainsi que son corps avaient brûlé, car il espérait faire croire plus facilement à la nouvelle de sa mort grâce aux lamentations non feintes et à la sincère douleur de sa femme, et il en fut ainsi au-delà même de toutes ses espérances. Car Emponen [Éponine] dès qu’elle l’eut appris se jeta au sol et resta trois jours sans boire ni manger, en poussant les cris les plus déchirants et en pleurant sa disparition avec toutes les marques d’un véritable et authentique désespoir. Sabinus mis au courant, et craignant que sa douleur ne soit si forte qu’elle en vienne à lever la main sur elle-même, ordonna au même Martalius de lui dire qu’il était toujours vivant et se cachait à tel endroit mais qu’elle continue néanmoins quelque temps à se lamenter, et à si bien feindre le chagrin que personne ne puisse s’en apercevoir. Et bien entendu la dame joua si bien son rôle en tout point en simulant la douleur à un tel degré qu’aucune femme n’aurait pu faire mieux. Mais comme elle brûlait toujours du désir de voir son mari, elle allait le retrouver la nuit et revenait ensuite si discrètement que personne ne s’en aperçut jamais. Elle continua ainsi à lui tenir compagnie pendant sept mois, ce qui alors, il faut bien le dire, revenait à peu de choses près à vivre avec lui comme dans les profondeurs infernales. Ensuite, après avoir si bizarrement déguisé Sabinus à l’aide d’une perruque qu’il était impossible qu’on le reconnaisse, elle se rendit à Rome avec lui et la supercherie abusa plusieurs de ses interlocuteurs. N’arrivant point à obtenir sa grâce, elle revint avec lui dans leur antre et vécut avec lui ainsi plusieurs années sous terre, entre les moments elle se rendait en ville, et elle se montrait en public en compagnie de plusieurs autres dames de ses amies ou de ses connaissances. Mais ce qui est le plus incroyable de tout, c’est qu’elle se débrouilla si bien que pas une de ces dames ne s’aperçut qu’elle était enceinte, bien que prenant leurs bains avec elle. Car telle est la nature de l’onguent dont se servent les femmes afin de teindre leurs cheveux en blond rutilant, que par sa graisse et son oléosité il relâche et gonfle les chairs comme si elles avaient de l’embonpoint. C’est ainsi que cette dame, aussi généreuse avec son onguent qu’appliquée à enduire et frotter son corps membre par membre, réussit à dissimuler
31
le gonflement de son ventre grâce à un relâchement et à un gonflement de sa chair partout bien calculé. Et quand vint le moment de la délivrance, elle endura toute seule les douleurs de l’accouchement, comme une lionne, se cachant avec son mari dans leur repaire, et ensuite, on peut le dire, elle éleva en privé ses deux petits. À ce jour elle a eu deux garçons, dont un qui mourut à la guerre en Égypte. Quant à l’autre, dont le nom était aussi Sabinus, il était ces derniers temps avec nous à Delphes. Voilà pourquoi César fit mettre à mort cette femme, mais il paya cher pour cet assassinat : par l’anéantissement de sa postérité. Car de toute la durée de ce règne, il n’y eut pas forfait plus cruel et plus sauvage de commis, et il n’y eut pas d’autre spectacle que, selon toutes probabilités, les dieux et les démons haïrent plus, ou dont ils détournèrent les yeux avec plus d’horreur. Mais pour finir, la compassion des spectateurs s’effaça devant leur admiration pour son comportement et sa grandeur, et il n’y eut rien qui exaspéra plus Vespasien, quand, désespérant du pardon de son mari, elle défia l’empereur en refusant d’échanger sa vie contre la sienne, et en ajoutant qu’elle avait eu bien plus de bonheur à vivre dans les ténèbres sous terre comme elle l’avait fait, qu’à régner en pleine lumière comme lui. Et c’est là, ainsi que mon père ma l’a raconté, que se termina cette controverse à propos de l’amour.
Chapitre 50.
Daphnée : Quoi, vous mettez le mariage et l’union d’un homme et d’une femme, alors qu’il n’y a pas de lien plus sacré dans la vie, au nombre des actions les plus viles et les plus malhonnêtes en ce monde ?
Et c’est d’ailleurs ces liens du mariage, condition nécessaire à la génération des êtres humains, sont exaltés par nos hommes politiques ou nos législateurs les plus sérieux, et recommandé par eux à la multitude, mais…
…… S’il est vrai qu’avoir des relations charnelles avec des garçons, ce qui est tout à fait contre nature, n’étouffe ni ne porte atteinte en aucune façon à l’affection amoureuse en tant que telle, il est encore plus probable encore que l’amour des femmes, qui est conforme à la nature, puisse porter à son comble une durable affection ; puissamment aidé en cela par la beauté qui le sert ou l’accompagne partout. Cette adéquation de la femme aux désirs de l’homme, ô Protogène, était rendue par le mot « grâce » [charis en grec] chez les Anciens. Mais l’affection pour les garçons ne s’en tient jamais à des limites raisonnables, comme un fils venu sur le tard, conçu dans l’obscurité, clandestinement et hors saison ; elle s’efforce d’expulser le véritable et légitime amour d’origine, qui est de beaucoup le plus ancien. Car laisse-moi de te dire, mon cher ami, que c’est depuis seulement hier, ou avant-hier, que de jeunes garçons commencent à se montrer nus dans les gymnases. Que cette frénésie, allant croissant par degrés tout en se multipliant là, petit à petit elle a vu ses plumes pousser puis ses ailes se renforcer, dans les palestres (salles de lutte), de telle sorte que son insolence ne peut plus être contenue aujourd’hui, mais qu’elle insulte et abâtardit au contraire l’amour conjugal, qui est pourtant le coadjuteur de la Nature et contribue à immortaliser l’espèce humaine ; en la faisant croître ou se reconstituer au fur et à mesure, par un nouvel et perpétuel engendrement de notre espèce, chaque fois que la mort a fait son œuvre en éteignant un de ses membres…
Maintenant s’il n’y a, comme le dit Protogène, aucun désir charnel dans ces privautés masculines, comment cela peut-il être de l’amour, puisque Vénus [en grec Aphrodite] en est absente ; Éros n’obéit qu’à elle et ne sert qu’elle, il n’a ni honneur ni pouvoir autres que ceux qu’elle lui confère ? S’il peut exister un Éros sans Vénus, un peu comme un homme pourrait s’enivrer sans boire de vin, mais en absorbant une décoction de figues et d’orge, alors le vécu d’un tel amour s’avérerait infructueux et comme inachevé, donc répugnant et blessant…
À ces mots, ainsi que mon père me l’a raconté, il prit Protogène par la main, et lui cita les vers suivants : « Des propos comme ceux-là feraient bouillir d’ardeur les Argiens
Et prendre les armes à la jeunesse ainsi provoquée ».
Les excès de langage de Pisias nous donnent de bonnes raisons de prendre le parti de Daphnée, puisque Pisias place au-dessus du mariage une société vide d’amour véritable, et totalement étrangère à ce même sentiment qui vient d’en haut ou qu’inspire le ciel et qui, si la véritable affection ainsi que l’adéquation de la femme à l’homme viennent à y manquer, peut difficilement être retenu par ces freins et ces jougs que sont la honte et la crainte…
TOME XII.
32
63. De la face qui apparaît sur la Lune [en grec Peri tou emphaenomenou prosôpou tôi cyclôi tês selênês].
Avant même que j’aie fini, Sulla m’interrompit : « Arrêtons là, Lamprias », me dit-il, « et finissez ce discours, de peur que vous ne fassiez involontairement échouer mon récit, en semant le désordre dans cette scène, qui est écrite et disposée différemment. Bon, je ne suis pas l’acteur de cette pièce, mais je dirai pour commencer s’il n’y a pas d’objection que son auteur a débuté, pour notre plus grand intérêt, par cette citation d’Homère : Il existe une île, Ogygie, située loin au-delà des mers !
À cinq jours au large de la [Grande] Bretagne en naviguant vers l’ouest, il y a aussi une île. Et trois autres, à égale distance de cette dernière, mais aussi de chacune des autres, sont situées au-delà en allant dans la direction du couchant d’été.
Dans l’une d’entre elles, d’après les histoires racontées par les barbares du pays, Cronos est retenu prisonnier par Zeus, mais, flanqué d’un fils [Briarée ?] comme geôlier, on lui a laissé la souveraineté sur ces îles et de cette mer, qu’ils appellent golfe cronien. Ils ajoutent que le grand continent, par lequel cet océan est entouré, bien que situé un peu moins loin des autres îles, est à environ cinq mille stades d’Ogygie ; le voyage devant se faire à la rame, car la mer est difficile à traverser : elle est envasée par une multitude de rivières. Ces rivières s’y déchargent du continent et y déposent beaucoup d’alluvions, ce qui rend cette mer très dense, voire semblable à de la terre, à tel point qu’on l’a cru autrefois gelée. Sur les côtes de ce continent, des Grecs demeurent autour d’un golfe qui n’est pas plus petit que le Palus Méotides ou l’embouchure de la mer Caspienne. Ces hommes se considèrent comme des Continentaux et se désignent ainsi, mais tiennent les habitants de nos pays par contre pour des insulaires, parce que la mer s’étend autour de nous de tous côtés ; en outre ils croient qu’au peuple originel de Cronos se sont mêlés plus tard certains de ceux qui suivirent Hercule et qui furent laissés par lui, et que ces derniers ont pour ainsi dire transformé en une flamme haute et vigoureuse l’étincelle hellénique qui était sur le point de s’éteindre en ce lieu, et d’être étouffée par la langue, les lois, ainsi que les manières des barbares. Aussi depuis lors Hercule recueille-t-il chez eux les plus grands honneurs, et Cronos seulement les seconds. Quand après avoir accompli une révolution de trente ans, l’étoile de Cronos que nous appelons Phénon, mais eux, dit notre auteur, Nycturus *, entre dans le signe du Taureau ; après s’être longuement préparés à ce sacrifice et à cette traversée, ils choisissent par tirage au sort et font partir là-bas un nombre suffisant d’envoyés, sur la quantité de navires qu’il faut, en prenant à bord tous les compagnons et toutes les provisions nécessaires à des hommes qui vont traverser tant de mer à la rame, et vivre si longtemps sur une terre étrangère. Ensuite, après qu’ils ont pris la mer, tous ces voyageurs rencontrent des fortunes diverses comme on pouvait s’y attendre mais ceux qui survivent à cette traversée abordent en premier les îles opposées, qui sont habitées par des Grecs ; le soleil y disparaît pendant moins d’une heure, et ce pendant trente jours, telle est la durée de leur nuit là-bas ; mais il y règne une obscurité peu profonde, comme une sorte de crépuscule miroitant à l’ouest. ils passent quatre-vingt-dix jours considérés avec honneur et amitié comme des saints, et bien traités ; ensuite les vents les ramènent dans leur île. Personne d’autre n’y habite à part eux-mêmes et ceux qui ont été envoyés en ce lieu avant eux. Ceux qui ont servi le dieu pendant au moins trente ans sont autorisés à rentrer chez eux, mais la plupart d’entre eux choisissent habituellement de rester, certains à cause des habitudes qu’ils y ont contractées, d’autres parce qu’ils ont tout en abondance, sans labeur ni contrariété, alors qu’ils emploient toutes leurs journées en sacrifices et en célébrations, ou à discourir sur divers sujets ainsi qu’à philosopher ; car la nature de cette île est merveilleuse, et notamment la douceur de son climat. Ceux d’entre eux qui conçoivent le dessein de quitter les lieux en sont empêchés par la divinité, qui leur apparaît alors comme à des intimes ou à des amis, et non pas en rêve seulement ou de façon symbolique, car beaucoup également voient et entendent des esprits [ou démons en grec] se manifester. Cronos lui-même dort dans la profonde grotte d’un rocher qui brille comme de l’or le sommeil étant le seul moyen que Zeus a trouvé pour lui servir de lien et des oiseaux volant au-dessus de ce rocher lui apportent de l’ambroisie ; toute l’île est embaumée par ce parfum qui semble sourdre de ce rocher comme d’une fontaine ; et les esprits [ou démons en grec] mentionnés plus haut soignent et servent Cronos, ayant été ses courtisans et ses amis [hetaerous en grec] du temps il régnait sur les dieux et les hommes. Beaucoup des prédictions qu’ils font ne viennent que d’eux-mêmes, car ce sont de bons oracles,
33
mais les prophéties qui sont les plus importantes et portent sur les plus grands sujets, ils les délivrent en rendant compte de songes faits par Cronos, car tout ce que Zeus prémédite, Cronos le voit dans ses rêves. Les passions et les émotions titanesques qui affectent son âme font qu’il est toujours sur le point de rompre ses liens, jusqu’à ce que le sommeil restaure ses forces et que sa nature royale et divine retrouve ainsi toute sa pureté originelle. L’étranger de qui je tiens ce récit fut un jour conduit en ce lieu, et alors qu’il servait le dieu, devint durant ses loisirs expert en astronomie, science dans laquelle il fit autant de progrès qu’il est possible d’en obtenir en s’adonnant à la géométrie, ainsi qu’en physique ; dont il pouvait parler aussi bien que peut le faire un philosophe de la nature. Mais un jour lui vinrent le désir et l’envie de connaître la Grande Île (car c’est ainsi, apparemment, qu’ils appellent la partie du monde nous habitons) aussi, quand les trente années se furent écoulées, la relève étant arrivée de leur patrie, alors il prit congé de ses amis et embarqua, équipé à la légère pour le reste, mais avec un important viatique dans des vases en or. Les expériences qu’il a vécues et les gens qu’il a rencontrés , découvrant ici des écritures sacrées ou se faisant initier à tous les rites possibles ; les relater comme il nous les a racontés, minutieusement et en détail, ne serait pas une tâche à laquelle suffirait une seule journée. Écoutez bien par contre ce qui a un rapport direct avec notre discussion. Il passa beaucoup de temps à Carthage puisque Cronos y reçoit de grands honneurs, et y découvrit des parchemins sacrés qui avaient été cachés en lieu sûr quand l’ancienne ville fut détruite, et qui étaient restés cachés sous terre pendant très longtemps. De tous les dieux visibles, il disait que l’on devait tout spécialement honorer la lune, et m’exhortait à le faire, dans la mesure elle règne sur la vie et sur la mort, en confinant aux prairies d’Hadès. Comme je parus surpris par cela et que je lui demandai des précisions, il me répondit : « Beaucoup d’assertions sur les dieux, Sulla, ont cours chez les Grecs, mais toutes ne sont pas exactes… »
« Voilà », dit Sulla, « ce que j’ai entendu de cet étranger ; il tenait ces considérations, ainsi qu’il le disait lui-même, des chambellans et des serviteurs de Cronos. Toi et tes amis, Lamprias, vous pouvez maintenant faire ce que vous voulez de cette histoire ».
* Nous ignorons si Nucturus correspond bien à quelque chose chez les Celtes (Nucturos étant une reconstruction néo-celtique), mais trente ans sont bien la durée d’un siècle druidique. Autrement dit une génération.
34
STRABON (– 58 + 25).
Géographe grec. Auteur d’une histoire en 43 volumes dont aucun n’est parvenu jusqu’à nous. Rédigea ensuite une géographie en 17 volumes dans lesquels on peut lire ceci.
LIVRE II.
Chapitre IV.
1. Polybe, dans son étude sur la géographie de l’Europe, écrit qu’il passera sur les anciens géographes, mais qu’il examinera les hommes qui les ont critiqués, notamment Dicéarque et Ératosthène, qui a écrit le traité de géographie le plus récent ; et Pythéas, par qui beaucoup ont été induits en erreur, par exemple quand il affirme qu’il a voyagé dans toute la partie de la [Grande] Bretagne qui était accessible. Pythéas rapporte que la côte de cette île faisait plus de 40 000 stades et ajoute son histoire sur Thulé ainsi que sur ces régions dans lesquelles il n’y a plus de terre à proprement parler, ni de mer, ni d’air ; mais une sorte de substance formée de ces trois éléments, ressemblant à un poumon marin [en grec plumon thalattíōi] ; une chose dans laquelle, écrit-il, la terre, la mer, et tous les éléments sont en suspension ; et qui est sorte de liant les faisant tous tenir ensemble, mais sur laquelle on ne peut ni marcher ni naviguer. Cette chose qui ressemble à des poumons marins, il dit qu’il l’a vu lui-même personnellement, mais que pour tout le reste, il en parle par ouï-dire.
LIVRE III.
Chapitre II.
Les Carthaginois qui, avec Barca comme général, avaient lancé une expédition en Ibérie, découvrirent que les Turdétans, ainsi que nous le rapportent les historiens, se servaient de mangeoires et d’amphores… en argent. Et l’on peut donc penser que c’est à cause donc de sa très grande prospérité que ce peuple fut qualifié de « Macréons » [grec Makraion]* tout particulièrement ses chefs ; que c’est pour cette raison qu’Anacréon a écrit ce qui suit : « En ce qui me concerne, je ne souhaite ni la corne d’Amalthée ni régner sur l’heureuse cité de Tartessos pendant cent cinquante ans », et qu’Hérodote nous en a conservé le nom de son roi, qui s’appelait Arganthonios.
* Note de l’éditeur. À moins bien entendu qu’il ne s’agisse du lointain écho d’un mythe sur les îles des Bienheureux ou l’autre monde celte. Le terme grec makraion signifie en tout cas « qui
35
dure très longtemps », « qui a vécu très longtemps », voire « immortel ». Quant à la mystérieuse cité celtique ou dont l’aristocratie était celte, de Tartessos, elle correspond bien entendu à la Tarshish de la Bible. La seule chose de sûre est qu’un roi de Tarsis ou Tartessos portait un nom en rapport avec l’appellation celte de l’argent. Cet Arganthonios (vers 670 550) est le dernier roi, le seul dont on trouve des références historiques. Du fait que lui sont attribués des trésors sur une période de 300 ans, certains historiens soupçonnent qu’il pourrait en fait s’agir d’une dynastie.
Chapitre III.
5. En dernier viennent les Artabres, qui vivent dans le voisinage du cap appelé Nerium, qui est la fin à la fois de la côte occidentale, mais aussi septentrionale de l’Ibérie. Mais le pays autour du cap lui-même est habité par des Celtes, proches parents de ceux des bords de l’Anas ; car certains de ces derniers, qui avaient lancé une expédition sur cette région, se querellèrent, dit-on, après avoir traversé le fleuve appelé Limaeas, et quand cette bande de Celtes perdit aussi son chef, alors ils se dispersèrent et s’installèrent là ; c’est donc à cause de ces circonstances que le Limaeas est aussi appelé fleuve du Léthé.
Chapitre IV.
16… Ils vivent dans l’abjection sur plan moral, c’est-à-dire qu’ils ne se préoccupent guère de mener une vie civilisée, mais plutôt de satisfaire leurs besoins physiques et leurs instincts bestiaux, à moins évidemment qu’on ne veuille considérer que ces hommes se préoccupent aussi de bien-être en se lavant à l’aide d’urine qu’ils ont laissé vieillir dans des citernes, et en se brossant les dents avec, eux et leurs femmes ; comme on dit que le font aussi les Cantabres et leurs voisins. Mais cette coutume, ainsi que celle de dormir à la dure à même le sol, est partagée par les Ibères et les Celtes. Certains disent que les Galiciens n’ont pas de dieu, mais que les Celtibères et leurs voisins au nord offrent des sacrifices à un dieu sans nom, chaque pleine, lune, la nuit, devant les portes de leurs demeures, et que toute leur maisonnée danse alors en chœur la nuit entière.
LIVRE IV.
Chapitre I.
7.… Entre Massalia [aujourd’hui Marseille] et les bouches du Rhône, il y a une plaine de forme circulaire, située à cent stades de la mer, et qui fait aussi le même diamètre. Elle est appelée le Champ de cailloux, car elle est remplie de pierres aussi grosses qu’une main pleine ; de sous ces pierres sort une herbe sauvage fournissant un herbage abondant au bétail. Au milieu de cette plaine s’étendent de l’eau, des étangs saumâtres, ainsi que des plaques de sel. La totalité du pays qui s’étend au-delà, tout comme elle-même est exposée aux vents, le Mélamborée [en grec la Bise noire soufflant du nord], un vent violent et glacial, qui peut s’abattre sur cette plaine avec une exceptionnelle sévérité ; en tout cas on y raconte que certains de ces cailloux peuvent y être comme balayés ou roulés sur de longues distances, et les hommes jetés à bas de leurs véhicules par ses rafales, dépouillés à la fois de leurs vêtements et de leurs armes. Aristote dit que ces pierres après avoir été rejetées à la surface par certains types de tremblements de terre [que l’on appelle « brastes », en grec braston] ont roulé dans les creux de cette terre. Mais Posidonios écrit, lui, puisque c’était autrefois un lac, qu’il a être asséché par une violente fluctuation du niveau des eaux, et fragmenté en un grand nombre de pierres ; semblables aux galets des rivières ou des rivages ; et en raison de leur similarité d’origine donc, les uns et les autres sont pareillement polis et de grosseur égale. Chacun des deux hommes a fourni son explication du phénomène. Et les arguments figurant dans les deux traités sont également plausibles ; car il va de soi que les pierres que l’on trouve ainsi assemblées n’ont pu l’être séparément et une par une : soit elles sont passées du liquide au solide, soit elles ont été détachées de grandes masses rocheuses ayant subi toute une succession de fractures. Comme il est difficile de bien rendre compte de ce phénomène, néanmoins, Eschyle, qui l’avait apparemment étudié de près ou qui l’avait trouvé chez un autre, l’a relégué dans le domaine du mythe. Prométhée, dans un de ses poèmes en tout cas, décrivant précisément à Héraclès l’itinéraire et les routes conduisant du Caucase aux Hespérides, lui dit ceci…
36
« Et sur toi marchera l’indomptable armée des Ligures
Mais tu ne te plaindras pas de cette bataille, je le sais
Aussi impétueux combattant sois-tu
Car là il a été écrit par le destin que même les traits te feront défaut,
Et que tu ne pourras pas prendre de pierres sur le sol,
Car cette terre est sablonneuse.
Mais Zeus te voyant privé de tout moyen de te battre, aura pitié de toi,
Et enverra de lourdes nuées chargées de grêlons gros comme des galets
Dont il couvrira aussitôt la terre.
Et avec ces pierres alors tu leur tanneras le cuir,
Tu te fraieras ainsi aisément un chemin à travers l’armée ligure ».
Comme s’il n’eût pas mieux valu, remarque Posidonios, pour Zeus, jeter ces pierres directement sur les Ligures et ensevelir ainsi avec leur armée entière, plutôt que de nous représenter un Hercule ayant besoin de tant de pierres pour y arriver. Maintenant, pour ce qui est de la quantité de pierres (une quantité innombrable), il fallait bien effectivement qu’il y en ait autant à sa disposition, si le propos du poète était d’évoquer par une foule d’ennemis vraiment innombrable ; de sorte qu’en cela, au moins, le poète se montre plus logique que celui qui revoit et corrige son mythe. En outre, en disant « il a été décidé par le destin », ce poète interdit à l’avance à quiconque de discuter d’éventuelles invraisemblances, relativement à n’importe quoi d’autre ailleurs, dans ce passage de son œuvre. Car on pourrait très bien, dans toute discussion sur la « Providence » et la « Prédestination », trouver maints exemples, pour ce qui est des affaires humaines et des circonstances naturelles, l’on s’accorderait à juger qu’il eût été mieux que les choses se soient passées d’une autre façon, que celle qui fut la leur. Par exemple qu’il aurait mieux valu, pour l’Égypte, être bien arrosée par les pluies plutôt que par des crues venant d’Éthiopie ; et pour Paris avoir fait naufrage en faisant voile vers Sparte, au lieu de ravir Hellène et de payer ensuite de sa mort ceux auxquels il avait fait du tort ; après avoir causé la ruine et le trépas de tant de Grecs et de barbares ; un désastre qu’Euripide attribuait à Zeus ; « Car Zeus, le père, voulant non seulement la ruine pour les Troyens, mais aussi le châtiment pour les Grecs, avait résolu qu’il en serait ainsi ».
10. Au large de ces portions de côtes très étroites, si nous partons de Massilia (Marseille), il y a les cinq îles Stoechades : trois d’entre elles sont assez grandes, mais deux très petites ; elles sont cultivées par les Massaliotes. Jadis ces derniers y avaient une garnison, qu’ils avaient postée pour s’opposer aux descentes de pirates, étant donné que ces îles étaient bien desservies pour ce qui est des ports. Ensuite, après les Stoechades, il y a les îles de Planasia et de Léron, elles sont mises en valeur et habitées. Sur Léron se trouve aussi le temple d’un grand héros [heroon en grec], celui qui fut élevé en l’honneur de Lero. Cette île se trouve au large d’Antipolis (Antibes)…
13… En outre il est dit que les Tectosages ont participé à l’expédition sur Delphes, et que les trésors qui furent trouvés chez eux dans la ville de Tolosa (Toulouse) par Cépion, un général romain, auraient constitué une partie des objets de valeur qui furent ramenés de là-bas ; on rapporte également que ces gens, afin de les consacrer aux dieux et se les rendre propices, y avaient ajouté de leurs biens propres. Ce fut parce qu’il avait mis la main dessus que Cépion termina sa vie dans la misère ; rejeté par ses compatriotes comme sacrilège, et n’eut comme héritiers que des filles qui, comme cela est avéré, tombèrent ensuite dans la prostitution, ainsi que le dit Timagène ; et de ce fait moururent dans le déshonneur. La remarque de Posidonios semble néanmoins pertinente : il fait observer que le trésor qui fut trouvé à Tolosa (Toulouse) se montait à environ 15 000 talents (dont une partie confiée à des lacs sacrés) à l’état brut, c’est-à-dire sous forme de lingots d’or et d’argent simplement ; alors que le temple de Delphes à cette époque avait déjà été vidé de tels trésors, car pillé par les Phocéens durant la guerre sacrée ; que même si quelque chose y avait donc quand même été laissé, cela dut alors être partagé en de nombreuses parts entre eux ; qu’il n’est pas raisonnable non plus de supposer qu’ils purent regagner leur pays en toute sécurité avec, puisqu’il leur arriva toutes sortes de maux après leur retraite de Delphes et que, à cause de leurs dissensions, ils se dispersèrent finalement dans toutes les directions. Mais, comme il a été signalé par Posidonios et plusieurs autres, comme le pays était riche en or, et qu’il appartenait aussi à des peuples qui craignaient
37
les dieux et n’étaient en aucune façon extravagants dans leur façon de vivre, il finit par y avoir de grands trésors accumulés en de nombreux endroits de la Celtique. Mais c’étaient avant tout les lacs qui assuraient leur inviolabilité. Au fond de ces derniers, les habitants immergeaient de lourdes masses d’argent et même d’or parfois. Quoi qu’il en soit, les Romains après être devenus les maîtres de la région, vendirent les lacs au profit du trésor public, et nombre des acheteurs y trouvèrent des meules d’argent martelées. À Tolosa (Toulouse), le temple lui aussi fut considéré comme sacré. Il était révéré au plus haut point par les habitants des environs, et c’est la raison pour laquelle les richesses y abondaient. De nombreuses personnes les y avaient consacrées aux dieux et nul n’osait mettre la main dessus.
Chapitre II.
1… L’intérieur et les zones montagneuses, cependant, ont un meilleur sol : tout d’abord près des Pyrénées, le pays des « Convènes », ce qui veut dire « ceux qui sont venus ensemble » dans lequel se trouvent la cité de Lugdunum et les sources thermales des Onesii, de magnifiques sources de la plus potable des eaux ; et ensuite le pays des Auscii…
Chapitre III.
2. Lugdunum elle-même ensuite (une ville fondée au pied d’une colline au confluent de l’Arar et du Rhône) est occupée par les Romains. C’est la plus populeuse de toutes les cités de la Celtique à l’exception de Narbo (Narbonne) car on ne s’en sert pas seulement comme d’un centre commercial : les préfets ou gouverneurs romains [en grec hegemonon] y battent monnaie, en argent et en or. Le temple qui a été dédié à César Auguste par les Celtes est situé en avant de la ville au confluent des deux cours d’eau. Et dans l’un se trouve un autel remarquable, sont inscrits les noms des tribus, au nombre de soixante ainsi que des statues venant d’elles, à raison d’une par tribu ; et il y a aussi un autre grand ou une autre grande… [allos megas en grec].
Chapitre IV.
2… La race ou la nation [grec phylon] aujourd’hui appelée gallique ou galatique, est folle de guerres, à la fois intrépide et prompte à la bataille, bien que par ailleurs simple et sans mauvaises manières : à la moindre provocation, ils accourent pour se battre… Cette capacité résulte pour une part de leur force physique, mais en partie aussi de leur nombre. À cause de ces traits de caractère que sont leur simplicité ainsi que leur franchise, ils se rassemblent en foule spontanément, parce qu’ils partagent toujours le sentiment d’humiliation de ceux de leurs voisins auxquels ils pensent que l’on a fait du tort. Maintenant, bien que ce soient tous des combattants par nature, ils sont meilleurs cavaliers que fantassins : la meilleure force de cavalerie qu’ont les Romains vient de chez eux.
3… Mais certains d’entre eux se servent aussi d’arcs et de frondes. Ils ont également une arme en bois ressemblant à une sorte de javelot [grosphoi en grec] : elle est lancée à la main, sans utiliser de courroie en guise de propulseur, et porte même plus loin qu’une flèche. Ils s’en servent surtout pour la chasse aux oiseaux. La plupart d’entre eux, y compris jusqu’à aujourd’hui, dorment à la dure directement sur le sol, et prennent leurs repas en étant assis sur des litières de paille ; une nourriture qu’ils en ont en abondance, faite de lait ainsi que des viandes de toutes sortes, mais surtout de viande de porc, fraîche ou salée… Quant à leurs maisons, qui sont spacieuses et ont la forme d’un dôme, elles sont construites avec des planches et de l’osier, qu’ils recouvrent d’un épais toit de chaume… Il existe dans leurs assemblées une procédure qui leur est très particulière : si un homme interrompt l’orateur et l’interpelle, un licteur ou sergent d’armes s’avance vers lui, l’épée nue à la main, et lui intime l’ordre de se taire ; s’il ne s’exécute pas, le licteur ou le sergent d’armes fait la même chose une deuxième fois, puis une troisième fois, mais ensuite pour finir coupe avec un morceau suffisamment grand du manteau [de la saie de cet homme, en grec sagon], pour qu’il ne puisse plus s’en servir par la suite. En ce qui concerne les usages relatifs aux hommes et aux femmes (que leurs tâches respectives ont été chez eux échangées, pour être réparties à l’inverse de ce qui se fait chez nous) ; c’est une chose qu’ils ont en commun avec de nombreux autres barbares.
38
4. Chez tous ces Galliques, généralement parlant, il y a trois sortes d’hommes exceptionnellement honorés, les bardes, les vates [ouateis en grec], et les druides. Les bardes sont des chanteurs et des poètes ; les vates des devins et des philosophes de la nature ; alors que les druides, en plus de cette science de la nature, traitent aussi de la philosophie morale. Ces druides sont considérés comme les plus justes des hommes, et à ce titre on leur confie l’arbitrage, non seulement des litiges privés, mais aussi publics ; de sorte que, jadis, ils décidaient même des guerres, et faisaient s’arrêter les belligérants, alors même qu’ils étaient déjà rangés en ordre de bataille ; mais ce sont les affaires de meurtre en particulier qui sont soumises à leur jugement. D’ailleurs, quand il y a une grande abondance de tels cas, cela veut dire qu’il y aura aussi une grande abondance des récoltes, pensent-ils. De toute façon, non seulement les druides, mais aussi tous les autres disent que les âmes humaines [psychas en grec], ainsi que l’univers, sont indestructibles, mais qu’un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux.
5.… Il y a aussi en plus de leur stupidité cet usage, barbare et lointain, qui se retrouve dans la plupart des tribus du Nord. Quand ils quittent le champ de bataille, ils accrochent les têtes de leurs ennemis à l’encolure de leurs chevaux, et, après les avoir ramenées chez eux, les offrent en spectacle clouées aux propylées (entrées) de leurs maisons. Posidonios rapporte qu’il l’a vu lui-même en de nombreux endroits, et que, bien qu’il ait commencé par trouver cela répugnant au début, par la suite, après s’être habitué à un tel spectacle, il put le supporter sans réagir. Les têtes des ennemis les plus illustres étaient embaumées dans de l’huile de cèdre et montrées aux étrangers de passage mais ils n’auraient pas daigné leur céder, même contre une grosse somme d’argent équivalant à leur poids en or. Mais les Romains mirent un terme à ces coutumes, ainsi qu’à toutes celles qui étaient relatives aux sacrifices ou la divination contraires à nos usages. Il y avait par exemple la pratique consistant à frapper un être humain, avec une épée, à l’endroit des fausses côtes [is nothon pleuron ou is nothas pleuras en grec] et ensuite à deviner l’avenir d’après ses spasmes d’agonie. Notons qu’ils ne sacrifiaient jamais sans la présence d’un druide au moins. On nous a également parlé d’autres sortes de sacrifices humains ; ils mettaient à mort par exemple diverses victimes à coups de flèches, ou les empalaient dans leurs temples ; ou bien encore, ayant fabriqué un gigantesque mannequin, en paille et en bois, ils jetaient dedans du bétail et des animaux sauvages de toutes sortes, voire des êtres humains, et ensuite faisaient un holocauste du tout.
6. Dans l’Océan, il rapporte qu’il y a une petite île, pas très loin en pleine mer, située au large de l’embouchure de la Loire, et que cette île est habitée par des femmes Namnètes [en grec Samnitôn]. Elles sont possédées par l’esprit de Dionysos et se rendent ce dieu propice en l’apaisant par de mystérieuses initiations aussi bien que par d’autres cérémonies sacrées ; aucun homme ne met le pied sur cette île, bien que ces femmes la quittent parfois en se servant d’un bateau. Elles ont alors des relations avec des hommes, et ensuite y retournent de nouveau. Et, raconte-t-il, une de leurs coutumes une fois par an consiste à enlever le toit de leur temple et à le remettre le même jour avant le coucher du soleil, chaque femme portant son fardeau à mettre sur le toit. Mais la femme qui le laisse tomber de ses bras est mise en pièces par les autres, et alors elles portent ses restes en tournant autour du temple avec des cris d’enthousiasme (dionysiaque) sans s’arrêter, jusqu’à ce que leur frénésie retombe. Et il arrive toujours, ajoute-t-il, que l’une d’entre elles bouscule la femme qui doit subir ce destin. L’histoire suivante qu’Artémidore raconte à propos du port des corbeaux est encore plus fabuleuse : il y aurait un port sur la côte de l’Océan, surnommé « les deux corbeaux », et dans ce port, on pourrait voir deux corbeaux justement, avec le bout de l’aile droite plus ou moins blanc ; de telle sorte que les hommes qui ont quelque différend vont en ce lieu, disposent une planche sur une hauteur, et ensuite y déposent des galettes d’orge, chacun de son côté. Les oiseaux arrivent, mangent certaines des galettes d’orge, éparpillent les autres et l’homme dont les galettes ont été ainsi dispersées gagne son procès. Maintenant, bien que cette histoire soit des plus fabuleuses, son récit à propos de Déméter et Coré s’avère plus crédible. Il écrit en effet qu’il y a une île non loin de la [Grande] Bretagne sur laquelle on accomplit des sacrifices semblables à ceux de Samothrace en l’honneur de Déméter et de Coré… Éphore, dans son étude, donne à la Celtique une étendue si excessive qu’il lui assigne la plupart des régions, jusqu’à Cadix, de ce que nous appelons maintenant l’Ibérie ; en outre, il déclare que ses habitants sont amis des Hellènes, et signale beaucoup de particularités, à leur sujet, qui ne
39
correspondent plus à la situation d’aujourd’hui. Celle qui suit par exemple, et qui leur serait propre : ils s’évertueraient à ne devenir ni gros ni ventrus, et tout jeune homme qui excéderait la mesure standard d’une certaine ceinture, serait puni. Voilà pour la Celtique de par delà les Alpes.
Chapitre V.
4. Outre de petites îles autour de la [Grande] Bretagne, il y en a aussi une grande, Ierne, qui s’étend parallèlement à la [Grande] Bretagne au nord. Sa largeur est plus grande que sa longueur. À propos de cette île nous je n’ai rien de certain à en dire, excepté que ses habitants sont encore plus sauvages que les [Grands] Bretons, puisqu’ils sont anthropophages en même temps que végétariens [en grec poēphágoi] et puisque, pire encore, ils considèrent qu’il n’est pas déshonorant, quand son père meurt, de le manger ; ni d’avoir des relations sexuelles ouvertement, non seulement avec les autres femmes, mais aussi avec sa mère et ses sœurs ; mais j’écris cela en étant bien conscient que je n’ai aucun témoin digne de confiance à ce sujet ; mais en ce qui concerne le cannibalisme, on dit que cette pratique existe aussi chez les Scythes, et que, contraints à cela par les nécessités d’un siège, les Celtes, les Ibères, et plusieurs autres peuples l’ont également pratiqué.
LIVRE V.
Chapitre I.
9. En ce qui concerne le règne de Diomède dans les parages de cette mer, non seulement les « îles Diomédéennes » en attestent, mais aussi les traditions historiques concernant les Dauniens et Argos Hippium. Néanmoins je n’en traiterai que dans la mesure elles peuvent avoir quelque utilité historique ; par contre j’écarterai la plus grande partie de toutes les histoires fausses ou complètement mythiques, comme, par exemple ces histoires que l’on raconte à propos de Phaéton, et des Héliades qui furent changées en peupliers sur les bords de l’Éridan (un Éridan qui n’existe nulle part sur Terre bien qu’on le dise voisin du Pô) ; sans oublier les îles Électrides situées au large de l’embouchure du Pô, ainsi que les Méléagrides transformées en pintades que l’on y trouverait ; car il n’existe rien de tel dans cette région ni ailleurs.
Chapitre II.
3. Mais assez dit sur la façon dont les Tyrrhéniens se sont illustrés. Reste à rappeler les exploits des Caerétans : ils battirent les Galates [Galatas en grec] qui avaient pris Rome, les ayant attaqués alors qu’ils traversaient le pays des Sabins et forcèrent lesdits Galates à redonner ce que les Romains leur avaient abandonné librement. Ils sauvèrent en outre tous ceux qui étaient venus se réfugier chez eux, ainsi que le feu éternel, et les prêtresses de Vesta. Les Romains, il est vrai, à cause des très mauvais magistrats qu’avait la ville en ce temps-là, ne semblent pas s’être rappelé avec beaucoup de gratitude de cette précieuse aide de la part des Caerétans puisqu’ils……
LIVRE VII.
Chapitre I.
3… En ce lieu également il y a la Forêt d’Hercynie, ainsi que les tribus suèves, certaines d’entre elles habitant d’ailleurs à l’intérieur de ladite forêt, comme la tribu des Quades [grec Koldouoi], aussi, s’étend la Bohême [grec Bouíaimon] le domaine de Marobod, il a fait venir, non seulement plusieurs autres tribus, mais aussi en particulier celle des Marcomans, ses compatriotes. Car après être revenu de Rome cet homme, qui auparavant n’était qu’un simple particulier, avait eu la charge des affaires publiques là-bas. Étant jeune il s’était retrouvé à Rome et y avait bénéficié de la faveur d’Auguste, aussi, à son retour chez lui, s’était-il emparé du pouvoir, et avait acquis à son autorité, en plus des peuples susmentionnés, les Luges (une grande nation), les Zoumous (Didunes), les Butons, les Mougilonas (Lugi Manes), les Sibinous, et enfin les Semnons, une tribu nombreuse, fraction des Suèves…
5. La Forêt d’Hercynie n’est pas seulement dense, mais possède également de hautes futaies, recouvrant un ensemble de régions naturellement fortifiées, en forme d’immense arc de cercle,
40
au centre duquel cependant s’étend un pays (dont j’ai déjà parlé plus haut), capable de fournir une excellente subsistance. Et non loin se trouvent les sources à la fois du Danube [grec Istros], mais aussi du Rhin, de même que le lac entre les deux sources, et les marais dans lesquels s’écoule le Rhin… Tibère n’avait progressé que d’une seule journée de marche à partir de ce lac quand il découvrit les sources du Danube [grec Istros].
Chapitre II.
En ce qui concerne les Cimbres, certaines des choses qui sont rapportées à leur sujet sont fausses… il est notamment ridicule de supposer qu’ils ont quitté leurs foyers parce qu’ils en avaient assez de ce phénomène qui est naturel, voire éternel, et qui se produit deux fois par jour. Et cette assertion qu’il y aurait eu un jour une marée vraiment extraordinaire a tout l’air d’une fable, car quand l’océan bouge de la sorte il monte ou descend certes, mais ces variations sont régulières et périodiques. Et l’homme qui a dit que les Cimbres prennent les armes pour combattre les marées a tort lui aussi ; tout comme je ne crois pas l’affirmation que les Celtes, afin de s’entraîner à ne rien craindre, acceptent tranquillement la destruction de leurs foyers par les marées pis qu’ils les rebâtissent, et qu’ils ont plus de pertes dues à ces inondations qu’aux guerres, comme le prétend Éphore. En effet, la régularité du phénomène de la marée tout comme le fait que la partie du pays susceptible d’être inondée s’avérait connue auraient exclure de telles absurdités, car, puisque ce phénomène se produit deux fois par jour, il est par conséquent improbable que les Cimbres ne se soient jamais aperçus qu’il s’agissait d’un phénomène naturel sans danger, qu’en outre il se produit non seulement dans leur pays, mais dans tous les pays qui bordent l’océan. Je ne pense pas non plus que Clitarque ait raison, quand il dit que des cavaliers, se promenant au bord de la mer, aient s’en éloigner à toute allure, et bien que ce soit vraiment à bride abattue aient failli être engloutis par les flots. Car nous savons tout d’abord que la marée ne monte pas du tout à une telle vitesse que…
Note de l’auteur de cette compilation. C’est pourtant bien ce que l’on m’a encore expliqué sur place quand j’ai visité le mont Saint-Michel en Normandie en 19 ?? : la marée monte à la vitesse d’un cheval au galop.
Chapitre III.
8.… Quand Alexandre, le fils de Philippe, lors de son expédition contre les Thraces au-delà de l’Haemus, envahit le pays des Triballes, et vit qu’il s’étendait jusqu’au Danube [grec Istros] et jusqu’à l’île de Peucé sur le fleuve, mais que la rive au-delà était tenue par les Gètes, il alla donc jusque-là, dit-on, mais ne put débarquer sur l’île faute d’embarcations (car Syrmus, le roi des Triballes s’était retiré en ce lieu pour s’y opposer). Il traversa néanmoins le fleuve ailleurs pour envahir le pays des Gètes, prit leur capitale, et s’en retourna aussitôt dans sa patrie, après avoir reçu des présents de la part des tribus vaincues et de Syrmus. Ptolémée, le fils de Lagos, raconte qu’à l’occasion de cette expédition, les Celtes qui vivaient aux environs de l’Adriatique prirent contact avec Alexandre afin d’établir avec lui des liens d’amitié ainsi que d’hospitalité ; que le roi les reçut cordialement et alors qu’il buvait leur demanda ce qu’ils craignaient le plus, pensant qu’ils allaient répondre que c’était lui, mais ils lui firent savoir qu’ils ne redoutaient rien ni personne, excepté que le ciel tombe sur eux. Ils ajoutèrent toutefois qu’ils appréciaient au plus haut point l’amitié d’hommes tels que lui. Tout cela prouve bien la simplicité de ces Barbares ! D’abord le fait que Syrmus a refusé de consentir à ce que l’on débarque sur son île, mais qu’il a envoyé des présents et noué des liens d’amitié quand même ensuite et, enfin, que les Celtes lui répondirent qu’ils ne craignaient rien ni personne, mais qu’ils appréciaient plus que n’importe quoi d’autre l’amitié des grands hommes.
LIVRE XII.
Chapitre III.
35… César, après avoir, à l’occasion de son triomphe, exhibé Adiatorix ainsi que sa femme et ses enfants, résolut de le mettre à mort lui et son fils aîné, qui s’appelait Dyteute. Mais quand le puîné des frères dit aux soldats chargés de les emmener pour être exécutés que c’était lui l’aîné ; une longue dispute alors éclata entre les deux frères, jusqu’à ce que les parents arrivent
41
à convaincre Dyteute de s’effacer devant le plus jeune ; car, disaient-ils, étant plus âgé, il ferait un meilleur soutien pour sa mère et pour son frère restant. Ce fut donc le plus jeune qui fut exécuté avec son père et l’aîné fut par conséquent sauvé. Il eut l’honneur par la suite de devenir grand-prêtre de…
Chapitre V.
1. Les Galates, donc, vivent au sud de la Paphlagonie. Il y en a trois tribus ; deux d’entre elles, les Trocmes et les Tolistobogiens, portent les noms d’un de leurs chefs, alors que la troisième, les Tectosages, porte le nom d’une tribu de Celtique. Cette région fut occupée par les Galates après qu’ils eurent longtemps erré, puis dévasté, le pays sur lequel régnaient les Attales ou des rois bithyniens ; jusqu’à ce qu’ils acceptent de leur concéder volontairement l’actuelle Galatie, ou Gallo-Grèce, comme on l’appelle. Leonorios passe pour avoir été le chef ayant conduit leur expédition en Asie. Les trois tribus parlaient la même langue et ne différaient en rien les unes des autres. Chacune était divisée en quatre parties appelées tétrarchies, chaque tétrarchie ayant son tétrarque, et aussi un druide [grec dikaste] ainsi qu’ un chef militaire [grec stratophylaks], tous les deux sujets du tétrarque, et flanqués de deux commandants adjoints [en grec hypo-stratophylaks]. Le Conseil des douze tétrarques comptait trois cents membres, qui se réunissaient au Drunemeton, ainsi qu’ils appelaient ce lieu. Ce Conseil jugeait les affaires de meurtre, mais les tétrarques et les druides [grec dikastes] s’occupaient des autres. Telle était du moins la constitution de la Galatie jadis, car de mon temps le pouvoir passa entre les mains de trois chefs uniquement, puis de deux, et enfin d’un seul, Déjotarus, à qui Amyntas succéda. Mais actuellement les Romains possèdent à la fois ce pays et celui qui passa aussi entre les mains d’Amyntas, et ils en ont fait une seule province.
42
CÉSAR. Caius Julius Caesar (– 100 – 44).
On ne présente plus ! Caius Julius Caesar est évidemment un des principaux contributeurs à l’histoire des Celtes. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne fait pas que rapporter ce qu’il a vu durant ses campagnes, il reproduit également les informations d’autres auteurs l’ayant précédé sur le sujet, en particulier Posidonius.
GUERRE DES GAULES (Commentarii de Bello Gallico).
LIVRE I.
Chapitre IV.
Quand ce complot fut révélé aux Helvètes, conformément à leur coutume ils obligèrent Orgétorix à plaider sa cause enchaîné : la peine encourue était d’être brûlé vif s’il était jugé coupable et condamné. Au jour fixé pour son audition, Orgétorix fit venir de toutes parts, devant le tribunal, ses vassaux, soit dix mille hommes, et il y conduisit également tous ceux qui dépendaient de lui ainsi que ses débiteurs ou ses garants, dont il avait un grand nombre. Grâce à eux il put échapper à l’obligation de plaider…
Chapitre XVI.
Quand il comprit que l’on usait depuis trop longtemps de manœuvres dilatoires à son égard, et que le jour était proche il aurait à distribuer le blé aux soldats, ayant convoqué les chefs, dont il avait un grand nombre dans son camp, dont Divitiacus, et Liscus, qui était investi de la magistrature suprême (un homme à qui les Éduens donnent le nom de Vergobretus, élu pour un an et qui a pouvoir de vie ou de mort sur ses compatriotes), César…
Chapitre XXIX.
Des listes furent trouvées dans le camp des Helvètes, écrites en caractères grecs, et furent apportées à César ; sur ces registres figurait, nominativement, le nombre de tous ceux qui avaient quitté leur pays, le nombre de ceux qui étaient aptes à porter les armes ; et de même, mais séparément celui des enfants, des vieillards et des femmes. Il y avait au total 263 000 Helvètes, 36 000 Tulinges, 14 000 Latobriges, 23 000 Rauraques, 32 000 Boiens. Le total s’élevait à 368 000 personnes. Ceux qui parmi eux pouvaient porter les armes étaient environ 92 000. Quand fut effectué, conformément aux ordres de César, le décompte final de ceux qui rentrèrent dans leur pays, on n’en trouva plus que 110 000 personnes.
LIVRE II.
Chapitre V.
S’adressant lui-même à Divitiacus l’Éduen, avec beaucoup d’insistance, il lui expose à quel point il importe à la République ainsi qu’à leur sécurité commune, que les forces ennemies soient divisées, de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire d’en combattre un grand nombre en même temps ; que c’est justement ce qui pourrait se produire si les Éduens conduisaient leurs forces en territoire bellovaque, puis commençaient à dévaster leur pays ! Ensuite il le renvoya, muni de ces instructions.
43
LIVRE III.
Chapitre XXII.
Et pendant que l’attention de nos hommes était toute entière engagée dans cette affaire, d’un autre côté parut Adcantuannus/Adiatuanos, qui exerçait le commandement suprême, avec 600 hommes dévoués de sa suite, de ceux qu’ils appellent soldurs (leur statut est le suivant : ils bénéficient de tous les avantages de la vie de ceux auxquels ils ont voué leur amitié. Si quelque malheur leur arrive, soit ils partagent le même sort, soit ils se suicident. Et jusqu’à présent, de mémoire d’homme, il n’est encore jamais arrivé qu’un de ceux qui se sont dévoués ainsi à quelqu’un par un semblable lien, celui-là étant mort, ait refusé de périr aussitôt).
LIVRE V.
Chapitre VII.
Dumnorix, sommé de revenir, résista, dégaina son glaive et supplia les siens de faire leur devoir, en répétant à grands cris qu’il était libre et appartenait à un peuple libre. Mais ils l’entourèrent et le tuèrent, ainsi qu’on le leur avait demandé ; ensuite tous les cavaliers éduens s’en vinrent retrouver César.
Chapitre XII.
Ils ne considèrent pas comme convenable de manger du lièvre, de la poule, ni de l’oie mais ils en élèvent pour l’amusement et le plaisir.
Chapitre XIV.
Les plus civilisées de toutes ces nations sont celles qui habitent le Kent, une région maritime ; leurs mœurs ne diffèrent guère en effet de celles des Celtes du Continent. La plupart des habitants de l’intérieur par contre ne sèment jamais de blé, mais vivent de lait ainsi que de viande, et sont vêtus de peaux de bête. Tous les (Grands) Bretons se teignent la peau en se servant d’une plante appelée guède, qui leur donne une couleur bleuâtre, et ont de ce fait une apparence effrayante dans les combats. Ils portent les cheveux longs, et ont toutes les parties du corps rasées, à l’exception de la tête et de la lèvre supérieure. À dix ou douze, ils ont des femmes en commun, en particulier entre frères, et entre pères et fils ; mais s’il y a des enfants issus de ces femmes, ils sont réputés être de celui qui a ramené la femme encore vierge à la maison en tant qu’épouse.
Chapitre XV.
La cavalerie et les chars de guerre de l’ennemi harcelèrent alors vigoureusement nos cavaliers en mouvement ; nos hommes ayant été partout vainqueurs, et les faisant refluer à travers bois et collines, en ayant tué nombre d’entre eux, ils les poursuivirent avec tant d’ardeur, qu’ils perdirent quelques-uns des leurs. L’ennemi, quelque temps après, alors que nos hommes n’étaient plus sur leurs gardes, mais occupés à fortifier le camp, ressortit alors tout à coup de ces bois et, fondant sur ceux qui montaient la garde à l’extérieur du camp, les attaqua furieusement. César envoya pour les soutenir deux cohortes, les premières de leur légion. Alors qu’elles avaient pris position à très peu de distance l’une de l’autre, comme nos hommes étaient déconcertés par ce mode de combat inhabituel, l’ennemi se précipita dans l’intervalle laissé libre entre eux, avec beaucoup de courage, et put en conséquence se retirer sain et sauf. Ce fut ce jour-là que fut tué Q. Labérius Durus, un tribun militaire. L’ennemi fut définitivement repoussé par l’envoi de nouvelles cohortes.
Chapitre XVI.
Ce nouveau mode de combat riche en incidents de toutes sortes fut pourtant instructif, puisque l’engagement eut lieu devant le camp, aux yeux de tous. Il apparut que nos hommes, à cause du poids de leurs armes, dans la mesure ils ne pouvaient ni poursuivre l’ennemi dans sa retraite ni s’éloigner de leurs enseignes, n’étaient guère adaptés à ce genre d’hostilité ; que la cavalerie également avait couru un grand danger, car l’ennemi s’enfuyait souvent à dessein, et quand il avait fini d’attirer nos hommes à quelque distance du gros des légions, ils sautaient alors de leurs chars et lui livraient à pied un combat inégal, mais à leur avantage. Ce type
44
d’engagement [de la cavalerie] a pour résultat de faire courir un même risque à celui qui bat en retraite comme à celui qui attaque. À cela il fallait ajouter qu’ils ne combattaient jamais en rangs serrés, mais en petits groupes situés à une grande distance les uns des autres, et qu’ils avaient des détachements de réserve placés en différents endroits, donc qu’ils se relayaient les uns les autres, des troupes vigoureuses et fraîches succédant à celles qui étaient fatiguées.
Chapitre XVII.
Le jour suivant l’ennemi fit halte sur des collines, à bonne distance de notre camp, et se présenta par petits groupes, puis commença de harceler notre cavalerie au moyen de diverses escarmouches, mais avec moins d’esprit combatif que la veille. Pourtant vers midi, quand César eut envoyé trois légions, et toute la cavalerie, avec C. Trebonius, afin de fourrager, alors ils fondirent soudainement de toutes parts sur ces derniers, avec tant d’impétuosité qu’ils se retrouvèrent à portée des enseignes et des légions.
Chapitre XIX.
Cassivellaunus, ainsi que nous l’avons dit plus haut, tout espoir de livrer bataille s’étant évanoui, la plus grande partie de ses forces ayant été renvoyée, lui-même n’ayant gardé qu’environ 4000 hommes montés sur des chars ; se mit à observer notre marche tout en se tenant à distance de la route, et en se cachant lui-même dans des endroits couverts de forêts inextricables. il avait découvert que nous allions, il faisait conduire dans les forêts le bétail et les habitants des campagnes alentour. Et quand notre cavalerie, afin de piller ou de ravager plus librement, se dispersait dans les champs, alors il faisait sortir du bois ses chars de guerre, par toutes les routes et par tous les sentiers qu’ils connaissaient bien, et faisait courir les plus grands dangers à notre cavalerie en l’attaquant. Cette crainte l’empêchait donc de se répandre au loin.
Chapitre XXVII.
Quant à ce qu’il [Ambiorix] a fait ou n’a pas fait en ce qui concerne l’attaque du camp, ce ne fut pas de son propre jugement ou de son propre gré, mais contraint par son gouvernement, son pouvoir étant d’une telle nature que le peuple avait autant d’autorité sur lui que lui n’en avait sur le peuple.
Chapitre LVI.
Il convoque un conseil armé, conformément à l’usage des Celtes au commencement de toute guerre ; un conseil auquel, par une loi commune, tous les jeunes gens ont coutume de venir en armes, et celui d’entre eux qui arrive le dernier alors, est tué devant tout le monde, après avoir subi les plus cruels sévices.
LIVRE VI.
Chapitre XIII.
Chez les Celtes, il n’y a que deux classes d’hommes ayant quelque rang et dignité, car les gens du commun sont presque réduits à la condition d’esclaves, et n’osent entreprendre quoi que ce soit d’eux-mêmes : ils ne sont admis à aucune délibération. La plupart, quand ils sont écrasés de dettes, ou par le montant élevé de leur tribut, ou l’oppression de plus puissant qu’eux, se donnent d’eux-mêmes en vasselage à des nobles, qui ont alors sur eux les mêmes droits que les maîtres sur leurs esclaves. De ces deux classes sociales dont nous venons de parler, l’une est celle des druides, l’autre celle des chevaliers. Les premiers s’occupent du sacré, président aux sacrifices publics et privés, interprètent tout ce qui relève de la religion ; à eux se joint un grand nombre de jeunes gens, afin de s’instruire, et ils sont donc tenus en grand honneur chez eux. Ils arbitrent presque tous les conflits, publics et privés, si quelque crime a été perpétré, si un meurtre a été commis, s’il y a dispute à propos d’un héritage, ou d’une frontière, ils en décident ; ils déterminent ce qui doit être reçu ou touché ainsi que les peines. Si quelqu’un, à titre privé ou public, refuse de se plier à leur décision, ils l’interdisent de sacrifice. Cela constitue chez eux la peine la plus lourde. Tout le monde évite et fuit la société ou la conversation de ceux qui ont été ainsi interdits [de sacrifices], et rangés au nombre des impies ou des criminels, comme s’ils craignaient d’être affectés par quelque mal mystérieux à leur
45
contact ; justice ne leur est pas rendue quand ils la réclament, aucune dignité ne leur est plus reconnue. Tous ces druides sont présidés par l’un d’entre eux, qui possède l’autorité suprême. À sa mort, si l’un de ceux qui restent l’emporte en dignité, il lui succède ; mais si plusieurs sont à égalité, le choix du remplaçant est déterminé par un vote [de tous ces druides] ; parfois ils se disputent cette primatie au moyen des armes. Ils se réunissent à une certaine période de l’année, à date fixe, en un lieu consacré du territoire des Carnutes, reconnu comme étant la région centrale de toute la Celtique. En ce lieu, tous ceux qui ont des différends affluent de partout, et se soumettent à leurs décisions ainsi qu’à ce qu’ils déterminent. Cette institution est supposée avoir pris naissance en [Grande] Bretagne, et avoir été apportée de en Celtique continentale ; aujourd’hui encore le plus souvent ceux qui désirent en avoir une connaissance plus approfondie s’y rendent afin de l’étudier.
Chapitre XIV.
Les druides ne vont pas à la guerre ni ne payent d’impôts, comme le reste de la population ; ils bénéficient d’une exemption du service militaire et d’une dispense dans tous les autres domaines. Attirés par de si grands avantages, beaucoup embrassent cette carrière de leur propre initiative, mais beaucoup y sont voués par leurs parents ou leurs relations. On dit qu’ils apprennent un grand nombre de vers par cœur ; en conséquence de quoi certains y suivent leurs cours pendant vingt ans. Ils répugnent à les mettre par écrit, bien que pour ce qui est de toutes les autres matières, dans leurs transactions publiques et privées, ils se servent à cet effet des caractères de l’alphabet grec. Cette pratique me semble avoir été adoptée par eux pour deux raisons : la première parce qu’ils ne désirent pas que leurs doctrines soient divulguées trop largement dans le peuple, et parce que, en ce qui concerne ceux qui étudient chez eux, moins faire travailler la mémoire en recourant à l’écriture fait qu’il arrive généralement à la plupart, devenus dépendants de l’écrit, qu’ils relâchent leurs efforts pour apprendre et mémoriser. Les druides souhaitent inculquer une de leurs croyances fondamentales, à savoir que les âmes/esprits ne s’éteignent point, mais passent après la mort d’un corps dans un autre ; et ils pensent que les hommes, grâce à cette croyance, sont portés à un plus grand courage, la peur de la mort étant alors oubliée. En outre ils discutent et transmettent à la jeunesse beaucoup d’éléments concernant les étoiles et leurs mouvements, l’étendue de ce monde et de notre terre, la nature des choses, le pouvoir et la majesté des dieux immortels.
Chapitre XVI.
Toute la nation celte est férue de rites religieux ; ceux qui sont atteints de maladies très graves, ceux qui sont engagés dans des guerres ou affrontent d’autres dangers, soit sacrifient des victimes humaines, soit font vœu de le faire ; et ils recourent pour cela aux druides en tant que maîtres de ces sacrifices, car ils pensent qu’à moins que la vie d’un homme ne soit offerte pour la vie d’un autre, l’esprit des dieux immortels ne peut pas être rendu propice à des intérêts humains, et ils ont des sacrifices de cette nature décidés dans l’intérêt de la nation tout entière.
Certains de ces Barbares ont des mannequins de très grande taille dont les membres sont faits d’osier tressé, qu’ils remplissent d’hommes vivants, auxquels ils mettent le feu et les malheureux y périssent enveloppés par les flammes. Ils considèrent que le sacrifice de ceux qui ont été pris en flagrant délit de vol, de brigandage, ou de tout autre crime, peut être plus facilement agréé par les dieux, mais quand il manque de victimes de ce genre, ils ont alors recours à des sacrifices d’innocents.
Chapitre XVII.
Ils vouent un véritable culte notamment à Mercure : ils ont beaucoup de simulacres [simulacra] de lui, et le regardent comme l’inventeur de tous les arts, ils le considèrent aussi comme le guide de leurs voyages ou de leurs déplacements, et croient qu’il a une grande influence sur l’acquisition de bénéfice ou les transactions marchandes. Après lui donc ils adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. En ce qui concerne ces déités, ils ont pour la plus grande part les mêmes croyances que les autres nations : c’est-à-dire qu’Apollon évite les maladies, que Minerve enseigne les rudiments du travail et des arts, qu’à Jupiter appartient la souveraineté des puissances célestes, que Mars préside aux guerres. C’est à lui, quand ils sont déterminés à livrer une bataille, qu’ils vouent généralement ce qu’ils font comme butin. Quand ils ont gagné, ils lui sacrifient tous les animaux capturés qui ont pu survivre, et rassemblent tout le reste
46
quelque part. Dans de nombreuses tribus-états, on peut voir des piles de ce butin entassé dans des lieux consacrés. Il n’arrive pas souvent que quelqu’un, en raison du tabou pesant sur cette institution, tente de détourner à son profit personnel en le dissimulant chez lui un tel butin, ou prenne de celui qui est déposé là et la plus cruelle des morts, sous la torture, a été prévue pour un tel crime.
Chapitre XVIII.
Les Celtes affirment qu’ils descendent de Dis Pater, et disent que cette tradition leur vient des druides. Pour cette raison ils établissent les divisions de chaque saison, non en jours, mais en nuits ; et ils calculent les anniversaires ainsi que les commencements de mois ou d’année en suivant un ordre tel que le jour y suit la nuit. Pour ce qui est des autres usages, ils diffèrent de presque toutes les autres nations en ce qu’ils ne permettent jamais à leurs enfants de les approcher en public tant qu’ils ne sont pas devenus grands au point d’être aptes à prendre les armes et ils regardent comme inconvenant pour un fils encore enfant de paraître aux yeux de tous avec son père.
Chapitre XIX.
Quelle que soit la somme d’argent que les maris ont reçue comme dot de leurs épouses, ils y ajoutent le même montant de leurs biens après en avoir fait faire une estimation. Ensuite on fait le compte de la somme qui en résulte, et on ne touche pas aux profits. Quel que soit celui qui survivra, c’est à lui que reviendra l’ensemble ainsi que les intérêts des années passées. Les maris ont droit de vie ou de mort sur leurs femmes et sur leurs enfants et quand le père de famille, issu d’une famille distinguée, meurt, ses parents se réunissent. Si les circonstances de sa mort sont suspectes, ils mènent une sorte d’enquête en interrogeant les proches à la façon dont on traite les esclaves ; si des preuves sont obtenues, on soumet les coupables à de cruels tourments et on les brûle vivants. Les funérailles chez les Celtes, relativement à leur degré de civilisation, sont magnifiques et dispendieuses ; ils jettent au feu tout ce qu’ils supposent avoir été cher au défunt de son vivant, y compris les animaux ; et un peu avant notre époque, les esclaves et les obligés, dont on était certain qu’ils avaient été chéris par lui, une fois les rites funéraires régulièrement accomplis, étaient brûlés avec.
Chapitre XX.
Les tribus-états considérées comme gérant le mieux la chose publique, ont des lois ordonnant que, si quelqu’un a entendu par la rumeur ou sur la foi de ses voisins, quelque chose concernant le bien public, il doit en faire part au magistrat, et à nulle autre personne, car il a été constaté maintes fois que des hommes inconsidérés ou inexpérimentés, sont souvent alarmés par de fausses informations, et conduits à réagir de façon impétueuse, ou prennent alors des décisions hâtives dans les affaires de la plus haute importance. Les magistrats gardent secret ce qu’ils pensent devoir cacher, en ne livrant à la masse que ce qu’ils croient utile de divulguer. On n’a le droit de parler des affaires publiques qu’en prenant la parole dans le conseil.
Chapitre XXI.
Les mœurs des Germains diffèrent beaucoup, car ils n’ont ni druides pour présider à leurs offices divins, et n’accordent pas non plus beaucoup d’importance aux sacrifices. Ils ne rangent au nombre des grands dieux que ceux qu’ils voient, et dont ils bénéficient de bienfaits manifestes, c’est-à-dire le soleil, Vulcain, et la lune ; ils n’ont pas entendu parler d’autres dieux même par ouï-dire.
Chapitre XXII.
Ils n’accordent pas beaucoup de soin à l’agriculture, et une grande partie de leur nourriture est faite de lait, de fromage, de viande ; personne n’a une quantité fixe de terre ni de limites de propriété personnelles ; mais les magistrats et les chefs distribuent chaque année aux clans et aux familles, qui forment un même ensemble, autant de terre qu’ils le jugent nécessaire, et dans lieu qu’ils jugent le plus approprié ; mais l’année suivante, ils les obligent à partir ailleurs.
Chapitre XIII.
47
La plus grande gloire d’un certain nombre de tribus-états et d’avoir des déserts aussi grands que possible autour d’eux, leurs frontières ayant été dévastées.
Chapitre XXIV.
Il y a eu un temps les Celtes surpassaient les Germains en prouesses militaires, leur faisait la guerre de façon conquérante, et vu leur nombreuse population, ainsi que l’insuffisance de leurs terres, envoyaient des colonies au-delà du Rhin. Les Volques Tectosages se sont par exemple emparés des régions de la Germanie qui comptent parmi les plus fertiles, autour de la forêt dite hercynienne (qui, à ce qu’il me semble, était déjà connue par ouï-dire d’Ératosthène et de quelques autres Grecs, qui l’appelaient Orcynie) et s’y sont installés. Cette nation s’est maintenue en ces lieux jusqu’à nos jours, et fait preuve d’un très grand sens de la justice ainsi que de beaucoup de mérite militaire.
Chapitre XXV.
La largeur de cette forêt d’Hercynie, évoquée ci-dessus, équivaut, pour un bon marcheur, à un voyage de neuf jours. Elle ne peut être calculée autrement, les Germains ne connaissant pas les mesures d’itinéraire. Elle commence à la frontière des Helvètes, des Némètes, ainsi que des Rauraques, et s’étend après en ligne droite le long du Danube, jusqu’au pays des Daces et des Anartes ; elle tourne sur la gauche dans une direction différente de celle du fleuve, et vu son étendue constitue les confins de nombreuses nations. Il n’y a personne de cette partie de la Germanie qui puisse dire, soit qu’il s’est retrouvé un jour à l’extrémité de cette forêt après avoir marché pendant soixante jours, soit qu’il a entendu parler de l’endroit elle commence. Plusieurs espèces d’animaux sauvages y vivent que l’on ne voit nulle part ailleurs.
Chapitre XXVIII.
Il existe une troisième espèce faite de ces animaux que l’on appelle urus. Ils sont un peu plus petits que l’éléphant pour ce qui est de la taille, et ont l’apparence, la couleur ainsi que la forme, d’un taureau. Leur force et leur rapidité sont extraordinaires, ils n’épargnent ni l’homme ni la bête sauvage. On les capture non sans peine dans des fosses et on les tue. Les jeunes gens s’endurcissent et s’entraînent donc avec ce genre de chasse. Ceux qui ont tué le plus grand nombre de ces urus, après en avoir produit les cornes, en guise de preuves, reçoivent de grands éloges. Même capturés très jeunes on ne peut pas les domestiquer ni les apprivoiser. La taille, la forme, et l’apparence de leurs cornes diffèrent beaucoup de celles de nos bœufs. Elles sont très recherchées : serties d’argent sur les bords, elles servent de coupe lors de leurs plus somptueux festins.
Chapitre XXX.
La demeure d’Ambiorix étant donc entourée de bois (comme le sont généralement les maisons des Celtes qui, afin d’éviter la chaleur, recherchent la proximité des bois et des rivières), les gens de sa suite et ses amis, en un lieu si étroit purent néanmoins contenir un instant l’attaque de notre cavalerie. Et pendant qu’ils se battaient ainsi, un de ses compagnons le mit à cheval ; et les bois protégèrent sa fuite.
Chapitre XXXI.
Catuvolcus [Cativolcus] roi d’une moitié des Éburons, qui s’était rallié à cette idée avec Ambiorix, étant usé par l’âge, était incapable de supporter la fatigue soit d’une guerre soit d’une fuite. Après avoir maudit Ambiorix en tant que principal responsable de cette funeste décision, en recourant à toutes sortes d’imprécations pour cela, il se suicida en absorbant du jus d’if, dont il existe une grande abondance en Celtique et en Germanie.
LIVRE VII.
Chapitre IV.
À ce moment, de la même manière, Vercingétorix, le fils de Celtillus, un jeune Arverne jouissant de la plus grande influence, dont le père avait eu l’ascendant sur toute la Celtique (et avait même été mis à mort par ses compatriotes, pour la raison qu’il aspirait à la monarchie), convoqua ses obligés…
48
Chapitre XXXII.
Des nobles du peuple éduen vinrent le supplier de venir au secours de leur État plongé dans une crise inédite extrême urgence, leur faisant courir le plus grand danger. Alors que depuis la plus haute antiquité un seul magistrat était habituellement nommé pour exercer le pouvoir régalien pour un an, deux hommes remplissaient désormais cette charge, chacun affirmant qu’il avait bien été désigné conformément à leurs lois.
Chapitre LXVI.
Les cavaliers s’écrient unanimement, « qu’ils doivent se lier par le plus sacré des serments : que ne soit plus reçu sous un toit ni ait accès à ses enfants, ses parents, ou sa femme, celui qui n’aura pas passé deux fois au travers des rangs ennemis à cheval ».
Chapitre LXXVII.
« Si vous ne pouvez plus être rassurés par leurs dépêches, depuis que toutes les voies d’accès sont bloquées, considérez les Romains comme preuve vivante que leur arrivée s’avère proche, puisque, terrifiés par leur alarme à ce sujet, ils travaillent jour et nuit à l’ouvrage destiné à leur défense. Quel est mon avis ? Suivre l’exemple de ce que nos ancêtres ont fait lors de la guerre contre les Cimbres et les Teutons, qui ne fut en aucune façon pourtant aussi décisive. Contraints de s’enfermer dans leurs villes, et en proie donc à des privations similaires, ils soutinrent leur vie en se servant des corps de ceux qui semblaient inutiles en raison de leur âge, et ils ne se rendirent jamais. Si nous n’avions pas déjà ce précédent d’une conduite si extrême, alors je considérerais que c’est le plus glorieux exemple que nous puissions donner ou transmettre à la postérité. Mais en quoi cette guerre fut-elle semblable à celle-ci ? Les Cimbres, après avoir dévasté notre pays, et l’avoir ravagé, ont fini par s’en aller ailleurs gagner d’autres terres ; ils nous laissèrent donc nos droits, nos lois, nos terres, et par-dessus tout notre liberté ! Mais en ce qui concerne les Romains, quel autre motif ou désir ont-ils que de s’installer sur les terres et dans les villes de ceux dont ils ont appris qu’ils étaient les plus nobles et les plus puissants à la guerre, afin de les réduire à un perpétuel esclavage ? Car ils n’ont jamais fait la guerre pour d’autres raisons. Et si vous ne savez rien de ce qui se passe dans les pays lointains, regardez dans la Celtique voisine qui, ayant été réduite à l’état de province, dépouillée de ses droits et de ses lois, soumise au despotisme romain, est maintenant opprimée, plongée dans une servitude sans fin ».
Chapitre LXXXIX.
Vercingétorix ayant convoqué un conseil de guerre y déclare « qu’il a entrepris cette croisade, non pour son compte personnel, mais pour la liberté commune et puisqu’il faut se soumettre à la Fortune, il s’offre à eux de deux manières : soit ils se réconcilient avec les Romains par sa mise à mort, soit ils le livrent vivant.
LIVRE VIII.
Chapitre XXXVIII.
Il visite lui-même les autres tribus-états, se fait livrer un grand nombre d’otages, et par un langage encourageant apaise les appréhensions. Quand il arriva chez les Carnutes, dans le pays desquels, comme il l’a mentionné dans un précédent commentaire, la guerre avait commencé ; observant qu’à cause du sentiment qu’ils avaient d’avoir commis une faute impardonnable, ils semblaient être plongés dans la plus grande terreur ; afin de libérer la tribu au plus tôt de cette peur diffuse, il se contenta d’exiger que Gutuater, le principal responsable de cette trahison, instigateur de la rébellion, lui soit livré, afin d’être châtié […] Il fut en conséquence fouetté à mort puis décapité.
49
PAUSANIAS (115-180 environ).
Voyageur et géographe grec. Il dressera une liste détaillée des sites qu’il visite, avec les légendes qui s’y rapportent.
Voici ce que l’on peut lire dans sa description de la Grèce.
LIVRE I.
ATTIQUE.
Chapitre III.
Ces Galates habitent la partie la plus éloignée de l’Europe, près d’une grande mer qui n’est pas navigable à ses extrémités, qui a un flux et un reflux ainsi que des monstres très différents de ceux des autres mers. À travers leur pays coule l’Éridan, sur les bords duquel les filles d’Hélios sont supposées pleurer le tragique destin qui s’abattit un jour sur leur frère Phaéton. C’était bien avant que le nom de « Galates » ne soit en vogue, car anciennement ils s’appelaient eux-mêmes Celtes et on les désignait donc ainsi.
Chapitre IV.
Une armée d’entre eux se mobilisa et obliqua vers la mer ionienne, chassa les Illyriens de leur pays, tous ceux qui demeuraient entre l’Illyrie et la Macédoine ainsi que les Macédoniens eux-mêmes, et envahirent la Thessalie. Et ils approchaient des Thermopyles que tous les Grecs n’avaient pas encore réagi pour se prémunir contre l’invasion de ces Barbares, ayant d’abord été sévèrement battus par Philippe et Alexandre ; puis écrasés par Antipater et Cassandre ; de sorte que, vu leur faiblesse, chacune de leurs cités pensa sans la moindre honte être évidemment dispensée de prendre part à la défense du pays…
LIVRE X.
PHOCIDE.
Chapitre V.
Boeo, une femme native du lieu, qui a composé des hymnes pour les Delphiens, dit que cet oracle a été institué pour le dieu par des nouveaux venus arrivant de chez les Hyperboréens, Olen et d’autres et qu’Olen fut le premier à prophétiser ainsi que le premier à déclamer les oracles en vers hexamètres.
Les vers de Boeo en parlant sont les suivants.
« Ici en vérité, un puissant oracle a été institué
Par les fils des Hyperboréens,
Nommés Pagasus et Agyïeus ».
Après avoir aussi énuméré d’autres de ces Hyperboréens, à la fin de cet hymne, elle cite Olen…
« Et Olen, qui devint le premier interprète de Phoebus
Le premier qui a composé un chant au rythme fondé sur ces anciens vers ».
Chapitre XV.
Ce second Apollon les Delphiens l’appellent Sitalcas, il a trente-cinq coudées de haut. Les Étoliens ont en plus des statues de la plupart de leurs généraux, des représentations d’Artémis, d’Athéna, et deux d’Apollon, offertes au dieu après la conclusion de leur guerre contre les Galates. Que l’armée celte passerait d’Europe en Asie pour détruire les cités avait été prédit par Phennis dans ses oracles une génération avant que l’invasion ne se produise.
50
« Ensuite, ayant traversé l’étroit passage de l’Hellespont,
L’armée dévastatrice des Galates se répandra
Et sans foi ni loi ravagera l’Asie
Mais le dieu fera bien pire
À ceux qui habitent près des rivages de la mer
Pendant un court instant.
Car très vite le fils de Cronos
Leur trouvera un défenseur,
Le bien aimé fils d’un taureau élevé par Zeus,
Qui, sur tous ces Galates, fera se lever le jour de la vengeance ».
Par « le fils d’un taureau, » elle voulait signifier Attale, roi de Pergame, qui était souvent dit « aux cornes de taureau » par un oracle.
Chapitre XIX.
J’ai déjà fait quelques mentions de l’invasion galate de la Grèce dans ma description de la chambre se réunissait le sénat d’Athènes. Mais j’ai résolu de fournir un compte-rendu plus détaillé sur ces Galates dans ma description de Delphes, car c’est qu’eurent lieu les plus grands exploits des Grecs contre eux. Les Celtes menèrent leur première expédition sous le commandement de Cambaulès. Arrivés jusqu’en Thrace, ils se découragèrent et interrompirent brusquement leur marche après avoir compris qu’ils étaient en trop peu nombreux pour affronter les Grecs.
Mais quand ils décidèrent d’envahir une seconde fois des pays étrangers, si grande fut l’influence des vétérans de l’expédition de Cambaulès, qui avaient goûté aux joies du pillage et avaient acquis la passion du vol ainsi que du brigandage, qu’une grande armée composée de beaucoup de fantassins et d’un nombre aussi élevé d’hommes à cheval fut vite rassemblée. Cette troupe fut répartie en trois corps d’armée par leurs chefs, à chacun d’entre eux fut assigné un pays à envahir. Céréthrius devait en conduire un contre les Thraces et la nation des Triballes. Les hommes chargés d’envahir la Péonie furent placés sous le commandement de Brennus et d’Akicorius. Bolgius attaqua les Macédoniens et les Illyriens, puis livra bataille à Ptolémée, roi des Macédoniens en ce temps-là. C’est ce Ptolémée qui, ayant un jour imploré Seleucus, le fils d’Antiochus, de lui accorder refuge, l’avait ensuite assassiné traîtreusement, et avait été surnommé Kéraunos, « la foudre », à cause de sa témérité. Ptolémée lui-même mourut au combat, et les Macédoniens subirent de très lourdes pertes. Mais encore une fois, les Celtes n’eurent pas le courage de poursuivre sur la Grèce, et c’est ainsi que leur seconde expédition revint, elle aussi, dans ses foyers. C’est alors que Brennus, à la fois dans des rassemblements publics et à l’occasion d’entretiens privés avec les chefs galates, appela une fois encore à une nouvelle campagne, en insistant sur la faiblesse de la Grèce à cette époque, sur l’opulence des cités grecques, et sur les richesses plus grandes encore de leurs sanctuaires, faites d’offrandes votives ainsi que de pièces d’or et d’argent. Aussi parvint-il à convaincre les Galates de marcher à nouveau sur la Grèce. Parmi les principaux chefs choisis pour être ses lieutenants, il y avait Akicorius.
Le nombre des fantassins s’élevait à cent cinquante-deux mille hommes, vingt mille quatre cents pour les cavaliers. Tel était le nombre des cavaliers en action à tout moment, mais le nombre réel d’entre eux était de soixante et un mille deux cents. Car à chaque cavalier se trouvaient attachés deux hommes, bons cavaliers eux-mêmes et, comme leurs maîtres, ayant un cheval. Si la cavalerie galate est engagée, ces deux compagnons d’armes restent derrière les rangs, mais servent à ceci. Quand un cavalier ou son cheval vient à s’abattre, si c’est l’homme qui a été tué, alors l’écuyer [grec doulos] enfourche le cheval à la place de son maître, dans le second cas l’écuyer [grec doulos] lui donne son cheval à monter; si le cavalier ainsi que son cheval sont tués tous les deux, alors la relève est assurée. Quand un cavalier n’est que blessé, un des écuyers [grec doulos] ramène le blessé au camp, pendant que l’autre prend sa place laissée vacante dans les rangs.
Je pense que les Galates en adoptant ces méthodes ont copié le régiment perse des dix mille, qui étaient appelés les immortels. À cette différence près. Les Perses avaient coutume d’attendre que la bataille soit terminée avant de remplacer les morts ou les blessés, alors que les Galates s’efforcent de maintenir constant le nombre de leurs cavaliers durant toute la durée
51
de l’action. Cette méthode d’organisation est appelée dans leur langue natale trimarkisia, car il faut que vous sachiez que marka est le nom celtique du cheval.
Chapitre XX.
Telle fut donc l’armée ainsi que les desseins de Brennus quand il attaqua l’Hellade. Le courage des Hellènes était au plus bas, mais la force même de leur terreur les força néanmoins à défendre leur pays…
Quand les Hellènes rassemblés aux Thermopyles apprirent que l’armée des Galates était déjà dans le voisinage de Magnésie et dans la Phthiotide, ils résolurent d’envoyer la cavalerie et un millier d’hommes de troupe légèrement armés sur le Spercheius, afin d’empêcher que les Barbares puissent le traverser sans risque ni péril. Dès leur arrivée ces forces rompirent les ponts et campèrent sur les bords du fleuve. Mais Brennus était loin d’être stupide ni dénué de toute expérience, pour un Barbare, en matière de stratégie. Aussi, dès que la nuit fut venue, il dépêcha quelques troupes sur le Spercheius, non à la place il y avait eu les ponts, mais plus bas, les Hellènes ne remarqueraient pas qu’ils le traverseraient, juste le fleuve se répand dans la plaine et forme un marais ou un lac, au lieu de couler comme un torrent étroit et violent. Brennus y envoya quelque dix mille Galates, en choisissant les bons nageurs ou les hommes de grande taille et les Celtes en tant que peuple sont de loin beaucoup plus grands que les autres hommes. Ces derniers traversèrent donc de nuit à la nage le fleuve, il s’épanche pour former un lac ; chaque homme se servant pour cela de son bouclier, du bouclier de leur pays, en guise de radeau ; les hommes les plus grands le firent à pied. Les Hellènes postés sur le Spercheius, dès qu’ils eurent appris qu’un détachement des barbares avait traversé par le marais, se replièrent aussitôt sur le gros de l’armée. Brennus ordonna aux habitants des environs du golfe Malien de construire des ponts sur le Spercheius, et ils entreprirent donc d’exécuter cette tâche dans un seul but ; comme ils avaient peur de Brennus, ils attendaient avec impatience que les Barbares s’en aillent de leur pays au lieu d’y rester à le dévaster plus longtemps. Brennus fit ensuite passer son armée sur ces ponts et marcha sur Héraclée. Les Galates pillèrent le pays, et massacrèrent tous ceux qu’ils trouvèrent dans les champs, mais ne prirent point la cité. Car un an avant cela les Étoliens avaient forcé la ville d’Héraclée à se joindre à leur ligue, aussi avaient-ils défendu cette ville qu’ils considéraient comme leur appartenant, avec non moins de vigueur que les Héracléotes eux-mêmes. De toute façon Brennus en fait ne s’intéressait guère à Héraclée, mais cherchait surtout à déloger ceux qui bloquaient les défilés situés devant lui, afin d’envahir l’Hellade au sud des Thermopyles.
Chapitre XXI.
Des déserteurs informèrent Brennus de l’état des forces que chaque cité avait envoyées aux Thermopyles. Aussi, délaissant cette armée d’Hellènes, il abandonna Héraclée puis entreprit de se préparer à livrer bataille le lendemain matin à l’aube. Il n’avait avec lui aucun devin hellène, et ne recourut à aucun des sacrifices propres à son pays, si, bien sûr, les Celtes connaissent un quelconque art de la divination. Quand ils furent tout proches, l’infanterie ne sortit pas de ses lignes au point de rompre les rangs, et les troupes légères restèrent en formation, en se contentant de lancer des javelots, de tirer des flèches ou de tirer des balles de fronde. La cavalerie des deux côtés resta sans emploi, car la passe est non seulement étroite, mais aussi très glissante à cause de la nature des roches, et surtout à cause du fait que les ruisseaux la recouvrent d’eau en grande partie. Les Galates étaient moins bien armés que les Hellènes, n’ayant pour toute protection que leur bouclier national, et leur étant, de plus, inférieurs en ce qui concerne l’art de la guerre. Ils marchaient sus à l’ennemi avec la furie et la passion des bêtes sauvages. Même pourfendus d’un coup de hache ou d’épée, ils gardaient toute leur frénésie, tant qu’ils respiraient encore et même percés de flèches ou de javelots, ils ne rabattaient rien de leur emportement tant qu’un souffle de vie leur demeurait. Certains d’entre eux arrachaient de leurs blessures les javelines qui les avaient atteints, et les relançaient sur les Hellènes, ou s’en servaient pour combattre au corps-à-corps. Pendant ce temps-là les Athéniens sur leurs trirèmes, ayant néanmoins quoiqu’avec difficulté, voire de façon dangereuse, réussi à naviguer en suivant la côte malgré la boue qui s’étendait loin dans la mer, conduisirent leurs navires aussi près que possible des Barbares, et les criblèrent de flèches ou de toutes sortes de projectiles. Les Celtes étaient dans une indicible détresse, et comme dans un espace aussi restreint, ils ne réussissaient guère à infliger à leurs adversaires que quelques blessures, alors que dans le même temps ils en recevaient deux à quatre fois
52
plus, leurs chefs donnèrent le signal du repli sur le camp. Comme ils battaient en retraite dans la plus grande confusion, voire en pleine débandade, beaucoup d’entre eux furent foulés aux pieds par leurs camarades, et beaucoup tombèrent dans les marais, ils disparurent dans la boue. Ils perdirent donc à l’occasion de cette retraite autant d’hommes que lorsque la bataille avait fait rage…
Après cette bataille aux Thermopyles les Hellènes enterrèrent leurs propres morts et dépouillèrent les cadavres des Barbares, mais les Galates, eux, n’envoyèrent aucun héraut pour demander qu’on les laisse enlever leurs corps, et ils ne se préoccupèrent guère que la terre les reçoive, ou qu’ils soient dévorés par les bêtes sauvages, voire les oiseaux charognards. Il y avait à mon avis deux raisons qui faisaient qu’ils étaient indifférents à la sépulture de leurs morts : ils désiraient semer la terreur chez leurs ennemis, mais également suivre leur coutume de n’avoir aucun sentiment pour ceux qui s’en étaient allés. Lors de cette bataille, quarante des Hellènes tombèrent. Les pertes des Barbares, elles, sont impossibles à estimer, car le nombre de ceux qui disparurent dans la boue fut très élevé.
Chapitre XXII.
Le septième jour après cette bataille un régiment de Galates tenta de monter sur l’Oeta par Héraclée. En ce lieu en effet un sentier très étroit s’élève, juste après les ruines de Trachin. Il y avait aussi un sanctuaire d’Athéna sur ce territoire, et à l’intérieur des offrandes votives. Aussi espéraient-ils monter jusqu’à l’Oeta par ce sentier, mais aussi par la même occasion s’emparer des offrandes du temple en passant. Ce passage était défendu par des Phocéens sous les ordres de Télésarchus. Ils triomphèrent des Barbares dans cet engagement, mais Télésarchus lui-même tomba, c’était un homme entièrement dévoué, si quelqu’un le fut jamais, aux Hellènes. Les chefs barbares redoutaient tous les Hellènes à l’exception de Brennus, et ils craignaient aussi pour leur avenir, en voyant que leur situation en cours ne montrait aucun signe d’amélioration. Mais Brennus pensa que s’ils pouvaient obliger les Étoliens à rentrer chez eux, alors ils trouveraient la guerre contre les Hellènes plus facile à poursuivre. Aussi détacha-t-il de son armée quarante mille fantassins et environ huit cents cavaliers. Il leur donna comme chefs Orestorios et Combutis, qui, après avoir repassé les ponts jetés sur le Spercheius et de nouveau traversé la Thessalie, envahirent l’Étolie. Le tragique destin des Calliens, entre les mains de Combutis et d’Orestorios, est la pire des atrocités dont on ait jamais entendu parler, sans aucun parallèle parmi tous les crimes commis un jour par des hommes. Ils passèrent au fil de l’épée tout ce qui était de sexe masculin, les vieillards furent, eux aussi, égorgés, tout comme les enfants même encore au sein de leur mère. Les plus gras de ces nourrissons, les Galates les tuaient, puis buvaient leur sang et mangeaient leur chair.
[Première note de l’éditeur. Aucun de nos lecteurs n’est obligé de croire tout ce qu’écrit Pausanias.
Seconde note de l’éditeur. On croirait entendre des journalistes ou des gens de médias disserter longuement sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein en Irak lors de la deuxième guerre du Golfe (1990-1991) ou sur les viols de masse ordonnés par Kadhafi en Libye en 2011].
Les femmes et les jeunes filles, si elles avaient quelque fierté, anticipèrent leur fin quand la ville fut prise. Celles qui survécurent souffrirent sous la contrainte la plus impérieuse, toutes sortes d’outrages, entre les mains d’hommes également dépourvus de pitié ou d’amour. Toutes les femmes qui eurent la chance de trouver une épée galate pour cela se suicidèrent. Les autres étaient sur le point de mourir de faim ou de manque de sommeil, que ces impitoyables barbares les outrageaient encore à tour de rôle, et satisfaisaient leur convoitise avec les mourantes voire sur les mortes.
Les Étoliens ayant été informés par des messagers du désastre qui s’était abattu sur eux, sur le champ ils retirèrent toutes leurs forces des Thermopyles, et se hâtèrent de rentrer en Étolie, atterrés par les souffrances des Calliens, donc encore plus désireux de préserver d’un tel sort les villes qui n’avaient pas déjà été prises. Dans toutes les cités, on mobilisa les hommes en âge de porter les armes, ceux qui étaient plus âgés, indignés ou désespérés par les événements, se joignaient aussi à leurs rangs et même leurs femmes prirent volontiers les armes, se montrant même encore plus enragées contre les Galates que les hommes.
53
Quand les barbares, après avoir pillé maisons et sanctuaires, et mis le feu à Callium, s’en revinrent en empruntant le même chemin, ils furent attaqués par les Patréens qui, seuls de tous les Achéens, étaient venus à l’aide des Étoliens. Ayant tous été formés comme hoplites, ils lancèrent donc une attaque frontale sur les Barbares, mais subirent beaucoup de pertes à cause du nombre et de la fureur désespérée des Galates. Les Étoliens tant hommes que femmes, placés en embuscade le long de la route, tiraient sur les barbares, et peu de leurs traits rataient leurs cibles, protégées par rien hormis leur bouclier national. Poursuivis par les Galates, ils leur échappaient facilement, et renouvelaient leurs assauts avec vigueur dès que les ennemis leur avaient tourné le dos, afin de rejoindre le reste de la troupe. Bien que les Calliens aient tellement souffert, que même les poèmes d’Homère sur les Lestrygons et les Cyclopes ne semblent plus exagérés, ils furent donc ainsi dûment et pleinement vengés. Car des quarante mille et huit cents barbares, il en revint moins de la moitié dans leur camp des Thermopyles. Pendant ce temps-là, pour les Hellènes des Thermopyles, voici donc ce qui se passait. Il y avait deux sentiers à travers le mont Oeta : celui au-dessus de Trachin est très raide et la plupart du temps escarpé ; l’autre, qui passe par le territoire des Énianes, est plus facile à suivre pour une armée. C’est à travers lui que, lors d’une précédente occasion, Hydarnès le Perse était passé pour prendre les Hellènes à revers, sous Léonidas. Les Énianes et les Héracléotes promirent de guider Brennus par cette route, non parce qu’ils en voulaient aux Hellènes, mais parce qu’ils avaient hâte de voir les Celtes quitter leur territoire, et ne pas y rester jusqu’à sa ruine complète. Je pense que Pindare disait bien la vérité quand il écrivit un jour que chacun est toujours accablé par ses propres malheurs, mais moins sensible à ceux des autres. Brennus fut donc encouragé par cette promesse faite par les Énianes et les Héracléotes. Laissant Akikorios derrière lui avec le gros de l’armée, avec instruction de n’attaquer que quand son mouvement pour prendre à revers l’ennemi serait terminé, Brennus en personne, à la tête d’un détachement de quarante mille hommes, se mit en route, en empruntant ce chemin. Or il arriva ce jour-là que le brouillard se répandit sur la montagne, en assombrissant le soleil, de sorte que les Phocéens qui étaient de garde sur le sentier virent les Barbares arriver sur eux, avant d’avoir été avertis de leur approche. Les Galates passèrent aussitôt à l’attaque. Les Phocéens résistèrent en faisant preuve d’un courage très viril, mais à la fin ils furent forcés de se retirer du sentier. Néanmoins ils réussirent à courir prévenir leurs alliés avant que la manœuvre de contournement des troupes hellènes ait pu être achevée.
Chapitre XXIII.
Sur quoi les Athéniens avec leur flotte réussirent à évacuer à temps les forces hellènes des Thermopyles, qui se débandèrent et retournèrent dans leurs foyers respectifs. Brennus, sans tarder un seul instant, se mit en route pour Delphes, sans attendre que le gros des troupes placé sous le commandement d’Akikorios ne les rejoigne. Les Delphiens terrorisés se réfugièrent auprès de l’oracle. Le dieu entreprit de les rassurer, leur promit qu’il défendrait lui-même, en personne, ce qui était à lui. Les Hellènes qui accoururent à la rescousse du dieu furent les suivants : les Phocéens qui vinrent de toutes leurs cités ; d’Amphisse quatre cents hoplites. Des Étoliens quelques-uns arrivèrent sur le champ après avoir entendu parler de l’avance des Barbares, et un peu après Philomèlus en amena douze cents autres. L’élite des Étoliens se retourna contre l’armée d’Akikorios qui faisait mouvement, et sans rechercher la bataille rangée, harcelèrent les arrières de leurs colonnes, pillant leurs bagages, passant leurs conducteurs au fil de l’épée. Ce fut surtout pour cela que leur marche se révéla extrêmement lente. En outre Akikorios avait laissé une partie de son armée à Héraclée, afin de garder les bagages de leur camp. Brennus et les siens se retrouvaient dorénavant face aux Hellènes rassemblés à Delphes, et aussitôt des signes ne présageant rien de bon pour les Barbares furent envoyés par le dieu, les plus clairs jamais connus dans l’Histoire. Le sol occupé par l’armée galate fut violemment secoué par des séismes, pendant la plus grande partie de la journée, soumis continuellement au tonnerre et à la foudre. Le tonnerre terrifiait les Galates et les empêchait d’entendre les ordres de leurs propres chefs, pendant que la foudre céleste brûlait non seulement ceux qui étaient frappés par elle, mais aussi leurs voisins, tout comme leurs cuirasses. Ensuite il y eut apparition des fantômes de héros comme Hyperochos, Laodocos et Pyrrhos ; selon certains il y en eut même un quatrième, Phylacos, un héros du pays des Delphiens. Parmi les nombreux Phocéens qui furent tués dans l’action se trouvait Aleximachus qui, lors de cette bataille, surpassa tous les autres Hellènes pour ce qui est de la jeunesse, de la force physique, et de son entrain à tuer les Barbares. Les Phocéens ont fait
54
sculpter une statue d’Aleximachus et l’ont envoyée à Delphes en tant qu’offrande pour Apollon. Toute la journée les Barbares furent assaillis par des calamités ou des terreurs de toutes sortes. Mais la nuit devait leur infliger des épreuves encore plus douloureuses. Car alors s’abattit sur eux un froid sévère, accompagné de neige, et de grosses pierres se détachant du Parnasse. Des roches en surplomb s’en détachaient en effet, comme si elles avaient pris pour cible les Barbares, et leur chute en contrebas en écrasait, non pas un ou deux à la fois, mais trente et plus, ainsi qu’ils avaient le malheur de s’être rassemblés pour monter la garde, ou prendre du repos. À l’aube les Hellènes arrivèrent de Delphes, puis lancèrent une attaque frontale, à l’exception des Phocéens qui, étant plus familiers de la région, descendirent à travers la neige en bas des escarpements du Parnasse, et surprirent ainsi les Celtes sur leurs arrières, les criblant de flèches et de javelots sans avoir rien à craindre des Barbares. Au début du combat, les Galates offrirent une vigoureuse résistance, spécialement la compagnie attachée à Brennus, qui était composée des plus grands et des plus braves de ces Galates ; bien qu’attaqués de toutes parts, et non moins agressés par le froid, surtout les blessés. Mais quand Brennus en personne fut blessé, il fut évacué sans connaissance hors du champ de bataille, et les barbares, harcelés de toutes parts par les Hellènes, se replièrent à contrecœur ; après avoir passé au fil de l’épée tous ceux qui, empêchés par des blessures ou malades, ne pouvaient partir avec eux. Ils campèrent la nuit les avait surpris dans leur retraite, et ce soir-là s’abattit sur eux une vraie peur « panique ». Car les terreurs sans cause sont dites venir du dieu Pan. Ce fut à la nuit tombante que la confusion s’installa. Au début seuls quelques-uns d’entre eux devinrent fous : ils s’imaginaient entendre un piétinement de chevaux lancés au galop, et des ennemis se ruant à l’attaque sur eux, mais au bout de quelque temps cette illusion se répandit aussi chez tous les autres. Se ruant sur leurs armes, ils se divisèrent alors en deux partis, tuants ou étant tués, ne comprenant plus leur propre langue et ne reconnaissant plus les uns les autres la forme de leurs boucliers nationaux. Les deux partis pareillement, sous l’effet de cette illusion, pensaient que leurs adversaires étaient des Hellènes, hommes et armements, et que la langue qu’ils parlaient entre eux était celle de l’Hellade ; les Galates s’entr’égorgèrent donc en masse à cause de cette folie due au dieu. Ceux des Phocéens qui avaient été laissés derrière dans les champs pour garder les troupeaux furent les premiers à découvrir et à rapporter aux Hellènes la panique qui s’était emparée des Barbares durant la nuit. Les Phocéens redoublèrent donc d’ardeur dans leurs assauts contre les Celtes, renforcèrent la garde des parcs, et ne les laissèrent jamais vivre sur le pays en s’emparant sans combat de ce qu’il leur fallait pour se ravitailler, de telle sorte que l’armée galate tout entière souffrit instantanément d’un cruel manque de blé ou de toute autre nourriture. Leurs pertes en Phocide furent les suivantes : environ six mille hommes du fait des combats ; quant à ceux qui périrent dans l’orage presque hivernal qui s’abattit sur eux dès la nuit tombante, et après dans la peur panique qui s’ensuivit, leur nombre fut de plus de dix mille, de même pour ceux qui moururent de faim. Des éclaireurs athéniens arrivèrent Delphes pour s’informer, après quoi ils s’en retournèrent chez eux et rapportèrent ce qui était arrivé aux barbares, ainsi que tout ce que le dieu leur avait infligé. Les Athéniens partirent en campagne, et comme ils traversaient la Béotie, les Béotiens se joignirent à eux. Toutes ces armées combinées poursuivirent les barbares, en leur tendant des embuscades et en tuant les traînards isolés. Ceux qui fuyaient avec Brennus ne furent rejoints par l’armée placée sous le commandement d’Akikorios que la nuit précédente, car les Étoliens avaient retardé leur marche, en les criblant sans pitié d’une nuée de javelots ainsi que de tout ce qu’ils pouvaient trouver, de sorte que seule une petite partie d’entre eux put rejoindre leur camp de base d’Héraclée. Ils avaient toujours espoir de sauver la vie de Brennus, du moins en ce qui concerne ses blessures, mais , en partie parce qu’ils craignaient la colère de ses compatriotes, et plus encore parce qu’il était bien conscient des maux qu’il avait attirés sur leurs têtes, il s’enleva la vie en buvant du vin [non coupé]. Après cela les Barbares battirent en retraite, avec les plus grandes difficultés, en direction du Spercheius, pressés de tous côtés par les Étoliens. Mais après être arrivés sur le Spercheius, les Thessaliens et les Maliens leur tendirent des embuscades, et en firent un tel massacre, que pas un seul des Galates ne put rentrer chez lui sain et sauf. Cette expédition des Celtes dans l’Hellade, et son anéantissement, eurent lieu alors qu’Anaxicrate était archonte dans Athènes, la seconde année de la cent vingt-cinquième olympiade, celle au cours de laquelle Ladas d’Égine termina vainqueur de la course à pied. L’année suivante, alors que Dèmoclès était archonte dans Athènes, les Celtes passèrent en Asie. Tel fut donc le déroulement de cette guerre.
55
Note de la rédaction. Pas un seul des Galates ne put rentrer chez lui sain et sauf… selon les journalistes ou les médias de l’époque, évidemment !
DIODORE DE SICILE (Ier siècle avant notre ère).
Diodore de Sicile. Historien et chroniqueur. Auteur de l’ouvrage intitulé « Bibliothèque historique » ou « Histoire Universelle ». Se réfère, lui aussi, bien entendu, à d’autres historiens l’ayant précédé. Par exemple Timée.
LA BIBLIOTHÈQUE DE L’HISTOIRE.
56
LIVRE II.
Chapitre XLVII.
En ce qui nous concerne, puisque nous avons jugé bon de faire mention des régions d’Asie qui sont au nord, nous estimons qu’il ne serait pas étranger à notre dessein de traiter des légendes concernant les Hyperboréens. Parmi ceux qui ont écrit à propos des mythes antiques, Hécatée, ainsi que quelques autres disent que, dans les régions au-delà du pays des Celtes, il existe une île qui n’est pas plus petite que la Sicile. Cette île, poursuivent nos auteurs, est située au nord, et se trouve habitée par les Hyperboréens, qui sont appelés ainsi parce que leur patrie est au-delà de l’endroit d’où souffle le vent du nord (Borée). Cette terre très fertile produit toutes sortes de cultures, et bénéficie de façon quelque peu surprenante d’un climat suffisamment tempéré pour donner deux récoltes par année. En outre, on rapporte la légende suivante à son sujet : Leto est native de cette île, et c’est la raison pour laquelle Apollon y est honoré chez eux plus que tout autre dieu ; ses habitants sont regardés comme des prêtres d’Apollon, à cause du fait qu’ils prient ce dieu toute la journée, par des chants, voire qu’ils l’honorent un peu trop. Et il y a aussi sur cette île à la fois une magnifique enceinte consacrée au dieu Apollon, et un temple notable [Stonehenge ?] orné de nombreuses offrandes votives, de forme sphérique. En outre il y a une cité qui est vouée au dieu ; la plupart de ses habitants sont des joueurs de cithare, ils font résonner quotidiennement cet instrument dans le temple et chantent des hymnes de prières au dieu, glorifiant ses hauts faits.
LIVRE IV.
Chapitre VIII.
Je n’ignore pas que de nombreuses difficultés guettent celui qui entreprend de rendre compte des anciens mythes, et c’est tout particulièrement vrai en ce qui concerne les mythes relatifs à Hercule. Vu la grandeur des exploits qu’il a réussis, on admet généralement qu’Hercule a surpassé tout autre homme connu ; il est par conséquent difficile de rapporter comme il convient, chacun de ses hauts faits, d’en faire un compte-rendu en rapport avec des travaux, si gigantesques que leur grandeur lui a valu d’être immortel. En outre, puisque aux yeux de beaucoup, la très haute antiquité de ces exploits ainsi que le caractère vraiment étonnant des faits rapportés, en font des récits proprement incroyables, un auteur se trouve généralement contraint, soit d’omettre ses plus fabuleux exploits, donc d’en entamer le renom, soit de les raconter tous de façon détaillée, mais de s’exposer alors au risque de ne pas être cru. Certains lecteurs en effet ne réagissent pas comme il faudrait, ils attendent d’une relation des mythes antiques la même exactitude que celle qui peut concerner des événements de notre temps, et, mesurant ces hauts faits à l’aune de leur propre vie, jugent sévèrement ces exploits dont la grandeur les plonge dans le doute. Ils rapportent la puissance d’Hercule à la faiblesse des hommes d’aujourd’hui, ce qui a pour résultat que la grandeur vraiment extraordinaire de ces exploits fait alors de leur relation des fables difficilement crédibles. Car en général, pour ce qui est des mythes, on ne devrait jamais envisager la vérité d’un point de vue si réducteur. Au théâtre par exemple, bien que nous sachions pertinemment qu’il n’y a jamais eu sur terre de Centaures au corps fait à partir de celui de deux créatures d’espèces différentes, ni de Géryon à trois corps, nous regardons d’un œil intéressé le résultat de tous ces mythes, et par nos applaudissements nous rendons ainsi un vibrant hommage à ce dieu.
NDLR. Même problème avec la mythologie celto-druidique.
Chapitre XIX.
Hercule ensuite remit le royaume des Ibères aux plus nobles d’entre eux, quant à lui, après avoir rassemblé son armée, il passa en Celtique, et en la parcourant de long en large mit fin à la pratique illégale de l’assassinat des étrangers, à laquelle s’était accoutumé ce peuple ; puis comme une multitude d’hommes de toutes les tribus avaient rejoint de leur propre chef son armée, il fonda une grande cité, qui fut appelée Alésia du fait de son errance [Alê en grec] au cours de cette campagne. Mais il introduisit aussi beaucoup d’indigènes parmi les citoyens, et comme ils finirent par surpasser en nombre ces derniers, peu à peu la population de la ville sombra dans la barbarie. Les Celtes jusqu’à nos jours tinrent en grand honneur cette cité, la
57
regardant comme le foyer ou la métropole (cité mère) de toute la Celtique. Depuis l’époque d’Hercule jusqu’à aujourd’hui, elle resta toujours libre, et ne fut jamais mise à sac, sauf à la fin, quand Gaius César, qui avait été lui aussi appelé dieu à cause de la grandeur de ses exploits, la prit de vive force, et la soumit aux Romains, elle et les autres Celtes. Hercule quitta ensuite la Celtique pour l’Italie et en passant par les Alpes il transforma en route cet itinéraire, qui était jusque-là rude et presque impraticable, avec pour résultat qu’il peut être suivi désormais par une armée accompagnée de tout son train de bagages. Les Barbares qui habitaient cette région montagneuse avaient pour fâcheuse habitude d’égorger puis de piller toutes les armées qui venaient à emprunter les portions les plus difficiles mais il les subjugua et tua les responsables des désordres de ce genre, rendant ainsi ce voyage plus sûr pour les générations suivantes. Après avoir franchi les Alpes enfin, il entra dans ce qui est maintenant appelé Galatia, et poursuivit son chemin au travers de la Ligurie.
Chapitre XL.
Quant aux Argonautes, puisque Hercule se joignit à leur aventure, il peut être approprié ici d’en dire deux mots. Voici que nous en rapporte la tradition : Jason était le fils d’Éson…
Chapitre LVI.
Pour parler plus généralement, c’est à cause du goût immodéré des poètes tragiques pour le merveilleux que tant de légendes diverses ou inconsistantes ont circulé sur Médée ; certains, dans leur désir de s’attirer les faveurs des Athéniens, disent même que c’est d’Égée qu’elle eut Médos, avant de s’enfuir en Colchide…
Beaucoup d’historiens, aussi bien anciens que contemporains, dont Timée, disent que les Argonautes, après s’être emparés de la toison d’or, apprenant que l’entrée du Pont était bloquée par la flotte d’Aeétès, accomplirent alors un exploit digne d’être mentionné. Ils remontèrent à la voile le Tanaïs aussi loin que possible, en direction de sa source, et arrivés tirèrent le navire à terre pour emprunter un autre fleuve qui se jette dans la mer, en le descendant à la voile jusqu’à l’Océan. Et ensuite ils naviguèrent du nord vers l’ouest, en ayant la terre à leur gauche, puis quand ils furent arrivés dans les environs de Gadeira (Cadix), ils pénétrèrent dans notre Mer [la Méditerranée]. Comme preuve de tout cela, ces auteurs remarquent que les Celtes qui demeurent le long des côtes de l’Océan adorent les Dioscures plus que tous les autres dieux, puisqu’il existe chez eux une tradition remontant à la plus haute antiquité, comme quoi ces dieux seraient apparus dans leur pays, venant de l’Océan. Et que d’ailleurs la contrée qui borde l’Océan regorge de noms évoquant les Argonautes et les Dioscures…
LIVRE V.
Chapitre XXIII.
Mais en ce qui concerne l’étain de [Grande] Bretagne, nous nous contenterons de ce qui a déjà été dit, et nous traiterons maintenant de l’électrum, ainsi qu’on l’appelle [de l’ambre]. En face de la Scythie et s’étendant au-dessus de la Galatie, se trouve une île au large en pleine mer, appelée Basilée. Sur cette île les vagues rejettent de grandes quantités de ce qui est connu comme étant de l’électrum [de l’ambre], que l’on ne voit nulle part ailleurs dans le monde, et à propos duquel les auteurs anciens ont composé des histoires complètement fantaisistes, qui sont difficiles à croire, et qui ont été réfutées par des faits incontestables. Car de nombreux poètes ou historiens nous racontent que Phaëton, le fils d’Hélios, encore enfant, persuada un jour son père de lui confier la conduite de son quadrige pendant vingt-quatre heures ; et que, après qu’Hélios eut accédé à la requête de Phaëton, comme ce dernier se montra incapable de bien tenir les rênes, en conduisant le char, les chevaux, sentant qu’ils avaient affaire à un conducteur inexpérimenté, dévièrent de leur course habituelle ; qu’ils errèrent d’abord çà et dans le ciel, ensuite y mirent le feu, en laissant derrière eux ce qui est maintenant appelé la Voie lactée ; enfin qu’il déversa tant de rayons brûlants, sur maintes régions de la terre habitée, qu’il n’en brûla pas qu’une petite partie. Zeus par conséquent, indigné par ce qui s’était passé, foudroya Phaëton et remit le soleil dans le droit chemin. Phaëton tomba sur terre à l’embouchure du fleuve qui est connu aujourd’hui sous le nom de Padus [le Pô], mais qui jadis était appelé l’Éridan, ses sœurs qui rivalisèrent de pleurs sur sa mort à cause de cet excès de
58
chagrin subirent une métamorphose en devenant des peupliers. Ces peupliers, chaque année à la même saison, versent de nouveau des larmes qui, quand elles se solidifient, forment ce que l’on appelle de l’ambre, une matière qui dépasse en brillance tous les autres produits de même nature, et qui est communément utilisée lors du deuil des jeunes gens. Mais puisque les inventeurs de ces fictions se sont les uns et les autres, trompés, qu’ils ont tous été réfutés par ce qui s’en est ensuivi ultérieurement, nous ne devons ajouter foi qu’aux histoires vraies, à savoir que l’ambre est ramassé sur l’île que nous avons mentionnée plus haut, puis transporté par les indigènes sur le continent qui leur fait face, qu’il est acheminé ensuite à travers ce dernier jusqu’aux régions que nous connaissons, ainsi que nous l’avons établi.
Chapitre XXIV.
Puisque nous avons abordé ce qui concerne les îles situées dans la région du Couchant, nous estimons qu’il ne sera pas étranger à notre travail de traiter brièvement des tribus d’Europe qui en sont voisines et que nous n’avons pas mentionnées dans notre précédent livre. La Celtique était jadis dirigée par un célèbre roi, nous a-t-on dit, qui avait une fille d’une taille inhabituelle, mais qui dépassait aussi en beauté toutes les autres jeunes filles. Mais cette dernière, à cause de la vigueur de son corps et de son charme extraordinaire, était si difficile qu’elle refusait tous les hommes qui lui faisaient la cour et la demandaient en mariage, elle trouvait qu’aucun de ses prétendants n’était digne d’elle. Maintenant, à l’occasion de son expédition contre Géryon, Hercule passa par la Celtique et y fonda la cité d’Alésia ; la jeune fille, en apercevant Hercule, fut émerveillée par sa valeur ainsi que par sa la grandeur de sa taille, et accepta volontiers ses embrassements, ses parents étant d’accord. Du fait de cette union, elle donna un fils nommé Galatès, à Hercule, un enfant qui surpassa tous les autres jeunes gens de sa tribu en matière d’esprit guerrier, mais aussi pour ce qui est de la vigueur du corps. Et quand il atteignit l’âge d’homme et qu’il eut hérité du royaume de ses pères, il soumit à sa loi une grande partie des territoires avoisinants puis accomplit de grands faits de guerre. Devenu célèbre à cause de sa bravoure, il appela ses sujets Galates d’après son propre nom, et ces derniers en retour donnèrent leur nom à ce pays : la Galatie.
Chapitre XXVI.
En outre, puisque le caractère tempéré du climat est gâté par le froid excessif, le pays ne produit ni vin ni huile, en conséquence de quoi ces Galates qui sont privés de tels produits préparent une boisson à base d’orge qu’ils appellent zythos [une sorte de bière] et boivent aussi de l’eau dans laquelle ils ont fait tremper leurs rayons de miel…
Chapitre XXVII.
Et il existe une pratique particulièrement frappante chez les Celtes d’en haut, en rapport avec les enceintes consacrées aux dieux. Dans les temples et les enceintes consacrées de leur pays est entreposée une grande quantité d’or offert aux dieux ; pas un seul des indigènes de ce pays n’ose y toucher, pour cause de scrupule religieux, bien que les Celtes en soient des hommes très avides.
Chapitre XXVIII.
Les Galates sont grands, avec des muscles relâchés, blancs de peau ; leurs cheveux sont blonds, et pas seulement au naturel, car ils usent de divers moyens pour rehausser artificiellement cette couleur que la nature leur a donnée.
Ils se lavent fréquemment les cheveux avec de l’eau de chaux puis les tirent vers l’arrière du front, les tempes et la nuque ; ce qui leur donne l’aspect de Satyres ou de Pans. Leurs cheveux s’épaississent tellement de la sorte qu’ils ressemblent aux crins des chevaux…
Quand ils prennent leur repas, ils sont tous assis, non sur des chaises, mais à même le sol, en se servant de peaux de loup voire de chien en guise de coussin. Le service des plats est fait par de jeunes enfants, garçons et filles, en âge de le faire ; juste à portée de main, il y a des foyers alimentés par des charbons de bois, sur lesquels on trouve des chaudrons et des broches, cuisent des quartiers entiers de viande. Ils honorent les braves d’un morceau de choix, de la même manière que le poète nous dit que fut honoré Ajax par les princes quand il revint victorieux de son combat contre Hector.
Et alors pour Ajax, ce fut de l’échine
59
Des tranches entières, en son honneur.
Ils invitent les étrangers à leurs festins et leur demandent une fois que le repas est terminé, qui donc ils sont et quel besoin les amène. Il est dans leurs habitudes, même durant le repas, de se saisir de n’importe quel sujet même banal comme prétexte à vive dispute, et ensuite de se défier les uns les autres en combat singulier, sans égard pour leur vie ; car chez eux prévaut la croyance pythagoricienne que les âmes humaines sont immortelles, et qu’après un certain nombre d’années donc, elles commencent une nouvelle vie, en entrant dans un autre corps. On nous a dit en conséquence qu’aux funérailles de leurs morts, certains sur le bûcher funèbre jettent des lettres, qu’ils ont spécialement écrites à l’attention de leurs défunts, comme si un mort pouvait encore lire de tels documents.
Chapitre XXIX.
À l’occasion de leurs déplacements et pour partir au combat, les Galates se servent de chars tirés par deux chevaux, transportant un cocher ainsi qu’un guerrier. Quand ils rencontrent de la cavalerie dans un combat, ils lancent d’abord leurs javelots sur cet ennemi et ensuite descendent de leur char puis poursuivent le combat en se servant de leur épée. Certains d’entre eux méprisent la mort à un point tel qu’ils affrontent le péril d’une bataille sans protection défensive et sans rien de plus qu’un ceinturon. Ils emmènent aussi à la guerre des hommes libres pour les servir, en les prenant parmi les pauvres, et ils se servent de ces assistants comme cochers ou comme écuyers. Il est aussi dans leurs habitudes, quand ils sont rangés en ordre de bataille, de s’avancer au-devant de leurs lignes et de défier les plus vaillants de leurs ennemis, en combat singulier, tout en brandissant leurs armes pour effrayer l’adversaire. Et quand quelqu’un accepte de relever leur défi, alors ils se lancent dans une célébration effrénée des hauts faits de leurs ancêtres, et vantent leurs propres exploits, tout en injuriant et en rabaissant leur adversaire, bref en essayant par ces paroles de lui ôter tout courage avant le combat. Quand leurs ennemis sont tombés, ils leur coupent la tête, l’attachent à l’encolure de leurs chevaux, et donnent à leurs assistants les armes de leur adversaire mort, encore toutes ensanglantées, puis les emmènent comme du butin, en chantant un péan sur eux et en commençant un autre hymne de triomphe, ensuite, ces prémices de leur victoire, ils les clouent sur leurs maisons, exactement de la même manière qu’on le fait dans certains types de chasse, avec la tête des bêtes sauvages qu’ils ont tuées. Ils embaument dans de l’huile de cèdre les têtes de leurs ennemis les plus distingués, puis les conservent précieusement dans un coffre, et les montrent ensuite aux étrangers, en assurant gravement que certains de leurs ancêtres, ou leur père, ou eux-mêmes, ont refusé d’échanger cette tête contre une forte somme d’argent. Certains d’entre eux nous a-t-on dit, se vantent même de ne pas avoir accepté de céder la tête qu’ils exhibent, y compris contre son poids en or, manifestant ainsi une sorte de grandeur d’âme quelque peu barbare ; car refuser de vendre ce qui constitue un témoignage ou une preuve de sa valeur est une noble chose, mais continuer à en quelque sorte faire injure, à quelqu’un de sa propre race, après qu’il est mort, c’est s’abaisser au rang des bêtes.
Chapitre XXXI.
Les Galates ont un aspect terrifiant et leurs voix sont profondes et très rudes ; quand ils se rencontrent, ils parlent en peu de mots et par énigmes, en laissant seulement deviner la plus grande partie de ce qu’ils veulent dire, en se servant d’un mot à la place d’un autre ; ils aiment recourir aux superlatifs pour se vanter ou pour rabaisser les autres [en grec hyperbolê]. Ils peuvent se montrer hâbleurs ou menaçants et sont friands de langage pompeux, mais, ils ont néanmoins l’esprit pointu et ne sont pas dénués de toute capacité d’apprendre. On trouve aussi chez eux des poètes lyriques qu’ils appellent bardes. Ces hommes chantent en s’accompagnant d’instruments semblables à des lyres, et leurs chants peuvent être soit des louanges soit des satires. Des philosophes, pourrions-nous dire, et théologiens, sont honorés au plus haut point parmi eux, et sont appelés druides [dronidas ou saronidas voire sarouidas, dans les manuscrits grecs médiévaux de Diodore]. Les Galates ont également recours à des devins, ces hommes déchiffrent l’avenir au moyen du vol et du cri des oiseaux, ou à l’aide du sacrifice d’animaux sacrés ; ils ont la multitude à leurs ordres. Ils ont également une pratique particulièrement étonnante, voire incroyable, quand ils ne savent que penser d’affaires de la plus grande importance ; dans de tels cas, ils vouent à la mort un être humain en lui plongeant une épée dans la partie du corps située au-dessus du diaphragme, et quand la victime à
60
l’agonie est tombée à terre, ils lisent le futur dans la manière dont elle a chuté, dans la façon dont ses membres se sont agités avant de mourir, ainsi que dans le mode d’écoulement de son sang ; ayant appris à se fier à cette méthode d’observation de telles choses, pratiquée sans interruption depuis la plus haute antiquité. La coutume chez eux veut que personne ne puisse accomplir de sacrifice sans un de ces « philosophes », car les Actions de grâces doivent être offertes aux dieux, disent-ils, par le truchement de ces hommes, qui ont l’expérience de la nature divine, et qui parlent, pour ainsi dire, la langue des dieux [ils sont homophonon en grec]; c’est aussi par l’intermédiaire de ces hommes, pensent-ils, que l’on doit pareillement rechercher les bénédictions divines. Et ce n’est pas seulement dans les exigences de la paix, mais tout aussi bien dans celles de la guerre qu’ils obéissent à ces hommes avant tous les autres, ainsi qu’à leurs poètes chantants, et une telle attitude est observée non seulement par les amis, mais aussi par les ennemis ; à maintes reprises par exemple, alors que deux armées s’approchent l’une de l’autre, rangées en ordre de bataille, l’épée nue à la main et les lances pointées en avant, ces hommes s’interposent entre eux et les font s’arrêter, un peu comme s’ils avaient jeté un sort à quelque espèce d’animaux sauvages. Ainsi, même chez les plus sauvages Barbares, la passion cède-t-elle devant la raison, et Arès respecte les Muses.
Chapitre XXXII.
Ils font preuve de la plus étrange impiété aussi en ce qui concerne leurs sacrifices, car ils gardent prisonniers leurs criminels pendant cinq ans, et ensuite les empalent en l’honneur des dieux, en les leur sacrifiant avec de nombreuses autres offrandes de prémices, après avoir édifié de grands bûchers pour cela. Des captifs sont également utilisés par eux comme victimes pour leurs sacrifices en l’honneur des dieux. Certains d’entre eux, de la même manière, mettent à mort, avec les êtres humains, le bétail qu’ils ont pris à la guerre comme butin, ou le brûlent ou le font périr d’une autre façon tout aussi vengeresse…
Chapitre XXXIV.
Des tribus avoisinant les Celtibères la plus avancée de toutes est celle des Vaccéens, comme on les appelle ; car ce peuple chaque année répartit la terre cultivée entre ses membres, et après avoir fait de ses fruits la propriété de tous en les mettant ainsi en commun, ils en distribuent ensuite à chacun la part qui lui revient ; pour les cultivateurs qui en auraient accaparé une partie pour eux-mêmes, ils ont instauré la peine de mort…
LIVRE XXII. Fragments.
Fragment 8.
Brennus, le roi des Galates, avec cent cinquante mille fantassins, munis de longs boucliers, ainsi que dix mille hommes à cheval, accompagnés de toute une horde d’aides de camp, un grand nombre de commerçants et deux mille chariots, envahit la Macédoine et engagea la bataille. Ayant perdu de nombreux hommes dans ces opérations il…… plus tard il s’avança dans l’Hellade en direction de Delphes, qu’il désirait piller. Dans la gigantesque bataille qui fut livrée là, il perdit dix mille de ses compagnons d’armes et Brennus lui-même y reçut trois blessures. Abattu et sentant la mort proche, il rassembla son armée autour de lui et parla aux Galates. Il leur demanda de l’achever, lui ainsi que tous les blessés, de brûler leurs chariots, et de rentrer à la maison ainsi allégés de leurs bagages ; il leur demanda également de reconnaître Kikorios comme leur roi. Ensuite, après avoir bu beaucoup de vin pur, Brennus se tua lui-même. Une fois que Kikorios eut procédé à son inhumation, il fit tuer les blessés ainsi que tous ceux qui étaient trop affaiblis par le froid ou la faim, soit en tout environ vingt mille hommes ; et il commença le voyage de retour dans leur patrie avec le reste, par la même route. En terrain difficile les Hellènes les auraient attaqués, puis taillé en pièces leur arrière-garde, avant d’enlever tous leurs bagages. Sur la route menant aux Thermopyles, la nourriture commençant à se faire rare, ils perdirent vingt mille hommes de plus. Tous les autres périrent alors qu’ils traversaient la Dardanie, et il n’y eut pas un survivant pour rentrer à la maison.
…………………………………………………………………………………………………………………………………………
61
Brennus, le roi des Galates, en entrant dans un temple, n’aperçut aucune offrande d’or ni d’argent, et quand il y vit seulement des images de pierre ou de bois, il éclata de rire à la pensée que des hommes, croyant que les dieux avaient des formes humaines, aient pu sculpter ainsi leurs images, dans du bois ou de la pierre…
…………………………………………………………………………………………………………………………………………
À l’époque de l’invasion des Galates, les habitants de Delphes, voyant quel danger menaçait, demandèrent au dieu s’ils devaient enlever les trésors, les enfants, et les femmes, du temple, pour les mettre à l’abri dans les villes voisines les mieux fortifiées. La pythie répondit aux Delphiens que le dieu leur ordonnait de laisser dans le temple les offrandes et tout ce qui appartenait aux ornements des dieux ; car le dieu lui-même, et avec lui les Vierges blanches les protégeraient. Comme il y avait dans l’enceinte sacrée deux temples de la plus haute antiquité, celui d’Athéna Pronaos et celui d’Artémis, ils supposèrent que ces deux déesses étaient les « Vierges blanches » évoquées par l’oracle.
JUSTIN (IIIe ou IVe siècle).
Historien romain. Il est l’auteur d’un épitomé ou d’un résumé reprenant les plus intéressants et les plus importants passages des Histoires philippiques et universelles, d’un dénommé Trogue Pompée.
LIVRE XXIV.
Chapitre IV.
Les Celtes continentaux, quand le pays qui les portait ne fut plus capable, à cause de l’accroissement excessif de sa population, de continuer à les abriter, envoyèrent trois cent mille hommes en printemps sacré, chercher une nouvelle terre. De ces aventuriers une partie s’installa en Italie, et prit, voire brûla, Rome. Les autres pénétrèrent dans les parties les plus reculées de l’Illyrie en suivant la direction indiquée par un vol d’oiseaux (car les Celtes
62
continentaux sont très versés dans l’art des augures, au-delà de toutes les autres nations en ce domaine), se frayèrent un chemin en faisant un grand massacre de tribus barbares, et fixèrent leur demeure en Pannonie. C’était une nation guerrière, sauvage et fière, et ils furent les premiers après Hercule qui cette entreprise valut donc une grande admiration pour ce qui est de sa valeur, ainsi qu’une certaine croyance en son immortalité) à franchir les hauteurs invaincues des Alpes, ainsi que des lieux rendus inhabitables à cause de l’excès de froidure. Après avoir soumis les Pannoniens, ils soutinrent diverses guerres contre leurs voisins pendant de nombreuses années. Encouragés par le succès, ils se séparèrent en deux armées distinctes, certains marchant sur l’Hellade, les autres sur la Macédoine, en dévastant tout devant eux à la pointe de l’épée. Telle était la terreur qu’inspiraient lesdits Celtes que même les rois, craignant leur attaque, leur achetaient la paix à prix d’or. Seul Ptolémée, le roi de Macédoine, entendit parler de leur approche sans s’alarmer, ensuite, pressé par la folie qui lui faisait oublier ses crimes, pourtant des plus odieux, il vint à leur rencontre avec quelques bataillons de soldats indisciplinés, comme si les guerres pouvaient être expédiées aussi facilement que des meurtres. Une ambassade des Dardaniens lui proposa vint mille hommes en armes pour l’assister, il refusa en leur tenant un langage insultant et en leur disant « que la Macédoine tomberait bien bas si, après avoir soumis tout l’Orient sans eux, elle avait maintenant besoin de l’aide des Dardaniens pour défendre ses frontières ; qu’il avait comme soldats les fils de ceux qui avaient servi sous Alexandre le Grand et avaient triomphé partout dans le monde ». Cette réponse ayant été transmise au prince dardanien, ce dernier comprit que « le fameux royaume de Macédoine allait bientôt tomber, sacrifié par l’imprudence d’une jeunesse sans expérience ».
Chapitre V.
Les Celtes, sous le commandement de Belgios, envoyèrent des députés à Ptolémée pour sonder les intentions des Macédoniens, lui offrant la paix s’il voulait l’acheter mais Ptolémée se vanta auprès de ses courtisans que les Celtes demandaient la paix par peur de la guerre. Et ses vantardises ne furent pas moindres avec les ambassadeurs qu’avec son propre entourage, disant « qu’il ne leur accorderait la paix qu’à condition qu’ils lui livrent leurs chefs en otages et lui remettent leurs armes car il ne pourrait pas leur faire confiance tant qu’ils seraient armés ». Les ambassadeurs ayant rapporté sa réponse, les Celtes éclatèrent de rire et s’écrièrent « qu’il verrait bientôt s’il lui avait offert la paix par peur pour eux-mêmes ou par égard pour lui ». Quelques jours après une bataille s’engagea, et les Macédoniens furent défaits puis taillés en pièces. Ptolémée, après avoir reçu plusieurs blessures, fut capturé ; sa tête coupée sur-le-champ et fichée au bout d’une lance fut promenée par eux devant toute l’armée pour frapper de terreur leur ennemi. Quelques Macédoniens trouvèrent le salut dans la fuite, le reste fut tué ou fait prisonnier. Quand la nouvelle de cet événement se fut répandue à travers toute la Macédoine, les cités fermèrent leurs portes et un peu partout éclatèrent des lamentations. Ils pleuraient la perte de leurs enfants massacrés ; ou étaient terrorisés à l’idée de voir leur cité détruite, voire invoquaient sur eux les noms de leurs rois défunts, Alexandre et Philippe, comme des dieux, afin d’en obtenir une protection ; s’écriant « qu’avec eux non seulement ils avaient donc été en sécurité, mais qu’ils avaient aussi conquis le monde » et les suppliant « de défendre leur pays dont ils avaient naguère exalté la renommée jusqu’au ciel grâce à la gloire de leurs exploits, de venir porter assistance à leur peuple plongé dans l’affliction ou ruiné par la folie et l’imprudence de Ptolémée ». Alors que tous étaient ainsi réduits au désespoir, Sosthène, un des chefs macédoniens, pensant qu’il ne servait à rien de prier, rassembla tous les hommes en âge de porter les armes, repoussa les Celtes qui exultaient, tout à leurs cris de victoire, et préserva la Macédoine de la dévastation. En raison de ce grand service rendu à la patrie, bien qu’étant d’humble extraction, il fut choisi parmi beaucoup d’autres nobles Macédoniens pour monter sur le trône mais bien que proclamé roi par son armée, ce fut en tant que général qu’il demanda aux soldats de lui prêter serment.
Chapitre VI.
Cependant, dans le même temps, Brennus, sous le commandement de qui une partie des Galates avait fait irruption en Hellade, ayant donc entendu parler du succès de ses compatriotes qui, sous les ordres de Belgius, avaient défait les Macédoniens, mais indigné de voir qu’un si riche butin, les dépouilles de l’Orient, avait été si rapidement abandonné sans raison sérieuse, rassembla une armée de cent cinquante mille fantassins et quinze mille
63
cavaliers, puis envahit brusquement l’Hellade. Alors qu’il dévastait la campagne et les villages, Sosthène lui livra bataille avec toute son armée de Macédoniens en grand arroi, mais comme ils étaient peu nombreux et encore plongés dans la consternation, ils furent aisément vaincus par les Galates plus nombreux et plus forts ; les Macédoniens vaincus se retirèrent derrière les murs de leurs villes et Brennus victorieux ne rencontrant aucune résistance, ravagea les campagnes à travers toute la Macédoine. Peu de temps après, comme si les dépouilles des mortels n’étaient point assez pour lui, alors il tourna ses pensées vers les temples des dieux immortels, et plaisanta de façon blasphématoire en disant que « les dieux, étant riches, doivent être généreux envers les hommes ». Ensuite et soudainement il dirigea sa marche sur Delphes, considérant plus les richesses que la religion, se préoccupant davantage de l’or que de la colère des dieux, « qui », disait-il, « n’ont nul besoin de richesses, accoutumés qu’ils sont à plutôt les prodiguer aux mortels »…
Chapitre VII.
Brennus, quand il arriva en vue du temple, délibéra quelque temps pour savoir s’il devait aussitôt tenter une attaque sur lui, ou accorder à ses soldats fatigués de leur marche une nuit de repos. Les chefs des Énianes et des Thessaliens, qui s’étaient joints à lui pour avoir leur part du butin, furent d’avis qu’il fallait « attaquer sans délai alors que l’ennemi n’était pas encore prêt à se défendre, que l’alarme venait juste d’être donnée dans son camp ; qu’en une nuit le courage pouvait leur revenir, de l’aide leur arriver, que la route qui était libre devant eux pour l’instant pouvait être bloquée ». Mais les simples soldats, ayant trouvé un pays regorgeant de vin et de provisions de toutes sortes, après avoir enduré beaucoup de privations, s’étaient déjà dispersés dans la campagne, en se réjouissant d’une telle abondance, comme s’ils étaient vainqueurs, et après avoir déserté leurs enseignes, ils erraient dans les environs afin de se saisir de tout en conquérants. Cette dispersion donna quelque répit aux Delphiens. On dit que, lorsqu’arriva le premier rapport annonçant que les Galates approchaient, l’oracle avait interdit aux habitants du pays de mettre en lieu sûr hors de leurs maisons leur blé ou leur vin. Le caractère salutaire de cette interdiction ne fut pas compris sur le coup jusqu’à ce que, tant de vin et d’autres provisions diverses ayant été jetés en pâture aux Galates sur la route devant eux, comme un frein à leur avance, des renforts venant des cités voisines aient eu le temps d’être réunis. Les Delphiens donc, soutenus par les forces de leurs alliés, fortifièrent leur cité avant que les Galates qui cuvaient leur vin après avoir mis la main dessus, aient pu être réunis autour de leurs enseignes. Brennus put alors disposer de soixante-cinq mille fantassins triés sur le volet ; du côté des Delphiens, il n’y avait pas plus de quatre mille hommes ; manifestant alors le plus complet mépris pour eux, Brennus, afin d’exalter le courage de ses hommes, leur fit miroiter la quantité de butin à faire qui s’étalait devant eux, en leur déclarant que les statues et les quadriges dont ils pouvaient apercevoir un grand nombre, étaient en or massif, et vaudraient encore plus cher, une fois pesés, qu’ils n’en avaient l’air.
Chapitre VIII.
Les Galates, excités par ces assertions, et quelque peu échauffés aussi par le vin qu’ils avaient bu la veille, se ruèrent au combat sans craindre le moindre danger. Les Delphiens, de leur côté, qui avaient plus confiance en les dieux qu’en leur propre force, résistèrent à l’ennemi avec mépris et, du sommet de la colline, repoussaient les Galates l’escaladant, pour partie avec des rochers, pour partie avec leurs armes. Au plus fort du combat entre les deux armées, les prêtres des temples, aussi bien que les prêtresses elles-mêmes, les cheveux défaits, avec leurs insignes et leurs bandelettes, s’élancèrent en première ligne, tremblants et frénétiques, en s’exclamant que « le dieu allait venir, qu’ils l’avaient vu descendre dans le temple, par le toit entrouvert ; que, alors qu’ils étaient tous en train d’implorer humblement l’aide de la déité, un jeune homme d’une extraordinaire beauté, très au-dessus de celle des mortels, ainsi que deux vierges en armes, venant des temples voisins de Diane et de Minerve, les avaient croisés ; qu’ils ne les avaient pas seulement vus, mais qu’ils avaient aussi entendu le bruit d’un arc et le cliquetis des armes » ; et ils les conjuraient donc avec les plus vives supplications « de ne pas tarder un seul instant, puisque les dieux les guidaient, de semer la mort parmi les ennemis, et de partager leur victoire avec les puissances célestes ». Galvanisés par de telles exhortations, ils se ruèrent donc tous avec impétuosité sur le champ de bataille, ils sentirent aussitôt la présence de la divinité, car une partie de la montagne, ébranlée par un tremblement de terre, écrasa une armée de Galates ; quelques-uns des plus gros bataillons ennemis furent dispersés,
64
couverts de blessures, et tombèrent à terre. Ensuite une tempête souffla, qui acheva sous les coups de la grêle et du froid ceux qui étaient déjà blessés grièvement. Leur général lui-même, Brennus en personne, incapable de supporter la douleur de ses blessures, mit fin à ses jours avec son poignard. Les fauteurs de guerre ayant été ainsi châtiés, l’autre commandant restant battit en retraite hors de l’Hellade promptement et avec toute l’expédition, accompagné de dix mille blessés. Mais la Fortune ne fut pas plus favorable à ceux qui fuyaient, en proie toujours à la plus grande terreur : ils ne passèrent pas une nuit à l’abri, pas un seul jour sans crouler sous la fatigue et les dangers de toutes sortes ; des pluies continuelles, le froid, la neige, et les glaces, la famine, la fatigue, et, ce qui était le plus grand de tous les maux, le manque permanent de sommeil, achevèrent les misérables restes de cette malheureuse armée. Les nations et les peuples au milieu desquels ils faisaient retraite traquaient leurs traînards comme des bêtes. Il arriva donc pour finir que, d’une aussi grande armée qui, peu de temps auparavant, confiante encore dans ses propres forces, affrontait même les dieux ; ne revint même pas un survivant pour témoigner de son anéantissement.
Note de l’éditeur. Quand on sait que, l’année suivante, plusieurs milliers de participants à cette grande expédition de 279 avant notre ère, fondèrent le royaume de Tylis en Thrace, sous le commandement d’un dénommé Comontoris/Comontorios, ainsi que le royaume galate d’Asie Mineure, avec le concours du roi de Bithynie Nicomède Ier ; que les Romains ont toujours été persuadés que de l’or avait été ramené de Delphes (cf. la légende de l’aurum tolosanum maudit) on ne peut qu’être sceptique sur cette conclusion de Trogue Pompée, qui nous a tout l’air d’être une formule de rhétorique, une clause de style ou un procédé littéraire, très semblable à celui fréquemment utilisé par les conteurs de tout pays. On dirait aujourd’hui les journalistes ou les hommes de médias de l’époque. Par exemple ceux ayant assuré la couverture médiatique de la guerre civile ayant éclaté en Libye en 2011 et qui ont tellement souligné le courage des femmes enceintes faisant reculer les blindés du gouvernement libyen avec leurs mains nues, la prise de la capitale Tripoli grâce aux largages démocratiques effectués par l’OTAN toutes les nuits, de nourritures et de médicaments, afin de protéger massivement les civils, les extra-terrestres qui ont décimé les rangs des hommes en uniforme, seule explication possible de toutes les pertes qu’ils ont eues sur le terrain, il est vrai qu’ils passaient plus de temps à violer qu’à se battre, mais il est non moins vrai que les rebelles n’ont jamais jamais tué personne, que ce ne fut qu’une révolution pacifique, démocratique, laïque, féministe, comme les journalistes qui en assuraient la couverture médiatique d’ailleurs. En tout cas maintenant dans cette région du monde on a enfin compris ce que c’est que la démocratie et la diplomatie en action ou le rejet de la violence. Certains avaient des doutes sur la véritable nature de l’OTAN, mais ils ont compris maintenant que l’OTAN c’est une machine à protéger les civils, nuit après nuit et sans relâche. Il importait que cet exemple de franchise sans aucune hypocrisie, et de désintéressement, soit donné. Aux rouges, aux Russes, aux jaunes, aux Chinois, aux Indiens, aux Sud-Africains, aux Brésiliens… Le monde n’en sera que plus juste maintenant.
LIVRE XXVI.
Chapitre II.
Au même moment, harcelé par différentes guerres, de la part des Spartiates, mais aussi de la part du roi Ptolémée, puis découvrant qu’un nouvel ennemi, une armée venant de Gallo-Grèce, marchait droit sur lui, Antigone laisse quelques troupes formant un semblant de camp pour faire diversion et arrêter un instant ses autres assaillants, puis lance tout le reste de ses forces contre les Galates qui ; avertis de son approche, et alors qu’ils se préparaient à la bataille sacrifient des victimes afin d’augurer de l’événement ; comme l’examen de leurs entrailles laissait présager un grand massacre voire une totale destruction pour eux, ils furent saisis non de peur, mais de folie, et pensant que la colère des dieux pouvait être apaisée par le massacre de leurs familles, ils égorgèrent leurs enfants et leurs femmes en commençant ainsi la guerre par l’assassinat de leur propre peuple ; car une telle fureur soulevait leurs poitrines de sauvages qu’ils n’épargnèrent même pas ceux auxquels l’ennemi lui-même fait grâce en général, mais qu’ils livrèrent une sanglante et mortelle bataille à leurs propres enfants ainsi qu’à leurs mères, ces enfants et ces femmes pour lesquels d’ordinaire, on fait la guerre justement (afin qu’ils soient épargnés). Comme si, donc, ils avaient pu racheter leur vie et leur victoire par une telle barbarie. Ensuite ils se ruèrent encore couverts du sang de leurs proches
65
sur le champ de bataille, mais avec un résultat qui ne fut pas meilleur que celui qui avait été fourni par leurs auspices ; car, alors qu’ils combattaient, les furies et les dieux vengeurs les accablèrent avant même que leur ennemi n’en fasse autant, les fantômes de leurs innocentes victimes leur apparurent et ils furent tous exterminés jusqu’au dernier. Il y eut en effet un tel carnage dans leurs rangs que les dieux semblèrent avoir conspiré avec les hommes pour anéantir cette armée d’assassins.
Note de l’éditeur. Il s’agissait de la part de ces Celtes continentaux, soit effectivement de sacrifices humains destinés à obtenir des dieux leur victoire sur les Grecs ; soit, ayant compris qu’ils n’avaient aucune chance d’en réchapper sains et saufs, et que leurs femmes ainsi que leurs enfants allaient donc être voués au viol et à l’esclavage ; d’un suicide collectif, d’une dramatique tragédie analogue à celle qui fut vécue par les femmes cimbres devant l’avancée des légions romaines de Marius ayant vaincu leur roi Boiorix, à l’occasion de la malheureuse bataille de Verceil, le 30 juillet de l’an 101 avant notre ère, celle qui mit un point final à la dernière tentative d’immigration plus ou moins celtique (ratée) dans la région (voir la vie de Caius Marius par Plutarque).
LIVRE XLIII.
Chapitre V.
Mais après un certain temps, quand Massilia [aujourd’hui Marseille] fut au faîte de la distinction, aussi bien à cause de la renommée de ses exploits que de l’abondance de ses richesses, voire de l’excellente réputation de ses forces, les peuples alentour conspirèrent soudainement pour détruire jusqu’à son nom, comme s’il s’agissait d’éteindre un incendie qui les menaçait tous. Catumandus, un de leurs petits princes, fut alors unanimement reconnu comme leur général, et il assiégeait la ville ennemie avec une grande armée de soldats d’élite quand il fut effrayé durant son sommeil par la vision d’une femme à l’air menaçant, qui lui expliqua qu’elle était déesse : il en eut si peur qu’il fit la paix avec les Massaliotes. Ayant après cela demandé la permission d’entrer dans la cité afin de rendre hommage à leurs dieux, après avoir pénétré dans le temple de Minerve, et vu sous le portique la statue de la déesse qu’il avait aperçue dans son sommeil, il s’exclama soudain que c’était elle qui lui avait fait peur cette nuit-là ; que c’était elle qui lui avait ordonné de lever le siège ; ensuite, après avoir félicité les Massaliotes de s’être placés sous la protection, ainsi qu’il s’en était lui-même rendu compte, des dieux immortels, et après avoir offert un collier [en latin torquis, un torque] en or, à la déesse, il s’allia donc avec eux en toute amitié, pour toujours…
LIVRE XLIV.
Chapitre III.
Au Portugal [latin Lusitania] sur les rives du Tage, de nombreux auteurs rapportent que les cavales sont fécondées par l’action du vent mais de telles histoires ont leur origine dans la fécondité de ces juments, et le grand nombre de hardes de chevaux, qui sont si nombreux et si véloces, en Galice [latin Gallaecia] et au Portugal [latin Lusitania], que l’on a pu penser, non sans raison, qu’ils sont des enfants du vent. Pour ce qui est des Galiciens, ils prétendent en ce qui les concerne avoir une origine grecque ; car ils disent que Teucer, après la fin de la guerre de Troie, ayant donc encouru la haine de son père Télamon, à cause de la mort de son frère Ajax, et n’étant plus admis dans son royaume, se retira ensuite à Chypre, il bâtit une cité appelée Salamine, du nom de son pays natal ; que quelque temps plus tard, ayant appris la mort de son père, il retourna de nouveau dans son pays, mais qu’ayant été interdit de débarquement par Eurysace le fils d’Ajax, il fit voile vers la côte d’Espagne, et prit possession de la région se dresse aujourd’hui Carthagène, puis, passant de en Galice [latin Gallaecia], il s’y établit à demeure, et donna son nom à cette nation. Une partie de ces Galiciens est d’ailleurs appelée Amphiloques…
Chapitre IV.
Les Cynètes * habitaient la forêt des Tartessiens, dans laquelle dit-on les Titans firent la guerre aux dieux. Le plus ancien de leurs rois fut un dénommé Gargorix, il fut le premier homme à récolter le miel. Ce prince ayant eu un petit-fils, d’une intrigue amoureuse de sa fille, il essaya de le faire périr de diverses façons, car il était la preuve vivante de l’infamie de sa
66
conduite et de sa non-chasteté. Mais ce dernier parvint néanmoins à monter un jour sur le trône après avoir, grâce à sa bonne fortune, pu échapper à tous ces dangers. Le roi son grand-père, touché par tous ces périls qu’il avait dû affronter, finit en effet un jour par y consentir.
Il avait d’abord ordonné qu’on l’abandonne afin qu’il meure de faim mais quand il envoya quelques jours plus tard des hommes pour ramener son corps, ces derniers découvrirent alors que l’enfant avait été allaité par diverses bêtes sauvages et le ramenèrent donc toujours vivant. Le roi ordonna donc cette fois-ci qu’on le dépose sur un chemin étroit emprunté chaque jour par des troupeaux de bétail, car dans sa cruauté il voulait que le malheureux meure foulé aux pieds ou réduit en pièces par ces animaux plutôt que d’un facile et rapide trépas. Comme l’enfant encore en sortit miraculeusement indemne et sans même être affamé, il le fit jeter aux chiens, préalablement affamés depuis plusieurs jours, ensuite à des porcs ; mais comme il était toujours bien en vie, et qu’il avait même été allaité par certaines truies, alors il ordonna pour finir qu’on le jette à la mer. Mais suite à l’intervention manifeste de quelque déité, il fut porté par la marée montante au milieu du flux et du reflux des eaux, comme s’il avait été à bord d’un grand vaisseau et non ballotté par les flots, puis déposé en douceur par l’océan, sur une plage, une biche arriva et allaita aussitôt l’enfant. Le malheureux garçon finit par avoir le pied si léger en suivant partout sa nourrice animale qu’il parcourait donc les montagnes et les forêts au milieu des hardes de cerfs avec autant de rapidité qu’eux. Pris un jour au piège dans des filets, il fut offert au roi qui, au vu des traits de son visage, ainsi qu’à certaines marques faites sur son corps alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson, le reconnut comme son petit-fils. Après quoi, en raison de l’admiration que le roi ne pouvait s’empêcher d’éprouver pour tous ces heureux hasards qui lui avaient permis de survivre ainsi à tant de périls, il fut choisi par lui pour lui succéder sur le trône.
On lui donna le nom d’Habis et, dès qu’il devint roi, il manifesta tant de grandeur qu’il sembla bien vite évident qu’il n’avait pas été sauvé en vain de tant d’épreuves mortelles par l’entremise des dieux. Il parvint à réunir sous de mêmes lois tous ces peuples barbares, leur apprit comment atteler des bœufs à une charrue et faire lever du blé de leurs sillons ; enfin, à cause peut-être des malheureux souvenirs de son enfance en ce domaine, il les contraignit aussi à ne plus se nourrir comme des bêtes.
Les aventures de ce prince pourraient nous sembler des fables si les fondateurs de Rome n’avaient pas été, eux, nourris par une louve, et Cyrus, le roi des Perses élevé par une chienne. Le travail servile fut aboli et la communauté répartie en sept cités. Après la mort d’Habis, la royauté de ce pays resta pendant de nombreuses générations entre les mains de ses descendants.
* Les Cynètes ou Cynésiens de la région de Cadix en Espagne ne sont pas des Celtes, mais ils semblent avoir eu une dynastie et une aristocratie celtiques, une situation somme toute comparable à celle des Galates en Asie Mineure (actuelle région d’Ankara) et qui aurait pu être celle de la Grèce si la grande expédition de Brennus sur Delphes en 279 avait réussi. On peut donc se demander si toute cette histoire n’est pas un mythe celte ou un fragment de mythologie celte, vu les noms de certains de ses personnages (Gargorix, Arganthonios).
67
PLINE (23-79).
Pline l’Ancien. Naturaliste romain auteur d’une monumentale encyclopédie intitulée « Histoire naturelle », dont voici quelques extraits.
LIVRE III.
Chapitre XI.
Il y a aussi environ vingt autres petites îles dans cette mer peu profonde. Au large des côtes, à l’embouchure du Rhône, il y a Métina, et non loin l’île qui est connue sous le nom de Blascon, avec les trois Stœchades, ainsi appelées par leurs voisins les Massaliotes [aujourd’hui Marseille] à cause de leur alignement, leurs noms respectifs sont : Proté, Mésé, appelée aussi Pomponiana, et Hypaea. Après viennent Sturium, Phoenice, Phila, Lero et, en face d’Antipolis [aujourd’hui Antibes] Lerina, l’on se souvient encore qu’une ville appelée Vergoanum y a jadis existé.
Chapitre XX.
Le descend du sein du mont Viso, un des sommets les plus élevés de la chaîne des Alpes, sur le territoire des Ligures Vagiennes, et sort à sa source d’une manière qui vaut le détour pour les curieux…
Chapitre XXVIII.
68
La Drave s’écoule à travers le pays des Serrètes, des Serrapilles, des Iases, des Andizètes ; la Save, traversant les Colapians et les Breuques ; ce sont les principaux peuples. À côté d’eux il y a les Arivates, les Azales, les Amantes, les Belgites, les Catares, les Cornacates, les Éravisques, les Hercuniates, les Latoviques, les Oseriates, les Varciens, et en face le mont Claude, les Scordisques, derrière les Taurisques…
LIVRE IV.
Chapitre XXIV.
Les habitants de la côte de ce quatrième plus grand golfe d’Europe, jusqu’à Istropolis, ont déjà été mentionnés dans notre bref survol de la Thrace. Au-delà de cet endroit se trouve l’embouchure de l’Istros. Ce fleuve naît en Germanie sur les hauteurs du mont Abnoba, en face de Rauricum, une ville de Celtique continentale, et s’écoule ensuite sur de nombreux milles au-delà des Alpes, au travers d’innombrables nations, sous le nom de Danube…
Chapitre XXVII.
Nous devons maintenant quitter le Pont-Euxin pour décrire la partie extérieure de l’Europe. Après avoir passé les monts Riphées, nous devons désormais suivre les côtes de l’océan septentrional sur la gauche, jusqu’à Gadès [aujourd’hui Cadix en Espagne]. En allant dans cette direction, il existe dit-on un grand nombre d’îles parmi lesquelles il y en a une, qui est située en face de la Scythie connue sous le nom de Raunonie, et dite se trouver à la distance d’une journée de navigation du Continent, une île sur laquelle, à en croire Timée, l’ambre est rejeté par les flots au printemps. Le reste de ces rivages n’est connu que par des rapports d’une autorité douteuse. En ce qui concerne l’océan septentrional, Timée l’appelle, passé l’embouchure du fleuve Parapanise [Parapomise], il baigne les côtes scythes, la mer amalchienne. L’adjectif « amalchien » signifiant dans la langue de ces peuples « gelé ». Philémon, lui, dit qu’il est appelé Morimarusa ou « mer Morte » par les Cimbres, jusqu’au promontoire de Rubéas, au-delà duquel il prend le nom de Mer Cronienne. Xénophon de Lampsaque nous rapporte qu’à une distance de trois journées de navigation à la voile des côtes de Scythie, existe une île d’une dimension immense, appelée Baltia, qui est aussi appelée Basilée par Pythéas. On dit aussi qu’il y a des îles appelées Oones, dont les habitants se nourrissent d’œufs d’oiseau et d’avoine et d’autres encore sur lesquelles les hommes naissent avec des pieds de cheval, d’où leur nom d’Hippopodes. D’autres îles enfin sont également mentionnées comme celles des Fanésii, un peuple qui a des oreilles d’une grandeur si extraordinaire qu’ils se couvrent le corps avec, un corps qui autrement serait laissé nu. Laissons néanmoins tous ces peuples et venons-en à la nation des Ingévons, le premier des peuples de Germanie sur lequel nous commençons d’avoir quelques informations ayant du crédit. Dans leur pays s’élève une très grande montagne appelée Sévon, pas moins élevée que les monts Riphées. Qui forme un immense golfe allant jusqu’au promontoire des Cimbres. Ce golfe, qui porte le nom de Codan, fourmille d’îles diverses, la plus fameuse parmi elles étant la Scandinavie [en latin Scatinavia], d’une étendue jusqu’à présent incertaine. La seule partie plus ou moins connue est habitée par la nation des Hillévions, qui compte 500 villages et considèrent qu’il s’agit d’un autre monde. Certains auteurs écrivent que ces régions, jusqu’à la Vistule, sont habitées par les Sarmates, les Vénèdes, les Skirres et les Hirres, et qu’il y a un golfe connu sous le nom de Cylipenus, à l’ouverture duquel se trouve l’île de Latris ; après il y a un autre golfe, celui de Lagnus, qui touche au pays des Cimbres. Le promontoire cimbre, qui s’enfonce très loin dans la mer, forme une péninsule qui porte le nom de Tastris. Ce cap ayant été doublé, on peut découvrir 23 autres îles que les armes romaines ont fait connaître. La plus célèbre d’entre elles est l’île de Burcana [aujourd’hui l’île allemande de Borkum] appelée par les nôtres Fabaria, vu sa ressemblance avec un fruit poussant là-bas spontanément. Il y a aussi celles appelées Glaesaria par nos militaires, à cause de l’ambre que l’on y trouve, mais connues des Barbares sous les noms d’Austravie et Actania.
LIVRE VII.
Chapitre XLIX.
69
Pour ce qui est de la durée maximale de la vie humaine, les différences de climat, la multitude des exemples cités, ainsi que la destinée particulière attachée à chacun d’entre nous dès sa naissance, font qu’il est très difficile de se faire une idée générale à ce sujet pour conclure. Hésiode, qui a été le premier à évoquer le sujet, bien que rapportant beaucoup de choses à propos de l’âge des êtres humains qui m’apparaissent plutôt être des fables, attribue à la corneille une durée de vie pouvant égaler 9 fois la nôtre, au cerf une durée de vie égale à trois fois celle de la corneille, au corbeau une durée de vue pouvant égaler trois fois celle du cerf, outre diverses particularités concernant le phénix et les nymphes tout aussi fabuleuses. Le poète Anacréon donne cent cinquante ans à Argantonios, le roi des Tartessiens ; dix de plus à Cinyras, le roi de Chypre, et deux cents à Aegimius. Théopompe donne cent cinquante-trois ans à Epiménide de Cnossos…
Mais tenons-nous-en néanmoins à ce qui est généralement admis comme étant vrai. Il est pratiquement certain qu’Argantonios de Cadix régna quatre-vingts ans, et il est supposé avoir commencé son règne à l’âge de quarante ans.
Chapitre LIII.
Telle est donc notre condition à nous autres mortels : nous venons au monde pour subir de semblables vicissitudes de la Fortune ; à tel point que nous ne pouvons être sûrs de rien, non, même pas du fait que quelqu’un est mort. Pour ce qui est de l’âme/esprit de l’être humain [en latin anima] nous trouvons, entre autres exemples, que l’âme/esprit d’Hermotime de Clazomènes avait l’habitude de quitter son corps, et d’errer dans des pays lointains, d’où elle rapportait de nombreuses informations sur divers sujets, qui n’auraient pas pu être obtenues par d’autres que quelqu’un y ayant personnellement assisté. Son corps, pendant ce temps-là, gisait apparemment sans vie. Mais pour finir, ses ennemis, les Cantharides, ayant un jour été appelés sur les lieux, brûlèrent le corps, de sorte que l’âme/esprit [en latin anima] de retour, fut en quelque sorte privée de son enveloppe corporelle. Il est aussi établi qu’en Proconnèse l’âme/esprit [latin anima] d’Aristée fut aperçue s’envolant hors de sa bouche, sous la forme d’un corbeau ; une histoire vraiment des plus fabuleuses, au même titre que celle qui suit vraisemblablement. On raconte qu’Épiménide de Cnosse [grec Knossos], quand il était enfant, épuisé par la chaleur et la marche, tomba de sommeil dans une grotte il dormit cinquante-sept ans ; et quand il se réveilla, comme au lendemain d’une bonne nuit de sommeil ordinaire, il fut très étonné de voir que tout avait changé autour de lui : après cela, est-il dit, s’abattit sur lui en autant de jours qu’il avait dormi d’années, mais il put vivre néanmoins jusqu’à cent cinquante-sept ans.
Note de l’éditeur. Étrange histoire qui ressemble fort à celle des sept dormants d’Éphèse. Mais chrétiens et musulmans (Coran : chapitre 18) ont fait beaucoup plus fort en la matière !
LIVRE XI.
Chapitre XCVII.
Les variétés de fromages qui sont les plus estimées à Rome l’on peut juger des tous les bons produits de chaque nation sont celles qui viennent de la province de Nemausus, et plus spécialement des villages de la Lesura et du Gabalis *; mais leur excellence que dure que peu de temps et ils doivent être mangés frais. Les pâturages des Alpes se recommandent d’elles mêmes par deux sortes de fromage ; les Alpes dalmatiques nous envoie le Doclétien, et les Alpes centroniennes le Vatusican**… le fromage de ce type qui est fait à Rome est considéré comme étant préférable à tout autre ; car celui qui est fabriqué en Celtique continentale a un goût très fort, comme celui d’un médicament.
* Pas encore du fromage de Roquefort si l’on comprend bien !
** Peut-être un ancêtre de la tomme de Savoie.
70
LIVRE XVI.
Chapitre XCV.
Signalons à cette occasion l’admiration dont font preuve les Celtes du Continent à l’égard de cette plante. Les druides puisque tel est le nom qu’ils donnent à leurs mages n’ont rien de plus sacré que le gui, et l’arbre qui le porte, à supposer que ce soit un [chêne de l’espèce quercus] rouvre. Le [quercus ou chêne] rouvre est l’arbre qui constitue leurs bois sacrés, ils n’accomplissent aucun de leurs rites religieux sans employer quelques-unes de ses branches ; de telle sorte qu’il est très probable que ces prêtres eux-mêmes ont reçu leur nom du mot grec utilisé pour désigner cet arbre. En fait, il s’agit chez eux de l’idée selon laquelle tout ce qui pousse dessus procède directement du ciel, et que le gui sur cet arbre est donc la preuve qu’il a été choisi par le dieu lui-même, en tant qu’objet de sa faveur insigne. Le gui justement est très rarement trouvé sur le chêne quercus robur, et quand on en découvre, il est cueilli avec des rites empreints d’une crainte religieuse. Ceci est accompli particulièrement le jour précédant toute sixième lune [en latin ante omnia sexta luna] jour qui constitue le début de leurs mois et de leurs années, ainsi que de leurs siècles qui, chez eux, sont de trente ans. Ils choisissent tout particulièrement ce jour-là parce que la lune, bien que pas encore arrivée à l’apogée de sa course, a déjà une puissance et une influence considérables ; et ils l’appellent d’un nom qui signifie, dans leur langue, le « guérit-tout ». Après avoir fait tous les préparatifs nécessaires au sacrifice et à un banquet sous les arbres, ils conduisent deux taureaux blancs, dont les cornes sont liées pour la première fois, vêtu d’une robe blanche le prêtre monte dans l’arbre, et coupe le gui avec un vouge [en latin falx] en or, il est recueilli par les autres dans un manteau blanc [latin sagum]. Ensuite ils immolent les victimes en priant afin que le dieu transforme ce don de sa part en porte-bonheur pour ceux qui l’ont reçu. Ils croient chez eux que le gui, pris en boisson, apporte la fécondité aux animaux qui sont stériles, et que c’est un antidote à tous les poisons. Tels sont les sentiments religieux que nous trouvons parmi presque toutes les nations, même envers les choses les plus insignifiantes.
LIVRE XVII.
Chapitre III.
Mais quant à aussi amender la terre au moyen d’une autre, comme le recommandent certains, en jetant de la terre riche sur une autre qui est pauvre et légère, ou en répandant une terre légère et absorbante sur une qui est humide et grasse, c’est un travail proprement insensé. Que peut donc espérer qui cultive ainsi de pareils sols ?
Chapitre IV.
Des huit espèces de terres qu’en Grèce et en Gaule on étale sur les champs.
Il existe une autre méthode inventée à la fois en Gaule et en [Grande] Bretagne, pour apporter de l’engrais à la terre par elle-même* * * * cette sorte de terre est appelée marne. Cette terre est considérée comme contenant une plus grande quantité de principes fécondants, et agit comme une sorte de graisse vis-à-vis de la terre, exactement de la même façon qu’il existe des glandes dans le corps formées par une concentration en noyaux des particules graisseuses. Cette façon de procéder n’est pas non plus inconnue des Grecs ; et d’ailleurs de quoi n’ont-ils jamais parlé ? Ils appellent du nom de leucargile une terre argileuse blanche utilisée dans la région de Mégare, mais seulement pour les sols trop humides et froids.
C’est à juste titre que je vais m’appliquer à traiter de cette marne qui tend à enrichir les sols des provinces gauloises et des îles Britanniques. On n’en connaissait jadis que deux variétés, mais récemment, le progrès de l’agriculture aidant, d’autres ont commencé à être employées, ce sont, en fait, la blanche, la rouge, la colombine, l’argileuse, la tophacée, la sablonneuse. Elles ont l’une ou l’autre de ces deux particularités, elles sont soit rugueuses soit grasses ; le moyen de le savoir étant le toucher de la main. Ses usages aussi sont doubles on s’en sert pour la production de céréales seulement, ou également pour enrichir les pâtures. La marne tophacée nourrit les céréales, de même que la blanche ; trouvée dans le voisinage de sources elle s’avère d’une fécondité infinie, mais elle est rugueuse au toucher, si on en répand sur le sol en trop grande quantité, elle peut le brûler.
71
L’autre variété de marne est la marne rouge connue sous le nom d’acaunumarga, et qui consiste en pierres mêlées à une terre fine et sablonneuse. Ces pierres sont broyées sur la terre elle-même, et pendant les premières années il s’avère très difficile de couper le blé à cause de la présence desdites pierres ; mais comme elle est très légère, elle coûte moitié moins cher que les autres à transporter. On en saupoudre la surface du sol et l’on pense communément qu’elle contient du sel. Ces deux variétés, une fois répandues sur une terre, la fertilisent pour cinquante ans, que ce soit pour les céréales ou pour le fourrage.
Des marnes qui sont grasses au toucher, la meilleure est la blanche. Il y en a plusieurs sortes : la plus forte et la plus mordante étant celle déjà mentionnée. Une autre variété de marne est la craie blanche que l’on utilise pour nettoyer l’argenterie. On la prélève à grande profondeur, les puits étant creusés la plupart du temps jusqu’à plus de cent pieds. Ces puits ont une ouverture étroite, mais le filon à l’intérieur est considérablement élargi, comme dans le cas des mines ; c’est en [Grande] Bretagne plus particulièrement que l’on emploie cette craie. Ses effets bénéfiques durent au moins quatre-vingts ans et il n’existe pas d’exemple d’agriculteurs en ayant mis deux fois dans sa vie sur le même sol.
Une troisième variété de marne blanche est appelée glisomarga ; il s’agit de craie à foulon mélangée à de la terre grasse, elle est meilleure pour le fourrage que pour les céréales, de sorte que, entre la moisson et les semailles suivantes on peut y récolter un fourrage abondant.
De toute façon quand le blé pousse, elle ne laisse pousser aucune autre plante. Ses effets durent trente ans mais si on n’en répand pas assez sur le sol, elle étouffe la terre comme si elle était couverte de ciment [en latin signinum]. Les Celtes continentaux donnent à la marne de type colombine le nom d’églécopala ; on l’extrait du sol sous forme de blocs entiers comme de la pierre, après quoi elle est tellement attaquée par le soleil ou le gel, qu’elle se fragmente en très fines lamelles ; cette espèce de marne est aussi bonne pour le fourrage que pour les céréales. On n’utilise la marne sablonneuse que si l’on n’en a pas d’autres sous la main, mais c’est celle que l’on met sur les sols humides quand bien même on en aurait une autre à disposition. Les Ubiens sont à ma connaissance le seul peuple qui, ayant un sol très fertile à cultiver, le bonifie dans tous les cas en creusant à trois pieds de profondeur et, après en avoir extrait la terre, en la répandant un peu partout ailleurs sur une épaisseur d’un pied ; cette méthode néanmoins, afin d’être efficace, nécessite qu’on la renouvelle tous les dix ans. Les Éduens et les Pictons aussi ont rendu leurs champs remarquablement fertiles en se servant de chaux, ce qui est aussi particulièrement bénéfique pour les oliviers ainsi que pour les vignes.
Toutes ces espèces de marne néanmoins, nécessitent d’être répandues sur la terre immédiatement après les labours, afin que le sol puisse bien s’imprégner de leurs propriétés ; mais en même temps il faut y mettre un peu de fumier, car elles sont susceptibles d’être trop acides au début, du moins si ce n’est pas sur des prairies que l’on en répand ; ajoutées sans cette précaution elles pourraient nuire au terrain à cause de leurs radicales nouveautés, de quelque nature qu’elles puissent être ; de sorte qu’il n’est jamais fertile la première année de toute façon. Il faut donc prendre aussi en considération à quel type de sol on destine cette marne ; si le sol est humide, une marne sèche lui convient mieux ; et s’il est sec, une marne grasse. Si par contre cette terre est entre les deux, les marnes de type craie ou colombine sont ce qu’il lui faut.
Chapitre XXV.
Caton parle de trois méthodes de greffe de la vigne. La première consiste à…… de notre temps, de toute façon, cette méthode a été perfectionnée en faisant usage de la tarière des Celtes du Continent qui perce le bois sans le blesser, car le fait est que tout ce qui brûle le bois l’affaiblit.
LIVRE XVIII.
Chapitre XXXVIII.
72
Les Celtes du Continent ont été les premiers à employer le tamis fait avec du crin de cheval, alors que les Espagnols faisaient leurs vans et leurs blutoirs en lin, et les Égyptiens en papyrus ou en jonc.
Chapitre XLVIII.
Il y a plusieurs sortes de charrues. Le coutre est la partie en fer qui coupe la terre compacte avant qu’elle ne soit donc ameublie, et trace à l’avance par ses incisions le futur sillon, que le soc, renversé doit ouvrir. Une autre sorte (c’est le modèle de soc commun) n’est rien d’autre qu’un levier doté d’un bec pointu ; alors qu’une autre variété, qui n’est utilisée que dans des sols faciles et légers, n’a pas une lame s’étendant sur tout la longueur du bois du soc, mais qu’une petite pointe à son extrémité. Dans la quatrième sorte de charrues, cette pointe est plus large et forme avec le soc un instrument tranchant ; grâce à la disposition duquel donc elle fend à la fois le sol et coupe les racines des herbes grâce à ses côtés tranchants. Il a été inventé il y a relativement peu de temps dans cette partie de la Celtique que l’on appelle Rhétie, une charrue munie de deux petites roues, et connue sous le nom de « plaumorati ».
* L’extrémité du soc dans celle-ci a la forme d’une pelle : elle n’est utilisée de toute façon que pour ensemencer des terres cultivées, sur des sols pas encore en jachère. Plus le soc de la charrue est large, mieux c’est pour retourner les mottes de terre. Immédiatement après avoir labouré on sème et ensuite une herse à longues dents est tirée par-dessus. Les terres qui ont été ensemencées de cette manière n’ont pas besoin d’être sarclées.
* Plauarati planarati.
Chapitre LXVII.
Il y a deux sortes de faux ; l’italienne, qui est beaucoup plus petite que l’autre, et peut être utilisée même dans les fourrés ou les sous-bois, et la celtique, qui fait le travail plus rapidement, quand elle est utilisée dans les grands domaines, car elle coupe l’herbe au milieu seulement, et passe au-dessus de celle qui est plus courte. Les faucheurs italiens ne se servent que de la main droite pour couper.
LIVRE XIX.
Chapitre II.
L’Italie aussi tient en haute estime le lin des Péléginiens, bien qu’il ne soit utilisé que par les foulons en fait ; on n’en connaît aucun autre qui soit plus blanc que celui-ci, ou qui soit plus proche de la laine. Celui cultivé par les Cadurques est très apprécié pour faire des matelas, qui sont tout comme le rembourrage une invention que nous devons aux Celtes continentaux, l’ancien usage de l’Italie se reconnaît dans le mot «stramentum» (litière faite de paille).
LIVRE XXIV.
Chapitre LXII.
Similaire à la sabine est l’herbe connue sous le nom de « selago ». On prend bien soin de la cueillir sans se servir de fer, la main droite étant passée à cet effet du côté gauche de la tunique, comme si l’on était en train de commettre un vol. Il faut en outre être vêtu de blanc, avoir les pieds nus lavés soigneusement, et une offrande de pain et de vin doit aussi avoir été faite avant ; la plante est ensuite ramenée dans un linge neuf. Les druides des Celtes continentaux prétendent qu’elle peut servir de protection contre les accidents de toutes sortes, et que sa fumigation soulage toutes les maladies des yeux. Les druides ont également donné le nom de « samolus » à une plante qui pousse dans les lieux humides. Cette dernière doit, elle aussi, disent-ils, être cueillie à jeun, de la main gauche, et sert de protection contre les maladies auxquelles sont sujets les porcs ainsi que le bétail. aussi, la personne qui la ramasse doit faire semblant de ne pas la regarder en la cueillant ni la mettre ailleurs que dans l’auge boit le bétail.
LIVRE XXV.
73
Chapitre LIX.
Mais chez les Romains, il n’y a pas de plante jouissant d’un plus grand renom que l’hiérabotane connue de certaines personnes comme « péristéréos », mais chez nous plus généralement sous le nom de « verveine »… Il y en a deux variétés : l’une qui est très feuillée passe pour être la plante femelle, l’autre qui n’a que quelques feuilles la plante mâle… Les habitants des provinces de la Celtique continentale se servent des deux à des fins divinatoires et pour prédire les événements ; mais ce sont les mages plus particulièrement qui débitent le plus de folies ridicules à propos de cette plante. Les gens, affirment-ils, qui se frottent avec, seront sûrs d’obtenir ce qu’ils désirent, et ils assurent également qu’elle préserve des fièvres, attache des amitiés, voire constitue un remède contre tous les maux ; ils disent également qu’elle doit être cueillie vers le lever de l’étoile du Chien mais sans être éclairé par le moindre rayon de soleil ni de lune et que des rayons de cire ainsi que du miel doivent d’abord avoir été offerts en présent à la Terre pour s’en faire pardonner à l’avance. Ils racontent également qu’un cercle doit d’abord être tracé autour avec un fer * ; après quoi elle doit être cueillie de la main gauche, élevée en l’air, puis on doit en faire soigneusement sécher les feuilles, la tige et la racine, de façon séparée, sans les exposer au soleil. À ces considérations, ils ajoutent que si les salles à manger [latin triclinium] sont aspergées d’eau dans laquelle la plante a trempé **, cela favorise grandement la joie et la bonne humeur du banquet. Pour soigner les morsures de serpent, cette plante doit être écrasée dans du vin.
* Note de l’éditeur : tracer un cercle sur le sol à l’aide de la pointe d’un objet métallique comme une hallebarde ou un vouge, fait d’ailleurs toujours partie des rituels de certains druides d’aujourd’hui.
** Fait toujours partie du rituel de certains druides d’aujourd’hui.
LIVRE XXVIII.
Chapitre LI.
Les écrouelles sont guéries par une application de fiel de sanglier ou de bœuf, réchauffé à cet effet… le savon également est beaucoup utilisé dans ce dessein, c’est une invention des Celtes du Continent pour donner une couleur plus rouge à leurs cheveux. Il est préparé avec du suif et de la cendre, les meilleures cendres pour cela étant celles du hêtre et le meilleur suif celui de chèvre ; il y en a deux sortes, le dur et le liquide, les deux sont très utilisés par les Germains, les hommes en particulier plus que les femmes.
LIVRE XXIX.
Chapitre XII.
En plus de ce qui précède, il y a une autre sorte d’œuf, tenu en très haute estime par les habitants des provinces celtes du Continent, mais totalement omise par les écrivains grecs. En été, d’innombrables serpents s’enroulent sur eux-mêmes et s’enlacent en se servant de la salive visqueuse qui sort de leur gueule, ainsi que de l’écume qu’ils secrètent hors de leur corps : il en résulte une sorte de boule qu’ils appellent un « œuf de serpent » [latin anguinum sous-entendu ovum]. Les druides racontent que les serpents projettent ces œufs dans les airs grâce à leur sifflement et que quelqu’un doit se tenir prêt à les recevoir dans un manteau avant qu’ils touchent le sol ; ils racontent également qu’il faut alors prendre la fuite aussitôt à dos de cheval, car les serpents le poursuivront à toute allure jusqu’à ce qu’une rivière leur barre la route. La preuve que c’en est un vrai, disent-ils, c’est que cet œuf flotte sur l’eau, même serti dans de l’or. Mais, comme les mages ont l’habitude d’être très ingénieux et très habiles pour ce qui est de jeter un voile sur leurs fraudes, ils prétendent que ces œufs ne peuvent être recueillis que lors de certaines lunes ; comme si assurément il pouvait dépendre de la volonté humaine que lune et serpent s’accordent sur le moment d’une telle opération.
J’ai vu néanmoins personnellement un de ces œufs, il était rond et à peu près aussi gros qu’une pomme de taille moyenne, sa coquille était formée d’une substance cartilagineuse, et il était entouré de nombreuses cupules, ressemblant à celles qui figurent sur les tentacules du poulpe :
74
il est tenu en très haute estime chez les druides. On assure, histoires merveilleuses à l’appui, qu’en posséder un vous assure de gagner tous vos procès, ou d’être reçu par les princes ; une idée qui a été bien démentie par les faits puisqu’un chevalier romain, natif du territoire des Voconces qui, durant une audience du tribunal, portait un de ces œufs sur sa poitrine *, fut mis à mort par le dieu Claude, et pour nulle autre raison que je sache, si ce n’est qu’il en portait un. C’est cet enlacement de serpents les uns avec les autres, ainsi que l’étrange résultat de leur union, qui me semble avoir donné naissance à l’usage, dans de nombreuses nations, d’entourer le caducée de représentations de serpents, symbole de paix ou de concorde, bien qu’il soit d’usage dans le cas du caducée que les serpents n’aient jamais de crête.
* Note de l’éditeur : l’usage de porter un œuf de serpent (oursin fossile) en médaillon, existe d’ailleurs toujours chez les druides d’aujourd’hui.
LIVRE XXX.
Chapitre IV.
Les provinces celtes du Continent ont été envahies par l’art de la magie et cela jusqu’à une époque récente ; puisque c’est l’empereur Tibère qui a supprimé les druides, et toute cette engeance de faux prophètes ou médecins. Mais à quoi bon mentionner encore ces interdictions, à propos d’un art qui a maintenant traversé les océans et qui a pénétré jusque-là cesse la nature ? De nos jours la [Grande] Bretagne fascinée cultive toujours cet art, et avec des rituels si majestueux qu’elle semblerait presque avoir été la première à le communiquer aux Perses…
LIVRE XXXI.
Chapitre XVIII.
Les sources du Tambre aussi [latin Tamaricus] une rivière de Cantabrie, passent pour posséder le pouvoir de fournir des présages concernant les événements à venir : elles sont au nombre de trois, et seulement séparées par un intervalle de huit pieds, unies ensuite dans le même lit et formant ainsi un puissant cours d’eau. Ces sources peuvent être à sec douze à vingt jours de suite, sans qu’il y ait le moindre filet d’eau dans leur bassin ; alors que d’un autre côté s’écoule tout près une source abondante et pérenne. Il est considéré comme de mauvais augure de les trouver taries quand on va les voir : chose qui est arrivée tout récemment, par exemple, à Lartius Licinius, devenu légat une fois sa préture finie : sept jours après les avoir ainsi trouvées, il mourut. Et en Judée un ruisseau est à sec tous les sabbats…
LIVRE XXXIV.
Chapitre XLVIII.
C’est dans les provinces celtes du Continent qu’a été découverte la méthode consistant à recouvrir de feuilles de plomb blanc des objets en cuivre, de sorte que l’on puisse à peine les distinguer de l’argent ; les articles ainsi traités sont dits « étamés » [latin incoctilia]. Plus tard, les habitants de la ville d’Alésia se mirent à utiliser un procédé similaire pour plaquer de l’argent sur divers objets, plus particulièrement les ornements de harnais ou mors destinés aux chevaux ou aux bêtes de somme, ainsi que les jougs des bœufs : néanmoins le mérite de cette invention appartient aux Bituriges. Après cela ils commencèrent d’en orner leurs véhicules appelés esseda *, colisata ** [vehicula dans certains manuscrits] et petorita ***, de la même manière, le goût du luxe en est arrivé finalement à un point tel, qu’il y a non seulement des décorations en argent, mais même aussi en or maintenant, et ce qui était anciennement une merveille sur une coupe, est dorénavant exposé à l’usure et aux heurts du transport en voiture, afin de suivre ce que l’on appelle la civilisation.
* Essedum : char rapide à deux roues semblable au covinnus de Cuchulainn en Irlande.
** Colisatum : véhicule de type inconnu.
*** Petorritum : chariot à quatre roues.
75
LIVRE XXXVII.
Chapitre XI. Du succin.
Section 5.
Sotacus pense que l’ambre en [Grande] Bretagne exsude de certaines pierres, auxquelles il donne le nom « d’électrides ». Pythéas dit que les Gutons, un peuple de Germanie, habitent les rivages d’un estuaire de l’Océan appelé Mentonomon, que leur territoire s’étend sur une distance de six mille stades et que, à une journée de navigation il y a l’île d’Abalum, sur les côtes de laquelle l’ambre est rejeté par les vagues au printemps, cet ambre étant une excrétion de la mer sous forme solide ; que les habitants se servent de cet ambre comme bois de chauffage, et le vendent à leurs voisins les Teutons. Timée est aussi de cet avis, mais a donné à cette île le nom de Basilia.
Note de l’éditeur. Tout n’est pas clair dans cette histoire d’île à ambre. Et tout d’abord rien que le fait qu’elle ait deux noms différents. Ensuite est-elle située à une (rien qu’une ?) journée de navigation, à l’est (Mer baltique) ou à l’ouest (mer du Nord) du pays des Teutons ? Enfin sa proximité phonétique avec la mystérieuse île d’Avallon en fait une île plus mythique que réelle.
TACITE (55-120 environ.)
Historien romain. Auteur d’histoires, d’annales, ainsi que d’un ouvrage sur la Germanie.
Ci-après ce que l’on peut trouver dans ses ANNALES.
LIVRE III.
Chapitre XLIII.
Un mouvement de révolte encore plus formidable éclata chez les Éduens, du fait de la plus grande puissance de cette tribu-état, et de l’éloignement des forces pouvant le réprimer. Sacrovir, avec l’aide de cohortes de l’armée régulière, s’était rendu maître d’Augustodunum (aujourd’hui Autun), la capitale de la tribu, et des jeunes nobles de la Celtique, qui se consacraient aux arts libéraux, et avec de tels otages se proposait de rallier à sa cause leurs parents et leurs proches. Il distribua aussi aux jeunes gens des armes qu’il avait fait fabriquer en secret. Ils furent bientôt quarante milles, un cinquième armé comme nos légionnaires, et le reste avait des épieux ainsi que des couteaux ou d’autres armes dont on se sert à la chasse. En plus il y avait des esclaves que l’on entraînait au métier de gladiateur, protégé à la façon de cette nation par une armure de fer les recouvrant complètement. Ils étaient appelés crupellaires, et bien que très peu à l’aise pour donner des coups, ils y étaient par contre insensibles…
LIVRE XII.
Chapitre XXIX.
Car une immense armée de Lugii, renforcée par d’autres tribus, était en train d’avancer, attirée par la rumeur courant sur les richesses de cet opulent royaume, que Vannius avait accumulées en trente ans de pillage et de tribut. La force première de Vannius était l’infanterie, et sa cavalerie venait des Iazyges de Sarmatie, une armée qui n’était pas de taille face à ses nombreux ennemis. C’est pourquoi il résolut de se maintenir dans des places fortes, et de faire durer la guerre.
Chapitre XXX.
76
Mais les Iazyges, qui ne pouvaient endurer un siège, se dispersèrent dans tout le pays environnant et rendirent un engagement inévitable, puisque les Lugii et les Hermundures y avaient dirigé leur attaque. De sorte que Vannius quitta sa forteresse, et bien qu’il eut été défait en bataille rangée, malgré ce revers il gagna en crédit auprès des siens en ayant au moins combattu personnellement et reçu des blessures, à la poitrine. Il prit alors la fuite en direction de la flotte qui l’attendait sur le Danube, et fut aussitôt suivi par ses hommes liges, qui reçurent des concessions de terre en Pannonie et s’y installèrent. Vangion et Sidon se partagèrent son royaume, puis nous furent admirablement loyaux ; et que la cause en soit due à eux-mêmes ou à la nature de la tyrannie, très aimés de leurs sujets tant qu’ils recherchaient le pouvoir, ils furent haïs dès qu’ils l’eurent obtenu.
LIVRE XIV.
Chapitre XXX.
Sur le rivage se tenait l’armée ennemie avec tous ses épais bataillons de guerriers en armes, pendant qu’entre les rangs couraient des femmes vêtues de noir comme des Furies, les cheveux défaits, agitant des torches. Tout autour les druides, les mains tendues vers le ciel, et proférant des imprécations effrayantes, terrorisaient nos soldats par ce spectacle inhabituel, de telle sorte que, comme leurs membres étaient paralysés, ils furent cloués sur place, donc exposés aux blessures. Mais ensuite, exhortés par les appels de leur général et de mutuels encouragements à ne pas trembler devant une troupe de femmes fanatisées, ils avancèrent avec leurs étendards, écrasèrent toute résistance, et enveloppèrent l’ennemi dans les flammes de ses propres torches. Une force armée fut laissée chez les vaincus, et leurs clairières ou bosquets sacrés, voués à d’inhumaines superstitions, furent rasés. Car ils considéraient en effet comme un devoir religieux d’arroser leurs autels avec du sang des captifs et de consulter leurs dieux par l’intermédiaire d’entrailles humaines.
Alors qu’il était ainsi fort occupé à tout cela, Suetonius Paulinus reçut des nouvelles de la soudaine révolte de la province.
Chapitre XXXIII.
Une ruine semblable s’abattit sur la ville de Verulamium, car les barbares, qui se complaisaient dans le pillage et s’avéraient indifférents à toute autre chose, délaissaient les forteresses et leurs garnisons militaires, et attaquaient tout ce qui avait plus de richesse à dépouiller, mais dont la défense était difficile. Environ 70 000 citoyens et alliés, tombèrent dans les lieux et places que j’ai mentionnés, car ce n’était point à faire des prisonniers puis à les vendre, ou à une quelconque loi de la guerre, que l’ennemi se vouait, mais à tuer, par le gibet, le feu, ou la croix, comme des hommes sur le point de payer leurs crimes, et en tirant à l’avance une vengeance immédiate.
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans les HISTOIRES.
LIVRE II.
Chapitre LXI.
Parmi toutes ces aventures d’hommes illustres, on éprouvera quelque honte à relater comment un certain Mariccos, un Boïen de basse extraction, prétendant être inspiré par les dieux, tenta de s’immiscer dans le jeu de la Fortune, et de défier Rome par les armes. Se décernant lui-même les titres de champion de la Celtique et de dieu (car il assumait cette appellation), il avait déjà réuni huit mille hommes, et prenait possession des villages voisins des Éduens, quand cette formidable tribu-état le fit attaquer par les meilleurs de ses jeunes gens, épaulés par des cohortes de Vitellius, et dispersa cette foule de fanatiques. Mariccus fut capturé dans cet engagement, et fut vite jeté aux bêtes après, mais comme il n’avait pas été d’emblée mis en pièces par elles, il fut un moment considéré comme invulnérable par la foule des insensés, jusqu’à ce qu’il soit exécuté en présence de Vitellius.
LIVRE IV.
Chapitre LIV.
Des rumeurs également fausses circulaient à propos de la (Grande) Bretagne. L’incendie du Capitole leur avait surtout fait croire que la fin de l’Empire romain était proche. Les Celtes
77
du Continent, rappelaient-ils, avaient jadis pris la Cité, mais, comme la demeure de Jupiter était restée intacte, l’Empire avait survécu ; néanmoins les druides déclaraient alors, avec toutes les allures prophétiques de leur vaine superstition, que cet incendie providentiel était le signe de la colère céleste, et présageait que l’empire universel allait passer entre les mains des nations transalpines.
Chapitre LXI.
Ensuite Civilis mit à exécution un vœu souvent fait par ces Barbares : il se fit couper les cheveux qu’il avait laissés croître et avait teints en rouge depuis qu’il avait pris les armes contre Rome, après que les légions aient été anéanties. On dit aussi qu’il obligea des prisonniers de marque à servir de cible aux flèches et aux javelots de son jeune fils lorsqu’il apprenait à tirer. Il ne prêta jamais serment d’allégeance à la Gaule elle-même ni n’obligea aucun Batave à le faire, car il ne fiait qu’aux ressources de la Germanie, et pensait que, s’il était nécessaire de disputer l’Empire aux Gaulois, il aurait pour lui la renommée ainsi que des forces supérieures. Munius Lupercus, commandant d’une de ses légions, fut envoyé avec des présents à Veleda (vieux celtique veleta = ban-file= clairvoyant), une vierge de la tribu des Bructères qui jouissait d’une très grande autorité, car depuis des temps immémoriaux les Germains attribuaient à certaines de leurs femmes un don de prophétie voire même les considéraient comme des déesses à mesure que croissait la superstition. L’autorité de Véléda était alors son zénith, car elle avait prédit ce succès des Germains et l’anéantissement des légions. Lupercus fut néanmoins tué en chemin. Quelques centurions ou tribuns natifs de la Celtique continentale furent gardés comme otages afin de garantir cette alliance. Les quartiers d’hiver de la cavalerie et de l’infanterie auxiliaires ainsi que des légions, à la seule exception de ceux de Mogontiacum et Vindonissa, furent rasés ou brûlés…
Chapitre LXV.
Les habitants de la Colonie (Cologne) prirent le temps de délibérer, comme la crainte du futur ne leur permettait pas d’accepter les conditions qui leur étaient offertes, mais que leur situation leur interdisait de les rejeter ouvertement et de façon méprisante, ils répondirent de la façon suivante : « Cette première chance d’être libres qui se présente nous la saisissons avec plus d’ardeur que de prudence, afin de pouvoir nous unir avec vous et les autres Germains, nos frères et nos cousins. Quant nos fortifications, comme en ce moment les armées romaines sont en train de se rassembler, il est plus sûr pour nous de les renforcer que de les détruire. Les étrangers venus d’Italie ou des autres provinces qui ont pu être un moment sur notre territoire, ont péri dans cette guerre, ou alors sont rentés chez eux. Quant à ceux qui se sont installés ici depuis plus longtemps, et se sont unis à nous par des mariages, et à leurs enfants, leur pays natal se trouve ici. Nous ne pouvons pas penser un seul instant que vous soyez assez injustes pour attendre de nus que nous égorgions nos parents, nos frères, et nos enfants. Nous supprimons toutes les taxes et restrictions qui pèsent sur le commerce. Que le passage du fleuve soit libre, mais qu’il ait lieu de jour et pour des personnes sans arme, jusqu’à ce que ces droits nouveaux et récents se stabilisent dans le temps et soient entérinés par l’usage. Civilis et Véléda serviront d’arbitres entre nous ; ce traité sera ratifié par leur sanction ». Les Tenctères furent ainsi apaisés, une ambassade fut envoyée avec des présents à Civilis et Véléda ; qui réglèrent tout à la plus grande satisfaction des habitants de la Colonie (Cologne). Ils ne furent pas néanmoins autorisés à s’approcher de Véléda ou à lui parler en personne. Afin de leur inspirer le plus grand respect, on les empêcha de la voir. Elle demeurait dans une haute tour et un de ses parents choisi pour cela, transmettait, comme s’il était le messager d’une divinité, les questions et les réponses.
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans l’ouvrage de Tacite sur L’ORIGINE ET LE PAYS DES GERMAINS.
Chapitre I.
Le Rhin prend sa source dans les hauteurs escarpées ou inaccessibles des Alpes Rétiques, tourne insensiblement vers l’ouest, et se perd dans la Mer du Nord. Le Danube s’écoule de la pente progressive et douce du mont Abnoba, et arrose de nombreuses nations…
78
Chapitre III.
Ils ont aussi un chant à eux (ils l’appellent « barditus »), dont l’exécution soutient leur courage, et dont le son leur fait augurer du résultat de l’affrontement qui se prépare. Car ils inspirent ou ressentent de la peur, suivant la façon dont leurs lignes le hurlent. Il s’agit moins d’un concert de voix que d’un cri de bravoure. Ils cherchent avant tout à obtenir un son rauque et une clameur indistincte, en mettant par exemple leurs boucliers contre la bouche, de telle sorte que, par un effet de l’écho, cela puisse enfler ou se transformer en un son plus ample et plus profond…
Chapitre VIII.
Nous trouvons dans l’Histoire que certaines armées déjà en train de céder du terrain voire prêtes à fuir, ont été galvanisées par des femmes, grâce à leur entêtement inflexible et à leurs prières, leurs poitrines nues et offertes, afin de montrer que leur réduction en esclavage était imminente ; un mal que les Germains redoutent d’autant plus quand il s’agit de leurs femmes. Le sentiment de ces peuples est tel que se sentent toujours plus tenues que les autres les cités à qui l’on a demandé de joindre aux otages quelques de leurs jeunes les plus distinguées. Ils les croient même dotées de quelque chose de céleste et de l’esprit de prophétie. Ils ne dédaignent jamais de les consulter et ne négligent jamais les réponses qu’elles rendent. Sous le règne du divin Vespasien nous avons vu Véléda longtemps estimée, voire adorée comme une divinité par de nombreuses nations. Ils avaient de même jadis rendu un véritable culte à Aurinie et à plusieurs autres, ni par complaisance, ni afin de les flatter, ni en tant que déité de leur propre fabrication.
Chapitre IX.
Mercure est le dieu qu’ils vénèrent le plus, et ils trouvent juste de lui sacrifier y compris des victimes humaines certains jours. Ils apaisent Hercule et Mars avec des offrandes plus licites. Certains des Suèves sacrifient également à Isis. Sur la raison d’être et l’origine de ce rite étranger, je n’ai rien découvert, à part que son emblème, qui a la forme d’un navire de type liburne, montre qu’il s’agit d’un culte importé…
Chapitre X.
Aucun peuple ne pratique avec plus de diligence les augures et la divination par le sort. Ces consultations du sort sont très simples. Une petite branche est coupée à un arbre fruitier, puis divisée en brindilles qui sont marquées de différents signes [des runes ?] afin que l’on puisse les distinguer, ensuite on les jette pêle-mêle et au hasard sur un drap blanc. Pour ce qui est des affaires publiques, le prêtre de la tribu-état en question, ou pour ce qui est des affaires privées, le père de famille, invoque les dieux, puis, les yeux levés vers le ciel, prend trois fois chaque brindille, et cherche en eux un sens correspondant aux marques préalablement gravées dessus. S’ils ne sont pas favorables, on ne consulte plus les sorts de la journée à ce sujet, s’ils le sont, une confirmation par consultation des auspices est toujours requise. Car ils sont aussi familiers des pratiques de divination par le chant et le vol des oiseaux. Il est particulier à ce peuple de chercher des présages et des prémonitions chez les chevaux. Nourris aux frais de la tribu dans ces mêmes bois, clairières, ou bosquets sacrés, il y a des chevaux blancs, purs de toute souillure apportée par le travail de la terre, ils sont attelés à un char sacré, et accompagnés par le prêtre et le roi, ou le chef de la tribu, qui note leurs hennissements et leurs éternuements. Aucune espèce d’augure n’a plus de crédit, non seulement auprès du peuple et de la noblesse, mais aussi pour les prêtres, qui se regardent comme les ministres des dieux, et les chevaux comme des confidents au courant de leur volonté.
Ils ont également une autre méthode d’observation des auspices, quand ils essaient de connaître le résultat d’une guerre importante. Ayant fait, par n’importe quels moyens donc, un prisonnier de la tribu avec laquelle ils sont en conflit ouvert, ils le font affronter un homme de leur propre tribu soigneusement choisi, chaque combattant usant des armes de son pays. La victoire de l’un ou l’autre est acceptée comme une indication de l’issue de cette guerre.
Chapitre XVIII.
Leur code du mariage, cependant, est très strict, et assurément aucune de leurs mœurs n’est plus digne d’éloges. Presque seuls de tous les barbares, ils se contentent d’une seule femme,
79
excepté un petit nombre d’entre eux, et non pour des raisons de pure sensualité, mais à cause du fait que leur noble naissance leur vaut de nombreuses offres d’alliance…
Chapitre XXVIII.
En conséquence, le pays situé entre la forêt hercynienne, le Rhin et le Main, et celui qui s’étend au-delà furent occupés respectivement par les Helvètes et les Boïens, deux tribus celtes. Le nom de Bohème subsiste, ainsi que diverses marques de l’antique tradition de ce lieu, même si la population en a changé…
Chapitre XL
Ensuite viennent les Reudignes, les Avions, les Angles, les Varins, les Eudoses, les Suardons et autres Nuitons, qui sont protégés par des rivières ou des forêts. Aucune de ces tribus n’a de caractéristique particulière, excepté leur culte commun pour Nerthus, c’est-à-dire la Terre-Mère, ainsi que leur croyance qu’elle intervient dans les affaires humaines, et visite les peuples dans son char. Au cœur d’une île de l’océan, il y a une clairière ou un bosquet sacré, à l’intérieur est un char consacré, recouvert d’un voile. Seul un prêtre est autorisé à le toucher. Il peut sentir la présence de la déesse dans cet antre sacré, puis marche à ses côtés avec la plus grande vénération alors qu’elle est tirée par des génisses. C’est une saison de réjouissance qui commence alors, et la fête règne partout elle daigne aller pour être reçue. Plus personne ne fait la guerre ni ne porte d’instrument guerrier ; les armes sont mises sous clé ; on connaît enfin seulement à ce moment-là et on les goûte, le calme et la paix ; jusqu’à ce que la déesse, lassée de la fréquentation des mortels ; soit finalement rendue à son temple par ce prêtre. Ensuite le char, le voile, et, si vous voulez bien le croire, la déesse elle-même, font l’objet d’une lustration complète dans un lac secret. Des esclaves accomplissent ce rite, qui sont aussitôt noyés dans ses eaux. De une mystérieuse terreur et une pieuse ignorance à propos de la nature exacte de ce que peuvent voir seulement des hommes destinés à mourir.
Note de la rédaction. On peut se demander si ce type de char recouvert d’une bâche (covinnus) n’était pas du même genre que le célèbre char à faux de Cuchulainn en Irlande. Mais sans les faux justement.
Chapitre XLI.
Plus près de nous, il y a la tribu-état des Hermundures (je suis le cours du Danube comme je l’ai fait auparavant pour le Rhin), peuple fidèle à Rome. Par conséquent, seuls de tous les Germains, ils ne font pas du commerce seulement sur les rives du fleuve, mais très à l’intérieur des terres, jusque dans la très florissante colonie de Rétie. Et ils sont autorisés à se rendre partout sans garde pour les surveiller. Alors que face aux autres tribus, nous déployons nos armes et nos camps, pour eux nous laissons nos maisons et nos palais ouverts : ils ne les convoitent pas. C’est sur leurs terres que naît l’Elbe une fameuse rivière qui fut très connue de nous dans le passé mais dont nous entendons à peine parler maintenant.
Chapitre XLII.
Les Naristes jouxtent les Hermundures, et ensuite viennent les Marcomans et les Quades ; les Marcomans arrivent en premier pour ce qui est de la puissance et du renom ; et leur territoire même ; dont les Boïens ont été jadis expulsés, a été acquis par leur bravoure. Les Naristes et les Quades ne leur sont pas inférieurs. C’est ce que je puis appeler la frontière de la Germanie dans la mesure le Danube s’y ajoute. Les Marcomans et les Quades ont été, jusqu’à nos jours, dirigés par des rois de leur propre nation, descendant de la noble lignée de Marobod et de Tuder. Ils se soumettent maintenant même à des étrangers, mais la force et le pouvoir de ces monarques dépendent de l’influence romaine. Ils sont parfois soutenus par nos armes, plus fréquemment par notre argent, dont l’autorité n’est pas moindre.
Chapitre XLIII.
Derrière eux il y a les Marsignes, les Cotins, les Oses, et les Bures, juste à l’arrière des Marcomans et des Quades. Les Marsignes et les Bures, pour ce qui est de la langue et du mode de vie, ressemblent aux Suèves. Les Cotins et les Oses ne sont pas des Germains, ce qui est prouvé par leurs langues respectivement celtique et pannonienne ; et par le fait qu’ils sont soumis à tribut. Ce tribut leur est imposé en tant qu’étrangers, en partie par les Sarmates
80
et en partie par les Quades. Les Cotins, comble de la déchéance, exploitent actuellement des mines de fer. Toutes ces nations n’occupent que peu de plaines, mais demeurent plutôt dans des forêts ainsi que sur des sommets montagneux. En ce qui concerne la Suévie, elle est divisée ou coupée en deux moitiés, par une chaîne de montagnes continue, au-delà de laquelle vivent une multitude de tribus. Le nom de Luges, dispersé comme il est en de nombreuses tribus, semble de loin le plus répandu. Il suffira de mentionner les plus puissantes pour finir, qui sont les Haries, les Helvécons, les Manimes, les Hélisiens, et les Naharvales. On peut voir chez eux une clairière ou un bosquet sacré de la plus haute antiquité. Un prêtre portant une robe comme une femme [en latin sacerdos muliebri ornatu : un druide ?] en a la charge. Mais ces dieux sont honorés comme les Castor et Pollux de l’interprétation romaine. La force attachée à cette entité divine porte le nom d’Alcis [l’élan ?] Il n’y a aucune image, ni, bien sûr, aucune trace, d’une superstition qui serait d’origine étrangère, mais c’est en tant que frères et que jeunes gens que ces dieux font l’objet d’un culte. Les Haries, outre le fait qu’ils sont supérieurs en force physique aux tribus qui viennent d’être énumérées, sauvages comme ils sont, tirent le plus grand avantage de leur férocité naturelle en se servant de divers artifices et des circonstances. Leurs boucliers sont peints en noir, leurs corps teints de couleurs sombres. Ils choisissent les nuits noires pour attaquer, puis, grâce à l’aspect terrifiant et funèbre de leur armée semblable à des ombres, répandent la terreur chez leurs ennemis, qui ne peuvent jamais affronter leur étrange et presque infernale, apparence. Car dans toutes les batailles, ce sont les yeux qui sont d’abord vaincus.
Au-delà des Luges sont les Goths, qui sont dirigés par des rois, un peu plus tyranniques que dans le cas des autres tribus, mais pas au point de mettre en cause leur liberté. Immédiatement derrière eux en allant vers la côte, il y a les Ruges et les Lémoviens, la caractéristique de toutes ces tribus étant leur bouclier rond, leur épée courte, et leur totale soumission à des rois…
Chapitre XLV.
Au-delà des Suions, il y a une autre mer, très lente, et presque sans mouvement, qui ceinture et limite le monde, ainsi que nous pouvons le déduire par inférence du fait que les derniers rayons du soleil couchant s’y attardent jusqu’au lever du soleil, avec une clarté suffisante pour éclipser la lumière des étoiles. Les croyances populaires ajoutent même que l’on peut y entendre le bruit que provoque son lever, que les silhouettes de ses chevaux ainsi que la gloire auréolant sa tête peuvent y être vues. Le monde ne s’étend donc que jusque-là (et en l’occurrence la rumeur semble dire vrai). En ce lieu la mer de Suévie, du côté droit, baigne les tribus d’Estes, dont les rites et les façons d’être sont ceux des Suèves, alors que leur langue ressemble plus à celle des (Grands) Bretons. Ils adorent la mère des dieux, et arborent comme symbole religieux des représentations de sanglier. Elles leur servent d’amure, et de défense contre tout, et protègent ainsi même au milieu des ennemis, le fidèle de la déesse. Ils se servent souvent de gourdins, plus rarement d’armes en fer. Ils font preuve de plus de constance dans la culture du blé ou des autres produits que ce que l’on pourrait en attendre, vu la répugnance des Germains au travail de la terre. Mais ils scrutent aussi la mer, et c’est le seul peuple qui recherche l’ambre (qu’ils appellent « glesum »), dans les hauts-fonds ainsi que sur le rivage. En bons barbares qu’ils sont, ils n’ont jamais cherché ni découvert quel est la cause naturelle ou le processus le produisant. Il restait même au milieu des autres rejets habituels de la mer chez eux, jusqu’à ce que notre amour immodéré du luxe lui ait donné un nom. Ils n’en font rien, le ramènent à l’état brut, nous l’apportent non travaillé, puis s’émerveillent du prix qu’ils en reçoivent. De toute façon, c’est un suc des arbres, comme on peut le déduire du fait que l’on peut y voir miroiter dedans souvent, des insectes rampants, voire même ailés, qui, s’étant retrouvés englués dans ce fluide, furent peu à peu enfermés dans cette substance à mesure qu’elle durcissait. Je serais assez enclin à penser que ces îles et pays d’Occident, tout comme les recoins les plus reculés d’Orient, renferment des forêts ou des bois fertiles, exsudant de l’encens et du baume ; que ces sucs, sous l’action des rayons d’un soleil plus rapproché qu’ailleurs, glissent à l’état liquide dans la mer adjacente, et sont ensuite rejetés par la force des tempêtes, sur les rivages opposés. Si l’on examine de près la composition de l’ambre en l’enflammant, il brûle comme du pin, et donne une flamme riche et odorante ; puis devient aussitôt visqueux comme de la poix ou de la résine…
Chapitre XLVI
81
En ce qui concerne les tribus des Peucins, des Vénètes, et des Finnes, je ne sais pas si je dois les ranger avec les Germains ou les Sarmates, bien qu’effectivement les Peucins appelés par certains Bastarnes soient comme les Germains pour ce qui est de la langue, du mode de vie, et de la permanence de leurs établissements. Ils vivent tous dans la saleté ainsi que dans la paresse, et du fait des mariages mixtes de leurs chefs se sont avilis au point de ressembler aux Sarmates. Les Vénètes ont adopté en grande partie le caractère de ces derniers, dans leurs expéditions à fins de pillage, ils parcourent toute l’étendue de forêts ainsi que de montagnes située entre eux et les Peucins ou les Finnes. Ils sont néanmoins plutôt à mentionner avec les Germains, parce qu’ils ont des habitations fixes, des boucliers, qu’ils aiment la marche et l’exercice également, ce qui contraste complètement avec les Sarmates, qui vivent dans des chariots et à cheval.
LUCAIN (39-65).
Poète romain dont la seule œuvre qui nous a été conservée, apparemment, est intitulée la Pharsale, une épopée sur la Guerre civile ayant opposé César à Pompée. Ce qui suit est donc un gigantesque poème écrit en hexamètres dactyliques (d’où difficulté supplémentaire). Intitulé la Pharsale ou plus exactement Marci Annaei Lucani de bello ciuili libri decem (Les Dix Livres de Marcus Annaeus Lucanus sur la guerre civile).
LIVRE I.
441
Et toi aussi, ô Trévire
Tu te réjouis que la guerre ait quitté tes frontières.
Tribus ligures, maintenant tondues, autrefois
Premières des nations aux cheveux longs, sur le cou desquels
Flottaient si fièrement jadis des mèches de cheveux d’un châtain tirant sur le rouge
Et préférées aux tribus chevelues,
Vous demeurez désormais en paix.
444.
Et vous qui apaisiez avec un sang maudit
Le sauvage Teutatès, les horribles temples de Hesus
Et les autels de Taranis aussi cruels que ceux
Aimés par la déesse Diane des Scythes ;
Vous, les vates
Dont les poèmes guerriers jadis immortalisaient
Les puissantes âmes/esprits [en latin animas] de ceux qui étaient morts à la guerre
Vous, les bardes
Vous recommencez en toute quiétude à déclamer un flot de chants plus abondants
Pendant que vous, les druides,
Vous retournez à vos sinistres mystères et à vos rites barbares
Naguère abolis par les armes.
452.
À vous seuls il est donné de connaître, comme de les ignorer
Les dieux et les puissances célestes ;
Les grands arbres des bosquets reculés
Sont vos demeures.
À en croire vos maîtres les ombres des morts
82
Ne vont pas rejoindre les silencieuses demeures d’Érèbe,
Ni les pâles royaumes de la mort ;
Une même âme/esprit [en latin idem spiritus] régit les membres
Dans un autre monde [en latin orbe alio]
Et la mort n’est que le milieu d’une longue vie ;
Si vous savez bien ce que vous chantez.
Heureux sont les peuples qui regardent la Grande Ourse
À cause de cette erreur ; car ils ignorent
Cette peur suprême qui effraie tous les autres,
De là cet esprit [en latin mens] enclin à se jeter sur le fer
Cette force de caractère [latin anima] capable d’affronter la mort,
Et ce peu de soin mis à épargner une vie qui doit vous être rendue.
LIVRE III.
389
Alors la cité grecque gagna une renommée
Immortelle, éternelle, du fait que, spontanément
Sans craindre pour elle-même, mais librement,
Elle obligea le conquérant à marquer une pause :
Et lui qui s’était emparé de tout en une course irrésistible
Trouva là un frein à son action :
Et la Fortune, malgré sa hâte à déposer l’univers
Aux pieds de celui qu’elle avait choisi,
Dut néanmoins retenir sa main pressée pendant ces quelques instants.
Les forêts tombent de tous côtés, puis sont dépouillées
De tous leurs chênes, car, comme l’intérieur du rempart
Était fait de fascines recouvertes de terre
Il fallait que ses deux bords soient bien contenus
Par une solide charpente de poutres
Afin que ce remblai ne s’effondre pas sous le poids des tours.
399
Non, loin de la ville, il y avait un bois sacré.
Que, depuis les temps les plus anciens
Aucune main humaine n’avait osé violer ;
Il s’étendait dans l’ombre d’un ubac
Et retenait dans ses branches entrelacées
Les ténèbres ainsi que les ombres glacées.
En ce lieu ne demeuraient ni Pans paysans
Ni Sylvains ni même des Nymphes
Mais des rites sauvages et des cultes barbares,
D’horribles autels érigés sur des tertres sinistres ;
Chaque arbre y dégouttait de sang humain.
S’il est possible d’accorder quelque crédit à la crédule Antiquité
Aucun oiseau ne s’est jamais posé sur ses branches
Et aucune bête sauvage n’y a jamais aménagé de tanière,
Le vent ne s’abat jamais dans ce bois
Ni la foudre jaillissant des nues.
L’air y est lourd, stagnant, immobile,
Mais les feuilles frissonnent quand même mystérieusement ;
L’eau s’écoule de sombres fontaines ;
De sinistres effigies [latin simulacra] des dieux, grossièrement façonnées,
Figurent sur des troncs d’arbre tombés,
La pâleur même du bois vermoulu
Ainsi que la décomposition de leurs formes,
Répandent la terreur
Car les hommes craignent moins les divinités
Dont les représentations leur sont familières
83
Tant ajoute à la terreur le fait de ne pas connaître les dieux.
On disait déjà que des tremblements de terre faisaient mugir certaines cavernes,
Que des ifs qui n’avaient pas poussé droit se redressaient ;
Que des langues de feu ardent avaient été vues dans les profondeurs de la forêt,
Mais que les arbres n’y brûlaient pas pour autant,
Et que des dragons s’enroulaient autour de ses troncs en de multiples anneaux.
Les hommes fuient ce lieu
Et ne s’en approchent pas pour célébrer leur culte,
Même le prêtre
Que Phébus soit à son zénith
Ou que la nuit noire obscurcisse le ciel,
N’approche de ce bois sacré qu’avec crainte
Et redoute d’y surprendre son seigneur.
426
Épargnée lors de la précédente guerre, elle était toujours drue
Alors que toutes les collines autour étaient nues
Et César ordonna donc qu’on l’abatte.
Mais les bras vigoureux qui tenaient les haches tremblèrent,
Et les hommes, impressionnés par la sombre majesté de ce bois sacré,
Retinrent les coups qu’ils craignaient de voir retournés contre eux.
Cela César s’en aperçut et d’un geste rapide
Souleva une lourde hache dont il asséna un grand coup
Entamant alors ainsi un puissant chêne qui montait vers le ciel droit comme une tour
Et ce faisant, il s’exclama
« Que plus personne désormais ne craigne
D’abattre cette forêt : tout le sacrilège m’en revient
Soyez-en persuadés ! ».
Ainsi parla César, et tous d’obéir,
Car le courroux de César avait plus de poids que la colère des dieux
Mais ils ne cessèrent pas pour autant d’avoir peur.
L’orme en premier, ensuite l’yeuse noueuse,
Puis l’arbre de Dodone, l’aulne propre au flottement
Et enfin le cyprès, signe des deuils non plébéiens
Pour la première fois donc laissèrent tomber leur chevelure et leurs feuilles
Et firent place au jour,
Même si, à cause de la densité des branches
Leur chute ne put que très difficilement arriver à son terme.
445.
En voyant cela tous les peuples de la Celtique se mirent à se lamenter
Mais la garnison à l’intérieur de la ville, elle, préféra s’en réjouir,
Car les hommes peuvent-ils insulter les dieux,
Tout en restant impunis ?
Pourtant la Fortune épargne souvent les coupables,
Et les dieux ne peuvent exercer leur colère que sur le pauvre.
Quand il y eut suffisamment de bois de coupé, ils prirent des chariots dans la campagne,
Et le laboureur, les bœufs tirant sa charrue ayant disparu,
Pleura sa moisson d’une année perdue.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
COMMENTAIRES SUR LA PHARSALE DE LUCAIN.
Il existe un certain nombre de commentaires anonymes des vers de Lucain, ou scholies, qui sont du plus grand intérêt.
84
La première série de commentaires est généralement désignée sous l’appellation de Scholies de Berne, aussi connue sous le nom de Commentaires de Berne ou Annaei Lucani Commenta Bernensia (ces scholies sont dites bernoises, car elles figurent sur un manuscrit de Lucain conservé à Berne).
Elle comporte deux volets. Le deuxième étant appelé Adnotationes super Lucanum ou parfois tout simplement Adnotationum.
S’y ajoutent également des notes sur certains vers de la Pharsale de Lucain, regroupées sous le titre latin de Supplementum adnotationum super Lucanum, par le professeur Giuseppe Cavajoni, de l’université de Milan.
Mais il existe aussi une troisième série de commentaires de Lucain, les Glosule ou Glossulae super Lucanum d’Arnoul d’Orléans (Arnulfus Aurelianensis).
Sans oublier d’autres remarques figurant dans divers manuscrits du chapitre de la cathédrale de Cologne et publiées en 1874 par Guillaume Wattenbach et Philippe Jaffé.
Il existe enfin une cinquième série de scholies incluse dans les Magnae Derivationes d’Hugutio de Pise.
Toutes se ressemblent beaucoup et ne diffèrent que sur certains points de détail.
Ci-dessous donc, et dans l’attente de la découverte de nouveaux manuscrits à ce sujet, les principales scholies concernant certains vers du Livre I de La Pharsale de Lucain.
COMMENTA BERNENSIA AD LUCANUM.
Vers 444. ET QVIBVS INMITIS pro : et a quibus placatur.
Vers 445. SANGVINE DIRO TEVTATES HORRENSQVE FERIS ALTAR. E. Mercurius lingua Gallorum teutates dicitur qui humano apud illos sanguine colebatur. Teutates Mercurius sec apud Gallos placatur : in plenum semicupium homo in caput demittitur ut ibi suffocetur. Hesus Mars sic placatur : Homo in arbore suspenditur usque donec per cruorem membra digesserit. Taranis Ditis pater hoc modo aput eos placatur : in alueo ligneo aliquod homines cremantur. Item aliter exinde in aliis inuenimus. Teutates mars 'sanguine diro' placatur, siue quod proelia numinis eius instinctu administrantur, siue quod Galli antea soliti ut aliis deis huic quoque homines immolare. Hesum Mercurium credunt, si quidem a mercatoribus colitur, et praesidem bellorum et caelestum deorum maximum Tarnanin Iouem adsuetum olim humanis placari capitibus, nunc uero gaudere pecorum.
Vers 446. TARANIS NON MITIOR ARA DIANAE quia Diana humano cruore litabatur. SCITHICAE in Scythia apud Tauricam regionem Diana humano sanguine colebatur, cuius erat sacerdos Iphigenia.
Vers 447. VOS QUOQUE QUI FORTES ANIMAS B. Q. P. L. I. L. V. vos quoque bardi. bardi Germaniae gens quae dixit viros fortes post interitum fieri inmortales. qui nunc securi decedente Caesare scribere vacant vel cantare.
Vers 450. ET VOS BARBARICOS RITUS driades. MOREMQUE SINISTRUM contrarium nostro.
Vers 451. SACRORUM DRIADAE sine templis colebant deos in silvis. driadae gens Germaniae.sunt autem driadae philosophi Gallorum dicti ab arboribus quod semotos lucos incolant : hi dicunt redire animas in alium orbem. an quoniam glandibus comestis divinare fuerunt consueti. driadae negant interire animas aut contagione inferorum
85
adfici. qui cum defunctis equos servosque et multam suppellectilem conburant quibus uti possint, inde animosi in proelia exeunt nec vitae suae parcunt, tamquam eandem reperituri in alio naturae secessu.
Vers 452. ET CAELI NUMINA VOBIS apostrophe.
Vers 453. AUT SOLIS NESCIRE aut illi aut nos erremus necesse est.
Vers 454. VOBIS AUCTORIBUS UMBRAE N. T. E. S. DITISQ. P. P. R. P. manes esse non dicunt sed animas in revolutione credunt posse constare.
Vers 455. NON TACITAS EREBI SEDES DITISQ. P. P. R. P. S. A. O. A. prudentes dicunt per metempsychosis animas ad alterius climatis corpora transire nec in eo orbe versari in quo prius fuerint. unde et Virgilius‚ pelagine venis erroribus actus.
Vers 459. FELICES ERRORE SUO quoniam hac spe acrius dimicant.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
ADNOTATIONES SUPER LUCANUM.
Vers 445. TEUTATES Mercurius sic dicitur, qui a Gallis hominibus caesis placatur. ESUS Mars sic dictus a Gallis, qui hominum cruore placatur.
Vers 446. ET TARANIS ordo : et quibus placatur Taranis diro sanguine laetantur hic converti proelia. TARANIS Iuppiter dictus a Gallis, qui sanguine litatur humano.
Vers 448. IN LONGUM VATES poetae, quos vates appellant.
Vers 449. SECURI BARDI Germaniae gens. SECURI bene‚ securi, quia conversa sunt proelia. CARMINA, BARDI hi enim poetas suos habent, qui pereuntibus laudem dicere solent.
Vers 450. SINISTRUM perversum.
Vers 451. DRUIDAE isti enim inter nemora constituti de sacrorum genere disputare consuerunt ; ideoque‚ repetistis.
Vers 452. SOLIS NOSSE DEOS quia tam intente cuncta tractatis.
Vers 453. REMOTIS separatis.
Vers 454. VOBIS AUCTORIBUS UMBRAE hoc enim disputant animas ad inferos non ire, sed in alio orbe nasci.
Vers 457. LONGE [sic !] CANITIS SI COGNITA VITAE longae vitae cognita, quia per longam vitam didicistis ; manifestum est enim senes esse sapientes propter aetatem.
Vers 458. MORS M. E. C. P. cum ab hoc orbe ad alium orbem transeunt. QUOS DESPICIT ARCTOS ipsos druidas dicit.
------------ ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
SUPPLEMENTUM ADNOTATIONUM SUPER LUCANUM.
Vers 446. ET TARANIS, ETC. ordo est : Taranis ara non mitior ara Scythicae Dianae, quia humano sanguine placabatur. Taranis deus est Gallorum, qui sanguine humano placabatur ; qui‚ Sciticae non mitior ara Dianae', dicitur, quia ad similitudinem Dianae quae in Taurica Scitiae regione colebatur, cuius sacerdos Iphigenia erat, humano cruore litabatur.
86
Vers 447. VOS QUOQ. ETC. quia mortuorum heroum acta carminibus perpetualiter observantur. FORTES ANIMAS heroas.
Vers 448. LAUDIBUS non vita. AEVUM saeculum.
Vers 449. SECURI scilicet a Caesarianis. recedente hoste. BARDI Leodicenses. bardus Gallice cantor appellatur, qui virorum fortium laudes canit, a gente Bardorum. Bardi autem sunt Germaniae gens quae dixit viros fortes post interitum fieri immortales.
Vers 451. DRYADAE populi. POSITIS pro depositis.
Vers 452. VOBIS driadis.
Vers 453. DATUM vel ‚ datur. REMOTIS remotis lucis.
Vers 454. LUCIS in silvis. VOBIS driadis. ipsos driadas dicit. UMBRAE id est animae.
Vers 455. TACITAS petunt. EREBI Orci. DITISQ. scilicet non Plutonis.
Vers 456. PALLIDA efexegesis est. SPIRITUS id est ipsa anima. ARTUS membra. scilicet alios.
Vers 457. ORBE ALIO quasi diceret apud antipodas. LONGAE, ETC. ordo est : si media mors longae
vitae est cognita, ut vos canitis. quia dicebant se post mortem alia membra sumpturos, quasi semper viverent et mors nihil aliud erat nisi quod ab una vita in alteram ducebat ; ideo ait : si verum dicitis, mors nihil aliud est nisi medium aliquid longae vitae. COGNITA vera ; accusativus neutri generis.
Vers 458. ARCTOS pars septentrionalis.
Vers 459. FELICES scilicet sunt. TIMORUM est enim mors timor timorum.
------------ -------------------------------- -----------------------------------------------------------------------------
GLOSULE SUPER LUCANUM.
Vers 445. Tevtates id est Mercurius, inde Tutonici a deo suo ita dicti ; athanatos grece, immortalis latine, theos deus, inde Teutaes Mercurius. IMMITIS quia sanguis sibi humanus sacrificabatur, unde dicit DIRO dire effuso. ESVS Mars ab edendo quia multos in bello consumit, uel quia sanguinem sibi sacrificatum consumit. HORRENSQVE FERIS dicit prodiro sacrificio.
Vers 446. ET TARANIS quasi diceret : et illi etiam uenerunt quibus placatur. THARANIS est Iuppeter ; nescio unde ita sit dictus. NON MITIOR pro sanguine humano. SCITHICE DIANE In Scicia Diane sanguis humanus sacrificatur.
Vers 447. VOS QVOQVE gaudetis O BARDI Leodicenses quorum multi fuerunt poete, qui de probis in bello occisis tractantes, immortales eos semper faciebant per famam.
Vers 449. SECVRI a bello cum deessent Romani. FVDISTIS CARMINA securitas enim studio est congrua. DRIADE populi sunt.
Vers 450. MOREMQVE SINISTRVM peruersum, coegerant eos Romani more Romano sacrificare, sed Romanis remotis ad pristinum morem redierunt, unde dicit.
Vers 451. REPETISTIS sed aut uos soli sapitis in sacrificando aut soli desipitis cum ritus uester omnibus ritibus sit contrarius.
87
Vers 453. NEMORA ALTA Ecce ritus eorum et mos sinister quia in tenebroso loco et deserto litatis remoti ab hominum habitatione.
Vers 454. VOBIS AVCTORIBVS id est sicut uos dicitis anime ad inferos non descendunt, sed in orbe alterius hemisperii incorporantur iterum uel in aliqua parte orbis a uobis remota.
Vers 455. TACITAS Anime enim instrumenta corporea loquendi uel audiendi non habent.
Vers 456. PALLIDA quia sole carencia. IDEM id est aedem anima corpore tamen alterato.
--------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
ECCLESIAE METROPOLITANEAE COLONIENSIS CODICES MANUSCRIPTI.
Vers 445. TEUTATES id est Mercurius, unde Teutonici. ESUS id est Mars.
Vers 446. THARANIS Iuppiter. hi omnes in Teutonicis partibus colebantur a Taranu. ut feria teutonice dicitur. SCITICE in Taurica provincia regis Thoantis, ubi Esphienigia (sic) Agamemnonis filia sacerdos erat. hos per mores et ritus determinavit, quia loca certa ignoravit.
Vers 449. BARDI id est Leodicenses. qui carminibus suis reddunt inmortales animas scribendo gesta regum.
Vers 451. DRIADE sclavi sunt.
Vers 457. ORBE ALIO apud antipodes. hi de metapsihei (sic) senserunt, et euntem ad corpus in tribus elementis purgari dixerunt. in igne in perusta, in aere in temperata, in aqua in frigida. vel alium orbem vocat alia corpora digniora vel indigne apud nos. fuit enim sentencia, animas in comparibus stellis positas. et descensus per cancrum. in planetis vero pro diversitate eorum hauriebant diversa. in corporibus tandem pro merito quedam cicius celum petebant, quedam de corpore in corpus transeunt, donec firmamento consecuti resipiscant.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Et enfin…
MAGNAE DERIVATIONES.
Vers 445. Theutates, tis, deus mortis sic dictus est Mercurius quia humano sanguine sacrificabatur, uel componitur a theos et athanatos, id est deus immortalis, unde Theutonus, a, um, quedam gens quia fera est.
-------------------------- ---------------------------- ------------------------- -------------------------------------------
Ces notes et ces remarques ne sont pas toutes d’un grand intérêt ; pire même, elles sont parfois contradictoires ou discutables, voire fausses ! Ci-dessous néanmoins, la traduction de quelques-unes d’entre elles.
COMMENTA BERNENSIA AD LUCANUM.
Vers 451. Driadae negant interire animas aut contagione inferorum adfici.
Les druides nient que les âmes puissent mourir ou aller en enfer ou en être affectées.
Vers 454. Manes esse non dicunt sed animas in revolutione credunt posse constare.
88
Ils ne disent pas que les mânes existent, mais croient que les âmes peuvent indéfiniment accomplir des révolutions (revenir à leur point de départ pour recommencer une nouvelle vie).
Vers 455. Prudentes dicunt per metempsychosis animas ad alterius climatis corpora transire nec in eo orbe versari in quo prius fuerint.
Ils affirment que par métempsycose les âmes peuvent passer dans des corps situés sous d’autres climats, mais ne reviennent pas vivre dans la partie du monde elles étaient précédemment.
--------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------------------
ADNOTATIONES SUPER LUCANUM.
Vers 454. Hoc enim disputant animas ad inferos non ire, sed in alio orbe nasci.
Ils contestent en effet que les âmes puissent aller en enfer, car ils pensent qu’elles naissent alors dans un autre monde.
Vers 458. Cum ab hoc orbe ad alium orbem transeunt.
Car de ce monde-ci, elles passent dans un autre.
------------ ----------------------------------------------- ----------------------------------------------------------------
SUPPLEMENTUM ADNOTATIONUM SUPER LUCANUM.
Vers 457. Si media mors longae vitae est cognita, ut vos canitis. Quia dicebant se post mortem alia membra sumpturos, quasi semper viverent et mors nihil aliud erat nisi quod ab una vita in alteram ducebat. Ideo ait : si verum dicitis, mors nihil aliud est nisi medium aliquid longae vitae.
S’il est vrai que la mort est le milieu d’une longue vie, à en croire ce que vous chantez. Parce qu’ils disaient qu’après la mort, ils s’empareraient d’autres membres, qu’ils vivraient presque éternellement, et que la mort n’était rien d’autre que le fait de passer d’une vie dans une autre. Autrement dit, si ce qu’ils disent est vrai, la mort n’est rien d’autre que milieu d’une longue vie.
Note de la rédaction. Ce « quasi semper » (viverent, etc.) = presque éternellement, est très curieux. Peut-on en conclure que les druides antiques ne croyaient ni à l’existence de l’enfer (disputant animas ad inferos non ire, sed in alio orbe nasci) ni même à l’éternité de la vie des âmes/esprits des défunts après la mort, mais seulement à une quasi éternité ou très longue vie (des âmes/esprits des défunts) ? Jusqu’à la fin du cycle cosmique en cours donc, et pas pour l’éternité ? Ce qui impliquerait alors nettement la croyance en une histoire cyclique et non linéaire.
------------- --------------------------------------------------------------------------------------------------------------
GLOSULE SUPER LUCANUM.
Vers 447. VOS QVOQVE gaudetis O BARDI Leodicenses quorum multi fuerunt poete, qui de probis in bello occisis tractantes, immortales eos semper faciebant per famam.
Et VOUS AUSSI réjouissez-vous, O BARDE liégeois (?), car nombreux furent les poètes qui en traitant des hommes tombés courageusement à la guerre, les rendirent à jamais immortels au travers de leur renommée.
89
Vers 454. Id est sicut uos dicitis anime ad inferos non descendunt, sed in orbe alterius hemisperii incorporantur iterum uel in aliqua parte orbis a uobis remota.
C’est-à-dire que selon vous les âmes ne descendent pas dans les enfers, mais vont s’incorporer une autre fois dans une partie du monde située dans l’autre hémisphère ou dans quelque partie d’un monde qui vous est inconnu.
Note de la rédaction. Pas d’enfer donc, mais un autre monde inconnu.
---------------------- --------------------------------------- --------------------------------------------------------------
ECCLESIAE METROPOLITANAE COLONIENSIS CODICES MANUSCRIPTI.
Vers 457. ORBE ALIO : apud antipodes. Hi de metapsihei (sic) senserunt, et euntem ad corpus in tribus elementis purgari dixerunt. In igne in perusta, in aere in temperata, in aqua in frigida. Vel alium orbem vocat alia corpora digniora vel indigne apud nos. Fuit enim sentencia, animas in comparibus stellis positas. Et descensus per cancrum. In planetis vero pro diversitate eorum hauriebant diversa. In corporibus tandem pro merito quedam cicius celum
petebant, quedam de corpore in corpus transeunt, donec firmamento consecuti resipiscant.
Vu l’importance de cette glose pour certains milieux néo-druidiques nous rappellerons les circonstances de sa découverte. Ce qui figure ici est la glose annotant un des manuscrits latins publié à Berlin en 1874 par Philip Jaffé et Wilhelm Wattenbach dans leur gros volume intitulé « Ecclesiae Metropolitanae Coloniensis codices manuscripti. Descripserunt Philippus Jaffé et Guilelmus Wattenbach. Berolini apud Weidmannos 1874 ».
Page 140.
ORBE ALIO : aux antipodes. Voilà ce qu’ils pensaient à propos de la métempsychose, et ils disaient que l’on doit être triplement purifié avant d’entrer dans un (nouveau) corps. Quant à son ardeur par la combustion, quant à son air par une chaleur tempérée, quant à son eau par le froid. Ou alors ils appellent « autre monde » le fait d’entrer dans des corps plus dignes ou moins dignes que les nôtres ici-bas.
Cette sentence impliquait peut-être que les âmes se reposaient alors dans des étoiles de même nature qu’elles. Puis redescendaient par le Signe du Cancer. En s’enrichissant par l’intermédiaire des planètes de divers éléments suivant leurs besoins et leur nature. À la fin après être entrées dans de nouveaux corps certaines accédaient plus rapidement au ciel en fonction de leurs mérites tandis que d’autres continuaient de passer de corps en corps jusqu’à ce qu’elles atteignent elles aussi le firmament.
90
ATHÉNÉE (Naissance vers 170, mort au IIe siècle).
Érudit et grammairien grec.
LES DEIPNOSOPHISTES OU LE BANQUET DES SAGES
LIVRE III.
Chapitre LXXIV.
Il y a un pain également appelé dipyre, ou biscuit. Eubule écrit, dans son Ganymède :
Et de délicieux biscuits tout chauds.
Et Alcée dit aussi dans son Ganymède :
A. Mais qu’est-ce que des dipyres ou biscuits ?
B. De tous les pains le plus délicat…
Chapitre LXXIX.
Et chez les Grecs il y a une sorte de pain qui est dit « mollet » ou « très tendre », étant fait d’un peu de lait avec de l’huile, et une pointe suffisante de sel mais on doit s’assurer que la pâte pour ce pain n’est pas trop ferme. Cette sorte de pain est appelée le Cappadocien, puisque le pain mollet ou tendre est produit en grande quantité en Cappadoce. Mais les Syriens appellent les pains de cette sorte lachme et c’est le meilleur pain de Syrie, car il peut être mangé encore chaud, il est comme en fleur de farine…
LIVRE IV.
Chapitre XXXIV.
« Mais chez les Galates », écrit Phylarque dans son sixième livre, la coutume est de mettre sur la table un grand nombre de pains déjà rompus, en abondance, ainsi que les viandes juste sorties des chaudrons, mais personne n’y touche tant que le roi lui-même n’a pas commencé à goûter de ce qui lui a été servi ». Dans son troisième livre, le même Phylarque écrit « qu’Ariamnès le Galate, étant excessivement riche, annonça un jour qu’il organiserait chaque année un banquet pour tous les Galates, ce qu’il fit en procédant de la manière suivante. Il quadrilla le pays d’installations bien adaptées le long des routes, et en tous ces lieux, il fit monter des tentes entourées de palissades, de joncs et d’osier, chacun d’entre eux pouvant accueillir quatre cents hommes ou même plus, selon ce que nécessitait le secteur, et en fonction du nombre de personnes que l’on pouvait s’attendre à voir affluer des villages et des villes proches de ces installations. Ensuite il fit placer en ces lieux d’immenses chaudrons, remplis de toutes sortes de viandes, chaudrons qu’il avait fait fabriquer l’année précédente en faisant venir des artisans des autres cités. Il fit abattre chaque jour beaucoup de bétail, de bœufs, de porcs, de moutons, ainsi que d’autres animaux et fit mettre en place du vin dans des tonneaux ainsi qu’une grande quantité de farine de froment. Et non seulement il fit en sorte, continue notre auteur, que tous les Galates des villages et des villes environnantes puissent en profiter, mais même les étrangers de passage furent, eux aussi, fermement invités par les esclaves qui se tenaient devant, à venir y manger de ce qui avait été préparé ».
Chapitre XXXVI.
Et Posidonios le stoïcien, dans les histoires qu’il a écrites et qui en quelque sorte sont loin d’être incompatibles avec ce qu’il professe, traitant des lois instituées ou des coutumes en vigueur dans de nombreuses nations, note ceci : « Les Celtes servent ainsi la nourriture de
91
leurs invités, ils s’asseyent sur de l’herbe, et la disposent sur des tables basses en bois, il s’agit de quelques miches de pain, et d’une grande quantité de viande cuites à l’eau, ou rôties sur de la braise voire à la broche. Ils consomment leur viande proprement, mais un peu à la manière des lions, en prenant des morceaux entiers des deux mains et en les mangeant de la sorte, s’il y en a qu’ils peuvent difficilement déchiqueter avec les dents, alors ils la découpent en se servant d’une petite épée qu’ils portent dans une gaine spéciale fixée au fourreau de leur épée de combat. Ceux qui vivent non loin des rivières consomment également du poisson, ainsi que ceux qui vivent au bord de la Mer intérieure ou de la Mer extérieure. Ils le mangent rôti avec du sel, du vinaigre et du cumin. Ils mettent aussi du cumin dans leur vin. Par contre ils ne se servent guère d’huile, à cause de sa rareté ; en outre comme ils n’y sont guère habitués, ils ne la trouvent pas très agréable. Quand il y a beaucoup de monde, ils s’asseyent en rond, les plus braves à la place d’honneur, comme le coryphée d’un chœur au milieu de la scène, parce qu’ils sont supérieurs aux autres par la force guerrière, la naissance ou la richesse ; l’homme qui les reçoit s’assied juste à côté, et ensuite de part et d’autre, le reste des invités, suivant qu’ils excellent ou se distinguent dans tel ou tel domaine. Les écuyers avec leur armement, portant leurs grands boucliers oblongs appelés thureos, se tiennent derrière, et leurs porteurs de lance s’asseyent en cercle eux aussi, à l’opposé, mais ils mangent en même temps qu’eux. Ceux qui font le service des coupes de boisson et sont chargés de faire circuler le vin le font dans des jarres de terre cuite ou d’argent, qui ressemblent à des tonneaux pour ce qui est de la forme, et le nom qu’ils leur donnent est alambic [grec ambikos]. Les plats sur lesquels ils servent la viande sont faits de la même façon ; mais certains sont en bronze, chez d’autres ce sont des corbeilles en bois ou en osier tressé. Pour ce qui est de la boisson, chez les riches, il s’agit de vin d’Italie ou de la région de Marseille, non coupé d’eau, à quelques exceptions près. Chez les plus pauvres, ce que l’on boit c’est de la bière, faite à partir de blé additionné de miel, le plus souvent même sans miel ; ils l’appellent korma. Ils boivent tous à la même coupe, par petites gorgées, en ne buvant jamais plus d’un cyathus à la fois [un cyathus = 0,045 litre], mais ils recommencent souvent. Un esclave fait circuler la boisson en cercle, en allant de gauche à droite en commençant par la droite ; c’est ainsi d’ailleurs que l’on fait le service et que l’on adore les dieux : toujours en tournant de la gauche vers la droite ».
Chapitre XXXVII.
Et Posidonios de continuer en relatant les richesses de Luernios le père de Bituitos qui fut vaincu par les Romains. Il écrit : « afin de devenir un des hommes les plus influents de son peuple, il avait l’habitude de conduire en char dans la plaine, et de jeter de l’or et de l’argent aux myriades de Celtes qui le suivaient ; un jour il fit enclore un espace de douze stades carrés, dans lequel il fit installer des cuves qu’il fit remplir de boissons de grand prix, et qu’il avait fait préparer une si grande quantité de nourriture que pendant de nombreux jours chacun eut la possibilité de venir y manger de ce qu’il voulait de ces mets, le service étant assuré sans interruption. Un jour que ce prince avait donné un grand festin à une date déterminée à l’avance, un poète de chez ces tribus barbares arriva trop tard et, le croisant sur la route, chanta un poème dans lequel il exaltait sa magnificence, tout en se lamentant sur sa malchance d’être arrivé trop tard. Cette ode plut beaucoup à Luernios, il demanda une bourse pleine de pièces d’or et lui jeta aussitôt alors qu’il courait à côté de son char. Ce dernier après l’avoir ramassée se mit à proclamer en chantant que des sillons creusés dans la terre le char passait sortaient des moissons de bienfaits pour les hommes ». Tels sont les faits et gestes des Celtes rapportés par Posidonios dans le vingt-troisième livre de son Histoire.
Chapitre XL.
Mais Posidonios, dans le vingt-troisième livre de ses Histoires, écrit « les Celtes parfois s’entraînent en duels. Étant réunis en armes, ils vont jusqu’à s’en servir, mais en pratiquant l’art de l’esquive ; parfois néanmoins cela peut aller jusqu’à s’infliger les uns les autres de réelles blessures. Irrités alors par cela, si des spectateurs ne les arrêtent pas, ils peuvent aller très loin, jusqu’à se tuer mutuellement. Jadis » continue-t-il, « la coutume voulait que l’on mette sur la table un jambon de porc, il était pour le plus courageux ; mais si quelqu’un lui contestait ce morceau, alors les deux hommes se levaient pour s’affronter, jusqu’à ce que l’un des deux soit tué. D’autres, dans un théâtre *, ayant reçu en argent ou en or une certaine somme, voire des amphores de vin, s’étant d’abord assurés en prenant de solides garants que les dons promis par eux seraient bien remis à leurs légataires, puis les ayant répartis ensuite entre les
92
plus proches de leurs relations, ils se couchent sur leurs boucliers, la face tournée vers le ciel, et demandent à quelqu’un dans l’assistance de leur couper la gorge avec une épée »…
* Note de la rédaction. Par théâtre il faut certainement comprendre « en public, au vu et au su de tout le monde, à tout le moins en présence de témoins ».
LIVRE VI.
Chapitre XXV.
Mais cette tribu de Celtes que l’on appelle les Cordistes * s’oppose à ce que l’on introduise de l’or que ce soit dans leur pays, mais ils n’en sont pas moins toujours prêts à piller le pays de leurs voisins et à y commettre toutes sortes d’exactions. Cette nation est un reste des Galates qui constituaient l’armée de Brennus quand il partit attaquer le temple de Delphes. Un certain Bathanatius, leur chef, les installa dans les régions voisines du Danube afin de les coloniser ; c’est en son honneur qu’ils appellent route bathanatienne le chemin par lequel ils sont revenus, et même encore maintenant ils appellent toujours Bathanati sa postérité.
Ces hommes proscrivent l’or, et n’en veulent pas sur leur territoire, car ils ont beaucoup trop souffert jadis à cause d’un tel métal ; par contre ils se servent d’argent, et pour en avoir ils commettent les plus grands crimes. Mais il aurait fallu dans ce cas, non pas bannir ainsi ce qui avait constitué autant d’objets de pillage de leur part, mais plutôt proscrire l’impiété qu’il y a, en l’occurrence, à commettre de tels sacrilèges…
* Note de l’éditeur. Vraisemblablement les Scordisques de Belgrade (Singidunum) en Serbie.
Chapitre XLIX.
Posidonius d’Apamée, dans le vingt-troisième livre de ses histoires, écrit : « Les Celtes, même quand ils partent en guerre, prennent avec eux des compagnons de table qu’ils nourrissent, et qu’ils appellent d’un nom équivalant à parasites. Ces hommes chantent leurs louanges en public devant de grandes compagnies rassemblées pour l’occasion, mais aussi pour des particuliers désireux de les entendre : ils ont également des sortes de chantres appelés bardes, qui leur font de la musique ; ce sont des poètes qui récitent des éloges tout en chantant. Dans son trente-quatrième livre, le même auteur parle d’un dénommé Apollonius, comme ayant été le parasite d’Antiochus surnommé Grypus, roi de Syrie. Et Aristodème rapporte que…
Chapitre LIV.
Mais Nicolas de Damas, un des péripatéticiens, dans sa très volumineuse histoire en cent quarante-quatre livres, note dans le cent onzième qu’Adiatome, le roi des Sotians * (une tribu celte) avait six cents hommes d’élite autour de lui, qui étaient appelés par les Celtes siloduri ** dans leur langue nationale, et par nous eucholimées [ce qui signifie en grec « liés jusqu’à la mort par un vœu »]. Et ce roi les avait comme compagnons, pour vivre et mourir avec lui, car tel était le vœu qu’ils avaient tous fait. En échange de quoi ils partageaient son pouvoir, portaient les mêmes habits, mangeaient la même nourriture ; mais ils devaient absolument mourir en même temps que lui, que le roi meure de maladie, à la guerre, ou d’une tout autre façon. Et personne ne pouvait dire que l’un d’entre eux ait jamais manifesté une quelconque hésitation à mourir ni même songé à s’y dérober alors que le roi venait de trépasser.
* Note de l’éditeur : sans doute Adcantuannus /Adiatuanos roi des Sotiates.
** Note de l’éditeur : probablement les soldurs évoqués par César à propos de ce chef.
LIVRE XIII.
Maîtresses d’hommes illustres.
Et Ulpien, comme s’il avait fait une découverte, et alors que Myrtilos était toujours en train de parler, demanda.
Le mot tigris a-t-il un féminin?? Car je sais que Philémon a écrit dans sa pièce intitulée Néérée :
Comme Séleucos nous a envoyé une tigresse
Que nous avons vue nous-mêmes, il faudrait bien en retour
93
Envoyer au Séleucide une de nos bêtes à nous des plus féroces.
Envoyons-lui un trigeranos, car c’est un animal que l’on ne trouve pas dans son pays.
APPIEN (95-160).
Appien d’Alexandrie. Un historien grec vivant à Rome où il acquit le rang de chevalier.
HISTOIRE ROMAINE.
LES GUERRES CIVILES
LIVRE IV.
Chapitre XCV.
L’Histoire nous apprend que cette ville fut un jour investie par les plus sauvages des barbares, mais les Celtes ne coupèrent la tête à personne, ils n’insultèrent jamais les morts, ils ne refusèrent jamais à leurs ennemis une chance de se cacher ou de fuir…
Note de l’éditeur. Il n’y avait donc pas de volonté génocidaire bien nette ni implacable chez eux, à la différence des Romains à certains moments de leur histoire.
Ci-dessous à tout hasard un dernier extrait, mais qui semble être simplement la variante d’un des passages consacrés aux guerres celtiques, mentionnés plus haut.
LES GUERRES CONTRE LES SAMNITES.
Un grand nombre de Sénons, une tribu celte, aidèrent un jour les Étrusques en guerre contre les Romains. Ces derniers envoyèrent des ambassadeurs dans la cité des Sénons et se plaignirent du fait que, alors que le traité qu’ils avaient signé l’interdisait, ils fournissaient des mercenaires à leurs ennemis. Et bien qu’ils aient eu le caducée de la paix à la main, et qu’ils aient été revêtus des habits de la fonction qui devait les rendre inviolables, Britomaris les tailla en pièces et en fit disperser les restes, en alléguant que son père avait été tué par les Romains alors qu’il faisait la guerre en Étrurie. Le consul Cornélius, apprenant cet abominable crime alors qu’il était en route, abandonna aussitôt sa campagne contre les Étrusques, se jeta au travers de la Sabine et du Picentin pour attaquer les villes des Sénons, et les dévaster en les mettant à feu et à sang. Il réduisit en esclavage leurs femmes et leurs enfants, et fit tuer tous les jeunes adultes mâles, à l’exception d’un fils de Britomaris, qu’il garda pour les plus cruels supplices, et qu’il traîna derrière son char lors de son triomphe.
Quand les Sénons qui étaient en Étrurie apprirent la nouvelle, ils se joignirent aux Étrusques et marchèrent sur Rome. Après avoir subi bien des malheurs, ces Sénons, n’ayant plus de maison pour y retourner, et rendus fous de douleur, se jetèrent sur le consul Domitius, la plus grande partie d’entre eux furent tués par lui. Les autres se tuèrent eux-mêmes de désespoir. Tel fut le juste châtiment infligé aux Sénons pour leur crime envers les ambassadeurs.
LES GUERRES CONTRE LES CELTES.
Note de l’éditeur. Il s’agit en fait de fragments que nous ne connaissons qu’au travers des citations faites par des auteurs byzantins comme l’empereur Constantin Porphyrogénète ou la Souda (une encyclopédie). L’ordre de leur enchaînement varie donc suivant les éditions.
Les Celtes ont jadis attaqué les Romains et pris Rome elle-même, à l’exception du Capitole, et incendièrent la ville.
Le dictateur Camille néanmoins en triompha et les chassa du territoire. Plus tard, lors d’une seconde invasion, il en fut de nouveau vainqueur et obtint en conséquence les honneurs du triomphe, à l’âge de quatre-vingts ans. Une troisième armée de Celtes qui avait envahi l’Italie
94
fut anéantie par les Romains sous Titus Quintius. Après ce fut au tour des Boïens, la plus sauvage des tribus celtes, d’attaquer Rome…
D’autres forces armées celtes furent défaites d’abord par Popillius ensuite un autre Camille, fils du précédent, battit également la même tribu. Après cela Pappus Émilius put lui aussi entasser des trophées arrachés à ces envahisseurs celtes. Peu de temps avant le consulat de Marius une très nombreuse et très belliqueuse horde de tribus celtes [les Cimbres et les Teutons], rendue redoutable par la taille de ses guerriers, fit des incursions à la fois en Galatie et en Italie, et battit des consuls romains en taillant leur armée en pièces. Marius fut envoyé à leur rencontre et les extermina tous.
Lors de la XCVIIe olympiade du calendrier des Hellènes, une partie considérables des Celtes qui demeuraient sur les bords du Rhin fit mouvement vers le sud à la recherche de nouvelles terres, car celles qu’ils habitaient ne leur suffisaient plus. Ayant réussi à traverser les Alpes ils s’abattirent sur le territoire de Cluse, une riche région d’Étrurie. Les Clusins avaient, peu de temps auparavant, conclu un traité avec les Romains. Aussi trois Fabius furent envoyés chez les Clusins comme ambassadeurs afin qu’ils demandent aux Celtes d’évacuer ce pays allié de Rome, menaces à l’appui s’ils n’obtempéraient pas sur le champ. Les Celtes répondirent qu’ils ne craignaient personne sur terre pour ce qui est de la guerre, et qu’ils ne se mêlaient pas des affaires des Romains, eux. Les Fabius pressèrent les Clusins d’attaquer les Celtes qui ne pensaient qu’à piller le pays. Ils se joignirent personnellement à cette expédition et tuèrent un grand nombre de Celtes qu’ils surprirent en train de fourrager dans les campagnes. Quintus Fabius, un des ambassadeurs romains, tua lui-même le chef de cette bande de pillards, le dépouilla, et revint à Cluse avec les armes prises sur son cadavre.
Après que les Fabius eurent ainsi massacré un grand nombre de Celtes, Brennus leur roi, bien que refusant désormais de recevoir des ambassadeurs romains, afin de les intimider décida d’envoyer lui aussi des ambassadeurs à Rome, mais soigneusement choisis par lui pour leur taille excédant celle de tous les autres Celtes, qui pourtant surpassent déjà en ce domaine tous les autres hommes, avec pour instruction de se plaindre que les Fabius, bien qu’ambassadeurs, avaient pris les armes contre lui avec les Clusins, contrairement à toutes les règles du droit international. Et il demanda qu’on les lui livre afin d’être châtié pour cette trahison, à moins que les Romains n’acceptent de s’en rendre complices évidemment. Les Romains reconnurent que les Fabius avaient eu tort, mais comme ils avaient le plus grand respect pour cette famille, ils insistèrent auprès des Celtes pour qu’ils se contentent d’accepter une certaine somme en guise de compensation pécuniaire pour eux. Comme ces derniers refusaient, ils élirent les Fabius comme consuls avec le titre de tribuns militaires pour cette année-là, et firent ensuite savoir aux ambassadeurs celtes qu’ils ne pouvaient plus rien contre les Fabius maintenant qu’ils exerçaient cette fonction suprême, mais leur demandèrent de revenir l’année suivante s’ils étaient toujours irrités contre eux. Brennus et les Celtes de son armée prirent évidemment cela comme une ruse insultante de la part des Romains. Et par conséquent ils demandèrent à tous les Celtes à la ronde de considérer cet affront aussi comme un casus belli pour eux. Quand suffisamment d’hommes eurent répondu à leur appel, ils levèrent le camp et marchèrent sur Rome…
Les Celtes pendant ce temps-là se gavaient de vin et de toutes sortes d’autres aliments succulents, étant intempérants par nature et habitant un pays qui ne produit que des céréales et rien d’autre. C’est pourquoi leurs grands corps sont mous, bouffis de graisse et lourds, à cause de leurs ripailles et de leurs beuveries continuelles, incapables de courir ou de supporter la moindre fatigue ; et au moindre effort ils se retrouvaient vite en nage et tout essoufflés.
Camille montra les Celtes complètement nus aux Romains et leur dit : « Les voilà ces hommes qui se ruent sur vous avec de tels cris au cours des combats, frappent leurs armes en cadence, et brandissent leurs longues épées ou agitent leur chevelure. Voyez leurs corps paresseux et flapis, et attelez-vous à votre tâche ».
Le Celte, indigné par cette traîtrise et se vidant de tout son sang, poursuivait Valerius et se hâtait derrière lui afin de l’agripper dans sa chute. Mais comme Valérius déjouait toutes ses
95
tentatives en reculant devant lui au fur et à mesure, le Celte tomba la tête la première. Les Romains se félicitèrent donc de l’heureuse issue de ce deuxième combat singulier avec les Celtes.
Les Sénons, bien qu’ayant conclu un traité avec les Romains, fournissaient néanmoins des mercenaires à leurs ennemis, aussi le Sénat leur envoya-t-il une ambassade pour leur reprocher cette infraction au traité. Britomaris le Celte, exaspéré par la mort de son père, qui avait été tué par les Romains alors qu’il combattait aux côtés des Étrusques, fit massacrer les ambassadeurs alors qu’ils avaient le caducée de la paix à la main, et portaient les habits de la fonction qui devait les rendre inviolables. Il fit déchiqueter leurs corps en mille morceaux et les dispersa dans les champs.
Le consul Cornélius, apprenant ce crime abominable alors qu’il était en route, se jeta aussitôt sur les villes des Sénons en passant par la Sabine et le Picentin, et les mit à feu et à sang. Il réduisit à l’esclavage les femmes et les enfants, massacra tous les adultes mâles sans exception, mis à sac le pays qu’il saccagea et rendit de la sorte inhabitable à jamais. Le seul prisonnier fut Britomaris traîné derrière lui pour être livré au supplice. Quelque temps plus tard les Sénons (qui avaient participé aux combats contre les Romains comme mercenaires) n’ayant plus de patrie rentrer, se jetèrent avec témérité sur le consul Domitius et, défaits par lui, se tuèrent eux-mêmes de désespoir. Tel fut le juste châtiment infligé aux Sénons pour leur crime envers les ambassadeurs.
Note de l’éditeur. Sauf qu’apparemment la plupart des victimes de ce génocide romain n’étaient pour rien dans le massacre des ambassadeurs, qui n’était que le fruit d’une terrible vengeance.
Les chefs des Salyens, une nation ayant été vaincue par les Romains, se réfugièrent chez les Allobroges. Quand les Romains réclamèrent qu’on les leur livre et que cela fut refusé, ils firent la guerre aux Allobroges, sous les ordres de Gnaeus Domitius. Alors qu’il passait sur le territoire des Salyens pour cela, un ambassadeur de Bituitus, roi des Allobroges, vint à sa rencontre, richement vêtu et suivi par une nombreuse escorte habillée de la même manière, ainsi que par des chiens ; car les barbares de cette région se servent de chiens comme gardes du corps. Un musicien faisait partie de cette ambassade et chantait les louanges du roi Bituitus d’une façon barbare, ainsi que celles de l’ambassadeur lui-même, célébrant sa naissance illustre, sa bravoure, et sa richesse ; principale raison pour laquelle d’ailleurs leurs ambassadeurs les plus connus prennent habituellement de tels hommes dans leur suite. Mais celui-ci en l’occurrence, bien qu’il ait imploré le pardon pour les chefs salyens, dut repartir les mains vides.
LES GUERRES CONTRE LES IBÈRES.
La guerre du feu.
Chapitre I.
63. Viriathe, ayant commencé par placer des hommes une embuscade dans un épais bosquet, fit retraite jusqu’à ce que Vetilius passe en ce lieu, et après qu’il eut fait volte-face, les hommes qui attendaient que le piège se referme, bondirent hors du couvert des arbres. Des deux côtés ils commencèrent à massacrer les Romains, en les acculant au bord des falaises et en les faisant prisonniers. Vetilius lui-même fut capturé, mais l’homme ne sachant pas qui c’était, voyant par contre qu’il était vieux et gras, considéra par conséquent qu’il n’avait aucune valeur et le tua. Des 10 000 Romains, 6000 arrivèrent à se frayer un chemin non sans difficulté jusqu’à la ville de Carpessos située sur la côte (qui je crois était appelée Tartessos par les Grecs jadis, et sur laquelle régnait un roi du nom d’Argantonios, qui passe pour avoir vécu cent cinquante ans).
96
ARRIEN (environ 86-160).
Historien romain de langue grecque. Se voulait un nouveau Xénophon.
CYNÉGÉTIQUE OU TRAITÉ SUR LA CHASSE (À COURRE).
Chapitre XXXII.
Pour toutes ces raisons, à mon avis, un chien vraiment bon et racé s’avère donc toujours être un grand trésor, qui ne tombe pas en la possession d’un chasseur à courre, sans une intervention en sa faveur de quelque divinité. Pour une telle bénédiction, il doit donc offrir un sacrifice à la déesse chasseresse Artémis *. Il doit également sacrifier, chaque fois qu’une de ses chasses a une conclusion heureuse, offrir les prémices du gibier ainsi capturé à la déesse, et purifier après ses chiens tout comme ses compagnons de chasse, conformément aux rites du pays.
Chapitre XXXIII.
Certains Celtes ont coutume de sacrifier annuellement à la déesse Artémis * ; ils constituent à cet effet une tire-lire pour la déesse, dans laquelle ils mettent deux oboles pour chaque lièvre attrapé, une drachme pour un renard (car c’est un animal rusé, il attrape et mange les lièvres, c’est pourquoi on donne plus, un peu comme si on avait capturé un ennemi), quatre drachmes pour un chevreuil, en raison de sa taille, et de sa plus grande valeur comme gibier.
Quand l’année s’est achevée, quand revient le jour de la nativité d’Artémis *, la cagnotte est ouverte, et un animal acheté avec le produit de la quête ; un mouton, un chevreau, ou une génisse, suivant le montant de la cagnotte : ensuite, après avoir accompli le sacrifice, et présenté les prémices des animaux sacrifiés à la déesse de la chasse, suivant leurs rites particuliers, ils s’adonnent à la fête et à la récréation avec leurs lévriers de chasse, couronnant ces derniers de guirlandes ce jour-là, afin de bien montrer que les festivités sont célébrées en leur honneur.
Chapitre XXXIV.
Moi et mes compagnons, nous suivons cette loi des Celtes, car je déclare qu’aucune entreprise humaine ne peut avoir d’issue heureuse sans l’intervention des dieux…
* Note de l’éditeur. Il s’agit bien entendu de l’interprétation grecque [interpretatio graeca] d’une déesse celtique de la chasse genre Arduinna ou Abnoba. D’où l’importance des traditions et coutumes dans ce rituel. Les Celtes n’ayant jamais eu de déesse de la chasse… unique ! Comme le dit si bien notre maître à tous Henri Lizeray, une tradition ça doit s’interpréter.
L’ANABASE OU LES CAMPAGNES D’ALEXANDRE.
LIVRE I.
Chapitre I.
Section 3.
Le troisième jour après la bataille, Alexandre atteignit l’Istros, qui est le plus grand de tous les fleuves d’Europe, traverse une grande suite de pays, et sépare des nations très belliqueuses. La plupart d’entre elles appartiennent à la race celtique, sur le territoire de laquelle cette rivière a sa source. De ces nations les plus reculées sont les Quades et les Marcomans, viennent ensuite les Iazyges, une branche de la famille des Sauromates, plus loin encore les Gètes, qui soutiennent la doctrine de l’immortalité de l’âme, et, enfin, les Scythes (dont le pays s’étend) jusqu’au delta du fleuve, où, au travers de cinq bouches, il décharge ses eaux dans le Pont-Euxin…
97
Section 4.
Alexandre prit la ville et tout le butin que les Gètes y avaient laissé derrière eux. Il confia ensuite à Méléagre et à Philippe le soin de le transporter. Après avoir rasé la cité jusqu’au sol, il offrit un sacrifice sur la rive du fleuve à Zeus Sauveur, à Hercule, et à l’Istros lui-même, car il l’avait laissé traverser, puis, le même jour, il ramena tous ses hommes au camp, sains et saufs. des ambassadeurs vinrent le trouver de la part de Syrmus, roi des Triballes, et de la part aussi des autres nations indépendantes habitant les rives de l’Istros. Il en vint également de chez les Celtes qui demeurent près du golfe ionique. Ces peuples sont de grande stature et ont un caractère hautain. Tous ces envoyés disaient qu’ils étaient venus chercher l’amitié d’Alexandre. À tous il donna des gages d’amitié, puis en reçut d’eux en retour. Il demanda ensuite aux Celtes quelle était la chose au monde qui leur causait le plus d’alarmes, en escomptant que sa renommée, qui était déjà grande, ait atteint les Celtes et même au-delà, et donc qu’ils répondraient que c’était lui qu’ils craignaient par-dessus tout. Mais la réponse des Celtes fut contraire à son attente ; car, comme ils demeuraient très loin d’Alexandre, habitaient des régions d’un accès difficile, et qu’ils s’étaient bien aperçus que toutes ses préoccupations allaient dans une autre direction, ils lui répondirent que ce qu’ils craignaient c’est que le ciel leur tombe un jour ou l’autre sur la tête. Il prit aussi congé de ces hommes, en les appelant ses amis et en les comptant parmi ses alliés, en ajoutant seulement pour ce qui est des Celtes que c’étaient de grands hâbleurs.
TECHNE TAKTIKE OU ARS TACTICA EN LATIN : DE LA TACTIQUE (Traduction Anne Hyland).
Chapitre XXXII.
Je vais maintenant dire quelques mots des exercices pratiqués par la cavalerie romaine au cours de son entraînement, puisque j’ai déjà donné un aperçu des exercices de l’infanterie dans le livre que j’ai rédigé pour l’empereur en personne. Ceci conclura donc ma réflexion sur l’art de la tactique.
Chapitre XXXIII.
Je me doute bien évidemment que l’explication de tous ces termes divers va être difficile, elle le serait même pour des Romains d’ailleurs, puisque beaucoup d’entre eux en effet n’appartiennent point à leur langue. Certains par exemple viennent des Ibères ou des Celtes, puisqu’ils ont emprunté la chose elle-même aux Celtes ; les interventions de la cavalerie celte sur le champ de bataille ayant toujours été en effet appréciées à leur juste valeur par eux. Car les Romains ont eu au moins ce mérite, que leur attachement à leurs propres institutions nationales ne les a jamais empêchés d’emprunter les bonnes idées d’où qu’elles viennent, et de les faire leurs.
Chapitre XXXVII.
C’est donc qu’il est particulièrement impératif d’exceller dans l’art de l’équitation, afin d’être simultanément capable de lancer une javeline sur ceux qui galopent après soi, mais aussi de se servir de son bouclier pour se protéger le flanc droit. Quand le cavalier chevauche dans le même sens que sa cible, il doit en effet se tourner vers la droite afin de lancer sa javeline. Tout en faisant volte-face, il doit par conséquent réussir ce qui est appelé le petrinos en langue celtique, autrement dit le plus difficile de tous les mouvements. Il doit pivoter sur sa droite au maximum jusqu’à faire face à la queue du cheval afin de pouvoir la lancer vers l’arrière aussi précisément que possible. Une fois que c’est fait, il doit se retourner de nouveau vers l’avant et se recouvrir aussitôt le dos avec son bouclier, car à chaque fois qu’il pivote sans cette protection, il s’expose évidemment aux traits de l’ennemi.
Note de l’éditeur. Pour visualiser ces très complexes manœuvres des cavaliers celtes (Cantabres et autres), se référer aux trois illustrations du livre d’Anne Hyland, pages 120, 123 et 135. Le drapeau cantabre était d’ailleurs un labarum.
98
Chapitre XLII.
Quand cette démonstration de lancer de javelines est terminée, les officiers supérieurs commandant la compagnie procèdent à l’appel des noms de tous les cavaliers qui doivent participer à cet exercice, dans l’ordre. En premier le décurion et après lui le duplicaire et les sesquiplicaires, enfin les autres hommes de la turme, successivement. L’homme dont le nom est appelé doit répondre en criant « présent ! » et se mettre ensuite à galoper droit devant lui avec trois lances. La première de ces javelines doit être lancée sur la cible dès qu’il en approche, la seconde juste avant d’arriver devant la tribune et alors que son cheval galope toujours droit devant lui et, si le cavalier suit les règles établies par l’empereur, il doit lancer sa troisième javeline alors que son cheval tourne vers la droite pour éviter la tribune, en visant une autre cible qui a été placée sur ordre de l’empereur, justement afin de recevoir la troisième javeline. C’est le plus difficile des trois lancers puisqu’il doit être effectué juste au moment le cheval commence à tourner, mais avant qu’il ait achevé de le faire. Un semblable lancer de javeline est appelé xynema en langue celte, et l’homme qui l’a réussi est dit avoir accompli un xynema (en langue celte), car ce n’est pas du tout facile à faire avec une javeline, surtout dénuée de pointe (métallique).
Chapitre XLIII.
Les exercices ne s’arrêtent pas là. Certains galopent en tenant leurs lances pointées vers l’avant, comme s’ils poursuivaient un ennemi en fuite. D’autres, comme s’ils avaient à en combattre un autre, font faire demi-tour à leur cheval et font passer leur bouclier par-dessus leur tête afin de l’avoir dans leur dos, puis manœuvrent leur épieu comme s’ils faisaient face eux aussi à une attaque ennemie. Les Celtes appellent cette manœuvre toloutegon. En outre, ils tirent leur épée puis exécutent avec elle différentes sortes de mouvements, ce qu’il faut pour désarçonner un ennemi qui s’enfuit, ou tuer un homme à terre, ou n’importe quoi d’autre comme dans une attaque de flanc. De plus ils savent faire toutes sortes de sauts sur leurs chevaux, et connaissent les différentes façons ou méthodes au moyen desquelles on peut monter à cheval. Ils terminent par une démonstration de la manière dont un homme avec son armement au complet peut bondir sur son cheval au galop, l’exercice dit du « voyageur ».
Chapitre XLIV.
Tous ces exercices ont été minutieusement copiés par la cavalerie romaine et sont pratiqués depuis longtemps dans ses rangs. L’empereur est en effet friand des méthodes étrangères suivant lesquelles il peut l’entraîner, par exemple, les manœuvres des archers à cheval parthes et arméniens, les voltes et les contre-voltes pratiquées par la cavalerie porte-lance des Sarmates et des Celtes quand ils chargent en formation, y compris les nombreuses et diverses façons de provoquer des escarmouches, qui sont fort utiles lors d’une bataille, sans oublier les cris de guerre propres à chaque race, notamment les cris de guerre celtes pour la cavalerie celtique, gètes pour la cavalerie gètique, et rhètes pour la cavalerie rhétique. En outre leur cavalerie pratique aussi les sauts par-dessus des fossés ou de petits murs. En résumé, de tous ces exercices bien connus chez eux, il n’y en a aucun que la cavalerie romaine ait omis ou bien oublié de pratiquer dès le début…
POMPONIUS MELA (Ier siècle de notre ère).
99
Le plus ancien géographe romain. Auteur d’une description du monde connu des Gréco-Romains. Son ouvrage (De situ orbis ou De chorographia) est un simple compendium, de moins de cent pages, écrit dans un style sec et peu méthodique.
DE LA TOPOGRAPHIE DU MONDE (EN LATIN DE CHOROGRAPHIA OU DE SITU ORBIS).
LIVRE II.
Le tour de Notre Mer. De l’Asie aux Colonnes d’Hercule.
1. Telle est, ainsi que je l’ai dit, la partie de l’Asie qui touche à notre Mer ainsi qu’au Tanaïs. Si quelqu’un descend le Tanaïs en direction du Méotide, l’Europe est à droite, mais à sa gauche s’il fait voile en remontant ce fleuve. En Europe les chutes de neige constantes rendent inaccessibles certaines régions contiguës des Monts Riphées (car ils vont jusque-là), de sorte qu’en plus cela empêche ceux qui s’y rendent délibérément de voir quoi que ce soit…
Chapitre I.
La Scythie.
8. Le fleuve qui sépare les peuples de Scythie de leurs voisins, cependant, commence sa source en Germanie est connue par porter un nom différent de celui sous lequel il finit. En fait, au travers d’immenses pays appartenant à de grandes nations, il est connu sous le nom de Danube ; ensuite, les populations locales usant d’un autre nom, il devient l’Istros…
LIVRE III.
Chapitre II.
La Celtique continentale.
16. Vient ensuite le second littoral de la Celtique continentale. Au début la ligne de côte ne s’avance pas du tout en mer, mais après un certain temps, après s’être enfoncée dans l’océan d’une longueur presque équivalente à celle que met l’Hispanie à s’en éloigner, alors elle en vient à faire face au pays des Cantabres. Ensuite cette côte décrit une grande courbe en tournant à l’ouest. Puis, après avoir bifurqué vers le nord, le littoral, dans un deuxième temps, remonte en une longue ligne droite jusqu’aux rives du Rhin.
17. Ce pays est riche, surtout en grains et en fourrage, et il est couvert de magnifiques forêts. Il est très salubre et il y a peu d’animaux nuisibles, en outre il est propice non sans mal et pas partout il est vrai – aux plantes qui ne supportent pas le froid.
18. Les gens y sont frustes, superstitieux, et parfois même si monstrueux qu’ils avaient coutume de croire que la meilleure et la plus plaisante des victimes sacrificielles pour les dieux, était encore l’être humain. Il subsiste des traces de cette sauvagerie, bien qu’elle ait été bannie aujourd’hui. Après avoir conduit vers les autels leurs victimes humaines vouées aux dieux, ils continuent néanmoins de les inciser légèrement, mais s’abstiennent désormais de verser le dernier sang, et n’en viennent plus à cette extrémité. Ils ont néanmoins leur propre art de bien parler ainsi que des maîtres en sagesse : les druides.
19. Ces hommes prétendent connaître la taille et la forme de la Terre ainsi que de l’Univers, les mouvements du ciel et des étoiles, et ce que veulent les dieux. Secrètement et sur une longue période (vingt ans), ils enseignent de nombreuses choses aux plus nobles jeunes gens de leurs peuples, et ils font cela dans des grottes ou dans des clairières cachées au fond des bois. Un des préceptes qu’ils enseignent évidemment pour les rendre plus aptes à faire la guerre est devenu de notoriété publique, à savoir que les âmes/esprits [latin animas] sont
100
immortelles et qu’il existe une autre vie chez les Mânes. C’est pourquoi ils brûlent et enterrent avec le mort des choses qui conviennent aux vivants. Et jadis les comptes des marchands ainsi que les registres de dettes accompagnaient, eux aussi, les morts, afin d’être soldés ou honorés dans l’autre monde ; certains individus se jetaient même gaîment sur le bûcher funèbre de leurs êtres chers, comme s’ils allaient revivre avec eux.
Chapitre VI.
46. Au large de ces rivages, dont nous avons suivi jusqu’ici le tracé depuis l’angle de la Bétique, il y a aussi de nombreuses îles obscures et sans nom…
47. En face de la Lusitanie se trouve l’île d’Érythie, qui passe pour être la demeure de Géryon, ainsi que d’autres îles sans nom bien établi. Les champs d’Érythie sont si fertiles que dès que la graine est plantée, que dès que la semence est tombée au sol pour les semailles, ils produisent au moins sept récoltes et quelques fois plus. Sur la côte celtique, il y a un certain nombre d’îles qui, comme elles sont riches en plomb, sont toutes appelées du nom de Cassitérides.
48. Dans la Mer Britannique, en face de la côte des Osismiens, l’île de Sena est vouée à une divinité celtique, et demeure fameuse pour son oracle, dont les prêtresses, consacrées par leur perpétuelle virginité, passent pour être au nombre de neuf. Ils appellent ces prêtresses Gallizènes et pensent que, comme elles sont dotées de certains pouvoirs, elles peuvent agiter les eaux et les vents au moyen de leurs charmes magiques, qu’elles peuvent se métamorphoser en l’animal qu’elles veulent, qu’elles soignent ce qui est considéré comme incurable par d’autres, qu’elles connaissent l’avenir et le prédisent, mais qu’elles ne le révèlent qu’à ceux qui vont sur les mers et qui plus est qui viennent tout exprès pour les consulter.
49. Des informations plus certaines et mieux établies vont bientôt nous être rapportées sur la place qu’occupe la [Grande] Bretagne et quel genre de peuples, elle produit. Car le plus grand des princes vient juste de nous ouvrir la porte de cette île si longtemps renfermée sur elle-même, et en tant que conquérant de peuples jusque-là insoumis voire inconnus, après avoir exploré ce pays par la guerre, ramène avec lui des exemples de ses propriétés, qu’il va exhiber enchaîné au char de son triomphe.
50. En attendant, conformément à ce que l’on pouvait en penser jusqu’à présent, la [Grande] Bretagne forme une sorte de grand angle qui s’ouvre de l’ouest au nord et sa pointe regarde les bouches du Rhin. Ses côtés partent en arrière de façon oblique, face à la Celtique continentale pour l’un, à la Germanie pour l’autre ; puis bifurquent sur ses arrières en donnant une longue ligne continue de rivages tout droits ; la [Grande] Bretagne se renferme alors ainsi au moyen de deux autres angles différents, qui lui donnent une forme triangulaire très semblable à celle de la Sicile. La [Grande] Bretagne est plate, très grande, fertile, mais plus généreuse pour ce qui alimente les moutons que pour ce qui nourrit les hommes.
51. Elle a des forêts, des prairies, et des fleuves considérables qui tantôt s’écoulent vers la mer tantôt remontent vers leur source, par alternance des courants, certaines autres rivières donnent des gemmes et des perles. Elle compte des peuples divers ayant des rois, mais aucun n’est civilisé. Plus ils vivent loin de la mer moins ils connaissent d’autres formes de richesses que celle des troupeaux ou de la terre, et, que ce soit pour la beauté de la chose ou pour toute autre raison, ils se teignent le corps en bleu.
52. Il ne manque pas cependant et de motifs de guerre et de guerres : ils se harcèlent constamment tour à tour les uns les autres, surtout parce qu’ils sont habités par un puissant désir de commander ainsi que par une forte propension à vouloir étendre leurs possessions. Ils font la guerre armés à la façon des Celtes du Continent, non seulement à cheval ou à pied, mais aussi montés sur des chars, qu’ils appellent covinni, et dont l’axe des roues est armé de faux*.
101
53. Au-delà de la [Grande] Bretagne, Iverne [aujourd’hui l’Irlande] qui lui est plus ou moins égale en superficie, mais a une forme oblongue et des littoraux également étendus sur les côtés. Son climat ne convient pas du tout à la maturation des grains, mais cette île est couverte d’une herbe si luxuriante non seulement abondante, mais délicieuse que les moutons s’en repaissent en quelques heures, et qu’à moins d’être retirés de ces pâtures, ils crèvent d’avoir trop mangé. Ses habitants ne respectent aucune loi et ignorent toute vertu, beaucoup plus qu’aucune autre nation, et ne savent pas ce qu’est la piété.
54. Les trente Orcades sont situées à faible distance les une des autres…
57. Thulé se situe au large de la côte des Belces, elle est très célèbre dans la poésie grecque et dans la nôtre. Sur cette île parce qu’en ce lieu le soleil se lève très loin de il se couche les nuits sont nécessairement courtes, durant l’hiver, elles sont aussi noires que partout ailleurs, mais en été par contre elles sont lumineuses. Durant l’été le soleil monte dans le ciel plus haut qu’à n’importe quelle autre saison, et bien que la nuit, on ne puisse plus le voir, il éclaire toujours néanmoins les lieux qui l’environnent, puisque ses rayons demeurent tout proches ; par contre durant le solstice, il n’y a plus de nuit, car à ce moment-là le soleil est encore plus visible et montre non seulement ses rayons, mais aussi la plus grande partie de lui-même.
* Covinni. C’est sur un char de ce genre que l’Irlandais Cuchulainn accomplira quelques-uns de ses exploits.
EUMÈNE (260-311).
Célèbre professeur de rhétorique d’Autun (département français de Saône-et-Loire). On peut lui attribuer assurément au minimum un des douze panégyriques : le numéro IX (5 par ordre chronologique, prononcé en 298 pour la restauration des écoles de la ville) puisque son nom figure en toutes lettres dans le corps du texte.
102
Mais trois autres discours de cette collection de 12 panégyriques lui sont également attribués par certains auteurs, d’autres spécialistes s’y refusant et préférant y voir des œuvres de Mamertin ou d’auteurs anonymes. Il s’agit des panégyriques V de 311. Le 8e par ordre chronologique donc. Un discours de remerciement, de la part des habitants de Flavie (= Autun). Du VI de 310. Le 7e par ordre chronologique donc. Un panégyrique en l’honneur de Constantin Auguste. Du VIII de 297. Le 4e par ordre chronologique donc. En l’honneur de Constance Chlore.
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans le premier de ces panégyriques vraisemblablement aussi d’Eumène et concernant notre sujet, celui qui fut prononcé en l’honneur de Constance Chlore en 297.
PANÉGYRIQUE DE CONSTANCE CHLORE.
XI.« Et assurément ce n’était pas le cas, car la [Grande] Bretagne n’était qu’un nom et sa perte négligeable pour Rome : un pays aux récoltes si abondantes, si riche en pâturages, débordant de filons de minerai, si profitable en revenus, si bien desservi en ports, au pourtour littoral si vaste. Quand César dont vous tenez votre nom, débarqua en [Grande] Bretagne, et fut d’ailleurs le premier Romain à le faire, il écrivit qu’il avait découvert un autre monde, estimant qu’il était si grand qu’il ne semblait pas être entouré par l’Océan, mais au contraire entourer lui-même ledit Océan. À cette époque la [Grande] Bretagne ne possédait aucun navire de guerre et Rome, déjà experte en la matière depuis les guerres puniques ou les guerres menées en Asie, et même plus récemment depuis la guerre contre les pirates et la seconde guerre contre Mithridate, excellait dans la pratique des combats aussi bien sur mer que sur terre. Sans oublier qu’il s’agissait d’une nation alors encore primitive et habituée seulement à se battre à demi nus contre des Pictes et des Hiberniens, ayant rapidement succombé devant les armes et les étendards de Rome ; au point que César n’aurait presque pu s’enorgueillir que d’une seule chose à l’occasion de cette expédition : avoir traversé l’Océan ».
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans le deuxième de ces panégyriques probablement aussi d’Eumène, et concernant notre sujet, celui qui fut prononcé en l’honneur de Constantin Auguste en 310.
PANÉGYRIQUE DE CONSTANTIN AUGUSTE.
I. J’aurais dû, très auguste empereur, faire ce qu’un très grand nombre de personnes m’ont pressé de faire, surtout depuis que votre majesté a choisi ce jour qui est tant célébré dans cette cité pour exercer mon modeste talent, et tirer de cette circonstance elle-même le début de mon discours, si deux raisons ne m’avaient pas dissuadé de le faire…
XXI. Nous ne pouvons donc que toujours espérer ardemment que vous prospériez ou réussissiez au-delà de toutes nos prières, nous qui avons placé tous nos espoirs en Votre Majesté et qui voudrions vous voir partout comme si un tel miracle était possible. Prenez par exemple la courte période vous étiez loin des frontières. De quelles menaces terrifiantes la perfidie des barbares ne se vantait-elle pas ? déjà en effet ils se demandaient : quand arrivera-t-il ici ? Quand vaincra-t-il ? Quand paraîtra-t-il à la tête d’une armée en campagne venant juste d’arriver ? Et tous de rester prostrés à l’annonce soudaine de votre retour, comme frappés par la foudre, de sorte que votre dévouement au service du bien public n’eut à souffrir qu’une nuit d’inquiétude. Car dès le lendemain du jour ces nouvelles inquiétantes vous étaient parvenues et vous avaient poussé à forcer la marche, on vous apprit que toute cette agitation était retombée, et que tout était rentré dans l’ordre que vous aviez laissé derrière vous.
La Fortune elle-même avait si bien résolu cette affaire que l’heureuse issue de votre entreprise vous décida donc à offrir aux dieux immortels ce que vous leur aviez promis à l’endroit même vous étiez passé en faisant un détour [le village de Grand, département français des Vosges] le plus beau temple du monde, plus précisément à la divinité qui s’est alors manifestée à vos yeux, et donc que vous avez vue. Car ce que vous avez vu de vos propres yeux, je crois, O
103
Constantin, c’est votre Apollon, accompagné par la déesse Victoire, vous offrir des couronnes de laurier, chacune présageant trente années de victoires. Car tel est le nombre des années humaines qui vous sont dues, sans faute, c’est-à-dire plus que le grand âge de Nestor lui-même. Mais pourquoi dis-je « je crois » ? Vous avez vu, et vous vous êtes reconnu vous-même sous les traits de celui à qui les chants divins des vates [en latin vatum carmina divina] ont prédit que l’empire du monde serait dû. Et c’est ce qui vient de se produire, je pense, puisque tout comme lui, Auguste Empereur, vous avez la jeunesse, la joie, et que vous êtes salutaire et très beau. C’est donc à juste titre que vous avez honoré ces temples parmi les plus vénérés de tant de si grands trésors que les anciens ne leur manquent plus. C’est pourquoi, semble-t-il, tous ces temples réclament maintenant eux aussi votre venue, et notamment notre Apollon, dont les eaux bouillantes punissent les parjures – qui vous sont particulièrement odieux.
Dieux immortels, quand donc nous gratifierez-vous du jour ce dieu vivant, la paix régnant désormais partout, pourra visiter notre bosquet d’Apollon, ses temples sacrés ainsi que les bouches pleines de vapeur de ses fontaines ?
Leurs eaux bouillonnantes recouvertes de buées d’une agréable tiédeur semblent vouloir sourire à tes yeux, Constantin, et se glisser d’elles-mêmes à l’intérieur de tes lèvres.
Tu admireras certainement cette autre demeure de ta divinité, et ses eaux, chaudes sans la moindre trace de chauffage au sol, qui n’ont aucune aigreur tant au goût qu’à l’odorat, mais sont aussi pures à boire et à sentir que l’eau des fontaines les plus fraîches. Et aussi tu accorderas des faveurs et tu institueras des privilèges, bref tu restaureras dans son antique splendeur ma petite patrie par la vénération de ce lieu particulier.
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans le troisième de ces panégyriques vraisemblablement aussi d’Eumène, certains éditeurs ayant même mentionné son nom dans le titre, celui qui fut prononcé en 311 pour remercier l’Empereur d’un allégement d’impôt en faveur de la ville d’Autun.
DISCOURS D’ACTIONS DE GRÂCE À CONSTANTIN AUGUSTE.
Au nom des habitants de Flavie. Par Eumène d’Autun.
I. Très auguste Empereur, si Flavie, cette cité des Éduens enfin appelée d’un nom éternel, avait été capable de bouger de ses fondations et de venir ici, la cité entière j’en suis sûr serait venu en personne parler d’une seule voix pour vous remercier de votre immense et magnifique bienfait en sa faveur, et vous aurez rendu grâce en tant que restaurateur, voire plus précisément même en tant que fondateur, de cette cité, que vous avez fait commencer à vous ressembler. Mais puisqu’elle ne peut y réussir (elle désire ardemment… une chose que la nature rend impossible), et que la distance en jeu ne vous permet pas d’entendre les acclamations qui font monter jusqu’au ciel les prières pour vous, je vais bien volontiers entreprendre comme il convient à l’occasion, de vous faire savoir toute la reconnaissance de ma petite patrie, et non pour vous entretenir de mes études littéraires personnelles, mais en tant que porte-parole d’un remerciement public…
III. Jadis Sagonte s’allia aussi à Rome, mais seulement quand toute l’Espagne, épuisée par la guerre punique, désira changer de maître. Marseille en fut l’amie, et se félicita d’être protégée par la majesté du nom romain. En Sicile les Mamertins, et en Asie le peuple d’Ilion, se sont attribué une origine mythique. Seuls les Éduens, sans être poussés par la peur ni par la flagornerie *, mais seulement mus par une franche et sincère considération, se considéraient comme frères du peuple romain et méritèrent d’être traités de la sorte. Cette notion, plus qu’aucune autre en matière de relations humaines, signifie à la fois un amour mutuel, mais aussi l’égalité. Aussi, quand les nations voisines, jalouses de la nouvelle importance que conférait cette amitié avec Rome, et poussées par la haine au point de se détruire elles-mêmes, eurent appelé les Germains à venir les aider à s’en débarrasser en tant que nouveaux maîtres du pays, le chef des Éduens vint au Sénat, l’informa de la situation, et quand il fut invité à s’asseoir à côté d’eux, il se contenta de bien moins puisqu’il prononça tout son discours accoudé sur son bouclier. Et quand une aide lui fut accordée, il fut le premier à conduire César et une armée romaine de ce côté-ci du Rhône.
104
* Note de l’éditeur. Par-delà les siècles, une des caractéristiques de l’entourage de l’actuel président de la République française, d’une grande partie des journalistes et des hommes de média (qui l’on fait élire en 2007, même si quelques mois plus tard ils ont changé de disposition à son égard) et d’une partie notable des [pseudo ou soi-disant] élites de ce pays, en ce qui le concerne.
La majorité de nos correspondants français considèrent que les Éduens ont en fait été des traîtres, et que l’installation dans le pays de quelques milliers d’autres Celtes (Helvètes, Latobices, Tulinges, Rauraques, et Boïens) ou de Germains en voie de celtisation (les Suèves d’Arioviste) n’aurait pas eu le même effet que l’impitoyable colonisation qui s’ensuivit. Sur le mythe de la paix romaine, voir Maurice Bouvier-Ajam et son excellent livre sur les empereurs.
HÉRODOTE (– 484 – 425).
Historien grec surnommé le Père de l’Histoire. Il est en outre considéré comme un des premiers explorateurs. L’unique œuvre que nous connaissions d’Hérodote est intitulée « Histoire », justement.
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans ses premier, deuxième, et quatrième livres.
LIVRE I
Chapitre CLXIII.
105
Les Phocéens ont été les premiers Grecs à faire de longs voyages en mer, et ce sont eux qui ont découvert la Mer Adriatique, la Tyrrhénie, l’Ibérie, et Tartessos, non en se servant de gros navires marchands ronds, mais de pentecontères ou vaisseaux à cinquante rames. Après être arrivés à Tartessos ils nouèrent des liens d’amitié avec le roi des Tartessiens dont le nom était Argantonios. Il régnait sur Tartessos depuis quatre-vingts ans et vécut en tout cent vingt ans. Les Phocéens gagnèrent à ce point son amitié qu’il les invita même à laisser l’Ionie derrière eux et à s’installer ils voulaient dans son pays ; mais comme il ne put réussir à les persuader de le faire, et qu’il apprit d’eux à quel point la puissance mède devenait chaque jour plus menaçante pour leur patrie, alors il leur offrit de l’argent afin qu’ils puissent bâtir une muraille tout autour de leur cité. Il leur en donna généreusement puisque le tour des remparts ne fait pas que quelques stades seulement, et que le tout est fait de grandes pierres de taille bien ajustées.
LIVRE II.
Chapitre XXXIII.
Car le Nil vient de Libye qu’il coupe par le milieu et comme je le suppose en faisant des conjectures sur ce qui est inconnu, à partir du connu, ce fleuve naît à une distance de son embouchure égale à celle de l’Istros. Le fleuve Istros vient de chez les Celtes et de la ville de Pyrene, son cours divise l’Europe en deux par le milieu (les Celtes sont actuellement au-delà des Colonnes d’Hercule et limitrophes des Cynésiens [grec Kunēsíois], qui de tous les peuples habitant l’Europe sont ceux qui demeurent le plus à l’ouest en direction de l’Occident) ; l’Istros finit, après avoir traversé la totalité der l’Europe, en se jetant dans le Pont-Euxin, à l’endroit les Milésiens ont fondé leur établissement d’Istria.
LIVRE IV.
Chapitre XXXII.
À propos des Hyperboréens : les Scythes ne nous en apprennent rien ni aucun autre des peuples de la région, si ce n’est peut-être les Issédons, mais à mon avis ce n’est pas le cas ; car si ça l’était, alors les Scythes eux aussi en parleraient, comme ils le font pour le peuple des cyclopes. Néanmoins Hésiode a quand même parlé desdits Hyperboréens, de même qu’Homère, dans son poème intitulé « les Épigones », du moins si c’est bien Homère qui est l’auteur de ce poème.
Chapitre XXXIII.
Les Déliens nous en disent beaucoup plus à leur sujet que tous les autres. Ils disent en effet que des offrandes sacrées emballées dans de la paille de froment étaient acheminées du pays des Hyperboréens chez les Scythes, et ensuite de chez les Scythes, elles passaient successivement dans toutes les nations voisines de proche en proche, qui les convoyaient vers l’ouest jusqu’à la mer Adriatique : de elles étaient réexpédiées en direction du sud, et les habitants de Dodone étaient les premiers de tous les Hellènes à les recevoir. De elles descendaient jusqu’au golfe maliaque d’où elles passaient en Eubée, puis de cité en cité jusqu’à ce qu’elles arrivent à Carystos. De là, sans passer par Andros, les Carystiens les amenaient à Ténos, et les Téniens à Délos. C’est ainsi que ces offrandes sacrées parvenaient à Délos, d’après eux ; mais au début, ajoutent-ils, les Hyperboréens avaient envoyé pour transporter ces offrandes sacrées deux vierges dont les noms, nous disent les Déliens, étaient Hyperoché pour l’une, Laodiké pour l’autre. Et avec elles pour assurer leur protection les Hyperboréens avaient envoyé cinq hommes de leur nation devant s’occuper d’elles, ceux que l’on appelle maintenant Perphères, et qui sont tenus en grand honneur à Délos. Mais comme les Hyperboréens finirent par réaliser que ceux qu’ils avaient ainsi envoyés au loin avec les offrandes ne revenaient pas, et l’idée de toujours envoyer ainsi de tels ambassadeurs sans espoir de jamais les revoir un jour, ne leur plaisant guère, ils se contentèrent alors d’apporter à leurs frontières lesdites offrandes enveloppées de paille de blé, puis de les confier à leurs voisins en les priant de les passer à leur tour à une autre nation. Elles arrivent alors ainsi transportées de proche en proche, à Délos, disent-ils, et j’ai personnellement remarqué qu’il existe quelque chose de semblable à ces offrandes, notamment quand les femmes de Thrace
106
et de Péonie sacrifient à la « reine » Artémis : elles ne lui font jamais d’offrandes sans paille de blé.
Chapitre XXXIV.
Voici donc ce qu’ils font, ainsi que je l’ai dit ; à cause de ces vierges venues de chez les Hyperboréens, qui moururent à Délos : garçons et filles du peuple délien se coupent les cheveux. Les filles avant leur mariage se coupent une mèche puis après l’avoir enroulée autour d’un fuseau la déposent sur leur tombe (tombeau qui se trouve actuellement sur la gauche en entrant dans le temple d’Artémis, et sur lequel pousse un olivier) les garçons de Délos, eux, entortillent une mèche de leurs cheveux autour de la jeune pousse d’un arbre toujours vert, et la déposent également sur cette même tombe.
Chapitre XXXV.
Les habitants de Délos rendent donc ces honneurs aux vierges dont je viens de parler, mais ils racontent également que deux autres vierges, Argé ainsi qu’Opis, du pays des Hyperboréens, seraient venues à Délos après être passées par les mêmes nations mentionnées plus haut, et ce avant même Hyperoché ou Laodiké. Ces dernières, ajoutent-ils, venaient apporter à Ilithye le tribut qu’elles offraient pour obtenir un prompt accouchement ; mais Opis et Argé vinrent avec les divinités elles-mêmes, et d’autres honneurs leur avaient été consacrés par le peuple de Délos, car les femmes, d’après eux, font des quêtes pour elles, en chantant leurs noms dans un hymne qu’Olen, un homme venu de Lycie, a composé en leur honneur ; et les natifs des autres îles ainsi que les Ioniens, ont appris d’eux, disent les Déliens, à chanter des hymnes louant Opis et Argé, ainsi qu’à faire des quêtes en leur honneur. En fait, c’est ce Lycien appelé Olen qui aurait aussi composé les autres hymnes antiques chantés à Délos. Et ils ajoutent que, quand les cuisses des animaux sacrifiés sont consumées sur l’autel, leurs cendres sont habituellement répandues sur la tombe d’Opis et Argé. Leur tombe est située derrière le temple d’Artémis, orientée à l’est, juste à côté de la salle des fêtes des Céiens.
Chapitre XXXVI.
En voilà bien assez à propos des Hyperboréens, car je ne parlerai pas de l’histoire d’Abaris, qui est dit avoir été lui également hyperboréen, et notamment comment il voyagea sur une flèche tout autour de la terre, sans rien manger. De toute façon s’il y a des Hyperboréens, il s’ensuit qu’il doit également y avoir des Hypernotiens. Bien que beaucoup d’auteurs aient déjà dessiné des cartes de la Terre, aucun n’a traité le sujet de façon intelligente et j’éclate de rire quand je vois qu’ils ont imaginé un Océan s’étendant tout autour d’une Terre en forme de cercle…
Chapitre XLIX.
De vient que l’Istros reçoit ces deux grandes rivières. Venant de la région qui est située au-dessus des Ombriques [grec Ombrikon], le Carpis et une autre rivière, l’Alpis, s’écoulent en direction du vent du Nord, et se jettent dedans, car l’Istros coule en fait à travers toute l’Europe après avoir pris naissance dans le pays des Celtes, qui, après les Cynètes [grec Kúnētas], sont de tous les peuples d’Europe ceux qui habitent le plus à l’ouest, en direction du soleil couchant ; et ensuite en coulant à travers toute l’Europe, il se jette dans la mer par un des côtés de la Scythie.
DENYS D’ALEXANDRIE (peut-être) dit aussi plus sûrement,
faute de mieux,
DENYS LE PÉRIÉGÈTE (Ier ou IIe siècle).
Écrivain grec. Dans son poème intitulé « Voyage autour (Periegiesis) de la terre habitée » (Oikumenes), qui sera plus tard traduit en latin par Aviénus et Priscien, on peut lire ce qui suit.
PERIEGESIS TES OIKUMENES (DESCRIPTION DE LA TERRE HABITÉE).
Commençons à chanter la terre et le vaste océan
Les fleuves, les villes et les innombrables tribus des hommes.
107
Vers 74.
Les ondes galatiques succèdent ensuite à cette mer, s’étendent la terre de Marseille et son port recourbé.
Vers 282.
De l’extrémité de sa pointe près des Colonnes d’Hercule
Il y a le peuple des Ibères au grand cœur
Répandu dans le sens de la longueur du Continent,
Là où s’étendent les eaux glacées de la mer septentrionale,
Où vivent les [Grands] Bretons et les blanches tribus germaniques folles de guerres,
Courant le long des sommets de la forêt d’Hercynie.
Cette terre les Ibères la disent semblable à une peau de bœuf.
Après eux la montagne des Pyrénées ainsi que la demeure des Celtes
Près des sources de l’Éridan aux eaux magnifiques.
Sur ses rives jadis, seules dans la nuit, les Héliades se lamentaient en pleurant la mort de Phaeton.
Là les enfants des Celtes, à l’ombre des peupliers,
Recueillent les larmes d’ambre dont l’éclat est semblable à celui de l’or.
Ensuite il y a la terre des Tyrrhéniens à l’orient de laquelle on voit commencer les Alpes,
Et du milieu de laquelle s’écoulent les eaux du Rhin
Vers les flots de la mer du nord.
Vers 563 à 584.
Puis sous le cap sacré qu’ils disent être la tête de l’Europe
Il y a les îles d’Occident, le pays d’où sort l’étain.
Elles sont habitées par les riches fils des nobles Ibères.
Et près des rivages boréens de l’Océan se trouvent deux autres îles.
Les îles Britanniques, faisant face à l’embouchure du Rhin.
Là en effet il vomit dans la mer son ultime tourbillon.
Leur étendue est extraordinaire :
Aucune de toutes les autres îles ne peut être comparée aux îles Britanniques
À proximité se trouve une autre traînée d’îlots,
En ce lieu * les femmes des nobles Amnites qui demeurent en face
Célèbrent avec des transports d’enthousiasme les fêtes en l’honneur de Bacchus
Couronnées de grappes de lierre aux feuilles noires
Et le bruit de leur tumulte s’élève distinctement dans la nuit.
Sur les bords de la rivière des Absinthes en Thrace les Bistonides invoquent le retentissant Iraphiotès **,
Avec leurs enfants le long du Gange aux sombres tourbillons
Les Indiens mènent leurs joyeux cortèges en l’honneur du bruyant Dionysos :
Mais c’est avec beaucoup plus d’ardeur que les femmes en ce lieu crient « Évohé ! »
Si tu continuais à fendre les flots de l’Océan en continuant ton chemin,
Avec un très bon navire tu atteindrais ensuite l’île de Thulé.
Là, quand la course du soleil se déplace vers les ourses, jours et nuits un feu toujours visible se répand.
Vers 1182.
Adieu, ondes de l’Océan, flots sacrés de la mer, fleuves, sources et montagnes aux vallées encaissées.
Je viens de finir de parcourir la vague enflée de la mer entière, ainsi que le cours tortueux des continents,
Puissé-je recevoir des Bienheureux en personne une récompense digne de ces hymnes.
* Note de l’éditeur. Selon Edward Well (livre publié à Oxford en 1704) il s’agirait de l’île française appelée justement Belle-Île-en-Mer, mais attention, cet auteur anglais est un des pires affabulateurs qui soit, et son livre est une forgerie de toutes pièces, délirante.
108
** Note de l’éditeur. Le Français Bénigne Saumaise traduit par « né d’une cuisse » en se fondant sur la légende qui rapporte que Bacchus ou Dionysos naquit (erraphthai) d’une cuisse de Jupiter ou Zeus. C’est effectivement une des sept étymologies proposées par les Anciens. Les autres incluant une allusion au chevreau, etc.
Ce poème de Denis d’Alexandrie (la périégésis) a rencontré un tel succès qu’il a été utilisé dans l’enseignement du grec et de la géographie et que de ce fait on a gardé de lui un certain nombre de commentaires d’exégèses ou de développements.
L’évêque byzantin Eustathe de Thessalonique (110-1198) a ainsi commenté ce poème.
Geographi Graeci Minores Volumen Secundum
Eustathii commentarii.
COMMENTAIRES EN LATIN SUR DENYS LE PÉRIÉGÈTE.
Vers 74.
Sciendum autem est fluxum hunc Galatam, qui a Gallia appellatur, Galaticum nimirum seu Gallicum mare accolas Celtogalatas, eosque perbiberi vino meraciori intemperantius indulgere, ferri autem sic vocari a Galata quodam Apollinis filio.
Il faut savoir que près de cette eau galate, appelée ainsi du nom des Galates, près de cette mer galatique habitent les Celtogalates, et ces Galates, à ce qu’on dit, sont adonnés au vin : on dit aussi que ce nom leur vient d’un certain Galatès, fils d’Apollon (Traduction donnée sous toute réserve, mes 7 ans de latin sont loin).
Vers 281.
Filii namque Herculis ex muliere barbara Celtus et Iber ; ex quibus gentes Celti et Iberes.
Celtus et Iber sont fils d’Héraclès et d’une femme barbare, et c’est d’eux que viennent ces peuples, les Celtes et les Ibères. (Traduction donnée sous toute réserve, mes 7 ans de latin sont loin.)
Vers 288.
Circa Pyrenen, montem nimirum Pyrenaeum, habitant Celti, prope a fonte pulchre fluentia Eridani, quem aliqui eundem esse affirmant ac Padum, quem nunc vocamus… Celtarum autem, inquit, filii sub his populis sedentes, auricoloris electri lacrimas mulgent, h.e. tale electrum colligunt…… Patet etiam propter aureum fulgorem istud electrum dici esse lacrymam Heliadum ; aurum enim metallum sacrum est soli.
Aux environs de la Pyrènè, c’est-à-dire des Pyrénées, habitent les Celtes, près de la source de l’Éridan aux belles eaux, qui, au dire de quelques-uns, est le fleuve appelé aujourd’hui Pô…… Les enfants des Celtes, assis sous les peupliers, expriment les larmes de l’ambre qui a l’éclat de l’or. Cela veut dire qu’ils recueillent l’ambre qui est tel… Il est évident que ledit ambre, en raison de son éclat doré, passe pour être les larmes des Héliades, car l’or est le métal consacré au soleil. (Traduction donnée sous toute réserve, mes 7 ans de latin sont loin.)
Vers 294.
Post Eridanum sunt Tyrrheni, de quibus inferius. Ab his ad orientem initium Alpium, per quas medias devolvitur Rhenus amnis Celticus, qui dplicii ostio in oceanum exit borealem, pernix ponte haud facile jugendus, obliquus. Hic est, qui fœtas spurios dicitur a legitimis discernere, quippe qui legitime sustineat, illegitimo vero fundo oblivionis et aquarum consignet.
Après l’Éridan sont les Tyrrhéniens……… C’est de chez eux, à l’est, que part la montagne des Alpes, du milieu de laquelle descend le Rhin, fleuve celtique, qui par une double embouchure se jette dans l’Océan boréal ; son cours est rapide, sinueux, et il n’est pas facile d’y construire des ponts. Ce fleuve, dit-on, distingue les enfants bâtards des enfants légitimes ; il soutient les
109
uns, ceux qui sont légitimes ; les autres, qui ne sont pas tels, il les confine dans le fond de l’oubli et de l’eau.(Traduction donnée sous toute réserve, mes 7 ans de latin sont loin.)
Vers 586.
Quibus etiam quum insulas quae ibi sunt, Amnitarum comparet has forma diminutive ? vocat, ubi, inquit, illustrium Amnitarum uxores… Ceterunt aiunt in oceano esse insulam parvam nec longe in alto sitam, quam Amnitarum uxores, Baccho percitae incolunt. Vir in eam insulam non descendit, sed ipsae ad virons navigant, et, posteaquam cum iis consueverunt, revertuntur. Tum haec sacra cum aliis similibus sacris oratorie comparat, in haec verba : « Non sic Absinthii Thraces, neque sic Indi per Gangem, nigricantium aquarum amnem, Bacchanale festum, Libero patri peragunt ut insulares hae mulieres…… h.e. hymno Evium Bacchum celebrant clamante Evoe Evan ; hae enim sunt fanatice in Bacchum acclamationes. Nimirum fama est Amnitarum uxores, per totam noctem tripudiantes choreas ducere, ita ut haec in re et thraces eis et Indi cedant, tametsi et ipsi afflati sint numine Bacchi, eique orgia magno opere celebrant ».
Comparant avec ces îles (les îles Britanniques) celles de ces parages, il dit, par un diminutif, « les îlots des Amnites. « Là les femmes des braves Amnites, etc. » On dit à la vérité qu’il y a dans l’Océan, non pas tout à fait au large, une petite île qu’habitent les femmes des Amnites, qui sont possédées de Dionysos. Aucun homme ne met le pied dans cette île ; ce sont les femmes qui vont trouver les hommes, et après avoir eu commerce avec eux, elles s’en reviennent. Puis, par une comparaison oratoire entre ces pratiques sacrées et d’autres qui leur ressemblent, non, dit-il [Denys], il n’y en a pas qui zneuzousi ? comme les femmes de ces îles, c’est-à-dire qui célèbrent comme elles Evios Dionysos, en criant évohé ! évan ! acclamations de l’enthousiasme dionysiaque. On dit, en effet, que les femmes des Amnites dansent en chœur les nuits entières, si bien que sur ce point leur cèdent même les Thraces, même les Indiens, quoique ces peuples possédés de Dionysos soient entièrement adonnés à ces orgies sacrées (Traduction donnée sous toute réserve, mes 7 ans de latin sont loin).
Anonymi paraphrasis. Paraphrase en grec de Denys le Périégète.
Vers 586. Près des îles dites Cassitérides, il y a une autre série de petits îlots, les femmes des Amnites, à l’opposite, c’est-à-dire en face, dans leurs transports, célèbrent selon le rite le culte de Dionysos : c’est pendant la nuit, et elles se couronnent des corymbes du lierre au noir feuillage, c’est-à-dire de branches de cet arbre avec leurs fruits en forme de grappes ; et le bruit des tambours et des cymbales qu’elles frappent retentit au loin. Nulle part… ni les Bistonides en Thrace ni les Indiens ne mènent les fêtes du bruyant Dionysos avec l’ardeur que mettent en cette contrée les femmes des Amnites à chanter : Évohé Bacchos ! c’est-à-dire l’hymne sacré des Dionysies.
SILIUS ITALICUS (28-103 environ).
Poète et homme politique romain. Il est l’auteur des Puniques, une épopée en 17 chants. Ci-dessous ce que l’on peut y lire.
LIVRE III.
Les Celtes qui ont ajouté à leur nom celui d’Ibères vinrent aussi.
Pour eux mourir sur le champ de bataille est ce qu’il y a de plus glorieux
Et ils considèrent qu’il est sacrilège de brûler le corps de ces guerriers
Car ils croient que l’âme/esprit s’en ira rejoindre les dieux dans les cieux,
Si le corps est dévoré sur place par des vautours affamés.
110
La riche Galice envoya également des hommes, de jeunes gens
Versés dans l’art de découvrir l’avenir dans les entrailles des animaux sacrifiés,
Le vol des oiseaux, et les éclairs dans le ciel.
Ils aimaient tantôt chanter [ululantem en latin] des hymnes barbares dans la langue de leurs ancêtres,
Tantôt frapper du pied la terre en cadence
Et heurter les uns contre les autres leurs bruyants boucliers.
Tels sont les jeux et les exercices favoris de ces hommes
Tels sont leurs plaisirs les plus sacrés.
Cartéia aussi envoya au combat les enfants d’Argantonios ;
Ce roi qui régnait sur leurs ancêtres est de toute l’espèce humaine
Celui qui vécut le plus longtemps,
Il batailla prétendument pendant trois cents ans.
Tartessos, sur laquelle se couche le soleil, courut aux armes ;
Munda, se voua de la même façon à reproduire pour l’Italie
Toutes les souffrances des champs Émathiens,
Et Cordoue, la fierté d’un pays riche en or, ne recula pas non plus.
LIVRE IV.
Note de l’éditeur. Il s’agit d’un épisode de la bataille du Tessin livrée par Hannibal aux Romains en 218 (deuxième guerre punique), mais vu par le poète épique qu’était Silius Italicus.
Les deux armées s’avancent rapidement l’une vers l’autre
Et un grand bruit recouvre la plaine
Quand les cavaliers tirent tous ensemble sur les rênes de leurs chevaux
Avant de relâcher leur main pour les laisser bondir en avant ;
Et ils chargent avec tant d’impétuosité à travers la plaine
Qu’ils laissent à peine une trace de leurs sabots dans la poussière.
Un escadron de cavalerie légère des Boïens commandé par Crixus,
Se jette sur les premières lignes romaines
Et leur barre la route de leurs corps de géants.
Crixus lui-même s’enorgueillissait de ses ancêtres,
Prétendait descendre de Brennus,
Et lui attribuait la prise du Capitole.
Ce pauvre fou portait, ciselée sur son bouclier, une représentation
Figurant les Celtes pesant l’or au pied de la colline sacrée de la Roche Tarpéienne.
Un collier d’or étincelait autour de son cou blanc comme la neige
Sa tunique était brodée d’or
Les canons de ses avant-bras étaient aussi en or,
Et la crête de son casque étincelait du même métal.
Leur charge terrifiante frappa de plein fouet les hommes de Camertum qui étaient au premier rang
Et le torrent des Boïens ouvrit une brèche dans cette première phalange.
Ces maudits Sénons se joignirent à eux et renforcèrent leurs rangs.
Les cadavres jonchaient la plaine, écrasés sous le poitrail des chevaux.
Les Carthaginois n’avaient même pas de place pour se battre
Car ces fous furieux de Celtes occupaient tout le terrain ;
Aucun d’entre eux ne lançait son javelot en vain ;
Tous leurs traits se fichaient dans des ennemis.
Quirinius, pour qui la fuite était une chose inconnue
Et dont le cœur indomptable préfère mourir couvert de blessures reçues de front,
Quand l’ennemi arriva sur lui,
Fit preuve d’une extraordinaire audace, alors que tous tremblaient autour de lui.
Il éperonna son cheval et lança des javelines de son bras puissant,
111
Espérant ainsi se frayer un passage par la force des armes jusqu’à Crixus.
Assuré de mourir, il cherchait désespérément à se couvrir d’une gloire
Dont il ne jouirait jamais de son vivant.
Teutalus, blessé à l’aine, tomba devant lui,
Et la terre trembla sous son poids gigantesque ;
Et Sarmens ensuite, qui avait promis, en cas de victoire
De t’offrir ô Gradivus [Mars], ses mèches aussi blondes que de l’or,
Ainsi que le chignon éclatant qu’il avait sur le crâne.
Mais son vœu ne fut pas exaucé,
Les Parques [les fées de la destinée] l’on tiré par ses cheveux toujours intacts
Jusque dans les profondeurs du sombre séjour des Mânes
Un sang fumant inonde son corps blanc comme neige
Et la terre imbibée a tourné au rouge.
Mais Ligaunus, nullement arrêté par la javeline qu’il avait reçue,
Se rua sur Quirinus, leva son épée de toute sa hauteur devant lui
Et lui en asséna un coup très violent juste à l’articulation de l’épaule.
Le bras gauche fut coupé net par ce coup d’épée ;
Mais resta un instant accroché à la bride qui s’était mise à flotter,
La main serrant toujours mécaniquement les rênes
Comme si elle avait voulu en quelque sorte continuer
Le geste familier du cavalier gouvernant le frein de son cheval.
Alors Vosége [latin Vosegus] coupa la tête qui ne se tenait plus droite
Et attacha donc à la crinière de son cheval le casque avec la tête encore dedans,
Ensuite il poussa un cri de triomphe en l’honneur de ses dieux ancestraux.
Pendant que les tribus celtes semaient ainsi la mort sur le champ de bataille,
Le consul fait sortir du camp ses troupes en toute hâte
Et s’élance le premier sur l’ennemi juché sur son blanc coursier.
LIVRE XIII.
Et Scipion répondit :
« Ô toi le plus noble descendant de l’antique Clausus,
Aucune de mes tâches (et j’en ai pourtant de très lourdes à effectuer)
N’aura le pas sur ta requête.
Partout dans le monde les pratiques en ce domaine diffèrent,
La variété des opinions donne naissance à des façons variées
d’enterrer les morts et de disposer de leurs cendres.
En Espagne m’a-t-on dit (c’est une très ancienne coutume)
Les corps des défunts sont laissés en pâture à d’immondes vautours.
Quand un roi meurt en Hyrcanie, l’usage veut qu’on laisse les chiens dévorer son cadavre.
Les Égyptiens enferment leurs morts debout dans un cercueil de pierre et lui rendent un culte,
Ils admettent des spectres anémiés à leurs banquets.
Chez les peuples du Pont-Euxin, la coutume est d’enlever le cerveau du crâne
Et d’introduire dedans divers médicaments pour l’embaumer.
Les Garamantes creusent un trou dans le sable et y enfouissent les morts nus,
Alors que les Nasamons de Libye confient leurs morts aux cruelles profondeurs marines.
Les Celtes se plaisent à évider les crânes, les sertissent d’or et s’en servent, quel sacrilège,
Comme coupes à boire lors de leurs festins.
Les Cécropides ont adopté une loi disposant que ceux qui sont morts dans une bataille pour défendre le pays
Doivent être brûlés ensemble sur un même bûcher funèbre.
Chez les Scythes les morts sont attachés dans des arbres jusqu’à ce qu’ils pourrissent
Et c’est le temps finalement qui se charge de la sépulture de leurs corps ».
Mais pendant qu’ils parlaient ainsi le fantôme de la Sibylle s’approcha
Et Autonoé les pria de bien vouloir arrêter de pérorer plus longtemps :
« Voici » dit-elle, « voici la grande prêtresse, la fontaine de vérité ».
112
AMMIEN-MARCELLIN (330-395 environ).
Bien que d’origine grecque, a écrit en latin. Historien. Fait partie des derniers grands écrivains païens. Auteur de Rerum Gestarum Libri ou Res Gestae (« Histoire de Rome »).
LIVRE XV.
Chapitre IX.
Paragraphe 1.
Ainsi que le sublime poète de Mantoue l’a chanté, « une plus grande fresque d’événement à dépeindre se dresse maintenant devant moi et je m’engage dans une tâche des plus ardues ».
Arrivé à ce point de mon œuvre, je pense qu’il y a une occasion appropriée de décrire la situation ainsi que les différents pays de la Celtique, de peur que, au milieu de la narration des préparatifs ou des aléas des batailles, je n’en arrive à parler de sujets qui ne seraient pas
113
compris de tout le monde, semblable en cela au marin qui, au beau milieu des vagues les plus hautes et de la tempête, doit commencer à réparer ses voiles et ses cordages, au lieu d’avoir profité du beau temps pour le faire avant.
Paragraphe 2.
Les auteurs anciens, en traitant des origines les plus lointaines des Celtes du Continent, nous en ont brossé un tableau très incomplet mais récemment Timagène, Grec d’esprit comme de langue, a réussi à extraire de divers écrits restés longtemps méconnus, un certain nombre de faits notables, et c’est donc guidé par le fidèle compte-rendu qu’il en a fait, que nous allons désormais en donner, en dissipant toute obscurité, un compte-rendu logique et clair.
Paragraphe 3.
Certaines personnes affirment que les premiers habitants jamais vus dans ces régions étaient appelés Celtes, d’après le nom d’un de leurs rois, qui était très populaire chez eux, et quelquefois également Galates, d’après le nom de sa mère. Car Galates est la traduction grecque du mot latin Galli. D’autres affirment que ce sont des Doriens qui, suivant un très ancien Hercule, choisirent de s’établir dans cette région touchant à l’Océan.
Paragraphe 4.
Les druides [latin drasidae] affirment qu’une partie du peuple est réellement indigène, mais que les autres ont afflué d’îles très lointaines, et de régions situées au-delà du Rhin, chassés de leurs précédentes demeures par des guerres trop fréquentes, et aussi quelquefois par des inondations dues à une mer déchaînée.
Paragraphe 5.
D’autres encore soutiennent qu’après la destruction de Troie, quelques Troyens fuyant les Grecs, qui étaient alors partout, occupèrent ces régions qui étaient à l’époque totalement désertes.
Paragraphe 6.
Mais les natifs de ces contrées affirment encore plus clairement que toute autre chose (et nous l’avons nous-mêmes effectivement vu sur leurs monuments) qu’Hercule, le fils d’Amphitryon, pressé d’anéantir les deux cruels tyrans Géryon et Tauriscus, dont l’un opprimait la Celtique continentale, et l’autre l’Espagne ; après les avoir vaincus tous les deux, prit femme dans la noblesse de ces pays, en eut de nombreux enfants, et que ses fils appelèrent de leur propre les régions dont ils devinrent les rois.
Paragraphe 7.
Une tribu asiatique venue de Phocée afin d’échapper à la cruauté d’Harpale, lieutenant du roi Cyrus, fit également voile vers l’Italie. Une partie d’entre eux fondèrent Velia, en Lucanie, les autres Marseille, dans la région de Vienne et ensuite, dans les siècles qui suivirent, ces villes s’accroissant donc en taille et en importance, elles fondèrent à leur tour d’autres colonies. Mais laissons là tous ces détails susceptibles d’être assez ennuyeux.
Paragraphe 8.
Partout dans ces provinces les peuples se civilisant peu à peu, l’étude des sciences nobles put par conséquent s’épanouir, ayant d’abord été initiée par les bardes, les vates [en latin euhagis, les eubages] et les druides. Les bardes s’employaient habituellement à célébrer les exploits de leurs hommes illustres, en vers épiques, et en s’accompagnant des doux chants d’une lyre. Les vates étudiaient la nature et ses sublimes secrets, en essayant de les expliquer ensuite à leurs disciples. Parmi eux il y avait les druides, des hommes d’un génie encore plus élevé, associés en fraternités [latin sodaliciis, voir sodalis] conformément aux préceptes et à l’exemple de Pythagore ; leurs esprits cherchaient à pénétrer les secrets ou les plus sublimes domaines, et méprisant quelque peu les affaires humaines, ils proclamaient que les âmes/esprits [latin anima] sont immortelles.
Chapitre XII.
114
Paragraphe 1.
Presque tous les Celtes du Continent sont d’une belle stature, élégants, et ont le teint vermeil ; ils sont effrayants à cause du caractère farouche de leur regard, très querelleurs, et d’une grande fierté, voire insolente. Une troupe entière d’étrangers ne serait pas capable de tenir tête à un seul de ces Celtes continentaux s’il appelle sa femme à la rescousse, car elle est généralement très forte quand elle est folle de rage, et spécialement quand, le cou gonflé, les dents serrées, ses énormes bras blanchâtres brandis en avant, elle commence d’asséner des coups, y compris avec les pieds, comme autant de traits envoyés par une catapulte.
Paragraphe 2.
Les voix de la plupart d’entre eux sont formidables et menaçantes, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise humeur, ils sont toujours très soucieux d’être propres et soignés de leur personne, nulle part dans le pays et surtout en Aquitaine, on ne saurait voir d’hommes ni de femmes, même pauvres, être sales ou en loques.
Paragraphe 3.
Les hommes de tout âge sont également prompts à la guerre, le vieil homme tout comme l’homme encore dans la fleur de l’âge répondent avec le même zèle à un appel aux armes, et leurs corps sont endurcis par un climat froid ainsi que de nombreux exercices ; de sorte qu’ils sont tous enclins à mépriser les dangers ou la terreur. Aucun des hommes de cette nation ne s’est jamais amputé du pouce par crainte des rigueurs de service militaire, comme l’ont fait en Italie ceux que l’on appelle là-bas des réformés [latin murcus pluriel murci].
Paragraphe 4.
Cette nation est folle de vin et de plusieurs autres boissons qui ressemblent à du vin. De nombreux individus de rang inférieur, ayant perdu tout sens commun à cause d’une perpétuelle ivresse, ce que l’apophtegme de Caton définit comme une sorte de folie volontaire, courent un peu au hasard presque dans toutes les directions ; de sorte qu’ils semblent exactement correspondre à ce bon mot de la plaidoirie de Cicéron en faveur de Fonteius *, « d’où il s’ensuit que les Celtes mettront désormais un peu plus d’eau dans leur vin », même si cela équivaut presque à l’empoisonner selon eux *.
* Note de l’éditeur. Cicéron s’est plutôt comporté comme un avocat marron dans cette affaire.
LIVRE XXVII.
Chapitre IV.
Paragraphe 4.
Une partie de cette région était habitée par les Scordisques, qui vivent maintenant très loin de ces provinces : une race jadis si barbare et si féroce, comme le montre l’Histoire ancienne, qu’ils sacrifiaient leurs prisonniers à Bellone et à Mars, et buvaient avidement du sang humain dans des crânes…
POSIDONIOS (– 135 – 51).
Philosophe grec stoïcien. A visité la Celtique continentale personnellement. Il ne nous reste plus de son œuvre (monumentale) que des fragments du livre XXIII. Cet auteur est une des sources de César, de Strabon, de Diodore, de Plutarque, ainsi que de quelques autres.
Ci-dessous ce que l’on trouve par exemple chez Athénée (les Deipnosophistes, livre IV).
Et Posidonios le stoïcien, dans les histoires qu’il a écrites et qui en quelque sorte sont loin d’être incompatibles avec ce qu’il professe, traitant des lois instituées ou des coutumes en vigueur dans de nombreuses nations, note ceci : « Les Celtes servent ainsi la nourriture de leurs invités, ils s’asseyent sur de l’herbe, et la disposent sur des tables basses en bois, il s’agit de quelques miches de pain, et d’une grande quantité de viande cuite à l’eau, ou rôtie sur de la braise voire à la broche. Ils consomment leur viande proprement, mais un peu à la manière des lions, en prenant des morceaux entiers des deux mains et en les mangeant de la sorte, s’il
115
y en a qu’ils peuvent difficilement déchiqueter avec les dents, alors ils la découpent en se servant d’une petite épée qu’ils portent dans une gaine spéciale fixée au fourreau de leur épée de combat. Ceux qui vivent non loin des rivières consomment également du poisson, ainsi que ceux qui vivent au bord de la Mer intérieure ou de la Mer extérieure. Ils le mangent rôti avec du sel, du vinaigre et du cumin. Ils mettent aussi du cumin dans leur vin. Par contre ils ne se servent guère d’huile, à cause de sa rareté ; en outre comme ils n’y sont guère habitués, ils ne la trouvent pas très agréable. Quand il y a beaucoup de monde, ils s’asseyent en rond, les plus braves à la place d’honneur, comme le coryphée d’un chœur au milieu de la scène, parce qu’ils sont supérieurs aux autres par la force guerrière, la naissance ou la richesse ; l’homme qui les reçoit s’assied juste à côté, et ensuite de part et d’autre, le reste des invités, suivant qu’ils excellent ou se distinguent dans tel ou tel domaine. Les écuyers avec leur armement, portant leurs grands boucliers oblongs appelés thureos, se tiennent derrière, et leurs porteurs de lance s’asseyent en cercle eux aussi, à l’opposé, mais ils mangent en même temps qu’eux. Ceux qui font le service des coupes de boisson et sont chargés de faire circuler le vin, le font dans des jarres de terre cuite ou d’argent, qui ressemblent à des tonneaux pour ce qui est de la forme, et le nom qu’ils leur donnent est alambic [grec ambikos]. Les plats sur lesquels ils servent la viande sont faits de la même façon ; mais certains sont en bronze, chez d’autres ce sont des corbeilles en bois ou en osier tressé. Pour ce qui est de la boisson, chez les riches, il s’agit de vin d’Italie ou de la région de Marseille, non coupé d’eau, à quelques exceptions près. Chez les plus pauvres, ce que l’on boit c’est de la bière, faite à partir de blé additionné de miel, le plus souvent même sans miel ; ils l’appellent korma. Ils boivent tous à la même coupe, par petites gorgées, en ne buvant jamais plus d’un cyathus à la fois [un cyathus = 0,045 litre], mais ils recommencent souvent. Un esclave fait circuler la boisson en cercle, en allant de gauche à droite en commençant par la droite ; c’est ainsi d’ailleurs que l’on fait le service et que l’on adore les dieux : toujours en tournant de la gauche vers la droite.
Et Posidonios de continuer en relatant les richesses de Luernios le père de Bituitos qui fut vaincu par les Romains. Il écrit « afin de devenir un des hommes les plus influents de son peuple, il avait l’habitude de conduire en char dans la plaine, et de jeter de l’or et de l’argent aux myriades de Celtes qui le suivaient ; un jour il fit enclore un espace de douze stades carrés, dans lequel il fit installer des cuves qu’il fit remplir de boissons de grand prix, et qu’il avait fait préparer une si grande quantité de nourriture que pendant de nombreux jours chacun eut la possibilité de venir y manger de ce qu’il voulait de ces mets, le service étant assuré sans interruption. Un jour que ce prince avait donné un grand festin à une date déterminée à l’avance, un poète de chez ces tribus barbares arriva trop tard et, le croisant sur la route, chanta un poème dans lequel il exaltait sa magnificence, tout en se lamentant sur sa malchance d’être arrivé trop tard. Cette ode plut beaucoup à Luernios, il demanda une bourse pleine de pièces d’or et lui jeta aussitôt alors qu’il courait à côté de son char. Ce dernier après l’avoir ramassée se mit à proclamer en chantant que des sillons creusés dans la terre le char passait sortaient des moissons de bienfaits pour les hommes ». Tels sont les faits et gestes des Celtes rapportés par Posidonios dans le vingt-troisième livre de son Histoire.
Mais Posidonios, dans le vingt-troisième livre de ses Histoires, écrit « les Celtes parfois s’entraînent en duels. Étant réunis en armes, ils vont jusqu’à s’en servir, mais en pratiquant l’art de l’esquive ; parfois néanmoins cela peut aller jusqu’à s’infliger les uns les autres de réelles blessures. Irrités alors par cela, si des spectateurs ne les arrêtent pas, ils peuvent aller très loin, jusqu’à se tuer mutuellement. Jadis » continue-t-il, « la coutume voulait que l’on mette sur la table un jambon de porc, il était pour le plus courageux mais si quelqu’un lui contestait ce morceau, alors les deux hommes se levaient pour s’affronter, jusqu’à ce que l’un des deux soit tué. D’autres, dans un théâtre *, ayant reçu en argent ou en or une certaine somme, voire des amphores de vin, s’étant d’abord assurés en prenant de solides garants que les dons promis par eux seraient bien remis à leurs légataires, puis les ayant répartis ensuite entre les plus proches de leurs relations, ils se couchent sur leurs boucliers, la face tournée vers le ciel, et demandent à quelqu’un dans l’assistance de leur couper la gorge avec une épée »…
116
* Note de la rédaction. Par théâtre il faut certainement comprendre « en public, au vu et au su de tout le monde, à tout le moins en présence de témoins ».
DENYS D’HALICARNASSE (– 60 + 8).
Historien grec.
ANTIQUITÉS ROMAINES.
LIVRE VII.
Chapitre LXX.
je ne crois pas qu’il suffise que ceux qui écrivent l’histoire du début de certains pays se contentent de la relater telle qu’ils l’ont reçue de leurs habitants, car ces rapports requièrent également d’être corroborés par de nombreux et indiscutables témoignages, s’ils veulent être crédibles. Et parmi toutes ces preuves, je suis convaincu que la première ainsi que la plus valide ce sont les cérémonies liées au culte des dieux et des autres divinités, accomplies dans ces divers États. Car les Grecs et les barbares en effet les ont gardées intactes depuis très longtemps, et n’ont jamais pensé convenable de leur ajouter une quelconque innovation ou d’en retrancher quoi que ce soit, de peur, en agissant ainsi, de susciter la colère des dieux. C’est ce qu’on fait en particulier les barbares, pour diverses raisons qu’il n’y a pas lieu de
117
mentionner ici et rien au cours des siècles n’a pu inciter les Égyptiens, ni les Libyens, ni les Celtes, les Scythes, les Indiens, ni aucune autre nation barbare à oublier ou transgresser quoi que ce soit des rites en l’honneur de leurs dieux ; à moins d’y avoir été contraints par une puissance étrangère et d’être obligés d’échanger leurs propres instituions contre celles de leurs vainqueurs. Le destin des Romains a voulu qu’ils ne fassent jamais l’expérience d’une telle mauvaise fortune, car ce sont toujours eux qui donnent des lois aux autres. Si donc les Romains avaient été originellement des barbares, loin d’oublier leurs rites ancestraux et les coutumes de leur pays, grâce auxquels ils avaient atteint une telle prospérité, ils
LIVRE XIV.
Chapitre I.
Le pays des Celtes se trouve dans la partie occidentale de l’Europe, entre le Pôle nord et le couchant équinoxial. Ayant la forme d’un carré, il est délimité par les Alpes, les plus hautes montagnes d’Europe, à l’est ; par les Pyrénées au midi et en descendant vers l’endroit d’où souffle le vent du sud-est, le Notus ; par la mer qui s’étend au-delà des Colonnes d’Hercule à l’ouest ; par les Scythes et les Thraces en remontant vers le nord souffle le Borée, ainsi que par le Danube, le plus grand des fleuves de ce côté-là, qui s’écoulant à travers tout le continent situé sous les Ourses, et se jette dans le Pont-Euxin (la Mer noire). Ce pays, d’une si grande étendue que l’on peut considérer qu’il fait le quart de l’Europe à lui tout seul, est bien arrosé, fertile, riche en fruits de toutes sortes et en herbages excellents pour le bétail, il est divisé en deux en son milieu par le Rhin, qui passe pour être le plus grand fleuve d’Europe après le Danube. La partie située à l’est ou au nord du Rhin, bordée par le pays des Scythes et des Thraces, est appelée Germanie, et s’étend jusqu’à la forêt d’Hercynie voire jusqu’aux monts Riphées ; la partie située à l’ouest du Rhin ou faisant face au midi, s’étend jusqu’à la chaîne des Pyrénées en embrassant le Golf galatique, est appelée Galatia, d’où le nom de cette mer. L’ensemble du pays est appelé par les Grecs du nom commun de Celtique, à cause, disent certains, d’un géant appelé Celtus qui régnait jadis. D’autres nous rapportent une légende selon laquelle Hercule et Astérope, la fille d’Atlas, eurent deux fils, Iberos et Celtos, qui donnèrent leur nom aux pays sur lesquels ils régnaient. D’autres affirment que le Celtos est un fleuve prenant naissance dans les Pyrénées, que la région avoisinant sa source fut d’abord désignée sous son nom, ensuite que le reste du pays avec le temps fut aussi appelé Celtique. Enfin il en est qui disent que, quand les premiers Grecs passèrent dans cette région, leurs navires furent poussés par un vent violent, qu’ils abordèrent ainsi dans le Golfe galatique, et que ces hommes après avoir débarqué ont appelé ce pays Celsique en souvenir de cet événement, puis que quelques générations plus tard, par changement d’une des lettres, on en a fait Celtique.
LIVRE XIX.
Fragments du livre sur la guerre contre Pyrrhus.
Chapitre XIII.
Quand Pyrrhus, le roi des Épirotes, conduisit une armée contre Rome, il fut décidé par un vote d’envoyer des ambassadeurs lui demander de relâcher contre rançon les prisonniers qu’ils avaient faits, soit de les échanger contre d’autres, soit de leur dire le prix qu’il voulait pour chacun d’eux. Fut choisi comme ambassadeur Gaius Fabricius, celui qui, alors qu’il exerçait la charge de consul, avait vaincu, deux ans auparavant, les Samnites, les Lucaniens et les Bruttiens, dans des batailles âprement disputées, et avait levé le siège de la capitale des Thuriens ; Quintus Emilius, qui avait été le collègue de Fabricius et avait dirigé la guerre Tyrrhénienne ; et enfin Publius Cornelius, qui en tant que consul trois années auparavant avait fait la guerre à toute la tribu des Celtes [Sénons] et avait massacré ses jeunes adultes mâles.
118
DION CASSIUS (155-235 environ).
Historien romain de langue grecque. Est surtout connu pour son Histoire de Rome en 80 livres.
HISTOIRE DE ROME.
LIVRE XL.
Chapitre XXXIX.
Mais avant que cela n’arrive, Vercingétorix, sous-estimant quelque peu César à cause des revers de ce dernier, avait entrepris de marcher contre les Allobroges. Et interceptant le général romain, qui venait à leur aide, l’encercla lors de son arrivée chez les Séquanes mais ne lui infligea aucune perte quelle qu’elle soit ; par cette action, il contraignit au contraire les Romains à faire preuve du plus grand courage en les réduisant au désespoir, alors que lui-même courut à sa perte à cause de leur trop grand nombre et de son excès d’audace. Sa défaite fut due en partie aux Germains qui agissaient alors en tant qu’alliés des Romains ; à cause de leur irrésistible enthousiasme et de leur puissante stature qui donnait plus de force à leur audace, ils réussirent à rompre les rangs ennemis qui les cernaient. Après avoir eu cette chance, César ne céda plus un pouce de terrain, mais contre-attaqua et assiégea l’ennemi en fuite dans Alésia.
119
Note de la rédaction. Se retrancher dans la ville d’Alésia pour prendre les légions romaines entre le marteau d’une immense armée de secours et l’enclume qu’était devenu l’oppidum d’Alésia était un plan remarquable. Il a échoué parce que l’armée de secours pourtant arrivée dans les délais apparemment est rentrée dans ses foyers presque sans avoir combattu. S’il n’y avait pas eu trahison quelque part le sort du monde en eût été changé. Le pays aurait achevé de s’helléniser librement au lieu de se voir romaniser par la force des armes et il y aurait dans notre langue beaucoup plus de mots d’origine grecque que d’origine latine.
LIVRE LXII.
Chapitre VI.
Quand elle eut ainsi fini de parler, alors elle exécuta elle-même à une espèce de divination, en laissant un lièvre s’échapper des plis de sa robe ; et comme il courut dans la direction de ce qu’ils considéraient être le côté propice, toute leur multitude poussa des cris de joie, et Boadicée [Boudouîka dans le texte grec, Boudicca en celte], levant les mains au ciel, s’écria : « Je te rends grâce, Andrasta, et je t’invoque comme une femme s’adressant à une autre femme ; car je ne règne pas sur des porteurs égyptiens comme le fait Nitocris, ni sur des mercantis assyriens comme Sémiramis (nous avons beaucoup gagné à étudier les Romains !) et encore moins sur les Romains eux-mêmes comme le fit Messaline un jour et après elle Agrippine puis maintenant Néron (qui, bien que portant un nom d’homme, est, en fait, une femme, comme cela est prouvé par ses chansons, ses airs de lyre, et les autres embellissements de sa personne) ; non, ceux sur lesquels je règne sont des [Grands] Bretons, des hommes qui ne savent pas fouiller la terre ou faire du commerce, mais qui sont versés dans l’art de la guerre et mettent tout en commun, même les femmes et les enfants, de sorte que ces dernières ont autant de valeur que les hommes. En tant que reine donc, de tels hommes et de telles femmes, je te supplie et je te prie de nous accorder la victoire, la vie sauve, et la liberté, face à des hommes insolents, injustes, insatiables, impies si, bien sûr, nous devons appeler ainsi des individus qui prennent des bains d’eau chaude, consomment des mets surfaits, boivent du vin pur, s’enduisent le corps de myrrhe, dorment sur des couches moelleuses avec des garçons et des garçons hors d’âge qui plus est et sont esclaves d’un joueur de lyre, d’un piètre joueur de lyre qui plus est. Par conséquent que cette Madame Domitia Néron ne règne plus un jour de plus sur moi et sur vous, qui êtes des hommes ; laissez cette fille chanter tout son saoul et régner sur les Romains, car ils méritent bien d’être les esclaves d’une telle femme puisqu’ils se soumettent à elle depuis si longtemps. Mais quant à nous, ô divine maîtresse, sois notre seul chef, à tout jamais marchant devant nous !
Chapitre VII.
Ayant fini d’en appeler au peuple de cette façon, Boadicée mena son armée à la bataille contre les Romains qui avaient la malchance d’être privés de chef à ce moment-là, dans la mesure Paulinus, leur commandant, était parti en expédition à Mona, une île au large de la [Grande] Bretagne. Cela lui permit de mettre à sac et de piller deux cités romaines, et, comme je l’ai dit, de s’y adonner à une indescriptible boucherie. Ceux qui étaient capturés vivants par les [Grands] Bretons étaient soumis à toutes sortes d’outrages. La pire et la plus bestiale atrocité commise par leurs ravisseurs fut la suivante. Ils pendaient complètement nues les femmes les plus nobles et les plus distinguées puis leur coupaient les seins et leur cousaient sur la bouche, afin de donner l’impression que ces malheureuses victimes étaient comme en train de les manger ; ensuite ils empalèrent les femmes sur des pieux pointus leur traversant tout le corps de haut en bas. Tout cela ils le firent pour accompagner leurs sacrifices aux dieux, leurs banquets ainsi que leurs orgies de toutes sortes, non seulement dans tous leurs autres sanctuaires, mais particulièrement dans la clairière sacrée d’Andrasta [Andate dans le texte grec]. C’est le nom qu’ils donnent à la Victoire, et ils lui rendent un culte caractérisé par la plus exceptionnelle vénération.
LIVRE LXXVI.
Section 12.
Conservé en résumé (épitome) par Jean Xiphilin (dernière moitié du XIe siècle). Moine byzantin neveu du patriarche de Constantinople.
120
« Il y a deux principales races de [Grands] Bretons : les Calédoniens et les Méates. Les appellations des autres ont fini par être réduites à ces deux-là. Les Méates vivent près de la muraille qui coupe l’île en deux, et les Calédoniens derrière eux. Les deux peuples habitent des montagnes sauvages et arides, des plaines désolées ou marécageuses, n’ayant ni murailles, ni cités, ni champs cultivés, mais vivant de l’élevage de la chasse et de quelques fruits des arbres de la forêt. Les poissons qui abondent en quantité innombrable, ils n’y goûtent jamais. Ils vivent sans manteau et pieds nus sous des tentes, possèdent leurs femmes en commun, et en commun élèvent tous leurs enfants. Ils ont des gouvernements des plus démocratiques, mais s’adonnent volontiers aux pillages.
Ils choisissent en conséquence leurs chefs parmi les esprits les plus audacieux. Ils vont à la guerre sur des chars tirés par de petits et rapides chevaux (des poneys ?) ils ont également une infanterie très prompte à la course et très solide pour ce qui est de l’occupation du terrain. Leurs armes sont des boucliers ainsi que de courtes lances avec une pomme (grelot ?) de bronze attachée à l’extrémité de l’extrémité inférieure de sorte que quand cet instrument est agité il peut faire du bruit et inspirer de la terreur à l’ennemi. Ils ont aussi des dagues. Ils peuvent supporter la faim et le froid ainsi que toutes sortes de misères. Ils s’immergent dans des marais et survivent des jours entiers avec seulement la tête hors de l’eau. Dans les forêts ils se nourrissent d’écorces et de racines et se préparent à tout hasard une sorte de nourriture dont un morceau de la taille d’une fève les empêche d’avoir faim ou soif quand ils en ont mangé. Telle est l’île de [Grande] Bretagne et tels sont les habitants de ce pays ennemi ».
Note de la rédaction. Dion Cassius doit confondre l’habitant ordinaire de ces hautes terres d’Écosse avant la lettre, avec l’entraînement à la survie de leurs guerriers d’élite, dont les commandos d’aujourd’hui n’auraient pas à rougir.
LIVRE LXXVII.
Chapitre XVI.
5. À ce propos on rapporte une remarque pleine d’esprit ayant été faite par la femme d’Argentocoxos un Calédonien, à Julia Augusta. Alors que l’impératrice plaisantait avec elle, une fois le traité conclu, sur la liberté de mœurs des femmes dans leurs rapports avec les hommes en [Grande] Bretagne, elle répondit : « nous satisfaisons aux besoins de la nature d’une façon bien plus satisfaisante que vous les Romaines, car nous sortons ouvertement avec les meilleurs des hommes, alors que dans votre cas ce sont les plus vils qui vous débauchent en cachette ». Telle fut la répartie de cette [Grande] Bretonne.
LIVRE LXXVIII.
Chapitre XV.
Pour avoir divulgué cela, beaucoup ont été traités avec la plus grande indignité. Mais personne pas même les dieux ne donna au malheureux Antoninus une réponse qui aurait pu le conduire à soigner avec succès son corps et son esprit [psyché dans le texte grec] ; bien qu’il ait rendu hommage aux plus éminents d’entre eux. Ce qui montra clairement qu’ils prenaient en considération, non pas ses offrandes ou ses sacrifices, mais seulement ses pensées ainsi que ses actions. Il ne reçut aucune aide d’Apollon Grannus, ni d’Esculape, ni de Sérapis, en dépit de ses supplications et de son inusable insistance. Car, même étant à l’étranger, il leur adressait des prières, des sacrifices et des offrandes votives, et de nombreux émissaires couraient un peu partout chaque jour pour leur faire parvenir des présents ; il alla même les voir lui-même, dans l’espoir de les faire fléchir en apparaissant personnellement, et fit tout ce que les dévots ont l’habitude de faire ; mais il n’obtint jamais rien qui contribua vraiment à lui rendre la santé.
121
CICÉRON (– 106 – 43).
Avocat et homme politique romain. Il y a chez Cicéron deux types de documents nous concernant. Une série de textes polémiques par définition, puisqu’il s’agit de plaidoyers d’avocat (marron), défendant un client ; dont l’objectivité peut être mise en doute.
Et deux témoignages concernant certaines de ses relations personnelles, voire des amis à lui, le roi galate Deiotaros ainsi que le druide éduen Diviciacos. Un passage très court, mais fondamental, puisqu’il résulte d’un entretien que Cicéron a eu avec le seul druide antique nommément connu avec certitude ; l’Éduen Diviciacos donc, qui était un de ses contacts ; sans doute à cause des intérêts financiers qu’il avait dans le commerce du vin au-delà des Alpes.
PLAIDOIRIE POUR MARCUS FONTEIUS.
Section XII.
S’il convient de considérer les hommes eux-mêmes (une chose qui à la vérité, en ce qui concerne des témoins, devrait être du plus grand poids), quelqu’un, disons l’homme le plus honorable de toute la Celtique, peut-il être comparé, je ne dirais même pas au plus honorable des hommes de notre cité, mais ne serait-ce qu’au plus moyen des citoyens romains ? Indutiomaros sait-il ce que témoigner signifie ? Est-il affecté par cette crainte qui saisit le moindre d’entre nous quand il est amené en ce lieu ?
Section XIII.
Je suppose qu’Indutiomaros, quand il a délivré son témoignage, avait toutes ces craintes et ces pensées en tête ; lui qui n’a pas eu recours à l’autorité pleine et entière du verbe auquel nous sommes habitués dans de tels cas, lorsque nous disons « je crois » [en latin arbitror], un mot dont nous nous servons pourtant justement quand nous rapportons sous serment ce que
122
nous savons de source sûre, que nous avons vu personnellement ; mais qui a dit qu’il savait [en latin scire], tout, de ce dont il venait de porter témoignage… Croyez-vous que ces nations en apportant leur témoignage sont sensibles à la sacralité de leur serment, et à la crainte des dieux, elles qui sont si différentes des autres dans leurs habitudes tout comme dans leurs dispositions naturelles ? Car les autres nations entreprennent des guerres pour défendre leurs sentiments religieux, alors qu’eux font la guerre à la religion des tous les autres peuples ; les autres nations quand elles font la guerre implorent l’autorisation ou le pardon des dieux immortels ; eux font la guerre aux dieux immortels eux-mêmes.
Section XIV.
Ce sont ces mêmes nations qui jadis sont allées si loin de chez elles jusqu’à Delphes, attaquer ou piller Apollon pythien, et les oracles du monde. C’est par ces mêmes nations, si pieuses, si scrupuleuses dans leurs témoignages, que le Capitole a été assiégé, ainsi que Jupiter, sous l’invocation du nom duquel nos ancêtres ont décidé que la bonne foi d’un témoin devait être engagée. Et pour tout dire, est-ce que quelque chose peut vraiment paraître saint ou solennel aux yeux de ces hommes qui, quand ils ont si peur des dieux immortels qu’ils estiment nécessaire de se concilier leurs bonnes grâces, souillent leurs autels et leurs temples par du sang de victimes humaines ? De telle façon qu’ils ne peuvent pas rendre à leur religion le culte qui lui est sans l’avoir auparavant profanée avec sauvagerie. Car qui est encore assez ignorant de nos jours pour ne pas savoir qu’ils ont gardé chez eux la sauvage et barbare coutume de sacrifier des êtres humains ? Quelles peuvent être dans ces conditions, la bonne foi, et la piété, de tels hommes ; qui pensent que même les dieux immortels peuvent le plus aisément du monde être rendus favorables par la barbarie et l’assassinat ?…
DE LA DIVINATION.
LIVRE I.
Chapitre XV.
Je n’ai pas besoin de vous rappeler cet homme d’un grand renom et digne d’estime, notre hôte et ami, le roi Deiotaros, qui n’a jamais entrepris quoi que ce soit sans avoir d’abord consulté les auspices. Un jour qu’il s’était mis en route pour un long voyage minutieusement préparé, il rentra pourtant chez lui avant d’être arrivé à cause de l’avertissement qui lui avait été donné par le vol d’un aigle. La pièce dans laquelle il aurait se reposer s’il avait poursuivi sa route s’effondra la nuit suivante. C’est la raison pour laquelle, ainsi qu’il me l’a dit lui-même, il est souvent revenu à son point de départ bien qu’ayant déjà effectué plusieurs jours de voyage. Et d’ailleurs voici la formule qu’il avait coutume de répéter non sans grandeur après que César l’eut privé de sa tétrarchie ainsi que de son royaume, et l’eut condamné aussi à lui payer une substantielle indemnité. « Nonobstant ce qui m’est arrivé », disait-il en effet « je ne regrette pas pour autant que les auspices aient encouragé mon ralliement à Pompée. Car en agissant ainsi j’ai mis ma puissance militaire au service de la défense de l’autorité du Sénat, de la liberté romaine, et de la primauté de l’Empire. Les oiseaux dont le vol m’a incité à suivre la voie du devoir et de l’honneur m’ont donc en l’occurrence bien conseillé, car ma réputation m’importe plus que ma richesse ! »
Chapitre XLI.
La pratique de la divination n’est pas non plus oubliée chez les peuples barbares, aussi vrai qu’il y a des druides en Celtique, et il y en a, puisque je connais personnellement l’un d’entre eux, Diviciacos, l’Éduen, ton invité, ton admirateur. Il prétendait en effet posséder la science de la nature que les Grecs appellent « physiologie », et avait pour habitude de faire des prédictions, quelquefois au moyen des augures et quelquefois au moyen de diverses conjectures…
123
LUCIEN (125-180 environ).
Lucien de Samosate, rhéteur et satiriste syrien de langue grecque. Tour à tour sculpteur puis avocat, il voyagera dans tout l’Empire romain. On lui attribue plus de 80 œuvres (Histoire véritable, la mort de Pérégrinus, la mouche, etc.).
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans l’une d’entre elles
PRÉFACE [EN GREC PROLALIA] HERCULE.
Notre Héraklès est connu chez les Celtes du Continent sous le nom local d’Ogmios et l’apparence qu’il a dans leurs fresques est vraiment grotesque. Ils l’ont représenté en vieillard aussi vieux qu’il est possible, les quelques cheveux qui lui restent (il est presque complètement chauve sur le devant) sont totalement blancs, et sa peau est ridée, mais aussi tannée, comme brûlée par le soleil. On le prendrait presque pour quelque déité infernale, pour Charon ou Japet, enfin pour n’importe qui plutôt qu’Héraklès. Tel qu’il est néanmoins, il a tous les attributs particuliers de ce dieu : la peau de lion pend sur ses épaules, sa main droite tient la massue, sa main gauche l’arc tendu, et un carquois est accroché à son côté ; rien ne manque de l’équipement d’Héraklès. Au début je crus que c’était par haine des dieux grecs ; qu’en prenant de telles libertés avec l’apparence personnelle d’Héraklès, les Celtes ne faisaient que se venger sur le plan pictural pour son invasion de leur territoire ; quand dans sa quête des troupeaux de Géryon, il avait parcouru et pillé la plupart des peuples d’Occident. Je dois néanmoins, maintenant, mentionner le trait le plus remarquable de ce portrait. Cet antique Héraklès entraîne derrière lui une grande foule d’hommes, tous sont attachés par les oreilles au moyen de chaînes faites d’or et d’ambre, ressemblant beaucoup plus à de très beaux colliers qu’à n’importe quoi d’autre. Et malgré ce lien assez ténu, ils ne faisaient aucun effort pour s’échapper, bien qu’il leur soit très facile de le faire. Il n’y a pas le plus petit signe de résistance : au lieu de planter leurs talons dans le sol et de se jeter en arrière, ils suivent au contraire avec une joyeuse alacrité, en chantant les louanges de leur ravisseur ; et vu l’ardeur avec laquelle ils se hâtent derrière lui pour éviter que les chaînes ne se tendent, on pourrait dire que s’enfuir est bien la dernière chose qu’ils désirent. Mais je ne vous cacherai pas plus longtemps le très
124
curieux détail qui m’a le plus frappé. La main droite d’Héraklès étant occupée par la massue, et la gauche par l’arc, comment lui faire solidement tenir l’autre extrémité des chaînes ? Le peintre a résolu le problème en faisant un trou au bout de la langue du dieu, et en faisant le point d’attache desdites chaînes ; sa tête est donc tournée vers eux, et il regarde ceux qui le suivent ainsi l’air souriant. Je dus rester longtemps stupéfait à contempler ainsi un tel tableau, je ne savais que penser de tout cela et je commençais même à m’en irriter quand je fus abordé en un grec admirable par un Celte qui se tenait à côté de moi, et qui en plus d’avoir des connaissances très précises dans leur science nationale, s’avéra ne pas être complètement ignorant de la nôtre. « Noble étranger, je vois que cette fresque vous laisse perplexe », me dit-il, « laissez-moi donc vous en donner la clé. Nous autres Celtes, nous n’associons pas l’éloquence à Hermès, comme vous, mais au puissant Héraklès.
Ne soyez pas non plus surpris de le voir ainsi représenté en vieil homme. Car la prérogative de l’éloquence est d’atteindre la perfection avec l’âge ; du moins si nous pouvons en croire vos propres poètes, qui nous disent que…
« La jeunesse a l’esprit qui erre,
Alors que la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse ».
C’est pourquoi nous trouvons dans leurs poèmes que du miel coule des lèvres de Nestor et que les discours des conseillers de Troie sont semblables à des lis, qui, si ma mémoire est bonne, sont des fleurs de chez vous.
En conséquence de quoi, si vous voulez bien considérer la relation qui existe entre la langue et l’oreille, vous ne trouverez rien de plus naturel que la façon dont notre Héraklès, qui est l’éloquence personnifiée, mène les hommes, les oreilles enchaînées à sa langue. Et ce n’est pas pour lui faire affront que le bout de sa langue a été percé, car je me souviens aussi des vers d’un de vos poètes comiques disant que…
Il y a toujours un trou dans la langue du bavard.
Bref, nous nous attribuons tous les exploits de l’Héraklès initial, du premier au dernier, à sa sagesse, ainsi qu’à la force de persuasion de son éloquence. Ses traits ne sont rien d’autre que ses paroles : rapides, acérées, propres à toucher les âmes et à les émouvoir ». Pour conclure, il me rappela notre propre image : « Les paroles ont des ailes ».
Note de la rédaction. cf. Henri Lizeray, les traditions nationales retrouvées, page 12. Une tradition doit être interprétée.
EXEMPLES DE LONGÉVITÉ (il y a quelques doutes sur l’authenticité de cet opuscule).
Arganthonius, roi de Tartesse, vécut cent cinquante ans, suivant Hérodote et le poète Anacréon. Cependant, quelques-uns regardent cette assertion comme étant une fable.
125
AVIÉNUS (fin du IVe siècle).
Rufus Festus Avienus. Poète romain. Dans une de ses œuvres intitulée « Ora maritima » (les régions maritimes), on peut lire ce qui suit.
LES RÉGIONS MARITIMES (ORA MARITIMA).
Du Rhône à Marseille.
Vers 622-704.
Mais la région de Cimenicé [les Cévennes dans le sud de la France] se trouve loin des vagues d’eau salée.
Elle s’étend sur un large territoire et apparaît couverte de forêts denses.
Son nom signifie « dorsale montagneuse élevée ».
Le Rhône baigne ses collines les plus basses et serpente à travers la masse rocheuse
de la montagne qui surgit au-dessus de la mer dans le lointain.
Les Ligures se sont installés jusque sur les rivages de la mer intérieure
À partir de la citadelle de Setiena et de ses falaises rocheuses [le mont Saint-Clair de Sète ?].
Mais la situation nécessite que je te donne un peu plus d’explications sur le ce fleuve appelé Rhône.
Souffre, mon cher Probus, que je m’attarde quelque peu
Sur la source de ce fleuve, le cours erratique de ses eaux
Ainsi que les terres de quels peuples il arrose !
Et nous dirons quels grands avantages ce fleuve apporte aux habitants de ces pays
Et quels sont les principaux bras de son embouchure.
Les Alpes élèvent dans le ciel leurs crêtes neigeuses à l’est,
Et les champs de la campagne celte sont bornés par ses hauteurs rocheuses.
Les vents y soufflent toujours en tempête.
Le Rhône vient de là et après avoir jailli de sa source
Coupe à travers une caverne béante avec une force sauvage.
Il est navigable à partir de sa source, dès son apparition à l’air libre.
Le flanc abrupt de la montagne qui donne naissance au fleuve
Est appelé « Colonne du Soleil » par les natifs du lieu [le Dammastock ?].
Car il s’élève si haut dans le ciel
Que le soleil de midi est à peine visible
À cause de la barrière que forme en permanence son arête
126
Quand il s’approche des limites du septentrion pour y porter le jour.
Car tu sais que tel était le point de vue des épicuriens.
Le soleil ne plonge pas sous l’horizon, il ne s’enfonce dans aucune mer, il ne disparaît jamais.
Il fait plutôt le tour du monde, en décrivant une courbe oblique dans le ciel,
Donne vie à la terre, et alimente en lumière toute la voûte céleste
Mais à certaines régions néanmoins et à tour de rôle
La lumineuse torche de Phoebus est refusée.
Une montagne s’y oppose avec son haut sommet qui,
Se prolongeant depuis l’occident jusqu’à l’extrême septentrion,
Divise en deux parties l’étendue du monde et la route du soleil.
Quand le soleil entame sa course d’après midi
Et que sa lumière descend sur l’Atlantique
Afin de porter ses feux chez les derniers des Hyperboréens
Et de refaire son apparition sur l’orient achéménide [l’Iran d’aujourd’hui]
Il incline la courbe de sa course vers les autres parties du ciel
Et dépasse la limite que constitue ce mont.
Et quand il dérobe l’éclat de sa lumière à notre vue, une nuit noire s’abat du ciel,
Et d’épaisses ténèbres recouvrent soudainement nos contrées.
Par contre un jour éclatant illumine ceux que le vent du nord fait grelotter de froid au-dessus de nous.
Mais quand l’ombre de la nuit s’empare de nouveau des Ourses
Toute notre race bénéficie alors d’une splendide journée.
Le fleuve s’écoule ensuite de sa source à travers le pays des Tylangiens [sans doute les Tulinges]
Des Daliternes, les champs des Clahilci et le territoire des Léméniques [la région du lac Léman].
Autant de noms barbares et qui heurtent l’oreille de prime abord,
Mais que je n’omettrai point à cause de ton ardeur dans les études et du soin que j’en ai.
Ensuite le fleuve a dix méandres.
Beaucoup rapportent qu’il se forme alors là ensuite comme un gigantesque étang,
Un immense marais que les anciens Grecs avaient coutume autrefois d’appeler Accion.
Les eaux rapides de ce fleuve s’écoulent alors à travers les eaux qui stagnent
Et reprennent de nouveau en se resserrant la forme d’un vrai cours d’eau,
En direction des eaux de l’Atlantique, de notre mer, et vers l’ouest,
Il s’écoule et finit par creuser le rivage de cinq bras puissants pour se jeter dans la mer.
Là s’élève la cité d’Arles [Arelatus en latin].
Jadis appelée Théline par ses habitants grecs.
Beaucoup de considérations diverses nous ont incité à parler longuement du Rhône
Mais mon esprit ne sera jamais disposé à dire que l’Europe et la Libye ne sont séparées que par ces eaux,
Même si Philée, un vieil auteur grec, a jadis rapporté que telle était l’opinion des habitants de la région.
On ne peut que dédaigner voire moquer cette barbare ignorance ou du moins lui donner le nom qu’elle mérite.
La durée du voyage ensuite est de deux jours et deux nuits en bateau.
Là se trouvent la tribu des Néarchi et leur cité de Bergine, les féroces Salyens,
La très ancienne citadelle de la lagune Mastrabalane,
Un promontoire élevé, que les natifs du lieu appellent Cecylistrium.
Enfin la ville de Massilia [Marseille] elle-même.
127
PROCOPE (500-565 environ).
Historien byzantin dont l’œuvre constitue un récit détaillé du règne de l’empereur Justinien. Son premier ouvrage historique, intitulé « Hypér tõn polémōn logoi » : « Discours sur les guerres » traite, en huit livres, des campagnes de Bélisaire contre les Perses, les Vandales, ainsi que les Goths.
Ci-dessous donc ce que l’on peut lire dans le huitième et dernier livre consacré par cet auteur à l’histoire des guerres de l’empereur Justinien.
HISTOIRE DES GUERRES.
LIVRE VIII (De la guerre contre les Goths : en latin De bello gothico).
Chapitre XX.
Arrivé à ce point de mon histoire, il m’apparaît nécessaire de rapporter une histoire qui a une forte ressemblance avec certains mythes, une histoire qui bien sûr ne me semble nullement digne de foi, bien qu’elle soit constamment reprise par d’innombrables personnes qui soutiennent qu’elles ont fait tout cela personnellement ou ont entendu tout ceci de leurs propres oreilles, une histoire donc sur laquelle je ne peux faire l’impasse de peur que, puisque je traite de l’île de [Grande] Bretagne, cela me vaille à jamais la réputation d’être ignorant du sujet.
Ils disent donc que les âme/esprits humaines [grec psyché] qui meurent sont toujours transportées là-bas. Quant à la manière dont cela s’effectue, je vais l’expliquer maintenant, ayant maintes fois entendu les gens du cru la décrire le plus sincèrement du monde, même si j’en suis arrivé à la conclusion que ces histoires qu’ils racontent relèvent plutôt de la rêverie ou des songes.
Le long de la côte de l’océan qui s’étend juste en face de l’île de [Grande] Bretagne, il y a de nombreux villages. Ils sont habités par des hommes qui pêchent à l’aide de filets ou cultivent la terre voire font du commerce maritime avec cette île, et qui sont, en autre chose, sujets des Francs, bien que ne leur payant aucun tribut, ledit tribut ayant été supprimé pour eux depuis des temps immémoriaux en raison, disent-ils, d’un service qu’ils rendent et que je vais décrire ici. Les hommes de cet endroit disent que le transport des âmes/esprits [grec psyché] leur incombe à tour de rôle. Les hommes qui doivent accomplir ce travail lors de la nuit qui doit venir, en prenant la relève des autres, dès que l’obscurité tombe, se retirent dans leur maison et vont dormir, en attendant celui qui doit les rassembler pour effectuer cette tâche. À une heure
128
de la nuit très avancée, ils réalisent que l’on frappe à leur porte et entendent une voix indistincte les appelant à venir faire leur travail. Alors ils se lèvent et se rendent sans hésiter sur la plage, sans comprendre la raison qui les pousse à cela, mais en en ressentant néanmoins la nécessité. En ce lieu, ils aperçoivent alors des embarcations prêtes à partir, mais sans personne à bord, non pas leurs propres esquifs cependant, mais une sorte de barques différente, à bord desquelles ils montent et dont ils prennent les rames. Ils réalisent alors que ces bateaux sont chargés à ras bord d’un grand nombre de passagers ? puisqu’ils sont mouillés par les vagues qui atteignent presque le niveau du plat-bord et des dames de nage, et qu’ils ne dépassent le niveau de l’eau que de l’épaisseur d’un doigt, tout juste ; eux-mêmes cependant ne voient personne, mais après avoir ramé à peine une heure, ils arrivent en [Grande] Bretagne. Alors que, quand ils effectuent ce voyage sur leurs propres embarcations, sans se servir des voiles, mais à la rame, ils effectuent péniblement ladite traversée en une nuit et un jour. Puis quand ils ont atteint l’île et qu’ils ont été délivrés du poids de leurs passagers invisibles, ils repartent chez eux à toute vitesse, leurs bateaux étant soudainement redevenus si légers qu’ils ne font qu’effleurer les vagues, et qu’ils n’ont que la quille dans l’eau. En ce qui les concerne, ils ne voient jamais personne assis à côté d’eux à bord de leur navire ou en débarquant, mais ils disent qu’ils entendent une sorte de voix venant de cette île, et qui semble être une annonce destinée à ceux qui doivent prendre ces âmes/esprits [grec psyché] en charge, car on fait alors l’appel de tous les passagers arrivés avec eux, par leur nom et qualité dans la vie d’avant, le nom de leur père et le leur propre. Et s’il y a aussi des femmes parmi ceux qui ont été ainsi acheminés, on donne les noms des hommes à qui elles étaient mariées dans la vie d’avant. Voilà donc ce qui se produit du moins au dire des gens de ce pays. Mais je reviens maintenant au fil de mon récit.
Note de l’éditeur. Jean Tzétzès (1110-1180). Grammairien et poète byzantin, a repris ce passage de Procope, mais avec Bretannia au lieu de Brittia pour désigner la Grande-Bretagne.
129
APOLLONIOS DE RHODES (– 295 – 215 environ).
Poète et grammairien grec. Son œuvre majeure est une épopée consacrée aux Argonautes.
LES ARGONAUTIQUES.
LIVRE IV.
Vers 592 à 626.
Alors l’Argo cria dans les ténèbres
Et les fils de Tyndare se levèrent,
Ils tendirent leurs mains vers les immortels
En implorant leur aide
Mais le découragement s’empara du reste des grands héros myniens.
L’Argo toujours emporté au loin par le vent
Se retrouva rapidement au milieu des flots de l’Éridan,
En ce lieu où jadis, touché en plein cœur par la foudre
Phaëton très gravement brûlé tomba du char du soleil [grec Hélios]
Dans un grand et profond lac
Qui crache encore maintenant de sa blessure toujours fumante
De lourds nuages de vapeur.
Aucun oiseau ne peut survoler ses eaux,
Sans se brûler les ailes à mi-course
Et se retrouver à flotter sur ses eaux.
Et tout autour les vierges, filles du soleil [grec Hélios]
Enfermées dans de grands peupliers
Font entendre des plaintes pitoyables en se lamentant.;
De leurs yeux qui pleurent
Tombent de grosses gouttes d’ambre.
Ces larmes sèchent ensuite sur le sable au soleil
Mais quand les eaux de ce sombre lac recouvrent son rivage
Sous l’action du vent éploré lui aussi,
Alors, elles roulent en grand nombre dans l’Éridan à chaque montée de ses eaux.
Les Celtes y ont attaché cette histoire
Que ce sont les larmes du fils de Leto, Apollon,
Qui sont transportées par les remous,
Les larmes innombrables qu’il versa jadis
Quand il vint se réfugier auprès de la race sacrée des Hyperboréens
Après avoir quitté le ciel lumineux devant les reproches de son père,
130
En colère à cause du fils que la divine Coronis lui avait donné
Dans la lumineuse Lacérie [aujourd’hui la ville de Larissa en Grèce] près de l’Amyros.
Nos héros ne pensaient plus à manger ni à boire
Ils n’avaient pas le cœur à faire la fête.
Toute la journée ils furent douloureusement affectés,
Le cœur lourd et faible à la fois,
Par la puanteur infecte et très difficile à supporter,
Qui montait des flots de l’Éridan, depuis que Phaëton achève de s’y consumer.
La nuit venue, ils entendirent les gémissements perçants des filles du soleil [grec Hélios]
Pleurant d’une voix aiguë, et comme elles se lamentaient,
Leurs larmes tombaient puis flottaient sur l’eau ainsi que des gouttes d’huile.
Vers 627-658.
De là ils remontèrent sur les flots profonds du Rhône,
Qui se jette dans l’Éridan,
De leurs eaux qui se mêlent monte un puissant murmure.
Ce fleuve vient des extrémités de la terre,
Là où se dressent les portails et les demeures de la Nuit,
Une de ses branches se jette dans l’Océan,
Une autre s’écoule dans la mer ionienne,
La troisième enfin au moyen de sept embouchures
Disperse ses flots dans la mer de Sardaigne et son golfe sans limite.
Du Rhône, ils passèrent à des lacs orageux
Qui s’étendent à travers tout le Continent celtique
Et là ils évitèrent de peu un dramatique coup du sort
Car une branche de ce fleuve les portait, sans qu’ils le sachent,
Vers un golfe de l’Océan
Dont ils ne seraient jamais revenus sains et saufs.
Mais la déesse Héra fondant du Ciel poussa son cri du haut de la roche hercynienne
Et ils furent tous saisis d’épouvante en l’entendant,
Comme si le firmament s’écoulait avec fracas.
Ils firent donc demi-tour à cause de cette intervention de la déesse,
Et découvrirent le chemin qu’elle voulait leur voir emprunter.
Après un long périple, ils parvinrent donc enfin à la plage où la mer déferlait
Conformément au plan d’Héra,
Et après être passés sans encombre au milieu des innombrables tribus de Celtes et de Ligures.
Car la déesse les avait enveloppés d’une brume redoutable
Jour après jour au fur et à mesure qu’ils avançaient.
C’est ainsi, après avoir fait voile par l’embouchure du milieu,
Qu’avec l’aide des fils de Zeus [les Dioscures] ils atteignirent en toute sécurité les îles Stœchades,
Où des autels et des rites sacrés ont été institués à tout jamais en leur honneur…
Scholie apportée au vers 616 du livre IV.
Les Celtes, eux, ont inventé la légende suivante. Ce [les morceaux d’ambre] sont les larmes d’Apollon, le fils de Leto, qu’emportaient les tourbillons [de l’Éridan] ; ces larmes innombrables qu’il versa jadis en arrivant chez le peuple sacré des Hyperboréens, après avoir quitté le ciel lumineux devant les menaces de son père ; irrité à propos du fils que, dans la lumineuse ville de Larissa * près de l’Amyros [en Thessalie], la divine Coronis lui avait enfanté. Telle est la tradition répandue chez ces peuples-là.
* Autrefois Lacérie.
131
TERTULLIEN (160-220).
Théologien chrétien de langue latine. Père de l’Église.
Ci-après ce que l’on trouve dans son ouvrage adressé « aux nations » (en latin Ad nationes).
LIVRE I.
Chapitre XI.
Supposons que notre père qui est aux cieux soit mi-homme mi-âne, nierez-vous faire la même chose que nous en ce domaine ? Et même pire puisque ce que vous adorez, vous, c’est la race des ânes tout entière et avec votre déesse tutélaire que l’on appelle Épona les juments, les bêtes de somme, les troupeaux et les bestiaux, avec leurs étables par-dessus le marché ! Car tel est peut-être votre grief contre nous, bien qu’entourés d’adorateurs d’animaux de toutes sortes, nous nous contentons de vouer un culte aux ânes.
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans son Apologétique (Apologeticum ou Apologeticus) quelque temps après.
APOLOGÉTIQUE.
Chapitre XVI.
Car vous aussi, comme quelques autres, avez rêvé que nous adorons une tête d’âne… Mais vous n’allez pas nier quand même que vous rendez des honneurs divins à toutes les bêtes de somme aussi bien qu’aux juments ou aux chevaux avec votre déesse Épona. Notre faute consiste-t-elle peut-être seulement dans le fait que de tous les adorateurs de bétail ou de bestiaux les plus divers nous n’adorons que l’âne ?
Note : toute cette polémique absurde vient du fait que pour certains gnostiques chrétiens, l’âne était un symbole positif et même très valorisant.
Enfin ci-dessous ce que l’on peut lire dans son traité sur l’âme/esprit.
DE L’ÂME/ESPRIT (en latin De Anima).
Chapitre LVII.
132
Magie et sorcellerie ne sont évidentes que dans leurs effets. Dieu seul peut ressusciter les morts.
Ou il est bon pour les âmes/esprits d’être retenu dans ces régions infernales comme dans le cas des Ahores [Ahoros dans le texte], ou c’est une mauvaise chose pour elles dans le cas des Biœothanates [Biaeothanatos dans le texte]. Je me permets d’user des mots et termes actuels dont se sert la magie, qui a inventé toutes ces idées bizarres…
Ce ne fut pas moins en fait que ce qui a jadis été permis à l’esprit de la pythonisse ou de la ventriloque, à savoir susciter une représentation de l’âme/esprit de Samuel, quand Saül consulta les morts. Dieu interdit néanmoins que nous puissions supposer ne serait-ce qu’un instant, que l’âme d’un saint et encore moins celle d’un prophète, puissent être extraites (de sa demeure infernale) par un démon. Nous savons que « Satan lui-même peut se transformer en ange de lumière », à plus forte raison en homme de lumière, voire qu’à la fin « il se montrera même comme Dieu » et manifestera « de grands signes et des prodiges, à tel point qu’il pourra même tromper certains élus si cela est possible ». Il a peut-être hésité alors à se faire passer lui-même pour un prophète de Dieu, en particulier aux yeux de Saül, dans lequel il était déjà entré. N’imaginez surtout pas que celui qui a fait apparaître le fantôme est quelqu’un et celui qui est venu le consulter un autre, car il s’agissait d’un seul et même esprit, possédant à la fois la sorcière et l’apostat, qui ont d’autant plus facilement prétendu voir quelque chose qu’ils avaient été préparés à croire en sa réalité, sous l’influence du démon : le cœur de Saül il y avait son trésor, mais Dieu n’était certainement pas. Il se produisit donc qu’il a vu du fait de cette intervention, celui qu’il était persuadé qu’il allait voir, puisqu’ il croyait en celui dont les manœuvres pouvaient aboutir à cet effet en lui, du moins à ses yeux.
On nous objectera maintenant que dans nos songes ou nous rêves nocturnes on ne voit souvent apparaître des morts pour cela. Les Nasamons par exemple consultent les oracles en restant souvent et longtemps près des tombeaux de leurs parents ; comme on peut le lire dans Héraclide, Nymphore ou Hérodote ; et les Celtes, dans le même but, passent la nuit près des tombeaux de leurs chefs les plus courageux, ainsi que l’affirme Nicandre. Nous admettons néanmoins dans ce cas que les apparitions de défunts dans ces rêves ne sont pas plus réelles ni vraies que les apparitions de vivants ; car il en va de même pour tout ce qui est comme mort ou vivant ; et de même bien sûr d’une façon plus générale pour tout phénomène visible. Car les choses ne sont pas vraies seulement à cause du fait qu’elles apparaissent à nos yeux, mais par ce que nous avons la preuve qu’elles sont telles. La vérité des rêves se trouve dans leur réalisation, et non dans leur simple visualisation.
133
LE PSEUDO-PLUTARQUE.
Auteur inconnu à qui l’on attribue un certain nombre de textes, que l’on a longtemps cru être de Plutarque. Le traité sur les fleuves, les Vies parallèles grecques et romaines, ou Parallela minora.
Dans son ouvrage consacré aux doctrines des philosophes sur divers sujets, on peut lire ceci…
À PROPOS DES NOMS DES FLEUVES ET MONTAGNES ET DES CHOSES REMARQUABLES QUI S’Y TROUVENT.
Chapitre VI. L’ARAR.
1. L’Arar est une rivière de la région celte, ayant reçu ce nom parce que c’est un affluent du Rhodan [aujourd’hui le Rhône]. Il s’y jette à la hauteur du pays des Allobroges. Anciennement il était appelé Brigulus, mais il changea de nom pour la raison qui suit. Arar étant parti à la chasse, il atteignit le bois elle devait se dérouler, mais y trouva son frère Celtiberus mort, tué par des bêtes sauvages ; après qu’il se fut mortellement blessé lui-même en raison de son excès de douleur, il tomba dans la rivière Brigulus, qui fut désormais appelée du nom d’Arar.
2. Il y a dedans un grand poisson, appelé scolopide [scopolias ou clupea selon les manuscrits, en grec ou en latin] par les indigènes. Il est blanc lorsque la lune est croissante, et devient noir lorsqu’elle est décroissante. S’il grandit outre mesure, il meurt tué à cause de ses propres épines.
3. Dans sa tête se trouve une pierre similaire à un grain de sel qui constitue un remède très efficace contre les fièvres quartes, quand on l’applique sur la partie gauche du corps, lorsque la lune décroît, ainsi que Callisthène de Sybaris rapporte dans le livre XIII de ses Gallatiques, Callisthène de Sybaris à qui Timagène de Syrie a emprunté cette information.
4. Non loin il y a une montagne appelée Lugdunum [Lougdounon dans le texte grec]. Elle changea de nom pour la raison suivante. Momoros et Atepomaros, expulsés de leur pays par le roi Seseroneos, décidèrent, conformément à une injonction divine, de fonder une cité sur cette crête. Alors que les fossés de fondation étaient en train d’être creusés, des corbeaux firent soudain leur apparition, comme venant de nulle part, et volèrent de-ci de-là en recouvrant les arbres alentour. Momoros, qui était versé dans la science des augures, appela donc cette cité Lugdunum [Lougdounon en grec]. Car ils appellent le corbeau lugus [lougos] dans leur langue, et un lieu surélevé dunum [dounon dans le texte grec], ainsi que le rapporte Clitophon dans le livre XIII des fondations.
Dans ses parallèles d’histoires grecques et romaines, ou Parallela minora, on peut lire également ce qui suit.
PARALLÈLES D’HISTOIRES GRECQUES ET ROMAINES.
134
Chapitre XV.
DÉMONICE ET TARPÉIA.
Brennus, roi des Galates, alors qu’il ravageait l’Asie, vint à Éphèse et s’éprit d’une jeune fille appelée Démonice. Elle promit de satisfaire tous ses désirs et aussi de trahir Éphèse, s’il acceptait de lui donner les bracelets des Galates et des parures féminines du même genre. Mais Brennus ordonna en fait à ses soldats de jeter sur cette femme cupide tout l’or qu’ils portaient sur eux. Ce qu’ils firent, et elle fut ainsi enterrée vivante sous un tas d’or. C’est ce que relate Clitophon dans le premier livre de son histoire galatique.
Chapitre XXIX.
ARISTONIME ET FULVIUS STELLUS.
Aristonime d’Éphèse, le fils de Démostrate, haïssait les femmes et avait coutume de s’accoupler avec une ânesse ; cette dernière donna naissance à une très belle petite fille, du nom d’Onoscelis. D’après Aristote dans le second livre de ses événements extraordinaires.
Fulvius Stellus lui aussi haïssait les femmes et avait coutume de s’accoupler avec une jument ; cette dernière donna naissance à une très belle petite fille qu’ils appelèrent Épona. Elle est devenue la déesse qui s’occupe des chevaux. D’après Agésilas dans le troisième livre de son Histoire d’Italie.
135
VOPISCUS (Fin du IIIe siècle début du IVe).
Flavius Vopiscus est un des six auteurs (fictifs) de la collection de biographies connue sous le nom de « Histoire Auguste ». D’après certains spécialistes il s’agirait d’un faux rédigé en fait par un seul et même auteur, à la fin du IVe siècle.
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans la vie d’Aurélien.
HISTOIRE AUGUSTE.
Vie d’Aurélien.
XLIV. Il est vrai bien sûr que nombreux sont ceux qui rangent Aurélien ni parmi les bons empereurs ni parmi les mauvais, car il lui a manqué la clémence, la première vertu d’un empereur. Verconnius Herrenianus, préfet de la garde Dioclétien, avait l’habitude de dire du moins au témoignage d’Asclépiodote que Dioclétien, se plaignant du caractère difficile de Maximien, répétait fréquemment qu’Aurélien aurait être général plutôt qu’empereur. Tellement l’excessive férocité d’Aurélien déplaisait à Dioclétien.
Voilà maintenant qui va en étonner plus d’un, mais il s’agit d’un fait connu de Dioclétien et qu’il aurait confié à son conseiller Celsinus, toujours selon Asclépiodote, mais là-dessus c’est la postérité qui en jugera. Il avait en effet l’habitude de raconter qu’un jour Aurélien avait consulté les druidesses de la Celtique continentale pour savoir si le pouvoir impérial passerait à ses descendants, mais elles lui répondirent, rapporte-t-il, que personne ne porterait un nom plus illustre dans tout l’empire que les descendants de Claude. Et, de fait, Constance est aujourd’hui notre empereur, c’est un homme de la famille de Claude, et ses descendants, je présume, atteindront à cette gloire que les druidesses ont naguère prédite. J’ai mis cela dans la vie d’Aurélien parce ce que c’est à lui que fut faite cette réponse dont il s’était enquis personnellement.
Ci-après ce que l’on peut lire dans les vies de Carus, Carinus et Numérien.
Numérien.
XIV. Je ne considère pas comme excessif ni banal d’insérer ici une histoire à propos de Dioclétien auguste, qui ne me semble nullement déplacée, un incident qu’il regardait lui-même comme un présage de son futur règne. Cette anecdote m’a été rapportée par mon grand-père, qui la tenait de Dioclétien en personne. « Alors que Dioclétien », me dit-il « toujours affecté à un poste mineur, s’était arrêté dans une certaine taverne du pays des Tongres en Celtique continentale, et faisait le compte de ses dépenses comme chaque jour, avec son hôtesse qui était druidesse, cette dernière finit par lui dire : « Dioclétien, tu es beaucoup trop parcimonieux et beaucoup trop avare », ce à quoi Dioclétien aurait répondu, sans parler sérieusement, mais pour rire : « je saurai me montrer généreux quand je serai devenu empereur ». Et la druidesse de lui répondre, toujours à ce qui est dit : « Ne plaisante pas, Dioclétien, tu deviendras empereur quand tu auras tué un Aper (un sanglier).
XV. Dioclétien eut dès lors toujours présent à l’esprit le désir de régner, ce que sut Maximien et ce que n’ignorait pas mon grand-père non plus, à qui donc il avait rapporté ce bon mot de la druidesse. Ensuite, devenu plus réticent, comme il s’y était habitué, il finit par en rire et se taire.
136
Néanmoins, quand il chassait, toutes les fois qu’il en avait l’occasion, il tuait toujours lui-même le sanglier de sa propre main.
AUSONE (309-394 environ).
Poète d’expression latine.
LIVRE V.
COMMÉMORATION DES PROFESSEURS DE BURDIGALA (AUJOURD’HUI BORDEAUX).
IV. ATTIUS PATERA, RHÉTEUR.
Bien qu’en ce qui concerne les années, tu aies dépassé les hommes mentionnés ci-avant,
Ô Patera, noblesse de ce qui peut être dit,
Comme ta célèbre parole était florissante encore ces derniers temps,
Et que, dans ma jeunesse, je t’ai vu déjà très âgé,
Tu ne seras pas privé de l’hommage de mon chant funèbre
Maître de nos plus puissants rhéteurs.
Si la renommée ne ment pas,
Tu étais Baiocasse et issu d’une famille de druides,
Et ta vénérable lignée remontait jusqu’au temple de Belenus ;
D’où les noms portés dans ta famille :
Le tien, ô Patera.
Car c’est ainsi que les fidèles mystiques appellent les ministres du culte d’Apollon.
Ton père et ton frère portaient un nom en rapport avec celui de Phébus
Et ton propre fils un nom en rapporta avec Delphes.
X. AUX GRAMMAIRIENS LATINS ET AUX PHILOLOGUES DE BURDIGALA (AUJOURD’HUI BORDEAUX).
MACRINUS, SUCURO, CONCORDIUS, PHOEBICIUS, AMMONIUS, ET ANASTASIUS, GRAMMAIRIEN CHEZ LES PICTAVES (AUJOURD’HUI POITIERS).
Je me garderai aussi d’omettre le nom du vieux Phébicius,
Qui, bien que gardien du temple de Belenus,
N’en tira aucun profit.
Mais lui aussi était issu, comme le bruit en court
D’une famille de druides d’Armorique,
Et avait obtenu ensuite une chaire à Burdigala (aujourd’hui Bordeaux)
Grâce à l’aide de son fils.
LIVRE VII.
LE LIVRE DES ÉGLOGUES.
VI. SUR LA RAISON D’ÊTRE DE LA LIVRE OU BALANCE.
Toi qui t’émerveilles que ces grands corps célestes puissent demeurer
Accrochés tout autour du sublime cercle du firmament
Sans que rien ne puisse altérer leur puissante masse,
Écoute, car il y a encore plus merveilleux !
Des éléments premiers de la plus grande petitesse et invisibles à nos yeux,
Sont dans ces corps immenses :
Ils se tiennent les uns les autres, étroitement liés en groupes d’atomes vraiment ténus ;
137
Mais ces atomes si petits sont des particules solides que rien ne peut diviser.
De là vient que leur force et leur puissance perdurent,
Et qu’aucun laps de temps ne pourra jamais venir à bout de leurs mouvements perpétuels.
Aux choses humaines, on peut comparer les divines.
C’est un équilibre divin qui n’est jamais altéré en rien.
Poids et nombre, mœurs, travaux, et même les eaux, ont une balance :
Il n’y a aucune forme de régulation que l’on ne puisse désigner de ce nom
Il y a une balance de la terre, qui flotte dans l’espace
Et aussi une balance particulière commandant les orbites du Soleil ainsi que de la Lune.
C’est un même mouvement de balancier qui rend égales les heures de jour et de nuit,
Et un mouvement de balancier aussi qui fait refluer les marées calédoniennes sans l’aide du rivage.
Préserve donc toi aussi, divine balance, l’équilibre de mes mœurs.
LIVRE XI.
L’ORDRE DES VILLES CÉLÈBRES.
XX. BURDIGALA (AUJOURD’HUI BORDEAUX).
Salut à toi fontaine dont on ignore la source,
Sainte, bienfaisante, intarissable,
Cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée.
Salut à toi génie de notre cité, dont nous pouvons boire des gorgées salutaires ;
Appelé divona dans la langue des Celtes,
Fontaine mise au rang des dieux.
138
POLYEN (IIe siècle).
Écrivain militaire grec et orateur. Auteur d’un recueil de ruses de guerre intitulé Stratagemata (Stratagèmes) en huit livres.
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans son Livre VII.
Chapitre XXXV.
Brennus.
1. Brennus, roi des Celtes, afin de les persuader d’entreprendre une expédition contre l’Hellade, convoqua un jour des hommes et des femmes de son peuple, puis ordonna qu’on leur présente des captifs hellènes, pauvres et malingres, le crâne rasé, vêtus misérablement. Et juste à côté d’eux il fit venir des Celtes, tous plus beaux et plus robustes les uns que les autres, munis de leur armement national celte. Ensuite il s’adressa donc à cette assemblée en ces termes : « Voici » dit-il en désignant les grands et beaux guerriers, « les hommes qui seront à nos côtés dans les combats », et voilà par contre les ennemis que nous aurons en face de nous ». Ce spectacle inspira aux Celtes tant de mépris pour les Hellènes, qu’ils acceptèrent bien volontiers de s’enrôler dans l’expédition qui devait être lancée contre eux.
2. Alors que l’armée celte traversait l’Hellade, Brennus aperçut des statues en or à Delphes. Il fit venir des prisonniers Delphiens, et leur demanda par le truchement d’un interprète, si les statues étaient en or massif. Après qu’ils lui eurent répondu qu’elles étaient en cuivre recouvert d’une fine couche d’or, il leur fit savoir qu’il ferait tuer tous ceux d’entre eux qui le diraient à d’autres que lui. En revanche il leur ordonna, qui que ce soit qui les interroge à ce sujet, d’affirmer le contraire, à savoir qu’elles étaient en or massif. Ensuite il fit venir certains de ses généraux, et en leur présence, posa une nouvelle fois aux prisonniers la même question qu’au début. Les prisonniers, ainsi qu’ils en avaient reçu l’instruction, répondirent qu’elles étaient tout entières en or. Il ordonna en conséquence à ses généraux de faire passer le message à l’armée ; afin que la perspective d’une telle richesse puisse encourager les hommes à tout faire pour s’en emparer de vive force.
Chapitre L.
Les femmes celtes.
Il y avait parmi les Celtes une sédition intestine, et l’on s’armait donc déjà pour se faire la guerre. Leurs femmes, se présentant au milieu des troupes armées, demandèrent quelles étaient les causes du différend, et les ayant entendues, elles en eurent un jugement si bon, qu’elles rendirent les hommes amis, et rétablirent la paix dans les villes et les maisons. Depuis ce temps-là, quand les Celtes avaient à délibérer sur les affaires publiques, soit pour faire la paix soit pour faire la guerre, entre eux, ou avec leurs alliés ; les résultats de leurs débats étaient fonction de l’avis des femmes. D’où vient que l’on trouve écrit dans les traités d’Hannibal : « Si les Celtes portent plainte auprès des Carthaginois, les généraux de la cavalerie et de l’infanterie des Carthaginois jugeront le différend, mais si les Carthaginois portent plainte auprès des Celtes, ce seront les femmes qui jugeront ».
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans son Livre VIII.
Chapitre 39. Camma.
Sinorix et Sinatus étaient tétrarques en Galatie. Camma, la femme de Sinatus, était renommée pour sa vertu et sa beauté peu commune, elle était prêtresse d’Artémis, ce qui est la plus haute
139
charge qu’une femme puisse occuper en Galatie. Sinorix en tomba follement amoureux et désespéra de l’avoir que ce soit par la force ou en tombant à ses genoux, tant que son mari serait de ce monde. Il obtint donc que Sinatus soit assassiné secrètement et peu de temps après offrit ses services à Camma, qui rejeta obstinément ses avances. À la fin néanmoins, cédant aux pressantes sollicitations de ses amis et de ses relations, elle fit semblant de consentir en disant : « Que Sinorix vienne au temple d’Artémis, et nous échangerons solennellement en présence de la déesse nos vœux de mariage ».
Le jour dit, Sinorix, escorté par un grand nombre de Celtes d’Asie Mineure, à la fois hommes et femmes, l’attendit, et elle le suivit jusqu’à l’autel avec des mots aimables et affectueux. elle but à sa santé dans une coupe en or, et l’invita ensuite à partager avec elle son breuvage. Il accepta évidemment avec grand plaisir, en tant que gage d’amour nuptial, et vida la coupe. Mais cette coupe nuptiale contenait une potion empoisonnée. Dès qu’elle vit qu’il l’avait bue entièrement, elle tomba sur les genoux, et s’écria : « je te rends grâce, ô, vénérable Artémis, de m’avoir accordé dans ton temple même de venger ainsi de façon éclatante le meurtre de mon époux ».
Et après avoir dit cela, elle se laissa tomber à terre puis rendit l’âme et le fiancé mourut avec elle, devant l’autel de la déesse.
Note de la rédaction. Artémis. Il s’agit bien entendu de l’interprétation grecque d’une déesse celte. Les Celtes arrivant dans cette partie du monde (l’actuelle Turquie) ont cru reconnaître en Artémis une de leurs grandes déesses et lui ont donc rendu un culte en conséquence.
140
PSEUDO-SCYMNUS (Ier siècle avant notre ère).
Géographe grec. En fait anonyme. A écrit un long poème géographique en vers iambiques initialement attribué, mais à tort à Marcien d’Héraclée ensuite, mais toujours à tort, à Scymnus de Chios. On a de ce « Périple autour de la terre » (ou Periegesis) 747 vers, un grand fragment et une trentaine de petits.
PERIEGESIS (en grec) ou ORBIS DESCRIPTIO (en latin).
L’Europe.
Vers 162-195.
Après cette ville (Gadira), et à deux jours de distance par mer,
Se trouve un marché très florissant, la ville illustre appelée Tartessos
où par un fleuve arrive de la Celtique l’étain, l’or et le cuivre qu’elle reçoit en abondance.
Puis vient la contrée appelée Celtique, jusqu’à la mer qui s’étend auprès de Sardo (la Sardaigne)
Et ce peuple est le plus grand qu’il y ait au couchant.
Car presque toute la terre située dans les confins du levant est habitée par les Indiens,
celle qui s’étend au midi par les Aethiopes (Éthiopiens) demeurant sous le vent qui souffle du sud.
Depuis d’où vient le Zéphyr (vent d’ouest) jusque-là se couche le soleil en été habitent les Celtes,
Et dans la région boréale, les Scythes.
Les Indiens habitent donc entre le levant d’été et le [levant] d’hiver,
Les Celtes à l’opposé, entre le couchant équinoxial et le couchant d’été, à ce qu’on dit.
Ces quatre races sont égales par le nombre des habitants et par la densité des populations.
La contrée des Éthiopiens et celle des Scythes sont plus étendues,
Mais ce sont en grande partie des déserts, parce que l’une est brûlante, l’autre trop humide.
Les Celtes ont des usages et des mœurs helléniques, et ils les doivent à leurs relations habituelles avec l’Hellade
Et à l’hospitalité qu’ils donnent souvent aux étrangers venant de ce pays.
Ils tiennent leurs assemblées avec de la musique, demandant à cet art le moyen d’adoucir les mœurs.
À l’extrémité de leur pays se trouve la colonne dite boréale, très haute et projetant sa pointe dans une mer houleuse.
Les lieux voisins de cette colonne sont habités par les Celtes qui ont leurs derniers rameaux,
les Enètes * et ceux des Istres (Istriens) qui en deçà s’avancent jusqu’à l’Adrie :
C’est là, dit-on, que l’Ister commence son cours.
Vers 386-400.
Les Énètes * ont cinquante villes situées dans le fond même de ce golfe (l’Adriatique) :
Ils sont venus, dit-on, du pays des Paphlagons, et ils habitent autour de l’Adrias.
Tout à côté des Énètes sont les Thraces appelés Istres.
Ensuite c’est l’Éridan qui transporte cette merveille qu’est l’ambre,
Des gouttes transparentes que sécrètent des peupliers : ce sont, dit-on, des larmes pétrifiées.
D’aucuns, en effet, ajoutent que c’est là que fut jadis foudroyé Phaéton,
Et que c’est pour cette raison que les habitants de la contrée portent des vêtements noirs.
* Note de l’éditeur. Les Énètes ou Vénètes de Venise en Italie ne sont aucunement des Celtes.
141
SAINT HIPPOLYTE DE ROME (170-235).
Théologien, saint, et pape ou antipape (suivant le point de vue), de 217 à 235. Certains auteurs attribuent le monumental traité intitulé Philosophumena ou Réfutation de toutes les hérésies, à un autre Hippolyte, évêque de Palestine. Peu importe !
Voici en tout cas ce que l’on peut lire dans ces Réfutations de toutes les hérésies ou Philosophumena.
LIVRE I.
Table des matières.
Ce qui suit est la table des matières du premier livre de la Réfutation de toutes les hérésies.
Nous nous proposons de fournir ici un bref exposé sur les principales idées des philosophes de la nature, et sur qui sont ces hommes ; quelles sont les principales idées des philosophes de la morale et qui sont-ils, enfin troisièmement, sur les principales théories des philosophes du raisonnement et ce qu’ils sont.
Parmi les philosophes de la nature, on peut citer Thalès, Pythagore, Empédocle, Héraclite, Anaximandre, Anaximène, Anaxagore, Archélaos, Parménide, Leucippe, Démocrite, Xénophane, Ecphante, Hippon.
Parmi les moralistes il y a Socrate, disciple du physicien Archélaos, et Platon, un disciple de Socrate. Ce théoricien combine trois systèmes philosophiques différents.
Parmi les théoriciens de la logique, il y a Aristote, élève de Platon. Il a systématisé l’art de la dialectique. Parmi les stoïciens (ou philosophes de la logique), on peut citer Chrysippe et Zénon.
Épicure cependant, lui, a soutenu des idées allant à l’inverse de presque tous ces philosophes. Pyrrhon de l’Académie enseignait qu’on ne peut rien savoir avec certitude. Il y eut aussi les brahmanes de l’Inde et les druides des Celtes, sans oublier non plus Hésiode (qui s’étaient consacrés à a philosophie).
Chapitre II.
Pythagore, sa cosmogonie, les règles de sa secte, découvreur de la physiognomie, sa philosophie des nombres, son système de la transmigration des âmes, Zoroastre (Zaratas dans le texte grec) à propos des démons, pourquoi Pythagore interdisait de manger des fèves, le mode de vie adopté par ses disciples……
Néanmoins, parmi ses disciples qui réchappèrent à cet incendie, on peut citer Lysis et Archippe, ainsi que l’esclave de Pythagore, Zalmoxis, qui passe pour avoir enseigné aux druides celtes à cultiver la philosophie de Pythagore…
Chapitre XX.
Les druides, héritiers de leur système philosophique.
Les druides celtes ont étudié au plus haut point la philosophie de Pythagore, qui leur fut transmise par Zalmoxis, un Thrace, esclave de Pythagore. Après la mort de Pythagore, Zalmoxis s’étant retiré là-bas introduisit en effet cette discipline chez eux. Les Celtes les considèrent comme des prophètes et des voyants, à cause du fait qu’ils leur prédisent certains événements, en se fondant sur le calcul et la science des nombres des arts pythagoriciens. Un art dont nous ne saurions non plus passer sous silence la méthode, puisque l’on présume également que certains d’entre eux ont tenté de fonder des Écoles de pensée [hairesis ou hérésie en grec] ; mais les druides recourent aussi aux rites magiques.
142
TIMAGÈNE (Ier siècle avant notre ère).
Historien grec, natif d’Alexandrie. A composé une histoire de la Celtique qui a disparu. Il ne nous en reste que ce qu’a voulu en citer Ammien Marcellin (voir ce nom).
Certaines personnes affirment que les premiers habitants jamais vus dans ces régions étaient appelés Celtes, d’après le nom d’un de leurs rois, qui était très populaire chez eux, et quelquefois également Galates, d’après le nom de sa mère. Car Galates est la traduction grecque du mot latin Galli. D’autres affirment que ce sont des Doriens qui, suivant un très ancien Hercule, choisirent de s’établir dans cette région touchant à l’Océan.
Les druides [latin drasidae] affirment qu’une partie du peuple est réellement indigène, mais que les autres ont afflué d’îles très lointaines, et de régions situées au-delà du Rhin, chassés de leurs précédentes demeures par des guerres trop fréquentes, et aussi quelquefois par les inondations dues à une mer déchaînée.
D’autres encore soutiennent qu’après la destruction de Troie, quelques Troyens fuyant les Grecs, qui étaient alors partout, occupèrent ces régions qui étaient alors totalement désertes.
Mais les natifs de ces contrées affirment encore plus clairement que toute autre chose (et nous l’avons nous-mêmes effectivement lu sur leurs monuments) qu’Hercule, le fils d’Amphitryon, pressé d’anéantir les deux cruels tyrans Géryon et Tauriscus, dont l’un opprimait la Celtique continentale, et l’autre l’Espagne ; après les avoir vaincus tous les deux, prit femme dans la noblesse de ces pays, en eut de nombreux enfants, et que ses fils appelèrent les régions dont ils devinrent les rois d’après leur propre nom.
Une tribu asiatique venue de Phocée afin d’échapper à la cruauté d’Harpale, lieutenant du roi Cyrus, fit également voile vers l’Italie. Une partie d’entre eux fondèrent Velia, en Lucanie, les autres Marseille, dans la région de Vienne et ensuite, dans les siècles qui suivirent, ces villes s’accroissant donc en taille et en importance, elles fondèrent à leur tour d’autres colonies. Mais laissons tous ces détails susceptibles d’être assez ennuyeux. Partout dans ces provinces les peuples se civilisant peu à peu, l’étude des sciences nobles put donc s’épanouir, ayant d’abord été initiée par les bardes, les vates [in latin euhagis, les eubages] et les druides. Les bardes s’employaient habituellement à célébrer les exploits de leurs hommes illustres, en vers épiques, et en s’accompagnant des doux chants d’une lyre. Les vates étudiaient la nature et ses sublimes secrets, en essayant de les expliquer ensuite à leurs disciples. Parmi eux il y avait les druides, des hommes d’un génie encore plus élevé, associés en une fraternité [latin sodaliciis, voir sodalis] conformément aux préceptes et à l’exemple de Pythagore ; leurs esprits cherchaient à pénétrer les secrets ou les plus sublimes domaines, et méprisant quelque peu les affaires humaines, ils proclamaient que les âmes/esprits [latin animas] sont immortelles.
143
FLORUS (70-140).
Historien romain.
ABRÉGÉ D’HISTOIRE ROMAINE (ÉPITOMÉ).
LIVRE I.
Chapitre XX.
Guerre celtique.
Les Celtes insubres, qui habitaient aussi près des Alpes, avaient un naturel de bêtes sauvages et une taille plus grande que la taille humaine normale, mais ainsi que l’expérience l’a prouvé ils faisaient preuve d’une force surhumaine lors du premier assaut, mais leurs attaques suivantes n’avaient même pas la force de simples femmes les corps de ces races alpines, élevés dans un climat humide, ont une certaine ressemblance avec notre neige, car dès qu’ils sont échauffés lors de la bataille, ils sont aussitôt en nage et fondent au moindre effort, comme de la neige au soleil. Comme souvent lors de précédentes occasions, sous la conduite de leur chef Brittomarus, ils jurèrent de ne pas détacher leur baudrier tant qu’ils n’auraient pas escaladé le Capitole. Et c’est ce qui se produisit ; car Emilius en triompha et les leur enleva sur le Capitole. Peu de temps après, sous leur chef Arioviste, ils vouèrent à leur dieu Mars un torque à prendre sur les dépouilles de nos soldats. Mais ce fut Jupiter qui bénéficia de ce vœu, car Flaminius éleva en son honneur, un trophée fabriqué à partir de l’or de leurs propres torques. Sous le règne de Viridomare ils promirent d’offrir des armes romaines à Vulcain ; mais leur vœu fut réalisé d’une tout autre façon, car leur roi fut tué dans les combats et Marcellus accrocha dans le temple de Jupiter Férétrien les dépouilles opimes, pour la seconde fois depuis Romulus.
Chapitre XXXVIII.
Guerre contre les Thraces.
Durant leur avance ils [les Thraces] se livrèrent à toutes les cruautés possibles, comme s’ils passaient leur furie sur les prisonniers ; ils versaient aux dieux des libations de sang humain, ils buvaient dans des crânes, ils faisaient périr leurs prisonniers dans toutes sortes de tourments, en les faisant par exemple périr par le feu ou la fumée, ils arrachaient même les fœtus du ventre des femmes enceintes. Les plus cruels de tous ces Thraces étaient les Scordisques, et à leur force s’ajoutait aussi la ruse…
Chapitre XLV.
Guerre celtique de nouveau.
La plus grande et en même temps la dernière, de toutes les rébellions en Celtique, eut lieu quand un chef redoutable aussi bien par sa taille, que par sa dextérité dans le maniement des armes, ou son courage, doté d’un nom qui semblait fait pour inspirer la terreur, coalisa les Arvernes et les Bituriges, ainsi que les Carnutes et les Séquanes. À chacune de leurs fêtes ou lors de chacun de leurs conseils, chaque fois qu’il les trouvait rassemblés en grand nombre dans leurs clairières sacrées, il les exhortait par de vigoureuses harangues à revendiquer leurs anciennes libertés.
144
VALÈRE MAXIME (Ier siècle).
Valère Maxime. Historien et moraliste romain. Auteur d’un recueil de faits et dits mémorables en neuf livres.
Ci-dessous ce que l’on peut y glaner.
LIVRE I.
Chapitre I.
Respect pour la religion.
Manquements à la religion.
Histoire telle qu’elle est rapportée par Julius Paris. Après que Brennus, le chef des Galates, fut entré dans le temple d’Apollon à Delphes, il s’ôta lui-même la vie de par la volonté du dieu.
Histoire telle qu’elle est rapportée par Nepotianus. Après toute une série de victoires, Brennus, le roi des Galates atteignit Delphes elle-même, et aucune puissance humaine ne fut alors en mesure de lui offrir la moindre résistance. Les paysans de la région demandèrent la protection d’Apollon, le dieu leur annonça qu’il serait de leur côté avec eux et que les vierges blanches et brillantes combattraient les Galates. Brennus et toute son armée disparurent alors sous une tempête de neige.
Note de la rédaction. On peut évidemment considérer que les vierges blanches et brillantes ce furent les flocons de neige qui enrayèrent l’attaque des Galates sur Delphes. Libre à nos lecteurs d’y croire ou pas, et ce d’autant plus, rappelons-le, que la même chose a été racontée à propos de l’attaque des Perses deux siècles plus tôt. Comme cela fut très bien dit par l’Indutiomaros mis en pièces dans la plaidoirie de l’avocat marron que fut Cicéron, croire est une chose, savoir en est une autre. Et d’ailleurs Brennos avait bien raison de penser que les dieux n’ont nul besoin de richesses matérielles, et que leur rôle est plutôt de les prodiguer aux hommes. Le seul sacré pouvant exister sur cette terre est celui des choses de l’Esprit.
Bible et Coran ne sont que des mots couchés sur des chiffons de papier contenant rarement le meilleur, des amas de mots souvent incohérents d’ailleurs.
Que vient faire dans la Bible par exemple un livre quasiment athée comme l’ecclésiaste ?
Que viennent faire certaines lettres de l’alphabet comme Alif, Lâm et Mim dans la récitation de nombreux chapitres du Coran (30) ?
Que vient faire l’invocation Ya-Sin (O Sin) en tête de son chapitre 36 ?
Que viennent faire les versets 19, 20, 20 a et 20 b dans son chapitre 53 ?
En ce qui nous concerne, nous ne considérons nullement ces versets comme sataniques, mais simplement comme un bon exemple de tolérance ou de laïcité positive ; reconnaissant ouvertement tous les cultes possibles et imaginables y compris celui de Sin donc condition néanmoins que leur exercice ne trouble pas l’ordre public)..
Pris au pied de la lettre, Bible et Coran sont intolérables, car en matière de spiritualité le gel de la pensée par l’écriture est toujours la pire des choses qui peut lui arriver (elle ne peut plus évoluer si ce n’est avec les plus grandes difficultés, elle est fossilisée). Pris au sens symbolique ou allégorique, on peut en faire dire autant, au livre de recettes de cuisine de ma grand-mère (vous savez la gardeuse d’oies de Pont-Varin qui a été quelques années la cuisinière du château du village). Disons au Maha Bharata ou à Bouddha.
L’attitude la plus normale à leur égard est donc de respecter Bible et Coran… dans l’exacte mesure ils respectent eux-mêmes tous ceux qui ne pensent pas comme eux, les matérialistes athées les spiritualistes athées les agnostiques les panthéistes les polythéistes, en bref les mécréants de tout poil auxquels nous nous flattons d’appartenir. La réciprocité positive ou négative en matière de relations humaines est le commencement de la sagesse et le sacré, c’est l’homme, non une quelconque écriture. Car il ne peut pas exister par définition d’Écriture sainte. Un écrit est toujours profane et idolâtrer Mahomet ainsi que le Coran (se convertir à l’islam) prouve certainement votre foi, mais ne prouve nullement votre intelligence, car la foi n’a rien à voir avec la raison. Ce sont deux choses différentes. Se convertir à l’islam
145
n’est pas une preuve d’intelligence. Et d’ailleurs on peut en dire autant du judaïsme et du christianisme. Le bouddhisme c’est autre chose.
LIVRE II.
Chapitre VI.
10. Dès que l’on a laissé derrière soi les murailles de Massilia [Marseille], on entre dans le domaine de l’antique coutume des Celtes. La tradition y veut que les Celtes se prêtent de l’argent, mais que l’on peut le rembourser dans l’autre monde. Ils font cela parce qu’ils sont convaincus que les âmes humaines sont immortelles. Je les traiterais bien de fous si ces hommes avec leurs braies n’avaient pas en ce domaine les mêmes idées que Pythagore dans son manteau grec.
11. La philosophie des Celtes est donc tout entière fondée sur l’avarice et le profit, mais celle des Cimbres et des Celtibères est heureuse tout autant que courageuse. Ils sautent de joie quand éclate une guerre, car ils auront une occasion d’abandonner cette vie dans la gloire et la félicité, par contre ils se lamentent quand ils sont gravement malades, car ils risquent alors de mourir d’une manière honteuse et misérable. Les Celtibères vont même jusqu’à considérer que survivre à une bataille alors que leur chef y a trouvé la mort est un déshonneur, puisqu’ils avaient promis de le protéger à toux prix, au besoin en donnant leur vie pour lui. On ne peut que louer l’état d’esprit décidé de ces deux peuples, car les Cimbres et les Celtibères estiment qu’ils doivent assurer la sécurité de leur pays et cultiver la fidélité des soldats.
Note de l’éditeur. Les Cimbres et les Teutons étaient les derniers des peuples celtes, à tout le moins en voie de celtisation. Et la langue des Celtibères était une langue celte. Ce qu’écrit Valère Maxime sur la philosophie des Celtes de la région de Marseille est très surprenant, car cela contredit tout ce que l’on peut en savoir (les soldurs, etc.). Se pourrait-il que Valère Maxime soit tout simplement un raciste anti-celte ?
LIVRE VIII.
Chapitre XIII.
Argantonios de Cadix fut roi pendant tant d’années que son règne fut aussi long qu’une vie humaine normale. Il gouverna son pays pendant quatre-vingts ans, et il était monté sur le trône à l’âge de quarante ans. Les historiens qui rapportent ce fait sont tout à fait dignes de confiance. Asinius Pollion, qui n’est pas un des moindres pour ce qui est de la littérature romaine, note par exemple dans son troisième livre d’histoires, que ce prince vécut cent trente ans et Pollion lui-même est un assez bon exemple d’un troisième âge actif et vigoureux.
ARISTOTE (– 384 – 322).
146
Philosophe grec.
ÉTHIQUE À EUDÈME.
LIVRE III.
Chapitre I.
Section 25.
D’où il s’ensuit qu’un homme n’est pas courageux s’il affronte des événements effrayants par ignorance (si à cause d’un accès de folie par exemple, il affronte la foudre qui éclate) ni s’il les affronte comme par emportement bien que sachant parfaitement la grandeur du danger, comme les Celtes qui prennent les armes et marchent avec elles contre les flots ; le courage des barbares se fonde d’ailleurs toujours en général sur un tel excès de passion.
ÉTHIQUE À NICOMAQUE.
LIVRE III.
Chapitre VII.
Parmi ceux qui dépassent la mesure, celui qui pèche par trop d’absence de crainte ne porte pas de nom particulier (nous avons vu précédemment que nombre de nos états intérieurs n’ont pas de terme spécifique pour les caractériser), mais on pourrait dire que s’il ne craint vraiment rien, ni les tremblements de terre ni les flots, ainsi que le font les Celtes dit-on, alors c’est une sorte d’inconscient ou de fou, tandis que celui qui fait preuve d’une confiance excessive face à ce qui constitue réellement un danger sérieux peut être qualifié de téméraire.
Note de l’éditeur. Peut-on faire observer ici, sans offenser personne, qu’Aristote se montre en l’occurrence un bien piètre philosophe, loin derrière un Vauvenargues par exemple, se contentant d’ergoter sur des questions de sémantique. Sans omettre, en ce qui concerne les barbares en général et les Celtes en particulier, une ignorance crasse confinant au mépris le plus raciste.
POLITIQUE.
LIVRE VII.
Chapitre XVII.
Il est aussi utile de les habituer au froid quand ils sont tout petits ; car c’est très profitable à leur santé ; et aussi de les préparer à la guerre, voilà pourquoi de nombreux barbares ont coutume soit de plonger leurs enfants dans des rivières quand l’eau est froide ; soit de les habiller seulement de légers vêtements, comme chez les Celtes ; car, quel que soit ce à quoi il faut les habituer, le mieux c’est de le faire dès leur plus jeune âge, mais petit à petit ; en outre les garçons aiment habituellement le froid, justement à cause de leur chaleur.
NICOLAS DE DAMAS (Ier siècle de notre ère).
147
Historien gréco-romain. Auteur d’une œuvre abondante qui ne subsiste qu’à l’état de fragments. Voici ce que l’on peut lire dans trois d’entre eux.
RECUEIL DES COUTUMES EXTRAORDINAIRES.
Fragments conservés par Jean Stobée.
a) Les Celtes qui avoisinent l’océan estiment qu’il est honteux de fuir une muraille ou une maison qui s’écroule, et quand sur le littoral de la mer extérieure, le flot envahit le rivage, ils vont au-devant avec leurs armes et se laissent submerger par les eaux, pour ne pas paraître fuir par crainte de la mort.
b) Les Celtes sont armés quand ils traitent des affaires publiques. Chez eux, on est puni d’une peine plus rigoureuse pour le meurtre d’un étranger que pour celui d’un concitoyen : dans le premier cas, la mort, dans le second l’exil seulement. Ceux qu’ils honorent le plus, ce sont les conquérants qui ont agrandi le territoire national. Les portes de leurs maisons ne sont jamais fermées.
Autre fragment cité par Athénée dans son livre VI, chapitre LIV, des Deipnosophistes (ou banquet des savants).
HISTOIRE UNIVERSELLE.
« Adiatome, le roi des Sotians * (une tribu celte) avait six cents hommes d’élite autour de lui, qui étaient appelés par les Celtes siloduri ** dans leur langue nationale, et par nous eucholimées [ce qui signifie en grec « liés jusqu’à la mort par un vœu »]. Et ce roi les avait comme compagnons, pour vivre et mourir avec lui, car tel était le vœu qu’ils avaient tous fait. En échange de quoi ils partageaient son pouvoir, portaient les mêmes habits, mangeaient la même nourriture ; mais ils devaient absolument mourir en même temps que lui, que le roi meure de maladie, à la guerre, ou d’une tout autre façon. Et personne ne pouvait dire que l’un d’entre eux ait jamais manifesté une quelconque hésitation à mourir ni même songé à s’y dérober alors que le roi venait de trépasser ».
* Note de l’éditeur : sans doute Adcantuannus /Adiatuanos roi des Sotiates.
** Note de l’éditeur : probablement les soldurs évoqués par César à propos de ce chef.
DION DE PRUSE (environ 40-120).
Dion de Pruse dit aussi Chrysostome c’est-à-dire « à la bouche d’or ».
148
DISCOURS 49.7.
Discours pour refuser le pouvoir. Au sénat.
En outre, puisqu’ils ne peuvent pas toujours être commandés par des rois philosophes, les plus puissantes nations ont très officiellement pris des philosophes comme ministres et officiers pour leurs rois. C’est d’ailleurs pourquoi, me semble-t-il, les Perses avaient ceux qu’ils appelaient Mages, car ils étaient versés dans l’étude de la nature et savaient comment les dieux devaient être adorés ; les Égyptiens des prêtres ayant les mêmes connaissances que les Mages, se consacrant au service des dieux et connaissant le pourquoi et le comment de toute chose ; les Indiens les brahmanes, car ils excellaient dans la maîtrise de leur corps, la justice, et dans la dévotion aux dieux, car ils voyaient le futur mieux que quiconque peut connaître le présent ; les Celtes ceux qu’ils appelaient druides, eux aussi versés dans l’art de la divination ainsi que dans toute science en général. Les rois n’étaient pas autorisés à faire ou décider quoi que ce soit sans l’assistance d’un de ces sages, de telle sorte qu’en réalité ce sont eux qui gouvernaient le pays, et que les rois n’étaient que leurs ministres ou les serviteurs de leur volonté, bien qu’assis sur des trônes en or, habitant dans de grandes maisons, et faisant de somptueux festins.
DISCOURS 79.4.
Sur la richesse.
Que dire des Celtes dans le pays desquels, à ce qu’on dit, il y a un fleuve qui charrie des pépites d’ambre [grec elektron/electrum] et le rejette, ce qui fait que cet ambre se trouve alors partout sur ses rives aussi abondamment que les galets sur nos plages ? Jadis utilisés par leurs enfants qui s’amusaient à les lancer, bien que de nos jours ils les recueillent précieusement, ayant appris de nous quelle fortune elles peuvent valoir.
Tous ces peuples les Celtes, les Indiens, les Ibères, les Arabes, et les Babyloniens soumettent-ils à tribut nos terres, nos troupeaux, et notre bétail ; ou notre propre folie ?
TZÉTZÈS (1110-1180 environ).
149
Tzétzès Jean. Grammairien et poète byzantin. A résumé le passage de Procope dans son commentaire sur Lycophron. Mais avec Bretannia (Bretagne) au lieu de Brittia. Aujourd’hui la Grande-Bretagne.
« Les Îles des Bienheureux [les Îles Fortunées] sont décrites par Hésiode, Homère, Euripide, Plutarque, Dion, Procope, Philostrate, et d’autres, et se trouvent dans l’Océan aux profonds tourbillons, car la [Grande] Bretagne est une île située entre la Bretagne occidentale, à l’ouest, et Thulé à l’est. C’est là, dit-on, que les âme/esprits des défunts sont conduites. Car sur la côte de l’Océan qui entoure l’île de [Grande] Bretagne habitent des pêcheurs sujets des Francs, mais ne leur payant pas tribut, car, dit-on, ils font passer les âme/esprits des morts sur l’autre rive. Ils rentrent à la maison le soir et s’endorment, mais ensuite ils prennent soudain conscience que quelqu’un frappe à leur porte et entendent une voix les appelant au travail. Ils se lèvent donc et descendent sur le rivage comme poussé par une mystérieuse nécessité, ils découvrent des embarcations déjà toutes prêtes, mais pas la leur, et semblant vides. Néanmoins quand ils montent à bord et mettent en place les avirons, ils réalisent que ces embarcations sont aussi lourdement chargées que si elles étaient pleines de passagers, bien qu’ils ne voient personne. Ensuite, d’un seul coup de rame, ils atteignent l’île de [Grande] Bretagne, alors que d’habitude, quand ils ont leur propre bateau, la traversée leur prend au moins une nuit et un jour entiers. Quand ils abordent sur l’île, encore ils n’aperçoivent personne, mais ils entendent les voix de ceux qui accueillent les passagers descendant à terre, et les répartissant selon la famille de leur père ou de leur mère, appelant chacun d’entre eux en outre par son nom, suivi de la mention de ses titres de dignité ou de sa profession. À la fin, quand toutes les embarcations se retrouvent vides, les pêcheurs retournent chez eux, encore d’un seul coup de rame. C’est pourquoi beaucoup en ont déduit que les Îles des Bienheureux sont cette terre, et que c’est là que vont les âmes/esprits des morts ».
MAMERTIN (IVe siècle).
Claudius Mamertinus. Orateur celte sans doute originaire de Trèves en Allemagne. Il prononça en 362 à Constantinople un célèbre discours en l’honneur de l’empereur Julien l’Apostat. Deux autres panégyriques de la douzaine parvenus jusqu’à nous, lui sont attribués, sans grande certitude : les numéros 2 et 3 par ordre chronologique (années 289 et 291).
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans le discours lu pour l’anniversaire de l’empereur Maximien Hercule à Trèves, en 291.
PANEGYRICUS GENETHLIACUS MAXIMIANO AUGUSTO (Panégyrique généthliaque pour Maximien Auguste).
III. « Assurément il n’y aurait pas consenti le divin fondateur, ou père, de votre race. D’abord parce que ce qui est immortel ne connaît pas l’immobilité, puisque l’éternité se conserve par un mouvement perpétuel. Ensuite parce que ces ancêtres de votre famille, de qui vous tenez à la fois vos noms et vos empires, sont en premier lieu toujours occupés à sans fin accomplir des tâches de la plus haute importance. Le dieu ancêtre de Dioclétien par exemple, après avoir expulsé les Titans ayant pris un moment possession du ciel, et avoir aussitôt après engagé une guerre sans merci contre les monstres à double forme, gouverne d’un soin ininterrompu son empire, aussi pacifié soit-il, fait tourner cette énorme masse [ou meule] d’une main à jamais inlassable et préserve avec vigilance l’ordre ou la succession de toutes choses. Car il n’est pas vrai qu’il ne se manifeste qu’en faisant gronder le tonnerre ou tomber la foudre, après avoir apaisé ces turbulentes manifestations des éléments déchaînés, il règle les destinées de chacun de la même façon et il exhale de sa pacifique poitrine ces brises qui glissent silencieusement, il fait aller le soleil dans son mouvement opposé à celui du ciel ».
HÉRODIEN (environ 175-249).
150
Historien romain d’expression grecque. Auteur d’un ouvrage connu sous le titre « Histoire des empereurs romains » de Marc-Aurèle à Gordien III.
Ci-dessous ce que l’on peut y lire, dans le livre VIII.
Chapitre III
8… En tenant de tels propos, Crispinus, qui était d’un caractère vénérable, parlant admirablement bien le latin, et qui avait gouverné les Aquiléiens avec modération, réussit à les persuader de rester à leur poste ; il ordonna aux envoyés de s’en retourner auprès de Maximin sans rien avoir obtenu. On dit qu’il persévérait à poursuivre la guerre parce que les nombreux habitants de la cité versés dans l’art des augures et sachant interpréter les auspices lui rapportaient que ces présages étaient bons pour les habitants de la ville. Les Italiens accordent une confiance toute particulière à ces augures. Des oracles également leur avaient révélé que le dieu local leur avait promis la victoire. Ils appellent ce dieu Belenos [en grec Bélen], et l’adorent avec beaucoup de dévotion, en l’assimilant à notre Apollon ; son image dirent certains soldats de Maximin, était souvent apparue dans le ciel au-dessus de la cité, pour combattre du côté des Aquiléiens.
9. Que le dieu soit réellement apparu à certains des assiégeants ; ou qu’ils aient fait courir cette rumeur parce qu’ils étaient honteux de voir qu’une aussi grande armée que la leur était incapable de vaincre une foule de civils, et qu’il valait mieux dans ce cas passer pour avoir été vaincus par des dieux plutôt que par de simples mortels ; cela je suis incapable de le dire, mais le caractère étrange de toute cette affaire rend tout cela possible…
NAZAIRE (IVe siècle).
Orateur et rhéteur. Prononça en 321, soit neuf ans après les faits, un discours (panégyrique) célébrant la gloire de Constantin et de ses fils. On peut y lire ce qui suit.
Panégyrique Nº 4.
14… des armées apparurent qui firent savoir qu’elles avaient été envoyées par les dieux. Et bien que les êtres célestes n’aient pas pour habitude de se montrer aux yeux des hommes, car la substance sans mélange et immatérielle de leur nature subtile échappe à notre vision émoussée, voire aveugle, à ce moment-là pourtant vos auxiliaires acceptèrent d’être vus et entendus, et n’échappèrent à la contamination apportée par la vue des mortels qu’après avoir attesté de votre valeur. Mais quelle ne fut pas leur apparence, la vigueur de leurs corps, la taille de leurs membres, l’ardeur de leurs volontés ? Leurs boucliers fulgurants flamboyaient d’un feu redoutable, leur armement céleste brûlait d’un terrible éclat ; car ils étaient venus sous cette forme afin que nul ne doute de l’appui qu’ils vous apportaient. Leur discours, et les propos qu’ils tenaient devant ceux qui les écoutaient pouvaient se résumer à ceci : « Nous cherchons après Constantin, nous allons aider Constantin ».
Même les êtres divins ont de l’amour propre, car la fierté anime aussi les êtres célestes : ces armées descendirent donc du ciel, et ces armées envoyées par les dieux exultaient, parce qu’elles combattaient pour vous. Il me semble qu’à leur tête il y avait votre père Constance, qui vous avait abandonné les triomphes terrestres, vous qui êtes plus grand que lui, et qui maintenant hissé au rang des dieux, s’enorgueillissait de cette expédition divine.
APULÉE (environ 125-180).
151
Écrivain latin à Madaure, aujourd’hui M’daourouch en Algérie. Voici ce que l’on trouve dans un de ses livres : « Les Métamorphoses » ou « l’âne d’or ».
LIVRE III.
Chapitre XXVII.
Ayant été ainsi maltraité par eux, et mis à l’écart, je me retirai donc dans un coin de l’écurie, et alors que j’étais en train de ruminer à propos de cette insolence de leur part, et comment le lendemain je pourrais redevenir Lucius à l’aide des roses, ou que je réfléchissais à la façon de me venger de mon cheval, j’eus la bonne fortune de voir à mi-hauteur d’un pilier supportant les solives du plafond de l’écurie, une image [en latin simulacre/simulacrum] de la déesse Épona, dans une sorte de crèche [en latin aedicula], magnifiquement décorée de roses toutes fraiches. Apercevant ainsi le remède à tous mes maux, je me pris à espérer : je me redressai donc du mieux que je pus en levant le plus haut possible mes pieds antérieurs, le cou étiré, mes lèvres essayant de saisir quelques-unes de ces roses. Mais alors que je m’évertuais ainsi à en attraper, afin de voir ce qui se passait le garçon d’écurie auquel j’avais confié le soin de panser mon cheval arriva sur place, et me trouvant alors en train d’essayer d’atteindre la crèche fixée à mi-hauteur du pilier, il se mit en colère et cria : « Combien de temps allons-nous supporter ce bougre d’âne, ce hongre, cet eunuque [en latin canterium] tout à l’heure il en voulait au foin de nos bêtes et il s’en prend maintenant aux images des dieux ? »
MEMNON (1er siècle).
Historien grec, auteur d’une histoire d’Héraclée, aujourd’hui perdue, mais dont certains extraits nous ont été conservés par un patriarche de Constantinople appelé Photios, au IXe siècle ; avec 279 autres notices sur différentes œuvres littéraires. L’ensemble est connu sous le nom de Bibliothèque de Photios. La notice qui nous intéresse est le codex numéro 224 (l’histoire d’Héraclée).
BIBLIOTHÈQUE DE PHOTIUS
Codex 224. Histoire d’Héraclée.
J’ai lu l’ouvrage historique de Memnon, depuis le neuvième livre jusqu’au seizième…
Ce fut donc à ces conditions-là que Nicomède fit passer cette multitude de Celtes en Asie [Mineure]. Ils avaient 17 grands chefs, dont les plus importants et les plus connus étaient Léonorios et Lutarios.
Le débarquement des Celtes en Asie sembla ne devoir apporter que malheur et désolation à ses habitants, mais finira par tourner à leur avantage. Les rois essayaient de mettre fin à la démocratie dans les cités, les Celtes la renforcèrent, en repoussant leurs oppresseurs [ceux desdites cités]. Nicomède, après avoir armé les Celtes, commença par conquérir la Bithynie et massacrer ses habitants avec l’aide des Héracléens. Les Celtes se partagèrent entre eux ce qui restait du butin. Après avoir avancé par tout le pays, les Celtes se retirèrent et choisirent de garder pour eux la région du pays que l’on appelle maintenant la Galatie. Et iIs divisèrent cette terre entre les trois tribus que constituaient les Trocmes, les Tolistobogiens et les Tectosages. Chacune d’entre elles se donna une capitale, les Trocmes à Ancyre, les Tolistobogiens à Tabie et les Tectosages à Pessinonte.
ANONYME DU VATICAN (IIIe au Ier siècle avant notre ère).
Le paradoxographe du Vatican. En latin Paradoxographus vaticanus ou Anonymus vaticanus. Auteur grec dont on ne connaît pas le nom, mais qui a procédé à un recueil de faits curieux ou
152
franchement anormaux ; et dont le manuscrit (62 fragments) a été retrouvé dans la bibliothèque du Vatican. D’où son nom. Dans son œuvre intitulée (faute de mieux) « Choses extraordinaires ». Le plus extraordinaire d’ailleurs, c’est que même les Japonais la connaissent…
cf. web.kyoto-inet.or.jp/people/tiakio/cicada/vaticanus.html)…
on peut lire ce qui suit.
Fragment N° 17.
Chez les Germains, on vérifie la légitimité des nouveau-nés en les plongeant dans le Rhin.*
Fragment N° 24.
Les Celtes, en temps de disette ou de peste, fouettent les femmes, qu’ils considèrent comme la cause de ces calamités.
Fragment N° 44.
Chez les Galates, si un criminel donne un cheval ou une trompette, il est absous.**
Quand ils décident une guerre, ils prennent l’avis des femmes et le suivent ; en cas de défaite, ils jettent hors de leur territoire la tête des femmes qui ont décidé la guerre.***
Notes de l’éditeur.
*Cliché ! Voir ci-dessous dans l’anthologie grecque.
** S’il donne une compensation financière ? ayant la valeur d’un cheval ? voire d’une trompette ?
***Les fauteurs de guerre sont donc châtiés ! César a fait de même avec l’infortuné Gutuater, qui a ainsi payé de sa vie son patriotisme.
PSEUDO-PLAUTE (Ve siècle).
La comédie latine appelée Querolus ou Aulularia n’est pas à confondre avec la véritable Aulularia qui est de Plaute. Il s’agit en réalité d’un autre texte rédigé par un auteur inconnu. Ce Querolus (grincheux) ou Aularia (petite marmite) que l’on attribue généralement, mais tort, à l’écrivain latin Plaute, a sans doute été composée au début du Ve siècle. On peut y lire ce qui suit.
QUEROLUS.
ACTE I.
Scène 2.
LE LARE : Ha ! Ha ! He ! Ce que tu demandes c’est le brigandage et non le pouvoir. Par Pollux je ne sais pas comment cela pourrait t’être accordé. Néanmoins je crois bien avoir trouvé, tu as ce que tu désires : va-t’en sur les bords de la Loire.
QUEROLUS : Pourquoi donc ?
LE LARE : des hommes vivent en suivant le droit naturel ; il n’y a nulle imposture : les sentences capitales sont rendues au pied du chêne et sont écrites sur des os. les paysans plaident et des particuliers jugent. Tout est permis ! Si tu es riche, on t’appellera Patus : ainsi parle-t-on dans cette Grèce. O forêts, ô solitudes ! qui n’a point prétendu que vous étiez libres ? Et il y a bien d’autres choses plus importantes encore que nous ne te disons pas, mais cela doit te suffire.
QUEROLUS : je ne suis pas riche, et je n’ai que faire des chênes. Je ne veux pas de cette justice des bois !
PHILÉMON (361 à 263 avant notre ère environ).
Poète grec de la nouvelle comédie, rival de Ménandre, auteur de 97 pièces dont il ne reste que des fragments.
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans l’une d’entre elles selon Athénée.
153
Et Ulpien, comme s’il avait fait une découverte, et alors que Myrtilos était toujours en train de parler, demanda.
Le mot tigris a-t-il un féminin?? Car je sais que Philémon a écrit dans sa pièce intitulée Néérée :
Comme Séleucos nous a envoyé une tigresse
Que nous avons vue nous-mêmes, il faudrait bien en retour
Envoyer au Séleucide une de nos bêtes des plus féroces.
Envoyons-lui un trigeranos, car c’est un animal que l’on ne trouve pas dans son pays.
ULPIEN (170-223).
Juriste et homme politique romain. Il est l’auteur le plus cité dans le Digeste de Justinien.
Ci-dessous donc, un extrait du Digeste de Justinien reprenant sa doctrine sur un point de droit très précis.
LE DIGESTE OU PANDECTES.
LIVRE XXXII.
TITRE I.
DES LEGS, DERNIÈRES VOLONTÉS OU TESTAMENTS.
11. Ulpien, dernières volontés ou testaments, Livre II.
« Les dernières volontés ou les testaments [en latin fideicommissa] peuvent être exprimés en n’importe quelle langue, en latin et en grec, mais aussi en carthaginois, en celte, voire dans l’idiome de toute autre nation ».
Auquel on peut ajouter le fragment suivant, extrait des Tituli ex corpore Ulpiani, qui ne sont sans doute pas d’Ulpien malgré leur intitulé, mais qui datent de la même époque.
TITULI EX CORPORE ULPIANI.
TITRE XXII.
QUI PEUT ÊTRE INSTITUÉ HÉRITIER ?
6. Nous ne pouvons faire d’aucun dieu notre héritier, à l’exception de ceux en faveur desquels il nous est permis d’agir ainsi ; par sénatus-consulte, décret du sénat, constitutions impériales ou décisions de l’Empereur. Par exemple le Jupiter tarpéien, l’Apollon de Didyme à Milet, le Mars de Celtique, la Minerve de Troie, l’Hercule de Cadix, la Diane d’Éphèse, la Mère des dieux du mont Sipyle, la Némésis honorée à Smyrne, et la déesse céleste * des salines de Carthage.
* Note de l’éditeur. Caelestis. Sans doute Tanit dans l’interprétation romaine.
HÉCATÉE (IVe ou IIIe siècle avant notre ère).
Hécatée d’Abdère. Philosophe et historien grec, auteur d’un ouvrage sur les Hyperboréens. Cité par Diodore de Sicile.
154
Dans les régions situées au-delà des Celtes, il y a dans l’Océan une île pas plus grande que la Sicile. Cette île est située au nord, elle est habitée par les Hyperboréens, qui sont appelés ainsi, car leur pays est l’endroit d’où souffle le vent du nord ; l’île est à la fois fertile et productrice de toute culture, et s’il arrive que le climat soit tempéré, elle produit deux récoltes chaque année. Leto naquit sur cette île, et c’est pour cette raison qu’Apollon est honoré par eux plus que tout autre dieu ; ses habitants sont considérés comme des prêtres d’Apollon, car ils ont l’habitude de prier ce dieu chaque jour, continuellement et en chanson, voire de l’honorer avec excès. Il y a aussi sur l’île à la fois une magnifique enceinte consacrée au dieu Apollon et un temple remarquable [Stonehenge ?] orné de nombreuses offrandes, qui est de forme circulaire. De plus, il y a une ville entière consacrée au dieu, dont la plupart des habitants sont des joueurs de cithare ; ils jouent continuellement de leur instrument dans le temple, et chantent des hymnes de louange au dieu, en glorifiant ses actions.
JULIEN (331-363).
Empereur romain, mais aussi un des principaux auteurs grecs du IVe siècle.
Dans une de ses œuvres intitulée « l’ennemi de la barbe » ou « misopogon » en grec, on peut lire ceci.
Ne soyez donc pas surpris si je suis aujourd’hui dans les mêmes sentiments vis-à-vis de vous, car je suis plus sauvage que lui, et plus farouche ou têtu en proportion, comme le sont les Celtes par rapport aux Romains. Lui était à Rome et avait vécu parmi les citoyens romains jusqu’au seuil de sa vieillesse. En ce qui me concerne, j’ai le faire parmi les Celtes et les Germains en pleine forêt d’Hercynie, dès que je fus considéré comme adulte, et j’ai vécu avec eux pendant longtemps, comme un chasseur associé ou mêlé aux bêtes fauves. j’ai rencontré des tempéraments qui ne savent ni faire la cour ni flatter, mais seulement se comporter en homme libre et simple, également avec tout le monde [en grec haplos de kaì eleutheros ek tou ísou pasi prospheresthai].
Dans son deuxième panégyrique en l’honneur de l’empereur Constance on peut lire ce qui suit.
Exploits héroïques de Constance.
Ils disent que les Celtes aussi ont un fleuve qui est l’incorruptible juge [de la légitimité] de leur descendance, et que ne peuvent fléchir ni les cris des mères désireuses de cacher ou de dissimuler leur faute, ni les pères qui craignent pour leurs femmes et leurs fils ainsi éprouvés, mais qui est un arbitre n’ayant jamais failli ni rendu de faux jugement. Mais nous sommes sensibles, nous, à la richesse, à la force physique dans toute sa perfection, à la puissance des ancêtres, des influences qui ne nous permettent pas de voir clairement l’âme qui, etc.
Dans une de ses lettres adressée au philosophe Maxime (l’épitre 16), on peut lire ce qui suit.
Assurément le Rhin ne trompe pas les Celtes, car il engloutit dans ses tourbillons leurs enfants bâtards, vengeant ainsi le lit conjugal souillé par un adultère ; mais ceux qu’il reconnaît être de légitimes descendants il les porte sur ses flots et les rend aux bras de leur mère tremblante, la récompensant ainsi par la préservation de son enfant de son respect absolu des liens sacrés du mariage……
Note de la rédaction. Certains auteurs avancent qu’il s’agissait aussi de les endurcir au froid.
MAXIME DE TYR (125-185).
Philosophe et rhéteur grec. Auteur de 41 dissertations portant sur des sujets divers.
Voici ce que l’on peut lire dans l’une d’entre elles, la numéro XXXVIII qui s’interroge sur la représentation des dieux.
155
DISSERTATION XXXVIII.
Peut-on faire des représentations [en grec agalma, voir note de l’éditeur ci-dessous] des dieux ?
Les dieux aident l’Humanité, les dieux, quels qu’ils soient aident chacun de nous ; mais certains dieux sont considérés comme prêtant assistance plus particulièrement à certains, si l’on en croit la rumeur de leur nom…
Les Celtes en effet rendent un culte à Zeus, mais la statue * celtique de Zeus [en grec agalma] est un grand chêne. Les Péoniens rendent un culte au soleil, mais la représentation péonienne du soleil est un petit disque accroché à un mât.
* Note de l’éditeur. Taylor a tort de traduire le mot grec « agalma » par « statue ». Son sens est beaucoup plus générique. Il est tiré de la racine agal signifiant « orner, se réjouir ». Voir aussi le verbe grec agallein qui veut dire à la fois parer, mais aussi honorer en offrant des présents. L’agalma est donc au départ une œuvre d’art ou un objet précieux offert à un dieu, par extension une image du dieu ainsi reconnu.
ANONYME DE L’ANTHOLOGIE GRECQUE
(fin IIIe, début IIe siècle, avant notre ère).
Poème 125, inclus dans l’anthologie grecque ou palatine en 13 volumes, publiée de 1798 à 1814 par Christian Friedrich Jacobs, d’après le manuscrit palatin. Catégorie « épigrammes descriptives et déclamatoires ». Une épigramme plus ancienne que celle de Properce, et remontant vraisemblablement à la fin du IIIe ou au début du IIe siècle avant notre ère.
ANTHOLOGIE GRECQUE VOLUME 3.
LIVRE IX.
125. Anonyme.
Les braves celtes vérifient la légitimité de leurs enfants dans le Rhin jaloux
Et aucun d’entre eux ne se regarde comme le père de l’enfant
Jusqu’à ce qu’il l’ait vu baigner dans ce vénérable fleuve.
Immédiatement après que l’enfant a glissé du sein de sa mère et versé ses premières larmes
Le père lui-même le prend et le place sur son bouclier
Sans se soucier de ses souffrances, car il ne réagit pas comme un père à son égard
Tant qu’il n’a pas pu le voir jugé ainsi par un bain dans ce fleuve
Preuve de la fidélité de son épouse.
Et le cœur de la mère se serre ajoutant ainsi de nouvelles souffrances à celles de l’accouchement
Bien qu’elle sache parfaitement qu’il est le vrai père de l’enfant
Elle attend dans l’angoisse et en tremblant le verdict de l’onde incertaine.
SOLIN (IVe siècle).
Caius Julius Solinus. Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé Collectanea rerum memorabilium ou Polyhistor, un Recueil de curiosités sur les diverses régions du monde. Ci-dessous ce que l’on y trouve !
Chapitre XXII.
156
La [Grande] Bretagne est entourée par beaucoup d’îles notables, dont l’une d’entre elles, l’Irlande, est très proche pour ce qui est de l’étendue. Cette dernière est inhospitalière du fait de la sauvagerie de ses habitants, mais elle a tant de pâturages, que si l’on n’en sort pas le bétail de temps en temps, il s’en repaîtrait jusqu’à en devenir malade ; sur cette île on ne trouve aucun serpent, et peu d’oiseaux, mais un peuple inamical et belliqueux. Après avoir fait couler le sang des vaincus, les vainqueurs s’en barbouillent la figure. Ils ne font pas la différence entre le bien et le mal…
Le tour de la [Grande] Bretagne est de 48658 fois mille pas (quatre mille huit cent soixante-cinq millia passuum). Il y a dans cette île beaucoup de grandes rivières, des sources d’eau chaudes somptueusement aménagées à l’usage des mortels. Minerve en est la déesse tutélaire et dans son temple brûlent des feux perpétuels qui ne donnent jamais de cendre, mais plutôt des globes durs comme de la pierre, quand la flamme les a quittés.
CALLIMAQUE (– 305 – 240).
Poète grec.
HYMNE À DÉLOS.
IV.
Et un jour viendra où il te faudra mener un terrible combat commun à nos côtés,
Quand les Titans d’une autre époque lèveront contre les Hellènes l’épée barbare et l’Arès celte
Et de l’extrême occident se précipiteront comme des flocons de neige,
Aussi nombreux que les étoiles qui abondent dans le ciel.
Même les cités, ainsi que les forteresses des Locriens, les hauteurs de Delphes, et les plaines de Crissa
Cernées ou envahies de tous côtés par ces barbares
Verront une épaisse fumée monter de la maison de leur voisin dévastée par les flammes
Et n’entendront plus seulement une rumeur enfler au loin.
Alors on verra aussi au pied du temple grouiller l’ennemi en rangs serrés
Prés de mes trépieds sacrés leurs épées, leurs baudriers maudits et leurs odieux boucliers,
Qui n’empêcheront pas tous ces fous de Galates de finir dans un bain de sang.
De ces boucliers une partie sera ma récompense,
Les autres, après avoir vu leurs porteurs périr au milieu des flammes
Sur les bords du Nil serviront de paiement à un prince infatigable.
Ô, Ptolémée, telles sont les prophéties que j’ai pour toi !
TIMÉE (environ – 345 – 250 avant notre ère).
Historien grec. Originaire d’une cité appelée Tauroménion. Auteur d’une volumineuse histoire en 38 volumes dont seuls quelques fragments nous sont parvenus. Cité par Diodore (voir ce nom).
« Les Argonautes, après s’être emparés de la toison d’or, apprenant que l’entrée du Pont était bloquée par la flotte d’Aeétès, accomplirent alors un exploit digne d’être mentionné. Ils remontèrent à la voile le Tanaïs aussi loin que possible, en direction de sa source, et arrivés
157
tirèrent le navire à terre pour emprunter un autre fleuve qui se jette dans la mer, en le descendant à la voile jusqu’à l’Océan. Et ensuite ils naviguèrent du nord vers l’ouest, en ayant la terre à leur gauche, et quand ils furent arrivés dans les environs de Gadeira (Cadix), pénétrèrent dans notre Mer [la Méditerranée]… Les Celtes qui demeurent le long des côtes de l’Océan adorent les Dioscures plus que tous les autres dieux, puisqu’il existe chez eux une tradition remontant à la plus haute antiquité comme quoi ces dieux seraient apparus dans leur pays venant de l’océan. La contrée qui borde l’Océan regorge de noms évoquant les Argonautes et les Dioscures… »
SAINT CLÉMENT D’ALEXANDRIE (150-215).
Un des Pères de l’Église. Ses Stromates sont pour l’essentiel une réfutation des hérésies et un exposé de la vraie gnose selon lui. Reprend des passages d’Alexandre Polyhistor sur les rapports entre les druides et Pythagore.
LES STROMATES.
LIVRE I.
Chapitre XV.
Alexandre, dans son livre sur les symboles pythagoriciens, rapporte que Pythagore était un élève de Nazaratus l’Assyrien (quelques-uns pensent que c’est Ézéchiel, mais ce n’est pas le cas, comme cela va être démontré plus loin). En outre, il prétend également que Pythagore fut un élève des Galates et des brahmanes. Cléarque le péripatéticien nous dit qu’il a connu un juif qui…
C’est ainsi que la philosophie, un enseignement de la plus haute utilité, fut florissante parmi les barbares durant l’Antiquité, répandant ainsi ses lumières sur les nations. De elle passa en Grèce. Au premier rang de ces philosophes il y eut les prophètes égyptiens, les Chaldéens chez les Assyriens, les druides chez les Celtes, les Samanéens chez les Bactriens, les philosophes des Celtes, et enfin les mages des Perses qui annoncèrent la naissance du Sauveur, et vinrent en Judée guidés par une étoile.
JULIUS CAPITOLINUS (fin IIIe siècle, début IVe).
Est un des six auteurs fictifs de la collection de biographies dite « Histoire auguste ». D’après certains il s’agirait, ainsi que nous l’avons dit, d’un faux rédigé en fait par un seul et même auteur à la fin du IVe siècle.En tout cas ci-dessous ce que l’on peut lire dans sa vie des deux Maximins.
Chapitre XXII.
C’est pourquoi, quand Maximin trouva qu’il assiégeait Aquilée en vain, il envoya des ambassadeurs dans cette ville. Et le peuple leur aurait presque cédé, s’il n’y avait pas eu Ménophile et son collègue pour s’y opposer, en disant que le dieu Belenos avait déclaré par
158
l’intermédiaire des devins que Maximin serait vaincu. À la suite de cela les soldats de Maximin prétendirent, dit-on, qu’Apollon devait avoir combattu contre eux, et qu’en fait la victoire n’appartint pas au Sénat et à Maxime, mais aux dieux. D’un autre côté, d’autres disent qu’ils avançaient cette explication parce qu’ils avaient honte que des hommes armés comme eux aient été vaincus par des civils pratiquement désarmés.
ÉLIEN (fin du IIe siècle – début du IIIe).
Auteur romain de langue grecque.
HISTOIRES DIVERSES.
LIVRE XII.
Chapitre XXIII.
Les Celtes sont de tous les hommes les plus enclins à s’exposer au danger. Ils prennent pour sujets de leurs chants ceux qui sont morts héroïquement sur le champ de bataille. Ils combattent couronnés de fleurs et ils érigent des trophées, après avoir triomphé de leurs ennemis, afin de laisser des monuments de leur valeur à la manière grecque. Ils estiment si déshonorant de fuir que souvent ils ne veulent pas sortir de leurs maisons alors même qu’elles sont en train de s’écrouler ou de brûler, même s’ils sont déjà entourés par les flammes. Beaucoup d’entre eux également s’opposent aux débordements de la mer qui les inonde. Il en est même qui prennent leurs armes, se précipitent sur les vagues, et leur résistent de toutes leurs forces, en agitant leur épée ou en brandissant leur lance, comme s’ils pouvaient leur faire peur, voire leur infliger des blessures.
JAMBLIQUE (245-325 environ).
Philosophe néoplatonicien. Auteur, entre autres, de commentaires sur la vie de Pythagore, l’on peut lire ceci…
Chapitre XXX.
Pythagore avait un esclave nommé Zalmoxis, originaire de Thrace. Après avoir entendu des exposés de Pythagore, et avoir été affranchi, Zalmoxis retourna chez les Gètes, et là, comme déjà mentionné au début de cet ouvrage, il exhorta ses concitoyens à la bravoure, en les persuadant que l’âme/esprit [psyché en grec] est immortelle. À tel point qu’aujourd’hui encore les Galates et les Triballes [ouTralles] ainsi que beaucoup d’autres barbares, persuadent leurs enfants que l’âme/esprit [psyché en grec] ne peut être anéantie, mais qu’elle survit à la mort, de sorte qu’il ne faut point redouter cette dernière, et qu’il faut affronter les dangers de façon ferme et virile. Pour avoir instruit les Gètes en ces domaines, et leur avoir donné des lois écrites, Zalmoxis fut considéré par eux comme le plus grand de leurs dieux.
DIOGÈNE LAERCE (début du IIIe siècle).
Poète et doxographe grec.
VIES, DOCTRINES, ET SENTENCES DES PHILOSOPHES CÉLÈBRES.
LIVRE I.
Prologue.
159
I. Certains affirment que l’étude de la philosophie a commencé chez les barbares. Les Perses ont eu leurs mages, les Babyloniens ou les Assyriens leurs chaldéens, les Indiens leurs gymnosophistes ; et parmi les Celtes il y a eu ceux que l’on appelait druides ou semnothées (les saints hommes) ; et pour cela ils donnent comme source le traité sur la magie d’Aristote et Sotion dans son vingt-troisième livre sur la succession des philosophes.
VI. Mais les avocats de la thèse que la philosophie a pris naissance chez les barbares continuent en expliquant les différentes formes qu’elle a revêtues dans certains pays. Comme les gymnosophistes, et les druides que l’on dit avoir formulé leur enseignement sous forme de courtes sentences énigmatiques, recommandant par exemple d’honorer les dieux, de ne rien faire de mal, et d’être un homme, un vrai.
LAMPRIDE (fin du IIIe siècle début du IVe siècle).
Aelius Lampridius. Un des six auteurs fictifs de la collection de biographies dite « Histoire auguste ». D’après certains il s’agirait d’un faux rédigé en fait par un seul et même auteur à la fin du IVe siècle.
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans sa vie d’Alexandre Sévère.
HISTOIRE AUGUSTE.
VIE D’ALEXANDRE SÉVÈRE.
Chapitre LX.
Il régna neuf ans et treize jours et vécut vingt-neuf ans trois mois et sept jours. Tout ce qu’il fit ce fut toujours conformément à l’avis de sa mère et il mourut tué avec elle. Les présages annonçant sa mort furent les suivants… Alors qu’il partait en guerre, une druidesse [en latin mulier druias] lui cria en langue celte : « Vas-y, mais n’espère pas trop en la victoire et ne fais pas confiance à tes soldats ! » Quand il monta sur une tribune afin de s’adresser à ses troupes…
PÉTRONE (environ 27-66).
Écrivain latin à qui l’on attribue, peut-être à tort, le Satyricon. Voici ce que l’on peut lire dans cet ouvrage.
LE SATYRICON.
VOLUME IV.
160
Encolpe, Giton et Eumolpe s’échappent par la mer.
Chapitre CXXII.
Là-haut dans les Alpes, où les rochers jadis foulés par un dieu grec
Descendent vers la plaine et se laissent approcher, il y a un sanctuaire
Où se dresse un autel dédié à Hercule, l’hiver de la neige durcie le rend inaccessible
Et dresse vers le ciel un sommet toujours blanc,
Et bien que le ciel lui soit tombé sur la tête, aucune chaleur émanant des rayons du soleil,
Aucune brise printanière, ne peut adoucir la rigueur hivernale de ses pics de glace
Ni desserrer les chaînes qui l’emprisonnent ; et ses épaules menaçantes
Pourraient porter tout le poids du monde…
AURELIUS VICTOR (environ 325-390).
Sextus Aurelius Victor dit Aurelius Victor. Historien et homme politique romain né en Afrique.
LIVRE DES CÉSARS (en latin Liber de caesaribus).
Chapitre IV.
Claude, bien qu’il ne soit qu’un ignoble esclave de son ventre, idiot tout autant qu’oublieux, d’une nature timide et assez couard, néanmoins à cause de son hésitation permanente justement, prit quelques décisions remarquables, en particulier sur les conseils de certains nobles qu’ils courtisaient à cause de la crainte qu’ils lui inspiraient. Car les simples d’esprit, voyez-vous, font ce que leurs conseillers leur disent de faire. Bref, à cause de ces bons conseils, il fut mit fin aux débordements de toutes sortes de vices comme les fameuses superstitions des druides [en latin Drysadarum famosae superstitiones] à travers toute la Celtique, les lois les plus salutaires possibles furent prises, et les problèmes militaires traités.
VIRGILE OU VERGILIUS (– 70 – 19).
Écrivain et poète latin. Divers auteurs ont mis en évidence une influence celte cisalpine dans son œuvre. Ses Géorgiques sont par exemple une ode à l’agriculture celte. Le gui joue un rôle important dans la descente d’Énée aux enfers, etc.
Ci-dessous le court et très mineur poème attribué à Virgile (la deuxième épigramme du Catalepton, contre le rhéteur Annius Cimber) mentionnant le tau gallicum.
LE CATALEPTON.
I
O Tucca, Delia vient souvent à toi et…
161
II
Cet amateur de mots corinthiens ou obsolètes ;
Ce rhéteur que voici, à la vérité ce parfait
Thucydide ou Britannus ! Tyran de la fièvre attique !
Barbouilleur et scribouilleur de tau gallicum, de min et de psin,
Et ce afin qu’il lui arrive du mal,
A préparé pour son frère une mixture de toutes ces choses.
ALEXANDRE POLYHISTOR (Ier siècle avant notre ère).
Polygraphe grec qui vivait à Rome au premier siècle avant notre ère et qui dans un de ses nombreux ouvrages (symboles pythagoriciens) dresse une liste des philosophies « barbares » ayant un rapport plus ou moins lointain avec les doctrines de Pythagore.
Clément d’Alexandrie (150-215), dans ses Stromates (pour l’essentiel une réfutation des hérésies) I, 15, le cite. Ci-dessous ce que note précisément Clément.
« Alexandre, dans son livre sur les symboles pythagoriciens, rapporte que Pythagore était un élève de Nazaratus l’Assyrien (quelques-uns pensent que c’est Ézéchiel, mais ce n’est pas le cas, comme cela va être démontré plus loin). En outre, il prétend également que Pythagore fut un élève des Galates et des brahmanes ».
Cité aussi par Cyrille d’Alexandrie, dans son livre écrit contre Julien l’Apostat.
SUÉTONE (69/75 – 130).
Érudit romain connu pour sa vie des douze césars (de Jules César à Domitien).
On peut lire ce qui suit dans sa vie de Tibère.
XIV.
Quand plus tard, sur sa route pour aller en Illyrie, près de Padoue, il consulta l’oracle de Géryon, un tirage au sort lui indiqua de chercher une réponse à ses questions en jetant des dés en or dans la fontaine d’Aponus, or il arriva que le ainsi lancé amena le plus élevé des nombres possibles ; ces dés peuvent encore être vus de nos jours au fond de l’eau.
On peut lire ce qui suit dans sa vie de Galba.
VIII.
Peu de temps après la foudre tomba dans un lac de Cantabrie et douze haches y furent trouvées, le présage indubitable d’un futur pouvoir suprême.
PARTHÉNIOS (Ier siècle avant notre ère).
Poète grec. Auteur d’un recueil de 36 histoires d’amour, malheureuses, en prose.
Ci-après la numéro XXX.
AVENTURES AMOUREUSES.
L’HISTOIRE DE CELTINE.
On dit qu’Hercule, alors qu’il ramenait d’Érythie le bétail de Géryon, errant à travers le pays des Celtes, arriva un jour chez Bretannos, qui avait une fille appelée Celtine. Celtine tomba
162
immédiatement amoureuse d’Hercule, cacha son bétail, et refusa de lui rendre tant qu’il ne serait pas venu la prendre dans ses bras. Hercule était bien entendu impatient de ramener son troupeau sain et sauf, mais il était encore plus sensible à l’extraordinaire beauté de Celtine. Il accéda donc à ses désirs, et neuf mois plus tard leur naquit un fils appelé Celtos, d’où la race celtique tire son nom.
PROPERCE (– 47 + 16).
Poète latin. Auteur de quatre livres d’élégies.
Dans l’une d’entre elles, consacrée au temple de Jupiter férétrien, on peut lire ce qui suit.
LIVRE IV.
10.
Le temple de Jupiter férétrien.
Claude aussi refoula l’ennemi au-delà du Rhin après qu’ils l’eurent traversé,
Et on y amena donc le bouclier belge du gigantesque chef appelé Viridomar.
Il se vantait d’être issu du Rhin lui-même,
Et s’avérait habile à lancer des javelots du haut de son char.
Il les lançait tout en avançant dans ses braies rayées à la tête de son armée :
Son torque gravé roula par terre avec sa tête, la gorge tranchée.
Aujourd’hui ces trois dépouilles sont exposées dans ce temple.
CELSE (IIe siècle).
Philosophe grec, auteur d’un ouvrage d’analyse du christianisme, intitulé « le discours véritable », composé vers 178. Ce livre a été détruit ou censuré par les chrétiens, mais de nombreux fragments nous en sont quand même parvenus.
En voici un, cité par Origène dans son Contre Celse. Livre I, chapitre XVI.
« Il [Celse] considère les Galactophages d’Homère, les druides des Celtes, et les Gètes, comme les plus anciennes tribus ayant eu des érudits, à cause de la ressemblance entre certaines de leurs traditions et celles des juifs, alors que j’ignore si certains de leurs récits ont survécu ; et dans ses mensonges, ne prive que les Hébreux d’un tel privilège… »
PHILOSTRATE (environ 170 – 247).
Dit l’Athénien. Sophiste et biographe, auteur de la vie d’Apollonios de Tyane. On peut lire dans le livre Nº VII de cette vie d’Apollonios de Tyane, ce qui suit.
Chapitre IV.
Le résultat en fut que, alors que le Sénat voyait ses membres les plus distingués décapités, la philosophie en fut réduite à se recroqueviller dans un coin, au point même que certains de ses adeptes se déguisèrent et coururent se réfugier chez les Celtes d’Occident, pendant que les autres fuyaient dans les déserts de Libye et de Scythie, ou que d’autres encore s’abaissaient jusqu’à faire des discours minimisant ses crimes.
163
PHILOSTRATE DE LEMNOS (IIIe siècle. Gendre du précédent).
Voici ce que l’on trouve dans son œuvre intitulée Eikones en grec (ce qui signifie les images ou tableaux).
LIVRE I.
Chapitre XXVIII.
ces pigments, à ce qu’on dit, les Barbares vivant au bord de l’Océan les coulent sur du bronze incandescent, ils s’y combinent, durcissent, et conservent les formes qu’on y a dessinées.
NICANDRE (IIe siècle avant notre ère).
Nicandre de Colophon. Grammairien, poète et médecin grec. Auteur de nombreuses œuvres dont deux seulement nous ont été conservées.
Cité par Tertullien.
DE L’ÂME/ESPRIT (en latin De Anima).
Chapitre LVII.
Magie et sorcellerie ne sont évidentes que dans leurs effets. Dieu seul peut ressusciter les morts.
[Les Nasamons par exemple consultent les oracles en restant souvent et longtemps près des tombeaux de leurs parents ; comme on peut le lire dans Héraclide, Nymphore ou Hérodote ; et]
les Celtes, dans le même but, passent la nuit près des tombeaux de leurs chefs les plus courageux, ainsi que l’affirme Nicandre.
ARÉTÉE (Ier siècle de notre ère).
Dit « de Cappadoce ». On a venant de lui un ouvrage en huit livres. Voici ce que l’on trouve dans celui qui traite du soin des maladies chroniques.
DE LA CURE DES MALADIES CHRONIQUES.
LIVRE II.
Chapitre XIII.
De la cure de l’éléphant.
164
Il y a de nombreux autres remèdes…… ceux des Celtes… ces substances alcalines moulées en forme de boule, avec lesquelles ils font la lessive de leurs habits, appelées savon, et avec lesquelles il est très efficace de nettoyer le corps lors d’un bain. Le pourpier ainsi que la joubarbe dans du vinaigre… sont aussi très bons.
CLAUDIEN (370-408).
Poète romain, mais dont la langue maternelle était le grec.
Dans sa première invective contre Rufin, on trouve la mention suivante.
INVECTIVE CONTRE RUFIN (premier poème).
LIVRE I.
Vers 129-134.
Il y a un endroit la Celtique déroule ses plus lointains rivages devant les vagues de l’Océan,
Où il est dit qu’Ulysse appela par des libations de sang les ombres silencieuses des morts.
On peut y entendre les gémissements de ces ombres quand elles se meuvent dans un faible bruissement d’ailes
Et les paysans habitant ces lieux peuvent apercevoir les pâles fantômes qui passent lentement
Ainsi que les ombres des défunts.
JUVÉNAL (fin du Ier siècle, début du IIe).
Poète satirique latin.
Dans une de ses satires, on peut lire ce qui suit…
LIVRE III.
Satire 8.
Vers 156.
En attendant, même s’il immole des brebis et de jeunes taureaux à la robe fauve
À la façon de Numa, devant l’autel de Jupiter
Il ne jure par aucune autre divinité qu’Épona,
Et les images peintes sur les murs de ses écuries puantes.
165
Scholies et gloses d’après Johannes Zwicker (Fontes historiae religionis celticae, Berlin, 1934).
Hippona était la déesse des juments et des palefreniers : ippos = cheval.
Épona est la déesse des femmes.
Note : Ypona donc avait un temple à Rome, dans lequel, comme dans les écuries ou en tous lieux où il y avait des juments, trônait une peinture la représentant.
HÉSIODE (VIIIe siècle avant notre ère).
Poète grec. Principalement connu pour sa réécriture des mythes, dans les œuvres intitulées « Théogonie » ou « Les travaux et les jours ».
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans sa Théogonie.
Vers 335-342.
Et Théthys donna donc à l’Océan des fleuves au cours sinueux, le Nil, l’Alphée, le [en grec Éridan] aux gouffres profonds, le Strymon, le Méandre, le Danube [en grec Istros] aux belles eaux… Elle enfanta également toute une compagnie sacrée de filles qui, avec le prince Apollon et les Fleuves, eurent à charge la jeunesse…
ÉPHORE (IVe siècle avant notre ère).
Orateur et historien grec. Composa vers 340 une histoire universelle des Grecs. Cité par Diodore de Sicile et Strabon.
« La plus grande partie du pays que nous appelons l’Ibérie, jusqu’à Gadira, est habitée par des Celtes. Ce sont des amis des Hellènes. Ils s’évertuent à ne devenir ni gros ni ventrus, et tout jeune homme qui excède la mesure d’une certaine ceinture, est puni. C’est une de leurs particularités ».
Note de l’éditeur. Nous ne savons pas d’où Éphore tirait ses informations.
CELSE (environ – 25 + 50).
Aulus Cornelius Celsus. Médecin ou Docteur de l’Antiquité.
TRAITÉ SUR LA MÉDECINE.
LIVRE VII.
Chapitre VII.
15.
Bien plus efficace est la méthode africaine ; ils cautérisent le cuir chevelu jusqu’à l’os de manière à en susciter l’exfoliation. Mais il n’y a rien de mieux que ce qui se pratique en Transalpine ; là-bas on choisit des vaisseaux sanguins sur les tempes ainsi que sur le sommet de la tête [et on les cautérise].
166
HÉSYCHIOS (VIe siècle).
Grammairien grec d’Alexandrie. Son GLOSSAIRE contient quelques mots donnés comme celtes. Ce dictionnaire ayant à peu près 50 000 entrées, il va de soi que nous ne saurions le reproduire intégralement ici. De toute façon, seule une soixantaine de mots sont donnés comme galates ou celtes. Quelques exemples.
Abanas : singes.
Braccai : peaux de chèvre, chez les Celtes (braie, culotte, pantalon).
Embrecton : sorte de boisson fermentée.
Kurtiai : sorte de bouclier.
Legousmata ou leiousmata. Sorte de cuirasse ou d’armure.
Etc. Etc.
CATON L’ANCIEN (– 234 – 149).
Écrivain et homme d’État romain. Dans un des fragments nous restant de ses œuvres, on peut lire la remarque suivante.
LES ORIGINES.
LIVRE II.
Fragment N° 34.
En général, la Celtique cultive deux choses de la façon la plus assidue : l’art de la guerre et parler subtilement [en latin argute loqui].
MACROBE. Auteur latin né vers 370 à Sicca en Afrique.
Flavius Macrobius Ambrosius Theodosius. Connu essentiellement pour deux de ses écrits, les Saturnales et des commentaires sur le songe de Scipion. Ci-dessous ce que l’on peut lire dans le chapitre XIX du premier livre de ses Saturnales.
LES SATURNALES.
LIVRE I.
Chapitre XIX.
« Les Accitains, nation espagnole, honorent très religieusement, sous le nom de Néton, un simulacre de Mars orné de rayons ».
167
168
SUPPLÉMENT.
GRÉGOIRE DE TOURS (539-594).
Évêque. Historien de l’Église. Principales œuvres : Histoire des Francs. Les sept livres des miracles. Les 7 livres des miracles sont composés des textes suivants : De la gloire des martyrs, des miracles de saint Julien, 4 livres de miracles de saint Martin et enfin le livre intitulé « De la gloire des confesseurs », le seul qui nous intéresse quelque peu en fait.
Ci-dessous ce que l’on peut trouver dans son histoire des Francs.
LIVRE I.
Chapitre XXXII.
Valérien et Gallien furent les vingt-septièmes à recevoir les pouvoirs de l’empereur romain, et mirent en place une persécution sans pitié, des chrétiens. Corneille illustra Rome par son martyre de bienheureux, et de même Cyprien à Carthage. À la même époque Chrocus, le grand roi des Alémans leva une armée pour envahir la Celtique continentale. Ce Chrocus était, dit-on, très arrogant. Et après avoir commis un grand nombre de crimes, il rassembla donc la tribu des Alémans, ainsi que nous l’avons vu, sur les conseils de sa maudite mère ; et fit des incursions dans toute la Celtique continentale, et renversa de leurs fondations tous les temples qui avaient été jadis construits dans ce pays. En arrivant par exemple en Auvergne il incendia, renversa, et détruisit, le temple qu’ils appellent Vasso Galatae en langue celtique. Il avait été construit très solidement, mais avec beaucoup d’élégance. Ses murs avaient été doublés, car à l’intérieur ils avaient été bâtis avec de petits moellons, et à l’extérieur avec de gros blocs de
169
pierre carrés. Ce mur avait une épaisseur de trente pieds. L’intérieur était décoré de marbres divers et de mosaïques. Le pavement du temple était aussi en marbre et son toit en plomb.
LIVRE IV.
Chapitre XXXI.
Alors un grand prodige se produisit en Celtique continentale au fort de Tauredunum [près de la montagne du Grammont en Suisse], situé sur le Rhône. Après avoir fait entendre toutes sortes de craquements pendant plus de soixante jours, un pan tout entier de la montagne se sépara du reste, avec hommes, églises, terres et maisons, et glissa dans le fleuve. Son cours fut bloqué aussitôt et l’eau reflua…
Dans une église d’Auvergne alors que l’on suivait l’office du matin d’une certaine fête, un oiseau de l’espèce que nous appelons alouette 1) entra, et voleta autour des lumières, les éteignant ainsi aussitôt, comme si quelqu’un les avait toutes plongées dans de l’eau en même temps. L’oiseau passa sous le voile du sanctuaire et tenta également d’éteindre la lumière à cet endroit, mais il en fut empêché par les sacristains qui le tuèrent…
Note de l’éditeur.
1) Aves coredallus, quam alaudam vocamus… dans le texte latin. Alauda semble avoir été considéré comme un mot indubitablement latin par Grégoire, sinon son explication n’a pas de sens.
LIVRE IX.
Chapitre XXVIII.
La reine Brunehault fit fabriquer un bouclier d’une merveilleuse grandeur, d’or et de pierres précieuses. Elle fit aussi faire en bois deux plats vulgairement appelés bassins 1), également ornés de pierreries et d’or, et les envoya au roi d’Espagne par Ébrégésile, qui avait déjà été plusieurs fois en ambassade dans ce pays.
Note de l’éditeur.
1) Bacchinon dans le « latin » de ce malheureux « paysan » qu’était Grégoire (il prétend lui-même n’être que cela dans la préface de son livre écrit à la gloire des confesseurs).
Ci-dessous ce que l’on peut lire dans son ouvrage « Les sept livres des miracles ».
LE LIVRE DES MIRACLES.
LIVRE VII.
DE LA GLOIRE DES CONFESSEURS.
Incipit.
Comme je ne possède pas l’art de la rhétorique et comme je ne suis pas non plus fort en grammaire, je crains beaucoup que les gens cultivés ne m’adressent dès les premiers mots de cet écrit de vifs reproches du genre : paysan ignorant, pourquoi veux-tu donc que ton nom soit reconnu l’instar] des autres grands écrivains ? Crois-tu vraiment que cette œuvre puisse être acceptée par les hommes de l’art ? Tu n’as aucun style ni aucune connaissance des lettres. Tu n’as aucune base en littérature et tu ne sais même pas distinguer les mots les uns des
170
autres, car tu confonds souvent le féminin avec le masculin, le neutre avec le féminin, et le masculin avec le neutre. Souvent également tu ne mets pas il faut les prépositions dont les plus nobles auteurs ont arrêté la place à observer en ce qui les concerne ; tu substitues des accusatifs aux ablatifs et pareillement des ablatifs à la place des accusatifs. Crois-tu vraiment qu’il convienne à un bœuf pesant de jouer dans la salle d’exercice d’une palestre ou à un âne bâté de prendre son envol parmi les rangées de ceux qui s’adonnent au jeu de paume ? Ou qu’un corbeau puisse longtemps dissimuler le noir de ses plumes au milieu des ailes des blanches colombes ? »
Mais je rétorquerai alors à tous ces critiques en leur disant ceci : « je travaille pour vous et ma rusticité en matière de littérature fournira donc à votre savoir-faire une occasion de s’exercer. Car je pense que ces écrits vont vous donner une bonne occasion : ce que j’expose grossièrement et très brièvement dans un style obscur, vous pourrez le développer en des vers élégants et somptueux en y consacrant beaucoup plus de pages ».
Chapitre I.
Alors que je demeurais en territoire arverne, un homme digne de foi m’a rapporté ceci et je sais qu’il ne mentait pas, car j’avais appris par ailleurs que ce qu’il disait alors était bien arrivé. Il m’expliqua qu’il avait demandé un jour que l’on prépare pour le lendemain, dans la brasserie de son domaine, à l’intention de ses moissonneurs, une boisson à base de grains de céréales cuits et infusés dans de l’eau. [L’historien] Orose rapporte que cette décoction était appelée « celia » [ou « ceria »] 1) justement à cause de la cuisson. Ensuite il était parti en ville. Quand cette boisson eut été préparée puis gardée au frais dans une cuve, les serviteurs, comme on pouvait s’y attendre, en burent la plus grande partie et en laissèrent juste un peu pour leur maître… le maître du domaine arriva et voulut vérifier la qualité ainsi que la quantité de boisson mais n’en trouva qu’un reste et il en fut très embarrassé, car il n’y en avait plus que 5 muids. Et pensant que c’était afin de lui faire honte que l’on avait ainsi préparé si peu de boisson pour ses ouvriers, il ne savait que faire ni quel parti adopter. Finalement, inspiré par le Seigneur, il se tourna vers un vase et récita pieusement dessus tous les noms des saints anges que les divines écritures lui avaient appris à connaître. Il les pria de daigner transformer cette maigre pitance en abondance, de sorte que ses ouvriers ne manquent pas de boisson. [Ce qui arriva ensuite est] chose extraordinaire à rapporter ! De toute la journée les buveurs ne manquèrent jamais de boisson tirée de ce récipient. Et jusqu’à ce que la nuit mette fin au travail, il y eut à boire en abondance pour tout le monde.
1) Une sorte de bière. Voir espagnol cerveza. Mais les Celtes de ce pays n’avaient pas attendu de trouver des noms d’anges dans de saintes écritures quelconques pour croire, un peu naïvement peut-être, qu’un chaudron d’abondance puisse désaltérer tout le monde à l’infini.
Chapitre II.
La quatrième année de son exil, le très bienheureux Hilaire retourna dans sa ville et après avoir achevé ses bonnes œuvres, partit rejoindre le Seigneur. On dit que de nombreux miracles se sont produits sur sa tombe bénie entre toutes, que le livre racontant sa vie a rapportés. Deux lépreux y furent aussi guéris.
Sur le territoire gabalitain [dans le pays de Gévaudan, département français de la Lozère] il y avait une montagne appelée Hilaire sur laquelle se trouvait un grand lac. Chaque année à la même date une foule de campagnards des environs se rendaient et en guise d’offrande ou de libation y jetaient du linge en lin tissé ainsi que des morceaux d’étoffe. Certains des toisons de laine, beaucoup des fromages, de la cire, des pains, et divers objets, chacun selon ses moyens. Ceux auxquels je pense seraient trop longs à énumérer. Ils y allaient avec leurs chariots ; et apportaient nourriture et boisson, sacrifiaient des animaux, et faisaient la fête pendant trois jours. Mais avant qu’ils soient sur le point de rentrer chez eux le quatrième jour, il arrivait toujours une violente tempête accompagnée de coups de tonnerre et d’immenses éclairs. Une pluie drue et de la grêle tombaient alors avec une telle force que chacun croyait sa dernière heure venue. Il en était ainsi chaque année, mais ces ignorants persistaient dans leur erreur. Bien des années plus tard, un prêtre de la ville devenu évêque 1) vint sur les lieux. Il exhorta cette foule à cesser de se comporter ainsi sous peine d’être consumée par la colère
171
du ciel. Mais leur grossière rusticité resta insensible à sa prédication. Alors ce prêtre, inspiré par Dieu, fit construire une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers à quelque distance de la rive du lac. Il fit transférer dans cette église des reliques d’Hilaire et s’adressa au peuple en ces termes : « Ne péchez plus, mes fils, ne péchez plus ainsi devant Dieu ! Adorer ainsi un lac n’est en aucune façon un acte de piété. N’entachez pas vos âmes/esprits [animas dans le latin de Grégoire] par de vains rituels, mais faites plutôt place à Dieu et adressez vos dévotions à ceux qui l’aiment. Adorez aussi saint Hilaire, prêtre de Dieu dont les reliques ont été transférées ici. Car il peut intercéder pour vous auprès du Seigneur, afin d’obtenir votre grâce ».
Ces gens furent alors touchés dans leurs cœurs et ils se convertirent. Ils délaissèrent le lac et déposèrent désormais dans cette sainte basilique ce qu’ils avaient coutume d’y jeter. Ainsi furent-ils libérés de l’erreur ans laquelle ils étaient emprisonnés. Et la tempête fut définitivement bannie de ces lieux. Elle ne troubla plus jamais la fête solennelle donnée en l’honneur de Dieu après que les reliques de ce bienheureux confesseur eurent été transférées en ce lieu.
1) Peut-être saint Hilaire dit Chéli Chély ou Illier, évêque de Mende au VIe siècle. En tout cas parfait exemple des récupérations opérées par le christianisme afin d’enrichir ses églises et ses prêtres. Les offrandes ne sont plus jetées dans le lac et donc perdues pour tout le monde, mais profitent désormais au clergé local.
Chapitre LXXII.
À Autun il y a un cimetière qu’en langue celte on appelle… car les corps de nombreuses personnes y ont été enterrés. De mystérieux psaumes chantés de façon occulte montrent bien que parmi ces tombes il y a celles des âmes de certains fidèles dignes de Dieu. Elles sont d’ailleurs souvent apparues à de nombreuses personnes alors qu’elles adressaient à Dieu tout puissant les Actions de grâce qu’elles lui devaient en les proclamant à haute voix…
Chapitre LXXV.
Après sa mort le bienheureux Simplice fut chargé de s’occuper de l’église. C’était le descendant d’une noble famille, riche des biens de ce monde, et marié à une très noble femme. Qu’ils vivaient chastement tous les deux bien qu’étant mari et femme était connu de Dieu seul, car ignoré des hommes puisqu’ils se montraient fort discrets à ce propos… Mais dévoré par la jalousie le démon suscita une honteuse guerre contre ces deux saints de Dieu, et la femme qu’il ne pouvait pas détruire par lui-même, il essaya de la déshonorer par une rumeur trompeuse. Que dire de plus ? Le jour de Noël, les citoyens de la ville crièrent au scandale et se précipitèrent sur la bienheureuse vierge en lui disant : « qu’une femme mariée à un homme ne puisse pas le souiller n’est pas crédible, car un homme collé au corps d’une femme dans un même lit ne peut s’empêcher d’avoir des rapports sexuels avec elle !… La bienheureuse vierge fut émue par ces accusations et alla retrouver le pontife épiscopal, qui se distinguait lui aussi par cette exceptionnelle chasteté. Après lui avoir répété ce qu’elle avait entendre devant tout le monde, elle appela une jeune fille qui avait comme à l’accoutumée une chaufferette remplie de charbons de bois pour se préserver des rigueurs de l’hiver. Elle étendit son manteau et glissa dessus des charbons brûlants. Après être restée ainsi pendant presque une heure elle fit appeler le prêtre et lui dit : « prends ce feu qui est maintenant moins ardent et qui ne brûlera pas ta robe, de sorte que tous puissent voir et comprendre qu’à l’instar de ces braises le feu de la luxure ne brûle plus en nous ». Le pontife épiscopal prit les braises et fit de même, mais sa robe resta intacte. Et les incrédules crurent alors en Dieu à cause de ce miracle, en moins d’une semaine plus de mille personnes furent régénérées par un renouvellement de leur baptême [en latin innovatione sacri lavacri]…
Note de l’éditeur. On permettra je l’espère, au modeste émule de Jean Toland que je suis, d’estimer que ce pseudo-miracle n’est pas plus clair que certains discours ou que certaines basses et vulgaires polémiques de notre actuel président [de la République française] et qu’il semble que l’on ne nous dise pas tout dans cette affaire. L’attitude prêtée au Diable ou à la foule n’est pas très logique en effet. Tout se passe comme si la foule des chrétiens d’Autun
172
leur avait reproché, non leur chasteté, mais d’être hypocrites ; c’est-à-dire d’avoir laissé croire à une chasteté qu’ils ne vivaient pas toujours. En quoi d’ailleurs le fait d’avoir des rapports sexuels « entre adultes consentants » comme on dit, peut-il constituer une souillure ?? Ce n’est pas plus une souillure que boire un verre d’eau quand on a soif ! Maintenant s’il s’agit seulement de réserver toute son énergie pour une plus vaste tâche, alors c’est autre chose ! Pour plus de détails voir l’excellent plaidoyer de Jean Toland en faveur d’une religion chrétienne sans mystère et son livre sur le christianisme des juifs, des gentils et des mahométans, traduit par le baron Paul Henry Thiry d’Holbach (un philosophe allemand). Toutes ces polémiques entre chrétiens, qui décidément aiment beaucoup les mystères ou les choses pas très claires, sont vraiment d’une puérilité consternante !
Chapitre LXXVI.
Certains rapportent qu’il y avait une représentation 1) de Bérécynthe 2) dans cette cité, ainsi que nous le relate justement l’histoire des souffrances du martyre de saint Symphorien. Conformément à la misérable coutume des païens, le peuple la promenait sur un chariot 3) pour le salut des champs et des vignobles. Le susdit évêque Simplice étant présent non loin, les observait en train de chanter ou de danser devant cette figuration 1). Il se prit à gémir devant la stupidité de toute cette foule et supplia Dieu en ces termes : « Seigneur, je vous en prie, ouvrez les yeux de tous ces gens, afin qu’ils s’aperçoivent enfin que le simulacre de Bérécynthe n’a aucun pouvoir ! » Ayant fait le signe de croix ensuite à son encontre 4), la représentation de la déesse tomba aussitôt par terre 4), et les bœufs qui tiraient son char furent comme cloués au sol, dans l’incapacité de faire un pas de plus. Cette immense foule en fut stupéfaite et toute la troupe s’écria que la déesse avait sans doute été outragée 4). Des victimes furent immolées, on aiguillonna les bœufs pour les faire avancer, mais toujours en vain : ils ne pouvaient pas bouger. Quatre cents hommes de cette masse d’imbéciles ayant assisté à la scène dirent alors : « S’il y a quelque puissance divine dans cette statue, alors qu’elle se relève et ordonne aux bœufs, qui sont comme collés à la terre, d’avancer. Mais si visiblement elle n’est pas capable de se faire tirer par eux, alors ce sera la preuve qu’il n’y a rien de divin dedans ». Certains des païens approchèrent alors et sacrifièrent une fois de plus un de leurs animaux ; mais constatant que leur déesse ne pouvait toujours pas bouger pour autant, ils abandonnèrent alors l’erreur du paganisme, et le prêtre du lieu étant venu, ils se convertirent dans l’unité de l’Église, après avoir ainsi découvert la grandeur du vrai Dieu, et furent consacrés par le saint sacrement du baptême.
Notes de l’éditeur.
1) Simulacrum en latin.
2) Ou du moins de la grande déesse celte dissimulée sous ce nom par l’interprétation gréco-romaine d’abord, puis chrétienne, de ce culte.
3) Carpentum dans le texte.
4) L’affaire peut se résumer ainsi : des talibans chrétiens débordant de haine raciste ont saboté la pacifique cérémonie d’un culte autre que le leur qui ne leur avait rien fait. Sans compter qu’en matière de processions, les catholiques n’ont plus rien à envier aux païens depuis lors. Voir la procession de la Sanch à Perpignan dans le sud de la France ou dans le Nord de la Catalogne en 1976. Espérons pour eux donc que leurs manifestations religieuses soient mieux traitées par leurs frères dans le vrai Dieu (réformés ou carrément déjà musulmans).
Chapitre LXXVIII.
Rémi, ai-je noté, fut évêque de Reims. Certains disent qu’il fut évêque soixante-dix ans voire plus et que grâce à ses prières il parvint à ramener à la vie le corps d’une jeune fille morte. Il faisait souvent soigner gratuitement les malades, et vengeait très souvent les victimes d’usurpation. Non loin de sa basilique, il y avait un champ au sol fertile ; les habitants appellent de tels champs des ouches 1). Ce champ avait été donné à la sainte basilique. Un des citoyens passant outre la volonté de l’homme qui avait donné ce champ au lieu saint l’occupa. Bien que cet homme ait été à maintes reprises mis en demeure par l’évêque et l’abbé du lieu de rendre ce qu’il occupait injustement ; il n’en tenait aucunement compte et défendait ce bien qu’il
173
occupait injustement avec obstination… alors l’homme fit une attaque d’apoplexie et s’effondra par terre.
1) Olca dans le « latin » de ce « paysan » qu’était Grégoire, à l’en croire (fausse modestie ?) La morale de cette édifiante histoire est claire malgré son écœurante hypocrisie quand on en prend connaissance jusqu’au bout : pas touche aux biens d’église !
SAINT ÉLOI (588 – 660).
Évêque de Noyon et Tournai.
Dans sa vie écrite par saint Ouen, nous pouvons lire le sermon suivant.
VIE DE SAINT ÉLOI PAR SAINT OUEN DE ROUEN.
LIVRE II.
Chapitre XVI.
Je vous demande très chers frères, et je vous en adjure avec la plus grande humilité d’écouter avec beaucoup d’attention ce que je voudrais vous suggérer pour votre salut.
Lacune –
Avant tout je vous adjure de ne plus observer de coutumes païennes sacrilèges. Rien ni aucune infirmité ne justifie que vous consultiez des magiciens, des devins, des sorciers ou des caragios [enchanteurs), ni même que vous pensiez à les interroger, car quiconque commet un tel péché perd immédiatement le bénéfice de son baptême. Ne vous intéressez pas aux augures ni aux éternuements soudains et n’accordez aucune attention aux petits oiseaux chantant au bord de votre route. Si quelque chose vous distrait de votre voyage ou de toute autre tâche, faites le signe de la croix et récitez vos prières du dimanche avec foi et dévotion, alors rien de fâcheux ne pourra vous arriver. Aucun chrétien ne doit se préoccuper du jour il quitte sa maison ni du jour il revient, car Dieu a fait pareillement tous les jours de la semaine. Aucun pouvoir particulier n’est attaché au premier travail de la journée ni aux phases de la lune, ne faites rien de superstitieux ni de ridicule lors des calendes de janvier. Ne faites pas de masques de vieille femme, de petits cerfs, ni de iotticos [de jeux de carnaval] ! Ne restez pas non plus à table tard dans la nuit, n’échangez pas de cadeaux pour le Nouvel An, ne buvez pas plus que de raison. Aucun vrai chrétien ne croit dans toutes ces impuretés ni ne s’appuie sur des incantations, car il s’agit d’œuvres du Diable. Aucun vrai chrétien lors de la fête de la Saint-Jean ou de tout autre
174
saint, n’accomplit de solestitia [de rites solsticiaux] ni ne danse ni ne saute ni ne chante de diableries. Aucun vrai chrétien ne doit ne serait-ce que songer à invoquer le nom d’un démon, ni Neptune, ni Orcus, ni Diane, ni Minerve, ni Geniscus, ni croire en aucune façon en ces êtres ineptes. Personne ne doit observer le jour de Jupiter [jeudi] en cessant de travailler ce jour-là, sauf s’il s’agit de saintes festivités, que ce soit en mai ou tout autre mois, ni le jour des larves, ni celui des souris, ni aucun autre jour à part le dimanche. Aucun chrétien ne doit effectuer ni rendre de dévotion aux dieux des carrefours à trois voies, aux fanums ni aux pierres, ni aux sources, ni aux clairières sacrées ni aux bornes de pierre. Personne ne doit même envisager d’accrocher de phylactères au cou d’un homme ou d’un animal, même s’ils sont faits par un prêtre ou qu’ils sont réputés renfermer de saintes reliques voire des extraits des écritures divines, car il n’y a rien qui vienne du Christ là-dedans, mais seulement un maléfice diabolique. Personne ne doit songer à faire des lustrations, ni à réciter des incantations sur des herbes quelconques, ni à faire passer le bétail au travers d’un arbre creux voire dans un fossé, car cela équivaut à les vouer au Diable. Aucune femme ne doit penser à suspendre à son cou de l’ambre ni à invoquer Minerve ou d’autres sinistres personnages de ce genre quand elles tissent ou teignent les étoffes, mais en toute occasion, en tout travail, ne remercier que le Christ et ne croire de tout son cœur qu’au pouvoir de son nom. Personne ne doit pousser de hurlements quand la lune s’obscurcit, car les éclipses se produisent à intervalle régulier conformément à la volonté de Dieu. Et personne ne doit non plus avoir peur de la nouvelle lune ou cesser de travailler à cause de cela. Car Dieu a créé la lune pour marquer le temps et atténuer l’obscurité de la nuit, non pour empêcher le travail ou pour rendre les hommes fous, ainsi que l’imaginent les sots, qui croient que les lunatiques sont des possédés devenus la proie de démons venus de la lune. Personne ne doit non plus appeler seigneur le soleil ni dame la lune ni jurer par eux, car ce sont des créatures de Dieu au service des besoins des hommes sur ordre de Dieu. Personne ne doit prétendre lire dans la destinée, ni dire la bonne aventure, ni faire d’horoscope comme on dit chez ceux qui croient qu’une personne doit être nécessairement ce pour quoi elle est née ! Car Dieu veut que tout homme puisse être sauvé en parvenant à la connaissance de la vérité, c’est pourquoi il dispense à tous sa sagesse, ainsi qu’il l’a voulu avant même de créer le monde. Surtout, si quelque infirmité venait à vous affliger, n’allez point chercher des enchanteurs, des devins, des sorciers, pas plus que des magiciens, ne déposez pas de phylactères diaboliques ni auprès des sources ni dans les clairières ni aux carrefours. Que le malade n’ait confiance qu’en la miséricorde de Dieu, reçoive le corps et le sang du Christ avec espérance et dévotion, et demande à l’Église avec foi, une bénédiction ou une huile pour extrême onction, avec laquelle il oindra son corps au nom du Christ et alors, ainsi que l’a dit l’apôtre, « la prière dite avec foi sauvera l’infirme et le Seigneur le relèvera ». Il recouvrera dès lors non seulement la santé pour ce qui est de son corps, mais aussi celle de son âme, et tout ce que le Seigneur a promis dans les évangiles sera chose accomplie : « Car quoi que tu demandes, cela te sera donc accordé si c’est au moyen d’une prière pleine de foi ». Et avant toute chose, que vous soyez, à la maison, sur les routes ou à table, veillez à ne laisser sortir de votre bouche aucun propos fétide ni lascif, car le Seigneur a déclaré dans les évangiles : « tout homme devra rendre compte de ses vaines paroles sur cette terre le jour du Jugement dernier ». Les jeux diaboliques ainsi que les danses et les chants païens devront être interdits. Aucun chrétien ne doit s’y adonner, car il devient alors lui-même païen. Il n’est pas non plus admissible que des cantiques diaboliques puissent sortir d’une bouche chrétienne a été déposé le sacrement du corps du Christ, et qui donc ne devrait plus faire autre chose que prier Dieu. C’est pourquoi mes frères, rejetez de tout votre cœur ces inventions de l’Ennemi et fuyez avec horreur tous ces sacrilèges. Ne vénérez personne d’autre que Dieu et ses saints. Évitez les sources et les arbres qu’ils prétendent sacrés. Il vous est interdit de confectionner de ces offrandes que l’on accroche aux carrefours et chaque fois que vous en trouverez vous devrez les jeter au feu. Soyez bien persuadés que vous ne serez sauvés par aucun autre moyen que l’invocation du Christ et de sa croix. Car que croyez-vous qu’il arrivera si les clairières ces misérables accomplissent leurs dévotions, sont jetées à bas, et leur bois confié au four ? Voyez à quel point est fou l’homme qui honore des choses sans âme, des arbres morts, et ce en dépit des préceptes de Dieu tout puissant. Ne croyez jamais que le ciel, ni les étoiles, ni même la terre, ni aucune autre créature puissent être adoré plus que Dieu lui-même, car c’est lui qui les a créés puis qui en dispose. Il est vrai que le ciel est haut ; la terre vaste, la mer immense, et les étoiles admirables, mais plus immense et plus admirable encore est nécessairement celui qui les a créés. Car si ces choses visibles sont si difficilement accessibles à notre entendement,
175
c’est que rien de la variété des produits de la terre ; de la beauté des fleurs, de la diversité des fruits, des races d’animaux, tant sur terre, que dans l’eau, ou dans le ciel, de la prudence des abeilles, du souffle du vent, des nuages chargés de rosée ou éclatants de tonnerre, de la succession des saisons, de l’alternance du jour et de la nuit ; ne peut être vraiment bien appréhendé par un simple esprit humain ». Et s’il en est ainsi, en ce qui concerne ce que nous pouvons voir, à savoir que nous ne pouvons rien y comprendre ; que pouvons-nous bien penser alors de toutes les réalités célestes qui sont invisibles à nos yeux ? Que dire de leur artisan, du but dans lequel fut créé tout cela, ainsi que de la volonté qui le gouverne ? Craignez donc leur créateur par-dessus tout, mes frères ; adorez-le plus que tout, aimez-le plus que quiconque ; tenez-vous-en à sa divine miséricorde, et ne désespérez jamais de sa clémence.
Lacune –
Ce petit récapitulatif de tant des admonestations habituelles à cet homme suffira donc à notre narration. Cela ne représente rien qu’il ait jamais dit ainsi un jour précisément, mais cela constitue un bon résumé des préceptes qu’il ne manquait jamais d’inculquer à ses auditeurs chaque fois qu’il en avait l’occasion. Et à la fin il concluait toujours en disant : « Et pour tout cela, mes frères, si vous y faites attention, vous serez bien récompensés…
Lacune –
Mais nous en avons assez dit à ce sujet. Venons-en maintenant ainsi que nous vous l’avons proposé, à ses miracles.
SULPICE SÉVÈRE
(né en 363, décédé dans le premier quart du Ve siècle).
Historien chrétien de langue latine. A rédigé une vie de saint Martin de Tours et des dialogues sur ses miracles, dans lesquels on peut lire ceci.
VIE DE SAINT MARTIN.
Chapitre XIII.
Martin échappe à la chute d’un pin.
Et de même, après avoir fait démolir un très ancien temple dans un village, il s’apprêtait à faire abattre un pin juste à côté, quand le grand prêtre du lieu, ainsi qu’une foule d’autres païens, voulut s’y opposer. Tous ces gens, qui grâce à Dieu s’étaient tenus tranquilles lors de la destruction du temple, par contre ne voulaient pas que l’on touche à cet arbre. Martin essaya de leur faire comprendre qu’il ne pouvait y avoir quoi que ce soit de sacré dans un tronc d’arbre, et qu’ils feraient mieux de rendre un culte au dieu qu’il servait. Il ajouta même qu’il était moralement nécessaire que cet arbre soit abattu, car il avait été consacré à un démon, mais en vain ! L’un d’entre eux, qui était plus hardi que les autres, lui dit, « si tu as vraiment confiance en ce dieu que tu dis adorer, nous abattrons nous-mêmes cet arbre, mais toi tu devras te tenir à l’endroit il tombera, car si, comme tu le dis, ton Seigneur est avec toi, et bien tu t’en sortiras sain et sauf. Martin fit courageusement confiance au Seigneur et promit de faire ce qui lui avait été demandé. La foule des païens accepta ces conditions, car ils estimèrent que la perte de l’arbre sacré serait un moindre mal si sa chute devait entraîner la mort d’un ennemi juré de leur religion, écrasé par son tronc ou sous ses branches. Et puisque le pin penchait déjà dans une direction bien précise, ce qui ne laissait subsister aucun doute sur l’emplacement il allait tomber après avoir été coupé, Martin, conformément aux vœux de ces païens, fut donc attaché, solidement, exactement personne ne doutait que l’arbre allait s’abattre. Ils commencèrent ensuite l’abattage de leur propre pin sacré en faisant preuve de beaucoup d’ardeur et même d’allégresse, sous les yeux d’une multitude de spectateurs se tenant à bonne distance. Peu à peu le pin se mit à vaciller voire à menacer de tomber sous son propre poids. Les moines qui se tenaient à quelque distance pâlirent en voyant le péril se rapprocher dangereusement, et commencèrent à perdre tout espoir, n’ayant plus confiance en rien, et s’attendant au contraire
176
à tout instant à voir Martin mourir. Mais lui, confiant dans le Seigneur, attendait courageusement ; et quand le pin en basculant fit entendre un grand craquement ; devant cet arbre qui s’abattait donc, et qui était même en train tout simplement de s’écraser sur lui, Martin leva simplement la main et lui opposa le signe du salut. Alors, un peu comme s’il rebondissait sur quelque chose (on pourrait même dire comme s’il était ramené en arrière) l’arbre s’abattit du côté opposé, en manquant de peu d’écraser les paysans qui s’étaient massés en croyant bien être en lieu sûr. Une grande clameur s’éleva jusqu’au ciel ! Les païens furent stupéfaits par un tel miracle et les moines se mirent à pleurer de joie, le saint nom du Christ fut repris en chœur par tout le monde. Le résultat de tout cela fut que cette contrée fut désormais touchée par la grâce du salut. Et de toute cette multitude de païens il n’y en eut presque aucun pour ne pas exprimer un ardent désir de se voir imposer les mains, ensuite, abandonnant leur erreur impie, tous firent profession de foi en notre seigneur Jésus. Le fait est qu’avant Martin, dans cette région, très peu de gens, pour ne pas dire personne, avaient été baptisés au nom du Christ ; mais grâce à ses vertus et à son exemple, ce nom s’y répandit à un point tel qu’il n’y a plus maintenant un seul endroit qui ne soit couvert d’églises ou de monastères. Car en tous lieux il renversait des temples, il avait l’habitude de bâtir soit des églises soit des monastères.
Chapitre XXII.
Martin prêche la repentance, y compris au Diable.
Le Diable, alors qu’il tentait de s’imposer au saint homme en recourant à mille artifices maléfiques, lui apparaissait souvent sous les formes les plus diverses. Tantôt il se montrait à lui métamorphosé en Jupiter, mais également en Mercure ou Minerve. Souvent aussi étaient entendus les reproches ou les calomnies au moyen desquels la foule des démons prenait Martin à partie. Mais comme il savait très bien que tout cela était faux et sans fondement, il n’était guère affecté par ces accusations portées contre lui. Bien plus, certains frères affirment avoir entendu un diable faire des reproches abusifs à Martin, et lui demandant notamment pourquoi il avait repris, après qu’ils se soient repentis, certains frères qui avaient auparavant perdu la grâce née de leur baptême en tombant dans diverses erreurs. Le démon rappelait même les crimes de chacun d’entre eux ; mais, ajoutent-ils, Martin, résistant avec vigueur au démon en question, lui répondait que les fautes commises antérieurement étaient toutes effacées par le fait de mener une vie meilleure, et qu’afin de se conformer à la miséricorde divine, devaient être absous de tous leurs péchés ceux qui avaient renoncé à leurs vices. Le diable rétorquait qu’à de tels pécheurs ne pouvait s’appliquer la grâce du pardon, et que ceux qui avaient failli ne pouvaient s’attendre à aucune clémence de la part du Seigneur. Martin se serait alors exclamé : « Si toi-même, misérable créature, tu cessais de tourmenter l’Humanité, si maintenant, puisque le jour du Jugement dernier s’avère proche, tu te repentais de tes méfaits, j’ai tellement foi en notre Seigneur que je pourrais te promettre que tu bénéficierais toi aussi de toute la miséricorde du Christ ».
Ô quelle sainte hardiesse que de présumer ainsi de la toute-puissance de l’amour de notre seigneur ; bien qu’il ne fasse pas autorité en la matière, Martin a au moins montré ainsi la profondeur de ses sentiments. Et puisque notre discours en est venu ainsi à parler du démon et de ses maléfices, il ne me semble pas trop hors de propos, quoi qu’il ne s’agisse plus directement de Martin, de rapporter ce qui suit, à la fois parce que les mérites de Martin sont jusqu’à un certain point en jeu dans cette affaire, et aussi parce que cet incident, proprement miraculeux, mérite de figurer dans les annales, par exemple pour nous mettre en garde contre des faits d’une nature similaire, qui pourraient de nouveau se produire.
DIALOGUE I SUR LES VERTUS DES MOINES D’ORIENT.
Chapitre XXVII.
« Certainement » répondit Postumianus, « parlez même en celte, si vous préférez, pourvu que vous nous parliez de Martin. Mais pour ma part, je crois que, même si vous étiez muet, les mots ne vous manqueraient pas pour nous parler de Martin avec éloquence, un peu comme la langue de Zacharie s’est déliée pour prononcer le nom de Jean. Mais comme vous êtes, en fait, un bon orateur, vous rusez comme un orateur en commençant par demander que l’on
177
excuse votre manque d’habileté en la matière, parce que justement vous excellez en ce qui concerne l’éloquence. Mais il ne convient pas qu’un moine fasse preuve d’une telle rouerie, ou qu’un Celte soit si astucieux. Mettez-vous au travail plutôt, et continuez ce que vous avez déjà entrepris de nous dire, car nous avons déjà perdu assez de temps à traiter d’autres sujets…
DIALOGUE II SUR LES MIRACLES DE SAINT MARTIN.
Chapitre XIII.
En outre, il avait l’habitude d’admonester les démons en les appelant par leur nom même quand ils venaient à lui à plusieurs. Il trouvait Mercure très ennuyeux, mais il disait que Jupiter était stupide et idiot. Je sais bien que tout cela semblait incroyable, y compris à beaucoup de ceux qui demeuraient dans le même monastère ; et je suis donc loin de croire que tous ceux qui en entendront simplement parler ainsi, pourront y ajouter foi. Mais si Martin n’avait pas eu de fait une vie étonnante, et n’avait pas fait preuve de tant d’excellence, alors il ne serait en aucune façon considéré parmi nous comme ayant mérité une si grande gloire. D’ailleurs, il n’est guère surprenant que la faiblesse humaine puisse avoir des doutes en ce qui concerne l’œuvre de Martin, puisque à ce jour de nombreuses personnes encore ne croient même pas en les évangiles. Mais nous savons pertinemment et même par expérience personnelle, que des anges apparaissaient souvent à Martin et discutaient avec lui.
SAINT AUGUSTIN (354-430).
Théologien chrétien de l’Antiquité tardive. Un des principaux Pères de l’Église, un de ses 33 Docteurs. Dans un de ses livres, intitulé la Cité de Dieu contre les païens, on peut lire ce qui suit.
LIVRE VIII.
Chapitre IX.
À PROPOS DE LA PHILOSOPHIE QUI A LE PLUS APPROCHÉ DE LA FOI CHRÉTIENNE.
Tous les philosophes, donc, ont pensé à propos du Dieu suprême, qu’il est à la fois l’auteur de tout ce qui a été créé, la lumière grâce à laquelle ce monde peut nous être connu, et le bien auquel doivent tendre toutes nos actions ; que nous avons en lui le premier principe de la nature, la vérité de toute doctrine, et la joie de vivre ; que ces philosophes puissent être dits plus justement platoniciens, ou qualifiés de tout autre nom que l’on veuille bien donner à leur mouvement ; soit que seuls les chefs de file de l’École ionique, comme Platon lui-même, et ceux qui l’ont bien compris, aient pensé de la sorte ; soit que l’on accepte d’y inclure également l’École italique, à cause de Pythagore et des pythagoriciens ; et tous ceux qui ont pu soutenir de semblables opinions ; soit enfin que l’on étende aussi cette acception aux sages et aux philosophes de toutes les nations dont on s’aperçoit qu’ils ont vu et enseigné les choses ainsi, que ce soit chez les Libyens atlantiques, les Égyptiens, les Indiens, les Perses, les Chaldéens, les Scythes, les Celtes, les Espagnols, ou dans toute autre nation ; nous les préférons à tous les autres philosophes, et nous confessons qu’ils ont été, on ne saurait plus proches, de nos propres croyances.
LIVRE XV.
Chapitre XXIII.
Si nous devons croire que les anges, qui sont de pures créatures spirituelles, sont tombés amoureux de la beauté des femmes, et les ont demandées en mariage, et que de cette union sont nés des géants.
Dans le troisième livre de cette œuvre nous avons fait référence en passant à cette question, sans décider si les anges, qui sont de purs esprits, peuvent avoir des relations charnelles avec des femmes, puisqu’il est écrit « qui a fait des esprits ses anges », c’est-à-dire « qui a fait de
178
ceux qui sont par nature uniquement spirituels, ses anges, en les chargeant de porter ses messages. Car le mot grec aggelos, qui se dit en latin angelus, signifie messager. Mais que le Psalmiste parle de leurs corps quand il ajoute « et ses ministres brûlent d’une flamme ardente », ou veut dire par que les ministres de Dieu doivent brûler d’un amour semblable à un grand feu spirituel, est une question qui n’est toujours pas résolue. Ce qui est certain par contre c’est que les Écritures les plus dignes de foi rapportent que des anges sont apparus aux hommes dans des corps tels que non seulement ils pouvaient être vus, mais même touchés.
Une rumeur très répandue, que beaucoup ont pu vérifier personnellement, ou dont des hommes dignes de foi corroborent les dires, veut également que les sylvains et les faunes que l’on appelle communément « incubes », ont souvent agressé sexuellement des femmes et satisfait leurs bas instincts avec elles ; et que certains démons, appelés duses par les Celtes, tentent voire effectuent quotidiennement, toutes ces impuretés ; est une chose si généralement affirmée, qu’il ne serait guère raisonnable de le nier de prime abord. En ce qui concerne ces assertions, je n’oserai pas personnellement me prononcer sur la question de savoir s’il y a des esprits revêtus d’un corps aérien (car l’air, simplement agité par un éventail, excite déjà la sensibilité des organes) ; et donc en mesure de convoiter voire d’avoir des relations charnelles avec des femmes ; mais en ce qui me concerne je ne peux certes pas croire que de saints anges de Dieu aient pu alors tomber si bas, ni que ce sont eux dont parle l’apôtre Pierre quand il dit : « car si Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché, mais les a au contraire précipités dans les profondeurs de l’enfer, et les a plongés dans les liens que constituent les ténèbres, dans l’attente du Jugement dernier ».
SAINT JÉRÔME (347-420).
Surtout connu pour sa traduction en latin de la Bible. Un des Pères de l’Église. « Tout traducteur trahit » me répètent mes correspondants romains, en italien. « Mais que dirai-je d’aucuns, vraiment plus dignes d’être appelés traditeurs que traducteurs ? Vu qu’ils trahissent ceux qu’ils entreprennent d’exposer, les frustrant ainsi de leur gloire… » (remarque encore Joachim du Bellay). Ce Jérôme, traducteur lui-même, étant devenu le saint patron des traducteurs, peut-on considérer qu’il avait la trahison dans le sang ? Observons plus précisément qu’apparemment il n’aime ni les Celtes d’Occident ni ceux d’Orient (les Galates). Racisme ? Il n’a pas encore été dénoncé pour cela devant les tribunaux français, mais cela ne saurait tarder. En attendant à chacun donc d’apprécier, sur pièce, le degré de racisme de cet adepte de la religion d’amour prêchée par le dieu d’Abraham ! Normal, faible, moyen, élevé, hystérique, ignorant de beaucoup de choses, fondé sur des ragots ou des propos indignes, sordide mépris des autres et de tout ce qui n’est pas son peuple… ?
Dans un de ses livres assez polémique, écrit contre un dénommé Jovinien, on peut lire ceci.
CONTRE JOVINIEN.
LIVRE II.
Chapitre VII.
Les Sarmates, les Quades, les Vandales, et d’innombrables autres nations, se régalent de viande de cheval et de loup. Mais pourquoi devrais-je parler de toutes ces nations lointaines alors que moi-même, alors que je visitais la Celtique étant jeune, j’ai entendu dire que les Attacottes de Bretagne mangeaient de la chair humaine, et quand dans les forêts ils trouvent des troupeaux de porcs voire de grand ou de petit bétail, ils ont l’habitude de découper les fesses des pâtres ainsi que les seins et les fesses des bergères, puis de les manger comme des mets de choix. Et les nations scotiques n’ont pas de femmes en particulier ; comme s’ils avaient lu la République de Platon et pris Caton pour modèle, aucun homme parmi eux n’a d’épouse en propre, mais comme des bêtes ils s’abandonnent à leur convoitise selon leur gré…
LETTRE 69. À OCEANUS.
179
3 « … Comme les Scots et les Atacotti et les gens de la République de Platon qui mettent leurs femmes en commun et ne font pas de distinction entre les enfants… ».
Le commentaire apporté par saint Jérôme à la lettre adressée par Saül de Tarse aux Galates est développé en trois livres, chacun ayant sa préface.
Voici ce que l’on peut lire dans le prologue du deuxième livre.
COMMENTAIRES SUR LES GALATES
LIVRE II.
Prologue.
Ma tâche serait vraiment immense si, après l’Apôtre et les Saintes Écritures, j’entreprenais de signaler au monde les défauts ou les qualités de chacune des nations le composant. Mais nous voici néanmoins arrivés à ma démonstration de ce que je proposais ; à savoir que les Galates se sont toujours distingués par leur folie et leur mauvais naturel.
Quiconque a pu constater par combien de schismes Ancyre [aujourd’hui Ankara en Turquie], la métropole de Galatie, a pu être déchirée ou écartelée, ou par combien d’hérésies et de fausses doctrines cette ville a pu être pervertie, sait cela aussi bien que moi. Je ne sais rien des Cataphrygiens, des Ophites, des Borborites [Barbelognostiques] et des Manichéens *, car tels sont les noms qui nous sont devenus familiers de ces ennemis de l’Humanité. Qui a jamais entendu parler des Passaloryncites, des Ascodrobes, des Artotyrites, et de ces autres oiseaux de mauvais augure je peux à peine les nommer quelque part ailleurs dans l’Empire romain ? Des traces de ces anciennes folies demeurent de nos jours. Je ferai néanmoins une remarque, afin de tenir la promesse par laquelle j’ai commencé ce livre. Bien que les Galates, comme tout le monde en Orient, s’expriment en grec, leur propre langue est presque identique à celle des Trévires [aujourd’hui Trèves en Allemagne] et si elle s’est quelque peu corrompue au contact avec le grec, importe peu à notre sujet. Les Africains ont bien plus ou moins modifié leur langue phénicienne originelle, et la latinité elle-même se transforme quotidiennement suivant les lieux et les époques.
* Note de l’éditeur. Afin de combler ces lacunes du saint homme, se reporter à nos ouvrages ultérieurs sur l’histoire du christianisme. Nous en savons beaucoup plus que lui à ce sujet. Il est vrai qu’il ignore tant de choses, le pauvre ! N.B. La vie de saint Euthyme écrite par Cyril de Scythopolis (aujourd’hui Bet Shéan en Israël) mentionne d’ailleurs encore un moine contemporain du saint, donc vivant au 6e siècle, nommé Procope, originaire de Galatie, et qui parfois s’exprimait encore en Galate. Il s’agit du paragraphe LV (page 77 de l’édition d’Édouard Schwartz, Kyrillos von Skythopolis, Leipzig, 1939).
La phrase exacte est « Sa langue était liée, il ne pouvait plus nous parler. S’il y était forcé, il s’exprimait dans la langue des Galates ».
180
OROSE (environ 375-418).
Apologiste chrétien. Associe christianisme et empire romain.
Dans le livre IV de ses Histoires contre les païens, on trouve ce qui suit.
LIVRE IV.
Chapitre XIII.
Durant le consulat de L. Émilius Catulus et C. Atilius Regulus, le Sénat fut terrifié par une rébellion de la Celtique cisalpine. Au même moment on entendit parler aussi de l’approche d’une immense armée de la Celtique située au-delà. Cette armée s’avérait composée en grande partie de Gésates, ce qui n’était pas le nom d’une tribu, mais un nom désignant des mercenaires celtes. Les consuls, terrifiés, réunirent toutes les forces militaires possibles en Italie et…
Dans le livre V de ses Histoires contre les païens, on trouve ce qui suit.
LIVRE V.
Chapitre XVI.
Parmi toutes ces façons de mourir, il y eut, rapporte-t-on, celle des deux chefs qui se ruèrent chacun sur l’épée de l’autre. Les rois Lugius et Boiorix tombèrent sur le champ de bataille, Claodicus et Caesorix furent capturés. À la suite de ces deux batailles, trois cent quarante mille Celtes périrent, et cent quarante mille furent faits prisonniers. Sans compter une multitude innombrable de femmes qui, dans un accès de folie féminine, mais en faisant preuve ainsi d’une force de caractère digne de celle des hommes, se tuèrent elles-mêmes avec leurs enfants.
Nouvelle note de l’éditeur sur ce terrible drame humain survenu en 101 à Verceil, aujourd’hui Vercelli en Italie. Rappelons que le peuple celte ou celtisé que constituaient ces malheureux Ambrons, Cimbres ou Teutons, avait été réduit au désespoir par la famine ou la disette régnant dans leur pays d’origine, le Danemark, et que ces immigrés cherchaient simplement à s’installer quelque part ailleurs. L’égoïsme naturel à l’espèce humaine fit que cela se termina en drame. Cette arrivée massive des Ambrons des Cimbres et des Teutons a sans doute été l’avant-dernière grande vague d’immigration celte, la dernière étant celle des Helvètes en 58. Des Helvètes, des Latobices, des Tulinges, des Rauraques et des Boïens. Une immigration de masse dont l’échec tourna au désastre puisqu’elle aboutira finalement à l’intervention des légions romaines de Jules César, donc à des centaines de milliers de morts, des millions
181
d’hommes et de femmes réduits en esclavage, sans oublier la perte de toute indépendance politique, voire culturelle. Bref la colonisation du pays !
Chapitre XXIII.
Pendant ce temps-là, Claudius fut chargé par le tirage au sort, de la guerre en Macédoine. Car à cette époque les diverses tribus, qui vivaient au-delà des monts Rhodopes, étaient en train de dévaster la région avec la plus grande cruauté. Entre autres exactions, aussi horribles à dire qu’à entendre, que ces tribus infligeaient à leurs prisonniers, je me permettrai de mentionner celle-ci. Quand ils avaient besoin d’une coupe pour boire, ils se contentaient de prendre et d’utiliser goulûment sans aucune répulsion, à la place de vraies coupes à boire, des crânes humains, encore dégoulinants de sang et recouverts de leurs cheveux, dont les cavités intérieures étaient toujours enduites de matière cervicale mal grattée. Les plus sanguinaires et les plus inhumains de toutes ces hordes barbares étaient les Scordisques.
STÉPHANE L’AFRICAIN : en latin STEPHANUS AFRICANUS (VIe siècle).
Prêtre de la ville d’Auxerre en Bourgogne (département français de l’Yonne). A écrit une vie de saint Amator, évêque d’Auxerre (Amateur, ou Amatre) dans laquelle on peut lire ceci.
VIE DE SAINT AMATOR ÉVÊQUE D’AUXERRE.
Chapitre IV.
24. À l’époque cela se produisit, un dénommé Germain, issu d’une noble lignée, administrait le pays d’Auxerre en étant personnellement sur place. Il avait coutume alors de s’adonner aux activités habituelles des jeunes gens plutôt que d’œuvrer à la religion chrétienne. Et par conséquent il passait son temps à chasser avec assiduité. Il lui arrivait souvent de prendre quantité de bêtes sauvages grâce à divers pièges, mais aussi en recourant à toutes les ressources de son art en la matière. Il y avait un grand et splendide pin au beau milieu de la cité, aux branches duquel Germain se plaisait à suspendre les trophées ou les têtes du gibier qu’il avait ramené afin que tout le monde puisse admirer les produits de sa chasse.
Amator, le célèbre évêque de la cité, l’interpellait donc souvent et en ces termes : « Arrête, je t’en prie, illustre homme de bien, de faire ces plaisanteries qui offensent les chrétiens, et qui constituent vraiment un mauvais exemple pour les païens. C’est l’œuvre d’un culte idolâtre indigne de la pure discipline chrétienne. Ce saint homme digne de Dieu avait beau le harceler sans relâche, jamais Germain en aucune façon n’acceptait de lui dire oui ni de lui obéir. Cet homme du Seigneur l’exhortait encore et encore non seulement à mettre fin à cette habitude digne du Malin, mais aussi à l’arbre lui-même, en l’extirpant jusqu’à la racine, afin qu’il n’offense plus les chrétiens. Mais ce dernier ne prêtait jamais une oreille attentive à cette admonestation. Un jour pourtant, le préfet Germain dut s’absenter de la ville pour se rendre sur les domaines lui appartenant. Alors saint Amator, qui guettait cette occasion depuis longtemps, fit arracher cet arbre sacrilège y compris avec ses racines, et, afin que rien n’en subsiste dans la mémoire des incroyants, ordonna qu’il soit jeté immédiatement au feu. Quant à ce qui pendait ou était accroché pour lui servir de trophée de chasse tout autant que de souvenir de ses exploits, il demanda qu’on le jette loin des limites de la ville.
Note de l’éditeur : référence du texte : Acta Sanctarum fêté le 1er mai, Vita Sancti Amatoris Episcopi Autissiodorensis (Anvers 1680). Et avec l’espoir que plus jamais aucun fanatique religieux chrétien ou musulman de ce genre ne viendra nous gâcher ainsi la vie ! C’est du harcèlement, voire du trouble à l’ordre public. Dieu préserve les non croyants à toutes ces
182
bêtises (le diable, etc.); que nous sommes (les increduli), de tous ces saints hommes ou de tous ces vrais croyants ! Vive la laïcité !
SAINT SYMPHORIEN D’AUTUN (mort vers 178).
Sa famille faisait partie des tout premiers chrétiens de la ville d’Autun (département français de Saône-et-Loire). Ce n’est pas tant les propos du jeune Symphorien que ceux de sa mère qui ont de l’importance. On trouve en effet dans une des variantes des récits de sa vie, ce qui suit.
Actes de saint Symphorien.
« Mon fils, mon fils, Symphorien, ne perdez pas de vue le dieu 1) pour qui vous mourez, ayez-le toujours dans votre pensée. Mon cher fils, gardez courage, la mort n’est nullement à craindre lorsqu’elle ne fait que nous conduire à la vie. Regardez le Ciel, et que votre cœur suive vos yeux, jetez-les sur celui qui règne dans les cieux. Aujourd’hui on ne t’enlève pas la vie ; on te la change contre une meilleure. Aujourd’hui, mon fils, par un heureux échange, tu vas passer à la vie céleste ».
Note de l’éditeur. Tout cela fait bien étrange. D’après Voltaire ce ne sont que des légendes, ou des fables. Mais qui se souvient encore de Voltaire aujourd’hui à l’ombre des mosquées qui poussent comme des champignons dans la patrie du siècle des Lumières et de la stricte Laïcité type Loi de 1905 ?
1) Mater illum vice gallica monuit dicens : « Nate, nate, Synforiane, mento beto to devo ». « Nate, nate, Synforiane, memento beto to divo » ou « Nati, nati, Synforiane, mentem obeto dotiuo ». D’après certaines variantes des actes du martyre de saint Symphorien. Voir le légendaire conservé à la bibliothèque nationale universitaire de Turin en Italie sous le numéro 517 (D.V.3).
MINUCIUS FÉLIX (IIe ou III siècle).
Écrivain latin converti au christianisme. Il est l’auteur de l’Octavius, un dialogue philosophique dans lequel il tente de montrer que la croyance chrétienne peut se concilier avec la culture classique. Minucius Félix est rangé parmi les Pères de l’Église.
OCTAVIUS.
Chapitre XXVIII.
183
D’où cette histoire que vous dites avoir entendue, comme quoi nous adorerions une tête d’âne. Mais qui est assez fou pour croire que cela puisse être un objet d’adoration ? Si ce n’est vous qui avez même consacré la race entière des ânes de vos étables avec votre Épona, et qui adorez [ou dévorez ?] religieusement ces mêmes ânes avec Isis. Vous qui faites des offrandes à des têtes de bœuf et de bélier ou leur vouez un véritable culte. Vous qui avez des dieux mi-homme mi-bouc, et des dieux à face de chien ou de lion.
Note de l’éditeur. Bien peu de connaissance (en profondeur) des autres communautés que la sienne… dans tout ça ! Et surtout application du vieux principe bien connu depuis la nuit des temps : deux poids, deux mesures, et la paille dans l’œil du voisin… ! Répétons-le encore une fois, la représentation de Jésus avec une tête d’âne sur la croix, émanait des milieux gnostiques chrétiens et n’était nullement péjorative, l’âne étant pour eux un symbole de sagesse. Que de temps perdu à batailler sur de faux problèmes ! 2000 ans de perdus pour l’intelligence humaine, qui aurait pu s’appliquer à des réflexions plus profondes et plus pertinentes ! Même problème avec l’islam aujourd’hui !
FULGENCE (fin Ve siècle, début du VIe).
Fulgence le mythographe. Écrivain latin chrétien d’Afrique du Nord. Parfois confondu avec saint Fulgence de Ruspe, ce qui est possible.
L’Expositio sermonum antiquorum (explication des termes antiques) est un petit glossaire Fulgence explique le sens de certains mots latins. Voici ce qu’il écrit dans cet opuscule à propos du mot « semones ».
11) Ce que sont les semons. On qualifiait de semons les dieux que l’on considérait indignes du ciel à cause de leur manque de mérite, tels Priape, Épona, et Vertumnus, mais que l’on ne voulait pas non plus considérer comme entièrement terrestres à cause de la vénération dont ils étaient l’objet afin d’obtenir leurs faveurs, comme l’écrit Varron dans son livre des mystagogues [en grec des sortes de guides mystiques] : « grâce au pouvoir des paroles qui ont des ailes, je peux faire monter au ciel un vrai dieu assigné à résidence dans le monde inférieur en tant que déité mineure ».
CLAUDIUS MARIUS VICTOR (mort en 446).
Professeur de rhétorique et poète. Vraisemblablement chrétien. Dans les variantes d’un de ses poèmes sur la Genèse, intitulé en grec Alètheia, on trouve le passage suivant.
ALETHIA.
LIVRE III.
Vers 205-209.
Plus tard le faux (dieu) Apollon s’imposa aux peuples. Mais contraint de changer de résidence il se fit médecin des Leuques et maintenant, dépassant les campagnes celtes et répandu dans les nations germaniques, il les sollicite de ses fraudes nocives et trompe ces (esprits) barbares.
Note de l’éditeur. Référence du texte (car ce passage ne se trouve pas dans tous les manuscrits).
Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum. Vol. XVI. Poetae christiani minores. Pars I. Claudii Marii Victoris. Alethias. Liber tertius. Publié en 1888 pour le compte de l’ Österreichische Akademie der Wissenschaften de Vienne en Autriche.
184
PRUDENCE (348-410 environ).
Poète lyrique latin, chrétien militant. On trouve dans un de ses poèmes intitulé « apotheosis » et traitant de la nature de Dieu ou de la Trinité ; la mention ci-après.
APOTHÉOSE.
Vers 197-199.
« Personne n’imagine les déesses Cloacina ou Épona
Sur un trône de gloire au-dessus des étoiles
Même s’il lui paye un encensoir infect
Et plonge des mains sacrilèges dans de la farine sacrée ou des entrailles ».
ADDENDUM.
GNAEUS POMPEIUS TROGUS OU TROGUE POMPÉE (Ier siècle).
Historien gallo-romain, auteur d’une Histoire philippique (et universelle), abrégée plus tard par Justin. Voir ce nom. Secrétaire et interprète de Jules César Trogue Pompée semble bien être l’archétype même du traître à sa patrie et à sa langue, servile envers la puissance dominante du moment à laquelle il veut absolument s’assimiler, l’Empire romain ; reniant ainsi sans vergogne toute la lignée de ses ancêtres, qui durent s’en retourner dans leur tombe. Un travers hélas bien enraciné dans ce pays qui n’est plus la France que nous aimons, celle de Lafayette, voire celle de Napoléon, mais celle de Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa et de tous les petits médiocres ou parvenus bas et vulgaires comme lui qui se sont approprié l’État. Quelle décadence ! Quelle chute ! Surtout comparé à un Obama !
185
TABLE DES AUTEURS CITÉS DANS CE LIVRE
(PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE).
Alexandre Polyhistor
Page 164
Ammien Marcellin
Page 115
Anonyme de l’Anthologie grecque
Page 158
Anonyme du Vatican
Page 155
Apollonios de Rhodes
Page 132
Appien
Page 095
Apulée
Page 154
Arétée
Page 167
Aristote
Page 149
Arrien
Page 098
Athénée
Page 092
Aurélius Victor
Page 163
Ausone
Page 139
Aviénus
Page 128
Callimaque
Page 159
Caton
Page 169
Celse (le médecin)
Page 169
Celse (le philosophe)
Page 165
César
Page 043
Cicéron
Page 124
Claudien
Page 167
Claudius Marius Victor
Page 187
Denys d’Alexandrie
Page 109
Denys d’Halicarnasse
Page 119
Diodore de Sicile
Page 057
Diogène Laerce
Page 162
Dion Cassius
Page 121
Dion de Pruse
Page 151
Élien
Page 161
Éphore
Page 168
Eumène
Page 104
186
Florus
Page 146
Fulgence
Page 187
Grégoire de Tours
Page 172
Hécatée
Page 157
Hérodien
Page 153
Hérodote
Page 107
Hésiode
Page 168
Hésychios
Page 169
Jamblique
Page 161
Julien
Page 157
Julius Capitolinus
Page 161
Justin
Page 063
Juvénal
Page 168
Lampride
Page 162
Lucain
Page 083
Lucien
Page 126
Macrobe
Page 170
Mamertin
Page 152
Maxime de Tyr
Page 158
Memnon
Page 154
Minucius Félix
Page 186
Nazaire
Page 153
Nicandre
Page 166
Nicolas de Damas
Page 150
Orose
Page 184
Parthénios
Page 165
Pausanias
Page 050
Pétrone
Page 163
Philémon
Page 156
Philostrate
Page 166
Philostrate de Lemnos
Page 166
Pline
Page 069
Plutarque
Page 025
Polybe
Page 015
Polyen
Page 141
Pomponius Mela
Page 101
Posidonios
Page 117
Procope
Page 130
Properce
Page 165
Prudence
Page 187
Pseudo Plaute
Page 155
Pseudo Plutarque
Page 136
Pseudo Scymnus
Page 143
Saint Augustin
Page 181
Saint Clément d’Alexandrie
Page 160
Saint Éloi
Page 177
187
Saint Hippolyte de Rome
Page 144
Saint Jérôme
Page 182
Saint Symphorien
Page 186
Silius Italicus
Page 112
Solin
Page 159
Stéphane l’Africain
Page 185
Strabon
Page 035
Suétone
Page 164
Sulpice Sévère
Page 179
Tacite
Page 077
Tertullien
Page 134
Timagène
Page 145
Timée
Page 160
Tite-Live
Page 002
Trogue Pompée
Page 188
Tzétzès
Page 152
Ulpien
Page 156
Valère Maxime
Page 147
Virgile
Page 164
Vopiscus
Page 138
188
TABLE DES MATIÈRES TRAITÉES DANS CE LIVRE.
Tite-Live
Page 002
Polybe
Page 015
Plutarque
Page 025
Strabon
Page 035
César
Page 033
Pausanias
Page 050
Diodore de Sicile
Page 057
Justin
Page 063
Pline
Page 069
Tacite
Page 077
Lucain
Page 083
Athénée
Page 092
Appien
Page 095
Arrien
Page 098
Pomponius Mela
Page 101
Eumène
Page 104
Hérodote
Page 107
Denys d'Alexandrie
Page 109
Silius Italicus
Page 112
Ammien Marcellin
Page 115
Posidonios
Page 117
Denys d'Halicarnasse
Page 119
Dion Cassius
Page 121
Cicéron
Page 124
Lucien
Page 126
Aviénus
Page 128
Procope
Page 130
Apollonios de Rhodes
Page 132
Tertullien
Page 134
Le Pseudo Plutarque
Page 136
Vopiscus
Page 138
Ausone
Page 139
189
Polyen
Page 141
Le Pseudo Scymnus
Page 143
Saint Hippolyte de Rome
Page 144
Timagène
Page 145
Florus
Page 146
Valère Maxime
Page 147
Aristote
Page 149
Nicolas de Damas
Page 150
Dion de Pruse
Page 151
Tzétzès
Page 152
Mamertin
Page 152
Hérodien
Page 153
Nazaire
Page 153
Apulée
Page 154
Memnon
Page 154
L'anonyme du Vatican
Page 155
Le Pseudo Plaute
Page 155
Philémon
Page 156
Ulpien
Page 156
Hécatée
Page 157
Julien
Page 157
Maxime de Tyr
Page 158
L'anonyme de l'Anthologie grecque
Page 158
Solin
Page 158
Callimaque
Page 155
Timée
Page 160
Saint Clément d'Alexandrie
Page 160
Julius Capitolinus
Page 161
Élien
Page 161
Jamblique
Page 161
Diogène Laerce
Page 162
Lampride
Page 162
Pétrone
Page 163
Aurélius Victor
Page 163
Virgile
Page 164
Alexandre Polyhistor
Page 164
Suétone
Page 164
Parthénios
Page 165
Properce
Page 165
Celse (le philosophe)
Page 165
Philostrate
Page 166
Philostrate de Lemnos
Page 166
Nicandre
Page 166
Arétée
Page 167
Claudien
Page 167
Juvénal
Page 168
190
Hésiode
Page 168
Éphore
Page 168
Celse (le médecin)
Page 169
Hésychios
Page 169
Caton l’Ancien
Page 169
Macrobe
Page 170
SUPPLÉMENT
Grégoire de Tours
Page 172
Saint Éloi
Page 177
Sulpice Sévère
Page 179
Saint Augustin
Page 181
Saint Jérôme
Page 182
Orose
Page 184
Stéphane l'Africain
Page 185
Saint Symphorien
Page 186
Minucius Félix
Page 186
Fulgence
Page 187
Claudius Marius Victor
Page 187
Prudence
Page 187
ADDENDUM
Trogue Pompée
Page 188
INDEX
Page 189
DU MÊME AUTEUR.
1. Citations des auteurs antiques parlant des Celtes ou des druides.
2. Généralités liminaires diverses sur les Celtes.
3. Histoire du pacte avec les dieux tome 1.
4. La Bible du druidisme : histoire du pacte avec les dieux tome 2.
5. Histoire du pacte avec les dieux tome 3.
6. Histoire de la paix avec les dieux tome 4.
7. Histoire de la paix avec les dieux tome 5.
8. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 1.
9. Textes apocryphes irlandais.
10. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande science qui illumine » tome 2.
11. Des Fénianes aux Culdées ou « La Grande Science qui illumine » tome 3.
12. Les cent voies du paganisme. Science et philosophie tome 1 (mythologie druidique).
13. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 2 (mythologie druidique).
14. Les cent chemins du paganisme. Science et philosophie tome 3 (mythologie druidique).
15. Le grand camminus : éléments de théologie druidique tome 1.
16. Le grand catéchisme : éléments de théologie druidique tome 2.
17. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 1.
191
18. Le plérôme druidique : anges djinns ou démons tome 2.
19. Mystagogie ou théâtre sacré des Celtes antiques.
20. Poèmes celtes.
21. Le génie du paganisme celte tome 1.
22. Le complexe de Roland.
23. Au pied de la lanterne des morts.
24. Les secrets du vieux druide de la forêt ménapienne.
25. Le génie du paganisme celte tome 2 (liberté réciprocité simplicité).
26. Rhétorique : la trahison des clercs).
27. Petit dictionnaire de théologie druidique tome 1.
28. Des philosophes antiques au druide irlandais.
29. Judaïsme christianisme et islam : première partie.
30. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 1.
31. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome2.
32. Judaïsme christianisme et islam : deuxième partie tome 3.
33. Troisième partie tome 1 : Qu’est-ce que l’Islam ? Bref historique de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
34. Troisième partie tome 2 : Qu’est-ce que l’Islam ? Premières approches de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
35. Troisième partie tome 3 : Qu’est-ce que l’Islam ? Les 5 vrais piliers de l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
36. Troisième partie tome 4 : Qu’est-ce que l’Islam ? Coups de sonde dans l’ensemble COR. HAD. SIR. et CHAR. FIQ. MAD.
37. Couiro anmenion ou Petit dictionnaire de théologie druidique tome 2.
192